E. Charles-Dominique
E. Charles-Dominique
E. Charles-Dominique
Vridi (Côte-d'Ivoire).
Histoire d'une révélation
Karine DELAUNAY
Vridi révélé
Cet échec n'en contribue pas moins à attirer l'attention sur un cas par-
ticulier : Vridi, village situé sur la rive sud de la lagune Ebrié, à proximi-
té immédiate du Canal du même nom reliant la lagune à l'océan pour l'ac-
cès au port d'Abidjan. Pris d'abord comme un point d'enquête parmi
d'autres, Vridi était progressivement devenu pour les halieutes, au fil de la
mise au point des procédures de collecte statistique et de modélisation, un
point de référence pour le suivi des activités de pêche lagunaire en zone
abidjanaise puis pour celui des sennes tournantes sur l'ensemble de la
lagune. Or les caractéristiques du site de Vridi ont permis aux pêcheurs
qui y étaient basés de développer une pêcherie mixte, opérant à la fois en
mer et en lagune, l'accent étant m i s sur l'une ou l'autre selon les saisons.
Aussi, suite à la chute des rendements en lagune Ebrié puis à l'exclusion
des grands filets, les pêcheurs, plutôt que de quitter les lieux, ont-ils pu
réorienter leurs activités vers l'exploitation exclusive du milieu maritime.
A cette permanence des pêcheurs à Vridi répond la poursuite des
enquêtes statistiques sur leurs débarquements dont le protocole n'était, il
est vrai, définitivement établi que depuis la fin des années soixante-dix :
c'est ainsi que la pêche piroguière maritime a commencé à pénétrer la
recherche halieutique en Côte-d'Ivoire. Mais le plus remarquable ne rési-
de peut-être pas, du moins pas seulement, dans le caractère incident du
suivi des activités de pêche maritime des pirogues basées à Vridi mais plu-
tôt dans ce que ce suivi va permettre d'observer : le spectaculaire déve-
loppement de ces activités mêmes. En effet, de 25 à 30 équipes présentes
en 1975, on passe à 130-140 sennes tournantes recensées en 1985
(Ecoutin, 1992 : 74). Et c'est plus particulièrement au cours de la période
1983-1985, soit lorsque l'activité ne se déploie plus qu'en mer, que Vridi
connaît une véritable "explosion du potentiel de pêche" (Ecoutin, 1991 :
682). En sorte qu'au vu des statistiques de pêche collectées, les pêcheurs
basés à Vridi auraient débarqué, à eux seuls, dans ces années 1983-1985,
un tonnage équivalent à celui que les estimations officielles, tacitement
reproduites depuis une vingtaine d'années, accordaient à l'ensemble de la
catégorie pêche artisanale maritime, pour toute la Côte-d'Ivoire... Dès
lors, l'exploitation des ressources marines ne peut plus être appréciée au
seul vu des débarquements des flottilles industrielles. De fait, en procé-
dant par extrapolation à partir du cas de Vridi (Ecoutin et al., 1993 : 546),
le volume total des captures réalisées par la pêche piroguière maritime en
92 Les pêches piroguières en Afrique de l'Ouest
Côte-d'Ivoire dans ces mêmes années serait du même ordre que celui des
débarquements des flottilles sardinière et chalutière du port d'Abidjan.
Non seulement Vridi met en lumière la vitalité de la pêche piroguiè-
re maritime en Côte-d'Ivoire, permettant à cette dernière de faire son
entrée dans les statistiques et les modèles de gestion de la ressource tenus
par les halieutes, mais, dans le même mouvement, Vridi en est presque
venu à incarner à lui seul Ia pêche artisanale maritime ivoirienne : les
chiffres produits aujourd'hui au sujet des captures maritimes (cf. Binet ef
a¿., 1991) ne font apparaître la catégorie pêche artisanale qu'à compter de
1979, alors que la catégorie pêche industrielle y figure sous la forme d'une
longue liste remontant jusqu'aux années soixante, comme si la pêche piro-
guière n'existait en Côte-d'Ivoire qu'à partir du moment où Vridi est recon-
nu comme actif ou, plus exactement, quand l'ensemble des procédures de
suivi des débarquements sont mises en place au sein de ce village. Vridi
étant dès lors pris comme archétype du développement des activités
halieutiques artisanales à I'échelle du littoral ivoirien, l'essor de celles-ci
est perçu comme récent et spontané, intervenu hors de toute action de
modernisation et de tout contrôle. En sorte qu'un tel essor ne peut paraître
que dangereux à un État dont la politique en matière de pêche a précisé-
ment consisté jusque là à soutenir prioritairement le développement dun
secteur vu comme moderne, productif et rentable, c'est-à-dire une pêche-
rie de type industriel, celle-là même qui, au même moment, montre des
signes d'essoufflement et s'avère de plus en plus incapable de répondre
aux objectifs de production qu'il entend lui fixer. Ainsi, à la fin des années
quatre-vingt, une étude réalisée sous l'égide de la Direction des Grands
Travaux à Abidjan en vient-elle à se poser une "question essentielle" : "la
pêche artisanale, vu son importance croissante, n'est-elle pas en train de
mettre en difficulté, voire de supplanter la pêche industrielle, en particu-
lier aux petits pélagiques ?" (DCGTx, 1988, annexe 2 : 32).
C'est donc bien en terme de révélation de Vridi que l'on peut appré-
hender la récente prise en compte de la pêche piroguière maritime en
Côte-d'Ivoire. Outre le caractère inattendu de l'essor de l'activité à Vridi,
le suivi entrepris a donné à ce cas particulier valeur d'archétype et, comme
toute révélation, en est venu à délimiter un avant et un après dans l'histoi-
re des pêches maritimes ivoiriennes telle qu'elle est conçue dans les études
de synthèses parues au début des années 90. Qui plus est, en ayant permis
de mettre en évidence le dynamisme de la pêche artisanale côtière en
Vridi (Côte d'Ivoire).Histoire d'une révélation 93
gorie d'engins, les filets collectifs, mais sur l'un dentre eux : la senne tour-
nante. Une telle focalisation peut être vue comme le produit de la révéla-
tion de Vridi en ce qu'elle est née du programme de recherche lagunaire
au sein duquel cette localité avait été prise comme point d'enquêtes pour
le suivi des sennes tournantes. Elle est aussi liée à ce que la reconnais-
sance scientifique de cette révélation s'est traduite par l'intégration de la
peche piroguière à un programme de recherche spécifique en milieu marin
concernant les variations de ressources pélagiques dans la zone dupwel-
ling ivoiro-ghanéenne, sachant que ces espèces constituent l'essentiel des
débarquements aussi bien des sennes tournantes que des sardiniers.
Ces recherches s'attachaient notamment à comprendre la très forte
perturbation intervenue au début des années soixante-dix où, après une
production record en 1972, les stocks de sardinelles, notamment celui de
sardinella aurita, s'effondraient, entraînant une période de captures quasi-
nulles. Elles conduisaient alors à observer que la reconstitution de ces
stocks s'accompagnait dune très nette évolution de leur répartition spatia-
le, les captures de sardinella aurita réalisées sur le plateau continental
ivoirien augmentant très nettement à partir de 1981, au point de devenir
cinq à dix fois plus importantes que dans les années soixante et d'atteindre
des volumes comparables à celles effectuées devant le Ghana oÙ était
antérieurement réalisées l'essentiel des pêches sardinières. Dans ce cadre,
les chiffres de débarquements enregistrés à Vridi dans les années quatre-
vingt ne font en fait que conforter les donnés collectées auprès de la flot-
tille sardinière du port d'Abidjan, montrant que les eaux ivoiriennes
connaissent alors "un accroissement spectaculaire de l'abondance de l'es-
pèce sardinella aurita" (Pezennec et al., 1993 : 387).
La démarche scientifique, en l'occurrence halieutique, atteint là une
sorte d'aboutissement : le développement de la pêche piroguière à Vridi
tend désormais à etre circonscrit ; s'il conserve un caractère révélateur, sa
valeur et, partant, sa puissance de révélation tendent, pourrait-on dire, à
être désamorcées. Ce que le cas de Vridi permet de mettre en avant, dans
cette optique, c'est la capacité de la pêche piroguière à répondre rapide-
ment à un développement de la ressource. Et cette réappropriation du cas
de Vridi par le regard halieutique conduit'à l'élaboration dun schéma d i n -
terprétation selon lequel rien, précisément, n'aurait échappé à ce regard :
dans la forme extrême de ce schéma, c'est à partir des années quatre-vingt
qu'une "pêcherie artisanale se développe" (Binet et al., 1991 : 32 1) ; dans
des formes plus nuancées, c'est dans ces années que "le nombre de
98 Les pgches piroguières en Af+ìque de l'Ouesr
piroguière, celle-là même dont l'essor a déjà attiré l'attention des cher-
cheurs du CRO à Vridi, est pour sa part l'oeuvre de non Ivoiriens, et
notamment de Ghanéens. En sorte que, sur ce point, entre la conduite de
recherches à partir du cas de Vridi et le lancement dun projet étatique de
modernisation dans le sud-ouest, la contradiction n'est qu'immédiate : ils
convergent finalement pour créer les conditions dune certaine stigmatisa-
tion du rôle des Ghanéens, en tant que migrants, dans la pêche piroguière
maritime existant en Côte-d'Ivoire.
Les recensements émanant de la Direction des Pêches et du CRO
d'Abidjan enregistrent effectivement une très forte prédominance de
pêcheurs d'origine ghanéenne sur toute l'étendue du littoral : quelques
3 O00 ghanéens sur 3 500 pêcheurs lors de l'enquête de 1979 (Boubéri et
al., 1983) et près de 10 O00 pêcheurs étrangers, majoritairement ghanéens,
opérant sur le littoral en 1989 selon le CRO [1990]. Mais les procédures
d'élaboration de tels chiffres contribuent également à ce que, par réduc-
tions successives, puisse se construire une image de la pêche piroguière où
"les Ghanéens" apparaissent comme "les pêcheurs" de la côte ivoirienne.
En effet, lorsque, comme on l'a vu, est établie en 1979 une opposition
entre pêcheurs aux filets et pêcheurs à la ligne, elle est posée comme l'ex-
pression technique d'une césure plus fondamentale entre "pêcheurs pro-
fessionnels" et "pêcheurs occasionnels". Et la ligne de partage entre ces
deux catégories est précisément établie en termes de nationalités : aux
"étrangers, ghanéens surtout, [qui] monopolisent presque exclusivement
cette activité [la pêche piroguière maritime] et colonisent par ailleurs toute
la côte" sont opposés "les nationaux [qui] se cantonnent dans leur terroir
d'origine", montrant par là que "l'Ivoirien, même riverain, n'est pas
pêcheur de métier" (Boubéri er al., 1983 : 17, 28).
Or, comme j'ai tenté de le montrer, la disqualification des pêcheurs
occasionnels par rapport aux pêcheurs professionnels, introduite par la
lecture de ces catégories en terme d'efficacité technique, tend à être redou-
blée dans le cas de Ia pêche maritime oÙ l'existence de la pêche piroguiè-
re face à une pêche industrielle a priori dominante n'a pu être attestée
qu'en référence à la révélation de Vridi, avec les focalisations du regard
halieutique évoquées plus haut. En sorte que si, en 1979, la composante
ivoirienne de la pêcherie est mentionnée, pour souligner aussitôt sa fai-
blesse numérique, elle disparaît ensuite des enquêtes-cadres conduites
annuellement sur le littoral, dont l'objet de plus en plus clairement affiché
est non pas de connaître la population de pêcheurs mais de collecter des
Vridi (Côte d'[voire). Histoire d'une révélation 101
Vridi, qu'ils ne constituaient pas une catégorie uniforme. Pour autant, les
procédures par lesquelles ce dynamisme est mis en évidence paraissent
indissociables de certaines manières de penser la pêche piroguière mariti-
me en Côte-d'Ivoire, lesquelles superposent à l'opposition entre pêche
industrielle et pêche artisanale un clivage entre Ivoiriens et étrangers
(notamment Ghanéens). On ne peut donc extraire de l'analyse, sous peine
de les reproduire, les constructions à partir desquelles les spécialisations
économiques observées sont posées comme quasi-naturelles, construc-
tions conférant à la révélation de Vridi un contenu proprement ivoirien.
Dès lors, une démarche historique s'impose en vue de cerner les discours
et pratiques qui ont contribué à façonner le regard porté aujourd'hui sur la
pêche piroguière en Côte-d'Ivoire, conduisant plus précisément à replacer
l'évolution de celle-ci dans des contextes non seulement économiques
mais aussi socio-politiques plus larges, liés à la construction d'un État
ivoirien colonial puis indépendant et à Emergence dune société ivoirienne.
moitié est : s'il est dit que les premiers subissent l'attrait des choses de la
mer, c'est en tant que kroumen ou manœuvres employés sur les navires
européens de passage ; seuls les seconds s'avèrent dignes d'être qualifiés
de pêcheurs. Ils le sont notamment en référence à l'exploitation des
lagunes, mais l'activité déployée en mer par les petites pirogues des
Alladian est également fréquemment signalée, les pêcheurs alladian
n'étant alors pas seulement présents sur leur littoral d'origine (de part et
d'autre de Jacqueville) mais aussi dans d'autres villes côtikres de la colo-
nie, depuis Assinie dans l'est jusqu'à Grand Lahou ou même Sassandra
(mais pas au-delà) dans l'ouest.
Cela étant, lorsque des pêcheurs ivoiriens sont mentionnés dans les
différentes sources de l'époque coloniale, c'est presque toujours pour sou-
ligner combien leur nombre et/ou leur activité sont sans commune mesu-
re avec ceux d'autres pêcheurs, appartenant quant à eux à des "peuplades
venues de l'est [qui] ont pu s'installer sans difficultés sur le littoral depuis
Assinie jusqu'au Libéria" (Postel, 1950 : 162). Ce sont déjà ceux que l'on
appelle alors les "Gold Coastiens", notamment les "Fantis" [Fante] ; fré-
quemment associés aux "Apolloniens" [Nzima] en tant qu'originaires de
Ia moitié occidentale de la Gold Coast (actuel Ghana). Leur établissement
en tant que pêcheurs est signalé dès le début du siècle en différents points
de la côte ivoirienne (correspondant aux différents ports et postes de colo-
nisation). Mais ce n'est pas tant, alors, en référence à une spécialisation
professionnelle qu'ils tirent leur réputation d'habiles pêcheurs, bien qu'ils
soient notés comme mieux outillés que les autochtones : elle semble plu-
tôt dériver d'une qualité plus généralement reconnue de commerçants,
"Fantis'' et "Apolloniens" s'étant tout particulièrement illustrés dans le
secteur de la traite du caoutchouc à partir de la fin du XIXe siècle.
Dans ce cadre, l'administrationcoloniale semble avoir d'abord comp-
té sur la pêche et le commerce du poisson entrepris par ces gens de Gold
Coast pour assurer l'approvisionnement du marché officiel ; l'installation
des pêcheurs fante en vient d'ailleurs à être présentée aujourd'hui par cer-
tains vieux de Sassandra comme résultant d'une décision coloniale, les
archives attestant pour leur part que les Fante ont pu se voir infliger des
"punitions disciplinaires" pour avoir vendu "le poisson pris par eux [...I
tout ailleurs qu'au marché" (Archives Nat. de G.I., IEE 158-1/6, poste de
Tabou, 1908). Par effet de retour, les activités de pêches maritimes ivoi-
riennes sont quant à elles globalement renvoyées dans le secteur de la peti-
te production d'autosubsistance, non qu'elles n'aient donné lieu à aucun
Vridi (Côte d'Ivoire). Histoire d'une révélation 105
commerce ni aucun échange par le biais des réseaux villageois mais les
autorités coloniales se trouvaient dans l'incapacité de drainer cette pro-
duction indigène locale vers les marchés créés et contrôlés par elles, ce
qu'attestent à diverses reprises les rapports des chefs de Poste. C'est
notamment en référence à cette situation qu'il faut lire l'assertion selon
laquelle l'Ivoirien est assez peu pêcheur en mer, même si elle est déjà
"naturalisée"en référence à la "grande crainte" que lui inspirerait la barre
(Fleurey, 1923 : 1).
2. Le terme dyula designe les colporteurs et marchands musulmans originaires des savanes
du nord.
106 Les pêches pìroguìères en Afrìque de I'Ouesr
acquis, grâce à des emplois sur des bateaux du port, savoir-faire et capital
investis dans l'achat d'un nouvel engin pour lequel ils revendiquent une
invention locale (et non une importation ghanéenne); leur sortie de la
pêche industrielle, sans être toujours complète, est pour partie volontaire
et pour partie contrainte par la politique d'ivoirisation des équipages
(laquelle élargit également le volant de main-d'œuvre mobilisable sur
place de jeunes ewe dans l'attente d'un embarquement hypothétique). Par
ailleurs, la spécialisation dans la senne tournante n'est ni totale ni irréver-
sible pour ces pêcheurs : son emploi à Vridi s'inscrit davantage dans la
logique de la pêche à la senne de plage dont elle constitue une sorte de
complément, qu'elle ne représente une véritable innovation ;les unités ewe
de Vridi ont en effet développé des stratégies de pêche sans espèce-cible
(cf. Ecoutin, 1992) et leur fonctionnement socio-économique s'apparente
Ctroitement à celui des unités à la senne de plage.
Dans ce cadre, l'implantation à Vridi renvoie à un déplacement plus
général du centre de gravité de la pêche ewe, déjà amorcé dans la phase
précédente, marqué notamment par une occupation plus nette du littoral
alladian au détriment du secteur de Port-Bouët et Grand-Bassam, à l'est
immédiat d'Abidjan, où s'étaient concentrées leurs unités depuis les
années trente et où ne subsistent aujourd'hui que quelques sennes à l'acti-
vité occasionnelle. I1 n'en reste pas moins qu'en procédant de la sorte, les
Ewe manifestent leur souci de conserver un accès privilégié au marché
abidjanais dont le contrôle avait en grande partie soutenu leur activité, par-
tant leur réputation, dans les années cinquante et soixante. Pour autant,
cette implantation relève aussi de certaines mutations internes. En premier
lieu, l'expansion à l'est du canal de Vridi répond pour partie à la baisse des
rendements de la pêche à la senne de plage à proximité du port mais cor-
respond aussi à la constitution d'un groupe de nouveaux propriétaires (de
sennes de plage et de sennes tournantes) à la recherche d'un espace d'im-
plantation propre qui leur permette de s'extraire de la tutelle des pionniers
de l'expansion, leurs anciens employeurs. D'autre part, les fumeuses de
Vridi tendent à prendre le pas sur les femmes ewe s'approvisionnant
auprès des sardiniers du port ;la position de ces dernières se fragilise sous
l'effet de l'intrusion croissante de nouveaux acteurs (en particulier dans la
logique de l'ivoirisation) et aussi des réaménagements de la pêcherie
(meilleure concertation des armateurs pour soutenir les prix de vente de
leur produit au port, disparition des unités à la senne de plage du secteur
de Port Bouët auxquels étaient également liées ces fumeuses) qui réduise
120 Les pêches piroguières en Afrique de l'Ouest
leur capacité financière propre et les rendent plus dépendantes des gros-
sistes écoulant le poisson fumé.
A ces évolutions récentes, faisant suite aux échecs rencontrés dans
les années soixante lors des tentatives de diffusion de la senne de plage,
les pêcheurs ewe ont perdu leur réputation auprès des développeurs. Ce ne
seront plus eux qui sont pris comme modèles dans le cadre du projet de
développement d'une pêche semi-industrielle dans le sud-ouest, mais des
Sénégalais. Quant aux Ivoiriens, ils demeurent assignés au destin de
"pêcheurs occasionnels", selon les classifications du moment ; de fait, ni
sur la côte krou ni en pays alladian, la pêche n'est aujourd'hui totalement
abandonnée même si de nombreux villages dépendent de l'extérieur pour
leur approvisionnement en poisson ;pour le reste, les incitations étatiques
dans le sud-ouest n'ont guère attiré que quelques capitaux ivoiriens éma-
nant d'agents dont les intérêts étaient extérieurs à la pêche, ce qui n'est pas
allé sans poser rapidement des problèmes de gestion au sein du GVC de
San Pedro ainsi constitué; et si les autorités peuvent se prévaloir dun
recentrage de celui-ci sur les pêcheurs et mareyeurs de poisson fiais, elles
ne faisaient que formaliser des pratiques, certes récentes et limitées aux
grands centres urbains, mais déjà existantes.