Cours de Criminologie-M1
Cours de Criminologie-M1
Cours de Criminologie-M1
INTRODUCTION
1
Chapitre 2. Les facteurs de la criminalité
1° Les facteurs individuels de la criminalité
2° Les facteurs sociaux de la criminalité
2
INTRODUCTION
3
La criminologie étudie la criminalité en recherchant ses causes et ses
manifestations. Elle étudie ainsi le criminel, l’acte criminel et la réaction sociale
contre la criminalité. Tout cela devrait permettre de lutter contre la criminalité
par la politique criminelle (politique anticriminelle) qui est l’ensemble des
mesures à l’aide desquelles les pouvoirs publics s’efforcent d’obtenir le respect
aussi complet que possible des prescriptions de vie sociale dont la violation
cause un trouble intolérable à la société et, par conséquent, appelle une sanction
pénale. Ces mesures de politiques criminelles peuvent être préventives ou
répressives.
a)Les mesures préventives
La loi (conventions internationales), de par sa seule existence, joue un rôle
préventif. En fait, elle informe les citoyens sur ce qui est interdit sous peine de
sanction pénale ainsi que sur la gravité des agissements incriminés. Elle menace
de façon précise et influence par là le comportement de ceux qui seraient tentés
de commettre une infraction, car elle s’adresse de façon anonyme à l’ensemble
des citoyens. A cet effet, la loi pénale joue un rôle préventif parce que « nul
n’est censé ignorer la loi ».
De même, l’application de la loi pénale remplit une mission préventive
générale : quand les citoyens voient appliquer effectivement telle ou telle peine à
l’auteur d’une infraction, il se produit une certaine intimidation qui renforce
l’effet préventif de la loi pénale.
L’existence ou la création des services de maintien de l’ordre (police,
gendarmerie, douane), des cours et tribunaux et d’autres structures ou
institutions spécialisées (CONSUPE, CONAC, ANIF, ARMP, Ministère des
marchés publics) est indispensable, non seulement pour déceler les infractions
commises, mais aussi pour prévenir la commission des infractions. De même,
les campagnes de sensibilisation ont incontestablement un rôle préventif.
En plus donc des lois pénales bien faites, de la ratification des conventions
internationales, de la création suffisante des services de maintien de l’ordre, des
4
cours et tribunaux ou des institutions spécialisées et des campagnes de
sensibilisation, il faut ajouter les mesures dites de prophylaxie sociale qui, dans
bien des cas, sont aussi efficaces qu’une répression rigoureuse pour prévenir la
criminalité. De telles mesures peuvent être prises utilement pour lutter contre
divers fléaux sociaux qui sont indiscutablement des facteurs de criminalité
(alcoolisme, drogue, dissociation familiale, etc.). Le développement des mesures
de prophylaxie sociale, tel par exemple l’éclairage des rues, peut éviter
incontestablement la commission de nombreuses infractions, de sorte que
certains ont-ils qualifié ces mesures de « substituts pénaux » (Enrico Ferri).
b) Les mesures répressives
Ces mesures sont mises en œuvre à la suite d’une violation pénale. L’Etat,
pour cela, a créé les cours et tribunaux, des établissements pénitentiaires et
prévu de mesures punitives s’adressant à la personne qui s’est rendue coupable
d’une violation pénale. Ces mesures punitives, qui sont les peines et les mesures
de sûreté, seront étudiées dans la partie du cours consacrée à la pénologie.
2) Contenu de la criminologie
Il est constitué de deux composantes :
- l’étude de l’accomplissement du crime qui renferme :
a) la phénoménologie criminelle qui consiste en la description des différentes
activités criminelles telle par exemple comment forcer un coffre-fort et de la vie
des criminels (l’argot des malfaiteurs) ;
b) l’étiologie criminelle : étude des causes des crimes ;
c) la psychologie criminelle : l’étude du processus psychique du crime ;
d) l’anthropologie criminelle ou la somatologie criminelle : l’étude de la
structure physique du criminel ;
e) la sociologie criminelle ;
f) l’économie criminelle ;
g) la géographie criminelle ;
h) la statistique criminelle.
5
Il ya ainsi plusieurs manières de concevoir la criminologie.
- la lutte contre le crime qui renferme :
a) la politique criminelle ;
b) la criminalistique : l’étude des traces du crime ;
c) la pédagogie criminelle : l’éducation des criminels en vue de les amender ;
d) la prévention générale (lutte contre la pauvreté, par exemple) et individuelle
(resocialisation d’un condamné, par exemple) ;
e) la pénologie ;
f) la procédure pénale ;
g) autres sciences limitrophes : médecine légale, chimie et autres.
Si la criminologie étudie le crime et le criminel, à quel de ces deux pivots
donner le pas ?
Si le pivot est le crime, alors on définira le criminel par rapport au crime :
sera donc criminel toute personne ayant commis un crime.
Si le pivot est le criminel, on définira le crime par rapport au criminel :
ainsi, sera crime tout acte commis par le criminel.
Ces thèses qui veulent distinguer nettement le crime et le criminel
présentent le danger de faire croire que l’un peut exister sans l’autre. Peut-il
exister de malade sans maladie ? Cependant, la mise en relief du criminel
conduit à ne plus étudier seulement le phénomène objectif du crime, mais à se
pencher sur son auteur.
§3. La criminologie et sciences criminelles
Pour la distinction et les rapports entre la criminologie et la pénologie : voir
ci-dessus. De même, nous renvoyons aux détails de la distinction entre la
criminologie et le droit pénal général et la criminologie et la procédure pénale.
6
criminologie est une science de constatation qui décrit la conduite criminelle,
recherche les causes du crime et étudie le criminel. Mais cette opposition est en
partie artificielle et cela dans deux sens puisque : d’un côté, le droit pénal utilise
les recherches criminologiques et prend en considération la personne du
délinquant et le juge pénal « juge l’homme plus que l’acte ». De l’autre côté, la
criminologie se réfère le plus souvent à la notion de l’infraction telle que définie
par le droit pénal.
2) distinction entre la criminologie et la criminalistique
Le phénomène criminel et la personne du criminel que la criminologie
étudie sont souvent imprécis. En recherchant des solutions, on découvre parfois
des problèmes (De Greeff). C’est ainsi que la criminalistique vient au secours de
la criminologie en recherchant les preuves de l’infraction, en établissant la
matérialité de l’infraction et souvent la culpabilité du suspect (à l’aide par
exemple des empruntes digitales).
Il convient de souligner que la criminalistique constitue non seulement un
moyen efficace de répression, mais aussi une arme pour la prévention dans la
mesure où elle permet souvent de parvenir rapidement à la vérité et à la
condamnation du coupable. Elle est à ce titre un moyen de prévention générale :
grâce à elle, le crime parfait est bien difficile à commettre.
7
Chapitre préliminaire. Histoire de la criminologie
Dès l’antiquité, on a tenté d’expliquer le phénomène criminel, mais ces
explications présentaient la caractéristique d’être des spéculations
philosophiques et non des théories scientifiques. Ainsi, de nombreuses
réflexions sur le crime ont été conduites par de philosophes grecs (Socrate,
Platon, Aristote, Hésiode). Ce n’est guère qu’à partir de la deuxième moitié du
19ème siècle que grâce au mouvement positiviste, le phénomène criminel va
commencer à donner lieu à des explications de type scientifique fondées sur une
analyse empirique de la réalité criminelle. On distingue ainsi deux grands
moments dans l’histoire de la criminologie : la période pré contemporaine (I) et
la période contemporaine (II).
8
pourquoi parmi tous les individus soumis aux mêmes conditions exogènes, c’est
tel individu et non tel autre qui commet le crime. Ferri soutient que la réponse à
cette question se trouve dans cette idée que le délit est un phénomène complexe
qui a des origines multiples. Ce qui l’a conduit à inventorier trois sortes de
facteurs :
a) Les facteurs anthropologiques inhérents à la personne du criminel et qui
tiennent à la constitution organique et physique et aux caractéristiques
personnelles du criminel.
b) Les facteurs du milieu physique : climat, nature du sol, production agricole,
etc.
c) Les facteurs du milieu social (facteurs exogènes) résultant du milieu dans
lequel vit le délinquant : densité de la population, état d’opinion publique sur la
criminalité, religion, système d’éducation, alcoolisme, production industrielle,
organisation économique et politique, etc.
Ces facteurs se combinant différemment selon les délinquants, Ferri
classe les délinquants en 5 catégories : 2 chez qui prédominent les facteurs
anthropologiques, 3 chez qui l’emportent les facteurs du milieu social.
Les premiers sont les criminels-nés et le criminels aliénés. Les criminels
nés sont ceux qui présentent les caractéristiques du type criminel de Lombroso.
Toutefois pour Ferri, déterminisme n’est pas fatalisme et le criminel-né n’est
fatalement voué au crime car les facteurs sociaux favorables peuvent le prévenir.
A la différence des criminels-nés, les criminels aliénés sont délinquants en
raison d’une anomalie mentale très grave, mais ici encore Ferri soutient que le
contexte social dans lequel évolue l’individu n’est pas indifférent à sa
délinquance, ce qui expliquerait que parmi tous les individus atteints de la même
affection mentale, tous ne deviennent pas délinquants.
A partir de la mise en évidence de ces deux catégories de criminels
dominés par des facteurs anthropologiques, Ferri propose alors une
9
individualisation de la sanction pénale axée sur la neutralisation de ce type de
criminels.
Les délinquants chez qui prédominent les facteurs sociaux sont les
délinquants d’habitude, les délinquants d’occasion et les criminels passionnels.
Les délinquants d’habitude (ou par habitude acquise) constituent aune
catégorie d’individus devenus délinquants persistants en raison des conditions
sociales particulièrement défavorables dans lesquelles ils ont évolué en
particulier au cours de leur enfance et de leur adolescence. Les facteurs
anthropologiques ne sont pas cependant totalement absents car, pour Ferri, les
conditions sociales aussi défavorables soient-elles, ne mènent à la délinquance
d’habitude que si l’individu présente une fragilité constitutionnelle ou acquise.
Les délinquants d’occasion, qui représentent la part la plus importante
des délinquants, sont des individus qui ont commis un acte délictueux en raison
poids très important de conditions sociales défavorables sur une personnalité
qui, du fait de sa constitution biologique, manque de solidité devant l’épreuve de
tentation.
Enfin, les criminels passionnels sont ceux dont la criminalité s’explique
par l’action des facteurs occasionnels sur une nature hypersensible.
3) Autres recherches
a) L’école cartographique ou géographique
Les promoteurs de cette école furent le belge Quetelet et le français
Guerry qui, travaillant sur les premières statistiques françaises de la criminalité
(1826-1830), furent frappés par la remarquable constance de la criminalité et par
le fait que les crimes contre les personnes prédominent dans les régions du sud
et pendant les saisons chaudes tandis que les crimes contre les biens l’emportent
dans les régions du nord et pendant les saisons froides : c’est la loi thermique de
la criminalité. Florissante au 19 ème siècle, l’école géographique est pratiquement
tombée dans l’oubli avec la criminologie lombrosienne.
b) L’école socialiste
10
Fondée sur les écrits de Max et Engels, elle a pour ébauche l’examen des
relations entre le crime et le milieu économique. Pour la doctrine marxiste, la
criminalité est un sous produit du capitalisme comme toutes les autres anomalies
sociales. La criminalité apparaît ainsi comme une réaction contre les injustices
sociales, ce qui expliquerait que l’on la trouve surtout dans le prolétariat. La
criminalité est donc appelée à disparaître ou tout au moins à diminuer très
fortement dans la société socialiste.
c) L’école de l’interpsychologie (imitation de la délinquance)
Créée par Gabriel Tarde, cette école considère que chacun se conduit
selon les coutumes acceptées par son milieu. Si quelqu’un vole ou tue, il ne fait
qu’imiter quelqu’un d’autre. Cette thèse est surtout vraie chez les délinquants
professionnels qui ont de traits sociologiques caractéristiques (tatouage, ragot).
d) L’école sociologique d’Emile Durkheim
Cette école énonce une théorie qui lie les conduites criminelles à la
structure socioculturelle. Le premier trait caractéristique de cette théorie est que
le crime est un phénomène sociologique normal puisqu’il existe dans toutes les
sociétés humaines. Ainsi, la criminalité doit être comprise et analysée non pas en
elle-même, mais toujours relativement à une culture déterminée dans le temps et
dans l’espace.
e) L’école du milieu social
Cette école, dont le chef de file est Lacassagne, a mis l’accent sur l’influence
prépondérante sinon exclusive du milieu social dans l’étiologie criminelle. Cette
théorie se résume dans deux formules restées célèbres : « les sociétés n’ont que
les criminels qu’elles méritent » et « le milieu social est le bouillon de culture de
la criminalité. Le microbe, c’est le criminel, un élément qui n’a d’importance
que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter ».
Cette théorie a attiré l’attention sur les aspects sociaux de la criminalité
autres que les aspects économiques, mais elle néglige trop les aspects
individuels de la criminalité et n’explique pas comment le milieu social peut agir
11
sur la personnalité du délinquant. C’est justement à cette question que G. Tarde
a essayé de répondre.
Au terme de ce survol des premières explications du phénomène
criminel, l’on est d’autant plus convaincu de sa complexité et c’est précisément
pour tenir compte de cette complexité que se sont développées par la suite les
explications modernes de la criminalité.
12
nombreuses. Certaines sont bien connues (1), d’autres, plus récentes, méritent
d’être mentionnées (2).
1) Les théories traditionnelles
1° L’une des plus célèbres parmi ces théories est la théorie des perversions
instinctives du français DUPRE. Cet auteur attribue une importance
fondamentale aux instincts dans l’activité humaine. Selon lui trois instincts
domineraient cette activité : l’instinct de conservation, l’instinct de reproduction
et l’instinct d’association. Or ces instincts seraient susceptibles d’anomalies par
excès, par atrophie ou par inversion qui conduiraient à des perversions dont
certaines déboucheraient sur des conduites interdites par la loi pénale.
2° L’autre théorie biopsychologique la plus remarquable est la théorie de
l’inadaptation biologique du suédois Kingberg. Pour cet auteur, chaque individu
réagit aux stimuli (excitation d’un organe) du milieu ambiant en fonction de sa
structure biologique propre. Or ce ne sont pas tous les individus qui s’adaptent
harmonieusement à ces stimuli conformément aux évaluations morales en cours
dans la société dont certaines sont pénalement sanctionnées. Certains individus
réagissent donc aux stimuli du monde extérieur en commettant des actes
criminels en raison de la présence de divers traits biologiques dans la structure
de leur personnalité.
3° Di Tullio quant à lui a élaboré la théorie de la constitution délinquantielle.
Pour cet auteur, tous les individus possèdent une constitution personnelle qui
englobe à la fois des éléments héréditaires et des éléments acquis surtout dans
leur première enfance. Or, certains individus auraient une constitution structurée
de manière telle que le seuil au-delà duquel ils commettent des actes criminels,
appelé « seuil délinquantiel » est inférieur à celui des autres. Cette théorie
diffère à la fois de celle de Lombroso (pas d’hérédité criminelle spécifique), de
l’école de Graz (le milieu contribue comme l’hérédité à la formation de la
constitution délinquantielle) et de la théorie de Kingberg.
13
Ainsi pour Di Tullio, l’homme doit être envisagé dans la totalité de son
existence qui est liée à la fois à l’hérédité et au milieu et l’on ne peut repérer
chez lui que certaines tendances criminogènes qui ne sont pas intrinsèquement
criminelles et sont seulement susceptibles de lui faire commettre plus facilement
un acte criminel que ne le ferait un autre individu.
2) Les théories récentes
1° La théorie de P. Grapin, qui s’inscrit dans le courant bio-psychique, est une
conception naturaliste qui s’appuie sur les données de la biologie sociale. Selon
cette théorie, le phénomène criminel se situerait à l’intersection de deux
tendances opposées coexistant chez l’homme et fondant sa spécificité parmi les
êtres vivants : la composante « pulsionnelle » et la composante « normative ». Il
y aurait donc délinquance lorsque la première domine le comportement en
refoulant la seconde.
2°Le professeur Léauté a, de son côté, élaboré une théorie de la violence qui
prend également appui dans les données biologiques malgré la place qu’elle fait
au social. L’idée de départ est que si l’agressivité, qui est un phénomène naturel
dans les sociétés animales, y est cependant canalisée et ritualisée dans l’intérêt
de la survie de l’espèce, il n’en va plus de même dans les sociétés humaines. Il
s’y est produit un « déraillement » du système d’autorégulation qui explique les
guerres, les meurtres et les assassinats, dérèglement qui se serait au surplus
emballé dans nos sociétés contemporaines depuis les années 50.
3° La théorie de l’agressivité de H. Laborit fait naître l’agressivité humaine, et
par voie de conséquence l’activité délictueuse, de l’angoisse suscitée par la
contradiction entre l’individu biologique et l’homme social. Le premier se
caractérise par un équipement neurophysiologique constitué de trois étages : le
cerveau ancien, commun à toutes les espèces vivantes, qui commande les
comportements instinctifs ; la calotte corticale ou système limbique,
caractéristique des mammifères supérieurs, qui domine l’affectivité ; le
néocortex qui, chez l’homme constitue la base fonctionnelle de l’imagination et
14
de la créativité, en même temps qu’il assure la mémoire à long terme avec le
système limbique.
Quant à l’homme social, à la différence de l’animal qui peut donner libre
cours à ses instincts, il est, dès sa naissance, pris dans un réseau socioculturel
dont le but est de lui créer des automatismes de pensée et d’action
indispensables au maintien de l’ordre social. D’où une insatisfaction qui fait
naître une réaction émotionnelle d’angoisse à laquelle l’homme peut échapper
de plusieurs façons, mais dont la manière la plus directe et la plus grossière est
l’agressivité.
B) La direction psychosociale
A l’opposé des conceptions précédentes qui recherchent l’explication de
la criminalité dans une particularité du terrain biologique, un nombre important
de théories étiologiques croient pouvoir la trouver dans l’influence
prédominante des facteurs sociaux (milieu de vie ou conditions de vie des
délinquants).
Ces différentes théories peuvent être classées de diverses manières, mais la
distinction qui semble la plus intéressante consiste à les classer selon la nature
de la question à laquelle elles entendent répondre. La plus part, partant de
l’hypothèse de J.J. Rousseau selon laquelle, « dans l’état de nature, l’homme est
bon et c’est la société qui le corrompt », essaient de résoudre l’énigme pourquoi
la vie sociale détermine-t-elle certains individus à commettre des actes
délictueux, alors que les autres ne deviennent pas délinquants ? Ce sont les
théories des facteurs sociaux de la délinquance (1).
Quelques théories plus récentes renversent en revanche la question en
partant de la conception de T. Hobbes pour qui « l’état de nature est celui de la
guerre de tous contre tous et c’est la constitution du souverain, le Léviathan, qui
empêche cette situation de se perpétuer si bien que la question devient :
pourquoi la majorité des individus obéit-elle aux lois et ne commet-elle pas
15
d’actes criminels ? Ce sont les théories des facteurs sociaux du respect de la loi
pénale (2).
1) Les théories des facteurs sociaux de la délinquance
a) La théorie marxiste-léniniste. Selon cette théorie, la délinquance serait
avant tout un phénomène social dont les racines se trouvent dans les inégalités
des hommes, la concentration des richesses dans les mains de quelques-uns et la
misère, la servitude des autres. De la sorte, le crime serait une expression
particulière de la lutte des classes, une manifestation de la contradiction plus
générale qui oppose au sein des sociétés industrielles la bourgeoisie et le
prolétariat.
b) La théorie écologique de Clifford Shaw. Selon cette théorie, ce sont les
circonstances sociales et économiques d’une zone géographique déterminée
(densité de la population, niveau économique notamment) plus tôt que la nature
du groupe intéressé qui influencent manifestement sur le taux de criminalité. La
structuration de la personnalité criminelle est donc liée, non pas à l’origine de la
population, mais à l’installation dans une zone d’habitation défavorable.
c) La théorie des associations différentielles de Sutherland. A la différence
de Clifford Shaw, Sutherland ne se limite pas à constater une corrélation entre le
milieu et la formation de la personnalité du délinquant. Il s’évertue aussi de
préciser comment les individus sont devenus délinquants et pourquoi le taux de
criminels varie suivant les nations.
Pour cet auteur, le comportement criminel individuel n’est pas héréditaire,
mais appris au contact avec d’autres personnes par un processus de
communication. Il s’apprend surtout à l’intérieur d’un groupe restreint de
relations personnelles (famille, bande, rue) et il dépend alors du rapport qui
existe dans ce groupe entre les interprétations défavorables au respect de la loi
pénale et celles qui sont favorables à celui-ci. D’où l’appellation de théorie des
« associations différentielles » selon laquelle on devient criminel au contact avec
d’autres modèles criminels.
16
d) La théorie de l’anomie de Merton.
Alors que la théorie des associations différentielles s’attachait surtout à
l’explication de la criminalité individuelle, la théorie de Merton se rapporte
principalement à l’élucidation de la criminalité en tant que phénomène de masse.
Ainsi pour expliquer la délinquance, Merton se réfère au concept « d’anomie »
dégagé par E. Durkheim 50 ans auparavant qu’il a repris et développé. Selon lui,
l’anomie consiste dans un état social caractérisé par l’absence de normes ou tout
au moins par leur affaiblissement caractérisé ; c’est donc le contraire de la
cohésion sociale, de l’adhésion de tous les membres d’une même société aux
normes sociales de comportement.
Mais comment concevoir qu’une situation « anomique » puisse s’établir
dans une société malgré son système de contrainte pénale ? Il faut pour cela,
répond Merton, distinguer entre deux sortes de données fondamentales : 1) la
culture ou ensemble de valeurs qui gouvernent la conduite des individus dans
une même société et désignent le but vers lequel doivent tendre les membres du
corps social (argent, confort matériel, etc.) ; 2) l’organisation sociale ou
ensemble des normes et institutions qui règlent l’accès à la culture et indiquent
donc les moyens autorisés pour atteindre les buts. L’anomie tend dès lors à
s’installer lorsqu’il existe un trop grand décalage et une tension trop forte entre
les buts proposés et les moyens légitimement accessibles pour certaines
catégories sociales. Ces catégories défavorables recourront alors à des moyens
illégitimes pour atteindre leurs buts que leur propose la culture ambiante.
e) La théorie des conflits de cultures et des sous-cultures délinquantes
Dans une étude classique, Thorsten Sellin a souligné le rôle des conflits de
culture dans la genèse de la criminalité. Selon cet auteur, le crime résulte du
choc qui se produit dans une même société entre des normes de conduite
différentes. Ce choc est particulièrement apparent dans une société à vagues
successives d’immigrants comme la société américaine. Toutefois pour Sellin, le
concept de « conflit de culture » n’est pas à lui seul suffisant pour expliquer les
17
variations du taux de criminalité et il doit être situé dans le contexte plus global
des facteurs sociaux et économiques de l’ensemble de la société.
Le concept de « conflit de culture » a, par la suite, donné naissance à la
théorie des sous-cultures délinquantes de Cohen pour qui, l’anomie et la
désorganisation sociale ne caractérisent pas d’une manière égale toutes les
couches sociales, les couches ouvrières inférieures y seraient plus sujettes
comme le montre le fait que la criminalité sévit surtout dans les milieux pauvres
des grandes villes. La persistance de la criminalité dans ces milieux
s’expliquerait précisément parce que ceux-ci sécrètent des sous-cultures
délinquantes.
Partant de l’idée qu’une culture est à la fois un système de valeurs et de
normes et un critère de valorisation et d’intégration dans un groupe social,
Cohen caractérise les sous-cultures délinquantes par opposition à la culture
dominante qui est celle des classes moyennes : c’est un système de valeurs
d’inspiration hédonistique (hédonisme : doctrine qui fait du plaisir immédiat le
but de la vie) à court terme, favorisant les modèles de conduites non utilitaires,
malveillantes et négatives en réaction contre une culture dominante caractérisée
par l’effort soutenu, la subordination de la satisfaction immédiate aux objectifs
lointains, la responsabilité personnelle, la politesse, la sociabilité, etc. En bref, il
s’agit d’une sous-culture de violence.
2) Les théories des facteurs sociaux du respect de la loi pénale
a) La théorie de l’engagement de Howard Becker
Bien que Becker soit l’un des chefs de file de la criminologie dite de la
réaction sociale, on trouve dans ses études une théorie étiologique lorsque,
étudiant la notion de « carrière criminelle », il cherche à expliquer le premier
acte de cette carrière. Il observe à cet égard qu’il est faux de penser de poser la
question comme le fait la criminologie traditionnelle : « pourquoi le délinquant a
commis son acte délictueux ? ». Selon lui, la question qui se pose vraiment est
l’inverse : il ne s’agit pas de se demander pourquoi les délinquants commettent
18
des actes délictueux, mais pourquoi les non-délinquants n’en commettent pas.
La réponse à cette question, Becker la voit dans la notion « d’engagement »,
c’est-à-dire dans l’ensemble d’intérêts que possèdent les personnes « normales »
à respecter la loi pénale pour ne pas perdre le bénéfice des avantages que leur
apporte la vie sociale dans laquelle elles se trouvent engagées.
Certains individus commettant toutefois des actes délictueux, comment
expliquer alors ces actes malgré le phénomène inhibiteur de l’engagement dans
les structures et les comportements conventionnels ? Dans un petit nombre de
cas certes, il s’agit d’individus qui n’ont rien à perdre (ni réputation, ni travail à
conserver) et sont par conséquent libres de s’abandonner à leurs pulsions
irrationnelles.
Mais, la plus part des individus demeurent sensibles au code de conduite
conventionnel et on ne peut négliger ces sentiments favorables à la conformité
des comportements dans l’analyse du passage à l’acte. Becker recourt à cet effet
à la notion « des techniques de neutralisation » qu’il entend par les justifications
à violer la loi pénale qui « neutralisent » l’effet des inhibitions ressenties du fait
de l’engagement dans la vie sociale. Tel est par exemple le cas de se définir
comme n’étant pas responsable de ses actes délictueux ou encore de se
représenter le délit comme n’étant pas un mal véritable, mais une forme de
compensation ou une forme de punition légitime pour une offense que l’on a
précédemment subie ou cru avoir subie.
b) La théorie du défit de Lawrence SHERMAN
Cette théorie entend être la réponse à la question fondamentale de savoir
dans quelle mesure exacte le contrôle informel des populations par les
institutions sociales (famille, église, école) conditionne-t-il le respect des
interdits posés par le droit pénal qui constitue le contrôle formel desdites
populations? Il s’agit donc de démêler les rapports entre le contrôle informel et
le contrôle formel.
19
SHERMAN définit le défi comme étant l’augmentation des cas de
délinquance causés par une réaction d’orgueil, de colère et d’absence de honte
envers la sanction pénale. Le défi peut ainsi être considéré comme l’inverse de
la soumission à la loi pénale engendrée par la crainte de la honte et de
l’humiliation résultant de l’application d’une sanction pénale.
La théorie du défi prédit trois sortes de réaction à la sanction pénale et à la
criminalisation des comportements.
Premièrement, les sanctions provoquent le défi envers la loi pénale lorsque
les délinquants estiment qu’elles sont illégitimes, lorsque les délinquants
estiment qu’ils sont moins étroitement intégrés à la société et qu’ils refusent
d’éprouver la honte pour les infractions qu’ils ont commises.
Deuxièmement, à l’inverse, les sanctions dissuadent d’enfreindre la loi
pénale lorsque les délinquants ressentent la punition comme légitime, qu’ils ont
des liens étroits avec la collectivité et qu’ils acceptent l’idée d’en éprouver la
honte.
Enfin, entre deux réactions extrêmes, les sanctions deviennent sans effet
significatif sur le taux général de délinquance, comme la récidive, lorsque les
facteurs qui encouragent le défi d’une part et la dissuasion d’autre part
s’équilibrent bien.
Quelles sont alors les conditions requises pour que se produise une réaction
de défi ? Selon SHERMAN, il en est ainsi lorsque se trouvent réunies les quatre
conditions suivantes qui s’ordonnent en fait autour de la première :
1° Les délinquants estiment injustes les sanctions et les définissent comme
telles, soit parce que le représentant de l’Etat chargé d’infliger la sanction fait
preuve d’un manque de respect envers le délinquant ou le groupe social auquel il
appartient, quelque soit le caractère objectivement équitable de la sanction
(critère subjectif), soit parce que la sanction elle-même est arbitraire,
discriminatoire, excessive ou imméritée (critère objectif).
20
2° Les délinquants ont de faibles liens avec la collectivité ou l’autorité chargée
d’appliquer la loi pénale.
3° Les délinquants conçoivent la sanction comme une stigmatisation et comme
étant la condamnation de leur propre personne et pas seulement de leurs actes.
4° Les délinquants nient ou rejettent toute idée de honte que la sanction devrait
obliger à éprouver.
Cette analyse des conditions de la réaction de défi est sans doute fort utile
pour comprendre les mécanismes du passage à l’acte. Il reste qu’il faudrait
encore expliquer pourquoi les délinquants estiment injustes les sanctions, les
considèrent comme stigmatisant es et ne ressentent aucune honte, pourquoi
également ils n’ont que de faibles liens avec les autres acteurs sociaux. La
théorie du défi ne semble pas en rechercher l’explication et c’est en cela qu’elle
peut-être considérée comme une théorie de l’acte criminel.
C) La direction psycho-morale
Cette direction étiologique s’attache essentiellement à l’étude de la
mentalité du délinquant, de la formation de celle-ci et des traits qui la
caractérisent et la distinguent de celle du non délinquant. Les partisans de cette
orientation considèrent que le biologique ou le social n’a d’intérêt que dans la
mesure où il permet de mieux comprendre comment se structure la mentalité
criminelle et focalisent donc l’explication de l’action criminelle sur cette
dernière. Appartiennent à cette orientation les diverses explications
psychanalytiques de la délinquance issues des conceptions de Freud et les
diverses explications récentes.
a) L’explication psychanalytique
Pour la criminologie psychanalytique, la délinquance s’explique par une
structure antisociale plus ou moins spécifique et dont la formation résulte de
troubles dans la personnalité de l’individu (névrose : maladie caractérisée par
des troubles nerveux et psychiques).
21
Tous les psychanalystes sont cependant loin d’être d’accord sur les traits
caractéristiques de la personnalité antisociale du délinquant. Alors que certains
(Alexander et Staub, Burt et Catell) assimilent le délinquant à un névrosé
marqué par une très grande émotivité, d’autres (Lagache) opposent de manière
caractéristique le criminel et le névrosé en insistant sur l’égocentrisme et
l’immaturité affective du délinquant. L’accord ne règne pas davantage au niveau
de la conception de la formation de la personnalité antisociale.
b) Les explications psycho-morales contemporaines
1° Une conception clinique criminologique : Etienne de Greeff
De Greeff part de cette constatation que lorsque nous agissons, nous avons
l’impression de nous déterminer librement, de choisir nos actes parmi les divers
possibles, alors que même les actes qui semblent avoir la plus haute signification
morale se trouvent en grande partie déterminés par nos instincts. A cet égard, De
Greeff considère que le psychisme humain est commandé par deux catégories
d’instincts antagonistes : 1) les instincts de défense qui contribuent à la
conservation du moi et s’expriment par la peur, la fuite, mais aussi par
l’agression ; 2) les instincts de sympathie qui président au contraire à la
conservation de l’espèce et fonctionnent sous le signe de l’abandon de soi sans
défense et de l’acceptation totale d’autrui. Dans la dialectique dynamique des
deux catégories d’instincts, l’homme a tendance à choisir la sécurité contre
l’affectivité, mais comme dans ce choix il se condamne à la solitude et qu’il en
résulte une angoisse, un sentiment de culpabilité, il s’efforce de liquider ce
dernier par un retour vers autrui. Les fonctions conscientes et volontaires,
l’intelligence ont ici leur part dans cette conversion des sentiments et des
comportements, mais il est alors certain que les troubles du caractère et les
insuffisances de l’intelligence ne permettent pas ce redressement du
comportement et favoriseront le passage à l’acte criminel.
2° La théorie de la personnalité criminelle de Jean Pinatel.
22
Pour Pinatel, il faut se garder de croire que le comportement criminel n’a
aucune spécificité et n’est que l’une des formes que prend l’inadaptation sociale
ou l’immaturité psychologique. Mais il faut également rejeter la tendance
inverse qui considère qu’il existerait une différence de nature entre délinquants
et non délinquants. La différence est seulement une différence de degré,
différence que l’on trouve non seulement entre délinquants et non-délinquants,
mais aussi entre délinquants eux-mêmes. Ces différences de degré portent
essentiellement sur des traits psychologiques qui forment ce que Pinatel appelle
le « noyau central de la personnalité criminelle » : l’égocentrisme, la labilité,
l’agressivité et l’indifférence affective. Ces traits se retrouvent peu ou prou chez
tous les individus, mais ce qui fait la différence, c’est que chez les délinquants,
tantôt l’un d’eux est particulièrement hypertrophié et domine tout le
comportement, tantôt les quatre traits se cumulent et conduisent par leur action
au passage à l’acte délictueux.
On y trouve aussi dans cette orientation la théorie de la dissocialité de Roger
Mucchielli, la conception psychogénétique intégrale de R.P. Mailloux, une
contribution de la phénoménologie à l’explication de la délinquance du Docteur
Hesnard.
23
Parmi ces théories, on doit distinguer entre celles qui complètent les
théories étiologiques de leurs auteurs (A) et les théories principales qui situent
toute l’explication de l’action criminelle dans le passage à l’acte délictueux sans
se préoccuper de ce qui a précédé dans la vie de son auteur (B).
A/- Les théories dynamiques complémentaires
On distingue le modèle général (a) et les modèles particuliers (b).
a) Le modèle général de Cohen : le modèle de l’arbre
Cohen conçoit l’acte délictueux comme étant l’aboutissement d’une
interaction entre l’acteur et la situation pré-criminelle au terme d’un processus
dit de passage à l’acte. L’analyse de cette définition met en premier lieu en
évidence les facteurs de l’acte criminel : la personne de l’agent d’une part, la
situation dans laquelle elle se trouve placé d’autre part. En deuxième lieu, cette
définition montre que l’acte criminel n’est pas la résultante mécanique d’une
sorte de combinaison, mais le point d’aboutissement d’un processus qui se
développe dans le temps et par une série d’étapes au cours desquelles personne
te situation sont en interaction constante. Enfin, l’acte n’est jamais entièrement
déterminé par le passé et le processus du passage à l’acte peut voir son cours se
modifier lorsqu’il y a changement soit de la personnalité, soit de la situation, soit
des deux. Pour figurer ce phénomène, Cohen le représente au moyen d’un arbre,
d’où l’appellation de « modèle de l’arbre ».
b) Les modèles particuliers
Il s’agit de modèles qui mettent l’accent soit sur la personne, soit sur la
situation, soit encore sur le processus lui-même du passage à l’acte.
1) Les modèles qui attribuent un rôle déterminant à la personnalité
1° Les modèles objectifs. Ce sont des modèles qui décrivent le passage à l’acte
délictueux tel que l’observateur peut analyser de l’extérieur la dynamique de la
personnalité de l’agent. Sont particulièrement célèbres le modèle de Kingberg et
celui de Pinatel.
24
Pour Kingberg, le passage à l’acte délictueux dépend de la relation qui
s’établit entre deux groupes de forces : les forces de pulsion (P) et les forces de
résistance (R). De plus, Kingberg distingue chez chaque individu la « pulsion
statique et habituelle » d’avec les variations temporaires positives ou négatives
de pulsion (±∆P) ; il en va de même pour les forces de résistance (±∆R). Alors,
il y a passage à l’acte selon Kingberg dans les quatre hypothèses suivantes : 1)
P>R ; 2) +∆P>R ; 3) P>-∆R ; 4) +∆P>-∆R.
Quant au modèle de Pinatel, il convient de se rappeler que, pour cet auteur,
il existerait une personnalité criminelle dont le noyau central serait formé par
quatre traits : l’égocentrisme, la labilité, l’agressivité et l’indifférence affective.
Pour montrer comment ces divers traits de personnalité interviennent dans le
processus de passage à l’acte, Pinatel expose que l’égocentrisme empêche que le
sujet ne ressente l’opprobre (honte, ignominie) social que l’acte projeté va jeter
sur lui, la labilité a pour conséquence qu’il n’est pas davantage retenu par la
menace de la peine, l’agressivité lui permet de vaincre les obstacles matériels
pour passer à l’acte et l’indifférence affective fait qu’au moment même de
l’exécution, il n’est pas arrêté par la pitié pour la victime.
2° Les modèles subjectifs. Il s’agit de modèles qui décrivent le passage à l’acte
tel qu’il est vécu par le sujet lui-même. Ici encore, on va en retenir deux : celui
de De Greeff et celui de Matza.
De Greeff est le premier à avoir recherché ce qui se passe dans la
subjectivité du délinquant et la manière dont il perçoit la situation pré criminelle
lors du processus de passage à l’acte délictueux. Pour lui, il existe deux grandes
catégories de délinquants : ceux chez qui existe une sorte d’état structuré
d’indifférence affective dont l’explication doit être recherchée sur le plan
génétique et ceux qui commettent des crimes au terme d’un processus évolutif et
réactionnel. Ce sont principalement les seconds qu’i a étudié pour essayer de
mettre en évidence les mécanismes psychologiques qui conduisent au crime. Ce
qui l’ a frappé dans ces mécanismes, c’est avant tout le rôle du « Je » qui choisit,
25
qui décide et qui agit. Parfois, le « Je » consent à devenir criminel de manière
délibérée ; parfois le « Je » se borne à tolérer l’engagement sur la voie
criminelle ; d’autres fois encore, le « Je » subit, s’aveugle comme s’il glissait de
manière de moins en moins consciente dans un état d’inhibition affective. Mais,
c’est finalement toujours le « Je » qui décide du passage à l’acte.
Quant au modèle du sociologue américain D. Matza, l’action criminelle
des jeunes délinquants est le produit d’un libre choix plus ou moins intense
selon les cas, au terme d’un processus d’interaction plus ou moins long de
« drift », c’est-à-dire de flottement, de laisser aller, d’abandon à la dérive, lequel
est rendu possible par le jeu de deux sortes de mécanismes psychologiques : la
négation de la culpabilité et le sentiment d’injustice subie.
2) Les modèles qui attribuent un rôle important à la situation
Des circonstances au rôle de la victime. A l’opposé des auteurs pour qui la
personnalité joue un rôle décisif dans le passage à l’acte, certains auteurs
attribuent au contraire une place privilégiée à la situation dans le phénomène. Ce
fut notamment le cas en France de G. Heuyer pour qui les facteurs
circonstanciels et actualisants possèdent une portée déterminante dans le passage
à l’acte : plus une cible est facilement accessible et vulnérable, plus elle appelle
des comportements délinquants.
En plus, il faut faire état des conceptions de la victimologie (1 ère
victimologie). En effet, la victime constitue un élément essentiel de la situation
précriminelle et la 1ère criminologie a entendu mettre en évidence le fait que le
choix de la victime d’un acte criminel n’est pas toujours dû au jeu du hasard,
mais qu’il existe nombre de cas où cette détermination résulte de certains types
de rapports entre la victime et son criminel en sorte que, sans elle, le crime
n’aurait sans doute pas lieu. A la limite, il est permis de se poser la question de
savoir si la victime est coupable.
3) Les modèles d’analyse du processus du passage à l’acte
26
Le processus du passage à l’acte, entendu comme la succession des
séquences qui conduisent la personne de l’acteur en interaction avec la situation
précriminelle jusqu’à la consommation de l’acte, a également donné lieu à
quelques modèles descriptifs-interprétatifs.
C’est ainsi que, par exemple, De Greeff a décrit les diverses étapes du
passage à l’acte dans le crime utilitaire et le crime passionnel. Il distingue à cet
effet trois phases successives : la phase de l’acquiescement mitigé, celle de
l’assentiment formulé et celle de la crise. Pour l’homicide passionnel, il a ajouté
à ce cadre général deux processus complémentaires : un processus de réduction
qui réduit l’être aimé à une abstraction responsable et un processus-suicide qui
consiste dans le désengagement post-delictum du criminel allant de la livraison à
la police jusqu’au suicide effectif.
De son côté H. Becker a aussi élaboré un modèle séquentiel de la déviance
qu’il oppose au modèle simultané (ou synchronique) de la recherche
criminologique traditionnelle. Son modèle repose sur trois idées fondamentales :
1) tout comportement est l’aboutissement d’un processus formé d’étapes
successives et ordonnées ; 2) tous les facteurs n’opèrent pas au même moment,
chacune des étapes qui forment le processus ayant en effet sa propre explication
qui diffère de celle de l’étape suivante et l’explication totale du comportement
supposant la combinaison de toutes les explications partielles échelonnées dans
le temps étape par étape ; 3) l’action de chaque facteur est subordonnée à la
réalisation des étapes précédentes.
Becker a, par exemple, utilisé ce modèle séquentiel pour expliquer
« comment on devient un fumeur de marijuana ». Pour cela il faut : 1) être
disposé à essayer le stupéfiant ; 2) parvenir à s’en procurer ; 3) apprendre la
technique de son utilisation ; 4) percevoir les effets de celui-ci comme une
source de plaisir ; 5) apprendre à aimer les effets que l’on est devenu capables
d’éprouver. Si l’une de ces conditions vient à manquer en cours d’apprentissage,
on ne peut pas devenir fumeur de marijuana.
27
B/- Les théories de l’acte criminel
Ces théories sont des explications récentes de l’action criminelle qui tentent
donc de donner une explication directe de l’acte criminel en dehors de toute
étiologie jugée irréalisable ou dépourvue d’intérêt. On peut citer, parmi celles-ci,
la théorie du « containment » de Reckless, la théorie économique du crime, la
théorie stratégique de la délinquance de M. Cusson, la théorie du style de vie
quotidienne des victimes, la théorie du choix rationnel, etc.
1) La théorie du « containment » ou théorie des barrières. Cette théorie
repose sur les deux axes suivants : 1) il existe normalement des barrières qui
font obstacle au comportement délictueux ; 2) il y a ou non passage à l’acte
délictueux selon que ces barrières sont faibles ou inexistantes ou au contraire
fortes ou suffisamment efficaces. Ces barrières sont de deux sortes : la barrière
externe, qui est la structure sociale de retenue (famille, église, école…), tient les
individus en respect, et la barrière interne, que Reckless analyse comme étant
« la force du moi », est une sorte de buttoir intérieur qui protège les individus
contre les pulsions qui poussent à la délinquance.
2) La théorie du style de vie quotidien des victimes ou théorie des
opportunités. Ici, il ne s’agit pas d’expliquer le passage à l’acte délictueux du
côté des auteurs, mais en se tournant vers les victimes et leur mode de vie
quotidien. Pour les auteurs de cette théorie (Cohen et Felson), le nombre et la
nature des actions délictueuses s’expliquent par les possibilités de réalisation qui
leur sont laissées par les victimes potentielles du fait de leur mode de vie
habituel.
D’abord, il y a cette hypothèse élémentaire selon laquelle la réalisation des
infractions suppose la rencontre, dans le temps et dans l’espace, de deux
facteurs : des délinquants potentiels et des « cibles » non ou insuffisamment
protégées. Ensuite, qu’il s’agisse des agressions contre les biens ou contre les
personnes, celles-ci sont plus ou moins faciles selon le degré de protection des
cibles possibles.
28
3) La théorie de la « fenêtre brisée » et la politique criminelle de la
tolérance zéro. La théorie de la « fenêtre brisée » a été présentée en 1982 par
deux auteurs américains James Q. Wilson et Georges L. Kelling. Cette théorie
renvoie, comme la précédente, à l’idée d’opportunité de commettre des actes de
délinquance. Mais l’occasion criminelle qui est ici visée, ce n’est plus celle qui
résulte de la multiplication des cibles offertes aux délinquants potentiels par le
style de vie actuel des victimes, mais les désordres ou incivilités qui constituent
un facteur de délinquance.
Selon cette théorie, si on laisse briser une fenêtre sans réagir, une autre sera
brisée, ensuite toutes, puis toute la maison. Ce sont donc de petits faits
d’incivilité, qu’ils soient ou non pénalement punissables, qui, en s’accumulant,
finissent par engendrer une délinquance nombreuse. Ainsi, le désordre et la
délinquance sont intimement liés. Dans ses effets, le mendiant laissé à lui-même
est comparable à la première vitre brisée : c’est alors que les agresseurs et autres
voleurs sont persuadés qu’ils ont moins de chances d’être pris, ou identifiés, en
opérant dans les rues où règne le désordre.
La politique de la tolérance zéro signifie dans toute sa rigueur que le moindre
acte coupable doit être puni. Elle consiste donc dans l’application systématique
de la loi pénale et devrait même comporter la célérité et la sévérité de la
sanction.
4) La théorie du choix rationnel. Beaucoup de criminologues nord-américains
(Clarke et Cornish) recourent actuellement à la notion de « choix rationnel »
pour comprendre comment les délinquants potentiels décident de commettre des
crimes spécifiques, mais aussi pour tenter d’expliquer les raisons théoriques et
pratiques qui font en sorte que les délinquants décident de commencer, de
poursuivre, ou au contraire, de mettre un terme à leurs activités criminelles.
A travers une analyse des caractéristiques situationnelles des décisions
criminelles des actes délictueux spécifiques (constellation des opportunités, les
coûts et les bénéfices attachés des types de crimes particuliers) et des différentes
29
étapes et processus par lesquels passe le délinquant potentiel avant de s’engager
dans les activités criminelles, cette théorie permet d’apprécier le délinquant
potentiel comme un acteur rationnel qui choisit de commettre le crime, même
pour les actes qui peuvent paraître à première vue profondément irrationnels,
tels que la pédophilie.
§ 3. Les théories de la criminologie dite de la réaction sociale
Partant de l’idée qu’il n’y a pas de différence entre délinquants et non
délinquants, les partisans de cette tendance soutiennent que la seule chose qui
mérite examen, c’est l’étude de la manière dont certains individus sont
« stigmatisés » comme délinquants et dont se constitue le « statut social de
délinquant ». Mais, on peut distinguer trois courants principaux dans cette
criminologie dite de la réaction sociale : le courant interactionniste (théories du
label, de l’étiquetage, de la stigmatisation …), le courant organisationnel qui
étudie les phénomènes d’application de la loi pénale et d’administration de la
justice pénale et la création de la loi pénale elle-même (étude de la police, des
organes de poursuites, des juridictions, des institutions pénitentiaires et de
rééducation… en analysant leur organisation, fonctionnement, leurs méthodes
d’action, leur coût et efficacité) et le courant critique ou radical qui estime que
« tout crime est un acte politique » puisqu’il revient à contester la société. Il sert
à cette critique et devrait donc, à ce titre, être encouragé au lieu d’être puni.
Cette thèse a pour risque de confondre un révolutionnaire à un gangster et de
conduire à la décriminalisation des infractions actuelles (vol, usage des
stupéfiants) et à l’incrimination d’activité quasi inconnues du droit pénal telles
que l’impérialisme, le colonialisme, le capitalisme, etc.
a) Les théories du Label ou de la stigmatisation
Selon ces théories, c’est la justice qui fait le criminel, car l’étiquette pénale
apposée sur le délinquant va le pousser à continuer à se ressentir et se conduire
comme tel. En conséquence, les incriminations se multiplient. Mais, on opposera
30
que le crime a préexisté à la peine et que le criminel n’était pas marqué par ce
stigmate de la justice lors de la première infraction.
b) La théorie selon laquelle c’est la loi qui, en créant la notion de crime,
fait que tel acte est criminel
Ainsi, les excès de vitesse ne sont des infractions que parce que la loi a jugé
bon de limiter la vitesse : supprimons ces limitations, il n’y aura plus
d’infractions d’excès de vitesse, légalisons la drogue, il n’y aura plus
d’infraction d’usage illicite de la drogue. Mais c’est oublier qu’il y a des raisons
à ces incriminations qui ont pour but de prévenir la commission d’autres
infractions plus graves.
c) La théorie selon laquelle le coût de la réaction sociale (police, justice,
prison) dépasse celui du crime
On objectera que le nombre de crimes et leur coût augmenteraient malgré les
efforts de prévention et d’ailleurs, le coût du crime n’est pas seulement matériel,
il est aussi humain, ce dont ne tient pas compte cette thèse en réalité matérialiste
(il y a aussi l’émotion, parfois grave et durable, causée par l’infraction même
commise à seule fin pécuniaire).
31
pour elles-mêmes, quelle que soit l’origine du malheur qui les frappe et du
préjudice qu’elles subissent. On a ainsi créé le concept de victimité pour
désigner la situation de toutes les victimes dont les victimes d’actes délinquants
ne forment qu’une variété à côté des victimes de faits non fautifs, d’évènements
fortuits ou catastrophes naturelles.
Face à l’impuissance des pouvoirs de parvenir à empêcher l’accroissement
incessant de la délinquance, la seule ressource serait de reporter l’action sur
l’atténuation des effets du phénomène en prenant en considération les victimes,
à défaut de pouvoir agir efficacement sur les causes. L’idée d’indemnisation
progresse ainsi parc que l’augmentation de la délinquance conduit, faute de
pouvoir lutter contre les causes, à chercher à en atténuer les effets. Mais les
pouvoirs publics risquent alors, sachant que le dommage sera réparé, de négliger
la prévention.
32
La criminologie théorique est la branche de la criminologie qui a pour
objet l’explication de l’action criminelle, c’est-à-dire l’étude des facteurs et
processus de l’action criminelle qui peut à la fois être saisie comme un
phénomène individuel, l’acte infractionnel du droit pénal dont l’étude constitue
la micro-criminologie (Titre 2) ou comme un phénomène collectif (à l’échelon
de la collectivité) étudié par la macro-criminologie (Titre 1).
33
actuel des connaissances empiriques très limitées sur la criminalité. Malgré
l’existence d’un Centre International de Criminologie Comparée (CICC) dont le
siège se trouve à Montréal et de l’Institut interrégional de recherche des Nations
Unies sur la criminalité et la justice (UNICRI) dont le siège se trouve en Italie,
les véritables recherches globales sur la criminalité dans le monde en sont
encore à leur début. Les seules données actuelles suffisamment développées ont
été jusqu’ici axées essentiellement autour des différences suivant les types de
sociétés (criminalité dans les sociétés archaïques et dans les sociétés
contemporaines) ou suivant certains groupes de pays (criminalité dans les pays
occidentaux, les pays en voie de développement, etc.).
1° Notion de la criminalité
La criminalité est l’ensemble des infractions pénales commises, au cours
d’une période de temps déterminé, dans un Etat, ses divisions régionales, ou un
groupe d’Etats.
2° Les techniques de recherche criminologique
On entend par techniques de recherche criminologique l’ensemble des
procédés concrets qui permettent de collecter, de manière organisée, les données
relatives à l’action criminelle. On utilise encore le terme « techniques
d’approche » pour indiquer que les données collectées permettent, non de saisir
le phénomène étudié dans sa nature intime, mais seulement de l’approcher.
Les techniques d’approche de l’action criminelle varient selon l’objet de la
recherche. Ainsi distingue-t-on les techniques d’approche de la criminalité (§1),
les techniques d’approche du phénomène individuel (§2) et les techniques
d’approche utilisées en criminologie appliquée (§3).
§1. Les techniques d’approche de la criminalité / l’approche de la quantité
34
On sait, de par sa définition, que la criminalité, entendue comme
l’ensemble des infractions commises au cours d’une période de temps déterminé
dans une aire géographique donnée, est un phénomène essentiellement
quantitatif. Aussi n’est-il pas surprenant que les techniques d’approche de la
criminalité se ramènent principalement aux procédés de mesure de la criminalité
et que leur étude porte à la fois sur l’analyse de ces procédés (A) et la
détermination des informations que l’on peut tirer de leur emploi (B).
A) La mesure de la criminalité
Traditionnellement, la mesure de la criminalité se fait au moyen des
statistiques criminelles ou statistiques de la criminalité (a). Mais, comme
précisément les indicateurs utilisés par ces statistiques sont de simples
manifestations de réactions au crime (PV dressés par la police, poursuites
engagées par les parquets, condamnations prononcées par les tribunaux, etc.),
elles ont suscité de vives critiques. Aussi s’est-on orienté vers l’emploi de
nouvelles techniques d’évaluation de la criminalité (b).
35
Cette classification repose sur la qualité de la personne ou de l’organisme
qui dresse la statistique. Les statistiques publiques ou officielles sont celles qui
sont dressées par des organismes officiels, tandis que les statistiques privées ou
scientifiques sont celles qui sont établies par des chercheurs. Compte tenu des
moyens qui sont nécessaires pour dresser les statistiques de la criminalité, la
plupart d’entre elles sont des statistiques officielles.
2° Les statistiques nationales et les statistiques internationales
Le critère de cette classification réside dans l’étendue géographique de la
criminalité comptabilisée. Ainsi, les statistiques nationales sont celles qui sont
dressées dans le cadre d’une nation (Cameroun, France…) ; les statistiques
internationales sont celles qui comptabilisent dans un même document des faits
relatifs à la criminalité de plusieurs pays.
3° Les statistiques policières, judiciaires et pénitentiaires
Cette classification est la plus importante. Elle repose sur le stade du
processus de justice pénale, auquel est saisie la criminalité, combiné avec
l’identité de l’administration compétente pour agir à ce stade. Ainsi, les
statistiques policières sont celles qui sont dressées par les services de police et
qui comptabilisent les infractions connues de la police ainsi que les délinquants
arrêtés par ses services. Les statistiques judiciaires et des parquets sont celles qui
comptabilisent principalement les condamnations prononcées par les cours et
tribunaux. Quant aux statistiques pénitentiaires et de la rééducation, ce sont
celles qui concernent tant le nombre et la répartition des détenus dans les
établissements pénitentiaires et les maisons de rééducation pour les mineurs
délinquants que les données numériques relatives à l’application des mesures de
traitement en milieu ouvert (sursis avec mise à l’épreuve, liberté surveillée des
mineurs, travail d’intérêt général, etc.).
2) La valeur des statistiques criminelles
Pendant longtemps, on a attribué un grand crédit aux statistiques
criminelles, en particulier les statistiques judiciaires. Aujourd’hui au contraire,
36
sous l’influence de la criminologie dite de la réaction sociale, de nombreux
criminologues critiquent vivement ces statistiques en affirmant qu’elles ne
permettent nullement de mesurer la criminalité, mais ce qui est tout différent –
l’activité des services répressifs (police, justice…) et leur réaction à la
criminalité. Certains les accusent même d’être non seulement inutiles mais
nuisibles, car elles entretiendraient dans la population un fort sentiment
d’insécurité injustifié : les statistiques criminelles sont devenues un enjeu
politique important.
Pour apprécier la pertinence de ces critiques, il faut s’interroger tour à tour
sur ce que mesurent les statistiques criminelles et sur la manière dont elles les
mesurent.
37
constant, le chiffre noir varie constamment d’une période à une autre, comme
d’un pays à l’autre, sous l’influence de facteurs divers, notamment des
variations de l’activité des services de police et justice, la propension du public à
déclarer les infractions et celle de la police à les enregistrer. La criminalité réelle
est donc la grande inconnue de la criminologie et ce que mesurent les
statistiques officielles n’est qu’une part variable et irrégulière du phénomène.
S’il est certain que les statistiques officielles ne permettent pas de
connaître la criminalité réelle, du moins peut-on se demander lesquelles des
statistiques de la criminalité légale ou de la criminalité apparente sont le plus
susceptibles de se rapprocher de la criminalité réelle.
Si au 19 ème siècle l’opinion prévalait que les statistiques judiciaires
constituaient la meilleure approche de la criminalité réelle, aujourd’hui au
contraire, l’opinion la plus répandue est en faveur de la supériorité des
statistiques de la police sur celles des tribunaux. Il faut savoir en effet que de la
criminalité enregistrée par la police et les parquets à celle qui est effectivement
sanctionnée par les tribunaux, il se produit une sélection progressive qui aboutit
à un double résultat : 1) une perte considérable de « substance réprimable » ; 2)
une transformation-déformation notable de cette substance. D’autre part,
l’extension considérable du champ de l’amnistie dans les lois contemporaines
d’amnistie enlève à la statistique des condamnations pénales toute valeur
indicative pour les années qui suivent la promulgation de la loi d’amnistie.
Puisque les statistiques de la criminalité apparente sont celles qui se
rapprochent le plus de la criminalité réelle, il est alors intéressant de se
demander ce que ces statistiques enregistrent généralement comme criminalité.
Des recherches effectuées sur les statistiques policières, il résulte deux sortes de
théories.
La première, dite théorie du renvoi (Sellin et Wolfrang ; M.Ph. Robert),
soutient que parmi toutes les infractions qui sont effectivement commises, celles
qui figurent dans les statistiques policières sont celles qui répondent à l’un des
38
deux critères suivants : 1) la « visibilité » de l’infraction, c’est-à-dire la
possibilité de la constater facilement ; 2) la « reportabilité », à savoir la
fréquence avec laquelle une infraction est dénoncée à la police par la victime, ce
qui conduit à distinguer entre les crimes avec victime qui ont en principe un taux
de reportabilité élevé et les crimes sans victime à taux de reportabilité faible ou
nul.
La seconde théorie, appelée théorie de la détermination légale ou
réglementaire, de Mme Barberger, soutient différemment que ce qui est essentiel
dans la détermination du contenu des statistiques policières, c’est le régime légal
de répression des infractions plutôt que leurs caractéristiques matérielles. De la
sorte, il y a lieu d’opposer les infractions soumises au droit commun de la
répression qui sont le « pain quotidien » des statistiques, à ces nombreuses
infractions à statut répressif particulier (infractions économiques, fiscales, etc.)
qui sont généralement réglées au stade des Administrations concernées et ne
viennent qu’exceptionnellement à la connaissance de la police et des parquets et
donc dans les statistiques de la criminalité apparente. Sans doute la réalité se
trouve dans la combinaison des deux analyses.
2° Comment mesurent les statistiques criminelles
Si les statistiques ne mesurent que la criminalité légale et apparente, du
moins pourrait-on s’attendre à ce qu’elles les mesurent bien. Deux critiques leur
sont couramment faites à cet égard : l’inexactitude et la déformation.
Trois sortes de facteurs se trouvent à l’origine des inexactitudes que
contiennent les statistiques criminelles : 1) les erreurs involontaires,
intellectuelles au moment de la comptabilisation des infractions, matérielles lors
de la publication ; 2) les choix d’opportunité faits par les autorités quant à la
suite donnée aux affaires, notamment pouvoir d’appréciation de l’opportunité
des poursuites par les parquets et pouvoir discrétionnaire de la police, de droit
ou de fait selon les pays ; 3) les falsifications délibérées dues au fait que les
statistiques criminelles sont devenues un enjeu politique important.
39
Les statistiques criminelles traditionnelles attribuent le même poids à
toutes les infractions comptabilisées quelle que soit leur gravité, ce qui peut être
critiquable.
b) Les nouvelles techniques d’évaluation de la criminalité
L’on distingue pour l’essentiel : 1) les techniques d’approche du chiffre
noir ; 2) les évaluations du coût du crime ; 3) les sondages sur le sentiment
d’insécurité ; 4) les recherches qualitatives sur la criminalité.
1° Les techniques d’approche du chiffre noir
Pour tenter de connaître la criminalité réelle, on peut penser à s’adresser
soit aux délinquants par des enquêtes d’autoconfession, soit aux victimes par des
enquêtes de victimisation.
Les enquêtes d’autoconfession. Encore appelées autoportraits ou délinquance
autorapportée, ces enquêtes consistent à interroger un groupe de personnes pris
dans l’ensemble de la population sur les délits commis par les membres de ce
groupe et les suites qui ont été données à ces délits. Elles reposent donc sur les
aveux de leurs auteurs.
Les enquêtes de victimisation. Elles consistent à interroger un groupe de
personnes sur les infractions dont elles ont été victimes. Elles reposent donc sur
les témoignages des victimes, à l’opposé des enquêtes d’autoconfession fondées
sur les aveux des auteurs des crimes.
2° Les évaluations du coût du crime
Cette technique consiste à évaluer la criminalité à partir du coût
économique qu’elle représente pour la collectivité ; à cette fin on totalise
l’estimation monétaire des préjudices causés par les diverses formes de
délinquance et le coût des organes de répression et de prévention. On reproche à
cette méthode : 1) de ne pas pouvoir prendre en compte les actes criminels qui
ne causent pas de préjudice à une victime susceptible d’évaluation économique
(l’infanticide par exemple) ; 2) même pour les crimes avec préjudice, de ne tenir
40
compte que de leur coût économique, alors que leur coût psychologique est
parfois plus important.
3° Les sondages sur le sentiment d’insécurité
La criminalité engendre dans l’opinion publique un certain nombre
d’attitudes réactives au premier rang desquelles figure un sentiment plus ou
moins vif d’insécurité selon l’évolution de la criminalité ou l’image que le
public en a, notamment à travers les médias. Ce sentiment d’insécurité fait
l’objet de sondages périodiques d’opinion et l’on s’est demandé si ces sondages
ne pouvaient pas constituer en eux-mêmes un indicateur de l’ampleur et des
tendances d’évolution de la criminalité.
L’évaluation de la criminalité à travers le sentiment d’insécurité se heurte
toutefois à une objection importante : c’est qu’il n’est nullement démontré que
ce sentiment soit fonction du niveau et des tendances d’évolution de la
criminalité elle-même, et d’autres facteurs paraissent influer sur l’évolution et le
contenu du sentiment, notamment les médias.
On a même cru pouvoir montrer que les réponses aux sondages sur le
sentiment d’insécurité variaient notablement selon la manière dont la question
était posée : fort sentiment lorsque la question est fermée, faible, en revanche,
lorsqu’elle est ouverte. Est-ce à dire pour autant que le sentiment d’insécurité est
dépourvu de rationalité en ce sens qu’il n’entretiendrait aucune relation
significative avec la délinquance elle-même, considérée comme fait objectif ?
De nombreuses recherches se sont attelées à trouver quel est le type de relation
que peut entretenir le sentiment d’insécurité avec la délinquance (étude de F.
Furstenberg, 1969).
Mais, s’il apparaît que la mesure sur le sentiment d’insécurité ne permet
certes pas de mesurer la criminalité objective elle-même, elle n’en est pas moins
riche d’enseignements sur les relations existant entre les sentiments et les
attitudes des populations et cette criminalité elle-même.
4° Les recherches qualitatives sur la criminalité
41
Devant les difficultés à saisir la criminalité par les techniques quantitatives
et l’impossibilité pour certaines formes de celle-ci (notamment le crime organisé
ou la criminalité en col blanc) d’en avoir la moindre approche sérieuse par les
statistiques, certains auteurs ont proposé de recourir à des recherches
qualitatives. Celles-ci ont été qualifiées « d’approche descriptive-interprétative »
qui proposent de substituer l’étude des tendances comparées de la criminalité à
la comparaison internationale des statistiques de divers pays et la recherche
historique à l’étude statistique de l’évolution de la criminalité dans le temps.
Au terme de cette étude de la mesure de la criminalité, il apparaît certes
qu’il n’est pas possible de mesurer directement et avec certitude la criminalité
réelle ; les statistiques officielles ne permettent de connaître que la criminalité
légale et la criminalité apparente. Quant aux substituts de ces statistiques, ce ne
sont que des procédés bien imparfaits d’approche de la réalité criminelle. Il
n’existe donc pas d’indicateur véritablement satisfaisant de la criminalité.
B) Les divers types de connaissances sur la criminalité
Les diverses techniques d’approche de la criminalité permettent d’acquérir
des connaissances sur la criminalité dans trois directions différentes : 1) sa
description ; 2) sa causalité ; 3) les prévisions de son évolution.
1) La description de la criminalité
La description de la criminalité porte sur son volume et sa structure, son
évolution dans le temps et ses variations dans l’espace.
1° Le volume et la structure de la criminalité
La connaissance la plus élémentaire que permettent de fournir les
statistiques criminelles réside dans le volume de celle-ci à un moment déterminé
du temps et en un lieu également déterminé (pays, région ou ville). Deux
remarques méritent cependant d’être faites : 1) il ne s’agit que de la criminalité
apparente ou légale et non réelle, d’où la nécessité de les compléter par les
résultats des techniques d’évaluation du « chiffre noir » ; 2) les statistiques
fournissent des nombres en valeur absolue (1,5 million de crimes et délits
42
connus de la police, 200 000 condamnations prononcées par les tribunaux…) ce
qui n’a pas une grande signification, d’où la nécessité de les rapporter au chiffre
de la population et d’exprimer les résultats en taux de criminalité (100 pour
mille habitants, etc.).
Les divers instruments de mesure de la criminalité permettent aussi de
connaître sa structure dans une aire géographique donnée et à un moment
déterminé du temps. C’est ainsi d’abord que les statistiques criminelles
permettent de connaître la répartition des infractions tant d’après leur gravité
(crime, délit et contravention, par exemple) que d’après leur nature (par
exemple, infractions contre les personnes, les biens et la chose publique).
Les mêmes statistiques donnent également des informations sur la
répartition des délinquants dans l’ensemble de la criminalité en fonction de
caractéristiques individuelles générales : sexe, âge, profession, catégorie sociale,
récidive pour l’essentiel.
Enfin, les enquêtes de victimisation permettent aujourd’hui de connaître
aussi diverses caractéristiques générales dominantes relatives aux victimes :
sexe, âge, nationalité, catégorie socio-professionnelle, etc.
2° L’évolution de la criminalité dans le temps
La description de l’évolution de la criminalité se fait au moyen des séries
statistiques ou de l’utilisation de la méthode historique.
Les statistiques criminelles, éventuellement complétées par les autres
techniques de mesure de la criminalité, permettent de décrire l’évolution de la
criminalité en la saisissant sous trois aspects différents : les tendances à long
terme, les variations saisonnières et les mouvements accidentels (dus aux
guerres et révolutions par exemple). Il faut cependant observer que la
description à long terme, à vrai dire, n’est pas chose facile car on ne peut pas se
contenter d’aligner les uns après les autres les chiffres de la criminalité, année
après année, pour en dresser le tableau d’évolution. L’on doit en effet corriger
ces données en tenant par exemple compte des changements de législation
43
pénale, de la modification dans le niveau d’activité des services de police
comme dans les attitudes de la plainte des victimes, les variations dans le
système de poursuite des parquets, la sévérité des condamnations ou
l’application des sanctions pénales.
Le recours à l’histoire est également indispensable pour rechercher
l’évolution de la criminalité dans les périodes antérieures à la tenue des
statistiques criminelles, donc avant le 19 ème siècle ; l’histoire sert aussi de
complément et de moyen de vérification pour la période contemporaine.
3° Les variations de la criminalité dans l’espace
Leur description peut se faire entre les pays ou à l’intérieur d’un même
pays.
Le traitement des statistiques criminelles et autres instruments de mesure de
la criminalité permet de connaître les différences de criminalité selon les pays au
moyen de comparaisons internationales reposant non plus sur des taux de
criminalité mais sur des tendances de criminalité parce que la comparaison des
taux de criminalité au moyen des statistiques criminelles internationales a donné
des résultats décevants. Décevants parce que le comparatiste ne peut pas se
contenter d’une confrontation purement mécanique de diverses données
nationales et doit tenir compte de multiples « facteurs perturbateurs de la
comptabilité », à savoir : 1) la diversité des législations nationales ; 2)
l’hétérogénéité ou même l’absence de certaines statistiques nationales ; 3) la
disparité dans la connaissance des infractions retenues par selon les pays ; 4)la
discordance des unités de compte utilisées dans les statistiques nationales ; 5)
l’imperfection de l’organisation de la collecte et la combinaison des données
statistiques internationales.
Les études comparatives sur les tendances de la criminalité désignent soit
une technique tout à fait distincte de la comparaison des taux de criminalité qui
consiste à dégager des caractéristiques ou des orientations non chiffrées, soit une
44
méthode plus générale qui englobe, comme une simple variété, les études qui
comparent les taux de criminalité.
Enfin, les statistiques de la criminalité permettent aussi de comparer la
criminalité dans les portions déterminées du territoire national. Cette géographie
criminelle ne soulève pas les mêmes difficultés que les comparaisons
internationales, car la législation est unique et le système des statistiques
criminelles homogène à l’intérieur d’un même pays (du moins s’il ne s’agit pas
d’un pays fédéral comme les Etats-Unis).
2) La recherche de la causalité de la criminalité
Par-delà la description de la criminalité, les techniques de mesure de la
criminalité servent aussi de base à l’étude de la causalité de la criminalité et à
l’établissement des types de sociétés d’après les différences de criminalité.
Pour mener à bien la recherche de causalité, il est cependant
indispensable de posséder d’autres données (variables indépendantes) que celles
sur la criminalité (variable dépendante) et de confronter les deux séries de
variables en vue de dégager une interprétation.
Les variables indépendantes qui sont les facteurs qui influent sur la
variable dépendante, la criminalité, sont de nature très diverse : facteurs
météorologiques, démographiques, politiques, économiques (croissance
économique, crises, inégalités), facteurs d’organisation sociale (urbanisation,
immigration, mobilité des populations…), facteurs culturels (religion, famille,
enseignement, médias, idéologies, usages sociaux de substances toxiques,
alcool, stupéfiants), sans oublier les facteurs de politique criminelle qui
entretiennent un rapport direct avec la criminalité.
La connaissance de ces facteurs suppose la recherche dans les différentes
disciplines dont ils relèvent. C’est l’une des raisons de la pluridisciplinarité de la
criminologie qui suppose une vaste culture.
Enfin, le mode de confrontation des données sur les variables
indépendantes avec la variable dépendante dépend de la possibilité dans laquelle
45
on se trouve de quantifier les variables indépendantes au moyen d’indicateurs
pertinents. Selon le cas, on procédera à une analyse quantitative ou au contraire,
à une analyse qualitative. Mais quoi qu’il en soit, c’est à la suite de cette analyse
que l’on pourra déboucher sur une théorie ou un modèle interprétatif.
3) L’établissement de prévisions d’évolution de la criminalité
Depuis quelques décennies, les criminologues ne se limitent plus à
rechercher la causalité de la criminalité, mais ils utilisent les données fournies
par les instruments de mesure de cette dernière pour faire de la prospective
criminologique qui suppose deux opérations fondamentales : « le choix du
passé, la projection dans l’avenir ».
La valeur de la prévision dépend avant tout de ce que vaut le passé sur
lequel elle s’appuie. A cet égard deux choix essentiels s’imposent au chercheur.
Le premier est celui des variables de référence sur lesquelles va s’appuyer la
projection du passé dans l’avenir. Il n’est pas déjà indifférent de savoir quelle
sorte de variable dépendante on va choisir (criminalité légale, criminalité
apparente, etc.), mais le choix des variables indépendantes est encore plus
déterminant : à cet égard on distingue entre « hypothèse pauvre » où la variable
prise en compte est le temps qui passe et les « hypothèses enrichies » où l’on
prend en compte diverses variables démographiques, économiques, etc. Le
second choix à faire sur le passé est celui des types d’observation sur les
variables retenues. Deux sortes d’observations sont utilisables : les séries
temporelles (« démarche à élasticité temporelle »), les distributions dans
l’espace (« démarche à élasticité spatiale »).
En second lieu, la valeur d’une prévision est fonction de la qualité de la
projection du passé dans l’avenir. Or cette projection suscite de difficultés
techniques importantes, car rien ne permet de penser, conformément à
l’hypothèse dite de « stabilité », que tout ce qui a évolué pendant la période
passée prise en considération, évoluera de la même manière pendant la période
prévisionnelle.
46
Chapitre II. Les facteurs de la criminalité
Remarques:
1° Il faut tenir compte, non seulement des facteurs criminogènes, mais
également des facteurs de résistance (peu étudiées), sorte d’antidotes du crime,
qui font qu’une personne, à priori vouée au crime en raison de nombreux
facteurs criminogènes ne devienne pas criminelle ;
2° On peut classer les facteurs criminogènes :
* d’après leur effet dans un ordre chronologique (cf. Di Tullio) :
-facteurs prédisposant (ex. hérédité) ;
-facteurs préparant (ex. alcoolisme) ;
-facteurs déclenchant (ex. milieu criminogène) ;
* d’après leur nature endogène ou exogène :
-facteurs individuels ex. (alcoolisme) : facteurs endogènes ;
-facteurs sociaux (ex. milieu familial) : facteurs exogènes.
Il convient de distinguer les facteurs individuels de la criminalité (section I)
à côté des facteurs sociaux de la criminalité (section2).
47
Section 1. Les facteurs individuels de la criminalité
I/- L’anthropologie criminelle : Lombroso et ses disciples
C’est Lombroso, suivi par plusieurs disciples, qui est le fondateur de
l’anthropologie criminelle. Mais d’autres recherches ont été ensuite
développées.
1)Théorie dite du criminel-né (Ferri)
a) Le criminel est reconnaissable par les stigmates de criminalité (petit crâne,
front fuyant, grosses mâchoires, oreilles en éventail, lèvres minces, longs bras,
insensibilité à la douleur, gaucher, asymétrie faciale, etc.), même si on
remarquera que certaines personnes ne portant pas ces stigmates seront
cependant des criminels tandis que celles qui les portent sont vouées au crime
(on trouve l’idée dans certaines expressions du langage : « il a une tête de
voleur »).
Avec des distinctions :
*meurtrier : crâne étroit, pommettes saillantes ;
*auteurs de viols : yeux obliques et rapprochés, long menton ;
*voleurs : yeux toujours en mouvement, front fuyant, souvent gaucher.
Remarque : Lombroso, après avoir estimé à 70% la population des criminels
que l’on peut reconnaître, a fini par admettre une population de 30% seulement.
Et sa thèse distingue l’homme criminel de la femme criminelle qui ne présente
pas les stigmates indiqués/
b) Le criminel se rapproche par sa conduite :
* de l’animal (idée de régression atavique : le criminel est une survivance de
l’homme primitif) ; certains animaux ont une délinquance particulière (ex. vol
pour les souris et chats) ;
* du primitif ;
* de l’enfant (cruel pour le faible, le pauvre, le plus petit avec pour traits
dominants colère, jalousie, poltronnerie, mensonge, vanité, vantardise).
critique de la théorie :
48
Elle a le mérite de tenter une étude plus rationnelle du criminel et a suscité
d’autres recherches différentes par exemple en psychologie. Mais :
*elle présente l’inconvénient de faire croire à l’existence d’une race de
criminels, physiquement distincte de celle de non-criminels et sans que soit
réalisée l’équivalence ,« tout criminel est porteur de stigmates, et tout porteur de
stigmates est criminel » : il y a des porteurs de stigmates qui ne sont pas
criminels et des criminels qui ne sont pas porteurs de stigmates ;
*elle se fonde parfois sur des erreurs d’interprétation, par exemple :
- l’analgésie (insensibilité à la douleur) expliquerait la fréquence des tatouages
chez les criminels, mais le mobile de celui qui se fait tatouer (ex : échapper à
l’identification) explique qu’il consente à l’opération malgré la douleur ;
- la sénestrie (fait d’être gaucher) qui : en réalité n’est ni cause ni signe de
délinquance, est un phénomène normal. On remarquera toutefois que beaucoup
d’appareils sont conçus pour les droitiers ; même le langage favorise les
droitiers : « être le bras droit d’une personne, être gauche ».
Cependant, beaucoup de criminologues après Lombroso ont tenté de
découvrir les caractères anatomiques et physiologiques communs aux criminels
(théories constitutionnalistes, constitution délinquantielle).
2) Autres recherches
Distinction de Di Tullio
a) Entre les individus en général
- brévilignes : larges, membres courts, visage rond ;
- longilignes : longs, membres longs, visage allongé
Avec une sous-distinction selon l’énergie :
*asthéniques (mous) ;
*sthéniques (dynamiques).
b) Adaptation de la distinction aux criminels :
- brévilignes asthéniques : ils sont peu criminels ;
- brévilignes sthéniques : ils sont agressifs (meurtres, viols) ;
49
- longilignes asthéniques : ils sont auteurs de vols ;
- longilignes sthéniques : criminels par fanatismes, meurtres passionnels.
Classification de Kretschmer
a) Leptosomes (ils sont maigres, anguleux, aux extrémités effilées) : ce sont
souvent des voleurs, agressifs (meurtriers), des récidivistes (vols) ; 50% de la
population générale, 40% chez les criminels ;
b) Athlétomorphes (ils ont des épaules larges, la chevelure épaisse), à mentalité
variable : ils sont violents (auteurs de meurtres, incendie ; 30% de la population
générale, 50% chez les criminels ;
c) Pycniques (ils sont trapus, gras, aux extrémités petites, la musculature molle,
avec calvitie) : attentats contre les biens, ruse, souvent sans récidive ; 20% de la
population générale, 10% chez les criminels ;
d) Dysplastiques (ils ont la peau blafarde, les mains larges les bras minces) :
c’est le mélange peu heureux des types précédents.
Recherches diverses :
a) Taille des criminels : thèse de Vervalck :
- la taille moyenne des délinquants dépasse celle des autres ;
- les délinquants sont souvent très grands ou très petits.
b) Dysmorphisme (anomalies physiques) : mais où commence l’anormal ? On a
cependant fait des essais de chirurgie esthétique aux USA pour certains
criminels au visage ingrat.
c) Morphopsychologie : étude du visage et ses différentes formes (dilaté,
rétracté)
d) Otologie : étude de l’oreille et ses anomalies
e) Phrénologie : étude de la forme du crâne
f) Etude chimique des cellules nerveuses
g) Anomalies chromosomiques : il y a normalement dans chaque cellule chez
l’homme 46 chromosomes, dont 2 gonosomes ou chromosomes sexuels (XY
chez l’homme et XX chez la femme). Les anomalies seraient plus fréquentes
50
chez les criminels ; Elles peuvent être pour l’homme des anomalies de nombre :
47 chromosomes (1 X ou A Y en plus) : syndrome de Klinefelter/ ou 48
chromosomes (1 X et 1 Y en plus), ou 45 (1 X en moins : syndrome de Turner),
ou des anomalies de forme, par exemple, un Y à bras long.
Il y aurait un lien entre ces anomalies et le comportement social, donc le cas
échéant criminel.
e) Aspect physique général : certaines recherches font apparaître une moindre
robustesse chez les criminels adultes, d’autres une robustesse égale chez les
mineurs.
II/-Psychologie criminelle
Remarque : Un comportement anormal du point de vue général n’est pas
nécessairement pathologique du point de vue psychologique. Inversement,
certains anormaux psychologiques mènent une existence sociale normale, aidés
par leur milieu.
Cela dit, on rappellera juste les classifications connues en criminologie et on
fera état d’autres recherches.
A-Distinctions :
1) Ancienne distinction des 4 tempéraments (mélancoliques, sanguins,
flegmatiques, coléreux).
2) Classification de Le Senne selon que l’individu est ou non émotif, actif,
primaire :
- nerveux : émotif, non actif, primaire ;
- sentimental : émotif, non actif, secondaire ;
- colérique : émotif, actif, primaire ;
- passionné : émotif, actif, secondaire ;
- sanguin : non émotif, actif, primaire ;
- flegmatique : non émotif, non actif, secondaire ;
- amorphe : non émotif, non actif, primaire ;
- apathique : non émotif, non actif, secondaire.
51
3) Classification de Krestchmer
- tempérament cyclothyme (contacts sociaux faciles, bavard) :
*forme pathologique : cycloïde ;
*physiquement : pycnique.
- tempérament schizothyme (moins mesuré : changements d’attitudes brusques
et fréquents ; coléreux) :
*forme pathologique : schizoïde ;
*physiquement : athlétomorphe.
4) Classification de Sheldon
- type somatotonique (besoin de mouvement, goût du risque, cœur du ;
- type viscérotonique (goût de l’approbation générale, sociable) ;
- type cérébrotonique (réactions vives, peu sociable).
B- Autres recherches
1) Recherche de la psychologie sociale où on étudie les interactions entre
l’individu et le groupe dont celui fait partie, les attitudes envers les
valeurs sociales, le style de vie, etc.
2) La phénoménologie : on essaye de se mettre à la place de celui que l’on
observe pour comprendre comment il a été amené à l’acte ;
3) L’infraction révèle souvent chez son auteur plusieurs constantes : a) dans
ses buts, beaucoup d’infractions sont inspirées par la recherche du profit
pécuniaire ou par la vengeance. D’autres ont pour but la satisfaction d’un
désir de pouvoir physique et de domination ; b) dans sa réalisation,
l’infraction est souvent signe de lâcheté, son auteur profitant chez la
victime de son absence, de sa faiblesse, de sa crédulité.
III. L’influence du milieu intellectuel
Il s’agit du milieu intellectuel au sens large qui va de la presse jusqu’à
l’art avec y compris les médias.
A- La presse
La presse présente à la fois des avantages et des inconvénients.
52
1) Les avantages
Outre le rôle de diffusion pour la répression (diffusion du portrait robot),
la presse peut jouer un rôle préventif. Pour les coupables éventuels, elle peut être
un moyen de dissuasion (révélations des enquêtes de police découvrant les
coupables, photo d’un corps accidenté). Pour les victimes éventuelles, la presse
joue un rôle préventif en révélant par exemple la procédure des escrocs (si du
moins cela sert plus ou moins à avertir les éventuelles victimes qu’à instruire
d’autres coupables). Elle peut être un moyen de défoulement.
2) Les inconvénients
Effet nocif immédiat : c’est l’effet didactique, c’est-à-dire de
l’enseignement des procédés criminels (comment s’opèrent par exemple les vols
dans certains marchés).
Effet nocif à long terme : c’est la contagion du crime pour de nombreux
esprits portés à l’imitation (jeunes surtout). C’est pourquoi est dangereuse la
publicité donnée à certains malfaiteurs.
Enfin, la presse présente comme inconvénient la création dans l’opinion
d’une certaine accoutumance au crime et d’une marge de tolérance pour la
criminalité : d’où l’attitude permissive de la société et l’encouragement au crime
par l’affaiblissement des facteurs de résistance.
B- La littérature
On a décrit l’influence de la littérature sur le comportement des lecteurs,
surtout jeunes (ex. les suicides après la parution de certains livres/ René : les
nourritures terrestres).
La littérature, comme la presse, peut avoir un effet didactique encourageant
la criminalité. Il s’agit surtout de la littérature spécialisée dans le crime et la
violence (romans policiers) pour laquelle on se demande bien si elle peut être un
moyen de défoulement.
De même, une certaine littérature peut conduire à la diminution des facteurs
de résistances et au développement de l’attitude permissive de la société.
53
C- Les médias
La télévision et le cinéma peuvent avoir un effet directement criminogène.
Par la constance de la violence sur les écrans, il se produit une dangereuse
banalisation de celle-ci conduisant à l’accoutumance au crime et à l’attitude
permissive.
En plus, la TV et le cinéma peuvent avoir un dangereux effet didactique
(révélation de certaines attitudes ou méthodes criminelles) et un effet d’imitation
observé surtout chez les jeunes en raison de leur moindre résistance
psychologique. C’est pourquoi des films sont interdits au dessous d’un certains
âge. Constituent particulièrement un danger les films où le héros est toujours
vainqueur, les films présentant le criminel comme un incompris et la société
comme responsable de tous les crimes.
IV- La psychiatrie criminelle
Certains délinquants ne sont pas normaux. Certains sont même de
véritables malades : ce sont des psychopathes délinquants. Une thèse a même
soutenu à tort que tout délinquant était malade. Ce qui conduit à faire accroître
le rôle de médecins et à réduire celui des juges. Il faut séparer des malades
mentaux :
- Les individus normaux, même s’ils ont un tempérament impulsif ;
- Les déséquilibrés légers, inadaptés au milieu social (volonté défaillante,
certaines déficiences intellectuelles et troubles caractériels).
A- Les troubles durables
1) Les arriérations mentales
Elles peuvent se présenter sous les formes suivantes :
Idiotie : 1er degré – intelligence de l’animal ; 2ème degré – niveau mental de
moins de trois ans ;
Imbécilité : niveau mental de trois à six ans. Ces personnes sont
dangereuses quand elles sont violentes.
54
Débilité mentale : âge mental de six à douze ans. Ils sont nerveux et
violents.
2) La démence
Elle peut être traumatique ou alors sénile. Les effets de la démence
ressemblent à ceux de l’idiotie.
B- Les maladies évolutives
On distinguera les psychoses, les névroses des autres déséquilibrés
psychologiques.
1) Les psychoses
Elles peuvent être aigues : trouble de l’humeur et se manifestent sous les
formes de :
- Manies (personne agitée) qui peuvent être la cause d’escroquerie, parfois
de violence ;
- Mélancolie (personne déprimée n’ayant aucun intérêt pour quoi que ce
soit). Elle peut pousser à l’agressivité : on a vu un père tuant son fils pour
ne pas le laisser vivre dans un monde qu’il jugeait mauvais.
Les psychoses peuvent différemment être chroniques :
- Les troubles de jugement – il s’agit des délirés paranoïaques avec un
sentiment de persécution, de méfiance, jalousie, hypertrophie du moi,
orgueil, certitude d’avoir raison ;
- Les troubles de l’affectivité – schizophrénie : il y a perte de contact avec
le monde extérieur, le malade vit dans un monde déphasé du réel mais
sans altération de l’intelligence : le délire est cohérent. Cette maladie est
parfois la cause des meurtres paraissant sans motifs.
2) Les névroses
Peuvent se manifester sous les formes :
a) Les hystéries
55
On dramatise le moindre événement. Des faits qui résultent souvent sont
de faux témoignages, des dénonciations calomnieuses, de fausses auto
accusations.
b) Les phobies
Qui peuvent être sociales : peur de parler en public.
3) Déséquilibres psychopathiques
a) Troubles de sensibilité par défaut ou par excès
- Par défaut d’affectivité, la personne ignore la notion de justice, l’amour, la
pitié (son amendement est fort improbable) ;
- Par hyper émotivité, il s’agit des indécis, jaloux, faibles. Ils sont souvent
alcooliques. Ce pourra être la source d’une infraction s’ajoutant à celle
déjà commise (fuite après accident).
b) Troubles du caractère
On retrouve :
- Les abouliques sui n’ont aucune volonté de faire le bien pas plus que celle
de résister au mal : ils sont dits nonchalants moraux (beaucoup de
vagabonds, prostituées) ;
- Les instables qui ont besoin de changement (le désir de changer d’emploi
les poussant au chômage).
c) Les troubles de sexualité : les perversions sexuelles
V- La race et la criminalité
Certains chercheurs ont étudié les infractions que commettent des
personnes appartenant à une race déterminée : cela pose le problème de la race
et celui des rapports prétendus de la race et la criminalité. Il ne faut pas
cependant confondre la race et la nationalité (on peut être de race différente et de
même nationalité, de mêle race et de nationalité différente).
Toutes les races ont leur contingent de délinquants, mais le facteur racial
n’est pas comme tel (du point de vue biologique) facteur criminogène. Ce qui
peut être facteur de délinquance c’est le milieu social et culturel (facteur non
56
individuel). Les facteurs sociaux, plus souvent encore, expliquent non seulement
la nature, mais l’importance de la délinquance.
A noter enfin que les rapports de la race et de la criminalité constituent
l’un des sujets de la géographie criminelle.
VI- La femme et la criminalité
Il s’agit ici :
- Ni de la femme facteur du crime masculin (vol pour offrir un cadeau) ;
- Ni de la femme moyen du crime masculin (proxénétisme) ;
- Ni de la femme victime (agressions plus fréquentes chez les femmes) ;
- Ni de la femme stabilisateur du couple.
Il s’agit ici de la criminalité féminine. Les statistiques paraissent démontrer
que les femmes sont moins criminelles que les hommes. C’est donc le sexe
masculin qui serait facteur de délinquance.
Explications : on les recherchées dans les causes inhérentes au sexe féminin :
le sexe faible rend par exemple difficile le vol avec escalade ; la nature
sensible de la femme rend difficile les infractions violentes. Dans la
condition féminine : la condition physique limite son activité, donc sa
délinquance. La condition sociale de la femme a longtemps limité son
activité, c’est pourquoi la criminalité féminine augmente lorsque la femme
s’émancipe. Du point de vue hormonal, la femme est plus résistante que
l’homme, plus volontaire, mieux adaptée, donc moins agressive.
Critiques : a) on se trompe sur l’importance de la criminalité féminine qui est
aussi grande que la criminalité masculine. Beaucoup de femmes criminelles
restent impunies à raison de :
- L’habilité de la femme (ex. empoisonnement, escroquerie). On l’a dit « la
criminalité au fur et à mesure qu’elle se civilise, se féminise » ;
- La galanterie de l’homme qui parfois, victime ne se plaindra pas,
coauteur, prendra tout à sa charge, agent de police ou juge, il sera
indulgent.
57
b)On ne remarque pas assez la différence de nature entre la criminalité
féminine et la criminalité masculine : il y a une criminalité féminine due à
la condition féminine physique (avortement, infanticide), de la condition
féminine sociale (préparation de la cuisine ou soins médicaux aux
malades facilitent l’empoisonnement).
VII- L’âge et la criminalité
L’importance de la criminalité varie selon l’âge (le vol avec
escalade étant jeune, l’escroquerie en vieillissant) :
- On constate de plus en plus d’infractions commises par les enfants de
moins de 14 ans. On sait, par exemple, que dans les gares et les trains, les
enfants de la rue sont formés pour voler et dire « j’ai 10 ans » pour
évoquer leur irresponsabilité pénale ;
- Les adolescents (14 – 18 ans) commettent dix fois plus d’infractions que
les moins de 14 ans ;
- Les jeunes adultes (19 – 35 ans) constituent l’âge le plus délinquant ;
- Les adultes confirmés (35 -50 ans) : on constate la décroissance de la
délinquance ;
- Age critique et sénescence : décroissance de la délinquance.
A noter enfin que le problème de la délinquance juvénile constitue
aujourd’hui un sujet d’étude intéressant t important de la criminologie.
VIII- Alcoolisme et autres toxicomanies
A la différence des facteurs individuels précédemment étudiés, ceux dont
il sera question peuvent être volontairement acquis par la personne. Il convient
de distinguer l’alcoolisme des autres toxicomanies.
A- L’alcoolisme
Ce problème repose sur un paradoxe :
- D’une part, l’alcoolisme est l’un des facteurs les plus certains de la
criminalité. Il est la cause de nombreuses infractions. Résoudre ce
problème serait donc résoudre une partie de la criminalité ;
58
- D’autre part l’alcoolisme est un facteur contre lequel il serait facile, du
moins possible de lutter (ce qui n’est pas le cas des autres facteurs
criminogènes : à la différence des autres facteurs, il est un facteur acquis).
Or la lutte est souvent rendue difficile pour plusieurs raisons et
notamment parce qu’on se heurte à des puissants intérêts.
1) Les facteurs de l’alcoolisme
La pauvreté, le chômage, l’oisiveté, la publicité pour l’alcool, le grand
nombre de débits de boisson, les habitudes sociales complaisantes,
l’accoutumance créée très tôt (on multiplie les occasions de boire de l’alcool :
fêter un succès ou même un échec, anniversaire de son mariage…).
Selon certaines recherches, l’alcoolisme aurait parfois une cause génétique.
2) Solutions
Elles peuvent consister à :
- La limitation de la publicité ou du nombre de débits de boisson ;
- L’interdiction de vendre l’alcool aux mineurs ou à partir d’une certaine
heure ;
- Une propagande anti alcoolique et en faveur de boissons non alcooliques ;
- L’encouragement au sport ;
- La lutte contre la pauvreté ;
- Le traitement des alcooliques ;
- Les sanctions pénales (ivresse publique, conduite en état d’ivresse…).
B- Toxicomanies diverses
La principale et la plus grave est l’usage de la drogue. On distingue les
stupéfiants suivants : l’opium, la morphine, l’héroïne, la cocaïne, le cannabis, le
LSD 25, la mescaline, etc.
1) Les dangers de la drogue
A côté de leurs graves effets sur la santé, les drogues ont un effet
criminogène (en dehors des infractions concernant leur trafic et usage). La
59
drogue est aujourd’hui un facteur direct et fréquent de la délinquance : le besoin
créé conduit à des violences. Il faut aussi souligner le danger de l’engrenage
(chaque toxicomane entraîne au moins 10 par ans).
2) Remarques
Certaines solutions proposées prônent la légalisation non du trafic, mais de
l’usage de la drogue. Comme on ne peut légaliser toutes les drogues pour tout le
monde, la légalisation partielle favoriserait le marché de drogue restant illicite.
Section II. Les facteurs sociaux de la criminalité
De nombreuses Ecoles de sociologie criminelle se sont créées de FERRI à
TARDE jusqu’à SUTHERLAND. Elles présentent des thèses souvent exactes.
Cependant, il existe deux écueils à éviter :
- Vouloir expliquer les crimes par les seuls facteurs sociaux
(SUTHERLAND, par ex.) alors que les individus plongés dans le même
milieu criminogène ne seront tous pas criminels. Une remarque semblable
doit être faite à propos du chômage ;
- Vouloir rejeter sur la société la responsabilité de tout ce que l’on estime
mauvais : c’est généraliser l’excuse sociale.
I- L’influence du milieu physique
1) La géographie physique
FERRI l’avait déjà remarqué, la criminalité peut varier selon la
température, le climat ou les saisons. On parle de météorologie criminelle (les
vols et agressions se multiplient pendant la saison des pluies).
QUETELET a voulu établir une loi thermique de la délinquance :
- Dans les pays froids prédomineraient les crimes contre les biens ;
- Dans les pays chauds prédomineraient les crimes contre les personnes.
2) La criminalité rurale et urbaine
a) Quantitativement, le taux de criminalité est plus élevé dans les villes que
dans les villages. Cela s’explique non seulement par le plus grand nombre
60
d’habitants et la forte concentration, mais souvent par le coût élevé de la
vie favorisant le développement de la délinquance.
A noter que dans certaines villes, il y a de véritables zones de délinquance
(quartiers).
b) Qualitativement, la criminalité acquisitive (vol, escroquerie) domine dans
les villes alors que dans les campagnes, la criminalité musculaire
(meurtre, agressions sexuelles) l’emporte.
II- L’influence du milieu économique
1) Les facteurs économiques personnels
Il s’agit de facteurs économiques individuels, mais pouvant indirectement
découler du milieu. Des recherches ont été faites sur le pourcentage de
délinquants parmi ceux qui sont : indigents, pauvres, en situation normale, aisés
et riches. C’est parmi les personnes en situation normale que les délits sont les
plus nombreux, parmi les pauvres, il y a plus de vols. La situation économique
personnelle n’explique pas par elle-même la délinquance et la diminution
générale de la pauvreté ne s’accompagne pas forcément d’une baisse de
délinquance.
2) Les facteurs économiques collectifs
On a observé que la criminalité varie selon les facteurs économiques :
- La pauvreté engendre la criminalité ;
- Pendant la crise économique entraînant le chômage, se multiplient les
délits patrimoniaux ;
- Le passage de l’économie agricole à l’économie industrielle entraîne la
hausse du niveau de vie et cependant, la criminalité augmente
considérablement parce que les rapports d’intérêts (occasion de
délinquance) se font nombreux.
III- L’influence du milieu politique
1) La politique intérieure
Si l’on met de côté :
61
- Les infractions directement liées à certaines activités politiques (fraudes
électorales, corruption) ;
- Les infractions à mobile politique tendant à aboutir à un changement de
régime,
Le régime politique d’un pays paraît être sans influence directe sur la
criminalité. La plus part des actes humains criminels ou non sont indépendants
de la politique.
2) La politique extérieure
Il s’agit ici de la pathologie de la politique extérieure, c’est-à-dire la guerre.
Pendant la guerre, il y a diminution apparente des violences en raison de
celles qui sont commises légalement. Il y a augmentation de vols et recels en
raison de la pénurie de certaines denrées, certains objets comme les bicyclettes.
Après la guerre, il y augmentation de la criminalité en raison des habitudes
prises, plus durables en cas de défaite en raison du désarroi, le désir de
compensation.
62
Chapitre III. La prévention de la criminalité
Remarques :
1) A supposer connus tous les facteurs criminogènes, trois obstacles
demeurent contre l’effort de prévention : la prévisibilité du comportement
humain n’est pas une science exacte ; contre certains facteurs
criminogènes mêmes réels, la prévention est en réalité désarmée.
Cependant, la lutte contre certains facteurs criminogènes est possible.
2) Il est important de distinguer les formes de prévention : par la répression
(il n’y a pas de prévention sans répression, la répression du meurtre
prévient directement certains meurtres) ; par la répression avancée (la
répression de l’état dangereux, par exemple) ; par la prophylaxie sociale
(la lutte contre les bidonvilles, la pauvreté par exemple).
3) Enfin, il est différemment important de veiller aux moyens de prévention
qui sont souvent, malgré leur utilité, les atteintes à la liberté : de certains
(surveillance de personnes jugées dangereuses lors du séjour d’un chef
d’Etat par exemple) ; de tous (les contrôles d’identité, la suppression des
bals les samedis, par exemple).
63
Considérant ces remarques, on peut s’efforcer de prévenir la criminalité par
une action portant sur la personne du criminel ou sur les facteurs du crime qui
sont, on l’a vu, les plus divers possibles.
I- La prévention dans la personne du criminel
L’on peut prétendre s’opposer à l’apparition des personnes criminelles ou, si
on a pas pu ou pas voulu le faire, lutter contre la personnalité criminelle.
a) L’existence du criminel
On peut songer à prévenir la naissance des criminels par la stérilisation des
criminels. La biologie distingue à cet égard :
- L’eugénique positive qui consiste à favoriser la reproduction des
personnes porteuses de bons gènes ;
- L’eugénique négative : il s’agit seulement d’empêcher la reproduction de
personnes de mauvais gènes. On recherche ici non plus la sélection de
bons, mais l’élimination des mauvais.
Toutefois, même pour l’eugénique négative, la question se pose à partir de
quelle gravité de tare intervenir pour éviter les abus.
b) La personnalité criminelle
Sur le plan physique, des mesures chimiques sont parfois prônées à l’égard
par exemple de criminels sexuels.
D’un point de vue sociologique, l’effort peut consister à prévenir certains
facteurs et à en développer d’autres.
1) La prévention de certains facteurs
On peut s’efforcer à prévenir l’indifférence au crime et l’encouragement au
crime.
L’attitude permissive ou tolérante de la société est en effet dangereuse. Il y a
danger à banaliser le crime ou à tolérer intellectuellement certains faits graves.
La tolérance de certains faits finit par faire admettre les faits plus graves.
Beaucoup de criminels ont commencé par de petits délits pour en finir par
64
commettre des crimes : dit-on qui vol un œuf volera un bœuf. Il y a donc
nécessité d’accroître le respect de la règle de droit.
La prévention de l’encouragement au crime peut se faire par des idéologies
ou directement par des conseils. Il est dangereux quand on présente le vol ou
l’escroquerie comme un nouvel art de vivre (faymania) ou sous des prétextes
philosophiques, comme rétablissant la justice sociale. D’où la tendance de
nombreux autres jeunes de rejoindre le milieu criminel.
2) Le développement des facteurs de résistance au crime
Il faut former la volonté, donc lutter contre les facteurs qui l’annihilent
comme par exemple la drogue. Bien de gens s’accordent sur la nécessité d’une
hygiène physique, mais beaucoup moins d’une hygiène mentale.
II- La prévention des facteurs criminogènes
Elle peut avant tout s’opérer par les substituts pénaux de FERRI.
Ensuite, on peut lutter chronologiquement contre les faits qui préparent
l’infraction et contre ceux qui la déclenchent.
1) Les faits préparants ou prédisposants
Il peut s’agir de la pauvreté, l’alcoolisme, l’oisiveté, le chômage…
2) Les faits facilitants ou déclenchants
a) Rôle des faits
Parfois le milieu même où évolue l’individu peut inciter à la commission de
l’infraction : ex. la disposition des marchandises dans les magasins de libre
service, la comptabilité sans contrôle ;
Parfois comme cela est étudié en victimologie, certaines personnes sont de
victimes latentes : par leur faiblesse (nouveau- né, personnes âgées), par leur
sexe (femmes), par leur métier (convoyeurs de fonds, chauffeurs de taxi), par
leur conduite (femme provoquant une infraction sexuelle par sa conduite), par
leur mentalité fataliste ou par un sentiment inconscient de culpabilité qui fait
aller au devant de l’infraction comme victime.
b) Méthodes de prévention
65
Des actions peuvent être entreprises auprès des victimes, des choses ou des
criminels.
1) Actions auprès des victimes
Par l’éducation. Par exemple en décrivant par voie de presse, cinéma, radio,
TV, les procédés des escrocs, des voleurs, astrologues…
Par les moyens de défense. On peut les concevoir comme seulement
autorisés : ex. arme ou objet défensif pour les caissiers, gardiens, chauffeurs
de taxi… on peut aussi les concevoir comme obligatoires : ex. dans certains
pays, commet un délit l’automobiliste qui ne ferme pas sa voiture à clé en
stationnement.
2) Actions sur les choses
Il s’agit de mesures de sécurité tel par exemple l’anti vol des voitures, les
coffres forts, fourgons blindés, les payements par chèque, des clôtures…
Sont utiles les patouilles de police, les comités de vigilance dans les
quartiers, malgré les réactions d’une certaine partie de la population défavorable
à la présence permanente de la police.
3) Actions sur les criminels
- Sur les criminels déjà connus, à travers par exemple la surveillance des
criminels libérés, mais pouvant tuer un témoin pour reprendre une activité
criminelle. On préconise la surveillance particulière des multirécidivistes.
A noter que certains objectent que ces surveillances sont contraires à la
liberté individuelle et à la réinsertion sociale.
- Sur les criminels en puissance, à travers les vidéosurveillances, les
campagnes de prévention routière, l’aménagement des routes, la lutte anti
alcoolique, etc.
66
TITRE II – ETUDE DU CRIME (MICROCRIMINOLOGIE)
L’étude du crime, entant que phénomène individuel, soulève toute une
série de questions qui peuvent être regroupées autour de deux thèmes essentiels :
1) Pourquoi parmi tous les individus qui composent une même société et
sont donc exposés aux mêmes influences criminogènes, seuls certains
d’entre eux deviennent délinquants alors que les autres observent
généralement une conduite conforme aux prescriptions de la loi pénale ?
Existe-t-il donc des facteurs spécifiques de l’action criminelle ? Et dans
l’affirmative, où se situent ces facteurs : dans la personnalité de
l’individu, dans la situation pré criminelle ou dans la combinaison des
deux ? Si combinaison il y a, comment s’effectue le passage à l’acte
délictueux : par une sorte de réaction spontanée ou suivant un processus
complexe qui met en jeu le vouloir de l’individu ? Enfin, l’acte délictueux
lui-même n’est-il qu’un acte humain comme un autre ou bien se
distingue-t-il au contraire des actes non délictueux ?
2) Si l’on peut ainsi définir une sorte de profil général de l’explication de
l’action criminelle par différenciation d’avec les actions non criminelles,
pourquoi d’autre part tous les délinquants ne commettent-ils pas les
67
mêmes types d’actes délictueux ? Peut-on opérer des distinctions parmi
les délinquants et établir ainsi les typologies parmi ceux-ci ? Peut-on ainsi
distinguer parmi les actes délictueux et établir à leur tour les typologies du
crime ?
Telles sont pour l’essentiel les questions que suscite l’examen du
phénomène criminel individuel.
Sous-Titre I. L’EXPLICATION DU CRIME EN GENERAL
Il existe aujourd’hui deux manières de poser la question de l’explication
générale du crime. La première, qui est l’approche traditionnelle, consiste à se
demander pourquoi seulement un certain nombre d’individus deviennent
délinquants ? la seconde, d’origine récente, inverse en quelque sorte la question
classique et se demande pourquoi la majorité des individus ne deviennent-ils pas
des délinquants ? En réalité, les théories du respect de la loi pénale qui
constituent le fondement de la seconde question ne sont que de simples détours
qui aboutissent inévitablement à l’approche traditionnelle du problème.
La science de l’action ou praxéologie
Selon la conception généralement retenue, une action est la réponse d’une
personnalité à la situation dans laquelle elle se trouve impliquée. Réponse qui
intervient à la suite d’un processus d’interaction d’une durée plus ou moins
longue. Ainsi, l’action criminelle est la réponse d’une personnalité à une
situation au terme d’un processus d’interaction entre situation et personnalité.
Mais la question fondamentale qui se pose est de savoir si l’action
criminelle se distingue des diverses actions non criminelles par quelques traits
qui affectent un ou plusieurs des éléments qui composent l’action humaine :
personnalité, situation, processus d’interaction et acte délictueux. La réponse
apportée est qu’il existe de différences qui peuvent être décelées en examinant
les facteurs du crime ou l’étiologie criminelle (Chap.4) et les processus
d’interaction du passage à l’acte criminel ou dynamique criminelle (Chap.5).
68
Chapitre IV. LES FACTEURS DU CRIME : L’ETIOLOGIE CRIMINELLE
L’action criminelle étant la réponse d’une personnalité à une situation
déterminée, on peut situer l’étiologie du crime soit dans la personnalité du
délinquant, soit dans la situation pré criminelle, soit encore dans la conjonction
des deux. Deux tendances s’opposent à cet effet.
D’une part, on des théories qui mettent l’accent sur la personnalité de
l’auteur de l’infraction et pour qui la situation entourant l’acte délictueux n’est
conçue que comme une circonstance qui déclenche ou précipite l’acte et qui
réalise ainsi une tendance déjà pleinement formée qui se serait exprimée tôt ou
tard. (COHEN)
D’autre part, quelques théories circonstancielles insistent au contraire sur
le rôle de la situation pré criminelle et pour qui il n’existe pas d’autre différence
entre les délinquants et les non délinquants que le fait que les premiers se sont
trouvés dans une situation pré criminelle que les seconds n’ont pas connue
(provocation, tentation, mauvais exemple, occasion, stress, etc.) et qui d’une
nature telle que tout individu placé dans les mêmes circonstances aurait agi de
même.
Section I. LA PERSONNALITE DU DELINQUANT
69
La notion de personnalité est un concept fondamental de la psychologie,
mais sa définition demeure obscure parce qu’il a donné lieu aux interprétations
les plus diverses qui peuvent être regroupées en deux tendances :
Pour la première, la personnalité est la somme des qualités de la personne
et elle se définit comme la synthèse globale de celle-ci (conception statique).
Pour la seconde, la personnalité est la faculté de se comporter de telle ou
de telle manière, de choisir telle ou telle conduite dans les situations les plus
diverses dans lesquelles un individu se trouve placé : c’est la conception
dynamique de la personnalité que nous retiendrons puisqu’elle s’adapte mieux
que la précédente à l’objet de la criminologie.
La personnalité du délinquant en criminologie
On distingue aujourd’hui de plus en plus nettement entre la personnalité
au moment du passage à l’acte délictueux comme facteur de ce dernier (facteur
déclenchant ou de déchaînement) et les facteurs qui ont antérieurement influencé
la personnalité du délinquant (facteurs favorisant ou prédisposant). Nous allons
avant tout nous interroger sur la personnalité du délinquant au moment de l’acte,
ensuite sur la formation de la personnalité du délinquant.
Sous-Section I. LA PERSONNALITE DU DELINQUANT AU MOMENT
DE L’ACTE
Dans la conception de Lombroso, il fallait un type de criminel présentant
certains traits anatomiques qui le distingueraient des non délinquants et seraient
à l’origine des actes délictueux. Si cette orientation essentiellement anatomique
est aujourd’hui rejetée, l’idée même du « type criminel » s’est perpétuée à
travers le concept de « personnalité criminelle ». pour nombre de criminologues
en effet, il existerait une personnalité particulière au délinquant, caractérisée
selon les auteurs par des traits d’ordre biologique, psychopathologique,
psychologique ou social qui distingueraient le délinquant du non délinquant soit
par une différence de nature, soit tout au moins par une différence de degré.
D’autres auteurs pensent cependant qu’il n’y a pas de personnalité criminelle
70
proprement dite, mais seulement des traits de personnalité qui, soit isolément,
soit plus fréquemment en association, font que dès que l’individu qui les
possède se trouve dans une situation pré criminelle, son seuil délinquantiel se
trouve abaissé par rapport à d’autres qui ne présentent pas la même organisation
de personnalité et qu’il commettra un ou plusieurs actes délictueux alors que les
autres n’auraient pas délinqué.
Quelle que soit la conception retenue, les criminologues donnent des
descriptions qui sont tantôt objectives, tantôt subjectives.
§ 1. Les descriptions objectives de la personnalité du délinquant
On entend par description objective, l’exposé de traits de personnalité,
traits de caractère, tendances réactionnelles, attitudes sociales et aptitudes
intellectuelles qui présentent cette particularité d’être observables de l’extérieur.
A- Les descriptions analytiques (traits fréquemment rencontrés chez les
délinquants)
a) Descriptions biologiques
Ces nouvelles recherches n’ont pas donné jusqu’à présent des résultats
permettant de ressusciter de manière nette le type criminel de Lombroso.
Mais la connaissance de ces travaux n’en est pas moins utile car, comme
l’a écrit DE GREEFF, les caractères biologiques d’un individu le classent
dans l’échelle des Etres et plus il s’éloigne du type moyen parfait, plus il
laisse supposer qu’il est la proie des forces anarchiques ou mal équilibrées
et que ses difficultés d’adaptation dépassent celles des individus moyens.
b) Les descriptions psychopathologiques
De même qu’il existe une tradition criminologique qui rattache la
criminalité à des anomalies organiques, de la même façon il existe aussi en
criminologie une tradition psychiatrique dans l’interprétation de la
personnalité des délinquants, notamment avec les vieux concepts de « folie
morale » et de « monomanie instinctive ». Au 20ème siècle, l’interprétation
psychopathologique du délinquant a connu de nouveaux développements à
71
travers la théorie des perversions instinctives et de certaines analyses
psychanalytiques des conduites criminelles.
c) Les descriptions psychologiques
Existe-t-il effectivement des traits psychologiques permettant de
caractériser la personnalité du délinquant ? La question se pose tour à tour
pour le niveau intellectuel, les traits de caractère et les tendances
réactionnelles.
Ainsi quant au niveau intellectuel, il résulte de diverses recherches
statistiques qu’il n’existe pas de différences vraiment significatives entre le
niveau intellectuel moyen du délinquant et celui de la population ordinaire :
on peut donc affirmer que le niveau intellectuel général ne paraît pas avoir de
relation avec la délinquance. En revanche, il paraît exister un rapport assez
étroit entre certains types de délits et le niveau intellectuel. On constate en
effet que chez les auteurs de vol, attentat à la pudeur, coups et blessures, le
niveau intellectuel est bas.
Concernant les traits de caractère et les tendances réactionnelles, nombre
d’auteurs ont particulièrement insisté sur cet aspect de la psychologie du
délinquant pour caractériser leur personnalité.
Ainsi d’après Kingberg, les délinquants se distinguent par « l’incapacité à
se juger correctement et à juger leurs rapports avec la société, le manque de
prévoyance, l’inconscience et l’impétuosité, la tendance à des réactions à tête
chaude qui font que souvent ils ne reculent même pas devant la peine prévue
et attendue ».
d) Description psychosociale
1) Attitudes, aptitudes et croyances
Dans cette perspective, on a étudié notamment les attitudes des
délinquants à l’égard des valeurs familiales et sociales. Quant aux premières,
on a observé que les attitudes à l’égard du mariage sont tout à fait négatives
et qu’ils répugnent à avoir des enfants dans le mariage. Pour ce qui est de
72
valeurs sociales, on observe aussi chez les délinquants une attitude négative
et critique à l’égard des valeurs socio-morales généralement admises et à
l’inverse, une adhésion aux principes antagonistes du milieu (argot, tatouage,
loi du milieu, habillement, etc.).
Pour les aptitudes scolaires, on observe que la proportion des non
diplômés et illettrés est élevé chez les délinquants que chez les non
délinquants. Et pour les aptitudes professionnelles, les délinquants répugnent
au travail régulier et soutenu.
Quant aux croyances, on s’accorde à noter chez les délinquants une
certaine tradition superstitieuse.
2) Le style de vie des délinquants
Pour certains auteurs, la personnalité du délinquant, c’est aussi un certain
style de vie qui le distingue du non délinquant. C’est ainsi qu’un auteur a
retenu les aspects suivants : « par rapport à leurs amis et relations, les
délinquants manifestent moins de retenue dans leur comportement social, ils
fument, boivent et jouent de l’argent à un niveau supérieur ; ils vivent à un
rythme plus rapide, ils sortent plus, ont plus de propension au vagabondage
sexuel. Par rapport à leurs pairs, ils vont moins régulièrement à l’école et
lisent peu ; ils gagneront plus d’argent en exerçant de travaux sans
qualification et sans avenir ; cet argent, ils le dépensent plus vite et font
moins d’économies ; ils sont plus fréquemment au chômage et plus
endettés ».
Il convient de relever que de telles observations ne sont pertinentes que
pour certains délinquants, car il en est d’autres dont le style de vie ne diffère
pas de celui des non délinquants.
B- Les structures délinquantielles
Jusqu’ici on s’est borné à inventorier les divers traits de la personnalité du
délinquant identifiés par les criminologues et à rechercher si ces traits
caractérisent bien cette personnalité. Mais certains auteurs ne se sont pas
73
limités à présenter ce genre de description. Partant en effet du postulat que la
personnalité d’un individu constitue un « ensemble structuré », ils se sont
efforcés à identifier des structures délinquantielles. On peut citer à titre
d’exemple le noyau central de la personnalité criminelle de Jean PINATEL
caractérisé par les traits suivants :
1) L’égocentrisme ou tendance à tout rapporter à soi-même ;
2) La labilité ou instabilité du comportement ;
3) L’agressivité qui permet de vaincre et d’éliminer des difficultés qui
barrent la route et mettent obstacles aux actes humains ;
4) L’indifférence affective qui est l’absence d’émotion et d’inclinations
altruistes et sympathiques.
Pour Pinatel, chacun de ces traits remplit une fonction dans le processus
du passage à l’acte. L’égocentrisme neutralise le jugement défavorable de la
société sur l’acte criminel projeté ; la labilité écarte l’inhibition ou retenue
recherchée par la menace de la peine ; l’agressivité permet de résoudre les
difficultés d’exécution du crime et l’indifférence affective suspend au
moment de la perpétration de l’acte la répugnance émotionnelle que pourrait
susciter l’accomplissement de celui-ci.
Selon PINATEL, il n’existe pas une différence de nature entre délinquants
et non délinquants, les mêmes traits de personnalité se trouvant chez les uns
et les autres, mais du moins une différence de degré.
Selon Kingberg, la personnalité de l’individu est formée de trois
composantes : 1) le noyau constitutionnel qui désigne l’ensemble des tendances
réactionnelles de l’individu, la façon dont il réagit aux stimuli externes : il s’agit
donc des variables normales et évolutives ; 2) les variables pathologiques qui, à
la différence des précédentes, sont accidentelles, sont formées de maladies
mentales éventuelles, de troubles graves de l’intelligence ou déséquilibres
profonds du caractère. Ces états pathologiques peuvent entraîner une déficience
de la fonction morale qui constitue un facteur de résistance à la délinquance et
74
c’est de cette façon qu’ils entrent en ligne de compte dans la causalité de la
délinquance ; 3) la fonction morale consiste dans la plus ou moins grande
promptitude à réagir aux stimuli moraux en provenance du monde extérieur.
Ainsi, l’individu deviendra plus aisément délinquant qu’un autre lorsque
manquent l’un ou l’autre de l’élément intellectuel et de l’élément affectif de la
fonction morale et, à fortiori les deux.
§ 2. Descriptions subjectives de la personnalité du délinquant
A côté de l’approche objectiviste de la personnalité du délinquant
d’inspiration causaliste exposée au paragraphe précédent, il existe en
criminologie une autre approche opposée à la première. Cette approche consiste
dans l’explication des conduites délinquantes à partir des motivations de
l’individu (par exemple, le schéma d’interprétation motivationnelle de l’action
criminelle de MIRA Y LOPEZ).
Pour MIRA Y LOPEZ, l’individu possède dès sa naissance toutes les
tendances délictueuses, car il essaie de satisfaire ses besoins vitaux sans se
soucier du préjudice qui peut retomber sur le milieu qui l’entoure. S’il ne
commet pas de délit, c’est parce qu’il a appris sous l’effet de l’action coercitive
de l’éducation que son comportement doit être le fait « d’une transaction entre la
satisfaction de ses besoins et celle des besoins d’autrui », apprentissage qui
dépend de divers facteurs : le milieu dans lequel il se réalise, la capacité
discriminative du sujet…
Or il arrive que chez certains individus, cet apprentissage soit insuffisant.
Ces derniers deviendront alors délinquants. Les motivations qui animent ainsi
ces individus sont appelées par l’auteur motivations endogènes du délit. Il les
définit à partir des différentes tendances réactionnelles instinctives (besoin de
conservation de la vie individuelle qui suscite deux sortes de tendances :
tendance possessive ou acquisitive et la tendance défensive ou destructrice ;
besoin de conservation de l’espèce qui suscite la tendance sexuelle qui fait
convoiter un objet sexuel et la tendance à détruire ce qui s’oppose à la
75
réalisation de ce but) et montre la correspondance entre chacune de ces
tendances réactionnelles et les divers actes délictueux qui sont commis.
Mais à ces motivations endogènes, peuvent s’ajouter des motivations
exogènes qui sont liées à l’organisation sociale, la diversité des incriminations
selon les époques et les pays par laquelle il explique la délinquance politique,
l’influence de l’opinion publique lorsque celle-ci pousse à la délinquance.
Sous-Section 2. La formation de la personnalité du délinquant
Les diverses données relatives à la personnalité du délinquant qui ont été
examinées jusqu’à présent concernaient leur personnalité au moment du passage
à l’acte délictueux. Il s’agissait en quelque sorte d’une photographie de cette
personnalité lors du passage à l’acte délictueux. Or la personnalité d’un individu
n’est pas une structure statique donnée dès la conception du sujet, c’est au
contraire une structuration dynamique qui s’opère progressivement au cours de
la période de formation de la personnalité (jusqu’à environ 25 ans) et qui
continue ensuite à évoluer sous l’influence de facteurs divers. Aussi convient-il
de se demander comment s’opère cette structuration de la personnalité dans un
sens délinquant.
Jadis, deux grandes séries de théories de la formation de la personnalité du
délinquant s’opposaient : les théories constitutionnelles selon lesquelles la
délinquance était un phénomène inné et les théories du milieu qui attribuaient au
contraire à l’influence exclusive du milieu de vie la formation de cette
personnalité. Aujourd’hui, il n’est plus personne qui pense que certains
individus naissent criminels, mais un débat persiste toujours autours de la
question de savoir s’il ne convient pas de réserver une certaine place aux
dispositions personnelles à côté des influences du milieu dans la formation de la
personnalité des délinquants. Aussi va-t-on s’interroger successivement sur
l’influence des facteurs individuels et sur celle des facteurs du milieu.
Quoi qu’il en soit, on ne saurait trop répéter que l’influence de ces
facteurs, quels qu’ils soient, ne s’exerce jamais directement sur le passage à
76
l’acte délictueux, mais se trouve toujours exprimée par l’intermédiaire des
facteurs de la personnalité du délinquant au moment de l’acte, conformément au
principe dit du « transformateur ».
§ 1. L’influence des facteurs individuels ou endogènes
S’il est clair qu’il n’y a plus aujourd’hui de criminologues qui considèrent
que la délinquance est un phénomène inné, certains pensent toutefois que divers
facteurs ont pour conséquence d’abaisser le seuil délinquantiel ou de rendre le
sujet plus sensible aux influences criminogènes du milieu. L’expression de
facteurs individuels ou endogènes recouvre à la fois les dispositions héréditaires
et les dispositions personnelles.
A- L’influence des dispositions héréditaires
On connaît les lois de Mendel et la transmission de l’hérédité par les
chromosomes, porteurs de gènes, mais on doit penser qu’il s’agit d’une hérédité
Moins criminelle que pré disposante, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de
chromosomes du crime, seules les tendances qui se trouvent à la base des actes
criminels des ancêtres et qui peuvent être considérées comme criminogènes
(excitabilité, agressivité, par exemple) sont héréditaires.
A la thèse de l’hérédité criminelle on avance deux critiques :
- Le rôle de l’hérédité est difficile à séparer de celui du milieu, de
l’éducation. Les jumeaux qui reçoivent souvent une éducation identique
peuvent se conduire différemment ;
- Le rôle de l’hérédité elle-même n’est pas considérable. Les améliorations
acquises (par les études, le sport) sont souvent intransmissibles aux
descendants : on ne peut modifier ses chromosomes.
La part de l’hérédité est donc limitée à l’inné et c’est le milieu qui exerce
son influence et cela très tôt : c’est la théorie de l’hérédité sociale (enfant des
parents musiciens) sans rapport avec l’hérédité organique.
B- L’influence des dispositions personnelles
77
En plus des antécédents héréditaires, les antécédents personnels innés ou
acquis peuvent contribuer à façonner la personnalité du délinquant.
Il peut s’agir tout d’abord d’antécédents antérieurs à la naissance
(aberrations chromosomiques) ou concomitants à la naissance (traumatisme
obstétrique), ou enfin postérieurs à la naissance (maladies infectieuses à
retentissement encéphalique, alcoolisme, drogue…). Aux antécédents
physiologiques, s’ajoutent les antécédents pathologiques proprement dits.
Tous ces éléments ne doivent cependant être considérés comme facteurs
criminogènes directs, mais seulement comme des facteurs qui contribuent à
altérer l’équilibre psychologique de l’individu, à fragiliser le terrain de sorte
que l’action même des facteurs du milieu deviendra plus marquante.
§ 2. L’influence des facteurs du milieu ou exogènes
Au sens banal du terme, le milieu désigne le monde dans environnant dans
lequel un individu se trouve situé. En criminologie, on distingue plusieurs
milieux, mais seul le milieu personnel dont l’influence est plus directe et plus
décisive sur chaque individu retiendra notre attention.
Dans le cadre de cette étude, on va se référer à la distinction faite par DE
Greeff entre milieu inéluctable, milieu occasionnel, milieu choisi ou accepté
et le milieu subi.
A- Le milieu inéluctable
Est dit « inéluctable » le milieu dans lequel l’individu ne peut ne pas
vivre, d’abord du fait de sa naissance, ensuite du fait de son environnement
immédiat. Aussi distingue-t-on le milieu de la famille d’origine et celui que
forment l’habitat et le voisinage.
a) Le milieu de la famille d’origine
La famille d’origine joue un rôle capital dans la formation de la
personnalité du délinquant qui se réalise de deux façons différentes :
1) L’influence directe. De toutes les influences extérieures qui stimulent la
tendance à l’imitation de l’enfant, celle du foyer familial est la plus
78
fréquente et la plus marquante. Aussi la famille exerce une influence
criminogène directe sur l’enfant lorsque ses parents sont délinquants ou
immoraux. Il apparaît que cette influence résulte principalement de deux
sources : l’apprentissage de la violence à travers les violences intra
familiales et l’acquisition par imitation du style de vie de délinquant des
parents.
2) L’influence indirecte. Le plus souvent, l’influence criminogène de la
famille d’origine s’exerce de manière indirecte sur l’enfant. Il peut en être
ainsi dans de nombreuses hypothèses : 1) abandon de l’enfant à sa
naissance (d’où l’importance de l’adoption comme institution de
prévention de la délinquance) ; 2) séparation de la mère de l’enfant à la
suite d’un événement de force majeure ; 3) absence du père au moment où
son autorité doit équilibrer celle de la mère ; 4) dissensions entre parents
d’une certaine gravité ; 5) excès d’indulgence ou au contraire de sévérité
de la part des parents.
Il serait évidemment absurde de croire que les perturbations familiales
entraînent inéluctablement la délinquance ou tout au moins l’inadaptation. Du
moins il faut avoir conscience de l’importance de leur rôle en étiologie
criminelle.
b) L’influence de l’habitat et du voisinage
Des études ont montré que les jeunes délinquants proviennent plus des
bidonvilles ou des taudis que des cités ou des maisons d’un standing
convenable. Toutefois, il convient de relever que ce n’est pas tellement le mode
d’habitat en lui-même qui contribue à former la personnalité du jeune délinquant
que le style de vie des enfants qui vivent dans ces bidonvilles ou taudis.
Le voisinage ou entourage quant à lui peut être un facteur déterminant dans
la formation de la personnalité des jeunes délinquants. On sait depuis les études
de Clifford SHAW combien la délinquance est liée aux quartiers de
79
détérioration socio-morale et même selon les travaux de Stancier, qu’il existe à
l’intérieur de certains quartiers de véritables îlots de criminalité.
B- L’influence du milieu occasionnel
Le milieu occasionnel englobe le milieu scolaire et le milieu d’orientation
professionnelle. Ces milieux ne constituent pas en eux-mêmes des milieux
criminogènes ; bien au contraire, ils poursuivent des buts éducatifs. Ce qui peut
être criminogène en revanche, c’est l’inadaptation de certains sujets à ces
milieux et le fait qu’ils tentent d’échapper à leur influence et de brûler les étapes
conduisant à une vie indépendante. L’inadaptation à l’école peut se traduire par
la désobéissance, le désordre, l’école buissonnière, des actes destructifs, l’esprit
de chicane, un travail médiocre… Il convient de relever enfin que le milieu
occasionnel peut être l’occasion de mauvaises fréquentations.
C- L’influence du milieu choisi ou accepté
Le milieu choisi ou accepté comprend le foyer personnel, le milieu
professionnel, les loisirs et le milieu social dans lequel évolue l’individu.
a) Le milieu personnel
L’étude des relations entre le foyer personnel et la formation de la
personnalité des délinquants a conduit à deux séries de constatations :
1) L’absence du foyer personnel semble influer sur la délinquance. Les
recherches faites sur les condamnés montrent en effet que la proportion
des célibataires parmi les condamnés est supérieure à ce qu’elle est dans
la population générale d’âge comparable. On dit alors que l’existence
d’une famille constitue le plus souvent un milieu qui détourne de la
criminalité et que la présence des enfants renforce encore l’effet
stabilisateur du mariage ;
2) De toute manière, l’existence d’un foyer personnel ne suffit pas : encore
faut-il qu’il soit équilibré. Les conflits conjugaux sont, en effet,
générateurs de délinquance non seulement pour les enfants, mais
également pour le couple lui-même : délinquance directe (coups et
80
blessures, adultère), mais plus grave encore, délinquance indirecte en
raison des perturbations psychiques engendrées par ces conflits et des
formes diverses de délinquance sur lesquelles elles peuvent déboucher
(vols, agressions sexuelles…).
b) Le milieu professionnel
Le milieu du travail peut être criminogène. Cela est très net dans le milieu
des affaires où l’appât du gain, la vie facile et désordonnée constituent des
facteurs criminogènes. Il existe d’ailleurs une allergie du milieu d’affaires à
l’égard de certains faits réprimés par la société et considérés cependant comme
non délictueux par nombre d’hommes d’affaires.
c) Les loisirs
Les loisirs peuvent aussi être un facteur qui influence la formation de la
personnalité du délinquant. La fréquentation de cafés, salles de jeu, bals, d’amis
délinquants ou immoraux influence à coup sûr la formation de la personnalité du
délinquant.
D- L’influence du milieu subi
Le milieu subi est le milieu dans lequel se trouve plongé le délinquant
lorsqu’il est arrêté, jugé et condamné, notamment à une peine privative de
liberté. Le milieu subi est donc, non seulement la prison, mais l’ensemble formé
par le système de justice pénale, police judiciaire et tribunaux. La question que
pose le milieu subi est savoir dans quelle mesure la vie dans ce milieu contribue
à renforcer la personnalité du délinquant et à conditionner sa récidive, ou au
contraire est de nature à le dissuader de celle-ci comme c’est la fonction
assignée à la justice pénale.
1) La prison
Elle constitue à coup sûr un facteur criminogène bien que ce point d vue
fasse l’objet de discussion. On a fait remarquer que de solutions non privatives
de liberté ne donnaient pas toujours de meilleurs résultats que la prison au point
de vue de la prévention de la récidive.
81
En réalité, ce n’est pas tellement le principe de la prison que la manière dont
la peine est exécutée bien souvent qui est en cause. Il est certain que les
conditions déplorables dans lesquelles les peines de prison sont exécutées
alimentent à juste titre le thème de la prison criminogène.
2) Les institutions de procédure pénale
Il est certain que la manière dont toutes les opérations procédurales
(arrestation, interrogatoire, détention provisoire, instruction et jugement) sont
menées peut avoir des effets très différents sur la personne poursuivie. Bien
conduites, elles peuvent avoir l’effet dissuasif qui leur est attribué par le CPP ;
mal conduites, elles peuvent avoir au contraire un effet de renforcement de la
personnalité dans un sens délinquant.
82
de personnalité à une situation déterminée. La connaissance de la situation pré
criminelle est donc essentielle à l’explication de l’acte délictueux.
La situation pré criminelle est l’ensemble des circonstances extérieures à
la personnalité du délinquant qui précèdent l’acte délictueux et entourent sa
perpétration, telles qu’elles sont perçues et vécues par le sujet. Cette définition
montre que la situation pré criminelle est un phénomène objectif extérieur à la
personnalité du délinquant, mais elle marque aussi l’importance de la manière
dont cette situation est perçue par le sujet.
§ 1. Les aspects objectifs de la situation pré criminelle
A- Analyse de la situation pré criminelle
On doit distinguer dans toute situation pré criminelle deux éléments
essentiels : l’événement qui a provoqué la formation du projet criminel dans
l’esprit du délinquant et les circonstances qui ont entouré la préparation et
l’exécution du crime.
1) L’événement originaire
C’est un événement ou une série d’événements qui font surgir le projet
criminel dans l’esprit du futur délinquant tel par exemple l’infidélité du
partenaire dans le meurtre passionnel.
Le rôle de l’événement originaire varie considérablement suivant les cas de
délinquance. Trois hypothèses sont à distinguer à cet égard : la première est celle
où l’événement originaire joue un rôle décisif comme dans le cas de l’infidélité
du partenaire. Dans la seconde, l’événement originaire est au contraire une
circonstance tout à fait futile : ex. le crime commis par un alcoolique peut être
déclenché par un geste,, un regard interprété par lui comme une menace alors
qu’il était tout à fait anodin. Enfin, dans la troisième hypothèse, il n’y a pas
d’événement particulier à l’origine de l’acte délictueux comme c’est le cas dans
la délinquance professionnelle où le déclenchement des actions criminelles
longuement préméditées dépend en fait seulement de l’existence de conditions
favorables qui vont entourer la préparation et la réalisation du projet.
83
2) Les circonstances de mise à exécution du projet criminel
Ce second élément de la situation pré criminelle réside dans des faits, plus ou
moins recherchés par le futur délinquant, qui le mettent en situation de réaliser
son projet criminel : le fait de se trouver seul avec la future victime par exemple.
Ces circonstances sont sans rapport avec la motivation criminelle de l’individu,
mais leur existence est décisive dans le passage à l’acte. Sans elles, le projet
criminel serait sans doute resté à l’état de projet.
B- Typologie des situations pré criminelles
L’analyse de la situation pré criminelle ci-dessus menée permet d’établir une
typologie des situations pré criminelles qui comprend quatre types de
situations.
- Evénement originaire significatif + circonstances de mise à exécution
favorables : c’est la situation optimale pour commettre une infraction ;
- Evénement originaire significatif + circonstances de mise à exécution peu
favorables ou inexistantes : c’est une situation d’une certaine gravité que
l’on trouve dans nombre de cas de crimes occasionnels contre les
personnes ;
- Evénement originaire négligeable ou absent + circonstances de mise à
exécution favorables : c’est notamment la situation des délinquants
professionnels qui recherchent les circonstances favorables à l’exécution
d’un projet criminel dont l’origine se trouve uniquement dans la
personnalité du délinquant ;
- Evénement originaire négligeable ou absent + circonstances de mise à
exécution peu favorables ou inexistantes : c’est une situation voisine de
situations non criminelles dans laquelle il est peut probable qu’elle soit
suivie d’un passage à l’acte.
§ 2. La perception subjective de la situation pré criminelle par le délinquant
A- Notion de perception subjective de la situation pré criminelle
84
On entend par perception subjective de la situation pré criminelle, les
impressions, les expériences vécues rappelées au sujet, la façon dont il se
représente le conflit qui l’oppose à sa future victime, les pensées qui l’habitent,
les motifs d’agir qui lui viennent à l’esprit, bref tout un ensemble de
représentations intellectuelles et affectives qui accompagnent la situation pré
criminelle objective.
Ainsi s’explique qu’une même situation pré criminelle spécifique peut
provoquer le passage à l’acte délictueux ou demeurer au contraire sans
conséquence selon la façon dont elle est perçue par le sujet. De la même
manière, cela permet de comprendre que le même individu placé dans une
situation pré criminelle analogue à deux moments différents du temps, peut
commettre un acte délictueux une fois et s’abstenir une autre fois.
B- Les facteurs de la perception subjective de la situation pré criminelle
Comment se fait-il qu’une même situation pré criminelle objective puisse
être perçue et vécue tout différemment par deux individus ou même par une
même personne à deux moments différents du temps ? trois sortes de facteurs
peuvent être retenus selon MIRA Y LOPEZ.
1) Le premier facteur consiste dans les expériences préalables de situations
analogues. Le vécu, l’expérience passée ne sont pas sans influence sur la
réaction à la situation actuelle (l’effet inhibiteur des sanctions infligées à
un individu ou au contraire l’accoutumance à la prison)
2) Le deuxième facteur consiste dans l’humeur du moment qui est très
largement tributaire de l’expérience immédiatement antérieure ;
3) Enfin, entre en ligne de compte la connaissance réelle ou supposée des
attitudes de la collectivité face à la situation et de la réaction que celle-ci
peut avoir en cas de crime.
85
Chapitre V. Le processus de passage à l’acte délictueux (la dynamique
criminelle)
La criminologie traditionnelle s’intéressait essentiellement à la description
de la personnalité du délinquant et à la formation de celle-ci. L’idée de
l’existence d’un processus d’interaction entre cette personnalité et la situation
pré criminelle ne paraît pas l’avoir effleuré. Bien au contraire, elle paraissait
considérer l’acte criminel comme une sorte de réaction chimique survenant
brusquement du contact entre personnalité et situation. Or ce n’est pas ainsi que
les choses se passent dans la réalité. L’acte criminel n’est pas la résultante
mécanique d’une conjonction de facteurs divers, mais l’aboutissement d’un
processus d’interaction qui se développe dans le temps au travers une série
d’étapes. Chacun des pas accomplis dans le déroulement du processus n’est pas
entièrement déterminé par l’état des choses existant au point de départ. Un
nouveau choix est toujours possible tant que l’acte délictueux n’est pas
consommé. Ce choix dépendra alors de la personnalité de l’individu et de la
situation dans laquelle il se trouve au moment précis où il choisit.
Nombre de criminologues après DE GREEFF se sont efforcés de mettre
en évidence les divers éléments de ce processus. Parmi les descriptions de ce
processus d’interaction, la plus part sont des descriptions partielles en ce sens
86
qu’elles ne concernent qu’une variété plus ou moins large de délinquant, mais il
existe un modèle très général, le model anti déterministe de COHEN.
Section 1. Les modèles particuliers du passage à l’acte délictueux
§ 1. Le modèle du processus criminogène de l’acte délictueux chez DE
GREEFF
L’approche de ce processus suppose que l’on précise d’abord ce qu’il
entend par « attitude criminogène », après quoi il sera possible de comprendre
l’évolution vers le passage à l’acte.
A- La notion d’attitude criminogène
Pour DE GREEFF, la compréhension du processus criminogène de l’acte
grave suppose que l’on distingue au départ entre attitude criminogène et attitude
criminelle.
L’attitude criminogène dans sa perspective est différente de l’attitude
criminelle. C’est une attitude qui, en se développant, rapproche de plus en plus
le sujet du crime, mais elle peut ne jamais devenir criminelle. Il y a en effet plus
d’individus qui présentent une attitude criminogène qu’il n’y a de criminels.
B- L’évolution vers le passage à l’acte
a) Les caractéristiques générales de l’évolution
L’évolution vers le passage à l’acte se caractérise par trois traits essentiels :
1) La naissance et le développement d’un mythe dévalorisant. En fait, pour
commettre le crime, il faut qu’au préalable le délinquant en puissance ait
détruit les aspects sympathiques de la victime qui sollicitent son
affectivité : aussi l’évolution se traduit-elle nécessairement par la
dévalorisation de la future victime. Il s’agit de la diminuer à ses propres
yeux au point que sa disparition ou l’atteinte à son intégrité physique ou à
ses biens n’apparaissent que comme un juste retour des choses méritées
par elle. Ainsi par exemple, dans le meurtre passionnel, l’être jadis aimé
sera accablé de tous les défauts de la création ;
87
2) La collaboration consciente du criminel à l’apparition du mythe
dévalorisant ;
3) Le caractère non spécifique de la dévalorisation. Ce mythe dévalorisant
n’est pas en effet propre au criminel. C’est un phénomène plus général
que l’on retrouve dans les guerres, la propagande politique… où pour
détruire l’adversaire, on s’efforce d’abord de le dévaloriser auprès des
soldats, des militants du parti.
§ 2. Le modèle du drift des jeunes délinquants de MATZA
a) Notion de drift
Pour MATZA, l’action criminelle est le produit d’un libre choix du
délinquant plus ou moins intense selon les cas au terme d’un processus
d’interaction plus ou moins long de drift, c’est-à-dire d’abandon à la dérive, de
laisser aller.
b) Le passage à l’acte
Pour MATZA, le simple fait de se laisser aller à la dérive n’entraîne pas
nécessairement la commission de l’acte délictueux. Le drift rend la délinquance
possible du fait de la suspension temporaire des contrôles qui retiennent les
membres de la société. C’est la volonté du jeune délinquant qui entraînera la
commission de l’infraction et cette volonté est activée par deux circonstances
que l’auteur appelle la préparation et le désespoir.
1) La préparation est entendue comme l’apprentissage, à travers
l’expérience, que quelque chose qui est communément regardée comme
une infraction peut être matériellement réalisée et d’autre part comme la
représentation que cet acte est moralement concevable. Elle provoque
l’impulsion à répéter des infractions anciennes ;
2) Le désespoir intervient dans des situations extraordinaires et conduit à la
perpétration d’actes nouveaux, jusque là non expérimentés.
§ 3. Un modèle récent du passage à l’acte dans l’action criminelle
violente
88
Ce modèle set élaboré à partir de l’étude qualitative et clinique portant sur
un échantillon de 36 délinquants violents placés sous main de justice dont : 7
auteurs d’homicides volontaires, 3 de coups et blessures ayant entraîné la
mort, 1d’actes de torture et de barbarie, 2 d’agressions sexuelles et 23 de
viols.
L’idée générale qui caractérise ce modèle consiste à considérer le passage
à l’acte délictueux comme un mouvement réactionnel consécutif à
déséquilibre du système psychique d’une personne vulnérable provoqué par
un événement conflictuel, qui a pour fonction de tendre au rétablissement de
l’équilibre psychique de cette personne. Ainsi, le processus du passage à
l’acte comporte les caractéristiques suivantes :
1) L’individu qui est au centre du processus du passage à l’acte doit être
dans un état de vulnérabilité psychique ;
2) Il faut un événement conflictuel qui amorce la démarche vers l’acte
délictueux ;
3) Ce conflit exerce un impact sur la personne vulnérable qui provoque chez
elle un déséquilibre psychique ;
4) Le passage à l’acte a pour fonction générale de rétablir l’équilibre interne
du sujet.
Section 2. Le modèle général anti déterministe de COHEN
Les modèles examinés ci-dessus n’étaient que des modèles partiels, en ce
sens que leurs auteurs les ont construits à l’occasion de l’explication d’un
aspect de la délinquance : le crime commis sous l’effet d’un sentiment
d’injustice subie pour DE GREEFF, la délinquance des jeunes appartenant
aux classes défavorables pour MATZA, l’action criminelle violente pour le
troisième modèle. COHEN, au contraire s’est efforcé de mettre au point un
modèle à caractère général pour figurer le processus d’interaction entre la
personnalité et la situation dans le passage à l’acte.
89
Ainsi, COHEN part de cette constatation que, dans les théories
traditionnelles, l’interaction entre l’acteur et la situation pré criminelle est
traitée comme une période unique. Or selon lui, l’acte délictueux se
développe au contraire dans le temps et par une série d’étapes. L’acte n’est
jamais entièrement déterminé par le passé et est toujours susceptible de
modifier son cours en réponse à des changements intervenant soit dans la
personne de l’auteur, soit dans la situation pré criminelle, soit dans les deux.
Les caractéristiques du processus de passage à l’acte :
1) L’action humaine est constituée de séquences ordonnées les unes à la
suite des autres ;
2) Les circonstances qui déterminent le mouvement vers l’action selon une
voie particulière comprennent à la fois les propriétés de la personne et
celles de la situation. Selon la situation, le développement de l’action sera
différent pour une même personnalité et, à l’inverse, la même situation
n’entraînera pas le même type de développement d’action selon la
personnalité ;
3) Bien qu’une étape puisse être un antécédent nécessaire à une autre étape,
le mouvement d’une étape à l’autre n’est pas entièrement déterminé par
les antécédents. En effet certaines circonstances qui à déterminer le
développement de l’action sont tout à fait indépendantes des événements
survenus au cours des étapes antérieures ; d’autres sont les conséquences
souvent non prévues des événements survenus antérieurement, etc.
90
91