La Liberte

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LA LIBERTE
I - QUELQUES DEFINITIONS PREALABLES.
a - Etymologiquement, le terme de liberté vient du latin « liber » et se comprend surtout par
opposition à la condition de l’esclave, le « servus », ou du prisonnier.
b - Il est possible dans un premier temps de définir la liberté comme une totale absence de
contraintes. La liberté est alors synonyme de non-conditionné, de non-déterminé, de non-
aliéné. Ainsi, je fais l’expérience de la liberté, chaque fois que rien ne me détermine ou ne
vient contrarier ma propre détermination.
c - Un second sens, consécutif alors, pour ce terme de liberté est celui de choix,
d’autonomie. Je suis libre en ce sens lorsque face à moi plusieurs possibilités se présentent et
que je peux me déterminer par moi-même, sans qu’il y ait une pression extérieure qui me
force à opter pour telle ou telle possibilité. Le terme d’autonomie vient du grec
« autos et  nomos « et signifie étymologiquement « à soi-même sa propre
loi ».

Etre libre donc, ce serait dans ces premières définitions, n’avoir ni limites ni contraintes.
Ce serait ensuite être exempt de condition. Ce serait enfin pouvoir choisir et se donner à
soi-même sa propre loi.

[d- Précisions sur les termes de libre arbitre et liberté d’indifférence. Ces deux concepts en
philosophie renvoient tous deux à la capacité de choisir entre deux ou plusieurs
comportements sans incliner a priori d’un côté plutôt que d’un autre. Il s’agit aussi de la
capacité à être cause première et absolue de ses actes. ]

I I - ETRE LIBRE, C’EST FAIRE TOUT CE


QUE J’AI ENVIE DE FAIRE.
A - Agir selon la nature.
On pourrait imaginer que la liberté, ce serait tout d’abord de faire tout ce qu’il me plairait de
faire. Conception qui implique alors une valorisation de l’individu, au détriment de la société,
ou des autres en général. Ce qui compterait dans une telle façon de voir la liberté, c’est le
« Je ». Tel est mon bon plaisir. Il ne faut pas se retenir. Il faut se faire plaisir, quelle que soit
la nature de ce plaisir. Il faut refuser d’obéir à tout ce, et à tous ceux, qui vous contrarient. Si
être libre, c’est ne pas être contraint, alors toutes les contraintes sociales ou culturelles qui me
disent, ou plutôt me dictent, de faire « ceci » plutôt que « cela » sont insupportables.
D’ailleurs il nous arrive très souvent d’expérimenter notre liberté dans le phénomène de
désobéissance aux lois sociales. Au lieu de me retenir comme on me l’a appris, je me laisse
aller. Au lieu de suivre la règle commune, je m’affirme moi-même. En somme, je fais ce que
je veux, mais vouloir a ici a le sens de « désir naturel et spontané ». Je laisse tout simplement
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libre cours à tout ce qui en moi cherche à s’ extérioriser et je laisse parler mes envies, mes
désirs, voire mes passions, sans tenir compte de la société ou des autres.
Dans un célèbre passage du Gorgias de Platon , le sophiste Calliclès affirme que la
liberté consiste à pouvoir agir selon son bon plaisir, et que ce qu’il importe c’est de faire
tout ce qu’on a envie de faire sans tenir compte de l’opinion d’autrui. Il dit ceci à
Socrate : « La vérité que tu prétends chercher, Socrate, la voici, la vie facile, l’intempérance
et la liberté de tout faire quand elles sont favorisées, font la vertu et le vrai bonheur. »
Ce qui veut dire aussi que selon Calliclès, pour être libre, il faut laisser faire la nature et
laisser parler sa nature, donc ne pas respecter les lois décidées par les autres ou par le plus
grand nombre, et qui ne nous conviendraient pas. Ce qui déciderait de la liberté pour
Calliclès, ce serait la nature, le corps, la satisfaction physique donnée aux besoins et aux
désirs. Ainsi, l’animal doué de forces vitales et qui suit son instinct n’est-il pas plus libre et
plus heureux que l’homme policé par des lois qui l’empêchent de faire ce qu’il aimerait faire ?
La culture a créé de toutes pièces une somme de contraintes abusives que les personnalités
fortes ne supportent pas. Calliclès pense que le plaisir et la passion qu’on peut satisfaire sont
les vrais marques de liberté. La morale selon lui est relative à chacun et ce qui est bon pour
moi devient alors automatiquement bien en soi.
Le refus des contraintes sociales et morales, l’affirmation de soi, la réalisation de ses
envies et de ses passions, même les plus extrêmes, constitueraient donc pour Calliclès la
plus haute des libertés.

B - L’individualisme anarchiste
Etymologiquement, l’anarchie est le refus d’un pouvoir transcendant et non justifié ( an-
arkhè veut dire en grec « absence de principe » , « absence de gouvernement » ). Peut-être
serait-il utile de distinguer le terme « anarchie », qui connote négativement les idées de
désordre et de danger, du terme d’anarchisme qui renvoie à une autre réalité politico-
historique. Au XIX° et au XX° siècles, la pensée anarchiste en effet s’est manifestée plus
positivement à travers des œuvres philosophiques – comme par exemple celles de Max
Stirner, de Joseph Proudhon, de Charles Fourier ou de Michel Bakounine, mais aussi par les
actions et les mouvements politiques libertaires. Parfois enfin, au travers de divers courants
artistiques et esthétiques.
L’anarchisme ne doit pas être confondu alors avec le nihilisme, et il est
fondamentalement une politique de « démocratie directe », dont les deux grands
concepts seraient l’autogestion et le fédéralisme. Il s’agirait pour la pensée anarchiste de
réaliser des micro-sociétés communautaires, dans lesquelles chaque citoyen pourrait décider
directement des lois et des règlements, selon lesquels il voudrait vivre. Ces diverses
communautés seraient alors fédérés entre elles, mais toujours selon les principes de
démocratie égalitaire.
De plus, les anarchistes affirment que les sociétés humaines sont mal agencées et que les
Etats quels qu’ils soient, sont trop hiérarchiquement ordonnées, car selon eux ils s’organisent
autour de pôles de pouvoir sans partage, qui en font des dictatures avoués ou déguisées. Pour
les anarchistes, il y a des formes d’Etat visiblement tyranniques et aliénantes, comme par
exemple l’impérialisme napoléonien ou le tsarisme russe, mais les démocraties sont
également critiquables et liberticides, car elles sont des démocraties « bourgeoises » et
fausses. De même que les marxistes ont combattu pour un idéal de société plus juste ( et qui
alors aurait dû supprimer la propriété privée, les classes sociales et l’argent ), les anarchistes
ont combattu pour des sociétés plus fines, plus soucieuses du point de vue de chacun, plus
libertaires aussi. Le propos anarchisant propose une destruction radicale et violente des
Etats existants, pour une réorganisation révolutionnaire des collectivités humaines en
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microsociétés ayant pour principe une démocratie directe et réelle, pratiquant une
consultation référendaire permanente et recherchant l’harmonie entre les citoyens.
Historiquement d’ailleurs, l’existence de « communes », de communautés, de phalanstères,
mais aussi au niveau économique de coopératives … ont pu traduire, dans la réalité concrète,
cette philosophie politique de l’anarchisme.
La pensée anarchiste est une pensée critique eu égard aux formes d’Etat qui ont existé
jusqu’à nos jours. Selon cette conception les sociétés se sont données des Etats basés sur
des faux contrats. Le contrat social est faussé, d’abord parce qu’il tend à inclure de
force les individus dans la masse et dans le nombre, et à les nier en tant qu’individus ;
cette inclusion pouvant prendre des formes coercitives et aliénantes contres lesquelles il
importe de se révolter. Les concentrations de pouvoir entre les mains de quelques uns ( par
exemple ceux qui ont de l’argent, ou ceux qui ont le pouvoir militaire … ) finissent par
dévoyer les principes de la démocratie. Deuxième raison pour laquelle le contrat est
faussé : selon les anarchistes, l’Etat prend plus qu’il ne rend, il demande à chacun de se
sacrifier au seul profit du tout. L’individu est contraint par une société, dont il n’a pas
réellement choisi l’organisation pas plus que les lois. Et il doit alors se plier « de gré » ou de
force à une structure qui ne respecte pas son individualité. Par exemple, dans la pensée
anarchiste de Max Stirner, il ne faut pas hésiter à faire preuve « d’égoïsme », car cet égoïsme
est une façon de défendre la valeur-moi. Si l’inclusion dans le collectif social est abusive,
alors la révolte égoïste est une sorte de mécanisme de défense qui protège l’individu.
Dans son ouvrage L’unique et sa propriété, il écrit : « Toujours vous me courbez sous le joug
étranger d’une puissance supérieure, vous humiliez ma volonté aux pieds d’une sainteté
quelconque. Vous me proposez comme un devoir, une vocation, un idéal sacré, cet esprit,
cette raison, cette vérité, alors qu’ils ne devraient être en réalité que mes instruments. »
De même, dans un passage célèbre de ses œuvres écrites, l’anarchiste Proudhon nous dit :
« Quiconque met la main sur moi pour me gouverner est un usurpateur et un tyran. Je le
déclare mon ennemi … Etre gouverné, c’est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé,
légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré,
commandé par des êtres qui n’ont ni le titre, ni la science, ni la vertu … Etre gouverné, c’est
être à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré,
recensé, tarifé, timbré, toisé, côté, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché,
réformé, redressé, corrigé. C’est sous prétexte d’utilité publique et au nom de l’intérêt
général, mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné, pressuré,
mystifié, volé ; puis à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé,
vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitraillé,
jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé,
déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale ! … O personnalité
humaine ! se peut-il que pendant soixante siècles tu aies croupi dans cette abjection ! »
Pour la pensée anarchiste, la liberté commence et se réalise dans l’acte fondamental de
la désobéissance. En conséquence, il faut désobéir aux concentrations abusives de pouvoirs
comme par exemple le pouvoir de la religion, de l’Etat, de l’armée … « Ni Dieu ni maître »
proclament les anarchistes. Pendant trop longtemps les hommes ont appris à obéir, ils ont
même fini par désirer leur propre servitude, ils sont comme « l’héautontimorouménos » de
Baudelaire et ils ne savent plus être libres et heureux.
L’individualisme foncier ; la révolte contre la société et contre toute ses formes
d’organisation injuste, absurde, hiérarchique ; la dénonciation des faux contrats ;
l’affirmation d’une liberté immédiate et la désobéissance en vue d’une démocratie réelle
et directe définissent le point de vue anarchiste.
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C - La liberté du non sens et l’ acte gratuit.


Si la raison est obéissance à des règles immanentes à la pensée, ne pourrait-on dire alors
qu’elle s’apparente à une police de l’esprit ? Déserter les structures trop rigides de la
rationalité permettrait de conquérir un espace de liberté. L’imagination délirante, le rêve
chaotique, la création artistique spontanée et incontrôlée par exemple… ne seraient-ils pas
synonymes de vraie liberté ? La folie n’est-elle pas aimable, et la raison n’est-elle pas
ennuyeuse ? Il faudrait alors détruire les enchaînements logiques et privilégier ce qui déroute
le sens. On connaît la définition du beau par le vicomte de Lautréamont dans Les Chants de
Maldoror « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à
coudre et d’un parapluie ». Quand suis-je libre ? Quand je n’obéis à aucune rationalité ! le
n’importe quoi m’ouvre grand les portes de la liberté !
Il est possible d’aller plus loin, la liberté serait l’immotivation, l’imprévisibilité, l’absurde
gratuité du meilleur comme du pire. La liberté résiderait, non pas dans le fait de faire ce que
j’ai envie de faire, mais de faire quelque chose pour rien. Etre libre alors, ce serait laisser
faire le hasard, l’imprévisible, l’inconditionné. Qu’est-ce qu’un acte gratuit ? C’est
précisément un acte commis sans raison, quelque chose que l’on ferait « pour rien ». Une
déliaison entre la cause et l’effet. Ainsi la liberté dite d’indifférence est-elle définie comme
absence de détermination, là où comme l’a écrit Bossuet « il n’y a aucune raison qui nous
penche d’un côté plutôt que de l’autre. » L’acte gratuit ne serait-il pas alors absolument libre,
puisqu’il serait étranger à sa propre motivation ? Le roman Les Caves du Vatican d’André
Gide illustre cette thèse de l’acte gratuit par un crime gratuit. Dans ce roman, un des
personnages Lafcadio commet un crime dont la raison est paradoxalement l’absence de
raison. Etre libre se serait alors raisonner par l’absurde : « Je n’ai aucune raison de le faire,
donc je le fais. » Dans un autre livre de Gide Prométhée, l’auteur fait dire à un autre de ses
personnages : « J’ai longtemps pensé que c’est là ce qui distingue l’homme des animaux :
une action gratuite … il ne faut pas entendre là une action qui ne rapporte rien… non … un
acte qui n’est motivé par rien … intérêt, passion, rien. L’acte désintéressé, né de soi, l’acte
aussi sans but ; donc sans maître ; l’acte libre ; l’acte autonome. »

D - Critique des thèses antérieures

Mais, être libre, est-ce vraiment agir « naturellement », spontanément, sans respecter les
lois morales et sociales ? Etre libre, est-ce désobéir et affirmer son individualité contre la
société ? Etre libre est-ce aller jusqu’à l’absurde ?

1 - La liberté comme maîtrise et dépassement.


La nature est-elle vraiment le lieu d’une innocence pure et sans lois ? Certes, les lois de la
nature ne sont pas « inventées » et artificielles, mais il est peut-être faux de prétendre que la
nature serait le domaine d’un idyllique lieu « sans loi ». La nature a ses lois, ses codes, ses
programmes, ses déterminismes et ses contraintes. On ne peut dire l’animal plus libre que
l’être humain dans la mesure où l’animal « obéit » mécaniquement à l’ordre de la nature.
Ainsi l’ethos animal est-il régulé par la loi du plus fort ou par la tendance à la sélection et il
n’y pas de contestation animale de cet ordre a priori. L’animal ne sait pas qu’il obéit et donc il
ne peut se libérer de son animalité. Alors que l’homme au contraire, parce qu’il prend
conscience de ce qui le détermine, peut espérer se délivrer de ses déterminismes. Par
exemple un homme qui fait la grève de la faim pour défendre une cause, lutte contre le besoin
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mécanique et matériel, souvent au nom de valeurs transcendantes. Il dit alors non à l’instinct
vital, il se dégage de la seule nature. Dans son histoire, l’homme n’est pas resté prisonnier, par
la conscience et par la science – par le phénomène culturel en général – il a dominé la nature.
La liberté est faite de maîtrise et de pro-grés. La liberté est à envisager comme
processus de libération. L’animal, et le seul domaine naturel, ne sauraient constituer des
modèles de liberté, parce que pour l’être humain la liberté se situe dans la pensée, la
connaissance, la réflexion et non dans l’ignorance et l’aveuglement. La liberté arrive à
l’homme par l’Esprit et non par la nature.

2 - La liberté comme respect des autres.


 Dans la nature, rien ne vient garantir la liberté, rien ne vient la fonder de manière
durable et la protéger. Seuls, l’animal le plus fort, ou le surhomme, sont alors « libres » mais
cette liberté est toujours menacée par cela même qu’elle revendique. Comme l’ont souligné de
nombreux philosophes – notamment Hobbes, Spinoza, Kant et même Rousseau – l’état de
nature est peut-être celui d’une très grande liberté, mais il n’en demeure pas moins que cette
liberté risque de rencontrer des limites et des obstacles qui vont finir par la détruire. C’est la
loi du plus fort qui détruit la loi du plus fort. L’état de nature est un état de concurrence
pour la vie, de rivalité généralisée et il ne donne alors qu’une liberté éphémère, relative
et toujours menacée. La société humaine a l’avantage non seulement de définir de manière
rationalisée les limites de la liberté, mais surtout de protéger la liberté à l’intérieur de ces
limites par la force publique.
 La critique anarchiste de l’Etat peut paraître théoriquement acceptable, cependant dans
la pratique, les communautés libres, égalitaires qui ont cherché à incarner une démocratie
directe ont la plupart du temps échoué. La question peut se poser alors de savoir si elles ne
sont pas trop utopiques… De plus, l’appel à la désobéissance par la violence, le militantisme
de type terroriste n’est pas sans danger. Vouloir une fin juste, en employant d’abord des
moyens injustes, n’est pas sans contradiction.

3 - La liberté comme conscience.


Je suis libre quand je fais le fou. Je suis libre quand je délire. Je suis libre dans les délices du
n’importe quoi. Est ce vrai ? On ne voit pas alors ce qui pourrait me protéger du pire. La
liberté n’est pas l’inconscience, mais au contraire la conscience qui réfléchit et qui délimite.
Si tout et n’importe quoi peuvent être dit libres, alors il n’y a plus rien de vraiment libre !
Existe-t-il, de plus, un seul acte vraiment gratuit ? Et si ce même acte avait des motivations
inconscientes ? S’affirmer entièrement libre, c’est peut-être s’illusionner sur sa propre
liberté. Freud dans ses travaux a démontré que des actes en apparence absurdes ou gratuits,
pouvaient être conditionnés par l’inconscient. Sur ce point Spinoza a écrit dans son Ethique :
« L’illusion du libre arbitre vient de la conscience de notre action jointe à l’ignorance des
causes qui nous font agir ». Et dans un exemple, il ajoute : « L’homme en état d’ivresse
s’imagine qu’il bavarde par un libre décret alors qu’au contraire, il serait bien incapable de
résister à l’impulsion et que quand il aura cuvé son ivresse, il regrettera ses paroles
inconsidérées. » Ainsi l’homme qui agit selon « sa spontanéité », son caprice, son bon
plaisir ou même « pour rien », risque d’être déterminé à son insu.

III - ETRE LIBRE, C’ EST TOUT ACCEPTER


Et si, contrairement à tout ce qui a été dit plus haut la liberté consistait non pas à
désobéir mais à obéir ; non pas à se révolter mais à se résigner ; non pas à dire non mais
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à dire oui ? La liberté alors ne consisterait pas à affirmer le moi mais au contraire à
s’affranchir du moi …
Tel est le point de vue de la philosophie des stoïciens au sujet de la liberté …

A - La connaissance de l’ordre du monde


A l’orée de la philosophie, avec Platon, nous trouvons déjà cette idée que connaître la vérité
équivaut à se libérer. Pour la philosophie des stoïciens également, l’homme ignorant ne peut
être dit libre, puisqu’il ignore l’ordre des déterminations et que donc il ne sait pas quand il en
est victime. Le premier acte de libération est de nature spirituelle, il s’agit de prendre d’abord
connaissance de ce qu’est le monde, et de s’en faire une idée adéquate.
Or, sur ce plan « physique » et « métaphysique », l’école des stoïciens pense que le monde
est constitué comme un « cosmos », c’est-à-dire un grand Ordre rationnel, un Tout
équilibré et architecturé, où chaque être, chaque chose, chaque élément … ont une place
définie de toute éternité. La cosmologie stoïcienne pose l’existence d’une Cause unique – un
équivalent de Raison – qui agit selon une Loi nécessaire, si bien que dans cet Ordre du
monde, il est impossible qu’aucun événement n’arrive autrement que ce qu’il n’arrive
effectivement. Ce qui veut tout simplement dire que dans la logique des stoïciens, tout ce
qui arrive doit arriver. En somme, il y a une Raison à toutes choses et cette Raison
immanente à la totalité du cosmos n’est autre que la loi divine, ou encore ce que les
stoïciens nomment « eïmarmènè » : le destin. Il faut d’abord connaître l’ordre du monde et
cet ordre est entièrement écrit ou prescrit. Et si tout est écrit d’avance par une Puissance
supérieure, qui voit tout, qui décide de tout, alors effectivement quand quelque chose arrive,
on peut toujours dire « cela devait arriver ». Le Dieu prend la forme du Destin qui est en tout
et partout. Marc Aurèle dans ses Pensées écrit : « Toutes choses sont liées entre elles et d’un
lien sacré, et il n’y a presque rien qui n’ait des relations. Tous les êtres sont coordonnés
ensemble, touts concourent à l’harmonie du même monde ; il n’y a qu’un seul monde, qui
comprend tout, un seul Dieu, qui est dans tout, une seule matière, une seule loi, une raison
commune à tous les êtres doués d’intelligence, enfin une vérité unique. »
L’événement trouve toujours sa sanction en lui-même ; il est toujours juste et justifié. On peut
ou plutôt on doit toujours dire : « C’est le destin qui l’a voulu ».Le fatalisme constitue une
sorte de logique inéluctable qui trame tous les événements ; il est une universelle raison qui
rend compte de toutes choses, du bien comme du mal, et surtout, il ne laisse aucune place à la
notion de hasard. Les stoïciens affirment que c’est l’homme ignorant qui croit qu’ un
événement aurait pu arriver autrement que ce qu’il est arrivé. Ce fatalisme de toute
événementialité, les stoïciens l’ appellent « conforme à la raison », ce qui veut dire ici la
même chose que « voulu par Dieu », ou encore « écrit par le Destin ».

B - Liberté intérieure et maîtrise de soi


Si l’univers est absolument ordonné et s’il faut vivre selon cet ordre voulu par Dieu ; alors
s’opposer à cet Ordre est plutôt une irrationalité vide de sens et de pertinence. La morale
stoïcienne s’accomplit dans l’acceptation de tout ce qui arrive et non dans une révolte
jugée dérisoire et insensée. Etre libre, c’est dire a priori oui à tout ce qui m’advient. Je
dois comprendre que tout ce qui est n’est, que parce que Dieu le fait advenir. Tout est dans la
main du Destin et ce qui advient n’est qu’un accomplissement. Je suis libre lorsque je donne
mon assentiment, que par ailleurs, j’aurais très bien pu refuser. « Non pareo Deo, sed
assentior » écrit Sénèque, ce qui veut dire : « Je n’obéis pas, mais je donne mon
consentement ».
Ainsi, il faut mettre sa volonté – ce qui ne va pas toujours de soi – en accord avec les
événements de telle manière que lorsqu’ils surviennent, ils soient à mon gré. Etre libre, c’est
se convaincre d’agréer. Epictète a écrit : « Il n’y a rien de plus absurde et de plus
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déraisonnable que de former des désirs téméraires et que de vouloir que les choses arrivent
comme nous les avons pensées. Non, mon ami, la liberté consiste à vouloir que les choses
arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent. »
A cette philosophie de l’acceptation, il y a une double conséquence :
 L’homme stoïcien est « stoïque ». Il est indifférent aux malheurs qui peuvent lui
advenir, puisqu’il les accepte a priori et que donc ils ne sont plus perçus comme des
malheurs. Le sage apprend à s’endurcir, à supporter la douleur, à être insensible aux coups du
sort, à ne pas être affecté par la vie extérieure, si bien que l’autre nom de la libération est le
détachement. Etre libre, c’est trouver la force en soi, c’est être maître de ses affects, c’est
être capable de mettre le monde à distance
 Le stoïcien est celui qui préfère « changer ses désirs que l’ordre du monde ». S’il ne
peut avoir ce qu’il désire, du moins peut-il désirer ce qu’il a. Le stoïcien accepte ce qui ne
dépend pas de lui – le monde tel qu’il est – en modifiant ce qui dépend de lui – à savoir la
représentation qu’il peut se faire du monde. Paradoxalement, le fatalisme conformiste est une
éthique volontariste, et tout aussi paradoxalement, le malheur est un non-malheur. Et derrière
l’idée d’ataraxie, d’égalité d’âme, il y a l’idée que la liberté se trouve dans la maîtrise
spirituelle qui procure le contentement. S’accorder au monde tel qu’il est, c’est être dans le
bonheur.

C - Critique des thèses antérieures


La conception stoïcienne est–elle vraiment acceptable ?
Il est possible de dire que l’idée de Destin appartient à la religion et à la métaphysique, mais
qu’elle n’est plus de nos jours scientifiquement recevable. L’école stoïcienne confond
fatalisme et déterminisme, alors que le monde contemporain ne peut plus faire l’économie de
cette différence. Il y a une classe de phénomènes déterminés à l’avance de manière objective,
rationnelle et scientifique. Mais tous les phénomènes ne sont pas déterminés ou déterminables
à l’avance ; la science du XX° siècle refuse l’idée improbable et religieuse de destin ; elle
ne reconnaît que le déterminisme et elle affirme l’existence du hasard. Voir du destin en
toutes choses, c’est couvrir de « rationalité » ce qui est non rationnel, c’est peut-être même
invoquer une fausse rationalité. C’est aussi refuser la notion objective du « hasard ».
Le fatalisme risque de n’être qu’une passivité immorale, une mauvaise foi irresponsable, une
idéologie de la résignation complice des pouvoirs politiques les plus tyranniques. Dois-je tout
accepter, y compris ce qui est moralement inacceptable ? Dois-je ne jamais me révolter ? La
modernité au contraire conçoit la désobéissance non seulement comme un droit, mais aussi
comme un devoir. La liberté des stoïciens est insuffisante, parce qu’elle ignore l’Histoire
et la lutte éthique pour les droits de l’homme.

IV - ETRE LIBRE, C’EST VOULOIR LA LOI


QUE LA RAISON NOUS DONNE.

A - Pour Descartes, le vrai nom de la liberté est la volonté


rationnelle.
Qu’est-ce que donc que la liberté ? Est-ce alors un concept fourre-tout qui n’indique rien de
décisif, comme une boussole détraquée ? est-ce une notion paradoxale et vide ?
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A cet égard, la réponse de Descartes au sujet de la liberté a l’avantage de définir celle-ci de


manière à la fois positive et commune à tous les hommes rationnels. Pour cela, Descartes
distingue deux niveaux de liberté.

 D’abord la liberté d’indifférence ou encore libre arbitre, qui désignent la faculté pour
tout homme de se déterminer sans que rien ne le contraigne pour ceci plutôt que pour cela ;
c’est-à-dire de pouvoir choisir. Dans les Méditations, Descartes écrit que la liberté
consiste… « en ce que nous pouvons faire une chose ou ne pas la faire … et que nous
agissons de telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y
contraigne. » Or, cette liberté, qui est entière pour Descartes est à la fois ce qu’il y a de
meilleur et de pire. Le meilleur : d’un côté cette liberté d’indifférence est « si ample et si
étendue » qu’elle apparaît aux yeux de Descartes comme une sorte de marque divine en
l’homme. » Ainsi, il écrit de la liberté que « c’est elle qui principalement me fait connaître
que je porte l’image et la ressemblance de Dieu. » Le pire : d’un côté, Descartes appelle cette
même liberté d’indifférence « le plus bas degré de la liberté ». Comment rendre compte de
cette contradiction ? En effet, je suis libre et même totalement libre. Cela veut dire que pour
prouver ma liberté, je peux par exemple nier les vérités d’évidence et affirmer que 2 plus 2 ne
font pas 4 . Puisque la liberté est libre, elle peut se prouver à elle même négativement sa
propre liberté, c’est-à-dire qu’elle peut toujours choisir le faux à la place du vrai, le mal
à la place du bien. Si Dieu avait donné à l’homme uniquement le vrai et le bien, alors
l’homme ne pourrait être dit libre, puisqu’il aurait été déterminé a priori. Mais, au contraire, il
a été donné à l’homme d’être libre et il est dans l’essence de la liberté « d’errer ».
[ On peut remarquer que dans cette conception cartésienne la liberté est un privilège, mais
qu’elle est aussi un risque. Cette ambivalence se retrouvera au XX° siècle dans la philosophie
de Jean Paul Sartre dont on sait qu’il a pu écrire « La liberté est un fardeau », mais aussi
« L’homme est condamné à être libre ». Pour le Sartre de L’Etre et le néant et de
L’Existentialisme est un humanisme, la liberté est d’un côté l’être même de l’homme, mais
d’un autre côté, elle se révèle comme angoissante, car elle responsabilise l’homme.

 Le vrai nom de la liberté est alors celui de la volonté rationnelle humaine.


Devons nous faire le mal puisque nous le pouvons ? Devons-nous commettre des erreurs
puisqu’elles sont dans notre possible ? Descartes pense que Dieu - ou la nature- a donné à
tout homme une structure d’intelligibilité qu’il appelle « bon sens » ou « raison ». Cette
faculté rationnelle nous permet de nous y retrouver dans les risques d’errance et elle
nous donne le bon sens, c’est-à-dire qu’elle nous aiguille vers le vrai et le bien. L’homme
rationnel est celui qui sait, de manière innée, dans le for intérieur de sa conscience ce qu’il
doit penser et ce qu’il doit faire. Etre libre, ce n’est pas faire n’importe quoi sans règles ni
motifs, fût-ce pour la « raison » de manifester à moi-même la puissance de mon libre
arbitre, mais c’est se déterminer selon la voix de la raison et vouloir ce qu’elle indique.
L’immense pouvoir de choisir ne doit pas conduire l’homme à l’errance, à la déchéance, au
sans-loi, mais il doit être hautement motivé par l’idée rationnelle « claire et distincte ». En
somme pour Descartes, l’entendement rationnel doit venir contrôler le mauvais usage possible
du libre-arbitre, afin d’assurer à la liberté une pleine existence positive.
Que devons-nous faire alors pour être libres ? D’abord, réfléchir, ce qui veut dire examiner
mes possibilités d’action, peser le pour et le contre, calculer, raisonner. Ensuite choisir ce que
le « bon sens » me dira de choisir, c’est-à-dire opter pour le but le plus rationnel ou le plus
raisonnable. Enfin, m’efforcer d’atteindre cet objectif bon pour moi. Ce que Descartes nomme
« volonté »
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B – Pour Kant la liberté relève de la raison pratique.


On sait que la raison est la faculté de penser de manière ordonnée selon des principes
universels et apodictiques qui permettent à l’homme « de distinguer le vrai d’avec le
faux. » La raison, en tant qu’elle donne des règles à l’action est raison pratique et elle
répond à la question : « Que dois-je faire ? », ou encore à la question : « Quelle loi dois-
je suivre ? »
Pour Kant, un homme qui suit la loi n’en est pas pour autant nécessairement et
intrinsèquement moral. En effet, je peux très bien respecter la loi pour des raisons purement
conventionnelles, par exemple par conformisme, ou même plus, de manière parfaitement
hypocrite. En ce sens Emmanuel Kant oppose deux concepts et deux conceptions « obéir
conformément au devoir » et « obéir par devoir ». Par exemple, je peux très bien « respecter »
la loi par prudence, par peur d’être puni, par orgueil de bien faire et d’être bien vu, par soif de
récompense … mais dans le fond pas pour la loi en elle même ! Or, si je m’interdis de voler
ou de tuer mon prochain par la seule peur des conséquences négatives que cela entraînerait
pour moi – comme la peur de la prison ou la peur du châtiment – alors certes mon action sera
extérieurement « morale », mais elle ne vaudra rien d’un point de vue strictement moral. On
peut aller jusqu’à dire qu’elle sera immorale puisque si j’étais sûr d’être indemne de
conséquences négatives, alors je pourrais tout aussi bien me mettre à voler ou à tuer. Kant
nous dit qu’ une action ne peut être déclarée authentiquement morale que si elle est effectuée
non pas « conformément au devoir » mais « par devoir ». La belle moralité, la bonne volonté,
la pureté du cœur pour l’auteur des Fondements de la métaphysique des mœurs se manifestent
surtout dans l’intention, c’est-à-dire dans le souci d’agir par devoir. Il faut faire alors la
différence entre la simple légalité ( qui est la conformité apparente et extérieure à la loi)
et la moralité vraie ( qui repose dans la nature interne du vouloir ).
Or, quelle est la raison de ce pur devoir ? Pourquoi dois-je faire ceci plutôt que cela ?
Pourquoi y a-t-il un « il faut » ?
Emmanuel Kant nous dit que la réponse est dans l’évidence rationnelle du « il faut » . Il faut
parce que « il faut ». L’être rationnel, qui trouve en lui-même une règle pour penser le vrai,
trouve aussi une loi pour son action et la connaît dans l’évidence qui s’impose à lui et à
laquelle selon Kant il ne peut dès lors se soustraire. Et qui a pour nom « impératif
catégorique ». L’impératif catégorique est la présence du « tu dois » à la conscience
humaine, en dehors de toutes considérations sensibles et d’intérêt particulier.
En quoi consiste la loi morale ? Un principe rationnel se reconnaît à deux caractères :
l’universalité et l’apodicticité. Il en va de même d’un principe moral. Pour être
absolument morale, une loi doit être universalisable et elle doit s’imposer à moi à la
manière d’une évidence rationnelle.
 L’universalité
« Je dois toujours me conduire de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime
devienne une loi universelle » écrit Kant. Mon action est bonne à partir du moment où elle
peut être transformée en loi pour tous. Et chacun peut reconnaître où est le droit et où est le
devoir, puisqu’il suffit de se demander si la maxime de l’action qu’on est en train de faire est
universalisable, ou n’est pas universalisable. Si je vole par exemple, puis-je vouloir vivre dans
une société où la règle serait le non-respect de la propriété privée, et puis-je vouloir qu’on me
vole comme moi je volerais les autres ? Si je mens, puis-je souhaiter qu’on me mente et n’y a-
t-il pas contradiction entre mon attitude et celle que je demande aux autres ? Il est alors
rationnel de penser que je ne dois pas faire aux autres ce que je ne voudrais pas qu’ils
me fassent. Ce qui veut dire que la loi se donne dans sa formalité. La loi est « formelle » et
c’est cette forme qui in-forme le contenu même de cette loi.
1

 La nécessité
En moi, la raison pratique me dit « tu dois », elle me fait connaître le bien et me dicte
d’accomplir la loi. Ainsi le concept de devoir n’est pas obtenue à partir du monde réel,
matériel, empirique, mais il est un « a priori » de la raison pratique. Une figure de géométrie
tracée sur le papier ne peut à elle seule fonder la validité d’un raisonnement. De même, la
seule expérience de la vie des hommes ne peut nous donner l’universalité et la nécessité
inhérentes au concept de loi. Ainsi la morale « juste », pour Kant, ne se définit pas par un
exemple concret que nous pourrions rencontrer, pas plus que par la coutume du plus grand
nombre, mais par la loi rationnelle en nous. Si je regarde vivre les êtres humains et que je
prends modèle sur eux, alors il y a de fortes probabilités pour que je devienne cynique et
immoral. Les principes de la morale ne se trouvent pas à l’extérieur de soi mais à l’intérieur
de soi. Le devoir moral n’est pas dérivé de l’expérience ; au contraire c’est lui qui
ordonne l’expérience. La morale n’est pas de l’ordre de ce qui est, mais de ce qui doit
être.
La loi morale, apprésentée comme impératif catégorique se décline ainsi :
 « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi
universelle de la nature.
 Agis de telle sorte que tu traites l’humanité dans ta personne aussi bien que dans la
personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement
comme un moyen »
La loi morale selon Emmanuel Kant provient de la raison humaine. Et il nomme ce fait
fondamental pour l’homme de se donner et de s’imposer à lui-même la loi morale le principe
d’autonomie de la volonté. Par lui, nous comprenons aussi pourquoi notre obéissance à la loi
n’est pas fondée par un intérêt matériel ou par un mobile extérieur. L’homme obéit à la loi
qu’il se donne lui même ; en matière de morale, il ne saurait y avoir d’hétéronomie.
Dans la Critique de la raison pratique, Kant a écrit : « Il faut que la raison se considère elle
même comme l’auteur de ses principes, à l’exclusion de toute influence étrangère par suite
comme raison pratique ou volonté d’un être raisonnable, elle doit elle-même se regarder
comme libre, c’est-à-dire que la volonté d’un être raisonnable ne peut être qu’une volonté lui
appartenant en propre sous l’idée de liberté. »
Etre libre, c’est obéir à la loi rationnelle que l’homme se donne à lui-même.
Or cette liberté – outre le fait qu’elle renvoie à une possible idéalité nouménale - a pour
conséquence la dignité de tout homme. Que l’ homme soit auteur de la législation universelle,
qu’il soit libre, qu’il soit une fin en soi et non un moyen ; tout cela Kant le décline avec le
concept de « personne ». La personne désigne pour Kant la foncière appartenance de chaque
être humain au genre humain et ipso facto à la dignité propre au genre humain. Chaque être
humain, être rationnel moral et autonome est sujet de droit, a droit aux droits; et en tant que
tel il doit être respecté.

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De la liberté, Schiller a pu dire qu’elle abritait en elle « l’abîme le plus profond et le ciel
le plus sublime ». Il importe d’éviter les abîmes de la liberté.
La liberté n’est pas incompatible avec la loi. Etre libre ce n’est pas refuser toutes les lois,
mais ce n’est pas pour autant accepter n’importe quelle loi. Etre libre ici a été envisagé à
partir de la loi rationnelle ; et cela aussi bien pour la conduite de sa propre vie que pour
la cohabitation avec les autres.
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LA LIBERTE
[ Plan et grandes idées de la leçon ]

I - DEFINITIONS
a - Il est possible de définir la liberté de manière générale, comme une totale absence de
contraintes.
b - Un second sens consécutif est celui de choix, d’autonomie ( auto-nomie
étymologiquement veut dire « à soi même sa propre loi » ).
c - Les termes de « libre arbitre » et de « liberté d’indifférence » renvoient eux aussi à la
capacité de choisir entre deux ou plusieurs comportements sans incliner a priori d’un côté
plutôt que de l’autre.

I I - ETRE LIBRE, C’EST FAIRE TOUT CE QUE J’AI


ENVIE DE FAIRE.

A - Agir selon la nature


Etre libre, ce serait dans un premier temps faire tout ce qu’il nous plairait sans nous soucier de
normes sociales extérieures, pas plus que des lois politiques ou morales, imposées par les
autres. Etre libre alors, ce serait avoir la force de satisfaire toutes nos envies et nos passions
quelles qu’elles soient, de manière spontanée et naturelle. Cette conception d’une liberté selon
la nature peut être lue dans les propos du sophiste athénien Calliclès ( rapportés dans le
Gorgias de Platon. ) Calliclès dit : « La vie facile, l’intempérance et la liberté de tout faire …
font la vertu et le vrai bonheur » .

B - L’ individualisme anarchiste.
La pensée et le mouvement anarchiste rejettent également l’idée de soumission à une société
ou à des institutions que nous n’aurions pas vraiment choisies; ils critiquent l’idée de normes
imposées de l’extérieur par un pouvoir abusif, qui n’aurait pas demandé notre consentement.
L’anarchiste pense que la société tend à inclure de force les individus dans son organisation
structurée à elle et par là même à les nier en tant qu’individus. Il est alors nécessaire de se
révolter contre les formes coercitives et aliénantes de la société ( comme par exemple : la
religion, l’Etat ou l’armée … ) et de faire valoir ses droits d’être humain particulier. Il est
nécessaire de se défendre de manière « égoïste », si on veut arriver à une démocratie directe et
réelle. Pour les anarchistes, l’idéal de vie socio-politique prend la forme d’une communauté
autogérée par des citoyens, qui à chaque moment décident de leurs règles de vie. En ce sens,
désobéir aux lois mal faites et aux politiques aliénantes est l’acte fondateur de la liberté.

C - L’acte gratuit.
Etre libre, ce serait peut-être désobéir aux règles logiques et rationnelles pour se laisser aller
au délire, à l’imagination débridée, au n’importe quoi. La liberté peut alors être envisagée
comme une absence de rationalité, une déliaison entre la cause et l’effet, une radicale
imprévisibilité. Telle est la figure de l’acte gratuit qui est un acte commis sans raison , un acte
immotivé, fait pour rien et qui à cause de cela peut être dit inconditionné. Dans son roman Les
Caves du Vatican, André Gide illustre la thèse de l’acte gratuit par le meurtre gratuit commis
par Lafcadio.
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D - Critique des thèses antérieures


1 - Toutefois, il est abusif de prétendre que le domaine de la seule nature puisse être celui de
la vraie liberté. En effet, la nature est au contraire le domaine du programme, des mécanismes
innés, des déterminations et des stricts conditionnements. L’animal est inclus dans la nature
sans possibilité de dégagement. Alors que l’homme, parce qu’il a une conscience et qu’il peut
réfléchir, dit non à la nature en lui et en dehors de lui, et donc il est l’être qui peut se libérer
des déterminismes naturels.
De plus, dans l’état de nature, il existe des lois et notamment la loi du plus fort ; en
conséquence cet état est celui de la concurrence pour la vie et de la rivalité généralisée. Dans
la nature, il n’y a qu’une liberté fragile et toujours menacée, alors que dans l’Etat de droit
démocratique, la liberté est définie et protégée par la force publique légitime.
2- L’invitation à la désobéissance n’est acceptable que si la justice et le droit légitime ne sont
pas respectés. Il est peut-être dangereux de prôner une désobéissance généralisée et qui ne
respecterait plus les règles de droit.
3 - Si la liberté est relative à la conscience, alors elle ne peut se trouver ni dans l’innocence
de l’animal, pas plus que dans la folie inconsciente et dangereuse du délirant. D’ailleurs,
contrairement aux affirmations de Gide, il est possible de dire qu’un acte purement gratuit
n’existe pas. La psychanalyse a en effet démontré qu’un acte apparemment sans raison
pouvait correspondre à une motivation inconsciente .

I I I - ETRE LIBRE , C’EST TOUT ACCEPTER.


A - La connaissance de l’ordre du monde
Pour les stoïciens , le monde est un cosmos, c’est-à-dire un tout structuré et architecturé par
une Force transcendante qu’ils appellent Dieu ou encore le Destin . Cette force est l’origine de
la perfection du monde, et rien n’arrive dans le monde en dehors d’elle. Ce qui veut dire que
les stoïciens sont des fatalistes ; ils pensent que tout ce qui arrive doit arriver selon ce qu’ a
écrit le destin tout puissant et omniscient.

B – Liberté intérieure et maîtrise de soi


Si tout est décidé d’avance, alors il faut tout accepter ; il faut vouloir que les choses arrivent
comme elles arrivent et une fois qu’elles sont arrivées, il faut se résigner ,ne jamais se révolter
et au contraire toujours s’en réjouir. Etre libre pour les stoïciens, c’est alors dire oui a priori à
tout ce qui advient et survient. Cette attitude fataliste engendre alors le détachement par
rapport aux choses du monde. Etre libre, c’est alors trouver la force morale en soi, c’est être
maître de ses affects, c’est être capable de mettre le monde à distance.

C - Critique des thèses stoïciennes


- Toutefois, l’idée de destin appartient au domaine religieux et métaphysique, mais elle n’est
pas scientifiquement recevable. La science en effet ne crédite pas ce concept de destin et
n’accepte que les concepts de déterminisme et de hasard.
- De plus, l’idée de fatalisme est éthiquement condamnable, car elle place la liberté dans
l’acceptation des injustices qui peuvent être commises à l’égard d’autrui , donc elle nie aussi
la lutte pour les droits de l’homme et le combat pour le progrès.
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I V - ETRE LIBRE, C’EST VOULOIR LA LOI QUE


LA RAISON NOUS DONNE.

1 - Pour Descartes, la liberté est « volonté rationnelle » .


- Pour Descartes, il existe un niveau de liberté qu’il appelle « liberté d’indifférence » ou
encore « libre arbitre », et qui désigne la faculté qu’a tout être humain de se déterminer sans
que rien ne le contraigne pour ceci plutôt que pour cela, c’est-à-dire qu’il a de pouvoir choisir.
Dans les Méditations, Descartes écrit que la liberté consiste … « en ce que nous pouvons
faire une chose ou ne pas la faire … et que nous agissons de telle sorte que nous ne sentons
point qu’aucune force extérieure nous y contraigne » .
- Mais ce premier niveau de liberté est à la fois le meilleur et le pire, il est en effet dans
l’essence de la liberté « d’errer ». La faculté rationnelle nous permet alors de nous y retrouver
dans les risques d’errance et elle nous guide vers le vrai comme vers le bien. La mise en
œuvre du bon choix rationnel prend alors la forme du commandement à soi-même, qui n’est
autre selon Descartes que la volonté.
- Que devons nous faire pour être libre ? D’abord réfléchir, examiner les possibilités d’action
et leurs conséquences , peser le pour et le contre. Ensuite choisir ce que la raison nous
conseille. Enfin , s’efforcer à atteindre cet objectif par la volonté.

2 - Pour Kant la liberté est inséparable de la morale .


La raison, en tant qu’elle donne des règles à l’action est raison pratique, et elle répond à la
question « Que dois-je faire ? » ou encore « Quelle loi dois-je suivre ? ». L’homme rationnel
trouve en lui même les règles qui lui permettent d’agir, et ces règles rationnelles, comme tout
principe rationnel, se reconnaissent à l’universalité et à la nécessité.
- L’universalité implique que mon action n’est bonne qu’à partir du moment où elle peut
être transformée en loi pour tous . Elle s’exprime dans la proposition kantienne : « Je dois
toujours me conduire de telle sorte que ma maxime devienne une loi universelle ».
- La nécessité est la présence d’un « Tu dois » à ma conscience en dehors de toutes
considérations sensibles et de tout intérêt particulier . C’est « l’impératif catégorique » qui
me fait connaître le bien et qui me dicte d’accomplir sa loi .
La liberté de l’homme n’est pas incompatible avec la loi ; au contraire pour Kant l’homme est
législateur de sa propre loi ; il obéit à la loi qu’il se donne lui-même; il est « auto-nome ».
C’est en ce sens que l’être humain, et que tout être humain a un dignité ontologique
spécifique.
L’être humain est dès lors pensé avec le concept de « personne ». La personne au sens
kantien est l’homme en tant qu’il appartient au genre humain et que donc comme tout homme
il a droit à des droits, qu’il doit être respecté et qu’il doit être traité non comme un moyen
mais comme une fin en soi.

Etre libre donc ce n’est pas refuser toutes les lois, ce n’est pas non plus accepter
n’importe quelle loi, mais c’est accéder et obéir à la loi morale rationnelle.
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