Civilisations 489
Civilisations 489
Civilisations 489
L’historiographie congolaise
Un essai de bilan
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/civilisations/489
DOI : 10.4000/civilisations.489
ISSN : 2032-0442
Éditeur
Institut de sociologie de l'Université Libre de Bruxelles
Édition imprimée
Date de publication : 1 avril 2006
Pagination : 237-254
ISBN : 2-87263-006-6
ISSN : 0009-8140
Référence électronique
Isidore Ndaywel è Nziem, « L’historiographie congolaise », Civilisations [En ligne], 54 | 2006, mis en
ligne le 01 avril 2009, consulté le 02 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/civilisations/489 ;
DOI : 10.4000/civilisations.489
Résumé : L’historiographie congolaise, dont l’essai de bilan est abordé ici, ne date pas
d’avant le début des années 1960, puisque la science historique est tard venue sur le terrain
africain, jugé déroutant jusque là en raison de l’absence quasi totale de documents écrits.
L’intérêt tardif porté à l’exploitation des sources non écrites a enfin rendu possible cette
démarche. Dès cette époque, l’historiographie congolaise et sur le Congo s’est distinguée
par son dynamisme, notamment à cause de la diversité des foyers où elle était pratiquée
du fait de l’essaimage des anciens chercheurs du Congo. Quant à la production historique
de ces quatre dernières décennies, elle demeure prometteuse, parce qu’elle aborde des
domaines divers, allant des essais méthodologiques et épistémologiques aux multiples
exploitations de sources orales et d’archives. Cependant ces nombreuses pistes auraient
pu davantage être approfondies si le dynamisme des années 1960 avait été confirmé
dans la suite. La léthargie, voire la régression, qui s’en est suivie, était liée à la gestion
calamiteuse de la postcolonie congolaise et aux crises chroniques de la coopération
belgo-congolaise. Pour que ces recherches reprennent de l’envol, l’établissement de
synergies scientifiques et techniques s’impose pour économiser les moyens et tirer profit
des regards croisés.
1. Le présent texte est une version remaniée de la conférence présentée par l’auteur à l’Université libre de
Bruxelles, le 15 décembre 2005, au vernissage de l’exposition, Théodore au Congo, en hommage à Jean
Stengers. Cet essai de bilan concerne donc, pour l’essentiel, la production belgo-congolaise.
2. Une étude récente d’Emmanuelle Sibeud (2002) rend compte de cette période pour l’ancienne Afrique
française.
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L’historiographie congolaise
3. Vol. I : Méthodologie et préhistoire africaine (direction : J. Ki-Zerbo); vol. II : Afrique ancienne (direction :
G. Mokhtar); vol. III : L’Afrique du VIIe au XIe siècle (direction : M. El Fasi, I. Hrbek); vol. IV : L’Afrique
du XIIe au XVIe siècle (direction : D. T. Niane); vol. V : L’Afrique du XVIe au XVIIIe siècle (direction :
B. A. Ogot); vol. VI : Le XIXe siècle jusque vers les années 1880 (direction : J. F. Ade Ajayi); vol. VII :
L’Afrique sous domination coloniale, 1880-1935 (direction : A. Adu Boahen); vol. VIII : L’Afrique depuis
1935 (direction : A. A. Mazrui, C. Wondji). L’édition principale existe en trois langues (anglais, français,
arabe). L’édition abrégée, qui existe en français et en anglais, connaît trois traductions en langues africaines
(hausa, swahili et fulfude).
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L’historiographie congolaise
5. Je me suis davantage expliqué ailleurs sur la formation des historiens au Zaïre/Congo (Ndaywel 1976,
1978 et 1998 : 11-17).
oublier Alexis Kagamé (histoire du Rwanda), Daniel Cahen et Pierre de Maret (histoire
archéologique).
Ce foyer, au départ prometteur, par son dynamisme et son enthousiasme reflété
entre autres par la création d’un centre de recherche, le CERDAC, Centre d’études et
de recherches documentaires sur l’Afrique centrale6, et d’une Société des historiens
congolais7, et par le soutien de la fondation Rockfeller qui accordait des bourses de
recherche sur terrain, a connu des difficultés croissantes liées au contexte politique, à la
crise des universités congolaises et à la suspension des programmes de coopération. A
tout prendre, cette crise de croissance, à la base de l’asphyxie du dynamisme local, s’est
avérée un mal nécessaire. Ce fut le prix à payer pour rendre possible l’émergence ou le
développement d’autres foyers. Jean-Luc Vellut, de retour en Belgique, eu l’opportunité
d’assurer le redémarrage de l’activité africaniste à Louvain-la-Neuve, notamment par la
création et l’animation de la revue Enquêtes et documents d’histoire africaine ; Bogumil
Jewsiewicki, pour sa part, assura une nouvelle implantation au sein de l’université Laval
de Québec et organisa dans ce cadre des formations doctorales de plusieurs historiens
congolais, rwandais et burundais. Quant à Elikia M’Bokolo, implanté à Paris au sein
de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, il prit en charge, au sein de cette
haute école comme sur les antennes de Radio France internationale, le rayonnement de
l’historiographie congolaise, tout en assurant la formation de quelques spécialistes8.
Au Congo même, la réforme universitaire de 1985 autorisant à nouveau l’ouverture de
la faculté des lettres à Kinshasa, rendit possible le dédoublement du département d’histoire,
situé auparavant sur le seul campus de Lubumbashi. Entre 1978 et 1986, une douzaine
de thèses de doctorat en histoire furent soutenues à Lubumbashi et le département eut le
temps nécessaire pour s’africaniser presque totalement, à la suite d’une succession de
thèses de doctorat (Ndua Solol Kanamumb 1978, Tshibangu Kabet 1980, Tshund’Olela
Epanya 1980, Mumbanza mwa Bawele 1981, Sabakinu Kivilu 1981, Bashizi Cirhagarhula
1982, Muya bia Lushiku 1982, Mashaury Kuletambite 1983, Makwanza Batumanisa
1984, Lwamba Bilonda 1986, Mugaruka bin Mubibi 1986 et Sikitele Gize 1986). Des
historiens congolais enseignent de nos jours l’histoire non seulement au Congo, mais
aussi en Europe, en Amérique du nord, voire en Amérique latine.
6. Le CERDAC édite la revue Likundoli, dotée de trois séries : Enquêtes d’histoire, Archives et documents,
Histoire et devenir.
7. La Société des historiens zaïrois, créée en 1974, est devenue la Société des historiens congolais.
8. Parmi les étudiants qu’il a conduits au doctorat, mentionnons entre autres Cyril Musila (1999).
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L’historiographie congolaise
9. Congo 1959 (dir. J. Gerard-Libois), Congo 1960, 2 vol. (dir. J. Gerard-Libois et B. Verhaegen), Congo
1961 (dir. B. Verhaegen), Congo 1962 (dir. J. Gerard-Libois et B. Verhaegen), Congo 1963 (dir. J. Beys,
P. H. Gendebien et B. Verhaegen), Congo 1964 (dir. J. Gerard-Libois et J. Van Lierde), Congo 1965 (dir.
J. Gerard-Libois et J. Van Lierde), Congo 1966 (dir. J. Gerard-Libois), Congo 1967 (dir. J. Gerard-Libois,
B. Verhaegen, J. Vansina et H. Weiss).
les Portugais, des rapports qui se sont étalés sur trois siècles, alors que l’expérience
actuelle de notre cheminement avec la Belgique, de la fondation de l’EIC à nos jours, ne
couvre pas encore deux siècles. Cette page spécifique de l’histoire des premiers siècles
« d’ouverture au monde » des peuples du Congo, négligée par l’histoire coloniale, risque
fort bien de sombrer dans l’oubli, puisqu’elle n’est revisitée que comme simple appendice
de l’histoire missionnaire, alors que celle-ci était porteuse d’informations inédites sur la
« vie quotidienne » en Afrique centrale, de la fin du 16e au 18e siècles.
Il y a donc là une histoire qui devrait être assumée, au moins dans sa triple dimension,
celle des institutions préexistantes, des premiers contacts avec les cosmogonies venues
du dehors, et celle du développement de la traite négrière, si peu étudiée dans sa partie
congolaise10. C’est donc une contribution majeure que de rendre disponibles, grâce à
la traduction et à l’établissement de l’édition critique, des textes anciens, pratiquement
inaccessibles aux africains eux-mêmes. Sur la lancée des travaux du chanoine Louis Jadin
(cf. e.a. Jadin et Dicorato 1974), Willy Bal réalisa la traduction française du texte de
Filippo Pigafetta (1591) ainsi que son édition critique (Pigafetta et Lopez 1965). En lui
emboîtant le pas, François Bontinck a excellé dans le domaine avec la traduction des
« relations » des capucins, Giovanni Francesca Romano (1648) et Luca da Caltanisetta
(1690-1701), ainsi que celle de Historia du reino du Congo, du jésuite Mateus Cardoso, et
de son catéchisme en kikongo (1624), le plus vieux texte de langue bantoue à notre portée
(Bontinck 1964, 1970, 1972 ; Bontinck et Ndembe 1978). Il assura aussi la traduction du
journal de Tippo Tip (Bontinck 1974).
Toujours dans le cadre des archives, l’autre embranchement, suivi notamment par Jean
Stengers, porta sur l’histoire coloniale (Stengers 1957, 1989). L’avantage d’avoir recours
à cette « source » est qu’à partir des documents externes, cette histoire nous éclaire sur
les origines de l’Etat congolais contemporain : particulièrement sur les méandres de
l’histoire léopoldienne et ceux de la gestion coloniale. On doit surtout à Stengers d’avoir
initié et réalisé l’importante collection des recueils d’études de l’ARSOM (1976, 1983,
1988, 1992) sur les temps forts de la période coloniale, de la conférence géographique de
Bruxelles de 1876 à l’indépendance (1960).
Une autre orientation, à partir de la documentation coloniale, est celle qui, combinée
avec les témoignages des acteurs de l’époque, porte sur l’histoire des mentalités,
particulièrement sur l’émergence des premières élites, que la démarche soit prise
globalement (Mutamba Makombo 1998, Tshimanga 2001) ou dans le cadre d’une
trajectoire familiale précise (Faïk-Nzuji 2005), dans un effort de prise en compte des
regards croisés. Cette histoire des mentalités est appréhendée aussi à partir de la presse
locale (Kalulambi Pongo 1997) ou même dans le dépouillement du corpus littéraire
colonial, qui comprend les écrits des colonisés comme ceux des coloniaux. Mukala
Kadima-Nzuji, Marc Quaghebeur et Pierre Halen se sont spécialisés dans ce genre de
démarche littéraire, productrice de matériaux pour l’histoire sociale et culturelle (Mukala
Kadima-Nzuji 1984, Pierre Halen 1993, Quaghebeur 1991).
Proche de l’histoire des mentalités, l’histoire politique, comme on devait s’y attendre,
occupe une place de choix dans le corpus congolais. A l’accumulation des travaux sur
10. Depuis D. Rinchon (1929), la traite des Congolais n’a à nouveau été abordée que dans ses contradictions
avec la christianisation par Kabolo Iko Kabwita (2004).
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L’historiographie congolaise
l’histoire politique coloniale et ceux, plus nombreux, sur la décolonisation, se sont ajoutés
des essais de parcours biographiques des principaux leaders de l’âge postcolonial –
Lumumba (Willame 1990, Omasambo et Verhaegen 1998 et 2005), Kasa-Vubu (Gillis
1964, M’Poyo Kasa-Vubu 1985), Mulele (Martens 1985 et N’Dom 1984), Tshombe
(Tshombe 1966), Mobutu (Monheim 1962, 1985 ; N’Gbanda 1998) et Kabila (Kennes
2003) –, ainsi que l’analyse de l’événementiel politique, particulièrement des grandes
« crises » des décennies de la décolonisation (1960-70) et de la « transition » (1990-
2000). De la sorte, à la série Congo du CRISP consacrée à la première période, a succédé
une autre collection, les Cahiers africains, animée par Gauthier de Villers11. On peut
regretter qu’à partir de cette multitude de monographies, il n’y ait pas eu davantage des
études plus approfondies sur l’évolution politique, du genre de celles de J. Vanderlinden
(1980) ou de C. Young et T. Turner (1985).
L’histoire de la population, de l’aube de la colonisation à nos jours, constitue l’une
des filières dans laquelle la jeune historiographie congolaise possède quelques palmes,
entre autres grâce aux travaux réalisés ou dirigés par Léon de Saint Moulin (1976,
1978, 1988, 1997) à la fois sur la cartographie congolaise, l’histoire administrative du
Congo et l’évolution conséquente de la population. Le Congo doit en effet à cet historien
l’établissement des projections sur la croissance de la population et la confection d’un
certain nombre d’atlas, notamment le récent atlas administratif qui sert d’outil de base de
l’organisation des élections en 2006 (de Saint Moulin 2005). A l’histoire de la population
se greffe celle des villes pour la quelle il existe une collection précieuse de mémoires
et thèses de doctorat réalisés au Congo sur les plus grandes agglomérations du pays.
Les études de démographie historique sont complétées par des approches sociologiques,
comme l’illustrent les récents ouvrages de Filip De Boeck et Marie-Françoise Plissart
(2005) et de Theodore Trefon (2004) sur la ville de Kinshasa, les travaux plus anciens de
Verhaegen sur la ville de Kisangani (1975, 1990) ou ceux, plus récents, sur Lubumbashi
(Dibwe 2001, Sizaire 2001 et 2002, Petit 2003 et 2004, Dibwe et Ngandu 2005, de Lame
et Dibwe 2005). L’histoire de l’architecture coloniale constitue un autre chantier ouvert
par Johan Lagae (2002) de l’Université de Gand qui a amorcé, par son étude, une autre
perspective de recherche sur les villes congolaises.
Passons à un autre registre, celui de l’histoire précoloniale du Congo. Elle n’en
est encore qu’à ses balbutiements. Elle aurait pu mieux se porter si Vansina avait pu
continuer à effectuer des enseignements au Congo ou même en Belgique. Dégoûté par les
événements du 4 juin 1971, où une manifestation estudiantine fut suivie d’une répression
violente et de la nationalisation de l’université, il décida, ainsi qu’il l’explique dans ses
mémoires, de ne plus mettre pied au Zaïre (Vansina 1994 :154). L’ethnicité congolaise
demeura une matière intéressant surtout des politologues, comme Crawford Young (1965,
1968), Samba Kaputo (1982) et Mulambu Mvuluya (1991) et, ne fut prise en charge que
de manière marginale par les historiens. Dans cet immense champ de recherche, ne se
sont signalées que quelques études, sous forme de dissertations doctorales dont certaines
sont inédites. Les plus importantes sont américaines. Il s’agit notamment des travaux de
11. Cahiers africains n° 27-28-29 (1997) (de Villers, G. et Omasombo, J., La transition manquée 1990-
1997); Cahiers africains n° 35-36 (1998) (de Villers, G. et Willame, J. C., République démocratique du
Congo; Chronique politique d’un l’entre-deux-guerres); Cahiers africains n° 47-48 (2000) (de Villers, G.,
République démocratique du Congo, guerre et politique. Les trente derniers mois de L. D. Kabila août
1998-janvier 2001).
Ndua Solol (1978), de Miller (1971) et de Hoover (1978) sur l’empire lunda ; ceux de
D. Newbury (1979), de C. Newbury (1988), de Bashizi (1982), de Mugaruka (1986) et
de Bishikwabo (1982) sur l’histoire ancienne du Kivu ; ceux de Mumbanza (1981), van
Leynseele (1979), Ngbapwa (1992), Keim (1979) et Harms (1978) sur l’Equateur et la
province Orientale ; ceux de Yogolelo (1997) et de N’sanda (2003) sur le Maniema ;
ceux de Pruitt (1973) et Yoder (1977) sur le Kasaï ; enfin, celui de Reefe (1975) sur le
Katanga.
A cause des exigences de ce genre d’étude, qui suppose la maîtrise de plusieurs
sciences auxiliaires, le Congo ancien, cet important domaine touchant à l’histoire des
commencements, fondement du Congo moderne et contemporain, risque de continuer
à faire figure de parent pauvre. Cette menace est plus que présente d’autant plus que
l’archéologie, cette technique de lecture des « archives du sol », semble condamnée
à la léthargie, bien que cette discipline des sciences historiques ait connu naguère des
réalisations prometteuses. Aux travaux des « anciens », comme Colette (Bequaert
1938), Nenquin (1963), Hiernaux et al. (1971) et Van Moorsel (1968), avaient, en effet,
succédé ceux d’une nouvelle génération, avec Van Noten (1968), Cahen (1975), de Maret
(1985), Muya (1987) et Kanimba (1986). Mais l’étendue du terrain pour cette poignée
de chercheurs, l’insécurité et le coût onéreux des recherches, alliés à l’absence de relève,
sont autant de raisons qui conduisent au pessimisme.
L’histoire de l’art a, par contre meilleure fortune. La génération « intermédiaire »,
celle du Frère Cornet (Cornet 1972, Cornet et al. 1989) et de François Neyt (1977, 1981),
qui a succédé à celle de Frans M. Olbrechts (1952) et Henri Lavachery (1954), a produit
à son tour celle de Belepe (1982), Nyangi (1998), et quelques autres. Leurs études portent
généralement sur les arts anciens, particulièrement sur la statuaire congolaise. Une autre
orientation se dessine avec Mabiala Mantuba-Ngoma (1989) de Kinshasa qui pousse la
curiosité historique jusqu’à s’intéresser aux produits d’artisanat et aux arts décoratifs,
pendant qu’à Louvain-la-Neuve, Clémentine Faïk-Nzuji (2000) continue à tenter de
déchiffrer les messages des signes décoratifs. Mais, fort curieusement, les arts modernes
n’attirent pas encore à suffisance les spécialistes de l’histoire de l’art. Même la chanson
congolaise qui aurait dû constituer le premier champ d’intérêt des spécialistes de l’art, n’a
toujours pas encore ses historiens.
Perspectives
L’exercice de bilan nous amène aussi à considérer l’avenir. Résumons d’abord
la situation présente en notant que l’historiographie congolaise a jusqu’ici ouvert de
nombreuses pistes, mais sans approfondir l’une d’elles. Parmi les raisons qui justifient
cette situation, figurent, d’une part la crise de la coopération belgo-congolaise ayant
conduit à l’effacement progressif des études africaines en Belgique, d’autre part, la
gestion désastreuse de la postcolonie congolaise.
Le grand élan du début des années 1960 n’a pu se confirmer dans la suite. Cette première
décennie de la décolonisation est, en effet, celle de la production des grands « classiques »
des études congolaises. C’est l’époque de la publication, comme on l’a déjà noté, des
volumes Congo du CRISP, celle aussi de la parution de l’Introduction à la politique
congolaise de Crawford Young, des Anciens royaumes de la savane et de l’Introduction
à l’ethnographie congolaise de Jan Vansina. Sur le plan économique, l’héritage éditorial
de cette décennie compte entre autres les études de Jean-Louis Lacroix (1967) sur
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L’historiographie congolaise
12. Sur les spécificités, africanistes et africaines, justifiant l’importance du regard croisé, prendre connaissance
des commentaires que j’ai faits sur les conditions de leur exercice (Ndaywel 1985 et 1998-1999).
L’histoire ancienne des populations congolaises mérite elle aussi une attention
particulière. Au moment où les conduites contemporaines se fondent ostensiblement
sur l’interprétation, souvent erronée, des faits anciens instrumentalisés pour servir de
prétextes ou d’alibis au présent, il est un devoir de mettre à la portée des générations
montantes au Congo l’éclairage qui fait défaut pour une intelligibilité correcte et juste de
ces faits du passé. L’investissement dans des problématiques militantes de préventions
de conflits, de bonne gouvernance ou de démocratie « inculturée » ne peut se passer d’un
tel apport. Enfin, les trajectoires du présent, dans leurs aspects politique, économique,
social et culturel, constituent un livre ouvert, dont il faut s’initier la lecture, pour la
bonne compréhension du passé, l’interprétation des faits du présent et la perception des
principales tendances du futur.
Toute l’histoire du Congo, des origines à nos jours, demeure donc d’actualité, au
niveau de la recherche historique. Les connaissances actuellement disponibles ont été
accumulées essentiellement à partir d’une démarche « par le haut », rapportant surtout
l’histoire des « grands hommes » et des « faits saillants » se déroulant dans la capitale.
L’histoire « d’en bas », celle du bas peuple reste à faire, de même que l’histoire des
différentes régions. Jusqu’à présent, les informations disponibles sur le Congo sont à la
fois discriminatoires et inégalement réparties sur le plan spatial. Si, sur le plan thématique,
l’histoire précoloniale est moins assumée que l’histoire coloniale et postcoloniale,
l’histoire du Congo septentrional l’est également par rapport à celle du Congo méridional.
L’enjeu consiste à considérer avec autant d’importance l’ensemble du Congo, afin que
les différentes données régionales puissent ensemble produire l’histoire « totale » de ce
pays.
Souhaitons que de nouvelles générations de chercheurs, d’ici et d’ailleurs, choisissent
de s’engager dans le domaine de la production des savoirs sur l’Afrique, pour enrichir notre
connaissance du monde et participer à la réhabilitation de ce continent, à son insertion
heureuse dans la mondialisation et à son développement au service de ses habitants.
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