CSL 0101 0025

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Contact linguistique, contact humain et changements

linguistiques dans le français de la région lilloise : les


conséquences de l'immigration
Tim Pooley
Dans Cahiers de sociolinguistique 2001/1 (n° 6), pages 25 à 46
Éditions Presses universitaires de Rennes
ISSN 1273-6449
ISBN 2868476538
DOI 10.3917/csl.0101.0025
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Tim POOLEY
London Guildhall Université (Grande Bretagne)

CONTACT LINGUISTIQUE, CONTACT HUMAIN ET


CHANGEMENTS LINGUISTIQUES DANS LE FRANÇAIS DE
LA RÉGION LILLOISE :
LES CONSÉQUENCES DE L’IMMIGRATION

ß INTRODUCTION
Le modèle centre-périphérie-contrepoids élaboré par Reynaud (1981)
semble s’appliquer heureusement à la fois à l’ensemble de l’espace francophone
et à la France en ce qui concerne les variétés régiolectales du français. Lorsqu’on
considère la conurbation lilloise, il est difficile de ne pas être attiré par la
plausibilité de son caractère périphérique par rapport au reste de la France et de
pas reconnaître le rôle central de la métropole au niveau régional. Si l’on remonte
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dans le passé, la domination de Lille au sein du territoire de l’actuelle métropole
rend l’exploitation des trois notions cruciales - centre, périphérie, contrepoids ­
encore plus attractive pour évaluer à la fois la variation spatiale et l’évolution
sociolinguistique.
Retraçant les grandes lignes de l’histoire de la métropole actuelle (Section
2), je cherche à esquisser les principales conséquences sociolinguistiques de deux
périodes où une forte immigration a contribué à des changements sociaux
importants. Il s’agit premièrement de l’ère de l’expansion industrielle du 19e
siècle où de nombreux Belges, pour la plupart néerlandophones sont venus
travailler dans la région (Section 3) et deuxièmement, de la période actuelle où la
présence maghrébine est devenue significative (Section 6).
Dans les deux cas, l’immigration a créé une situation de contact
linguistique. Au 19e siècle, les immigrés flamands sont venus s’installer à une
époque où leurs camarades français pratiquaient soit des variétés de picard portant
des marques de francisation, soit des variétés de français qui laissaient entendre
des influences picardes. Les témoignages des dialectologues, particulièrement
ceux de Carton (1972) et de Viez (1910) nous permettent de décrire à la fois la
variabilité des pratiques linguistiques suivant les localités et les conséquences du
contact Français-Flamands (Sections 4 et 5). Alors que l’afflux des Flamands
ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

contribuait à l’urbanisation de la région, les Maghrébins sont venus s’installer


dans des secteurs déjà urbanisés et industrialisés à une époque où l’emploi
spontané du picard avait pratiquement disparu. Toutefois, Lille reste une des rares
villes françaises situées dans la zone de langue d’oïl où l’on entend encore un
accent régional reconnaissable même chez les locuteurs jeunes. Cependant, au
sein de cette variété régiolectale presque entièrement dépicardisée, on peut, grâce
à des enquêtes de terrain, déceler des différences de comportement, de perception
et même de mémoire collective (connaissances du picard) entre les Français « de
souche » et les Maghrébins (Section 7).
ß LE MODÈLE CENTRE-PÉRIPHÉRIE
Le modèle centre-périphérie s’adapte non sans bonheur aux rapports Paris-
Lille et Lille-région lilloise au fil des siècles. A partir de la conquête française de
1667, Lille s’est trouvé en position de dominé par rapport à la capitale nationale
grâce au poids démographique, au contrôle administratif et militaire, au niveau de
vie plus élevé, à la vie culturelle plus riche de Paris. Des facteurs analogues
faisaient de Lille la principale porte d’entrée de toutes les influences parisiennes
dans la région - une présence militaire importante et une infrastructure où les
liaisons routières, ferroviaires et fluviales (grâce aux travaux de canalisation
entrepris à partir du 18e siècle) passaient d’abord par Lille, avant de se diffuser
dans toute la région. Si Lille se trouvait plus souvent dans une relation
asymétrique avec Paris comme les localités du plat pays par rapport à la capitale
régionale, on peut observer des périodes où la prospérité créée par les activités
industrielles donnait un certain équilibre (contrepoids) à ces relations (notamment
dans la deuxième moitié du 19e et au début du 20e siècle).
Il serait étonnant que cette domination politique, économique et culturelle
n’ait pas eu de corollaires linguistiques. En effet, la notion de standard mono­
centré évoquée par Gadet (1996 : 77) rappelle la domination historique de la
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France par rapport aux autres territoires francophones et celle de Paris-Ile-de-
France sur le reste du territoire français en matière linguistique. Certes, on a pu
noter au cours des années 1990 les premières indications que certaines variétés
dites périphériques commencent à se libérer de ce que Pascal Singy (1996) a
appelé « cette sujétion linguistique à la France » et on pourrait préciser au modèle
parisien. En particulier, l’émergence d’une norme de prestige québécoise (par ex.
Tétu, 1996) et belge (par ex. Moreau, Brichard et Dupal, 1999) et même
méridionale (Blanchet, 2000)1 signalerait une modification de la situation
historique constatée par plusieurs études qui permettent de localiser le
« meilleur » français en France et surtout à Paris dans l’imaginaire des locuteurs
belges (Garsou, 1991 ; Francard, 1993, Lafontaine, 1986, 1991) et suisses (Singy,
1996).
En France, le travail de Gueunier et al. (1978) montre la plus grande
sécurité linguistique des locuteurs du Centre (Tours) par rapport à ceux qui sont
originaires de régions périphériques (Lille, Limoges, Saint-Denis de la Réunion).
Cette insécurité linguistique des Lillois largement confirmée par l’étude de
Lefebvre (1991) semble provenir tout au moins en partie du fait qu’ils sont

1 Je remercie Philippe Blanchet d’avoir attiré mon attention sur cette étude.

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MÉDÉRIC GASQUET-CYRUS

conscients de pratiquer un français qui manifeste des écarts par rapport à une
norme qui serait respectée dans d’autres parties de la France et donc entre autres
d’avoir un accent (Tableau 1) alors que le fait de « parler sans accent » et sans
marques régionales tend à être perçue de manière plutôt favorable dans l’espace
francophone (par ex. Garsou, 1991:20).
Tableau 1 - « Avez-vous un accent ? »
(Gueunier et al., 1978 ; Bayard et Jolivet, 1984 ; Singy, 1996)
Tours 6,5%
Lille 57%
Limoges 77%
Saint-Denis-de-la-Réunion 89%
Canton de Vaud (1984) 100%
Canton de Vaud (1996) 83%

Cette conscience d’avoir un accent est d’autant plus remarquable parce que
des études récentes, notamment celle d’Armstrong et Boughton (1998) ont noté
que la métropole du Nord constituait un des rares exemples d’une région de
langue d’oïl où l’on observe encore de ce que Fernand Carton (1981) appelle une
« originalité linguistique », c’est-à-dire que même le parler des locuteurs jeunes
comporterait des caractéristiques régionales qui permettraient à un(e) non-
Nordiste de les situer dans l’ensemble francophone2. En effet, Armstrong et
Boughton (1998) postulent que dans les régions de langue d’oïl, les témoins
ordinaires3 ne parviennent pas à déceler les origines géographiques d’autres
locuteurs au sein de l’espace de langue d’oïl, alors qu’ils inscrivent un taux de
réussite plus qu’honorable lorsqu’il s’agit de situer les mêmes locuteurs dans
l’espace social. Comparant des échantillons de sujets originaires des deux
extrémités est-ouest des régions de langue d’oïl - Nancy (à 305 kilomètres de
Paris ) et Rennes (à 355 kilomètres de la capitale), ces deux enquêteurs notent en
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particulier que des auditeurs-juges rennais ne parvenaient pas du tout à
reconnaître les origines géographiques des sujets nancéiens.
Dans une étude consacrée à l’accent du Havre, Hauchecorne et Ball (1997)
observent dans une optique comparable que les non-Havrais ne parviennent pas à
reconnaître un locuteur de cette ville sur la base d’un court enregistrement. L’un
de ces auteurs (Ball, 1997) affirme ailleurs dans un ouvrage d’initiation que les
accents populaires des villes comme Caen, Le Havre, Rennes et Rouen sont
identiques à celui de Paris. Si ces études représentent en quelque sorte la
perspective de l’outsider, on pourrait croire que les observations d’un insider
donneraient peut-être des résultats différents. Adoptant le point de vue des

2 Au sens strictement scientifique, il s’agit d’une hypothèse qui n’a pas été démontrée mais tous
les témoignages cités (et bien d’autres encore) confirment la banalité de l’observation que les
Nordistes ont un accent (régional), alors que les autres études citées pour les régions de langue
d’oïl ne permettraient de constater qu’une différenciation sociale.
3 En fait, lors d’un atelier organisé par l’Association for French Language Studies, le 10 octobre
1998, Boughton a réussi la démonstration auprès d’un auditoire de 25 universitaires spécialistes de
la langue française (enseignants, linguistes et sociolinguistes). Ayant écouté une série de huit
enregistrements, Fernand Carton était le seul à reconnaître leurs origines communes dans la ville
de Nancy et cela grâce à des indices non-linguistiques.

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ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

Rouennais, Thierry Bulot (Bulot, 1998, 1999) constate que dans la perception des
habitants, les variétés sociolectales pratiquées dans la ville sont localisables dans
l’espace : le français rouennais normé étant situé sur la rive droite et au centre
ville, alors que le français rouennais caractéristique (accent normand) est localisé
plutôt sur la rive gauche (Bauvois et Bulot, 1998 : 71). Ces résultats, malgré leur
intérêt certain, ne permettent pas forcément d’infirmer l’hypothèse d’Armstrong et
Boughton, car ils semblent confirmer certaines perceptions influencées par la
mémoire collective, plus qu’ils n’autorisent à affirmer la reconnaissabilité d’un
accent rouennais (ou normand) qui serait utilisé par des locuteurs (relativement?)
jeunes par rapport à ceux des autres régions de langue d’oïl4.
Le caractère supposé périphérique de la métropole lilloise ne pourrait pas
dépendre de son éloignement de Paris (215 kilomètres) bien inférieur à celui de
Nancy et de Rennes, ni de son incorporation relativement tardive dans l’état
français (conséquence de la conquête de 1667, confirmée définitivement par le
traité d’Utrecht en 1713), ni forcément de sa situation frontalière. Car dans une
perspective régionale, Lille occupe depuis très longtemps une place centrale ­
capitale des Flandres sous l’Ancien Régime et chef-lieu du département du Nord à
partir de 1803 et dominante depuis bien plus longtemps par son poids
démographique, sa puissance industrielle et son rayonnement culturel5. Ceci
n’implique pas non plus que d’autres villes à différents moments de l’histoire
n’aient pas constitué au sein de la conurbation actuelle un contrepoids
démographique et économique important à la capitale régionale, notamment
Roubaix et Tourcoing dans la deuxième moitié du dix-neuvième et les premières
décennies du vingtième siècle.
Il est aussi indéniable que la position dominante de Lille au niveau régional
lui (a) fait subir une influence plus directe de Paris. Dans les trois ans qui ont suivi
la conquête, Lille a été transformé en place forte avec une citadelle et une
présence militaire de quelques milliers de soldats. Toutes les principales voies de
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communication construites au 18e siècle - les canaux, les routes royales ­
(Lambin, 1980) et le chemin de fer mis en service au cours des années 1840
(Clout, 1975) y passaient. L’influence culturelle et artistique (peinture, théâtre,
architecture) de Paris se fait sentir nettement plus tôt à Lille que dans d’autres
parties de la future métropole (Pierrard, 1981).
La concurrence économique entre Lille et les villes environnantes remonte
au moins au Moyen Âge. Les monopoles accordés à Lille par des chartes royales
(françaises, espagnoles ou bourguignonnes) étaient souvent contournés par
l’ingéniosité des fabricants du dit plat pays dans la période pré-industrielle
(Hilaire, 1984). L’expansion industrielle du 19e siècle a pourtant avantagé

4 Cette observation semble valable pour les personnes (relativement) jeunes. Il est évident que l’on
entend dans la bouche de personnes âgées des accents qui trahissent leurs origines géographiques
(cf. Carton et al. 1983 où la grande majorité des témoins est née dans la première moitié (et
souvent dans les premières décennies) du vingtième siècle.
5 En fait, le rôle central de Lille est pleinement confirmé au cours de la période de
l’industrialisation (fin du 19e et début du 20e siècles). Pour les époques antérieures, il convient de
signaler le rôle de Douai (centre universitaire du 16e au 19e siècle, chef-lieu de département
(1791-1803)) de Cambrai et de Tournai (centres écclésiastiques plus importants que Lille jusqu’au
20e siècle).

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MÉDÉRIC GASQUET-CYRUS

Tourcoing et Roubaix qui ont pu s’étendre bien plus rapidement que Lille confiné
dans ses fortifications jusqu’en 1858. Le développement parallèle mais
relativement indépendant d’entreprises et de dynasties industrielles a été, compte
tenu de la proximité de Lille et de Roubaix-Tourcoing (12 kilomètres), assez
remarquable (Pouchain, 1998).
Ce n’est qu’au cours des années 1960 que des mesures de planification
régionales proposées par la DATAR6 tentent de mettre de l’ordre dans les résultats
d’une croissance industrielle anarchique. Lille-Roubaix-Tourcoing a été désigné
métropole d’équilibre (Scargill, 1983:37), une OREAM 7 a été créée en 1966 et la
Communauté Urbaine de Lille (CUDL) composée de 87 communes a été créée en
1968 (Figure 1). En proposant le développement d’une métropole d’équilibre, on
misait sur la tertiarisation de l’économie régionale pour compléter la puissance
industrielle du versant nord-est (Roubaix, Tourcoing). La construction d’une ville
nouvelle - Villeneuve d’Ascq à l’est de Lille aurait sans doute eu pour résultat de
confirmer la pré-éminence de la capitale régionale, même si le déclin du textile
n’avait pas obligé les villes de tradition mono-industrielle à rattraper leur retard, qui
leur avait été de fait imposé par ces mesures de planification nationales et régionales,
dans le secteur des services. Ces « faubourgs industriels »(terme utilisé par Sueur,
1971) malgré des succès en matière de création d’emplois ont souffert d’un handicap
indéniable à cause de la vétusté d’une partie de leur parc immobilier et d’une image
de marque formée durant l’ère industrielle. De plus en plus, les gens qui travaillaient
dans les vieilles villes s’installaient dans des communes centrales plus agréables (par
ex. Bondues) ou dans des zones rurales qui prenaient désormais un caractère
résidentiel (par ex. Sailly-Lez-Lannoy).
Les développements en matière de transport ont également servi à promouvoir
Lille, point pivotal pour tous les moyens de transport en commun - trains, tramway,
métro et bus et carrefour européen desservi par des TGV qui permettent d’accéder à
toutes les villes importantes de l’Union Européenne et un réseau (auto)routier qui
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fait l’envie des pays voisins. Qui plus est, le label « Lille » est promu aux dépens des
autres villes de la région (Bonduelle, 1997) qui sont de plus en plus phagocytées
dans la métropole lilloise. Si Sueur a pu évoquer en 1971 une « métropole en
miettes », un ouvrage publié pour commémorer les trente ans de la CUDL
(Communauté Urbaine de Lille) parle non sans justification d’une métropole
« rassemblée » (C’artouche, 1998). Périphérique jusqu’à un certain degré par rapport
à Paris et au reste de la France, Lille est le centre confirmé de la région Nord et
d’une zone de rayonnement dans l’espace francophone qui dépasse la frontière
nationale et constitue à la fois la principale ouverture de la région et même temps un
contrepoids non négligeable aux éventuelles influences externes.

6 Délégation à l' aménagement du Territoire et à l' Action Régionale. Une organisation de


planification nationale, qui devait entre autres s’assurer que des aspects régionaux soient inclus
dans les plans proposés au niveau ministériel ou départemental. La DATAR soutenait
vigoureusement les métropoles d’équilibre qui devaient constituer un contrepoids contre l’expansion
et la domination de la région parisienne.
7 OREAM = Organisation d' études d'
aménagement des aires métropolitaines. Le rôle d’une
OREAM est de contrôler l’impact des projets d’infrastructure sur l’aménagement du territoire, par
ex. la construction de routes ou de liaisons ferroviaires, de villes nouvelles ou de centres
commerciaux en dehors des limites municipales existantes.

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ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

Figure 1 - Communes de la métropole lilloise

ß L’IMMIGRATION BELGE DU 19e SIÈCLE


Étant de loin la ville la plus importante de la région depuis le Moyen Âge, la
croissance de Lille ne saurait s’expliquer par la seule fécondité de sa population.
L’« in-migration »8 des ruraux originaires des régions environnantes constitue depuis
la période médiévale un élément important de son poids démographique. A
l’importance de sa population s’ajoute son rôle administratif au sein de la région qui,
déjà non négligeable sous les régimes bourguignon, espagnol et autrichien, a été
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grandement renforcé par la France. Le fait que Louis XIV ait choisi de faire de Lille
une de ses principales places fortes pour garder la frontière nouvellement établie en y
installant une garnison de soldats en grande partie étrangers à la région et le centre
administratif régional (siège de l’Intendance des Flandres) a indubitablement
favorisé les contacts entre les Lillois et d’autres Français. D’après Lambin (1980 :
253), il y aurait eu, suite à la conquête, francisation à la fois dans le sens
linguistique et social. Si la noblesse avait déjà adopté le français comme langue de
communication, la politique de francisation visait surtout la bourgeoisie jusque là
en partie picardophone, laissant le picard aux seules couches populaires.
L’apparition d’une littérature patoisante employant une langue mixte dès les
premières décennies du 18e siècle et centrée sur Lille (Carton, 1992) en est un
indice sûr, même s’il paraît de prime abord paradoxal, du recul du picard (Pooley,
2001). Ce recul largement confirmé par les historiens du 19e siècle était plus
avancé à Lille à cette époque-là qu’au versant nord-est de la métropole actuelle. Si

8 Il est peut-être utile de distinguer dans ce contexte « in-migrés » picardophones originaires dans
leur immense majorité des campagnes situées autour de Lille (le plat pays) qui sont venus
s’installer dans la capitale régionale et « immigrés » venus de pays étrangers et parlant donc
d’autres idiomes.

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MÉDÉRIC GASQUET-CYRUS

Pierrard (1972 : 146) pouvait décrire le parler lillois comme un « patois issu du
picard, mais terriblement abâtardi, sans orthographe, pénétré et déformé par
l’argot et le mauvais français », il fait l’éloge du poète lillois Alexandre
Desrousseaux9 qui « eut le mérite de mettre de l’ordre dans ce magma, et, tout en
maintenant une francisation d’ailleurs irréversible, de valoriser les mots picards
échappés au désastre ». Par contre, Vandendriessche (1928 : 198) relatant
l’histoire de Tourcoing, dit que « le patois était la seule langue parlée jusqu’au
début du 19e siècle et l’unique langue parlée dans les relations de la vie courante
jusque vers 1850 ». Évoquant l’œuvre du plus grand poète picardisant
tourquennois, Jules Watteeuw10, Vandendriessche déclare « que la langue dans
laquelle est écrite cette immense œuvre patoisante n’est pas du tout du français
corrompu ou déformé, c’est la vieille langue d’oïl ou langue romane : un des
rameaux du dialecte picard, c’est l’antique langage de nos aïeux ».
C’est dans cette situation linguistiquement bien différenciée que sont arrivés
de nombreux immigrés belges majoritairement néerlandophones attirés par la
relative prospérité que représentait à l’époque un travail d’ouvrier d’usine.

Tableau 2 - Croissance de la population lilloise au 19e siècle (Pierrard,


1965)
Population Belges
1861 131,735 21,237 (16%)
1866 150,938 33,193 (22%)
1872 158,117 47,846 (30%)
1881 170,000 52,500 (31%)

Si le Tableau 2 montre une présence belge importante et croissante à Lille


tout au long du 19e siècle, elle était dépassée à Tourcoing où 25% de la
population était d’origine belge vers 1850 (Lottin (1986 : 153). Mais c’était à
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Roubaix que l’afflux des immigrés était le plus fort, car au cours de la décennie
1870, la proportion de Belges dans la population a franchi la barre des 50%
(Hilaire, 1984 : 171). La construction de liaisons ferroviaires entre Roubaix-
Tourcoing et les villes belges limitrophes a permis à de nombreux travailleurs de
traverser quotidiennement la frontière. En plus de ces transfrontaliers toujours
enracinés dans leur culture d’origine, une partie des émigrés semble avoir bien
conservé leur langue, car l’on faisait venir des prêtres et des associations de
langue flamande sont restées actives jusqu’à la deuxième guerre mondiale.
Si l’assimilation d’un si grand nombre d’étrangers ne s’est pas réalisée sans
heurts - mouvements de grève (Hilaire, 1984) accusations de mauvaise conduite
(Ansar et al., 1983), c’est à Lille que la ségrégation a été la plus marquée. Les
Belges sont venus s’installer surtout dans les nouveaux quartiers incorporés dans
la ville de Lille grâce à son expansion physique rendue possible par le
démantèlement partiel des remparts en 1858. La concentration de familles
d’origine belge dans ces quartiers - Wazemmes, Moulins-Lille et Fives - a été

9 Alexandre Desrousseaux (1820-1892), poète picardisant lillois, connu comme l’auteur du P’tit
Quin’quin.
10 Jules Watteeuw (1849-1947) auteur, originaire de Tourcoing, de nombreux ouvrages en picard.

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ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

suffisante, pour qu’il y ait vers la fin du 19e siècle, affrontements entre bandes de
jeunes d’origine ethnique et de quartiers différents, notamment entre les Flamands
de Wazemmes et les Français du quartier populaire le plus ancien intra muros ­
Saint Sauveur (Vanneufville, 1997) (Figure 2). Tout porte à croire que les
Français dominaient cette culture jeune à la fois par leur prouesse à la bagarre et
encore plus par le prestige de leur culture.

Figure 2 - Quartiers de Lille vers 1900

ß LE TÉMOIGNAGE DE LA DIALECTOLOGIE
Si l’on veut se pencher sur la façon dont les parlers vernaculaires étaient
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prononcés à la fin du 19e et au début du 20 siècles, on est loin d’être limité aux
témoignages impressionnistes des historiens et des écrits d’auteurs dits patoisants
cités dans la section précédente. Les dialectologues nous ont légué de précieux
témoignages détaillés - sous forme de monographies notamment celle de Viez
(1910) et de Cochet (1933) mais surtout l’étude de Carton (1972). Comme Carton
a eu l’amabilité de m’offrir des copies d’une partie de ses enregistrements, j’ai pu
les ré-analyser et donc les ré-interpréter dans une perspective autre que celle du
dialectologue.
Il faut au départ reconnaître sans ambages qu’une telle démarche n’est pas
sans difficultés. Les enregistrements en question ont été réalisés au cours des
années 1960 auprès de sujets nés entre 1874 et 1895 dans la conurbation lilloise.
Carton avait demandé à ces personnes très âgées à l’époque de s’exprimer en
patois, alors qu’elles n’avaient dans leur entourage guère d’interlocuteur capable
de leur répondre dans le même idiome. Mais si l’on concède que ces personnes
n’ont pu tout à fait s’exprimer comme du temps de leur jeunesse, elles ne
semblent pas avoir non plus faussé le jeu en exagérant la picardité de leur parler.
Au contraire, Carton fait remarquer de façon tout à fait justifiée le caractère
naturel de ces monologues.

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MÉDÉRIC GASQUET-CYRUS

Tableau 3 - Liste des 14 traits picards


Segments phonologiques - voyelles
Trait Exemple
1) diphtongaison de o fermé [k i e bœo] ‘qu’il est beau’
2) [E)] picard à la place du [A)] français [mE)Ze] ‘manger’
3) dénasalisation du [E)] picard [afA)] ‘enfant’
Segments phonologiques - consonnes
4) [S] picard à la place du [s] français [gaRSç)] ‘garçon’
5) absence du l dit mouillé [tRaval] ‘travail’
6) assourdissement des consonnes [saS] ‘sage’
finales
Phonologie - traits morphophonologiques
7) assimilation de l’article défini [b bil] ‘la bile’
8) Emploi du d dit intrus [i n d avo nE)] ‘il n’y en avait pas’
Traits morphologiques
9) Emploi de la désinence picarde -ot à [Z kono] ‘je connais’ [Zeto] ‘j’étais’
l’imparfait, au conditionnel et au
présent pour certains verbes
10) Emploi des possessifs picards au au masculin min, tin, sin [mE) gaRSç)] ‘mon
singulier garçon’
au féminin ‘m, ‘t, ‘s [´mfEm] ‘ma femme’
11) Emploi des pronoms picards mi, ti, li ‘moi, toi, lui’
12) Métathèse du préfixe réitératif [iz aRkmE)St] ‘ils recommencent’
Traits syntaxiques
13) Emploi des particules négatives nin et point
picardes.
14) Emploi de qu’elle dans les ‘la femme qu’elle habite là’
propositions relatives sujet
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Je me propose donc de comparer dans cette section premièrement, deux
locuteurs lillois - l’un de Saint-Sauveur et l’autre de Wazemmes ; deuxièmement,
trois locuteurs du versant nord-est notamment de Tourcoing et la monographie de
Viez sur le patois de Roubaix et troisièmement, le français plus ou moins
dépicardisé d’un témoin cité dans Carton (1972) et des trois témoins exemplaires
du français régional cités dans Carton et al. (1983). La comparaison se fera sur la
base de quatorze traits dont la picardité historique ne fait guère de doute (Tableau
3), et deux traits reconnus comme caractéristiques de l’accent régional (Tableau
4).
Il va sans dire qu’on peut reprocher à cette étude comme à la plupart des
travaux de dialectologie de prendre un nombre trop restreint de locuteurs comme
étant typiques de leur localité. Il n’empêche que cette méthodologie était plutôt
adaptée à des situations sociolinguistiques où la pratique de variétés fort
démarquées du français et la présence de locuteurs à très faible mobilité étaient
choses courantes.

33
ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

Tableau 4 - Les traits du français régional (Lefebvre, 1991 ; Pooley, 1996)


Trait Exemple
15) [A] d’arrière ou vélarisé en syllabe [sA] ‘ça’ ;
ouverte finale cf. [sa] en français commun
16) [Q R] réalisation avancée devant [R] [tQ R] ‘tard’
cf. [taR] en français commun

Carton (1972) a enregistré deux locuteurs lillois : premièrement Louis


Descombelles né en 1892 et qui a passé toute sa vie dans le quartier de Saint
Sauveur et deuxièmement Annie Oosterlinck née en 1895 à Wazemmes où elle a
passé son enfance. Son nom de famille évoque bien une ascendance flamande
(Tableau 5).
Tableau 5 - Comparaison de l’utilisation des traits du picard et du français
régional de deux locuteurs lillois habitant deux quartiers populaires
(Carton, 1972)
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Locuteur
Saint- - ± ± ± ± + - + + + + ± + ? + +
Sauveur
Wazemmes - ± - ± + + - ? ± ± ± - - ? ± ?
+ = emploi dans (pratiquement) tous les cas ; ± = variable ;
- = ne s’emploie (pratiquement) pas ; ? = absence d’exemples.
Pour tous les traits où les enregistrements nous permettent de différencier
les variétés utilisées par les deux locuteurs, l’on peut noter que Louis
Descombelles prononce plus de variantes picardes, et qu’il les utilise de manière
plus conséquente comme c’est le cas pour les deux traits du français régional.
Le tableau 6 permet de comparer la description de Viez (1910) du picard de
Roubaix basée sur les données fournies par trois locuteurs nés à Roubaix-Centre
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dans la décennie 1850 et interrogés entre 1907 et 1909. Il est probable que Viez a
trié les exemples pour ne donner que des formes qu’il considérait comme du « pur
patois ». Le tableau 6 les compare aux trois des plus anciens locuteurs originaires
de Tourcoing enregistrés par Carton (1972). Ceux-ci s’appellent : 1) Ernest Mullie
né à Reckem (Belgique) en 1874 et qui a vécu de nombreuses années à
Tourcoing ; 2) Jean-Baptiste Michelly né en 1874 à Tourcoing et qui y a vécu
quasiment toute sa vie ; 3) Albert Thieffry né en 1891 à Tourcoing.
Tableau 6 - Comparaison de l’utilisation des traits du picard et du français
régional des locuteurs roubaisiens (Viez, 1910) et tourquennois (Carton,
1972)
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Localités
Roubaix + + + + + + + + + + + + ± + m m
Tourcoing ± + ± + + ± ± ± ± + + ± ± + ± ±
+ = emploi dans (pratiquement) tous les cas ; ± = variable ;
- = ne s’emploie (pratiquement) pas ; m = emploi marginal.
Si la monographie de Viez dépeint une utilisation conséquente de tous les
traits picards sauf la particule négative nin, qui s’emploie en alternance avec pas,
les traits du français régional semblent faire une timide entrée dans un petit

34
MÉDÉRIC GASQUET-CYRUS

nombre d’items lexicaux. Le [QR] notamment ne s’emploie que dans quelques


noms propres par ex. rue des Arts. Quant au a d’arrière, on note des occurrences
en syllabe fermée [tηs] ‘tasse’ qui font penser au français populaire parisien
(Gougenheim, 1929) et [pηt] pour ‘pattes’ et ‘pâtes’ qui indiquerait qu’il s’agit
d’un emprunt phonétique qui ne tient pas compte du contexte lexical. Les
locuteurs tourquennois, par contre, emploient tous les traits picards mais
seulement 6/14 de manière exclusive. Par contre, ils emploient le a d’arrière d’une
manière qui indique le début d’une différenciation d’un a d’arrière français et un a
antérieur picard, par ex. [ka—i] [—Asi] ‘châssis’ (fenêtre). Toutefois, on note des a
vélarisés en syllabe fermée [plηk] ‘plaque’ et la progression du [A] dans la série en
[wa] par ex. [tRo] (picard) [tRwA] (français régional) ‘trois’. Pour ce qui du a
avancé pré-rhotique, on constate un emploi peut-être minoritaire mais variable
dans des items autres que des noms propres, par ex. [bulvQR] ‘boulevard’ et
[bulwa:R] ‘bouilloire’. Ernest Mullie emploie majoritairement des r apicaux
typiques des campagnes et du flamand et sa prosodie semble indiquer des
« influences flamandes » (Carton, 1972 : 24) quoiqu’il n’ait jamais appris cette
langue. Toutefois, le picard fort démarqué du français décrit par Viez est
néanmoins nettement plus francisé que celui dépeint par Cochet (1933) à
Gondecourt - commune demeurée longtemps rurale alors que ses voisines étaient
touchées par l’industrialisation (Pouchain, 1998 : 45).
Le tableau 7 répertorie les usages premièrement, de Léonie Carton née en
1895 à Croix et qui a passé toute sa vie à Roubaix (Carton, 1972) ; et
deuxièmement, des trois locuteurs choisis pour représenter l’accent du Nord dans
Carton et al. (1983). Léonie Carton, enregistrée subrepticement par l’enquêteur
(qui était son neveu), emploie une variété qu’il faudrait qualifier de français
régional. Dans l’autre cas, il s’agit en fait de deux ouvriers textile nés en 1911 et
l’épouse de l’un d’entre eux et enregistrés en 1977, alors qu’ils participaient à une
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émission de radio.
Tableau 7 - Comparaison de l’utilisation des traits du picard et du français
régional de Léonie Carton (Carton, 1972) et de deux ouvriers roubaisiens
(Carton et al, 1983)
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Locuteurs
Léonie - m - - ± ± - - ± m - - - - ± +
Carton
Ouvriers - - - - ± ± M - - - - m - ± ± ±
roubaisiens
+ = emploi dans (pratiquement) tous les cas ; ± = variable ;
- = ne s’emploie (pratiquement) pas ; m = emploi marginal du trait picard.
Étant donné que l’enregistrement de Léonie Carton a été réalisée dans
l’intimité familiale, alors que les deux ouvriers employaient un style public, on ne
peut être que frappé par la convergence entre les deux variétés en question et leur
divergence par rapport aux profils de celles qui figurent dans les tableaux 5 et 6.
Le tableau 7 nous rappelle que même parmi les membres de la classe ouvrière
tous ne cherchaient pas à parler le picard et que de toute façon les picardophones

35
ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

maîtrisaient des variétés qu’on ne peut pas ne pas qualifier de français même si
elles contiennent des traits caractéristiques du picard.
ß QUE RESTE-T-IL DE CE CONTACT LINGUISTIQUE ?
La proximité de la Flandre néerlandophone et l’afflux important d’immigrés
de langue flamande a créé une situation de contact linguistique, qui n’a pas été
sans conséquences. Toutefois, c’est dans le domaine lexical que le picard et le
français régional reflètent le mieux l’évolution socio-historique déjà décrite - un
nombre limité, mais non négligeable au cours des siècles suivi d’une
recrudescence d’emprunts vers la fin du 19e siècle dont la plupart se sont avérés
éphémères. Alors qu’il est normal pour une population indigène dominante
d’emprunter des items lexicaux à la langue d’une nouvelle minorité plutôt mal
considérée, il en va tout autrement pour des emprunts structuraux. Qui plus est, les
phénomènes qu’on pourrait de manière plausible attribuer à l’influence du
flamand, peuvent s’expliquer autrement. Prenons l’exemple de l’assourdissement
des consonnes finales, par ex. [tu l mç)t] ‘tout le monde’. Or, il est bien connu
qu’en flamand comme dans d’autres langues germaniques, les consonnes finales
sont systématiquement assourdies. On peut assourdir toutes les consonnes
canoniquement sonores en français et dans le picard et dans le français de la
région, alors que ce trait est moins répandu dans d’autres variétés picardes
(Pooley, 1994) et inconnu en français populaire (Frey 1929 ; Bauche, 1946)).
Certes, dans mon étude de 1994, j’ai constaté parmi les sujets nés dans la première
moitié du 20e siècle des différences significatives entre les taux d’usage des
ouvriers textile et ceux qui avaient travaillé dans d’autres secteurs. L’hypothèse
d’une éventuelle influence flamande est séduisante, mais il est pour le moins
difficile de démontrer que celle-ci s’est exercée par l’intermédiaire directe des
immigrés flamands plutôt que par celui des locuteurs de langue romane ­
notamment les “in-migrés” des campagnes environnantes et les Belges
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francophones - qui, eux, vivaient dans des secteurs limitrophes de la frontière
linguistique (cf. Poulet, 1987)11.
Par contre, Taeldeman (1985) note un cas flagrant d’une influence qui va
dans le sens opposé. Puisque beaucoup d’immigrés flamands venaient de la région
de Gand (Hilaire, 1984 ; Lottin, 1986), il est intéressant de rappeler que pendant
cette période de forte émigration, les Gantois commencent à abandonner le r
apical en faveur d’une réalisation uvulaire (De Gruyter, 1909 cité dans
Taeldeman, 1985), sauf dans les variétés les plus platt12. D’après De Gruyter,
c’étaient les femmes d’un certain niveau social qui étaient à l’initiative dans ce
changement from above, qui s’était déjà généralisé lorsque Taeldeman a entrepris
son enquête (fin des années 1970). Ce changement dans le flamand gantois s’est

11 Il demeure néanmoins fort probable que la présence de nombreux Néerlandophones a renforcé


des tendances qui étaient déjà présentes dans les variétés autochtones et il est plausible que ces
Flamands aient assourdi les consonnes plus que les Français. Michael Pickles (2001) signale un
exemple contemporain parallèle à Perpignan. Les adolescents perpignanais d’origine espagnole
réalisent le e caduc plus que leurs camarades dont l’ascendance locale remonte à au moins une ou
deux générations.
12 Platt - terme désignant les variétés vernaculaires des langues germaniques.

36
MÉDÉRIC GASQUET-CYRUS

amorcé à l’époque qui correspond à la jeunesse du seul locuteur urbain (Ernest


Mullie) à conserver le r apical traditionnel13.
Le legs linguistique de l’immigration flamande a pourtant laissé des traces
dans l’imaginaire de la population. Ce sont les nouveaux (après 1858) quartiers de
Lille qui semblent avoir acquis la réputation d’être des bastions du patois. Au
cours de mes enquêtes, on m’a plusieurs fois conseillé « d’aller faire un tour à
Wazemmes », dont la réputation a été embellie par l’ouvrage d’inspiration
autobiographique de Jean Vindevogel (1984). Le quartier de Fives connaît lui
aussi une certaine consécration, grâce aux romans de Marie-Paule Armand (1990),
car son héroïne, Louise, pourtant simple fille de cheminot, exprime sa surprise
d’entendre pour la première fois le patois que parlaient les ouvriers de l’usine de
Fives où elle doit travailler.
ß L’IMMIGRATION MAGHRÉBINE DU 20E SIÈCLE
Les mesures de planification régionale décrites dans la Section 2 ont été
mise en œuvre à une époque où l’on misait largement sur le succès continu des
industries traditionnelles qui avaient fait la force des villes du versant nord-est de
la conurbation lilloise. Face à la montée du secteur tertiaire qui offrait à la
population autochtone de plus en plus qualifiée non seulement des emplois mieux
rémunérées mais l’occasion de s’installer dans des communes plus agréables
(Bondues, Roncq, Neuvelle-en-Ferrain) que les centres industriels, le patronat du
textile a eu recours à la solution classique, celle de faire venir des travailleurs
immigrés. Quoique des personnes originaires de la péninsule ibérique soient
arrivées en nombre non négligeable, ce sont les Maghrébins qui sont, sinon les
plus nombreux, tout au moins les plus visibles dans les villes de tradition
industrielle. En recourant à cette main d’œuvre peu qualifiée et peu instruite, les
patrons du textile avaient réussi à faire tourner leurs usines pendant quelque temps
face à la concurrence de plus en plus redoutable des pays en voie de
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développement. Lorsque le déclin progressif mais certain a été accéléré par le
choc pétrolier de 1973-4, un nombre non-négligeable de travailleurs immigrés
sont restés habitant soit les petites maisons en courée datant du 19e siècle soit des
bâtiments collectifs construits parfois un peu à la hâte au cours des décennies de
l’après-guerre, formant ce que certains appellent un « prolétariat post-industriel ».
Si une ville comme Roubaix a pu s’adapter sur le plan économique en créant de
nombreux emplois tertiaires, le renouvellement de son parc immobilier prendra
plus longtemps. L’importance de cette présence étrangère est difficile à évaluer.
Entre les chiffres officiels qui indiquent que la population étrangère aurait
plafonné aux alentours de 20% en 1982, un livre datant de 1996 (Aziz, 1996) cite
cette même ville comme étant la première en France à majorité musulmane. Les
estimations des inspecteurs de l’Éducation Nationale ainsi que mes propres
enquêtes situent la proportion d’élèves étrangers aux alentours de 30% dans les
villes où la présence maghrébine est la plus forte (Tableau 8). On assiste, semble­

13 Charles Deleporte, ancien président des Veillées Patoisantes de Tourcoing et auteur d’une
description du picard de Lys-lez-Lannoy non encore publiée m’a dit que ce trait permettait de
différencier même les variétés du picard, le r uvulaire étant typique des patois ouvriers alors que le
r apical était indicateur d’un patois paysan.

37
ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

t-il, à une banlieusation d’au moins certains quartiers du versant nord-est (Sueur,
1971 ; Delebarre et Le Priol 1993 ; Aziz, 1996).
ß ENQUÊTES SOCIOLINGUISTIQUES
La métropole lilloise a été l’objet de deux enquêtes sociolinguistiques d’une
certaine envergure à la fin des années 1970 (Lefebvre, 1991) et en 1983 (Pooley,
1988 ; 1996). Si les deux études sont convergentes par le fait qu’elles sont presque
entièrement consacrées à la population française « de souche »14, elles divergent
de façon importante dans le choix des informateurs. Lefebvre essaie de couvrir
l’ensemble de la population à la fois sur le plan social (5 niveaux d’études) et
géographique (une douzaine des 87 communes de la CUDL représentées). Le
corpus de Pooley enregistré en 1983 est focalisé sur des personnes domiciliées à
Roubaix et de situation sociale modeste (ouvrier ou petit employé). Les résultats
sont largement concordants sur des points importants : le maintien d’un accent
régional malgré la perte de nombreux traits picards, comme ceux relevés par Viez
et Carton (Section 3).
Pour ce qui est des marques du français régional présentées dans le Tableau
6, Lefebvre et Pooley observent tous les deux que [A] et [aR] sont des variantes
laboviennes classiques : elles sont employées plus par les sujets masculins que les
sujets féminins ; des graphiques de variation stylistique maintes fois dessinés
montrent un emploi plus faible en lecture qu’en conversation spontanée ; même
les taux d’usage correspondant au niveau d’études rentrent largement dans les
limites de la normale variationniste.
Dans une deuxième série d’enquêtes, réalisée entre 1995 et 1999, je me suis
penché sur les éventuelles différences de comportement et de perception entre les
Français12 et les personnes issues de l’immigration. Deux types d’investigation ont
été entrepris : premièrement, une étude de la prononciation des adolescents
fréquentant des établissements scolaires situés dans les zones les plus urbanisées
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de la métropole (Lille-Roubaix-Tourcoing) ; et deuxièmement, une enquête sur la
vitalité du picard pour l’ensemble de la conurbation lilloise. Le deuxième volet est
basé uniquement sur un entretien individuel, alors que dans la première partie, ces
entrevues faisaient partie d’une enquête qui comprenaient également des exercices
de lecture et des conversations de groupe spontanées.
Pour l’enquête sur la vitalité du picard, 172 élèves ont été interrogés dans 9
communes de la métropole qu’on pourrait classer selon les critères suivants :
(Figure 1).
• zones urbaines centrales (La Madeleine ; Marcq-en-Baroeul) et celles du
versant nord-est (Roubaix, Lys-lez-Lannoy)

14 L’emploi des termes désignant les origines ethnoculturelles est extrêmement délicat. Dans une
première version de ce travail, j’ai employé plusieurs fois le terme « Français de souche » sans
penser à ses connotations politiques. Étant donné le caractère problématique d’autres termes
comme « Franco-Français », « Français d’origine », « Gaulois » et « Blancs », je préfère utiliser
« Français » par opposition à «issu d’une immigration récente». Il s’agit en effet de sujets dont la
famille est française de langue et de culture à l’exclusion de toute autre appartenance
ethnolinguistique - sauf pour le picard bien entendu - depuis au moins trois générations. A titre
d’exemple, les descendants des immigrés belges du 19e siècle, dont les patronymes indiquent les
origines lointaines, seraient par ce critère totalement assimilés.

38
MÉDÉRIC GASQUET-CYRUS

• zones périurbaines (Cysoing ; Sailly-lez-Lannoy ; Bois-Grenier)


• zones rurales (Hantay ; Cappelle-en-Pévèle)
Le Tableau 8 montre la distribution des élèves issus de l’immigration qui se
trouvent à une très grande majorité dans les zones urbaines.
Tableau 8 - Commune de résidence et ethnicité
Type de commune (n) Proportion des Français
zones urbaines (86) 72
zones périurbaines (52) 96
zones rurales (34) 100

Au cours des entretiens, deux séries d’épreuves ont été proposées aux
élèves : premièrement, un test de connaissance de la langue picarde ; et
deuxièmement, un test d’identification de variétés. Le première série de 3 tests
(traduction picard-français ; traduction français-picard ; oral (invitation à dire
quelque chose en picard). Les tests confirment, si besoin était, la très faible vitalité
du picard, le score moyen étant de 22,1%. Par contre, compte tenu du niveau des
résultats, la différence entre les scores des Français et ceux des élèves issus de
l’immigration est significative (p<.01,Tableau 9).
Tableau 9 - Connaissance du picard et l’ethnicité
Français (146) Sujets d’origine étrangère (26)
23.8% 11.7%

Si l’on exclut les scores des élèves d’origine étrangère, ce sont ceux qui
résident dans les zones urbaines qui ont les meilleures connaissances du picard.
Les différences signalées dans le tableau 10 sont significatives (p<.01).
Tableau 10 - Connaissance du picard suivant la zone de résidence
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Type de Commune
Zones urbaines (62) 27.9%
Zones rurales (34) 24.8%
Zones périurbaines (50) 17.9%

La différence est accentuée si l’on sépare les zones centrales (25,5%) et


celles du versant nord-est (29,7%). Toutefois, on a l’impression que certains
élèves français des zones urbaines auraient inscrit un meilleur score si l’on leur
avait proposé une épreuve d’arabe, surtout en ce qui concerne le vocabulaire actif.
Contrairement au flamand il y a un siècle, l’arabe jouit d’une certaine cote de
popularité, parce qu’il est perçu comme une langue de jeunes et, qui plus est, a
l’avantage d’être inconnue de la plupart des enseignants. Pour certains jeunes
Français, l’arabe joue le même rôle que le patois pour leurs parents, celui d’une
langue intime qui permet des switchings qui servent, par exemple, de mots de
connivence et de soupape de sécurité émotionnelle.
L’épreuve d’identification des variétés fait ressortir des différences de
perception significatives entre les Français de souche et les sujets d’origine
étrangère. On a demandé aux sujets d’écouter six courts extraits de variétés de
picard et de les classer comme a) français ; b) patois ; c) langue étrangère. Les

39
ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

interrogés ont spontanément évoqué la notion de mélange. Les résultats sont


présentés dans le tableau 11 (a et b).
Tableau 11a - Épreuve de dénomination des variétés - sujets français (146)
Origine du locuteur français Patois autre Mélange
Lille (Simons) 21.2 (31) 55.5 (81) 12.3 (18) 11 (16)
Libercourt 19.2 (28) 62.3(91) 8.2 (12) 10.3 (15)
Roubaix 13 (19) 32.2( 47) 45.9 (67) 8.9 (13)
Cambrai 2.7 (4) 61.6 (90) 29.5 (43) 6.2(9)
Saint Pol-sur-Ternoise 7.5 (11) 70.5 (103) 14.4(21) 7.5 (11)
Belgique 1.4 (2) 7.5 (11) 87.7 (128) 3.4(5)

Tableau 11a - Épreuve de dénomination des variétés - sujets d’origine


étrangère (26)
Origine du locuteur français patois autre Mélange
Lille (Simons) 57.7 (15) 34.6 (9) 0 7.7 (2)
Libercourt 50 (13) 42.3 (11) 7.7 (2) -
Roubaix 34.6 (9) 30.8 (8) 26.9 (7) 7.7 (2)
Cambrai 38.5 (10) 46.2 (12) 15.4 (4) -
Saint Pol-sur-Ternoise 23.1 (6) 57.7 (15) 15.4 (4) 3.8 (1)
Belgique 7.7 (2) 19.2 (5) 69.2 (18) 3.8 (1)

Les résultats suggèrent que les Français ont plutôt tendance à classer une
variété sous la rubrique du patois ou sous celle de mélange, alors que les étrangers
disent percevoir beaucoup plus comme françaises des variétés que les Français
qualifieraient plus facilement de patois. Il se pourrait que dans la majorité des cas,
la culture d’origine (arabe, italienne) encourageait une plus grande tolérance de la
variation linguistique que la tradition française. Dans un petit nombre de cas, les
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sujets d’origine étrangère ont reconnu ne pas avoir entendu parler du patois, ce qui
les obligeait à opérer sur la base de deux catégories : variétés que j’ai l’impression
de comprendre (français) ; variétés que je ne comprends pas (ou langue
étrangère). Si l’on applique ces principes dégagés de cette étude contemporaine à
la situation des immigrés flamands du 19e siècle, l’on s’attend à une plus grande
tolérance de la variation dialectale de leur part que celle des Français. On peut
supposer tout au moins pendant un temps qu’ils avaient plus de chances de
considérer comme du français normal, des pratiques stigmatisées par la population
autochtone. Étant donné aussi qu’ils étaient nombreux à être regroupés dans
certains quartiers populaires, ils devaient fréquenter une proportion relativement
plus forte de Français dont le parler habituel comportait des marques
picardisantes, situation qu’Azouz Bégag (2000) qualifie d' «’enfermement
linguistique». La situation montre un parallélisme avec celle des banlieues
actuelles où les jeunes d' origine étrangère sont considérés comme les principaux
utilisateurs du verlan et d’expressions argotiques (Méla, 1988 ; Goudaillier, 1997 ;
Seguin et Teillard, 1996).
Est-ce que cette inventivité lexicale pour laquelle l’on attribue un rôle
principal aux jeunes issus de l’immigration peut être en mise en résonance avec
l’emploi des variantes phonologiques reconnues comme marques du français
régional ? Des trois corpus enregistrés (Marcq-en-Baroeul, La Madeleine et

40
MÉDÉRIC GASQUET-CYRUS

Roubaix) seul le premier a été analysé en détail. Le groupe enregistré à Marcq-en-


Baroeul était composé de 15 élèves de 4e, dont 11 Français (6 garçons, 5 filles) et
4 Maghrébins (2 garçons, 2 filles). Nés en France et ayant vécu toute leur vie dans
la région lilloise, les deux garçons maghrébins fréquentaient le collège Rouges-
Barres depuis le début de l’année scolaire (environ 4 mois), alors que les deux
filles nées au pays d’origine avaient suivi toute leurs études secondaires dans
l’établissement (2 ans et quatre mois). Au cours des entretiens, les garçons avaient
essayé de mettre en valeur leur style de vie à la française au point de renier leurs
compétences linguistiques et leur enracinement dans la culture arabe. Les filles,
par contre, ne pouvant pas renier leurs origines, avaient l’air de vivre avec plus de
sérénité le biculturalisme et le bilinguisme.

Si l’on demande l’avis de leurs enseignants sur les éventuelles différences


sur la façon de parler le français des élèves d’origine différente, l’on obtient
généralement deux réponses. Soit que leurs professeurs ne remarquent aucune
différence, soit qu’ils signalent que les élèves d’origine étrangère parlent un
meilleur français puisqu’ils ne reproduisent pas les « fautes » de français acquises
dans le milieu familial. Ce qui est peut-être vrai des traits syntaxiques et lexicaux
facilement repérables à l’écrit, ne s’applique pas forcément à la prononciation en
discours spontané. À certains égards, on remarque la perte de certains traits
régionaux chez tous les jeunes, notamment la (quasi-)disparition de
l’assourdissement des sonores en finale et du a dit avancé devant r.
Pourtant, l’approche labovienne permet de déceler des différences
significatives entre les deux catégories de sujets. Je me limite ici à deux traits
régionaux analysés par Lefebvre (1991) et Pooley (1996) : premièrement, le a
d’arrière et deuxièmement, un le o ouvert en syllabe entravée, par ex. [kçt] ‘côte’.
Tableau 12 - Emploi du a d’arrière et du o ouvert suivant le style
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Style [A] [O]
Lecture (liste de mots) 19% 39%
Lecture (textes) 18% 39%
Entrevue 24% 39%
Conversation de groupe 41% 53%

Il faudrait d’abord noter qu’il s’agit dans l’ensemble de variantes


sociolinguistiques plutôt classiques pour ce qui est du style (Tableau 12) et du
genre (Tableau 13). Le tableau 12 montre pour ces deux variables des différences
significatives (p<.01) entre les taux d’emploi des variantes vernaculaires en
conversation spontanée comparée aux trois phases (lecture de liste de mots ;
lecture de textes ; questions prescrites) de l’entrevue individuelle. Le tableau 13
montre également des différences de comportement entre les garçons et les filles ­
différence qui s’avère significative pour le o ouvert (p<.01).

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ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

Tableau 13 - Emploi de [A] et de [ç] suivant le sexe en conversation de


groupe
[A ] [ç ]
garçons 42% 60%
filles 40% 34%

Quand on compare la différenciation stylistique chez les deux groupes


ethniques, des écarts significatifs apparaissent (Tableau 14). Il faut noter d’abord
les taux de fréquence d’emploi de [A] nettement plus forts (p<.01) chez les
Français par rapport à leurs camarades maghrébins. Si par contre, les taux de
fréquence semblent indiquer que les groupes perçoivent la valeur relative des
variantes plus ou moins de la même manière, ce n’est pas le cas de [ç] pour lequel
la différenciation stylistique est inversée. Si l’on peut évoquer une éventuelle
confusion entre l’emploi régional d’un o fermé en syllabe ouverte non-finale, par
ex. [Ro˘Ze] ‘Roger’, chez les jeunes de souche maghrébine, force est de
reconnaître que les jeunes Français les départagent tout autrement.
Tableau 14 - différenciation stylistique et ethnicité
Français Beurs
Style [A ] [ç ] [A ] [ç ]
Lecture (liste de mots) 22% 30% 12% 77%
Lecture (textes) 19% 31% 12% 58%
Entrevue 26% 38% 14% 50%
Conversation de 51% 57% 21% 38%
groupe

Un nouveau recoupement des données permet de déceler une différenciation


significative chez les garçons d’ethnicité différente, alors que les filles
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manifestent des usages très proches pour [A] et bien moins différenciée pour [ç]
(Tableau 15).
Tableau 15 - emploi de [a] et de [ç] suivant le sexe et l’ethnicité
(conversation de groupe)
Français Beurs
sexe [A ] [ç ] [A ] [ç ]
garçons 57% 62% 14% 50%
filles 41% 39% 39% 27%

Il est indéniable que le degré d’insertion dans le groupe de pairs a une


incidence importante sur le comportement des jeunes. Les « Beurettes » bien
intégrées dans le groupe de filles manipulent la variante la plus saillante de
l’accent régional pratiquement comme leurs camarades françaises, alors les
« Beurs » récemment arrivés et moins bien intégrée ont un comportement bien
différencié en ce qui concerne ces traits régionaux. Les travaux de Labov et Harris
(1986) et de Labov (1998) qui évoquent le triomphe des variétés régionales aux
USA, montrent que ce sont surtout les Américains de race blanche qui emploient
les traits régionaux, alors que les Noirs utilisent soit un anglais standard ou ce

42
MÉDÉRIC GASQUET-CYRUS

qu’on appelle le Black English. Se peut-il qu’un phénomène comparable se


manifeste en France dans les milieux populaires ? L’on peut dores et déjà
démontrer que le comportement linguistique des Blancs des Rouges-Barres était
différenciable suivant leur indice de loyauté régionale - indice construit à partir
des trois questions suivantes :

1. Est-ce que tu aimes vivre dans le Nord ? (beaucoup ; assez ; pas trop ; pas du tout)
2. Comment trouves-tu les gens de la région ? (très sympathiques ; sympathiques, pas
très sympathiques ; pas sympathiques du tout).
3. Où est-ce que tu aimerais travailler dans des conditions identiques (Nord ; région
parisienne ; ailleurs en France ; à l’étranger).

L’indice calculé d’après la démarche suivante : 1) et 2) 1 point pour une des


réponses positives ; 3) 1 point pour le Nord, permet de déceler une différenciation
significative (p<.01) dans l’usage de [A] et de [ç] entre ceux qui ont un indice
élevé (3) ou bas (0 ou 1) (Tableau 16).
Tableau 16 - emploi de [A
A] et de [ç] suivant l’indice de loyauté régionale
(Français de souche uniquement - conversation de groupe)
Valeur ILR [A] [ç ]
élevé (3) 51% 65%
bas (0 ou 1) 45% 38%

Il n’est pas inutile en passant de signaler le manque de significativité entre


l’indice ILR et les scores dans les épreuves de picard chez les Français et
l’absence de valeur ‘élevée’ chez les jeunes d’origine maghrébine.
Souhaitant approfondir ce sentiment de loyauté régionale, j’ai voulu vérifier
s’il correspondait à des sympathies lepénistes comme c’était le cas dans les
résultats électoraux à partir de 1984, et dans les sentiments exprimés par certains
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sujets dans le corpus de 1983. Comme ce corpus a été recueilli à une époque où
l’on parlait déjà de l’élection présidentielle de 1995, j’ai pu me servir de questions
indirectes à propos du candidat Le Pen comme suit :

1. Pour qui est-ce que tu voterais lors des prochaines élections présidentielles ? (1
point si l’on répond Le Pen)
2. Qu’est-ce que tu penses des gens qui votent Le Pen ? (1 point pour une réaction
approbatrice)

Bien que cet indice Le Pen n’ait montré aucune corrélation significative ni
avec l’emploi des variantes régionales ni avec un score relativement élevé) dans
les épreuves de picard (la plupart diront heureusement), il demeure néanmoins
plausible que certains (jeunes) Français veuillent se différencier de ceux qu’ils
perçoivent comme des étrangers. Se pourrait-il que les Français qui nient toute
connaissance de l’arabe, alors que certains de leurs camarades ont intégré
quelques éléments de cette langue dans leur répertoire linguistique, emploient plus
les variantes régionales que leurs camarades qui montrent une attitude plus
positive à l’égard de cette langue de l’immigration. Si c’était le cas, ce serait une
manifestation à la française de phénomènes déjà documentés par des

43
ÉTUDE SOCIOLINGUISTIQUE D’UN QUARTIER : LE PROVENÇAL (« OCCITAN »)…

sociolinguistes aux USA et que je crois pouvoir observer en Grande Bretagne


mais sans en avoir entrepris une étude systématique.
ß CONCLUSION
Les deux cas étudiés indiquent qu’une présence étrangère aura des
conséquences non-négligeables sur la situation sociolinguistique d’une région. Il
faut bien entendu admettre que l’immigration flamande est étudiée avec tout le
recul que l’on peut avoir sur les événements du passé, alors que la présence
maghrébine est un phénomène récent et dont les difficultés sont encore vivement
ressenties par la population. Si l’on peut affirmer rétrospectivement que les
immigrés flamands ont été parfaitement assimilés et que leurs descendants font
partie des Français dits « de souche » actuels, tel n’est pas encore le cas même de
certains éléments de la deuxième génération de jeunes d’origine maghrébine. Les
Flamands en participant à l’urbanisation de villes comme Roubaix et Tourcoing ­
qui étaient des bourgs semi-ruraux au début du 19e siècle - ont sans le moindre
doute contribué à la dépicardisation des vernaculaires locaux, touchés par le
nivellement et la francisation à cause de ce brassage de populations. Il paraît donc
presque paradoxal que ce soient les quartiers où la population flamande était
nombreuse vers la fin du 19e siècle qui ont gardé une certaine réputation dans la
mémoire collective d’être des bastions du patois ; alors que les sources historiques
montrent clairement que l’on pratiquait des variétés plus démarquées du français
dans d’autres parties de la métropole.
Alors que toutes les sources disponibles suggèrent que le flamand était une
langue dévalorisée par rapport à toutes les variétés romanes, tel n’est pas le cas de
l’arabe même pour les Français, pour qui le picard ne représente plus grand-chose.
Pour certains d’entre eux, l’arabe occupe une place comparable dans leur
répertoire linguistique à celle du patois pour leurs parents. Alors que les Flamands
ont participé à l’urbanisation du territoire de la métropole, les jeunes issus de
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l’immigration plus récente se voient accuser d’avoir contribué à une certaine
« banlieusation » surtout dans les vieilles villes industrielles. En même temps, l’on
peut noter dans les milieux populaires une certaine résistance à ce qui est parfois
perçu comme une invasion et caractérisée entre autres par un certain renforcement
de l’emploi des variantes régionales. Si cela a déjà été noté aux USA par Labov et
Harris, il ne semblerait pas impossible que l’on puisse observer une manifestation
atténuée d’un phénomène comparable surtout dans les milieux populaires dans les
villes françaises. L’utilisation des variantes régionales à des taux comparables à
ceux de leurs camarades français, par contre, semble être un indicateur plutôt de
l’intégration au niveau local des jeunes issus de l’immigration.
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