L'édification Nationale Au Congo-Kinshasa: Élites, Conscience Et Autodétermination. Préface de Bertin Makolo Muswaswa

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Études littéraires africaines

KABONGO MALU (Emmanuel), Mabika Kalanda et l’échec de


l’édification nationale au Congo-Kinshasa : élites, conscience
et autodétermination. Préface de Bertin Makolo Muswaswa ;
postface de Émile Bongeli Yeikelo ya Ato. Paris : L’Harmattan,
coll. Études africaines, 2020, 424 p. – ISBN 978-2-343-20204-4
Frédérique Thiam

Numéro 53, 2022

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1091438ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1091438ar

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Éditeur(s)
Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA)

ISSN
0769-4563 (imprimé)
2270-0374 (numérique)

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Thiam, F. (2022). Compte rendu de [KABONGO MALU (Emmanuel), Mabika
Kalanda et l’échec de l’édification nationale au Congo-Kinshasa : élites,
conscience et autodétermination. Préface de Bertin Makolo Muswaswa ;
postface de Émile Bongeli Yeikelo ya Ato. Paris : L’Harmattan, coll. Études
africaines, 2020, 424 p. – ISBN 978-2-343-20204-4]. Études littéraires africaines,
(53), 199–201. https://doi.org/10.7202/1091438ar

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Comptes rendus (199

avec des philosophes et écrivains africains s’exprimant dans d’autres lan-


gues, permettant alors d’intensifier le dialogue avec des penseurs (Fanon,
Tempels, Hountondji, Mbembe, entre autres) qui ne sont cités qu’en pas-
sant. De tels prolongements conduiraient à élever l’articulation entre pen-
sée et fiction, comprise comme une façon à la fois romanesque et philoso-
phique « de rendre explicite l’implicite » (p. 16), à la hauteur du continent.

Markus ARNOLD

KABONGO MALU (Emmanuel), Mabika Kalanda et l’échec de l’édifica-


tion nationale au Congo-Kinshasa : élites, conscience et autodéter-
mination. Préface de Bertin Makolo Muswaswa ; postface de Émile
Bongeli Yeikelo ya Ato. Paris : L’Harmattan, coll. Études africaines,
2020, 424 p. – ISBN 978-2-343-20204-4.
Le présent ouvrage est un manifeste militant, polémique, idéologique,
et même manichéen, qui exhorte les Congolais à redresser leur pays, ce
puissant Congo-Kinshasa, dont la superficie est six fois celle de la France,
et qui ne connaît que marasme et misère « depuis six décennies », voire
depuis beaucoup plus longtemps, si l’on élargit la période aux tragiques
effets de la traite négrière et de l’esclavage.
En couverture, le visage sérieux et serein de l’essayiste Auguste Mabika
Kalanda, « homme d’État et penseur » (il fut plusieurs fois ministre sous
Mobutu), dont le fameux essai La Remise en question : base de la décolo-
nisation mentale, parut initialement en 1967. Selon l’auteur, il y avait alors
deux ans que le manuscrit attendait dans les tiroirs de l’éditeur bruxellois
« Remarques Africaines » (un label sous lequel ont été publiés, entre 1959
et 1970, une quinzaine d’ouvrages et de brochures, principalement dus à
l’avocat Jules Chomé, militant progressiste). Cette remarque a en tout cas
l’avantage de situer la rédaction de La Remise en question avant le coup
d’État militaire du 24 novembre 1965, et donc plutôt dans le contexte de
la rébellion dans l’Est du pays.
Cet essai sert de socle au livre de Kabongo Malu, que son préfacier
Bertin Makolo Muswaswa, écrivain et professeur émérite de littérature
française à l’Université de Kinshasa, qualifie de « philosophe de l’histoire,
fougueux, généreux, volontiers polémiste ». À l’instar de l’essai qui l’ins-
pire, ce livre comporte sept chapitres, auxquels viennent s’ajouter neuf
dédicaces, une introduction générale résumant la pensée de Mabika
Kalanda, une conclusion générale et, enfin, une postface. Quel est l’apport
de cet ouvrage publié en 2020, soit près d’un demi-siècle après La Remise
en question ? C’est là une question à laquelle il est difficile de répondre
tant la lecture en est fastidieuse. De très larges extraits de Kalanda sont
proposés, que Kabongo Malu développe et commente, tout en restant
curieusement comme absent de ses propos, sauf en de rares passages. À le
200)

lire, il est difficile de ne pas penser au célèbre Que faire ? (Čto delat', 1863),
de Tchernychevski, qui eut un immense retentissement dans la société
russe au XIXe siècle : on y perçoit le même besoin vital de chercher les cau-
ses et les solutions aux difficultés endémiques du pays.
Il s’agit essentiellement, dans ce texte, de l’ensemble des « six décen-
nies » qui ont suivi l’indépendance, comme si aucun événement n’avait fait
date au cours de cette longue période. Il n’y a ni passé ni futur à ce bloc
temporel presque abstrait et, bien sûr, globalement condamné, de même
que le Congolais de cette époque, comme individu, est violemment pris à
partie et placé face à ses propres défaillances et erreurs. La dynamique
interne au pays, celle qui libérerait le Congo de l’influence étrangère et des
trusts internationaux, aurait été totalement absente pendant ces « six
décennies ». Le schéma directeur de l’argumentation est le suivant : la
« personnalité culturelle » du Congolais aurait été anéantie par des siècles
de destruction (traite négrière, esclavage, passé colonial, néo-colonial). Il
ne peut donc accéder à l’idée « qu’il forge lui-même sa servitude » ; la
conscience historique lui manque, ce qui entraverait la formation d’élites
et ferait échouer « l’édification nationale ». Le déficit de la conscience
nationale signerait en somme l’échec de l’apparition des classes moyennes
qui auraient été à même d’assurer une part du développement.
La gageure de cet ouvrage, bâti tout entier sur des citations du livre de
Mabika Kalanda, est d’opérer une jonction entre les années 1960 et
l’époque actuelle, pour compenser le fait que l’histoire contemporaine,
d’après l’auteur, ne serait pas racontée. Mabika Kalanda lui-même l’écri-
vait en son temps : « Tableau sombre et tragique. Aboutissement logique
d’un enchevêtrement de situations qui remontent d’assez loin. Ma tâche
n’est point de les décrire, je n’ai ni la compétence, ni le temps nécessaire
pour ce faire » (p. 155). Le lecteur de Kabongo Malu s’attend dès lors à
trouver une réponse à cet aveu d’impuissance. Comment passer sous
silence, en effet, les années de dictature, d’horreur et de folie ? Mais il n’en
est rien et, à cet égard, la lecture du livre de David Van Reybrouck, Congo :
une histoire, est autrement plus passionnante et riche.
D’un point de vue formel, l’appareil de citations procède par une sorte
de martèlement. Ainsi, par exemple, les élites sont forcément « nombreu-
ses, expérimentées, aimant leur pays » (p. 161, 163, 169 ; avec la variante
« conscientes » en lieu et place de « expérimentées », p. 174, 204, 362 ; ou
l’ajout de « dévouées » devant « aimant leur pays »). De même, l’État est
forcément « prédateur et défaillant » (cf. p. 229 ; « failed state », p. 236,
etc.).
La grille d’analyse des situations politiques et sociales contemporaines
relève d’une psychologie sommaire, l’auteur amalgamant régulièrement
l’individu avec la société où il vit. La notion de « peuple », notamment,
gagnerait à être mieux définie : que signifie « la cohésion psychique et
matérielle » des peuples (p. 23), « l’unité psychique, politique et sociale »
(p. 240), ou encore « La Personnalité collective d’un peuple » (p. 147) ? Il
Comptes rendus (201

était peut-être au moins en partie justifié de penser, en 1965, que « le défi-


cit de conscience historique chez un peuple est cristallisé à la tribu et au
clan [sic] sans qu’émerge le véritable sentiment national qui offre des hori-
zons plus larges de mobilisation » (p. 137) ; mais depuis lors, le « senti-
ment national » n’a-t-il pas forcément reçu une certaine consistance,
notamment sous l’effet de la longue période du mobutisme, régime qui a
tout fait pour incarner ce sentiment en s’inspirant des recommandations
de… Mabika Kalanda ?
Signalons que l’édition est peu soignée : outre les coquilles, certaines
phrases sont incomplètes et les citations ne sont pas toujours précisément
référencées. En somme, un ouvrage volumineux de plus de 400 pages
dans le grand format de L’Harmattan, mais qui, outre ses défauts de fac-
ture, ne fait guère que ressasser, sans nuance ni mise à jour, les positions
initiales d’un homme politique décédé en 1985.

Frédérique THIAM

KANDÉ (Sylvie), The Neverending Quest for the Other Shore : An Epic
in Three Cantos / La Quête infinie de l’autre rive : épopée en trois
chants. English translation by Alexander Dickow. Middletown :
Wesleyan University Press, Wesleyan Poetry Series, 2022, XV-159 p. –
ISBN 978-0-819-58074-0.
Cet ouvrage propose une version bilingue français / anglais de La Quête
infinie de l’autre rive de Sylvie Kandé, paru initialement chez Gallimard
en 2011. Composée de trois chants, cette épopée moderne raconte la tra-
versée d’Aboubakar II, l’empereur du Mali du XIVe siècle, à la poursuite de
« l’autre rive » de l’Atlantique – soit ce continent qui ne s’appelait pas
encore l’Amérique. Le récit poétique bifurque à de nombreuses reprises,
imaginant diverses fins à cette traversée, mais renouvelant à chaque fois
les imaginaires de la « découverte » et promouvant une véritable vision
décoloniale de l’histoire. Le dernier chant constitue une rupture radicale
en racontant une autre traversée, celle des migrants dans la Méditerranée
d’aujourd’hui. Que ce soit pour dire l’uchronie ou pour raconter les migra-
tions contemporaines, le vers classique de Sylvie Kandé, jouant avec
l’alexandrin, donne une égale dignité aux acteurs de l’histoire.
Cette édition rend disponible en anglais l’uchronie de la poétesse et il
faut saluer ici le talent du traducteur Alexander Dickow, soutenu par des
bourses de traduction du PEN, qui a su rendre les variations linguistiques
et stylistiques du texte français avec brio. Un glossaire est adjoint à la
version anglaise, qui permet d’éclairer les points particuliers de lexique et
d’emprunts, ainsi que certains toponymes et noms d’empereurs. Il est
d’ailleurs à parier que cet ajout clarifie sensiblement la version anglaise
pour le grand public. Le traducteur a su trouver des équivalences pour les

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