Vivre Après Avoir Survécu

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Avant-propos

C
et ouvrage est un projet que je caresse depuis longtemps. Il y a
quelques années, j’ai fait part à mon éditrice de mon souhait
d’écrire un livre qui viendrait en aide aux victimes d’agression
sexuelle; un guide d’accompagnement pour mettre des mots sur leur vécu
douloureux. Il faut dire que cette clientèle a été la première à laquelle je me
suis intéressée durant mes études en sexologie. Pendant ma dernière année
de baccalauréat, j’ai choisi de faire mon stage d’un an dans un organisme
communautaire venant en aide aux femmes victimes d’agression sexuelle.
Les survivantes que j’ai rencontrées m’ont beaucoup touchée par leur
courage, leur détermination, mais aussi leur grande vulnérabilité. En
poursuivant mes études au niveau de la maîtrise, j’ai mis sur pied un projet
d’intervention auprès des hommes victimes d’abus sexuel pendant
l’enfance. Les recherches en parlaient peu et les services offerts au Québec
me semblaient quasi inexistants. Forte de mon intérêt pour les
problématiques de couple, j’ai donc animé des groupes d’intervention
s’adressant aux partenaires de ces hommes qui avaient été victimisés dans
le passé, ainsi que des groupes d’hommes victimes. Les hommes rencontrés
m’ont fait voir une autre facette de la victimisation. Leur souffrance
s’exprimait parfois avec encore plus de colère que celle des femmes, mais,
derrière ce bouclier qu’ils brandissaient en guise de protection, j’ai vu des
hommes blessés, meurtris à l’intérieur. Par la suite, voulant partager mes
connaissances, j’ai donné un cours de victimisation sexuelle aux étudiants
universitaires.
Dans ma pratique auprès des victimes d’agression sexuelle, plusieurs me
demandaient de leur recommander des lectures et je devais admettre qu’il y
en avait peu en langue française qui auraient pu les aider dans leur
cheminement. C’est ainsi que l’idée de ce livre a commencé à germer dans
mon esprit. Il s’adresse par conséquent aux personnes ayant vécu une
agression à caractère sexuel et désirant s’affranchir de ses séquelles. Dans le
milieu de l’intervention, on utilise d’ailleurs beaucoup le terme «survivant».
Bien que je comprenne qu’il réfère au fait de passer au travers d’une
épreuve douloureuse, il a toujours suscité un certain questionnement chez
moi. Survivre est-il suffisant? Il me semble que, dans la survie, il y a une
focalisation sur le fait d’être toujours en vie, et donc de mettre toute notre
énergie sur l’essentiel, le fait d’être toujours là. Lorsque je travaille avec des
personnes ayant été victimes d’agression sexuelle, je souhaite plus que cela
pour elles. Je les souhaite «vivantes» dans leur corps, dans leur tête et dans
leur cœur. Je tiens à ce qu’elles «vivent» à nouveau, en embrassant la vie à
bras ouverts. Bien sûr, tout cela est un processus long et difficile, mais je
dois dire que les nombreuses années passées à travailler auprès de cette
clientèle m’ont démontré que c’est possible. Je suis d’ailleurs toujours aussi
émue, après tant d’années, lorsque je termine un suivi avec un patient ayant
subi ce type de traumatisme. Je suis à même d’apprécier tout le chemin
parcouru et je peux alors lui dire en lui serrant la main pour la dernière fois:
«Bravo d’avoir décidé de vivre à nouveau!»

GENEVIÈVE PARENT,
sexologue et psychothérapeute
Introduction

L
es agressions sexuelles font beaucoup de victimes, trop de victimes.
Si vous tenez ce livre entre les mains, c’est que malheureusement
vous faites partie de ces personnes dont la vie a été chamboulée par
une agression sexuelle. La souffrance est grande et les séquelles qui en
découlent sont nombreuses, pour vous et probablement pour les personnes
qui vous entourent. Elles peuvent être de nature physique, psychologique,
émotionnelle, affective, sociale, relationnelle ou sexuelle.
J’ai écrit cet ouvrage en pensant à vous, à votre souffrance, mais aussi à
l’aide que je pouvais vous offrir. J’ai donc décidé de le diviser en chapitres
présentant les principales conséquences des agressions sexuelles. Chaque
chapitre comporte une description de la séquelle et des façons dont elle
s’exprime et se manifeste. Des exemples types et des questions parmi les
plus fréquentes vous permettront de vous y reconnaître.
Cependant, je n’ai pas voulu me borner à énumérer des séquelles. J’ai
voulu vous apporter du réconfort et du soutien pour vous aider à vous en
sortir. Le mot «victime» vous colle peut-être à la peau depuis fort
longtemps, mais je souhaite vous amener à voir que vous êtes beaucoup
plus que cela. Vous avez survécu à l’agression et vous pouvez maintenant
faire un pas de plus pour reprendre votre vie en main. C’est ainsi qu’à
chaque chapitre, vous trouverez une section appelée «Un pas en avant» qui
renferme des conseils plus spécifiques, des réflexions et des exercices.
Quant à la section «L’écriture qui guérit», elle vous invite à mettre sur
papier vos pensées et vos émotions, à faire des liens avec vos expériences
de vie et, surtout, à faire des prises de conscience qui vous propulseront
vers l’avant.
Je vous suggère de regrouper ces exercices d’écriture dans un cahier, que
vous consacrerez exclusivement à ce cheminement. Vous pourrez aussi
garder des pages pour écrire librement, ce que j’aime appeler «écrire pour
se dire». C’est comme un rendez-vous avec vous-même. Je vous conseille
même d’en faire un rendez-vous quotidien. Mais quoi écrire? Vous pouvez
commencer par simplement écrire ce qui vous passe par la tête, tous les
jours, pour vous décharger du quotidien. Une fois que vous en aurez pris
l’habitude, vous verrez comme c’est bénéfique. Cela vous permettra de
dégager de l’espace dans votre esprit afin de profiter pleinement de votre
journée.
Écrire vous donne la possibilité de vous connecter avec votre moi
profond. C’est un peu comme donner la parole à votre âme. Elle vous en
remerciera en étant plus légère. J’ai remarqué également, au fil des
thérapies avec des victimes d’agression sexuelle, que l’écriture permet
d’apprécier le chemin parcouru. En se relisant, ces personnes comprennent
l’ampleur de la démarche qu’elles ont entreprise et sont surprises, voire
heureuses, des changements qui se sont opérés en elles et autour d’elles.
Lorsque vous écrivez, assurez-vous de n’être dérangé par personne et,
surtout, prévoyez suffisamment de temps pour ne pas devoir interrompre
abruptement ce rendez-vous avec vous-même. Il est précieux.
Ce livre n’a pas besoin d’être lu d’une couverture à l’autre. Les chapitres
ont été écrits de manière indépendante, si bien que la lecture d’un chapitre
n’est pas forcément un préalable à la lecture du chapitre suivant. Sentez-
vous donc tout à fait libre de lire directement les chapitres qui vous
interpellent davantage, quitte à revenir aux autres ultérieurement.
Je souhaite que vous empruntiez le chemin du rétablissement à travers
cette lecture et qu’à la fin, vous ayez envie de vivre votre vie à part entière,
en sachant que vous avez d’abord été une victime, puis un survivant, pour
ensuite vivre davantage votre vie. Vous verrez que les agressions subies ont
été une partie de votre vie jusqu’ici, mais que l’avenir vous appartient. Je
souhaite de tout cœur que cet ouvrage puisse vous faire entrevoir cet avenir
sous un meilleur jour. Bonne lecture!
Chapitre 1
Sortir du passé pour enfin
vivre au présent

D
es souvenirs, on en a tous. Certains sont agréables; d’autres, moins.
De façon générale, on aime bien se rappeler nos bons souvenirs,
alors qu’on cherche à oublier ceux qui nous sont pénibles.
Plusieurs personnes avec lesquelles j’ai travaillé doivent composer avec les
souvenirs de l’agression sexuelle qu’elles ont subie, même si elles tentent
par tous les moyens de les oublier. Elles voient quelqu’un qui ressemble à
l’agresseur dans la rue ou elles font des cauchemars qui les amènent à faire
de l’insomnie. Ce sont des indices que le traumatisme est bien réel.

Un souvenir encore vif


Le souvenir d’une agression sexuelle varie d’une personne à l’autre.
Certaines se rappellent tout; d’autres, certaines parties uniquement. Ces
souvenirs sont douloureux et vous avez certainement peu de contrôle sur le
moment auquel ils refont surface. Ils peuvent être déclenchés par quelque
chose qui rappelle l’agression, mais aussi remonter tout simplement lorsque
votre esprit est libre.

Julien avait plusieurs souvenirs qui émergeaient lorsqu’il écoutait


distraitement la télévision le soir. Pendant la journée, il était si occupé
par son métier d’entrepreneur qu’il n’avait ni le temps ni l’espace mental
pour que ses souvenirs émergent.

Plusieurs victimes tentent ainsi de s’occuper l’esprit au maximum pour


éviter que les souvenirs remontent. Or, si vous essayez tout le temps de les
réprimer, ceux-ci risquent de s’entasser et de ressurgir au moment où vous
ne vous y attendrez pas, par exemple dans votre sommeil.
Plusieurs victimes ont de la difficulté à s’endormir, car elles pensent à ce
qui s’est produit, pleurent ou ragent.

Caroline avait commencé à prendre des somnifères, car elle mettait


beaucoup de temps à s’endormir et son sommeil était plutôt léger. Elle
sursautait au moindre bruit, comme lorsque le réfrigérateur se mettait en
marche ou encore lorsqu’un voisin de palier arrivait chez lui.

D’autres personnes, quand elles réussissent à s’endormir, font des


cauchemars au cours desquels elles affrontent leur agresseur ou, plus
subtilement, un monstre, un adversaire qu’elles ne connaissent pas. Ces
rêves peuvent être d’une violence inouïe et créer beaucoup de détresse. Les
gens qui les font se réveillent en sursaut et, bien souvent, en sueur. Il faut
cependant comprendre que les cauchemars, bien que désagréables, ont une
fonction. Ils sont un exutoire pour votre inconscient qui exprime ainsi toute
la souffrance de votre psychisme. C’est une forme de représentation de la
souffrance que vous avez intégrée en vous pendant l’agression sexuelle et
par la suite.
Durant la journée peuvent survenir des flashbacks. Ceux-ci sont des
souvenirs si réels qu’ils donnent l’impression que l’agression se passe ici et
maintenant. Cette impression est souvent suscitée par un des cinq sens.
Vous croisez un individu sur le trottoir et, en le regardant, vous voyez votre
agresseur. Quelqu’un parle et sa voix a les mêmes intonations que celle de
votre agresseur; ses paroles vous rappellent celles que vous avez entendues
au moment de l’agression. Vous sentez une odeur de transpiration et ça vous
fait penser à votre agresseur. Votre partenaire vous entoure la taille de ses
bras par-derrière et vous croyez reconnaître les bras de votre agresseur qui
vous agrippent. Vous avez un arrière-goût dans la bouche qui provoque un
haut-le-cœur semblable à celui que vous avez alors eu lors de l’agression.
Le sens qui est éveillé vous ramène, comme un tourbillon, dans le passé et
vous perdez momentanément contact avec la réalité.

Sophie détestait les journées chaudes. Les odeurs de vidange dans les
rues lui rappelaient la ruelle dans laquelle avait eu lieu l’agression
sexuelle qu’elle avait subie.

Lorsque ces souvenirs remontent, vous avez l’impression de perdre le


contrôle. C’est d’autant plus difficile si le contrôle est quelque chose
d’important pour vous. Les émotions qui vous submergent ressemblent
beaucoup à celles que vous ressentiez lors de l’agression sexuelle: peur,
impuissance, tristesse, dégoût, colère, etc. Les flashbacks sont une des
séquelles les plus répandues à la suite de l’agression sexuelle.
Les flashbacks sont bien désagréables et il vous est certainement arrivé
d’éviter ce qui les déclenche: les personnes, les lieux, les contextes, les
objets, bref, tout ce qui vous rappelle l’agression sexuelle. Cet évitement
peut, à court terme, vous sembler la meilleure solution et, pourtant, il vous
amène à vous isoler de plus en plus. Certes, je ne suis pas en train de vous
suggérer de continuer à voir l’agresseur! Je crois qu’il y a certaines
personnes ou certains contextes qu’il vaut mieux éviter afin de vous
protéger, mais qu’un évitement trop fréquent ou qui s’élargit à trop de
personnes ou de contextes est à reconsidérer. Car, au bout du compte, c’est
vous qui devenez isolé et non votre agresseur.

Le poids de l’oubli
Comme il n’est pas facile de vivre avec ses souvenirs, il est possible que
vous en ayez oublié une partie. Ce n’est pas un choix, mais plutôt un
mécanisme de protection. Il aurait été trop douloureux pour vous de vous
rappeler les détails de ce que vous avez vécu et les souffrances qui y sont
rattachées. Avoir réprimé ainsi vos souvenirs, de manière inconsciente, sans
en avoir fait délibérément le choix, vous permet de mieux vivre au
quotidien, sans être en contact avec une trop grande souffrance. Par contre,
ce n’est pas parce que les souvenirs sont réprimés qu’ils n’ont pas d’impact
sur votre vie. Votre inconscient, lui, se souvient… Les souvenirs enfouis
vous reviendront habituellement par bribes, et souvent à cause d’un élément
déclencheur. Ils referont surface quand vous serez prêt à y faire face.

Joanie consultait un psychothérapeute depuis un bon moment déjà au


sujet de ces rêves répétitifs où elle se faisait agresser sexuellement, sans
jamais voir le visage de son agresseur. Il devenait de plus en plus clair
pour elle qu’elle était très jeune au moment des agressions et elle
appréhendait de connaître l’identité de son agresseur. Puis, au moment
où elle s’y attendait le moins, c’est le visage de son père qui s’est imposé.
Elle lui a demandé des explications et il a reconnu sa culpabilité. Joanie
n’était pas soulagée, mais son cheminement personnel était bien avancé.

Je pensais me faire hypnotiser pour retrouver tous mes souvenirs


d’agression sexuelle. Qu’en pensez-vous?

Beaucoup de victimes se posent cette question. Elles sont curieuses de


savoir, mais elles ont peur en même temps de ce qu’elles pourraient
découvrir. Certaines souhaitent surtout se rassurer et avoir des réponses à
leurs questions. Elles croient qu’elles se sentiraient mieux si elles savaient
plutôt que de rester dans l’ignorance. En fait, si vous ne vous rappelez pas
tout, c’est que votre cerveau vous protège d’une réalité à laquelle vous
n’êtes pas prêt à faire face, qu’il s’agisse de l’identité de votre agresseur,
des gestes posés, de l’âge que vous aviez, du contexte de l’agression
sexuelle, des autres personnes qui pourraient savoir, etc. En faisant une
psychothérapie, vous ferez face à votre rythme à vos souvenirs et aux
souffrances qui y sont associées. Il n’est pas rare que des souvenirs fassent
surface pendant une psychothérapie, car la personne est alors mieux
préparée à les affronter. Se faire hypnotiser dans le seul but de retrouver des
souvenirs enfouis pourrait être très déstabilisant. N’oubliez pas que votre
cerveau a agi de la sorte pour vous protéger et, là, vous cherchez à enlever
cette barrière de protection sans y être préparé. Soyez patient avec vous-
même et rappelez-vous que ne pas vous souvenir de tout n’entrave pas votre
guérison. Si vous souhaitez quand même avoir recours à l’hypnose,
choisissez un professionnel apte à faire de la psychothérapie et spécialisé en
victimologie, afin qu’il puisse vous accompagner dans un travail
thérapeutique des souvenirs qui auront émergé.

Même si plusieurs aimeraient se rappeler, d’autres font plutôt le choix


d’oublier. Si c’est votre cas, il est fort probable que l’agression sexuelle
devenait si lourde à porter que vous avez préféré la mettre de côté plutôt
que l’affronter. Il existe plusieurs façons de chercher à oublier. Quand vous
vous investissez à fond dans quelque chose au détriment du reste de votre
vie, cela peut être une façon d’oublier. Quand vous vous investissez à fond
dans une relation au point de vous mettre de côté, c’est une façon de vous
oublier. Quand vous minimisez les gestes sexuels qu’on a commis envers
vous, c’est votre souffrance que vous minimisez. Quand vous consommez
de la drogue, c’est une façon de «geler» vos pensées et vos émotions. Mais,
vous le savez avec l’expérience, elles finissent toujours par «dégeler».
Peu importe les efforts que vous faites pour oublier, l’effet n’est que
temporaire. À court terme, cela peut sembler une bonne stratégie, car, en
n’étant pas en contact avec vos souvenirs, ni, par conséquent, avec les
pensées et les émotions qui y sont rattachées, vous fonctionnez beaucoup
mieux au quotidien. Aux yeux des autres, vous pourriez même avoir l’air
heureux. Mais cette façade est pénible à maintenir et quand vous vous
retrouvez seul, vous souffrez encore davantage. En fait, plus vous cherchez
à fuir vos pensées, plus elles s’incrustent en vous et plus nombreux sont les
flashbacks et les cauchemars.
Même si c’est difficile, la bonne stratégie, à plus long terme, est
l’acceptation. Vous devez accepter que vous avez subi une agression
sexuelle, reconnaître que vous avez été une victime, mais tout en affirmant
qu’aujourd’hui vous n’en êtes plus une. Vous avez survécu, certes, mais
maintenant vous choisissez de vivre. Ce livre vous aidera à vivre plutôt qu’à
survivre; je le souhaite.

Un pas en avant
Briser l’isolement
Si vous avez tendance à éviter certaines personnes ou situations qui peuvent
faire ressurgir des flashbacks de l’agression, il est important de ne pas
tomber dans le piège de l’isolement. Pour déterminer si l’évitement auquel
vous recourez sert à vous protéger ou vous amène à vous isoler, pensez au
nombre d’occasions que vous refusez. Si vous en refusez davantage que
vous n’en acceptez, il est fort probable que vous vous isoliez. Une première
étape pourrait consister à vous créer d’autres activités sociales que celles
que vous cherchez à fuir. Déjà, vous seriez moins isolé, car vous
compenseriez par de nouvelles activités celles que vous évitez. Choisissez
d’abord des personnes ou des contextes qui ne vous paraissent aucunement
menaçants. Puis, au fur et à mesure que vous prenez confiance en vous
socialement, réexaminez toutes les situations que vous évitez. Parmi celles-
ci, y en aurait-il que vous pourriez accepter? Allez-y tout en douceur et si
vous ne vous sentez pas bien, renoncez pour un moment. À chacun son
rythme et il est important que vous vous respectiez.

Affronter les flashbacks


Connaissez-vous l’adage: «Ce que tu fuis te poursuit; ce à quoi tu fais face
s’efface»? Pour vos souvenirs, c’est exactement ce qui se passe. Même s’il
est épuisant de vivre ces flashbacks, sachez que vous n’êtes pas seul à en
avoir. C’est un des symptômes majeurs du stress post-traumatique dont
beaucoup de victimes d’agression sexuelle souffrent.
Lorsque les souvenirs remontent, il est important de vous rappeler que ce
ne sont que des souvenirs, que ce n’est pas en train d’arriver maintenant.
Regardez autour de vous afin de bien vous situer dans le temps. Le lieu, les
personnes qui vous entourent vous aideront à réaliser que vous n’êtes pas au
moment de l’agression sexuelle. C’est la peur d’être agressé à nouveau qui
parle. Ayez pour vous-même un discours rassurant: «Tu es en sécurité à
présent. Je prends soin de toi.» Si vous êtes seul, vous pouvez toucher un
objet dans la pièce qui est significatif pour vous ou encore un bijou que
vous portez, boire un verre d’eau, bouger les extrémités. Vous pouvez aussi
vous parler dans un miroir, à défaut de pouvoir parler à quelqu’un. Prenez le
temps de vous rassurer, de vous rappeler que vous êtes en sécurité. Si vous
êtes avec des personnes de confiance, et que vous vous sentez prêt à vous
confier, parlez-leur. Elles peuvent être d’une aide précieuse. N’oubliez pas
que votre agresseur vous a conditionné à garder le secret, mais que cela ne
vous a pas aidé à vous en sortir. La parole, elle, est libératrice. J’ai animé à
plusieurs reprises des groupes d’entraide pour victimes d’agression
sexuelle, hommes et femmes. J’ai alors constaté le bien-être que leur
procurait le fait de s’exprimer, d’être entendu, mais aussi d’écouter les
autres. Les groupes d’entraide peuvent avoir un impact positif sur le stress
post-traumatique. Je vous recommande d’adhérer à un de ces groupes.

Désamorcer les cauchemars


Le stress post-traumatique comporte aussi des cauchemars. Pour vous
libérer à court terme de ces derniers, essayez d’imaginer une fin heureuse
alors que vous êtes éveillé. Prenez un rêve récurrent que vous avez et
pensez-y, revoyez le scénario dans votre tête, puis imaginez une fin où vous
arrivez à vous libérer de l’emprise de la personne qui veut vous agresser, où
vous arrivez à fuir, etc. Lorsque vous vous réveillez d’un cauchemar, en
sueur par exemple, prenez le temps de vous lever, de prendre un verre
d’eau, de regarder autour de vous pour reprendre contact avec la réalité,
avec l’endroit sécuritaire où vous vous trouvez actuellement. Cela vous
aidera à ne pas retourner dans les mêmes cauchemars une fois rendormi.
Imaginer une fin heureuse à vos cauchemars est utile, mais rappelez-vous
que les cauchemars le sont également: ils servent à libérer votre inconscient
de ses souffrances. Aussi, je vous suggère tout de même d’entreprendre une
psychothérapie de l’inconscient où vous travaillerez sur les souffrances
exprimées dans vos cauchemars afin qu’elles soient entendues. Lorsqu’on
aborde les rêves en psychothérapie, avec le temps, il n’est pas rare que la
victime prenne un rôle plus actif et combatif dans ses cauchemars en
dénonçant l’agresseur, en s’y opposant ou encore en l’attaquant. Vous
prenez alors conscience que le traumatisme n’est plus ce qu’il était. Vous
faites plus que survivre, vous voulez vivre.

Réduire son stress


J’ai mentionné plus haut que les souvenirs peuvent faire surface lorsque
votre esprit n’est pas occupé, d’où la tendance à l’occuper le plus possible.
Par contre, en période de stress, plusieurs personnes voient les flashbacks et
les souvenirs augmenter. Il serait donc important de prévoir tous les jours
une courte période de relaxation, de méditation ou de visualisation.

Exercice de relaxation
Le but de la relaxation est de vous détendre et de vous départir de votre
stress. Voici deux exercices de relaxation que vous pouvez essayer. La
respiration abdominale consiste à retrouver une respiration calme et
profonde, car le stress perturbe votre respiration, ce qui amène une
mauvaise circulation dans votre corps et augmente la tension.
En position assise, placez une main sur votre abdomen et une autre sur
votre thorax, et respirez comme d’habitude. Vous constaterez que la
respiration se fait dans votre thorax plutôt que dans votre abdomen, alors
que ça devrait être le contraire. Assurez-vous d’inspirer par le nez et
d’expirer par la bouche, en étant conscient que la respiration se fait dans
l’abdomen. Prenez une inspiration par le nez et comptez jusqu’à trois, puis
expirez par la bouche en relâchant votre abdomen et en comptant jusqu’à
cinq. Vous évacuez le stress à chaque expiration. Recommencez quatre fois.
La relaxation musculaire progressive de Jacobson est probablement la
plus connue. Elle peut vous mener au sommeil si vous êtes en position
allongée, même si ce n’est pas forcément le but. Donc, si vous faites cet
exercice pendant la journée, je vous suggère de rester en position assise.
Cette méthode de relaxation consiste à contracter différents muscles en
douceur, sans douleur, pendant cinq à sept secondes. Pour chaque partie du
corps, après avoir maintenu la contraction, il est important de bien sentir la
tension que vous relâchez. Voici la marche à suivre:

• Pour débuter, prenez trois profondes respirations en inspirant par le nez


et en expirant par la bouche. Veillez à ce que ce soit votre abdomen qui
se gonfle, lors des inspirations, et non votre thorax.
• Serrez le poing de cinq à sept secondes; relâchez.
• Tendez ensuite vos bras; restez ainsi de cinq à sept secondes; libérez la
tension.
• Levez les sourcils de cinq à sept secondes; relâchez.
• Fermez les yeux et contractez-les de cinq à sept secondes; détendez-les.
• Serrez la mâchoire de cinq à sept secondes; laissez-la aller.
• Fermez la bouche en pressant vos lèvres l’une contre l’autre de cinq à
sept secondes; relâchez.
• Inclinez la tête vers l’arrière jusqu’à ressentir une petite tension;
maintenez cette position de cinq à sept secondes; ramenez la tête à sa
position initiale. Inclinez-la ensuite vers l’avant en appuyant le menton
contre la poitrine; gardez cette position de cinq à sept secondes; ramenez
la tête à sa position initiale.
• Haussez les épaules de cinq à sept secondes; relâchez. Reculez vos
épaules vers l’arrière en essayant de faire toucher vos omoplates; gardez
cette position de cinq à sept secondes; relâchez.
• Contractez les muscles du ventre de cinq à sept secondes; relâchez.
• Arquez le dos de cinq à sept secondes; reprenez votre position initiale.
• Contractez les muscles fessiers de cinq à sept secondes; détendez-les.
• Contractez les muscles des cuisses de cinq à sept secondes; relâchez.
• Pointez vos orteils vers le haut de façon à sentir la tension dans les
mollets; restez ainsi de cinq à sept secondes; reposez les pieds à plat.
Pointez vos pieds vers le bas; comptez de cinq à sept secondes; reposez
les pieds à plat.

Cette relaxation peut vous prendre environ 20 minutes, mais elle apporte
de grands bénéfices et pas seulement sur le moment.

Exercice de méditation
La méditation a pour but de vous aider à vous recentrer sur vous-même,
loin des préoccupations extérieures. Elle développe votre attention et votre
concentration. Il existe plusieurs techniques, mais la plus simple, pour
débuter, est celle qui est axée sur la respiration.
Installez-vous confortablement en position assise, fermez les yeux et
respirez comme d’habitude.

• Observez votre respiration. Par où passe-t-elle? À quel rythme? Est-elle


coupée ou continue? Si elle bloque, à quel endroit le fait-elle?
• Si votre attention se détourne ou si votre esprit erre, recentrez-vous sur
votre respiration.

Deux ou trois minutes suffisent.


Une autre forme de méditation consiste à vous concentrer sur une phrase
qui vous apaise et vous réconforte. Idéalement, vous devez la pratiquer dans
un endroit confortable, loin des distractions extérieures et lorsque votre
esprit est calme. Vous pouvez choisir une phrase qui vous parle, formulée
de façon positive, et vous concentrer dessus. Par exemple: «Je choisis de
vivre pleinement et de faire confiance.» Cette phrase, vous pouvez d’abord
la voir dans votre tête, comme si vous l’écriviez à la main. Pensez à une
feuille de papier et aux lettres apparaissant au fur et à mesure qu’elles sont
écrites. Pour que vous vous sentiez davantage concerné, je vous suggère
d’imaginer qu’il s’agit de votre écriture. Finalement, afin de vous aider à
mieux intégrer la phrase choisie dans votre esprit, vous pouvez l’écrire à la
main et la coller dans un endroit, chez vous, où vous la verrez souvent: sur
le miroir de votre chambre, sur celui de la salle de bain, sur une porte
d’armoire ou sur celle du frigo… L’important est que vous puissiez voir
cette phrase fréquemment. N’oubliez pas de prendre quand même deux à
trois minutes par jour pour faire l’exercice de méditation, en position assise,
loin des distractions.

Exercice de visualisation
Dans la visualisation, vous vous représentez une situation ou un objet
positif pour vous et susceptible de vous apporter du bien-être. L’objet que
vous imaginez pourrait être le soleil, dont vous sentez la chaleur et qui vous
enveloppe de sa lumière. La situation doit se dérouler dans un endroit où
vous aimeriez être et qui vous apaise. Prenez le temps de le voir dans votre
tête, de sentir sa température, etc. Par exemple, vous vous imaginez sur une
plage, seul, les pieds dans le sable, vous sentez l’odeur de la mer, vous
entendez les vagues, vous êtes bien.
Que vous choisissiez la relaxation, la méditation ou la visualisation, il
existe des méthodes reconnues que vous pouvez utiliser. Vous pouvez aussi
tout simplement créer la vôtre à partir des exemples donnés. Tout ce qui
compte, c’est que cela vous convienne et que vous y croyiez.
Les méthodes de relaxation, de méditation ou de visualisation vous
stressent? D’autres moyens, plus concrets, peuvent également vous être
bénéfiques. Prenez le temps de faire une liste de choses qui vous détendent
et vous calment. Voici tout de même quelques idées si vous êtes en panne
d’inspiration: écouter de la musique relaxante, faire du dessin ou du
scrapbooking, marcher dans un endroit paisible, faire une randonnée de ski,
de raquette ou de vélo, s’étendre sur une chaise longue, prendre un long
bain, lire un bon livre, faire des mots croisés, etc. Ces petits plus peuvent
être planifiés comme n’importe quelle autre chose. Après tout, prendre soin
de soi devrait toujours être une priorité!
L’écriture qui guérit
Si vous souhaitez mieux comprendre vos rêves, prenez l’habitude,
chaque matin, de vous poser cette question: «À quoi ai-je rêvé?» Écrivez la
date, puis tout ce qui vous vient à l’esprit. Il se peut que ce ne soit pas très
cohérent, mais ce n’est pas grave. Au fur et à mesure que vous écrirez,
d’autres détails vont vous revenir. Si vous ne vous souvenez que du début
du rêve, vous pouvez vous-même vous poser des questions pour favoriser
l’émergence du souvenir.

Évelyne se souvient d’avoir rêvé qu’elle marchait dans une forêt, rien
d’autre. Elle pourrait se poser les questions suivantes: Quelle saison
était-ce? Quel moment de la journée était-ce? Est-ce que je connais ou
non cette forêt? De quel type de forêt s’agissait-il? Cette forêt me
semblait-elle plutôt menaçante ou apaisante? Y étais-je seule? Qu’y
faisais-je? Qu’y ai-je vu? Comment me sentais-je? Comment mon rêve se
terminait-il?

Écrire vos rêves vous amène à passer de l’inconscient au conscient. Vous


remarquerez vous-même des répétitions dans vos rêves. Vous comprendrez
beaucoup de choses et vous apprendrez à avoir de moins en moins peur
durant vos cauchemars. Vos rêves pourraient même se préciser et, petit à
petit, être moins envahissants. Vous pourrez surmonter le sentiment
d’impuissance qui vous assaille et reprendre peu à peu le contrôle de vos
nuits, bénéficiant ainsi d’un sommeil plus réparateur. Si vous souhaitez aller
plus loin, vous pouvez entreprendre une thérapie basée sur le travail de
l’inconscient avec un thérapeute d’approche analytique.
Que ce soient les cauchemars ou les flashbacks, ces souvenirs
traumatiques ne sont pas faciles à vivre et, pourtant, ils permettent à votre
corps d’expulser les traumatismes qu’il porte. Au lieu de tenter de les
ignorer, il faut y être attentif, car ils sont l’une des clés pour vous mener sur
la voie du rétablissement.
Chapitre 2
Reprendre du pouvoir sur sa vie

L
’agression sexuelle est un geste de domination. Une personne exerce
son pouvoir sur une autre à travers la sexualité, mais souvent aussi à
travers un regard, des paroles, des attitudes, parfois en faisant des
menaces de représailles ou en ayant recours à la violence physique. Il en
découle de la peur et un sentiment d’impuissance. Retrouver le sentiment de
pouvoir sur soi, sur son corps et sur sa vie est une étape importante pour se
sentir à nouveau pleinement vivant.

L’impuissance qui paralyse


Lors de l’agression sexuelle, vous vous êtes peut-être dit: «Mais comment
en suis-je arrivé là?» Vous ne saviez pas comment cela avait commencé ni
pourquoi, et encore moins comment vous en sortir. Peut-être avez-vous
tenté d’échapper à la situation en disant non, en vous débattant, en tentant
de raisonner l’agresseur, en en parlant à une personne en qui vous aviez
confiance, mais ça n’a pas marché. Vous avez dès lors compris qu’il était
inutile de vous battre. De là est né le sentiment d’impuissance. Pour
plusieurs victimes, ce sentiment d’impuissance s’est généralisé à d’autres
sphères de leur vie, et s’est perpétué dans le temps. C’est devenu ce qu’on
appelle le «syndrome de l’impuissance acquise». Vous partez avec la
croyance que même si vous demandez, vous défendez, vous affirmez ou
vous battez, vous allez perdre, alors à quoi bon?

J’aurais pu m’enfuir, mais je ne l’ai pas fait. Je n’ai pas dit


«non» clairement. Donc, mon agresseur a peut-être cru que
j’étais consentante.
Plusieurs victimes ne comprennent pas qu’elles soient demeurées là pendant
l’agression sexuelle ou encore qu’aucun son n’ait pu sortir de leur bouche.
Ce n’est pas que vous étiez consentante; c’est que vous avez compris que
cela ne servirait à rien, que même si vous vous sauviez, il vous rattraperait.
Vous avez eu peur des représailles – par exemple de le voir s’en prendre, un
jour, à quelqu’un que vous aimiez –, car il vous avait menacée de le faire.
Vous n’avez pas parlé, car même si vous aviez dit non, il aurait continué. Il
y avait quelque chose dans son attitude, dans son regard, dans ses gestes qui
vous a fait comprendre qu’il irait jusqu’au bout. Vous l’avez laissé faire
pour que ça finisse au plus vite. Le sentiment d’impuissance, c’est
exactement cela. En plus de l’impuissance ressentie, bien des gens – dont
l’agresseur – vous feront culpabiliser en insinuant que vous ne vous êtes pas
défendue. Mais vous défendre contre qui? Un adulte, alors que vous n’étiez
qu’une enfant? Quelqu’un que vous aimiez, en qui vous aviez confiance et
qui, pensiez-vous, n’aurait jamais pu vous faire du mal? L’impuissance,
vous l’avez ressentie et, en elle-même, elle a contribué au traumatisme de
l’agression sexuelle.

La perte de pouvoir sur sa vie


Perdre le sentiment d’emprise sur sa vie ou encore ne l’avoir jamais eu
affecte bien des comportements et des attitudes dans la vie d’une personne.
Certains se sentent incapables d’agir, comme au moment de l’agression. Ils
se retrouvent dans des situations désagréables sans être capables d’y mettre
un terme. Ayant de la difficulté à passer à l’action, ils ne saisissent pas les
occasions qui se présentent, ce qui les maintient dans des situations qui,
sans être désavantageuses, peuvent se révéler nettement moins intéressantes
que s’ils avaient agi.

Thierry travaillait dans une grande entreprise depuis 15 ans. Loyal,


dévoué et serviable, il était apprécié par ses collègues et ses employeurs.
Il connaissait bien son travail, mais pouvait aussi aisément remplacer un
collègue en vacances, car il connaissait assez bien les tâches des autres.
Cependant, il ne se présentait jamais aux concours parce qu’il lui était
difficile de passer à l’action. À un moment donné, son patron immédiat
l’a encouragé à postuler pour un poste de chef d’équipe. Thierry n’était
pas capable de choisir entre ces deux possibilités: garder son travail ou
poser sa candidature à un poste avec plus de responsabilités, mais aussi
avec plus d’avantages sociaux et de possibilités d’avancement. Il est donc
resté là où il était.

La difficulté à choisir découle du sentiment d’impuissance, car, pour


pouvoir choisir, encore faut-il considérer que vous avez le choix et que vous
méritez mieux. Or, votre agresseur vous a fait comprendre que vos besoins
et vos désirs n’étaient pas importants. Il vous faut par conséquent tout un
apprentissage, aujourd’hui, pour arriver à considérer que vous êtes
quelqu’un d’important qui mérite d’avoir le sentiment de contrôler sa vie.
En tant que victime, vous n’avez pas eu la place nécessaire pour vivre vos
émotions; vous avez souvent dû les garder à l’intérieur de vous. Il n’est
donc pas facile de les reconnaître à présent. Il en va de même pour vos
limites: elles n’ont pas été respectées. L’ultime limite, votre corps, ayant été
transgressée, vous devez aller puiser loin à l’intérieur de vous pour cerner
vos limites et ensuite les affirmer. Bref, l’impuissance ressentie lors de
l’agression vous a donné un sentiment de perte de pouvoir plus général sur
votre vie, mais aussi dans vos relations. La bonne nouvelle est que ce
pouvoir peut se regagner. Vous trouverez des exercices plus loin dans ce
chapitre pour y arriver.

La perte de pouvoir dans ses relations


L’impuissance éprouvée au moment de l’agression sexuelle se répercute
également dans les relations. La victime peut avoir de la difficulté à
s’exprimer et à s’affirmer. Quand elle a essayé de le faire, l’agresseur, la
plupart du temps, ne l’a pas écoutée. La victime peut alors se demander: «À
quoi bon s’affirmer si ça n’a servi à rien?»
Les relations que vous entretenez, en tant qu’ex-victime, ont pu se bâtir
sur votre manque d’affirmation, et les gens peuvent, même
involontairement, vous imposer leurs façons de voir et de faire. Il vous est
peut-être difficile de vous distancier de leurs propos pour trouver vos
propres ressources. Vous pouvez aussi avoir du mal à mettre des limites
dans vos relations par peur d’être rejeté. Personne n’aime être rejeté, bien
entendu. Cependant, si les gens vous rejettent parce que vous vous affirmez,
c’est qu’ils ne vous aiment pas tel que vous êtes. Ils aiment l’image qu’ils
ont de vous. Évidemment, s’affirmer sans agresser est primordial. Il n’est
pas toujours aisé, pour l’ex-victime, de trouver le juste milieu, car la colère
et l’impuissance ressenties peuvent parfois rejaillir avec agressivité, sans
crier gare. Dans ce cas, si vous reconnaissez avoir dépassé les limites, il est
toujours possible de présenter vos excuses. Par contre, j’ai vu beaucoup de
victimes qui passaient leur temps à s’excuser. C’était comme si elles
disaient aux autres: «Excusez-moi d’exister.» Nous avons tous le droit
d’exister. Chacun est responsable de sa vie. Vous ne devez pas vous sentir
obligé de satisfaire les désirs et les besoins des autres. Occupez-vous plutôt
de vos propres désirs et besoins, et laissez les autres faire de même. Bien
sûr, si vous vous mettez en quatre pour les autres, vous allez recevoir
beaucoup de remerciements et de compliments. mais que vous reste-t-il par
la suite? Les gens apprécieront votre geste sur le coup, mais ils passeront
rapidement à autre chose. Avoir le contrôle dans ses relations, c’est aussi
s’assurer que les gens ne profitent pas de votre bonne volonté et de votre
désir d’être aimé.
De même, bien que votre entourage vous demande fréquemment de
l’aide, vous hésitez peut-être à en demander pour vous-même quand vous
en avez besoin. Lors d’une agression sexuelle, la victime demande bien
souvent de l’aide, mais celle-ci vient rarement. Alors, peut-être pensez-
vous: «Pourquoi demander de l’aide puisque personne ne m’en a donné
autrefois?» Demander de l’aide n’est pas une faiblesse; c’est tout le
contraire de l’impuissance. Cela signifie plutôt que vous faites ce qu’il faut
pour régler un problème. En outre, cela vous permet de constater que vous
n’êtes pas seul et que votre entourage peut vous tendre la main. Apprenez à
accepter ces mains tendues lorsqu’elles se présentent et, surtout, ne vous
préoccupez pas de ce qui pourrait vous être demandé en échange.
S’entraider entre personnes de confiance, cela fait également partie de la
vie!

Le contrôle pour contrer l’impuissance


L’impuissance est un état désagréable à vivre. Pour y remédier,
consciemment ou non, vous pouvez basculer dans le contrôle, puisque ne
pas avoir de contrôle amène une vulnérabilité, le risque d’être blessé. Pour
vous, ne pas avoir le contrôle signifie peut-être le céder aux autres ou,
encore, vous laisser submerger par les émotions et les événements. Dans
certaines situations, vous avez probablement déjà senti que vous n’aviez pas
le pouvoir de changer le cours des choses. Cela vous a déstabilisé et vous
vous êtes dit qu’on ne vous y reprendrait plus. Alors, vous planifiez votre
vie dans le moindre détail et, si un imprévu survient, vous ressentez de la
frustration et tentez de contrôler davantage. Pourquoi les événements ont-ils
une telle emprise sur vous? Parce qu’il vous est difficile de lâcher prise. Les
exercices que vous trouverez à la fin du chapitre vous guideront vers une
plus grande paix intérieure en vous libérant de l’insécurité qui est à la base
du contrôle. En effet, les personnes les plus contrôlantes sont souvent les
plus anxieuses. Le contrôle a un effet rassurant dans leur vie. Le sentiment
d’apaisement qu’elles ressentent lorsque les choses se déroulent exactement
comme prévu les amène à répéter ce comportement et à en faire une
habitude.

Avoir le contrôle de soi


Pour certaines victimes, ce n’est pas tant de contrôler l’environnement, les
événements ou même les autres qui importe. Ce qui compte, c’est d’avoir le
contrôle de soi. Elles n’aiment pas être submergées par leurs émotions. Les
émotions, quand elles font surface, peuvent leur rappeler l’intensité de la
détresse ressentie lors de l’agression sexuelle.

Nathalie a beaucoup de difficulté à gérer sa colère. Quand elle se croit


victime d’une injustice, cela la ramène directement aux attouchements
que lui faisait son beau-père, car, selon lui, la mère de Nathalie refusait,
depuis un certain temps, tout contact sexuel. «Pourquoi est-ce à moi de
payer pour ça?» Maintenant, quand Nathalie sent à nouveau qu’elle doit
subir une situation parce que «c’est comme ça» ou parce qu’un autre ne
veut pas ou ne peut pas faire quelque chose, elle devient hors d’elle. Elle
a donc cherché à acquérir une parfaite maîtrise d’elle-même. Quand ça
lui arrive, elle prend de bonnes respirations, elle imagine que la tête de
l’autre est sur le point d’exploser et elle va faire un tour à la salle de
bain. Ce que les gens ignorent, c’est qu’elle traîne toujours dans son sac
à main un petit flacon d’alcool. Nathalie prend alors deux bonnes
gorgées et retourne comme si de rien n’était vers les autres. Plusieurs
admirent son sang-froid. S’ils savaient…

Bien des victimes utilisent la drogue ou l’alcool pour «geler» leurs


émotions et, ainsi, pouvoir fonctionner normalement dans un contexte
social ou professionnel. Elles ont de cette façon l’impression de maîtriser la
situation, jusqu’au jour où la consommation devient si importante qu’elles
en perdent le contrôle et tombent dans la dépendance. Pour que la
consommation devienne inquiétante, il ne faut pas se fier uniquement à la
quantité d’alcool ou de drogue consommée, mais surtout à la difficulté de
s’en passer. Je me rappelle Ron, dans un groupe d’hommes victimes d’abus
sexuel durant l’enfance. Une des règles du groupe était de ne pas boire
d’alcool les soirs de thérapie, donc un soir par semaine pendant 10
semaines. À la première rencontre, Ron nous a confié qu’il buvait deux
verres de vin à chaque souper. Lorsqu’on lui a dit qu’il devrait s’abstenir les
soirs de thérapie, il a répété plusieurs fois que sa consommation d’alcool ne
changeait rien, qu’il n’avait pas de problème. Alors, s’il n’avait pas de
problème, pourquoi insistait-il autant? Son attitude en elle-même était très
révélatrice. Il n’a pas mis longtemps, après le début de la thérapie de
groupe, à reconnaître qu’il avait un problème de dépendance.
Par conséquent, il n’est pas souhaitable de contrôler ou de gérer ses
émotions. Il faut plutôt être à leur écoute et non les faire taire, les
apprivoiser pour mieux les canaliser. Les émotions ont toujours leur place.
Rappelez-vous que vos émotions sont exprimées par votre «enfant
intérieur». Que vous ayez été agressé sexuellement durant l’enfance ou à
l’âge adulte, c’est la partie «enfant» qui a été blessée, celle qui est naïve,
qui fait confiance, qui prend la vie comme elle vient. Bref, celle qui aime la
vie et en profite autant qu’elle peut. Cet enfant intérieur, l’agresseur l’a fait
taire; ne le faites pas taire, vous aussi.

Contrôler les autres


Une autre façon de reprendre du pouvoir est de chercher à contrôler les
autres. Ce faisant, vous tentez de vous défaire du traumatisme vécu. Vous
n’êtes plus la personne contrôlée; vous devenez celle qui exerce le contrôle.
C’est ce qu’on appelle transformer le trauma en triomphe. Pour contrôler
les autres, vous utilisez certaines stratégies. En voici quelques-unes: leur
cacher des informations les concernant, les rendre dépendants de vous, les
culpabiliser, les menacer, leur mentir, manifester de la colère ou de
l’agressivité pour les faire agir comme vous le souhaiteriez, utiliser la
séduction et la sexualité pour les amadouer et, finalement, jouer à la
victime. Toutes ces façons de faire créent des relations basées sur la
manipulation, ce qui fausse vos relations. Les gens ont de la difficulté à être
en relation avec vous, car ils sentent qu’ils ne peuvent vous faire confiance.
Le plus inquiétant est que vous risquez d’attirer des personnes qui vous
manipuleront à leur tour. Vous vous sentirez alors à nouveau victime et cela
vous maintiendra dans le cercle vicieux de l’impuissance et du contrôle.
Vos relations avec les autres, ce sont aussi vos relations avec l’autorité.
Beaucoup de victimes ont de la difficulté à accepter celle-ci, car elle leur
rappelle l’agresseur qui a utilisé son autorité pour prendre avantage sur
elles. L’autorité par le rôle qu’il avait dans leur vie, l’autorité par l’âge, la
stature, le statut socioéconomique, etc. Défier l’autorité est donc une autre
façon, pour les victimes, de transformer le trauma en triomphe. Enfreindre
les règles devient une manière de faire un pied de nez à l’autorité sociale.
Ces personnes doivent absolument être accompagnées afin de trouver des
moyens sains de reprendre leur place sans pour autant prendre celle des
autres ou encore enfreindre les règles, car elles pourraient aller au-devant de
graves ennuis, comme avoir un casier judiciaire. Contrôler les autres peut
par conséquent apporter un sentiment de pouvoir qui pallie celui
d’impuissance que la victime a ressenti. Mais, en même temps, la victime se
rend compte qu’avoir du contrôle sur les autres est fatigant à la longue, car
il lui faut toujours être aux aguets pour s’assurer qu’ils font ce qu’elle
attend d’eux. S’ils ne le font pas, elle peut alors avoir recours aux stratégies
de manipulation mentionnées plus haut. Il serait tellement plus simple
d’accepter les gens comme ils sont et de faire sa place autrement. Mais,
pour une victime, cet apprentissage ne se fait pas facilement.

Un pas en avant
Apprendre à mieux se protéger
Saviez-vous qu’une personne ayant subi une agression sexuelle durant
l’enfance courrait deux ou trois fois plus de risques d’être de nouveau
agressée à l’âge adulte? La raison en est qu’une agression sexuelle rend la
victime vulnérable. C’est pour cela qu’il vous faut prendre la décision de
vous en sortir. Victime un jour ne signifie pas victime toujours. Le
sentiment d’impuissance est votre pire ennemi. Plus vous aurez
l’impression de n’avoir aucun pouvoir sur votre vie, plus vous courrez le
risque de vous retrouver dans des contextes ou avec des personnes qui
pourraient vous nuire. Pour éviter de redevenir une victime, il vous faut
premièrement reconnaître l’agression sexuelle que vous avez subie. Si vous
la niez, vous risquez de revivre la même chose. Deuxièmement, vous devez
développer une bonne estime de vous-même et vous affirmer dans vos
rapports avec les autres (voir le chapitre 7). Troisièmement, il vous faut
admettre que vous avez du pouvoir et que vous pouvez l’exercer. Vous
devez apprendre à prendre les bonnes décisions pour vous-même et écouter
la petite voix à l’intérieur de vous ou, encore, être à l’affût des signaux
d’alarme que vous voyez et ressentez. Quatrièmement, il est important de
sortir de votre isolement. Finalement, pourquoi ne pas prendre des cours
d’autodéfense? Sans devenir un champion des arts martiaux, vous en saurez
suffisamment pour vous défendre et cela vous donnera confiance. N’oubliez
pas cependant que la plupart des agressions sont commises par des gens
qu’on connaît. Par conséquent, soyez vigilant dans le choix de vos
fréquentations. Vous n’êtes jamais responsable des agressions sexuelles
commises à votre endroit, mais vous pouvez utiliser les quelques conseils
donnés plus haut pour vous protéger.

Passer à l’action et… lâcher prise


Même si toutes les victimes veulent faire des changements dans leur vie, il
peut être difficile de vous mobiliser, de passer à l’action, car vous faites
face à l’inconnu. Il vous faut commencer par accepter que vous avez été
une victime et qu’on a abusé de vous sexuellement, physiquement,
psychologiquement, émotionnellement et moralement. Vous n’avez eu
aucun contrôle sur ce qui s’est passé, mais vous en avez aujourd’hui sur
votre guérison. Une fois que vous aurez accepté ce qui vous est arrivé, vous
ne chercherez plus à le nier ou à le combattre. Vous saurez que ça fait partie
de votre vécu. Rappelez-vous que l’impuissance que vous ressentez vient de
l’agression que vous avez subie. Depuis, vous avez développé des forces et
vous avez mobilisé des ressources tant en vous qu’autour de vous. Vous
n’êtes plus la victime que vous avez été; cela, il est impératif d’en prendre
conscience. Il faut vous voir comme un agent de changement et ne pas
attendre que les autres fassent les changements qui vous seront bénéfiques.
Repérez les situations de votre vie où vous ressentez de l’impuissance.
Posez-vous les questions suivantes: Qu’est-ce qui m’appartient dans cette
situation? Qu’est-ce qui ne m’appartient pas? Qu’est-ce que je peux faire
pour arranger les choses et qu’est-ce qui est en mon pouvoir?
Ensuite, il faut lâcher prise sur la situation et avoir confiance. Lâcher prise
ne vous ramènera pas à votre sentiment d’impuissance. Cela vous incitera
plutôt à accomplir les bonnes actions et à prendre votre juste part de
responsabilités dans une situation, sans en faire reposer tout le poids sur vos
épaules.

Jacinthe éprouve une attirance pour Martin, le frère d’une de ses amies.
Elle l’a rencontré à deux reprises et aimerait vraiment sortir en tête à tête
avec lui. Ce qui appartient à Jacinthe dans cette situation, c’est ce
qu’elle ressent pour Martin et sa volonté de le lui faire savoir. Ce qui ne
lui appartient pas, c’est ce que Martin pense d’elle et ressent pour elle.
Elle n’a non plus aucun pouvoir sur la situation amoureuse de Martin ou
son désir de s’engager dans une relation. Elle peut seulement faire
comprendre à Martin qu’elle aimerait mieux le connaître. Il reste à
déterminer comment elle peut s’y prendre: soit en abordant directement
Martin ou, si elle est timide, en passant par sa sœur. Ensuite, il lui faudra
lâcher prise par rapport à la réponse de Martin. S’il ne se montre pas
disponible ou intéressé, cela n’enlève rien à Jacinthe. Peut-être ne
souhaite-t-il tout simplement pas avoir une relation amoureuse ou
connaître Jacinthe davantage. On ne peut plaire à tout le monde. Si
Jacinthe accepte de lâcher prise après avoir manifesté ses intentions à
Martin, il est possible que les choses évoluent dans le temps et – qui sait?
– il pourrait vouloir la présenter à un de ses amis célibataires.
La vie nous réserve parfois de belles surprises si on veut bien être attentif.
Pensez au dicton qui dit: «Quand une porte se ferme, ailleurs s’ouvre une
fenêtre.» Les choses n’arrivent pas toujours comme on le souhaiterait et,
quelquefois, elles s’arrangent encore mieux que ce qu’on aurait imaginé.
C’est ça, lâcher prise!

Oser des changements concrets


Vous avez bien saisi l’importance de ne pas rester dans le sentiment
d’impuissance, mais de vous mobiliser. Maintenant, par où commencer?
Tout d’abord, asseyez-vous et réfléchissez aux choses que vous aimeriez
changer. Demandez-vous ensuite pourquoi vous voulez faire ces
changements. Prenez le temps de reformuler chacun des changements de
façon positive, concrète et réalisable. Prenons un exemple. Vous aimeriez
perdre du poids pour les raisons suivantes: vous êtes régulièrement
essoufflé, vous ne pouvez pas jouer avec vos enfants autant que vous
aimeriez, vous ne vous trouvez pas beau lorsque vous vous regardez dans le
miroir et vous aimeriez être plus en forme physiquement. Si nous
reformulions ces changements de manière positive, nous pourrions dire:
être davantage en forme physiquement, être plus alerte avec les enfants et
aimer davantage votre reflet dans le miroir.
Trouvez ensuite deux moyens de réaliser chacun de ces changements
positifs. Par exemple, pour être plus en forme physiquement, vous pourriez
décider de marcher davantage en vous fixant des objectifs réalistes en
fonction de votre rythme de vie. Allez-y progressivement. Si vous en faites
trop, trop vite, vous risquez de vous décourager. Pour ce qui est d’être plus
alerte physiquement avec vos enfants, commencez par un jeu facile, comme
un jeu de ballon, et donnez-vous un laps de temps, disons 15 minutes. Si
vous voyez que ça va bien, vous pourrez en ajouter par tranche de cinq
minutes. Finalement, si vous n’aimez pas votre reflet dans le miroir, il n’y a
pas que votre poids à considérer. Peut-être que vos vêtements ne vous
mettent pas en valeur. Même avec un budget limité, on peut trouver de
beaux vêtements d’occasion. Soyez créatif dans vos solutions! L’important
est que vous agissiez, une étape à la fois.
L’écriture qui guérit
Pour ce chapitre, je vous propose trois exercices.

• Pour vous sentir plus fort, prenez le temps d’énumérer par écrit les
forces que vous possédez et celles que vous aimeriez avoir. Il peut s’agir
de qualités, de compétences ou de talents. Choisissez une force parmi
celles que vous aimeriez avoir et donnez-vous deux moyens concrets de
la développer. Quand elle sera bien là, vous pourrez en choisir une autre
et refaire le même processus.
• Lorsqu’une difficulté se présente, votre réaction spontanée pourrait être
de baisser les bras. Demandez-vous plutôt: «Et si j’avais une baguette
magique?» Faites la liste des moyens, même farfelus, dont vous
disposeriez alors pour résoudre votre problème. Certains en inspireront
d’autres. Puis demandez-vous s’il y en a un qu’il vous est possible
d’utiliser. Concentrez-vous sur les moyens que vous prendrez. Tentez le
coup et faites le point par la suite pour voir ce qui a marché et ce qui a
moins bien marché.
• Le dernier exercice s’adresse aux personnes qui se sentent suffisamment
fortes intérieurement pour le faire. Vous pourriez y revenir plus tard si
vous le souhaitez, après avoir lu quelques chapitres. Je vous propose
d’écrire le scénario d’une agression sexuelle que vous avez vécue. Vous
la racontez telle qu’elle s’est déroulée, sans rien enlever ni ajouter. Puis
vous réécrivez le scénario mais, cette fois, en ajoutant un personnage:
vous, tel que vous êtes aujourd’hui. Vous imaginez que vous vous
sauvez vous-même. Vous écrivez ce que vous diriez et feriez pour
protéger cette victime que vous avez été. Si vous étiez enfant lors de
l’agression, c’est vous en tant qu’adulte qui venez à son secours
aujourd’hui. Si vous étiez adulte, imaginez que c’est cet «autre vous»
qui s’interpose entre l’agresseur et la personne que vous étiez alors. Cet
exercice n’est certes pas facile, mais il vous permettra de vous sentir en
pleine possession de vos moyens.

Rappelez-vous en terminant que vous avez aujourd’hui entre vos mains le


plein pouvoir de rendre votre vie plus agréable. Cela, personne ne peut vous
l’enlever. C’est votre droit et votre liberté.
Chapitre 3
S’affranchir de la culpabilité

L
a culpabilité est probablement un des sentiments les plus forts chez
une victime d’agression sexuelle. Pourtant, cette culpabilité devrait
être entièrement portée par l’agresseur. Or, comme celui-ci a
tendance à rejeter la faute sur la victime et que l’entourage ainsi que la
société contribuent malheureusement parfois à nourrir ce sentiment,
certaines victimes portent longtemps le poids de cette culpabilité.

La victime adulte, la coupable


Dans la plupart des crimes, le coupable est celui qui commet l’acte, mais
lorsqu’il s’agit d’une agression sexuelle, la victime est souvent culpabilisée.
Si vous étiez adulte quand vous avez été agressé, vous aviez peut-être
entendu, auparavant, beaucoup (trop) d’idées reçues qui ont résonné dans
votre tête lorsque l’agression est survenue. Comment était-elle habillée?
Quelle était son attitude? L’a-t-elle provoqué? Avait-elle bu ou consommé
de la drogue? Était-elle seule? Était-ce le soir? Toutes ces questions posées
par des proches, des thérapeutes ou même par le public dans les cas
d’agression sexuelle médiatisés peuvent générer un fort sentiment de
culpabilité.

Émilie, 25 ans, étudiante en marketing, se souvient de son agression


comme si c’était hier. Elle était sortie dans un bar avec des amies pour
fêter un peu la fin de la session. Elles avaient parlé avec des garçons, et
Émilie avait flirté avec l’un d’eux, mais sans plus. À la fin de la soirée,
alors qu’elle s’apprêtait à prendre un taxi, le garçon en question lui a
proposé de la raccompagner chez elle. Elle a trouvé délicat ce geste de sa
part. Comment aurait-elle pu prévoir qu’il la violerait dans son auto? Et
pourtant… Lorsque Émilie leur a raconté ce qui s’était passé, ses amies
lui ont dit qu’elles la croyaient intéressée par le garçon et que, par
conséquent, il ne pouvait pas y avoir eu d’agression sexuelle. Ses parents
l’ont blâmée d’être montée seule en auto avec un étranger. L’agresseur
lui a déclaré qu’elle n’avait pas résisté avec beaucoup de vigueur et que,
si elle avait dit non plusieurs fois, c’était seulement parce qu’elle voulait
garder son image de bonne fille. Même l’intervenante l’a avertie que ce
serait sa parole contre celle de son agresseur, que ses amies pourraient
témoigner qu’elle avait flirté avec lui dans le bar, que le barman pourrait
raconter qu’elle avait bu et semblait bien s’amuser avec lui. Émilie était
découragée. Elle n’a jamais porté plainte car, au final, elle sentait qu’aux
yeux de tous, elle était la coupable.

Ces idées reçues font mal, car elles peuvent s’incruster dans votre esprit.
Mais mettons les choses au clair. En vous habillant de telle façon ce jour-là,
vous ne souhaitiez pas avoir une relation sexuelle avec n’importe qui. Votre
gentillesse n’était pas non plus une invitation dans ce sens. Que vous ayez
accepté de suivre votre agresseur dans un endroit isolé ne signifie pas non
plus que vous désiriez partager un moment d’intimité avec lui. L’heure
tardive à laquelle vous l’avez croisé ne lui donnait pas la permission de
profiter de votre vulnérabilité. N’oubliez pas que l’agresseur est un fin
manipulateur. Il utilise ces croyances pour vous culpabiliser et, par le fait
même, se déculpabiliser. Au fond de lui-même, il sait ce qu’est une
agression sexuelle. Toutefois, comme il ne peut admettre qu’il est un
agresseur sexuel, il cherchera, forcément, à vous convaincre que vous étiez
consentante ou que vous l’avez cherché. En essayant de vous convaincre,
c’est lui-même qu’il veut convaincre.

La victime enfant, la coupable


Il n’y a pas que les adultes qui ressentent de la culpabilité. L’enfant agressé
sexuellement se sent aussi bien souvent coupable. À ses yeux, il devient
responsable des gestes commis par l’adulte, ce qui l’amène à garder le
silence. Il a honte. L’agresseur sait qu’il n’est pas censé faire de telles
choses. Il se sent mal, il ne veut pas être jugé par son entourage, alors il
culpabilise l’enfant. Ainsi, à force d’entendre votre agresseur affirmer que
c’était votre faute, vous l’avez peut-être cru. Il s’est peut-être défendu en
disant que vous aviez accepté les caresses qu’il vous avait faites, que vous
saviez bien que tous les cadeaux qu’il vous donnait ou les sorties auxquelles
il vous invitait avaient un «prix», que vous étiez curieux et intéressé par ce
qu’il vous proposait. Ces attitudes d’enfant sont tout à fait normales et ne
signifient pas que vous étiez consentant. Un enfant ne peut consentir à une
sexualité impliquant un adulte; la loi est claire là-dessus. Tout simplement
parce qu’il n’a pas la maturité pour comprendre la portée de ce qui se passe.
Les adultes qui profitent de la naïveté et de la vulnérabilité de l’enfant ne
sont ni plus ni moins que des voleurs d’enfance. À ce titre, c’est à eux de se
sentir coupables et non à l’enfant. Certains hommes profitent du fait que le
père est absent de la vie de l’enfant pour jouer un rôle de figure paternelle.
L’enfant est heureux de pouvoir compter sur la présence d’un homme qui
lui enseigne plein de choses, qui fait une foule d’activités avec lui, mais, de
toute évidence, dans sa tête, la sexualité n’en fait pas partie. Une figure
paternelle digne de ce nom n’abuse pas sexuellement d’un enfant. Une
figure paternelle protège son petit des vautours et lui apprend à se protéger
et à se défendre. Elle n’est pas le loup dans la bergerie.
Une autre raison peut expliquer la culpabilité ressentie: dans la majorité
des agressions sexuelles impliquant un enfant, la violence physique n’est
pas utilisée. L’enfant a donc l’impression qu’il aurait pu mettre un terme
aux agressions sexuelles. L’agresseur favorise plutôt le secret partagé, la
connivence avec l’enfant. Celui-ci se sent du coup important, car il possède
lui aussi un secret, mais il s’agit d’un secret bien lourd à porter. S’il a envie
d’en parler, il craint les conséquences négatives pour sa famille et
l’agresseur sexuel, car, ne l’oublions pas, la plupart des enfants connaissent
leur agresseur et ils l’aiment. C’est de cette relation de confiance que
l’agresseur sexuel profite. Il mise également sur les cadeaux et les
récompenses. L’enfant se sent alors honteux de dévoiler les agressions
sexuelles, car il a accepté des cadeaux, ce qui, à ses yeux, signifie qu’il était
consentant, même si ce n’était pas le cas. Plusieurs enfants qui sont agressés
sexuellement étaient au préalable des enfants vulnérables que l’agresseur
sexuel a su repérer. Les cadeaux en argent, en jouets ou même en activités
pouvaient être ardemment désirés par l’enfant, d’où son sentiment de
culpabilité.
Une fois adulte, la personne qui a été agressée quand elle était enfant a
généralement un discours culpabilisant: «Mais je recherchais de l’attention,
de l’affection.» «Sexuellement, j’ai eu des sensations, donc j’ai dû aimer
ça.» «J’aurais dû me défendre, j’étais un gars quand même!» Pour l’enfant
que vous étiez, dénoncer les agressions sexuelles que vous subissiez était
très difficile. Vous aviez probablement peur de ne pas être cru, car c’est bien
souvent la parole de l’enfant contre celle de l’adulte et beaucoup de gens
ont tendance à croire davantage l’adulte. Même si on croit l’enfant, il n’est
pas rare qu’il soit tout de même tenu pour responsable des abus sexuels,
même par sa famille. Les personnes de l’entourage ont du mal à concevoir
que quelqu’un qu’elles aiment et en qui elles ont confiance ait pu
commettre des gestes pareils. Devant l’invraisemblance de la situation, elles
prennent parfois la défense de l’adulte accusé, ce qui ne fait qu’augmenter
le sentiment de culpabilité chez l’enfant.

Stéphane consulte à 35 ans. Il a été agressé sexuellement par son oncle


de l’âge de 8 à 12 ans. Son oncle était marié et père de trois enfants.
Encore aujourd’hui, Stéphane est blâmé par les siens. Il est homosexuel
et les membres de sa famille lui répètent constamment qu’il est
responsable des relations sexuelles qu’il a eues avec son oncle (voyez ici
qu’ils n’utilisent pas le mot «agressions»), que c’est lui qui a séduit son
oncle, puisqu’il est homosexuel et que son oncle est un père de famille
hétérosexuel. Stéphane culpabilise beaucoup et se déprécie sans cesse.

Dans le meilleur des scénarios, l’enfant est cru et des démarches sont
entreprises pour le protéger. La famille peut éclater et l’enfant s’en sent
responsable. Il faut alors lui faire comprendre que ce n’est pas parce qu’il a
parlé que la famille a éclaté, mais bien à cause des gestes commis par
l’agresseur sexuel. Bien entendu, ce dernier essaiera de rendre l’enfant
responsable des conséquences légales et sociales qu’il subira. Pour toutes
ces raisons, il est aisé de comprendre pourquoi, enfant, vous avez peut-être
choisi de garder le silence.

La culpabilité destructrice
Toute cette culpabilité portée pendant des années a peut-être eu des
conséquences dévastatrices dans votre vie. Elle vous a certainement amené
à vous dévaloriser. Sans parfois vous en rendre compte, il se peut que vous
vous dénigriez. En fait, c’est le discours de votre agresseur sexuel que vous
avez enregistré. Ses propos culpabilisants ont fini par vous faire accepter le
blâme. Vous croyez que vous êtes responsable des gestes commis par votre
agresseur ou que l’abus sexuel a duré longtemps parce que vous ne l’avez
pas dit assez rapidement. N’oubliez pas que c’est souvent par culpabilité
que vous avez gardé le silence; ne vous culpabilisez donc pas de l’avoir
gardé. Votre famille est déchirée et plusieurs personnes ne se parlent plus
parce que vous avez dénoncé les abus sexuels, pensez-vous. Vous savez
quelque part que c’est faux, que le seul coupable est l’agresseur, mais son
discours et celui des personnes de votre entourage vous ont fait douter.
Cette culpabilité étant lourde à porter, les victimes d’agression sexuelle
cherchent à l’alléger, mais leur esprit ressasse sans cesse la situation. Pour
fuir de telles pensées, plusieurs consomment de l’alcool ou de la drogue.
Cela leur permet d’oublier un instant, mais les souvenirs reviennent et la
souffrance est toujours présente. Alors, ces personnes prennent encore de
l’alcool ou de la drogue et, ainsi, une dépendance s’installe. D’autres
victimes sont conscientes qu’elles ne peuvent échapper à leurs pensées.
Pour en finir avec la culpabilité, elles se punissent. Elles adoptent des
comportements et des attitudes qui visent à expier cette culpabilité. Le
summum est sans aucun doute l’automutilation, la tentative de suicide ou le
suicide. Mais bien d’autres comportements peuvent aussi servir de punition,
de manière plus subtile: ne pas se donner le droit d’être en relation, ne pas
se donner la chance d’être heureux, ne pas croire qu’on peut se sortir d’une
situation d’emploi précaire, etc. Rappelez-vous que la seule personne à
punir est l’agresseur. En ce sens, plusieurs victimes ont cessé de se punir
quand elles ont retourné le combat contre l’agresseur en entamant des
procédures légales. Contrairement à ce que plusieurs pourraient croire, ce
n’est pas dans un esprit de vengeance, mais dans un esprit de justice, ce qui
est bien différent.

L’utilité de la culpabilité
Si la culpabilité est si destructrice, comment se fait-il que les victimes en
ressentent même après s’être dit que ça ne leur apportait rien? Peut-être
parce que, justement, elle a son utilité… La culpabilité a pu vous permettre,
dans un premier temps, de préserver la relation avec l’agresseur. Ce parent,
ce frère, cet oncle, ce cousin, ce grand-parent, cet entraîneur, ce voisin, cet
enseignant, cet ami de la famille, il comptait pour vous, avant les abus
sexuels. Il comptait probablement aussi pour vos parents. Donc, en vous
désignant comme coupable, vous pouviez continuer d’aimer cette personne
malgré les abus sexuels qu’elle vous avait fait subir. La culpabilité a permis
et permet peut-être encore aujourd’hui de donner un sens aux événements
qui, autrement, n’en auraient pas. Nous cherchons souvent à comprendre
pourquoi certaines choses arrivent, dans l’espoir de mieux les accepter et
passer à travers. Or, vous culpabiliser vous permet de penser que c’est parce
que vous avez accepté d’aller chez votre voisin qu’il vous a agressé
sexuellement. Bien sûr, ce raisonnement ne tient pas la route, mais il vous
donne l’illusion de pouvoir vous protéger des prédateurs sexuels. En vous
convainquant que les agressions sexuelles subies sont de votre faute, il vous
est aisé de croire qu’en modifiant ce qui constitue, selon vous, les motifs de
l’agression sexuelle, vous vous protégez de celles qui pourraient arriver par
la suite. Cela vous empêche de vous sentir impuissant et vous laisse croire
que vous avez une certaine maîtrise, un certain pouvoir sur les événements,
ce qui est faux.

Karine avait 20 ans lorsqu’elle a été agressée sexuellement en rentrant


chez elle à pied après le travail, vers 22 h. Étant serveuse, elle portait
une jupe droite et des talons hauts. Aujourd’hui, Karine travaille
uniquement de jour et se change toujours avant de quitter le restaurant.
Elle rentre chez elle avec des chaussures de sport et des jeans. Elle croit
ainsi se protéger d’une agression.

Ce qui dérange, dans l’histoire de Karine, c’est toute la culpabilité qu’on


devine au travers des changements qu’elle a effectués dans ses habitudes de
vie. Elle croit qu’elle s’est fait agresser sexuellement parce qu’elle marchait
tard le soir, parce qu’elle avait une allure féminine. Changer son horaire de
travail et son habillement lui donne un faux sentiment de sécurité. Sa
culpabilité est une protection qui l’empêche de vivre constamment dans la
peur d’être à nouveau victime. Or, la réalité est tout autre. La plupart des
agressions sexuelles ont lieu en fin d’après-midi et non dans la soirée. Les
victimes n’ont pas un habillement type. Certaines portent des jupes;
d’autres, des pantalons. Des joggeuses se font agresser sexuellement; elles
ont pourtant une allure plus sportive. On est loin de la jupe et des talons
hauts de Karine. Bref, peu importe la situation dans laquelle a eu lieu
l’agression sexuelle, ressentir de la culpabilité n’apporte qu’un faux
sentiment de sécurité, mais ne protège en rien la victime du risque de vivre
d’autres agressions sexuelles.
Finalement, la culpabilité vous empêche de ressentir de la colère envers
l’agresseur, mais aussi à l’égard de la vie, car la seule personne à blâmer,
croyez-vous, est vous-même. Or, cette colère est toujours là, mais elle est
tournée vers vous-même, ce qui entraîne une profonde tristesse, un manque
d’estime de soi et, dans certains cas, une sévère dépression. Comme
mentionné plus haut, la colère peut aussi vous conduire à vous punir en
vous privant de belles réalisations ou, même, à vous automutiler.

Pourquoi n’ai-je pas fait ceci ou cela?

Lorsqu’un événement difficile, voire traumatisant, se produit, on a souvent


tendance à se figer et c’est par la suite, avec le recul, qu’on se dit: «Oh!
J’aurais dû faire ceci, j’aurais dû dire cela.» Il est beaucoup plus facile
d’analyser les choses une fois qu’elles sont passées. Dans le cas de votre
agression sexuelle, peut-être croyez-vous que les choses auraient été
différentes si vous aviez vous-même réagi autrement. En étant convaincu de
cela, vous vous jugez responsable de la tournure de l’agression sexuelle et
peut-être même du fait que ce soit arrivé. Comme nous l’avons déjà vu,
même si cela vous donne un sentiment temporaire de contrôle, une certaine
reprise de pouvoir parce que vous croyez que vous pouvez à l’avenir vous
en prémunir, c’est une illusion. Une agression sexuelle peut arriver à
n’importe qui, dans n’importe quel contexte. Le sentiment illusoire de
protection que vous ressentez n’est en rien comparable aux aspects
destructeurs du sentiment de culpabilité que vous entretenez. Enfin, vous ne
pouvez savoir comment les choses se seraient passées si vous aviez agi
différemment. Ce ne sont que des suppositions, et entretenir des
suppositions, c’est éviter d’affronter la réalité, aussi douloureuse soit-elle.
Un pas en avant
Remettre la responsabilité à l’agresseur
J’espère qu’au fil de ce chapitre, vous avez compris que la culpabilité que
vous ressentez ne vous mène à rien, sinon à une lourdeur émotionnelle et à
des comportements punitifs. Il est essentiel que vous appreniez à remettre la
responsabilité à la bonne personne, c’est-à-dire l’agresseur. C’est lui qui a
abusé de votre confiance, qui vous a trahi, qui a fait passer ses besoins
avant les vôtres, qui n’a pas tenu compte de votre non-consentement ou,
encore, qui a profité de votre vulnérabilité. Lui rendre la responsabilité de
ses actes, c’est aussi admettre que, peu importe ce que vous auriez pu dire
ou faire, les choses n’auraient probablement pas été différentes. C’est
accepter qu’il s’agit d’un choix qu’il a fait et que cela aurait pu être vous
comme quelqu’un d’autre. Vous n’avez pas choisi d’être sa victime.
Redonner à l’agresseur la responsabilité de ce qu’il a fait, c’est aussi lui
reconnaître des intentions et, peut-être, remettre en question la relation que
vous aviez avec lui avant que l’agression se produise, dans le cas où vous le
connaissiez. Finalement, c’est accepter qu’il n’y a aucune garantie que vous
ne serez pas à nouveau victime d’une agression sexuelle au cours de votre
vie. Attention, cependant, à ce que la peur ne prenne pas le relais.
Pour emprunter le chemin de la guérison, il vous faut aussi admettre que
vous avez fait ce que vous avez pu dans le contexte de vie où vous étiez,
lors de l’agression sexuelle que vous avez subie et, bien entendu, par la
suite. Dans votre enfance, peut-être vos parents étaient-ils négligents ou
absents, ce qui vous a amené à rechercher de l’amour et de l’attention
auprès d’autres adultes. Les carences affectives nous suivent longtemps.
Même adulte, peut-être avez-vous cherché du réconfort auprès de personnes
qui ont su tirer avantage de votre vulnérabilité. Lors d’une agression
sexuelle, la vulnérabilité déjà présente en vous prend toute la place.
Comment réagir? Plusieurs victimes se figent, puis s’en veulent de ne pas
s’être défendues; or, ne pas se défendre, laisser l’agression suivre son cours
est un mécanisme de protection en soi, pour éviter que les choses ne
s’aggravent, pour que ça finisse au plus vite parce qu’à ce moment-là, ce
qui compte le plus, c’est leur survie! Et pendant leur agression sexuelle,
bien des personnes ont eu peur de mourir. En fait, bien souvent, une partie
d’elles-mêmes est morte ce jour-là et elles devront en faire le deuil (voir le
chapitre 8).
Vous êtes sur le chemin de la guérison et il vous faudra, pour vous
débarrasser une fois pour toutes de cette culpabilité, vous pardonner, si vous
vous faites des reproches. Pardonnez-vous d’avoir été au mauvais endroit
au mauvais moment, d’avoir cru en la bonté humaine, d’avoir eu foi en un
adulte de votre entourage, d’avoir cru qu’on pouvait vous aider et vous
aimer sans profiter de vous, bref, pardonnez-vous ce que vous croyez avoir
à vous pardonner, car lorsqu’on y réfléchit bien, vous n’avez rien du tout à
vous pardonner!

L’écriture qui guérit


Écrire et prendre le temps de réfléchir peuvent vous aider à vous départir de
votre culpabilité.

1. Je vous propose tout d’abord de faire la liste de tous les blâmes que
vous vous faites et de transformer chacun d’eux en une affirmation
positive.
• Premier exemple: «Si je n’étais pas allé chez lui, cela ne se serait pas
produit.» Cette assertion devient: «Savoir faire confiance est une
condition essentielle de la nature humaine. Je dois réapprendre à faire
confiance et, surtout, à me faire confiance.»
• Deuxième exemple: «J’aurais dû parler avant. Ainsi, il n’aurait pas fait
d’autres victimes.» Cela devient: «À partir de maintenant, je me
choisis. Je suis une belle personne et je prends les décisions en tenant
compte de mon bien-être.»
2. Repassez dans votre tête le contexte de l’agression sexuelle et
départagez en deux colonnes ce qui vous appartient et ce qui ne vous
appartient pas. Une fois l’exercice terminé, réécrivez chaque phrase se
trouvant dans la colonne «Ce qui m’appartient» de façon à pouvoir la
mettre dans la colonne «Ce qui ne m’appartient pas». Par exemple, si
vous avez écrit la phrase qui suit dans la colonne «Ce qui m’appartient»:
«J’ai fait du stop pour rentrer chez moi tard le soir et je suis montée avec
un inconnu», vous la reformulez ainsi: «Un agresseur sexuel a vu en moi
une occasion lorsqu’il m’a aperçue en train de faire du stop.» Vous
enlevez la première affirmation de votre colonne. À la fin de cette
deuxième partie d’exercice, il ne devrait rien rester dans la colonne «Ce
qui m’appartient».
3. L’exercice suivant traite autant de l’agression sexuelle que vous avez
vécue que des événements actuels de votre vie. Écrivez une pensée
négative, puis, en dessous, remettez-la en question. Par exemple: «Je ne
me suis pas débattue quand mon ex m’a forcée à avoir une relation
sexuelle avec lui.» Lorsque vous y réfléchissez, cela pourrait donner:
«Je ne devrais pas avoir besoin de me débattre, car un homme devrait
respecter mes paroles qui expriment mon refus.» Ou encore: «Il est plus
imposant que moi et si je ne me suis pas débattue, c’était pour éviter
qu’il se fâche et me batte.»

Ces exercices, vous pourrez les refaire car, au fur et à mesure de votre
cheminement, vos pensées changeront et vous n’aurez pas à faire face aux
mêmes défis. En tant que thérapeute, j’ai souvent ressenti beaucoup de
fierté pour mes patients lorsqu’ils relisaient à voix haute leurs premiers
exercices et qu’ils ne se reconnaissaient plus dans ces paroles. Ils avaient
assurément cheminé. Rappelez-vous que la culpabilité vous maintient dans
le passé et, ainsi, vous empêche d’avancer.
Chapitre 4
Sortir de la méfiance,
retrouver la confiance

L
a confiance en soi et en les autres est fortement ébranlée à la suite
des agressions sexuelles. Le monde semble hostile. Vous ne savez
peut-être plus à qui vous fier. La trahison est d’autant plus grande
lorsque l’agresseur est une personne très proche de vous. La méfiance,
même si elle doit être dosée, est quand même un facteur de protection. Elle
vous permet la prudence dans vos relations.

La trahison, un coup d’épée


Les gestes d’agression sexuelle commis envers vous ont soulevé bien des
questionnements dans votre tête, par exemple: «À qui la faute?», comme
nous l’avons vu dans le chapitre précédent. Si vous avez réussi à remettre la
responsabilité de ces actes à votre agresseur, il s’en est probablement suivi
un sentiment de trahison.

Mélinda a 40 ans. Elle a été agressée sexuellement par son beau-père de


l’âge de 12 à 15 ans. Cet homme est entré dans la vie de sa mère et dans
la sienne alors qu’elle n’avait que sept ans. Son père avait quitté le
domicile familial pour une autre femme, et Mélinda ne l’avait jamais
revu. Même si elle lui en voulait terriblement de les avoir ainsi
abandonnées, il lui manquait. Lorsque sa mère a fait la connaissance de
son beau-père, deux ans plus tard, Mélinda a eu de la difficulté à lui faire
confiance. Et s’il les abandonnait, lui aussi? Mais son beau-père a tenu
bon et, après quelques mois, Mélinda s’est considérablement attachée à
lui. Ils faisaient beaucoup d’activités ensemble et son beau-père la
traitait comme une petite princesse. Quand le corps de Mélinda s’est mis
à se transformer, le regard de son beau-père a changé, puis, peu à peu, il
a commencé à commettre des gestes à caractère sexuel à son égard.
Mélinda ne savait pas quoi penser. Elle avait peur qu’il parte, alors elle a
attendu avant de le dénoncer. Son beau-père jouait effectivement sur sa
peur de l’abandon, blessure qui venait du départ de son père. Avec le
recul, Mélinda comprend combien son beau-père l’a manipulée pour
arriver à ses fins, utilisant habilement ses blessures d’abandon et la
confiance qu’elle avait mise en lui. Même s’il a tenté à plusieurs reprises
de la culpabiliser, Mélinda ne l’a jamais cru. Elle se demande
aujourd’hui quel est le pire: vivre avec une culpabilité qui ne nous
appartient pas ou avec un sentiment profond de trahison qui nous
empêche de bâtir une relation saine et profonde.

Il est bien difficile de répondre à cette question. Chaque victime porte ses
propres blessures. La culpabilité peut vous conduire à vous dévaloriser, à
vous haïr même, et à vous punir en faisant de l’autosabotage, en
consommant de l’alcool ou de la drogue et en ayant des comportements
destructeurs. Le sentiment de trahison vous laisse un goût amer des
relations interpersonnelles. Il vous amène à vous replier sur vous-même.
Une chose est certaine: un enfant qui a été agressé sexuellement par un
adulte en qui il avait confiance aura longtemps de la difficulté à faire
confiance. Cet adulte devait être là pour prendre soin de lui, le protéger, et
non seulement il n’en a rien fait, mais la menace venait en fait de lui.
La réaction de l’entourage peut aussi vous faire vivre un sentiment de
trahison. Vous a-t-on cru lorsque vous avez dénoncé votre agresseur?
Parfois, les proches disent croire la victime, mais leurs paroles soulèvent
des doutes, des questionnements. Certains sont maladroits, et d’autres,
carrément mal à l’aise. Alors, pour diminuer l’intensité des émotions que
votre révélation suscite en eux, ils ont tendance à minimiser les gestes
commis à votre endroit ou leur impact. «Il n’y a pas eu pénétration, au
moins!» disent-ils par exemple. «C’était pour rire, juste un jeu.» «Passe à
autre chose, ça fait 10 ans maintenant!» Ces personnes ne comprennent pas
qu’en dehors de l’acte commis, il y a toute sa signification: réduire l’autre à
un objet, sans son consentement et sans égard à son bien-être. Si vos
proches ont eu une telle réaction, il est normal de leur en vouloir et de
prendre vos distances. L’isolement que vous vivez alors peut être lourd à
supporter, mais, pourtant, quelque part, vous vous protégez contre des
paroles, des attitudes qui vous remettent en position de victime. Vos proches
pensent peut-être faire pour le mieux en vous tirant vers l’avant, mais, en
fait, surmonter une agression sexuelle est un processus continu qui demande
du temps, de l’énergie et du courage. Très peu de gens sauront respecter
votre rythme de guérison. Si vos proches vous font du bien, tant mieux!
Mais si, après avoir parlé avec eux, votre taux d’énergie est plus bas et que
vous êtes plus triste ou en colère, il vaut mieux vous éloigner pour un temps
et trouver du réconfort auprès d’un professionnel ou d’un groupe de
soutien. Maintenir des relations avec un entourage qui minimise ce que
vous avez vécu peut vous amener à vous questionner sur vos propres
réactions et à vous méfier de votre ressenti.

La méfiance envers soi-même


Souvent, l’agresseur sexuel cherche à installer le doute chez sa victime.
Lorsque celle-ci exprime son non-consentement, lui demande d’arrêter, il
peut lui laisser entendre qu’elle aime ça, mais qu’elle ne se laisse pas aller,
que d’autres personnes aiment ça, même si elles n’osent pas l’avouer. Alors,
la victime se met à douter d’elle-même, de ses perceptions et de ses
sensations. «Était-ce vraiment une agression?» «Lui ai-je dit non?» «Peut-
être que je n’ai pas été assez clair?» «Ça ne m’a pas fait mal. Ce n’est donc
peut-être pas si grave?» Si vous vous êtes mis à questionner ce que vous
avez vécu, alors vous avez, sans le vouloir, ouvert une brèche dans votre
intégrité. D’autres situations se présenteront, dans votre vie, où vous vous
demanderez si votre perception est juste. Vous permettrez à d’autres
personnes, sans en être conscient, de remettre en cause votre jugement. Et
pourtant, celui qui a manqué de jugement, c’est l’agresseur, lui seul.
Puisque vous ne connaissiez pas ses intentions, vous ne pouvez vous blâmer
de ne pas avoir réussi à vous prémunir d’une telle agression. Ne laissez
personne, parmi les gens de votre entourage, vous faire croire que votre
jugement est inadéquat. À votre place, ils n’auraient pas su mieux quoi
faire. Il est toujours aisé, lorsqu’une situation ne nous est pas arrivée, de se
poser en juge et de dire que nous aurions fait mieux. Vos perceptions étaient
teintées de vos propres intentions et non de celles de l’agresseur.
L’agresseur et l’entourage peuvent aussi vous faire croire que vous avez
de la difficulté à savoir ce que vous voulez et ne voulez pas.

Sonia avait 13 ans quand le nouveau conjoint de sa mère est venu habiter
avec elles. Ils sont rapidement devenus très proches, au point que la mère
de Sonia était jalouse. Cette dernière ne prenait pas la situation au
sérieux, car elle voyait dans les taquineries de son beau-père de la simple
camaraderie. Puis il lui a fait des attouchements et l’a violée à deux
reprises. Lorsque Sonia lui a raconté ce qui s’était passé, sa mère l’a
chassée de chez elle en l’insultant et en la blâmant de tenter de lui voler
son conjoint. Sonia était dévastée. À la rue, elle a rencontré un copain
qui a accepté de l’héberger. Toutefois, celui-ci est vite devenu violent
avec elle. Sonia s’est mise à se prostituer, à la demande de son copain. À
15 ans, elle avait, bien malgré elle, un lourd passé.

La confiance est tout à fait normale chez les enfants et les adolescents. Un
adulte ne peut se servir de cette confiance pour satisfaire ses propres envies.
Ne vous laissez pas convaincre que c’est ce que vous vouliez. Peut-être
recherchiez-vous de la tendresse, de l’affection, de l’amour, mais
certainement pas de la façon que les adultes le vivent! Plusieurs victimes
m’ont raconté qu’elles se croyaient en sécurité avec leur agresseur alors que
ce n’était pas le cas. Elles remettent donc en question leur discernement.
Sachez que les agresseurs sexuels sont de fins manipulateurs et qu’il est
bien difficile de deviner leurs intentions. Aujourd’hui adulte, ayez confiance
en vous, car vous seul savez ce que vous voulez et ne voulez pas. Peut-être
craignez-vous tout de même de vous faire à nouveau manipuler dans vos
relations ultérieures sans vous en apercevoir. Cette peur suscitera par
conséquent une plus grande méfiance envers les autres.

La méfiance envers les autres


Il vous est probablement arrivé plus souvent qu’à votre tour de ressentir une
certaine méfiance envers les autres. En fait, pour plusieurs victimes, il
semble que la confiance se polarise en deux extrêmes: ou bien on fait
confiance à tout le monde, ou bien on se méfie de tout le monde. Comme il
est pratiquement impossible de faire confiance aveuglément après avoir
subi une agression sexuelle, vous êtes sans doute tombé dans la méfiance.
Cette méfiance à l’égard des autres a un rôle de protection. C’est un peu
comme une lumière jaune qui vous indique en permanence la présence d’un
danger potentiel. Cela vous rappelle que vous avez déjà été piégé… et que
vous pouvez l’être encore! Mais la méfiance n’est pas qu’une protection.
Elle amène en outre son lot de problèmes. Elle vous empêche de demander
de l’aide quand vous en avez besoin, par exemple, car cela vous mettrait
dans un état de vulnérabilité, ce que vous voulez éviter à tout prix! Elle
vous pousse aussi à vous fier seulement à vous-même, car, de cette manière,
vous ne serez pas déçu! Par contre, vous vous privez ainsi du bonheur de
côtoyer les autres et de créer des liens avec eux, ce qui constitue une grande
richesse…
De qui vous méfiez-vous en particulier? Des gens que vous rencontrez
pour la première fois? Ici, il convient de prendre votre temps afin d’avoir
des impressions et d’exercer votre jugement. Je sais bien que, par le passé,
vous avez été trompé et que vous remettez donc en question votre jugement,
mais vos impressions ne seront pas uniquement basées sur des observations
logiques, mais également sur des sentiments, sur votre intuition. Car il
arrive parfois que quelqu’un nous inspire un mouvement de recul, un
sentiment négatif, sans qu’on sache véritablement pourquoi. Si c’est le cas,
ne tentez pas de rationaliser. Soyez simplement à l’écoute. Il se peut par
ailleurs que vous vous méfiiez des figures d’autorité. Cela sera davantage le
cas si votre agresseur était en position d’autorité, par exemple un
professeur, un entraîneur ou même un professionnel dont vous étiez le
patient. Vous remettrez alors certainement en question le rôle même des
figures d’autorité. Vous pourriez être tenté de vous rebeller et de
transgresser des interdits en faisant un pied de nez aux autorités. En fait,
vous contestez la notion même d’autorité, mais ce n’est qu’une façon de
vous opposer à cette personne qui jadis était en situation d’autorité et qui a
abusé de son statut pour profiter de vous…
Peut-être que vous êtes davantage sur vos gardes avec les gens que vous
aimez. Vous analysez leurs faits et gestes, vous écoutez attentivement leurs
paroles, à la recherche de contradictions ou d’intentions douteuses. Vous ne
croyez pas en leur générosité à votre endroit. Vous vous demandez ce qu’ils
espèrent en retour, car quelqu’un vous a mis dans la tête, en vous agressant,
que rien n’est gratuit et que les gens attendent bien souvent quelque chose
en retour. Cela peut s’avérer particulièrement vrai si votre abuseur était une
personne que vous connaissiez et en qui vous aviez confiance. Il devient
alors bien difficile d’établir une relation intime qui soit vraie et profonde
avec une autre personne, car la peur de la trahison est présente chez vous.

Les répercussions sur les relations intimes


Afin de développer une relation intime durable, il est important de nous
dévoiler à l’autre, avec nos forces et nos faiblesses. Or, exposer vos
faiblesses, c’est aussi vous rendre vulnérable. Être vulnérable vous fait
probablement peur et il est tout à fait normal de fuir lorsqu’on a peur; c’est
un réflexe d’autoprotection. Cependant, quand on refuse de se montrer
vulnérable, il devient difficile de nouer des liens profonds d’amitié et de
bâtir une relation de couple.

Dois-je parler de l’agression sexuelle que j’ai subie à la personne


que j’aime?

La réponse à cette question ne peut pas être unique. Par contre, une chose
est certaine: vous n’en avez pas l’obligation. La question ne devrait donc
pas être de savoir si vous devez en parler à la personne que vous aimez,
mais si vous voulez le faire. Dévoiler cette partie de votre vie vous amènera
sans doute à revisiter des souvenirs que vous n’avez sûrement pas envie de
ressasser. Répondre aux questions de l’autre ne sera peut-être pas aisé non
plus. Toutefois, cela peut être bénéfique, car il pourrait alors mieux
comprendre certains de vos sentiments et comportements. Gardez en tête
que la réaction de l’être aimé peut ne pas être celle que vous attendiez. Vous
pourriez être déçu en premier lieu face à son incrédulité, par exemple.
Celle-ci peut réveiller une vieille blessure en vous si vos proches ne vous
ont pas cru lorsque vous leur avez révélé que vous aviez été agressé
sexuellement. La tristesse peut laisser place à la colère que vous n’avez
peut-être pas pu exprimer à l’époque. Soyez conscient du fait que ce n’est
pas à votre partenaire que vous en voulez en tant que tel, mais plutôt aux
premiers adultes à qui vous vous êtes confié par le passé et qui ne vous ont
pas cru, comme vos parents, tandis que vous étiez enfant. Songez au fait
que cela vous a pris du temps pour être là où vous êtes dans votre
cheminement. Votre partenaire a aussi besoin de temps pour intégrer cette
partie de votre vécu et vous soutenir par la suite.
Il m’est arrivé de recevoir dans mon bureau des couples dont une des
deux personnes avait été agressée sexuellement et souhaitait le dire à son
partenaire en présence d’un thérapeute qui puisse récupérer la situation et
les accompagner dans un cheminement. La souffrance peut être grande
également pour votre partenaire qui apprend que la personne qu’il aime a
vécu des choses si difficiles. Votre partenaire peut en outre aller chercher de
l’aide s’il en ressent le besoin, car vous ne serez peut-être pas en mesure
d’accueillir sa peine.

Dans la relation de couple, la méfiance peut se manifester jusque dans


votre sexualité. Certaines personnes qui m’ont consultée avaient de la
difficulté à accepter la gentillesse et l’affection de leur partenaire. Elles
avaient l’impression que ce n’était que des tactiques visant à obtenir
quelque chose d’elles: leur corps. Comme si la sexualité se monnayait.
C’est que, souvent, dans les agressions à caractère sexuel, l’agresseur
instaure ce type de relation. Il donne de l’attention, de l’affection parce qu’il
attend en retour des contacts sexuels. Si c’est ce que vous avez vécu, il est
aisé de comprendre que vous vous méfiiez des intentions réelles de votre
partenaire lorsqu’il est gentil et avenant. Vous est-il même déjà arrivé de
saboter votre relation et l’intimité qui en découle par méfiance envers votre
partenaire? Si la relation est froide et chaotique, vous auriez donc toutes les
raisons du monde de vous méfier? Comme vous pouvez le constater,
vouloir se protéger est tout à fait compréhensible, mais ô combien nuisible à
une relation de couple qu’on veut solide, aimante et intime. La confiance
est quelque chose qui se bâtit graduellement, mais qui se perd facilement.
Après ce que vous avez vécu, il n’est pas facile de faire confiance à
nouveau. Sans confiance, par contre, il est impossible de bâtir des relations
profondes avec les autres. Réapprendre à faire confiance peut commencer
avec son thérapeute.
Choisir son thérapeute n’est pas une tâche facile. Plusieurs s’affichent
comme «experts», mais la plus grande qualité recherchée est la compassion.
Après votre passé de victimisation, vous avez besoin d’un thérapeute qui
vous croira sur parole, même si votre histoire paraît invraisemblable.
L’expérience cumulée au fil des années m’a démontré que des histoires
sordides, des agresseurs sans scrupules, de la souffrance humaine, il y en a,
sous des formes à peine imaginables. Les patients me demandent souvent:
«Est-ce que vous me croyez?» À cette question, on peut seulement donner
une réponse affirmative si on veut favoriser l’établissement d’un lien de
confiance et une amorce de guérison.

Un pas en avant

S’affronter soi-même
Le premier travail à faire est sur vous-même, avant même de penser à
travailler sur vos relations avec les autres. Tout d’abord, il vous faut éviter
d’accorder trop d’importance à ce que les autres pensent. Ayez confiance en
votre jugement, en vos perceptions; si vous n’êtes pas sûr, jouez de
prudence. Peut-être que certaines personnes vous considéreront comme trop
prudent, trop méfiant, mais qu’à cela ne tienne! La première personne avec
qui vous devez établir une relation de confiance est vous-même. C’est le
plus beau cadeau qui soit et, ensuite, personne ne pourra vous l’enlever.
Se faire confiance est essentiel, mais ça n’enlève pas nécessairement les
peurs dans vos relations interpersonnelles: peur d’être rejeté, peur d’être
trahi ou utilisé. Vous avez tenté de raisonner vos peurs par le passé et ça n’a
pas marché? C’est tout à fait normal, car les peurs ne se raisonnent pas;
elles se vivent et se ressentent. Il n’est pas toujours possible de se
débarrasser de ses peurs, mais on peut les réduire. Je vous suggère, pour ce
faire, de vous y exposer. Être confronté à vos peurs vous fait peur? Bien sûr.
Nous débuterons donc par un affrontement imaginaire. En premier lieu,
écrivez une liste de vos peurs: la peur de rencontrer de nouvelles personnes,
la peur de dire non, la peur d’être ridiculisé, la peur d’être à nouveau
agressé, etc. Puis classez vos peurs de la plus légère à la plus intense.
Commencez l’exercice avec votre peur la moins intense. La première fois,
accordez-vous 45 minutes. Assurez-vous de ne pas être dérangé ni bousculé
par le temps. Idéalement, vous devriez n’avoir rien à faire d’important après
votre séance, sauf prendre soin de vous. Faites d’abord l’exercice de
relaxation présenté au chapitre 1. Cela devrait vous prendre de 20 à 30
minutes. Par la suite, gardez les yeux fermés et imaginez que vous vous
trouvez avec des gens dans une situation qui vous fait ressentir votre peur la
moins intense. Par exemple, vous craignez de ne pas être en mesure de
prendre la parole dans un groupe d’échange. Visualisez-vous dans ce
groupe. Prenez le temps de voir dans votre tête toutes les personnes qui en
font partie. Entendez-les parler, voyez-les interagir. Puis pensez à la
personne la plus facilitante du groupe. Regardez-la. Lorsqu’elle vous
retourne votre regard, parlez-lui. Elle vous écoute, vous regarde. Vous avez
son attention. Peu à peu, votre nervosité s’en va. Vous discutez un peu. Vous
vous sentez bien. Vous la remerciez pour votre échange et vous la quittez.
Tranquillement, vous videz votre esprit et vous ne faites que des
respirations lentes et profondes. Vous pouvez terminer l’exercice en
imaginant quelque chose d’apaisant pour vous, un paysage ou un animal,
par exemple. Lorsque vous êtes calme, ouvrez les yeux et reprenez
tranquillement contact avec ce qui vous entoure. Vous avez passé de 5 à 10
minutes à visualiser la situation et à la vivre en imagination. Puis encore
cinq minutes à retrouver votre calme en respirant profondément et en
visualisant quelque chose de serein. Peu importe le scénario que vous
choisirez, visualisez toujours une aide qui s’offre à vous, quelque chose qui
vous fait avancer, que ce soit une personne, un contexte ou un endroit. Vous
pouvez répéter l’exercice deux ou trois fois par semaine jusqu’à ce que
vous vous sentiez rassuré. En commençant par la peur la plus légère, vous
reprenez confiance en votre capacité à faire face aux défis et à les relever.
Quand vous vous sentez prêt, vous pouvez faire le même exercice
d’exposition, en imagination, avec la deuxième peur. Plus vous avancez
dans vos peurs, plus je vous recommande d’en discuter avec un thérapeute
qui saura vous accompagner dans votre démarche.

Avec les autres… pas à pas


L’isolement est probablement votre pire ennemi. Pour créer des liens, il est
indispensable de faire confiance à nouveau, mais encore faut-il choisir des
personnes de confiance pour mettre sur pied un bon réseau de soutien. Ce
réseau devrait inclure un thérapeute qui sache écouter et vous accompagner
dans votre démarche. Vous établirez un lien de confiance s’il demeure le
même pendant un certain temps. Vous pouvez avoir recours à différentes
ressources. Ensuite, pensez aux personnes qui vous entourent et demandez-
vous lesquelles sont dignes de confiance. Lesquelles ont fait leurs preuves?
Lesquelles vous écoutent et sont disponibles pour vous? Lesquelles vous
acceptent tel que vous êtes? Ces personnes sont généralement peu
nombreuses et d’une valeur inestimable. Prenez-en soin! Finalement, petit à
petit, créez de nouvelles relations. Pour ce faire, fréquentez des groupes,
inscrivez-vous à des activités que vous aimez. Cela vous aidera à rencontrer
des gens qui partagent des intérêts similaires aux vôtres. Que vous ayez
affaire à une personne que vous connaissiez déjà ou à quelqu’un que vous
avez rencontré récemment, ne donnez pas votre confiance aveuglément. Si
vous pensez pouvoir lui faire confiance, allez-y doucement, pas à pas; ne
vous révélez pas trop vite. Même si vous ne pouvez jamais être totalement
certain, vous devriez pouvoir vous affirmer sans craindre de perdre les
personnes qui vous entourent, vous ouvrir sans avoir peur de leur réaction,
vous sentir bien avec elles. Votre confiance est quelque chose de très
précieux que vous choisissez de donner à l’autre. Si vous ne vous sentez pas
en confiance avec une personne ou que la relation ne vous semble pas
réciproque, vous pouvez prendre vos distances avec elle et la garder comme
simple connaissance dans votre vie. Votre confiance vous appartient. Vous
pouvez la donner ou la reprendre quand vous voulez.
C’est avec un bon réseau de soutien que vous pourrez, progressivement,
affronter vos peurs dans la réalité. Comme dans l’exercice où vous les
affrontez en imagination par ordre d’importance, vous pouvez commencer à
les affronter dans la réalité la plus légère, à condition d’être bien entouré et
en confiance. Bien sûr, le contexte ne sera pas le même que celui que vous
aviez imaginé dans l’exercice, mais, au moins, votre peur est maintenant
moins grande et, grâce à cela, vous vivrez la situation avec beaucoup plus
de confiance et de lâcher-prise. Essayez de mettre toutes les chances de
votre côté en étant reposé et dans un environnement sécuritaire. Après cette
expérimentation, faites le point avec vous-même pour évaluer comment les
choses se sont passées. Au besoin, avant d’expérimenter votre scénario,
parlez-en à un thérapeute ou à une personne de confiance, dans votre
entourage. Cette écoute pourra vous être grandement utile en vous apaisant
à l’avance et en confirmant votre choix de la peur que vous désirez
affronter. Je répète que vous devez absolument commencer avec vos peurs
les moins importantes et ne jamais vous mettre en danger, que ce soit
psychologiquement ou physiquement. Le mieux est encore d’explorer vos
peurs avec un thérapeute qui s’assurera avant tout de votre sécurité.

L’écriture qui guérit


Je vous propose ici trois exercices d’écriture qui vous aideront à retrouver
une certaine confiance en vous et en l’autre.

1. Complétez la phrase suivante: «Faire confiance à quelqu’un, c’est…»


Cela vous aidera à déterminer ce dont vos relations ont besoin pour
durer et vous permettre de vous épanouir en tant que personne.
N’oubliez pas: sans confiance, une relation peut difficilement survivre!
2. Chaque fois que vous aurez un doute sur vous-même, vos pensées, vos
émotions ou votre jugement, notez-le! Puis, en dessous, vous pouvez
écrire: «Je me fais confiance. Je suis la personne qui sait le mieux ce
dont j’ai besoin.»
3. Afin de développer une confiance en vous et en votre potentiel,
énumérez des objectifs réalistes. Pour chacun d’eux, écrivez au moins
une force que vous avez et qui peut vous permettre d’atteindre cet
objectif. Visualiser le résultat vous aidera à y parvenir.

Faire confiance n’est certes pas facile, mais c’est essentiel dans une
relation personnelle, qu’elle soit amicale ou amoureuse. Avant de faire
confiance, ayez d’abord confiance en vous. C’est un long processus, mais
vous pouvez y arriver, un pas à la fois.
Chapitre 5
Apaiser l’anxiété

L
’anxiété est une des conséquences les plus fréquentes chez les
victimes d’agression sexuelle et aussi une des plus durables. Une
des manifestations les plus courantes de l’anxiété chez une victime
est la peur que l’agression se reproduise. La victime a alors tendance à
éviter les personnes, les lieux ou les situations qui lui font penser à
l’agression.
Heureusement, il est rare que l’anxiété soit présente en permanence;
sinon, ce serait rapidement invivable. Elle survient comme une bouffée, à
des moments où vous ne vous y attendez pas forcément. Si vous y songez,
elle se manifeste surtout s’il y a quelque chose qui vous rappelle l’agression
sexuelle, que ce soit un événement, une personne, un objet, un lieu, une
odeur, un bruit ou une situation. Ce lien n’est, par contre, pas toujours
conscient. En effet, plusieurs victimes ont enfoui dans leur mémoire une
partie des faits entourant l’agression sexuelle. Les réactions d’anxiété
agissent alors comme un rappel, une évocation; le corps, lui, n’a pas oublié.
L’anxiété vous maintient dans un état d’hypervigilance continuel. Même si
c’est épuisant, cela a pour fonction de vous protéger.
Lorsque des symptômes d’anxiété se manifestent, c’est comme une
sonnette d’alarme qui vous met en garde et vous conseille de vous protéger.
Il n’est donc pas aisé de s’en départir, car même si elle est difficile à vivre,
il s’agit d’une alliée de taille pour plusieurs, un peu comme un ange
gardien…

Les multiples visages de l’anxiété


L’anxiété peut être plus présente si vous êtes dans un état émotionnel
fragile. Comme elle est une forme de protection face au danger que votre
inconscient détecte, vous pouvez aisément comprendre pourquoi elle se
manifeste davantage lorsque vous êtes déjà vulnérable. Par contre, si vous
bénéficiez d’un bon soutien social actuellement tout comme à l’époque de
l’agression sexuelle, vous aurez moins de symptômes d’anxiété que
d’autres qui étaient et sont encore plus isolés.
L’anxiété peut prendre différentes formes. Elle est parfois généralisée.
Dans ce cas, tout est susceptible de devenir source d’anxiété, tant dans le
domaine personnel que professionnel. L’anxiété généralisée peut se
manifester davantage dans des situations où la personne a peu ou pas de
contrôle. Inconsciemment, ce sentiment la replonge dans celui qu’elle a
vécu durant l’agression sexuelle.
L’anxiété peut se répercuter sur le niveau de concentration, et donc sur le
rendement scolaire ou professionnel. Physiquement, elle entraîne différents
symptômes: maux de tête, étourdissements, nausées, fatigue physique due à
l’insomnie, sudation, tremblements, augmentation du rythme cardiaque,
serrements à la poitrine, ou problèmes gastro-intestinaux. Dans une période
de votre vie où l’anxiété est plus présente, vous pourriez avoir de la
difficulté à prendre des décisions et à accomplir vos tâches habituelles. Cela
peut être particulièrement irritant si vous êtes de nature performante.
L’anxiété paralyse et risque de ramener des souvenirs de l’agression
sexuelle ou à tout le moins des sentiments qui y étaient associés. C’est la
peur de ne pas savoir, de ne pas avoir le contrôle, d’être impuissant et sous
l’emprise d’une autre personne qu’éprouvent la grande majorité des
victimes lors de l’agression. C’est pourquoi beaucoup d’entre elles
ressentent de l’anxiété lorsqu’elles se retrouvent face à un individu qui est
en position d’autorité comme un employeur, un enseignant ou même
quelqu’un qui a une autorité légale comme un policier ou un juge.
L’anxiété prend aussi à l’occasion la forme de crises de panique. Celles-ci
peuvent survenir si vous êtes confronté à un élément vous rappelant les
agressions sexuelles, sans que vous en ayez nécessairement le souvenir.
Habituellement, d’ailleurs, vous ne savez pas tout de suite ce qui a
déclenché la crise de panique. Cela prendra parfois plusieurs crises avant
que vous ne puissiez en repérer le déclencheur, sans pour autant être
nécessairement en mesure de faire le lien entre ce déclencheur et l’agression
sexuelle subie. Quels sont les signaux physiques vous indiquant que vous
êtes en train de faire une crise de panique? Des palpitations, des douleurs à
la poitrine, des frissons ou encore des bouffées de chaleur, la nausée, des
tremblements, des étourdissements, une crise de larmes, de
l’hyperventilation. Sur le plan cognitif, la crise de panique peut vous
amener à une hypervigilance, dont le but est de vous protéger de ce que
votre cerveau perçoit comme une menace à votre intégrité. Mais, le plus
souvent, vous ressentirez plutôt de la confusion, qui se manifeste par une
difficulté à comprendre ce qui se dit autour de vous, à vous concentrer, à
réfléchir et à planifier. Normal! C’est comme si cet état de panique
monopolisait toutes vos énergies afin de retrouver votre équilibre. Il n’en
reste plus pour les fonctions cognitives plus complexes… Vous êtes en
mode survie! La crise de panique entraîne même parfois une dissociation,
c’est-à-dire un certain détachement de ce qui se passe autour de vous,
comme si c’était irréel ou que vous étiez en train de rêver. Vous pourriez
avoir l’impression de devenir fou, mais, rassurez-vous, ce sentiment est
temporaire. Sur le plan émotionnel, vous vous sentez submergé par la peur
et le sentiment d’avoir perdu le contrôle.
La crise de panique a aussi des répercussions sur le comportement: vous
pouvez soit resté figé sur place, avoir peur de bouger ou vous sentir proche
de l’évanouissement, ou encore avoir une poussée d’adrénaline et vouloir
vous sauver. Dans le cas où vous tombez dans un état d’inertie, c’est qu’en
fait la menace perçue par votre cerveau vous paralyse, alors que, dans le cas
où vous sentez une poussée d’adrénaline, cette menace vous donne la force
nécessaire pour vous échapper, même si elle n’est pas tangible.
Il est plutôt rare d’avoir tous ces symptômes à la fois. Retenez
simplement que, lors d’une crise de panique, votre cerveau tombe en mode
protection, provoquant ainsi une certaine déconnexion psychique.
Finalement, l’anxiété peut prendre la forme de phobies ou de peurs
spécifiques. La plus fréquente concerne tout ce qui rappelle le lieu où s’est
déroulée l’agression sexuelle: cela peut être chez vous, chez l’agresseur ou
chez une personne de l’entourage, dans un lieu public, en plein air… La
plupart de mes patientes qui ont été agressées sexuellement à leur domicile
ont déménagé par la suite, car l’anxiété était omniprésente. Pourtant,
déménager n’a pas tout réglé, car elles continuaient de craindre que
l’agresseur les retrouve à leur nouveau domicile ou qu’elles soient encore
victimes d’un inconnu entrant par effraction. C’est pourquoi elles m’ont
consultée.
Si l’endroit où a eu lieu l’agression sexuelle était plutôt restreint, certaines
victimes souffrent de claustrophobie, soit la peur des petits espaces.
Lorsqu’elles se retrouvent dans un espace clos, elles ont souvent un
sentiment de serrement, voire d’étouffement. Outre le lieu, d’autres
caractéristiques de l’agression sexuelle peuvent susciter des peurs. Si vous
avez été agressé alors que vous étiez seul, l’anxiété peut se manifester
lorsque vous vous retrouvez seul. Si en plus vous l’êtes dans un endroit qui
vous rappelle l’agression, votre anxiété risque d’être plus importante.
Plusieurs personnes sont déjà dans un état de vulnérabilité lorsqu’elles se
font attaquer. Elles dorment, par exemple. Si c’est votre cas, vous pourriez
éprouver beaucoup de difficulté à vous endormir. Le sommeil demande un
lâcher-prise que vous ne pouvez avoir, car vous tombez dans un état
d’hypervigilance, en guise de protection. Votre corps se souvient et refuse
de se détendre, aux aguets du moindre bruit. Même si les événements
remontent à l’enfance, et que l’agresseur n’est clairement pas chez vous,
l’anxiété peut tout de même être très forte. N’oubliez pas que la peur n’a
rien de rationnel.
D’autres personnes étaient vulnérables au moment de l’agression, car
l’assaillant est arrivé derrière elles; elles ne l’ont pas vu venir. Elles ont
souvent donc davantage d’anxiété lorsqu’elles marchent et croient que
quelqu’un les suit. Elles se retournent fréquemment et changent même de
parcours si elles croient être suivies. Elles empruntent généralement des
rues plus passagères pour être certaines de ne pas se retrouver seules, sans
témoin. D’autres éléments reliés aux agressions sexuelles laissent émerger
des symptômes d’anxiété reliés à des peurs comme la difficulté à voir des
images de violence à la télévision, si l’agression sexuelle a été
particulièrement violente, la peur en présence d’hommes et, bien
évidemment, la peur dans un contexte d’intimité sexuelle.

Mon père a été mon agresseur. J’ai peur quand il y a des


hommes autour de moi. Toutes mes amies sont des femmes. Je ne
peux par contre pas éviter d’être en relation avec des hommes, ne
serait-ce que parce qu’ils sont les conjoints de mes amies ou alors
mes voisins. Je suis allée dans le domaine de l’éducation pour
être dans un milieu de femmes et d’enfants, là où je me sens en
sécurité. Ce n’est cependant pas une façon de vivre. Je suis
vraiment découragée. Suis-je mieux de faire une croix sur mes
relations avec les hommes?

Être agressée sexuellement par votre père a affecté bien des sphères de
votre personne. Alors qu’il devait vous protéger, prendre soin de vous et
établir une relation de confiance avec vous, il vous a manipulée et agressée.
Il a rendu difficiles, pour longtemps, vos relations avec les hommes. Vous
êtes très courageuse d’avoir surmonté ces épreuves. Même si c’est difficile
pour vous, gardez en tête que tous les hommes ne sont pas des agresseurs.
Plusieurs sont même des protecteurs. C’est en créant des relations avec des
hommes protecteurs que, petit à petit, vous arriverez à avoir moins peur.
Observez les hommes autour de vous. Allez-y doucement et soyez à
l’écoute de votre petite voix intérieure. Le conjoint d’une amie, que vous
rencontreriez avec elle, pourrait être un bon départ. Recherchez la
compagnie d’hommes protecteurs, à l’écoute, doux et sensibles. Ils existent.
Évitez de vous retrouver seule avec un homme dans un premier temps et
misez sur l’amitié plutôt que sur l’amour ou la sexualité pour commencer.
Lorsque vous vous sentirez à l’aise avec des hommes sur les plans social et
amical, vous pourrez songer aux relations amoureuses. Sachez cependant
que vous risquez de ressentir alors de l’anxiété. Il sera toujours temps
d’aller chercher de l’aide professionnelle.

Il arrive que les pensées anxiogènes mènent à un trouble obsessionnel-


compulsif. Elles deviennent alors si obsédantes que la personne qui en
souffre ne peut les calmer qu’en exécutant un geste concret, précis, pour
apaiser son esprit.

Alexandra a constamment l’impression d’être sale. Elle peut être assise


tranquillement et, tout à coup, elle sent comme une pellicule graisseuse
sur sa peau. Elle croit dégager une forte odeur de transpiration et
commence à avoir la nausée. La seule façon qu’elle a trouvée pour mettre
un terme à cette impression est de prendre une douche avec un savon
parfumé à la vanille. L’odeur lui rappelle le parfum de sa mère et ça la
calme. Alexandra peut prendre ainsi quatre ou cinq douches par jour.
Elle est en arrêt de travail depuis plusieurs années, car elle avait
régulièrement des crises d’anxiété liées à son impression d’être sale et à
la nécessité immédiate de se laver.

Davantage que l’anxiété, plusieurs victimes sont atteintes de stress post-


traumatique. Ce syndrome peut se développer chez une personne qui a vu sa
vie ou son intégrité menacée. Les manifestations sont diverses:

• La reviviscence: la personne se rappelle constamment les éléments de


l’agression, que ce soit en période d’éveil ou lors de cauchemars.
• L’évitement: la victime tend à éviter le plus possible les personnes, les
lieux et les éléments lui rappelant l’agression; elle s’efforce également
de chasser ces souvenirs de son esprit.
• Une altération cognitive et émotionnelle en lien avec les abus: la
personne oublie certains éléments de l’abus; elle entretient des pensées
et des émotions négatives envers elle-même; elle se détache des autres et
des activités qu’elle aimait jadis.
• L’hyperactivation du système nerveux: la victime a des crises de
colère importantes, des comportements destructeurs, des réactions de
sursaut, des problèmes de concentration et de sommeil; elle est en état
d’hypervigilance.

Si vous souffrez de plusieurs de ces symptômes depuis au moins un mois,


il est important de consulter un médecin qui saura si un diagnostic de stress
post-traumatique peut être établi. Dans le cas contraire, d’autres diagnostics
pourraient être envisagés et l’aide s’en trouverait facilitée.

Douloureuse, cette anxiété


Quelle que soit la forme ou l’intensité de l’anxiété que vous vivez, c’est
douloureux. Cela a sans aucun doute des répercussions sur vos occupations
et sur vos relations, amicales ou intimes… Le pire avec l’anxiété, c’est
qu’elle peut survenir n’importe quand, sans que vous vous y attendiez, sans
vraiment savoir pourquoi elle se manifeste à ce moment-là. L’anxiété, c’est
aussi l’impression de perdre le contrôle, un profond sentiment
d’impuissance qui, celui-là, rappelle ce que vous avez vécu lors de
l’agression sexuelle. La souffrance n’en est que plus grande. Vous vous
demandez alors quand cela va s’arrêter. Les pensées négatives qui en
découlent augmentent à leur tour le niveau d’anxiété. Il est alors tout naturel
d’être tenté de fuir systématiquement les pensées ou les situations
génératrices d’anxiété, mais cette solution demeure temporaire. J’espère
que la section suivante vous aidera à diminuer autant que possible votre
anxiété.

Un pas en avant
Faire de son anxiété une alliée
Il vous faut d’abord comprendre que votre anxiété joue un rôle important.
Ne l’invalidez pas en vous disant qu’elle n’a pas sa raison d’être; au
contraire, elle est là pour vous protéger, comme nous l’avons déjà
mentionné. Plutôt que de chercher à la combattre, essayez de la
comprendre. Contre quoi ou contre qui vous met-elle en garde? Pour
quelles raisons? Être à l’écoute de votre anxiété et de ce qu’elle a à vous
dire l’apaisera. Prenons un exemple. Vous travaillez pour une grosse
compagnie et la présence d’un collègue vous indispose. Il prend beaucoup
de place, fait souvent des blagues déplacées. Bref, quand vous le voyez
s’approcher de vous, vous avez des palpitations et des sueurs. Si vous allez
aux toilettes vous asperger le visage d’eau et prenez des respirations avant
de retourner à votre travail et que, malgré tout, en sa compagnie, votre
anxiété revient, c’est que, de toute évidence, elle vous dit de vous méfier de
cet homme, que votre cerveau perçoit comme une menace potentielle. Vous
agresserait-il sexuellement? Peut-être que oui, peut-être que non.
L’important ici est de vous adresser à vous-même: «Je sais ce que tu essaies
de me dire. Tu veux me mettre en garde contre ce collègue. Ne t’inquiète
pas. Je ne me retrouverai jamais seule en sa présence. Je suis entourée de
collègues gentils et mon patron est à l’écoute.» Reconnaître le message et le
valider pour ensuite le mettre en perspective devrait considérablement vous
aider. Si ça ne suffit pas à diminuer votre anxiété ou encore si, malgré la
baisse d’anxiété, vous ressentez toujours un malaise en la présence de ce
collègue, il serait toujours opportun de lui dire, avec une ou deux autres
personnes à vos côtés qui vous appuient, que vous n’appréciez pas ses
blagues douteuses et que vous aimeriez qu’il n’en fasse plus en votre
présence. Ici, vous reprenez du pouvoir sur une situation qui vous dérange.
C’est un pas important dans la bonne direction. Bien des gens fanfaronnent,
mais lorsqu’ils sont confrontés à leurs comportements, ils se calment. Si ça
ne marche pas, il sera toujours temps de vous adresser à votre supérieur
pour lui faire part de votre malaise face aux blagues de votre collègue, qui
importunent peut-être d’autres membres du personnel.
Il est donc à retenir que, peu importe la manifestation de l’anxiété, qu’il
s’agisse ou non d’une attaque de panique, une fois les symptômes apaisés, il
vous faut repérer les déclencheurs; écouter vos peurs plutôt que les
banaliser; avoir un discours rassurant envers vous-même quant à votre
connaissance du danger potentiel et des mesures que vous prenez pour vous
protéger; et, si ça ne suffit pas, mettre en place des mesures pour assurer
votre protection. Parfois, les déclencheurs vous ramènent de manière
tellement intense dans le passé en vous faisant perdre contact avec la réalité
qu’il vaut mieux consulter un professionnel qui saura vous aider.
Vous avez travaillé fort pour atteindre un certain équilibre émotionnel
dans votre vie. Autant que possible, préservez la stabilité que vous avez
réussi à mettre en place. Évitez les situations stressantes qui mènent à des
montagnes russes émotives! Plus votre vie sera stable, moins les crises
d’anxiété devraient survenir. Cela ne signifie pas que vous ne devez pas
relever de nouveaux défis. Tout est une question de juste milieu. La
différence entre un stress et un défi: le stress mine votre énergie, alors que
le défi vous apporte un carburant pour avancer et accomplir de belles
choses.

Gérer les symptômes lorsqu’ils surviennent


Malgré les conseils que je viens de vous donner, vous ne pourrez pas éviter
toute anxiété. Alors, que faire quand elle survient? Plusieurs se réfugient
dans l’alcool ou la drogue pour diminuer l’anxiété. En fait, l’anxiété peut se
faire sentir un peu moins intensément, mais, comme elle a besoin de
s’exprimer, elle va seulement durer plus longtemps. Autrement dit, ne
cherchez pas à la faire taire! Une des premières choses à savoir est que ce
n’est pas un lieu, une personne ou un événement qui déclenche l’anxiété,
mais bien les pensées qui y sont associées. Aussi, si c’est possible, soyez
conscient des pensées qui surgissent et faites ce qu’on appelle un «arrêt de
la pensée». Il s’agit d’imaginer un «STOP» lorsque la pensée prend forme
et qu’elle est de plus en plus intense et décalée de la réalité. Par exemple,
vous conduisez votre auto en fin de journée pour rentrer chez vous et vous
remarquez un camion derrière vous qui semble vous suivre. Il tourne aux
mêmes endroits que vous. «Oh non! Il me suit! Mais qu’est-ce qu’il me
veut? Qu’est-ce que j’ai fait? C’est sûr qu’il me suit. Il vient de tourner dans
la même rue que moi. Il veut voir où j’habite pour m’agresser. Qu’est-ce
que je vais bien pouvoir faire?… » Au fur et à mesure que ces pensées
défilent dans votre tête, votre respiration s’accélère, vous transpirez, vous
avez la nausée et vous pleurez. Le plus vite possible, dès le début de cette
suite de pensées, soit immédiatement après le «Il me suit!», vous visualisez
un «STOP» dans votre tête. Vous vous parlez ensuite: «Il a peut-être un
chemin similaire au mien.» Dans le doute, vous arrêtez la voiture dans un
endroit public, le stationnement d’un commerce ou sur le bord d’une rue
passante, pour constater qu’il continue son chemin. Pratiquer l’arrêt de la
pensée et la remplacer par une pensée plus nuancée ne signifie pas que vous
devez vous mettre en danger et affronter votre peur. Il n’est donc pas
question ici de descendre de votre auto pour lui demander ce qu’il veut.
Pensez toujours à votre sécurité en premier! Retenez ici de faire un arrêt de
la pensée rapidement quand cette dernière commence à prendre de
l’expansion et si elle recommence, faites à nouveau un arrêt.
Parfois, l’anxiété est si intense que vous replongez dans vos souvenirs.
Vous avez ce qu’on appelle des flashbacks. Ici, il faut vous rappeler que vos
images sont des souvenirs. Sentez vos pieds s’enraciner dans le sol; gardez
les yeux bien ouverts; regardez autour de vous pour revenir dans le présent.
Vous pouvez aussi vous rappeler le lieu et l’année où vous êtes: «Je suis à
l’école de ma fille et on est en 2017.» Cela devrait suffire à court terme à
vous retrouver dans la réalité. Certaines personnes portent un bijou qu’elles
touchent, au besoin, afin de s’ancrer dans le présent. Par exemple, une
alliance pour se rappeler qu’elles sont mariées ou encore un pendentif qu’on
leur a offert. Ces symboles de leur vie adulte leur rappellent qu’elles ne sont
plus l’enfant jadis abusé.
Si vous êtes seul, appelez quelqu’un de confiance. Si vous n’avez
personne, il existe des lignes d’écoute que vous pouvez appeler et il y aura
quelqu’un au bout du fil pour vous écouter, le temps que votre anxiété
s’apaise. Si vous rencontrez régulièrement un thérapeute, il ne sera
probablement pas disponible sur-le-champ, mais n’oubliez pas de lui parler
de cette crise d’anxiété lors de votre prochain rendez-vous. Ensemble, vous
pourrez l’explorer plus à fond en toute sécurité.
Mis à part la gestion de vos pensées, vous devez parfois faire des choses
plus concrètes. La respiration contrôlée (soit le fait d’inspirer par le nez et
d’expirer par la bouche en comptant les secondes) peut vous aider à
reprendre vos esprits. Pour commencer, inspirez par le nez en comptant
tranquillement jusqu’à trois, puis expirez par la bouche en comptant jusqu’à
quatre. Vous pouvez le faire plus longtemps, mais assurez-vous d’avoir
toujours une seconde de plus à l’expiration qu’à l’inspiration. Je vous
suggère fortement d’expérimenter cette technique en dehors des crises
d’anxiété pour que vous soyez capable de l’appliquer lorsque nécessaire.
L’eau est une ressource naturelle qui apaise. Quand vous ressentez des
symptômes physiques d’anxiété, comme un mal de tête, une nausée, une
transpiration abondante, vous pouvez boire un grand verre d’eau ou encore
faire couler de l’eau sur vos mains, par exemple, ou écouter le son de l’eau
qui coule, que ce soit dans une fontaine ou sur un enregistrement. Prendre
l’air peut aussi s’avérer fort bénéfique. Vous pouvez marcher en respirant à
pleins poumons, en profitant des rayons du soleil ou en prenant conscience
du froid sur vos joues. C’est une autre belle manière de vous ancrer dans le
présent.
Il y a bien sûr certaines bonnes habitudes de vie qui, lorsqu’elles sont
acquises, peuvent vous être utiles en cas de besoin. Je pense ici à faire de
l’exercice ou du yoga, à méditer, à faire de la relaxation ou de la
visualisation.

Avoir recours à la relaxation ou à la visualisation


La relaxation a plusieurs effets bénéfiques. Elle permet notamment de
traiter les différentes manifestations de l’anxiété telles que le stress,
l’insomnie ou les troubles gastro-intestinaux. Elle produit un relâchement
non seulement du corps physique, mais aussi du corps émotionnel. Je vous
recommande de pratiquer la relaxation environ 15 minutes par jour pour en
ressentir les bénéfices de manière globale. Le stress est alors réduit et vous
êtes moins enclin à faire de l’anxiété. Ensuite, quand l’anxiété se manifeste,
vous êtes capable de faire de la relaxation, car vous connaissez la méthode.
En fait, il existe plusieurs méthodes de relaxation. Une des plus populaires
est la relaxation progressive de Jacobson, dont nous avons parlé au
chapitre 1 (voir p. 21). Vous trouverez aisément d’autres méthodes de
relaxation dans les livres spécialisés ou encore sur des sites Internet en
faisant quelques recherches. L’important est que vous trouviez celle qui
vous convient.
Certaines personnes sont plus à l’aise avec la visualisation. Vous pouvez
mettre de la musique douce, et imaginer un endroit sécurisant et apaisant,
comme une plage, le bord d’un lac ou une forêt. Visualisez-vous étendu sur
le sol ou encore assis confortablement, et profitant de tous les bienfaits que
cet endroit vous procure. Prenez le temps d’établir un contact sensoriel avec
ce qui vous entoure, c’est-à-dire avec chacun des cinq sens:

• Regardez l’endroit, tous ses petits détails; admirez sa beauté.


• Écoutez les bruits: l’eau qui coule, le chant des oiseaux, les feuilles qui
bougent au vent.
• Humez les parfums: l’odeur salée de la mer, l’humidité de la forêt, etc.
• Sentez le contact de votre corps avec l’environnement: le sable entre vos
orteils, la roche dure sous vos fesses, l’eau fraîche sur votre peau.
• Goûtez l’eau salée ou les petits fruits rouges que vous trouvez dans la
forêt. Prenez le temps de ne faire qu’un avec votre environnement.

Cette quiétude, elle n’appartient qu’à vous. Cet endroit, c’est votre
sanctuaire. Vous pouvez y revenir quand vous voulez vous ressourcer.
Quand vous êtes prêt, quittez ce lieu paisible pour reprendre tranquillement
contact avec la pièce où vous vous trouvez. Ouvrez doucement les yeux.
Prenez votre temps. Vous pouvez aussi boire un peu d’eau pour mieux
réintégrer l’ici et maintenant.

L’écriture qui guérit


1. Lorsqu’une situation vous cause de l’anxiété, vous pouvez faire cet
exercice. Dans la colonne de gauche, décrivez la situation stressante.
Dans la deuxième colonne, écrivez les pensées que suscite cette
situation. Dans la troisième colonne, énumérez les manifestations
physiques de votre anxiété. Vous voyez que les manifestations physiques
sont en fait en lien avec les pensées. Dans la dernière colonne, écrivez,
pour chaque pensée de la deuxième colonne, une autre pensée plus
nuancée. Par exemple, vous êtes anxieux à l’idée d‘aller à un souper que
des amis ont organisé pour vous présenter un ami célibataire. Si vous
pensez: «Je dois lui plaire» ou encore: «Il faut que ça marche», vous
vous mettez une pression indue. Vous pourriez remplacer cette pensée
par celle-ci: «Nous verrons si nous nous plaisons tous les deux» ou
encore: «Ce sera un souper agréable de toute façon, que ça marche ou
non avec la personne qu’on veut me présenter.» Lorsque vous avez
terminé, observez comment vous vous sentez. Vous verrez que l’anxiété
est moins grande.
2. Faites une liste de gestes bienveillants que vous pourriez avoir envers
vous-même. Par exemple, prendre le temps de vous faire un sourire tous
les matins dans le miroir. Vous serez ainsi certain d’en avoir au moins un
dans votre journée.
3. Dressez une liste d’activités qui peuvent vous aider à relaxer. Par
exemple, prendre un bain, lire un roman, écouter votre émission
préférée, faire une promenade, danser sur une musique rythmée, faire du
coloriage, dessiner, etc. Quand vous ressentez de l’anxiété, consultez
cette liste et voyez quelle activité peut vous faire du bien.

Même s’il peut être tentant de chercher à dominer votre anxiété, ce n’est
pas la meilleure chose à faire. Essayez plutôt de la comprendre et d’avoir à
votre égard une attitude bienveillante.
Chapitre 6
Canaliser la colère

L
a colère est une émotion généralement mal comprise et peu
appréciée; elle dérange. C’est pour cette raison que plusieurs
personnes veulent se débarrasser de leur colère. En fait, elle est
légitime, comme n’importe quelle émotion. Elle n’a donc pas à être
enrayée. Il faut cependant baliser le comportement qui peut en découler, car
c’est lui qui peut devenir problématique et non l’émotion en elle-même.
Avoir été victimisé amène une grande tristesse, souvent masquée par la
colère. La colère sert d’armure. Ressentir de la colère envers votre
agresseur est tout à fait normal et il peut aussi vous arriver d’avoir envie de
vous venger, sans nécessairement passer à l’acte. Entretenir ce sentiment
peut par contre devenir destructeur. En effet, vous entretenez alors des
pensées négatives, ce qui vous empêche de voir le positif autour de vous.
Votre énergie se concentre sur l’autre plutôt que sur vous. Votre agresseur
ne mérite pas toute cette énergie que vous lui consacrez. Il vous en a assez
pris, non? La pensée de vengeance peut vous donner l’impression de
rééquilibrer les choses, du moins en imagination. Votre agresseur souffre
autant qu’il vous a fait souffrir. Mais lorsque vous imaginez sa souffrance
en comparaison de la vôtre, c’est encore vous qui demeurez pris avec cette
souffrance. Pas lui.

J’ai souvent pensé à porter plainte contre mon agresseur. Je le


traînerais dans la boue. Il perdrait tout: sa famille, ses amis, son
travail. Ce serait bien fait pour lui. Qu’en pensez-vous?

Porter plainte est un processus complexe, avec plusieurs étapes. En général,


la démarche est vécue difficilement par la victime, puisqu’elle doit répéter
plusieurs fois son histoire et également faire face à son agresseur. Certaines
personnes, toutefois, trouvent bénéfique cette confrontation avec
l’agresseur. Elles veulent le regarder droit dans les yeux et lui dire tout le
mal qu’il leur a fait. C’est aussi une façon pour elles de s’affirmer, de lui
dire qu’il ne leur fait plus peur. Enfin, plusieurs victimes vont de l’avant
dans le processus judiciaire dans le but d’obtenir réparation. Elles
souhaitent, et c’est bien compréhensible, que l’agresseur paie pour le crime
qu’il a commis. Cependant, cette décision ne leur appartient pas et plusieurs
se retrouvent déçues face à une sentence qu’elles espéraient plus grande ou
même devant un verdict de non-culpabilité.
Je vous suggère de réfléchir, dans un premier temps, aux attentes que vous
avez face au processus judiciaire. Ces attentes sont-elles envers vous,
l’agresseur ou le système en soi? Les seules attentes sur lesquelles vous
avez du pouvoir sont celles que vous avez pour vous-même. Pour ce qui est
des attentes à l’égard de l’agresseur ou du système judiciaire, elles peuvent
être satisfaites ou non. Cette démarche peut se faire, mais je vous encourage
fortement à être accompagné et épaulé par un organisme de défense des
droits des victimes où vous bénéficierez d’informations et, surtout, de
soutien.

Les raisons de la colère


Peut-être ressentez-vous à l’occasion de la colère, mais sans savoir
nécessairement pourquoi. Vous en voulez au monde entier! Le bonheur des
autres vous irrite… leur légèreté, leur façon de rire et de profiter de la vie.
Vous regardez les enfants, autour de vous, et vous enviez leur innocence,
leur insouciance… Vous avez perdu la vôtre, depuis longtemps! Vous ne
pouvez pas leur en vouloir, ce sont des enfants, mais en même temps… la
vie est injuste, non? Pourquoi vous? Pourquoi on ne vous a pas protégé?

Denis, 55 ans, consulte pour les agressions sexuelles que lui a fait subir
l’entraîneur adjoint de son équipe de hockey lorsqu’il avait entre 10 et 12
ans. Deux autres garçons ont été agressés par cet homme. Aujourd’hui
adulte, Denis en veut à l’entraîneur de ne pas les avoir protégés: il aurait
dû savoir, selon lui. Il ressent de la colère envers ses parents qui n’ont
pas compris quand il disait qu’il n’aimait pas cet adjoint. Ils lui
répondaient qu’il était exigeant, pour son bien, que c’était un bon père de
famille ayant à cœur la réussite des jeunes qui lui étaient confiés. Denis
en veut au concierge qui a un jour été témoin d’une agression et qui a
refermé la porte, sans dire un mot. Pour lui, sa vie aurait été
complètement différente si quelqu’un, un adulte, l’avait écouté, l’avait
aidé. Les relations avec ses parents ont toujours été difficiles et il ne s’est
jamais réconcilié avec son père, même à sa mort.

Denis n’en veut pas seulement à son agresseur, mais aussi aux adultes en
qui il avait confiance. Peut-être vous êtes-vous reconnu dans son histoire.
Ce qui est particulièrement triste dans les histoires d’agression sexuelle,
c’est que plusieurs relations sont détruites à cause des gestes commis par
une seule personne… des relations passées, mais également présentes et
futures. En effet, comment construire des relations sur des bases de
confiance alors que l’agression a justement pu avoir lieu en raison de cette
confiance!
Plusieurs raisons peuvent expliquer votre colère. À travers les abus, on a
profité de votre bonté, on vous a utilisé. Vos limites ont été transgressées.
On ne vous a pas respecté, on a menacé votre intégrité. Vous avez beaucoup
perdu: votre innocence, votre confiance en l’autre et en la vie, votre
capacité à vous affirmer, votre intimité. Encore aujourd’hui, vous en
subissez les répercussions dans votre vie professionnelle, vos relations
amicales, votre vie familiale, votre vie amoureuse et intime. Lorsque vous
rencontrez des difficultés que vous pouvez relier au fait d’avoir été agressé
ou encore lorsque vous entendez parler d’histoires d’abus dans l’actualité
ou par une autre victime, il est bien normal que vous ressentiez de la colère.
Pourtant, la colère est ce qu’on appelle une seconde émotion, c’est-à-dire
qu’elle en camoufle une autre, plus primaire, comme la tristesse et la peur.
Bien des personnes qui m’ont consultée expriment beaucoup de colère dans
les premières séances, puis, peu à peu, grâce au lien de confiance établi,
elles peuvent se permettre de laisser tomber la carapace et de toucher à
l’émotion réelle, la tristesse. Alors, elles pleurent… Elles pleurent leur
enfance, les pertes liées aux abus, et peuvent alors commencer un processus
de deuil, avant d’emprunter le chemin de la guérison.
Les manifestations de la colère
La colère peut se manifester sous différentes formes. Elle est parfois
explosive, surtout si vous l’avez retenue pendant une longue période. Lors
d’abus sexuels vécus dans l’enfance, il n’est pas rare que l’enfant ne puisse
exprimer sa colère, par crainte de représailles.

Justin a neuf ans. Lorsqu’il était en première année, il était souvent puni.
Il se chamaillait avec les autres, allant parfois jusqu’à leur donner des
coups de poing au visage et au ventre. Il a même craché au visage de son
enseignant plusieurs fois. Croyant bien faire et souhaitant surtout que les
comportements agressifs de Justin cessent, les intervenants de l’école
ainsi que ses parents ont eu recours à un nombre incalculable de
punitions allant du retrait du groupe à la privation de privilèges et de
sorties, en passant par les réprimandes; rien n’y faisait. Lorsque Justin a
eu huit ans, ses parents ont consulté un thérapeute pour qu’il lui vienne
en aide. Ce thérapeute faisait bien peu de cas des comportements
problématiques du garçon. Ce qui l’intéressait d’abord et avant tout,
c’était la raison de cette rage qu’exprimait Justin. Il a été difficile de
gagner la confiance de Justin, mais le thérapeute était patient. Il a
demandé qu’on cesse les punitions. Justin était surpris de ne plus avoir
de sanction. Ses comportements agressifs ont diminué. Tout à coup, il
avait l’impression qu’on s’intéressait à lui, qu’il était aussi capable de
belles choses. Avec le temps, Justin s’est confié au thérapeute. Il avait été
agressé sexuellement par son oncle à quelques reprises. Il gardait le
silence pour ne pas briser la famille. C’était lourd à porter. Il exprimait
donc sa souffrance par des comportements agressifs. Après un an de
thérapie, Justin va bien. Lui et sa famille sont très reconnaissants envers
le thérapeute.

Tous les enfants abusés sexuellement n’ont pas la chance de croiser un


thérapeute comme celui de Justin. Ils apprennent par conséquent à refouler
leur colère pour éviter les sanctions, car ils ont bien compris que
l’agressivité qu’ils manifestent sera punie. Bien peu d’adultes s’intéressent
aux raisons des comportements dérangeants des enfants. Ils veulent que de
tels comportements cessent, tout simplement. Ces enfants, en grandissant,
n’en peuvent plus de contenir leur colère et on peut voir alors se manifester
des comportements de délinquance ou même de violence envers autrui.
Cette colère, ils ne savent pas l’exprimer sainement. Personne ne le leur a
appris. Ils n’ont su que la taire. C’est un peu comme mettre un couvercle
sur un chaudron contenant de l’eau qui bout. À un moment ou à un autre, le
couvercle va se soulever si on ne baisse pas la température de l’eau.
Votre colère peut se manifester par une tendance à entrer en conflit avec
les autres. Vous pouvez aussi faire des crises de colère lorsque vous ne vous
sentez pas respecté, que vos besoins ne sont pas pris en considération. Cela
peut aller jusqu’à l’agressivité, verbale et physique, même avec les gens que
vous aimez, comme votre partenaire. Il se peut que vous vous sentiez
passablement démuni face à votre colère, en particulier si vous avez été
victime de la colère et de l’agressivité de votre agresseur. Votre colère peut
alors vous déstabiliser, en vous faisant revivre des événements malheureux
liés aux abus sexuels. Certaines personnes ayant été victimisées ont si peur
d’être en colère et de ce qui pourrait se passer que ce sont d’autres émotions
et d’autres peurs qu’elles mettent de l’avant, par exemple la tristesse, la
déception, la peur de la trahison et de l’abandon. Ce vécu émotionnel est
bien réel, mais si vous grattez, vous trouverez peut-être une colère enfouie.
Des symptômes physiques peuvent aussi camoufler votre colère: de la
fatigue, des maux de tête ou des tensions musculaires.

Les conséquences de la colère dans votre vie


Ressentir de la colère, après les épreuves que vous avez traversées, est tout
à fait normal. Si vous craignez les débordements, il est possible que, sans
vous en apercevoir, vous l’ayez refoulée, ce qui pourrait avoir contribué à
l’apparition de symptômes importants de dépression ou d’anxiété. La
colère, vous pouvez l’avoir ressentie contre vous-même. Elle prend alors
souvent la forme de punitions que vous vous infligez, par exemple en vous
privant de certains accomplissements, que ce soit d’avoir une carrière qui
vous passionne, de vivre une vie de couple à la fois stimulante et
sécurisante, de fonder une famille, etc. C’est comme si vous croyiez que
vous ne méritez pas ce bonheur. Et pourtant, après ce que vous avez vécu,
vous y avez droit, vous aussi.
Pour certaines victimes, cette colère envers elles-mêmes les pousse à
adopter des comportements destructeurs. Elles peuvent abuser de l’alcool
ou de la drogue, avoir des troubles alimentaires, s’automutiler et même
tenter de se suicider. Elles se détruisent, brisent ce corps qu’elles détestent.
Si vous avez déjà adopté ce genre de comportements, il vous faut une aide
professionnelle. Car la colère, si elle est bien canalisée, peut se transformer
en désir de justice, entre autres. Bien des victimes passées deviennent des
aidants pour d’autres victimes. Si elles affichent leur vécu antérieur de
victimisation, cela peut permettre à certaines victimes d’établir plus
facilement un lien de confiance avec un thérapeute. Le désir de justice a
également conduit plusieurs survivants à militer pour davantage de services
ou pour des peines plus sévères à l’endroit des agresseurs. Ces battants ont
réussi à faire quelque chose de bénéfique pour la société avec leur vécu
antérieur de victimisation. Une colère bien canalisée peut aussi se changer
en affirmation de soi, de ses désirs, de ses besoins, de ses attentes et de ses
limites. C’est d’abord et avant tout se reconnaître des droits. Cela peut par
contre devenir un terrain glissant où la peur d’être à nouveau bafoué
conduit à tenir des propos agressifs ou à avoir des comportements d’abus
qui gardent les autres à distance. Cela amène un certain isolement vécu
difficilement par les victimes qui se sont souvent senties bien seules, mais,
paradoxalement, c’est aussi sécurisant, puisque cela permet une certaine
protection face aux blessures qui peuvent nous être infligées quand on aime
et qu’on se laisse aimer.

Un pas en avant
La colère d’avoir été agressé est bien légitime. Dans l’aide que je souhaite
vous apporter, je me pencherai donc davantage sur les cibles de votre colère
ainsi que sur ses manifestations.

Reconnaître la cible de sa colère


L’agresseur est souvent la première cible de votre colère et c’est bien
normal. Je ne le répéterai jamais assez dans ce livre: il est le seul et unique
responsable des gestes qu’il a commis. S’il se déresponsabilise, minimise
ou nie les faits, ou, pire encore, s’il rejette le blâme sur vous, il est bien
compréhensible que votre colère soit encore plus grande. Ne lui accordez
pas votre attention; il ne la mérite pas. Occupez-vous plutôt de vous-même
et de votre guérison.
Si vous avez été agressé durant l’enfance ou l’adolescence, il peut arriver
aussi que vous soyez en colère contre d’autres personnes qui n’ont pas été
agressées, elles. Pourquoi vous et pas elles? Derrière cette colère se cache
probablement une envie. Vous auriez aimé, vous aussi, avoir une enfance ou
une adolescence sans abus, sans violence. Peut-être même idéalisez-vous
leur vie car, en fait, vous ne savez pas ce qu’elles ont vécu. Vous avez le
droit de ressentir de la colère, mais reportez-la sur l’agresseur. Quant à
l’envie que vous ressentez face aux autres, vous pouvez la travailler en
lisant le chapitre sur les deuils, car vous aurez, inévitablement, à faire le
deuil de l’enfance ou de l’adolescence que vous auriez aimé avoir.
Même si vos parents ne sont pas vos agresseurs, il vous est peut-être déjà
arrivé de leur en vouloir de ne pas avoir su ce qui vous arrivait, de ne pas
vous avoir protégé ou encore de ne pas vous avoir cru, par exemple. Votre
frustration est compréhensible. Après tout, les parents sont là pour protéger
leurs enfants. Cependant, si vous y réfléchissez bien, croyez-vous que vos
parents auraient voulu que vous soyez agressé? Non. En fait, ils sont des
victimes secondaires de l’agression que vous avez subie, car la principale
victime, c’est vous. C’était vous. Car, aujourd’hui, vous n’êtes plus victime.
Vous êtes passé de victime à survivant. Et maintenant, vous voulez
davantage que survivre; vous voulez vivre. Mais il est difficile de bien vivre
lorsque la colère nous habite…

Mieux vivre avec sa colère actuelle


Ce sont souvent les mêmes situations ou personnes qui nous mettent en
colère. Vous pourriez donc penser à une situation qui vous met
particulièrement en colère. Réfléchissez à l’émotion sous-jacente. Est-ce de
la peine? De la peur? Peur d’être rejeté ou abandonné? Est-ce de
l’impuissance? De la culpabilité? Adressez-vous à cette émotion en
l’accueillant, comme un bon parent le ferait avec son enfant. Prenez le
temps de vous rassurer, de vous consoler. Une fois que c’est fait, essayez de
cerner quelque chose de constructif qui ressort, pour vous, de cette
situation. Par exemple, chaque fois que votre collègue émet une opinion
contraire à la vôtre, vous ressentez beaucoup de colère. C’est en fait de la
peine; vous avez peur qu’on ne vous aime pas et qu’on vous rejette dans
votre cercle professionnel. Non, vous n’êtes pas rejeté. Au contraire, on a
suffisamment d’estime pour vous et on vous croit assez solide pour faire
preuve d’honnêteté et de franchise et favoriser un échange d’opinions. Votre
opinion vaut celle des autres. Apaisant, non, de voir les choses sous cet
angle? Maintenant, qu’y a-t-il de constructif dans cette situation? Elle vous
apprend à vous faire confiance, à vous affirmer sans vous sentir menacé,
tout en étant à l’écoute des autres. Ce n’est pas l’enjeu de déterminer un
gagnant et un perdant. Vos collègues peuvent vous apprendre des choses par
leurs idées comme vous pouvez leur en apprendre avec les vôtres. Vous
voyez? La colère nous fait voir les choses sous un angle qui paralyse plutôt
que de faire avancer. C’est en étant à l’écoute des souffrances qui se cachent
derrière que vous arriverez à la doser.

Choisir la place qu’on donne à la colère dans sa


vie
Voici quatre phrases clés qui vous aideront à réfléchir sur la place que vous
voulez laisser à la colère dans votre vie à partir de maintenant:

Réalisez que c’est à vous que la colère fait le plus de tort.


La colère que vous ressentez, c’est à vous qu’elle fait le plus de tort. Votre
agresseur ne connaît pas l’intensité des émotions qui vous habitent. C’est
vous-même que vous détruisez, petit à petit. Vous méritez la paix intérieure.
C’est le plus beau cadeau qui soit. Lorsque la colère vous habite, vous vous
en éloignez. Si vous acceptez de la laisser aller, alors vous vous
approcherez de la sérénité.

Servez-vous de votre colère comme motivation à vous prendre en main.


Êtes-vous prêt à laisser aller votre colère ou, du moins, son aspect
destructeur? Tentez de ne conserver que la part de cette colère qui peut agir
comme carburant pour vous propulser vers l’avant. Celle-ci peut vous aider
à vous prendre en main. En effet, vous aurez peut-être envie de prouver à
l’agresseur et à votre entourage que vous êtes capable de grandes choses,
que la souffrance passée n’entravera pas votre réussite professionnelle, par
exemple. Rappelez-vous qu’avant de prouver aux autres ce dont vous êtes
capable, c’est d’abord à vous-même que vous démontrez votre résilience.

Soyez à cent pour cent responsable de vos réactions.


On entend souvent dire que, dans un conflit, chacun des protagonistes est
responsable pour moitié de la situation. Dans un cas d’agression sexuelle,
seul l’agresseur est responsable de la situation, donc à cent pour cent.
Cependant, vous êtes cent pour cent responsable de vos réactions face à
cette situation passée. Qu’en ferez-vous? Choisirez-vous de vous détruire,
de le haïr? Déciderez-vous plutôt de rebondir sur vos pieds?

Reprenez le pouvoir sur votre vie.


Il ne peut y avoir qu’une personne aux commandes. Alors, qui sera aux
commandes de votre vie? Je vous souhaite de prendre ces commandes dès
maintenant. Vous avez peur de ne pas savoir piloter? Faites-vous confiance.
Vous saurez vous mener à bon port si vous respectez un certain rythme de
croisière et que vous êtes à l’affût. Si l’agresseur a pris les commandes par
le passé, reprenez-les maintenant. Elles sont à vous. Pendant que vous êtes
derrière le volant, vous ne concentrez pas vos énergies sur l’autre. Vous
vous concentrez sur votre route et vous laissez l’autre prendre la sienne.

Libérer sa colère dans l’action


Il y aura des moments où votre colère sera plus présente, sans que vous en
compreniez nécessairement les raisons. De toute façon, est-il bien
nécessaire de toujours tout analyser? Elle est là, mais qu’en ferez-vous?
Une façon très saine est de la canaliser dans le sport ou l’activité physique.
Lorsque vous suez durant un effort physique, imaginez que la colère sort
dans cette sueur, qu’elle s’écoule des pores de votre peau. Vous verrez, c’est
très libérateur! Vous pouvez envisager de vous inscrire dans un club de
sport collectif si vous souhaitez en même temps briser un peu votre
isolement. Un sport individuel, comme le vélo ou la course à pied, vous
permettrait de vous dépasser. Finalement, pratiquer les arts martiaux vous
redonnerait un sentiment de reprise de pouvoir ainsi qu’un sentiment de
sécurité.
L’écriture qui guérit
On peut faire sortir le trop-plein grâce à l’activité physique, c’est
bien connu, mais, parfois, il vaut la peine de prendre le temps de réfléchir à
la place qu’a occupée la colère dans votre vie passée et celle que vous
voulez qu’elle occupe dans votre vie présente et future.

1. Consacrez une page à la colère que vous ressentiez lorsque vous étiez
enfant. Aviez-vous le droit d’être en colère? Comment les adultes
réagissaient-ils à votre colère? Étiez-vous puni pour vous être mis en
colère? Si c’était le cas, comment vous sentiez-vous? Les punitions ont-
elles eu une influence sur vos colères? Si oui, laquelle? Au contraire, un
adulte a-t-il encouragé votre agressivité en vous disant, par exemple, de
vous battre pour vous faire respecter? A-t-on glorifié la violence dans
votre enfance? En général, on reconnaît que l’enfant qui a été puni
régulièrement pour s’être mis en colère aura tendance à la refouler, pour
éviter les punitions. Si au contraire on l’a encouragé à être agressif, son
agressivité s’en trouvera bien sûr accrue. Lorsqu’on y regarde de près,
dans un cas comme dans l’autre, aucun outil n’a été donné à l’enfant
pour accueillir sa colère et l’exprimer sainement. On l’a soit découragée,
soit amplifiée. Dans un deuxième temps, sur une autre page, réfléchissez
à la façon dont vous gérez actuellement votre colère. Quels moyens
utilisez-vous? Vous aident-ils? Que pourriez-vous mettre en place?
2. La rédaction de lettres est un exercice à la fois difficile et bénéfique.
Dans un premier temps, écrivez une lettre à vos parents, s’ils ne sont pas
vos agresseurs, ou au parent non agresseur, si l’autre vous a agressé
sexuellement. Exprimez vos pensées, vos émotions, vos besoins qui
n’ont pas été satisfaits, vos attentes non comblées, etc. L’objectif même
est de vous vider le cœur, sachant que la lettre ne sera pas lue, car vous
ne la leur enverrez pas. Cette lettre a uniquement un but thérapeutique,
pour vous aider dans votre cheminement. Si jamais vous souhaitiez
l’envoyer, je vous recommande de la faire lire à un thérapeute qui pourra
vous guider et s’assurer que vous assumez pleinement vos dires et que
vous êtes conscient des possibles retombées.
3. Vous pouvez écrire une autre lettre à votre agresseur. Encore une fois, le
but premier est de vous aider dans votre cheminement en vous
permettant de dire tout ce que vous avez sur le cœur, vos peines, vos
colères, les répercussions que ses actes ont eues et ont encore sur votre
vie. Cet exercice est très libérateur. Si jamais vous vouliez lui envoyer la
lettre, là encore, je vous recommande fortement de la faire lire à un
thérapeute qui vérifiera si vos paroles ne risquent pas d’être prises pour
des menaces, ce qui pourrait vous causer des ennuis.

La rédaction de lettres peut permettre de panser bien des blessures du


passé et de regarder vers l’avant. L’essentiel à retenir, c’est que la colère
vous maintient prisonnier. Il est important de l’apprivoiser pour mieux la
comprendre et trouver des façons saines de l’exprimer.
Chapitre 7
Apprendre à s’aimer et à s’affirmer

B
ien se connaître, apprendre à s’aimer et à s’affirmer sainement sont
le travail d’une vie entière. Qu’on ait été victime d’agression
sexuelle ou non, ces enjeux sont présents chez beaucoup d’entre
nous. Il est donc important de demeurer réaliste quant aux exigences que
vous aurez envers vous-même. Trop d’exigences nuit à l’estime de soi, ne
l’oubliez pas!

Mieux se connaître
L’identité est ce qu’on est en tant que personne, en tant qu’homme, en tant
que femme. Elle est forgée de vos forces comme de vos faiblesses, de vos
pensées, de vos émotions, de vos besoins, de vos attentes, de vos désirs.
Pour beaucoup de personnes ayant été agressées sexuellement, il n’y a pas
que le corps qui a été souillé, il y a aussi l’identité. Si c’est votre cas, vous
avez le sentiment d’avoir été violé jusque dans votre être, profondément.
L’agresseur vous a amené à douter de vous-même, de vos pensées, de vos
émotions, de vos besoins. Cette manipulation vous conduit peut-être encore
aujourd’hui à remettre en question votre propre identité. Il vous arrive
probablement de minimiser, voire de nier, vos besoins. Cette dévalorisation
de votre être peut se manifester par une certaine négligence de votre
apparence. Après tout, l’allure qu’on a n’est pas importante, c’est
superficiel, vous dites-vous. Mais cela peut aussi être le miroir de votre être.
Cette apparence négligée est le reflet du peu d’importance que vous
accordez à votre personne, à votre être.
Pour que votre estime de vous-même ne soit pas trop malmenée, il vous
faut prendre certaines précautions. Tout d’abord, voyez vos faiblesses
comme des défis à relever, et non comme des difficultés insurmontables.
Acceptez vos pensées et vos émotions, sans vous laisser victimiser par elles.
Si vous êtes un homme, ne vous croyez pas moins masculin si vous avez été
agressé par un homme. Si vous êtes une femme, ne refusez pas votre
féminité parce que vous avez été agressée. Plutôt que d’être passif face à ce
qui se passe en vous et autour de vous, faites corps avec votre identité pour
embrasser ce que vous êtes, en sachant que chaque partie de votre vie a
contribué à façonner la personne que vous êtes devenue.

Cultiver l’amour de soi


Comme vous pouvez le constater, il n’est pas facile de se connaître, encore
moins de se reconnaître. Le pire ennemi de la reconnaissance de soi est la
culpabilité et, à la suite des abus que vous avez subis, le sentiment de
culpabilité n’a pas sa place. Tant que vous vous sentirez coupable à la place
de l’agresseur, il vous sera difficile de vous aimer. Une autre chose peut
vous empêcher de vous aimer: la façon dont l’agresseur vous a traité. Le
mépris dont il a fait preuve envers vous peut vous conduire à vous mépriser
à votre tour, en croyant que vous ne méritez pas qu’on vous aime. Vous
pouvez aussi vous méfier d’une personne qui vous traite avec respect et
égards. «Que me veut-elle?» vous demandez-vous. Ainsi, vous passez à
côté de personnes qui pourraient vous faire du bien. Sans vous en rendre
compte, vous vous dépréciez peut-être par de petits commentaires sur votre
apparence ou vos gestes. Vous vous dévalorisez. Vous n’êtes pas à la
hauteur de vos exigences et cela vous déçoit. Vous vous jugez sévèrement.
Vous n’avez pas le droit à l’erreur. Dans ce contexte, votre estime
personnelle et votre confiance en vous-même pâtissent.
Cette perception négative que vous avez de vous-même affecte
inévitablement vos relations avec les autres. Plusieurs victimes, se voyant
comme des moins que rien, se retrouvent dans des relations violentes
(violence verbale, psychologique, financière ou physique). Elles tolèrent
cette violence, car elles ne croient pas mériter mieux. Certaines ne se voient
même plus comme un être humain, mais comme un objet sexuel,
uniquement bon à satisfaire les pulsions des autres. C’est la conséquence
directe du manque d’humanisme dont l’agresseur a fait preuve envers vous.
Cette violence que vous subissez, quelle qu’en soit la forme, vient vous
conforter dans l’idée que vous ne valez pas grand-chose. Cela vous paralyse
et vous empêche de vous aimer et de vous affirmer.
Vos pensées concernant votre image corporelle ne sont pas forcément
«réelles», mais teintées de la perception négative que vous avez de vous-
même. Il n’est pas facile d’avoir une pensée juste de son apparence
physique. Gardez en tête que l’amour que vous vous portez teinte votre
jugement sur vous-même et sur les autres, en vous amenant peut-être à
idéaliser ces derniers, d’une part, et à vous rabaisser, d’autre part. L’autre
n’est ni plus ni moins que vous; il est différent. Constater sa différence pour
ensuite l’apprivoiser est un pas dans la bonne direction.

Apprendre à s’affirmer
Il est bien ardu de s’affirmer lorsqu’on a de la difficulté à s’aimer.
S’affirmer signifie être capable de communiquer ses désirs, ses besoins et
ses limites aux autres, de manière respectueuse. Avoir été victime
d’agression sexuelle conduit souvent à adopter une attitude soumise dans
les relations interpersonnelles, par manque d’estime de soi, mais aussi par
peur de perdre l’autre. Cette peur d’être rejeté ou abandonné rend
l’affirmation personnelle difficile. Certaines personnes sont incapables de
dire non. Elles ont peur de déplaire. D’autres ont du mal à fixer leurs
limites. Encore faut-il qu’elles les connaissent et les considèrent comme
justes. La difficulté à se connaître et se reconnaître prend tout son sens ici.
Ne vous demandez pas quelles sont vos limites, mais plutôt si vous avez des
limites. Peut-être êtes-vous surpris de vous entendre répondre
spontanément: «Non.» Les limites se matérialisent d’abord dans nos
frontières corporelles. Comme l’agresseur les a franchies, il vous a amené à
les laisser tomber. Ainsi, pour la plupart des victimes passées, il est très
difficile d’avoir des limites et de les affirmer. D’autres, par contre, se sont
construit une barrière très épaisse avec les gens qui les entourent. L’intimité
physique est alors compromise, puisqu’il est pratiquement impossible pour
les autres de les approcher sans qu’elles se sentent menacées. Si la barrière
est grande, les limites sont aussi très importantes. Il est tentant de s’affirmer
sur tout et parfois même de dicter notre façon de voir les choses. Pour
l’entourage, cela peut être vu comme de la domination. Pas facile, dans ce
cas, de développer et de maintenir des amitiés.
Une difficulté à se réaliser… pourquoi?
Se connaître et se reconnaître, s’aimer, s’affirmer… tout cela amène à
s’accomplir! Mais des failles dans les étapes conduisant à
l’accomplissement rendent ce dernier difficile. Il est aisé de comprendre
que lorsqu’on a une faible estime de soi et un manque de confiance en soi,
le rendement au travail est diminué, les ambitions professionnelles sont
moindres, les réalisations ne sont pas à la hauteur des attentes. Ainsi,
plusieurs victimes se sentent anxieuses et incompétentes dans leur emploi,
inaptes à exercer certaines fonctions. Elles peuvent même aller jusqu’à faire
de l’autosabotage, sans s’en rendre compte; tout cela parce que leur
évaluation d’elles-mêmes et de leurs actions est assez négative.

J’ai l’impression que je n’ai pas le droit de réussir, car cela


voudrait dire que ce que j’ai vécu est sans importance. Aller
mieux signifierait que les séquelles ne sont pas aussi grandes.

Tout d’abord, personne ne sait mieux que vous les difficultés que vous avez
traversées. Cependant, il est inutile de rester plongé dans la souffrance
passée au cas où quelqu’un jugerait votre gaieté et vos réussites. Vous avez
le droit d’être heureux et d’aller de l’avant. Les agressions passées ne
s’effaceront pas. Elles sont un chapitre du grand livre de votre vie. Elles
peuvent même être toute une partie de votre biographie, mais il y a une
suite à votre histoire. Bien sûr, la suite est influencée par ce qui vous est
arrivé précédemment. Et si, aujourd’hui, vous poursuiviez l’écriture de
votre biographie, que souhaiteriez-vous pour votre personnage principal?

Erreurs fréquentes
Se connaître, s’aimer et s’affirmer sont des étapes sur un long chemin
parsemé d’erreurs. Une erreur fondamentale est de diviser les gens en deux
camps: les gentils et les méchants. Ainsi, si vous avez une mauvaise image
de vous-même, vous vous cataloguerez automatiquement dans le camp des
mauvaises personnes. Il peut devenir difficile d’être une bonne personne à
vos yeux. Essayez plutôt de vous voir comme une personne entière, avec
ses forces et ses défis, sans vous accoler un qualificatif de «bonne» ou de
«mauvaise» personne.
Poser un jugement négatif sur vous-même et votre comportement lors de
l’agression sexuelle est une erreur importante qui peut prendre deux formes.
Dans un premier temps, il vous est peut-être arrivé de vous blâmer pour ce
qui était arrivé en oubliant comment les choses s’étaient réellement
produites.

Bertrand, le patron de Corinne, lui demande de venir le rencontrer dans


son bureau à la fin de la journée. Comme il lui a fait plusieurs
compliments sur son travail au cours des dernières semaines et que
Corinne sait qu’un poste de gestionnaire sera bientôt disponible, elle est
très enthousiaste. Elle croit qu’il va lui offrir le nouveau poste. Alors
qu’ils sont seuls dans son bureau, Bertrand lui fait des attouchements.
Plus tard, il refuse d’admettre qu’il l’a agressée sexuellement lorsqu’elle
dépose une plainte à son syndicat. Il maintient qu’elle est venue le
rencontrer de son plein gré et qu’ils flirtent ensemble depuis quelques
semaines. Corinne s’en veut. Elle croyait que les compliments de son
patron étaient sincères et elle en était flattée. Elle lui souriait en retour,
car elle voulait maintenir de bonnes relations avec lui. Elle se défend en
disant qu’elle souhaitait un avancement professionnel et que d’être dans
les bonnes grâces du patron est important à ses yeux. Il la blâme d’avoir
profité de lui et de son attirance envers elle. Corinne ne sait plus quoi
faire. Elle se sent coupable d’être allée dans le bureau de Bertrand et
retire sa plainte. Les relations sont tendues et elle demande sa mutation
dans un autre service. Elle renonce à l’avancement professionnel qu’elle
convoitait.

Il est clair ici que Corinne n’a rien à se reprocher. Elle s’en veut pour
quelque chose qu’elle n’aurait pu prévoir, à savoir les intentions de son
patron. Non seulement elle a été agressée, mais en plus elle a depuis perdu
ses collègues et un avancement professionnel auquel elle tenait. L’image
qu’elle a d’elle-même l’empêche de s’accomplir comme elle l’aurait
souhaité.
Dans un deuxième temps, il pourrait être tentant pour vous de croire que
le contexte entourant l’agression sexuelle aurait été différent si vous aviez
agi autrement. Par exemple, plusieurs adultes qui me consultent regrettent
de ne pas avoir dénoncé plus tôt leur agresseur qui s’en est pris à d’autres
enfants dans la famille. Il est triste mais vrai de dire que bien des enfants
qui dénoncent ne sont pas crus par l’entourage. Donc, rien ne dit que votre
dénonciation aurait empêché les agressions de se reproduire sur vous et sur
d’autres enfants. De plus, vous en vouloir équivaut à prendre une part de la
responsabilité des actes commis par quelqu’un d’autre, ce qui mine
considérablement votre estime de vous-même et qui, de plus, est injustifié.
Seul l’agresseur est responsable de ses actes.
Finalement, le manque d’estime de soi peut mener à un sentiment
d’obligation important. Dans votre discours, il y a peut-être de nombreux
«il faut» ou encore «je dois». Certes, vous avez des obligations comme tout
le monde, mais ne vous en mettez-vous pas davantage que ce que vous avez
réellement? Ces obligations vous empêchent-elles de vous épanouir, de
vous sentir libre? À force de vous couper les ailes, il vous sera difficile de
prendre votre envol et de vous accomplir comme vous le méritez…

Un pas en avant
Capitaliser sur ses forces
Apprendre à se connaître et à se reconnaître est un défi de tous les instants.
Si vous avez été agressé sexuellement alors que vous n’étiez qu’un enfant,
vous traînez des séquelles qui affectent votre estime de vous-même depuis
longtemps déjà. Il importe, en premier lieu, de cesser de voir le verre à
moitié vide et de commencer à le voir à moitié plein. En d’autres termes,
arrêtez de vous concentrer sur vos défauts pour prendre conscience de vos
forces. Celles-ci existent bel et bien, elles aussi, à l’intérieur de vous-même.
Elles peuvent être d’ordre physique (un atout particulier), d’ordre
psychologique (une qualité) et d’ordre relationnel (la communication, la
présence de personnes de confiance autour de vous), etc. L’important est de
capitaliser sur vos forces. Ça n’effacera pas vos lacunes, mais vous serez
davantage à même de vous apprécier. Si l’envie vous prend de formuler un
commentaire négatif sur vous-même, sur quelque chose que vous avez fait
ou non, assortissez ces mots d’un «peut-être» ou d’un «parfois». Cela vous
amènera à relativiser la teneur de vos propos. Si vous vous dites: «Je suis
incapable de dire ce que je pense», vous pourriez dire à la place: «J’ai peut-
être de la difficulté à dire ce que je pense.» Ou encore, si vous pensez que
vous êtes toujours en train de vous plaindre de la moindre chose, vous
pourriez vous dire: «J’ai parfois tendance à me plaindre plutôt qu’à agir.»
Vous connaissez vos lacunes; il ne sert à rien de vous faire croire qu’elles
n’existent pas. Par contre, vous pouvez les nuancer. Comme nous l’avons
dit précédemment, vous avez peut-être tendance à voir les choses comme
étant le tout et son contraire. Nuancer vous permet de mettre les choses en
perspective et, ainsi, une lacune peut devenir beaucoup moins importante et,
même, s’avérer être une qualité par moments. Par exemple, se plaindre de
tout et de rien peut être irritant pour vous et les autres, mais si vous vous
plaignez parfois, cela signifie que vous êtes capable d’avoir une opinion et
que vous avez suffisamment confiance en vos opinions pour les dire à voix
haute. C’est un pas vers l’affirmation de soi.

S’affranchir du blâme
Pour développer ou retrouver l’estime de soi, il vous faut remettre la
responsabilité de l’agression sexuelle à la bonne personne, à l’agresseur en
l’occurrence. Si vous étiez enfant à l’époque, vous ne pouvez pas vous
juger avec vos yeux d’adulte. On oublie trop souvent ce qu’est un enfant,
ses pensées, ses émotions, ses comportements. Je vous recommande donc
d’observer des enfants qui ont l’âge que vous aviez lorsque vous avez été
agressé. Prêtez attention à leur joie de vivre, à leur innocence, à leur
générosité et, surtout, à leur vulnérabilité. La plupart, fort heureusement, ne
pensent pas qu’un adulte pourrait leur vouloir du mal. Pourriez-vous les
blâmer si un adulte commettait des gestes de nature sexuelle envers eux?
Bien sûr que non! Pensez à l’enfant que vous étiez en ces termes. Vous
pourriez ressortir une photo de vous alors que vous étiez cet enfant.
Reconnaissez la beauté et la bonté qu’il incarnait. Aimez-le
inconditionnellement. C’est ainsi que vous pourrez aimer l’adulte qu’il est
devenu…
Prendre soin de soi
S’aimer, c’est prendre soin de soi. En même temps, pour prendre soin de
soi, il faut une bonne estime personnelle. Par quel bout commencer? Si
vous avez de la difficulté à vous estimer, il vous sera plus facile de vous
conditionner à prendre soin de vous que de retrouver rapidement votre
estime personnelle. Prendre soin de soi peut sembler difficile à concevoir,
car encore faut-il croire qu’on le mérite. Le bonheur ne se mérite pas; nous
y avons tous droit. Si vous en doutez, commencez par vous répéter cette
phrase le plus souvent possible: «J’ai le droit d’être heureux et je choisis de
l’être.» Vous n’y croirez peut-être pas au début, mais cette phrase, à force
d’être répétée avec tout votre cœur, fera son chemin dans votre esprit et
vous en serez de plus en plus convaincu. Une fois persuadé que le bonheur
est fait pour vous, il est temps de faire ce qui est en votre pouvoir pour vous
faire plaisir, du moins dans votre quotidien. Concrètement, prendre soin de
soi, c’est se donner des plaisirs qui peuvent être des activités de loisir, des
moments de détente ou de petites récompenses. Vous êtes capable de vous
faire plaisir même si vous avez un budget limité. Aller marcher ou nager,
emprunter un livre à la bibliothèque, faire des jeux dans un cahier
d’activités, dessiner, suivre une télésérie, aller voir une exposition au
musée, chanter et danser sur votre musique préférée; bref, je suis certaine
que vous ne manquerez pas d’idées si vous vous y mettez. Prendre soin de
vous, c’est donc vous occuper de votre bien-être physique, mais aussi de
votre santé mentale et émotionnelle. C’est consulter un thérapeute
compétent qui pourra vous aider à voir plus clair dans votre vie et à faire le
ménage de votre passé. C’est également vous entourer de personnes qui
vous font du bien et espacer, voire cesser, les contacts avec celles qui vous
blessent et vous causent du tort. Finalement, c’est faire des choix éclairés en
ayant en tête que votre sécurité et votre bien-être sont une priorité.

L’écriture qui guérit


Des exercices d’écriture peuvent grandement vous aider à consolider votre
identité, à vous aimer dans votre entièreté et à vous affirmer dans différents
contextes, face aux autres.
1. Pour développer une identité plus solide, vous pourriez commencer par
soigner votre enfant intérieur blessé, si les abus remontent à l’enfance.
Une bonne façon de le faire serait de lui écrire une lettre. Rédigez la
lettre en vous adressant à l’enfant que vous avez été, et en lui parlant en
qualité de l’adulte que vous êtes aujourd’hui. Voici un court exemple:
«Cher Dominic, je regarde parfois les enfants jouer dans la cour de
l’école et je sais que tu aimerais te joindre à eux. Tu aimerais connaître
leur insouciance et le plaisir qu’ils ont à jouer. Même si tu crois qu’ils ne
veulent pas jouer avec toi, ce n’est pas forcément le cas. Va les voir et
demande-leur si tu peux jouer avec eux. Fais-toi confiance!»
Bien sûr, la lettre serait plus élaborée, mais l’idée ici est que l’adulte que
vous êtes, avec son expérience et sa maturité, soutienne et conseille
l’enfant que vous avez été.
2. L’enfant que vous avez été est devenu une femme, un homme.
L’agression sexuelle ne vous a pas nécessairement laissé une image très
positive des femmes ou des hommes. Plusieurs hommes victimisés
mettent en doute leur masculinité, alors que plusieurs femmes
victimisées rejettent une part de leur féminité. Or, le sentiment de
masculinité et de féminité est très personnel et n’a pas à correspondre à
un stéréotype. Je vous invite donc ici à écrire: «Je suis un homme parce
que…» ou: «Je suis une femme parce que…» Relisez votre réponse
après coup et demandez-vous si elle a une connotation plutôt positive ou
négative. Si elle est plutôt négative, demandez-vous quelles en sont les
raisons. Ensuite, observez des hommes ou des femmes autour de vous,
selon le cas, qui vous inspirent. Ces personnes et ce qu’elles dégagent
pourront modifier positivement l’image que vous avez des gens de votre
sexe.
3. Pour apprendre à vous aimer tel que vous êtes, il vous faudra réduire
vos commentaires dépréciatifs, accepter les commentaires positifs et
vous accorder des droits. Tout d’abord, je vous suggère de faire une liste
de commentaires négatifs que vous vous répétez fréquemment. Pour
chacun, demandez-vous son origine. Par exemple: «Je suis tellement
idiote!» Cela pourrait venir de votre mère qui vous répétait sans cesse
que vous l’étiez. Ensuite, nuancez ce commentaire: «Il m’arrive d’agir
sans avoir regardé l’ensemble de la situation, ce qui me conduit à
regretter mes actes ou mes paroles par la suite.» Voyez-vous, c’est
beaucoup plus constructif! Ce défaut peut aussi s’avérer être une qualité
par moments. Il s’agit en fait d’impulsivité et il est fort probable que
vous agissez parfois en prenant des initiatives intéressantes qui font
bouger les choses. Ne dit-on pas qu’on a souvent les défauts de nos
qualités? Il n’est pas question, ici, de faire disparaître vos défauts et de
viser la perfection, mais plutôt de les dédramatiser, et d’en diminuer la
portée s’ils vous causent des ennuis personnels et relationnels.
4. Vous recevez de temps à autre des commentaires positifs, mais vous ne
les remarquez peut-être pas. Je vous propose donc d’inscrire dans un
cahier de notes les compliments reçus et les succès remportés. Écrivez
pour chacun la date, le nom de la personne qui vous l’a dit, le contexte et
les mots qui le composent. Les jours un peu plus gris, vous pourrez
relire votre cahier de compliments. Ça fait du bien à l’estime de soi!
Même chose pour les succès. Écrivez la date et le contexte. Relire vos
succès vous motivera à continuer à aller de l’avant et à réaliser d’autres
accomplissements.
5. La prochaine étape est de vous reconnaître des droits. Bien sûr, ces
droits ne doivent pas enfreindre la loi. Prenez le temps d’en faire la liste.
Assurez-vous que la liste comporte surtout des droits de nature
psychologique et émotionnelle. Par exemple…

J’ai le droit d’aimer et d’être aimé.


J’ai le droit d’être heureux.
J’ai le droit de me reposer.
J’ai le droit au plaisir.
J’ai le droit de rire.

Lorsqu’elle est prête, vous pouvez retranscrire cette liste sur une feuille
que vous collerez dans un endroit stratégique de votre domicile, afin que
vous puissiez la lire souvent et qu’elle s’imprègne en vous. Vous verrez!
Sans trop vous en apercevoir, vous changerez d’attitude face à vous-même
et face à votre vie… pour le mieux!

6. Lorsque votre identité est en voie d’être consolidée, que vous apprenez
à vous aimer, il est plus aisé de vous affirmer. Il s’agit d’une étape
cruciale pour vous affranchir de votre passé. Tout d’abord, répondez aux
questions suivantes:
• Dans quels contextes est-il difficile de m’affirmer? Pour quelles raisons?
• Face à quelles personnes ou à quels types de personnes est-il difficile de
m’affirmer? Pourquoi?
• Quels liens puis-je faire avec l’agression sexuelle que j’ai subie dans le
passé?

Ce sera plus facile à lire qu’à mettre en pratique, mais au besoin récitez
calmement cette phrase: «L’agression sexuelle appartient au passé. Il
m’appartient de la laisser là où elle est et de ne plus la voir sous les traits de
situations ou de personnes dans ma vie actuelle.» Méditez sur cette phrase.
Victime, vous ne pouviez vous affirmer face à votre agresseur. Survivant, il
vous est difficile de vous affirmer dans de nouveaux contextes ou face à des
personnes autres que l’agresseur. Mais alors que vous choisissez de vivre
après avoir survécu, vous savez que vous affirmer, c’est d’abord et avant
tout vous aimer; vous aimer suffisamment pour faire de vous-même et de
votre bien-être… une priorité! Maintenant, réfléchissez aux contextes et aux
gens avec qui il vous est plus facile de vous affirmer. Qu’ont-ils en
commun? Et vous, en quoi êtes-vous différent? Vous pouvez chercher à
comprendre ce qui est différent chez l’autre, mais vous avez peu de pouvoir
sur ces changements. Par contre, reconnaître ce qui fait de vous une autre
personne, plus confiante, plus affranchie, dans certains contextes, vous
permettra de miser sur ce potentiel, car dites-vous bien que si vous arrivez à
vous affirmer, c’est que vous en avez la capacité.

7. Parfois, ce qui nous freine, ce sont les attentes que, croit-on, les autres
ont envers nous. En fait, ce sont souvent nos propres attentes que nous
attribuons aux autres. Ces attentes sont-elles légitimes? Réalistes? Il
convient de prendre le temps d’écrire vos attentes envers vous-même
dans une colonne. Dans la deuxième colonne, écrivez en haut
«Légitime» et, dans la troisième colonne, inscrivez en haut «Réaliste».
Lorsque vous aurez fait la liste de vos attentes envers vous-même dans
la première colonne, vous n’aurez qu’à cocher dans la deuxième et la
troisième colonne si vous considérez cette attente comme légitime ou
non, réaliste ou non. Voici un exemple:
Attente Légitime Réaliste

Être le meilleur parent qui soit pour mon enfant X

Réussir tout ce que j’entreprends X

Me lever tous les matins avec le sourire X

En conclusion, peu importe ce que vous avez vécu comme agression, faire
la paix avec vous-même et vous affirmer sainement, c’est possible.
Chapitre 8
Aimer et se laisser aimer

L
’amour est un état qui peut nous faire vivre des montagnes russes
d’émotions. Certaines victimes d’agression sexuelle recherchent les
hauts et les bas de l’amour, comme une drogue. D’autres ont peur de
laisser tomber leur barrière et de faire confiance à un être aimé. Pour
certains, établir une bonne communication et une connexion émotionnelle
avec leur partenaire sera un défi de taille. Quelles que soient les
répercussions de votre passé sur votre vie amoureuse, ce chapitre vous
fournira des pistes de réflexion et de solution pour apprendre à mieux aimer
et aussi à vous laisser aimer.

La dépendance affective
Être amoureux de l’amour représente bien l’état d’esprit des personnes
souffrant de dépendance affective. Elles sont en quête perpétuelle du regard
de l’autre: un regard rassurant et aimant. C’est dans le regard de l’autre
qu’elles existent. Or, cela leur cause beaucoup d’insécurité, car
l’approbation de l’autre n’est pas constante et ses sentiments peuvent
évoluer. La dépendance affective exprime généralement une grande carence
dans l’amour reçu des parents, ou encore le fait que cet amour a été perçu
comme conditionnel. Une fois adulte, la personne ayant vécu cela a toujours
l’impression qu’elle doit mériter l’amour de l’autre et, ainsi, elle tombe
dans le piège de négliger ses propres besoins pour mettre ceux de l’autre à
l’avant-plan.
L’agression sexuelle subie peut aussi avoir contribué à développer une
dépendance affective. Les gestes d’agression sexuelle étant souvent commis
par une personne que vous connaissez et en qui vous avez confiance, une
confusion entre abus, amour, affection, intimité et sexualité est fréquente.
L’agresseur vous a peut-être même dit qu’il vous aimait. Cela peut vous
amener à accepter l’inacceptable de la part d’un partenaire. Vous voulez
qu’on vous aime et c’est tout à fait normal. Il vous faut par contre chercher
l’amour au bon endroit; à l’intérieur de vous-même pour commencer. Sans
cet amour inconditionnel que vous vous portez, vous serez constamment à
la recherche du regard, de l’approbation et de l’amour de l’autre. Et le prix
à payer pour votre dépendance affective peut être élevé.

Mon père a quitté ma mère quand j’avais deux ans. Je ne l’ai


jamais revu. Il m’a manqué toute mon enfance. Je ne
comprenais pas qu’il me rejette. Il pouvait ne plus aimer ma
mère, mais pouvait-il vraiment cesser de m’aimer, moi, sa propre
fille? J’ai été agressée sexuellement par mon oncle de l’âge de 8
à 12 ans. C’était un homme froid, sauf lors des agressions. J’ai
rapidement compris que l’affection, la tendresse, pour les
hommes, passait par la sexualité. Adolescente, j’étais active
sexuellement dès l’âge de 13 ans. J’avais plusieurs copains qui
me complimentaient et avec qui je couchais. Les filles me
détestaient et me traitaient de pute. Pour moi, c’était normal. Un
gars n’allait pas rester avec une fille pour ses beaux yeux.
L’ennui, c’est qu’aujourd’hui, à 25 ans, je n’ai toujours pas
connu de relation stable. Je ne comprends pas pourquoi. Je
semble rendre les hommes heureux sexuellement. N’est-ce pas
un bon début?

Vous vous préoccupez beaucoup de ce que les autres pensent de vous. Vous
mettez la satisfaction des hommes au premier plan, en espérant récolter de
l’amour. Vous-même semblez faire le lien, dans votre témoignage, entre les
agressions sexuelles commises par votre oncle et sa gentillesse par la suite.
Vous reproduisez la même séquence où vous donnez du sexe en espérant
récolter de l’attention de la part des hommes. Vous confondez l’abus, la
sexualité, l’amour et l’affection. Les actes commis par votre oncle vous ont
amenée à voir votre corps comme une monnaie d’échange pour de
l’affection. Dans votre vie actuelle, vous espérez également que cette
affection momentanée se transforme en amour. Pour que les hommes vous
voient comme une personne à part entière, vous devez commencer par vous
voir vous-même de cette façon. Donnez le temps aux hommes de vous
connaître et d’avoir envie de vous fréquenter, plutôt que d’avoir rapidement
des relations sexuelles. Cette attitude ne vous a pas servie jusqu’ici.
L’estime que vous avez de vous-même est proportionnelle à celle que vous
obtenez des autres. Voilà une matière à réflexion intéressante pour revoir
votre rapport aux hommes.

Un manque de communication et de connexion


émotionnelle
Plusieurs victimes connaissent des échecs amoureux à répétition, même si
elles souhaitent plus que tout avoir une vie de couple heureuse. Cela peut
s’expliquer d’abord, surtout chez les hommes, par une plus grande difficulté
à parler de ses émotions. Vous sentez-vous vulnérable lorsque vous laissez
transparaître vos émotions? Pensez-vous à ce que votre interlocuteur
pourrait en faire? Même s’il est vrai que votre agresseur a profité de votre
vulnérabilité, croyez-vous que la personne que vous avez choisie pour
partager votre vie amoureuse en fera autant? Si vous l’appréhendez, cela
peut vous inciter à vous refermer sur vous-même. Le manque de connexion
émotionnelle devient souvent un irritant pour le partenaire amoureux. De
plus, cela peut mener à une relation plus superficielle où l’amour profond et
sincère n’est pas au rendez-vous. Dans d’autres cas, la relation peut être
surtout pratique, c’est-à-dire qu’elle permet d’éviter la solitude tout en
partageant les coûts de la vie, sans pour autant bâtir un lien solide à long
terme.
Dans les couples où au moins un des deux partenaires a été agressé
sexuellement par le passé, la communication est plus difficile. Il y a
fréquemment de l’incompréhension de part et d’autre. Les carences
affectives résultant des abus sexuels vous placent en mode survie et il
devient difficile d’être réceptif à l’autre, car toute votre énergie est
mobilisée par votre propre reconstruction. Attention! Ce n’est pas de
l’égoïsme; c’est une façon de compenser les manques de l’enfance. Ce n’est
pas facile pour votre partenaire, par contre, qui a, lui aussi, des besoins
affectifs. J’ai vu de nombreux couples ayant une dynamique parent-enfant,
où la victime tenait la position de l’enfant et était infantilisée par le
partenaire, qui mettait de côté ses besoins affectifs pour prendre soin de
l’autre. Même si ça peut marcher à court terme, à long terme, vous et votre
partenaire êtes perdants. Vous vous retrouvez encore une fois cantonné dans
une position de vulnérabilité, de dépendance, et votre partenaire nie ses
besoins affectifs. Il y a tous les ingrédients pour nourrir du ressentiment. Si
vous avez d’abord besoin de prendre soin de vous, il vous est difficile
d’offrir un soutien émotionnel à votre partenaire lorsqu’il en a besoin. Cela
peut l’amener à se refermer sur lui-même et, alors, la communication se
fragilise au sein de votre couple. En effet, cette dernière existe toujours, car
on ne peut pas ne pas communiquer: c’est un principe de base. Mais la
communication non verbale peut prendre le dessus sur la communication
verbale. Le mutisme et la fuite deviennent des gestes éloquents pour dire à
l’autre qu’on ne souhaite pas lui parler, qu’on a besoin d’une pause.
Il vous faut donc retenir que le manque de connexion émotionnelle, que
ce soit pour communiquer ses émotions ou pour être à l’écoute des
émotions de l’autre, va de pair avec les difficultés de communication.

Des exemples de communication déficiente


La communication peut être problématique si les échanges verbaux sont
quasi inexistants, ou limités dans leur fréquence et leur durée. Dans ce cas,
vous parlez du strict nécessaire au quotidien. Vous n’apprenez pas à mieux
vous connaître mutuellement, à partager des idées, des opinions, des
valeurs, des projets. Le manque de communication verbale empêche la
relation de s’approfondir, car le niveau des échanges demeure superficiel. Il
vous est sûrement plus facile de maintenir ce niveau d’échange, car alors
vous n’avez pas à vous dévoiler à l’autre et à risquer des blessures.
Dans d’autres cas, la communication est à sens unique, c’est-à-dire qu’un
seul des partenaires s’exprime, alors que l’autre vaque à ses occupations et
acquiesce du bout des lèvres. Il ne semble pas s’intéresser à ce que son
partenaire dit. Peut-être le moment est-il mal choisi, mais, quoi qu’il en soit,
si un seul des deux partenaires fait l’effort de garder le canal de
communication ouvert, la situation pourrait rapidement se détériorer. Vous
percevez probablement votre partenaire insistant et fatigant. Vous préférez
de loin le silence à ses questions et monologues. Vous êtes pourtant dans un
cercle vicieux: plus il insiste pour vous parler, plus vous vous repliez dans
votre carapace. Plus votre carapace est fermée, plus il tentera de la percer
pour vous atteindre. Il ne vous reste qu’à constater cette dynamique pour
aller chercher de l’aide.
Certains couples parlent, mais ne savent pas s’écouter. Si vous êtes trop
centré sur votre vécu et votre vision des choses, que vous êtes convaincu
d’avoir raison, vous ne pouvez pas être à l’écoute de l’autre. Cela devient
frustrant de part et d’autre, car aucun de vous ne se sent écouté ni respecté.
Le manque d’écoute de votre partenaire peut raviver des blessures du passé,
car votre agresseur n’a certainement pas été à l’écoute de vous et de votre
ressenti. La colère peut alors être vive, sans que vous fassiez le lien avec
votre passé. De l’autre côté, il peut vous être difficile d’écouter votre
partenaire, car vous voyez peut-être la communication comme un duel
gagnant-perdant et vous visez la position gagnante. Écouter l’autre pourrait
vous donner l’impression de lui donner raison, et par conséquent de perdre,
et vous avez déjà suffisamment perdu dans le passé.
Finalement, la communication peut devenir conflictuelle. Les désaccords
sont nombreux; il n’y a plus de respect ni d’écoute. Vous avez perdu de vue
vos objectifs communs. Dans une dynamique gagnant-perdant, personne ne
veut perdre. Chacun veut gagner et imposer son point de vue; chacun se
croit meilleur. Les conflits vous ont éloignés l’un de l’autre. Vous n’arrivez
plus à voir ce que vous aimiez tant chez votre partenaire. Vous ne voulez
plus de conflits, qui vous ramènent peut-être à votre passé d’agression
sexuelle, mais vous ne savez pas comment faire autrement. Communiquer
sans entrer en conflit est bien difficile avec le tsunami d’émotions que vous
ressentez à l’intérieur de vous-même.

Les jeux de pouvoir


L’amour peut parfois vous faire sentir vulnérable. Cet état d’âme risque de
vous rappeler, inconsciemment, le sentiment d’impuissance que vous avez
éprouvé en tant que victime d’agression sexuelle. Deux réactions sont
possibles.
1. Sans vous en rendre compte, vous avez pu ériger une défense dans
votre psychisme pour vous protéger de blessures éventuelles: vous vous
êtes juré de ne plus jamais être vulnérable! Cette protection mise en
place vous amène à prendre le contrôle dans vos relations intimes. Tout
contrôler devient salvateur. C’est sécurisant et apaisant. Lorsque votre
partenaire ou les aléas de la vie viennent contrecarrer vos plans, la
colère peut monter en vous, car vous devenez anxieux. Ce n’était pas ce
qui était planifié. La rigidité dont vous faites preuve vous rassure, mais
elle vous empêche de profiter des possibilités qui se présentent à vous.
En plus, elle peut vous éloigner de gens que vous aimez, car ils
n’accepteront pas vos comportements de contrôle.
2. La position de vulnérabilité vous est connue et vous êtes souvent attiré
par des situations qui vous rappellent le passé, que vous le vouliez ou
non. Vous vous retrouvez donc peut-être dans des relations où vous êtes
victime de l’autre. L’autre peut avoir recours à la violence
psychologique, à la contrainte, voire à la violence physique, sexuelle.
Même si c’est triste, les recherches nous le confirment: plusieurs
victimes dans l’enfance sont à nouveau victimisées à l’âge adulte. Il
leur est difficile de s’affranchir de ce mode de comportement. Bien sûr,
cela porte atteinte à l’estime de soi, car vous craignez de ne pas être en
mesure de faire de bons choix relationnels. Ainsi, certaines personnes
ont fui leur milieu familial abusif à un jeune âge en tentant de créer leur
propre famille et ça n’a pas marché. Lorsqu’on quitte quelque chose
sans en avoir fait le deuil, il est fort probable que les mêmes problèmes
qui nous ont fait fuir se représenteront à nous. On peut alors avoir
tendance à s’isoler ou encore à s’engager à répétition dans des relations
destructrices.

Une méfiance face à l’amour


Plusieurs femmes ayant été victimisées craignent l’amour et s’aventureront
peu ou pas dans des relations amoureuses stables. Bien avant l’amour, c’est
souvent une peur des hommes qui est à l’avant-plan. Ceux-ci sont
généralement décrits par ces femmes dans les mêmes termes que
l’agresseur, donc comment arriver à leur faire confiance? Si vous êtes une
femme et que vous décidez de donner une chance à l’amour, vous ressentez
peut-être de la méfiance et de l’insécurité face à votre partenaire. C’est la
peur de faire confiance car, avant lui, quelqu’un vous a trahie, votre
agresseur. Ça ne s’oublie pas juste comme ça. La peur d’être à nouveau
trahie se transforme fréquemment en jalousie. C’est le reflet de votre
insécurité.

Sarah est en couple avec Stéphane depuis trois mois. Ami de longue date,
il connaît tout son passé, dont les agressions sexuelles que lui a fait subir,
adolescente, son copain de l’époque. Stéphane est patient et attentionné.
Sarah se sent bien et s’ouvre de plus en plus à lui. Elle entrevoit un
avenir avec Stéphane. Ils décident par conséquent de vivre ensemble. Or,
ils en viennent très vite à se disputer sans arrêt. Sarah pose beaucoup de
questions à Stéphane, le texte constamment et s’inquiète de le voir partir.
Plus elle manifeste son insécurité, plus Stéphane la traite de
«contrôlante». Il n’a alors qu’une envie… s’éloigner, pour de bon.

Si vous manquez de confiance envers votre partenaire, il vous sera


difficile de bâtir une relation intime à long terme. Vos doutes vous garderont
toujours un pas en arrière. Personne n’aime souffrir et il est donc tout à fait
compréhensible que vous souhaitiez vous protéger pour éviter d’être utilisé,
abusé, blessé, mais à mettre trop de barrières, vous devenez inatteignable,
même pour le bon candidat. Tous n’aiment pas les défis et vous risquez d’en
décourager plus d’un. Cela viendra renforcer votre crainte de l’amour et
votre conviction que personne ne peut vous aimer réellement.

Une peur de l’engagement


Beaucoup fuient l’amour, les relations de couple et l’engagement. Parfois,
c’est un choix conscient et assumé.

Patrick, agressé sexuellement de l’âge de 10 à 14 ans par son voisin, ne


peut concevoir d’avoir une relation amoureuse avec un autre homme. Il
est attiré par les hommes, mais dit ne plus vouloir souffrir. Les femmes ne
l’intéressent pas. Ce sont de bonnes amies, sans plus. Même s’il assume
son célibat, il décide de consulter une thérapeute.

La crainte de l’amour peut vous amener à fuir l’engagement à long terme


dans une relation amoureuse. Cette fuite peut se manifester par des
infidélités à répétition. Certaines personnes sont infidèles lorsque la relation
devient plus sérieuse, voire engageante. C’est une façon pour elles de se
préserver d’un attachement plus solide, plus durable. Si leur partenaire
découvre l’infidélité et met fin à la relation, elles pourront toujours dire que
ce n’est pas elles qui ont pris la décision de partir et, ainsi, se laisser croire
qu’elles veulent être en relation amoureuse à long terme.
Vous pouvez aussi fuir l’engagement en vivant des relations très intenses,
qui se terminent par une rupture abrupte. Dans ce cas, votre besoin affectif
est grand, mais cette intensité émotionnelle et sentimentale devient
dévorante et finit par vous effrayer, vous ou votre partenaire, ou encore les
deux. Il est normal, après avoir subi une agression sexuelle, de vouloir se
préserver, par crainte de se perdre ou de voir l’autre profiter de soi. En
conséquence, tout ce qui rend vulnérable est difficilement envisageable.
S’engager devrait pourtant apporter une sécurité, pensez-vous, mais, en
même temps, cela revient à se mettre à nu, à accepter de marcher côte à côte
avec quelqu’un vers l’inconnu…
J’ai par ailleurs rencontré plusieurs victimes d’agression sexuelle qui
préféraient éviter de s’engager dans une relation amoureuse pour
longtemps, car elles ne voulaient pas se sentir «prises». Avec l’âge,
l’engagement leur paraissait plus invitant, mais elles craignaient de
s’abandonner à une autre personne et, ainsi, de perdre le contrôle. Car
l’engagement, c’est aussi accepter de ne pas tout contrôler; c’est construire
une vie à deux.
Finalement, pour bon nombre de femmes, il est plus simple d’éviter toute
relation avec les hommes, surtout une relation amoureuse à long terme.
C’est plus sécurisant en apparence, mais cela les emprisonne dans leurs
peurs et les empêche d’aller de l’avant.
Qu’il est parfois difficile d’aimer et de se laisser aimer…

Un pas en avant
Guérir de la dépendance affective
Il n’est pas aisé de se sortir de la dépendance affective, qui résulte de
carences affectives provenant de l’enfance. Dans la section «L’écriture qui
guérit», je vous inviterai à vous pencher sur les raisons de votre dépendance
affective, mais, pour le moment, voici quelques conseils qui pourront vous
aider:

1. Aimez-vous et ayez davantage confiance en vous-même. C’est le plus


important. C’est vital comme l’air que vous respirez. Sans air, vous
mourez. Sans amour de vous-même, c’est votre être qui se meurt et qui
s’accroche à une bouée dans l’espoir de survivre. Cette bouée, c’est
l’autre. Or, la bouée de sauvetage ne sera pas toujours là et il est bien
angoissant de faire en sorte qu’elle soit toujours là, en cas de besoin.
Apprenez à ne plus en avoir besoin en pouvant compter sur vous-même.
Pour ce faire, vous aurez avantage à gagner en autonomie sur tous les
plans. Soyez en mesure de répondre à vos propres besoins,
particulièrement vos besoins affectifs. Je vous invite à lire (ou à relire)
le chapitre 7 pour trouver des pistes concrètes qui vous aideront à y
parvenir.
2. Ayez des occupations sans votre partenaire. Même s’il s’agit d’une
personne fantastique, la vie ne tourne pas autour d’elle. La nature, le
sport, les loisirs, le travail et l’entourage sont également dignes
d’intérêt. L’indépendance soigne la dépendance. Apprenez à vous
épanouir sans l’autre. Relevez des défis. Recherchez le succès. Vous
serez fier de vous-même et de vos accomplissements. Vous n’existerez
plus uniquement dans le regard de l’autre.
3. Cessez de vouloir être le centre de l’univers de l’autre. L’autre existait
avant de vous connaître. Il avait une famille, des amis, un travail, des
loisirs. Il ne laissera pas tout tomber pour vous. Si vous l’exigez, vous
risquez de le perdre définitivement. Cherchez plutôt à être le centre de
votre propre univers.
4. Évaluez l’engagement de l’autre. Peut-être avez-vous l’impression
d’être dépendant affectivement quand, au fond, c’est plutôt que vous
ressentez le manque d’engagement de l’autre dans votre relation et que
cela vous insécurise. Je vous invite donc à vous questionner sur la place
que votre partenaire vous fait dans sa vie. S’il est rarement disponible, a
toujours des prétextes ou ne donne pas suite à vos appels, il est peut-
être temps de vous mettre à chercher quelqu’un qui soit disposé à être
en couple.
5. Apprenez à vivre avec des incertitudes. Même si l’autre vous aime et
vous le répète fréquemment, vous ne pouvez pas être certain de son
amour ni de la durée de celui-ci. La vie n’offre aucune garantie.
Personne ne connaît l’avenir. Acceptez de plonger dans l’inconnu, car
c’est souvent en cherchant à tout savoir, à tout contrôler, qu’on oublie
d’être ouvert et réceptif à toutes les belles choses qui peuvent arriver.

Établir une connexion émotionnelle


Pour que votre couple fonctionne, vous devez être en mesure d’établir une
connexion émotionnelle avec l’autre. Pour ce faire, identifiez d’abord vos
émotions et sentiments. Je vous suggère dans un premier temps de le faire
seul. Réfléchissez à ceux que vous ressentez le plus souvent et nommez-les.
Pour vous aider, en voici une liste, non exhaustive: aimé, amoureux, amusé,
angoissé, anxieux, apeuré, attiré, bouleversé, calme, choqué, colérique,
confiant, content, découragé, déçu, dégoûté, déprimé, désolé, détendu,
déterminé, ému, ennuyé, exaspéré, fier, frustré, heureux, impatient,
impressionné, impuissant, inquiet, malheureux, motivé, optimiste, pensif,
perplexe, ravi, reconnaissant, reposé, serein, seul, soulagé, stressé, triste.
Dans un deuxième temps, lorsque viendra le temps de communiquer avec
votre partenaire, vous serez capable de lui nommer l’émotion en lui
spécifiant le contexte et, surtout, ce qui fait naître cette émotion en vous.
Comme il sera bien sûr plus facile de le faire si la situation ne concerne pas
votre partenaire, je vous suggère de parler d’abord de votre émotion dans un
contexte extérieur. Par exemple: «Aujourd’hui, j’étais gêné quand mon
patron a dit devant tout le monde que mon projet était le meilleur, car je sais
que mes collègues ont tous travaillé fort et méritaient aussi qu’on les
félicite.» Ce genre de confidences permettra à votre partenaire de mieux
vous connaître. Vous pourrez alors discuter plus en profondeur et établir ce
qu’on appelle l’intimité. Lorsque vous vous serez entraîné quelques fois,
essayez, dans un troisième temps, de communiquer les émotions qui vous
habitent dans une situation impliquant votre partenaire. Gardez la même
formule que précédemment. Par exemple: «Je suis déçue que tu travailles
samedi soir, car j’avais hâte qu’on soupe ensemble en tête à tête. On se voit
peu, ces jours-ci.» Vous pourriez même ajouter une piste de solution.
«Penses-tu qu’on pourrait se reprendre dimanche soir ou encore aller
déjeuner samedi matin avant ton boulot?» Ainsi, l’autre risque moins de
prendre vos paroles comme un reproche, mais plutôt comme l’expression de
votre désir de passer plus de temps avec lui.
Gardez en tête que chaque émotion a le droit d’exister tant que vous êtes
conscient de sa subjectivité. Autrement dit, vous vous sentez d’une certaine
façon à cause de votre personnalité, de votre passé, de votre présent, de
votre humeur de la journée, de votre niveau d’énergie, etc. Ainsi, la même
situation pourrait générer chez vous une autre émotion à un autre moment.
Par ailleurs, une autre personne pourrait se sentir différemment dans la
même situation. Cependant, personne ne peut vous faire croire que votre
émotion n’est pas juste ou qu’elle n’a pas sa raison d’être. On ne doit pas
juger une émotion, seulement l’accueillir. Évidemment, si vous souhaitez
que votre partenaire vous reçoive dans votre état émotionnel, quel qu’il soit,
il vous faudra faire la même chose avec lui. C’est ce qu’on appelle
l’empathie: être capable de se mettre à la place de l’autre et voir les choses
de son point de vue. Cela inclut, bien entendu, l’état émotionnel. Retenez
donc que, pour créer une bonne connexion émotionnelle, il vous faut: 1)
cerner vos émotions; 2) les partager avec votre partenaire en parlant au
«je», en décrivant le contexte et le pourquoi de votre émotion; 3) garder à
l’esprit qu’une émotion est propre à chacun et à son vécu; 4) faire preuve
d’empathie envers votre partenaire.

Communiquer et s’entendre
Pour que votre relation de couple perdure, vous devez apprendre à bien
communiquer. Tout le monde communique, mais pas forcément de la bonne
façon. Voici, en rafale, quelques trucs à mettre en application:

Quand je parle…
… je parle de moi et non de l’autre;
… je regarde l’autre;
… je prends le temps de réfléchir, afin que mes propos reflètent bien ma
pensée;
… je parle avec mon cœur et non avec ma tête;
… je garde à l’esprit que l’autre est mon coéquipier et non mon
adversaire.
Quand l’autre parle…
… je suis sur le mode écoute et je m’assure qu’il a terminé avant de parler
à mon tour;
… je le regarde;
… je me rends disponible (je ne pense pas à ce que je vais dire);
… j’écoute avec mon cœur et non avec ma tête;
… je me mets à sa place (c’est une marque d’empathie);
… je me rappelle que nous sommes des coéquipiers et non des
adversaires.

Faire de la place à l’amour


Si vous souhaitez aimer et être aimé, encore faut-il que vous fassiez de la
place à l’amour dans votre vie. Lorsqu’on craint quelque chose, il est tout à
fait compréhensible qu’on cherche à l’éviter. En même temps, l’amour est
vital. Je vous encourage donc à vous ouvrir à l’amour. Soyez réceptif et
gardez l’œil ouvert. Ayez confiance en votre jugement. Vous pouvez vous
répéter la phrase suivante: «J’attire à moi la bonne personne dans ma vie
pour m’aimer tel que je suis.» Le meilleur antidote à la peur est parfois
d’oser, tout simplement. Si vous entamez une nouvelle relation, prenez
votre temps, afin de jeter des bases solides. Expliquez à votre partenaire que
vous souhaitez y aller doucement. Si vous êtes sincère, l’autre le sentira et
saura vous accorder du temps. Si vous vous sentez bousculé, ce n’est peut-
être pas ce qu’il vous faut. Soyez à l’écoute de votre petite voix intérieure
qui vous dira si, oui ou non, vous êtes sur le bon chemin.

Mettre ses limites sans mettre une barrière


Dans une relation, il est essentiel que vous sachiez vous affirmer. Savoir ce
qu’on veut ou ne veut plus et le dire à l’autre permet de construire une
relation sur des bases plus solides. Il est important que vous fixiez vos
limites quant à ce que vous acceptez chez un partenaire et dans une relation.
Par exemple, personne n’a le droit de vous maltraiter physiquement ou
psychologiquement; cela doit être clair. Bien que les limites soient
essentielles, prenez garde toutefois à ne pas mettre de barrière. La ligne
peut parfois être mince. Une limite permet à l’autre de savoir jusqu’où il
peut aller. Une barrière l’empêche d’avancer vers vous. Si vous demandez à
votre partenaire de garder les sujets qui demandent de longues discussions
pour le week-end quand vous êtes tous les deux reposés, c’est une limite.
Mais si vous lui dites que ces sujets de discussion ne vous intéressent pas,
là, vous mettez plutôt une barrière. Si c’est la bonne personne pour vous,
elle saura respecter vos limites et pourra également affirmer les siennes.
Dans tous les cas, n’oubliez jamais qu’une relation se bâtit dans le respect
mutuel.

L’écriture qui guérit


Je vous ai donné beaucoup de conseils et d’astuces, dans la section
précédente, pour vous aider à mieux accueillir l’amour et à mieux le vivre.
J’ajouterai donc seulement deux exercices ici qui vous permettront d’y voir
plus clair. Un peu d’introspection est toujours bienvenu.

1. Dans ce chapitre, nous avons recensé plusieurs entraves possibles à


l’amour sain: la dépendance affective, le manque de connexion
émotionnelle, les difficultés de communication, les jeux de pouvoir, la
crainte de l’amour et la peur de l’engagement. Réfléchissez aux thèmes
qui vous touchent particulièrement. Ensuite, prenez le temps de noter
quelles sont, à votre avis, les causes de vos difficultés. Si, pour vous, il
s’agit de dépendance affective et de jeux de pouvoir, prenez une feuille
et écrivez en haut «Dépendance affective» et au milieu «Jeux de
pouvoir». Parmi les causes de votre dépendance affective, vous pouvez
citer, par exemple, le divorce de vos parents, le manque d’affection de
votre mère, les moqueries des autres enfants, le manque d’estime de
vous-même, etc. Pour chacune des causes, écrivez en quelques phrases
le lien que vous faites: «Le divorce de mes parents a créé beaucoup
d’insécurité chez moi et je me suis juré que, moi, je serais en couple
pour la vie. Je tente donc de retenir un homme chaque fois que j’en
trouve un. Chaque échec me fait revivre l’échec de l’union de mes
parents.» Ce travail d’introspection ne sera pas facile et vous demandera
du temps. Si cela vous paraît trop difficile, un thérapeute peut vous
aider. Une fois les causes établies, vous vous sentirez libéré et vous
pourrez laisser le passé là où il est, c’est-à-dire derrière vous.
2. Prenez une feuille et, au recto, écrivez ce que vous ne voulez plus chez
un partenaire et, plus bas sur la page, ce que vous recherchez chez un
partenaire. Au verso, écrivez ce que vous ne voulez plus d’une relation,
puis, plus bas sur la page, ce que vous recherchez dans une relation. Il
vous sera peut-être plus facile d’exprimer ce que vous ne voulez plus
que ce que vous recherchez, mais, pour vous aider, vous pouvez écrire le
contraire de ce que vous ne voulez plus. «Je ne veux plus d’un
partenaire qui me sous-estime et me rabaisse» deviendrait ainsi: «Je
cherche un partenaire qui saura m’apprécier comme je suis et me
soutenir.»

Faire de la place à l’amour dans votre vie n’est peut-être pas facile, mais
aimer et être aimé est un besoin fondamental chez tout être humain. Si vous
avez choisi de combler ce besoin à travers une relation amoureuse saine,
n’oubliez pas qu’elle doit tenir compte à la fois de vos besoins et de vos
limites, et pas seulement de ceux de l’autre.
Chapitre 9
Réapprivoiser sa sexualité

I
l était impossible d’écrire un livre s’adressant aux victimes d’agression
sexuelle sans aborder la dimension sexuelle, car, parmi toutes les zones
d’intimité transgressées, c’est probablement la plus importante, surtout
lorsque les abus ont été subis à un jeune âge. En effet, c’est au cours de
l’enfance que la sexualité prend forme. L’enfant est curieux, pose des
questions et explore son corps, parfois avec d’autres enfants de son âge.
Cela est tout à fait sain et adéquat. Or, certains adultes se servent de cette
curiosité naïve pour satisfaire leurs propres désirs et besoins. En aucun cas,
l’enfant ne peut donner son consentement à une activité sexuelle avec un
adulte, car il n’a ni les connaissances ni la maturité nécessaires pour bien
comprendre ce qui se passe. Si vous avez été agressé alors que vous étiez
enfant, cela a sûrement laissé des séquelles dans votre sexualité, même si
vous n’avez peut-être jamais fait ce lien. Pourtant, l’agresseur n’a pas
respecté vos limites corporelles ni affectives.

Lorsque la sexualité sert à combler un besoin


Plusieurs victimes d’abus sexuel ont une sexualité motivée non pas par la
recherche de plaisir, mais plutôt par la quête, souvent inconsciente, de
combler un besoin et donc ultimement de se guérir. Voici quelques
exemples de besoins qui peuvent trouver satisfaction dans la sexualité.

Le besoin de se vieillir

Joannie, 16 ans, a fréquemment des relations sexuelles avec des hommes


âgés de 20 à 25 ans. Elle ne sait pas pourquoi, mais ces hommes
l’attirent comme des aimants.

Une personne qui a été agressée sexuellement en bas âge peut chercher à
se sentir plus vieille, afin d’échapper à l’enfance et à l’état de vulnérabilité
qu’elle ressent. Vouloir se vieillir peut aussi être une conséquence directe de
l’abus, en ce sens que la victime n’a pas eu d’enfance et s’est vu vieillir trop
vite.

Le besoin de performer ou de susciter l’admiration

Carl, 40 ans, aime avoir des relations sexuelles avec deux femmes à la
fois. Son plaisir est décuplé par le fait de combler deux personnes.
Martin, 26 ans, adore se vanter auprès de ses collègues au sujet de ses
conquêtes. Il aime raconter qu’il couche avec une fille différente chaque
soir.

Les abus sexuels minent l’estime de soi. Le désir de performance permet


de combler ce manque d’estime. Être admiré pour ses performances et ses
conquêtes donne l’impression de retrouver une certaine estime de soi.
Cependant, comme ce sentiment est éphémère, le comportement sexuel est
à répéter constamment.

Le besoin de séduire

Claudine, 30 ans, n’a des relations qu’avec des hommes mariés. Aussitôt
qu’elle voit une alliance au doigt d’un homme, elle se lance le défi de le
séduire.

Étienne, 22 ans, danse nu dans un bar gay. Il apprécie le regard de


convoitise que les hommes posent sur lui.

L’abus sexuel étant basé sur le pouvoir de l’adulte envers l’enfant, il n’est
pas rare de voir la victime, une fois adulte, chercher à renverser cette
relation en ayant elle-même le pouvoir dans ses relations. C’est ainsi qu’elle
peut aimer conquérir les autres ou éveiller le désir des gens pour elle. Elle
reste par contre maître dans ses rapports.
Le besoin de normalité

Sophie, 45 ans, est mariée depuis 15 ans. Elle a toujours trois ou quatre
relations sexuelles par semaine avec son mari. Elle en retire peu de
plaisir, mais tient quand même à maintenir la cadence.

L’abus sexuel peut causer tant de séquelles que ça peut parfois sembler
irréel. Ainsi, plusieurs victimes souhaitent prouver, autant à elles-mêmes et
qu’à leur entourage, qu’elles n’ont pas été affectées par les agressions.
Avoir une activité sexuelle fréquente peut répondre à ce besoin de
normalité. Si l’autre le croit, alors je le crois aussi!

Le besoin d’affection

Catherine, 18 ans, a des relations sexuelles où le plaisir de l’autre


occupe toute la place. De son côté, elle préfère recevoir de l’affection.

L’abus sexuel tourne bien souvent autour des besoins et des désirs de
l’agresseur. Il n’est donc pas rare de voir la victime, une fois adulte, se
concentrer sur le plaisir de ses partenaires et mettre le sien de côté. Si en
plus elle a manqué d’affection, alors le but des rapprochements physiques
est d’abord et avant tout d’obtenir la tendresse qui lui a fait défaut. Cela
peut aussi être le cas si les gestes d’agression sexuelle étaient commis en
même temps que de l’affection était donnée. La victime en vient à associer
sexualité et affection.

Une crainte à l’égard de la sexualité


Si vous avez été agressé durant l’enfance, vous avez commencé votre vie
sexuelle sans y être préparé, sur des bases d’abus de confiance et de
pouvoir. Pour toute victime d’agression sexuelle, quel que soit son âge, la
sexualité a été imposée. Les gestes commis envers vous et ceux qu’on vous
a demandé de faire ont été accomplis sans votre consentement ou par
manipulation et chantage. Il ne serait pas étonnant que vous ayez
développé, comme plusieurs victimes, une crainte de la sexualité, soit de
manière plus générale, ou encore plus spécifique au contexte des agressions
que vous avez subies.
Anne a été agressée par son entraîneur de natation. Les attouchements
qu’elle a subis, entre autres dans les vestiaires, lui font éviter tout ce qui
se rapporte aux piscines publiques et aux vestiaires. Elle ne peut avoir le
moindre contact sexuel avec un homme sans éprouver des haut-le-cœur,
même si elle est aujourd’hui adulte.

Steve a été agressé sexuellement par sa mère jusqu’à l’âge de 14 ans. Ils
ont eu des relations sexuelles complètes. Aujourd’hui, Steve est incapable
de se connecter émotionnellement lors des relations sexuelles avec sa
copine. Il est froid et distant, concentré uniquement sur les sensations
physiques.

Ces exemples ne peuvent couvrir à eux seuls toute la gamme des


manifestations de crainte face à la sexualité. La peur de la nudité des
hommes et des différentes formes de relations sexuelles (caresses
manuelles, buccales et pénétrations) est notamment fréquente. Plusieurs
personnes ont aussi tendance à éviter certaines images sexuelles ou de
violence qu’on peut voir à la télévision ou au cinéma. Les agressions
sexuelles commises à l’adolescence ou à l’âge adulte peuvent susciter chez
la victime la peur d’une grossesse ou d’une infection transmise
sexuellement. Ces peurs persistent bien souvent au-delà des agressions. La
peur peut également amener une personne à changer brusquement d’idée.
Alors qu’elle était consentante pour une relation sexuelle, elle éprouve tout
à coup un malaise si puissant qu’elle doit reculer.
Peu importe le contexte de l’agression sexuelle, vous n’aimez
probablement pas vous sentir vulnérable, ce qui rappelle inconsciemment
les abus subis. Par crainte d’être désirable, vous avez peut-être mis au point
certaines stratégies, comme vous cacher derrière des vêtements amples,
avoir une hygiène déficiente ou entretenir une compulsion alimentaire qui
vous maintient en surpoids. Ces comportements cachent fréquemment un
malaise face à votre corps.

Quand la sexualité rappelle l’abus sexuel


Vous avez peut-être décidé d’affronter vos peurs et d’avoir tout de même
une vie sexuelle. Cela n’empêche pas que vous pouvez avoir certains
blocages spécifiques face aux gestes reliés aux abus que vous avez vécus.
Sans vous en rendre compte, vous entrez peut-être dans un état dissociatif
lors de contacts sexuels qui vous rappellent l’agression dont vous avez été
victime: cela signifie que votre esprit est ailleurs même si votre corps est
bien présent. C’est généralement le cas si vous avez de la difficulté à
dissocier votre sexualité actuelle de l’agression passée. Cela ne veut pas
dire que votre sexualité d’aujourd’hui ressemble aux abus subis, mais
simplement que votre esprit, lui, fait un lien: il s’agit de sexualité.
Il peut aussi arriver que le plaisir ressenti lors d’une stimulation sexuelle
rappelle les abus sexuels. Plusieurs victimes m’ont confié leur désarroi
d’avoir ressenti une excitation sexuelle pendant l’agression. C’est très
courant et, si c’est votre cas, vous ne devez aucunement vous sentir
coupable. L’excitation ressentie ne diminue en rien le traumatisme; au
contraire, elle vient souvent l’amplifier.

Tim a subi des attouchements de la part de son père. Ce dernier se


justifiait en lui disant qu’il n’avait qu’à le regarder pour voir qu’il aimait
ça. Tim est malheureux, car il se souvient d’avoir eu des érections et
même d’avoir éjaculé à deux reprises. Il est dégoûté de lui-même et
n’arrive plus à éjaculer lors de rapports sexuels.

Comment expliquer que j’aie eu une érection pendant l’agression


sexuelle? Est-ce que ça veut dire que j’étais consentant? Ce n’est
donc pas une agression?

Le fait d’avoir une excitation sexuelle n’a rien à voir avec la notion de
consentement. L’excitation sexuelle se manifeste comme une réponse
physiologique à des stimulations d’ordre physique. Même si la tête et le
cœur ne sont pas de la partie, le corps peut ressentir de l’excitation. Chez
l’homme, il faut aussi faire la distinction entre l’orgasme et l’éjaculation.
L’éjaculation est la suite logique de l’érection, où le corps ne fait que
répondre à une stimulation sexuelle, voulue ou non. L’éjaculation peut très
bien survenir sans orgasme. D’ailleurs, bien des hommes qui ont été
agressés sexuellement souffrent, une fois adultes, d’éjaculation sans
orgasme, appelée «éjaculation anhédonique». Chez la femme, il est possible
qu’il y ait une lubrification vaginale lors d’une agression sexuelle. C’est
une réponse physiologique à des stimulations physiques. Que vous soyez un
homme ou une femme, il n’y a pas de honte ni de culpabilité à avoir. Nous
ne maîtrisons pas les réactions de notre corps. Le plaisir sexuel est quelque
chose de bien différent: c’est un tout qui y participe… le corps, la tête et le
cœur. C’est lorsque vous expérimenterez le plaisir sexuel de manière
consensuelle avec une autre personne adulte que vous verrez combien cela
diffère de ce que vous avez vécu lors des abus sexuels.

Une sexualité compromise


Votre corps a une mémoire et, même lorsque vous êtes consentant, il se peut
qu’il ne se montre pas coopératif. Plusieurs victimes vivent des
dysfonctions sexuelles qui, trop souvent, compromettent leur sexualité
actuelle. Elle leur rappelle le traumatisme vécu lors de l’agression.

Daphné, 22 ans, se sent bien différente de ses amies. Elles l’ont invitée
l’autre jour à les accompagner au sex-shop. Daphné a prétexté un
surplus de travail pour refuser. Elle n’ose pas leur dire qu’elle dort en
pyjama, fait l’amour avec les lumières éteintes et ne se montre jamais
complètement nue à son copain. Elle est dégoûtée par son corps. Elle
accepte les avances de son amoureux une fois de temps en temps, par
peur de le perdre.

Le manque de libido est la conséquence la plus importante des abus


sexuels. Cela entraîne une diminution des sensations sexuelles ou, parfois,
leur absence totale. Chez les hommes, cela se traduit souvent par une
difficulté à maintenir une érection. Le manque d’excitation sexuelle peut
aussi s’expliquer par le dégoût ou la panique ressenti lors des abus.
Encore aujourd’hui, il est possible que vous ayez des flashbacks des
agressions, durant les relations sexuelles. Cela peut assurément vous
arracher au moment présent et faire cesser le plaisir que vous ressentiez
avec votre partenaire. Des sentiments de malaise, voire de dégoût, sont
susceptibles de se manifester. Si l’excitation sexuelle est difficile à
atteindre, l’orgasme devient quasi impossible. Lorsque le corps n’est pas
suffisamment excité ou que la tête n’y est pas, les relations sexuelles
peuvent être douloureuses.
Beaucoup de victimes vivent des frustrations et s’arrangent pour éviter
toute intimité sexuelle, éliminant du même coup bon nombre d’entre elles.
Cependant, à long terme, leur relation de couple s’en trouve affectée, avec
un partenaire qui se sent rejeté.

Des questionnements sur l’identité et l’orientation


sexuelles
L’agression sexuelle porte atteinte à ce qu’une personne a de plus
fondamental: son intégrité. Cela amène bien des victimes, surtout des
hommes, à se questionner sur leur identité et leur orientation sexuelles.
L’identité sexuelle est le sentiment d’appartenance à son sexe anatomique.
Certains hommes victimisés peuvent questionner leur masculinité de deux
façons différentes: soit ils associent la masculinité à leur agresseur et se
demandent si, en s’identifiant en tant qu’homme, ils ne risquent pas eux-
mêmes de devenir agresseurs; soit ils se demandent s’ils ne porteraient pas
en eux une certaine féminité qui aurait attiré l’agresseur.

Jonathan a été agressé sexuellement par son coach de hockey lorsqu’il


avait 15 ans. Son entraîneur était un homme de large stature, avec une
voix forte. Il aimait le sport et en avait toujours fait. Pour Jonathan, il
était un «vrai homme». Le fait que son coach se soit intéressé à lui le
porte à se poser beaucoup de questions. Il se demande s’il avait l’air
féminin. Jeune adulte, il n’est pas bien dans sa peau d’homme. ll ne se
sent pas très masculin et se dit qu’il n’a pas ce qu’il faut pour séduire
une femme.

Chez les femmes, l’agression sexuelle peut aussi soulever des


questionnements sur l’identité sexuelle féminine, comme c’est le cas de
Monica.

Monica a été agressée sexuellement par un homme qu’elle a rencontré


dans un bar. Il l’a suivie jusqu’à son auto et l’a violée. Alors qu’il
l’agressait, il la traitait de salope qui aimait aguicher les hommes.
Depuis cet événement, Monica a troqué ses robes et ses jupes contre des
pantalons, ses souliers à talons hauts contre des chaussures de sport. Elle
ne se sent plus aussi «femme». Pour elle, une femme s’habille de manière
séduisante et est plutôt passive dans ses rapports avec les hommes; elle
se laisse désirer. Ses croyances sont remises en question depuis
l’agression.

Dans notre société, les images de ce qu’est un homme et de ce qu’est une


femme sont plutôt arrêtées. Alors que l’homme est censé être confiant,
dominant, voire agressif, la femme doit être séductrice, passive et soumise.
Ces stéréotypes sont de plus en plus remis en question, mais les victimes
d’agression sexuelle y sont souvent particulièrement sensibles. L’homme ou
la femme doit se dégager de ces stéréotypes pour trouver sa propre place.
Ma réflexion en tant que thérapeute est la suivante. Si vous êtes un homme,
l’agression subie ne vous rend pas moins homme pour autant. L’agresseur
n’a pas été attiré par vous à cause de votre manque de masculinité. Les
raisons pour lesquelles il a commis ces gestes lui appartiennent et vous n’y
êtes pour rien. Si vous êtes une femme, l’agresseur ne vous a pas choisie
parce que vous étiez séduisante ou plutôt passive. Des femmes de tout âge,
de toute apparence et se comportant de différentes manières sont agressées.
Ne vous blâmez pas pour ce que vous étiez.
Outre l’identité sexuelle, certaines victimes remettent en cause leur
orientation sexuelle ou se questionnent sur son lien avec les abus sexuels
subis durant leur enfance ou leur adolescence. Certains hommes qui ont été
agressés par un homme et qui sont d’orientation homosexuelle s’interrogent
à savoir s’ils seraient gays aujourd’hui n’eussent été les abus sexuels. Des
femmes homosexuelles ayant été agressées sexuellement par un homme se
demandent si elles ne se sont pas tournées vers les femmes par dégoût des
hommes. D’abord, sachez qu’aucun lien n’a été établi entre l’orientation
sexuelle d’une personne et les agressions sexuelles qu’elle aurait pu subir.
Bien évidemment, beaucoup de personnes homosexuelles n’ont pas été
agressées sexuellement durant leur enfance ou leur adolescence, et
beaucoup de victimes d’agression sexuelle ne sont pas d’orientation
homosexuelle. Si vous avez un tel questionnement, il pourrait être
intéressant de l’approfondir avec un thérapeute, tout comme le malaise que
vous semblez éprouver face à votre orientation sexuelle.

Une sexualité compulsive


Même si on en entend moins parler, certaines victimes, au lieu d’éviter la
sexualité, vont plutôt souffrir d’une dépendance sexuelle, qui survient
lorsque la personne est envahie de pensées à caractère sexuel, qu’elle doit
traduire en comportements sexuels fréquents pour être soulagée. Ce
comportement est particulièrement observable chez les hommes. Parfois,
c’est un doute face à son identité sexuelle masculine qui pousse un homme
à multiplier les rencontres sexuelles. Son succès dans ses conquêtes le
rassure temporairement sur sa virilité. La compulsion sexuelle se manifeste
aussi souvent par la masturbation compulsive et la consommation abusive
de pornographie. Cette dernière entraîne un isolement important, car elle se
fait généralement au détriment de la vie de couple et de famille. Elle nuit
également aux activités professionnelles quand la dépendance est si forte
que la personne ne peut s’empêcher de s’y adonner même pendant ses
heures de travail. La compulsion sexuelle permet parfois à la personne
d’atténuer temporairement ses symptômes dépressifs ou anxieux. Mais c’est
un leurre. Ils referont surface tôt ou tard. Bref, dans la dépendance sexuelle,
bien des gens canalisent leur mal-être à travers la sexualité. La sexualité
devient un exutoire pour les difficultés actuelles. Pour d’autres, il s’agit
avant tout d’une reprise de pouvoir.
Chez les femmes qui ont été victimes d’agression sexuelle, la compulsion
sexuelle est plus rare, mais existe bel et bien. Je pense ici à des femmes qui
ont une sexualité addictive et compulsive. Ce n’est pas tant la fréquence que
le sentiment de dépendance qui est déterminant. Cela peut être une façon,
pour une femme, de reprendre le contrôle sur sa sexualité et parfois aussi de
prouver que c’est elle maintenant qui a du pouvoir sur la sexualité des
hommes.

Claudia a été violée alors qu’elle était adolescente. Elle a vécu cette
agression très difficilement. La peur et l’impuissance ont été les émotions
dominantes. Aujourd’hui, elle aime séduire de façon compulsive. Elle
recherche le regard des hommes, leur attention et fait tout son possible
pour les intéresser, particulièrement ceux qui sont en situation d’autorité
avec elle. Par la suite, elle les décourage et se montre indifférente. Elle
disparaît de leur vie. Elle aime ce sentiment de contrôle et, surtout, leur
déception lorsqu’elle leur annonce qu’il n’y aura pas de suite.

Dans ma pratique professionnelle, plusieurs femmes ayant été agressées


sexuellement sont venues me consulter soi-disant pour un problème de
promiscuité sexuelle. En les questionnant, je constatais qu’elles n’étaient
pas dépendantes à la sexualité, mais s’inquiétaient de la fréquence de leurs
relations sexuelles, qu’elles jugeaient élevée, ou encore de leurs
comportements sexuels, qu’elles estimaient frivoles. Au final, dans
plusieurs cas, il s’agissait davantage d’un jugement que les femmes
portaient sur elles-mêmes que de réelle promiscuité sexuelle. Soit elles
croyaient tellement au stéréotype de la femme soumise sexuellement
qu’elles se disaient qu’il y avait forcément quelque chose qui clochait chez
elles pour être aussi actives sexuellement, ou encore on leur avait tellement
dit que leur sexualité serait problématique à cause des abus sexuels subis
qu’elles s’étaient mises à juger leurs comportements sexuels pourtant tout à
fait adéquats.

Un pas en avant
Savoir distinguer les besoins sexuels des besoins
affectifs
Tous les êtres humains ont besoin d’affection, d’amour et de
reconnaissance. Cependant, il est préférable d’essayer de répondre à ces
besoins en dehors de la sexualité afin qu’il y ait le moins de confusion
possible entre l’affection et la sexualité. Cette confusion est répandue chez
les victimes d’agression, car les gestes sexuels commis à leur égard sont
souvent présentés comme des marques d’attention et d’affection. Remettre
la recherche de plaisir au centre de l’activité sexuelle crée un contexte plus
favorable pour ressentir du désir. Vous comblez probablement plusieurs
besoins dans votre vie sexuelle. Essayez de les identifier. Assurez-vous
qu’ils sont davantage complétifs que défensifs, c’est-à-dire qu’ils visent
votre épanouissement. Si votre vie sexuelle est inexistante, c’est peut-être
que vous ignorez quels besoins elle pourrait combler. Une réflexion à ce
sujet favoriserait certainement une ouverture chez vous.

Ranimer le désir
Le désir est le moteur de toute activité sexuelle. Il est donc essentiel de le
cultiver, non pas pour faire plaisir à votre partenaire ou encore pour
répondre à des attentes sociales, mais pour votre propre bien-être. Avant
toute chose, vous devez reconnaître et accepter le lien entre vos difficultés
sexuelles actuelles et les agressions sexuelles passées. Je suis consciente
que cela ne se fera pas sans heurt et, au besoin, n’hésitez pas à consulter le
chapitre 6 («Canaliser la colère») et le chapitre 11 («Faire ses deuils»).
Accepter vous permettra peu à peu de vous affranchir d’un passé sexuel
douloureux et vous pourrez vous concentrer sur le présent.
Pour développer votre désir, vous devez faire un travail à la fois cognitif
et affectif. Il vous faut premièrement réfléchir aux croyances que vous
pouvez avoir concernant les rôles sexuels et l’identité sexuelle. Si ces
croyances sont trop stéréotypées, elles vous nuisent parce qu’elles vous
empêchent de trouver votre place à vous. La masculinité et la féminité sont
des concepts difficiles à définir, car il y a beaucoup d’hommes et de
femmes qui ne vivent pas et ne pensent pas tous de la même manière tout en
étant bien dans leur identité sexuelle. Deuxièmement, vous devez connaître
vos valeurs sexuelles, vos désirs et vos besoins, afin de pouvoir choisir des
partenaires sexuels qui soient en harmonie avec la personne que vous êtes.
Il vous sera plus facile de vous accorder. Comme la confiance est un enjeu
important chez les victimes, avoir un partenaire qui sait et respecte ce que
vous voulez et ne voulez pas sur le plan sexuel est primordial. Pour qu’il le
sache, il vous faudra lui faire part de vos besoins et de vos désirs.
Savoir mettre vos limites est important, mais si votre partenaire ne connaît
que les interdits, il n’est pas dit qu’il trouvera ce qui vous plaît. À vous
d’abord de le déterminer. Il est généralement plus facile de savoir ce qu’on
ne veut pas que ce qu’on veut, mais nommer ce qu’on veut et ce dont on a
besoin a un effet très puissant pour l’estime de soi et la confiance en soi. Le
désir sexuel physique est souvent stimulé par l’imagination sexuelle. Si
cette imagination est pauvre, voire inexistante, je vous suggère une
sexothérapie pour ouvrir la porte, tout doucement.
Habiter son corps pendant les relations sexuelles
Vous avez peut-être remarqué que votre esprit est ailleurs durant les
relations sexuelles. Soit vous pensez à autre chose ou vous êtes simplement
détaché de votre corps. Vous n’avez donc aucune sensation. Cette réaction
est un mécanisme de protection que beaucoup de victimes ont mis au point
pour protéger leur intégrité pendant les agressions sexuelles qu’elles ont
subies. Aujourd’hui, cependant, cette protection n’a plus sa raison d’être.
Pour pouvoir l’enlever, encore faut-il que vous soyez convaincu qu’elle
n’est plus nécessaire, tout en comprenant le rôle qu’elle a joué dans le
passé. Une fois cela fait, vous pourrez entamer le travail à accomplir
pendant les relations sexuelles pour habiter votre corps. La procédure est
assez simple, mais cela ne signifie pas qu’elle soit facile. Voici ce que je
vous suggère. Lorsque vous vous dissociez de ce que vous êtes en train de
faire, identifiez vos pensées et les sensations dans votre corps. Par la suite,
en dehors de tout contexte sexuel, prenez le temps de rectifier chacune de
ces pensées. Par exemple, si vous vous dites: «Lui et son désir dégoûtant»,
vous pourriez remplacer par: «Il me trouve attirante comme je suis dans
toute ma personne.» Ou encore: «Toujours ce qu’il aime, lui» par: «Allez!
Montre-lui ce que tu aimerais, toi!» Vous serez ainsi capable de contrer ces
pensées automatiques, lorsqu’elles vous traverseront l’esprit durant les
relations sexuelles, en les remplaçant par des pensées justes et proactives.
Pour ce qui est des sensations dans votre corps, une fois que vous les
connaîtrez, vous serez en mesure de repérer le moment où vous vous
dissociez de ce qui se passe et, alors, vous pourrez choisir de rester dans
votre corps et de vivre votre sexualité actuelle, une sexualité d’adulte à
adulte, consentante et, idéalement, plaisante. Si, durant les relations
sexuelles, vous choisissez d’habiter votre corps, lorsque les sensations
physiques se manifestent, focalisez vos pensées sur l’ici et maintenant.
Soyez attentif à votre respiration: elle vous permettra de faire le lien entre
votre corps et votre esprit. Pour ceux qui sont plus kinesthésiques, imaginez
la lourdeur de vos bras et de vos jambes. Cela vous aidera à demeurer sur
place. Si malgré tout un flashback se produit, c’est un phénomène que vous
ne pouvez pas contrôler; par contre, vous pouvez décider de sa portée. Voici
quelques suggestions:
• Respirez profondément et de façon régulière. Cela devrait aussi ralentir
les battements de votre cœur qui se sont probablement accélérés quand
le souvenir est apparu.
• Dites quelques mots à votre partenaire afin d’être bien conscient que
c’est avec lui que vous vous trouvez et non avec votre agresseur.
• Vous pouvez aussi changer de position sexuelle ou de caresse. Par
exemple, si vous étiez sur le dos, vous pouvez basculer votre partenaire
et vous installer sur le dessus.

Si les flashbacks sont fréquents et ne diminuent pas en intensité, c’est


donc que le trauma reste très présent. Une psychothérapie est alors à
envisager.

Se donner le droit au plaisir


La sexualité ne devrait pas être une tâche de plus à accomplir dans votre
journée, une corvée ou même un défi personnel, encore moins quelque
chose à endurer pour acheter la paix. Elle devrait être un échange avec une
personne à qui vous acceptez de donner un peu de vous-même et qui fait la
même chose. Accordez-vous le droit au plaisir. L’abus, la manipulation, le
chantage, la violence font partie de votre passé sexuel. Aujourd’hui,
sexualité peut rimer avec complicité et volupté. Le plaisir commence
d’abord par la permission qu’on se donne de le ressentir. Ensuite, si votre
tête et votre cœur sont de la partie, si vous prenez le temps de communiquer
à l’autre vos désirs et vos envies, si vous êtes à l’écoute de votre corps et de
ses ressentis, alors vous êtes sur la bonne voie!

Guérir de la dépendance sexuelle


C’est un bien grand objectif et il serait présomptueux de ma part de
prétendre vous y aider en quelques lignes. Par contre, voici quelques
conseils de base qui vous mettront sur la voie de la guérison:

• Il vous faut d’abord reconnaître que vous avez un problème et qu’il


génère une souffrance. Les hommes sont souvent valorisés socialement
pour leur libido et leur aisance à vivre leur sexualité. Lorsqu’on parle de
dépendance et de la souffrance qui y est rattachée, il faut admettre que
la compulsion sexuelle affecte des sphères importantes de sa vie. Par
exemple, vous passez beaucoup de temps, au travail, à regarder de la
pornographie ou vous prenez votre temps de pause, à midi, pour aller
dans un club de danseuses nues plutôt que de développer vos relations
socioprofessionnelles avec vos collègues. Vous devez aussi reconnaître
l’état de manque: si vous n’avez pas ces comportements sexualisés,
vous ressentez un vide.
• Une fois le problème reconnu et accepté, même si c’est difficile, il vous
faut renoncer à ces comportements. Attention! Je ne dis pas ici de
renoncer à toute sexualité, mais bien à ces comportements de
dépendance. Par exemple, si vous regardez de la pornographie le soir
plutôt que de vous coller à votre partenaire, éteignez l’ordinateur ou la
télé et allez le rejoindre dans le lit. Peut-être ressentirez-vous un malaise
à vous retrouver avec votre partenaire et vous comprendrez alors que
c’est pour éviter cette intimité physique que vous avez développé votre
compulsion sexuelle. Contrairement à la croyance populaire, ce n’est
pas nécessairement la compulsion sexuelle qui entraîne des difficultés
dans les sphères personnelles, amoureuses et professionnelles, mais
plutôt la présence de difficultés dans ces sphères qui contribuent au
développement de la dépendance sexuelle. La dépendance devient donc
une façon d’éviter d’être confronté à des difficultés personnelles, des
affects pénibles, des relations insatisfaisantes.
• Occupez les moments que vous consacriez à la satisfaction de vos
pulsions sexuelles envahissantes par quelque chose de plus constructif:
loisirs, activité physique, temps passé avec l’être aimé, avec vos
collègues, etc.
• Allez chercher de l’aide professionnelle auprès d’une personne qui se
spécialise dans ce domaine. Car même si vous arrivez par vous-même à
cesser les comportements sexuels compulsifs, un travail thérapeutique
vous aidera à éviter les récidives et à mettre le doigt sur ce qui se cache
en dessous de cette dépendance.

L’écriture qui guérit


1. Après avoir lu tout le chapitre, il est peut-être de plus en plus clair pour
vous que vous souhaitez guérir de votre traumatisme sexuel. Pourtant,
vous questionner sur vos motivations profondes serait un exercice
enrichissant. Écrivez sur une feuille: «Pourquoi est-ce que je veux vivre
une sexualité plus satisfaisante?» Puis écrivez cinq fois «parce que» en
laissant une ligne libre sous chacun, comme ceci:

Pourquoi est-ce que je veux vivre une sexualité plus satisfaisante?

Parce que

Parce que

Parce que

Parce que

Parce que

Complétez chacun des «parce que». Peut-être que vous répondrez


facilement à un ou deux, mais plus vous avancerez, plus vous aurez de
raisons de guérir de votre traumatisme sexuel et de développer une sexualité
saine.
Ensuite, en pensant à la sexualité que vous aimeriez avoir, écrivez: «J’ai
le droit de…», puis complétez avec tout ce qui vous passe par la tête. Par
exemple: «J’ai le droit d’être désiré même si mon apparence n’est pas
parfaite, de recevoir autant de caresses que j’en donne, d’avoir du plaisir, de
dire oui ou non lorsque mon partenaire me fait des avances.» Ce ne sont que
des exemples; c’est à votre tour d’y réfléchir.

2. Je vous invite à faire une liste de vos valeurs sexuelles. Par exemple:
respect, liberté, amour, etc. Écrivez, pour chaque valeur, la façon dont
vous voulez qu’elle se concrétise. Voici deux exemples:
Respect: Je veux que mon partenaire et moi respections chacun les
limites de l’autre.
Liberté: Je veux que chacun se sente libre de dire oui ou non aux
avances de l’autre.
3. Cet exercice est complémentaire au précédent. Tracez deux colonnes
sur une page blanche. Inscrivez en haut de la première le mot «sain»; et
en haut de l’autre le mot «malsain». Il ne vous reste plus qu’à décrire
des attitudes, des sentiments et des comportements sexuels que vous
jugez sains ou malsains. Cet exercice vous aidera à déterminer vos
valeurs sexuelles.

En conclusion, les traumatismes sexuels sont probablement l’une des


conséquences les plus importantes des agressions sexuelles. Maintenant que
vous êtes conscient des répercussions que cela peut avoir sur votre intimité,
il n’en tient qu’à vous de mettre en application les quelques conseils
précédents pour retrouver une sexualité plus authentique.
Chapitre 10
Accompagner son enfant victime
d’abus sexuel

L
es enfants sont ce que nous avons de plus précieux. Malgré tout, il
n’est pas toujours facile d’être parent, entre autres parce que nous
portons nos propres blessures d’enfance. La plupart des parents
souhaitent être un meilleur parent que celui qu’ils ont eu. Pourtant, tous n’y
arrivent pas. Lorsqu’on a été victime d’agression sexuelle durant l’enfance,
on aimerait que notre enfant n’ait pas à vivre le même traumatisme. Si c’est
malheureusement votre cas, ce chapitre pourra vous aider. Si, par contre,
cette thématique ne vous concerne pas, je vous invite à passer directement
au chapitre suivant.

Ce que vit l’enfant


L’abus sexuel chez l’enfant est traumatisant, car celui-ci n’est pas préparé à
vivre la sexualité qu’on lui impose. L’enfant peut être en quête d’attention,
d’affection ou d’amour de la part d’un adulte, mais il n’est pas à la
recherche de contacts sexuels, quoi qu’en dise l’agresseur. L’adolescent qui
a ses premières expériences sexuelles consensuelles est la plupart du temps
un peu mal à l’aise, gêné, alors imaginez le malaise que peut ressentir un
enfant agressé par un adulte. L’enfant se sent bien souvent trompé,
manipulé, trahi par cet adulte en qui il avait confiance. Il est confus, car
l’adulte lui fait croire que c’est lui qui recherchait le contact sexuel.
L’enfant se sent généralement coupable, à tort, a honte et gardera par
conséquent le secret, ce que l’agresseur souhaite ardemment. De par son
âge, son manque de connaissances et de maturité, sa vulnérabilité, il n’est
pas nécessairement en mesure de distinguer ce qui est bien de ce qui est
mal. On lui demande de garder un secret, on lui parle d’amour et
d’affection. L’enfant ne connaît pas encore bien ces concepts d’adulte et est
donc facilement manipulable.
Si l’agression sexuelle est commise par un membre de la famille, un
climat de proximité physique a souvent été installé auparavant, mais la
ligne qui ne doit pas être franchie est traversée. L’intimité de l’enfant est
bafouée, on fait fi de sa pudeur, on lui impose une nudité, on lui fait des
remarques déplacées. L’enfant ne sait plus où se réfugier, car sa maison, sa
chambre ou la salle de bains ne sont plus des endroits sécuritaires où se
retrouver en toute tranquillité. Il peut y avoir intrusion à n’importe quel
moment. En général, cela met l’enfant dans un état d’hypervigilance qui ne
le quittera pas, même une fois adulte. Si l’agresseur est un des parents,
l’enfant développe une grande méfiance et une peur tout à fait
compréhensibles. Celui qui devait lui assurer protection et sécurité l’utilise
et le manipule pour ses propres besoins. Si l’agresseur est un frère ou une
sœur, l’enfant peut se sentir trahi, car il percevait l’autre enfant comme un
allié, un confident. Ils ont parfois découvert la sexualité ensemble, sous
forme de jeu exploratoire, mais, là, une limite a été transgressée et l’enfant
s’en trouve troublé.

Une réalité difficile à accepter


Ce que vit votre enfant est certes difficile, mais rien ne vous a préparé à
l’épreuve que vous avez à traverser: apprendre que votre enfant a été
agressé sexuellement, qui plus est, fort probablement, par quelqu’un que
vous connaissez. Si l’agresseur est votre conjoint, la terre a dû s’arrêter de
tourner. Votre vie a certainement changé. Peut-être même avez-vous eu de
la difficulté à croire votre enfant au départ… Quoi qu’il en soit, vous avez
dû être tiraillé entre votre conjoint et votre enfant pour au final, je l’espère,
soutenir votre enfant. Mais ce soutien a un prix: perdre votre vie de couple
et vos repères quotidiens, vous réorganiser financièrement. Après coup,
peut-être vous en êtes-vous voulu de n’avoir rien vu. Peut-être aussi vous
êtes-vous considéré comme un mauvais parent. Peut-être même vous êtes-
vous senti coupable en vous reprochant de ne pas avoir donné suffisamment
de sexe à votre conjoint… Je peux vous assurer que ça n’a rien à voir. Ce
n’est pas parce que la fréquence de vos relations sexuelles est faible que ça
donne le droit à votre conjoint d’aller assouvir ses besoins sexuels sur votre
enfant.
Si l’agresseur sexuel est un autre de vos enfants, je suis certaine que vous
avez vécu beaucoup d’émotions, que vous êtes passé de l’incrédulité à la
culpabilité, encore. Bien sûr, il est difficile de prendre parti, car les
personnes concernées sont vos enfants et vous les aimez tous les deux.
Gardez en tête qu’ils ont besoin d’aide. Si l’agresseur est votre nouveau
conjoint ou un de ses enfants, peut-être croyez-vous avoir manqué de
vigilance et de discernement. En même temps, n’oubliez jamais que les
agresseurs sont de fins manipulateurs et qu’ils cachent assez bien leur jeu.
Si l’agresseur est un membre de la famille élargie, vous avez probablement
le sentiment d’avoir été dupe, vous aussi. Les autres membres de la famille
se sont sans doute prononcés en faveur de la victime ou de l’agresseur, des
clans se sont formés, la famille est brisée. C’est pire encore si l’agresseur
est le même qui vous a agressé vous, pendant votre enfance. Cela se voit,
malheureusement.

Le passé vous rattrape


Si vous lisez ce livre, c’est que vous avez vous-même vécu une agression
sexuelle par le passé. Lorsque vous découvrez que votre enfant a été
victime d’abus sexuel à son tour, cela doit faire ressurgir bien des émotions,
des souvenirs, des souffrances… Il y a alors la douleur en tant que parent de
savoir ce que votre enfant a enduré qui s’ajoute à la vôtre, issue de votre
propre histoire. Vous pouvez parfois confondre ce que vit votre enfant et ce
que vous-même avez vécu. Le piège est de faire de la projection, c’est-à-
dire d’attribuer à votre enfant les pensées et les émotions que vous aviez
lorsque vous avez été agressé par le passé. Il n’est pas facile de rester près
de son enfant, disponible pour lui, tout en ayant la distance émotive
nécessaire pour ne pas accentuer sa souffrance.

Quand Karine a appris que David, son fils unique de huit ans, avait été
agressé par leur voisin, son monde s’est écroulé. Leur voisin les aidait
beaucoup depuis le départ du père de David. Il venait souvent leur rendre
visite. Il était là pour les anniversaires. Il cuisinait pour eux. Il gardait
David quand Karine finissait de travailler tard. Il l’emmenait jouer au
hockey l’hiver, à la piscine l’été. Karine a été elle-même agressée par un
oncle qui faisait aussi office de figure paternelle pour elle. Submergée
par la souffrance face au rapprochement entre leurs deux histoires,
Karine met d’abord en doute les propos de David: il a mal compris, il a
fait croire au voisin qu’il voulait découvrir sa sexualité. Puis elle le
culpabilise: il n’aurait pas dû accepter de se changer devant lui, ni de
s’asseoir près de lui lorsqu’ils regardaient la télé. Karine aime son fils de
tout son cœur, mais la culpabilité qu’elle-même ressent de n’avoir rien vu
ni rien soupçonné est trop lourde à porter.

Quand Robert découvre que le fils de sa conjointe, un adolescent de 16


ans, s’exhibe devant son fils de 10 ans et exige de lui des caresses, il
minimise la situation. Si ça se passe entre frères, dit-il à sa conjointe, ce
n’est pas si grave; ils découvrent la sexualité ensemble. Il ne veut pas
entendre la peur de son fils de s’endormir le soir par crainte que son
demi-frère vienne le retrouver. Il ne voit pas que son fils fait maintenant
des cauchemars, s’absente de la maison autant qu’il le peut en allant
chez des amis et que ses résultats scolaires baissent. Pour Robert, tous
les enfants font des cauchemars et connaissent des difficultés à l’école à
un moment ou à un autre. Lui-même, enfant, avait ces mêmes difficultés.
Quand sa conjointe tente de faire le lien entre les abus qu’il a lui-même
subis de la part de son cousin qui venait passer les vacances chez lui et
ce que vit son fils, Robert nie avoir été traumatisé. C’étaient des
expériences sexuelles parmi d’autres. Son fils trouvera donc réconfort
auprès d’une tante, car son père ne peut regarder la situation en face.

Il arrive que la détresse du parent soit si grande qu’il lui est difficile, voire
impossible, de soutenir son enfant. Il peut alors mettre sa parole en doute, le
culpabiliser, nier ou minimiser ce qui s’est passé. Tout cela
inconsciemment, dans le but d’apaiser sa propre souffrance qui émerge. Les
parents qui ont fait un cheminement par rapport à leur passé de
victimisation sont souvent plus réceptifs aux besoins de leurs enfants. Ils
vivent par contre un tourbillon d’émotions. Ils peuvent ressentir de la colère
et un désir de vengeance face à l’agresseur. Se venger de l’agresseur serait
ici, symboliquement, se venger de son propre agresseur. La tristesse et
l’impuissance peuvent aussi les habiter. Ils se demandent ce qu’ils peuvent
faire pour atténuer la souffrance de leur enfant. Certains sont prêts à prendre
cette souffrance pour qu’il retrouve sa gaieté et sa légèreté. Ils aimeraient
revenir en arrière pour changer les choses, mais savent que c’est impossible.
Plusieurs ressentent de l’anxiété et développent toutes sortes de malaises
physiques: insomnie, baisse d’appétit, céphalées, douleurs musculaires,
symptômes gastriques. En fait, ils somatisent leur anxiété. Finalement, la
culpabilité tenaille aussi bien des parents, qui adoptent des comportements
d’hypervigilance et de surprotection. Ils se disent qu’ils n’en ont pas fait
suffisamment pour protéger leur enfant. Si c’est votre cas, n’oubliez pas
qu’à cause du secret imposé par l’agresseur, il est bien difficile de savoir ce
qui se passe avant que l’enfant ne le révèle. La plupart des enfants hésitent à
dénoncer l’agresseur, car ils le connaissent et craignent les conséquences.
Ne croyez donc pas que votre relation avec votre enfant est mauvaise ou
encore que vous êtes un parent incompétent si votre enfant a tardé à vous
dévoiler les agressions subies. Dites-vous que certaines personnes ne le
diront jamais à leurs parents…

Les répercussions sur votre enfant


L’enfant victime d’abus sexuel est bouleversé, même s’il ne le montre pas
toujours dans son comportement. Gardez en tête que les conséquences
peuvent être manifestes ou intériorisées. La souffrance n’est pas toujours
visible, mais elle peut ronger de l’intérieur. Les conséquences peuvent
également être d’ordre émotionnel. L’enfant éprouve de la colère envers
l’agresseur, mais aussi souvent envers ses parents. Il leur en veut de ne pas
l’avoir protégé. Encore faudrait-il que vous l’ayez su! Mais, dans la tête de
l’enfant, son parent aurait dû savoir, car c’est son rôle de le protéger. C’est
en parlant avec votre enfant, sans le culpabiliser d’avoir tardé à vous révéler
ce qui se passait, que vous pourrez lui expliquer que si vous aviez su, vous
auriez tout fait pour le protéger, car il est précieux à vos yeux et vous
l’aimez plus que tout. Ses reproches face à votre inaction peuvent en fait
cacher sa culpabilité de n’avoir pas su se protéger lui-même ou encore de ne
pas avoir dévoilé les agressions plus rapidement. Il convient de lui rappeler
que le seul responsable dans cette histoire est l’agresseur et personne
d’autre. Il peut ressentir de l’incompréhension, de l’impuissance et de la
tristesse, se demander pourquoi ça lui est arrivé à lui, se voir comme une
proie facile. Ici, l’écouter sans le juger est encore la meilleure des attitudes.
Il est important qu’il exprime sa peine. C’est ainsi qu’elle ira en diminuant.
D’autres enfants éprouvent de l’anxiété et développent différentes peurs:
peur des inconnus, peur des hommes (si l’agresseur est de sexe masculin),
peur de se retrouver seul, peur de s’endormir, peur d’un lieu rappelant les
abus, etc. La peur n’étant pas quelque chose de rationnel, il est inutile de
dire à votre enfant qu’elle n’a pas sa raison d’être. Tenter d’étouffer sa peur
est pire: elle peut alors être somatisée et se manifester dans le corps à
travers divers malaises.
Le comportement peut aussi changer à la suite d’une agression sexuelle.
En premier lieu, il peut y avoir soit une régression, soit une amplification
des difficultés liées à une étape du développement normal chez un enfant de
cet âge. Par régression, j’entends que l’enfant retourne à des comportements
d’enfant plus jeune que lui, à des défis qu’il a déjà surmontés. Par exemple,
il recommence à faire pipi au lit, il suce son pouce, il demande une sucette
ou un doudou. Ces comportements alarment souvent les parents, mais sont
tout à fait normaux, compte tenu du traumatisme que vit l’enfant. Toucher
une doudou ou sucer son pouce ou une sucette lui permet d’apaiser
l’anxiété qu’il ressent. Si vous lui défendez de le faire, vous risquez de
provoquer des crises majeures ou d’autres comportements régressifs. Tenez
compte de l’âge dans votre raisonnement. Si l’enfant a 3 ans et se met à
sucer son pouce ou s’il a 10 ans, je ne réagirais pas de la même façon.
Comme c’est un comportement d’apaisement, lorsque vous le voyez y
recourir, vous pouvez lui proposer un objet réconfortant ou encore vous
approcher et lui offrir de lui caresser les cheveux ou de lui faire un câlin.
Si, avant les abus sexuels, votre enfant avait des problèmes, ceux-ci
risquent de devenir plus importants. Il pourrait faire davantage d’insomnie
ou refuser de manger s’il boudait déjà la nourriture. Je mentionnais
précédemment la possibilité que les difficultés d’une étape normale du
développement soient amplifiées, en réponse aux abus. Par exemple, lors de
l’entrée à l’école, plusieurs enfants sont anxieux; certains pleurent. Il se
pourrait que votre enfant ressente davantage d’anxiété face à votre
séparation et en raison du fait qu’il se retrouve dans un tout nouvel
environnement, rempli d’adultes qu’il ne connaît pas. Sur le plan scolaire,
l’enfant pourrait aussi rencontrer des difficultés: avoir de moins bonnes
notes, s’isoler davantage, avoir des comportements agressifs, de
délinquance, etc. Il serait judicieux d’informer son enseignant ou le
personnel de l’école qu’il côtoie régulièrement de la situation qu’il vit et
des possibles conséquences sur son comportement. Nous sommes à une
époque où les adultes réagissent beaucoup (trop!) aux comportements des
enfants sans tenter de comprendre ce qu’ils cachent. En punissant des
comportements mésadaptés sans y voir la souffrance sous-jacente, on ne fait
qu’enfermer cette souffrance à l’intérieur de l’enfant. Si celui-ci perçoit son
environnement comme hostile ou menaçant, il est possible qu’il adopte des
attitudes de méfiance et peut-être même de défi: il pourrait alors se tourner
davantage vers vous en quête de protection. Il y a une différence importante
entre défendre et protéger. En tant que parent, vous ne pourrez pas défendre
des comportements d’agression ou de délinquance commis par votre enfant,
mais vous pouvez le protéger en vous assurant que le milieu scolaire ou
éducatif lui offre du soutien.
Finalement, que ce soit à la maison ou ailleurs, votre enfant pourrait avoir
des comportements sexuels problématiques, par exemple se masturber de
façon compulsive, pouvant aller jusqu’à s’infliger des blessures, s’exhiber
devant d’autres enfants ou des adultes, s’adonner au voyeurisme, ou encore
commettre des actes à caractère sexuel sur d’autres enfants. Ces
comportements sont inquiétants et nous indiquent que l’enfant est
traumatisé par son expérience d’abus sexuel. On pourrait expliquer ces
passages à l’acte par une curiosité sexuelle qui a été éveillée par l’agresseur,
une tentative de diminuer le trauma en rejouant la scène traumatisante des
abus subis, une identification à l’agresseur en reproduisant les gestes qui
ont été commis à son endroit, une colère et un besoin de dominer comme
une riposte à la vulnérabilité qu’il a connue. Ces comportements ne peuvent
être tolérés sous prétexte qu’ils sont compréhensibles. D’autres enfants
deviennent alors victimes du vôtre. C’est sans compter que s’il a de tels
comportements devant des adultes malveillants, ceux-ci pourraient en tirer
avantage et vouloir abuser de lui. Si votre enfant a ce genre de
comportements, vous devez consulter un professionnel.
Peu importe la façon dont votre enfant réagit à l’agression sexuelle dont il
a été victime, il est essentiel que vous mettiez des mots sur ce qu’il vit. Ça
l’aidera à faire le lien entre les abus qu’il a subis, ses émotions et son
comportement. Tout seul, il en est incapable. Bien des adultes n’y arrivent
pas eux-mêmes! Mais, au-delà de toutes ces conséquences, l’enfant souffre
surtout d’une baisse d’estime de lui-même et c’est probablement ce qui sera
le plus long et ardu à réparer.

Votre enfant cherche à s’adapter


Votre enfant tente de s’adapter du mieux qu’il peut au traumatisme qu’il a
subi. Voici quelques mécanismes qu’il pourrait utiliser pour tenter de s’en
sortir. Pendant les abus sexuels, il pourrait faire de la dissociation, c’est-à-
dire qu’il pourrait se couper des sensations dans son corps en se réfugiant
dans sa tête. Certaines victimes m’ont rapporté qu’elles avaient
l’impression que leur esprit se détachait de leur corps et qu’il flottait dans la
pièce. Ainsi, elles voyaient quand même ce qui se passait, mais ne
ressentaient rien. C’est comme si elles assistaient à la scène sans y prendre
part.
Les autres mécanismes se mettent en place à la suite des abus sexuels,
parfois après le premier passage à l’acte, d’autres fois plus tard. La victime
peut chercher à éviter le sujet, l’agresseur ou le contexte. Ainsi, si vous
demandez par exemple à votre enfant comment s’est déroulée sa journée, il
pourrait vous répondre «bien» puis aller jouer ou vite passer à un autre
sujet. Si vous l’interrogez davantage, il pourrait se fâcher en vous
demandant pourquoi vous posez autant de questions ou, encore une fois,
changer rapidement de sujet. Le matin, il n’aurait pas envie d’aller au camp
ou à l’école ou vous demanderait de changer de groupe ou d’activités. De
telles attitudes doivent éveiller votre vigilance.
L’enfant peut aussi faire preuve de déni si vous lui posez directement des
questions. Comment, alors, savoir qu’il a été agressé si lui-même nie ce qui
s’est passé? Si vous lui dites régulièrement que vous l’aimez, que vous êtes
là pour lui et qu’il peut tout vous dire, que vous pouvez tout entendre et
l’aiderez s’il en a besoin, cela favorisera, espérons-le, la confidence.
Vous pouvez également parler en général des abus sexuels avec lui, à un
moment donné, et lui dire que si jamais quelqu’un fait ce genre de choses
en sa compagnie, il doit vous le dire car c’est mal, mais que lui, l’enfant,
n’a rien à se reprocher. Vous pouvez aussi lui expliquer ce que sont un bon
et un mauvais secret. Un bon secret nous fait sentir bien, alors qu’un
mauvais secret protège quelqu’un et nous fait sentir mal. Est-ce qu’il a déjà
eu ce genre de secret? Bien entendu, le jour où il se confie à vous, tâchez de
vous rappeler votre engagement à être réceptif et à l’aider.
L’enfant peut faire preuve de détachement émotionnel. Ainsi, lorsque
l’abus est découvert ou dévoilé, il semble très fonctionnel et raconte ce qui
s’est passé sans paraître ébranlé. Il est rationnel dans ses explications et
tente parfois même d’expliquer pourquoi, selon lui, l’agresseur a agi de
cette façon. Cela s’appelle la rationalisation. Trouver une explication qui
semble probable apaise l’enfant temporairement.
Finalement, l’enfant peut faire un clivage, c’est-à-dire qu’il dissocie le
bon du mauvais, tant d’une personne que d’un événement. Par exemple, il
pourrait aimer les sorties avec son grand-père et les histoires que celui-ci
raconte, mais détester son odeur et ses mains sur son corps.

Dois-je révéler à mon enfant mon propre passé de victime


d’agression sexuelle?

C’est une excellente question à laquelle il n’y a pas de réponse simple.


Puisque, récemment, c’est votre enfant qui a été victime d’agression
sexuelle, nous allons lui accorder la priorité et voir ce qui est le mieux pour
lui. Doit-il ou non savoir que vous avez été victime d’agression sexuelle? Et
cela vous soulagerait-il de vous confier à lui? Si vous avez besoin de parler
à quelqu’un de ce que vous avez vécu, tournez-vous vers d’autres adultes en
mesure de vous apporter du soutien ou, encore, consultez un thérapeute.
Pour revenir à votre enfant, que gagnerait-il à savoir que vous avez été
agressé sexuellement par le passé? Certaines victimes d’agression croient
que l’enfant se sentira plus à l’aise de parler avec elles s’il sait qu’ils
«partagent» une épreuve similaire. C’est possible. Mais il est tout aussi
probable que l’enfant se taise pour vous protéger et ne pas raviver des
blessures de votre passé. Si vous fréquentez toujours votre agresseur parce
qu’il fait partie de votre famille, par exemple, cela pourrait permettre à
l’enfant de comprendre pourquoi vous ne voulez pas qu’il se retrouve seul
en sa présence ou encore pourquoi la relation entre vous deux est tendue. Si
vous avez le même agresseur, il pourrait vous en vouloir de ne pas l’avoir
protégé. Si vous choisissez de dévoiler votre passé d’agression sexuelle à
votre enfant, voici quelques conseils:
• N’entrez pas dans les détails. Votre enfant n’a pas besoin de savoir quels
gestes exactement ont été commis, s’il y a eu violence, menaces, etc.
• Dites-lui que si vous lui racontez votre passé aujourd’hui, c’est pour qu’il
sache que vous pouvez le comprendre, car vous êtes passé à travers
quelque chose de similaire.
• Rassurez votre enfant sur votre capacité à l’écouter et à le soutenir,
malgré votre passé. Si les confidences de votre enfant vous
bouleversent, demandez une aide professionnelle.

Un pas en avant
Je suis certaine que ce chapitre vous a remué, car ce qui arrive à notre
enfant nous touche au plus profond de notre cœur. Je ne prétends pas avoir
de solution facile à votre souffrance, mais j’espère néanmoins ici vous
apporter quelques réflexions thérapeutiques.

Protéger sans surprotéger


Malgré tout, même si vous savez que l’agresseur est le seul à blâmer, une
partie de vous-même se sent peut-être encore coupable de ne pas avoir vu,
su, entendu quoi que ce soit. Vous voyez votre enfant souffrir et vous êtes
prêt à tout pour éviter que ça ne se reproduise. C’est tout à fait naturel et
humain. Il est important, par contre, de savoir protéger sans surprotéger.
Protéger serait entre autres de demeurer vigilant quant aux personnes
susceptibles de s’occuper de votre enfant, en vous assurant de les connaître
suffisamment s’ils peuvent à l’occasion se retrouver seul avec lui.
Surprotéger votre enfant serait de le garder toujours près de vous. Ce n’est
ni possible ni sain. Lorsque vous protégez votre enfant, vous lui montrez
qu’il doit être prudent, qu’il y a du bon et du mauvais dans la vie, et que
vous êtes là en cas de besoin. Lorsque vous le surprotégez, vous lui
enseignez que le monde est dangereux et que vous n’avez pas confiance en
lui. Il peut alors devenir très craintif face aux gens et au monde qui
l’entoure, ou encore très hardi car il n’aura pas conscience des risques et
des défis, n’ayant jamais eu à y faire face. Même si c’est difficile, il vous
faut trouver un équilibre entre protéger votre enfant et favoriser son
autonomie. C’est cet équilibre qui lui donnera un meilleur sentiment de
sécurité, car il saura que vous êtes là pour lui et aura confiance en lui pour
faire face à des défis et explorer le monde. Si vous êtes trop craintif, il serait
bon d’envisager une psychothérapie.

Aller chercher de l’aide pour soi-même


Afin d’être présent pour votre enfant, il faut que votre cœur et votre esprit
soient disponibles, c’est-à-dire que votre passé soit, autant que possible,
«réglé». Il n’est pas rare de voir que des adultes ayant été agressés durant
l’enfance parlent pour la première fois de ce qu’ils ont vécu lorsque leur
enfant est lui-même victime d’abus sexuel. Il faut dire que les services
offerts aux victimes sont mieux organisés qu’à une certaine époque. Ainsi,
le vécu de votre enfant génère une souffrance et des conséquences pour
vous aussi, comme nous l’avons dit plus tôt. Votre enfant recevra une aide
psychologique, mais je vous recommande sincèrement d’accepter l’aide qui
vous sera offerte pour vous-même. En tant que parents, nous avons parfois
tendance à nous oublier pour nos enfants, mais, ici, vous devez vous
occuper de vous pour être plus apte à soutenir votre enfant. Choisissez un
thérapeute différent du sien pour que vous soyez à l’aise de parler de vous
et que la thérapie ne tourne pas autour de lui. Ensuite, optez pour un
professionnel qui a de l’expérience auprès des victimes d’agression sexuelle
et également en parentalité. Vous pourrez ainsi parler de votre passé, mais
aussi de votre présent et de la façon dont ce que vous avez vécu se répercute
sur votre rôle de parent. Finalement, visitez des sites Internet, appelez
différents professionnels et fiez-vous à votre cœur. Si vous ne vous sentez
pas bien durant le premier rendez-vous, changez de thérapeute. Le bien-être
et le sentiment de confiance ne s’expliquent pas toujours.

Soutenir son enfant


Vous êtes bien intentionné et vous souhaitez que votre enfant aille mieux.
Cependant, la souffrance que vous ressentez et le stress que toute la
situation vous occasionne vous amènent peut-être parfois à ressentir de la
colère envers lui, à remettre sa parole en doute ou encore à le culpabiliser.
Rappelez-vous que ces attitudes provoquent une détresse importante chez
votre enfant. Lorsque c’est trop difficile, prenez du recul. Respirez
profondément. Pleurez s’il le faut. Dites à votre enfant que c’est difficile
pour lui et pour vous, mais que vous allez traverser cette épreuve ensemble.
Plus vous le soutiendrez et travaillerez de concert avec les services
sociojudiciaires, mieux votre enfant s’en sortira, malgré la nature des
agressions sexuelles dont il a été victime. Les études le disent: le soutien
parental est le meilleur prédicteur de résilience pour l’enfant abusé.
Soutenir votre enfant, c’est aussi lui trouver un thérapeute spécialisé auprès
des victimes d’agression sexuelle et formé pour travailler auprès des
enfants. Le thérapeute doit être capable de voir au-delà des comportements
de l’enfant et travailler sur sa souffrance profonde. La thérapie par le jeu et
le dessin est tout à fait indiquée.

L’écriture qui guérit


Ici, je vous suggère l’écriture de deux lettres. D’abord, une lettre que vous
adresserez à votre enfant et qu’il pourra peut-être lire un jour, quand il sera
plus grand. Vous devez y exprimer ce que vous ressentez et vivez. Cette
lettre vous libérera, mais sera en même temps un témoignage d’amour
envers votre enfant. Parfois, les enfants, en grandissant, restent sur
l’impression que leurs parents ne les ont pas soutenus lors des abus sexuels.
Probablement parce que la souffrance des parents était trop importante et
qu’ils n’ont pas suffisamment nommé leurs émotions et rappelé leur
disponibilité à leur enfant.
La deuxième lettre sera destinée à l’agresseur. Elle vous permettra
d’exprimer toutes vos émotions et ce que vous avez vécu à la suite des abus
qu’il a commis envers votre enfant. Vous pourrez parler aussi du vécu de
votre enfant et de sa détresse. Cette lettre est thérapeutique dans le sens où
toute la colère et la peine que vous ressentez seront libérées. Par contre, je
vous déconseille de l’envoyer sur un coup de tête. Il serait judicieux d’en
parler avec un professionnel pour bien évaluer les conséquences de l’envoi
d’une telle lettre. Écrire est thérapeutique et aide énormément à cheminer.
Cependant, c’est un geste très personnel qui n’a pas à être partagé avec
l’agresseur ou l’entourage.
Pour un parent, l’agression sexuelle de son enfant est une grande épreuve
lorsqu’on songe au fait que notre plus grand désir est justement de le
protéger et de le voir grandir heureux tout en gardant le plus longtemps
possible sa naïveté. La qualité du soutien que vous offrirez à votre enfant
demeure la clé de son rétablissement, ne l’oubliez pas. Toutefois, pour offrir
du soutien, il faut parfois en bénéficier soi-même. N’hésitez pas à demander
l’aide dont vous avez besoin.
Chapitre 11
Faire ses deuils

N
ous avons vu au fil de ce livre toutes les façons dont les différentes
sphères de la vie d’une personne victime d’abus sexuel peuvent
être affectées. Ces diverses répercussions peuvent vous donner
l’impression de vous être fait dérober certaines portions de votre vie ou
d’avoir «perdu» beaucoup. Les pertes subies entraînent des deuils. Parfois,
ces nombreux deuils n’ont pas été entièrement conscientisés. Faire un deuil
est un processus complexe qui comporte plusieurs étapes. Vous les vivez,
vous les portez, mais vous n’arrivez peut-être pas toujours à mettre des
mots dessus. La première étape est de nommer ce qu’on considère avoir
perdu…

Les deuils de l’enfance


Les enfants victimes d’abus ont généralement tendance à se refermer sur
eux-mêmes, à s’isoler. Ils peuvent aussi avoir des comportements agressifs
et, pour cette raison, être tenus à l’écart par les autres enfants. Plusieurs
deuils peuvent être associés à cette période de la vie: le deuil des amitiés et
du plaisir de jouer; le deuil de l’innocence, si caractéristique d’une enfance
heureuse.
L’agression sexuelle peut aussi amener l’enfant à remettre en doute
l’amour qu’on lui porte. C’est le deuil de l’amour sincère et vrai. Une
personne, souvent connue, a abusé de lui et de sa confiance. C’est le deuil
du sentiment de confiance envers les autres. Les adultes autour de lui n’ont
pas su le protéger. Il se sent privé du sentiment de protection et de sécurité
auquel il a pourtant droit.
Lorsqu’il se met à douter de sa sécurité, l’enfant n’a pas l’esprit tranquille
et souffre fréquemment de troubles du sommeil. Le sommeil est pourtant
nécessaire à son développement physique et cognitif. C’est le deuil,
inconscient bien sûr, d’un développement adéquat.
Plus généralement, la victime peut avoir le sentiment qu’on lui a volé son
enfance et qu’elle a perdu quelque chose qu’elle ne retrouvera jamais.

Les deuils de l’adolescence


L’adolescence est souvent une période tumultueuse où on remet beaucoup
de choses en question. Lorsque l’identité d’un individu est déjà fragilisée
avant même son entrée dans l’adolescence, cette période est vécue encore
plus difficilement. C’est ce qui arrive lorsque l’adolescent traîne des
séquelles d’un abus qui a eu lieu pendant l’enfance. Les repères sont quasi
inexistants, et l’entourage n’est pas jugé digne de confiance. Il reste par
conséquent à s’isoler pour se protéger de dangers potentiels, ou encore à
fréquenter d’autres jeunes probablement aussi écorchés que soi.
Dans toute cette période de révolte, l’adolescent a quand même besoin de
croire en la bonté humaine. Il vit alors le deuil de cette croyance.
L’adolescent, quoi qu’il en dise, souhaite entretenir de bonnes relations
sociales. Mais plusieurs victimes d’abus sexuel ne parviennent pas à tisser
ces amitiés si précieuses à l’adolescence. Par protection, certains se coupent
des autres et renoncent donc à l’intensité de ces amitiés typiques de cet âge.
À la recherche de ce sentiment d’appartenance qu’ils n’ont pas su
développer, certains tenteront de le trouver, une fois adultes, dans des
groupes d’entraide, des associations ou des groupes spirituels.
L’école est souvent secondaire dans les priorités de l’adolescent, passant
bien après les amis. Lorsqu’on est victime d’agression sexuelle, il n’y a pas
que la motivation qui est chancelante. Les facultés de concentration sont
amoindries, ce qui entraîne des difficultés scolaires. Ainsi, plusieurs quittent
l’école et se retrouvent sans emploi ou dans des emplois à statut précaire.
Ici, le deuil à faire est celui de ne pas avoir pu étudier autant qu’on l’aurait
souhaité et, par conséquent, de ne pas exercer la profession rêvée. Comme il
n’est pas toujours facile de reprendre ses études à l’âge adulte, beaucoup de
gens y renonceront, faisant ainsi le deuil de certains rêves ou ambitions
professionnelles.
Les deuils de la vie adulte pour la personne
agressée durant l’enfance ou l’adolescence
À l’âge adulte, notre sac à dos est normalement déjà bien rempli d’outils
acquis pendant l’enfance et l’adolescence. Mais plusieurs personnes ayant
subi une agression sexuelle durant ces périodes ne se sentent pas aussi bien
outillées que d’autres pour affronter les défis qu’elles rencontrent. Des
deuils refoulés ou non achevés au cours de l’enfance ou de l’adolescence
peuvent s’additionner à ceux qu’amène la vie d’adulte, et donner
l’impression à certaines victimes de partir avec une lacune, particulièrement
dans le domaine affectif. Il est possible qu’à cette étape de votre vie, vous
compreniez mieux l’ampleur des blessures subies par le passé. Le sentiment
de légèreté et de tranquillité d’esprit que vous observez chez les autres peut
vous échapper. Aussi, l’instabilité émotive que vous ressentez peut vous
amener à perdre certaines relations amicales, amoureuses ou familiales.
Différents deuils pourront donc être vécus pendant cette période: deuil d’un
bien-être global, deuil de relations amoureuses saines ou d’une sexualité
satisfaisante, deuil des relations familiales harmonieuses… En plus des
répercussions relationnelles, l’abus sexuel peut avoir laissé des séquelles
suffisamment lourdes pour vous empêcher de développer votre plein
potentiel sur les plans personnel et professionnel. Vous pouvez avoir à faire
le deuil de certaines possibilités.

Les deuils de la personne agressée sexuellement à


l’âge adulte
La vie adulte est généralement une quête de ce qu’on est, de ce qu’on veut,
puis, dans un monde idéal, la consolidation de cette quête. La personne
agressée à l’âge adulte voit souvent sa quête interrompue. Elle consacre
toute son énergie à tenter de survivre au traumatisme de l’agression
sexuelle. Pour certains, cela représente le deuil d’accomplissements tels que
la poursuite d’études supérieures, l’accès à un poste convoité ou encore le
fait d’avoir une relation amoureuse stable ou de fonder une famille. La
victime pourrait se comparer à des personnes de son entourage et être déçue
de ne pas avoir atteint ses objectifs de vie, contrairement à ceux qu’elle
aime.
Pourquoi faire son deuil
Ma thérapeute m’a parlé de l’importance de faire le deuil de mon
enfance. Je n’en ai pas envie. J’ai l’impression que si je fais mon
deuil, je vais oublier les torts que mon père m’a causés. Ce serait
comme laisser tomber la petite fille que j’ai été.

Je comprends tout à fait. La petite fille que vous avez été a beaucoup
souffert des gestes commis par son père, ainsi que des répercussions que ces
gestes ont eues sur elle et probablement sur la famille aussi. Ces
souffrances, vous les portez certainement encore aujourd’hui et c’est
pourquoi votre thérapeute vous a suggéré de faire un processus de deuil. Le
deuil ne signifie pas qu’on oublie ce qu’on a perdu, mais plutôt qu’on tente,
à l’aide d’un cheminement, de laisser derrière soi cette partie de notre vie.
Elle reste là, elle a eu lieu, elle ne s’effacera pas. Que pouvez-vous faire
aujourd’hui de cette souffrance? Vous la portez depuis déjà bien longtemps,
n’est-ce pas? Et si vous la déposiez à vos pieds, le temps de reprendre votre
souffle? Ensuite, si vous le souhaitez, vous prendrez le temps de la regarder,
de la ressentir, avec toutes les émotions qu’elle fera surgir, car faire son
deuil, c’est aussi faire face à sa souffrance pour accepter, ensuite, de la
laisser derrière vous. J’espère que la lecture du reste du chapitre vous
permettra une réflexion plus approfondie sur le deuil et, avec votre
thérapeute, vous pourriez explorer ce qui vous empêche d’aller en ce sens.
Mais peut-être que votre questionnement est le suivant: «Pourquoi faire
mon deuil? Qu’est-ce que ça va m’apporter?»

Ne pas faire son deuil, c’est vivre dans le passé. Or, le passé est, comme
son nom le dit, «passé». Vivre dans le passé, c’est repenser à ce que vous
avez vécu, mais aussi à ce que vous auriez pu faire autrement, comme si les
choses avaient pu être différentes. Ne pas faire son deuil, c’est également
refuser de vivre le présent. En revoyant les scénarios des abus, vous vous
imaginez faire ceci, dire cela, en espérant que l’issue aurait été autre. Vous
ne pouvez en être sûr. Par contre, pendant tout le temps que vous passez à
remuer ces pensées, vous occultez le présent, votre présent. Vous vous
empêchez de vivre de belles choses qui pourraient survenir aujourd’hui, à
condition que vous ayez cette ouverture. La porte que vous n’arrivez pas à
fermer derrière vous vous empêche d’en ouvrir une autre et personne ne sait
ce qui se cache derrière. Et si, derrière cette porte que vous ne parvenez pas
à ouvrir sans avoir fermé l’autre, se cachait le bonheur? Vous ne pouvez pas
reprendre ce qui a été perdu, mais vous pouvez en revanche développer des
attitudes qui vous aideront à accueillir le bonheur à bras ouverts: un
sentiment de sécurité, la confiance, l’amour.
Il n’est pas facile de faire le deuil des agressions passées et du tort
qu’elles vous ont causé. C’est pourquoi plusieurs personnes ayant été
agressées sexuellement se retrouvent coincées à cette étape du cheminement
vers un avenir meilleur. Tout le monde vit des deuils à un moment ou à un
autre. L’important est de les affronter et de ne pas les fuir. Lorsqu’on vit un
deuil, cela peut nous ramener à un deuil non achevé antérieurement.

La mère de Sarah est décédée il y a cinq ans. Elle lui manque


terriblement. C’est sa mère qui l’a encouragée à porter plainte contre
son grand-père et qui l’a accompagnée dans toutes ses démarches. Tous
les jours, elle pense à sa mère. Faire les deuils entourant son agression
sexuelle signifie, pour Sarah, faire le deuil de sa mère; elle n’y est pas
prête.

Faire son deuil, c’est aussi reconnaître ses anciens modes de


comportement pour, par la suite, y renoncer. Cela peut vous conduire à la
dépression, car ces derniers, même s’ils étaient malsains, vous étaient
familiers.

Justin avait l’habitude d’éviter toutes les situations conflictuelles. Ainsi,


il préférait souvent ne pas se plaindre face à un voisin bruyant, à un
collègue envahissant ou à un patron trop exigeant. Un jour, il a lu dans
un livre qu’il devait faire face à ses problèmes plutôt que de les éviter. Il
est donc entré en conflit avec plusieurs personnes de son entourage. La
tension dans ses relations l’a conduit à démissionner de son emploi. Sans
lettre de recommandation de son dernier employeur, il lui a été
impossible de trouver un nouvel emploi équivalant à celui qu’il avait.
Ayant dû accepter un travail exigeant un niveau de compétences inférieur
à sa formation, avec un revenu beaucoup moindre, Justin est tombé en
dépression et s’est mis à boire. Il regrette sa tendance à l’évitement qui
lui assurait une certaine stabilité dans sa vie, malgré tout.

Dans ce cas-ci, c’est une difficulté à répondre à ses propres besoins et à


mettre en place de nouvelles stratégies d’adaptation qui a conduit Justin à la
dépression. Mais la dépression peut aussi survenir si vous avez trop
longtemps refoulé des émotions de tristesse, de colère ou de culpabilité.
Vous êtes-vous permis de pleurer les abus que vous avez vécus et les pertes
qui en ont résulté? Lorsque je pose cette question à un patient, il me répond
bien souvent qu’il lui serait inutile de le faire maintenant. Pourtant, laisser
sortir vos émotions et les accueillir serait faire preuve de bienveillance
envers l’enfant que vous avez été et l’adulte que vous êtes devenu. Peut-être
croyez-vous que la dépression est un signe de faiblesse et refusez-vous, par
conséquent, d’en reconnaître les signes.
La dépression se caractérise par la tristesse, l’isolement, un manque
d’intérêt et de plaisir, une faible estime de soi, un sentiment de culpabilité,
des problèmes de sommeil, l’abus d’alcool ou de drogue, l’impression que
l’avenir est «bouché» et, ultimement, la croyance que la vie ne vaut pas la
peine d’être vécue, ce qui peut mener à des idées, voire des projets,
suicidaires. La dépression peut donc survenir si vous refusez de faire votre
deuil. Bien sûr, en faisant votre deuil, il se peut que vous ayez l’impression
qu’une partie de vous-même est en train de mourir, mais c’est aussi parce
qu’une nouvelle partie de vous-même est en train de naître. Cette période de
transition peut être pénible. Cependant, si vous êtes accompagné par un
professionnel, cette renaissance vous sera bénéfique.

Un pas en avant
Faire un deuil n’est pas facile, mais en faire plusieurs l’est encore moins. Il
vous faut savoir que ce n’est pas une décision qu’on prend et qui se
transpose tout simplement en action. Il s’agit d’un cheminement. Autrefois,
on parlait d’étapes du deuil, mais, de nos jours, beaucoup de spécialistes
s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un modèle réducteur. Un deuil n’est pas
seulement la succession de quelques étapes. C’est un véritable travail sur
soi avec des hauts et des bas, avec des avancées et des replis sur soi, des
retours en arrière lorsque la peur prend le dessus. Chaque personne vit un
deuil différemment et je n’ai pas l’intention de vous limiter à une façon
unique de faire les vôtres. Je sais par contre qu’il est difficile d’aller de
l’avant dans son deuil tant et aussi longtemps qu’on est dans le déni, même
partiellement. Il vous faut donc regarder en face ce que vous avez vécu et
remettre la responsabilité aux bonnes personnes.

Carole tentait d’excuser les gestes commis par son père en pointant du
doigt sa consommation d’alcool. Inconsciemment, cela lui permettait de
garder intacte son image. Il n’en demeure pas moins que bien des gens
consomment de l’alcool sans pour autant commettre des gestes
d’agression sexuelle. Même si rationnellement elle comprenait que les
gestes de son père étaient répréhensibles, elle continuait à rechercher son
amour, même adulte, car son déni l’empêchait de voir qu’il avait été un
père inadéquat. Faire le deuil du père qu’elle n’a pas eu, mais qu’elle
aurait aimé avoir, la rendrait en colère, triste, mais elle cesserait de
porter en elle cette carence affective qu’elle tentait de combler,
inconsciemment, en choisissant des partenaires plus âgés, froids, sauf
lorsqu’il était question de sexualité. Sans s’en rendre compte, Carole
continuait de se victimiser par ses choix relationnels.

Lorsque vous regarderez en face les pertes que vous avez subies, il est fort
probable que naîtront des émotions de colère et de tristesse. Vous en
voudrez à la terre entière, avec un sentiment profond d’injustice: «Pourquoi
moi?» Vous serez en colère contre l’agresseur, mais aussi peut-être contre
vos proches qui ne vous ont pas cru ou protégé. Tâchez cependant de ne pas
vous en vouloir. Vous n’y êtes pour rien. Dirigez votre colère vers
l’agresseur; il est le seul à blâmer. Cette colère peut être déstabilisante, car
vous pourriez avoir des pensées de vengeance envers l’agresseur. Avoir des
pensées est une chose; les mettre à exécution en est une autre. Si vous
craignez de commettre des gestes répréhensibles, consultez un thérapeute
pour vous aider à mieux vivre avec votre colère. Pour trouver des outils qui
vous aideront à surmonter votre colère, reportez-vous au chapitre 6 qui est
consacré à ce sujet. Certaines personnes ayant été agressées sexuellement
m’ont dit n’avoir jamais ressenti de colère, mais avoir été en dépression
pendant de nombreuses années. La dépression peut cacher une colère bien
enfouie qui n’est pas exprimée. Dans ce cas, la meilleure façon de vous
sortir de votre dépression est de prendre contact avec votre colère, par
exemple en écrivant une lettre à l’agresseur (voir p. 95), sans la lui envoyer,
juste pour avoir la possibilité d’exprimer vos émotions. La colère peut aussi
ressortir si vous regardez des photos de vous, enfant. Vous prendrez alors
conscience de votre vulnérabilité et ressentirez de la colère. Si vous vivez
une grande tristesse ou même une dépression, vous devez vous accueillir
avec votre peine. Pleurez, pleurez, pleurez encore. Il viendra un moment où
vous n’aurez plus de larmes. C’est là que vous saurez que vous êtes prêt à
passer à une autre étape. Ne plus pleurer ne signifie pas que votre deuil est
accompli, mais il est en bonne voie de l’être.

Retrouver l’enfant en soi


Peu importe la forme que prendront votre cheminement et les émotions qui
en ressortiront, il est important que vous entriez en contact avec l’enfant à
l’intérieur de vous-même. Cet enfant qui a été malmené a bien besoin
d’amour, de compréhension et de compassion. Pour vous adresser à lui,
cherchez une photo de vous-même, enfant. Observez l’enfant sur la photo,
regardez ses yeux. Essayez de vous connecter à lui. Comment était-il?
Qu’aimait-il? Qu’est-ce qui le rendait heureux? Malheureux? De quoi avait-
il peur? Parlez-lui. Prenez l’engagement de prendre soin de lui. Il vous est
peut-être difficile de prendre soin de lui si vos parents ont été incapables de
le faire. Alors, comment faire? Respectez ses peurs et ses limites. Lorsqu’il
est triste ou en colère, ne le repoussez pas. Écoutez-le. Aimez-le tel qu’il
est. Cela vous paraît peut-être étrange, mais l’adulte que vous êtes conserve
au fond de lui l’enfant qu’il a été. C’est à vous, maintenant, d’en prendre
soin.
Si vous avez été agressé à l’âge adulte, retrouver l’enfant en vous prend
un tout autre sens. Cet enfant était peut-être heureux, confiant à l’égard de
son avenir, la tête pleine de projets pour «quand il serait grand»… Prenez
une photo de lui et parlez-lui. Tentez de vous reconnecter avec ses projets,
ses rêves et regardez vers l’avant. Il est encore possible de les réaliser…
L’écriture qui guérit
1. Une autre façon de communiquer avec l’enfant en vous est de lui
écrire une lettre. Dans cette lettre, vous pouvez lui parler de ce qu’il a
traversé, de votre compassion envers lui, de l’enfance qu’il aurait dû
avoir, des pertes qu’il a subies, etc. L’important est que vous soyez en
mesure de lui offrir du soutien, de l’amour, pour qu’il puisse se réparer,
se reconstruire. Écrire cette lettre suscitera sans aucun doute de vives
émotions. Certains patients avec qui j’ai travaillé ont écrit la lettre en
plusieurs fois. N’oubliez pas que vous êtes probablement en train de
prendre conscience de plusieurs pertes liées à l’abus passé. Ces pertes,
vous les connaissiez, mais elles étaient peut-être enfouies dans votre
inconscient. Vous les faites donc remonter et cela peut être douloureux.
Cela vous oblige à faire face à votre traumatisme, encore une fois.
Pourtant, si vous avez lu le livre jusqu’ici, cette mise en face est peut-
être moins douloureuse qu’elle ne l’aurait été auparavant. Si vous avez
été agressé à l’âge adulte, vous pouvez aussi écrire une lettre à l’enfant
que vous avez été. La forme sera différente, mais le but reste le même:
vous reconnecter avec lui. Qu’a-t-il à vous apprendre? Rassurez-le en lui
disant que vous n’avez pas oublié qui il était et quels étaient ses rêves.
Engagez-vous à le faire revivre à l’intérieur de vous-même.
2. Un autre exercice d’écriture qui pourra vous aider consiste à dresser une
liste des pertes subies à la suite des agressions sexuelles. Peu importe
l’âge que vous aviez lorsque c’est arrivé, cet exercice vous permettra de
prendre conscience des pertes subies à tout âge, donc des conséquences
durant l’enfance, mais aussi durant l’adolescence et à l’âge adulte. Vous
pouvez d’ailleurs les regrouper selon ces trois périodes: enfance,
adolescence, âge adulte. Pour que l’exercice soit plus bénéfique, je vous
encourage à écrire au «je». Par exemple:

Durant l’enfance:
«J’ai arrêté de croire que mes parents sauraient me protéger de mon
grand-père qui profitait de chaque moment où nous étions seuls pour me
faire des attouchements.»
Durant l’adolescence:
«J’ai perdu la chance de me faire des amis et de connaître le plaisir
d’appartenir à un groupe, car je m’isolais dans ma chambre avec des
pensées suicidaires.»
À l’âge adulte:
«J’ai perdu confiance dans le fait que je puisse rencontrer quelqu’un qui
m’aimerait gratuitement, sans vouloir profiter de moi.».

Lorsque vous aurez terminé la liste de vos pertes, il est important que
vous exprimiez par écrit l’impuissance que vous ressentez face à celles-ci.
Cette impuissance pourra par la suite se transformer en lâcher-prise. En
effet, vous ne pouvez retourner en arrière pour empêcher ces pertes. Lâcher
prise signifie donc que vous acceptez, aussi douloureux que ce soit, que ces
pertes ont eu lieu. Cette étape est essentielle, car sinon vous restez fixé dans
le passé et vous ne pouvez aller de l’avant. En travaillant sur vous-même,
vous pouvez amoindrir les pertes de l’âge adulte. Une fois reconnues, les
conséquences de ces pertes peuvent faire l’objet d’un travail sur soi. Par
exemple, s’il vous est impossible d’avoir une relation amoureuse parce que
vous n’arrivez pas à faire confiance aux autres, la lecture du chapitre 8 a pu
vous aider à surmonter vos difficultés.
Tout le travail que vous avez fait sur vous-même vous met par contre face
à un ennemi de taille: le temps. Effectivement, tout deuil demande du
temps, et le deuil de vos pertes passées ne fera pas exception. Il ne faut
pourtant pas oublier qu’avant de gagner, il a bien souvent fallu perdre.
Aujourd’hui, alors que vous achevez de lire ce livre, vous pourrez dire que
vous avez peut-être perdu quelques plumes, mais que vous avez gagné une
plus grande estime de vous-même, et davantage de confiance en l’avenir.
Chapitre 12
Regarder devant

L
a lecture de ce livre vous a permis de faire un travail de fond sur les
séquelles de l’agression sexuelle. Des thèmes difficiles ont été
abordés et des émotions ont certainement rejailli. La souffrance que
vous avez vécue est peut-être toujours présente, mais j’ose espérer qu’elle
est atténuée. Ce chapitre se veut un regard sur l’avenir. Celui-ci ne sera
probablement pas sans nuage, mais les éclaircies que vous y verrez vous
aideront à tenir le coup. Cela dit, rien ni personne ne peut malheureusement
garantir que vous ne serez plus jamais victime d’agression. En ce sens, je
souhaite partager avec vous certaines réflexions visant la mise en place de
stratégies qui vous aideront à vous protéger.

Se protéger physiquement:
acquérir des bases d’autodéfense
Plusieurs personnes suivent des cours d’autodéfense ou d’arts martiaux à la
suite d’une agression sexuelle. Ces cours seront d’autant plus efficaces si
vous avez déjà la conviction que vous valez la peine d’être protégé. Vous
devez croire à l’importance de lutter. C’est pourquoi la force du mental est
primordiale. Ensuite, ces cours vous inciteront à développer votre instinct
de survie et une certaine vigilance au quotidien en adoptant des
comportements sécuritaires. Les cours d’autodéfense ont plusieurs effets
positifs, selon plusieurs victimes que j’ai rencontrées. Ils diminuent la peur
en apportant un sentiment de pouvoir personnel et ils permettent de savoir
se défendre avec son corps ou encore avec des objets du quotidien.
Certaines personnes me disent qu’elles n’y arriveront pas, qu’elles ne sont
pas violentes. C’est là que l’instinct de survie entre en jeu. Il s’agit non pas
d’aimer la violence ou de vouloir voir l’autre souffrir, mais de sauver sa
peau.

Corinne a été agressée sexuellement à l’âge adulte par un inconnu alors


qu’elle faisait son jogging. Elle a reçu de l’aide dans un centre pour
femmes et a bénéficié de cours d’autodéfense. Même si elle avait peur au
début, elle a recommencé à faire du jogging. Elle se sent maintenant plus
en sécurité. Elle sait que, même si elle est petite, elle peut se défendre
grâce aux techniques apprises. Elle est fière du chemin parcouru et
reconnaît qu’une partie du travail d’autodéfense se fait dans la tête.
Lorsqu’elle a fait ses ateliers, c’est son instinct de survie qui l’a amenée
à crier aussi fort qu’elle le pouvait pour attirer l’attention. Malgré tout,
Corinne s’assure de courir quand il fait jour et dans des endroits
fréquentés. Au centre, elle a aussi rencontré une autre femme qui aime
faire du jogging. Il leur arrive de s’entraîner ensemble.

Se protéger socialement:
s’entourer de personnes dignes de confiance
Les agressions sexuelles sont souvent commises par des personnes que les
victimes connaissent. Il n’est donc pas surprenant que plusieurs victimes
s’isolent par la suite, car elles ne font plus confiance à personne. Pourtant,
être isolé vous fait courir davantage de risques d’être à nouveau agressé
sexuellement. Je vous recommande par conséquent d’être entouré, mais de
bien choisir les personnes que vous voulez autour de vous. Il vaut mieux
avoir peu de gens près de soi, mais des personnes de confiance. Avoir un
entourage de qualité est sécurisant. Cela permet aussi d’avoir toujours
quelqu’un à qui se confier.
Il n’y a pas de recette infaillible pour savoir qui est digne ou non de
confiance. Par contre, certains trucs peuvent vous aider. D’abord, prenez le
temps de bien connaître la personne avant de commencer à la fréquenter en
privé. Intéressez-vous à son entourage. Le vieil adage «Qui se ressemble
s’assemble» a un fond de vérité. Écoutez attentivement la personne
lorsqu’elle vous parle de son passé. Observez bien son comportement. Est-
elle impatiente? Dominante? Sexiste? Colérique? Montre-t-elle des signes
d’arrogance? Ou, au contraire, a-t-elle un comportement séducteur? Fait-
elle beaucoup de compliments? Bien entendu, ce ne sont que des repères,
mais ils peuvent vous aider à faire preuve de prudence face à certaines
personnes.
Dans une perspective sociale, il serait intéressant de vous adonner à un
loisir de groupe qui vous permette de rencontrer des gens. Ces rencontres
vous feraient sortir de votre isolement et, qui sait, de nouvelles amitiés
pourraient se nouer. Privilégiez les sorties de groupe et ne brusquez pas les
choses en amitié, car l’intimité doit prendre du temps à se développer.
Certaines relations sont plus légères que d’autres et se limitent au partage
de loisirs communs, ce qui est déjà bénéfique. Ces sorties peuvent vous
permettre de vous changer les idées, de découvrir de nouveaux intérêts et
d’occuper votre temps de manière constructive. Des loisirs existent pour
tous les goûts; du sport aux arts, vous trouverez certainement quelque chose
qui vous plaira.

Se protéger mentalement:
être conscient de ses forces
Tout au long de ce livre, nous avons mis en lumière vos difficultés et vos
lacunes. Même s’il est très important d’être conscient de ses faiblesses pour
se fortifier, il ne faut pas oublier de miser sur ses forces! Vos forces sont
votre carburant, ce qui vous permet d’avancer et d’aller plus loin, de
dépasser vos peurs. Exploiter vos forces contribuera grandement à votre
épanouissement personnel. Selon le courant de psychologie positive,
l’espoir, la curiosité, l’amour et la gratitude sont les principales forces que
possèdent les personnes satisfaites de leur existence. Et ce sont des états que
vous pouvez apprendre à cultiver au quotidien.
Garder espoir quand les choses vont mal n’est certes pas facile.
Cependant, l’espoir, c’est croire que les choses peuvent changer, que vous
pouvez changer de vie. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais ne
baissez pas les bras. Demeurez curieux face aux gens et à la vie en général.
Essayez d’apprendre, de comprendre et de voir les choses autrement. Cela
vous gardera actif mentalement et vous permettra de laisser place à la
nouveauté dans votre vie, ce qui peut être très stimulant et positif. Faites
une place prépondérante à l’amour: l’amour de vous-même et des autres.
Aimer ne veut pas dire exiger ou être dans l’attente, mais plutôt donner et
recevoir. Finalement, ayez de la gratitude à l’égard de la vie qui, même si
elle ne vous a pas épargné, a de belles choses à vous offrir. Ouvrez les yeux
et regardez autour de vous. Il y a toujours une raison pour exprimer de la
gratitude: une nouvelle journée qui s’amorce, le sourire de quelqu’un, le fait
d’être en bonne santé, d’avoir un toit sur la tête… C’est un changement
d’attitude, peut-être, mais qui vous apportera un changement intérieur.
Ces quatre grandes forces sont à mettre de l’avant, car la meilleure
protection qui soit est encore la force mentale. À cela, vous pouvez ajouter
une plus grande estime de soi et une plus grande confiance en soi et en la
vie. Au besoin, relisez les chapitres 4 et 7 pour vous inspirer.

Trouver de l’aide extérieure


Même si ce livre a pu vous aider à cheminer, du moins je l’espère, il est
important de pouvoir compter sur une aide extérieure. Vous vous dites peut-
être que vous êtes bien entouré, que vos amis ou les membres de votre
famille sont là en cas de besoin… Ils sont un bon réseau de soutien, soit,
mais il est important de pouvoir compter sur une aide professionnelle ou, à
tout le moins, sur un réseau d’aide qui ne soit pas émotionnellement lié à
vous. Vos amis et votre famille vous aiment et vous les aimez, mais cela ne
signifie pas que vous soyez à l’aise de leur révéler certaines de vos pensées
ou émotions. De même, ceux-ci ne se sentiraient peut-être pas à l’aise de
vous faire front lorsque c’est nécessaire, par souci de ne pas vous blesser.
Le réseau d’aide extérieure est là pour ça.
Ce réseau peut être composé de différentes personnes. Tout d’abord, un
thérapeute. Celui-ci doit posséder des diplômes et être membre en règle
d’un ordre professionnel. Vous devez vous en assurer dans le but de vous
protéger, car cela vous garantit une certaine compétence de la part de la
personne qui vous aidera. Choisissez un thérapeute qui a l’habitude de
travailler avec des victimes d’agression sexuelle. Cette personne doit être
assez solide pour que vous puissiez lui raconter votre histoire sans avoir à la
ménager. Il m’est arrivé, dans ma pratique, de rencontrer des patients qui
me confiaient s’être censurés auprès d’autres thérapeutes par le passé, car
ils avaient l’impression de les troubler par leurs récits. Vous ne devriez pas
avoir à censurer votre histoire, ni votre souffrance.
Certaines personnes hésitent à consulter, car elles ont l’impression de se
retrouver (encore) dans une relation de pouvoir. Or, ce ne doit pas être le
cas. La thérapie est un travail de collaboration entre le thérapeute et le
patient. Une fois en thérapie, il n’est pas toujours facile de persévérer.
Quand ça devient difficile, vous aurez peut-être tendance à vouloir éviter
vos rencontres en vous trouvant toutes sortes d’excuses: la distance, le
manque de résultats à court terme, les coûts associés, le temps demandé,
etc. Il n’est pas facile d’être confronté, mais une thérapie sert à cheminer et
il faut faire face à ce qui vous ronge de l’intérieur. Cependant, un bon
thérapeute saura vous accompagner dans vos doutes et fera preuve de
bienveillance, en même temps qu’il vous aidera à prendre votre envol.
Mis à part la thérapie individuelle, vous pouvez aussi joindre un groupe
d’entraide spécifique aux victimes d’agression sexuelle. Si vous avez
tendance à vous isoler ou à vous sentir seul, faire partie d’un tel groupe
vous donnerait un sentiment d’appartenance. Ces groupes permettent d’être
écouté et entendu, d’être cru et d’avoir le sentiment d’être compris, car
leurs membres partagent un vécu similaire. Même si l’histoire est différente,
les émotions et la souffrance restent semblables. De plus, ces groupes
donnent un espace sécuritaire pour vous confier. Par contre, les autres
membres du groupe peuvent parfois vous confronter, ce qui peut générer de
l’inconfort et des malaises, mais qui peut s’avérer en même temps
bénéfique pour vous sortir de certaines impasses.
Finalement, vous devriez toujours avoir sous la main des numéros de
téléphone de lignes d’écoute et de lignes d’urgence. Vous ne savez jamais
quand vous pourriez avoir besoin d’une oreille attentive et compatissante.
Les lignes d’écoute et d’entraide sont souvent ouvertes 24 heures sur 24, 7
jours sur 7. Ne sous-estimez pas le bien-être qu’elles peuvent vous apporter.

Prendre sa place au soleil


Finalement, pour vous protéger, il vous faut reprendre du pouvoir
personnel. Cela se fait de différentes façons. Il vous faut bien connaître vos
limites et les affirmer, sans crier ni dominer les autres, car alors ce n’est pas
s’affirmer. S’affirmer, c’est aussi se respecter et s’aimer. Lorsque vous vous
affirmez, vous n’écrasez personne, vous prenez la place qui vous revient, la
vôtre. Vous laissez les autres libres d’être ce qu’ils sont, mais vous leur
donnez des paramètres en ce qui concerne leurs actions et leurs paroles
lorsqu’ils sont en interaction avec vous. Ils ne peuvent donc pas faire
n’importe quoi ou dire tout ce qui leur passe par la tête en votre présence. Il
vous sera plus facile d’exiger le respect des autres si vous vous respectez
vous-même. N’oubliez jamais que vos actions parlent plus que vos paroles.
Pour reprendre le pouvoir sur votre vie, il vous faut avoir le contrôle dans
votre vie personnelle pour commencer. Cela signifie décider de vos
habitudes de vie et vous y tenir, le plus possible. Prenez des résolutions
pour votre mieux-être. Fixez-vous des objectifs et travaillez à les accomplir.
J’aime bien l’idée de mettre des Post-it un peu partout avec des mots clés
qui ont un sens particulier pour vous. Ça peut aussi être une phrase qui vous
motive, vous parle personnellement. Ça pourrait également être une image,
une photo. Finalement, vous pourriez faire un tableau de visualisation,
composé à la fois d’images, de photos, de mots clés, de courts textes qui
résument là où vous voulez être. Assurez-vous de le mettre à la vue, afin de
pouvoir régulièrement vous rappeler vos projets et objectifs. C’est le
premier pas vers une réalisation de soi.
La reprise du contrôle sur votre vie passe en outre par vos relations
interpersonnelles. Cela est un peu plus difficile, car l’autre a aussi son mot à
dire. Néanmoins, vous avez le pouvoir de choisir les personnes que vous
fréquentez, que ce soient des membres de votre famille, des amis ou des
collègues. Vous décidez quelle attitude est acceptable ou non pour vous et
vous vous affirmez en conséquence. Vous pouvez aussi rompre une relation
si la personne se comporte de façon irrespectueuse; vous méritez qu’on
vous respecte! Vous avez le droit d’exprimer vos attentes à l’égard des
autres et de la relation que vous entretenez avec eux. Faites attention
cependant que vos attentes ne soient pas trop élevées: personne n’est parfait
et vous risquez de perdre des alliés précieux si vous vous montrez trop
exigeant ou si vous manquez de souplesse. Par ailleurs, si vous tenez à une
personne, il est de votre ressort de le lui dire et de déterminer avec elle quel
avenir vous envisagez pour votre relation. Que ce soit dans une relation
amicale ou amoureuse, aucune garantie n’est offerte et le risque de blesser
ou d’être blessé existe toujours. Mais donner à la relation la chance
d’évoluer en communiquant ses attentes et en pardonnant ce qui peut l’être
permet aussi de voir grandir cette relation pour la rendre encore plus
profonde.
Maintenant que vous êtes mieux outillé et que vous vous sentez plus
confiant, il est temps de regarder droit devant… Avez-vous déjà remarqué
que lorsqu’on conduit une auto, le rétroviseur est beaucoup plus petit que le
pare-brise? C’est un symbole assez intéressant quant à la façon de voir le
monde. Ce qui nous sert à regarder derrière nous est plus petit que ce qui
nous permet de regarder devant nous. Ce qui se passe derrière est donc
moins important que ce qui se passe devant. Pour votre vie, c’est une belle
métaphore.

Une nouvelle identité


Je vais peut-être vous surprendre en affirmant ce qui suit, mais je crois que
l’abus a, en quelque sorte, contribué au développement de votre identité. Ne
vous considérez plus comme une victime, ni même comme un survivant.
Vous avez plus que survécu, vous avez vécu et puis vous avez vaincu. Vous
avez vaincu vos démons intérieurs et quand vous goûterez enfin au bonheur,
vous aurez vaincu votre agresseur. Vous ne vous sentez plus aussi
vulnérable. Vous vous acceptez tel que vous êtes et vous vous respectez, car
vous croyez que vous le méritez. Vous n’êtes pas parfait, mais qui l’est?
Vous comprenez mieux vos émotions et vos réactions. Elles ne sont pas qui
vous êtes, mais font partie de ce que vous êtes. Vous avez cheminé: la
colère et la peur ne vous tenaillent plus. Exprimez vos insatisfactions quand
elles se présentent, puis cherchez des solutions. Les solutions ne sont pas
toujours autour de vous. En fait, vous découvrirez qu’elles sont bien
souvent en vous.
La nouvelle personne que vous êtes en train de devenir ne doit plus
baisser les bras devant l’adversité. Chaque fois qu’un obstacle ou un défi se
présente, dites-vous: «Je suis capable!» Cela sonnera peut-être faux au
début, mais, à la longue, vous y croirez et vous accumulerez les réussites.
Vous serez fier de vos accomplissements et aurez encore davantage envie
d’aller de l’avant.
Conclusion

Q
ue l’on ait été victime d’agression sexuelle ou non, on se construit
pendant toute une vie. Toute votre vie, vous aurez principalement
un projet en cours: vous-même. Vous n’oublierez jamais ce que
vous avez vécu, mais si vous aviez à écrire votre biographie, les abus subis
ne seraient qu’un chapitre du grand livre de votre vie. Le chemin qui a été
parcouru vous a amené à faire plusieurs changements qu’il convient de
maintenir, même s’il peut être parfois tentant et sécurisant de retomber dans
vos vieilles habitudes, comme de vous isoler dans des moments de tristesse
plutôt que de parler à quelqu’un. Vous ne pourrez pas tout changer en même
temps; donc, il faut vous laisser du temps. Imaginez que vous escaladez une
montagne. Si vous regardez uniquement le chemin qu’il vous reste à
parcourir, vous risquez de ressentir du découragement. Permettez-vous un
bref regard derrière pour admirer tout le chemin parcouru. Ensuite, reprenez
votre bâton de pèlerin et remettez-vous en route.
Lorsque les choses vous semblent trop difficiles, je vous suggère de les
prendre un jour à la fois. Si c’est trop, ça pourrait même être une heure à la
fois. Par exemple, si vous tentez de sortir d’une dépendance affective et que
vous brûlez d’envie d’appeler votre ex, respirez un bon coup et dites-vous:
«Je ne l’appellerai pas pour la prochaine heure», puis occupez-vous à autre
chose. Le temps passera et vous ne ressentirez peut-être plus cette urgence
de lui parler avant quelques heures. Lorsque l’envie revient, donnez-vous le
défi d’attendre une autre heure. Ce faisant, les heures deviendront des
matinées, des après-midi et des soirées, puis des journées entières, puis des
semaines et, bientôt, vous verrez que vous pouvez vivre sans cette
personne.
Il est facile de se laisser contaminer par le négatif, car il y en a toujours
autour de nous. Pour amorcer votre nouvelle vie, entourez-vous de positif.
Trouvez-vous une passion, quelque chose qui vous fasse vibrer, que ce soit
la lecture, le sport, une forme d’art, un jeu, etc. Commencez par réfléchir à
vos intérêts, puis voyez ce que vous pourriez explorer plus à fond. Le but
est que vous puissiez vous sentir bien même lorsque vous êtes seul, et en
retirer des bénéfices, comme une concentration accrue, de nouvelles
connaissances, un esprit plus calme, une plus grande motricité fine, etc.
Pour demeurer dans un esprit positif, je vous suggère également de mettre
la pédale douce sur les nouvelles, ainsi que sur les émissions ou les
chroniques où on dénonce des situations problématiques. Choisissez de
vous concentrer sur les beaux côtés de la vie. Vous avez connu votre part
d’ombre et de misère; laissez jaillir un peu la lumière. Pour vous y aider,
vous pourriez d’ailleurs choisir une image positive que vous accrocheriez
chez vous ou derrière le pare-soleil de votre voiture. Quand ça va moins
bien, regardez cette image et prenez le temps de vous en imprégner. Ça peut
être un paysage ou un souvenir de voyage, par exemple. Il serait préférable
de ne pas utiliser l’image d’une personne, car les gens nous inspirent à la
fois de bonnes et de moins bonnes émotions. Le but est que l’image ne vous
inspire que du calme et du bonheur. Vous pouvez aussi pratiquer des
techniques de visualisation, de méditation ou de yoga. Ces activités peuvent
vous aider à développer la paix intérieure et, cela, personne ne pourra vous
l’enlever.
C’est un pas à la fois que vous devez faire. Le seul fait de choisir de
regarder vers l’avenir plutôt que derrière vous est un succès en soi. Fixez-
vous un objectif, puis quand vous l’aurez atteint, établissez-en un autre. La
guérison est un processus qui demande du temps et de l’investissement.
Cependant, il ne faut pas que cela vous empêche de vivre. Vous pouvez
avoir une vie tout à fait normale. Il n’est pas nécessaire d’oublier ou de
pardonner pour y arriver, mais il est essentiel de lâcher prise sur le passé.
Concentrez-vous sur vous et sur la vie que vous voulez avoir. La vie est
belle, vous verrez.
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Wilken, Tom. Rebuilding Your House of Self-Respect: Men Recovering in Group from Childhood
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Table des matières
Avant-propos
Introduction

Chapitre 1: Sortir du passé pour enfin vivre au présent


Chapitre 2: Reprendre du pouvoir sur sa vie
Chapitre 3: S’affranchir de la culpabilité
Chapitre 4: Sortir de la méfiance,retrouver la confiance
Chapitre 5: Apaiser l’anxiété
Chapitre 6: Canaliser la colère
Chapitre 7: Apprendre à s’aimer et à s’affirmer
Chapitre 8: Aimer et se laisser aimer
Chapitre 9: Réapprivoiser sa sexualité
Chapitre 10: Accompagner son enfant victime d’abus sexuel
Chapitre 11: Faire ses deuils
Chapitre 12: Regarder devant

Conclusion
Bibliographie
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Édition: Pascale Mongeon

Infographie: Johanne Lemay

Révision: Patricia Juste

Correction: Odile Dallaserra et Brigitte Lépine

Données de catalogage disponibles auprès de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

01-18

Imprimé au Canada

© 2018, Les Éditions de l’Homme,

division du Groupe Sogides inc., filiale de Quebecor inc.

(Montréal, Québec)

Tous droits réservés

Dépôt légal: 2018

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

ISBN 978-2-7619-5062-6

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