POULOT D Histoire - de - La - Culture - Materielle

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Une nouvelle histoire de la culture matérielle?

Author(s): Dominique Poulot


Reviewed work(s):
Source: Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-), T. 44e, No. 2 (Apr. - Jun., 1997),
pp. 344-357
Published by: Societe d'Histoire Moderne et Contemporaine
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20530253 .
Accessed: 12/06/2012 15:42

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UNE NOUVELLE DE LACULTURE
HISTOIRE ?
MAT?RIELLE

La culture mat?rielle est entr?e depuis au moins une g?n?ration dans le

registre classique de l'historiographie des temps modernes. Elle dispose d?sor


mais de manuels ad hoc, ? l'?gal de l'histoire sociale, d?mographique, rurale...
L'int?r?t des historiens ? son ?gard a rev?tu successivement trois formes. Il s'est
d'abord limit? ? une pr?occupation exclusive ?'unica, d' uvres ?litaires, de

grande qualit? stylistique, selon un dessein d'histoire de l'art. Ensuite, une


certaine fascination taxinomique a conduit ? ?laborer des typologies
descriptives
et chronologiques, des syst?mes de classification d'artefacts
d'apr?s les comp?
tences artisanales de chaque ?poque, dans un souci d'histoire de la technique,
d'?tudes d'arch?ologie et de g?ographie historiques. Enfin, depuis une vingtaine
d'ann?es, la pr?occupation majeure est d'analyser les objets pour ?clairer les
conduites, notamment en les consid?rant au sein d'une communaut?, dans une

perspective d'histoire sociale ou d'anthropologie1.

Situation de la discipline

Dans la d?cennie quatre-vingt, les ?tudes portant sur la culture mat?rielle


font ainsi
partie int?grante de l'histoire sociale, elle-m?me h?g?monique sur
l'ensemble de la discipline2. Apparaissent une ?tude de l'habitat, d?gag?e des
crit?res de la seule histoire de l'architecture, celle des artefacts domestiques, de
la nourriture et du v?tement, capitale pour une histoire de l'exp?rience domes
?
tique, f?minine et familiale, celle du travail le cas ?ch?ant gr?ce ? l'arch?ologie

exp?rimentale ?, celle, ethnographique, des usages et des pratiques propres, ?


certaines communaut?s, celle enfin des paysages et des environnements, urbains
et ruraux, li?e ? une nouvelle g?ographie culturelle. Certes, tous ces aspects
sont tr?s in?galement trait?s ; en France, l'histoire s'est int?ress?e au monde des

objets essentiellement dans la perspective d'une histoire de la vie priv?e, de la

1. Thomas J. Schlereth, ?History Museums and material culture?, dans W.Leon et


R. Rosenzweig ed. History museums in the United States. A critical assessment, University of Illinois
Press, 1989, p. 294-320. Voir, du m?me Thomas J. Schlereth, ?Material culture and cultural
research ?, in Thomas J. Schlereth ed. Material culture : a research guide, Lawrence, University Press
of Kansas, 1975.
2. Thomas J. Schlereth, ?Material culture studies and social history research ?, Journal of
Social History, 16, 4, 1983, p. 111-43.

Revue d'histoire moderne et contemporaine,


44-2, avril-juin 1997.
UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA CULTUREMAT?RIELLE ? 345

construction de la sph?re intime, par opposition ? la sph?re publique3. Rien de

comparable, par cons?quent, ? une histoire culturelle anglo-saxonne, peut-?tre


surtout am?ricaine, qui a plac? depuis les d?cennies 1920-1930 la question de
la marchandise et de la culture de masse au centre de ses int?r?ts4.
une source l'inventaire apr?s d?c?s, a amen?, en une
Cependant, privil?gi?e,
d'ann?es, une somme de connaissances relativement consid?rable sur
quinzaine
la vie mat?rielle de l'Ancien Celle-ci a trouv? son opus magnum avec
R?gime.
par Annick Pardailh?-Galabrun, qui porte sur une maison sur
l'enqu?te publi?e
dix ? peu pr?s du Paris de 1600 ? 17895. Le livre a ?t? pr?c?d? d'une enqu?te
de Daniel Roche, limit?e quantitativement, mais qui en ?laborait les
plus
principes et en inventait les m?thodes, Le peuple de Pans (Paris, 1981). Cet
ensemble d'?tudes extr?mement fines de l'espace parisien aboutit ? quelques
conclusions l'?laboration d'une ? civilisation des moeurs ? ch?re
majeures pour
? Norbert Elias. Les Lumi?res y apparaissent d?cisives, car comme le r?sume
Jo?l Cornette, le xviii6 si?cle est ?multiplicateur d'objets, d'espaces ? l'int?rieur
de la maison ; s?parateur de fonctions, par un cloisonnement de plus en plus
net des activit?s et priv?es, publiques et intimes, en isolant les
professionnelles
diff?rents lieux d?volus ? des usages et ? des gestes quotidiens pr?cis et
?6. L'interpr?tation de ce bouleversement ?voque une vulgarisation,
sp?cialis?s
qui va de l'?lite ?troite de la cour aux Parisiens les moins notables. Si cette

profusion d'indices accumul?s, d'objets recens?s, t?moigne de la f?condit? d'une


d?marche exemplaire, celle-ci, syst?matiquement reconduite, s'av?re toutefois
dans un questionnaire toujours consacr? aux partage priv?/public et
r?p?titive,
individu/collectif. Il devient par la suite difficile d'?viter la loi des rendements
d?croissants, sauf ? tourner ses regards vers d'autres p?riodes, tel le xvf si?cle7,
ou encore ? porter l'enqu?te vers les campagnes, pour d'?videntes raisons de

repr?sentativit? et de sous-exploitation documentaire8.


Bref, l'analyse de la vie mat?rielle, dans la tradition fran?aise, demeure
fid?le ? l'id?al d'une arch?ologie du quotidien, d'une reconstitution de l'environ
nement familier des individus, gr?ce ? l'?tude s?rielle d'une source privil?gi?e
pour son d?pouillement r?gulier et la confection commode de fiches9. Elle
des hypoth?ses de travail formul?es par Pierre Chaunu sur le
participe nagu?re
au troisi?me niveau et l'histoire s?rielle, et des progr?s d'une disci
quantitatif

3. Ph. Ari?s et G. Duby ?d. Histoire de la vie priv?e, Paris, 1985-1988, 5 volumes. Encore cette
derni?re entreprise a-t-elle peu fait appel ? la culture mat?rielle en tant que telle : essentiellement
dans la participation d'un arch?ologue, Yvon Th?bert, au premier volume consacr? ? l'Antiquit?. Orest
Ranum consacre n?anmoins des d?veloppements aux objets de l'intimit? dans le volume r?serv? aux
temps modernes. Jean-Pierre Goubert, La conqu?te de l'eau. L'av?nement de la sant? ? l'?ge industriel,
Paris, 1986, p. 173-218, ainsi que plusieurs th?ses de troisi?me cycle, ont ?tudi? production et
consommation de l'eau et invention d'une nouvelle culture, ? la fois mat?rielle et corporelle, de m?me
qu'Alain Corbin dans son uvre d'historien des sens.
4. Comme le montre excellemment Agnew, ? Coming up for air ? dans
Jean-Christophe
J. Brewer et R. Porter, Consumption and the world of goods, Londres, 1993.
5. Annick Pardailh?-Galabrun, La naissance de l'intime, 3 000 foyers parisiens, xvif-xvnf si?cles,
Paris, 1988.
6. Jo?l Cornette, ? La r?volution des objets. Le Paris des inventaires apr?s d?c?s, xvii6
xvnf si?cles ?, Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, XXXVI, 1989, p. 476-486.
7. Laurent Bourquin, ? Les objets de la vie quotidienne dans la premi?re moiti? du xvf si?cle ?
travers cent inventaires apr?s d?c?s parisiens ?, Revue d'Histoire moderne et contemporaine, XXXVI,
1989, p. 465-475.
8. Beno?t Garnot, ? Le au xvnf si?cle : l'exemple de Chartres ?, Revue
logement populaire
d'Histoire moderne et contemporaine, XXXVI, 1989, p. 185-210.
9. On trouvera la description de cette m?thode dans Daniel Roche, Le peuple de Paris, op. cit.,
p. 59-61, et Annick Pardailh?-Galabrun, La naissance de l'intime, op. cit. p. 24-25.
346 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

pline l'histoire notariale, dont elle est en sorte le fruit10.


particuli?re, quelque
La lecture sociale de la culture mat?rielle s'y limite souvent ? la statistique de
la distribution des biens selon les niveaux de revenus. Au-del?, le ressort de la
diffusion des objets tient ? la vulgarisation progressive de mod?les de consom
mation.
Dans une synth?se exemplaire aussi bien du domaine de recherche que de
la d?marche et de ses enjeux, Daniel Roche ?voque, ? propos des v?tements, le
souci de

retrouver le lien d?cisif qui mobilise ensemble les consommations de tous et celles
des individus replac?s dans le cadre habituel de leur vie familiale11. [Au bilan] la
r?volution vestimentaire aide au passage de la soci?t? des coutumes ? la soci?t? moderne
mais sa rationalit? nouvelle ne doit pas masquer l'existence de jeux tr?s divers dans
l'?tablissement de nouveaux rapports entre besoins, n?cessit?s et possibilit?s. Certains,
les pauvres, n'ont pas gagn? d'espaces de libert?, ils re?oivent l'?cho affaibli du
changement ; d'autres sont indiff?rents et suivent le changement dans un jeu complexe
d'imitation o? peuvent se concilier la sagesse, la piti?, la paresse ; enfin agissent en t?te
les actifs de la comp?tition, ceux qui par go?t, par int?r?t, par passion enseignent aux
autres les fa?ons nouvelles d'exister. Ce qui importe c'est qu'au-del? d'un plancher d?fini
par la n?cessit? les valeurs mim?tiques ne sont pas r?serv?es aux riches, m?me si les
lieux privil?gi?s du codage restent la cour, mais pas elle seule, et la ville, c'est-?-dire les
?lites de la fortune et du pouvoir urbain12.

de la culture mat?rielle en ? niveaux ? successifs a


L'analyse quantitative
ainsi ?t?, ces derni?res ann?es, remise en question au nom d'une critique de la
construction des statistiques et des documents. L'int?r?t passe de l'inventaire
? non sa
s?riel ? la reconstitution du contexte de l'objet seulement celui de
circulation, mais celui de sa jouissance et de son ?ventuelle red?finition.
Car une dimension importante des objets de la culture mat?rielle qui nous
entourent est li?e aux rapports priv?s que chacun entretient avec eux. En ce
sens, leur statut r?el d?pend intimement de la biographie de la ou du propri?
taire. Ces aspects rel?vent d'une du minuscule
ethnographie souvent ?trang?re
au propos habituel de l'historien13. coursC'est au
d'une complexe que
analyse
le processus de cr?ation de la valeur des objets peut alors ?tre saisi, au travers

d'op?rations d'appropriation et de compr?hension que le terme de consomma


tion peut symboliser.
Lawrence W. Levine montre combien le drame shakespearien ou l'op?ra
?taient ? ? dans les ?tats-Unis du si?cle dernier, en raison de condi
populaires
tions particuli?res de commercialisation et de consommation de ces produits
culturels, qui ne sont devenus extr?mement prestigieux que par la suite14.
Nicholas Thomas ?tudie les processus d'appropriation d'artefacts europ?ens par
les indig?nes du Pacifique et d'artefacts indig?nes par les Europ?ens comme
autant de recontextualisations d'objets. A l'encontre de l'image d'une d?sint?gra
tion des soci?t?s tribales entra?n?e par l'introduction de produits europ?ens,

10. Voir Daniel Roche, ? Inventaires apr?s d?c?s parisiens et culture mat?rielle au xvnf si?cle ?,
Les actes notari?s, source de l'histoire sociale, xvf-XIXe si?cles, Strasbourg, 1979, p. 231-240.
11. Daniel Roche, La culture des apparences. Une histoire du v?tement xvif-xvnf si?cle, Paris,
1989 (p. 478) et Histoire des choses banales, Paris, 1997 (p. 269-270).
12. Daniel Roche, ? La culture des apparences, entre ?conomie et morale, xvif-xviif si?cles ?,
communication dans le Bulletin de la Soci?t? d'histoire moderne, 17e s?rie, 2, 1990, p. 14-17.
13. Voir S.M. Pearce ed. Museum studies in material culture, Londres-New York, Leicester
University Press, 1989, et aussi sur toute cette th?matique S. Stewart :On longing : narratives of the
miniature, the gigantic, the souvenir, the collection, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1984, ainsi que,
du c?t? historien, les travaux de H. Medick, dont on attend la traduction fran?aise en cours.
14. Highbrow/Lowbrow : the emergence of cultural hierarchy in America, Cambridge, Mass. 1988,
chapitres 1 et 2.
UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA CULTUREMAT?RIELLE ? 347

comme des partages exclusifs entre r?gimes du don et r?gimes du march?, il


brise l'opposition syst?matique de soi et de l'autre15. Dans toutes ces ?tudes,
dont on pourrait r?f?rences,
multiplier les objets les apparaissent moins comme
autant d'identit?s une
stables
production dans
mat?rielle qui, au moment de
?
leur conception, les fait ce qu'ils doivent ?tre les rendant ainsi propres ?
appara?tre comme les t?moignages les plus objectifs, les plus concrets, et les
? comme
plus s?rs d'une soci?t? et d'une histoire mais autant de t?moins d'un
devenir16. Mais un axe privil?gi? semble depuis ann?es marquer la
quelques
recherche des historiens modernistes, celui de la consommation.

La formation d'une histoire anglo-saxonne de la consommation

Si J.H. Plumb esquisse au milieu de la d?cennie soixante-dix son propos


ult?rieur sur la commercialisation du loisir17, fondateur de cette
l'ouvrage
r?flexion est n?anmoins post?rieur de birth of adix ann?es : The consumer

society : the commercialization of eighteenth-century para?t en 198218. II


England
r?unit les perspectives d'une histoire de la production et du commerce (sous la
plume de Neil McKendrick), d'une socio-histoire (J.H. Plumb) et d'une histoire
politique et culturelle (J. Brewer). Ce livre examine successivement les strat?gies
des entrepreneurs pour susciter et modeler la demande, les attentes des consom
mateurs et leur satisfaction ? l'horizon des Lumi?res, enfin les cons?quences de
cette ? commercialisation ? sur la sph?re Le point de d?part
g?n?rale politique.
tient ? une insatisfaction devant la th?se classique de l'offre et de la demande
et ? la volont? d'analyser le statut des biens de consommation. On y trouve en

cons?quence deux types d'analyses :une mesure de leur diffusion sociale, gr?ce
aux inventaires apr?s d?c?s des propri?taires, et une de leur circulation
approche
et de leur appropriation gr?ce ? l'examen des techniques publicitaires et des
voies de la commercialisation. La ? r?volution de la consommation ?
appara?t
comme le r?sultat de la cr?ation consciente d'une propension ? consommer, sur
le mode de l'?mulation :N. McKendrick reprend ainsi Veblen pour la
expliquer
r?ussite des strat?gies publicitaires de Wedgwood. Accueilli de mani?re contras
t?e, et souvent avec scepticisme, le livre ne parvint pas vraiment ? lancer un
programme de recherches.
C'est pour ranimer l'int?r?t et utiliser plus avant cette perspective que John
Brewer et Roy Porter ont fait para?tre Consumption and the world of goods19.
Cet ?norme ouvrage est le premier d'un ensemble de trois volumes qui a
l'ambition de fournir une
interpr?tation nouvelle
de la modernit? ? travers le
mouvement des consommations de biens et de services. Le second porte sur les

conceptions de la propri?t? et le dernier sur ? le mot, l'image et l'objet ?, autour


de la culture et de la consommation. La trilogie rassemble l'ensemble des
s?minaires et des conf?rences organis?s trois ann?es durant par John Brewer ?
l'universit? de Californie (U.C.L.A.). Chaque communication t?moigne d'une
remarquable qualit?, de ton et de niveau ; nombre d'entre elles constituent

15. N.Thomas, Entangled objects. Exchange, material culture and colonialism in the Pacific,
Cambridge-Londres, Harvard University Press, 1991.
16. On ?voquera seulement, touchant deux p?riodes extr?mes ? Mandeville, Colomb et Diaz
del Castillo dans un cas, Tarzan, Leiris, Conrad, D.H. Lawrence et L?vi-Strauss de l'autre ? deux
d?marches r?centes : S. Greenblatt, Marvelous possessions : the wonder of the new world, Chicago,
University of Chicago Press, 1991, et M. Torgovnick, Gone Primitive, Savage intellects, modern lives,
Chicago, University of Chicago Press, 1990.
17. J.H. Plumb, ? The literature and the arts in the Eighteenth-century ?, dans
public,
M.R. Marrus ed. The emergence of leisure, New York, 1974.
18. Londres, Europa.
19. Londres, Routledge, 1993 ; ?dition ? paperback ? 1994.
348 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

autant de synth?ses commodes de travaux volumineux ou difficiles d'acc?s, et ?


ce titre d?j? on en saura vivement gr? aux ?diteurs. Mais, succ?s un
oblige,
certain nombre des tr?s grands noms ici convoqu?s ne se rattachent gu?re ? la
probl?matique et aux concepts ?voqu?s20. Tel est le cas de Barbara Maria
Stafford qui poursuit son enqu?te sur les rapports de la science et du visible
(? Presuming images and consuming words : the visualization of knowledge
from the Enlightenment to post-modernism ?), ou de Chandra Mukerji (? Rea
ding and writing with nature :a materialist approach to french formal gardens ?)
avec sa critique de la culture mat?rialiste occidentale, ou encore de Simon
Schama (? Perishable commodities :Dutch still-life painting and the empire of
things ?), qui montre l'anxi?t? d'une soci?t? devant la richesse, et ses exigences
contradictoires de simplicit? et d'opulence.
Les vingt-six articles de ce premier tome portent pour l'essentiel sur la
Grande-Bretagne et l'Am?rique du Nord, avec quelques incursions en Europe
continentale, voire en Orient. Dans cette civilisation, selon Peter Burke (? Res et
verba : conspicuous consumption in the early modern world ?), l'ostentation des
possessions n'est pas moins notable que chez nous, les litt?ratures d'Europe et
d'Asie manifestant, du xvf au xvrae si?cle, la m?me pr?occupation devant la
place de la culture mat?rielle dans la vie sociale et les valeurs mondaines. Ceci
pose d'entr?e de jeu la question de la sp?cificit? europ?enne du ph?nom?ne. La
consommation a-t-elle ?t? la chance autant que le fardeau du seul homme
blanc ?
C'est en tout cas ? une r?habilitation de comportements
spectaculaire
jusque-l? d?nigr?s, ou renvoy?s ? une histoire sans port?e,
n?glig?s, anecdotique
que s'emploie ce recueil. La d?marche s'inscrit contre toute une
explicitement
tradition d'analyse de la consommation en termes d'ali?nation, de f?tichisme et
de r?ification. De fait, l'ensemble s'ouvre sur le rappel de la faillite du commu
nisme mieux
pour affirmer l'importance de l'?conomie de la consommation dans
la ? grande
?
histoire, puisque son ?chec de l'autre c?t? du rideau de fer s'est
r?v?l?e politiquement d?terminante21.
L'introduction g?n?rale entreprend de faire liti?re des critiques les plus
? ? de la consommatique, celles des r?actionnaires et celles des
id?ologiques
progressistes. Les premiers ont voulu y reconna?tre un ultime avatar de la th?se
whig d'un progr?s ind?fini de l'histoire, appliqu?e cette fois ? la marchandise,
et d?marrant avec l'Angleterre du XVIIIe, premi?re soci?t? d'abondance, pour
culminer avec nos soci?t?s occidentales. D'autres ont excip? radicalement
plus
de l'insignifiance, dans l'histoire de la civilisation, des vicissitudes de la culture
ce propos. ? de ?
mat?rielle pour mieux ignorer A l'oppos?, la critique gauche
voit dans l'analyse consommatoire la ratification du triomphe capitaliste, et
l'oubli de l'oppression des classes laborieuses. Les unes et les autres partagent
en fait, plus ou moins explicitement, le m?me m?pris de la consom
puritain
mation individualiste, parasite et f?minine, au profit d'une de la produc
sph?re
tion exalt?e comme collective, cr?atrice et masculine22. A rebours, le livre entend
promouvoir une compr?hension des soci?t?s occidentales fond?e sur l'analyse
de la consommation de masse, envisag?e tout ? la fois comme invention

20. A en croire la publicit? ?ditoriale pour la version ? poche ?, les deux ? locomotives ? du
recueil sont avant tout Simon Schama et Simon Schaffer, les deux stars de la profession dans le
monde anglo-saxon.
21. Voir contra G. Levi : ?Comportements, ressources, proc?s? dans J. Revel dir., Jeux
d'?chelles, Paris, 1996, p. 187-207.
22. Sur cette th?matique voir Patrick Brantlinger, Bread and cireuses. Theories of Mass Culture
as Social Decay, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1983. Le Forum de YAmerican Historical
Review a ?t? r?cemment consacr? ? cette question : ? The folklore of industrial society : popular
culture and its audiences ?, vol. 97, 5, 1992, p. 1369-1430.
UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA CULTUREMAT?RIELLE ? 349

et mentalit? moderne Brewer et Roy Porter, ? Intro


technico-?conomique (John
duction ?).
Ce point de vue remet en cause un
certain nombre d'affirmations ? cano

niques ?, celles d'une histoire ?conomique, au premier chef, qui s'est donn?
comme objet privil?gi? la construction de la ? r?volution industrielle ?. Dans ce
cadre, la consommation ne devient objet d'histoire qu'au cours du xrxe si?cle,
voire du xxe, ? l'issue d'une transformation g?n?rale dont elle n'est que l'effet.
Au contraire, plaider l'existence d'une la consommation
r?volution de ant?rieure
? celle de la production engage un r?examen d'ensemble des d?terminations ou
surd?terminations. Et d'abord une critique de l'orthodoxie ?conomique pour qui
la multiplication des producteurs d?termine celle des ventes, selon la ? loi des
d?bouch?s ? de J.-B. des excitants et du
Say. L'exemple (th?, caf?, chocolat)
sucre comme luxes banalis?s, ou celui du textile indien en Europe illustrent
l'existence d'un march? consid?rable de consommation, percolant de haut en
bas dans la soci?t? anglaise, et qui fonde en une
retour ?conomie imp?riale
(John E. Wills : ?European consumption and Asian
production in the seven
teenth and centuries ? ; W. Mintz : ? The roles of
eighteenth Sidney changing
food in the study of consumption ?). Mais c'est peut-?tre l'histoire de la proto
industrialisation qui est la plus directement concern?e par cette nouvelle pro
bl?matique, qui tend ? faire de la commercialisation et de la culture de la
consommation un pr?alable au ? d?collage ?, et surtout ? repenser l'embo?tement
des ?chelles micro et macro-?conomiques, sur le mode d'une nouvelle relation
entre initiatives individuelles et production des richesses.

Les th?ses principales

Jan de Vries r?sume ici sa th?se sur le d?sir de consommation de la


maisonn?e, ses motifs et son r?le dans la mutation de la production de
l'Europe
moderne. Les rapports entre pouvoir d'achat et production de marchandises
ressortent renouvel?s d'une discussion serr?e des contradictions entre le mou
vement des la le?on des
salaires et inventaires apr?s d?c?s (? Between purchasing
power and the world of goods : understanding the household economy in early
? r?volution ? aurait en effet eu lieu aux
modern Europe ?). Une industrieuse
alentours de 1650, marqu?e par trois facteurs. D'une part, l'emploi intensif des
femmes et des enfants d'uneau sein domestique orient?e de plus en
production
plus vers le march?, d?pens auxde l'auto-consommation, et qui permet aux
tenanciers de b?n?ficier de revenus commerciaux. D'autre part, une croissance
des travaux salari?s, procurant une augmentation des revenus de la maisonn?e
plus importante que ne le sugg?re le cours des salaires individuels. Enfin le
de ce travail, au moins en Angleterre. des ? familles ?
gain de productivit? Bref,
ou maisons d?sirent consommer davantage de marchandises et davantage de
services : elles en cons?quence leurs efforts productifs, offrant sur
red?ploient
le march? davantage de produits, de travail, et d'intensit? dans le travail. La
maisonn?e, comme unit? de production et de consommation, fait donc figure
de bo?te noire d'un processus qui ne doit rien ? la technique, ni au capital

(p. 117).
Ce qui soul?ve nombre de questions : sur la r?gulation de la production,
mais aussi de la consommation, sur la prise de d?cision, le rapport des sexes,
l'autorit?... Chemin faisant, l'auteur esquisse les figures ult?rieures de l'activit?

domestique ? l'issue de la r?volution industrielle : le xrxe si?cle se marquerait


par une chute du travail ? l'ext?rieur des femmes et des enfants, au profit d'un
investissement dans le capital humain et la production de services ? l'int?rieur
de la maison (recherche de la qualit?, sanitaire, ?ducative, etc.) tandis que le
xxe serait caract?ris? ? l'inverse par une croissance de l'emploi des femmes,
accompagn?e de l'apparition de substituts marchands aux biens nagu?re pro
350 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

duits ? la maison (nourriture, sant?, services...). La fronti?re actuelle du capi


talisme serait ? chercher dans la commercialisation de ces derni?res activit?s
ou non marchands. Au bilan, l'Auteur sugg?re de
produits, pendant longtemps
au centre des int?r?ts de l'historien les modes de n?gociation entre les
placer
unit?s familiales et le march?, et d'en tirer toutes les cons?quences quant au
niveau et ? la nature de la consommation.
Les de cette r?vision portent sur divers aspects.
critiques historiographique
? au moins)
Le postulat de base de cette consommatique le xviif si?cle (anglais,
? sur
conna?t la premi?re soci?t? de consommation de l'histoire repose le
constat d'une croissance de la consommation, d'apr?s les inventaires apr?s
d?c?s, la presse, les sources voire les autobiographies et les romans.
judiciaires,
Or l'unanimit? sur
premier ce
point n'est pas acquise ; certes, les petites
annonces du
Salisbury Journal, par exemple, t?moignent d'une r?volution
commerciale en termes de publicit?s, de ventes, d'?changes, de loisirs, d'objets
aussi (C.Y. Ferdinand : ? Selling it to the provinces :news and commerce
perdus
round Salisbury ?). Mais Carole Shammas, ? partir d'une
eighteenth-century
m?ticuleuse compilation d'inventaires et de budgets, conclut ? une remarquable
stabilit? de la consommation ? l'?poque moderne, par contraste avec le boule
versement observ? au d?but du xxe si?cle, d? ? la chute du poste nourriture et
au d?collage des biens de consommation durables (? Changes in English and
from 1550 to 1800 ?)23. Surtout, en examinant les
Anglo-American consumption
donn?es des inventaires apr?s d?c?s, elle ne remarque pas de transformations
des investissements dans ces
biens, diff?rents m?me si
documentaire, la source
mesurant la situation finale, doute tend sans
? sous-estimer l'investissement en
marchandises au cours de
la vie (de ce point de vue, les inventaires sont

trompeurs, qui donnent en effet l'image d'un stock, et non d'un flux). Elle
conclut plut?t ? une croissance de l'accumulation des biens de consommation
au cours du xviif si?cle qui serait due ? la combinaison d'une baisse des prix
de vente et d'une substitution de marchandises moins durables ? des biens qui
l'?taient davantage.
De l? l'id?e d'un anachronisme des termes et des concepts de consommation

appliqu?s ? la p?riode moderne. Pour John Styles (? Manufacturing, consump


tion and design in eighteenth-century England ?) la th?se d'une soci?t? de
consommation dans du xvaf si?cle s'effondre, en l'absence d'une
l'Angleterre
de masse. Quant aux
techniques de promotion de la consommation,
production
en particulier la publicit? imprim?e, elles demeurent marginales, hormis

quelques cas c?l?bres constamment ?voqu?s. C'est toute la question du seuil ?


une ? r?volution ?
partir duquel ?voquer qui est ici pos?e.
Postuler une culture consommatoire de masse implique ensuite de disposer
sa sociologie ? de budgets, de morphologie
de soit, classiquement, d'?tudes
sociale, etc24. Quels sont les milieux porteurs de cette nouveaut? (classes
moyennes, professionnels li?s au march?, interm?diaires culturels, ?lites tradi
tionnelles, etc.) ? Quelle est la place des femmes, traditionnellement (et p?jora
tivement) associ?es ? ce comportement consommateur ? Les r?ponses demeurent
ouvertes, ou ne sont apport?es que pour des situations tr?s sp?cifiques. Les
observations sont en effet limit?es par des contraintes de documentation qui
excluent certaines tranches chronologiques (les inventaires apr?s d?c?s
deviennent rares en la d?cennie 1720) et ne permettent que
Angleterre apr?s
des vu l'ampleur des d?pouillements ? envisager. Surtout, sauf excep
sondages,

23. On peut se reporter ainsi ? Carole Shammas, ? The domestic environment in early modern
England and America ?, Journal of social history, 14, 1980, p. 4-24.
24. Cf. le bilan procur? r?cemment par Ch. Baudelot et R. Establet, Maurice Halbwachs, Soci?t?
et consommation, Paris, 1994.
UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA CULTUREMAT?RIELLE ? 351

tion, elles portent toujours sur le monde urbain, laissant de c?t? les masses
rurales, plus ou moins consid?r?es comme ? l'?cart du mouvement g?n?ral.
Enfin le choix du crit?re consommatoire comme indice d?terminant de la
? r?volution ? de moderne, doit les points
l'?poque pour s'imposer, disqualifier
de vue retenus : au premier chef l'indicateur de l'alphab?tisation
jusque-l?
classiquement employ?, depuis l'article fondateur de Lawrence Stone, pour
mesurer le degr? de modernit? des soci?t?s. De fait, David Cressy devant la
stabilit? de ce dernier de 1720 ? 1760, met en doute sa pertinence dans la
r?volution anglaise du xvnf si?cle (? Literacy in context :meaning and measu
rement in early modern England ?). Sa conclusion est qu'un pays peut conna?tre
une v?ritable r?volution sociale, culturelle et ?conomique sans aucun change
ment de son alphab?tisation, qui ne peut donc ?tre tenue pour indicatrice des

progr?s ou des retards d'une soci?t?.

Une anthropologie de la consommation

Au-del?, la difficult? qu'envisagent bien des collaborateurs de l'ouvrage est


celle d'une histoire des significations des consommations : comment passer du
constat pur et simple de la pr?sence ou de l'absence de biens en tels lieux ?
une explication des conduites ? Car la th?se d'une r?volution de la consommation
suppose une modification radicale des gestes et des pratiques, des conduites et
des La multiplication ? ? des des
repr?sentations. objective objets poss?d?s,
services dont on jouit, d?bouche-t-elle sur de nouvelles organisations du v?cu
quotidien, sur une nouvelle esth?tique de la possession, sur de nouvelles
morales ? Quels d?calages peut-on ?voquer entre le go?t et la
fortune, le
conformisme d'achats sans cons?quences et au contraire le bouleversement des
habitudes ? la suite de l'essai de produits nouveaux ? Enfin quel rapport peut
on ?tablir avec la construction de la vie priv?e moderne, la constitution d'une

sph?re intime ? Refusant les facilit?s de 1'?effet de r?el ? que procure toute
description, et a fortiori l'illusion du chiffre, les historiens ici convoqu?s font
?tat de leurs doutes, et des impossibilit?s d'une restitution assur?e des emplois
et des usages. Carole Shammas objecte ainsi l'impossibilit? de sonder les
motivations en jeu, donc de r?pondre ? la question des origines
du changement.
Elle n'identifie pas, en particulier, une influence particuli?re de variables telles
que le statut, la profession, l'?ducation, l'accessibilit? du march?... sur les choix
de consommation.
Ces r?ticences ? souscrire au projet ou ces constats d'?chec sont ? la mesure
une ?
de l'ambition, qui dessine v?ritable anthropologie de la consommation
m?me si cette voie demeure
marginale, avec une ?tude isol?e de Roy Porter sur
les m?taphores organiques de l'exc?s de consommation (? Consumption :disease
of the consumer society ? ?). La r?f?rence sociologique domine les divers
emprunts aux sciences sociales : de fait, la r?flexion sur la consommation a
mobilis? toute une partie de la sociologie classique, ? partir de Max Weber. Les
de consommation se sont montr?s surtout fertiles en th?ories
ph?nom?nes
g?n?rales de l'?mulation et du mim?tisme de l'ostentation, de Veblen ? Ren?
Girard, pour ne
pas
?voquer la prolif?ration d'essais sur l'ali?nation due aux

objets, dont ceux de


Jean Baudrillard constituent la pointe. Mais la consom

matique historienne anglo-saxonne utilise surtout la th?se de Mary Douglas,


pour qui la consommation est un processus rituel permettant de donner du
sens au chaos de la marchandise : les choses jouent un r?le social dans les

syst?mes d'information25. Le consommateur construit sa personnalit? gr?ce ?

25. M. Douglas et B. Isherwood ed., The world of goods : toward an anthropology of consumption,
New York, Norton, 1979.
352 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

ses choix, ses ignorances, ses pr?dilections et ses d?dains : disputer d'achats et

d'objets, c'est parler valeurs, morale sociale, et, au bilan, identit?(s). De sorte

que partager une m?me consommation, c'est forger une solidarit? et t?moigner
d'une appartenance.
C'est dans la perspective identique d'une consommation r?v?latrice de
valeurs, mais portant une toute autre d?monstration, que s'inscrit l'ouvrage
r?cent de Colin The romantic ethic and
the spirit of modern consu
Campbell,
merism (Oxford, 1987)26. Sa pertinence pour l'entreprise de r?vision de l'histoire
de la consommation tient ? la remise en cause de Veblen, tout en acceptant
les travaux de N. McKendrick. affirme en effet que la
largement Campbell
r?volution industrielle s'est jou?e sur la demande croissante de produits tels que
? une
les jouets, les boutons, les frivolit?s diverses c'est-?-dire par nouvelle

propension ? consommer, qui rel?ve de l'imaginaire. Il ?met l'hypoth?se d'un

changement s?culaire des attitudes et des valeurs de la classe moyenne, fond?


sur des motifs souhaite compl?ter Max Weber en montrant
religieux. Campbell
que, ? son indiscutable asc?tisme, l'?thique protestante a aussi
parall?lement
donn? naissance ? une tradition culturelle toute diff?rente, qui met en avant le
r?le de l'?motion. Cette disposition ? faire ?tat d'?motions profondes et fr?
quentes devient avec le Romantisme une disposition esth?tique qui l?gitime la
recherche d'un imaginaire fond? sur la consommation de la nouveaut?,
plaisir
et qui appara?t conjointement ? l'amour
? la mode, romantique et ? la litt?rature

romanesque. Une consommation ? tout


la fois sentimentale, h?doniste et
individualiste s?cularise de la sorte la sentimentalit? religieuse27.
? de la consommation moderne que nous h?donisme auto
L'esprit appelons
illusoire est caract?ris? par un d?sir d'?prouver r?ellement des plaisirs cr??s par
et dont la jouissance est tout aussi imaginaire. Ce d?sir entra?ne
l'imagination
une consommation sans fin de la nouveaut?. Une telle approche, caract?ris?e

par son insatisfaction de la vie r?elle et son avidit? d'exp?riences nouvelles, est
au c ur des conduites les typiques de la vie moderne et conditionne
plus
l'existence de certaines de ses institutions centrales comme la mode et l'amour
romantique ?28 (p. 205-206). D?s lors la consommation peut appara?tre comme
une contribution positive ? la cr?ation d'une culture et ? l'?laboration de ses
La r?vision de la dichotomie entre puritanisme et romantisme,
significations.
entre d?pense et ?conomie, entre valeurs d'usage et valeurs symboliques parti
cipe tout ? fait du projet de r??valuer les aspects traditionnellement condamn?s

26. Sur cet aspect on lira Nicolas Herpin, ? Au-del? de la consommation de masse ? Une
discussion critique des sociologues de la post-modernit? ?, L'Ann?e sociologique, 1993, t. 43, p. 295
315. Daniel Miller, ? partir de Hegel, Marx, Simmel et d'autres, veut ainsi construire une critique
de l'?litisme moderniste qui regarde n?gativement la consommation comme une r?ception passive de
la part du consommateur, adapt?e ? la surproduction industrielle de masse. Pour lui, on assiste ?
une relation d'objectification de l'identit? personnelle, la possession d'un objet valant affirmation de
sa diff?rence, voire affirmation d'un projet personnel (Material culture and mass consumption, Oxford,
Basil Blackwell, 1987)
27. On pourra comparer avec une analyse qui ?volue dans un tout autre contexte mais tente
? sentimentales ?, au premier chef quant
?galement de renouveler la question du rapport des r?formes
? l'esclavage, ? l'apparition du capitalisme et des d?buts de l'industrialisation autour de 1750 :
?
Th.L. Haskell, Capitalism and the origins of the humanitarian sensibility ?, American Historical
Review, t. 90, 1985, p. 339-361 (1) et p. 547-566 (2). L'apparition de la compassion et de la ? sympa
thie ? au xviif est envisag?e d'un point de vue davantage philosophique dans N.S. Fiering, ? Irresistible
compassion :an aspect of eighteenth-century sympathy and humanitarianism ?, Journal of the History
of Ideas, 1985-2, p. 195-218.
28. On voit tout ce que la d?monstration emprunte ? Ren? Girard (l'analyse de la v?rit?
romanesque des amours romantiques), comme ? la th?se d'une tyrannie de l'intimit? (Richard
Sennett) ou ? d'autres essais plus g?n?raux tel celui sur le narcissisme contemporain de Ch. Lasch
ou ? La naissance de la famille moderne par E. Shorter.
UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA CULTUREMAT?RIELLE ? 353

de la consommation, c'est-?-dire ? ? ou ? ali?nants ?. Mais la th?se


mystifiants
soul?ve des difficult?s de m?thode, ? savoir une confusion entre l'intention
et les r?sultats analys?s, comme entre les marchandises consomm?es
postul?e
et la signification abstraite qu'y d?couvre leur interpr?te qui, ? la mani?re de
Goffmann, entend d?chiffrer ? la place des acteurs le sens de leurs actions.
Comment en effet prouver une volont? d'imitation d'un style de vie sup?rieur
par le t?moignage des inventaires, ou le constat d'une extension de la consom
mation ?
Ceci am?ne ? la question du sens des biens consomm?s, dont Lorna
Weatherill donne un panorama lumineux (? The meaning of consumer behaviour
in late seventeenth and early eighteenth-century England ?). On y constate
d'abord une croissance du volume des marchandises bien ant?rieure aux dates

?voqu?es. Pour ne prendre qu'un exemple, le nombre de foyers


classiquement
poss?dant de la peinture passe de 1675 ? 1725 de 1 % ? 21 %, et ? Londres,
pour la m?me p?riode, de 44 % ? 76 %29. Ce qui sugg?re un march? de masse
des images d?s avant le glorieux xviif si?cle. En outre, la pr?cision de l'enqu?te
(3 300 inventaires ?tudi?s dans les couches moyennes de l'Angleterre et de

l'Ecosse, huit zones g?ographiques consid?r?es, vingt marchandises-clefs


divis?es
en trois cat?gories, deux grilles socio-s?miotiques ?labor?es d'apr?s Goffmann)
les questions irr?solues, en termes de diff?renciation sociale. L'auteur
multiplie
parvient en revanche ? une hi?rarchie g?ographique des sites de consommation
selon quatre facteurs, le niveau du d?veloppement ?conomique dans une r?gion,
la diffusion depuis l'ext?rieur, l'offre des marchandises, et les diff?rences r?gio
nales des attitudes devant la consommation. Elle renonce ? l'affirmation simple
d'une ? descente ? de la mode suivant la hi?rarchie sociale : ainsi les drapiers
et les marchands sont-ils de gros consommateurs que la gentry, en d?pit
plus
du plus grand prestige de cette derni?re. Et la pr?sence d'objets de luxe dans
ces milieux peu relev?s signifie nepas que ceux-ci ambitionnent de rivaliser
avec leurs sup?rieurs. Car le sens des objets est ? chercher dans la vie pratique
de la maisonn?e : il y a plusieurs consommations et plusieurs mondes de la
marchandise. Les marchandises sont appropri?es par chacun selon ses propres

besoins, sans entrer forc?ment dans la logique de l'?mulation :caf?, th?, chocolat
et sucre sont recherch?s pour des satisfactions imm?diates. D'ailleurs la d?non
ciation de l'?mulation peut ?tre un effet de la peur sociale des couches
quand il s'agit, par exemple, de s'impressionner soi-m?me et ses
privil?gi?es,
proches, de manifester son estime de soi.
Bref, la prise en compte des modalit?s vari?es, concr?tes, de la signification
de la consommation relativise des inventaires apr?s d?c?s :
subjective l'apport
pour qui cherche ? percer la signification des conduites, les pr?cisions qu'ils
sont autant d'illusions. Amanda Vickery ajoute que ce type de sources
permettent
ne dit rien de la diff?renciation sexuelle des significations d'un m?me objet
(?Women and the world of : a Lancashire consumer and herposses
goods
sions ?). De l? sa pr?f?rence pour une ?tude monographique, conduite ? la
mani?re des ethnologues. Il en r?sulte une vue
plus large de la consommation

que celle cantonn?e aux


biens de luxe acquis sur le march? : les biens
d'h?ritage,
les objets ? la maison, les ? talismans ? et autres souvenirs
fabriqu?s pieusement
conserv?s des hommes aim?s, les objets favoris de toute esp?ce, font partie de
la ? consommation ? f?minine. Celle-ci s'attache d'autant aux choses
plus petites
de faible valeur de l'espace domestique que les hommes monopolisent les achats
les plus importants, la possession de la terre, des outils, etc.

29. Loma Weatherill, Consumer Behaviour and Material Culture in Britain, 1660-1760, Londres
New York 1988, p. 26-7.
354 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Ceci d?bouche sur la question du ? consommateur ?, et de sa ?mentalit? ?

sp?cifique au xviif si?cle. T.H. Breen veut montrer ainsi le lien entre une
?conomie de la consommation anglo-am?ricaine en pleine et
expansion l'appa
rition d'id?ologies politiques :pour lui les significations des choses dans l'Am?
rique du xvi?f si?cle d?pendent d'un sens nouveau des droits individuels bas?s
sur un choix inform? (? The meanings of : the consumer
things interpreting
economy in the eighteenth century ?). Dans un article pr?c?dent, consacr? au
m?me il a soutenu ? les biens de consommation ont permis aux
probl?me, que
colonies une nation ? ? la suite de l'affaire de et du
d'imaginer quand, 1774,
refus des taxes, ? les consommatoires se transform?rent en
exp?riences priv?es
rituels publics ?30. Mais si boycotts, embargos et autres interventions sur la
consommation illustrent sans doute une politisation des marchandises au cours
du xviii6 si?cle, en revanche la marchandisation de la politique anachro
para?t
nique, que manifeste seulement Yamerican way of life de notre si?cle31. Bref, si
un r?ve de comme ou ?
consommation, imaginaire fantasme de pl?nitude le
cas ?
?ch?ant subversif est bien pr?sent ? l'?poque moderne, il s'av?re sans
grande cons?quence sur la pratique Est-ce ? dire que les
politique organis?e.
significations des marchandises sont tellement fluides et contextualis?es que
tout effort pour y reconna?tre les fondements d'une est
responsabilit? politique
vou? au faux-semblant, comme le dit J.Ch. ? C'est toute la question du
Agnew32
sens des consommations et de leurs est alors
justifications qui pos?e.
L'?tude des justifications de la consommation
capitale pour passer est
de la
consid?ration exclusive des contraintes
?conomiques et mat?rielles ? la dimen
?
sion morale de la consommation et par l? ? la notion reposant
d'h?g?monie
sur la (re)connaissance d'une des conduites33. Car pour veut
l?gitimit? qui
comprendre les significations qui nourrissent l'acte de consommer, il est capital
de savoir si les acteurs se tiennent ou non des ? consommateurs ?, s'ils
pour
l?gitiment ou non le principe de suivre la mode, et comment ils construisent
les motifs de leurs conduites34. Or si la r?flexion sur le luxe et la consommation
ostentatoire remonte pr?cis?ment au xviii6 si?cle, elle tient une place tout ? fait
mineure dans les d?bats sur la modernit? ; en particulier, elle n'entra?ne aucune
revendication particuli?re35. Le d?bat sur le luxe, de m?me, est un d?bat
conceptuel, qui ressortit ? la formation d'une pens?e s?cularis?e du progr?s,
sans chercher ? expliquer la dynamique d'un Au
d?veloppement. plus g?n?ral,
trois concepts permettent de rep?rer le champ d'une th?orie de la
sp?cifique
consommation que la modernit? n'a jamais construite. En premier lieu la qu?te
de gratifications imm?diates et tangibles qui rel?ve d'une indulgence coupable
pour ses d?sirs superficiels, et fait de condamnations r?it?r?es, ?
qui l'objet
l'?gal du sexe, au nom des principes. La recherche d'une identit? personnelle
ensuite, dans la pr?sentation de soi et le souci des apparences, tant?t par respect

30. ?Baubles of Britain, the american and consumer revolutions of the eighteenth century ?,
Past and present, n? 119, 1988, p. 73-104, ici p. 103.
31. Une ?tape interm?diaire pourrait ?tre celle de l'Angleterre victorienne :cf. Th. Richards, The
commodity culture of Victorian England, Advertising and spectacle 1851-1914, Stanford, Stanford U.P.
1990, et du m?me auteur The imperial archive. Knowledge and the fantasy of Empire, Londres-New
York, Verso, 1993.
32. Art. cit., p. 33.
33. Cf. notamment le bilan de T.J. Jackson Lears, ?The concept of cultural hegemony :problems
and possibilities ?, American Historical Review, 90, Juin 1985, p. 567-93. Et ceci mis ? part les
ouvrages sur la r?flexion men?e ? propos de la consommation, tel Rosalind H. Williams, Dream
Worlds :mass consumption in late nineteenth-century France, California University Press, 1982
34. Pour la p?riode contemporaine cf. D. Horowitz, The morality of spending : attitudes toward
the consumer society in America, 1875-1940, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986.
35. J. Appleby, ? Consumption in early modern thought ? dans Brewer et Porter, op. cit.
UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA CULTUREMAT?RIELLE ? 355

des conventions, tant?t par rebellion. Enfin la conqu?te d'une privacy, cet espace
de l'intimit? peu ? peu embelli par des produits nouveaux, un ameublement en

particulier.

Consommations et significations

Les historiens de la consommation sont ainsi confront?s aux m?mes para


doxes que leurs coll?gues historiens dela culture dans la d?cennie soixante-dix,
avec la question des d?finitions des cultures ? ? et ?litaire, et la notion
populaire
d'appropriation36. L'usage du terme de consommation va, du reste, jusqu'?
?voquer des sens : on de march? des id?es, de consommateurs de
figur?s parle
culture, de politique, etc., reprenant un vocabulaire courant, en
davantage
France, sous la plume de l'?cole marxiste ou de Pierre Bourdieu, mais utilis?
avec de toutes autres r?f?rences et L'article de
pr?occupations37. Jeremy
D. Popkin (? The business of political enlightenment in France, 1770-1800 ?) est
? commercialisation
? cet ?gard remarquable, qui se consacre sous le pr?texte de
de la politique ? ? l'?tude de la presse r?volutionnaire comme de la
prodrome
circulation de masse des p?riodiques et du triomphe de la d?mocratie. Il n'en
reste pas moins que de tels emprunts ? un vocabulaire exclusivement ?cono
mique sont peu interrog?s, alors qu'ils m?riteraient de l'?tre.
La valeur heuristique ou analytique de la ?
consommatique
?
pour l'historien
para?t assez faible en l'occurrence38. Certes, tenir le livre pour marchandise fait
reconna?tre son aspect mat?riel autant qu'intellectuel, mais on peut largement
pr?f?rer ce qu'un D.F. Mckenzie, par exemple, procure ? l'histoire ? partir d'une
anthropologie de la construction du sens39. Plus originale, la d?marche de
Simon Schaffer esquisse une sociologie de la m?diation ? travers un objet
technique marginal mais passionnant : les machines d'?lectricit? amusante pour
l'usage domestique ou leurs versions plus complexes destin?es aux spectacles de
d?monstrateurs (? The consuming flame : electrical
showmen and tory mystics
in the world of goods ?). Les entrepreneurs de ces divertissements ont besoin
d'appareils co?teux (et vite d?mod?s), ainsi que de savants modes d'emploi pour
les ph?nom?nes ainsi ? commercialis?s ?. Le lien si
reproduire physiques anglo
saxon du commerce, du didactisme ?difiant et du divertissement vaut ici
affirmation convaincante de la validit? de la consommatique dans l'historiogra
phie.
Qu'il s'agisse de consommation de la biblioth?que bleue ou du rousseauisme,
du linge ou de meubles, le danger est toujours identique de sombrer, selon le
cas, dans les facilit?s du populisme ou du mis?rabilisme40. ?cart?s ces premiers

p?rils, le point de vue de la consommation et du march? g?n?ralis?s risque de


faire imaginer des consommateurs maximisant rationnellement leur jouissance
par le recours ? de telles marchandises. La question culturelle se r?duirait alors
? celle des choix de consommation :une sociologie fonctionnaliste sugg?re qu'ils

36. Sur le legs de ce moment et les r?flexions pionni?res d'un Michel de Certeau, on trouve un
?tat et une bibliographie de la question dans Natalie Zemon Davis, ? Toward Mixtures and margins ?,
American Historical Review, d?cembre 1992, p. 1409-1416.
37. Agnew lui-m?me a montr? la voie, avec Worlds apart : the market and the theatre in anglo
american thought, 1550-1570, Londres 1986.
38. Le cas des ? consommations ? de savoirs via les livres ou l'?cole est
particuli?rement
r?v?lateur (John Money, ? in the market-place : the retailing of knowledge in provincial
Teaching
? ; Iaroslav Isaievych, ? The book trade in eastern Europe in
England during the eighteenth century
the seventeenth and early eighteenth century ?), dans Brewer et Porter, op. cit.
39. La bibliographie et la sociologie des textes, pr?face de Roger Chartier, Paris, Cercle de la
Librairie, 1991.
40. Voir le bilan de D. Miller :Acknowledging consumption, a review of new studies, Londres,
1995.
356 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

r?pondent aux besoins de de leurs acheteurs.


signification En d'autres termes,
l'offre de marchandises permet, dans
culturelles une situation donn?e, de
satisfaire chaque consommateur. Cette lecture ?vite, ?videmment, les notions de
? fausse ? et de ?
conscience ?, d'? ali?nation manipulation celles aussi d'auto
ou d'authenticit? ? au profit vue purement
nomie mais d'une utilitariste de la
consommation, qui ne consid?re que difficilement les dimensions de la jouis
?
sance des marchandises voire leur subversion. Car les marchandises d?fi
nissent des mod?les et des limites de consommation et d'appropriation de

significations, mais elles ont souvent un caract?re contradictoire, ? tout le moins

ambigu. Les r?flexions d?velopp?es par l'?cole de Francfort sur la complexit?


des produits culturels du xxe si?cle pourraient, dans la veine d'une interpr?tation
de la modernit? comme triomphe de la consommation, ?tre ici utilis?es, au
moins dans certains de leurs ?l?ments.

Vers une histoire culturelle des consommations ?

Le choix d'une histoire de la consommation a priori


s'av?re ?tranger ?
l'insistance des recherches culturelles contemporaines sur
la relativit? de nos
?monde ? : il
mod?les culturels et sur la diff?rence du que nous avons perdu
au contraire de proposer une gen?se de notre monde. C'est l? sugg?rer
s'agit
une alternative ? d'autres mod?les, tel celui de l'invention du march? con?u par
K. Polanyi sous le titre de ? Grande Transformation ?. Reste que le rapport de
l'?tat ? l'invention de la consommation, et le passage de 1'? ?conomie morale ?
de la mentalit? traditionnelle ? la consommation moderne demeurent des

questions ? ce jour peu fr?quent?es41. En tout cas, cette probl?matique risque


de dessiner une sorte d'innocence de la consommation moderne, ensuite d?gra
ou au ? un peu
d?e pervertie long de la p?riode contemporaine ? l'image des
avatars de la sph?re publique chez Habermas.
La th?se reprend ? son compte l'id?e d'un clivage franc entre soci?t?s
traditionnelles domin?es par l'?change et soci?t?s modernes gouvern?es par la
consommation marchande. Le crit?re essentiel de pertinence est ici l'opposition
entre marchandises consomm?es et objets ?chang?s ou donn?s. En d'autres
termes, la modernit? se joue sur la s?paration des objets et des personnes qui
les ?changent, d'apr?s la formulation classique du don chez Marcel Mauss42. Or
une s?rie de travaux ont insist? sur la permanence de l'?conomie du don dans
la vie sociale occidentale bien au-del? du xvffl6 si?cle. Surtout, un r?examen du
statut de la marchandise a ?t? r?cemment propos? par 1'? histoire sociale des
choses ? entendue comme histoire des milieux ? leur et r?v?l?s
employ?s usage
par leur jouissance43. La valeur prend alors son origine dans r?el ou
l'?change,
imaginaire : la situation de marchandise de la chose est un moment d'une
histoire de sa ? vie sociale ?, au cours de ? son
plus longue, laquelle ?changea
bilit? (pass?e, pr?sente ou future) quelque avec chose d'autre constitue son trait
socialement pertinent ?. Ceci peut se d?composer en ? 1) la phase marchandise
de la vie sociale de n'importe quelle chose, 2) la candidature ? la marchandise
de n'importe quelle chose, et 3) le contexte marchand dans lequel n'importe
quelle chose peut ?tre plac?e ?. En d'autres termes, les et les services
objets
peuvent ?tre repr?sent?s culturellement sous diverses formes, certaines mar

41. La fameuse th?se de E.P. Thompson sur le comportement des foules peut-elle conduire ?
?morale ?, c?dant la ? contemporaine ??
l'hypoth?se d'une consommation place ? une consommation
42. Point r?cent dans CA. Gregory, Gifts and commodities, Londres, Academic Press, 1982. Et
A. Weiner, ? Plus pr?cieux que l'or : relations et
?changes entre hommes et femmes dans les soci?t?s
d'Oc?anie ?, Annales E.S.C., 37, 1982, p. 222-245.
43. A. Appadurai ed., The social life of things. Commodities in a cultural perspective, Cambridge,
1986.
UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA CULTUREMAT?RIELLE ? 357

chandes et d'autres pas : l'?tat de marchandise est une cat?gorie, et plus


une transitoire. ? La transformation en mar
pr?cis?ment cat?gorie temporelle,
chandise r?side ? l'intersection complexe de facteurs
temporels, culturels et
sociaux ?44. Cette id?e que
objets les
passent par des statuts diff?rents d?cons
truit la notion d'identit?, voire d'essence des choses ? travers l'ad?quation de
leur forme et de leur ?tre. Elle insiste au contraire sur la permanente instabilit?
des ? travers leurs recontextualisations. La th?se consommatoire a ici
objets
pour avantage de d?stabiliser l'identit? des objets. Suffit-elle toutefois ? donner
une histoire de la constitution des objets culturels qui prendrait en compte les
autre modes comme les ambigu?t?s de la consommation elle
d'appropriation,
m?me ?
La consommation peut se concevoir comme un ?l?ment-clef de la nouvelle
histoire de la culture mat?rielle ; elle n'en est pas, cependant, l'?l?ment exclusif.
M?me s'il occupe une place chronologiquement centrale dans l'objet, la vie de
le de sa consommation pas ses virtualit?s historiques, que la
cycle n'?puise
conservation dans des collections, au mus?e ou ailleurs, ou bien encore son
inali?nabilit? ou morale peut maintenir hors march? mais au centre
juridique
de sociales et intellectuelles. Au cours des successions, plus largement,
pratiques
s'op?re la transmission de biens qui sont appropri?s sans faire l'objet d'?changes
de nature consommatoire, et dont la disparition provoquerait une frustration
bien sup?rieure ? leur valeur mat?rielle. Enfin l'asc?tisme, qu'il s'agisse du v u
de pauvret? ou de formes
la?ques d'?thique personnelle, s'oppose ? terme terme
? comme
? la consommation moderne et ? son syst?me de valeurs les formes
de la violence vandale ou iconoclaste. Au-del?, cependant, d'une recension des

aspects ? la consommatoire, ou pour lesquels celle


qui ?chappent th?matique
ci s'av?re inop?rante, ou mal adapt?e, l'essentiel est de s'interroger
inad?quate,
sur le statut de ce point de vue par rapport ? la recherche historienne. A
l'encontre de ceux qui pr?sentent la culture mat?rielle tant?t ind?pendamment
de son contexte tant?t comme le d?cor de la ? vraie ? histoire,
historique,
en termes consommatoires peut-elle contribuer ? une histoire de la
l'approche
cr?ation culturelle des objets ?

Dominique Poulot,
Universit? Fran?ois Rabelais, Tours.

44. A. Appadurai, ? Introduction : commodities and the politics of value ?, p. 15.

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