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Difficultés d'un consensus transnational sur une théorie

sociologique unifiée
Stephen Kalberg
Dans Revue du MAUSS 2004/2 (no 24), pages 173 à 188
Éditions La Découverte
ISSN 1247-4819
ISBN 2707144630
DOI 10.3917/rdm.024.0173
© La Découverte | Téléchargé le 29/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 41.202.95.110)

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B
DE QUELQUES OBSTACLES À L’ÉLABORATION
D’UNE THÉORIE SOCIOLOGIQUE GÉNÉRALE

Sociology in social context

DIFFICULTÉS D’UN CONSENSUS TRANSNATIONAL


SUR UNE THÉORIE SOCIOLOGIQUE UNIFIÉE

par Stephen Kalberg

La fragmentation générale que connaît aujourd’hui la sociologie comme


discipline incite de nombreux sociologues, de toutes nationalités, à
rechercher s’il est possible de formuler un ensemble standard de théories
propre à faire l’objet d’un consensus général. La discipline, semble-t-il, en
tirerait un grand profit dans la mesure où un langage partagé entre les socio-
logues faciliterait la communication entre les théoriciens et les chercheurs
de terrain, rendrait possible une certaine standardisation des méthodes et
des procédures de recherche et réduirait les risques de confusion chez les
apprentis sociologues. Mais de telles théories unifiées sont-elles possibles
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en sociologie?
Cet article se propose d’esquisser les premiers éléments de réponse à
cette question, en adoptant une position sceptique qui contraste avec les
arguments les plus fréquemment défendus sur ce thème. Pour de nombreux
commentateurs, l’envahissement de la sociologie par des disciplines voi-
sines ainsi que les défis que lui posent toute une variété d’études litté-
raires, culturelles et d’approches post-modernistes et post-structuralistes
rendraient la formulation de telles théories consensuelles improbable. Selon
eux, ces développements constitueraient même, dans une large mesure, un
obstacle à toute définition claire du champ de la sociologie. La dispersion
actuelle du capital intellectuel de la sociologie, affirme-t-on, vouerait à
l’échec toutes les tentatives d’atteindre un quelconque consensus.
Tout en parvenant à une conclusion identique, cet article suivra une
ligne de raisonnement différente. Je montrerai que la sociologie s’est déve-
loppée dans des contextes nationaux marqués par des dynamiques histo-
riques, politiques et sociales tout à fait spécifiques. Dès lors, dans la mesure
où elle est profondément enracinée dans les différents espaces nationaux
où elle a pris naissance, la sociologie constitue en grande partie une entre-
prise chaque fois singulière. Chaque société a développé des modes
d’analyse sociologique différents et le cheminement que la discipline a suivi
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174 UNE THÉORIE SOCIOLOGIQUE GÉNÉRALE EST-ELLE PENSABLE ?

au sein de chacune des nations a suscité des œuvres singulières ainsi que
des problèmes, tensions et dilemmes spécifiques. Plus encore, certains
modes d’analyse et certaines écoles de pensée ont résisté plus efficacement
que d’autres aux pressions homogénéisatrices exercées de l’extérieur. À
l’inverse, en conséquence du processus d’internationalisation de la recherche,
des théories et des concepts caractéristiques de certains pays sont presque
tombés dans l’oubli – pour être parfois remis au goût du jour d’une façon
particulière un peu plus tard.
Dans le contexte d’une telle dynamique et face à ce mélange d’héri-
tages indigènes, toute quête d’un consensus universel va se confronter à
une série d’obstacles1. Les origines et les logiques de développement spé-
cifiquement nationales de la discipline ont fréquemment limité la possibi-
lité d’échanges en profondeur entre les sociologues et contribué à ériger
un rempart contre toute standardisation transnationale. Même aujour-
d’hui, en dépit des formes de communication en temps réel propres à l’âge
de l’information et l’ancrage du travail académique (scholarship) dans des
communautés internationales, des différences essentielles persistent et conti-
nuent à ancrer la théorie sociologique dans des traditions et des approches
nationales spécifiques. Or c’est tout cela qui doit être en grande partie sur-
monté si l’on vise un quelconque consensus en matière théorique.
Un rapide aperçu des contours et des développements propres à la socio-
logie américaine permettra de tracer les frontières spécifiques de la disci-
pline dans un pays. Une brève comparaison avec le point de départ et les
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cheminements ultérieurs de la discipline en Allemagne viendra alors déli-
miter la singularité du cas américain, tout en soulignant la spécificité du
cas allemand. Le rappel préliminaire de l’origine et du développement de
la sociologie dans ces deux pays dévoile ainsi un ensemble d’obstacles à
toute transposition directe des théories et donc à toute tentative de stan-
dardisation. Tout au long de cet article, j’étudierai en quoi la place assignée
à la théorie au sein de la discipline sociologique, et son importance relative,
reste tributaire des configurations nationales spécifiques.

1. Cette question pourrait naturellement être traitée d’un point de vue épistémologique.
Pour Weber par exemple, la formulation de théories et de concepts standardisés est impossible
en raison du « rapport aux valeurs » propre à la connaissance scientifique. Selon lui, les
sociologues n’approchent jamais la réalité empirique d’une façon « objective ». Au contraire,
ils l’abordent avec un ensemble de questions et selon des intérêts qui se rapportent à leurs
valeurs. Dès lors, toute approche des « données » est d’ordre « perspectiviste » – à chaque
époque, les mœurs définissent à leur façon, conformément aux préoccupations et aux courants
de pensée dominants, certains aspects de la réalité empirique comme « culturellement
signifiants ». Et même si certaines modes intellectuelles, certains thèmes ou nouvelles
préoccupations rendent visibles des aspects auparavant occultés, d’autres aspects restent
toujours dans l’ombre [Weber, 1949, p. 50-112].
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DIFFICULTÉS D’UN CONSENSUS TRANSNATIONAL… 175

LA SOCIOLOGIE AUX ÉTATS-UNIS : D’UNE FONDATION


PLURALISTE AU « TOURNANT CULTUREL »

De bien des façons, les contours originels de la sociologie américaine


se distinguent très fortement de ceux qui caractérisent le paysage français.
Alors que la sociologie en France, jusqu’aux années cinquante, était sou-
tenue par la puissante colonne durkheimienne, aux États-Unis elle fut dès
l’origine marquée par une pluralité d’écoles en compétition. Les travaux
des évolutionnistes Lester Ward [1883], Albion Small [1905; Bernert, 1982],
William Graham Sumner [1906], Franklin Giddings [1902, 1922] et Edward
Alsworth Ross [1901] mettaient l’accent sur une perspective macrosocio-
logique [Bierstedt, 1981; Hinkle, 1994; Vidich et Lyman, 1985]; les écrits
de Jane Addams [1964, 1965] s’inscrivaient dans une démarche orientée
vers les politiques sociales et le travail social [Cravens, 1978, p. 123-29];
la sociologie urbaine de l’école de Chicago, quant à elle, développait une
perspective d’écologie sociale [Park, 1952, 1955; Park et Burgess, 1921;
Bulmer, 1984; Matthews, 1977], alors que George Herbert Mead [1934,
1956, 1964] et Charles H. Cooley [1909, 1922] formulaient une micro-
sociologie proprement américaine. Néanmoins, la pérennité de cette hydre
à plusieurs têtes s’avéra assez limitée. Autour des années quarante, le pay-
sage sociologique américain cristallisa sous la forme d’une route à trois
voies. L’influence des évolutionnistes et de Jane Addams faiblit alors que
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celle de l’école de Chicago et de la microsociologie de Mead, Cooley et
Herbert Blumer [1969] s’accrut; le structuro-fonctionnalisme s’établit avec
force grâce aux travaux de Parsons [1949, 1951; Camic, 1991] et de Merton
[1949]. En dépit de l’influence qu’exerçaient d’une certaine façon sur
elles les théoriciens européens, chacune de ces écoles majeures se déve-
loppa sous une forme typiquement américaine [Hinkle, 1994; Vidich et
Lyman, 1985; Ross, 1979, 1991; Camic, 1994]. Le fort impact de Mead,
Blumer, Parsons, Merton et de l’école de Chicago est aujourd’hui encore
très visible au sein de la discipline.
Deux caractéristiques centrales y laisseront une empreinte tenace et
contribueront à distinguer de façon significative les contours originels et
l’évolution de la sociologie américaine de ses pendants français, anglais et
allemand. En premier lieu, les sociologues américains – bien plus que les
sociologues allemands, anglais ou français – partagent largement l’idée
selon laquelle la singularité de leur démarche doit être définie en référence
à un ensemble spécifique de méthodes : la sociologie doit se distinguer des
humanités et du travail social sur la base de ses procédures scientifiques et
de sa recherche de lois générales [Mayo-Smith, 1895; Small, 1916; Ross,
1979, p. 125-27; Camic, 1995, p. 1023-24]. Dès lors, l’observation empi-
rique, les méthodes statistiques, les procédures expérimentales, un idéal
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176 UNE THÉORIE SOCIOLOGIQUE GÉNÉRALE EST-ELLE PENSABLE ?

d’exactitude mathématique et la recherche des « lois de la vie sociale »


occupèrent une place centrale, et de nombreux sociologues tentèrent d’adop-
ter les méthodes propres aux sciences naturelles2 [Giddings, 1899, 1901;
Bannister, 1987; Turner et Turner, 1990; Oberschall, 1972].
Alors qu’une Methodenstreit de grande envergure accompagna la
naissance de la discipline en Allemagne, la sociologie américaine, au cours
de ses premières années, ne connut aucune « querelle des méthodes » d’in-
tensité et de portée comparables. Au contraire prédominait très largement
l’affirmation que la sociologie doit être une science rigoureuse, clairement
séparée des humanités. Parmi les fondateurs, Giddings [1904, 1914] est
celui qui a formulé avec le plus de force cette position scientiste3.
Les changements sociaux qui se sont opérés durant cette période ont
accéléré cette orientation de la sociologie américaine vers les méthodes
couramment utilisées dans les sciences naturelles. En raison de l’immi-
gration européenne massive des années 1890-1920, l’étude de la distri-
bution et de la croissance de la population devint un important champ
d’investigation. De plus, à la différence de l’Allemagne, de l’Angleterre
et de la France, la démographie s’est fermement établie au sein même de
la sociologie. La conséquence pour la discipline en fut manifeste : l’ex-
pansion des approches positivistes et des méthodes quantitatives s’inten-
sifia. Au début du XX e siècle, une forte impulsion en direction des
« problèmes sociaux » émanant tout autant de l’école de Chicago [Bulmer,
1981] que de l’orientation prônée par Jane Addams en faveur des poli-
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tiques sociales, contribua également à accroître le recours aux méthodes
statistiques – dans la mesure où l’on croyait qu’en mesurant avec exacti-
tude les tensions sociales, il serait possible d’en déduire les politiques
appropriées pour les réduire4. Enfin, et tout spécialement dans le champ
de la « psychologie sociale » [Thibault et Kelly, 1959], les recherches
d’ordre micro avaient souvent recours à des expérimentations et des
procédures quantitatives.

2. Des nuances importantes doivent être apportées au regard des trois premiers départements
majeurs de sociologie américains, ceux de l’université de Chicago, de Harvard et de Columbia
– sur cette question, voir l’excellente étude de Camic [1995]. Sur la manière dont des forces
purement institutionnelles – la compétition entre les départements d’une même université ou
entre universités – ont favorisé la priorité accordée par le département de sociologie de Columbia
aux méthodes statistiques, voir Camic et alii [1994].
3. Même Parsons définissait le rôle de la sociologie comme consistant à formuler des
« lois analytiques » [1937, p. 730]. Comme le note Camic, « Parsons considérait la recherche
de “lois uniformes” comme la mesure même de la science » [1995, p. 1026].
4. Je soutiens cet argument en dépit de l’orientation qualitative des recherches consacrées
par l’école de Chicago aux problèmes sociaux (par exemple, les travaux de Wirth, Thrasher,
Wm. White, Suttles et Becker – voir Platt, 1983, 1992). Camic souligne que « même vis-à-
vis des méthodes statistiques, les sociologues de Chicago manifestaient une souplesse et une
ouverture d’esprit assez marquées » [1995, p. 1015].
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DIFFICULTÉS D’UN CONSENSUS TRANSNATIONAL… 177

Pour toutes ces raisons5, la prétention de la sociologie américaine au


titre de science rigoureuse ne cessa de croître et son objectif – circonscrire
un domaine distinct des humanités – sembla de plus en plus à portée de
main. Cette acceptation, cet enthousiasme même à son égard, de la scien-
tificité entendue en un sens strict, i.e. visant à établir des lois et basée sur
des données statistiques, conduisit la sociologie américaine à adopter plus
étroitement qu’en Allemagne, en Angleterre ou en France, les procédures
des sciences expérimentales et naturelles.
Un autre trait manifeste également la singularité des contours origi-
nels et de l’évolution de la sociologie américaine. À la différence de la
France, de l’Allemagne et de l’Angleterre, les écoles de microsociologie
ont acquis dès l’origine une place importante aux États-Unis [Silver, 1990].
La nature même de la recherche microsociologique – fréquemment menée
en laboratoire – a contribué en particulier à renforcer la disjonction entre
la sociologie d’une part, et l’histoire et la philosophie sociale d’autre
part. Plus encore, l’incorporation sans ambiguïté de la microsociologie –
dans la mesure où celle-ci est restée distincte de la psychologie – dans le
giron de la sociologie a appuyé et légitimé la prétention de la discipline à
annexer toute une palette de champs de recherche que la sociologie euro-
péenne avait exclus, tout particulièrement là où dominait l’héritage dur-
kheimien. Aux États-Unis, interaction sociale, processus de socialisation,
psychologie sociale, rôles sexuels, etc., tout cela a été reconnu comme
appartenant en propre à la sociologie. Qu’elles soient plutôt qualitatives
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ou plutôt quantitatives, les études empiriques menées ces cinquante der-
nières années ont été aux États-Unis bien davantage reconnues par les psy-
chologues, les travailleurs sociaux, les économistes, les historiens, les
physiciens et les politologues comme relevant de la sociologie qu’en
Allemagne ou en France. De plus, les aides apportées par le gouvernement
fédéral et les grandes fondations à la conduite d’études empiriques – le
plus souvent d’orientation quantitative et fréquemment menées à grande
échelle – ont depuis des décennies soutenu l’appartenance de ces champs
de recherche à la sociologie et valorisé la rigueur des méthodes mobilisées
dans ces études6.
En résumé, la sociologie en Amérique a, sous bien des aspects, acquis
un profil tout à fait singulier, caractérisé par un objet d’étude bien plus large
que celui des sociologies européennes et par une plus grande proximité

5. Pour une analyse qui met l’accent sur les causes d’ordre institutionnel, voir une nouvelle
fois Camic [1995] et Camic et alii [1994].
6. Il faudrait également souligner que les recherches menées grâce à des fonds publics
ou privés ont eu tendance, dans certains cas, à dissocier de la discipline certains champs
spécialisés (par exemple, dans le domaine de la justice pénale). Voir Savelsberg, King et
Cleveland [2002, 2004].
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avec les sciences de la nature – bref, par une position qui impliquait une
profonde ambivalence à l’égard de la théorie sociologique7. En dépit de la
contestation des années soixante, ces contours spécifiques de la sociologie
américaine sont restés inchangés dans les décennies qui ont suivi. Ils lui
ont imprimé des différences majeures qui ont fait obstacle aux tentatives
des sociologues de tous les pays d’établir un consensus autour des théories
fondamentales.

La contestation des années soixante

Une crise sévère frappa en plein cœur la sociologie américaine dans


les années soixante. Le rôle dominant joué par la théorie sociologique de
Parsons (et, dans une moindre mesure, par celle de Merton) avait déjà été
remis en cause à la fois par les théories du conflit [Dahrendorf, 1959a ;
Coser, 1956; Mills, 1956] et par l’interactionnisme symbolique de Blumer
et Goffman [1959]. La critique impitoyable menée par la gauche dans les
années soixante et soixante-dix [Gouldner, 1970], bien qu’elle ait été expli-
citement dirigée contre le « conservatisme » de la théorisation parsonienne,
dénigrait également l’école de Chicago, la démographie et la microsocio-
logie en général, au motif que celles-ci n’avaient pas suffisamment pris en
considération les effets implacables et aliénants du capitalisme. Même s’il
n’a pas pris durablement racine sur la scène américaine, le néomarxisme
de ces années-là a radicalement transformé la discipline. L’unique école
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macrosociologique américaine, le structuro-fonctionnalisme de Parsons,
fut décimée8.
Quoi qu’il en soit, ce rejet du parsonisme et l’éclatement de la disci-
pline qui s’en est suivi n’ont pas pour autant conduit à une convergence
durable avec la sociologie telle qu’elle se pratiquait dans les différentes
nations européennes. On peut même au contraire observer une réelle
continuité avec les contours de la discipline tels qu’ils avaient été tracés
avant cette crise, et la sociologie aux États-Unis a continué à cultiver cette
teneur si singulièrement américaine. À titre d’exemple : la forte présence
de certains champs d’investigation propres au domaine en pleine expan-
sion des « problèmes sociaux » – qu’il s’agisse d’étudier les inégalités, la
pauvreté, les sans-logis, l’immigration, les relations entre minorités, la
concentration des richesses et des revenus, les familles en difficulté, etc. –
a constitué comme auparavant l’une des pierres angulaires de la discipline

7. Ce qui a épargné à la discipline une sévère et durable crise d’identité durant ces périodes
où les orientations théoriques dominantes étaient mises en question.
8. Cette école reste aujourd’hui encore dans un profond désarroi. Le « néofonctionnalisme »
incarna dans les années quatre-vingt une tentative de renouveau de cette école, mais il connut
un rapide déclin. Voir Alexander [1985].
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et a contribué à distinguer la sociologie américaine de celle, plus théorique,


qui caractérise les nations européennes.
L’un des tout premiers piliers de la sociologie américaine – sa prédi-
lection pour les procédures statistiques et l’établissement de lois géné-
rales – a également survécu aux années soixante. Tout au long des
années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la tendance dominante au sein de
la discipline – son orientation de plus en plus marquée vers la recherche
empirique et quantitative – a continué à remplir une fonction de préser-
vation de ses frontières et l’a immunisée contre bon nombre de nouvelles
modes. Le post-modernisme, le post-structuralisme, les études littéraires
et culturelles proposaient des théories et des perspectives qui cadraient
rarement avec ce que la discipline définissait comme sa tâche fondamen-
tale : construire des théories susceptibles d’être testées empiriquement
[Oberschall, 1972; Parsons, 1937, p. 742].
De plus, à la suite du déclin du structuro-fonctionnalisme, diverses
écoles profondément ancrées dans le paysage sociologique américain s’épa-
nouirent; ce fut le cas notamment d’écoles centrées sur la question de l’État
[Skocpol, 1979; Evans, Skocpol et Rueschemeyer, 1984] ainsi que d’un
interactionnisme symbolique renouvelé9 [Goffman, 1959, 1967; Farberman
et Stone, 1970; Manis et Meltzer, 1972].
Plus tard, au milieu des années quatre-vingt, en partie en opposition
aux théories centrées sur l’État, une nouvelle perspective, désignée sous le
terme de « sociologie culturelle », acquit une grande importance [Swidler,
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1986; Lamont et Fournier, 1992; Münch et Smelser, 1992]. Cette école
tenta d’extirper de la discipline son structuralisme dominant, et plus géné-
ralement l’ensemble des approches utilitaristes et matérialistes10. Elle visait
également à injecter une dimension macrosociologique – non parsonienne –
au cœur de la microsociologie inspirée par l’interactionnisme symbolique.
Les nouvelles modes venues d’Europe ne sont ainsi pas parvenues à modi-
fier de façon significative le profil spécifique de la sociologie américaine
ni à la détourner du cheminement typiquement américain qui caractérise
son développement.
Quelles furent les conséquences de cette nouvelle tournure prise par la
sociologie américaine dans ces années quatre-vingt/quatre-vingt-dix quant
à l’importance et au contenu de la théorie sociologique au sein de la disci-
pline et à la place qui lui était reconnue? Jusque-là, la théorie sociologique
s’inscrivait clairement dans le sillage des travaux des fondateurs – qu’il
s’agisse de ceux de Collins [1986], de Bellah [1957], de Smelser [1976], de

9. Que les unes et les autres n’aient guère retenu l’attention des sociologues européens
montre indirectement à quel point elles sont indissociables de leurs racines proprement
américaines.
10. Comme la théorie des « systèmes-mondes » [Wallerstein, 1974, 1979, 1980].
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180 UNE THÉORIE SOCIOLOGIQUE GÉNÉRALE EST-ELLE PENSABLE ?

Coser [1956], de Merton [1949] ou de Parsons [1937]. À partir de cette


période, elle s’est développée de plus en plus à partir des nombreuses études
empiriques émanant de tout un ensemble de champs spécialisés très dyna-
miques au sein de la discipline. Des théories spécifiques à certains domaines,
plus modestes et de moindre ampleur, sont venues occuper le devant de la
scène, des théories dont le point de référence était moins la discipline dans
son ensemble (les thèmes généraux traités par les classiques ou les ques-
tions théoriques transversales telles que celles de l’ordre social, de la moder-
nisation, l’articulation action/structure, la sociologie de la connaissance) que
la critique littéraire et les problèmes propres à tel ou tel sous-champ spéci-
fique (par exemple, la sociologie des mouvements sociaux ou de la déviance,
la sociologie politique ou médicale, les études ethniques ou de genre).
Si on observe les choses du point de vue de la théorie telle qu’elle se
pratique en Europe et se pratiquait à l’origine aux États-Unis, il est clair
que l’on assiste depuis les années quatre-vingt à une redéfinition de la place
de la théorie dans la discipline – qui aboutit, en pratique, à un vide théo-
rique. Plus encore : l’accent traditionnellement mis dans la discipline sur
les méthodes quantitatives, la recherche de lois générales, les procédures
statistiques et expérimentales et l’observation empirique, est non seulement
resté très fort, mais il est devenu la ligne directrice de la discipline à un
degré encore jamais vu11 ; ce qui a conduit à retirer à la théorie sa position
pivot et à renforcer la singularité de la sociologie américaine au regard de
la sociologie européenne. Les théories modestes, telles qu’elles se formu-
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lent aujourd’hui presque exclusivement au sein des sous-disciplines et sous
des formes qui ne permettent que rarement une généralisation au-delà de
ces champs spécifiques (par exemple, la théorie de la mobilisation des
ressources, le néo-institutionnalisme), vont-elles désormais dominer la
sociologie américaine?
Cet aperçu bien trop sommaire avait pour objet de repérer les différentes
voies empruntées par la sociologie américaine dans son développement
spécifique. Cette divergence actuelle avec la teneur dominante de la théo-
rie dans les différents pays européens est-elle significative au regard de
notre quête d’un consensus transnational? Les postulats propres à la démarche
américaine constituent-ils des obstacles limitant la communication avec les
théoriciens européens qui, quant à eux, s’inscrivent dans un style d’analyse
sociologique plus théorique, moins quantitatif, moins focalisé sur le pré-
sent et moins dominé par les sous-champs disciplinaires? Le fossé est-il
désormais si profond qu’il interdirait clairement toute visée d’un quelconque
consensus théorique? Des premiers éléments de réponse ne peuvent être

11. Cette place prépondérante n’est évidemment pas sans rapport avec l’accès à une masse
désormais considérable de données provenant des organisations internationales et des fondations,
ainsi qu’aux nouveaux modes de traitement informatique de ces données.
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donnés qu’après le détour par l’analyse comparée d’un autre cas, celui de
la sociologie allemande.
À l’instar des États-Unis et à la différence de la France, le paysage ori-
ginel de la sociologie allemande était caractérisé par une diversité d’écoles
concurrentes. Néanmoins, sur le fond comme sur la forme, mais aussi au
regard de la direction qu’elle a empruntée au cours de son développement,
la sociologie allemande est restée profondément différente de son équivalent
américain.

LA SOCIOLOGIE ALLEMANDE : D’UNE FONDATION PLURALISTE


AU PROCESSUS D’INTERNATIONALISATION

Les fondateurs de la sociologie allemande ont formulé deux approches


macrosociologiques distinctes (Marx et Weber) et une perspective micro
(Simmel). Alors que Simmel, comme il l’avait lui-même prédit, ne laissa
aucun héritier direct, les travaux de Marx et de Weber ont fortement mar-
qué la sociologie allemande tout au long du XXe siècle. Même si l’in-
fluence de ces deux auteurs s’est exercée avec une intensité variable et à
des moments différents, elle a été bien plus profonde et étendue qu’aux
États-Unis.
Il nous faut mettre l’accent sur la période de l’après-guerre. Des
années cinquante à aujourd’hui, la sociologie allemande s’est caractérisée
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par une très forte interaction entre des influences internes et externes. Au
lendemain du nazisme et de l’Holocauste, de nombreux chercheurs consi-
déraient que la pensée sociale en Allemagne portait une part de responsa-
bilité dans ce chaos. C’est la raison pour laquelle une très forte pression
s’est exercée dans ces années-là qui a conduit à éloigner la sociologie alle-
mande de ses pères fondateurs. Cela a favorisé une très large réception de
la sociologie américaine, une sociologie qui, elle, s’était développée au sein
d’une société démocratique et pouvait ainsi apparaître sans tâche. Le struc-
turo-fonctionnalisme en particulier fut très largement lu, étudié et enseigné
dans les salles de cours [Hartmann, 1967; Tenbruck, 1961; Dahrendorf,
1959b], tout comme les auteurs de l’école de Chicago [Friedrichs, 1965]
et la théorie américaine de la stratification sociale. De plus, suivant le modèle
américain tout en s’appuyant sur une tradition allemande de recherche empi-
rique qui remonte à Weber [Oberschall, 1965], la recherche en Allemagne
en vint à avoir de plus en plus recours aux méthodes quantitatives. Bon
nombre des sociologues allemands qui ont étudié aux États-Unis dans les
années cinquante deviendront des figures respectées et influentes au sein
de la discipline dans les années soixante/soixante-dix.
Néanmoins, et même si la sociologie américaine continuait à être lar-
gement diffusée, les perspectives émanant des États-Unis ont fait l’objet au
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182 UNE THÉORIE SOCIOLOGIQUE GÉNÉRALE EST-ELLE PENSABLE ?

milieu des années soixante d’intenses critiques. À l’image des États-Unis,


le structuro-fonctionnalisme en vint à être stigmatisé comme conservateur
et défenseur du consensus. Mais simultanément, l’Allemagne connut une
renaissance marquante de ses propres écoles sociologiques. Le néomarxisme
gagna des partisans influents avec le retour des principaux théoriciens de
l’école de Francfort en République fédérale dans les années cinquante.
Adorno, Horkheimer, Marcuse et Habermas devinrent des penseurs incon-
tournables, et l’ensemble des écoles américaines se trouvèrent prises sous
le feu de la Théorie critique vers la fin des années soixante et au début des
années soixante-dix. Une renaissance de la sociologie wébérienne se pro-
duisit alors dans la discipline [Schluchter, 1976, 1979; Tenbruck, 1975;
Kalberg, 1979], mais aussi, dans les années quatre-vingt, celle de la socio-
logie simmelienne – de moindre vitalité, mais néanmoins tout à fait signi-
ficative12 [Dahme et Rammstedt, 1984]. Dès lors, et bien longtemps après
la fin de la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle génération put se consa-
crer au développement de la théorie sociologique en Allemagne. Se com-
battant l’un l’autre, les théoriciens importants que sont Habermas et Luhmann
dominèrent la discipline du milieu des années quatre-vingt jusqu’au milieu
des années quatre-vingt-dix.
L’influence de ces deux géants s’affaiblissant, la sociologie allemande
a été ces dix dernières années à nouveau traversée par divers courants étran-
gers. Mais c’est toujours la théorie qui domine dans le paysage sociolo-
gique. Ce sont avant tout les écrits théoriques d’Elias, de Giddens, de
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Baumann et de Bourdieu qui la marquent de leur empreinte. Faisant jeu
égal avec Luhmann, Bourdieu exerce une influence très profonde. Le tra-
vail de théorisation de tous ces auteurs a permis à la discipline de renouer
avec ses fondateurs de façon plus directe qu’aux États-Unis. En effet, comme
nous l’avons noté, aux États-Unis ces dernières années, ce sont les études
empiriques et la littérature propre aux sous-champs spécialisés qui ont servi
de point de référence au travail de construction théorique.
Comment caractériser cette évolution de la sociologie allemande depuis
l’après-guerre, notamment au regard des principaux courants qui ont traversé
la discipline aux États-Unis? En Allemagne, la discipline a pour caractéris-
tique de reposer, à l’instar de ce qui se passe en France, sur une alliance
étroite entre la sociologie d’une part, et l’histoire et la philosophie sociale
d’autre part, et sur le rejet – depuis Weber – d’une orientation dominante
favorable à la recherche quantitative13 et du style positiviste américain. Elle
est également marquée par l’absence tant d’une longue tradition microso-

12. Une telle renaissance, également et puissamment à l’œuvre en Angleterre et aux Pays-
Bas, n’a jamais atteint le rivage américain en raison des obstacles engendrés par un mode de
théorisation fortement confiné aux champs spécialisés.
13. Même si Weber lui-même a conduit une recherche quantitative [Weber, 1998].
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DIFFICULTÉS D’UN CONSENSUS TRANSNATIONAL… 183

ciologique que d’une orientation forte vers les « problèmes sociaux ». Mais,
alors que la sociologie a été en France envahie, après les années soixante,
par la psychanalyse (Lacan), l’anthropologie (Lévi-Strauss), l’histoire (Braudel)
et la critique littéraire (Derrida), elle a réussi bien davantage, en Allemagne
et aux États-Unis, et même si c’est pour des raisons totalement différentes,
à se prémunir contre l’influence de ces nouveaux champs et contre bien
d’autres variétés de post-modernisme, d’études littéraires et culturelles.
Désormais, les théories allemandes et américaines manifestent de pro-
fondes divergences. Alors que le travail de théorisation américain reste
aujourd’hui fortement ancré dans les sous-disciplines et ne soulève que les
questions qui en émanent directement, la théorie en Allemagne a maintenu
dans une large mesure, et en raison notamment de ses liens plus étroits avec
ses fondateurs14, un questionnement qui transcende les cloisonnements sous-
disciplinaires et aborde des enjeux théoriques d’une plus grande portée
(l’articulation action-structure, l’influence du capitalisme et des industries
culturelles, la modernisation…). D’autre part, les sociologies spécialisées
ne jouissent pas seulement d’une plus forte légitimité aux États-Unis qu’en
Allemagne, mais bénéficient également d’une large reconnaissance de la
part des sciences sociales voisines. Les études empiriques concernant les
organisations, les institutions éducatives, les soins médicaux, les compor-
tements déviants et criminels, les fonctions et les dysfonctionnements de
la famille par exemple, sont très appréciées des psychologues, des écono-
mistes, des historiens et des politistes. Un tel prestige légitime tout autant
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une certaine tendance à l’autoréférence qu’une autonomie croissante vis-
à-vis des théoriciens classiques et le faible intérêt porté aux enjeux, dilemmes
et problèmes propres à la discipline. Le financement, bien plus important
aux États-Unis qu’en France ou en Angleterre, par des fondations et des
institutions publiques de grands projets de recherche menés dans ces sous-
champs spécialisés ont aussi contribué à renforcer cette autonomie15.
Cependant, en Allemagne, le très haut niveau de financement par des fon-
dations privées n’a pas conduit à un tel divorce avec les fondateurs de la
discipline et avec ses enjeux les plus généraux.

14. Aux États-Unis, la tendance actuelle à enseigner la théorie sociologique dans le cadre
de cours consacrés à des champs spécialisés de la discipline (déviance, sociologie politique,
stratification, organisations, médecine, etc.), et non dans le cadre de cours portant sur la théorie
sociologique elle-même, me semble manifester une forte répugnance de la discipline à l’égard
de toute tentative d’assurer une véritable continuité avec les auteurs classiques.
15. Pour toutes ces raisons, la sociologie américaine ne semble pas menacée de désintégration
ou d’une crise de légitimité et d’identité (comme certains sociologues français le suggèrent
dans le cas de la France), et cela en dépit de la rupture du lien aux classiques qui a pu servir
à l’origine à légitimer la discipline. Et cela même si la théorie sociologique, telle qu’elle émane
depuis vingt-cinq ans des divers sous-champs de la discipline, est devenue une théorie spécialisée
d’une portée explicative bien moindre encore que les théories de moyenne portée de Merton.
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184 UNE THÉORIE SOCIOLOGIQUE GÉNÉRALE EST-ELLE PENSABLE ?

* *
*

Cette brève comparaison révèle bien à quel point le travail de théorisa-


tion en sociologie, parce qu’il prend naissance au sein de traditions natio-
nales spécifiques et qu’il se développe en épousant des contours et en
empruntant des voies qui sont à chaque fois singuliers, varie considéra-
blement dans ces deux pays. En dépit de la globalisation et de la révolu-
tion apportée par Internet, des approches théoriques et des écoles nationales
ont maintenu dans une large mesure leurs logiques propres de développe-
ment – et cela de façon telle que tant l’intérêt porté à la théorie sociolo-
gique que sa place et son importance au sein de la discipline divergent selon
les pays, de même que son rôle et sa signification particulière. À la
lumière de ces variations, il apparaît que toute tentative d’établir un consen-
sus transnational viable en matière de théorie devra affronter de sérieux
obstacles.
Mais ces différences sont-elles pour autant absolument dirimantes? Des
conclusions plus fermes ne peuvent être établies qu’en étendant à d’autre
pays ce travail comparatif visant à spécifier les trajectoires et les contours
singuliers du travail sociologique. Il faudrait ainsi explorer notamment la
genèse de la sociologie et les voies de développement qu’elle a suivies en
France et en Angleterre. Un tel travail – et avec lui la réponse à la question
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de savoir si une théorie unifiée constitue une perspective réaliste à l’âge de
la recherche spécialisée – devra attendre la rédaction d’un prochain
article.

(Traduit par Philippe Chanial)

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