Introduction À La Sociologie Générale
Introduction À La Sociologie Générale
Introduction À La Sociologie Générale
SociologieS
Découvertes / Redécouvertes
2009
Henri Janne
Introduction à la Sociologie
1
Générale
Présenté par Claude Javeau
Henri Janne
https://doi.org/10.4000/sociologies.2964
Résumés
Français English Español
Texte d’Henri Janne publié pour la première fois dans la Revue de l'Institut de Sociologie,
1951, n°3, pp. 345-392, et reproduit avec l’aimable autorisation de la revue.
Henri Janne’s text first published in Revue de l'Institut de Sociologie, 1951, n°3, pp. 345-392,
and published here with the kind authorisation of the journal.
Texto de Henri Janne publicado por primera vez en Revue de l'Institut de Sociologie, 1951,
n°3, pp. 345-392, y aquí publicado con la amable autorización de la revista.
Entrées d’index
Mots-clés : définition de la société, force sociale, histoire de la sociologie, pression sociale,
science des institutions
Keywords: definition of society, social fore, history of sociology, social pressure, science of
institutions
Notes de la rédaction
Les particularités typographiques (et les fautes dans les noms propres...) de l’original ont
été conservés. Pour consulter la présentation de ce texte, aller à :
http://sociologies.revues.org/index2958.html
Texte intégral
1 La première démarche qui s'impose à quiconque veut traiter d'une science, est
de définir, de délimiter aussi exactement que possible son objet.
2 La sociologie est la science qui a pour objet ce qui est social 2. Les sciences dites
« sociales » ou « humaines » se consacrent chacune à des catégories particulières
de faits humains, telles le Droit et l'Économie politique. La sociologie retient dans
ces faits humains leur aspect spécifiquement social. En l'occurrence, il s'agit donc
de définir le « social ». C'est un mot du langage courant, dont l'acception la plus
conforme à l'usage est « relatif à la société ».
3 Qu'entend-on par société ? C'est d'une manière générale la communauté
humaine plus ou moins complexe où l'on vit, où vivent les individus pris en
considération pour l'application du mot. Les hommes qui font partie d'une
société présentent cette caractéristique d'avoir entre eux des rapports
volontaires ou involontaires explicites ou implicites, réels ou potentiels ; ils sont
à quelque degré interdépendants et forment un groupe qui comporte
généralement des sous-groupes plus ou moins consistants et entremêlés par les
membres communs qu'ils comptent.
4 La sociologie a convenu d'appeler « société globale », ce groupe englobant les
individus dans leur ensemble sur une aire géographique déterminée. À ce point
déjà, des distinctions sont nécessaires.
5 La société globale est, presque toujours, recouverte, à notre époque, par la
société politique, ainsi que l'a montré l'École de Dürckheim. Toutefois, au sein de
cette société globale peuvent exister des sociétés partielles sans doute, mais
constituant pour leurs membres la communauté réelle, celle qui leur fournit les
normes implicites ou explicites de la vie et son style d'action, beaucoup plus que
la société territoriale définie par le phénomène politique.
6 Mais il y a aussi des institutions au sens le plus général du terme (citons parmi
elles la langue, la religion, la monnaie, les arts, les styles, les formes littéraires, les
techniques et les systèmes de connaissances) qui débordent très fréquemment
des sociétés territoriales politiques, s'étendent plus ou moins intensément à
d'autres communautés, avancent et se retirent. Ces institutions constituent dans
leur ensemble une civilisation, complexe de valeurs transmissibles et susceptibles
d'universalité. On réserve, d'autre part, aux phénomènes sociaux stabilisés des
communautés nationales 3 et ayant des traits propres à celles-ci, le terme de
culture, qui est action volontaire d'un peuple et dont les valeurs sont orientées,
non vers l'universalisation, mais vers la particularisation 4. Cette distinction
n'implique aucun jugement de valeur sur ces deux formes – d'ailleurs fort
entremêlées – d'intégration des phénomènes sociaux. La notion de symbiose
sociale d'Eugène Dupréel est un facteur explicatif de cet ordre de faits 5.
7 La définition de la société comme communauté d'hommes et de groupes
interdépendants et, en conséquence, du « social », pour être évidemment
conforme à la réalité des faits, n'en est pas moins élémentaire. Elle est tout
externe ; elle équivaut à une description de l'aspect extérieur de la société; elle ne
touche pas à son essence.
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***
22 Poussons plus loin notre analyse. Tout rapport entre hommes, s'il comporte, en
tout cas, un élément social, comporte aussi – et cela est reconnu depuis plus
longtemps – un élément psychologique. Ne nous lassons pas d'indiquer que le
rapport est social dans la mesure où la communauté y est présente, s'y manifeste
ou, si l'on veut, dans la mesure où le rapport, soit est fonction de la communauté,
soit agit sur celle-ci. Le rapport sera psychologique dans la mesure où il trouve sa
source ou sa signification dans l'état mental d'au moins l'un de ses termes pour
autant, bien entendu, qu'il ne s'agisse pas d'un état mental intégré dans le
« social ».
23 L'aspect social du rapport est principalement externe en ce sens qu'il prend
pied sur le comportement des termes, qui est une chose objective.
24 L'aspect psychologique du rapport est essentiellement interne ; c'est un fait
mental, prenant appui sur la physiologie des centres nerveux supérieurs et
spécialement le cerveau. Remarquons cependant que tout fait psychologique,
allant au-delà de l'élémentaire, est inconcevable sans le caractère relationnel de
la vie humaine. Il revêt en tout cas, des aspects purement subjectifs.
25 Tel acte dont le comportement objectif révèle des causes d'origine sociale,
apparaît psychologiquement à l'individu qui en est l'auteur, comme inspiré par
des motifs qui sont eux subjectifs. Toutefois la qualification de social ou de
psychologique sera attribuée par l'observateur à tel ou tel rapport humain, selon
qu'aux yeux de cet observateur, le social (externe) ou le psychologique (interne)
s'y trouve être plus marquant. Mais aucun rapport humain ne sera exempt de
l'un des deux aspects.
26 Jusqu'ici nous avons défini le « rapport social » en nous appuyant sur
l'importance de la société comme objet ou sujet du rapport, en opposition à tous
autres objets ou sujets. La différenciation à l'égard de l'élément psychologique
nous permet à présent de compléter cette définition. Sera « social » le rapport où
les aspects psychologiques ne sont pas particuliers au rapport considéré, mais
semblables dans tous les rapports de ce type ; on appellera donc « rapport
psychologique » celui où l'élément social est sans impact réel sur l'origine du
rapport, son aboutissement ou sa signification, celui donc où le jeu mental est le
trait dominant et revêt un aspect propre au rapport considéré. Sera donc
psychologique le rapport où le subjectif est plus spécifique que l'objectif, et
réciproquement, pour le rapport social.
27 Exemple de rapport « social » : le rapport normal et formel de subordination
dans une entreprise, d'un employé à l'égard du directeur.
28 Exemple de rapport « psychologique » : l'humiliation d'un convive qui s'est fait
prendre en flagrant délit d'erreur sur un point important d'une conversation de
type habituel à une table composée de gens de pleine égalité sociale.
29 Le premier exemple ne comporte pas de vraie réaction psychologique, mais
constitue l'expression d'un fait social important : la hiérarchie sociale. Ce rapport
ne deviendrait psychologique que dans la mesure où l'exercice de l'autorité du
chef prendrait un tour particulier, individualisé : dans le sens où, soit le chef
userait de sa position hiérarchique d'une manière anormale, soit le subordonné
dirait qu'il se sent « visé ». Le deuxième exemple est essentiellement un rapport
psychologique à trois termes : le convive qui provoque la constatation de
l'erreur, celui qui est « surpris » et dont l'état mental est « intense », les autres
convives qui sont témoins. Ce rapport ne prendrait un aspect social que s'il
pouvait apparaître comme une conséquence ou une modalité d'une opposition de
groupes ou comme un incident résultant de la « mobilité sociale » (accès à une
classe supérieure) ; dans notre hypothèse ce n'est pas le cas.
30 Est-ce à dire que, dans le premier cas, il n'y ait pas d'aspect psychologique et
dans le second pas d'aspect social? Non, sans doute – nous avons montré que
c'était impossible –, c'est le dosage qui permet la qualification.
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33 L'action des hommes est, à tout moment, déterminée par des causes ; elle est
dictée par des motifs ; elle est délimitée et canalisée par des conditions.
34 Dès 1908, le sociologue anglais Mac Dougall écrivait que le grand mal des
sciences sociales, c'est « le défaut d'une doctrine véritable des motifs
humains » 14. En dépit d'efforts qui ont incontestablement fait progresser la
question, on ne peut pas dire que la recherche psychologique et sociologique soit
arrivée à présenter en ce domaine un corps de doctrine qui ait été accepté par le
monde scientifique.
35 Sans avoir la prétention de définir ici ce corps de doctrine, nous croyons qu'il
est possible d'user des résultats acquis en ce domaine pour éclairer le problème
de la nature de la société.
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47 Passons à d'autres facteurs qui conditionnent l'action humaine : ce sont les lois
et règlements des États ou groupes sociaux détenant le pouvoir, c'est-à-dire la
force. De tels groupes « forts » – mobilisation de légistes, de scribes et de gens
d'armes – existent sans exception dans toutes les sociétés globales.
48 L'État que l'on confond souvent avec la Nation ou avec un statut juridique, est
sociologiquement un groupe social parmi d'autres : sa spécialité est de posséder
le monopole de la force et en conséquence d'établir un « ordre » et de le faire
régner.
49 Les groupes les plus archaïques comportent toujours, ne fût-ce qu'à un degré
très faible, une cristallisation de la souveraineté : c'est même le cas dans les clans
primitifs, qui se rapprochent le plus de l'état de solidarité mécanique décrit par
Dürckheim, où à l'état pur la souveraineté serait diffuse ; dans ces cas mêmes,
l'observation montre que le rôle des anciens ou de ceux qui « captent » le
« sacré », constitue un début de souveraineté.
50 Les lois et coutumes réglementaires sont sanctionnées par des peines diverses
dont l'application dans les sociétés organisées est rendue socialement probable
en cas d'infraction, par tout un appareil policier et judiciaire de répression. Le
rôle préventif du système, bien que les résultats en soient difficilement
évaluables à cause de l'aspect subjectif du phénomène, est probablement plus
important que le rôle répressif. Un gendarme placé bien en vue le long d'une
route agit sur un bien plus grand nombre de gestes d'automobilistes, que
l'amende occasionnelle qui concerne un seul cas. Toutefois, la publicité de
certaines peines relève de l'aspect préventif de l'action de la force publique et la
peine infligée à un automobiliste joue également, pour celui-ci même, un rôle
préventif d'infractions ultérieures. Tout cet instrument des institutions publiques
est en même temps préventif, éducatif, impératif et répressif. La souveraineté
plus diffuse dans les petites sociétés primitives et très « proche » en conséquence
de chaque individu, produit un contrôle étroit des actions, bien que le droit du
groupe ne soit pas codifié et que l'homogénéité de ces sociétés identifie les
aspirations des individus à celles du groupe. Cet état social correspond en même
temps à la « solidarité mécanique » de Dürckheim et à la Gemeinschaft – ou
société naturelle – de Tönnies.
51 Dans les sociétés modernes, le phénomène d'intervention de plus en plus
étendue de l'État tisse progressivement un réseau légal et réglementaire qui
canalise, limite et subordonne de plus en plus à autorisation l'action des
individus. C'est le règne de la « solidarité organique » de Dürckheim ou de la
Gesellschaft de Tönnies (société consciemment construite).
52 L'une des causes objectives du développement de l'interventionnisme est
certainement le progrès des techniques, qui accroît la division du travail (la
spécialisation) et donc l'interdépendance des individus. Celle-ci multiplie les
rapports où les uns sont dépendants des autres et, en conséquence, les frictions et
les déséquilibres temporaires que la fréquence des changements relatifs aux
moyens techniques tend à rendre de plus en plus nombreux. Les causes de
conflits et d'atteintes à des statuts sociaux particuliers sont une source de
sollicitation à l'intervention de l'État, en vertu de son office spécifique. L'individu
y cherche sécurité chaque fois qu'il est en cause et déplore la perte générale de
liberté chaque fois qu'il s'agit des autres. Dans les deux cas il a raison ; mais le
jugement de valeur entre la sécurité et la liberté n'est pas déterminant en
l'occurrence : ce n'est qu'une rationalisation des faits.
53 Cependant, l'État, même non démocratique, tient compte de l'opinion pour
établir lois et règlements. En démocratie, les techniques de représentation
populaire visent à conformer l'action de l'État à la volonté collective. Mais celle-ci
est quelque peu mythique : ce sont les pressions exercées par certains groupes
sociaux, à commencer par le groupe-État lui-même, qui la modèlent. Ceci ne
signifie nullement que la technique législative de la démocratie n'offre pas de
sérieux avantages. L'étude spécialisée de cet ordre de phénomènes – abstraction
faite des structures juridiques et politiques – est l'un des objets de la sociologie de
l'État.
***
54 Sans être issues, comme les lois et les institutions publiques, des œuvres du
« groupe fort », de nombreuses institutions sont préexistantes aux individus et
conditionnent, canalisent, dictent des actions à l'homme ou leur donnent une
forme homogénéisée et stylisée en quelque sorte.
55 Donnons comme définition de l'institution : toute règle, usage ou toute
structure ainsi que tous moyens destinés à les rendre effectifs, qui ont le double
caractère d'être prescrits et consciemment approuvés par un groupe social 15.
56 Ces institutions agissant sur l'homme peuvent également être définies selon
Abram Kardiner (The Psychological Frontiers of Society, New York, Columbia
University Press, 1945), comme les « systèmes fondamentaux d'intégration des
individus à la société » ; en 1939, il les présentait comme « les moyens par
lesquels l'influence spécifique de la société agit sur l'individu » 16.
57 Bien entendu, les institutions ainsi définies englobent les institutions émanant
de l'État; mais ici ce sont les autres que nous prenons en considération.
58 Les institutions politiques, religieuses, économiques, folkloriques, les mœurs et
les pratiques populaires (folkways) au sens de Sumner, les institutions
scientifiques, artistiques, sportives, de loisir, etc... enserrent l'homme dans un rêt
de statuts et d'usages qui sans être, dans la majorité des cas, sanctionnés par la
loi et la force publique, n'en sont pas moins de véritables moules d'action. La
sanction plus ou moins explicite de l'opinion des groupes intéressés ou de la
société globale dans son ensemble, suffit à plier la grande masse des hommes aux
institutions de leur milieu.
59 W.I. Thomas a bien montré qu'une des fonctions essentielles des institutions est
de « définir la situation » 17 dans le cadre de laquelle l'individu va agir. Cette
définition aura pour conséquence de mobiliser dans la conscience des individus
des types de motifs déterminés ou de les « colorer » d'une certaine manière. La
situation, selon Thomas, c'est un ensemble de valeurs et d'aptitudes auxquelles
l'individu ou le groupe a affaire dans un processus d'activité, et par rapport
auxquelles cette activité est organisée et son résultat apprécié.
60 Exemple : dans la situation capitaliste de l'Économie, l'homme à la direction
d'une entreprise tendra à réaliser des profits, car tel est, dans cette situation,
l'objet de l'entreprise et le critère de la position sociale de son chef. Dans une
situation économique de type socialiste, un homme à la direction d'une
entreprise tendra vers des objectifs techniques, abstraction faite du profit, et sa
« force sociale » dépendra des critères d'appréciation relatifs à ces mœurs de
production.
61 La psychologie de l'homo oeconomicus n'est pas une catégorie universelle de
l'esprit humain, ni d'ailleurs celle de l'homo socius, mais un « rôle
institutionnalisé » dans une situation déterminée. Ceci pour montrer combien la
caractérologie plonge ses racines dans le social et est encadrée dans une
typologie.
62 L'ensemble des institutions publiques et privées a pour effet de classer les
individus en une hiérarchie sociale. Comme l'a si clairement expliqué Eugène
Dupréel, chaque groupe social, dès qu'il est institutionnalisé, comporte un
« noyau » composé des individus qui constituent habituellement les termes
complémentaires des rapports entre les autres membres du groupe. Ceci, bien
entendu, dans la mesure où ces rapports sont relatifs au groupe considéré.
63 Ces offices de complémentarité ont régulièrement pour conséquence
d'accroître la force sociale, c'est-à-dire la capacité d'influencer, des individus qui
s'y trouvent spécialisés 18. C'est ainsi que les fonctions agglomérées dans les
noyaux compte tenu de la puissance des groupes sociaux considérés, sont la
source de la hiérarchie sociale et la cause de la formation des classes sociales 19.
64 La position que les individus occupent dans la hiérarchie sociale, et leur
appartenance à une classe sociale, influent considérablement sur leur niveau de
vie, leurs moyens d'action, leur équilibre physiologique et nerveux, leur liberté,
leur indépendance, leur manière d'être, de vivre et de parler, leur
individualisme, la nature de leurs connaissances et de leurs idéaux politiques et
moraux, leurs jugements de valeur, leur capacité de disposer des choses et d'agir
sur leurs semblables. C'est un facteur essentiel de limitation, d'orientation et de
« coloration » de l'action des hommes. Il délimite même l'aire de leurs rapports
sociaux libres qui sont soumis à la servitude de la « distance sociale », laquelle
est, pour reprendre la définition de Mac Iver « l'obstacle aux relations libres
entre individus qui naît de leur appartenance à des groupes regardés comme
supérieurs et inférieurs » 20.
***
65 Après la transition des règles édictées par le groupe fort et de la contrainte des
institutions non sanctionnée par la loi, nous abordons un autre ordre de
conditions et de causes de l'action humaine.
66 Une notable partie de ces actions ne comporte pas de choix. Le fait de se rendre
chaque jour au lieu de son travail ou de prendre les repas habituels de la
journée, inclut une telle part d'automaticité que la pensée peut presque
complètement en être libérée. Les choses ne changent que si un incident vient
rompre la routine quotidienne.
67 L'automatisation est d'ailleurs un moyen de toute éducation. Nous y
reviendrons.
68 Autre aspect – négatif celui-là – de l'absence de choix dans les actions
humaines. L'homme qui se dit, se croit et, ajoutons-nous, est jugé par son milieu,
le plus indépendant de caractère, ne se permettra pas de se rendre régulièrement
à son travail – supposé, bien entendu, qu'il s'agisse d'un travail se déroulant dans
un milieu social – en costume insolite : disons en chlamyde à la grecque, avec des
sandales. Il y a, dans chaque milieu, les choses « qui se font » et celles « qui ne se
font pas » : l'obligation ou l'interdiction est plus ou moins rigoureuse ; elle tend à
l'instauration progressive ou au relâchement qui annonce la désuétude.
Certaines créent des automatismes conscients, comme le serrement des mains ou
le salut dans certains milieux. Il y a la coutume et il y a la mode. Il y a les formes
qui s'imposent à certains actes. Le langage courant dit que telle chose a été faite
« dans les formes » ou non. Voilà une expression qui porte loin au point de vue
sociologique.
69 Au-delà des convenances il y a les symboles, cette algèbre sociale, ces signes,
qui ont la même signification tacite pour tout un milieu. Le langage par lui-même
impose à l'esprit une structure de raisonnement, des images, des significations,
des relations entre les choses, des clichés, qui sont en fait jugements de valeur
collectifs. C'est parfaitement évident pour les formules, par exemple de politesse.
Que dire des clichés descriptifs de la nature et des figures de style qui
parviennent à remplir des traités ? 21
70 Quand le milieu est homogène, « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas » est
pratiquement et automatiquement respecté par tous. Quand le milieu est
hétérogène et complexe, s'entrecroise, comporte des groupes multiples avec des
membres communs, ces obligations et interdictions sont plus nuancées. Il
n'empêche que sur l'action de chacun elles se traduisent par une « pression
sociale » plus ou moins impérative, mais réelle.
71 Ici notons avec G. Gurvitch que plus le social est intense et fort, moins il est
oppressif et extérieur 22. Dans ce cas, en effet, l'aspiration individuelle vient se
confondre dans l'impératif social. Le processus de l'éducation tend à intérioriser
la contrainte sociale de manière à intégrer la fonction de contrôle social à
l'individu et à transformer la contrainte extérieure en self control.
72 L'intériorisation peut être si complète que l'influence sociale n'est plus
ressentie comme telle par l'individu qui en reste inconscient ; ignorant la source
de certaines de ses actions il en rationalise les motifs sur le plan subjectif. C'est
dans ce sens que Dürckheim, dans un compte rendu du livre de Labriola relatif à
la "Conception matérialiste de l'Histoire" 23 pouvait déclarer féconde « cette idée
que la vie sociale doit s'expliquer non par la conception que s'en font ceux qui y
participent mais par des causes profondes qui échappent à la conscience ».
73 Soulignons que dans les sociétés modernes complexes, la pression sociale a,
pour chaque individu, autant de sources que de groupes, institutionnalisés ou
non, auxquels il appartient en fait ou par choix personnel.
74 C'est ici que seront précieuses les analyses dupréeliennes au sujet de l'action
des groupes sur les individus. Importante est la constatation, en effet, selon
laquelle la participation au groupe en rend les membres plus semblables entre
eux 24. Ajoutons que chaque groupe, au moins implicitement, offre à cette
homogénéisation un « modèle culturel » 25.
75 Nous entendons bien que l'on va opposer à la thèse de la « pression sociale » de
nombreux exemples de non-conformisme. Et en effet, il est, dans les groupes
sociaux, des « survenants » dont la force sociale ne parvient à s'accroître que par
des manifestations, généralement collectives, de non-conformisme. Mais ici, nous
devançons l'analyse du jeu de la force sociale (voir p. 379). Toutefois, dans un tel
« non-conformisme », il y a très souvent un conformisme rigoureux : c'est, par
exemple, la loi du snobisme et des « styles révolutionnaires », Leur rigueur est
nécessaire pour qu'ils s'affirment.
76 Anticipons ici sur notre analyse des rôles sociaux (voir pp. 369 et 370). Dans
beaucoup de groupes, il y a une place pour des rôles non-conformistes,
cependant strictement limités, dans le sens où les bouffons pouvaient manquer
au respect du Prince. Il y a là un phénomène social profond, qui mériterait une
analyse spéciale. Il conviendrait de le rapprocher de faits comme les Saturnales
de la Rome antique : tout se passe comme si les schémas psychanalytiques
pouvaient s'appliquer au collectif.
77 L'ordre de phénomènes que nous venons d'évoquer a donné lieu à des analyses
convergentes de nombreux sociologues d'écoles fort diverses. Sans doute, ces
analyses se réfèrent-elles à des aspects parfois très différents de ces phénomènes,
mais ce qui compte, c'est leur concordance générale. Il est particulièrement
intéressant de noter comment les sociologues les qualifient. Lee Bernard,
sociologue américain, reconnaît des « systèmes de signification » élaborés par le
corps social. Remarquons que même si, en fait, les perceptions subjectives des
individus sont différentes les unes des autres, ce qui importe au point de vue
social objectif, c'est que les images portées par le « véhicule » standardisé du
langage soient suffisamment semblables pour conduire à des réactions
attendues.
78 Déjà Auguste Comte parlait de « consensus social », amorce de ce genre de
conceptions. O. Litterer, encore un Américain, crée le terme « stéréotypes ».
Charles Blondel emploie le terme « clichés affectifs ». Espinas, un autre Français,
lance l'expression « moules préétablis », tandis que Lévy-Bruhl parle de « pré-
liaisons ». Dürckheim use de l'expression « représentations collectives »
beaucoup plus large dans son acception. Dans le même ordre d'idées, on
relèverait les « formes sociales d'interaction » de Simmel et la notion de
« comportement collectif » du sociologue américain Park. F. E. Lumley intitule
d'une manière caractéristique une étude : "Slogans as means of social control"
(1921). Beaucoup de sociologues américains emploient le mot pattern (patron)
pour exprimer que nos actes et représentations se conforment en grand nombre
à des « patrons sociaux » ou « formes sociales »; citons Thomas, Znaniecki,
Chapin, Ruth Benedict, R. MacIver, J. M. Blackburn, E. Sapir. Ils parlent
fréquemment de « patrons de culture » ou de « civilisation » 26.
79 Lévy-Bruhl relève que la cause des inventions réside moins dans l'initiative
propre de l'inventeur que dans la société dont il exprime la tendance ou satisfait
le besoin 27. Znaniecki soutient que la connaissance scientifique est en partie
fonction de la situation sociale des chercheurs et de l' « attente du public » 28.
80 Ici ajoutons une remarque capitale faite par Ernest W. Burgess au sujet de la
recherche en matière sociale : le chercheur ne fait pas qu'observer sa société, il
en est le produit. Il projette plus ou moins consciemment sur ses études les
valeurs et les préjugés qui lui viennent du milieu qui l'a formé. L'équation
personnelle du chercheur serait presque impossible à dominer dans les sciences
sociales 29. Au fond c'est une question de méthode et les faits démontrent que
l'objectivité peut être atteinte en sciences sociales, mais des précautions
particulières sont indispensables.
81 On peut aussi rapprocher des « formes » de la pression sociale les
« archétypes » de Jung, qui sont les images ancestrales constitutives de
l'« inconscient collectif » ; la psychanalyse est ici considérée d'un point de vue
social.
82 Ellsworth Faris souligne la force irrésistible de certains « modèles culturels »
même en opposition avec des instincts ou des impulsions jugés fondamentaux,
tels que l'instinct de conservation, la faim, le désir sexuel, la défense de l'intégrité
physique ; des modèles culturels, en effet, aboutissent normalement à obtenir des
membres de certains groupes sociaux, la mort volontaire, des mutilations
volontaires, le célibat, l'abstinence sexuelle et le jeûne volontaire 30.
83 Von Wiese insiste sur la notion d'« étalons du groupe » (ce qui signifie « échelle
conventionnelle de valeurs ») 31, Halbwachs, de l'école française, montre que la
mémoire a des « cadres sociaux » 32.
84 Talcott Parsons prend comme l'une des bases de sa théorie sociologique
systématique le point de vue suivant « l'aspect essentiel de la structure sociale
repose sur un système d'attentes normatives définissant le comportement
approprié de personnes jouant certains rôles – nous reviendrons sur ce point –,
expectations renforcées à la fois par les mobiles positifs individuels poussant au
conformisme, et par les sanctions des autres » 33.
85 On demande souvent si la sociologie générale est arrivée à dégager, comme les
sciences de la nature, des vérités scientifiquement admises. Nous pensons que les
études convergentes que nous venons de citer permettent de conclure à la réalité
de la « pression sociale » et en apportent, dans leur superposition, une analyse
générale et une définition satisfaisantes. Ce qui manque encore d'essentiel –
reconnaissons-le – en ce domaine, c'est une terminologie conventionnellement
admise.
86 Quoi qu'il en soit, nous retenons que la pression du milieu social est cause de
nombreuses actions humaines, qu'elle crée dans le domaine de ces actions des
automatismes conscients et, dans des cas certainement très nombreux, donne à
des actions dictées par d'autres causes, une « forme » qui les socialise en quelque
sorte, les rend assimilables par le groupe social et les y pourvoit d'une
signification. Duprat a dressé un remarquable tableau des formes multiples de
contraintes sociales 34.
87 Nous avons utilisé l'expression « pression sociale » là où de nombreux
sociologues ont adopté les termes de « contrôle social ». Mais l'acception varie
sérieusement des uns aux autres ; d'autre part l'appellation est d'origine anglo-
saxonne : or social control signifie « domination » ou « pouvoir » social, alors que
« contrôle social » devait signifier en français « vérification » ou « surveillance »
sociale. Il y a là une équivoque terminologique, déjà reconnue par G. Gurvitch, et
une source de malentendus 35. Même dans son acception anglo-saxonne nous
trouvons l'expression inadéquate : le « pouvoir » social ne recouvre pas certains
aspects marginaux du phénomène considéré ; la « pression sociale », avec ou
sans pouvoir réel, avec ou sans réelle domination comme dans le cas des
« potins » et « commérages » même non malveillants, exprime beaucoup mieux le
sens du phénomène et son étendue : une « pression », non toujours un
« pouvoir », une « domination ».
88 Ceci dit, rappelons que l'analyse du « contrôle social » a été faite par plusieurs
sociologues américains – parmi les plus marquants – qui lui ont consacré des
études très fouillées. Il y a notamment E. A. Ross (Social Control A survey of the
Foundations of Order, New York, Macmillan Publishing Company, 1901) ; W.G.
Sumner (Folkways. A Study of the Sociological Importance of Usages, Manners,
Customs, Mores, and Morals, Boston, Ginn and Company Publishing, 1906 ; avec
A.G. Keller: The Science of Society, New Haven, Yale University Press, 1927) ; F.M.
Giddings (The scientific study of Human Society, Chapel Hill, The University of
North Carolina Press, 1924) ; Ch. Horton Cooley (Social Process, New York, Charles
Scribner's Sons Publishing, 1918; 2° éd. 1927) ; .P.E. Lumley (Means of Social
Control, New York, Century Publishing Company, 1925) ; Jerome Dowd (Control in
Human Societies, New York, D. Appleton-Century Publishing Company,1936) ; L.L.
Bernard (Social Control in its sociological aspects, New York, The Macmillan
Publishing Company, 1939) ; Paul H. Landis (Social Control; Social Organization
and Disorganization in Process, Chicago, Lippincott Publishing, 1939). Ajoutons à
cette liste G. Gurvitch dans son étude "Le Contrôle social" 36. Sans l'adopter
comme nôtre pour la « pression sociale », nous citons la définition de Gurvitch 37
pour donner une idée globale du phénomène sous son aspect fonctionnel : « Le
contrôle social peut être défini comme l'ensemble des modèles culturels, des
symboles sociaux, des significations collectives, des valeurs, des idées et des
idéaux, aussi bien que des actes et des processus qui les saisissent et les
appliquent et par lesquels chaque société globale, chaque groupe particulier,
chaque forme de sociabilité et chaque membre participant, surmontent des
antinomies, des tensions et des conflits qui leur sont propres, par des équilibres
temporaires et instables, en trouvant ainsi des points de repère pour des efforts
nouveaux de création collective ».
89 Sans nier ce rôle de la pression sociale, nous croyons qu'elle tend surtout à
conserver dans le groupe social des types d'action spécifiques au groupe; celui-ci,
en effet, ne peut se maintenir que par différenciation avec les autres groupes et
en assurant la répétition des actions qui tendent à la réalisation de son objet.
Surmonter des antinomies, des déséquilibres et des conflits, n'est qu'un aspect
particulier d'une tendance générale.
***
***
106 Parmi les actes automatisés ou répétés consciemment sans choix, il en est dont
la cause réside dans un libre choix antérieur. En effet, l'un des processus les plus
évidents de l'adaptation individuelle au milieu consiste à créer en soi-même des
automatismes ou des répétitions d'actes conscients, propres à assurer une
insertion heureuse dans l'ordre social.
107 L'individu se forme, à mesure que des choix d'actions se présentent à lui, une
manière de « code personnel ». Il s'agit du point de vue individuel, de valeurs
acceptées, correspondant, dans la pratique sociale, à des réactions qui
deviennent avec le temps de plus en plus automatiques ou immédiates. Ainsi
donc, la cause de nombreuses actions réside dans des choix antérieurs :
l'automatisation et l'immédiateté qui en résultent dans l'action, deviennent à leur
tour cause pour tous les cas similaires ultérieurs ; c'est donc, à ce stade, une
cause où la volonté de l'individu n'intervient pas. Ce que nous appellerons les
« choix surmontés » finit par constituer une manière de bagage de réactions
« données », d'attitudes « préexistantes » pour chaque individu. Si l'on ajoute que
la pression sociale joue en faveur de la « cohérence » des attitudes de chaque
membre du groupe et favorise donc un processus d'auto-imitation, nous voyons
que même l'acte du choix s'encadre, à des multiples occasions de la vie, dans la
partie de l'action de l'homme qui se développe en fonction du social. Cette
cohérence, demandée et favorisée par le milieu social, fait que les attitudes qui
en résultent sont conditionnées par les attitudes de l'individu dans le passé. Ainsi
chacun se fait – plus ou moins consciemment – dans la vie sociale un
« personnage » et y joue un « rôle » dont le texte et les jeux de scène sont
« attendus » par le milieu. Prenons un exemple familier : quand Kamiel
Huysmans intervient dans un entretien, on attend de lui un aphorisme cynique à
l'emporte-pièce, paradoxal dans la forme mais frappé au coin du bon sens quant
au fond. Et sans doute se croit-il quelque peu obligé d'en fournir un. Ce n'est pas
par simple hasard que le mot « personne » dérive de persona, mot latin signifiant
étymologiquement « amplificateur du son », désignant le masque de théâtre qui
représentait dans le drame antique, un personnage stéréotypé. La cohérence
d'ailleurs – Eugène Dupréel l'a clairement montré dans son Traité de Morale – est
en soi, une « valeur morale » reconnue par la société. On y retrouve la notion de
« fermeté de caractère » si universellement appréciée que, trouvée chez un
malfaiteur cohérent dans son code antisocial, elle fait un thème fréquent de la
littérature, du théâtre et du cinéma. Dans la vie chacun finit par jouer son rôle et
ce rôle devient pour l'action de l'individu un pattern, une « forme », dont la
nature sociale est bien évidente. Ce rôle comporte des variantes importantes
selon les groupes où est inséré l'individu ; on peut même dire que celui-ci dans la
majorité des cas est titulaire de plusieurs rôles, mais dans un seul « emploi » au
sens de la technique théâtrale. Ces rôles sont formés de l'accumulation de choix
« surmontés » par l'individu, choix qui, avec le temps, deviennent de plus en plus
limités à mesure que « l'emploi » de l'individu se définit mieux. L'individu finit
par savoir que, dans telle circonstance donnée, on « attend » de lui telle réaction
ou tel type de réaction.
108 Remarquons que certains petits groupes d'hommes, groupes permanents et
consistants, ont dans la civilisation occidentale en tout cas, un « style » qui se
caractérise par l'existence de divers rôles dont au moins quelques-uns doivent
être tenus par des participants pour que le groupe prenne aux yeux de ses
membres sa pleine valeur. L'escadrille d'aviateurs, l'équipe de pionniers, la classe
d'internat « attendent » que certains rôles soient joués le « cabochard », le
« philosophe », 1'« ancien, vieux de la vieille », le « bleu attardé », le « dur au
cœur d'or », etc. Ces rôles ont chacun leurs jeux de scène et leur type de texte.
Ceux qui les prennent, subissent, dès lors, une « pression sociale » qui assure leur
cohérence psychologique et leur auto-imitation. Il y a donc des « cadres
psychologiques sociaux » dans chaque milieu : les hommes s'y insèrent et leurs
actions en sont dès lors dépendantes. Quel type, dit-on, de quelqu'un… Il s'agit
d'un homme qui a bien composé et bien appris son rôle. Il n'est pas toujours si
facile de s'y tenir ; ce rôle est souvent une prison psychologique, mais c'est une
source de force sociale pour l'acteur.
109 Selon Talcott Parsons dans l'étude que nous avons déjà citée 41 : « Le rôle est un
concept qui relie l'agent en tant qu'unité psychologique de comportement à la
structure proprement sociale ». Et celle-ci n'est qu'« un système de relations
modèles entre des agents capables de jouer des rôles les uns à l'égard des
autres ». Ralph Linton a appliqué spécialement cette conception à sa Study of
Man 42. Il montre que dans un système d'actions sociales, l'individu ne participe
pas aux relations en y mettant toute sa personne : il n'y consacre qu'un aspect
limité et différencié qui ne forme qu'un « secteur » de son action totale. En
d'autres termes, ceci confirme que dans une société complexe, l'individu tient
plusieurs rôles différents dans des structures différentes. Pour MacIver 43, il s'agit
d'un « système de valeurs incorporé dans la personnalité et qui trouve son
expression partielle, variable et se présentant sous tel ou tel aspect, dans la suite
des comportements ».
***
110 Jusqu'ici, nous avons pris l'homme dans la société comme un « donné », qui, au
moment considéré, réagit au milieu. Ce milieu se décompose en facteurs naturels
transformés cumulativement à l'intervention des générations humaines
antérieures et en hommes vivants qui sont réunis en groupes sociaux.
111 Mais déjà notre analyse des « choix surmontés » et des « rôles sociaux »,
montre que ces réactions ne résultent pas de causes individuelles premières, de
« motifs », mais sont elles-mêmes la conséquence des réactions antérieures de
l'individu, comme le sens commun s'en serait d'ailleurs douté.
112 Voyons à présent comment l'action de l'individu se trouve être déterminée,
d'une manière générale, par le passé biologique : l'individu n'est pas, en effet, un
« donné » ; il n'est pas premier. Il est issu biologiquement d'ancêtres et, dès sa
naissance, a subi la formation de l'éducation familiale et, ensuite, de l'éducation
scolaire, ainsi que la « pression sociale » qui revêt évidemment des aspects
particuliers à l'égard des « jeunes » c'est-à-dire des « survenants ». Remarquons
que l'on est « survenant » au cours de sa vie, chaque fois que l'on entre dans un
groupe social nouveau : mais les groupes où un homme doit entrer normalement
selon les habitudes d'un milieu social déterminé, deviennent de moins en moins
nombreux avec l'âge. Dans la société, l'individu perd progressivement son
caractère de « survenant » pour devenir un homme « installé ».
113 La question qui se pose d'abord est la suivante : qu'apporte le nouveau-né
comme facteurs psychologiques innés qui agissent sur son comportement dans la
vie? Ou encore quelle est l'influence de l'hérédité sur le comportement humain ?
114 La transmission héréditaire de certains traits somatiques particuliers est un
fait. Mais l'homme hérite-t-il biologiquement d'impulsions, de tendances,
d'inclinations, de résidus, d'instincts qui, inscrits dans sa psychologie, dicteraient
certains de ses actes d'une manière automatique ou, du moins, dans certains
domaines, pèseraient sur son action et l'orienteraient dans une direction
prédéterminée ?
115 Une réponse affirmative à cette question a été donnée par de nombreuses
théories dites instinctives ou qui expliquent l'action humaine par des facteurs
biopsychologiques auxquelles on peut annexer la théorie des « résidus » de
Vilfredo Pareto.
116 D'abord, constatons que la définition de l'instinct, mis à part le caractère de
transmission héréditaire, n'a jamais été formulée de façon vraiment satisfaisante.
117 On parle d'instinct de conservation, mais n'est-ce pas un caractère propre à
tout organisme vivant d'essayer, avant tout, de rester en vie ? Ce prétendu
instinct se traduirait aussi bien dans la mouche qui se débat frénétiquement au
milieu d'une toile d'araignée que dans l'homme qui, menacé de noyade, se débat
dans un cours d'eau. On parle d'instinct sexuel, mais ne faut-il pas plutôt
assimiler la tendance qu'il exprime à un besoin physiologique, tel que la faim ?
Va-t-on cataloguer la faim parmi les instincts transmis héréditairement ?
118 Sans doute constate-t-on dans certaines familles que les hommes de deux ou
trois générations successives y ont, non seulement, par exemple, le nez busqué et
le menton court et droit, mais que certains traits psychologiques leur sont
communs, par exemple, une propension à la dissipation des biens, une tournure
d'esprit ironique, le goût du risque, de la dureté envers les inférieurs, de la
désinvolture à l'égard des femmes, certaines façons de réagir aux mêmes
événements. Oui, mais comment montrer que ces traits psychologiques n'ont pas
été implantés par le milieu, par l'éducation, par un souci de cohérence et de fierté
des descendants, par le désir de forger une tradition ? Du moins, comment
séparer l'acquis de l'inné ? Il faudrait, pour trancher la question, agir
expérimentalement sur un grand nombre de cas, en séparant radicalement des
enfants de leurs parents depuis la naissance jusqu'à l'âge de la maturité et en
étudiant systématiquement avec précision les réactions des parents aussi bien
que celles des enfants ; les résultats devraient, dans la mesure du possible, être
traduits en statistiques. C'est que la matière humaine ne peut que très rarement
être mise dans les conditions de l'expérience : les sciences sociales ne peuvent
être expérimentales, elles sont essentiellement d'observation et, dans certains
cas, celle-ci ne peut se faire d'une manière adéquate aux problèmes posés.
119 En tout cas, il n'y a pas de transmission assurée, puisque tant de fils ne
paraissent rien avoir des traits de caractère de leurs ascendants connus. Je dis
« ne paraissent », parce que certains traits peuvent trouver psychologiquement
des traductions multiples, voire apparemment divergentes, quant à leurs effets
dans le domaine de l'action. La science n'a pas encore tiré tout cela au clair, bien
que beaucoup de psychologues y aient consacré leurs efforts...
120 Il y a un fait quantitatif qui montre que la transmission d'une manière pure de
traits héréditaires est généralement improbable. Selon l'opinion vulgaire chacun
de nous remonte à un couple d'ascendants identifiables à quelque époque : tel se
vante de remonter à tel ancêtre illustre plus ou moins ancien (certains vont
jusqu'aux Croisades). La coutume des arbres généalogiques donne, en effet,
l'impression que d'un couple originel comme d'un tronc, s'épanouissent, par
branches, les descendants. Il est assez normal d'imaginer que ce soit toujours la
même sève – disons le même sang – qui alimente les rameaux et y infuse ses
qualités. Or, en fait, les arbres généalogiques décrivent symboliquement des
transmissions de noms et de droits ; ils ne sont pas une image biologique
adéquate. Les faits sont précisément inverses, ce n'est pas un couple du siècle de
Louis XIV qui finit par compter de nombreux descendants en 1950, mais un
individu d'aujourd'hui compte à coup sûr au Grand Siècle, de l'ordre de 1.000
ancêtres. En effet, cet individu a 2 géniteurs, qui en eurent 4, lesquels en eurent
8, lesquels en eurent 16 et ainsi de suite, ce qui fait 1.024 à la 10e couche
d'ascendants, au siècle de Louis XIV. C'est que les arbres généalogiques omettent
l'ascendance de tous les conjoints par alliance. Bien entendu, les branches
s'entrecroisent à l'envi puisque la population était beaucoup moins nombreuse
en 1700 qu'à présent. Dans un tel mélange, les caractères psychologiques et ce
dans la mesure certaine, mais imprécisée, où ils se transmettent, doivent se
combiner, se neutraliser, interférer les uns avec les autres. L'image généalogique
n'est pas celle d'un arbre, mais d'un fleuve aux innombrables affluents ; l'eau en
charrie les alluvions les plus diverses. Si la génétique permet de dégager
certaines conclusions purement biologiques 44, il est loin d'en être ainsi au point
de vue psychologique.
121 Autre aspect, la tendance humaine à l'imitation est un fait, dès l'enfance. Est-ce
à dire qu'elle soit donnée par l'hérédité ? Non car tout le principe de l'éducation,
dès le plus jeune âge, consiste en une pression de tous les instants pour que
l'enfant imite ses aînés. Dès l'origine, l'enfant s'aperçoit que l'imitation réussie
entraîne les avantages de l'approbation et que la différenciation délibérée ou le
refus d'imiter entraînent répression, privation (quand ce ne serait que de
tendresse) et pleurs. L'imitation ne serait-elle pas acquise intégralement par le
milieu, par la « pression sociale » ? N'est-elle pas le processus même de
l'adaptation au milieu social ?
122 Évidemment, il serait audacieux et disons-le, même erroné, d'affirmer que
toute part de transmission héréditaire de traits mentaux doive être exclue. On
pourrait même – dans un esprit évolutionniste – avancer l'hypothèse selon
laquelle un instinct tel que celui d'imitation serait d'origine sociale mais
progressivement inscrit dans l'espèce et à la longue transmis par l'hérédité. Dans
l'état actuel de la science, il ne paraît pas possible de trancher.
123 Ajoutons que les explications fournies par les théories instinctives sont
pauvres.
124 En quoi importe, par exemple, de postuler – fût-ce vrai – un instinct
d'acquisition ? Cela n'explique en rien pourquoi les formes de la propriété sont si
différentes dans l'espace et dans le temps et comment elles évoluent. Or c'est cela
justement qui importe à la sociologie 45.
125 Il y a plus grave. L'explication instinctive constitue trop souvent une pétition de
principe. L'homme, dans le temps et dans l'espace, révèle-t-il généralement une
propension à la religion, c'est donc qu'il a un instinct religieux. La proposition
revient au fond à ceci : « L'homme est un être religieux parce qu'il a un instinct
religieux ». De même, l'homme imite ses semblables ; il a donc un instinct
d'imitation. Et ainsi de suite. Opium facit dormire quia est in eo virtus dormitiva
cujus est natura sensus assupire. Nous ne sommes pas plus avancés que le
médecin de Molière...
126 Comment s'étonner dès lors que les théoriciens de l'instinct donnent les
nomenclatures les plus diverses des tendances instinctives ? Si Mac Dougall a
élaboré la théorie instinctive la plus classique au point de vue de la psychologie
sociale, on en trouve beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'énumérer. Et ceci
sans compter des sociologies de type nettement instinctif mais qui s'avouent
moins ouvertement, telle la théorie des « résidus » de Vilfredo Pareto ou celle des
« four wishes » de W. I. Thomas.
127 Que faut-il retenir de tout cela ?
128 Il y a un fait : de même que l'homme a des caractères somatiques propres à son
espèce, il est un être social. La préhistoire, l'histoire, l'ethnologie, l'observation de
tous les donnés humains dont dispose la science, concordent à affirmer que l'être
humain, de même que, par exemple, les fourmis, vit en société. Il est évident que
sa psychologie doit nécessairement être en harmonie avec ce donné et qu'ainsi
elle doit se transmettre de génération à génération, comme les caractères
somatiques spécifiques. Ce qui est héréditaire, ce qui est « donné » dès la naissance,
c'est un état psychique propre à assimiler le comportement adaptatif à la vie en
groupe. Cela c'est le minimum philosophiquement nécessaire. Nous pouvons
accepter aussi comme très probable que cet état psychique ne reste pas fixe dans
le temps et que des phénomènes analogues à ceux de la préadaptation et de la
coaptation si bien analysés par Lucien Cuénot pour l'évolution biologique,
doivent jouer en matière psychique. Veut-on qualifier d'instinctive la tendance
psychique héréditaire à l'adaptation sociale? Nous pensons que l'appellation est
adéquate. Veut-on ajouter qu'elle doit comporter une part de prédétermination
dans les inclinations fondamentales à l'agrégation, à la sympathie, et à
l'imitation ? Nous y acquiesçons comme à une quasi-certitude, mais sur ce
terrain, il sera naturellement impossible de séparer l'inné de l'acquis par
l'éducation et par la pression sociale.
129 Cette position générale qui tend à limiter strictement la valeur de la théorie de
la transmission de caractères psychologiques héréditaires ne signifie pas que les
nouveaux-nés n'aient pas de caractères innés particuliers ; ils ne constituent pas,
en effet, des unités psychologiques semblables, ce qui devrait être le cas s'ils
n'héritaient que de dispositions générales propres à l'humanité ou même à des
groupes ethniques particuliers. Des études convaincantes, notamment celles de C.
Buehler, montrent la différence nette du comportement d'allure sociale – disons
relationnelle – constatée chez les nourrissons 46 ; ces différences ne peuvent
s'expliquer que par l'innéité de certains caractères. Mais de là à dire qu'il s'agit
d'une manière générale de traits particuliers hérités assez intacts pour être
identifiés (sauf le cas de tares pathologiques), d'ancêtres proches ou lointains, il y
a de la marge... Ces différences peuvent provenir en partie de facteurs tels que le
métabolisme, l'alcalinité ou l'acidité du corps, des états morbides ou la sécrétion
interne de certaines glandes 47. Nous citons ces facteurs non pour fixer leur
importance ou même leur réalité, cela échappe à notre compétence, mais pour
attirer l'attention sur le fait que le facteur psychique héréditaire au sens où nous
l'avons défini et le facteur du milieu socio-culturel ne sont pas nécessairement les
seuls dans la formation de la personnalité.
***
***
141 Reprenons à présent notre individu potentiellement social par hérédité
spécifique, conditionné par le milieu physique et humain, modelé par
l'éducation, influencé dans le présent comme dans le passé par tous les
phénomènes de « pression sociale », inséré dans les « rôles sociaux » qu'il s'est
progressivement forgés et qui lui constituent un bagage de réactions
« préexistantes », pourvu d'un certain arsenal de connaissances et pouvoir
d'analyse intellectuelle et ayant ses « systèmes de signification » et ses idées,
c'est-à-dire croyant pour la plus grande part aux « communes valeurs » de son
milieu.
142 Cet homme va se trouver dans la vie sociale devant des choix d'action où les
« rôles », les réactions automatisées ou immédiates, les « formes » d'action et les
valeurs acquises, les choix antérieurs, n'apportent pas à eux seuls la solution. En
d'autres termes, la complexité mouvante de la vie met les hommes devant des
« choix premiers ».
143 Bien entendu, tout le « social » intégré par l'individu et notamment ses
jugements de valeurs, vont agir sur la direction de son choix. La liberté de
décision sera d'autant plus grande que l'individu aura une connaissance et une
intelligence plus complètes des données du problème qui se pose à lui. Ayant cru
comprendre et ayant agencé les relations et implications de ces données pour en
faire apparaître par le raisonnement les conséquences possibles, il choisira 53.
Notons que l'opération même d'agencement intellectuel et affectif des données et
des arguments se conforme à un schéma logique ou mieux « rhétorique » 54, qui
est en grande partie d'origine sociale. Devant le même fait, la « dialectique de
décision » d'un Français et d'un Anglais, d'un homme d'affaires et d'un ouvrier,
sera très différente, non seulement dans son contenu, mais dans sa méthode. Que
la « persuasion » dans le cas examiné soit purement interne (« on se fait de la
rhétorique à soi- même ») ou quelle soit externe, n'est certes pas indifférent.
Cependant la nature fondamentale du phénomène reste la même.
144 Mais quel sera le critère du choix, dans la mesure où ce choix est premier et
libre ?
145 Eugène Dupréel a souligné le fait que les actions humaines – sauf rapport pur
avec des choses où il s'agit uniquement de technique instrumentale – s'insèrent
dans des rapports plus ou moins complexes entremêlant individus et groupes. Or,
un rapport n'existe entre deux de ces termes que « lorsque l'existence ou l'activité
de l'un influe sur les actes ou les états psychologiques de l'autre » 55. La capacité
d'influencer par les rapports sociaux, c'est la « force sociale » 56. Or, entre ici en
ligne de compte un postulat fondamental d'Eugène Dupréel, postulat que ne
cessent de confirmer les faits : dans la mesure où l'individu agit librement
(c'est-à-dire sans dépendre de la pression sociale explicite ou implicite,
consciente ou inconsciente), il cherche naturellement à accroître ou à conserver
sa force sociale, sa capacité d'influencer. La force sociale comporte aussi bien la
disposition de moyens matériels (propriété de biens et procédés techniques) que
de valeurs telles que le prestige, la confiance, etc...
146 La règle de l'accroissement ou du maintien de la force sociale, comme critère
des actions individuelles résultant d'un choix « premier », ne saurait être
interprétée comme l'expression d'une philosophie de l'arrivisme, où la liberté
apparaîtrait comme la part antisociale de l'action humaine.
147 Les termes « force sociale » ne comportent aucun contenu moral, aucune
« valeur » par eux-mêmes. La capacité augmentée ou maintenue d'influencer
n'implique en soi absolument rien quant à la nature de l'influence exercée, que la
forme de cette influence se manifeste par la contrainte, la persuasion ou
l'échange 57. Mourir en martyr d'une cause peut être un moyen d'accroître la
force sociale de sa personne, d'une manière considérable, dans l'espace et dans le
temps. Peut-on nier la capacité d'influencer, toujours actuelle, de Socrate ou du
Christ ? Même si ces figures étaient uniquement des « modèles culturels » et non
une réalité historique 58, cela ne serait qu'une démonstration a contrario selon
laquelle la force sociale d'une attitude peut résider notamment dans sa capacité à
devenir un « stéréotype » ou un symbole.
148 Les processus nombreux et intenses de socialisation de l'action humaine
pourraient produire la fausse impression que cette action est totalement
commandée par le social et que la liberté n'est qu'une illusion subjective.
149 En fait, il y a des « choix premiers » et l'individu est source de réactions à leur
égard. Sans doute, ces réactions prennent-elles appui sur le « produit social »
qu'est l'individu. Et ce produit est la synthèse résultant du jeu des facteurs qui
ont modelé sa personnalité et dont nous nous sommes efforcés de présenter une
analyse encore trop sommaire. Dans une personnalité humaine, il y a des
éléments d'origine biologique, géographique, technique, psychosociale. Elle est
formée par les influences combinées du milieu géographique, technique,
politique, économique, social, religieux, philosophique. Elle a subi l'action de la
famille, des écoles, de la classe sociale, des institutions les plus diverses, des
moyens techniques, de la religion (même pour les incroyants), des idéologies
ambiantes, de la profession, des groupes divers auxquels l'individu participe, des
personnalités fortes, amies ou hostiles, et... nous sommes évidemment
incomplets. Une large part de ces influences est intériorisée et devient
inconsciente. Une autre part est consciemment ressentie par l'individu. Une
personnalité, c'est un écheveau psychique de toutes ces choses : c'est une
synthèse nécessairement unique, dont cette unicité même – que l'homme soit
humble ou important – est la source du respect de la personne humaine ; ce qui
est rare et a fortiori unique, est pris en considération. Cette synthèse psychique a
un support biologique qui en fixe matériellement l'unité à l'égard du monde
extérieur ; à cet ensemble correspond – c'est un fait empirique – une conscience.
150 Ce nœud qui constitue une manière d'arrêt solide, une manière de circuit
momentanément fermé pour les filières d'action qui le traversent, sert d'appui à
des réactions vers l'extérieur.
151 Bien entendu l'individu se croit plus souvent et plus qu'il n'est en réalité,
« premier » dans ses actions. Nous savons que ce qu'il appelle « ses » idées et
« ses » opinions, lui vient tout élaboré – du moins en grande partie – du dehors et
qu'il ne commence à « choisir » que par combinaisons que nous qualifierons du
second degré. D'autre part, dans la mesure où des résultats de la « pression
sociale » sont intériorisés à sa conscience, il croit agir proprio motu, et ses
« motifs » ne sont, en fait, que des rationalisations. Cependant – insistons-y – dans
la mesure où ses réactions ne s'insèrent pas dans le « préexistant » ou dans le
processus d'auto-imitation, l'individu est libre, en ce sens qu'il exerce une
influence sur les faits.
152 Mais l'analyse du jeu de la « force sociale » qui est le moteur et le mobile en
même temps de l'action libre, montre que ce jeu est régi par des règles : celles qui
président aux rapports sociaux des individus et des groupes. La Sociologie
Générale de Dupréel est consacrée en grande partie à l'élucidation de ces
processus réguliers ; c'est en cela, la Sociologie du conscient, les phénomènes que
l'on peut grouper sous la notion de « pression sociale » constituant la Sociologie
de l'inconscient. Bien sûr les deux domaines ne sont ni étanches, ni séparés par
des frontières nettes : il y a tout un no man's land qui n'est d'ailleurs pas le
domaine le moins intéressant notamment celui des phénomènes de formation et
d'émergence de l'opinion.
153 Il n'en est pas moins vrai que si, pour expliquer une action donnée, on part du
point de vue de la Société (du « social ») elle peut être entièrement expliquée
dans ce cadre de référence : pour l'aspect inconscient, il y a le jeu des « pressions
sociales » ou, si l'on veut, du « contrôle social » ; pour l'aspect conscient le jeu des
processus réguliers de la « force sociale » et de l'opinion qui est la forme
consciente du contrôle social.
154 Mais la réciproque est vraie, si pour analyser la même action, on part du point
de vue de l'individu (du « psychologique ») donc de l'action subjectivement
pensée, en termes de motifs au lieu de causes. Que certains des motifs soient en
fait des rationalisations, n'empêche pas qu'ils existent et qu'objectivement, ils
jouent un rôle : celui de valoriser ou de doter de signification l'action aux yeux de
son auteur lui-même et/ou des tiers. Si ce phénomène ne jouait pas, l'action serait
autre. D'ailleurs, tout se passe comme si la rationalisation était un motif. On peut
donc expliquer l'action, en partant du point de vue individuel.
155 Expliquer c'est pouvoir rendre compte de la succession et de l'interdépendance,
mettre en lumière les relations des divers éléments en cause. Et des deux points
de vue l'explication est suffisante. Mais si l'on veut comprendre, c'est-à-dire
pénétrer, autant qu'il est possible, l'essence du phénomène, sa nature spécifique,
il faut embrasser les deux points de vue, non pas seulement d'une manière
successive, mais dans leurs rapports mutuels. L'un des caractères de l'essence du
phénomène, c'est en tout cas cette dualité des points de vue.
156 Cette manière de concevoir l'action humaine pourrait être rapprochée de la
« réciprocité des perspectives » de Litt 59, mais celle-ci joue chez lui entre sujets
différents. Par contre notre position rejoint, par d'autres démarches, la
conclusion de Georges Gurvitch : « Dans ces conditions, on ne pourrait jamais
plus omettre le fait fondamental que l'irréductibilité de la conscience collective
par rapport aux consciences individuelles et réciproquement, n'est que
l'irréductibilité de deux points de vue abstraits pris sur deux directions opposées
de la totalité concrète du psychique » 60.
157 Le sentiment de liberté et la possibilité de réactions « premières » sont
favorisés par la condition de « survenant » dans un groupe ou, si l'on veut par la
qualité de membre récent d'un groupe. En effet, les attitudes préexistantes et les
préformations de tout ordre propres à l'individu considéré au moment où il entre
dans le groupe, seront hétérogènes aux attitudes et manières d'agir des membres
du groupe, dans la seule mesure d'ailleurs où ils sont influencés par ce que ce
groupe a nécessairement de spécifique. La réaction du « survenant » à la
« pression sociale » assimilatrice du groupe, est une source de « choix premiers »,
qui, sans doute, conduisent d'une manière générale à l'adaptation de l'individu
au groupe, mais aussi à des innovations de nuance, de détails ou, plus rarement,
de fond, que le ou les survenants introduisent dans le groupe. Il y a entre les
phénomènes de « survenance » et de liberté un rapport que nous comptons
analyser de plus près.
158 La « réciprocité des perspectives » au sens où nous l'avons prise, d'accord en
cela avec Georges Gurvitch, est un procédé d'analyse, interne à la psychologie de
l'individu. Mais cette réciprocité des perspectives du social et de l'individuel pour
une action déterminée et à l'intérieur d'une psychologie personnelle déterminée,
peut prendre un caractère externe et s'appliquer à des analyses sociologiques
relatives à des complexes sociaux.
159 Eugène Dupréel, relativement à cet aspect externe, a mis fort heureusement en
lumière cette dualité méthodologique de mouvement, par sa distinction entre
Sociologie ascendante et Sociologie descendante 61.
160 Sociologie ascendante : étant donné les individus avec leurs caractères
héréditaires et le milieu matériel où ils sont (facteurs géographiques, techniques,
« choses agencées »), quelles sont les conséquences sur le « social » ? Le « social »
est pris ici sous l'aspect « rapports entre individus » (interpsychologie,
psychologie sociale), aspect qualifié quelquefois de microsociologique, et aussi
sous l'aspect « société » (problèmes de structure et d'évolution, institutions),
aspect qualifié quelquefois de macrosociologique 62.
161 Sociologie descendante : étant donné le « social », quelles sont les conséquences
sur l'individu et sur les choses dont il est entouré ? Dans ce sens, la sociologie de
la connaissance relève de la Sociologie descendante.
162 La « réciprocité des perspectives », appliquée à un fait déterminé, permet une
analyse complète.
***
163 Après cette analyse de la part des origines sociales de l'action humaine et de la
part où l'individu paraît premier, nous voyons plus clair dans le problème de la
nature de la société.
164 Mais résumons d'abord les conclusions de notre analyse :
165 1/ Les actions humaines sont en partie conditionnées par le milieu naturel et
ses ressources, mais en raison inverse de l'efficacité des moyens techniques dont
dispose l'homme ; ceux-ci transforment profondément 1'« environnement » et ses
effets sur la manière d'agir de l'homme.
166 2/ Ces moyens techniques par eux-mêmes, sont, dans les sociétés modernes, en
dehors de leur action sur le milieu géographique, un facteur déterminant des
actions humaines : ils fixent le niveau de vie, pourvoient l'homme de moyens
d'action sur les choses et lui permettent notamment de vaincre la pesanteur et
l'espace.
167 3/ Les actions humaines sont dépendantes aussi de l'accumulation, par les
générations passées, de ce que nous avons appelé les « choses agencées » ; ce
phénomène est en partie tributaire de la continuité des civilisations en un point
donné.
168 4/ Les actions humaines sont canalisées, orientées, causées quelquefois, par les
règles et les pouvoirs sécrétés par le « groupe fort » du milieu social c'est-à-dire
par l'État ; ces règles sont sanctionnées par l'application de la force.
169 5/ Les actions humaines sont commandées, homogénéisées, stylisées en
quelque sorte, par les nombreuses institutions non étatiques qui comportent ou
émettent plus ou moins implicitement des statuts, des normes, des jugements de
valeur ; leur pression sur l'individu – notamment par l'opinion – est
pratiquement irrésistible.
170 6/ Au-delà des institutions proprement dites, il y a la standardisation des
réactions due au langage et tous les aspects de la « pression sociale » (souvent
appelée « contrôle social ») : les images pré-apprises, les symboles, les systèmes
de signification, les stéréotypes, les clichés affectifs, le consensus social, les
moules préétablis, les pré-liaisons, les représentations collectives, les formes, les
valeurs sociales ou étalons du groupe, les modèles culturels, les formes sociales
d'interaction, les attentes normatives, les archétypes de l'inconscient collectif. Les
notions qualifiées par ces termes se superposent souvent sans d'ailleurs se
confondre ; dans leur ensemble, elles expriment bien ce qu'est la pression des
groupes sociaux sur l'action des hommes.
171 7/ Les actions humaines sont, de notre temps, de plus en plus influencées par la
publicité commerciale et politique. C'est le phénomène de propagande qui
constitue une action systématique de persuasion par des groupes sur l'ensemble
de la société globale. La propagande essaie d'agir sur la partie irrationnelle des
consciences et procède par un système d'incubation psychique.
172 8/ Le phénomène des « choix surmontés » qui détermine un processus d'auto-
imitation favorisé par le désir des groupes sociaux de trouver la cohérence
psychologique chez les individus, contribue fondamentalement à limiter de plus
en plus étroitement le choix ultérieur des actions par l'individu : la vie des
hommes en société tend à devenir un ensemble de « rôles » auquel il convient de
se tenir.
173 9/ Jusqu'à ce point, l'analyse porte sur l'individu « donné » – quel qu'il soit au
moment considéré – face au milieu social. Mais cet individu même porte en lui
héréditairement une réceptivité à l'assimilation qui se traduit par des
inclinations fondamentales à la sympathie, à l'agrégation et à l'imitation ; la part
héréditaire dans les tendances de caractère social et la part d'origine sociale sont
impossibles à déterminer ; il semble cependant que la part sociale soit
considérable. Le caractère de l'individu est influencé aussi par des conditions
physiologiques et, dans certains cas, pathologiques.
174 10/ Mais le facteur fondamental c'est l'éducation qui réellement fait de l'animal
humain un homme c'est-à-dire un être adapté à la vie en communauté ; la
pression sociale sur les jeunes « survenants » est en même temps constante,
systématique et intense et ils n'ont d'autre issue que d'imiter les aînés et de
favoriser l'automatisation du plus grand nombre d'actes possible.
175 En dépit du jeu cumulé de ces dix processus, l'homme se trouve encore devant
des « choix premiers » d'action. Le critère appliqué par l'homme à cette partie
libre de son action, c'est le maintien ou l'accroissement de sa « force sociale », de
sa capacité d'influencer. Cette force sociale obéit à des règles qui sont celles
mêmes des rapports sociaux dans la mesure où ceux-ci ne sont pas dominés par
le « social » mais par le choix des individus participants. La Sociologie Générale
de Dupréel a bien dégagé ces règles.
***
***
187 Cependant la société est encore quelque chose de plus. L'ordre social est fait de
fonctions qui doivent être occupées pour que les groupes répondent chacun à
leur objet et restent organisés dans leur ensemble de manière telle que la société
puisse globalement disposer au maximum des choses (la répartition de la
jouissance de celles-ci est un grand problème mais que nous n'avons pas à poser
pour le moment).
188 Les administrations publiques, par exemple, comportent explicitement des
cadres – fixes pour une certaine durée – qui ne sont que la nomenclature des
fonctions qui doivent être occupées. Dans les entreprises privées, à but lucratif
ou non, ces cadres, s'ils n'existent pas toujours statutairement, existent au moins
tacitement selon la coutume du groupe et se modifient selon les nécessités.
L'ordre social est fait aussi – nous l'avons dit – de « rôles » dont chaque groupe
attend plus ou moins consciemment qu'ils soient pourvus d'un titulaire. Si un
titulaire de fonction ou de rôle disparaît, généralement la fonction ou le rôle
subsiste et le titulaire est remplacé. Les hommes passent d'une fonction à une
autre, ils sont évincés d'un « rôle » par un meilleur titulaire ou évincent eux
mêmes un titulaire ; de toute manière, ils doivent adapter leur personne à de
nouvelles conditions. Bref, la société apparaît comme un cadre permanent, mais
sans cesse fluctuant, et qui a un caractère purement formel. Les fonctions et les
rôles exigent une adaptation de leurs titulaires, mais la personnalité de ceux-ci
peut modifier assez sérieusement ces fonctions et ces rôles. Ces derniers
confèrent une « force sociale », mais les titulaires peuvent augmenter ou
diminuer cette « force sociale » qui y est attachée. La société est donc un
complexe de formes très plastiques à travers lequel passent les générations et où,
dans chaque forme, le titulaire au début était « survenant » avec ce que ce terme
implique au point de vue de l'assimilation sociale, pour devenir, à partir d'un
certain moment, « assimilé ». C'est dans ce sens et ce sens seulement, que l'on
peut dire que la société est antérieure à l'individu. En tout cas, elle constitue une
structure formelle de fonctions et de rôles hiérarchisés et comportant des
niveaux qui impliquent des différences dans le mode de vie des hommes et
auxquels sont attachés des jugements de valeur.
***
189 Faisons un pas de plus. L'action des groupes humains se traduit notamment par
un agencement des choses et une accumulation de ces choses agencées pendant
les périodes de continuité des civilisations. Parmi ces choses agencées figurent
cette création constructive que sont les bâtiments. Ceux-ci sont de deux espèces :
les habitations et les immeubles fonctionnels tels que usines, magasins, bureaux,
églises, lieux de loisirs, écoles, casernes et hôpitaux.
190 Ils se divisent en des alvéoles ou ensemble d'alvéoles plus ou moins complexes,
faites pour y recevoir des individus ou des groupes d'individus. De même qu'à
travers les formes – fonctions et rôles – de l'ordre social, les individus y passent.
Par les caractères de ces alvéoles et le droit qu'ils ont d'en disposer, les individus
se définissent socialement. Il n'est pas indifférent à ce point de vue d'habiter tel
ou tel quartier de la ville, d'y habiter une maison dite « ouvrière » ou
« bourgeoise », d'en être propriétaire ou locataire. Il n'est pas indifférent de
n'avoir qu'un habitat ou, en plus, une maison de plaisance dans tel ou tel
endroit ; il n'est pas indifférent au point de vue social de descendre dans tel ou tel
hôtel quand on loge hors de chez soi.
191 Le fait de vagabonder sur les routes ou de dormir sous les ponts, comme un
« clochard », c'est-à-dire l'absence d'habitat spécifique, fait qui, d'une manière
caractéristique, correspond généralement à l'absence de fonction sociale stable,
montre bien le rapport entre les fonctions et rôles sociaux, d'une part, et
l'occupation des édifices construits par les hommes.
192 Il est très expressif, au point de vue social, de travailler dans tel bureau plutôt
que dans tel autre, d'y travailler seul ou avec des collègues. Et ainsi de suite. En
d'autres termes, aux « formes » sociales correspondent spatialement et
matériellement des formes de bâtiments.
193 Il n'y a évidemment pas correspondance absolue par individu, et tel ouvrier
tourneur qui succède à un autre dans la même entreprise et usera du même tour,
n'occupera pas, pour autant, la demeure de son prédécesseur, mais on peut
considérer à peu près pour donné qu'il occupera un logement ouvrier. Il n'y a pas
même correspondance assurée des formes : tel employé peut habiter un
appartement de luxe ou bien dans telle entreprise user d'un bureau isolé, alors
qu'ailleurs la même fonction le mêlerait à 4 ou 5 collègues dans le même local.
194 Cependant grosso modo il y a parallélisme de caractères, de structure et de
niveaux, entre, d'une part, les fonctions et les rôles formels et, d'autre part, les
bâtiments occupés par les individus, comme logement ou lieu de travail.
195 Ainsi cette catégorie de « choses agencées » est bien plus qu'une simple réponse
technique à des besoins spécifiques : elle est la projection, le reflet matériel de
l'ordre social ; ces alvéoles construites par les hommes et pour les hommes sont
les formes matérielles de la société.
***
196 À présent, il nous est permis de conclure, c'est-à-dire de tenter de donner une
définition de la société et d'en expliquer la nature.
197 La société, collection d'individus disposés dans un certain ordre non
intervertible et s'appuyant matériellement sur une plus ou moins grande
accumulation de « choses agencées », est une triple réalité :
Notes
1 . Le point de départ de cette étude est le texte de la leçon d'introduction au Cours de
Sociologie générale, que nous avons faite, le 12 octobre 1951, à la Faculté des sciences
sociales, politiques et économiques de l’Université Libre de Bruxelles. Qu'il nous soit
simplement permis, à ce propos de dire que nous considérons comme un périlleux
honneur et une lourde responsabilité le fait de prendre la succession de notre Maître
éminent, M. Eugène Dupréel, dans la ligne de qui s'est développée notre propre pensée
sociologique.
2 . Rappelons qu'aussitôt après avoir inventé le mot « sociologie » Auguste Comte, dans sa
47e leçon du Cours de Philosophie positive (1839), qualifie cette discipline de « science
positive des faits sociaux ».
3 . Prises dans un sens extensif. Ex. : le Deutschtum
4 . Cette idée a surtout reçu son développement en Allemagne, à l'époque où celle-ci se
constituait en tant que nation. Le Volksgeist est un concept hégélien et toute une école
sociologique, fondée en 1859 par Lazarus et Steinthal, prit la forme de Völkerpsychologie.
Cf. CUVILLIER A., Manuel de Sociologie, tome 1, Paris, Presses Universitaires de France,
1950, p. 33. Quant à l'interprétation même des notions recouvertes par les termes
« civilisation » et « culture », nous pensons que Dürckheim et Mauss ont vu juste. Cf. leur
note souvent citée "Civilisation et types de civilisation" dans l'Année sociologique, n° 12,
Paris, Éditions Alcan, 1913, pp. 46-50. Toutefois des études américaines ont réfuté
ultérieurement l'idée de la correspondance des institutions politiques et juridiques avec
« la constitution propre à chaque peuple » (p. 49). La « communauté écologique » de Park
et Burgess par exemple, ne coïncide pas toujours spatialement avec ces institutions.
5 . DUPRÉEL E., Sociologie Générale, Paris, Presses Universitaires de France, 1948, pp. 42 et
ss.
6 . L'Economie politique étudie les lois (ou, si l'on préfère, les uniformités) relatives à la
production et à la distribution des biens et des services dans une situation sociale donnée.
Par exemple, l'étude des relations de l'offre et de la demande ou du rapport des prix et de
l'emploi, est typiquement du domaine de l'Economie politique. L'Economie sociale, si l'on
veut aller au fond des choses, étudie les rapports volontaires des individus et des groupes
(y compris les institutions-groupes) ayant pour objet, ou pour effet de modifier la
répartition des biens et des services telle qu'elle se ferait librement dans la « situation
donnée ». Quant à la définition de l'Economie sociale, voir la belle étude d'Arthur Doucy,
dans Revue de l'Institut de Sociologie, 1948, pp.399-423. Nos conclusions rejoignent celles
de notre collègue.
7 . Les rapports de la sociologie et de l'histoire donnent encore lieu aujourd'hui à des
interprétations fort diverses. Citons-en quelques-unes qui nous ont paru caractéristiques.
Pour G.E. Howard, « l'histoire est la sociologie du passé et la sociologie l'histoire du
présent » (dans HOWARD G.E., A History of matrimonial institutions, Chicago, Londres,
University of Chicago Press, 1904, volume 3, p. 7) Cette formule suggestive néglige
malheureusement ce que le social a de spécifique dans les activités humaines. Pour G.
Smets, « la sociologie n'atteint au réel qu'à travers l'histoire, mais l'histoire n'explique le
réel que grâce à la sociologie » (dans "Centre international de synthèse", Fondation « Pour
la Science », n°1, 1929, p. 89). Cette remarque est en même temps exacte et importante, dès
lors où le distancement des faits dans le temps ou dans l'espace implique l'usage de la
méthode historique ; il est utile de souligner que la majorité des recherches sociologiques,
même quand elles s'appuient sur l'observation systématique et directe des faits, incluent
une critique documentaire qui relève, pour partie tout au mois, de la technique
historique. Pour Lacombe, « l'histoire a pour objet l'événementiel et la sociologie
l'institutionnel » (LACOMBE P., De l'histoire considérée comme science, Paris, Éditions
Hachette, 1894, voir chapitre 1, d'après CUVILLIER A., Manuel de Sociologie, op. cit., p. 218).
Et en fait, l'histoire par une analyse aussi exhaustive que possible, vise à restituer les faits
sous leur aspect « particulier », « unique » ; la sociologie s'attache à les comparer et à
dégager ce qu'ils ont de « semblable » ; mais comparaison n'est pas raison, si elle ne
s'appuie pas sur la connaissance totale – autant qu'il est possible – des faits dans leur
« environnement » bien analysé ; c'est en ce sens que la sociologie ne peut atteindre le
« réel » qu'à travers l'histoire.
8 . Ce dernier terme limite toutefois la psychologie sociale au domaine des relations
individuelles intermentales ; le terme recouvre, en principe, une position théorique
nominaliste en ce qui concerne la nature de la société.
9 . DUPRÉEL E., Sociologie générale, op. cit., p.129 et ss., p. 146 et ss.
10 . Ibid., p.118 et ss.
11 . PELSENEER J., L'évolution de la notion de phénomène physique des primitifs à Bohr et
Louis de Broglie. Bruxelles, Office International de librairie, 1947 ?, p.163 et ss.
12 . Ibid., p.167.
13 . Cf. la présente étude, p.18.
14 . MAC DOUGALL W., An introduction to social psychology, Londres, Éditions Methuen,
1908. Texte cité d'après CUVILLIER A., Manuel de Sociologie, op. cit., § 38.
15 . Définition inspirée par HANKINS F. H., An introduction of the Study of Society, New
York, Macmillan Publishing Company, 1928, p. 449.
16 . "The individual and his Society", texte cité d'après CUVILLIER A., Manuel de Sociologie,
op. cit., § 20B.
17 . PARSONS T., "La Théorie sociologique systématique et ses perspectives", in GURVITCH
G., La Sociologie au XXe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1947, tome 1, p. 67.
Parsons rappelle que Thomas a mis cette notion en avant dans son ouvrage : THOMAS W.
I., The unadjusted Girl. With Cases and Standpoint for Behaviour Analysis, Boston, Little
Brown and Company, 1928.
18 . Eugène Dupréel définit comme suit la complémentarité : « Deux rapports étant liés par
un terme commun, on dira que l'un de ces rapports est complémentaire de l'autre s'il en
conditionne soit l'existence, soit la nature ». La position de complémentarité augmente
donc bien la force sociale de l'individu qui l'occupe, puisque sa capacité d'influencer est
accrue. Pour la complémentarité, voir DUPRÉEL E., Sociologie générale, op. cit., p. l.
19 . Ibid., pp. 38, 103, 124-127.
20 . MACIVER R. M., Society, its structure and changes, New York, Ray Long and Richard
Smith Press, 1936, p. 85.
21 . Le langage semble bien, ainsi que le montre l'école fonctionnelle, être lié au fait de la
communication entre les hommes, lequel est lui-même un corollaire de la vie en société,
trait humain spécifique. Voir à cet égard l'étude de notre collègue Éric Buyssens. "L'origine
du langage articulé", in Revue de l'Institut de Sociologie, n°3, 1949. Il en ressort nettement
que le type d'explication sociologique de l'existence du langage est le plus valable. Ceci
n'exclut pas, et Éric Buyssens lui-même agit en conséquence, qu'il soit utile de faire appel à
certains résultats de la linguistique historique et de la psychologie pour corroborer la
thèse sociologique. Que le langage soit d'essence sociale en fait, du même coup, un facteur
de pression sociale sur l'esprit humain : ce n'est pas seulement un « véhicule »…
22 . GURVITCH G., Essais de Sociologie : Les formes de la sociabilité. Paris, Recueil Sirey.
1939, p. 37.
23 . DÜRCKHEIM E., "La conception matérialiste de l'histoire – Une analyse critique de
l'ouvrage d'Antonio Labriola, Essais sur la conception matérialiste de l'histoire" in Revue
Philosophique, n° 44, 1897, pp. 645-651.
24 . DUPRÉEL E., Sociologie générale, op. cit., p. 118 et ss.
25 . Dans les sociétés totalitaires modernes, le pluralisme des groupes n'a plus qu'une
valeur technique et la pression sociale tend à n'avoir qu'une seule source : la société
politique, c'est-à-dire le parti, maître du groupe-État. Tout se passe comme si le
totalitarisme voulait recréer, dans la société globale, la solidarité mécanique primitive, la
Gemeinschaft de Tönnies, tout en maintenant le bénéfice technique de la division du
travail, qui avait créé l'hétérogénéité des classes et les droits individuels tels que nous les
connaissons en Occident.
26 . Pour la bibliographie relative aux phénomènes de contrôle social, cf. CUVILLIER A.,
Manuel de Sociologie, op. cit., § 93 et GURVITCH G., dans le chapitre consacré par lui au
« contrôle social » in La sociologie au XXe siècle, op. cit., pp. 271-301.
27 . LEVY-BRUHL L., "Histoire et bergsonisme" in Revue de Synthèse, tome 60, 1945, pp. 141-
149.
28 . ZNANIECKI F., The social role of the man of knowledge, New York, Columbia University
Press, 1940.
29 . Karl Mannheim a pu écrire : « Il y a des modes de pensées qu'on ne peut vraiment pas
comprendre tant que l'on n'a pas pu éclairer leurs origines sociales » in MANNHEIM K.,
Ideologie und Utopie, Bonn, 1929, Ideology and Utopia: An Introduction to the Sociology of
Knowledge, traduit en anglais par Wirth et Shils, New York, Harcourt, Brace & Co., 1940,
p. 2. Ceci met en lumière l'interaction et l'interdépendance intimes de la vie sociale et de la
science sociale. Cf. BURGESS E. W., "Les Méthodes de recherche en sociologie" in
GURVITCH G., La sociologie au XXe siècle, op. cit., vol.1, p. 24.
30 FARIS E., The nature of human nature, Londres, MacGraw-Hill Publications in Sociology,
1937, p. 279. Cette remarque générale introduit le chapitre 26 du livre, chapitre consacré à
la culture des Bantous de la forêt équatoriale.
31 . VON WIESE L., "Beziehungssoziologie", in VIERKANDT A. (Hrsg.), Handwörterbuch der
Soziologie, Stuttgart, Enke Verlag, 1931, pp. 66-81.
32 . HALBWACHS M., Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Éditions Alcan, 1925.
33 . PARSONS T., "La Théorie sociologique systématique et ses perspectives", in GURVITCH
G., La sociologie au XXe siècle, op. cit., vol.1, p. 63.
34 . Revue internationale de sociologie (Janvier-février 1928), pp. 2-3.
35 . GURVITCH G., La sociologie au XXe siècle, op. cit., vol. 1, p. 273. De plus, en français,
l'expression « contrôle social » tend à être utilisée pour définir le contrôle que le personnel
exerce sur la marche des entreprises en vertu des diverses lois récentes dites
d'organisation de l'Économie ou d'organisation professionnelle.
36 . GURVITCH G., La sociologie au XXe siècle, op. cit., pp. 271-301.
37 . Ibid., p. 297.
38 . LUMLEY F. E., The propaganda menace, New York-London, The Century Publishing
Company, 1933.
39 WARNOTTE D., "Contribution à la Sociologie de temps présent (sociologie, politique et
histoire)" in Revue de l'Institut de Sociologie, n°2, 1935, pp. 315-333. Voir spécialement
pp. 319-326. Voir aussi le compte-rendu de Warnotte au sujet de livre de Lumley in Revue
de l'Institut de Sociologie, n°4, 1935, pp. 820-823.
40 . DUPRÉEL E., Sociologie générale, op. cit., p.76.
41 . Cité dans : GURVITCH G., La sociologie au XXe siècle, op. cit., volume 1, "Théorie
sociologique systématique et ses perspectives", pp. 62-63.
42 . LINTON R., Study of Man, New York, Appleton Century Publishing Company, 1936,
chapitre 8.
43 . MACIVER R. M., Causalité sociale et transformations sociales, cité dans GURVITCH G.,
La sociologie au XXe siècle, op. cit., p. 128.
44 . Voir le livre tout récent de CUÉNOT L., L'évolution biologique : les faits, les incertitudes,
Paris, Éditions Masson & Cie, 1951.
45 . Voir : CUVILLIER A., Manuel de Sociologie, op. cit., p.125.
46 . BUEHLER C., "The social behaviour of Children", in MURCHISON C. (éd.), Handbook of
Child Psychology, Worcester, Clark University Press, 1933.
47 . Cf. WOODARD J. W., "Psychologie sociale", in GURVITCH G., La sociologie au XXe siècle,
op. cit., p. 226.
48 . Pour sa bibliographie, voir : CUVILLIER A., Manuel de Sociologie, op. cit., pp. 62 et ss.
49 . JASPERS K., Philosophie, Berlin, Springer Verlag, 1932, Volume 1, p. 16.
50 . JASPERS K., Philosophie, Berlin, Springer Verlag, 1932, Volume 2, p. 375. D'après
CUVILLIER A., Manuel de Sociologie, op. cit., p. 171.
51 . Nous n'avons pu trouver la référence exacte à un souvenir cependant certain. Nous
nous en excusons auprès du lecteur.
52 . THOMAS W. I. & ZNANIECKI F., The Polish peasant in Europe and America, New York,
Knopf Publishing, 1927, Volumes 1 et 2, pp. 31-33.
53 . L'exercice de la liberté dans l'action humaine postule en même temps une
connaissance et une compréhension suffisantes des conditions du problème qui sollicite
une réaction et une ignorance relative de ces conditions (cf. sur ce point LECLERCQ J.,
"Sociologie et Philosophie traditionnelle" in Introduction à la Sociologie, Louvain. 1948,
chapitre 7). Pour illustrer cette idée nous présentons le « mythe » suivant : un homme
rentre chez lui par des chemins qu'il connaît. Il arrive à un carrefour, il y a donc, en
principe, un choix à faire. Mais, si c'est le jour, il suit son chemin familier sans avoir à
choisir : l'intelligence totale du chemin supprime le choix et automatise l'action. Si c'est la
nuit noire, sans aucune clarté, le choix est impossible, c'est le tâtonnement hasardeux qui
décidera de la direction. Mais si dans la nuit l'homme porte une petite lanterne vacillante,
il pourra choisir avec plus ou moins bonne connaissance de cause selon la clarté qu'elle
répand. La lanterne vacillante dans la nuit est la condition du choix, donc de la liberté.
54 . Cf. PERELMAN C. & OLBRECHTS-TYTECA L., "Act and Person in Argument" in Ethics,
volume 41, n° 7, juillet 1951, pp. 252-269. PERELMAN C. & OLBRECHTS-TYTECA L.,
"Logique et rhétorique" in Revue Philosophique, nos1-3, Paris, 1950.
55 . DUPRÉEL E., Sociologie générale, op. cit., p. 5.
56 . Ibid., p. 6.
57 . Ibid., pp. 157 et ss.
58 . En principe, l'un n'exclut d'ailleurs pas l'autre.
59 . LITT T., "Ethik der Neuzeit" in BAEUMLER A & SCHRÖTER M., Handbuch der
Philosophie, volume 3, "Mensch und Charakter", München, R. Oldenburg Auflage, 1926,
pp. 179-180. Litt a publié aussi : LITT T., Individuum und Gemeinschaft, Leipzig, Treubner
Auflage, 1926.
60 . GURVITCH G., Essais de Sociologie. Le problème de la conscience collective, Paris,
Éditions Recueil Sirey, 1939. p. 169.
61 . DUPRÉEL E., "Sociologie ascendante et Sociologie descendante" in Revue Internationale
de Philosophie, n°13, juillet 1950.
62 . Dans ce sens, Marx fait de la macrosociologie, la Sociométrie américaine fait de la
microsociologie.
63 . DUPRÉEL E., Sociologie générale, op. cit., pp. 3-4.
64 . SOROKIN P. A., Social Mobility, New York, Harper & Brothers Publishing, 1927.
Auteur
Henri Janne
(1908-1991)- Université libre de Bruxelles (Belgique)
Droits d’auteur
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