3333 Sante-Lhoutellier Digestion Proteines Viandes Cuisson
3333 Sante-Lhoutellier Digestion Proteines Viandes Cuisson
3333 Sante-Lhoutellier Digestion Proteines Viandes Cuisson
Influence de la température de cuisson sur la digestion des protéines des viandes : approches in vitro et in
vivo
Mots-clés : Protéines, Viande, Digestion, Cuisson, Structure, Modèle in vitro, Modèle in vivo
Auteurs : Véronique Santé-Lhoutellier1, Thierry Astruc1, Jean-Dominique Daudin1, Alain Kondjoyan1, Valérie Scislowski2,
Christelle Duchène3, Claire Gaudichon4, Didier Rémond5
1
INRA, QuaPA, 63122 Saint Genès Champanelle, France ; 2 ADIV, 63000 Clermont Ferrand, France ; CIV – Viande, sciences et société,
75012 Paris 4 AgroParisTech, 75014 Paris, France ; 5 INRA, UNH, 63122 Saint Genès Champanelle, France.
Cet article est tiré d’une partie des résultats du projet PRONUTRIAL financé par l’ANR qui a réuni des
spécialistes en sciences des aliments, des nutritionnistes, un centre technique et une structure de vulgarisation
des données scientifiques. Le contexte actuel de vieillissement des populations pose des questions sur les
stratégies alimentaires qui vont permettre de garantir à ces populations leurs besoins physiologiques en termes
d’apport protéique dans une optique de maintenir le plus possible un degré d’autonomie. Les protéines
animales, notamment celles de la viande sont indéniablement des protéines de haute valeur nutritionnelle à
condition d’appliquer des traitements technologiques ad hoc.
Résumé :
En France, la consommation de produits carnés (viandes et charcuterie) représente près d’un tiers des protéines totales ingérées.
Contrairement aux protéines végétales, les protéines de la viande apportent tous les acides aminés essentiels en quantité équilibrée par rapport
aux besoins de l’homme, ce qui confère à la viande un potentiel nutritionnel intéressant ; ce potentiel est la capacité d’une protéine 1) à libérer,
lors de la digestion, des acides aminés et peptides assimilables et 2) à posséder une vitesse de digestion élevée pour induire une synthèse protéique
optimale. Pour les personnes âgées, les besoins en protéines rapidement digérées sont supérieurs pour stimuler la synthèse protéique. Qu’il
s’agisse des industries agro-alimentaires ou des ménages, la préparation de la viande implique l’application de traitements technologiques. Or,
ces traitements génèrent des modifications physico-chimiques des protéines ayant des impacts possibles sur la vitesse de digestion et sur
l’assimilation des nutriments. Pour aborder ce sujet, il est indispensable d’intégrer des connaissances allant des sciences des aliments jusqu’à la
nutrition. La stratégie que nous avons développée a consisté, d’une part, à évaluer la variation du potentiel nutritionnel des protéines des produits
carnés selon les traitements techniques par des approches in vitro qui prennent en compte la composition et la structure des matrices ainsi que
les process, et, d’autre part, à évaluer leur impact physiologique in vivo.
Abstract: Influence of cooking temperature on the digestion of proteins in meat: in vitro and in vivo approaches
In France, meat consumption accounts for one third of total protein intake. Unlike vegetable proteins, meat protein provides all essential
amino acids in balance with human requirements, which gives the meat an interesting nutritional potential. This potential is the ability of a
protein 1) to release bioavailable amino acids and peptides during digestion, and 2) have a high rate of digestion for inducing optimal protein
synthesis. The elderly need more rapidly digested proteins to stimulate protein synthesis. Before any consumption, meat is processed. However,
the application of technological treatments generates physicochemical modifications of proteins with potential impacts on the rates of digestion
and the uptake of nutrients. To address this issue, it is essential to integrate knowledge from food science to nutrition. The strategy we developed
was to assess the variation of nutritional potential of meat produced by in vitro approaches that take into account the composition and structure
of the matrices and processes, and to assess their physiological effect in vivo.
Pour les études de screening d’une multitude de procédés 2) Le potentiel de dégradation maximale ou la densité
technologiques, un modèle de digestion in vitro mimant les optique (DO) maximale que peut atteindre la
étapes gastriques et intestinales a été développé. Il s’agit cinétique de digestion (Figure 1A).
d’une digestion in vitro à la pepsine seule (étape gastrique) et 3) Le temps de demi-vie qui correspond à la durée
ensuite avec un mélange de trypsine et chymotrypsine (étape nécessaire pour dégrader la moitié des protéines
intestinale). Pour comparer toutes les conditions de process présentes en suspension (Figure 1A).
testées, plusieurs paramètres de digestion ont été définis et 4) La vitesse initiale maximale que peut atteindre la
caractérisés. Ainsi d’après la Figure 1, six paramètres sont cinétique de digestion (Figure 1B).
décrits : 5) Le temps que met l'enzyme pour atteindre la vitesse
1) La vitesse initiale de digestion mesurée sur les 15-20 initiale maximale (Figure 1B).
premières minutes (pente initiale en Figure 1A).
Figure 2 : Vitesse initiale de digestion in vitro à la pepsine en fonction de la durée de maturation et de la température de
cuisson de la viande
Avec l’objectif d’évaluer le rôle de la composition du tissu d’hydrophobie de surface par rapport à la viande crue maturée
musculaire, la susceptibilité des protéines à s’oxyder a été 1 ou 4 jours (Figure 4B). L’oxydation protéique présente une
comparée entre des viandes issues de porcs élevés de façon augmentation progressive en fonction de la température et qui
conventionnelle (groupe A) ou en plein air (groupe B). Même est significative entre 100 et 140°C (Figure 4A). Dans nos
si les viandes de porc élevés en plein air renferment plus conditions, nous n’avons pas fait varier la durée de chauffage
d’enzymes antioxydantes (Bax et al., 2013), les différences qui était de 30 minutes. On sait que l’oxydation lipidique suit
entre les 2 groupes ne sont pas significatives. Les une courbe en cloche (résultat non montré). Dans nos
modifications physicochimiques des protéines au chauffage conditions, nous observons que les produits de peroxydation
soulignent l’importance de la dénaturation protéique qui augmentent avec la température jusqu’à 70°C. Ensuite, ces
opère dès 70°C comme le souligne l’augmentation d’intensité produits réagissent avec des protéines notamment pour
Figure 4 : A - Oxydation des acides aminés basiques (lysine, arginine et histidine) exprimée en nmoles de carbonyles
par mg de protéines – B - mesure de l’hydrophobie de surface des protéines exprimée en µg de bleu de bromophénol
(BBP) lié aux protéines myofibrillaires
A l’échelle tissulaire, on observe que la cuisson provoque permet de bien visualiser la délimitation des cellules.
une importante contraction latérale des cellules Cependant, il faut noter que le temps de mesure
(correspondant à une réduction du diamètre des fibres) plus (correspondant au temps d’exposition des coupes cellulaires)
marquée à 60°C qu’à 90°C. La méthodologie appliquée a été quadruplé pour que le niveau de fluorescence du
(chauffage sur coupe de tissu) ici ne permet pas d’étudier de collagène et de la laminine soit équivalent à celui de la viande
hautes températures. Cependant, dès 60°C, la rétractation des crue (témoin). Cela nous renseigne sur la perte d’antigénicité
cellules est aisément observable (Figures 5A et 5B). Par des protéines étudiées due au chauffage, perte cependant
ailleurs, les résultats montrent que le chauffage modifie la difficile à quantifier. Cette perte d’antigénicité peut être la
structure du tissu conjonctif, mais ce dernier reste en place et résultante de la contraction du collagène au chauffage et de sa
conserve partiellement son antigénicité comme le prouvent gélatinisation partielle. En effet, la gélatinisation du collagène
les immunomarquages du collagène (coloration verte) et de la s’accompagne d’une modification des hélices des chaines
laminine (coloration rouge) encore visibles (Figure 5C et 5 alpha et la formation de boucles. Plus les chaines alpha sont
D). La laminine est une protéine située sur la lame basale des courtes, plus les repliements et la formation de boucles seront
cellules musculaires. Un immunomarquage de la laminine importants.
Figure 5 : Effet du chauffage sur l’évolution du tissu conjonctif (60°C) : coloration du collagène en rouge (A et B) ;
détection du collagène par immunofluorescence (C) et de la laminine par immunofluorescence (D)
Figure 6 : Coupes transversales et longitudinales de viandes crues (C0), chauffée à 60°C (C1) et 90°C (C2). d0 :
échantillon non digéré, d1 : échantillon digéré à la pepsine, d2 : échantillon digéré à la pepsine +
trypsine/chymotrypsine
Après chauffage, on note l’apparition de déstructuration de la tropomyosine dans les filaments fins a lieu entre 35°C
sous la forme de microbulles au niveau de la bande I à et 60°C. Les caractéristiques thermiques de ces protéines
proximité de strie Z. L’α-actinine, principal constituant de la pourraient expliquer ces modifications morphologiques de la
strie Z est la plus labile et coagule à 50°C et la dénaturation bande I. De plus, des micro-trous sont visibles dans la bande
Figure 7 : Cinétique d’apparition des Acides Aminés Indispensables (AAI) dans le plasma en fonction de la
température de cuisson
Figure 8 : Quantité cumulée d’azote d’origine alimentaire, mesurée dans l’iléon, en fonction de la température de
cuisson de la viande ingérée
CONCLUSION
Les approches in vitro ont révélé que la température de température de cuisson et la quantité de viande consommée
cuisson est l'un des principaux déterminants de la vitesse de (données non montrées). De ce fait, les résidus de protéines
digestion (Bax et al., 2012). Par rapport à la viande crue, la de viande entrant dans le côlon seront relativement faibles.
vitesse de digestion augmente avec une température de Cette étude montre que la vitesse de digestion des protéines,
cuisson proche de 70°C. Cet effet s'explique par une un paramètre d'intérêt accru pour la nutrition, peut être
dénaturation progressive des protéines, qui expose les sites de modulée par la cuisson de la viande : c’est pour une
clivage pour les enzymes digestives, alors qu’à des température de cuisson modérée que la digestion est la plus
températures supérieures, des phénomènes d’oxydation rapide. Avec des températures élevées, la vitesse de digestion
conduisent à l'agrégation des protéines, masquant ainsi les est moindre, même si elle reste bonne. En termes
sites de clivage. Bien qu’in vivo des facteurs de régulation d’implication nutritionnelle, les protéines dites rapides sont
(tels que les interactions avec les autres constituants plus efficaces pour améliorer l'anabolisme protéique
alimentaires, les sécrétions enzymatiques, la vidange postprandial afin de lutter contre la sarcopénie chez les
gastrique, etc.) soient susceptibles de contribuer à personnes âgées. Cette étude montre donc l’intérêt de jouer
l'augmentation des concentrations plasmatiques d’acides sur les températures de cuisson pour optimiser la vitesse de
aminés indispensables, les mêmes tendances que celles digestion des protéines de viande. Ces travaux ouvrent de
enregistrées in vitro ont été observées, à savoir une vitesse de nouvelles perspectives pour la conception d’aliments à
digestion supérieure pour une température de cuisson autour destination des personnes âgées pour lesquelles la phase orale
de 70°C. de mastication revêt une dimension essentielle (Peyron et al.,
En conclusion, la digestibilité des protéines des viandes 2017).
dans l'intestin grêle est élevée, et ce quelle que soit la
Références :
Aaslyng M.D., Bejerholm C., Ertbjerg P., Bertram H.C., Andersen H.J. (2003). Cooking loss and juiciness of pork in relation
to raw meat quality and cooking procedure. Food Quality and Preference, 14, 277-288.
Bax M.L., Aubry L., Ferreira C., Daudin J.D., Gatellier P., Rémond D., Santé-Lhoutellier V. (2012). Cooking temperature is a
key determinant of in vitro meat protein digestion rate: investigation of underlying mechanisms. Journal of Agricultural and Food
Chemistry, 60, 2569-2576.
Bax M.L., Sayd T., Aubry L., Ferreira C., Viala D., Chambon C., Rémond D., Santé-Lhoutellier V. (2013). Muscle composition
slightly affects in vitro digestion of aged and cooked meat: Identification of associated proteomic markers. Food Chemistry, 136,
1249-1262.
Bos C., Juillet B., Fouillet H., Turlan L., Daré S., Luengo C., N'tounda R., Benamouzig R., Gausserès N., Tomé D., Gaudichon
C. (2005). Postprandial metabolic utilization of wheat protein in humans. The American Journal of Clinical Nutrition, 81, 87-94.
Dangin M., Guillet C., Garcia-Rodenas C., Gachon P., Bouteloup-Demange C., Reiffers-Magnani K., Fauquant J., Ballèvre
O., Beaufrère B. (2003). The rate of protein digestion affects protein gain differently during aging in humans. Journal of
Physiology-London 549, 635-644.