La Purification Finale
La Purification Finale
La Purification Finale
Ceux qui meurent dans la grâce et l'amitié de Dieu, mais imparfaitement purifiés, bien
qu'assurés de leur salut éternel, souffrent après leur mort une purification, afin d'obtenir la
sainteté nécessaire pour entrer dans la joie du ciel1. C'est en ces termes que l'Église
catholique expose sa foi concernant la doctrine sur le purgatoire.
Parmi tous les aspects qui forment le traité sur l'eschatologie chrétienne, c'est peut-être celui
sur le purgatoire qui manifeste le plus clairement non seulement l'Amour de Dieu pour les
hommes, mais surtout sa piété et sa miséricorde, et sa volonté de sauver tous les hommes.
Et pourtant force est de reconnaître qu'une bonne partie des chrétiens de notre temps - et
hélas, même quelques pasteurs - ont définitivement classé cette doctrine parmi les traités ou
les dévotions démodés du siècle dernier2. N'a t-on pas laissé sous-entendre tout récemment
que le purgatoire est une invention de l'Église catholique pour aider les fidèles à faire leur
deuil ?3
Cette suspicion concernant la doctrine catholique sur le purgatoire n'est pas nouvelle puisque
nos frères orthodoxes - et surtout nos frères protestants - la nient clairement. Ils nous
rappellent souvent que la doctrine sur le purgatoire n'a pas été l'objet d'une déclaration
officielle et formelle de l'Église avant le treizième siècle4. Ils reprochent à cette doctrine son
manque d'enracinement biblique.
En réalité, le retard d'une définition magistérielle sur l'existence du purgatoire est dû au
simple fait qu'elle n'avait jamais été vraiment niée auparavant, même s'il y avait des doutes
quant à sa nature. En outre, sa doctrine est virtuellement, mais clairement, contenue dans
beaucoup d'autres vérités de foi. Nous pouvons en citer trois :
1) La certitude que la sainteté de Dieu ne peut coexister avec ce qui n'est pas pur ou saint.
Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? Qui habitera ta sainte montagne ? Celui qui se
conduit parfaitement5. Et concernant la Jérusalem céleste, on peut lire dans le livre de
l'Apocalypse : Rien de souillé n'y pourra pénétrer, ni ceux qui commettent l'abomination et le
mal, mais seulement ceux qui sont inscrits dans le livre de vie de l'Agneau6. Rien de souillé ne
peut donc être introduit en présence du Seigneur. Or, nombreux sont ceux qui n'atteindront
pas la pureté absolue dans cette vie. Telle est la raison d'être du purgatoire : combler l'abîme
entre l'imperfection de l'homme et la Sainteté de Dieu, entre un amour toujours ambigu, mêlé,
et un Amour très pur.
2) Ce n'est que si nous devenons conformes au Christ que nous pouvons être en communion
avec Dieu7.
3) Il existe une mystérieuse solidarité entre tous les fidèles dans le Christ, que l'on appelle la
communion des saints. Elle rend possible et quasi nécessaire l'intercession des uns en faveur
des autres : Reconnaissant dès l'abord cette communion qui existe à l'intérieur de tout le
1
CEC 1030.
2
Cf. SEYSSEL, C., de, purgatoire, in DS 12(1986), col. 2675-2676.
3
Cf. VOVELLE, M., Les âmes du purgatoire ou le travail du deuil, Gallimard, Paris 1996 (avec recension dans
la revue Chemins d'éternité, 158).
4
Cf. deuxième concile de Lyon, DS 856-858.
5 Ps 14, 1-2.
6 Ap 21, 27.
7 Cf. Rm 8, 29.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
corps mystique de Jésus-Christ, l'Église en ses membres qui cheminent sur terre a entouré de
beaucoup de piété la mémoire des défunts dès les premiers temps du christianisme en offrant
aussi pour eux ses suffrages (...) Notre prière pour eux peut non seulement les aider mais
aussi rendre efficace leur intercession en notre faveur8.
Les questions théologiques que posent le purgatoire s'encadrent évidemment dans la
problématique plus générale du sort de l'homme après la mort. Elles ne peuvent être résolues à
partir de l'existence empirique et historique de l'homme ici-bas, mais seulement dans les
perspectives ouvertes par la révélation chrétienne sur l'histoire du salut.
Il existe un grand nombre de textes de l'Écriture Sainte qui évoquent la vie du croyant comme
une purification des péchés9, mais il est difficile de discerner parmi eux ceux que l'on peut
utiliser pour étayer la doctrine sur le purgatoire. On peut en étudier deux.
Il s'agit d'un texte classique puisqu'il est utilisé aussi bien par le concile Vatican II10 que par le
catéchisme de l’Église catholique : Cet enseignement s'appuie aussi sur la pratique de la
prière pour les défunts dont parle déjà la Sainte Ecriture : "Voilà pourquoi il [Judas
Macchabée] fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu'ils fussent délivrés de leur
péché" (2 M 12, 46)11. Nous pouvons faire plusieurs observations sur ce texte :
- Les soldats étaient morts en luttant pour leur pays, la nation élue par Dieu. Leur idolâtrie a
donc été considérée comme moins grave ;
- Mais en portant sur eux des idoles, ils avaient péché réellement contre Dieu. Le texte
indique cependant la possibilité d'obtenir le pardon et surtout l'expiation après la mort ;
- Les défunts conservent la possibilité de bénéficier de la prière du peuple et du sacrifice
expiatoire offert à Jérusalem ;
- L'attitude de Judas Macchabée, approuvée et louée par l'hagiographe, semble indiquer
l'existence d'une pratique déjà établie chez les juifs. L'absence d'une illustration explicite du
purgatoire au niveau thématique et réflexif est compensée par la force de la pratique. Plusieurs
Pères de l'Église ont vu dans ce passage un fondement de la doctrine du purgatoire12.
(b) 1 Co 3, 10-15
L'autre texte significatif se trouve dans la première lettre de saint Paul aux Corinthiens. Il est
aussi cité dans le catéchisme de l’Église catholique 13. Il convient d'en prendre connaissance
dans tout son contexte : Que chacun prenne garde à la manière dont il bâtit. De fondement,
en effet, nul n'en peut poser d'autres que celui qui s'y trouve, c'est-à-dire Jésus-Christ. Que si
sur ce fondement on bâtit avec de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, de
la paille, l'oeuvre de chacun deviendra manifeste ; le Jour, en effet, la fera connaître, car il
doit se révéler dans le feu, et c'est ce feu qui éprouvera la qualité de l'oeuvre de chacun. Si
l'oeuvre bâtie sur le fondement subsiste, l'ouvrier recevra une récompense ; si son oeuvre est
8
CEC 958 citant LG 50.
9
Par exemple, Ps 65, 12 ; Ps 67, 19 (= Ep 4, 8) ; Mt 12, 32 ; Jn 13, 10 ; Jn 15, 2-3 ; 1 Jn 5, 6.
10
Cf. LG 50.
11
Cf. CEC 1032.
12
Cf. SAINT EPHREM, Testamentum, 78 ; SAINT AUGUSTIN, De cura pro mortuis gerenda, 1, 3.
13
Cf CEC 1031, note 4. On cite aussi 1 P 1, 7.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
consumée, il en subira la perte; quant à lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu. Ce
texte, dont l'interprétation exégétique a été très contrastée14, semble indiquer que l'homme qui
vit chrétiennement, mais avec des imperfections, peut se sauver mais au moyen d'une
purification. Il est vrai que le texte ne dit absolument rien quant à la durée, au moment précis
et même à la nature de cette purification. Toutefois, il ressort de ce texte les points suivants:
- Il y a une distinction entre le sort de celui qui a été parfaitement fidèle à Dieu (l'ouvrier
recevra une récompense, v. 14) et celui qui ne l'a pas été (si son oeuvre est consumée, il en
subira la perte, v. 15) ;
- Il ne s'agit pas d'un repentir personnel au sens strict, mais d'une purification qui est comme
imposée aux pécheurs ;
- Cette purification advient à travers le feu ;
- Ce feu purificateur est lié à la manifestation du Christ (Le Jour, en effet, la fera connaître
car il doit se révéler dans le feu, v. 13) et au jugement (c'est ce feu qui éprouvera la qualité de
l'oeuvre de chacun, v. 13);
Ce passage fournit donc les principaux éléments capables de fonder la doctrine d'une
purification eschatologique. S'il manque des aspects significatifs de la doctrine catholique, ils
seront mis en relief par la réflexion théologique et par la vie de l'Église en les tirant de
l'ensemble du corps de la Révélation chrétienne.
Origène utilisera ce texte de Paul pour fonder sa doctrine sur l'apokatastasis (tous seront
sauvés à la fin des temps)15; et saint Jean Chrysostome le réfère à la purification qui
caractérise la vie chrétienne durant le pèlerinage terrestre16. Au contraire, saint Ambroise17,
saint Césaire d'Arles, saint Grégoire le Grand et spécialement saint Augustin18 l'appliquent à
la purification après la mort et avant la résurrection finale.
Une figure importante pour la doctrine du purgatoire est Tertullien (mort après 220), en
particulier dans son oeuvre La Passion de sainte Perpétue. Ce livre raconte la vision que
Perpétue a eu de son frère Dinocrate, disparu depuis peu, en un état de grande saleté, immergé
dans une chaleur suffocante, incapable de rejoindre la source d'eau. La soeur comprend
soudain que cette vision est une invitation à la prière, et dans un bref instant elle voit son frère
de nouveau, parfaitement propre, bien vêtu, et heureux. Ce récit et la doctrine qui la contient,
malgré les apparences mythiques et païennes, est profondément enracinée dans la doctrine
juive et chrétienne: c'est l'affirmation du pouvoir de la prière pour secourir la souffrance des
défunts dans l'au-delà, l'affirmation du pouvoir de Yahvé sur le shéol.
14
Tant pour le Père SPICQ, C., a. Purgatoire, in DBS (1975) 557 ss, que pour les Pères ALLO, E.-B., Première
Épître aux Corinthiens, Paris 1934, pp. 60-63, et CIPRIANI, S., Insegna 1 Cor 3, 10-15 : la dottrina del
Purgatorio ? in Revue Biblique 7 (1959) 25-43, ce texte paulinien fait référence au purgatoire. Par contre,
GNILKA, J., Ist I Kor 3, 10-15 ein Schriftzeugnis für des Fegfeuer ?, Düsseldorf, 1955, maintient que le "feu"
qui éprouvera au "Jour du Seigneur" fait plutôt référence au Retour glorieux. Le feu serait simplement une image
de la majesté de Dieu qui se révèle (ibid., p. 126). Enfin, MICHEL, J., Gerichtsfeuer unr Purgatorium zu I Kor
3, 12-15, in "Studiorum Paulinorum Congressus Internationalis Catholicus", 1961, t. I (Roma 1963), pp. 395-
401, affirme que pour le moins le coeur de la doctrine du purgatoire est contenu dans ce texte.
15
CROUZEL, H., L'Exégèse origénienne de 1 Cor. 3, 11-15 et la purification eschatologique : Epektasis
(Mélanges J. Daniélou), Paris 1972, p. 282.
16
Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In Ep. I ad Cor., hom. 9, 3: PG 61, 79.
17
SAINT AMBROISE, In Psalm. 36, 25: PL 14, 980-981.
18
Cf. NTEDIKA, J., L'évolution de la doctrine du purgatoire chez S. Augustin, Paris 1966, spécialement, pp. 67-
68. Saint Augustin écrit explicitement : Certains fidèles, selon leur attachement aux biens éphémères, seront
purifiés - plus ou moins rapidement - par un feu purificateur. Enchiridion, 109: PL 40, 238 ; cf. aussi Enarr. in
Ps, 37, 3: PL 36, 397 ; De Civitate Dei, XXI, 25-27.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
19 Cf. Mt 5, 25-26.
20
Cf. MICHEL, A. - JUGIE, M., Purgatoire, in DTC 13 (1936), col. 1191-1244 ; LECLERCQ, H., Purgatoire,
in "Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de Liturgie" 14/2, col. 1978-1981 ; Ibid., Défunts (Commémoraison
de), in "Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de Liturgie" 4/1, col. 427-456.
21
SAINT CYRILLE DE JERUSALEM, Catéchèses Mystagogiques 5, 9: PG 33, 1116-1117.
22
SAINT JEAN CHRYSOSTOME, Commentaire de la première épître aux Corinthiens, Homélie 41, 5: PG 61,
361.
23
Id., Commentaire des Actes des Apôtres, Homélie 21, 4: PG 60, 170.
24
Cf. LECLERCQ, H., Purgatoire, in "Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de Liturgie" 14/2, col. 1979.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
Initialement, Luther - malgré son aversion pour la doctrine des indulgences - accepta
l'enseignement traditionnel de la purification après la mort, surtout pour respecter la dévotion
populaire des fidèles envers les défunts. Toutefois, à partir de 1519, il nia l'existence du
purgatoire dans l'Écriture, en repoussant la canonicité du second livre des Macchabées25. Dans
son De abroganda missa (1524), il affirme que la négation du purgatoire n'est pas une erreur.
Après le séjour à la Wartbourg, il est plus audacieux encore : Qui a fait du purgatoire un
article de foi ? Le pape, uniquement pour s'enrichir, lui et les siens, par les Messes. Très peu
de personnes vont en purgatoire. Il répétera cette négation à l'occasion de la diète
d'Augsbourg, dans le Retractionem purgatorii (1530)26. Enfin, il déclare que la doctrine du
purgatoire, et tout ce qui l'accompagne, n'est qu'un masque du diable (mera diaboli larva)27.
Zwingli l'avait encouragé en ce sens, et cette position sera complètement adoptée par
Calvin28, qui était moins préoccupé des sentiments des fidèles que Luther.
Cette négation a été justifiée par deux arguments : le premier, lié à la théologie fondamentale;
le second, lié à l'anthropologie chrétienne et à la doctrine de la justification.
1) Calvin reconnaît lui-même que dès les premiers siècles de l'Église, il existait des
témoignages - indirects mais clairs - en faveur de l'existence du purgatoire, surtout dans le
domaine liturgique et de la pratique pastorale de l'Église. Mais comme il n'acceptait
exclusivement que l'autorité de l'Écriture prout iacet, il considérait l'argument de tradition
comme insuffisant ; le sensus fidelium - le témoignage unanime des fidèles unis à leurs
pasteurs - n'était pas pour lui une expression valide de la foi. Il affirme : Il y a trois cent ans
s'est introduite la coutume de prier pour les défunts. Tous les anciens se sont laissés séduire
par l'erreur. Je crois qu'ils ont été guidés par un sentiment humain ; nous ne devons pas les
imiter29.
2) Selon la doctrine catholique, la justification de l'homme est la conséquence de l'infusion du
don divin de la grâce sanctifiante, reçu et donc inhérent à l'âme. On affirme donc que la vie
divine habite vraiment l'homme, en le transformant, en le rendant juste et saint, c'est-à-dire
fils de Dieu. La doctrine protestante expose différemment la justification de l'homme.
L'homme est profondément corrompu par le péché, et en conséquence il n'est pas guérissable
intérieurement. La justification advient donc par l'imputation extérieure des mérites du Christ.
C'est une justification qui ne transforme pas l'homme dans son être le plus profond, qui reste
simul peccator et iustus. Ainsi, en ce qui concerne le salut, l'homme est sauvé pour autant que
Dieu veuille bien regarder en lui les mérites du Christ. S'il regarde sa condition pécheresse
intrinsèque, il est voué à la condamnation. Les oeuvres de l'homme ne servent à rien30. La
doctrine catholique du purgatoire, au contraire, implique la possibilité d'une coopération de
25
Cf. DS 1487-1490.
26
LUTHER, M., Werke : Weimarer Ausgabe 30/2, p. 367-390.
27
LUTHER, M., Articles de Smalcalde, 2, 11 : Weimarer Ausgabe 50, p. 204-207.
28
Sur la position protestante en générale, cf. CONGAR, Y.M., Le mystère de la mort et sa célébration, p. 280-
292. Reprendre aussi les développements de EMERY, P. Y., L'unité des croyants au Ciel et sur la terre, Presses
de Taizé 1962, p. 67 ss.
29
CALVIN, Institutiones christianae, 3, 5, 10 ; Ibidem, 3, 5, 6.
30
Zwingli avait averti que la doctrine sur le purgatoire et en particulier celle sur le pouvoir des clefs étaient
incompatibles avec la notion de salut par la foi dans le Christ. C'est pour cette raison qu'il poussait Luther à nier
le purgatoire : cf. Amica exegesis, id est : expositio eucharistiae negocii, ad Martinum Lutherum, in Corpus
Reformatorum 92, p. 716-718.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
l'homme avec Dieu dans l'oeuvre de la justification, c'est-à-dire de la purification de son état
de pécheur à la progressive sanctification. Cette correspondance de l'homme est nécessaire
pour atteindre le salut. Sa purification intérieure est un long processus, mais réel et
intrinsèque.
Notons aussi que cette deuxième raison est à la base de la première. L'homme, absolument
corrompu dans son intelligence et dans sa volonté, ne peut jamais se fier à ses sentiments ou à
ses inclinations, même lorsqu'il s'agit d'une tradition ecclésiale.
Le concile de Trente parle du purgatoire dans sa XXVème session (1563) sur un plan
principalement pastoral : Selon les sacrés conciles et aussi selon ce synode oecuménique (on
fait référence aux sessions VI et XXII), en vertu de l'enseignement du Saint-Esprit et par
l'antique Tradition des Pères, on affirme qu'il existe un purgatoire et que les âmes qui y sont
retenues sont aidées par les intercessions des fidèles, et surtout par le Sacrifice propitiatoire
de l'autel (…). (Cette doctrine) doit être crue par les fidèles, tenue, enseignée et prêchée en
tout lieu31. Il est donc clair que la doctrine du purgatoire a été définie. À la VIème session sur
la justification, on affirme que l'unique 'cause formelle' (et donc inhérente) de la justification
est la justice de Dieu, 'non celle par laquelle il est juste lui-même, mais celle par laquelle Il
nous fait justes', celle reçue de lui en don qui nous renouvelle au plus intime de l'âme, par
qui non seulement nous sommes réputés justes, mais vraiment justes et nommés tels, recevant
en nous la justice, dans la mesure où 'l'Esprit-Saint distribue à chacun selon son gré' (I Co
12, 11) et selon la disposition et la coopération personnelles de chacun32. La justice qui nous
est donnée par Dieu, comme une participation à Sa vie, devient réellement nôtre, et par
conséquent elle est limitée et imparfaite. Cette imperfection de la justice en tout homme n'est
pas un obstacle à la vie éternelle, mais rend nécessaire une ultérieure purification sur la terre,
et après la mort, au purgatoire : c'est ce qu'affirme explicitement le canon 30 de cette même
Session: Si quelqu'un dit qu'après avoir reçu la grâce de la justification, tout pécheur pénitent
voit sa faute remise et sa condamnation à la peine éternelle annulée, de telle sorte qu'il ne
reste rien de la condamnation à la peine temporelle à expier soit en ce monde soit en l'autre,
au purgatoire, avant que ne puisse lui être ouvert l'accès du royaume des cieux, qu'il soit
anathème33.
On parle aussi du purgatoire, dans la XXIIème session consacrée au sacrifice de la messe,
pour affirmer qu'il peut être offert tant pour les vivants que pour les défunts34.
Notons aussi, qu'en Orient la doctrine du purgatoire était étroitement liée à celle de la pleine
rétribution, au ciel ou en enfer, après la mort. Quand les orientaux parlaient du purgatoire, ils
évoquaient simultanément la doctrine du retard du Ciel et de l'Enfer - le refrigerium interim -
jusqu'à la fin du monde. En effet, la nette distinction entre les trois états : le ciel, le purgatoire
et l'enfer ne sera vraiment explicitée qu'au Moyen-âge.
La doctrine sur le purgatoire - non quant à son existence mais quant à sa nature - était devenue
le point de conflit entre les catholiques et les orthodoxes. La résolution du problème eut lieu
31
DS 1820.
32
DS 1529.
33
DS 1580.
34
Cf. DS 1753 ; cf aussi pour les autres textes du Magistère : DS 1867 ; 1986 ; 2534 ; 2642, etc.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
avec le concile de Florence (1439) dans le décret pour les Grecs35. Il déclare : Si, vraiment
pénitents, ils meurent dans l'amour de Dieu, avant d'avoir satisfait, par des dignes fruits de
pénitence, pour ce qu'ils ont commis ou omis, leurs âmes sont purifiées après la mort par des
peines purgatoires. (poenis purgatoriis) Pour que ces peines soient adoucies, les
intercessions des fidèles vivants leur sont utiles, à savoir le sacrifice de la messe, les prières,
les aumônes et les autres oeuvres de piété que les fidèles ont coutume de faire pour les autres
fidèles selon les institutions de l'Église36. Il faut noter que dans cette déclaration, comme dans
celles qui la précèdent, on évite soigneusement de parler du feu du purgatoire. On parle
cependant de la punition du purgatoire (poenis purgatoriis)).
L'Église n'a jamais cessé de souligner la distinction entre le purgatoire et l'Enfer. Par exemple,
nous lisons dans le catéchisme : L'Église appelle purgatoire cette purification finale des élus
qui est tout à fait distincte du châtiment des damnés37.
Il ne s'agit pas de la peine de la damnation (qui est une privation éternelle), mais d'un retard
de la vision béatifiante de Dieu. En effet, on doit absolument éviter de comprendre l'état de
purification avant la rencontre avec Dieu d'une manière trop semblable à celui de la
condamnation, comme si la différence entre les deux ne consistait que dans le fait que l'un
serait éternel et l'autre temporaire. En réalité un état dont le centre est l'amour de Dieu et un
autre dont le centre est la haine, ne peuvent être comparés. Celui qui est justifié vit dans
l'amour du Christ. Son amour devient plus conscient avec la mort. L'amour qui tarde à
posséder la personne aimée souffre et, par sa souffrance, se purifie38. En effet, plus un bien
est désiré, plus son absence est douloureuse ; or, le désir du Bien suprême est
extraordinairement intense après cette vie dans les âmes saintes : d'abord parce qu'il n'est
plus appesanti, comme chez nous, par le corps ; et en outre, parce que, pour elles, aurait déjà
dû sonner l'heure de l'union définitive avec Dieu; aussi s'ensuit-il qu'elles souffrent
extraordinairement du retard qui leur est imposé39. Pour expliquer cette peine, sainte
Catherine de Gênes compare la souffrance des âmes du purgatoire à celle d'un homme qui
meurt de faim, mais qui sait avec certitude que bientôt du pain lui sera donné : c'est-à-dire
Jésus-Christ, vrai Dieu sauveur et notre amour40.
Selon l'opinion la plus commune chez les auteurs latins - opinion non partagée par les
orientaux - il existe aussi une peine des sens au purgatoire, c'est-à-dire une peine infligée
extrinsèquement, celle dite du feu. Les conciles médiévaux ont préféré ne pas en parler, même
s'ils ont évoqué les poenis purgatoriis. Toutefois, certains documents de l'Église ont parlé du
"feu" du purgatoire, en utilisant généralement le texte de 1 Co 3, 10-15. Il y a deux lettres
35
Cf. D'ALES, A., La question du purgatoire au Concile de Florence en 1438, in Gregorianum 3 (1922) 9-50.
36
DS 1304. Remarquons, que dès le deuxième concile de Lyon (1274) l'existence et la nature du purgatoire
avaient été définies clairement : cf. DS 856.
37
CEC 1031.
38
COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, Quelques questions concernant l'eschatologie, n° 8,
2, in Documentation catholique 2069(1993) 321.
39
SAINT THOMAS D'AQUIN, IV, Sent. dist. 45, qu. 2, a. 1, quaest. 2, ad. 3.
40
STE CATHERINE DE GÊNES, Traité du purgatoire, VI, éd. de l'Emmanuel, p. 37-38.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
pontificales envoyées aux orientaux : la lettre Sub catholica professione (1254) du Pape
Innocent IV41 et la lettre Super quibusdam (1351) du Pape Clément VI42. La profession de foi
du pape Paul VI (1968) parle des âmes de ceux qui meurent dans la grâce du Christ (et) qui
ont encore à être purifiés au feu du purgatoire (Purgatorii igne)43. Le feu du purgatoire -
cause d'une vraie peine des sens - est généralement acceptée comme doctrine catholique. Mais
quelle est la nature de cette peine ?
La finalité du purgatoire est la parfaite purification de tout ce qui demeure du péché, c'est-à-
dire, les péchés véniels, l'inclination de la volonté envers le péché, et la peine temporelle due
aux péchés déjà pardonnés. En effet, l'Église confesse que toute tache est un empêchement à
la rencontre intime avec Dieu et avec le Christ. Ce principe doit être compris non seulement
quant aux taches qui rompent et détruisent l'amitié avec Dieu et qui, donc, si elles demeurent
à la mort, rendent la rencontre avec Dieu définitivement impossible (péchés mortels), mais
également à propos des taches qui obscurcissent cette amitié et doivent être purifiées au
préalable pour que cette rencontre soit possible. À celles-ci appartiennent ce qu'on appelle
les péchés de chaque jour (péchés véniels), et les séquelles des péchés, qui peuvent demeurer
chez l'homme justifié après la rémission de la faute, rémission par laquelle la peine éternelle
n'est pas encourue44.
Comment peut-on affirmer que les péchés véniels sont remis au purgatoire ? Saint Thomas
répond précisément à cette question. Quand un grand bien est éloigné d'une âme et qu'un
grand mal s'approche d'elle, cette âme désire intensément se joindre à ce grand bien et
échapper à ce grand mal. Mais l'âme qui se détache du corps pour entrer en purgatoire voit
s'approcher d'elle un grand mal, à savoir la peine du purgatoire, et s'éloigner d'elle le plus
grand des biens, à savoir la vie éternelle. Aussi un fervent désir s'élève instantanément
(statim) en elle. Mais comme la ferveur de l'amour n'est pas compatible avec la faute même
vénielle, cette faute est remise dès l'entrée au purgatoire45. Le seul résultat de cet acte d'amour
fait après la mort est d'enlever l'obstacle qui gênait la ferveur de la charité, c'est-à-dire le libre
exercice de la charité, impedimentum venialis culpae46.
Il existe encore une inclination au péché ou concupiscence (fomes peccati)47. Cette inclination
n'est pas le péché en tant que telle, même s'il est causée par le péché et qu'elle incline au
péché durant cette vie. Il s'agit de ces mauvaises habitudes qui sont enracinées dans l'âme
humaine - et en particulier dans la volonté - habitudes difficilement déracinables en cette vie.
D'elles aussi, il faudra être purifiés au purgatoire.
Enfin, il y a la peine temporelle due aux péchés48. Elle correspond au désordre et à l'injustice
dans l'univers causés par le péché. Les pécheurs qui ont causé des dommages et des désordres
doivent restaurer l'ordre et la justice.
41
Cf. DS 838.
42
Cf. DS 1067.
43
PAUL VI, Credo del Popolo di Dio, n° 28, in AAS 60 (1968) 445 ; cf. aussi CEC 1031.
44
COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, Quelques questions concernant l'eschatologie, n° 8,
1, in Documentation catholique 2069(1993), col. 320-321.
45
Cf. SAINT THOMAS D'AQUIN, De Malo, Q. 7, a. 11, obj. 16 et ad. 16.
46
Cf. Ibidem, a. 11, fin et ad. 5.
47
Cf. concile de Trente, Session V, Décret sur le péché originel, c. 5, DS 1519. .
48
Cf. concile de Trente, Session VI, Décret sur la justification, canon 30, DS 1580, qui parle d'un reatus poenæ
temporalis à dissoudre en ce monde ou dans l'autre dans le purgatoire.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
Même si saint Augustin et saint Thomas sont d'accord pour reconnaître que l'intensité des
souffrances du purgatoire n'est pas comparable avec celles de la terre, il reste vrai aussi qu'au
purgatoire il existe une grande consolation, une inépuisable allégresse, qui provient de la
certitude surnaturelle de voir la gloire de Dieu. Une paisible sécurité, inconnue à la terre,
remplit l'Église du purgatoire d'un contentement qui dépasse toute conception. Aucune paix,
dit sainte Catherine de Gênes, n'est comparable à celle des âmes du purgatoire, excepté celle
des saints dans le ciel, et cette paix s'accroît sans cesse par l'écoulement de Dieu dans ces
âmes, à mesure que les empêchements disparaissent 50. En conséquence, la coexistence dans
le purgatoire d'une souffrance spirituelle inexprimable et d'une joie indicible, loin de sembler
impossible paraissent être par excellence le mystère du purgatoire. C'est la pensée même de
sainte Catherine de Gênes : Ainsi les âmes du purgatoire ont à la fois grande joie et grande
peine, l'une ne diminuant pas l'autre51.
Il est bon de se rappeler que la tradition de l'Église a toujours maintenu une durée finie du
purgatoire ; elle a même repoussé la théorie primitive de Luther qui parlait d'un purgatoire
instantané52. En réalité la durée et l'intensité du purgatoire dépendent de la situation de
chacun. Elles dépendent de la peine temporelle contractée et du degré de vision auquel chacun
est destiné.
Toutefois, il faut reconnaître qu'il n'est pas aisé de parler de temporalité ce qui concerne le
purgatoire. Au purgatoire, il n'existe pas un temps strictement continu, mais plutôt une
participation à l'éternité, une succession constante, qu'on a pu appeler l'ævum (en se rappelant
de 1 P 3, 8). On peut seulement dire qu'il s'agit d'un temps spirituel, qualitatif et quantitatif,
qui n'obéit pas aux mesures de notre terre conditionnées par le système astronomique53.
Dans les textes du concile Vatican II, le traité sur l’eschatologie en général - celui sur le
purgatoire en particulier - est abordé au cœur de la constitution sur l’Eglise. Il part d’une
vision unifiée de l’Eglise, une en trois états distincts. En effet, au début du n. 49 de la
constitution dogmatique Lumen gentium nous lisons : Ainsi donc en attendant que le Seigneur
soit venu dans sa majesté, accompagné de tous les anges (cf. Mat. 25, 31) et que, la mort
détruite, tout lui ait été soumis (cf. 1 Cor. 15, 26-27), les uns parmi ses disciples continuent
sur terre leur pèlerinage ; d'autres, ayant achevé leur vie, se purifient encore ; d'autres enfin
sont dans la gloire contemplant "dans la pleine lumière, tel qu'il est, le Dieu en trois
Personnes". Tous cependant, à des degrés et sous des formes diverses, nous communions
dans la même charité envers Dieu et envers le prochain, chantant à notre Dieu le même
hymne de gloire. Au numéro suivant, le thème du purgatoire est traité de façon plus
approfondie : Reconnaissant dès l'abord cette communion qui existe à l'intérieur de tout le
Corps mystique de Jésus-Christ, l'Eglise en ses membres qui cheminent sur la terre a entouré
de beaucoup de piété la mémoire des défunts dès les premiers temps du christianisme en
offrant aussi pour eux ses suffrages, car "la pensée de prier pour les morts, afin qu'ils soient
49
Cf. MIQUEL, P., Purgatoire, in Dictionnaire de spiritualité, a. cit., col. 2659-2660.
50
SAINTE CATHERINE DE GÊNES, Traité du purgatoire, II, éd. de l'Emmanuel, p. 29.
51
Ibidem, XII, éd. de l'Emmanuel, p. 32.
52
Cf. DS 1484.
53
CONGAR, Y.M., Le purgatoire, op. cit., p. 90.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
délivrés de leurs péchés, est une pensée sainte et pieuse" (2 Mcc. 12, 45). Enfin, dans le
chapitre de Lumen Gentium dédié aux dispositions pastorales du concile, l’enseignement
traditionnel de l’Eglise est rappelé : Cette foi vénérable de nos pères en la communion de vie
qui existe avec nos frères déjà en possession de la gloire céleste, ou en voie de purification
après leur mort, le saint Concile la recueille avec grande piété ; il propose à nouveau les
décrets des saints Conciles : le deuxième de Nicée, celui de Florence et celui de Trente. En
même temps, dans sa sollicitude pastorale, il exhorte tous les responsables, au cas où des
abus, des excès ou des manques auraient pu ici où là s'introduire, à y porter remède avec
zèle, en écartant ou corrigeant le mal,et en restaurant toutes choses de façon que le Christ et
Dieu soient plus parfaitement loués54.
L’Église n’a jamais cessé d’affirmer l’importance d’une pratique qui découle tout
naturellement de la réalité du purgatoire : la prière pour les défunts. Les historiens observent
en effet que dès le début de l’ère chrétienne les fidèles font des prières pour les morts. Le plus
important est que les chrétiens prirent très tôt, semble-t-il, l’habitude de prier pour leurs
morts. Par rapport à l’Antiquité cette attitude était une nouveauté. Selon une heureuse
formule de Salomon Reinach ‘les païens priaient les morts, tandis que les chrétiens prient
pour les morts’55.
Les premiers siècles du christianisme montrent abondamment que les vivants se soucient du
sort de leurs défunts. Au-delà de la sépulture ils gardent avec eux des liens désintéressés : au
lieu d’invoquer leur protection ils cherchent à les aider par des prières capables de leur obtenir
paix et rafraîchissement.
Au deuxième siècle, Tertullien écrit : Nous offrons des sacrifices pour les défunts et pour les
martyrs au jour anniversaire de leur mort… La tradition approuve cette pratique qui est en
vigueur, la coutume la confirme, et la foi l’observe. Il parle d’un rafraîchissement
intermédiaire entre la mort et la résurrection finale, mais c’est encore le sein d’Abraham et
non le ciel, qui pour lui n’est pas ouvert avant la fin des temps56 !
Après Clément d’Alexandrie et Origène, qui ne distinguent pas encore vraiment le purgatoire
de l’enfer, bien qu’ils distinguent nettement deux sortes de pécheurs, il faut attendre saint
Augustin pour que la préhistoire du purgatoire s’enrichisse de manière décisive. Bien que sa
position reste hésitante, puisqu’elle change suivant les circonstances, il élabore un concept
plus précis en utilisant comme vocabulaire les peines purgatoires, les tourments purgatoires,
le feu purgatoire ; et il inscrit ce travail de purification dans la période qui sépare la mort de la
fin des temps. Pour lui les suffrages des fidèles peuvent soulager les peines des défunts. Saint
Grégoire le Grand, vers 600, adopte la pensée de saint Augustin en y ajoutant comme
nouveauté l’illustration par l’anecdote. Il n’hésite pas non plus à donner à ce temps
intermédiaire une dimension spatiale, puisqu’il parle d’un « lieu de peines ». Entre Grégoire
le Grand et le XII° siècle, soit pendant cinq siècles, l’ébauche du purgatoire ne progresse
guère. Mais dans le cadre des visions et voyages imaginaires dans l’au-delà, ainsi que dans le
domaine liturgique, un espace s’ébauche pour le feu du purgatoire ; les relations entre les
vivants et les morts deviennent plus étroites. C’est entre 1024 et 1033 que se crée l’office des
morts du 2 novembre, inauguré par l’Abbaye de Cluny avec saint Odilon.
Comme l’a dit Péguy avec humour, Dieu s’est mis dans une drôle de situation, il a choisi
d’avoir besoin des hommes pour porter la Bonne Nouvelle au monde et même pour exercer sa
miséricorde. L’aide que nous pouvons apporter aux âmes du purgatoire s’inscrit dans le grand
54 LG 51.
55 Jacques Le Goff, Naissance du purgatoire, p. 69.
56 Ibid., p. 71-72.
Don François-Régis MOREAU - Commentaire du Catéchisme de l’Église Catholique – Partie I – Section 2 - n°1030-1032
mystère de la communion des saints. Pour comprendre l’intercession des vivants pour les
défunts, on peut retenir deux principes exprimés par saint Thomas d’Aquin : en raison de
l’union de charité, et en raison de l’intention dirigée vers eux57. Le second principe (prier à
l’intention de tel ou tel défunt) est subordonné au premier (prier par amour pour les défunts).
Le principe de la charité est fondamental, car les fidèles sont membres d’un même corps, unis
par la communion des saints. Les défunts qui vivent l’épreuve purgatoire bénéficient des
prières des vivants, comme l’avait noté saint Augustin, selon qu’ils ont eux-mêmes mérité sur
terre58, ce qui est lié à la qualité de leur charité durant leur vie terrestre. Ce dernier trait
manifeste que, dans l’au-delà, il n’existe pas plus d’efficacité automatique qu’il n’y en a sur
terre : la responsabilité de l’amour est toujours prise en compte par Dieu.
La plupart des mystiques qui ont parlé du purgatoire l'ont comparé au feu de l'amour divin qui
est capable, même ici-bas, de brûler l'âme afin de la purifier entièrement de tout ce qui n'est
pas Dieu59.
Dans son Autobiographie, sainte Thérèse d'Avila parle des ses premières épreuves
spirituelles, après un temps de lumière : Or le Seigneur me dit de ne pas craindre, et d'estimer
cette faveur plus que toutes les précédentes, car l'âme se purifiait dans cette peine, elle y était
travaillée et affinée comme l'or dans le creuset, pour qu'il pût mieux y placer l'émail de ses
dons ; elle y purgeait en outre la peine qu'elle aurait dû subir en purgatoire60. Sainte Thérèse
connaît une expérience semblable lorsque, dans les sixièmes demeures, elle évoque la peine
que subit l'âme par suite du désir intense de la rencontre et de la possession de Dieu, peine
qu'elle ressent comme la blessure d'amour d'une flèche de feu : Cette douleur se fait sentir non
dans le corps, mais dans l'intérieur de l'âme. Aussi cette personne comprit alors combien les
tourments de l'âme passent ceux du corps. Elle vit en outre que ceux du purgatoire sont de
cette sorte. L'âme est comme une personne suspendue en l'air, qui ne peut se reposer sur rien
de la terre ni monter au ciel. Embrasée de la soif de voir Dieu, elle ne peut arriver jusqu'à
l'eau qui la désaltérerai. Elle ne veut l'éteindre qu'avec l'eau dont notre Seigneur parla à la
Samaritaine ; et cette eau, on ne lui la donne pas. Il est juste que ce qui vaut beaucoup coûte
beaucoup, surtout quand il s'agit de se purifier pour être apte à entrer dans la Septième
Demeure. C'est de la sorte qu'on se purifie dans le purgatoire avant d'entrer au Ciel; mais la
souffrance qui étreint l'âme est si peu de chose auprès des faveurs dont elle est enrichie que
c'est à peine comme une goutte d'eau comparée à l'océan61.
Ainsi le purgatoire devient une véritable école du désir de Dieu.