Le Peuple Animal (PDFDrive)
Le Peuple Animal (PDFDrive)
Le Peuple Animal (PDFDrive)
Le Peuple Animal
AMRITA
DES MÊMES AUTEURS
TERRE D’ÉMERAUDE
Témoignages d’outre-corps
LE VOYAGE À SHAMBHALLA
Un pèlerinage vers Soi
CHEMINS DE CE TEMPS-LÀ
De mémoire d’Essénien (tome 2)
SEREINE LUMIÈRE
Florilège de pensées pour le temps présent
WESAK
L’heure de la réconciliation
Le catalogue des Éditions Amrita est adressé franco sur simple demande
Éditions AMRITA
24 580 Plazac-Rouffignac
Pythagore
Introduction
La vérité est qu’il existe un langage universel, parfaitement commun à toutes les
consciences et le problème qui se pose n’est pas un problème de communication,
mais un problème de concepts. De toute évidence, un concept ne se traduit pas
par un simple mot lorsqu’il n’existe pas d’emblée dans le monde où l’on veut
l’introduire.
Notre espoir réside dans le fait que l’amour que nous avons nous-mêmes reçu
sera recueilli par certains d’entre vous et à nouveau redistribué.
Il faut dès à présent que la grandeur et la noblesse du monde animal soient
enfin clamées. Il faut que sa lumière nous touche. Nous sommes persuadés que
celle-ci est un des chemins par lesquels nous pouvons aussi grandir. La Création
est un Tout, un seul Être, et nous ne saurions nous élever en oubliant nos plus
jeunes frères.
La Divinité réside en eux tout autant qu’en nous !
Par ce témoignage, par ce livre, c’est à une véritable expansion des cœurs que
nous appelons… car de cette expansion doit germer sans attendre une action
concrète.
Quelque part sur cette terre, un soir d’automne… Il est bientôt vingt-trois
heures et le disque argenté de la lune joue à cache-cache derrière le feuillage
dentelé d’un flamboyant. Depuis quelques instants nous faisons halte au sommet
d’une colline. Subjugués par les lumières de la baie qui scintillent entre les toits
des villas et les silhouettes sombres des hibiscus, nous écoutons le chant
fascinant de la nature, celui des animaux de la nuit. Comme une interminable
mélopée, il semble monter du sol.
Sûr de sa force, incernable, étrange mais protecteur, c’est lui qui nous a
contraints à nous asseoir. Sa voix est celle de milliers et de milliers de petits
êtres dont nous sentons presque palpiter les cœurs dans l’obscurité moite de
l’herbe. Où sont-ils d’ailleurs ? Parmi les bouquets de feuilles…
Qu’est-ce qu’un grillon ? Qu’est-ce enfin qu’un « je ne sais quoi que l’on voit à
peine » et qui crisse, agrippé à un brin d’herbe ?
Et si c’était plus qu’un simple élément de décor ? Plus qu’une petite musique
d’ambiance sur fond de belle moquette verte ?
Habités par ces pensées, voilà qu’un autre ordre des choses vient peu à peu
s’installer en nous. Il y a comme un silence derrière la symphonie des
grenouilles… peut-être le reflet de notre propre silence intérieur, peut-être
davantage aussi. Celui-là est semblable à un lac au milieu de la nuit, sans une
ride. Un instant notre conscience s’y arrête, hésitante comme aux abords d’un
rivage inexploré. Et puis voici qu’un souffle la visite ; il est une voix profonde et
puissante qui monte lentement au-dedans de nous. Il nous semble alors qu’un
minuscule haut-parleur a été placé au centre de notre crâne et que « quelqu’un »,
en nous, a actionné son commutateur. Un être s’exprime :
« Eh bien, vous voilà enfin… dit la voix, d’un ton de reproche bienveillant…
Il aura fallu tout ce temps pour que je me fraie un passage vers vous ! Déblayez
encore un peu votre mental de tout ce qui l’encombre. Ne désirez rien de plus,
surtout ne désirez rien !
N’y a-t-il pas des années que vous souhaitiez établir un lien subtil avec vos
frères animaux ? Alors voici que le temps en est venu.
Qui suis-je donc pour m’exprimer ainsi et pour m’immiscer dans le silence de
votre âme ? Un animal ? Non pas… Plus, alors ? Pas davantage. Vous savez sans
doute que le plus et le moins ne signifient rien dans le cœur de la Vie…
L’homme n’est pas plus que l’animal et pas moins que l’ange. Me suivez-vous ?
C’est dans cet état d’esprit que nous œuvrerons ensemble, si vous le voulez, si
vous acceptez de parcourir le labyrinthe de l’univers de quelques-uns de vos
frères.
Qui suis-je donc enfin ? À la vérité, je n’ai pas d’identité propre. Je ne suis
[2]
pas un déva du monde animal ainsi que vous le pensiez déjà car je ne suis lié à
aucune classe de ce monde en particulier.
Accueillez-moi plutôt comme une conscience collective, collective mais
pourtant individualisée. C’est de cette façon, avec d’autres consciences, que
j’agis pour l’évolution de l’espèce animale sur cette planète.
Ne soyez pas étonnés de m’entendre converser avec vous aussi simplement et
directement que le ferait un de vos semblables. Est-il besoin de vous dire que
l’Intelligence ne dessine pas de frontières ? Elle n’a que de multiples langages
analogues à de multiples écailles, jusqu’au jour où elle est capable de se montrer
nue. Son vocabulaire est alors celui de l’Universel. Ainsi, comprenez-moi, ce
n’est pas vous qui m’entendez dans votre langue, c’est votre oreille qui s’est
mise au diapason de mon cœur. C’est elle qui sait capter et traduire les mots qui
parlent derrière les mots. C’est ainsi que nous dialoguerons… et nous le
pourrons tant que votre âme saura se maintenir auprès de la mienne, c’est-à-dire
dans une volonté de service, en acceptant de ne pas toujours tenir les rênes,
malgré l’étrangeté des situations.
Oh, mes amis, il y a si longtemps que le monde animal n’a pas pu s’adresser
au monde humain ! Des millénaires et des millénaires ! Et s’il commence à
nouveau à pouvoir le faire aujourd’hui, si des portes s’entr’ouvrent, c’est parce
que quelque chose change en l’homme qu’il ne faut pas laisser s’enfuir. C’est
parce que l’animal aussi perçoit clairement que l’espoir et la promesse qu’il
porte en lui sont de tous temps jumelés à l’espoir et à la promesse que représente
l’humain. Le témoignage que nous vous demandons de relater est une
célébration de ce jumelage, de cette fraternité.
Non, ne vous imaginez pas que je vous entraîne sur les chemins d’un
anthropomorphisme naïf. Une patte n’est pas une main et un museau ne sera
jamais tout à fait un nez. C’est… autre chose… une autre façon d’apprendre la
vie, de l’expérimenter, de la parcourir, de la faire grandir, de lui rendre
hommage. C’est de tout cela dont nous allons parler, de cet « autre chose » qui
fait qu’aujourd’hui animaux et humains vivent trop souvent dans deux galaxies
différentes, bien que sur la même planète.
Avez-vous jamais voyagé dans le regard d’un animal ? Ne me répondez pas
trop vite…
Je ne vous demande pas “avez-vous déjà sondé l’œil de votre chien ?”, car
vous me répondriez aussitôt “oui et il a détourné la tête, baissé le museau, gêné
et soumis’’. Non, c’est justement de “tout autre chose” dont je veux vous
entretenir. En fait, avez-vous osé naviguer jusqu’au cœur d’un animal en
plongeant dans l’océan de son regard ? Soyez certains qu’alors il ne baissera pas
les paupières car vous entrerez dans son monde tandis qu’il se sentira invité dans
le vôtre.
C’est sur ce chemin de compréhension que j’aimerais que vous me suiviez
pendant quelque temps. Plutôt que de continuer à s’ignorer, à se croiser ou
même à s’appartenir mutuellement, n’est-il pas grand temps que l’animal et
l’homme apprennent ou réapprennent à se rencontrer ?
Si un contact s’établit entre vous et moi aujourd’hui, c’est précisément parce que
tout ceci ne constitue pas un vœu pieux.
Sensiblerie ? Mes paroles prendront un tout autre relief dès lors que vous
m’aurez suivi un tant soit peu sur des rivages que vous soupçonnez à peine.
Il n’y a pas là de stupidité, seulement un noble abandon et une confiance qui font
encore défaut au genre humain dans son ensemble.
Bien sûr, amis, je ne serai pas votre « maître » tout au long de ce voyage en
galaxie animale, mais je vous demanderai le même lâcher-prise et la même
faculté d’adaptation, à vous qui écrirez, puis à tous ceux qui vous liront.
Ne faut-il pas commencer à donner, n’est-ce pas, si l’on veut recevoir ?
Donner sa confiance, c’est un peu vider une cruche trop gorgée de soi-même afin
d’y accueillir l’amour de l’autre.
Alors, êtes-vous prêts pour la traversée ? »
Chapitre premier
Tomy
Désormais, nos deux âmes sont seules, seules face à une bâtisse un peu lourde
dans une campagne aride, et face à un jeune chiot qui trotte d’un pas décidé sur
l’étroit sentier qui y mène.
Nos présences-guides semblent avoir disparu à tout jamais, comme emportées
par un mistral qui souffle de plus belle.
Nous demeurons là quelques instants, absorbés par la magie austère des lieux.
Tantôt, c’est un vieux pressoir abandonné dans les ronces qui retient nos regards,
tantôt une roue de charrette ou une toile d’araignée tendue dans l’angle de la
grange, puis Tomy qui fouille bruyamment de son museau les moindres recoins
du portail.
Tels deux cerfs-volants oscillant dans toutes les directions, nos êtres
observent la scène, sans désir, sans volonté propre mais de plus en plus habités
par une sorte de doute… Que signifie tout cela ?… Un jeune chien s’est perdu,
soit ! Mais toutes ces paroles entendues, ces présences et ce regard si fort, si
clair ?… Tout s’est évanoui si vite et la conscience humaine est si aisément
visitée par les prismes déformants de l’existence ! Et puis, comment dire cela ?
Comment relater l’incroyable, l’invraisemblable ? Qu’un désincarné ou qu’un
Être de Lumière s’exprime, cela se conçoit encore mais qu’un animal le fasse
avec tant de facilité, tant de puissance !
Peut-être vivons-nous simplement ce genre d’expérience qu’il faut savoir
garder jalousement pour soi, dans le secret de son cœur ? Peut-être…
Mais, comme pour couper court à tous nos doutes, un halètement puis une
voix font une nouvelle fois irruption en nous. Tomy, qui s’est arrêté de fouiller
les murs mangés par les ronces, a levé d’un coup le museau vers le ciel, presque
dans notre direction.
« Où sont-ils ? » articule une voix au-dedans de nous… Et l’image fugitive de
quelques regards fauves nous traverse comme l’éclair.
« Où sont-ils ? » reprend-elle aussitôt avec une force qui traduit une volonté
inébranlable. Cette fois, l’armée de nos doutes s’en est enfuie, mise en déroute
par l’évidence. Il y a bien une intelligence derrière tout ceci. Une réelle
intelligence qui vient à notre rencontre et nous incite expressément à la suivre.
Sans nul doute, c’est Tomy qui s’est exprimé. La certitude en est ancrée dans
notre cœur et il nous est impossible de nier l’évidence.
Tomy devine-t-il donc notre silencieuse présence d’« anges-gardiens » ?
Après tout, peu importe ! Nous sommes là pour observer, pour relater, pour faire
aimer… pour faire aimer… ce qui est oublié.
Brutalement, de l’autre côté de l’habitation, quelques jappements montent
vers le ciel et parviennent jusqu’à nous à travers les bourrasques du vent. Tomy,
quant à lui, a dressé les oreilles et suspendu son souffle tandis qu’un concert
d’aboiements emplit bientôt l’espace.
Le petit animal reste tout d’abord paralysé puis franchit, d’un coup, le vieux
portail et se met à courir pour contourner la bâtisse. Nos regards se glissent à sa
suite, se faufilent entre les herbes, au ras du sol comme si, involontairement, ils
étaient appelés à des réflexes animaux.
Au bord d’un chemin caillouteux, nous découvrons bien vite la silhouette
d’une grosse automobile blanche, un peu rouillée. Emportés par cet élan qui
nous fait suivre Tomy sans même faire intervenir notre volonté, nous nous
surprenons bientôt, comme notre petit compagnon, à analyser les pneus du
véhicule. N’auraient-ils pas quelque message à livrer ?
Et tandis que cette question nous traverse, nous sommes pris d’un rire qui
nous met face à l’étrangeté de la situation. En effet, tout s’est passé comme si,
pendant quelques instants, nous nous étions abandonnés à l’âme-groupe dont
dépend Tomy. Il nous semble alors que la Présence aux yeux d’aigue-marine a
dû laisser quelque secrète empreinte en nous, quelque chose de tendre et de
confiant, une sorte d’énergie qui nous appelle à une autre logique de
comportement.
Puis au rire suit une seconde d’inquiétude… pas question de nous laisser
absorber par une série de réflexes qui échappent à notre volonté ! Mais en
réponse à cette soudaine révolte, nous percevons aussitôt une douce présence au
fond de notre cœur. Elle ne dit rien ; elle nous distille seulement, simplement,
une onde de liberté, tel un courant d’air qui nous entraîne vers d’autres hauteurs.
Alors à nouveau à une distance d’une dizaine de mètres au-dessus de ses toits
nos âmes aperçoivent le vieux mas, puis là-bas, dans un coin, Tomy qui se dirige
d’un pas hésitant vers un grillage derrière lequel hurlent en sautant quatre ou
cinq chiens.
Un homme se tient sur le perron de la bâtisse et observe la scène. Il porte le
pantalon de toile cher aux chasseurs et un chandail de grosse laine grise.
Immédiatement, ses pensées parviennent jusqu’à nous dans un désordre qui
paraît être le juste reflet de sa chevelure hirsute.
« Pas mal ce chien… m’intéresse… pas de collier… on peut toujours
essayer… »
Puis, soudain, la succession de ses réflexions est interrompue par un cri
rauque qui jaillit avec violence de sa poitrine.
« Oh, silence là-bas ! »
Aussitôt, comme par miracle… ou plutôt sous l’effet de la crainte, les chiens
se sont immédiatement tus dans le chenil. À peine entend-on encore quelques
gémissements étouffés suivis de petits grognements sourds.
À vrai dire, il ne s’agit pas véritablement d’un chenil mais plutôt d’une sorte
de poulailler, vaguement modifié pour la circonstance. Quelques tôles, disposées
tant bien que mal sur des murets de pierre adossés à la maison, constituent un
abri de fortune où l’on peut encore deviner, dans l’ombre, un ou deux récipients
de plastique.
Cependant, près de la voiture, l’homme a déjà mis une main au cou de Tomy
qui s’est rapidement aplati sur le sol en remuant timidement de la queue.
« Il va le prendre, soyez-en certains. »
En douceur, la voix-guide vient une nouvelle fois de s’introduire au centre de
notre conscience. Sans nous l’avouer clairement, nous n’attendions qu’elle, elle
qui commence déjà à nous être si familière, elle qui maintenant peut sans doute
nous dire le pourquoi de tout cela…
« Pourquoi ? Mais, parce que l’animal a une âme, mes amis. Parce qu’il est
grand temps que l’homme n’en doute plus… et parce que cette âme est aussi
pleinement âme que toutes celles dont l’humain admet l’existence dans la totalité
de la Création. Comprenez-vous à quel point cette simple affirmation est déjà
hérétique pour votre monde ?
Votre tâche est de visiter cette âme, d’écrire un hymne à sa beauté, de
dépeindre ses rouages et d’en chanter le devenir. Il faut que vous le disiez, oui,
l’animal est analogue à l’homme, analogue dans son fonctionnement, dans son
développement, dans ses buts. Il est, tout comme vous, une partie du corps de la
Divinité qui expérimente sans cesse l’infinité des chemins de la Conscience et
apprend à s’y expanser.
Voyez Tomy… À l’instant vous vous demandiez le pourquoi de son
“errance”, le pourquoi de ce chasseur qui tente de se l’approprier, enfin le
pourquoi de cette nouvelle existence qui s’installe autour de lui en si peu
d’heures… Parce que comme vous, à l’image de chaque être qui respire à la
surface de ce monde, il a son propre chemin de vie, sa destinée. »
« Son… karma ? »
« Son karma si vous préférez. Son karma dans la mesure où sa conscience a
commencé de s’individualiser et où son être a entrevu sa possible autonomie par
rapport à l’ensemble de sa race… ce qui est le cas de Tomy. Le karma
individuel, voyez-vous, est un fruit de la maturité. Une âme ne se le constitue
que lorsqu’elle devient responsable d’elle, c’est-à-dire d’une pensée et d’une
volonté autonomes. Il peut être comparé à une sorte de compte en banque sur
lequel viennent s’inscrire, sous forme de potentiel énergétique, non pas tout le
bien et le mal générés par une âme mais plutôt tout ce qui a été compris ou non,
vécu harmonieusement ou non par elle.
Tomy, à l’image d’une multitude d’animaux qui vivent en contact proche et
permanent avec l’humain, a commencé à développer cette sorte de réflexion
autonome que procure un tel réservoir subtil.
Regardez-le réagir auprès de cet homme dont il ignore tout et qui déjà vient
de lui imposer une corde en guise de collier. C’est de son plein gré qu’il a
accepté, poussé par une confiance, par un espoir. Il y a quelques vies de cela, il
aurait refusé une telle approche, il aurait fui, préoccupé seulement par un
éventuel contact avec ses semblables amassés de l’autre côté du grillage. Il aurait
puisé toute sa capacité d’action et de survie, toute sa résistance et son savoir,
dans l’âme collective d’un tel groupe… Certainement pas auprès de l’homme,
trop étranger à son fonctionnement.
Aujourd’hui, après avoir accumulé les existences, son âme est capable d’une
vision plus élargie de la vie. Elle devient suffisamment forte pour aller plus
avant vers ce qui ne lui ressemble pas mais qui va activer sa capacité de
réflexion. »
Sans plus attendre, une question fuse en nous, aiguillonnée par la vision de cet
homme, si sûr de lui, qui entraîne déjà Tomy au bout d’une corde et l’attache à
une barrière de bois.
« On peut donc parler de réincarnation pour les animaux ? »
« Aussi sûrement qu’on le dit pour l’homme ! »
« Sans exception ? »
« Sans aucune exception. Mais encore faut-il bien comprendre qu’il existe
une infinité de niveaux de descente de la conscience dans un corps, que celui-ci
d’ailleurs soit animal ou humain.
Cette notion d’enracinement plus ou moins profond de la conscience n’est pas
plus vraie pour un règne que pour l’autre. Simplement, je dirais qu’elle se
manifeste différemment. Chez l’humain, elle se traduit par des capacités que l’on
dit intellectuelles mais aussi, bien sûr, par des possibilités d’abstractions
métaphysiques, par une indépendance marquée et une foule d’autres signes
d’affinement.
Chez vos frères animaux, elle se signale d’abord par le détachement d’un
individu hors de son groupe. Lorsque ce détachement a lieu, il est la trace d’une
pensée personnelle digne de ce nom. Il indique que l’animal commence à faire
éclore en lui les premières manifestations de son corps mental. C’est quelque
chose de très beau, voyez-vous, et il faut apprendre à déceler cette flamme chez
un être car elle est le témoin d’une plus grande révélation du Divin en lui. »
Tandis que nous écoutons ces paroles venues de l’invisible Présence, nos
yeux ne parviennent pas à se détacher de l’attitude de Tomy face à la meute des
autres chiens qui a repris de plus belle ses aboiements.
En effet, attaché à sa barrière, Tomy ne regarde pas dans la direction du
chenil. Il fixe une porte par laquelle l’homme a disparu depuis quelques instants.
En silence, il attend.
« À cette seule attitude, vous pouvez comprendre qu’il a fait son choix,
reprend la voix. Il a opté pour la fréquentation de l’homme plus que pour celle
de ses semblables.
Ainsi, ce que vous prenez parfois pour de la servilité n’est, en fait, rien
d’autre qu’un besoin impérieux d’apprendre… au contact d’un frère, d’un ami
qui a fait quelques pas de plus.
Concevez-vous votre degré de responsabilité en tant qu’humains dans tout ce
processus ?
Voilà pourquoi, mes amis, plus vos compagnons animaux arrivent à se libérer
des réflexes caractéristiques à leur espèce, plus ils agissent par eux-mêmes, plus
leur contact avec l’homme est poussé et plus on peut employer le terme de
réincarnation. Car alors, sachez-le bien, cette force que l’on appelle l’ego prend
naissance et consistance en eux. À compter de tels instants, ils ne vivent plus à
l’heure du nous mais du je.
En observant Tomy qui tire maintenant sur sa corde pour fuir, semble-t-il, la
présence menaçante des autres chiens, nous ne pouvons nous empêcher de réagir
à ce qui vient d’être dit.
« Mais enfin, tout cela n’est-il pas contraire à l’ascension de toute conscience
vers la Lumière ? Cette recherche absolue du moi-je est toujours perçue comme
le premier obstacle à la paix intérieure… »
« Défaites-vous donc de cette conception schématique d’un ego juste bon à
formuler un moi-je qui plombe la conscience. L’ego, ne l’oubliez pas, est
semblable à un miroir à deux faces, un outil déterminant sur le chemin de la
découverte puis de l’épanouissement de soi. Sur l’une de ses faces, il vous
renvoie une image déformée de vous-mêmes, génère des reflets, vous propose
une vision éloignée de votre réalité et vous égare. Sur l’autre, cependant, il vous
permet d’observer cette sorte de Je suis qui est le début de toute ascension. Il
vous donne la merveilleuse possibilité de formuler celui-ci en conscience, tel un
“sésame ouvre-toi’’. Il restitue pour vous la première image, la première
promesse de votre divinité promise.
C’est sur la frange mystérieuse et limpide qui sépare les deux faces de ce
miroir que l’être se hisse pour un temps. Sur son fil, le moi s’effrite et le je
perdure ; mais un je magnifié, voyez-vous, un je qui absorbe et élève tous les
nous de la race, puis prend place telle une étoile dans l’univers.
Bénissez donc la naissance de l’ego chez vos frères animaux car celle-ci est
une marque de leur croissance, aussi sûrement que le dépassement de ce même
ego en est une chez vous. »
Tandis que ces paroles s’achèvent, un défilé d’images étranges vient
s’immiscer en nous. Nous savons de façon certaine qu’il provient du groupe des
quatre ou cinq chiens qui sautent encore, aboient et grognent derrière leur
grillage. Ce sont des images fugitives, difficilement traduisibles en langage
humain. Nous y percevons pêle-mêle l’herbe et les ronces contre les murs de
l’habitation, des ongles et des crocs, mille museaux qui flairent et des touffes de
lavande nimbées d’une lumière jaunâtre. Mais surtout, surtout, derrière ces
images inscrites en filigrane, ce sont des vagues de jalousie et de méfiance qui
nous assaillent. Elles se ruent vers nous, tel un rouleau d’écume déferlant sur la
plage.
Nul doute que Tomy ne les reçoive de plein fouet car elles lui sont destinées,
lui qui ne fait pas partie du clan, lui qui n’a pas montré le moindre signe de
soumission à sa suprématie.
Cependant que nous vivons cette singulière expérience au contact des
projections psychiques de la petite meute, toute perception auditive vient à
s’estomper en nous. Dans l’état subtil qui est le nôtre depuis bientôt trois heures,
nous pouvons alors observer à loisir les émanations lumineuses qui s’échappent
de la troupe des chiens. Celles-ci sont mariées comme pour former un seul corps,
une aura unique au cœur de laquelle s’entrechoquent des masses rouge carmin,
ocres et grises. Nous savons que cette forme lumineuse commune témoigne de la
conscience globale qui régit le groupe. Pendant quelques secondes nous
reviennent alors à l’esprit des visions analogues perçues il y a des années au-
dessus d’une foule en colère amassée sur une place publique.
Un petit sourire extérieur à nos deux êtres fait à cet instant une brève irruption
sur l’écran de notre conscience puis laisse place à la voix-guide, plus chaude,
plus aimante que jamais.
« Voyez, voyez ce qui se passe… Vous l’avez compris, n’est-ce pas ? Vous
aussi, humains, vous pouvez encore expérimenter ce que représente une âme de
groupe. C’est une force qui absorbe l’individu, lui impose parfois un flot de
réactions mécaniques et le fait agir selon des schémas pré-établis. Vos guerres en
sont la meilleure illustration. Quelle est cette énergie capable de pousser des
millions d’êtres qui ne se connaissent pas, à s’entre-tuer, sinon une âme
collective fonctionnant au moyen de rouages primaires ? Tous vos nationalismes
et particularismes qu’ils soient religieux ou politiques, ne sont jamais qu’une
version plus policée de la force qui fait agir ces chiens dans leur chenil. Leur
petit groupe n’est pas plus ridicule, avec ses jalousies primaires et son bout de
terrain à protéger, que la majorité des humains à laquelle une infime minorité
donne des armes et des frontières.
Hommes ou animaux, nous nous trouvons sur la même échelle dont les
barreaux ne sont pas si éloignés les uns des autres. »
À quelques mètres sous nos corps de lumière qui continuent d’écouter en
silence, la silhouette de l’homme au chandail gris vient de réapparaître. Cette
fois, Tomy est détaché de son poteau et emmené vigoureusement dans une
grange. Affectivement aimantés par son petit être, nous le suivons, sans attendre,
à l’intérieur de la bâtisse. D’un geste lourd, l’homme s’est retourné vers la
grosse porte de bois, l’a fait grincer sur ses gonds en la fermant d’un coup
d’épaule puis a détaché Tomy qui s’est mis à gambader.
Dans la grange, c’est la pénombre. Quelques rais de lumière y pénètrent
seulement par deux ou trois ouvertures du toit et viennent caresser des restes de
paille sur le sol. Dérangée dans son repos, une tourterelle s’envole brutalement
de sa poutre dans un battement d’ailes qui fait sursauter Tomy, puis s’échappe
par le toit.
Les mains sur les hanches, l’homme commence alors à observer le
comportement du jeune chien qui a aussitôt entrepris, nez au ras du sol, sa
découverte des lieux. L’air songeur, il se gratte les cheveux puis sort de la
bâtisse en lançant vers Tomy un “attends-moi là” qui semble clouer l’animal sur
place. L’homme part vers la ville, nous l’avons perçu dans ses pensées.
Quelques provisions, des outils, peut-être un collier… voilà ce qui le préoccupe
sur l’heure.
À deux pas du chiot et au ras de la poussière du sol, nos êtres se stabilisent
alors, bien décidés à tenter un contact avec Tomy.
Dehors, une portière claque, un moteur ronronne, grince, puis enfin le
véhicule s’éloigne et les chiens se taisent.
Voilà… Le silence est à nouveau tombé sur le mas et Tomy s’est précipité
vers la porte comme pour recueillir les parfums du vent qui s’engouffre sous
elle.
« N’espérez pas ainsi un contact, chuchote la voix-guide. Votre compagnon
est encore jeune et, pour l’heure, il demeure plus préoccupé par cette dimension
horizontale évoquée tout à l’heure, que par tout autre chose. Ainsi que pour tout
animal introduit dans un lieu inconnu de lui, cette grange représente un véritable
univers. Tomy a besoin de le cerner, de le pénétrer de sa présence, dans ses
moindres recoins. C’est cela que vous devez observer. Il a besoin aussi d’y
trouver une chose à laquelle l’homme ne songe pas souvent… une trace
d’amour. En effet, voyez-vous, la conscience animale, quelle qu’elle soit, sait
très bien que tout lieu est doté d’une mémoire. Elle a infiniment besoin de lire
cette mémoire pour tenter d’y adapter son être.
Lorsque vous regardez un animal découvrir un endroit ignoré de lui, vous, les
hommes, ne parlez généralement que de flair ou d’instinct, incapables que vous
êtes d’accéder à une vibration plus intime de l’univers physique. Oui, je dis bien
physique, car la mémoire d’un lieu fait encore bien partie du monde relativement
dense. Sa pénétration exige seulement un déverrouillage des facultés d’écoute du
cœur. Ne vous y trompez pas… Le cœur peut réellement écouter autrement que
poétiquement ! Les poèmes humains traduisent une perception souvent confuse
ou un espoir, à moins que ce ne soit un souvenir inconscient… mais l’âme
animale, quant à elle, vit constamment tout cela.
Regardez bien Tomy, mes amis ; vous le voyez flairer la poussière et la paille
du sol de cette grange, ainsi d’ailleurs que le feraient beaucoup d’autres
animaux. Bien sûr, c’est l’idée de leur odeur et des informations véhiculées par
celle-ci qui vous vient à l’esprit, mais vous devez savoir que c’est aussi au-delà
de l’odeur que l’animal cherche. C’est vers cette dimension, trop négligée de
votre monde, que l’on nomme l’éther, qu’il dirige sa quête. L’odeur est une
manifestation de la lumière dense renvoyée par toute chose. La lumière subtile,
quant à elle, ce que vous appelez aura, dégage sa propre odeur et c’est elle que
cherche l’animal car c’est par elle qu’il trouve la porte d’accès à la mémoire
d’un lieu ou d’un objet.
Approchez-vous de Tomy. Ne soyez plus observateurs mais tentez de vous
mettre en symbiose avec lui ; aimez-le pour la vie qui est en lui, sachant que ce
qu’il connaît aujourd’hui, chaque homme, chaque femme l’a expérimenté
analogiquement des milliers de fois, il y a des milliards d’années. »
C’est un véritable défi qui nous est lancé. Faut-il renoncer, comme tout à
l’heure encore, à tout comportement d’homme et de femme afin de nous laisser
entraîner vers d’autres réflexes et aussi une logique différente ?
Sans doute la Présence-guide a-t-elle agi sur quelque déclic au plus profond
de nous-mêmes, car la question n’a pas plutôt surgi en nous qu’elle perd
immédiatement de sa consistance, emportée par un flot d’images déferlantes.
Ainsi, c’est une sorte de brouillard lumineux qui envahit notre conscience et, en
son sein, apparaissent subrepticement des images gorgées de soleil, de pluie et
de vent. Celles d’un champ aux reflets blonds en bas d’une colline aride, celle
d’une lame de faucheuse qui tournoie et d’un moteur qui toussote sur une route
de campagne. Puis, ce sont des images de bottes traînant sur la terre battue, des
bruits de fourches qui raclent le sol et des cris d’hommes et d’enfants qui
viennent nous submerger. Autant de visions, autant de perceptions, qui font
parler en nous le monde de la paille, celui des êtres qui l’ont mise en bottes,
enfin celui de la poussière chaude et acre de la grange.
« Non, là il n’y a pas d’amour », avons-nous envie de murmurer alors que tout
s’estompe. Et déjà, nous savons, avec une certitude absolue, que Tomy a ressenti
tout cela et sans doute plus encore. Nous savons qu’il a perçu la main humaine
obéissant à la machine et asservissant une vie végétale qui, pour lui, ne signifie
rien. Cet endroit est mécanique, il porte seulement le masque d’une certaine
chaleur. “Nous sommes dans le monde de l’utile’’, c’est ce que clament la
poussière, les murs et ce tas de cartons vides abandonnés dans un angle.
Près d’un tonneau qui perd son cerclage, Tomy soupire bruyamment et nous
aurions presque envie et besoin de l’imiter dans cette sorte de désert privé de
toute âme aimante.
Nous sommes désormais dans un état de conscience tel qu’il nous semble
percevoir quelque chose se déverser de l’esprit du jeune chien jusqu’au centre du
nôtre.
« Aimer, aimer… Qu’y a-t-il pour aimer, qu’y a-t-il à aimer… et qui donc
aimer ? »
Toutes ces interrogations, étrangères à nous-mêmes, virevoltent littéralement
dans notre conscience. Elles nous habitent pendant quelques instants comme des
oiseaux qui se débattent dans une cage trop étroite.
Au pied du tonneau, Tomy se laisse finalement glisser sur le sol, le museau
contre terre, avec une plainte nostalgique.
Face à lui, entre quelques piquets de bois et la pierre du mur, un rayon de
lumière blafarde vient jouer avec une immense toile d’araignée. Un petit animal
velu se tient immobile en son centre et paraît l’observer.
« Il y a tout au moins elle à aimer… »
« L’araignée ? »
« Bien sûr, reprend la voix-guide. Mais aimer, pour un animal qui ouvre sa
conscience, cela ne signifie pas nécessairement s’approprier. Cela peut être
jouer, c’est-à-dire reconnaître l’autre comme un être à part entière, digne
d’intérêt. »
« Mais, pour un chien… pour un chat, jouer dans de telles conditions, c’est
chercher à dominer. L’araignée sera écrasée, avalée. Est-ce cela que l’on appelle
un jeu ? »
« Vous êtes au royaume animal, ne l’oubliez pas, mes amis. Le regard posé
par vos frères sur ce que vous appelez vie et mort est souvent bien différent du
vôtre. Pourquoi attendre de l’animal plus que ce que l’homme parvient lui-même
à donner ?
Derrière le mur de cette grange, sur une cheminée, il y a un fusil et des
cartouches… Prétendez-vous que les chasseurs tuent aujourd’hui pour manger ?
L’âme animale ne craint pas la mort en elle-même. Elle la fréquente de
beaucoup plus près que l’humain ne saurait le faire, parce qu’elle n’a pas de
culture qui en dresse de perception hideuse et parce qu’elle est dénuée de la
notion de morbide. Ce qu’elle craint, c’est l’énergie qui génère parfois
l’apparition de cette mort, la hargne, la haine ou le sadisme qui la font naître.
Si Tomy venait à écraser cette araignée par jeu, il le ferait par manque d’une
certaine conscience, mais sans engendrer une énergie qui souille le cœur et le
lieu. Son ego n’a pas encore suffisamment éclos en lui pour que la notion de
responsabilité signifie quelque chose à son propos. »
Tandis que la voix achève de prononcer ces mots, nos regards sont de plus en
plus attirés par l’araignée au centre de sa toile. Nos consciences s’en approchent
involontairement de si près qu’il nous semble maintenant l’observer à la loupe. Il
y a quelque chose de fascinant dans son petit corps velu ; tout y paraît ordonné
comme dans un mécanisme d’horlogerie, beau à force de précision.
Insensiblement, nous nous laissons absorber par sa présence et une sorte de
voile translucide vient à tomber entre les murs de la grange et nous-mêmes.
C’est un voile par lequel la lumière acquiert une épaisseur, une consistance
jaunâtre. Nous comprenons alors que, sans l’avoir cherché, nous venons de
basculer sur une autre longueur d’onde de notre univers. L’animal et sa toile
nous apparaissent désormais d’un blanc laiteux, parcouru de fines brillances
azurées. Et puis d’un coup, semblable à une projection lumineuse faite sur un
écran qui serait au centre de notre être, une forme apparaît devant laquelle tout
s’efface. Elle est une sphère blanche aux reflets de nacre et sur son pourtour
s’échappent de toutes parts une infinité de filaments qui ondoient comme autant
de bras cherchant à palper l’invisible.
Qui y a-t-il derrière cette merveilleuse organisation et, nous devrions dire,
cette si douce présence ? Oui, si douce, car ce ne sont pas des tentacules ni de
longues et fines pattes qui viennent ainsi nous chercher et nous envelopper mais
des projections de lumière, les émanations d’une conscience puissante et sereine.
« Amis, ô amis, fait-elle, comme si elle nous connaissait de toute éternité,
béni soit cet instant où une oreille humaine s’ouvre. Écoutez, écoutez
simplement car je veux vous dire qui je suis et qui vous ignorez chaque jour… Je
suis le cœur et l’âme de la planète araignée, son intelligence aussi, l’inspiratrice,
l’ordonnatrice de tous ces filets que vous découvrez chaque matin couverts de
rosée, de toutes ces toiles tendues et retendues patiemment dans les recoins
oubliés de vos maisons. Je suis une force mentale qui essaie d’apprivoiser la
matière, les souvenirs de votre monde et qui apprend aussi ses lois.
À travers des milliards et des milliards de corps, je tisse un immense réseau
par lequel l’organisation de cette terre pénètre lentement en moi, dans tous ses
rouages… Car je suis une mémoire, amis. Je construis une intelligence basée sur
une mémoire détaillée et nourrie de toute l’intimité des intelligences qui y vivent
aujourd’hui. Patiemment, je bâtis la structure d’un univers pour demain… pour
après-demain peut-être… peu importe car j’ignore votre temps. Il y a une boule
de feu, un espoir qui vit en mon centre et qui, déjà, a la vision d’un monde à
venir, un monde fort des richesses de celui-ci. Avec vos mots de matière… vous
diriez peut-être que je suis un cerveau qui se bâtit, une race en gestation qui
vivra et grandira sur d’autres Terres, sous d’autres Cieux.
Toutes ces toiles qu’à travers les cellules de mon être je tisse inlassablement
par les forêts et les granges, les caves et les greniers, sont plus que de simples
instruments afin que mon corps subsiste et s’ancre en ce monde. Ce sont des
lecteurs, des capteurs de ce que la conscience humaine produit, de votre
intelligence créative et destructive, de vos errances, de vos doutes et de vos
peurs mais aussi de vos percées vers l’Infini. Par leur réseau subtil j’absorbe
l’histoire de votre monde, ses mutations et les schémas de votre croissance.
Ainsi, lorsque chaque matin votre vision de l’ordonnance des choses vous
dicte de briser d’un revers de la main l’un des capteurs de ma mémoire, faites-le
au moins sans colère ni reproche. La vie ne vous appartient pas… ne l’oubliez
jamais. Elle essaie de parler par toutes les voies, tous les pores de la Création…
avec ou sans l’homme, en-deçà et au-delà de lui. Acceptez seulement de
m’observer, de pénétrer l’étincelle de conscience et d’amour enclose en chacun
de mes corps. Vos peurs sont à l’image de vos yeux embués et de vos oreilles
fermées. Alors, apprenez à m’écouter, à me regarder… sous toutes mes
apparences. Il est trop injuste de fuir et de détester ce que l’on n’a pas pris la
peine d’approcher et de voir. C’est une platitude que de dénoncer cela mais c’en
est également une que de vivre et de perpétuer un tel état de fait d’âge en âge.
Tout mon être vous propose un pas de plus vers l’harmonie en découvrant un
autre visage du respect de la Vie.
À chaque seconde qui s’écoule, je vois et sens des millions d’épaules qui se
haussent face à ma présence et autant de cris que l’on me jette. Du fond de mon
âme, je les reçois, je les analyse et j’y perçois toute votre détresse. J’y lis votre
incapacité de percevoir le Divin en toute chose, votre coupure d’avec le Monde
et, derrière tout cela, votre crainte héréditaire de devoir relativiser votre propre
image, votre importance devant l’immensité de la Création.
Qu’est-ce qu’une araignée ? dites-vous. Mais, un peu de tous ces éléments, de
toutes ces forces qui circulent en vous ! Un peu de cet Être sans nom dont vous
cherchez, vies après vies, la trace lumineuse, sans trop souvent oser même
l’avouer.
Sachez-le, une araignée lit en vous plus sûrement que la plupart des créatures
de votre monde. Elle est déchiffreuse de perceptions auditives et d’émissions
psychiques.
En cet instant, amis, je perçois une foule d’interrogations qui déferlent en
vous, mais surtout, surtout cette lancinante question qui traîne encore chez les
hommes. L’intelligence animale… Y en a-t-il vraiment une ? Ne se limite-t-elle
pas à la simple reproduction de quelques schémas ?
Mais, dites-moi, vous, ce qu’est l’Intelligence ! Savez-vous réellement qu’elle
peut ne pas avoir visage humain, que vous pouvez ne pas en être la juste et
éternelle mesure ?
Il n’y a pas une intelligence, mais des intelligences… Certains de vos frères,
dans d’autres mondes, ne perçoivent pas sept couleurs dans l’arc-en-ciel mais
bien plus, d’autres captent les parfums et en font des sculptures, d’autres encore
jouent avec le temps et s’y déplacent comme sur une route ! Tous n’ont pas votre
apparence, loin s’en faut. De la même façon, nous autres, dévas et frères
animaux bâtissons à l’intérieur même de votre monde, des sphères de conscience
et d’intelligence dont vous ne pouvez avoir la moindre idée. Nous y développons
des civilisations… oui, je dis bien des civilisations… mais autour de concepts
qu’aucun mot ne saurait traduire. Des civilisations d’images mentales, des
[3]
civilisations édifiées à partir de reliefs vivants issus de notre conscience, des
univers complets, parfaits dans leurs rouages… et où l’intelligence, la sensibilité,
la logique divines déploient l’une de leurs myriades de facettes. Oui, il y a
plusieurs terres qui s’entrecroisent au cœur même de cette terre… et, sachez-le,
seule l’Intelligence des intelligences, celle qu’affine un cœur pur, permet de se
déplacer de l’un de ces univers à l’autre, de l’univers de l’homme à ceux qui ne
le sont plus ou pas encore.
Une telle vision de la part de l’âme arachnoïde vous surprend, n’est-ce pas,
frères humains ?
Mais l’histoire et le rôle de ceux que vous appelez dévas, voyez-vous, c’est
l’histoire de la Présence divine qui s’expanse à tout instant… sans autre horizon
que celui de l’Unité. »
Unité… ce mot est resté gravé en nous alors que la “vision” vient soudain de
s’estomper. Il y résonne encore comme pour nous faire savourer la multitude des
promesses dont il est chargé et qu’il faut transmettre.
Puis, peu à peu, tandis que l’image de Tomy somnolant et du vieux mas s’est
éloignée, notre temps d’homme et de femme a repris ses droits et sa densité.
À trois mètres au-dessous de nous, deux corps de chair ankylosés attendent…
notre retour !
Chapitre III
Le maître-lièvre
Il fait noir… un noir d’une densité rare, presque suffocante. Dans le secret de
cette obscurité, simplement quelques petits cris et des bruits étouffés. Autour de
nous, nous ne doutons pas qu’il y ait une présence, mais laquelle ? Tout à
l’heure, lorsque la voix-guide est venue nous chercher pour la quatrième fois,
elle n’a rien articulé de plus en notre cœur qu’un énigmatique “êtes-vous prêts ?”
Confiants et aimants, nous l’avons aussitôt suivie, délaissant l’un après l’autre,
au tout petit matin, nos vêtements de chair.
Alors, sans transition, l’obscurité a jailli tel un voile déployé soudain devant
nos âmes, perception nouvelle et déroutante hors du corps physique. Et puis
surtout nous avons ressenti une sorte de promiscuité, une intimité tellement
inattendue avec une forme, un être… C’est dans cette direction qu’il nous a fallu
nous diriger, plus avant dans cette proximité un peu dérangeante. Maintenant
nous tentons de nous centrer sur elle, et peu à peu une lumière chaude et ambrée
vient enfin à émerger du plus profond de l’obscurité. Nous devinons qu’elle en
est un constituant, qu’elle vit en elle et qu’elle cache en son sein, sans doute,
d’autres lueurs, d’autres lumières, plus radiantes, plus vivantes, jusqu’à l’infini.
Bientôt notre vue paraît s’étendre à trois cent soixante degrés, comme si nous
étions réduits à un point au centre d’un cercle.
Nous avons alors la perception totale d’un lieu et d’un être tous deux
déconcertants… Oui, c’est bien cela, à n’en pas douter nos deux âmes se sont
projetées au fin fond d’un terrier, aux côtés d’un lièvre.
Dans les entrailles de la terre, la clarté perçue par nos consciences unies est
désormais devenue brune. Elle palpite en de petites étincelles qui s’y déplacent,
comme mues par une intelligence qui nous échappe. Face à tout cela, face au
lièvre énorme qui respire bruyamment, face aux racines qui pendent au-dessus
de nous, nous éprouvons bien vite une sorte de timidité. C’est un malaise confus
qui nous murmure que cette intimité-là n’est pas faite pour nous et qu’il faut
peut-être partir. L’animal, quant à lui, ne paraît pas deviner notre présence.
Immobile, il a les pupilles dilatées et semble goûter à la profondeur du silence.
Sous lui, ce ne sont que feuilles mortes et touffes de poils mêlées à la terre,
une terre âcre et sèche.
« Non, je vous le demande, ne bougez pas, ne cherchez pas à sortir d’ici »,
murmure soudain la voix-guide dont, depuis quelques instants, nous souhaitions
ardemment le retour. « Vous ne seriez pas en ce lieu si vous n’y étiez pas invités,
croyez-le. L’âme de la terre sait fermer ses portes… ou les ouvrir lorsqu’il le
faut. Elle entretient de profondes relations avec la Conscience animale, et si ce
terrier vous accueille c’est bien parce qu’une intelligence autre qu’humaine l’a
voulu.
Regardez ce lièvre à la robe si rousse, avec son museau qui remue maintenant
fébrilement comme pour recueillir l’impalpable, il vous paraît certainement
identique à mille autres. Il n’en est rien pourtant.
C’est assurément lui qui vous a attirés ici, éclairé en cela par la conscience-
groupe de son espèce. Il est un guide de sa race, un guide incarné, dont le but est
d’éveiller un peu plus toutes les petites âmes des environs, analogues à la sienne.
Il les enseigne à sa façon, vous le verrez ! Cela vous surprend ? Il faut pourtant
vous y habituer. Les animaux eux aussi ont leurs guides, leurs maîtres à penser, à
évoluer, leurs grands initiés.
Pourquoi donc cela serait-il réservé au genre humain ? Cela vous a toujours été
dit, le Divin emprunte tous les corps et tous les niveaux de la conscience pour
visiter l’univers, et ses langages sont si multiples qu’aucun esprit ne peut en
concevoir la totalité.
Contrairement aux humains, vos frères animaux savent toujours lequel parmi
eux est à considérer comme un guide, un maître de sagesse… Oui, je dis bien
sagesse, car une telle notion ne leur échappe pas. Certes, ils ne peuvent en
discourir ainsi que vous le faites… mais la sagesse se ressent et s’exprime pour
eux par une simple qualité de rayonnement qui inspire un nécessaire respect.
Elle ne peut être une valeur subjective, elle ne peut reposer, dans leur monde, sur
des éléments qui se discutent ou qui oscillent d’une espèce à l’autre. Elle est,
voilà tout ; elle impose doucement son rayonnement là où elle apparaît.
Elle n’a rien à prouver parce qu’elle est nécessairement un reflet de l’Esprit
Universel. »
Elles sont les messagères de toute ma race qui s’adresse à la vôtre. Elles sont un
appel à l’écoute, à vous qui si souvent nous croyez aveugles et stupides,
inconscients et irréfléchis. Elles sont aussi un présent pour l’apaisement, un
présent pour vous tous que mon peuple craint. Je sais que l’homme n’est pas
uniquement cruauté et mépris. Je sais que certains d’entre vous ont un poitrail
qui ressemble au nôtre avec mille flammes roses et blanches qui s’en échappent.
Nous vous observons dans les fourrés, lorsque vous parcourez les monts et les
champs, et au premier pas que vous faites, vous dévoilez votre être tout entier. Si
je vous offre ma demeure, c’est pour que ceux d’entre vous qui ne respirent pas
la cruauté et le mépris rejoignent en pensée les miens durant ces terribles jours
de l’année où l’homme déverse le tonnerre sur eux.
Ceci n’est pas la supplique d’un peuple de faibles face à une race de dieux qui
maîtrise le feu et cent mille autres choses. C’est l’appel à la simple raison qu’un
peuple pacifique lance à un autre peuple qui, croyant dominer le monde,
amoindrit chaque jour un peu plus son propre souffle et abîme son corps.
Lorsque, avec vos armes crachant le feu, vous parcourez les garrigues et que
vous nous traquez jusque dans nos abris, vous ignorez à quel point nous pleurons
sur ce qui vous habite. Ne croyez pas que ce soient nos corps qui tremblent.
C’est ce quelque chose en nous sachant capter et lire la flamme qui, en vos yeux,
vous consume. Cette dernière n’est pas la flamme de celui qui doit vivre mais
celle de celui qui a enraciné en lui le besoin de détruire.
Se hausse-t-on en abaissant autrui ? Je vous le dis au nom de mon peuple. En
vérité, c’est moins nous que vous faites saigner que cette Force au-dedans de
vous dont vous semblez tout ignorer.
Lorsque par les bois et entre les rochers marchent des hommes nimbés d’une
coquille de lumière où la grisaille et les rouges paraissent eux-mêmes se livrer
un combat, je sais la souffrance que ces hommes portent en eux, au-delà même
de celle qu’ils nous infligent. Car j’enseigne à mon peuple que celui qui tue et se
repaît de son emprise sur l’autre, a d’abord entrepris de se détruire, d’abîmer son
propre poitrail. Avant de faire les victimes que l’on voit, la souffrance ravage
celui qui la génère, à son propre insu. J’ai trop bien vu, frères humains, que cette
souffrance coule dans les veines de votre race. Aujourd’hui, le signe que je vous
adresse au nom de mon peuple est motivé par un espoir, celui de générer un
sursaut de paix chez le plus grand nombre de vos semblables. Non seulement
pour le genre dont je suis issu mais pour l’ensemble des êtres non-humains de ce
monde.
Cette graine de paix, je suis conscient qu’elle ne pourra pleinement germer
que si le souvenir d’un certain Soleil de l’âme est ravivé dans le cœur humain.
Elle ne peut en effet venir à maturation si elle est alimentée par la pitié.
L’univers de mes frères animaux ne veut pas de la pitié des hommes. Nous
savons trop bien qu’un tel sentiment n’a jamais élevé un seul être parce qu’il se
gorge en silence des notions d’infériorité et de supériorité.
La pitié n’a jamais été la compassion… et c’est peut-être nous, animaux, qui
étrangement en ces jours, visitons plus que l’homme le monde de la
compassion… car nous voyons à quel point votre semblable est pris au piège
d’un filet de mépris et d’ignorance. Frères de la terre que nous partageons,
entendez dans mes paroles une douleur répondant comme un écho à votre propre
douleur.
Même si les mots par lesquels mon âme communique avec les vôtres vous
semblent parfois teintés de fiel, n’y voyez aucune condamnation, aucun
jugement dont je serais l’interprète au nom des miens. Le peuple animal est
incapable d’un jugement au sens où le pense le peuple humain.
Cette notion d’équilibre est présente en tout cœur animal, voyez-vous. Elle en
constitue sans doute le pivot. Elle est une façon de traduire la présence de
l’Esprit Universel qui entend prolonger Sa vie à travers lui. Ainsi, elle dépasse
infiniment ce que vous appelez vie et mort.
C’est par elle que nous acceptons pleinement les deux visages de la Force,
lorsque ceux-ci s’inscrivent dans la loi d’harmonie.
La Sagesse n’a pas d’âge, pas de forme. Elle est sœur de la Connaissance et
voyage ainsi de moule en moule, d’apparence en apparence. Défaites-vous de
cette idée que l’âme animale n’expérimente la Vie qu’en ses manifestations et
ses réflexes primaires. Vous n’avez fait que pénétrer sur son seuil…
Il parle en silence à nos âmes tandis que nous étouffons. Il parle et répète sans
cesse sa leçon jusqu’à ce que nous en intégrions les joyaux, les uns après les
autres, durant des temps infinis s’il le faut.
Avec bon nombre de mes frères, je vois trop bien que si vous êtes les artisans
du mal qui asphyxie ce monde, vous pouvez également en devenir les
rédempteurs. À chaque fois que l’un de nous meurt sous les coups de l’homme
ou est écrasé par son mépris, l’homme lui-même se retranche de la Nature et, ce
faisant, se coupe un peu plus de son essence… car la race humaine, voyez-vous,
est simplement un élément de cette Nature… parmi d’autres.
Que diriez-vous de votre main si, sans cesse, celle-ci frappait et blessait le
corps qui l’a générée ?
Elle serait l’instrument d’un lent mais permanent suicide.
Si je vous dis “apprenez à nous aimer’’ c’est aussi une manière de vous dire
“apprenez à vous aimer’’. De vous à nous, de nous à la Création et de la Création
à vous il n’y a qu’un pas que le cœur franchit allègrement.
Vous vouliez prouver ou vous prouver que vous êtes les maîtres de ce monde.
Voilà qui est fait d’une certaine manière. La liberté vous en a été donnée durant
des millions d’années. Mais de quelle maîtrise s’agit-il ? À chaque fois que votre
doigt presse une détente ou qu’un scalpel nous dépèce dans un laboratoire, ce
n’est pas de maîtrise dont il est question mais d’esclavage, car si la soif de
pouvoir est à ce point inextinguible en vous, elle ressemble bien à ce boulet que
vous tirez.
Sans doute êtes-vous surpris que l’âme d’un lièvre, au fond de son terrier,
puisse ainsi s’exprimer. Sans doute placera-t-on la réalité de mes paroles au rang
des fantaisies. En effet, comment un animal pourrait-il à ce point connaître
l’univers et le cœur des humains ? Par le seul fait que la Vie n’a pas tout dit à
travers votre peuple… et par le fait également que l’Amour fait fleurir une
intelligence dont vous n’avez pas idée.
Cette intelligence ne nous rendra jamais hommes, certes. Elle fait mieux que
cela. Elle transforme notre souffle et lui apprend à être tout simplement…
humain. »
humaine.
Tandis qu’un silence intérieur total nous a rejoints dans ce repli de la terre, la
respiration du maître-lièvre s’est soudainement suspendue.
Dehors, à l’air libre, les aboiements perçus tantôt paraissent s’être fortement
rapprochés. Presque aussitôt, c’est un coup de feu, puis deux, puis trois qui
retentissent. Des hommes sont là… nous le savons, à quelques centaines de
mètres à peine. Leurs silhouettes, leurs vêtements de velours et leurs bottes
brunes viennent s’imprimer spontanément sur notre écran intérieur. En une
fraction de seconde il nous semble percevoir l’éclat de leurs fusils et les oreilles
dressées des chiens.
« Ils nous traquent… » Et, prononçant ces mots au-dedans de notre poitrail,
nous avons pendant quelques minutes intenses la puissante sensation de ne plus
faire qu’un avec le lièvre. Nous sommes de son peuple, blottis avec lui dans cette
grotte qui devient alors une matrice chaude, sécurisante… mais où la peur aussi
se faufile parfois.
Pourquoi ? Pourquoi tout cela ?
Dehors, aussi sûrement que si nous avions toujours vécu là, nous savons une
touffe de romarin à quelques enjambées sur la droite, derrière une grosse pierre.
Si les chiens s’en approchent et y laissent leur odeur… elle sera souillée et il
faudra la contourner jusqu’à la nouvelle lune.
C’est elle qui viendra tout laver. Elle redistribue les forces.
Une perception intime des choses nous dit aussi que c’est elle qui ordonne le
rythme de la vie du peuple lièvre et de mille autres habitants du sol de la Terre.
En ses phases, en son rayonnement, se lit le jour pour creuser un nouveau gîte,
pour jeûner ou au contraire pour se nourrir de telle herbe plutôt que de telle
autre. Elle parle à travers la terre, le roc et les racines. Nul besoin d’aller la
contempler chaque nuit ; elle génère de ces qualités d’heures, de jours et
d’années que ne savent plus compter les hommes. Le temps qu’elle impose au
peuple lièvre est si différent !
En nous, une secousse vient brutalement absorber le flot de ces perceptions.
Une de ces secousses qui ébranlent parfois le corps de l’âme lorsque celui-ci a
abandonné sa tunique de peau. Emportés dans une spirale, nous nous retrouvons
hors du terrier, à l’air libre, la conscience encore expansée par ce qu’elle vient de
vivre.
Une fine pluie recouvre la montagne et la garrigue. Ses gouttelettes scintillent
tels de petits joyaux diaprés qui mènent chacun leur propre danse, leur propre
vie. Avec les yeux de lumière, tout serait si beau s’il n’y avait derrière cette
colline, près d’une touffe de cyprès dont on aperçoit les cimes, la présence de
l’homme accompagné d’une meute de chiens. Alors, en un millième de seconde,
nos consciences se projettent à leurs côtés, dans le lit asséché d’un petit ruisseau.
Il y a là deux hommes, fusil sous le bras, la mine théâtralement grave, comme si
leur vie allait se jouer dans l’instant qui vient, puis, sur le coteau, devant eux,
une troupe de chiens qui court et s’agite.
La silhouette de l’un des chasseurs ne nous est pas totalement étrangère. Une
démarche un peu saccadée… un chandail gris et puis… et puis il y a ce chien là-
bas qui gambade à part des autres.
Un bref regard de l’âme suffit, nous avons reconnu Tomy.
Avec son air pataud et rêveur, il semble peu concerné par ce qui se passe.
Quelques branchages que le vent balaie, des flaques d’eau et le sourcil sombre
de son nouveau maître, voilà tout ce qui retient son attention. Les autres chiens,
quant à eux, paraissent ne faire qu’un seul et unique corps. Entre deux
jappements, ils palpent l’air, flairent la moindre pierre et parcourent dix fois le
même chemin selon un mouvement qui ressemble presque à un rituel.
Jetant un coup d’œil dans la direction de Tomy, l’un des deux hommes hausse
les épaules et lâche alors une pensée que nous captons au vol.
« Pas la peine… on n’en fera rien ! »
Et aussitôt, le chasseur, excédé, crie en direction de Tomy ; il l’appelle d’un
nom que nous ne saisissons pas… mais le jeune chien ne se sent toujours pas
concerné par ce qui se passe. Occupé à boire l’eau d’une ornière, il ne réagit pas.
« Il n’appartient pas vraiment à la même famille… Regardez les autres gravir
ce tertre d’un seul élan ; ils agissent comme le ferait un être unique téléguidé. »
La voix-guide vient à nouveau de se manifester.
Issue de partout à la fois, ferme et douce, elle emplit notre espace intérieur avec
sa tranquillité qui apaise.
« Très souvent. Ne doutez pas de cela. En fait, vous devez distinguer trois
classes bien distinctes chez vos frères animaux. Ceux qui sont très proches de
l’homme, qui recherchent intensément et presque exclusivement sa présence,
ceux qui en sont simplement proches, qui acceptent sa présence et s’y
soumettent, ceux enfin qui la fuient. Cela est vrai pour toutes les espèces qui
vivent sur cette Terre. De même, parmi les hommes, toutes proportions gardées,
il en est qui s’attachent à rechercher le contact avec la Pure Lumière Divine,
d’autres qui se fixent sur ses reflets terrestres, souvent figés dans ses diversités et
enfin d’autres encore qui la nient ou s’en écartent le plus possible.
La vieillesse d’une âme se manifeste dans tous les règnes, voyez-vous. À
l’intérieur de la même espèce, il n’y a pas deux de vos plus jeunes frères qui
soient parfaitement semblables. Ils ont chacun leur histoire, leur itinéraire
personnel, d’autant plus personnel qu’ils se rapprochent de l’homme de vie en
vie.
Tomy, vous le voyez, manifeste déjà une indépendance qui le rend
imperméable à certaines impulsions venant de la conscience-groupe de son
espèce. À sa façon, il est un rebelle. Il commence à vivre une crise intérieure,
une mutation profonde qui l’amènera progressivement à se créer un véritable
corps mental. Dès lors, il n’aura plus rien à faire parmi le peuple animal.
Comprenez-moi, une âme-groupe ressemble un peu à un père qui maintient
ses enfants sous sa coupe. Durant toute une période, celui-ci leur insuffle ce qu’il
peut de sa force, de son savoir, leur pose certaines limites comme autant de
garde-fous ; puis vient un temps où il sait qu’il va être rejeté. Il vit alors la
rébellion de ses enfants et il croît lui-même à travers cette nécessaire rébellion
qui est le signe d’une inspiration nouvelle de la conscience. L’âme de Tomy en
est à son adolescence, ce qui signifie, ne vous y trompez pas, qu’elle est déjà
bien vieille dans le monde animal. Son apparente insouciance dans ce contexte
de chasse révèle surtout son besoin d’autonomie. Il faut que les hommes
apprennent à discerner les animaux qui, à leur image, s’écartent des réflexes
inhérents à leur race car les pensées qu’ils développent sont le réel ferment de
leur espèce.
Ceux-là sont analogues à ces philosophes qui, les uns après les autres, font
gravir à l’humanité un échelon supplémentaire vers la connaissance de soi.
Maintenant, observez Tomy qui gravit ce monticule et sachez que tous les
animaux qui parviennent à cet état de conscience se forgent ce que vous pouvez
appeler un destin. Le simple fait de prendre sa vie en main… ne serait-ce que
jusqu’à un certain point, d’expérimenter le choix en subissant de moins en moins
une loi…
Loin s’en faut. Il en est juste quelques centaines de par ce monde. Cela demeure
exceptionnel, car jamais une âme humaine, si elle n’est investie d’une semblable
mission d’éveil, ne se réincarne dans un corps animal. Dans ces rares cas, le
souvenir de son passé humain lui est alors partiellement estompé. Elle se sent
animale, porteuse souvent nostalgique de toute la lumière d’un azur incrusté en
elle et c’est ainsi, par son intermédiaire, qu’un peuple s’éveille davantage.
Mais… dites-moi, lorsque votre grand Frère, à vous les hommes, celui que l’on
nomme le Christ, est venu adombrer un corps de chair, il y a quelque deux mille
années, n’a-t-il pas agi selon la même loi d’amour ? La conscience de l’homme,
dites-moi, n’est-elle pas aujourd’hui encore… animale, face à un tel Être ?
L’Amour absolu fait parfois accepter une prison afin d’en écarter les
barreaux… pour autrui ! »
Recueillant ces paroles avec une certaine émotion, nos deux êtres se sont alors
doucement élevés au-dessus de la garrigue et de ses collines battues par la pluie.
En buvant le silence que procure la paix du cœur, ils ont découvert des vignes
et quelques oliviers près des ruines d’une vieille bergerie. Puis, ils ont survolé
une dernière fois deux hommes, fusils en bandoulière, pauvres silhouettes
précédées d’une meute de chiens ivres de liberté. Enfin, ils ont découvert Tomy.
Tomy qui court à belles enjambées, tout là-bas, vers le Sud, vers d’autres
collines, comme si on l’y appelait.
Chapitre IV
De cœur à cœur
si son intention était telle. Dans les replis de notre silence intérieur, nous n’avons
pas eu à attendre longtemps… Un contact direct a bien eu lieu et même s’il ne
dura guère plus de quelques minutes, il nous a semblé qu’il s’étirait indéfiniment
au-dedans de nous.
Les pages qui suivent sont la retranscription la plus fidèle possible de son
contenu. Celui-ci se présenta à nos consciences sous la forme de mots, de
qualificatifs et d’images d’une extrême précision.
« Amis dont j’ignore tout, voici quelque temps que je vous devine à mes
côtés. Parfois… lorsque je suis seul et lorsque le vent dirige mes pas vers une
direction nouvelle, je vous sens. Il y a peu de jours encore, je ne savais si vous
étiez de mon peuple ou de celui des hommes.
Les âmes de mon peuple parties avant les autres vers le Centre de l’Univers
agissent parfois de la sorte. J’ai pensé à elles et j’ai cru que mon départ était
proche car la terre que je foule ne me semble pas totalement mienne. Elle ne
nourrit pas mon âme selon ses besoins. Je ne sais pas y puiser la force qu’y
trouvent mes semblables. Elle ne me parle plus de la même façon qu’à eux.
Alors j’attends quelque chose de l’homme mais trop de choses se cachent
derrière ses yeux et que je ne comprends pas !
Aujourd’hui, je sais un peu plus qui vous êtes car une lumière m’a montré vos
visages et a chassé toute crainte. C’est elle qui me fait m’adresser à vous du fond
de mon sommeil. Elle me murmure des images que j’ignore parfois et des
sensations que vous seuls comprenez… Je ne vous vois pas mais je vous devine
proches. Je sais que vous m’entendez et aussi qu’il faut que je vous parle de mon
peuple, peut-être de moi également. Mon peuple…
quel est-il au juste ? Peut-être tout ce qui n’a pas visage d’homme… car tout me
parle, car j’entends tout me murmurer la Vie. Tout sauf l’homme, l’homme qui
pourtant m’attire, qui me comprend si peu, qui me veut mais en même temps me
refuse.
Au cœur de mon peuple, chez ceux qui volent, ceux qui rampent et parfois
aussi ceux qui nagent, on dit beaucoup de choses de l’homme. Ce qu’on raconte
de lui, ce qu’on voit de lui est si multiple, si contradictoire que nul ne sait. Alors,
parmi nous, il y a un peu… les fidèles, ceux qui craignent l’humain… et les
traîtres, ceux qui, comme moi, espèrent en lui et font confiance.
Ceux-là, je peux vous le dire, sont mal en ce monde car toute leur vie est un
pari, un espoir souvent déçu.
Je n’ai pas choisi le camp dans lequel je me trouve aujourd’hui. Aucun de
nous ne l’a choisi.
Je me souviens de la grande cage dans laquelle je suis né. Dès que des mains
humaines y apparaissaient, il fallait que je me glisse vers elles dont j’ignorais
même la provenance. Quel était le corps dont elles étaient le prolongement, le
regard qui les animait ? Tout cela était tellement lointain pour moi ! Elles étaient
juste quelque chose qui pouvait me tirer vers le haut et que je devais rechercher.
Bien après, j’ai vu qu’elles appartenaient à une âme qui avait de la beauté. C’est
cela qui importe pour nous, pour tous ceux de mon espèce… la grandeur de
l’âme. Le reste, nous ne le percevons pas, nous l’ignorons. La dimension d’un
corps, son apparence, tout cela en réalité nous échappe la plupart du temps. Ce
sont les dégagements lumineux d’une présence qui comptent… qu’ils
proviennent d’un humain, d’un de nos semblables, d’un arbre ou même d’un
endroit du sol.
Ainsi, chez nous, lorsqu’il y a un combat, la taille de l’adversaire intervient
peu. Seule parvient à nous effrayer la force du rayon lumineux qui jaillit en
avant de sa poitrine et qu’une odeur confirme.
Cette odeur-là raconte les intentions de l’autre, son histoire et le but qu’il s’est
[7]
fixé. Ce but est comme une qualité à développer et contre laquelle nul ne peut
rien. Ce peut être la qualité patience, la qualité observation, garde, domination,
méfiance, don, tendresse et bien d’autres encore.
Dès que mes yeux se sont fermés, elle est venue me rejoindre dans la lumière où
je l’avais aperçue l’instant auparavant. Alors, elle m’a emmené avec elle. Il y a
je l’avais aperçue l’instant auparavant. Alors, elle m’a emmené avec elle. Il y a
eu un vent de clarté et j’ai reconnu le pays du rêve où j’allais souvent.
Tout y était vrai, je sentais toutes les herbes que je voulais. Il n’y avait pas
d’hommes, seulement ceux de notre peuple dont beaucoup que je ne connaissais
pas. Tout me paraissait si naturel… peut-être n’avais-je jamais habité ailleurs
que dans cet endroit avec sa lumière rose… Peut-être que j’imaginais l’existence
de l’homme et que celui-ci n’avait jamais eu de consistance.
Soudain, tout cela a disparu… il n’y a plus eu de lumière. Quelque chose est
venu me frapper la tête.
C’était un ballon avec lequel jouaient les enfants. Alors j’ai fait un bond et j’ai
voulu moi aussi jouer avec eux. Tout est simple pour nous. Depuis, j’ai bien
appris que cela ne l’était pas pour les hommes. Pour eux, le jeu se mesure…
La chatte est revenue me voir plusieurs fois pendant que je dormais. Elle ne
disait rien mais je voyais que tout était bien parce que ses yeux pétillaient et
qu’elle voulait se frotter contre moi… comme autrefois.
Le jour où les hommes ont mis sa forme dans la terre du jardin, les enfants ont
pleuré. Je n’ai pas compris du tout. Depuis, il me semble deviner ce que pensent
les humains dans ces moments-là. Il y a de la division dans leur cœur. Peut-être
ne savent-ils pas qui ils sont… Une âme-oiseau m’a dit qu’ils avaient besoin
d’aide, que c’était ce qui se racontait à travers tout notre peuple et que celui-ci
était partagé quant à l’attitude à adopter à son égard. Cette compréhension mûrit
en moi depuis que je vis seul. Je vois tant d’hommes différents et presque tous
ont un visage de souffrance. Parfois, je crains même de capturer cette souffrance
en mon cœur et de ne plus m’en défaire. Manque d’amour… C’est une maladie.
La maladie de ceux qui se croient plus forts, plus intelligents. J’ai rencontré un
de mes frères qui essaie de soigner cela. L’Esprit de Vie lui a dit que c’était son
rôle. Il habite avec un homme qui n’aime pas ses semblables. Il est venu à ses
côtés pour que son cœur ne se dessèche pas et que la lumière continue de s’en
écouler un peu.
C’est lui qui m’a appris que nous avions souvent une tâche à remplir auprès
de vous mais qu’il était difficile que vous l’admettiez. Aujourd’hui, je sais que
ma sœur la chatte s’en est allée pour qu’une souffrance ne s’abatte pas sur un des
enfants de la famille. Son départ était un des buts de sa vie. On me dit que vous
pouvez comprendre tout ceci.
[8]
Lorsqu’un choc, une douleur doivent survenir quelque part, nous le savons
toujours quelque temps à l’avance. Nous voyons une lumière sombre se former
en un lieu. Nous ignorons souvent d’où elle vient mais les plus anciens d’entre
nous enseignent qu’elle sort de l’être qui doit subir le choc et qu’elle va
empoisonner un endroit précis. Elle est semblable à une colère de l’être envers
lui-même. Dans notre peuple, nous ne savons pas bien ce que cela peut signifier,
mais nous le constatons pour les hommes. L’Esprit de Vie peut parfois nous
demander de prendre sur nous la lumière sombre destinée à un humain que nous
aimons. Nous acceptons alors que le choc soit reporté sur nous et que la force
vitale abandonne notre forme. Ce n’est pas un devoir, mais un amour qui nous
pousse à faire cela. Vous vous en rendez si peu compte… et cela nous peine.
Une voix me murmure que vous ignorez les liens qui vous unissent à nous, que
nous revenons vous voir sous des formes différentes de vie en vie… et même
plusieurs fois dans la même vie.
Il n’y a pas de mystère à cela. Seulement une logique. Je sais que si vous nous
appelez vraiment, nous revenons et qu’alors il faut juste apprendre à nous
reconnaître.
Aucun d’entre nous n’est exactement semblable à un autre, savez-vous.
Lorsque j’étais encore avec ma mère, pour moi aussi tous les humains étaient
identiques. Tout ce qui, pour vous, est important et vous différencie ne comptait
pas à mes yeux. Ce que vous mettez sur votre forme, ou ce que vous accrochez à
vos oreilles par exemple capte très peu notre attention. C’est comme si nous
voyions au travers et il y a toujours un temps de notre vie où nous essayons
d’apprendre vos points de différence.
On m’a dit que vous ignorez que vous projetez beaucoup de choses autour de
vous. Est-ce vrai ? Pourtant, toutes ces projections sont pour nous le moyen le
plus sûr de vous reconnaître… avec votre voix. C’est cela qui se grave chez la
majorité d’entre nous, une certaine qualité de lumière et le son, souvent même
des sons que vous paraissez ne pas entendre. Des sons qui circulent dans le sol
ou que les plantes nous transmettent.
Si l’un de nous ou même si un homme a peur ou souffre quelque part, il n’est
pas rare que les arbres ou les fleurs le disent, parfois loin, autour d’eux… Car les
arbres savent frémir et crier. Je sais maintenant que jamais ils ne sont
indifférents à la souffrance, que celle-ci soit issue de leur peuple ou d’un autre.
Toute douleur, toute crainte se propage par leurs veines et leurs feuilles à la
surface de la terre et mange un peu de leur force. C’est quelque fois pour cette
raison que vous nous entendez pleurer ou adopter une attitude qui vous semble
illogique. C’est parce que vous n’avez appris ni à écouter ni à regarder. Cela
aussi pour nous est une maladie et nombreux sont ceux qui m’ont averti : plus je
vivrais avec l’homme plus cette maladie me gagnerait.
Ceux-là m’ont appris qu’il existe quelque part d’immenses terres où mes
frères animaux refusent violemment tout contact pacifique avec l’humain. Ils le
font à cause de cette maladie et aussi en raison d’un vieux souvenir que je n’ai
pas compris. De ce fait, ils considèrent tout le peuple des hommes comme un
peuple de créatures inférieures, dangereuses, et dont il faut fuir même les plus
paisibles. Je sais qu’il y a parmi eux de jeunes frères, mais aussi de beaucoup
plus vieux ressemblant à des rochers qui ne bougent jamais. Ceux-là veulent
garder l’ancienne culture de leur race. Ils le doivent… car en parlant aisément à
la terre et aux plantes, ils entretiennent… un équilibre dont j’ignore tout moi-
même.
L’Esprit de Vie qui les habite circule sans cesse entre leur cœur et celui du
sol. Il se renforce depuis si longtemps que l’on dit qu’il donnera peut-être un
jour naissance à un peuple très fort et à une terre très pure. Mais c’est un monde
différent du mien. Ce sont les âmes-oiseaux qui colportent ces choses. Je crois
qu’elles peuvent entendre et parler beaucoup de langues-images de ce monde.
Souvent, elles viennent jouer avec nous au-dessus des maisons et elles nous
disent ainsi ce qu’elles savent.
Lorsque l’une commence par une image, la seconde continue par une autre et
ainsi de suite. Chacune d’elles est détentrice de la même histoire mais toutes
obéissent à une volonté commune. Je les sais très organisées et elles nous
apprennent plus de choses qu’aucun de nos autres frères. C’est vers elles que je
me tourne souvent lorsque je ne sais plus où ma route est inscrite. Elles savent
toujours où sont l’eau et la nourriture, même à de très longues distances. Tout
cela est écrit en elles. Elles connaissent les routes que racontent la couleur des
arbres et les lumières qui montent de la terre. Seules ces routes-là comptent pour
elles.
Parfois, l’Esprit de Vie qui nous anime nous dit de prendre un peu de votre
tristesse et de cet étrange poids qui vous charge.
Cela, nous n’avons pas toujours besoin de le décider. C’est une sorte de porte qui
s’ouvre en nous, un réflexe de partage… et nous absorbons un peu de ce qui est
lourd pour votre âme. Alors vous vous étonnez d’une fièvre qui nous abat, de
terribles démangeaisons qui nous tourmentent et du pelage que nous perdons.
Dans ces moments-là, il y a comme une boue grise, un peu collante, qui se
développe à la surface de notre échine. Nous n’y pouvons rien, il y a quelque
chose dans notre cœur qui trouve une logique à cela.
Les âmes-oiseaux qui vivent près de vous, dans vos maisons, acceptent aussi
cette souffrance, mais le plus souvent elles ne peuvent demeurer dans leur
corps… Seuls nos frères les chats, voyez-vous, savent se guérir de ceux de vos
maux qu’ils absorbent. Il y a dans leur salive une lumière dissolvante pour la
[9]
matière poisseuse qui se colle sur leur pelage. Vous les voyez sans cesse se
laver… Cela en est la raison principale. Ils savent faire fondre les déchets issus
de l’angoisse de votre monde. C’est leur secret. C’est aussi une partie de leur
force. Très peu dans l’ensemble de notre peuple partagent cette connaissance.
Ceux qui la possèdent en sont très fiers. Ma sœur la chatte, pourtant si proche de
mon cœur, portait également en elle-même cette fierté. Cela la rendait parfois
inaccessible.
Je la voyais alors habitée par une sorte de clarté qui la mettait… en dehors du
monde, au-delà du peuple des hommes, mais aussi au-delà du peuple animal.
Cependant ce n’en est pas un. C’est un jeu. Un jeu qui permet de voir le monde
de très loin, de ne pas tomber dans ses filets et dans la maladie des hommes.
Parfois, ce jeu nous fait peur à nous aussi parce que nos frères les chats ne se
déplacent pas suivant les mêmes lois que les nôtres. Ils ne vont pas d’un point à
un autre au gré des perceptions de leur âme, mais selon les nécessités d’un autre
monde dans lequel ils vivent tout autant que sur Terre.
Je sais qu’ils se rendent sans cesse dans ce pays au Centre de l’Univers que
nous rejoignons après notre départ de ce monde. Ils y vivent autant que sur cette
Terre.
Exil. C’est la notion qui jaillit en moi. C’est celle que mon amie la chatte
essayait de m’expliquer. Elle racontait que son peuple était là contre son gré
parce que l’Esprit de Vie avait obscurci sa conscience pour une raison très
ancienne que l’on ignorait… mais qu’il fallait accepter car c’était pour l’Amour.
Le peuple chat, disait-elle, devait aider le peuple humain à son insu et apprendre
lui-même la compassion. Certains chats refusent cela et ne parlent qu’aux arbres.
Ils sont alors très durs et très puissants. L’ensemble de mon peuple ne les aime
pas car on les dit rebelles à l’ordre du monde. Ceux-là font du tort à leur race car
leur orgueil s’étend sur leurs semblables.
Moi aussi je parle aux arbres parfois. J’ai mis longtemps à comprendre que
vous ignoriez une chose aussi naturelle. Il n’y a rien à expliquer pourtant ; cela
[10]
se fait tout seul. Ce sont les battements de leur cœur qui s’expriment en nous.
Ils nous communiquent des idées, des images de lumière qui viennent de très
loin. Souvent, il y a un seul cœur pour plusieurs arbres tandis que d’autres en
possèdent un pour eux seuls. Alors, ce sont toujours de très gros arbres et chaque
chose autour d’eux paraît leur obéir, les aimer et être aimée d’eux. Dans mon
peuple, nous les recherchons toujours parce que la terre qui se trouve à leur pied
nous guérit de beaucoup de maux. Elle est si forte que parfois nous nous
échappons et nous nous battons pour y être seuls, nous y allonger, nous y rouler
et nous y endormir. Il y a toujours quelque chose pour jouer près de ces arbres.
[11]
J’y ai souvent vu de petites boules velues courir sur l’herbe avec moi .
Elles parlent tellement vite que je ne les comprends pas. Elles aiment se cacher
dans la mousse et aussi dans les racines. Parfois, elles arrivent tant à leur
ressembler qu’elles disparaissent. Alors, seule l’odeur qu’elles dégagent permet
de les retrouver. C’est une odeur qui stimule notre aboiement.
Il faut que nous communiquions quelque chose au monde, à la nature, parce que
notre jeu devient alors très beau, très sacré. Dans ces instants-là, c’est une joie
profonde qui nous gagne et il nous est difficile d’accepter que vous ne la
compreniez pas, parce que tout, autour de vous, bondit de plaisir sans que vous
le voyiez.
On m’a dit que, de temps à autre, vous tentez de retrouver l’Esprit de Vie
dans de grandes maisons faites pour cela. Comment cela se peut-il ? Cet Esprit
est présent dans le jeu, au fond des forêts, près des arbres et sur la terre sèche des
montagnes. C’est là que tous mes frères animaux le trouvent. Pourquoi donc ne
l’y sentez-vous pas ? Il parle dans le vent… c’est si facile. Mon amie la chatte
disait que vous emplissez trop votre cœur de vos propres paroles, que vous n’y
[12]
laissez pas de place pour le chant du vent et pour les étincelles de Vie qui se
déplacent partout sur les rochers et dans les buissons. Je crois qu’elle avait
raison. Peut-être est-ce là ce qui vous rend si malheureux… car aucun de mes
frères ne parvient à vous voir libres de tout fardeau. Comment se fait-il alors que
nous vous sentions si grands, si puissants ? Vous faites naître chez ceux qui vous
observent un étrange sentiment d’amour et de répulsion.
Une voix en moi affirme que vous n’avez pas encore choisi votre route.
Simplicité et humilité. Peut-être vous faut-il un peu du contenu de notre cœur…
On me dit aussi que c’est pour cela que je vous parle.
Alors, nous ne pouvons nous empêcher d’y répondre, bien qu’elle ne nous soit
pas adressée et qu’elle continue de se cacher.
Souvent, cela nous rend plus faibles à vos yeux parce que plus naïfs quant à vos
intentions du moment.
Cette notion est nouvelle pour moi. Je découvre que le mensonge peut exister
à travers l’homme et que c’est pour cela aussi que la majorité de mes frères
animaux vous fuient. Nous voyons de la bonté dans la plupart des cœurs mais
celle-ci parvient rarement jusqu’au bout des mains.
C’est une énigme qui s’est révélée à moi il y a peu de temps et qui me
tourmente. Elle extrait de moi un sentiment nouveau. Méfiance… mais la
méfiance ne me va pas puisqu’il faut que je m’approche des hommes, puisque
c’est inscrit en moi.
Probablement est-ce l’Esprit de Vie qui le veut ainsi. Veut-il que nous vous
ressemblions ? Veut-il que nous apprenions le calcul et la dissimulation ?
Tout au long de mon chemin, près de vos habitations, il m’est arrivé à deux
reprises de découvrir de grandes maisons où vous semblez garder prisonniers des
milliers d’âmes de mon peuple. Je dis mon peuple, car tout ce qui n’est pas
homme nous paraît être du même sang, bien qu’il y ait des inimitiés et des luttes.
Il y avait un nuage gris au-dessus de ces maisons.
C’est lui qui m’a attiré… mais c’est lui aussi qui me disait de partir car il
dégageait une odeur de souffrance. C’était une odeur nouvelle pour moi. Il fallait
que je comprenne… Derrière les murs, j’ai vu alors une multitude de poules dans
des espaces si petits que je n’ai pas su tout de suite ce que cela signifiait. Tout
était si lourd qu’il me semblait que leurs âmes n’étaient pas là. Tout se brouillait.
Des images de peur, inconnues, se précipitaient derrière mes yeux. Je n’ai pu
demeurer là longtemps car on m’a chassé avec des cailloux, mais j’ai
suffisamment vu comment l’homme savait tuer l’amour, comment il savait faire
sortir la vie des corps. Ceux de mon espèce ont peu de contacts avec la race des
poules mais ils la respectent même s’ils s’en nourrissent parfois, car chacun sait
que l’Esprit de Vie n’a pas de visage et qu’il se glisse partout. Nous pouvons
manger un corps mais nous savons que nous ne mangeons pas une âme. J’ai
[13]
donc vu que le peuple humain cherche parfois à manger les âmes animales .
Dès que la terre se met à vivre sur nous, nous redevenons un peu plus nous-
mêmes, plus forts, plus loin du doute. Lorsque j’avais des maîtres, j’ai
rapidement compris que ce contact avec la terre ne leur plaisait pas.
Ni la maladie, ni ce qui vous paraît être la saleté ne nous en prive aux yeux de
nos semblables. Quant à la beauté et à la laideur, je commence seulement à
deviner ce que cela signifie pour vous. Les âmes-oiseaux m’ont aidé à pénétrer
ces notions. À vrai dire, de telles notions sont étrangères à la majorité des
membres de notre peuple. Nous ne parvenons à distinguer clairement que la
douceur ou la rudesse d’une âme par l’odeur et la lumière qu’elle dégage. Quant
au reste, je sens seulement ce que cela veut peut-être dire pour vous et cela
m’étonne. Il y a des formes, des apparences qui nous surprennent, qui nous
inquiètent parfois, mais guère plus. Ce sont celles qui ne sont pas conformes à
nos habitudes, qui dispersent nos points de repère. Ce qui nous fait peur, c’est ce
dont nous ne comprenons pas la raison.
Nous avons besoin de nos habitudes. Chacun fonctionne ainsi dans mon peuple.
Cela nous renforce. “Organisation”, disent les âmes-oiseaux, cela construit notre
Cela nous renforce. “Organisation”, disent les âmes-oiseaux, cela construit notre
âme.
Aujourd’hui, je n’ai pas d’homme pour tracer ma vie, pour me donner des
habitudes, alors quelque force en moi me suggère une routine comme si ce
besoin était inscrit très profondément dans mon cœur. Par exemple, il faut que je
me réveille chaque jour avant le soleil et que je gratte le sol ; il faut aussi que je
recueille le parfum de certaines plantes et que j’essaie de le garder sur moi. Cela
me renforce et me sécurise parfois, lorsque ma route ne s’inscrit plus nettement
sous mes pattes. Ainsi, j’arrive mieux à la retrouver, à m’en souvenir. Il faut que
tout soit simple.
Par bonheur, celle-ci, bien que différente, n’a pas tardé ; elle nous a appelé
une fois de plus hors de nos enveloppes physiques… là où les consciences se
touchent…
Chapitre VI
Parole d’âne
Une allégresse qui a les accents d’une vieille chanson que l’on fredonne sans
savoir d’où elle a surgi…
Et puis, d’un coup, c’est le souvenir de Tomy qui nous traverse et nous
ramène au but de notre voyage, de notre quête. Serais-tu là, quelque part,
Tomy ? Dans le défilé insaisissable des minutes, il nous semble percevoir
confusément ta présence… mais où ?
En dessous de nous, sortant avec lenteur du groupe des deux ou trois maisons,
une silhouette féminine vient à pousser la porte de son jardinet et dépose un
objet sur le bitume de la ruelle. C’est celle d’une femme âgée, de forte
corpulence. Pendant quelques instants, elle demeure là, muette, adossée à un
muret, paraissant attendre quelque chose. Enfin elle se met à claquer
bruyamment des mains. Alors, presque aussitôt, de derrière une grosse touffe de
romarin poussant contre un amas de pierres, une forme animale apparaît
timidement. D’un pas mesuré, presque rampant, elle franchit la vingtaine de
mètres qui la sépare de l’objet déposé au sol : un plat de nourriture.
« Ah, te voilà… fait alors simplement la vieille femme qui se garde bien
d’esquisser tout geste. Je te fais peur aujourd’hui ? »
Nous avons reconnu Tomy, Tomy qui, pour toute réponse, remue doucement
la queue en s’approchant de la nourriture.
« Cela fait deux semaines qu’il se fait nourrir ici, affirme la voix en nous. Il y
a beaucoup de bonté en cette femme.
Elle est de ces personnes que Tomy savait devoir trouver sur sa route. La
conscience de son espèce est enfin parvenue à le guider jusqu’ici… »
Nous ne pouvons cacher notre étonnement face à cette expression : “enfin
parvenue”. La Présence reprend alors, plus intérieure à nous que jamais.
« Vous devez savoir, vous les hommes, qu’à chaque fois qu’un animal
s’approche réellement de vous, c’est-à-dire, qu’il pénètre votre mode de vie et
place ses espérances en vous, il devient progressivement moins réceptif aux
influences de l’esprit directeur de son espèce. Comprenez-vous ce que cela
induit ? Votre responsabilité envers lui ! Abandonné à lui-même, un tel animal
devient alors semblable à un navire sans boussole ni sextant. Il lui faut retrouver
d’autres points de repère, ceux que la Nature a inscrits en lui mais qu’il a laissé
s’engourdir.
C’est pour cela que Tomy a mis tout ce temps à trouver la route qui lui était
murmurée. Il lui fallait nettoyer un canal partiellement obturé. Il attend tellement
des humains, voyez-vous !
L’émotion qui étreint Tomy est presque nôtre. C’est un sentiment étrange… une
sorte d’émerveillement mêlé d’appréhension, un de ces goûts indéfinissables
que, tout enfant, nous recueillions parfois au creux des contes…
Elle est sans détour, telle qu’en elle-même à chaque seconde qui passe. Si tu es
mon ami, tu n’es ni beau ni laid, ni fort, ni faible. Tu es simplement mon
complice et je suis le tien jusqu’à ce que la vie nous sépare. »
Pendant un instant Tomy a fait mine de sortir de l’étable puis, comme s’il
s’était ravisé, il a fait demi-tour pour revenir d’un pas plus tonique en direction
de l’âne.
Celui-ci alors a secoué la tête au-dessus de la barrière de son enclos et le
jeune chien s’est mis à flairer la paille près de ses sabots.
« Cela aussi c’est une marque d’amitié, reprend la voix-guide. Se laisser
flairer les pattes, cela veut dire tout simplement “Je veux bien que tu en saches
un peu plus long sur moi.” Tout cela correspond… à une belle et chaleureuse
poignée de mains que vous échangeriez avec un autre humain. Pour votre frère
animal, c’est une façon de pénétrer un peu le chemin que vient de parcourir son
ami. L’énergie vitale qui entoure les pattes constitue une mémoire à elle seule.
Elle draine la marque des mille choses rencontrées les jours précédents : les
dernières promenades et leurs découvertes, le plaisir ou la crainte qu’on y a
éprouvés, parfois aussi le signe de l’homme qui y est mêlé.
Car chaque homme a un signe, voyez-vous… au-delà de son odeur, de la
lumière qu’il répand et du son de sa voix. Ce signe est un peu… la forme de son
âme, le sceau dont l’Esprit de Vie l’a marqué. Ce sceau, vous pourriez dire qu’il
est une qualité, c’est-à-dire une énergie, une polarisation de l’être. Au niveau où
[15]
nous le percevons, il a toujours forme animale .
Chaque être de mon peuple sait lire cette marque en vous. Cela explique des
attitudes, la difficulté ou au contraire l’aisance de certains contacts. Ainsi, pour
approcher les loups au sein de leur civilisation, il faut, dès la venue en ce monde,
porter le sceau du loup au fond de l’âme et être ouvert à sa présence. Sachez
qu’être conscient de cela c’est être relié à une force primordiale de la Nature,
c’est avoir la possibilité de puiser en soi une infinité d’éléments de
compréhension de la Vie, de s’en alimenter et d’en alimenter autrui. C’est tenir
un fil directeur par lequel on peut remonter un peu plus à sa propre essence… à
celle d’une étoile, d’un soleil, d’une couleur, d’une note de musique. Une note
de musique…
surtout, surtout… Celle que l’Esprit de Vie a voulu que nous jouions et
développions en nous… à tous les niveaux, avec toutes ses harmoniques. Chaque
forme de vie qui prend naissance dans la matière, voyez-vous, est en quelque
sorte jumelée à une autre forme de vie appartenant à un règne différent du sien.
C’est ainsi que chacun de vous est apparenté à un minéral, à un végétal, un
animal, un ange et même bien au-delà. D’une façon analogue, il y a bien sûr déjà
de l’humain dans chacun de vos frères animaux. Ce que ces derniers seront dans
« les temps à venir » se prépare et vit déjà en eux avec une polarisation bien
spécifique. C’est de cette façon que l’Esprit de Vie se prolonge et grandit en
chacun… jusqu’à ce que chacun le perçoive en soi, et veuille à son tour le faire
croître et le redistribuer. C’est pour cela que l’Amour est là… même où vous ne
le voyez pas, même où il vous semble, avec votre raison, qu’il ne peut pas être. »
Contentez-vous d’être… être simplement à leurs côtés, comme un des leurs car
c’est cela que signifie être frères, être capable de communier à la même
pensée. »
Dans l’étable que plus rien ne trouble, le voile d’un doux silence est tombé
sur nous tous. Nos êtres subtils, dont nous ne parvenons plus à percevoir ni les
contours ni la substance, se sont dissous… Et pourtant, nous sommes bien là,
plus présents, plus conscients que jamais, quelque part vers la voûte de pierre.
Nous sommes seulement des regards capables de tout envelopper, de tout aimer,
appelés de l’intérieur à pénétrer chaque chose, chaque être et à les recevoir.
Instant magique où l’on éprouve le sens de la fusion…
Alors, semblable à une perle fine dont l’éclat touche l’âme, quelque chose se
met à scintiller au plus profond de notre être.
Ce quelque chose fait naître une sensation délicate, intraduisible mais en laquelle
nous devinons une présence nouvelle. Petit à petit, un son en émerge, une douce
modulation qui paraît provenir… presque d’un autre espace. Et ce son devient
une voix, discrète, fluette, mais belle et sereine.
« Cela… ? »
« L’événement… le nœud, la marque de mon peuple, ce qui le lie à cette
Terre et à ses hommes.
C’était il y a des millions et des millions de vos années, en un temps où le feu
et l’eau qui se rencontraient faisaient naître de longues mers de brume à la
surface du continent. Comme tout ce qui se meut sur cette Terre, les premiers
éléments de ce qui constitue aujourd’hui mon peuple avaient déjà depuis
longtemps pris corps dans cette matière, apportés par un souffle venu des étoiles.
Mon esprit, lui-même issu du Centre de l’Univers, était jeune encore dans la
tâche qui est sienne. Il apprenait les lois de la densité à travers d’immenses
troupeaux de petits êtres, assez semblables à ceux que vous connaissez
aujourd’hui, mais plus velus. La contrée où les premiers des miens avaient fait
souche était verdoyante et se situait quelque part aux pieds de ces montagnes que
vous nommez Himalaya. Ma tâche était d’insuffler aux êtres dont j’avais la
charge… une pénétration aigüe de l’âme de tout ce qui vit… une vision de ses
couleurs, une perception de son devenir. Ainsi, étais-je et suis-je encore polarisé.
L’Esprit de Vie a en effet placé en moi, de toute éternité, des talents d’interprète
et de devin…
Par ma sensibilité, je devais permettre à ceux de ma race, ceux dont la
conscience émanait de la mienne, de traduire par des signes la présence de
Forces divines à l’ensemble du peuple animal et humain.
Ainsi, nous transmettions en commun une énergie, une force par laquelle ma
propre conscience croissait aussi à travers mon peuple. Ce dernier m’enseignait
tout autant que je l’enseignais.
Puis, vint le temps de la rupture entre le monde animal et le monde humain.
Une duplicité maladive s’introduisit en l’homme.
Nous la savions déjà présente depuis fort longtemps mais elle somnolait comme
un germe qui attend son heure. Dès lors qu’elle se révéla, elle se diffusa telle une
peste ou une gangrène à la surface du continent. Il y eut l’orgueil, la rébellion, la
cruauté et… le doute. Certains de mes frères animaux furent contaminés par des
sortes de flammes sortant des cœurs humains et se fermèrent à tout partage.
Oui… il y eut donc le doute, le doute qui vient du choix, cette rencontre des
chemins ou chacun contrôle et estime sa force, sa transparence, où chacun aussi
vient se placer un instant, sans le savoir, au centre d’une croix. C’est en mémoire
de cette heure du Choix que l’Esprit de Vie a inscrit un signe sur l’échine de
[17]
certains des miens .
Une heure qui demeure plus que jamais vivante en ma conscience, mi-
douloureuse, mi-joyeuse.
Devant l’épreuve du choix, je vins à douter de ma place parmi mes frères
animaux. L’homme m’attirait, je ne crains pas de le dire. Au lieu de me replier
avec la majorité de ceux de mon peuple, je voulus donc continuer à cheminer
aux côtés de l’humanité, à la servir. La trahison par rapport aux miens n’était pas
dans mon cœur ; elle ne l’a jamais été… mais le remords y est né, peu à peu. Je
n’avais pas été doté de conscience humaine…
Les cordes de mon âme avaient été accordées sur un autre mode et il aurait peut-
être fallu que j’accepte cela.
Quoi qu’il en soit, aux yeux de certaines âmes collectives du monde animal,
je devins une sorte de paria et j’entraînai mon peuple sur une voie de solitude. Je
ne vis alors plus d’autre alternative que de servir la Force de Vie qui
m’éprouvait, en acceptant de prêter mes échines au gré des besoins humains.
Cette servitude me rachète à mes propres yeux et face à la conscience de tous
mes frères… bien qu’elle continue parfois de blesser la dignité que ma fonction
première a inscrite en moi à jamais.
Patiemment, à travers les miens, j’attends alors le jour où mon âme aura
pleinement accepté et intégré la noblesse de son animalité, le jour aussi où
l’homme aura redécouvert le Sacré, où il verra derrière mes yeux quelque chose
[19]
d’autre que la stupidité …
Opiniâtre à l’excès, sans doute le suis-je en effet, amis humains… mais derrière
cette opiniâtreté se cache un trésor qu’il me tarde de vous offrir. Si je m’adresse
à vous aujourd’hui, ce n’est pas, certes pas en vue d’implorer votre pitié ou
d’émettre une longue plainte… mais tout simplement pour que vous compreniez
parce que vous avez besoin de comprendre pour aimer… et parce que mon
peuple, celui des ânes, a un immense besoin de votre amour. »
Telle une flamme qui s’éteint sans crier gare, la voix s’est retirée de nous.
Durant un long moment, cependant, son empreinte a persisté. Maintenant encore
elle semble nous priver de toute volonté de mouvement et de toute soif d’autre
chose.
Non loin de nous, Tomy et son nouveau compagnon n’ont toujours pas bougé.
Étaient-ils conscients que quelque chose se passait ? Seule une volée de cloches,
s’échappant de l’église voisine, suscite un mouvement d’oreilles chez eux. Nous
pourrions partir, laisser glisser doucement nos corps de lumière sous l’arcade de
la porte, mais une force muette nous persuade du contraire.
Se dessine alors la certitude que nos êtres n’ont pas fait le plein de ce qu’ils
doivent vivre en ces lieux. Et la voix ? Où est-elle cette Présence-guide qui nous
a menés ici ? Ce qu’elle nous a fait vivre jusqu’à cette heure nous paraît à la fois
si fantastique et si logique en même temps… Nos repères en sont décalés et,
malgré notre conscience qui demeure vive et déployée, nombre de données se
bousculent en nous.
Une sensation, pourtant, demeure immuable depuis le début de ces
expériences. Une perception que, dans l’écrin chaud de cette étable, nous
éprouvons plus pleinement, comme si elle était concrète, comme si nous
pouvions la toucher du bout des doigts. C’est celle d’une grande paix… au sein
de laquelle tout s’agence avec simplicité.
Soudain, une nouvelle volée de cloches… et voilà l’âne qui part d’un long
braiement à n’en plus finir. De l’aura de Tomy qui paraît alors se mettre en
mouvement, des formes d’un blanc laiteux s’échappent les unes après les autres.
Puis, telles des bulles de savon qui tenteraient de prendre leur envol, elles
disparaissent. L’une d’elles cependant persiste et s’amasse comme une brume
qui vient à se fixer derrière la nuque du jeune chien.
Les secondes passent, les cloches continuent de sonner et, tandis que l’âne
frappe le sol de son sabot, Tomy tend le museau comme pour palper quelque
chose dans l’air. Dénués de toute volonté personnelle, nous nous laissons alors
attirer par la brume blanchâtre qui s’est fixée et s’expanse derrière sa nuque.
Nous la percevons telle une espèce d’entonnoir qui nous appelle. Oui… il faut
que nous nous y enfoncions et que, l’espace de quelques instants, celui-ci
devienne notre monde, notre univers, notre galaxie.
Dès lors, rien d’autre ne compte que cet espoir, que ce vouloir au sein même
de la non-volonté et de l’oubli de soi.
Enfin tout bascule. Absorbées par Tomy, nos deux âmes dépersonnalisées ne
voient plus que par ses yeux, ne sentent plus que par son museau tendu. Sous ses
pattes – faut-il dire sous nos pattes ? – la chaleur un peu rugueuse de la paille du
sol nous est perceptible. Elle nous inonde peu à peu et achève ainsi de nous
ancrer dans le petit corps velu de Tomy.
Voilà… quelques secondes passent encore et nous respirons par lui, en lui et son
halètement devient nôtre. Des sensations nous traversent, pêle-mêle, comme un
bouquet de fleurs des champs, désordonnées, sauvages. Nous y découvrons la
solitude et la joie, l’étonnement et la crainte, puis mille autres choses que jamais
une plume ne saurait transcrire… Enfin, derrière tout cela, semblable à une toile
de fond, un paisible équilibre, une puissance sereine.
de fond, un paisible équilibre, une puissance sereine.
L’histoire simple de sa vie telle qu’il la lui conte, c’est l’histoire de ses attentes,
celle de la couleur des fleurs qui change sans cesse ou de la courbure des racines
sur le bord du chemin.
La magie de cette simplicité nous enlace, elle nous nourrit d’un indicible
bonheur qui fait de chaque chose un miracle.
« Alors, oui… nous disons-nous avec Tomy et son compagnon, as-tu vu cette
grosse racine, là où le sentier se courbe tellement, tout en bas du vallon ? Il y a
une pierre… Crois-tu que la racine passera dessous ? »
Et au cœur même de ce questionnement si naïf, si étranger aux regards
humains, nous découvrons une sorte de délice, tout un jeu de l’âme qui prend
plaisir à dénouer une énigme. Au plus profond de nous-mêmes nous découvrons
ainsi, dans un espace du temps animal, comment la couleur d’une feuille ou la
courbure d’une branche peut être aussi belle et passionnante qu’une page de
littérature ou un film d’aventure. Les contours du monde, sa beauté, sa laideur
passent toujours par le prisme d’un regard.
Soudainement, alors, il nous semble qu’être chien ou âne ou peut-être même
arbre sur le bord de la route est tout aussi logique, grand et beau que de prendre
vie humaine. Même s’il se colore de bleu ou de vert, le soleil se nomme toujours
soleil. C’est pour cela que derrière chaque masque, on trouve l’unique visage de
la Vie, celui que nous ne devons jamais perdre de vue.
Voilà la leçon que nous dispensent Tomy et son compagnon. Certes, dans la
pénombre de cette étable, elle n’a pas de quoi satisfaire l’intellect puisqu’elle
nous enseigne une route qui serpente entre compassion et partage… mais peut-
être est-elle au moins capable d’offrir un ravalement aux âmes qui vieillissent à
force de se contempler elles-mêmes…
Au fond de nous une voix murmure à nouveau : « Amis, souvenez-vous, que
c’est dans ce qui n’est pas encore humain que bourgeonne l’humain et que c’est
à partir de l’humain que s’élance le supra-humain. Ceci est une chaîne sacrée…
non parce qu’un être l’a décidé ainsi, mais parce que cela représente l’axe de la
Vie elle-même. Si votre cœur vient à souffrir, seul, coupé de tout, peut-être est-
ce parce qu’il n’a jamais voulu vivre qu’à travers ses propres battements…
Posez-vous en la question. »
Chapitre VII
Les jours ont passé, une fois de plus. Sans nouvelles. Cent fois, au cours de
nos activités, nous avons tenté d’imaginer Tomy. Que faisait-il ? Avait-il enfin
trouvé ? Un instant nous avons été tentés de boucler une valise et de prendre la
route pour essayer de le rejoindre physiquement. Sans doute pourrions-nous le
retrouver, ce petit village où nos âmes l’ont accompagné pendant quelques
heures… Ce devrait être possible ! Avec un peu de chance il y serait encore,
attendant chaque matin une assiette de nourriture, puis faisant un détour par
l’étable, sous l’arcade de pierre. Mais l’idée de mettre ce dessein à exécution
s’enfuit d’elle-même, comme si quelque chose d’impalpable nous disait qu’il ne
fallait pas que cela soit ainsi.
Enfin, ce soir, en cette fin d’hiver, la voix-guide est venue nous chercher.
C’était il y a quelques instants à peine.
Elle s’est mise à résonner au centre de notre crâne comme pour nous réveiller de
quelque torpeur. Elle y a réussi… nous n’avons eu qu’à nous allonger et dans
une longue détente, une longue inspiration, nos consciences l’ont suivie sans
effort. Nous avons cru tomber dans un trou sans fond, tandis que nos corps
s’éloignaient à une vitesse effarante, puis ce fut tout…
À demi cachés par un groupe de platanes aux troncs tourmentés, ses murs de
pierre nous apparaissent les uns après les autres.
En même temps que nous, Tomy semble en avoir remarqué les lumières car le
voilà qui coupe droit vers elles, à travers une sorte de garrigue, dérangeant au
passage deux oiseaux qui s’envolent à grand bruit d’ailes. Avec sa petite tour
ronde au toit tronqué et ses multiples dépendances, l’auberge n’est autre qu’un
vieux mas, vraisemblablement un ancien moulin à eau, restauré. Un ruisseau
impétueux coule le long de ses murs et nous nous plaisons à flotter un instant au-
dessus de lui avant de découvrir un vivier au pied d’une terrasse couverte.
« Les lieux qui vivent depuis fort longtemps attirent toujours vos frères
animaux, affirme la voix-guide en reprenant place en nous. Ils sont auréolés
d’une lumière subtile que l’on voit parfois de très loin. La vie humaine exerce
une fascination sur vos frères. Plus ceux-ci sont proches de vous, plus leur
conscience les fait s’exprimer par eux-mêmes et plus vos points de repère
deviennent les leurs.
À chaque fois que vous vous déplacez, vous laissez des traces derrière vous.
Ne croyez pas que le peuple animal y soit insensible.
Il tente, par une sorte d’automatisme, de les récolter. Cela génère un puzzle qui,
Il tente, par une sorte d’automatisme, de les récolter. Cela génère un puzzle qui,
pour lui, acquiert petit à petit une signification. Ainsi, l’histoire récente d’un lieu
lui est-elle beaucoup plus familière qu’à vous. L’âme animale lit toutes les
empreintes de la vie, au niveau où les habitudes et les émotions les ont créées.
Cette vision, cette appréhension du monde fait partie de son univers proche.
Devinez-vous pourquoi ?
l’anneau ! »
De tels endroits demeurent empoisonnés pour longtemps, tant que toutes les
consciences qui y ont connu la souffrance n’ont pas trouvé la paix totale dans
leur cœur. Les différents corps de la Terre, voyez-vous, leurs réalités éthériques,
émotionnelles, mentales et au-delà encore, sont totalement analogues à une
glaise où tout s’imprime. Il n’y a là rien de mystérieux ; c’est l’effet d’une
mécanique dont vous ignorez seulement les rouages. Vos frères animaux
ignorent également ceux-ci, mais ils en sont imprégnés.
Comparativement au vôtre, leur univers est magique parce que l’accès aux
différents mondes ne leur pose aucun problème. Aucun niveau de leur être n’y
oppose d’argument. Dès lors, pour eux, tout est normal, tout est possible, tout a
une incidence sur tout et tout a la fonction d’un grand livre ouvert… »
Vos amis sont tout émotion ne l’oubliez pas ! Ce que vous, vous tentez de
maîtriser, voire de combattre, leur sert quant à eux de ciment. Ils en ont besoin.
Seuls l’eau et le feu lavent la mémoire vitale de la Terre. Ils sont l’expression
matérielle de la Force divine aux deux visages : l’un féminin, l’autre masculin. »
Ainsi que tous ses frères, il aime, lorsqu’il le peut, se laisser capter par leur
rayonnement. Il en suit l’invisible tracé le plus possible. Il en perçoit
intuitivement les nœuds, c’est-à-dire les endroits qui vont perturber son équilibre
ou au contraire le régénérer ou susciter en lui des rêves. »
« Nous pourrions donc nous laisser attirer par les mêmes zones… »
« Vous ne pouvez pas calquer votre attitude sur la leur car la polarité de vos
corps n’est pas toujours analogue à celle dont la nature les a dotés. Loin s’en
faut. Vos frères les chats, par exemple, aiment plutôt à sommeiller, lorsqu’ils
sont seuls, sur des lieux où l’humain aurait, quant à lui, tendance à se décharger
en vitalité. »
Un peu en dessous de nous, Tomy vient de s’arrêter sur le bord du vivier. À
travers les reflets de la surface de l’eau, sans doute a-t-il perçu les silhouettes
grisâtres et argentées de quelques poissons car ses oreilles se sont soudainement
tendues et sa tête s’est mise à afficher d’étranges expressions.
Tandis qu’amusés par la scène, nous continuons de l’observer de plus belle,
une notion, une idée, un mot viennent presque brutalement frapper à la porte de
notre conscience : « Soif… soif… »
Puis surgit aussitôt une image, furtive, mais tellement nette. Celle d’un
récipient de verre qui se renverse et se casse…
peut-être un aquarium…
« Pas le droit… ? »
[20]
Nous captons l’interrogation de Tomy, un début d’inquiétude .
Un œil rivé sur elles, Tomy se met alors à laper bruyamment un peu de l’eau
du vivier. Aussitôt, deux ou trois poissons créent un gros remous à sa surface
puis la masse grise de tout le groupe va se tasser dans un coin.
« Laissez-le, fait la voix-guide. Mieux vaut que vous vous glissiez vers le
ruisseau, au pied du mur. Vous allez comprendre…
Je veux que vous entriez en contact avec le monde de l’eau. L’avez-vous jamais
exploré ? Je sais, ce n’est pas aisé. On a parfois la sensation que les corps, même
les plus subtils s’y dissolvent et que notre identité s’y émousse.
L’eau, dans sa réalité éthérée, est à la fois le sang de la Terre et la base de tout
organisme. Lorsqu’un corps matériel ou immatériel y plonge, il se met en
contact avec la mémoire, non seulement de ses propres origines, mais aussi de
celles du monde. Chaque molécule d’eau véhicule une myriade d’informations
sur tous les plans vibratoires. D’un certain point de vue, bien que cela puisse
sembler être une aberration, ce que nous appelons terre n’est autre que de l’eau
densifiée, contractée, de l’Eau qui a subi une transmutation. Mais peu importe
que vous compreniez cela ou non pour l’instant. Ce qu’il vous faut savoir c’est
que l’élément Eau, à tous ses degrés de manifestation, peut amener l’âme à
voyager au-delà de sa personnalité temporelle, temporaire et, de ce fait, réduite.
Il vous propose donc une plongée au cœur de vous-même et plus généralement
du monde. Les consciences qui vivent dans l’eau ont ainsi, depuis des temps
immémoriaux, une vision et une compréhension du Tout qui en font des matrices
colossales pour les univers à venir.
Allons, approchez-vous de ces herbes et laissez le corps de votre âme frôler la
surface dansante du ruisseau. Il y a une grosse pierre à demi couverte d’algues,
la voyez-vous tout au fond ? Laissez-vous appeler par elle, sans résistance, et ne
songez plus à Tomy… »
Lentement, nous tentons alors d’abandonner nos corps subtils à la présence
fuyante de l’eau. Nous ignorons où cela va nous mener mais la caresse que les
vaguelettes qui courent semble imprimer sur notre peau immatérielle, est déjà
fascinante. Enfin, d’un coup, nous sommes pris l’un après l’autre par l’envie de
tout laisser aller, d’abolir en nous jusqu’à la plus infime résistance et
d’immerger notre regard, notre être, dans le lit herbeux du petit ruisseau.
En un éclair, la totalité de notre univers sensible bascule… Des bandes de
lumière jaune, horizontales, passent devant nos yeux comme de longs serpentins,
puis se teintent d’argenté et s’évanouissent…
Désormais, tout est clarté ; le jour qui tombe ne nous concerne plus, ni le
monde de l’auberge qui commence à s’activer.
Le creux du ruisseau qui nous ouvre ses entrailles nous paraît un fleuve tant ses
éléments se sont dilatés. Les mousses et les herbes aquatiques sont devenues
immenses et mauves, quant aux pierres et cailloux, nous les voyons couverts
d’une sorte de dentelle couleur de lune, en perpétuel mouvement. Et tout cela
palpite, tout cela exprime une vie intense, une lumière intérieure qui nous emplit
de paix. Cependant nous remarquons que notre conscience est incapable de se
centrer sur elle-même tant il nous semble habiter tous les recoins du ruisseau à la
fois. Tous nous concernent, comme s’ils nous étaient familiers, presque comme
s’ils faisaient partie de nous-même. Les herbes dansent et mille particules
immaculées circulent autour de nous, évoquant le scintillement des étoiles et leur
course folle.
Nous voit-elle réellement ? Nous l’ignorons mais nous sentons qu’elle nous sait
là tout comme nous savons qu’elle existe sans même l’avoir discernée
clairement.
Un élan d’amour indicible les pousse à le faire sans une hésitation, avec une
seule idée pour moteur… le partage… Dans le fouillis des algues aux nuances
mauves, un regard scintille enfin. C’est celui d’un poisson impressionnant
d’impassibilité. L’œil fixe, la mâchoire inférieure proéminente et qui paraît boire
doucement la lumière ambiante, il regarde dans notre direction. Nous ne pensons
plus… Notre être intérieur devient véritablement inapte à concevoir l’instant
présent, puis l’immensité de la Vie, autrement que comme une méditation.
Pouvez-vous entrevoir cela ? Au-delà, je ne sais pas, l’eau n’est plus mienne.
L’Esprit de Vie ne m’en donne pas l’accès.
Pourquoi venez-vous ici ? Est-ce de votre propre volonté ? Je n’ai appris qu’à
me méfier de l’homme et à éduquer les miens dans cette attitude. Toutefois mon
peuple demeure passif, il me semble toujours s’offrir en sacrifice à ceux de
l’air… »
Cependant que l’animal s’exprime de la sorte, nous voudrions répondre à ses
questions… mais nos pensées sont confuses et demeurent rebelles à toute
volonté de les ordonner. Dès lors, il nous semble subir la situation face à une
personnalité déroutante et dans un univers où les références ont peu en commun
avec les nôtres.
« Tous ceux de l’air nous ignorent… aussi est-ce une joie de communiquer
avec votre présence. Oui, j’ai appris ce qu’est la joie… ou plutôt j’ai appris à
avoir conscience de l’état de joie. Cet état, mon peuple le vit sans savoir ce qu’il
est, sans le différencier d’autre chose…
Puisqu’il ignore ce qu’est cet autre chose. J’œuvre donc dans l’espoir de lui
enseigner la vigilance, parfois la méfiance. Mon peuple vit dans l’Unité, voyez-
vous… mais l’Esprit de Vie m’a fait comprendre que les miens ne maîtrisent pas
cette Unité, ils n’en connaissent ni la valeur ni la signification car ils ne l’ont pas
découverte.
Mon peuple est immergé dedans… il est victime de sa propre perfection parce
que celle-ci est une bulle qui n’a jamais éclaté. Ainsi, je tente de lui enseigner ce
qui est double, ce qui sépare, ce qui fait éclore le doute. Je l’accouche de sa
conscience. Je suscite l’ombre afin qu’il goûte à la lumière en sachant qu’elle est
la lumière. Chacun me craint ici, non parce que je n’ai pas d’amour en moi, mais
parce que c’est par la crainte que je fais jaillir les réactions, que je génère le
mouvement et des étincelles de conscience… Ne dites pas que mon peuple est
stupide car je l’aime et parce que la stupidité n’a de signification que lorsque le
savoir a commencé à prendre place dans un être.
Une question enfin parvient à s’organiser dans notre esprit. Elle émerge
lentement, avec respect, tandis qu’une bande de tout petits poissons file devant
nous et va se perdre entre les herbes.
« Frère… d’où tiens-tu ta connaissance ? »
« De l’eau… car je sais ce qu’est mon eau, car je sais aussi ce qu’est votre
eau, celle que vous respirez depuis que je l’ai visitée en esprit.
Mon eau… l’eau… c’est la mémoire. J’y vois la vie de toute la Terre. Les
paroles et les actes y circulent, ceux de toutes les créatures. Elle me raconte
l’autre bout du monde, les pestilences qui y sont déversées, les déplacements de
mes frères inconnus, ses expansions et ses retraits. Tout cela parle en elle à
chaque instant car elle est un seul corps, un seul être. Et puis aussi, elle exprime
un peu de la mémoire des hommes, ceux qu’aucun de nous n’est encore parvenu
à comprendre parce qu’ils sont de l’autre côté du ciel. »
Cependant que ces paroles s’impriment en nous, nous commençons à
éprouver la sensation prononcée d’une sorte de vertige, comme si notre
conscience allait être attirée ailleurs.
Il nous semble alors que quelque force nous sollicite à l’arrière de notre corps.
Elle nous saisit en douceur mais avec insistance, au niveau de notre nuque. Elle
est muette et distille une forme de tendresse qui ne fait qu’ajouter à l’étrange
sensation de vertige. Tout devient silence… puis, en une fraction de seconde,
l’univers du ruisseau et son poisson-maître se dissolvent à nos yeux.
Durant un bref instant, l’image de l’auberge vient à nous traverser, suivie
aussitôt de celle de Tomy balançant vivement la queue face à un couple qui le
caresse.
Un immense tourbillon engloutit bien vite tout cela. Il annihile la moindre
résistance de notre part, tout en nous faisant goûter à une plénitude difficilement
exprimable. Aucune émotion ne nous étreint… Seul l’amour est présent, sans
réserve, sans tache et toute autre chose devient hérésie. Alors, il fait lumière, il
fait bleu dans notre ciel intérieur, bleu tout autour de nous, là où une présence
commence à pétiller et fait miroiter des paillettes irisées.
Tout d’abord, nous ignorons où nous sommes puis, peu à peu, l’idée d’un
fond sous-marin s’impose à nous. Avec les yeux de l’âme chaque élément de
notre champ de vision acquiert maintenant une coloration différente. Des formes
d’abord fugitives se profilent en dessous de nos êtres.
Puis, ce sont des bancs de poissons, bien visibles ceux-ci, qui s’offrent à nos
regards et se faufilent entre les algues. Ils vont et viennent comme un seul être,
tantôt par saccades, tantôt emportés dans un mouvement ondoyant. Plus encore
qu’auparavant, nous éprouvons la très nette et troublante sensation que nos corps
subtils se sont dissous dans cette immensité aquatique. Nous gardons de nous
l’image d’un point minuscule dont la vision s’étend à trois cent soixante
degrés… et surtout, il nous semble vivre intensément au cœur d’un être, ou
plutôt d’un prodigieux cerveau dont tout est issu.
« Oui, oui, c’est à peu près cela, fait doucement la voix-guide, se rappelant
alors à nous. L’eau, les rivières, les mers, les océans, forment un seul et même
corps, une conscience unique qui agit telle une matrice. Ainsi que l’éther, elle
constitue une plaque sensible de l’univers terrestre. L’histoire de votre monde se
trouve condensée en elle. Du petit ruisseau, j’ai voulu vous emmener jusque
dans les fonds marins… parce que la mémoire aquatique y est plus vive. Lorsque
l’eau renferme le sel, l’iode et cent autres éléments subtils, la conscience y est
davantage présente, plus tonique.
Voilà pourquoi tout le peuple animal qui vit dans les eaux des mers acquiert
une perception de la vie plus fine, plus dynamique que celui qui évolue en eau
douce. Son individualisation s’effectue plus rapidement parce que le monde des
émotions prend plus vite place en lui. Il le laboure très tôt. Regardez la multitude
des formes et des couleurs que la mer engendre. N’y voyez-vous pas un creuset ?
Où finit la plante et où commence l’animal ? Il ne suffit pas d’apposer une
appellation scientifique sur telle ou telle espèce pour résoudre cette question. Il
faut s’enfoncer dans les profondeurs de la Vie elle-même… là où le mystique
prend le pas sur le scientifique, là où le scientifique s’aperçoit que sa science se
résume à une leçon d’amour, là où, enfin, toute appellation n’a plus cours.
Vos frères des fonds marins sont d’ores et déjà vos frères des temps à venir.
Leurs âmes expérimentent la vie physique par le canal où celle-ci stimule le plus
rapidement la naissance des sentiments, de la sensibilité. Ainsi, nombre d’âmes-
groupe prennent pleinement conscience d’elles et croissent en ces zones de
l’univers matériel. Elles apprennent d’abord leur tâche en guidant les êtres dont
le sang est froid et, lorsqu’elles ont elles-mêmes grandi à travers les espèces dont
elles avaient la charge… au bout de quelques millions d’années, elles font muter
celles-ci jusqu’à ce que leur conscience se déplace et vienne générer des êtres à
sang chaud.
Ce que le Souffle de Vie appelle conscience, voyez-vous, c’est-à-dire cette
force qui peut éprouver des sentiments, des émotions, entreprendre une
réflexion, des actions et porter par la suite un regard sur soi, est présente avec
davantage d’intensité dans tous les organismes dont le sang est considéré comme
chaud. La chaleur est toujours un signe de l’implantation plus tangible de l’ego,
la trace de la marque solaire indispensable à la maturation. Souvenez-vous… Je
vous ai rappelé le passage obligatoire de la Vie par le stade égotique. C’est une
transition difficile mais nécessaire.
Cette distinction entre le sang froid et le sang chaud est importante. Elle vous
permet de comprendre pourquoi certains d’entre vous, qui se disent végétariens,
parviennent malgré tout à absorber la chair du poisson. Intuitivement, ils savent
que l’ego, donc la conscience de soi, est moins incarnée dans le poisson.
Laissez-moi maintenant vous dire que si cette position s’explique et se
comprend, elle ne dispense aucunement du respect que l’humain doit à toute
forme de vie, même aquatique. En tant que conscience globale reliée à des
milliers d’autres consciences collectives, je puis vous dire, amis, que le peuple
des eaux souffre comme les autres de l’actuelle présence humaine sur Terre.
Même si la conscience individuelle est moins développée en lui, elle y est
néanmoins présente, elle observe, elle mémorise des cicatrices et a besoin de
votre amour pour vivre.
Imaginez-vous que c’est l’eau et tout l’univers que celle-ci porte en son sein
qui va participer majoritairement à la vie de votre espèce dans l’Ère qui s’ouvre
aujourd’hui. Le grand calendrier cosmique le veut ainsi. Cela correspond à une
loi, juste, bien qu’incompréhensible à votre niveau, qui veut qu’à chaque Ère qui
s’ouvre on immole ou on se nourrisse de l’être-symbole de l’Ère précédente.
Ceci a toujours eu lieu, soit sur le plan symbolique, soit au niveau concret.
Ainsi donc, soyez bien certains qu’avec cette ultime fin de l’Ère des Poissons
débute le temps où les hommes vont ingérer une quantité croissante de nourriture
issue des mers.
Étudiez l’histoire de vos peuples, de vos traditions et vous comprendrez
mieux. Ce que vous appelez aujourd’hui tauromachie par exemple, n’est autre
que le résidu inutile et décadent d’un rituel né à la fin de l’Ère du Taureau, et qui
s’est poursuivi durant toute l’époque du Poisson. Il n’a plus lieu d’être car il ne
revêt plus la même valeur symbolique que la conscience de certains peuples
réclamait en un temps précis de l’humanité.
Lorsque j’évoque tout ceci, ne croyez pas que j’éprouve une douleur pour ce
que subit un élément de mon peuple. Je ressens surtout une peine à l’égard de la
race humaine car c’est elle qui se blesse en dénaturant un passé révolu et en
s’enlisant en lui. Lorsque vos semblables croient verser le sang autour d’eux,
c’est d’abord sur eux qu’ils le répandent. C’est par de tels mécanismes et leurs
répétitions que vous gravez en vous un certain goût de la souffrance et de la
mort. Tournez la page, frères humains ! Toutes les forces de la Création vous le
demandent car ce qui s’exclut du flot naturel de la Vie se condamne de lui-même
à l’asphyxie. »
Ces paroles de la Présence-guide se sont figées en nous comme un ultime
appel… puis le silence s’est mis à nouveau à opérer son œuvre dans nos cœurs.
Il distille un parfum d’une douceur absolue, il nous fait goûter à l’inexprimable
qui se tient hors du temps, tandis que dans l’immensité diaprée de la mer le
souvenir d’une parole vient tournoyer en nous : « Où finit la plante, où
commence l’animal ? » Et devant sa présence insistante, surgit d’elle-même une
autre interrogation : « Où finit l’animal et où l’homme commence-t-il ? »
Aucune réponse ne jaillit. Cependant, une ombre – mais est-ce bien une
ombre tant cela est vivant – nous frôle à nouveau. Nos sens soudainement
aiguisés, dilatés, perçoivent quelque chose de souple, une présence discrète,
fugitive et néanmoins de plus en plus réelle.
En ces fonds sous-marins pourtant, rien d’autre que des bancs d’algues
accrochés à quelques blocs rocheux tourmentés ne paraît se mouvoir. Les
colonies de poissons elles-mêmes ont totalement disparu derrière les multiples
voiles de la lumière. Peut-être ont-elles fui devant une force qui les dépasse ? Si
cela est, cette énergie, nous le jurerions, cherche à entrer en contact avec nous.
Elle ressemble à une pensée presque tangible qui nous étudie tout en nous
caressant délicatement l’âme.
Enfin, dans la texture même de la lumière, une forme apparaît et se rapproche
de nous à grande vitesse. Elle est ondoyante et bleue. Plus bleue et plus pétillante
encore que l’eau qui nous accueille. Elle ressemble à un regard ou à un sourire
vivant qui fuse dans notre direction, sans un mot.
Un dauphin… ! Nous n’avions pas osé souhaiter une telle présence et voilà
qu’elle se propose à nous spontanément…
Avec une souplesse inimaginable, l’être se met à tourner autour de nous,
exactement comme s’il percevait nos contours, pourtant immatériels. Dans les
mouvements de son corps puissant, seule la joie s’exprime. Celle-ci est partout et
génère une sorte de tourbillon communicatif qui emporte tout dans sa plénitude.
Soudain, l’être s’arrête, fait mine de se laisser porter par les eaux et
s’immobilise enfin. Nous ignorons dès cet instant si nous sommes en lui ou face
à lui. L’œil du dauphin, voilà tout ce qui nous habite. Par son seul éclat, l’animal
rit ou chante, nous ne savons… mais sa mystérieuse mélodie réveille dans nos
cœurs comme un vieux souvenir, une présence familière qui fredonne…
« Hommes… pourquoi tant de distance ?
Leur but était de parfaire l’évolution de ceux-ci, d’activer en eux le Souffle afin
d’accompagner la Nature dans sa tâche… C’est ce qui est demandé à toute
conscience lorsqu’elle s’approche de l’Esprit.
L’intelligence que nous avons développée et les facultés auxquelles nous avons
accès ne vont pas tout à fait dans la même direction que celles choisies par la
majorité de vos semblables. Nos corps nous limitent… Mais la Force de Vie
appelle-t-elle cela défaut ou imperfection ? Seuls comptent pour nous bonheur et
harmonie. Notre rêve est de vous les communiquer et nous y parviendrons à
notre façon… en partageant avec vous une certaine coupe.
Il abrite une supra-intelligence. Une forme de vie tout amour, dont vous n’avez
pas la moindre idée. C’est une intelligence, une présence proche de nos cœurs et
dont les étoiles sont les relais.
Il y a de la Lumière sur cette Terre. C’est tout ce que je puis vous dire… Et si
l’Ombre s’y déchaîne aujourd’hui, en vos cœurs et hors de vos cœurs, c’est afin
que son éclat en devienne plus évident, plus rédempteur lorsque le jour en sera
venu.
Oui, les mers sont à l’image des cieux, frères humains. Elles vont vous
renvoyer votre image, vous reconnecter à vos origines.
Lorsque des séismes feront surgir de nouvelles îles et que des bandes de terres
seront à nouveau recouvertes par les eaux, voyez cela comme un clin d’œil de
votre passé.
Notre mère et sœur la Terre a fait vœu de nous porter tous jusqu’au point
ultime où nos consciences pourront voler de leurs propres ailes. Elle sait ce qui
est bon. Il faut donc accepter qu’elle secoue de temps en temps son échine et
nous prodigue ainsi ses leçons. »
Sur ces mots, très très lentement, la conscience du dauphin s’extrait de la
nôtre, semblable à une douce étreinte qui se relâche. La sensation de plénitude
qu’elle avait instillée en nous persiste pourtant. Elle s’attarde dans notre cœur et
dans un silence au parfum différent des autres. Nous voudrions tant articuler
quelque pensée au-dedans de nous… Hélas rien ne vient…
En cet instant sacré, nous nous sentons comme des humains privilégiés,
certes, mais aussi tellement démunis. Seul un flot de tendresse incoercible
parvient à traduire ce que nous éprouvons. Alors, peut-être pour y répondre,
peut-être pour nous adresser un ultime salut, au cœur irisé de la lumière, une
étrange ronde se dessine autour de nous. C’est celle d’un groupe de dauphins
venus nous ne savons d’où et qui tourne, tourne autour de nos âmes à n’en plus
finir. Il ondule et fend les eaux dans une incroyable frénésie, il lance vers nous
de petits cris fascinants… puis soudain, plus rien… Rien d’autre qu’un
tourbillon qui nous emporte, nous arrache en silence et dans une sorte d’ataraxie
à l’immensité aquatique.
La mer et ses vagues sont déjà en dessous de nous, à peine éclairées par les
reflets d’une lune pâle. Tout défile très vite, presque hors du temps… Une
minuscule plage et des récifs apparaissent puis des silhouettes d’arbres, quelques
phares de véhicules et toujours, toujours le souvenir, la présence de l’eau qui bat
en nous.
Déjà nous sommes de retour auprès du petit ruisseau, de l’auberge et de sa
vieille arcade de pierre où attendait jadis une jument.
Sous un lampadaire, Tomy est encore là. Il balance la queue et tend le cou aux
caresses répétées d’un couple et d’une adolescente.
« Tu vois, maman… s’écrie la toute jeune fille en se tournant vers sa mère qui
déjà s’en est allée, c’est un chien comme ça que je voudrais… ! »
Chapitre VIII
Ce matin, le lieu qui a appelé nos êtres sert de place à un petit marché. C’est
le cœur d’une bourgade située sur les bords de la Méditerranée. Bien vite, au-
dessus de l’enchevêtrement des toits et de leurs tuiles arrondies, nous devinons
la présence d’un minuscule port. Le vent fait claquer les cordages de quelques
mâts qui se dressent dans l’azur, évoquant à sa façon le large, le bleu et
l’horizon. C’est par là que nous aimerions diriger notre avance puis aussi vers les
silhouettes des palmiers qui se profilent au bout d’une ruelle. Quelque chose
pourtant, une forme d’intuition, nous dit de ne pas bouger d’ici, de cette sorte de
poste d’observation que nos âmes ont choisi vers le sommet d’un platane.
En dessous de nous, ruisselants de couleurs, ce sont les étals du marché, la
foule nonchalante des acheteurs, paniers à la main, et la voix tonitruante d’un
vendeur qui loue les mérites de ses olives.
Même s’il demeure encore timide, le soleil est au rendez-vous et c’est bien lui
qui s’affirme comme le chef d’orchestre de cette scène cent mille fois
interprétée. Sa joie, son labeur paraissent inscrits jusque dans les pierres des
façades et les peintures écaillées des persiennes.
Quelque part, parmi les étals d’un angle de la place, des plumes volent dans la
clarté de ses rayons… Nous devinons quelques cages et leurs poules entassées
sans ménagement. Et puis, non loin de nous, il y a deux chats sur leur balcon.
Impassibles, les yeux mi-clos, ils observent tout cela, la queue soigneusement
enroulée autour des pattes. Côte à côte, comparables à des sphinx, ils donnent
l’impression de dominer de leur connaissance tout ce petit monde qui s’agite et
crie. Qu’est-ce qui pourrait bien troubler les contemplations d’un chat ? Peut-être
une tourterelle qui roucoule sur le bord d’un toit… Peut-être… car il y en a une
ici qui, agrippée à une gouttière, paraît faire les cent pas comme si elle attendait
impatiemment quelque chose. « Mais, elle attend son compagnon, tout
simplement ! » L’apparition de la voix désormais si familière nous fait sourire.
Elle est l’évidence même, claire, rassurante, aimante. Amusée par cette sorte de
naïveté que nous avons envie de vivre dans l’instant, elle reprend…
« Et pourquoi pas ? Mes frères humains pensent-ils être les seuls au monde à
savoir manifester de la persistance dans leurs sentiments ? Je dis bien dans leurs
sentiments, voyez-vous, car innombrables sont ceux de mon peuple qui
éprouvent ce que savent éprouver dans leurs cœurs, les hommes. L’attachement,
l’amour, tout cela n’est pas réservé à vos semblables. La fidélité, la parole
donnée, le don de soi sont des réalités qui ne nous sont pas étrangères. Cela vous
surprend, n’est-ce pas ? »
Impossible, en effet, de dissimuler notre étonnement. Notre raisonnement
humain met aussitôt en place des arguments.
« … Mais, frère, nous entendons-nous murmurer, hormis quelques cas
connus, il ne nous semble pourtant pas que la monogamie soit si courante dans
ton peuple. Quant aux sentiments, nous n’avons jamais douté que le peuple des
animaux puisse en éprouver. Nous nous interrogeons seulement parfois sur la
similitude entre ceux dont il est capable et ceux que les hommes vivent. »
« Comprenez-nous… nos concepts sont autres, cela est vrai. Notre vision de
la vie, de l’univers, peut radicalement différer de la vôtre, cela est juste aussi
puisque notre approche de l’espace, du temps et de cent autres choses se
démarque de ce que vous connaissez.
Néanmoins… un sentiment demeure un sentiment. L’amour reste toujours
l’amour et l’indifférence évoque toujours la même chose, dans quelque monde
que ce soit. Sans doute y a-t-il des degrés dans la révélation, la manifestation
d’un sentiment, mais la racine de celui-ci, sa flamme, reste identique à elle-
même quel que soit l’univers. Il y a, à ce propos, des niveaux de manifestation
différents chez les miens, tout comme chez les vôtres. Dites bien à vos
semblables que l’amour animal est aussi vrai, aussi noble que l’amour humain.
Peut-être même est-il souvent plus authentique en ce qu’il est absolu, en ce qu’il
est cousin de la dévotion, en ce qu’il est parfaitement don, sans malice, sans
calcul.
Jamais il ne ressemble à vos “je t’aime si tu m’aimes”. »
Un instant la voix-guide suspend son enseignement, nous laissant seuls face
au petit marché, aux chats impassibles et à la tourterelle dont les chants ont enfin
attiré le compagnon. À grands coups d’ailes, les deux oiseaux quittent les
rebords du toit, s’élèvent puis disparaissent derrière le vieux clocher de l’église
voisine.
« Mais, la fidélité, la constance, lançons-nous immédiatement comme pour
entamer une petite joute oratoire, tout cela n’est-il pas, pour vous, intimement
relié à l’amour ? »
« Chez la plupart de ceux de mon peuple, mes amis, le sentiment d’amour
n’est pas directement relié à l’acte physique. Il en est même souvent totalement
dissocié. L’acte demeure, pour une majorité d’entre nous, ce que l’Esprit de Vie
imprime afin de perpétuer les corps dont nous avons besoin pour parfaire notre
âme. Sans doute trouvez-vous cela bestial ou primaire mais, pour nous, cela
correspond à une logique élémentaire qui n’a rien de répréhensible. Je sais que
cela tient d’un rapport entre l’âme et le corps qui est très différent chez nos deux
peuples. Nous avons raison les uns et les autres, là où nous nous trouvons. Nos
civilisations respectives ne nous ont pas appris cela par hasard. Elles nous ont
inculqué ce qui est bon pour la floraison de notre conscience. L’univers est
amoral, voyez-vous. Seule la notion de morale est humaine et encore varie-t-elle
d’une contrée à l’autre, d’une époque à l’autre. L’univers ne connaît que la
nécessité lumineuse de grandir. Celle qui se situe au-delà même du Bien et du
Mal. Celle qui est le Juste à l’état pur parce qu’avant tout génératrice de Félicité.
Les humains prêtent aisément à la Divinité des traits humanoïdes… Quant à
moi et à mes semblables, si nous faisions l’effort d’y songer, nous la
ressentirions volontiers sous l’aspect d’un animal. Pourtant, elle n’est rien de
tout cela. Ni les uns ni les autres nous ne sommes dans la vérité absolue. Le Vrai
rayonne au-delà de ces conceptions… nous n’y avons pas encore accès… nous
tentons seulement de le deviner… et c’est parce que votre conscience mentale
s’éloigne du jeu qu’est la Devinette Suprême que votre être se tourmente en
s’inventant des questions. N’est-ce pas ainsi que naissent vos dogmes ? On a
besoin de règlements dès que l’on commence à marcher loin des Lois.
Ainsi, la fidélité, le don de soi, sont pour mon peuple une affaire d’âme. Elles
ne concernent que l’âme et cela est juste pour nous car nos civilisations ne
connaissent pas d’interdits en rapport avec le corps physique. Les interdits,
voyez-vous, commencent à naître lorsque l’être prend conscience de lui en tant
qu’individu isolé des autres et de la Création. Ils témoignent d’une phase
nécessaire et obligatoire qui s’effacera néanmoins un jour pour laisser place à
une merveilleuse logique dont nul n’a idée, aussi lumineuse qu’un soleil. »
« Pourtant, certains d’entre vous vivent en couple d’un bout à l’autre de leur
existence ! »
« En effet, et cela confirme bien mon propos. Chez les miens, comme chez les
vôtres, il existe une multitude de niveaux de conscience. Toutes les formes du
sentiment d’amour nous visitent et aucune ne nous étonne. Nous ne pouvons pas
imaginer qu’il en soit autrement. Mon peuple ignore la perversité et c’est cela
qui le maintient dans sa pureté. Son âme ne s’est pas encore heurtée aux
obstacles des élaborations mentales propres à l’humanité. Jusqu’au jour où elle
devient par trop humaine à force de vivre en contact intime avec les vôtres, elle
est l’authenticité même, sans la moindre faille. »
Sur ces mots, la voix-guide s’interrompt brutalement, nous laissant face à une
foule de questions qui se bousculent dans nos esprits… et aussi au spectacle des
plumes qui volent à nouveau à l’autre bout de la place.
Cette fois, une voix humaine, tonitruante, s’élève dans les airs avec le duvet
blanc. Aussitôt, les yeux de notre âme s’enfoncent dans la foule des badauds et
propulsent notre être parmi les échoppes ambulantes, là où un homme crie
encore et où des poules caquètent.
Entre les jambes des promeneurs, une petite silhouette velue se faufile,
penaude. À la seconde même, nous l’avons reconnue, c’est celle de Tomy. Tomy
qui se sauve après avoir, peut-être, commis quelque bêtise et qui s’empresse de
quitter le marché sous les exclamations des commerçants. « Il est encore là,
celui-là ! »
Sur le trottoir, non loin de là, une dame au manteau rouge et sa fille observent
la scène.
« Regarde maman, ce n’est pas le chien de l’autre soir ? » L’adolescente,
toute frêle comme un grand échassier, a lâché ces mots dans un état d’émotivité
qui ne trompe pas. Son intonation a réveillé en nous le souvenir encore frais
d’une auberge et de son ruisseau, un certain soir.
Derrière elle, une mercière, sur le pas de sa porte, l’air un peu bourru, profite
de l’occasion pour saisir la parole.
« Oh, ça fait bien huit jours qu’il traîne ici. Il nous renverse toutes les
poubelles… »
Abandonnant alors sa mère qui entre en conversation avec la commerçante, la
toute jeune fille avance en direction de Tomy qui disparaît à l’angle d’une ruelle.
Perçu avec le regard de l’âme, ce qui s’échappe d’elle tient déjà tout un
discours. Une force silencieuse mais combien rayonnante jaillit du creux de sa
poitrine. C’est un faisceau de lumière bleue, mêlée de rose qui se déploie telle
une gerbe de fleurs et qui propulse tout son être au-devant de sa personne.
Et si c’était elle que Tomy attendait et dont le regard, gravé au fond de lui, a
su diriger les pas jusqu’ici ? Cette idée prend racine en nous et l’envie soudaine
d’être là, dans nos corps physiques, nous tenaille maintenant. Le seul fait
d’observer, de tenter de comprendre ne nous satisfait plus. Il nous faudrait agir,
ralentir l’avance de Tomy.
Presque instantanément, nos âmes ont retrouvé le jeune chien derrière l’église
au milieu d’une ruelle baignée de soleil. L’allure désabusée, il flaire le sol tout
en trottant d’un bon pas. Son poil est terne et nous savons qu’il a faim, comme si
nous étions lui, comme si sa fatigue devenait nôtre. En une fraction de seconde,
la totalité de son univers nous redevient familière, sa compréhension monte en
nous avec une acuité formidable.
Avec lui, en lui ? Comment faut-il dire car il nous semble voir par ses yeux,
entendre par ses oreilles ? Nous vivons alors un singulier équilibre entre désarroi
et confiance. Le monde des hommes nous paraît être définitivement devenu
illogique, impénétrable et froid… et pourtant…
Pourtant quelque chose nous dit de nous arrêter, de nous retourner et de
revenir là-bas vers le bout de la rue… peut-être là même où on nous a chassés.
Mais non… il y a déjà tant de jours que nous arpentons ces rues. Il faut manger.
Chaque minute doit être consacrée à cela. Nous connaissons là-bas, derrière une
palissade, un endroit avec de l’herbe où les hommes abandonnent tout un tas de
choses. Sait-on jamais ? La dernière fois… La voilà…
Et tandis que la palissade de ciment apparaît dans notre champ de vision,
notre conscience, brutalement, se désolidarise de celle de Tomy ; elle n’en est
plus, une nouvelle fois, que la spectatrice, émue mais étrangère.
Tomy avait raison. Dans un minuscule terrain vague, à l’ombre d’un
immeuble de béton, parmi les herbes sèches, deux ou trois grandes poubelles
grises sont entreposées, gorgées de détritus, de cartons. À leur base, sur le sol
lui-même, des sacs plastique, la plupart éventrés, semblent attendre
pitoyablement les services de la voirie. Sans attendre, Tomy y fourre le museau,
persuadé d’y découvrir quelque délice mystérieusement oublié par l’homme.
Désordonnées, des pensées, des images, s’échappent de lui…
Il y a ce pied humain et ce pantalon trop sombre qui reviennent sans cesse…
Sans doute ceux de l’homme qui l’a chassé, près des poules tout à l’heure.
Pourquoi ? Il voulait juste leur demander… Et puis, il y a ce regard qui le hante.
Il est doux et toujours il revient en lui avec le contour d’une maison dont la
façade est blanche.
Un seul mot jaillit de Tomy fouillant les papiers gras et froissés. Nous le
saisissons au vol. Il ressemble à un soupir qui crie… “fatigue !”
Soudain, le jeune chien fait un bond sur le côté et s’immobilise, une patte
avant à demi levée. Au ras du sol, une masse grisâtre a jailli de derrière les roues
de la poubelle et l’observe, à moitié dressée sur le train arrière. Un rat ! Tout se
fige, les deux animaux se toisent… puis la petite boule sombre à la queue
charnue s’enfonce dans les herbes sèches au pied des sacs.
« Suivez-le ! C’est lui qu’il vous faut suivre… »
La demande est montée en nous, insistante. Tout d’abord tiraillés entre la
curiosité et le désir ardent de demeurer auprès de Tomy, nos deux êtres hésitent
puis cèdent. Ils cèdent à cette sorte de raison qui leur demande d’aller plus loin
et de s’enfoncer davantage au sein d’un univers qui veut s’ouvrir parce qu’il a
besoin d’être aimé.
Nos consciences, dont nous sentons qu’elles sont unies en une sphère de
lumière, entreprennent alors un étonnant voyage au ras du sol, entre détritus,
broussailles et gravats. D’instinct, il nous semble connaître l’itinéraire que le
petit animal a dû emprunter et qui nous plonge dans un monde insoupçonné.
Face à notre âme, tout a pris une taille démesurée : les cailloux du sol paraissent
être d’énormes pierres, les herbes mortes, de véritables branches, jusqu’à
l’insecte que nous croisons, avec sa carapace rouge tachetée de noir et qui nous
fait songer à un gros automate déconcertant.
Une bouffée d’amour nous envahit avant même que nous ayons eu le temps
de réaliser ce qui arrive. Les replis de la terre elle-même, ce que nous foulons
quotidiennement du pied, nous révèlent une vie et une étrangeté d’une beauté
telle que nous comprenons le pourquoi de la demande impérative à laquelle nous
avons cédé.
« Cela aussi, c’est le monde de vos frères animaux, murmure la voix-guide
qui s’immisce une fois de plus en nous. Avez-vous jamais songé à regarder à la
loupe quelques centimètres carrés d’herbe et de terre ? Ce que vous vivez en cet
instant équivaut à cela. Vous découvrez une jungle, une savane, un désert,
l’immensité d’un continent où d’autres frères, inconnus de vous, apprennent la
vie. Vous ne les voyez pas, vous les ignorez… ou vous préférez les ignorer, c’est
tellement plus commode… pourtant ils sont les germes des univers à venir, à la
fois un peu et totalement cette Divinité par et pour laquelle vous dites vivre. La
Terre est un gigantesque temple, frères humains, et il n’y a pas une seule de ses
dimensions qui ne soit chargée de vie et de promesses, pas une seule de ses
demeures qui ne demande de la tendresse.
Cet insecte rouge que votre âme vient de croiser, croyez-vous qu’il soit
anodin ? Certes, il ne vous dira pas “je” ou “moi” comme le ferait Tomy, mais la
Conscience dont il est l’une des innombrables expressions peut, quant à elle,
souffrir et grandir et aimer et offrir. Ne l’oubliez jamais, le ridiculement petit,
aux yeux des hommes, est tout aussi chargé d’espérance et de splendeur que
l’extraordinairement grand. Sans doute cette constatation ressemblera-t-elle à
une banalité pour ceux qui découvriront mes paroles… mais parfois il est bon
qu’une banalité soit parée d’un habit lumineux car le vrai miracle de la Vie, celui
qui nous apprend à fleurir, est si souvent à portée de main qu’on ne le cueille
jamais.
Mais, continuez, continuez, laissez vos êtres subtils suivre un invisible fil au
travers de cette forêt de résidus. Détachez-vous un instant de Tomy, car autre
chose vous appelle. »
Les herbes et les broussailles, les papiers abandonnés défilent en effet sous
nous et autour de nous à une vitesse accrue, échappant à notre volonté, exigeant
de nous une confiance plus totale encore.
Puis, brusquement, plus rien d’autre qu’une étendue couleur de cendre, sèche,
chaude mais comme privée de vie… Un trottoir… puis un trou, presque un
ravin, le caniveau.
Le rat se trouve là, devant nous. Il nous tourne le dos tout en trottinant, la
queue bien musclée, bien horizontale et frôlant le sol. Voilà maintenant qu’il
disparaît, absorbé, semble-t-il, par la terre elle-même en un centième de seconde,
comme s’il n’avait jamais existé. À quelque distance de nos deux âmes qui
observent et ressentent, il y a désormais un trou sombre, un gouffre dans le
caniveau de ciment.
« Oui, les égouts… fait la voix en nous. Tout un peuple y vit qui ne doit pas
vous effrayer. Il fait partie intégrante de cette vie qui demande à être respectée.
Défaites-vous des vieilles images, de ces antiques schémas qui véhiculent la
méfiance, la peur, la répulsion et avancez… Je vous le demande, je vous en prie
au nom de tous vos frères méprisés. »
Dans un ultime abandon des résistances, nos êtres subtils se laissent alors
glisser dans ce qui ressemble aux entrailles du caniveau, prêts à affronter une
nuit soudaine, glauque, à éprouver enfin certainement, une pénible sensation
d’étouffement.
Pourtant rien de tout cela n’arrive. Derrière et devant nous, seul apparaît un
gros tunnel de ciment, garni çà et là de détritus et où un mince filet d’eau s’agite
à peine. Ici aussi, la lumière du monde de l’âme trouve sa place et brille de la
[21]
même vie que partout ailleurs .
Le rat est toujours là, pataugeant dans l’eau presque stagnante. Sait-il que
quelque chose se passe, qu’il est observé ? Il nous est impossible de le dire, tant
nos êtres expérimentent une sorte de vide intérieur, un blanc de l’âme. Face à
une situation aussi déconcertante, nous vivons une véritable apnée intérieure
dont il nous faut sortir afin que tout devienne possible.
Sans attendre, la masse grise du rat nous y aide en faisant soudainement un
bond puis en se mettant à trotter à vive allure comme si elle se sentait poursuivie.
Commence alors une course un peu folle à travers ce qui ressemble à un
dédale de canalisations plus ou moins obturées, plus ou moins suintantes. Un
dégoût s’empare de nous un instant, qu’il nous faut surmonter bien vite de
crainte d’être rappelés par nos corps de chair. Et puis il y a toujours cet animal,
si rapide, si vif, qui nous attire, nous aimante presque. De petites haltes en petites
haltes nous avons maintenant la sensation d’être emmenés bien loin de Tomy et
de la ruelle de derrière l’église. Le soleil lui-même est un souvenir qui s’enfuit
de plus en plus. Dans notre avance, nous découvrons à main droite, une sorte de
cascade poisseuse puis un tunnel plus large d’où l’on entend les bruits du monde
d’en haut, des ronronnements de moteurs et des sons de klaxons étouffés.
Enfin, dans une courbe, un amas de pierres et de terre, ruisselant, vient à
apparaître. Le rat s’y arrête, se perche à son sommet… et c’est alors que dans
l’étrange clarté surgissent une à une d’autres formes grouillantes… toute une
famille de rats !
Si nous avions une destination, c’est incontestablement celle-ci, nous en
sommes désormais certains.
Les petits cris frénétiques de la colonie résonnent avec force dans ces lieux.
Progressivement, tout en cherchant à mieux nous centrer dans un tel univers,
nous nous efforçons de nous imprégner des vibrations qui s’en dégagent. C’est
par elles, nous semble-t-il, qu’il nous sera peut-être possible de pénétrer un
monde dont nous ignorons tout. Confrontés au mutisme de la Présence qui nous
guide depuis maintenant plusieurs mois, nous nous résolvons à attendre, à laisser
passer les minutes afin de nous familiariser plus totalement avec les sons émis
par les rats. Très rapidement alors, il nous paraît évident qu’il s’agit d’un
véritable langage, d’une communication élaborée. Notre conscience qui
s’expanse de plus en plus à ce contact, nous en donne l’intime conviction, même
si elle demeure encore incapable de saisir ce qui est échangé entre les animaux.
Combien faut-il de temps pour qu’une écoute devienne méditation… ? Le temps
d’aimer sans simulacre, sans doute… car peu à peu l’idée de l’observation nous
abandonne et laisse place à un simple et véridique élan du cœur. La clé est bien
là, guère plus éloignée, guère plus difficile à saisir lorsque l’on met tout en
œuvre pour que s’effritent les a priori.
Un petit déclic, un claquement sec, comparable à celui que fait un
interrupteur, se fait entendre au centre de notre être.
« Approchez-vous, amis humains… ne craignez rien et écoutez-moi puisqu’il
m’est permis de parler de mon peuple. Je suis la conscience qui anime la colonie
de tous les rats de ce lieu. Je vous ai amenés ici sur l’appel d’une autre
conscience propre à ma race et qui me guide lorsqu’il en est besoin… Car notre
peuple est ainsi, la pensée, la connaissance qui nous font agir voyagent de relais
en relais. Le relais qui vous a permis de venir dans cette zone obscure de la terre,
tient dans le corps de ce rat que vous avez osé suivre. Il vous appelait. À travers
lui, je suis un flambeau pour le peuple que j’enseigne, le porte-parole d’une
conscience encore supérieure à la mienne et qui s’étend sur d’immenses
territoires… et je sais encore, amis humains, que cette conscience elle-même en
traduit une autre infiniment plus vaste… Je vous l’ai dit, notre peuple est ainsi…
Il expérimente une pensée qui se structure et un corps qui s’organise. La Vie
apprend cette leçon à travers nous. Elle a besoin de croître et d’inventer. »
Tandis que ces phrases se déversent dans notre esprit et s’y gravent, un mot
surgit au plus profond de nous-mêmes… “hiérarchie”.
« Hiérarchie… c’est cela, reprend la présence animale du rat. J’ai lu ce mot en
vous et je vois comme il sonne juste. Mon peuple apprend le sens de la
hiérarchie. Il vit sur cette Terre pour structurer sa conscience, sa réflexion. »
« Son mental ? »
« Vous pouvez l’appeler ainsi. Je sais fort bien que mon peuple n’inspire au
vôtre que de la répulsion, pourtant vous devez comprendre qu’il est beaucoup
plus proche de vous que vous ne le supposez. Sa présence sur cette Terre lui
permettra de développer une intelligence analytique et d’organiser une
civilisation très… hiérarchisée, ainsi que vous l’avez senti.
Le désordre de notre vie n’est qu’apparent. Il résulte d’une activité intense qui
est due quant à elle à un besoin d’échange constant. En fait, communiquer est la
raison majeure de notre vie. Nous ne pouvons concevoir notre existence
quotidienne autrement qu’en faisant circuler des informations entre nous. »
« Mais quelles informations ? »
« Une multitude d’informations. La plupart proviennent du monde des
hommes. Nous les comprenons rarement. Elles nous traversent comme des
éclairs ou des images. La plupart sont chargées de peurs, d’angoisses, de colère,
mais aussi fort heureusement, il en est de joie, de volonté, d’amour. Il nous
semble que nous les absorbons, que nous les unifions et que ce sont elles qui
nous rassemblent surtout là où les hommes sont nombreux et souffrent. La
nourriture n’est qu’un moteur second pour nous… ce qui nous attire, ce sont les
idées des hommes. Elles sont une énergie… comme des lumières multicolores
qui nous fascinent et qui nous donnent une partie de notre intelligence.
Elles viennent nous visiter en permanence et chacun de nous éprouve le
besoin de les communiquer à son tour. C’est pour cela que nous vous
ressemblons, que nous sommes proches de vous, que peut-être aussi, vous nous
craignez souvent. Je sais qu’il y a quelque chose d’insaisissable en nous… et que
ce quelque chose vient de vous. Ce qu’il nous faut apprendre, ce que j’enseigne
moi-même à mon peuple, en ces lieux… c’est à fixer notre pensée sur une chose
précise, l’empêcher de capter mille informations à la fois pour s’immobiliser
progressivement sur chacune d’elles. Il nous faut aller au-delà du vacarme
intérieur qui nous assaille et transformer… transformer. Je crois que nous
sommes malades… comme vous… notre conscience est le miroir de la vôtre.
Aidons-nous, amis… »
Semblable à une flamme qui s’éteint, la voix disparaît au-dedans de nous. Elle
nous laisse bientôt seuls, un peu insatisfaits, face à une vingtaine de rats qui
lancent de petits cris stridents et donnent l’impression de se chamailler autour
d’un horrible bout de chiffon.
Nous nous interrogeons. Est-ce tout ? Sommes-nous venus ici pour recueillir
un discours dont beaucoup d’éléments nous échappent ? Tout cela est confus, et
malgré une volonté d’aimer que nous sentons toujours présente en nous, malgré
ce respect qui nous habite face à une civilisation ô combien déroutante, notre
âme éprouve un profond besoin de respirer différemment, de contacter un soleil
plus proche du sien.
« Mais, il n’y a qu’un seul immense Soleil, vous le savez bien ! s’exclame la
Présence-guide en se faufilant au centre de notre être. Laissez-moi vous
expliquer.
Il est très difficile pour le peuple des rats de s’exprimer plus clairement que
par les termes que vous avez pu recueillir ici. Ce peuple, même si cela vous
trouble, est par de nombreux côtés le double du vôtre. C’est un peuple mental,
fortement psychique aussi. Traversé constamment par de multiples influences, il
souffre de ne pouvoir aisément fixer sa conscience sur des réflexions précises. Il
ne parvient pas dans son ensemble à immobiliser son être intérieur autour d’un
concept stable. C’est ainsi qu’il est pris dans une ronde continuelle très analogue
à celle que connaissent vos sociétés. Songez-y, frères humains, combien d’entre
vous sur cette Terre, sont-ils capables de faire silence en eux et d’analyser
clairement les idées qui les visitent, les situations qu’ils vivent, tout cela afin de
maîtriser l’instant présent et leur destinée ?
Vos frères les rats sont le reflet de votre agitation mentale. Ils captent tous les
désordres, toutes les pulsions qui vous assaillent quotidiennement. Ils captent
aussi, fort heureusement, ce qu’il y a de meilleur en vous. Ainsi donc, ils
bâtissent leur civilisation sur les ondes subtiles générées par la vôtre. Ce faisant,
ils équilibrent votre monde à leur façon, voyez-vous. Oh, ils ne le font pas
consciemment car c’est en partie le rôle qui leur a été assigné pendant un temps
par l’Esprit de Vie. Ils agissent ainsi parce qu’ils sont ainsi, selon une spécificité
dont l’Intelligence Ultime les a dotés. Leur tâche est donc d’assimiler les ondes
psychiques humaines et en quelque sorte de les digérer, de tenter d’en
désamorcer la toxicité. La conscience globale qui les anime joue exactement le
rôle d’un filtre, d’un purificateur ou d’un éboueur si vous préférez. En fait, elle
essaie d’amoindrir les ondes nocives issues de la pensée de l’homme et, ce
faisant, elle les étudie, en assimile les leçons, se structure afin d’élaborer déjà
l’humanité à venir dont elle sera l’un des éléments moteurs.
La conscience des rats, voyez-vous, est équilibrante par rapport au monde
pulsionnel humain et à l’univers mental inférieur. Là où vos frères les rats se
regroupent spontanément, ou aimeraient se regrouper, règne généralement un
grand désordre intérieur chez vos semblables, un désarroi.
L’insalubrité que l’on incrimine toujours, demeure une cause de surface. Elle
est le reflet exact d’une autre pollution, moins palpable, une forme d’angoisse.
En réalité, la pauvreté matérielle ne suffit pas à la générer seule. C’est l’abandon
par le cœur d’un grand principe de vie, qui permet son implantation. Elle est le
fruit d’une perte de l’espoir. Ne croyez pas, amis, que le peuple des rats se
complaise là où règne la saleté, pas davantage d’ailleurs que le peuple des porcs.
L’un et l’autre sont revêtus d’une fonction qui ne les prive d’aucune noblesse. Ils
sont des éboueurs, des fossoyeurs de vos déchets, à tous les niveaux de la vie. En
étant les filtres de vos imperfections, ils sèment des graines pour les mondes à
venir.
… Et s’il leur arrive de générer des maladies, sachez que celles-ci sont vos
propres maladies. Les épidémies déclenchées parfois par vos frères rats ne sont
rien d’autre que la matérialisation de vos déchets psychiques, de vos
insuffisances, tout cela collecté au niveau planétaire. Les rats sont une voie, un
canal de plus par lequel la Nature vous enseigne… Comprenez-vous ? Saurez-
vous les aimer pour cela ? Il ne peut y avoir de parias dans l’immensité de la
Vie ! À celui qui ne peut admettre une telle vérité, il manque un pétale majeur à
cette rose dont il dit se parer le cœur. Vous ne pouvez affirmer “les animaux sont
nos frères, je les aime” et continuer à mépriser le serpent qui traverse le chemin
devant vous ou encore commander un homard au restaurant tout en sachant qu’il
sera plongé dans l’eau bouillante dans la minute qui suit… L’Amour est un tout
qui se vit, pas un concept philosophique que l’on arrange à sa guise.
Voilà pourquoi je voulais vous faire voyager dans ces égouts. Pour qu’avec
vous, un grand nombre d’hommes et de femmes prenne conscience que la vie y
est également présente. Une vie qui a ses droits et qui se respecte… que l’on
peut canaliser, bien sûr, mais qui a ses raisons d’être, au même titre que celle qui
anime deux tourterelles sur le bord d’un toit ou deux chats sur un balcon.
Laissez-moi maintenant vous dire quelque chose de capital… »
« Par rapport aux rats et à tous les animaux que l’on rejette d’emblée ? »
« Par rapport aux rats, certes, mais aussi par rapport aux hommes… car si le
peuple des égouts s’agite aujourd’hui plus qu’il ne l’a jamais fait, si sa
conscience collective se trouve gorgée d’informations et de pulsions, c’est qu’il
se passe quelque chose en votre monde qui devient incontrôlable.
Ce quelque chose n’est autre qu’une profusion de pensées perverses et
cruelles. Vos frères rats n’en peuvent plus d’être confrontés à ce phénomène, ils
ne parviennent plus à assurer leur rôle d’éboueurs de la basse psyché humaine.
Pouvez-vous imaginer ce que cela signifie à court terme ? Tout simplement une
implosion de votre monde. Mon rôle n’est pas de vous effrayer ni de vous
enseigner à ce propos, mais de vous adresser une mise en garde de plus. Celle-ci
vient tout droit de vos frères dits inférieurs. La Terre et toutes les formes de vie
appelées dans son sein ne demandent pas la pitié mais la simple justice, celle qui
repose sur la raison la plus élémentaire. Je sais fort bien qu’à cette heure mes
paroles paraissent encore dérisoires car le temps n’est pas encore venu où
l’humain de cette Terre est prêt à remettre en cause son titre de roi de la
Création. Néanmoins, un autre temps vient, celui où, par la crainte, par le doute,
par un amour naissant, une autre qualité d’écoute commence à émerger en lui.
Toute votre aventure déroutante aux côtés de Tomy et invraisemblable pour la
majorité de vos contemporains a pour but de précipiter cette émergence. Vous
savez, quant à vous, que vous ne la rêvez pas et d’autres, chaque jour plus
nombreux, comprendront aussi sa réalité. »
Un silence profond monte du dedans de nous-mêmes tandis que la Présence
achève de nous transmettre ces paroles. Le sourire que nous percevons à travers
chacune d’elles contraste étonnamment avec leur force troublante. Nous le
recevons telle une accolade ou comme la confirmation d’un pacte et d’une
intime complicité. Un instant s’écoule et nous avons envie de dire « Mais, qui
es-tu au juste ? Parle-nous donc de toi… toi dont le son de la voix ne nous quitte
plus… »
Question futile, vaine… et qui demeure sans objet, nous le sentons.
Un souffle léger, merveilleusement printanier, vient alors nous envelopper.
Peut-être est-il la réponse. Une réponse que nous n’avons pas le temps de
méditer car la soudaine conscience d’être ailleurs nous habite déjà.
Nous jetons un dernier regard au petit peuple des rats qui s’agite toujours
autour du vieux chiffon… Regard de tendresse, de surprise encore, puis une
force douce nous arrache à son monde ; elle nous aspire par le milieu du dos, à la
base du cœur et, dans une sereine explosion, nous propulse à l’air libre, sous le
soleil blanc du matin. Nous sommes de retour dans la ruelle derrière l’église,
presque au ras du sol…
Au-dessus de nous, tout en haut du clocher, une bande de pigeons roucoule
bruyamment et parvient à cacher les bruits qui s’échappent du marché.
Et puis, il y a Tomy, Tomy que nous apercevons enfin à l’autre bout de la
ruelle et qui, brusquement, stoppe net sa course. Quelque chose l’a frappé que
nous captons en même temps que lui. C’est une lumière bleue mêlée de rose.
Celle-ci est venue le caresser derrière la nuque et maintenant l’enveloppe dans sa
totalité.
Le jeune chien se retourne alors et, avec lui, nous découvrons, à une trentaine
de mètres, la silhouette longiligne d’une adolescente qui lui tend la main et
s’efforce d’avancer à pas mesurés. C’est elle la source de lumière…
La clarté qui se dégage de son cœur est plus présente que jamais, plus chaude
et plus vivante que tout à l’heure sur la place du marché. Déjà, elle a fait naître
un véritable pont entre l’animal et elle… si dense qu’il ressemble à un vieux
lien, une sorte de cordon ombilical tissé de tendresse et de reconnaissance.
Tomy balance la queue, d’abord timidement puis avec frénésie. Se souvient-il
de l’ambiance d’une auberge et de son ruisseau, de la profondeur d’un regard
gravé dans ses rêves ou de quelque chose d’autre, plus ancien encore ? Peu
importe. Ce qui domine pour l’instant c’est cette lumière qu’il alimente à son
tour et qui jaillit de tout son être.
« Comment t’appelles-tu ? » fait la jeune fille en s’accroupissant.
Et Tomy se met à lui lécher les genoux, tout tremblant, ne sachant plus faire
que cela.
« Sylvie ! Allons, cela fait un quart d’heure que je te cherche ! »
À l’angle de la ruelle, la dame au manteau rouge est apparue et marche d’un
bon pas en direction de sa fille et de Tomy. La quarantaine rayonnante, elle a
pris cet air faussement sévère qui ne trompe personne.
« Alors, tu l’as retrouvé ce chien… »
Pour toute réponse, Sylvie serre Tomy dans ses bras. Elle est perdue dans la
foule des pensées qui se précipitent en elle et dans lesquelles nous lisons comme
à livre ouvert. Sa mère poursuit :
« Tu veux que l’on demande à ton père ? Tu pourrais répondre, tout de
même… »
Disant cela, la dame au manteau rouge s’est mise à caresser Tomy qui s’est
aussitôt couché sur le dos.
Trop émue pour parler, trop gauche et trop timide pour dévoiler ses
sentiments, la toute jeune fille a répondu à sa mère par un simple “oui” de la tête,
presque un soupir de soulagement.
Et pour nous, ce “oui” du cœur ressemble de façon éloquente à une fin de
voyage, à une arrivée sur un quai, à cet instant précis où, fatigué mais heureux
on pose ses valises.
Nous en sommes désormais certains, un rideau, le nôtre, se tire ici. Te
reverrons-nous, Tomy ? Nous l’ignorons mais ce qui nous importe c’est
qu’aujourd’hui il y ait eu enfin une oreille pour entendre ton appel et une
mémoire pour se souvenir de ton regard.
« Reste ici avec lui, je reviens avec la voiture… »
La voix de la dame au manteau rouge que nous regardons maintenant
s’éloigner à grandes enjambées s’imprime en nous comme un véritable sceau.
L’empreinte que nous espérions.
Voilà, dans quelques instants, il nous faudra donc tourner une page. Bientôt,
une automobile apparaîtra à l’angle de la vieille église et Tomy y montera, d’un
seul élan, pour y embrasser sa destinée. Il nous faudra juste trouver les mots pour
dire… Mais dire quoi ? Ajouter encore des mots les uns à côté des autres ? Ils
nous sembleraient bien fades face à l’amour reçu. Alors, peut-être appartient-il à
chacun d’apporter, non pas une conclusion mais une suite à ce témoignage… car
tout reste à faire, tout reste à donner… au peuple des animaux.
Aujourd’hui, Tomy vit heureux dans une famille parmi d’autres, à la sortie
d’une bourgade des bords de la Méditerranée. Un chaton est venu le rejoindre
dernièrement. Dans un ultime contact, la voix-guide nous l’a malicieusement
annoncé :
« Vous souvenez-vous de son amie la chatte, partie pour le “Centre de
l’Univers” ? Eh bien… elle est revenue. C’est une histoire d’amitié toute simple
car, voyez-vous, le cœur n’a pas besoin d’être “humain” pour savoir aimer. »
Quelques questions et
leurs réponses
DU VÉGÉTARISME ?
Tout simplement qu’il est une phase logique, nécessaire et inévitable dans le
développement de la conscience. Il n’est pas un but en soi car le végétal lui-
même est une manifestation de vie aussi respectable que l’animal, même si celle-
ci est plus éloignée de la nôtre. Le végétarisme est une marque de respect envers
les êtres que nous pouvons à juste titre considérer non seulement comme de
jeunes frères mais aussi comme des créatures intelligentes qui savent ce que
souffrir signifie. Il est donc un signe pur et simple d’humanité et de compassion.
Qu’éprouverions-nous si des êtres dotés d’une forme de vie plus élaborée que la
nôtre et ne nous laissant que peu de chances de dialoguer avec eux, trouvaient
normal et appétissant de nous inclure dans leur menu ?
L’habitude de manger de la viande est totalement culturelle. Elle ne
correspond aucunement à une nécessité dictée par le corps humain qui peut
trouver ailleurs et autrement les protéines dont il a besoin.
Dès maintenant et dans les décennies qui viennent, nous allons constater un net
progrès du végétarisme parce que les générations nouvelles ont été instruites
progrès du végétarisme parce que les générations nouvelles ont été instruites
dans ce sens, avant même que de s’incarner. Cela va témoigner d’un début
d’affinement de la conscience humaine qui s’apprête à remettre en cause son
rapport, son positionnement avec ce que l’on appelle globalement la Vie.
L’univers animal, ainsi que tout autre univers, est en constante évolution. Il ne
représente pas la perfection sous prétexte qu’il demeure proche de la nature. Les
animaux sont issus d’une vague de Vie plus récente, plus jeune que la nôtre. En
ce sens leur attitude par rapport à la nourriture carnée est plus compréhensible
que la nôtre. Le sang véhicule les pulsions primaires d’une forme de vie
incarnée. Il est une mémoire. Le fait d’ingérer de la chair, donc généralement du
sang, crée un lien avec l’aspect hyper-incarné, instinctif de la vie. Cela enracine
la conscience dans la matière et permet à l’ego de s’exprimer plus pleinement
sous de multiples formes, ce qui est parfois nécessaire aux animaux dans une
phase de leur évolution.
COMMENT FAUT-IL
Les chats peuvent être considérés comme les « médiums » du monde animal,
au sens le plus large du terme.
Celles-ci, animées par une conscience très jeune, rudimentaire et donc dénuée de
toute éthique, jouent de cette façon avec la matière par l’intermédiaire des chats.
Le chat lui-même n’est pas directement responsable de cet état de fait.
L’une des tâches de son espèce est de maîtriser sur cette Terre ses dons de
« canal » et de mieux les polariser dans une direction lumineuse.
QUE PENSER DU
NOTAMMENT ?
En fait, ce ne sont pas des suicides, mais des dons à la Terre en tant
qu’organisme vivant équilibré et conscient. L’esprit-groupe de certaines espèces
d’animaux se sait au service de cet équilibre et se perçoit comme une partie de
ce tout. Il sait notamment que l’offrande biologique de milliers ou de millions de
corps par lesquels il se manifeste, peut constituer un apport nutritif important à
l’équilibre écologique à un moment donné et en un lieu donné d’un élément de la
nature comme l’eau ou la terre. Il ne s’agit donc aucunement d’un acte de
désespoir mais bel et bien d’un don afin que certains principes chimiques faisant
défaut en un lieu soient rétablis. Le rapport à la mort chez ces animaux est bien
sûr totalement différent du nôtre.
ON PARLE DU SUICIDE
Y A-T-IL UNE
CELA ?
En effet, elle ne tient compte que d’un savoir strictement matériel et matérialiste.
Elle ignore totalement les réalités subtiles qui font que le corps physique et ses
lois sont le produit de l’âme et donc sa contrepartie densifiée. En générant des
races transgénétiques, on mélange inconsidérément des manifestations issues de
réalités d’ordre vibratoire différent. Les barrières naturelles entre les espèces,
qu’elles soient physiques ou psychiques, ont leur raison d’être. Le fait de les
violer, de vouloir les déplacer, va tout simplement provoquer des fissures
importantes dans le système immunitaire des animaux et de l’homme avec
l’apparition rapide de maladies et de malformations graves.
De telles expériences ont déjà été réalisées il y a des millénaires sur cette
Terre, par des civilisations qui se sont auto-détruites. Tout se passe aujourd’hui
comme si l’égrégore de ces aberrations passées venait visiter certains « savants »
afin d’attiser et d’instruire leur besoin de domination… déguisé en volonté de
servir la Vie.
Ces considérations ne signifient nullement qu’il faille abandonner les
recherches en génétique. La Nature, parfaite en essence, est cependant
perfectible dans ses manifestations et il appartient à l’homme de l’explorer, de
favoriser le développement, l’expansion de ses lois. Il faut seulement ne jamais
perdre de vue que toute recherche, si elle n’est pas habitée par le sens du Sacré,
ne demeure qu’une manipulation de la Création, un jeu de l’ego qui se met en
marge de la grande Force Universelle qu’est la Divinité et donc s’empoisonne à
très court terme.
QUE PENSER DU
Le chamanisme est un souvenir de l’antique pacte qui liait les animaux et les
hommes dans un passé très reculé de notre planète.
Cependant, le pont qu’il représente nécessite chez celui qui l’emprunte une
grande maîtrise de son propre ego. En effet le développement des capacités
psychiques qu’il sous-entend met le chaman face à la notion de pouvoir.
QUELLE ATTITUDE
De l’avis même des dévas du monde animal, il n’est exigé d’aucune espèce de
se laisser envahir par une autre. Chaque forme de vie, qu’elle soit minérale,
végétale, animale ou humaine a droit à son propre territoire d’expression. La
difficulté réside donc dans le mariage harmonieux des différents territoires. S’il
est facile, et même souvent, un peu trop aisé pour l’homme, de déterminer son
territoire face aux animaux en général, il n’en est pas de même lorsque celui-ci
se trouve face aux insectes. Qui en effet n’a jamais été envahi par les fourmis,
les guêpes, les moustiques, les mites et parfois les cafards ?
Face à des invasions de ce genre, il convient sans doute dans un premier
temps d’analyser notre propre comportement et de renoncer intérieurement à
l’emploi du terme « nuisible ». En effet, il n’y a pas de forme de vie qui soit
nuisible au sens strict du terme. Toutes ont leur fonction, même celle de
l’homme bien qu’elle soit sans conteste la plus grande prédatrice de ce monde.
L’attitude de base réside d’abord dans le respect de celui que l’on perçoit
comme un envahisseur, car ce dernier obéit obligatoirement à des raisons qui
nous échappent. Lorsque notre mental se révolte contre la présence d’insectes,
lorsque notre émotivité s’en mêle, notre aura émet généralement un train d’ondes
qui ne fait qu’attirer ou rendre plus agressif l’envahisseur. Il existe une
mécanique subtile qui gère tout cela.
La première chose est donc de prendre conscience que l’on a affaire à une
âme-groupe, donc à un être vivant et conscient au sens plein du mot. À partir de
cette réflexion qui doit dépasser le simple plan intellectuel, on doit savoir qu’il
est possible d’entrer en contact, de dialoguer avec l’entité directrice du groupe.
C’est ce que l’on doit faire intérieurement et avec conviction. Il est possible pour
cela d’isoler momentanément un insecte de son groupe et de le charger de
véhiculer un message de retrait à ses semblables. Cela peut bien sûr prêter à
sourire lorsque l’on analyse tout cela avec un regard occidental, rationnel… mais
pourtant… toute cette démarche obéit à une logique, à une raison… que la nôtre
a simplement oubliée depuis longtemps.
Délivrer un tel message doit à la fois venir du cœur et se montrer d’une
grande fermeté, voire d’une certaine intransigeance. À
moins que nous ne soyons dotés de capacités psychiques très fines, les insectes
ne se laissent influencer que par des ondes psychiques ou des images mentales
très précises, presque binaires, du type oui ou non, permis ou interdit.
Les âmes-groupe des insectes (différentes des dévas qui sont des entités
directrices beaucoup plus affinées dirigeant toute une espèce) construisent
progressivement un ego. C’est la raison pour laquelle elles recherchent
généralement l’expansion et, bien sûr, génèrent souvent l’affrontement qui en
résulte. Il ne faut donc pas interpréter cela en termes de stricte agression. Il s’agit
d’une phase d’inspiration naturelle de l’espèce animale en question qui, de plus,
peut s’appuyer sur des modifications de base des forces premières de la Nature,
par exemple le léger déplacement de lignes de force telluriques, électriques ou le
changement progressif de la nature éthérique d’un lieu.
Une tentative de conciliation avec l’espèce animale concernée doit donc être
la première réaction. Elle demande en résumé souvent un peu de patience (ce qui
nous fait généralement défaut), de l’amour et une volonté néanmoins déterminée.
Force nous est cependant de constater – et les dévas en conviennent – que
certaines âmes-groupe sont parfois extrêmement rebelles à toute forme de
conciliation avec l’homme. On peut alors, et seulement dans ces cas-là,
[23]
s’autoriser à mettre un terme à l’invasion .
Si tel devait être le cas, gardons-nous bien dans cet acte d’émettre des
pulsions et des débordements psychiques négatifs envers l’espèce indésirable.
Une réaction énergique ou une colère peuvent être justes et saines si elles ne
proviennent pas des racines de l’émotivité. L’autodéfense ne doit en aucun cas
semer de l’agressivité. Il existe bien sûr d’autres moyens, plus chamaniques, de
stopper une invasion animale excessive. Mieux vaut cependant laisser ces
méthodes aux personnes compétentes. Signalons néanmoins que certains de ces
moyens mettent en œuvre des forces contactées par le biais de pratiques peu
lumineuses dont il est plus que souhaitable de se détourner.
Tout dépend de ce que l’on entend par le terme « parfait ». Le « parfait » n’est
un idéal que dans un contexte donné, en fonction d’une foule de critères qui sont
les références d’un certain niveau de conscience. Ainsi l’élément « eau » est-il
parfait dans notre type de monde puisqu’il représente une des bases de la Vie.
Dans le monde animal, le chat peut évoquer aussi une notion de perfection dans
le sens où il semble manifester un équilibre idéal entre la « mécanique »
ENCORE ?
Shaw : « Quand un homme désire tuer un tigre il appelle cela un sport ; quand
un tigre désire le tuer, l’homme appelle cela férocité. »
Il nous faut cependant faire une parenthèse relative à la chasse telle qu’elle
était pratiquée par les Indiens du continent Nord-Américain. Dans le combat qui
opposait l’homme à l’animal, l’âme de celui-ci était prise en compte.
L’Amérindien dialoguait avec elle, lui expliquait les raisons de son geste et la
remerciait du don qu’elle lui faisait afin de subvenir strictement à ses besoins.
Ainsi, n’était-il pas rare de voir certains animaux offrir volontairement leur chair
parce qu’ils savaient qu’elle était prise en conscience et avec respect. Il n’en
demeure pas moins que la chasse sous toutes ses formes témoigne d’un rapport
archaïque de l’homme avec la nature.
Annexe
DÉCLARATION UNIVERSELLE
DES DROITS DE L’ANIMAL
Article premier :
Tous les animaux ont des droits égaux à l’existence dans le cadre des
équilibres biologiques.
Cette égalité n’occulte pas la diversité des espèces et des individus.
Article 2 :
Toute vie animale a droit au respect.
Article 3 :
1 – Aucun animal ne doit être soumis à de mauvais traitements ou à des actes
cruels.
2 – Si la mise à mort d’un animal est nécessaire, elle doit être instantanée,
indolore et non génératrice d’angoisse.
3 – L’animal mort doit être traité avec décence.
Article 4 :
1 – L’animal sauvage a le droit de vivre libre dans son milieu naturel, et de
s’y reproduire.
2 – La privation prolongée de sa liberté, la chasse et la pêche de loisir, ainsi
que toute utilisation de l’animal sauvage à d’autres fins que vitales, sont
contraires à ce droit.
Article 5 :
1 – L’animal que l’homme tient sous sa dépendance a droit à un entretien et a
des soins attentifs.
2 – Il ne doit en aucun cas être abandonné, ou mis à mort de manière
injustifiée.
3 – Toutes les formes d’élevage et d’utilisation de l’animal doivent respecter
la physiologie et le comportement propres à l’espèce.
4 – Les exhibitions, les spectacles, les films utilisant des animaux doivent
aussi respecter leur dignité et ne comporter aucune violence.
Article 6 :
1 – L’expérimentation sur l’animal impliquant une souffrance physique ou
psychique viole les droits de l’animal.
2 – Les méthodes de remplacement doivent être développées et
systématiquement mises en œuvre.
Article 7 :
Tout acte impliquant sans nécessité la mort d’un animal et toute décision
conduisant à un tel acte constituent un crime contre la vie.
Article 8 :
1 – Tout acte compromettant la survie d’une espèce sauvage, et toute décision
conduisant à un tel acte, constituent un génocide contre l’espèce.
2 – Le massacre des animaux sauvages, la pollution et la destruction des
biotopes sont génocides.
Article 9 :
1 – La personnalité juridique de l’animal et ses droits doivent être reconnus
par la loi.
2 – La défense et la sauvegarde de l’animal doivent avoir des représentants au
sein des organismes gouvernementaux.
Article 10 :
L’éducation et l’instruction publique doivent conduire l’homme, dès son
enfance, à observer, à comprendre et à respecter les animaux.
d’après la Ligue Française des Droits de l’Animal.
AINSI QUE :
AMWAY – BELL-BLENDAX – BRISTOL MEYERS – CARITA – COPAREL VADEMECUM –
DR BODE – FENJELA – HENKEL – INTIMATE DE KARINZIA – KALODERMA – LAYBELLINE –
LE CLUD DES CRÉATEURS DE BEAUTÉ – MARGARET ASTOR – MIBELLE 4711 – MISS DEN –
NOVICOS COSMETICS – ORLANE – PAYNT – PROCTER & GAMBLE – SASSOON, PANTÈNE –
CLEARASIL – PIERRE FABRE – POLYSIANES, CIBLE – ROCHAS – SHISEIDO – SCHWARZKOPF
– VEAT – VAN CLEEF & ARPELS – COTY YVON – COLGATE, PALMOLIVE – DR KARL HANN –
DANIEL JOUVANCE – KIWI (SANNEX) – LANCASTER – LEVER (CAMAY, DOVE, LUX) – MONT
ST MICHEL – MAX FACTOR – MAURICE MESSÉGUÉ – NIVÉA (LILIANE FRANCE, BABIVÉA,
HANSAPLAST) – POUSSE-MOUSSE – PROPARCOS (F. ARTHAUD) – SUTTER – VENDÔME –
ZEEZON – BEIERSDORF – BARBARA GOULD – GOMETTE (AAPRI, SOYANCE) – LE CHAT –
TEMPO – VERLANDE – OIL OF OLAZ – MONSAVON – ZEST – DUCRAY – SANTÉ BEAUTÉ –
ÉMAIL DIAMANT – RENÉ FURTERER (LILÉANCE, ÉLANCIL) – TIDE – SOL AIR/SOLÉA (LE
PETIT MARSEILLAIS) – ROGER GALLET – STAR COSMÉTICS – BABOR – BÉLIFLOR – CHANEL
– COVER GIRL – DEMORPHIL INDIEN – DR PIERRE RICAUD – GUERLAIN – CITY, FA,
DIADERMINE – JOHNSON & JOHNSON – KAMILL – LITAMIN – MONTEIL – MOLYNEUX –
NINA RICCI PARFUMS – NOXEL – PRINTIL, TAHITI – PER (VAISSELLE) – PETROL HANN,
VIDAL – HEGOR, BIACTOL – HAND & SHOULDER – GALERIC, KLORANE, AVÉNE, LOUISON
BOBET.
Cette liste, non exhaustive, n’est donnée qu’à titre d’information, à partir de
courriers reçus des firmes cosmétiques et peut subir des modifications à tout
moment.
« Devas »
de Michel Coquet – Éditions de l’Or du Temps
Imprimé en France
[1]
Méthode de décorporation, ou de voyage astral (voir « Terre d’Émeraude », des mêmes auteurs).
N.D.E.
[2]
Déva : une entité directrice, « âme-groupe » responsable de l’évolution d’un élément du règne
minéral, végétal ou animal. On parle par exemple du « déva de la montagne », du « déva de la forêt », du
« déva des chats » etc…
[3]
Reliefs vivants : sans doute peut-on assimiler cela à des hologrammes.
[4]
Ce mot dont la présence surprend ici est très précisément celui que nos consciences ont capté. Sa
place dans un tel contexte indique certainement la zone de son corps à laquelle cet animal s’identifie le plus
ou, du moins, dans laquelle il se sent le plus conscient.
[5]
L’appendice est un vestige de l’appareil digestif humain qui, en ces temps très lointains, recevait une
nourriture exclusivement végétarienne.
[6]
Les acariens.
[7]
Il semble qu’il faille plutôt comprendre par ce mot la notion de « spécificité ». Chaque animal serait
donc le réceptacle et l’expression d’une sorte de polarité qui le suivrait toute sa vie.
[8]
La notion d’« accident » paraît ne pas avoir de sens dans le monde animal, tout au moins de la façon
dont nous l’entendons.
[9]
On pourrait sans doute parler de « miasmes éthériques ».
[10]
Des expériences scientifiques ont permis d’enregistrer le flux de la sève dans les arbres et celui-ci
évoque effectivement le battement d’un cœur.
[11]
Il s’agit vraisemblablement des élémentals de la Terre. Ils ont en charge une partie de l’équilibre de
la nature liée à la fonction même du sol.
[12]
Il s’agit vraisemblablement d’une allusion à une manifestation du prâna.
[13]
La souffrance d’un animal, son stress, s’imprègnent naturellement sur son organisme éthérique,
appelé âme-vitale. La réalité éthérique, quant à elle, est véhiculée dans la chair par l’intermédiaire du sang.
Lorsque nous absorbons une chair animale ainsi impressionnée par des éléments douloureux, nous faisons
nôtre, inconsciemment, la mémoire du stress et de la souffrance en question.
[14]
La lutte contre les parasites est, bien sûr, une autre raison de cette attitude.
[15]
Les chamans utilisent le terme d’« animal-totem ».
[16]
Sans doute faut-il voir ici une allusion aux Ases, divinités qui ont donné leur nom à l’Asie et aux
As de nos jeux de carte, effectivement supérieurs aux Rois. La langue française traduit bien la parenté de
nom à laquelle il est fait référence ici puisque, pendant des siècles, le mot âne a été orthographié « asne ».
[17]
Certains ânes portent en effet très distinctement la marque d’une grande croix sur l’échine.
[18]
Se référer ici au conte « Peau d’âne ».
[19]
Il semble bien que le symbole du bonnet d’âne dont on recouvrait autrefois la tête des cancres ait
été utilisé de façon totalement erronée. Initialement, il ne véhiculait pas une volonté de moquerie qui
assimilait l’ignorance de l’élève à celle de l’âne. Il servait plutôt à émettre le souhait que celui qui portait un
tel bonnet puisse acquérir la connaissance de l’âne. Il avait la même fonction que la forme pyramidale dont
on dit qu’elle concentre certains rayons en un point précis. Voir aussi à ce propos l’image de l’entonnoir
(cône qui rappelle la pyramide) que certains peintres ou dessinateurs placent traditionnellement sur la tête
de ceux qui ont perdu le sens commun.
[20]
Sans doute avons-nous simplement saisi là le souvenir d’une bêtise commise jadis par le jeune
chien et qui l’habite encore.
[21]
En état de décorporation, la conscience expérimente une qualité de lumière bien spécifique. Elle y
apprend que l’obscurité n’existe pas pour elle puisqu’elle se déplace sur une « autre fréquence de vie ». Les
seuls états d’obscurité que puisse vivre un corps astral sont créés par un état intérieur de trouble, de peur, de
doute ou de négation de la Lumière elle-même. Ceux-ci sont toujours passagers (voir Terre d’Émeraude).
[22]
L’homme est souvent moins exigeant avec lui-même qu’envers les animaux avec lesquels il vit.
Ainsi peut-on aisément plagier la célèbre phrase de Beaumarchais : « Aux vertus que l’on exige d’un
animal, peu d’hommes seraient dignes de l’être. »
À titre d’information, environ huit millions d’animaux sont sacrifiés chaque année en France et huit cents
millions dans le monde entier. Nous devons en grande partie cette pratique à Claude Bernard, médecin,
physiologiste du siècle passé qui a imposé la vivisection animale comme méthode scientifique !
[23]
N’agissons-nous pas de même envers le monde végétal également vivant et à respecter ? Lorsqu’un
liseron ou un lierre étouffent une plante, il faut parfois les arracher même si on apprécie leur beauté. La vie
nous place continuellement devant des choix.