3333 Sante-Lhoutellier Digestion Proteines Viandes Cuisson

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La revue scientifique

Viandes & Produits Carnés


Référence de l’article : VPC‐2017‐33‐3‐3
Date de publication : 05 septembre 2017
www.viandesetproduitscarnes.com

Influence de la température de cuisson sur la digestion des protéines des viandes : approches in vitro et in
vivo

Mots-clés : Protéines, Viande, Digestion, Cuisson, Structure, Modèle in vitro, Modèle in vivo

Auteurs : Véronique Santé-Lhoutellier1, Thierry Astruc1, Jean-Dominique Daudin1, Alain Kondjoyan1, Valérie Scislowski2,
Christelle Duchène3, Claire Gaudichon4, Didier Rémond5
1
INRA, QuaPA, 63122 Saint Genès Champanelle, France ; 2 ADIV, 63000 Clermont Ferrand, France ; CIV – Viande, sciences et société,
75012 Paris 4 AgroParisTech, 75014 Paris, France ; 5 INRA, UNH, 63122 Saint Genès Champanelle, France.

* E-mail de l’auteur correspondant : veronique.sante-lhoutellier@inra.fr

Cet article est tiré d’une partie des résultats du projet PRONUTRIAL financé par l’ANR qui a réuni des
spécialistes en sciences des aliments, des nutritionnistes, un centre technique et une structure de vulgarisation
des données scientifiques. Le contexte actuel de vieillissement des populations pose des questions sur les
stratégies alimentaires qui vont permettre de garantir à ces populations leurs besoins physiologiques en termes
d’apport protéique dans une optique de maintenir le plus possible un degré d’autonomie. Les protéines
animales, notamment celles de la viande sont indéniablement des protéines de haute valeur nutritionnelle à
condition d’appliquer des traitements technologiques ad hoc.

Résumé :
En France, la consommation de produits carnés (viandes et charcuterie) représente près d’un tiers des protéines totales ingérées.
Contrairement aux protéines végétales, les protéines de la viande apportent tous les acides aminés essentiels en quantité équilibrée par rapport
aux besoins de l’homme, ce qui confère à la viande un potentiel nutritionnel intéressant ; ce potentiel est la capacité d’une protéine 1) à libérer,
lors de la digestion, des acides aminés et peptides assimilables et 2) à posséder une vitesse de digestion élevée pour induire une synthèse protéique
optimale. Pour les personnes âgées, les besoins en protéines rapidement digérées sont supérieurs pour stimuler la synthèse protéique. Qu’il
s’agisse des industries agro-alimentaires ou des ménages, la préparation de la viande implique l’application de traitements technologiques. Or,
ces traitements génèrent des modifications physico-chimiques des protéines ayant des impacts possibles sur la vitesse de digestion et sur
l’assimilation des nutriments. Pour aborder ce sujet, il est indispensable d’intégrer des connaissances allant des sciences des aliments jusqu’à la
nutrition. La stratégie que nous avons développée a consisté, d’une part, à évaluer la variation du potentiel nutritionnel des protéines des produits
carnés selon les traitements techniques par des approches in vitro qui prennent en compte la composition et la structure des matrices ainsi que
les process, et, d’autre part, à évaluer leur impact physiologique in vivo.

Abstract: Influence of cooking temperature on the digestion of proteins in meat: in vitro and in vivo approaches
In France, meat consumption accounts for one third of total protein intake. Unlike vegetable proteins, meat protein provides all essential
amino acids in balance with human requirements, which gives the meat an interesting nutritional potential. This potential is the ability of a
protein 1) to release bioavailable amino acids and peptides during digestion, and 2) have a high rate of digestion for inducing optimal protein
synthesis. The elderly need more rapidly digested proteins to stimulate protein synthesis. Before any consumption, meat is processed. However,
the application of technological treatments generates physicochemical modifications of proteins with potential impacts on the rates of digestion
and the uptake of nutrients. To address this issue, it is essential to integrate knowledge from food science to nutrition. The strategy we developed
was to assess the variation of nutritional potential of meat produced by in vitro approaches that take into account the composition and structure
of the matrices and processes, and to assess their physiological effect in vivo.

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INTRODUCTION
En France, la consommation de produits carnés représente grandes catégories de traitement existent : le traitement
près d’un tiers des protéines totales ingérées. Par leur mécanique qui consiste à déstructurer le produit puis à le
abondance et leur équilibre en acides aminés indispensables, réassembler ; le traitement chimique qui, par action de solutés
les protéines de la viande confèrent à cet aliment une forte (sels, acides, épices,...), va modifier la structure et la
valeur nutritionnelle. Cette valeur peut cependant être composition du tissu ; et le traitement thermique pour lequel
modulée par l’efficacité de leur utilisation digestive. Les rares les effets sont variables selon la température et la durée
études réalisées chez l’Homme, montrent que la digestibilité ciblées. Lors de ces traitements, la macro- et la microstructure
des protéines de la viande, mesurée sur l’ensemble du tractus de la matière première sont modifiées par le biais des
digestif, est très élevée (95-97%) (Oberli et al., 2015 ; changements physico-chimiques impliquant les protéines, les
Silvester et Cummings, 1995). La mesure de la digestibilité lipides et les micronutriments. Ces modifications de structure
revient à évaluer la quantité des protéines alimentaires à l’échelle de l’aliment sont susceptibles de modifier, et
digérées dans l’intestin grêle participant à la fourniture notamment de réduire, l’accessibilité aux sites de coupures
d’acides aminés pour l’organisme. Par ailleurs, l’absorption pour les enzymes de la digestion. Le devenir digestif des
des acides aminés au niveau du gros intestin est très limitée, protéines est ainsi susceptible d’être modifié par la nature des
voire inexistante, principalement en raison de l’absence d’une opérations unitaires impliquées dans la préparation des
concentration significative d’acides aminés libres ou de viandes et notamment par les traitements thermiques. Les
peptides à l’intérieur de ce compartiment digestif. L’efficacité principaux résultats obtenus in vitro et in vivo sur l’impact des
de la digestion dans l’intestin grêle va dépendre de l’efficacité procédés sur la digestion des protéines, résultats obtenus in
de la digestion en amont dans l’estomac. Celle-ci est en partie vitro et in vivo, sont présentés dans ce document. Ces résultats
déterminée par la structure et la mastication de l’aliment. représentent une partie du projet PRONUTRIAL (ANR-09-
Concernant l’aliment viande, il est important de souligner ALIA-008-01) financé par l’agence nationale de la recherche
que les protéines subissent généralement un ou plusieurs (ANR).
traitements technologiques avant d’être consommées. Trois

I. DEFINITION DE PARAMETRES DE DIGESTION IN VITRO


I.1. Design expérimental
L’étude a porté sur le muscle Longissimus de porc issus été analysés crus et après cuisson. Trois traitements
de 12 porcs élevés de façon conventionnelle (groupe A, n=6) thermiques ont été sélectionnés : 70°C, 100°C et 140°C pour
ou en plein air (groupe B, n=6)). Chaque muscle a été maturé une même durée de 30 minutes (n=12 par condition).
4 jours.
Pour évaluer l’effet de la maturation, des prélèvements ont Les données ont été analysées avec un modèle d’analyse
été effectués à 1 jour et 4 jours post mortem. Pour évaluer de variance à deux effets (durée de maturation, température
l’effet de la cuisson, les échantillons (n=12) ont tout d’abord de cuisson).

I.2. Modèle de digestion in vitro

Pour les études de screening d’une multitude de procédés 2) Le potentiel de dégradation maximale ou la densité
technologiques, un modèle de digestion in vitro mimant les optique (DO) maximale que peut atteindre la
étapes gastriques et intestinales a été développé. Il s’agit cinétique de digestion (Figure 1A).
d’une digestion in vitro à la pepsine seule (étape gastrique) et 3) Le temps de demi-vie qui correspond à la durée
ensuite avec un mélange de trypsine et chymotrypsine (étape nécessaire pour dégrader la moitié des protéines
intestinale). Pour comparer toutes les conditions de process présentes en suspension (Figure 1A).
testées, plusieurs paramètres de digestion ont été définis et 4) La vitesse initiale maximale que peut atteindre la
caractérisés. Ainsi d’après la Figure 1, six paramètres sont cinétique de digestion (Figure 1B).
décrits : 5) Le temps que met l'enzyme pour atteindre la vitesse
1) La vitesse initiale de digestion mesurée sur les 15-20 initiale maximale (Figure 1B).
premières minutes (pente initiale en Figure 1A).

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Figure 1 : Allure de la courbe de digestion (A), paramètres de digestion (B après calcul de la dérivée de la courbe de la
Figure 1A) et équations correspondantes (C)

II. IMPACT DE LA DUREE DE MATURATION ET DE LA TEMPERATURE DE


CUISSON DE LA VIANDE SUR LES PARAMETRES DE DIGESTION
Les pertes de poids à la cuisson représentent 21,5% à une à 100°C et 140°C (Figure 2). Ce résultat peut s’expliquer par
température de 70°C, 31,5% pour 100°C et 58,2% pour des modifications structurales des protéines induites par
140°C. Ces valeurs sont comparables à celles de la littérature l’action du chauffage qui accroissent la bio-accessibilité
(Aaslyng et al., 2003). Ni la vitesse initiale, ni la dégradation accrue des protéases digestives. Une des explications
maximale (Figures 2 et 3) de digestion des viandes ne plausibles est que les acides aminés aromatiques (acides
diffèrent au cours de la maturation, qui est de 4 jours pour de aminés hydrophobes et correspondant aux sites de coupure de
la viande de porc, Ce résultat est en accord avec les données la pepsine) se retrouvent en surface des protéines de la viande,
obtenues sur des viandes d'agneau conservées pendant une au lieu d’être internalisés comme c’est le cas d’une structure
semaine et avec une quantité de pepsine deux fois supérieure native de protéine soluble. A des températures supérieures
à nos conditions (Santé-Lhoutellier et al., 2008). Par contre, (Figure 2), s’ajoutent à l'augmentation de l'hydrophobie de
un traitement thermique à 70°C résulte en une augmentation surface, des phénomènes d'agrégation, qui sembleraient
de la vitesse de digestion à la pepsine, qui n’est plus observée limiter l’accessibilité de la pepsine à ses sites de coupure.

Figure 2 : Vitesse initiale de digestion in vitro à la pepsine en fonction de la durée de maturation et de la température de
cuisson de la viande

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Figure 3 : Effets de la maturation et des traitements thermiques sur l’hydrolyse maximale

III. IMPACT DE LA TEMPERATURE DE CUISSON SUR LES STRUCTURES


MOLECULAIRES ET TISSULAIRES
Afin de mieux comprendre les mécanismes moléculaires du nombre de particules ainsi qu'une augmentation de la
à l’origine des modulations de vitesse de digestion et circularité et du ratio Feret en ce qui concerne l’effet de la
digestibilité des protéines de viande cuite, nous nous sommes durée de maturation de la viande. Les traitements thermiques
intéressés aux caractéristiques physico-chimiques des au-delà de 100°C réduisent de façon drastique le nombre et le
protéines. Il s’agit de paramètres de forme des protéines diamètre des particules et conduisent à une augmentation de
obtenus par granulométrie laser, et des changements oxydatifs leur circularité. Ces données mettent en évidence la formation
et structuraux des protéines. L’objectif est de mettre en d'agrégats protéiques à la cuisson et renseignent sur la perte
relation les données de paramètres de digestion recueillis de la structure fibreuse des particules en faveur de structures
précédemment et les structures protéiques modifiées par les plus compactes. Ces résultats sont en accord avec les travaux
traitements thermiques. Les résultats de changements de de Promeyrat et al. (2010) qui rapportent une augmentation
structure et d’agrégations protéiques sont présentés dans le graduelle de la circularité des agrégats en fonction de la
Tableau 1. Les résultats montrent qu'il y a une augmentation cinétique de chauffage.

Tableau 1 : Paramètres d'agrégation protéique

Nombre de particules Diamètre (µm) Circularité Ratio Feret1

J1 25293,7 ± 2232,4 b 13,43 ± 0,24 a 0,7481 ± 0,0043 d 0,7303 ± 0,0047 b

J4 34915,7 ± 1267,6 a 13,60 ± 0,07 a 0,7883 ± 0,0007 c 0,7524 ± 0,0010 a

70°C 16763,8 ± 3495,9 bc 8,83 ± 0,23 c 0,8208 ± 0,0026 b 0,74915 ± 0,0054 a

100°C 10562,7 ± 2114,4 c 10,13 ± 0,30 b 0,8434 ± 0,0044 a 0,7606 ± 0,0040 a

140°C 8652,8 ± 1964,8 c 8,58 ± 0,26 c 0,8481 ± 0,0043 a 0,7601 ± 0,0049 a


1 Ratio Feret : rapport d’élongation d’une particule

Avec l’objectif d’évaluer le rôle de la composition du tissu d’hydrophobie de surface par rapport à la viande crue maturée
musculaire, la susceptibilité des protéines à s’oxyder a été 1 ou 4 jours (Figure 4B). L’oxydation protéique présente une
comparée entre des viandes issues de porcs élevés de façon augmentation progressive en fonction de la température et qui
conventionnelle (groupe A) ou en plein air (groupe B). Même est significative entre 100 et 140°C (Figure 4A). Dans nos
si les viandes de porc élevés en plein air renferment plus conditions, nous n’avons pas fait varier la durée de chauffage
d’enzymes antioxydantes (Bax et al., 2013), les différences qui était de 30 minutes. On sait que l’oxydation lipidique suit
entre les 2 groupes ne sont pas significatives. Les une courbe en cloche (résultat non montré). Dans nos
modifications physicochimiques des protéines au chauffage conditions, nous observons que les produits de peroxydation
soulignent l’importance de la dénaturation protéique qui augmentent avec la température jusqu’à 70°C. Ensuite, ces
opère dès 70°C comme le souligne l’augmentation d’intensité produits réagissent avec des protéines notamment pour

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former des bases de Schiff ou bien deviennent volatils et ne En résumé, le potentiel nutritionnel de la matrice viande
peuvent être détectés avec la méthode utilisée. Ces bases de est directement impacté par les changements structuraux, eux-
Schiff constituent une première étape dans l’agrégation à mêmes induits par les traitements technologiques.
l’échelle moléculaire et de nouvelles interactions
moléculaires.

Figure 4 : A - Oxydation des acides aminés basiques (lysine, arginine et histidine) exprimée en nmoles de carbonyles
par mg de protéines – B - mesure de l’hydrophobie de surface des protéines exprimée en µg de bleu de bromophénol
(BBP) lié aux protéines myofibrillaires

A l’échelle tissulaire, on observe que la cuisson provoque permet de bien visualiser la délimitation des cellules.
une importante contraction latérale des cellules Cependant, il faut noter que le temps de mesure
(correspondant à une réduction du diamètre des fibres) plus (correspondant au temps d’exposition des coupes cellulaires)
marquée à 60°C qu’à 90°C. La méthodologie appliquée a été quadruplé pour que le niveau de fluorescence du
(chauffage sur coupe de tissu) ici ne permet pas d’étudier de collagène et de la laminine soit équivalent à celui de la viande
hautes températures. Cependant, dès 60°C, la rétractation des crue (témoin). Cela nous renseigne sur la perte d’antigénicité
cellules est aisément observable (Figures 5A et 5B). Par des protéines étudiées due au chauffage, perte cependant
ailleurs, les résultats montrent que le chauffage modifie la difficile à quantifier. Cette perte d’antigénicité peut être la
structure du tissu conjonctif, mais ce dernier reste en place et résultante de la contraction du collagène au chauffage et de sa
conserve partiellement son antigénicité comme le prouvent gélatinisation partielle. En effet, la gélatinisation du collagène
les immunomarquages du collagène (coloration verte) et de la s’accompagne d’une modification des hélices des chaines
laminine (coloration rouge) encore visibles (Figure 5C et 5 alpha et la formation de boucles. Plus les chaines alpha sont
D). La laminine est une protéine située sur la lame basale des courtes, plus les repliements et la formation de boucles seront
cellules musculaires. Un immunomarquage de la laminine importants.

Figure 5 : Effet du chauffage sur l’évolution du tissu conjonctif (60°C) : coloration du collagène en rouge (A et B) ;
détection du collagène par immunofluorescence (C) et de la laminine par immunofluorescence (D)

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A l’échelle ultrastructurale, après une cuisson à 60°C, les thermique. Les coupes longitudinales permettent de repérer
myofibrilles apparaissent plus claires que dans la viande crue aisément les stries Z et les sarcomères, repères toujours
(Figure 6). Une ondulation des myofibrilles, probablement visibles après chauffage. Cependant, les myofilaments ne sont
consécutive à la contraction du collagène dans l’espace plus distingués, vraisemblablement en raison de la
extracellulaire, est alors mise en évidence. L’espace coagulation des protéines myofibrillaires (Figure 6).
extramyofibrillaire semble augmenter après traitement

Figure 6 : Coupes transversales et longitudinales de viandes crues (C0), chauffée à 60°C (C1) et 90°C (C2). d0 :
échantillon non digéré, d1 : échantillon digéré à la pepsine, d2 : échantillon digéré à la pepsine +
trypsine/chymotrypsine

Après chauffage, on note l’apparition de déstructuration de la tropomyosine dans les filaments fins a lieu entre 35°C
sous la forme de microbulles au niveau de la bande I à et 60°C. Les caractéristiques thermiques de ces protéines
proximité de strie Z. L’α-actinine, principal constituant de la pourraient expliquer ces modifications morphologiques de la
strie Z est la plus labile et coagule à 50°C et la dénaturation bande I. De plus, des micro-trous sont visibles dans la bande

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A, en particulier, à proximité de ligne M. La MyBP-C complètement coagulés et il est impossible de les distinguer.
(Myosin Binding Protéine C), qui est un composant de cette Ce résultat s’explique en partie par le fait que la myosine se
zone, semble être plus sensible à la cuisson que le reste de la dénature aux alentours de 55°C et l’actine, la troponine et la
bande A. La myosine, majoritaire dans la bande A, se tropomyosine vers 80°C. La longueur des sarcomères
dénature à partir de 55°C. diminue de 15,7 % après une cuisson à 90°C.
Les sections transversales mettent aussi en évidence des L’ensemble de ces données histologiques et
modifications ultrastructurales importantes au niveau des immunohistologiques permet de visualiser les changements
myofibrilles qui présentent des trous ou des zébrures structuraux que subissent les matrices carnées et les protéines
blanches, ceci quelle que soit la température de chauffage. lors de la cuisson à l’échelle de la cellule musculaire Ce sont
Enfin, le volume d’espace extramyofibrillaire est maximum des données importantes pour mieux comprendre les
pour une température de chauffage de 60°C, sans que l’on mécanismes à l’origine, par exemple, de la variation de la
puisse expliquer ce résultat. vitesse de digestion, et de la digestibilité des viandes après
Pour une cuisson à 90°C, des cassures de grande taille sont cuisson.
observées sur les myofibrilles. L’aspect des membranes est Il est apparu important de développer des approches de
préservé mais, comme lors de la cuisson à 60°C, la masse modélisation de ces phénomènes en raison de la multitude de
myofibrillaire s’est contractée, laissant apparaitre des espaces conditions de process, de type de matrice, etc. Ces travaux de
subsarcolemmaux importants contenant de nombreux modélisation en cours, prennent en compte, outre les données
agrégats protéiques. La strie Z est épaisse et discontinue et la de process et du type de matrice, celles de la physiologie de
bande I est très affectée par le traitement. Ces structures la digestion, à savoir le pH et l’activité des enzymes
semblent plus dégradées que dans le cas d’une cuisson à digestives.
60°C. Contrairement au témoin cru, les myofilaments sont

IV. IMPACT DE LA CUISSON SUR LES PARAMETRES DE DIGESTION IN VIVO


DES PROTEINES DE LA VIANDE
IV.1. Modèle mini porc
L'évaluation de la qualité d'une source de protéines est des patients iléostomisés, montre que les mécanismes de la
habituellement basée sur la composition en acides aminés digestion dans l’intestin grêle sont très efficaces vis-à-vis des
(AA) et la digestibilité des protéines dans le tube digestif. On protéines carnées, et que leur digestibilité mesurée à la fin de
sait maintenant que ces critères ne suffisent pas à décrire l’intestin grêle est très élevée (0,94 ; Silvester et Cummings,
pleinement le potentiel nutritionnel d'une protéine. Par 1995). Cependant, il n’existe pas de travaux permettant
exemple, il a été montré que la vitesse de digestion des d’évaluer l’impact du type de viande ni des traitements
protéines régule la rétention postprandiale des protéines technologiques sur ce paramètre. Les travaux visent à
alimentaires dans l’estomac (Dangin et al., 2003) . En outre, déterminer l’impact des traitements technologiques sur les
la digestibilité totale n'est pas un bon prédicteur de la paramètres de la digestion dans l’intestin grêle (vitesse et
biodisponibilité des acides aminés. Les mesures de quantité absorbée), et sur la nature et la quantité des protéines
digestibilité iléale vraie (TID pour « True Ileal résiduelles entrant dans le gros intestin.
Digestibility ») sont donc plus appropriées, mais elles sont Pour les mesures de digestion in vivo le mini porc est
difficiles à obtenir chez l'homme sain. Quelques mesures de utilisé comme animal modèle. Bien que la digestibilité dans
TID ont été réalisées sur des protéines isolées, par la collecte l’ensemble du tractus digestif soit légèrement plus élevée
du chyme iléal en utilisant une sonde naso-intestinale (Bos et chez le porc que chez l’homme, l’importance de la digestion
al., 2005 ; Mariotti et al., 1999). Il existe très peu d’études sur avant le gros intestin est équivalente (Rowan et al., 1994). Les
la digestion in vivo des protéines carnées. Chez l’Homme, le animaux sont équipés d’une canule au niveau de l’iléon
coefficient d’utilisation digestive des protéines de la viande, terminal pour permettre le prélèvement des contenus digestifs
mesuré sur l’ensemble du tractus digestif, est très élevé (97- à la fin de l’intestin grêle. Ils sont également équipés d’un
100%, Young et al., 1975, Wayler et al., 1983). Des études cathéter vasculaire permanent (aorte abdominale) pour
chez le rat montrent que cette valeur n’est pas affectée par la déterminer la cinétique d’apparition des acides aminés
teneur en collagène de la viande, bien que les protéines du alimentaires dans le compartiment sanguin périphérique.
tissu conjonctif soient plus résistantes à l’attaque des enzymes Pour permettre la différenciation entre les protéines
protéolytiques (Laser-Reutersward et al., 1982). L’intérêt de alimentaires et les protéines endogènes dans les effluents
ces mesures sur l’ensemble du tractus digestif est cependant iléaux, les viandes sont issues d’un bovin dont les protéines
limité. En effet, seules les protéines alimentaires digérées corporelles sont préalablement marquées avec de l’azote-15
dans l’intestin grêle participent à la fourniture d’acides (15N).
aminés pour l’organisme. De plus, ces mesures ne renseignent Cette approche a été testée en utilisant un veau perfusé par
pas sur la quantité et la nature des protéines alimentaires voie intraveineuse avec un cocktail d’acides aminés marqués
entrant dans le côlon, celles-ci pouvant influencer la nature de contenant 99% de 15N. L’enrichissement en 15N obtenu dans
la flore résidante et les produits terminaux des fermentations. les muscles au bout de 15 jours a été de 0.5%. Après abattage,
La digestibilité dans l’intestin grêle des protéines de la viande la viande marquée a été cuite, hachée et distribuée à des
a été rarement mesurée chez l’homme en raison des difficultés miniporcs. Des prélèvements de contenus digestifs ont été
de prélèvement d’effluents iléaux suite à l’ingestion d’un réalisés en cinétique après l’ingestion du repas.
aliment solide. L’unique étude dans le domaine, réalisée sur

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IV.2. Cinétique d’apparition des acides aminés au niveau plasmatique
L'effet de la température de cuisson sur la cinétique sous la courbe indiquent une augmentation de la vitesse de
d’apparition des acides aminés indispensables (AAI) au digestion, lorsque la température de cuisson de la viande a
niveau plasmatique est présenté dans la Figure 7. Le augmenté de 60 à 75°C, et une diminution de la vitesse de
changement de concentration durant les 3 premières heures digestion, lorsque la température a été augmentée de 75 à
après l'ingestion du repas est principalement dû à l'absorption 95°C. Cependant, ni la concentration plasmatique maximale
des acides aminés. Ainsi, la cinétique de la concentration d’AAI, ni l'aire sous la courbe de l'ensemble de la période
plasmatique des acides aminés indispensables dans cet post-prandiale (6 h) n’ont été affectées par les températures
intervalle de temps est un bon indice de la vitesse de de cuisson.
digestion. Aussi bien la forme de la courbe (Figure 7) et l'aire

Figure 7 : Cinétique d’apparition des Acides Aminés Indispensables (AAI) dans le plasma en fonction de la
température de cuisson

Figure 8 : Quantité cumulée d’azote d’origine alimentaire, mesurée dans l’iléon, en fonction de la température de
cuisson de la viande ingérée

Viandes & Produits Carnés – Septembre 2017 8


Une des originalités de notre étude est la production de d’éventuelles différences de digestion dans l’estomac, et
viande dont les acides aminés ont été uniformément marqués assurer ainsi une hydrolyse maximale des protéines de la
à l’azote 15 pour permettre la distinction de l'aliment et la viande avant le côlon. Ainsi, le degré de cuisson de la viande
mesure de la digestibilité réelle dans l’intestin grêle. La va essentiellement influer sur l’efficacité de la digestion par
vitesse d’apparition des acides aminés dans le sang, suite à la pepsine, conduisant à une sortie de l’estomac et une attaque
l’ingestion des viandes, est supérieure pour une température des protéines par les enzymes pancréatiques plus ou moins
de cuisson à cœur de 75°C, par rapport à des cuissons à 60 ou rapides, conditionnant aussi la cinétique d’apparition des
95°C. En revanche, contrairement à ce qui était observé in acides aminés dans le sang.
vitro, nous avons montré que la température de cuisson Dans cette étude, le rôle de la mastication a été
n’affecte pas la quantité totale de protéines digérées dans volontairement éludé mais des études menées récemment ont
l’intestin grêle (environ 95% des protéines ingérées) (Figure montré que cette dernière avait une influence importante sur
8). In vivo, la capacité enzymatique et le temps de séjour dans la digestion ; il serait donc intéressant d'intégrer cet aspect
l’intestin grêle sont donc toujours suffisants pour compenser dans de futures expériences (Sayd et al., 2016).

IV.3. Etude chez l’Homme


Les premiers travaux, réalisés avec 2 modalités de n’est pas observé de différences quant au transfert de l’azote
chauffage (55°C, 5 min et 90°C, 45 min), ont débuté. Les alimentaire dans les pools d’acides aminés et protéines
résultats disponibles à ce jour montrent, en termes de vitesse plasmatiques entre les deux cuissons. En termes de pertes
de digestion, un passage du repas plutôt plus rapide pour la métaboliques, il n’existe pas de différence concernant les
cuisson à 55°C (les 4 premières heures), contre les 5-6 pertes d’azote alimentaire dans l’urine. Par contre
premières heures pour la cuisson à 90°C. Les mesures de l’incorporation d’azote dans le pool d’urée corporelle semble
digestibilité des protéines de viande ne sont pas concluantes plus rapide et plus importante pour la cuisson à 55°C. Les
par rapport à la littérature et nécessitent des corrections par travaux étant en cours, il est prématuré d’établir une
ajout d’un marqueur de repas. En termes de métabolisme, il conclusion définitive concernant l’Homme.

CONCLUSION
Les approches in vitro ont révélé que la température de température de cuisson et la quantité de viande consommée
cuisson est l'un des principaux déterminants de la vitesse de (données non montrées). De ce fait, les résidus de protéines
digestion (Bax et al., 2012). Par rapport à la viande crue, la de viande entrant dans le côlon seront relativement faibles.
vitesse de digestion augmente avec une température de Cette étude montre que la vitesse de digestion des protéines,
cuisson proche de 70°C. Cet effet s'explique par une un paramètre d'intérêt accru pour la nutrition, peut être
dénaturation progressive des protéines, qui expose les sites de modulée par la cuisson de la viande : c’est pour une
clivage pour les enzymes digestives, alors qu’à des température de cuisson modérée que la digestion est la plus
températures supérieures, des phénomènes d’oxydation rapide. Avec des températures élevées, la vitesse de digestion
conduisent à l'agrégation des protéines, masquant ainsi les est moindre, même si elle reste bonne. En termes
sites de clivage. Bien qu’in vivo des facteurs de régulation d’implication nutritionnelle, les protéines dites rapides sont
(tels que les interactions avec les autres constituants plus efficaces pour améliorer l'anabolisme protéique
alimentaires, les sécrétions enzymatiques, la vidange postprandial afin de lutter contre la sarcopénie chez les
gastrique, etc.) soient susceptibles de contribuer à personnes âgées. Cette étude montre donc l’intérêt de jouer
l'augmentation des concentrations plasmatiques d’acides sur les températures de cuisson pour optimiser la vitesse de
aminés indispensables, les mêmes tendances que celles digestion des protéines de viande. Ces travaux ouvrent de
enregistrées in vitro ont été observées, à savoir une vitesse de nouvelles perspectives pour la conception d’aliments à
digestion supérieure pour une température de cuisson autour destination des personnes âgées pour lesquelles la phase orale
de 70°C. de mastication revêt une dimension essentielle (Peyron et al.,
En conclusion, la digestibilité des protéines des viandes 2017).
dans l'intestin grêle est élevée, et ce quelle que soit la

Références :

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