Arcpa 0000-0000 1879 Num 6 1 2770-1
Arcpa 0000-0000 1879 Num 6 1 2770-1
Arcpa 0000-0000 1879 Num 6 1 2770-1
Doléances des habitants du mont Jura (Baillage d'Aval). In: Tome VI - Etats généraux ; Cahiers des sénéchaussées et
bailliages. pp. 737-744;
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1879_num_6_1_2770;
PROVINCE DE FRANCHE-COMTÉ.
BAILLIAGE D’AVAL.
TRÈS HUMBLES ET TRÈS RESPECTUEUSES DOLÉANCES donnée à Votre Majesté, à la promesse qu’ils vous
DES HABITANT* DU MONT-JURA AU ROI ET AUX avaient faite à la face de l’Europe?
ÉTATS GÉNÉRAUX (1). Viiin espoir! malgré une promesse solennelle,
malgré Pacceptution que nous en avions faite,
Sire, malgré le contrat formé par ce moyeu, entre eux
et nous, ils nous retiennent toujours daus la ser¬
Des possesseurs de fiefs, la plupart ecclésiasti¬ vitude.
ques, s'obstinent, malgré invitations paternelles, à Sire, nous n’avons plus de ressources et d’es¬
retenir dans les chaînes de la servitude plus pérance qu’en la protection et la justice de Votre
d'un million de Français. Majesté. La coutume de Franche-Comté, qui au¬
Les suppliants sont au nombre de ces malheu¬ torise les injustices et les vexations contre les¬
reux serfs. Ils ont pour seigneurs M. l’évêque de quelles nous réclamons depuis si longtemps, ne
Saint-Claude et le chapitre de sa cathédrale; le fut approuvée par l’un de vos prédécesseurs, en
premier plus recommandable encore par ses 1459, q e sous la réserve expresse, pour lui et
vertus et ses qualités personnelles que par sa ses successeurs, comtes de Bourgogne, de pouvoir
dignité et sa haute naissance, leur a souvent té¬ corriger , amender, réformer et interpréter les dites
moigné que sa plus douce satisfai t on serait coutumes , toutes et quantefois qu’tl nous plaira et
d'abolir la mainmorte dans ses terres; mais que besoin sera.
comme elles sont communes avec son chapitre,
Que Voire Majesté daigne jeter les yeux sur les
il n’a pu, sans le concours de ses chanoines, sui¬ dispositions contenues dans le titre XV de cette
vre cette généreuse impulsion. coutume, et elle jugera si les règles imprescrip¬
Ce noble chapitre vous disait, Sire, en 1731,
tibles de l’équité, si les bonnes moeurs et le bien.
que, répondant à vos invitations, il allait par un de l’Etat n’en sollicitent par la révocation.
esprit de conciliation et surtout par une respec¬
tueuse déférence aux désirs de Votre Majesté, L’article 1er accordait le privilège de l’impres¬
rendre la liberté à ses mainmortables, moyen¬ criptibilité à la servitude de corps, mais cette
nant un léger cens pareil à celui fixé dans vos disposition a été réformée par l’édit du mois
d’août 1779.
domaines (2).
Nous nous empressâmes d’accepter cette offre L’article 2 veut que l’homme franc qui va de¬
et, par un même esprit de conciliation, de nous meurer en lieu de mainmorte et y prend meix ,
soumettre à la redevance d’un sol par arpent de devienne mainmortable pour lui et sa postérité à
terre cultivable. Les actes qui contenaient cette naître. Il semble que cet article n’assujettisse à
soumission furent adressés dans le temps à votre la servitude l’homme libre qui va habiter un lieu
ministre des finances. de mainmorte, que dans le cas qu’il reçoive du
Nous nous réjouissions de rentrer dans des seigneur un meix, c’est-à-dire une maison avec
droits qui appartiennent à tous les hommes. Pou¬ quelques arpents de terre cultivable. La coutume
vions-nous clouter que des prêtres et des gen¬ regarde ce meix comme le prix de sa liberté;
tilshommes manqueraient à la parole qu’ils avaient mais les commentateurs et les tribunaux plus ri¬
goureux que ce texte, ont décidé que l’homme
libre contractait la servitude par la seule rési¬
(1) Nous publions ce document d’après un manuscrit dence d’une année et un jour dans la seigneurie
des Archives nationales, indiqué parM Ch.-L. Uhassin. mainmortable, quand même il n’y aurait point
(2) Compte rendu de M. Necker de 1781, p. 99. acquis de propriété et qu'il n’y aurait occupé
4re Série. T. VI. 47
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qu’une maison louée (1). De là, l’étranger qui cle 5 ne l’affranchit qu’à l’égard des acquêts de
viendrait établir quelques manufactures parmi meubles ou d’héritages faits en lieu de franchise,
nous, ou enseigner une profession à nos en¬ en sorte que si, au temps de sa mort, ses enfants
fants, s’il y résidait une année entière devien¬ ne demeurent pas avec elle, le seigneur héri¬
drait serf, ipso facto. La loi Gombette était bien tera, à leur exclusion, de sa dot et de son trous¬
moins barbare : loin de repousser les étrangers seau.
par une semblable disposition, elle défendait L’article 10 ne permet pas à la fille du serf de
sous peine d’amende, d’attenter à leur liberté : succéder à son père et à sa mère : il ne lui ac¬
Quæcumque persona de aliâ regione, in noslram corde même sa légitime qu’à condition de rester
venerit etibi voluerit habitare, liabeat licentiam; dans la maison paternelle, la première nuit de
et nullus eam ad servitium , aut per se adjicere ses noces ; si elle la passe dans le lit de son mari,
prœsumat , aut a nobis petere conetur (2). c’est un crime qui est puni par l’exhérédation ;
L’article 3 porte que l’homme franc qui épouse cet usage ne paraît aujourd’hui que ridicule,
la fille d’un serf, et va demeurer en lieu de main¬ mais il en rappelle un autre qui prouve combien
morte dans la maison de sa femme, ne contracte la force a toujours abusé de la faiblesse. Dans
pas la servitude, si, pendant la vie de cette femme, les terres mainmortables, le seigneur obligeait
ou dans l’année de sa mort, il abandonne au sei¬ anciennement les jeunes épouses à venir dans
gneur la maison et les terres qu’elle possédait au son donjon, lui faire hommage de leur virginité.
même lieu; mais l’article ajoute que, s’il meurt Ce n’est qu’après lui en avoir fait le sacrifice
dans ce lieu, lui et les enfants qui y sont nés se¬ qu’elles pouvaient aller habiter avec leurs maris ;
ront réputés mainmortables. Le bon sens ne c’est pourquoi il leur était défendu de s’absenter
semble-t-il pas dire que si ce mari venait à de la seigneurie, la première nuit de leurs noces,
mourir dans ce lieu avant sa femme, sa liberté sous peine d’être déclarées incapables de succé¬
ne serait pas perdue, puisqu’il serait mort dans der à leurs père et mère. Cette défense devait
un temps où la coutume lui permettait encore de disparaître avec les indignes sacrifices pour les¬
quitter ce lieu, sans contracter la servitude? Ce¬ quels elle avait été établie ; cependant elle sub¬
pendant les arrêts ont jugé que, sa femme vi¬ siste encore avec la peine que la barbarie y avait
vante ou morte, si le mari mourait après y avoir attachée, et chaque jour elle donne lieu à des
résidé un an et un jour, il serait censé mort es¬ procès.
clave et que cette tache s’étendrait à toute sa pos¬ Qu’après la mort de son père une femme intro¬
térité. duise une action en délivrance de sa légitime,
ses frères ou le seigneur ne manquent jamais de
Ce malheureux père n’a qu’une ressource pour lui opposer qu’elle est non recevable, à moins
épargner cet opprobre à ses enfants ; c’est lors¬ qu’elle ne prouve qu’elle ait couché la première
qu’il tombe, malade, de se faire arracher de son nuit de ses noces dans la maison paternelle.
lit et transporter à travers les rochers et les pré¬ Pour prouver ce fait, il faut procéder à des en¬
cipices, dans une terre libre, pour y rendre le quêtes; souvent plusieurs années se sont écou¬
dernier soupir. lées depuis le mariage de la fille jusqu’à la mort
Cette périlleuse précaution, prise dans l’accès du père ; souvent ceux qui auraient pu porter
de la fièvre, a causé la mort à plus d’un père. témoignage en faveur de cette fille sont morts
Le parlement a jugé deux fois que cet expédient dans l’intervalle, où se sont retirés dans quelque
avait sauvé la liberté à des enfants, mais le der¬ contrée inconnue. Dans ces cas, Ja preuve devient
nier éomnienlateur de la coutume (3), dont l’opi¬ impossible et la malheureuse est renvoyée sans
nion est d’un grand poids au barreau de Besan¬ légitime et condamnée aux dépens. Si quelquefois
çon, prétend qu’en cette occasion les juges ont elle trouve des témoins, sa partie adverse cher¬
été trop indulgents, et peut-être que si la même che des prétextes pour les récuser, en séduit
question se représentait, la même cour la juge¬ d’autres, et oppose ainsi les témoins aux témoins.
rait différemment. Nous avons vu en 1771 le chapitre de Saint-Claude
L’article 9 déclare que la fille libre qui épouse obtenir et faire publier un monitoire qui lançait
un serf est réputée être de la même condition, les foudres de l’Eglise contre tous ceux qui sachant
pendant la vie de son mari, et que, mourant dans qu’une pauvre femme avait passé chez son mari
l’habitation de celui-ci, sa dot et tous ses biens la première nuit de ses noces, ne viendraient pas
seront dévolus au seigneur, si elle ne laisse point le révéler : c’était pour balancer l’enquête de cette
d’enfants, ou si, en ayant laissé, ils s’étaient femme, qui avait prouvé par six témoins irré¬
séparés d’elle. Pourra-t-elle du moins échapper cusables, qu’elle avait passé cette première nuit
à ce malheur, si dans sa dernière maladie elle dans la maison de son père.
va mourir dans une terre libre? Les commenta¬ Le mari qui a la facilité de trouver un notaire
teurs sont partagés sur cette question (4), et et le moyen de le payer, l’appelle le soir des
l’opinion favorable à la servitude a été adoptée noces dans la maison de son beau-père, et lui
par un arrêt rendu au parlement de Besançon, le fait dresser un acte portant qu’il y a vu l’épouse,
4 avril 1745, en faveur des moines de la charité, et que cette épouse a déclaré qu’elle y est venue
contre les frères de la nommée Verdoz. La fille pour y coucher ; mais si cette maison est éloignée
libre perdant sa liberté en épousant un main de la résidence du notaire, si le mari est pauvre,
mortable, par la raison que la femme suit la il n’a pas cette ressource et sa femme court le
condition de son mari, la fille mainmortable qui risque de perdre des droits à la succession de
épouse un homme libre devrait, par la même son père.
raison, acquérir une pleine liberté mais l’arti*,
L’article 7 porte : « que le seigneur prend les
meubles, immeubles et biens quelconques de ia
succession des prêtres et clercs, ses mainmor¬
(1) Legib. burg, addit, 2, art. 5. tables, de quelque état qu’ils soient, s’ils n’ont
(2) Traité de la mainmorte , chap. 2, section 3,
point de parents communs et demeurant avec
dist. 2. eux. » De là, le sacerdoce, l’épiscopat même n’af¬
(3) Traité de la mainmorte , chap. 2, sect. 3, dist. 2. franchissent pas de la servitude. Un serf élevé à
(4) V. Dunod ibid, dist. 3, et Talhert, \ 9, n° 6. la prêtrise et pourvu d’une cure dans le Jura,
[États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage d’Aval.] 73Û
s’il n’a point de parents, demeurant avec lui, ne le seigneur, usant de son droit de retrait, le
pourra disposer par testament, au profit des pau¬ réunit à son fief, le cède ensuite pour les
vres de là paroisse, des épargnes qu’il aura faites 2,000 écus au dernier enchérisseur, rend la moi¬
sur les revenus de son Bénéfice. Ces épargnes, tié de cette somme au premier acquéreur, garde
qui sont le patrimoine des indigents, se réuni¬ pour lui l’autre moitié, et se fait payer, de plus,
ront à celui du seigneur. Un droit de lods qui s’élève au tiers du prix de
L’article 13 défend au serf de vendre, d’aliéner là vente dans quelques cantons, et à la moitié
dans d’autres.
et d’hypothéquer son héritage mainmortable,
sans le consentement du seigneur, à peine de Ce cessionnaire du seigneur à payé chèrement
commise et de confiscation. cet immeuble mainmortable. Par cette réserve, le
Avant la publication de cette coutume, il avait seigneur retient la chose dans le temps même
la liberté de le vendrè aux gen3 de sa condition, qu’il la vend, et en reçoit le juste prix. C’est ainsi
et les serfs du duché de Bourgogne jouissent en¬ que se propage la maimorte ; l’équité n’approuve
core de cette faculté : Cet article la retranche pas sans doute de semblables conventions.
aux serfs francs-comtois (1). Si un malheureux Mais, dira-t-on, pourquoi l’acquéreur souffre
serf est né avec de l’industrie, s’il apprend un t-il cette réserve? C’est parce qu’il a des enfants,
commerce, qu’il y gagne quelque argent, qu’il et qu’il ne croit pas qu’ils se sépareront de lui.
àçqüïerre un. petit domaine avec cet argent, et 11 se flatte que ses enfants en feront d’autres, que
qù’efilsuite il éprouve des revers, pourra-t-il dü sa postérité ne s’éteindra jamais, qu’elle prospé¬
moins le revendre ou l'hypothéquer à ses créan¬ rera comme lui, qu’elle ne sera par obligée de
ciers? Non, il né le jjeut pas sans le consentement vendre l’immeuble qu’il acquiert pour elle, et que
du seigneur., Oiç ses enfants sont demeurés avec la clause qui le grève de la mainmorte n’aiira
lui dans sa mauvaise fortune, ou iis s’en sont point d’effet; mais que ses enfants meurent le
séparés : Au premier cas, le seigneur qui est ex¬ lendemain, ou qu’ils se séparent de lui et qu’il
clu de la succession du serf par ses enfants, con¬ iui survienne quelque perte qui le mette dans le
sent â une vente qui lui procure des profits cas de revendre cet immeuble, c’est alors qu’il
très considérables ; mais, au second cas, considé¬ reconnaîtra la lésion qu’il souffre d’un semblable
rant que ie domaine lui sera dévolu après la marché; en vain il en demanderait la rescision,
mort dü serf, il se garde bien d’en permettre la toute juste qu’elle serait, les tribunaux ne l’écou¬
vente. Ainsi ce malheureux, est dans l’impuis¬ teraient pas.
sance de se relever de ses pertes; il ne peut em¬ Que, par une industrie extraordinaire et un
prunter, parce qu’il n’a point de sûreté à offrir bonheur rare dans ces contrées, un serf fasse for¬
aux prêteurs; il ne peut vendre, dans sa détresse, tune : que sur un sol de cinquante francs il bâ¬
ce qu’il a acquis dans sa prospérité, parce que tisse une maison de 50,000 francs; si par la
son seigneur ne veut pas le permettre. S’il a des suite un malheur l’oblige à vendre cette maison,
parents successibles et, que le seigneur n’ait pas le seigneur qui h’a, pas contribué à la construc¬
d’intérêt d’empêcher la vente, le seigneur s5at tion, en retirera cependant pour son droit de lods
tribue, eii ce cas, le privilège d’autoriser l’in¬ le tiers ou la moitié du .prix; l’acquéreur meurt
justice la plus criante. Le serf ne peut constituer ensuite sans parents demeurant, avec ldi, cette
des hypothèques, saris le consentement du sei¬ maison reviendra encore au seigneur. .
.
gneur. S’il a plusieurs créanciers, le seigneur est L’article 14 porte : « que l’homme de main¬
le maître de vendre son, agrément à celui qui le morte ne peut disposer de ses biens-meubles, ni
met au plus haut prix. Dans les faillites, le prix de ses héritages, quelque part qu’ils soient assis ,
de l’immeuble mainmortable est distribué en jus¬ ni par testament ni par donation à cause de mort,
tice aux créanciers, ..qon pas suivant les dates de si ce n’est au prolit de ceux qui sont communs
leurs contrats, mais suivant celles des consente¬ en biens avec lui, et qui, par droit coutumier
ments du seigneur, eh sorte que le dernier créan¬ pourraient et devraient lui succéder.
cier, qui est muni de consentement, est préféré Les articles 16 et 17 exigent de plus, pour que
aux plus anciens qui n’ont pu en obtenir. les serfs soient successibles les uns aux autres,
De là, un débiteur obéré et de mauvaise foi qu’ils vivent ensemble sous le même toit, au
qui voudra frauder ses créanciers, trouvera un même feu et à la même table.
complice au profit duquel il passera l’obligation L’article 15 déclare que, s’ils se séparent, ils ne
simulée d’une somme qui égale le prix de ses pourront plus se réunir sans le consentement du
biens. Le faux créancier, au moyen du consen¬ seigneur; ainsi chaque maison dans cette con¬
tement d’hypothèque qu’il achète du seigneur, trée, ne semble être qu’une prison où des captifs
emporte le prix entier de la vente, qu’il rend en sont obligés de s’associer et de se renfermer, sous
secret au débiteur, et qu’il partage avec lui, et peine de perdre leur part à quelques arpents de
les créanciers antérieurs et légitimes s’en retour¬ terre qu’ils ont si souvent arrosés de leurs larmes.
nent les mains vides. Lorsque le seigneur veut Si un père a plusieurs fils et qu’il veuille les
bien consentir à la vente, c’est pour exercer deux marier tous, leurs femmes, rassemblées par le
droits très lucratifs, les lods et le retrait; il ou¬ hasard et divisées par l'intérêt, sympathiseront
vre une enchère devant lui, et il trouve commu¬ difficilement entre elles; les haines deviendront
nément des enchérisseurs, parce que la vente ne si fortes qu’elles rendront indispensable la re¬
pouvant avoir son effet qu’avec son agrément, traite de l’une des parties , alors la portion qui,
on croit traiter plus sûrement avec lui qu’avec le après la mort du père, devrait revenir à celui qui
vendeur. Que l’immeuble mainmortable ait été se retire, revient à la portion de celui qui le chasse ,
par exemple vendu mille écus, et que les enchères l’héritage de la partie la plus tolérante devient
ouvertes devant le seigneur en doublent le prix, le prix de la persécution de l’autre.
cet excédant ne sera pas pour le vendeur ; mais La femme qui avait épousé un fils de famille ,
dans l’attente d’une succession qui lui était as¬
surée par institution contractuelle serait, par cet
(1) Tel était aussi l’usage ancien de la plupart des événement, frustrée de ces espérances. Les en¬
terres de Franche-Comté, comme il sera facile de le prou¬ fants mêmes que cette institution appelait à la
ver par les terriers et une foule d’autres titres. succession de leur aïeul, au défaut de leur père,
740 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage d’Aval.]
participent à la privation de celui-ci, s’ils le sui¬ légataires dans une captivité absolue, comme cel¬
vent dans sa nouvelle habitation. les qui tendent à celte charge, au cas qu’ils ne
•>
L’ancienne jurisprudence n’était pas si rigou¬ sortent pas de ce lieu-là : Titio centum relicta sunt,
reuse. Gomme la coutume ne défend pas au ut in illâ civitate , domicilium habeat : potest dici ,
serf de faire une donation entre les vifs à son non esse locum , cautioni per quam jus libertatis
fils qui demeure avec lui, et que Pinstitution impingatur. L. 71 ff. de condit. et demoust.
contractuelle participe de la donation, on jugeait ff. 2.
autrefois qu'il suffisait au fils, pour en recueillir Le même auteur rapporte ensuite qu’un oncle
l’effet, d’avoir été le copersonnier de son père à ayant légué les bieus qu’il possédait aux environs
l’époque de son contrat de mariage ; mais les de la vide de Beanne à celui de ses deux neveux
derniers arrêts ont jugé que s'il quittait la maison qui voudrait fixer sa demeure dans cette ville,
paternelle avant la mort de son père, il ne lui ajoutant que si l’aîné voulait accepter cette con¬
succéderait pas. dition, il serait préféré au cadet, le parlement de
Que l’un des copersonniers ait plus de talents Paris jugea cette condition nulle, et, par arrêt du
que les autres, qu’il s’occupe, tandis que ceux 3 juillet 1614, adjugea les biens à l’aîné, quoi¬
ci végètent dans la hutte commune, sans y rien qu’il eût fixé sa résidence en Languedoc.
faire; que par son seul travail il y lasse quelque Si nous sommes des hommes, si, contribuant aux
profit, il est obligé de le partager avec ses hè¬ charges de l’Etat comme les autres sujets de
res ou ses cousins , qui n’y ont point con¬ Votre Majesté, les lois doivent nous protéger
tribué. comme eux, pourquoi sommes-nous asservis sous
Si les membres laborieux de cette communauté, peine d’exhérédatiou à une captivité qu’elles con¬
qu’on appelé communion, trouve de l’avantage à damnent, et qui est si préjudiciable à l’Eta i?
se séparer, alors ceux qui ont été les chefs ou Vous avez, Sire, dans vosarmées plus de trente
les administrateurs de cette société, doivent en mille serfs francs-comtois; lorsque quelques-uns
rendre compte, mais comme iis ne tiennent pas d’eux parviennent, par leur mérite, au grade d’of¬
de registres, attendu que la plupart ne savent ficier, et qu’apiès avoir obtenu leur retraite avec
pas écrire, il est rare que les comptes soient une pension.au lieu de retourner avec leurs frè¬
exacts; ils donnent lieu à des débuis et à des res ou leurs neveux dans la huile où ils sont nés,
procédures qui consomment en frais le peu d’ar¬ ils vont habiter, dans leur village, une maison
gent ou la valeur du bétail qu’ils avaient à plus commode, ils ne pourront en mourant dis¬
partager. poser ni de leur mobilier, ni de la petite épargne
Celte communauté, une fuis dissoute, celui qui qu’ils auront pu faire sur leur pension, tout le
n’a point d’enfants ne peut disposer par testament pécule appartiendra au seigneur après leur mort.
ni de son héritage mainmortable, ni des meubles Le Jura enferme si peu de terres cultivables
i
ou des biens qu’il a acqois par son travail dans que, dans les meilleures années, elles ne pro¬
un lieu de franchise. Après sa mort, tous ces ac¬ duisent pas de quoi nourrir le quart des habi¬
quêts appartiendront à‘sou seigneur. tants. Notre industrie pourrait suppléer à l’ari¬
En vain, Dieu , en donnant des besoins à dité du sol; placés à l’entrée de la Suisse et de
l’homme, en lui rendant nécessaire la ressource l’Italie, le commerce fleurirait parmi nous, si
du travail, a fait du droit de travailler la propriété notre condition, au lieu de nous ôter tout crédit,
de tout homme : en vain, Votre Majesté a déclaré pouvait inspirer quelque confiance.
que cette propriété était la plus sacrée et la plus Celui qui ne peut offrir des sûretés, ne trouve
imprescriptible de toutes (l), le peu que nous pas des emprunts. Celui qui doit avoir son tyrau
gagnons par notre sobriété et le travail de tous pour héritier, n’est tenté ni d’améliorer son champ,
les jours 11’est point à nous, des mains étrangères ni d'augmenter sa fortune. De là un décourage¬
attendent notre mort pour s’en saisir et l’enlever ment général et la multitude de mendiants que
à nos parents, à nos enfants même. Il est vrai l’on rencontre à chaque pas dans cette malheu¬
que nous pouvons les en écarter à jamais, en reuse partie de ia province. Le seigneur qui hérite
nous assujettissant à vivre toujours danslemême du serf opulent n’est point obligé de nourrir le
manoir avec nos enfants, dos frères, nos neveux serf pauvre.
et nos cousins, jusqu’au dixième degré. Les articles 13, 14, 16 et 17 que nous avons
Mais, par celte considération même qu’il est en rapportés ne s’appliquaient anciennement qu’aux
notre pouvoir u’exclure le seigneur de nos suc¬ serfs de corps, de sorte que l’homme libre, le
cessions, il n’y a proprement aucun droit, pour¬ bourgeois d’une ville, qui acquérait un domaine
quoi donc nous imposer une gêne qui est sans dans une terre mainmortable, en jouissait et eu
avantage pour lui, tandis qu’elle subsiste : une disposait comme d’un bien libre.
gêne qui, en concentrant une famille nombreuse Dans ces temps là, la servitude inhérente au sol
dans l’enceinte étroite de son manoir, l’empêche ne se communiquait pas du moins à la personne
de s’étendre et de se multiplier, et nuit ainsi à la du possesseur. Mais, par un édit de CharJes-Quiut
population et à l’agriculture? de l’année 1549, sollicité par le clergé et la
S’obliger à vivre toujours en communauté, c’est noblesse dans les Etats de la province (1), il fut
une convention réprouvée par les lois romaines statué que l’héritage mainmortable acquis par
qui rôgisseut notre province : Si conveniat ne l’homme franc depuis le mois de juin 1549 retour¬
omnium divisio fiat, hujusmodi pactum, nullam nerait au seigneur, si cet homme franc décédait
vim habere manifestum est (2) nulla societas sans laisser hoirs de son corps ou autres étant en
in ceternum coitio. communion avec lui, qui par droit doivent lui
« Les lois, dit Ricard (3), ont condamné les succéder. Non contents encore de cet édit, les
conditions qui tendent à tenir la liberté des mêmes chambres du clergé et de la noblesse en
surprirent un autre en 1606, qui acheva d’assi
miler aux serfs de corps, le bourgeois possesseur nés à la servitude. Enfin la confusion et la variété
d’un immeuble mainmortabie, en lui défendant de ont été si grandes que, depuis tant de siècles que
le vendre et de l’hypothôquer sans le consente¬ ces seigneuries sont établies, on n’a encore pu y
ment du seigneur. l)e là, les bourgeois des villes établir un droit certain et uniforme, ainsi comme
dont les alentours sont infectés de la mainmorte, aux nouvelles conquêtes, on y a toujours vécu à
et qui y acquirent quelque domaine, n’ont la discrétion. Même toutes les fois qu’il s’est pré¬
liberté ni d’en disposer, ni de le transmettre à senté des différends en justice, on les a vidés, non
leurs frères ou à leurs neveux, s’ils n’ont pas pour le point de la raison, mais pour celui de la
toujours vécu avec eux, comme les serfs du corps, possession ou usurpation, et par la règle de con¬
sous le même toit, au même feu et à la même quête, qui tenet teneat, et que vis est jus, donnant
table. par ce moyen force à la force, et ne laissant aucun
Le Parlement de Franche-Comté, qui a fait des pouvoir à la raison ni à la justice (l). » Ce sont
remontrances à Votre Majesté contre l’édit bien¬ des rois d’Espagne qui ont fait les édits de 1549
faisant du mois d’août 1779, et qui en a sursis et de 1606. Un roi de France a, sans doute, le
l’enregistrement jusqu’au 21 octobre 1788, n’en a pouvoir de les révoquer. Votre Majesté a aussi le
jamais fait contre les deux édits de 1549 et de pouvoir de corriger et de réformer la coutume
1606, qui ont si injustement dépouillé les citoyens de 1459, puisque celui de vos piédécesseurs qui
de plusieurs villes d’une liberté à laquelle les l’approuva pour lors, vous l’a expressément ré¬
rédacteurs du Code de la mainmorte n’avaient osé servé. En procédant à cette réforme, votre jus¬
porter atteinte. Et voilà comme, dans cette pro¬ tice ordonnerait sans doute :
vince, le tiers-état a toujours été protégé par le 1° Que tous vos sujets, les étrangers même, au¬
clergé, la noblesse et la magistrature, et n’a cessé ront la liberté de s’établir et de fixer leur domi¬
d’êire la victime du funeste ascendant des deux cile en quel lieu de votre royaume qu’ils trouve¬
premiers ordres sur le troisième. Mais suivons ront convenir, sans qu’en vertu des coutumes,
notre coutume. les seigneurs puissent les assujettir à aucune ser¬
L’article 18 porte : « que le seigneur (quand vitude, ni leur faire payer aucun droit de leur
échute et succession de mainmorte a lieu) prend résidence ;
les biens étant à sa seigneurie mainmortabie, 2° Que les gens de condition mainmortabie, et
sans pour raison d’iceux payer les dettes de son les personnes franches qui possèdent des biens
homme trépassé, si les dits héritages du consen¬ de cette condition pourront les transmettre ,
tement dudit seigneur n’étaient, pour ce, obligés comme leurs meubles et leurs autres biens, à
ou hypothéqués. »>
leurs parents en ligne directe et collatérale, soit
Dans leBugey, le seigneur est du moins obligé par disposition entre vifs, ou à cause de mort,
à payer les dettes du serf ou à délaisser ses biens soit ab intestat, si Ion l’ordre établi pour les per¬
à ses créanciers. Cette obligation est fondée sur sonnes et biens libres, sans qu’ils soient tenus à
cette maxime de l’équité naturelle : qui sentit vivre en communauté avec leurs héritiers, dona¬
commodum sentiat et omis , mais les seigneurs taires ou légataires, ni que les filles soient obli¬
francs-comtois qui, jusqu’à présent, ont été les gées en se mariant à remplir pour cela aucune
plus forts, ont violé envers les habitants de leurs forme ou devoir féodal;
terres toutes les lois de la nature. 3° Dans les distributions du prix des biens
La dot de la femme, cette dette si favorable, si mainmortables, les deniers seront distribués aux
privilégiée et à laquelle l’ordonnance de 1747 créanciers, suivant leurs dates, privilèges et hypo¬
assure une hypothèse sur les blns substitués; thèques, selon l’ordre établi pour les biens libres
cette dot n’est point payée par le seigneur si elle i-ans que le seigneur puisse accorder aucune pré¬
n’a pas été assignée de son consentement sur férence contraire à cet ordie;
l’héritage auquel il succède. La veuve qui n’a pas 4° Que l’article 25 de l’é lit du mois d’août 1749
eu la précauiion ou le moyui d acheter ce con¬ sera exécuté, et, en conséquence, que les seigneurs
sentement, ou qui n’a pu i’obtenir, perd sa dot ecclésiastiques ne pourront exercer pour eux
en perdant son mari, et se trouve réduite à aug¬ inêmes, ni céder à d’autres le retrait seigneurial
menter le nombre des mendiants de cette triste ou censitif;
contrée. 5° Pour faciliter les mutations, les lods et ven¬
Telles sont, Sire, les dispositions injustes et tes seront fixés à un taux modéré;
bizarres qui régissent les personnes et les biens 6° Qu’il soit défendu à tous seigneurs et autres
de plus de 400 mille Francs-Comtois. La coutume propriétaires d’assujettir à l’avenir à la servitude
rédigée en 1459 doubla leurs chaînes. Les édits les personnes et les biens de condition libre;
de 1549 et de 1606 les étendirent aux bourgeois 7° Que les fonds et maisons mainmorlables qui
des villes qui ont des domaines dans les terres rentreront à l’avenir dans la main des seigneurs,
mainmorlables. La jurisprudence qui devait mi¬ de quelque manière que ce soit, seront affranchis
tiger cet odieux Gude, n’a fait qu’ajouter à ses à perpétuité au moment du retour, sans qu’ils
rigueurs. puissent jamais être rétrocédés sous la condition
A ces traits, Sire, Votre Majesté reconnaîtra de mainmorte.
avec Loyseau que « les seigneuries ayant du Aucun de ces articles ne touche aux propriétés
commencement été établiesen confusion, par force des seigneurs; ils n’ont pour objet que de les
et usurpation, il a depuis été comme impossible régler et de les réduire aux termes de la raison
d’apporter un ordre à cette confusion, d’assigner et de l’équité. Accorder ces articles, c’est suppri¬
un droit à cette force, de régler par raison cette mer la mainmorte; ainsi il vaudrait peut-être
usurpation. Ainsi se sont multipliées confusément mieux l’abolir entièrement dans les terres des
plusieurs bizarres espèces de seigneuries dont les seigneurs; cette marche serait plus franche et
noms même sont presque inconnus, et chacune plus digne de Votre Majesté. Comme elle a le
d’elles s’est attribuée diverses sortes de pré¬ pouvoir d’annoblir, elle a incontestablement celui
tentions plus ou moins cruelles, selon qu’en cha¬ d’affranchir. Regium munus est, dit un ancien
que pays l’usurpation a eu plus ou moins de
cours; que chaque seigneur a été plus ou moins
entreprenant, et les sujets plus ou moins façon¬ (1) Loyseau, Des seigneuries. Avant-propos.
742 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage d’Aval.]
auteur, et monarchâ dignum servos manumittere, d’environ 100 personnes. Je les réduis à ce nom¬
servitutis maculam delere , non successibiles facere bre, parce que leur servitude et leur misère ne
successibiles, intestabiles testabiles (1). les invitent pas à trop multiplier. Gès cent per*'
Les rois vos prédécesseurs commencèrent par sonnes se diviseront en deux ménagés, lesquels
affranchir les habitants des communes, avant de se subdiviseront à leur tour, lorsqu’ils seront
les appeler aux assemblées de la nation. Chacun parvenus l’un et l’autre au même nombre de
connaît l’édit mémorable de 1315, où Louis le 100 personnes, et ainsi de suite; de cette manière,5
Hutin déclarait que « comme, selon le droit de à moins qu’il ne survienne une peste generale,
la nature, chacun doit naître franc, nous, consi¬ jamais les serfs ne mourront sans copersonniers;
dérant que notre royaume est dit et nommé le et jamais par conséquent leurs successions ne s’ou¬
royaume des Francs, et voulant qu’en vérité la vriront au profit de leurs seigneurs; tout au con¬
chose soit accordante au nom, ordonnons que traire ils y gagneront, parce que les cultivateurs,
généralement partout notre royaume, franchise animés par l’attrait de la liberté et de la propriété,
soit donnée à bonnes et convenables conditions. « travailleront avec plus de courage, ils deviendront
Un ancien historien de Franche-Comté (2), dit plus aisés, leurs terres mieux cultivées prendront
« qu’a ce mal très injurieux et très indigne de plus de valeur; ils bâtiront de nouvelles maisons
chrétien, les bons princes ont remédié; car ils dont les mutations produiront dès lors au sei¬
ont donné ou plus vraiment ils ont rendu là li¬ gneur; les dîmes augmenteront, toutes les rede¬
berté à léurs sujets. » Il cite ensuite un édit de vances seront mieux payées. Puis donc que le
Philippe ÏI, roi d’Espagne, qui était souverain de seigneur gagnera à l’affranchissement, loin d’y
cette province, donné en 1583, par lequel le prince perdre, il ne doit pas nous le faire payer. Dira
affranchit tous les serfs : « avec condition fort t-il que la mainmorte est une condition de la
tolérable, et telle que le pauvre obtenait sa liberté concession des terres ?
sans prix quelconque, et le riche, à bien petit. Quand cela serait, il n’en resterait pas moins
Henri II rendit, en 1554, la liberté aux »erfs du démontré que l’affranchissement est juste, et
C haro lais : la baronne du Mont-Saint-Vincent pré¬ qu’il n’y perdra rieu. Quand cela serait, cette
tendit que ses mainmortables ne pouvaient être condition ne pourrait valoir, attendu qu’il n’est
affranchis que par elle, et que l’affranchissement aucun serf qui ne soit en état de justifier que
donné par le Roi était nul ; mais le parlement lui ou ses pères ont acquis ou payé les terrés
de Paris le déclara valable par arrêt du 1er juin qu’il possède, et que les ayant payées, il doit
1571 (3). » Dans l’AssemjRëede 1614, le tiers-état en jouir en pleine propriété. Mais il n’est point
supplia Louis XIII d’abolir la mainmorte dans vrai que la mainmorte doive son origine à la
les terres des seigneurs. La prochaine Diète, qui concession des terres. Les moines de Saint-Claude
sera composée d’un clergé plus humain, d’une s’expliquèrent sur cela, en ces termes, dans l’af¬
noblesse plus généreuse et de citoyens plus éclai¬ franchissement de lq famille Dronier, du 13 fé¬
rés, renouvellera sans doute cet ancien vœu. vrier 1519 : « Nos commendatorius, religiosi et
Ainsi 1’exemple de vos prédécesseurs, le vœu de conventus, etc. attendentes omnes homines ab initio
la nation, les arrêts de votre première Cour, tout procreatos, servitutem que, contra Jura naturalïa ,
prouve, tout reconnaît que vous avez, Sire, le à jure gentium fuisse introductam, at Deum non
pouvoir de rendre la liberté à vos sujets, malgré hominem horhini, sëd animalibus dominant, vo
leqrs seigneurs. Eu usant de cette belle préro¬ luisse; et quod dominus noster Jesus-Christus, ut
gative, vous aurez la gloire S’effacer les derniers nos à servitute eriperet et libertatem donaret,
vestiges de la tyrannie féodale; vous éprouverez ligno crucis sè obtulit, etc. Pronobis et nostris
la satisfaction si douce cje briser les fers de plus successoribus ex nostrà certq scientia Guillelnwm
d’un million de Français’ répandus en différentes Dronier, etc. Ab omni servitute, etc., liberavinvus
provinces; vous rappellerez le travail, l’abon¬ et affranchisavinius. Les registres de l’hêtel de
dance et le bonheur dans les asiles du découra¬ ville de Saint-Claude contiennent plus de 5f) af¬
gement et de la misère. Mais les seigneurs seront franchissements conçus dans les mêmes termes.
ils fondés à exiger une indemnité? Pour juger De là, de l’aveu même des moines, c’est contre
sainement cette question, il faut examiner si l’af¬ le droit naturel que la mainmorte a été intro¬
franchissement leur fera perdre des droits légiti¬ duite parmi nous. Elle n’est pas une condition
mes ; car il ne leur retranche que l’odieux privi¬ de la concession de nos terres ; ils en attribuaient
lège de commettre des injustices, ils n’ont assu l’origine au droit des gens, comme s’ils' nous
rémeqt aucune indemnité à demander. avaient pris à la guerre, ou que nous leur eus¬
La mainmorte ne leur apporte des profits que sions été vendus par des pirates. Le ûom seul
lorsque le serf veqd les terres qu’il possède dans de Franché-Gomté indique un pays de franc-alleu.
leurs seigneuries, ou qu’il meurt sans coperson Le franc-alleu général constaté par une foule de
uiers. Or, dans le premier cas, ils ont des lods chartes du XIIIe et du 3fJIIe siècle (i) a été reponnü
que l’affranchissement leur conservera, en les ré¬ par un arrêt du conseil du 13 octobre 1693, qui
glant cependant à’ 'un taux modéré; et cette mo¬ maintient les Francs-Comtois dans leurs franchise
dération ne leur sera pas désavantageuse, parce etdans la liberté de posséder leurs terres, maisons,
que moins les lods seront |forts,plus les mutations héritages en franc-alleu (2). Dans le Ve' siècle,
sepont fréquentes, et qu’au lieu de perdre ils ga un homme puissant du Jura ou dés environs
grjprpnt. second cas, ifs succèdent, à la vérité, avait frauduleqsefnent soumis à la servitude dés
qü sépf qü] meurt sépqré ffe ses copersonniers; cultjyatêqrs f|é ppnjiition libre. Vi pèr'sÜ0idn$
mais que toutes’ lés familles mainmortables ,cçra illiçiicp jMgo' befvitytis subdiÿerat. Cep" ciiltivà
viphnèbt entré elles, comme elles jè peuvent, de teur s viennent implorer lai protection’ de saint
rest'ep Uîlips1 Jusqu’à la dixième génération; par¬ Lupicin, l’uq des fondateurs de i’apbàye bé jjtyjiit;
venues à ce terme chacune d’elles sera composée Claude. Le saint va plaider leur caiisé dévàn'f m
roi Chilpéric. Une cause si juste, défendue par beaux, et procuraient au monastère d’abondantes
un patrop si recommandable eut le succès qu’elle aumônes. Ainsi les moines acquirent insensi¬
devait obtenir (1). Ce trait honorable de la vie de blement des richesses. Les successeurs de Lu¬
saint Lupicin, ne permet pas de penser qu’il eût picin ne dédaignèrent pas, comme lui, les biens
souffert que ses moines attentassent à la liberté de la terre. Ces frères, comme le disait Pierre
du Jura; cette liberté y régnait encore au XIIe siè¬ Desvignes, qui, dans la naissance de leur reli¬
cle; tous héritages y étaient possédés en franc gion, semblaient fouler aux pieds la gloire du
alleu. De franco Jure occupasse sicut se habet. Ju monde, reprennent le faste qu’ils ont méprisé ;
rensis consuetudo, porte une charte de 1126 (2). n’ayant rien, ils possèdent tout, et sont plüs ri¬
Elle y régnait de même aux XIII* et XlVesiècles; ches que les riches mêmes. Ils ne tardèrent pas
les religieux associèrent en 1266, en 1303 et à aspirer à la seigneurie et même à la souve¬
1318, les courtes de Châlon à la propriété d’une raineté du Jura. Dans cette vue, ils fabriquèrent,
forêt immense à charge de la défricher et de la dans le XIIe siècle, une chronique en prose ri
peupler. Les chartes d’association rappellent mée (1), dans laquelle ils supposèrent que l’em¬
dans le plus grand détail toutes les redevances pereur Gratien avait fait donation de tout le Jura
qui seraient imposées aux colons; il n’en est à Romain et à Lupicin.
aucune qui suppose la mainmorte; cependant L’auteur de cette chronique savait fort mal la
les seigneurs tentèrent de l’établir. Mais les colons chronologie. Il fait contemporains de Gratien,
s’enfuirent, on ne put les faire revenir qu’en leur mort en 383, le pape saint Léon, qui ne monta
garantissant une entière liberté. « Nous, frère sur le trône pontifical qu’èn 440, et saint Ro¬
Guillaume, abbé de Saint-Oyan ou Saint-Claude, main et Lupicin, qui, suivant Grégoire de Tours
porte l’une des Chartes de franchise de l’année et Mabillon (2), vivaient sous Chilpéric, père de
1384, savpir faisons que pour icelle condition de sainte Clotilde, lequel ne commença à régner en
mainmorte, nul ne s’y voulait habiter, mais de Bourgogne qu’en 463 (3).
jour en jour se deshabitait : pourquoi les dits Us fabriquèrent encore d’autres titres, dont la
lieux habiter et multiplier, etc. la dite main¬ fausseté a été si clairement prouvée dans une
morte avons ôté. » Le prieuré de la Mouille, d’où dissertation consacrée à la défense des sup¬
relève le village de ce nom, avec ceux de Morez, pliants, et imprimée en 1772, qu’elle est restée
dés Rousses, du Bois d’Amont, de Morbier et de sans réponse. A la faveur de ces faux titres, ils
Bellefontaine, ne rapportaient dans le XIVe siècle s’attribuèrent non-seulement Ja seigneurie, mais
qu’un petit fromage par semaine et 50 florins par encore la souveraineté du pays. Ils faisaient
an, nec amplius, dit le décret de 1.357 qui en battre monnaie à leur coin, annoblîssaient les
prononce l’union en faveur du monastère de roturiers, érigeaient les fiefs, légitimaient lés
Saint-Claude ipaugmentwmpitentiœ. La mainmorte bâtards, et donnaient grâce aux criminels.
n’existait donc pas alors daos ces villages. Ce Les nobles étaient jugés en première instance
monastère vendit en 1390, aux habitants de Long par leur frère chambellan, et les roturiers par le
chaumois, les terres qui sont aujourd’hui renfer¬ frère cellerier. De ces deux moines, on appelait à
mées dans leurs territoires, pour le prix de un autre qui était commis par l’abbé et que l’ou
70 livres d’or ; non-seulement la mainmorte ne nommait le juge d’appel. De ce second juge, ou
fut pas réservée dans cette vente, mais elle en appelait encore à l’abbé qui prononçait en der¬
fut exclue, par la clause qui transportait ces nier ressort.
terres aux habitauts, pour eux, leurs héritiers Ils jugeaient les affaires dans lesquelles ils
et successeurs quelconques, clause incompatible étaient parties, sous le nom de leur procureur;
avec la mainmorte. Comment donc, au mépris comme celles qui ne concernaient que leurs su¬
de ces titres, les moines sont-ils parvenus à in¬ jets. En 1346, le duc et le comte de Bourgogne,
troduire l’esclavage dans ce pays libre? Permet Philippe le Bon, les fit rentrer dans son obéis¬
tez-nous, Sire, de vous en reqdre compte.Le mo¬ sance, leur retrancha le, droit dp battre monnaie,
nastère qui fut d’abord appelé Condat ensuite et permit à leurs sujets d’appeler de leurs sen¬
Suint-Oyan,e t enfin Saint Claude, reconnaît pour tences à son parlement.
ses premiers abbés saint Romain et saint Lupicin, Cette cour n’était pas alors sédentaire, comme
qui vivaient sous Chilpéric, père de sainte Clo elle le devint en 1508. Tous les quatre ans, et
tilde. Ces premiers solitaires du Jura, vivaient du quelquefois après un plus long intervalle, elle
travail de leurs mains, ils faisaient des paniers s’assemblait pendant 3 mois, en sorte que le re¬
d’osier, des chaises, etc. (3). cours au parlement étant difficilement praticable,
Chilpéric leur avait offert des champs et des les sentences de nos moines furent encore exé¬
vignes. « Nous ne pouvons les accepter, lui répon¬ cutées, longtemps après les lettres patentes dp
dirent-ils; des propriétés ne sont point faites pour 1436, comme jugement eu dernier ressort, Leg
nous (4). » moines, revêtus de ce pouvoir, assujettirent in¬
Ces premiers abbés et Oyan, leur successeur, sensiblement quelques familles à la servitude, et
furent canonisés dans le VIIe et VIIIe siècle; des lé¬ lorsqu’ils eurent un certain nombre de serfs, ils
gendes parurent, qui attribuèrent à leurs osse¬ prétendirent que tous devaient l’être.
ments le don de guérir les malades et de chasser Après la sécularisation de l’abbaye en J74?,
les diables du corps des possédés. l’abbé fut élevé à la dignité d’évêque, et les fë
Le bruit de ces miracles les mit en réputation. ligieux devinrent chanoines. Npps né spmmëfi
Ils attiraient une foule d’étrangers à leurs tom pas assez injustes pour imputer à ceuxTfii les
fraudes de leurs devanciers, mais il nous parait
qu’ils ne doivent pas en profiter.
On. découvrit en 1769 les actes dopt nou axons
(1) Légende de Saint-Lupicin, cap. 3 dans les bollan parlé, qui prouvent si bien la franchise du
distes, sous le 21 mars, histoire de la monarchie franc.
par l’abbé Dubos, liv. 3, châp. 12.
(2) Histoire des sires de Salins, aux preuves, 2°. 1°.
page 36. (1) Annales Bened., Tome 1er., page 677.
3) Hist. litt. par Dom Rivet. Tom, 3, p. 94. (2) d° d° page 223.
4) Grégoire de Tours. De vita patrum., chap. 1er. (3) Y. l’Art de vérifier les dates , p. 659, Edit, de 1770.
744 [Étals gén. 1789. Cahiers.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage d’Aval.]
Jura, une partie des suppliants en réclama l’exé¬ d’un jeune chanoine qui venait d’être reçu. On
cution au conseil de Louis XV. Une cause qui dit aux habitants qu’ils ne se plaignaient que
avait pour objet l’état civil et la liberté d’un si d’un mal jugé, et que le mal jugé n’était pas ua
grand nombre de sujets, paraissait digne d’être moyen de cassation. D’après ce principe, leur re¬
jugée par Sa Majesté elle-même, mais les intri¬ quête fut rejetée le 23 décembre 1777.
gues ministérielles de ce temps ne permirent pas Si cette cause était renvoyée à un tribunal im¬
au conseil de s’en occuper, et elle fut renvoyée partial pour y être discutée et jugée de nouveau,
au parlement de Besançon par un arrêt revêtu de elle y recevrait certainement une décision bien
lettres patentes du 18 janvier 1772, pour y être dilférente. Mais ils espèrent, Sire, de votre bonté
et de votre justice qu’ils ne seront pas exceptés
litantstant
i'ugée, d’aprèslesla titres
qued’après produits
possession, en par
tant les ha
qu’elle de l’affranchissement général que toutes les com¬
ne serait pas contraire à ces titres. munes de Franche-Comté ont supplié Votre Ma¬
Pour les éluder, le chapitre de Saint-Claude jesté d’accorder aux serfs qui existent encore dans
soutint qu’ils ne s’appliquaient pas aux terri¬ le royaume. Ils ont prouvé et par tes titres dont
toires des communautés réclamantes. Le parle¬ ils ont rendu compte, et par les propres aveux
ment ordonna une vue de lieu, laquelle fut exécu¬ des devanciers du chapitre de Saint-Claude, qu’ils
tée au mois de septembre 1774; toutes L s limites ont été soumis à la s> rvitude contre le droit natu¬
furent unanimement reconnues par les experts rel, qu’elle n’a point été parmi eux une conces¬
en faveur des habitants. sion de la cession des terres, etqu’ainsi la liberté
Le parlement qui avait ordonné cette descente de leurs personnes et de leurs biens doit leur être
fut révoqué au mois de mars 1775; l’ancien par¬ rendue gratuitement.
lement rappelé paraissait blessé de ce que les Que Votre Majesté daigne nous permettre de
lettres patentes de 1772 lui prescrivaient la ma¬ lui observer encore qu’ancien uement les serfs ne
nière de juger ce procès, ce qui n'annonçait pas payaient la taille qu’à leurs seigneurs, les uns
qu’il fut disposé à s’y conformer ; cependant elles la payant encore, d’autres s’en sont rédimés à
n’avaient fait que consacrer une maxime prix d’argent. Au moyen de cette taille seigneu¬
avouée de tous les jurisconsultes, suivant laquelle riale, nos ancêtres étaient affranchis des tributs
on n’admet point, en matière féodale, de pres¬ imposés parle souverain. Notre exemption à cet
cription contre le titre primitif. Cette cour a tou¬ égard fut confirmée par des lettres patentes du
jours jugé que la mainmorte, une fois établie, duc Philippe, du 9 mars 43 », et de Charles VIII,
1
était imprescriptible. Ses principes devaient la du mois de mars 1489. Quoique le Parlement eut
conduire à accorder le même privilège à la li¬ enregistré ces lettres, il ordonna, en 1537 et en
berté. 1546, que nous contribuerions, concurremment
Le chapitre avait produit une reconnaissance avec les abbé et religieux de Saint-Claude, à
passée en 1684, devant un notaire étranger, dans tous les impôts qui seraient établis dans la pro¬
la maison seigneuriale, par 24 habitants de la vince. Ceux-ci s’obligèrent du moins à en payer
paroisse de Longchamois, qui était composée de ie cinquième, par une transaction du 24 niai
400 feux : par cet acte les 24 habitants, sans pou¬ 1552, homologuée au Parlement le 21 novembre
voir de leur communauté, reconnaissent une 1555 ; mais malgré ce traité, depuis 1614, époque
mainmorte général'*, conformément à une re¬ de la réu don de la province à votre couronne ,
connais* mee antérieure du 5 mai 1505. Ici vu et on a rejeté, sur les habitants, la totuiit* des
représenté. i npôts auxquels le bailliage de Suint-Claude avait
On somme le chapitre de produire son terrier ; été taxé.
il csi forcé ch* l’exhiber au greffe. On y trouve 1a Ce bailliage paie aujourd'hui, en impositions
reconnaissance de 5 >5, et l’on voit qu'elle ne
1
directes. 136 nille livres; en réduisant cette taxe à
parle en auc me manière de la mainmorte ; ainsi 100 mille livres par année commune, depuis 1676,
l’acte de 1684 renfermait deux faussetés ; l’une, jusqu’en 1788, les habitants du Jura ont payé ,
en supposant que le terrier de lo05 énonçait la pendant cent douze années, onze millions deux
mainmorte, l’antre en affirmant qu’il avait été centmnlle livres ; le cinquième qui devait en être
communiqué aux habitants. supporté par l’abbé et le* religieux et leurs suc¬
Celte pièce paraissait bien propre à exciter l’in cesseurs, est de 2 millions 240 mille livres,
diguatiou des magistrats ; à ce trait moderne, ils somme qui surpasse la valeur de toutes les ter¬
devaient juger de ceux que des temps plus an¬ res du Jura, et qui, au besoin, indemniserait au
ciens dérobaient à leurs yeux : crimine in uno centuple l’évêque et le chapitre de l’affranchisse¬
disce omnes. Mais ces magistrats ont aussi des ment de la mainmorte.
serfs dans leurs terres; ils voh nt la mainmorte Votre Majesté, voyant au milieu de l’auguste as¬
avec d autres yeux qu£ les nôtres; elle leur pa¬ semblée qu’elle vu présider, combien nous avons
raît si favorable, qu’ils ont refusé, pendant neuf été vexés, à quel code barbare nous avons été
ans, l’enregistrement de l'édit par lequel Votre soumis, comme les moines ont violé tous les
Majesté l’abolit dans ses propres domaines. traités qu’ils ont faits avec nos pères, daignera
Cette grande cause fut jugée le 18 août 1775, et nous accorder quelque pitié, et nous délivrer en
comment le fut -elle? Sept juges contre trois lin de cette longue et cruelle oppression. Elle
maintinrent le chapitre dans la possession de la daignera considérer que des ecclésiastiques ne
mainmorte générale et territoriale, personnelle doivent pas traiter les hommes, leurs frères,
et réelle et condamnèrent les habitauts aux dé¬ comme des animaux de service, nés pour porter
pens. leurs fardeaux ; que l’Eglise, dont la première
La cour mit 4,000 livres d’épices sur l’arrêt. institution est d’imiter son législateur, humble
Ces malheureux se pourvurent en cassation. et pauvre, ne doit pas s’engraisser du fruit des
Le chapitre eut le crédit de faire renvoyer leur travaux des hommes, et qu’entin c’est justice que
requête au bureau des affaires ecclésiastiques, nous demandons.
qui était alors présidé par M. de Mareviile, oncle