Dictionnaire Historique Et Topographique de La Provence
Dictionnaire Historique Et Topographique de La Provence
Dictionnaire Historique Et Topographique de La Provence
HISTORIQUE
ET
TOPOGRAPHIQUE
DE LA PROVENCE,
ANCIENNE
ET
MODERNE
E. Garcin - 1835
A
ABEILLES (LES). Hameau de Verdolier. Voyez SAULT.
ÆGYTNA. Une des villes capitales des Oxibiens, peuplade celto-lygienne qui occupait
le littoral entre Antibes et la Siagne, Ægytna se trouvait au lieu appelé Gourjouan. Les
Romains la détruisirent, et forcèrent les habitans à se retirer dans l’intérieur des terres.
Plus tard, elle renaquit de ses cendres, mais elle fut anéantie par les Maures ou Sarrasins;
ce fut alors que les habitans allèrent se fortifier sur la hauteur où se trouve le village de
Mougins.
ÆRIA. Position ancienne, près de la rive gauche du Rhône, sur une hauteur, au lieu
même où est la tour de Lers, reste du Chateau-Neuf, dans le territoire de Bédarrides. On
n’en voit plus de vestiges.
La caranque d’Aurèle, entre Agay et la Napoulle, a fait faire plusieurs conjectures aux
savans qui ont exploré cette partie du littoral. La plus probable, c’est qu’on lui donna le
nom d’Auréle, à cause qu’elle touchait la voie aurélienne (lou camen aurelian), qui
suivait cette côte.
La Garonne d’Agay, sorte de torrent qui descend de l’Estérel, forme, avant d’entrer dans
la mer, un marais pestilentiel, unique cause de l’insalubrité de cette position maritime et
de l’éloignement de tous habitans. Voyez SAINT -RAPHAEL.
AIGOUX (SAINT). Cap sur la côte maritime du département du Var. Voyez VILLEPEY.
AIGUES. Rivière qui prend sa source dans le Dauphiné, passe par Nyons, entre dans le
département de Vaucluse, arrose les territoires de Cairanne, Camaret, Orange, et se jette
dans le Rhône en-dessus de Caderousse; son cours est de vingt lieues. Elle reçoit les
rivière de l’Oule, d’Ennuye et plusieurs autres ruisseaux. On trouve dans son lit des
géodes qui renferment des cristaux dans une marne durcie. Près de Nyons est un pont à
une seule arche, ouvrage des Romains. Quoiqu’il ne soit plus dans la Provence, nous
citerons un fait assez curieux: Un vent particulier descend tous les matins depuis la
source jusqu’au pont sans le dépasser, et remonte l’après-midi depuis le pont jusqu’à la
source, sans se faire ressentir en-dessus ni à une certaine distance des deux rives.
Le territoire fournit du vin, de l’huile, du foin, du bon blé et de belles racines de buis
dont les habitans, au nombre de 1,100, fabriquent des ouvrages recherchés dans le
commerce. Ces ouvrages ne sont pas aussi élégans que ceux qui nous viennent de Saint-
Claude, mais ils sont plus solides.
AINAC. Village à 5 lieues de Digne (Basses Alpes). Productions, les mêmes qu’aux
environs. Pop. 114 h.
AIX, Aquœ-Sextiœ. Ville fort ancienne, fondée par quelques Phocéens de Marseille
joints aux naturels du pays, qui voulurent quitter la vie sauvage. Cependant cette ville
reconnaît pour son fondateur Caïus-Sextius Calvinus, général romain, qui, l’an de Rome
630, vint s’établir dans ces lieux, pour préserver Marseille des incursions de ces
indigènes et de quelques autres peuples de la Celtique. Il remporta sur les premiers une
grande victoire près du lieu où est la ville d’Aix, à laquelle il donna le nom d’Aquœ
Sextiœ, formé, commé on voit, du nom de ce fondateur et de celui des eaux thermales
qui s’y trouvent.
Sous les empereurs, Aix devint colonie romaine. Mais, au temps de la décadence de
l’empire, elle passa successivement sous la domination des Wisigoths et des Français,
Les Sarrasins la possédèrent à leur tour. Après eux, elle fut soumise aux comtes de
Provence. Raymond Bérenger établit sa cour à Aix en 1235; et quoique ce siècle fût
encore grossier, les seigneurs provençaux y trouvaient ce qu’on appelait le gai saber et la
galanterie. La comtesse Béatrix, qui en faisait l’ornement, y avait amené, de la cour de
Savoie, plusieurs dames d’un nom illustre, dont quelques-unes inspirèrent la muse de
plusieurs troubadours.
Sous cette princesse, la cour de Provence devint la plus brillante de ce temps. Il était
d’usage alors aux jeunes filles, nées de parens nobles, de faire leur éducation auprès des
dames de qualité. Comme ces dernières étaient en grand nombre à Aix, elles y attirèrent
un plus grand nombre de demoiselles, tellement que chacune de ces maîtresses avait
plusieurs élèves qui faisaient, quoique dans un genre différent, les mêmes fonctions
serviles que la jeune noblesse faisait auprès d’un grand seigneur. Les demoiselles ne
quittant point leurs maîtresses soit à table, soit dans les cercles, soit dans les
promenades, faisaient que la moindre réunion offrait plus de gaîté et, par conséquent,
plus d’agrément qu’une grande fête dans toute autre capitale. D’après cela, il serait
difficile d’exprimer les jouissances qu’on éprouvait à la cour de Provence. Toutes les
dames se modelaient sur Béatrix, quoiqu’elle fût un modèle difficile à imiter. La vertu
chez elle était relevée par tout ce que l’esprit et la figure ont d’agrémens. Rien n’égalait
les charmes répandus sur toute sa personne. Ses discours étaient fins et bien conçus; ses
réponses belles et agréables, ses regards doux et accompagnés de sourire; son accueil
gracieux, et ses honnêtetés flattaient plus que les honneurs. Aussi la ville d’Aix
n’oubliera jamais d’avoir possédé dans son sein le modèle de toutes les princesses et de
toutes les dames de qualité.
Louis, piqué de cette résistance, et étant instruit des véritables motifs, alla mettre le
devant la ville d’Aix, sans pouvoir la réduire ni par les armes ni par les négociations. Il
leva le pour aller réparer sa faute en Italie; et comme il fut à Tarente, apprenant que la
ville d’Aix persistait dans le refus de le reconnaître, il la priva de ses privilèges, et
ordonna, en mars 1383, qu’on transportât à Marseille la cour souveraine et les archives
de la chambre des comptes.
Cet ordre ne fut point exécuté. Après la mort de ce prince, la reine Marie, mère de Louis
II, et régente du royaume de Provence, voulant punir la ville d’Aix de ce qu’elle avait
embrassé le parti de Charles de Duras, renouvela cet ordre, le 25 juillet 1385; mais il
n’eut pas plus de succès. Les habitans tinrent ferme dans leur résolution, malgré les
désastres qu’ils éprouvaient dans leur territoire par la licence et la fureur des troupes de
la régente. Ce ne fut qu’après la mort de Charles de Duras, qu’ils reconnurent pour roi le
jeune Louis II, ce qui valut à la ville d’Aix le maintien de ses anciennes prérogatives.
Le bon roi René affectionna tellement la ville d’Aix et la Provence, qu’il oublia d’avoir
été roi de Naples; tant est, que les vastes et nombreuses possessions ne font pas toujours
le bonheur des princes ni la prospérité des peuples.
Charles II, dernier comte de Provence et de Forcalquier, n’ayant point d’enfant, institua
Louis XI, roi de France, pour son héritier. La ville d’Aix approuva ce choix, et s’en
réjouit.
François 1er visita plusieurs fois cette ville, et y reçut tous les honneurs dus à son rang et
à ses mérites. (cependant ce prince étant dans le malheur, la ville d’Aix ouvrit ses portes,
le 6 août 1524, au connétable de Bourbon qui, à la tête d’une armée allemande et
piémontaise, venait asr Marseille. Le 9 août 1536, elle reçut Charles-Quint comme on
doit recevoir un potentat de l’Europe, sans considérer si sa visite était amicale ou si elle
avait des vues d’ambition. Il y fit son entrée en triomphateur, reçut la visite des
personnes notables; et puis, accompagné d’elles et des principaux de sa cour, il alla à la
cathédrale de Saint-Sauveur, non point pour rendre des actions de grâces à Dieu des
hauts faits d’armes qu’il avait faits à l’Estérel, au Muy, à Brignoles et à Saint-Maximin,
mais pour se faire couronner roi d’Arles et de toute la Provence. A la suite de la
cérémonie, il nomma un archevêque à la capitale qu’il venait de se donner, quoiqu’il y
en existât déjà un, et qui jouissait d’une bonne santé. Il divisa la Provence en plusieurs
principautés, créa des duchés et des marquisats, etc. Le lendemain, se croyant maître de
la Provence, il pensa qu’il était de l’intérêt de sa puissance de tenir un lit de justice dans
lequel il déploierait toute l’autorité souveraine: il le tint en effet; et après avoir cassé le
Parlement, les autres tribunaux et les consuls d’Aix, il érigea un sénat composé de cinq
sénateurs et de cinq avocats, qu’il avait amenés d’Italie dans ce dessein. A la place du
viguier et des consuls d’Aix, l’empereur établit un vicomte et trois tribuns. Enfin, en
reconnaissance du bon accueil qu’il avait reçu de cette ville, Charles-Quint, nouvel
O m a r, fit mettre le feu aux archives du palais, le jour même qu’il fut forcé de
l’abandonner pour se sauver à toute hâte en-delà de la frontière.
Les soldats huguenots se voyant maîtres de la ville, se livrèrent à toutes sortes d’excès
contre les catholiques, et ne négligèrent rien pour les empêcher d’exercer leurs devoirs
religieux, même lorsqu’ils étaient dans les églises. Mais l’excès le plus insultant eut lieu
le jour de Saint-Marc. Les catholiques avaient l’usage d’aller nu-pieds en pélerinage à
une chapelle assez éloignée de la ville. Les huguenots furent pendant la nuit semer sur le
chemin une grande quantité de Draines d’épinards, dont les pointes aiguës estropièrent
les pieds des pèlerins. Une pareille insulte ne fut point sans vengeance. Le 3 mai, jour où
les pénitens noirs avaient usage d’aller en procession à une chapelle hors des faubourgs,
un grand nombre d’hommes couverts d’une cape noire qui cachait des armes et une
carnassière remplie de pierres, sortent de la ville, surprennent le poste des huguenots qui
gardaient la porte, en terrassent plusieurs, et mettent les autres en fuite. De là ils courent
se rendre maîtres d’un autre poste, s’emparent de l’hôtel-de-ville, repoussent la Garnison
qui était accourue pour les combattre, la poursuivent l’épée dans les reins, lui tuent
beaucoup de monde, et finissent par chasser toutes les troupes jusque hors du territoire.
Cette guerre de religion couvrit la Provence de ruines, de sang et de deuil, et la ville
d’Aix fut souvent exposée aux plus vives alarmes.
La guerre civile ne fut pas le seul fléau qui désola cette ville. La peste y attira plusieurs
fois ses horreurs. Celle de 1580 surprit la ville d’Aix affligée depuis quelques mois d’un
rhume si violent, qu’il faisait découler des narines une humeur épaisse et visqueuse dans
laquelle il s’engendrait des vers. En juillet de cette année, la contagion faisait tellement
des ravages, que tous les tribunaux et tous ceux qui avaient quelques moyens prirent la
fuite, pour aller se réfugier dans les lieux non encore infectés. Parmi les personnes
marquantes, il ne resta qu’Honoré de Guiran, assesseur aux consuls, qui eut la générosité
d’exposer sa vie pour secourir ses concitoyens.
Cette année, les pluies fréquentes avaient empêché d’ensemencer la plus grande partie
des terres. Celles qui le furent, ou ne produisirent rien, ou ne donnèrent qu’une récolte
modique; et encore cette récolte germa-t-elle dans les champs avant qu’on eût fait la
moisson, ou dans l’aire avant qu’on eût foulé les gerbes. Ces pluies ayant continué
presque sans interruption pendant plus d’un an, les fleurs des oliviers et des arbres
fruitiers coulèrent, et les raisins pourrirent dans la vigne; de sorte que les trois fléaux, la
guerre, la peste et la famine désolaient, en même temps toute la Provence. La peste dura
sept ans, quoiqu’elle cessât par intervalles, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre.
La ville d’Aix perdit en dix mois seulement huit mille cinq cents personnes, parmi
lesquelles se trouvaient les médecins, les apothicaires, les prêtres et tous ceux qui se
faisaient un devoir de prodiguer leurs soins aux malheureux. On ne trouva plus de
fossoyeur qui voulût ensevelir les morts; aussi les cadavres restaient dans les rues ou
pourrissaient dans les maisons, à moins que les enfans n’eussent le courage d’inhumer
leur père et mère, ou ceux-ci leurs enfans.
Mais les passions de l’hypocrite parurent enfin à travers le voile mystérieux dont il les
couvrait. On s’aperçut qu’il entretenait une femme de mauvaise vie, et que pour soutenir
la réputation de prophète qu’il s’était acquise, il empoisonnait ceux dont il avait prédit la
mort. Le Parlement n’osant le faire arrêter publiquement, de crainte de soulever la
populace, ordonna au geôlier de le retenir quand il viendrait visiter les prisons. Dès qu’il
fut enfermé, ceux que la crainte ou une pusillanime superstition avait retenus, éclatèrent;
on découvrit des crimes-secrets que personne n’avait eu le courage de révéler, et le
coupable fut condamné, le 23 décembre 1588, à être brûlé vif. On assure qu’en allant au
supplice il ne dit que ces mots: à peccato vechio penitenza nova.
La peste de 1629 emporta près de douze mille personnes à Aix. Celle de 1720 y fut
introduite par des contrebandiers dont l’avidité du gain ne leur faisait point appréhender
une ville populeuse. M. de Vintimille du Luc, évêque d’Aix, animé du même esprit de
charité que M. de Belzunce à Marseille, se dévoua tout entier à la mort pour procurer des
consolations aux malheureux pestiférés. Les ecclésiastiques et tous les jeunes gens de
l’un et de l’autre sexe, appartenant aux meilleures familles, suivirent l’exemple du digne
prélat; les courtisanes même crurent ne trouver une occasion plus favorable pour expier
leurs criminelles complaisances, que celle d’aller dans les hôpitaux soulager les malades
en leur prodiguant des soins généreux.
C’est près de la ville d’Aix, qu’à l’époque de l’arrivée des Phocéens en Provence, se
trouvait la capitale des Ségobringiens, peuple qu’il ne faut pas confondre avec les
Saliens, car ils n’étaient que leurs alliés et avaient un chef particulier. Le roi des
Segobringiens fit transporter sa cour dans la ville commencée par les Marseillais. C.
Sextius s’en étant emparé, l’agrandit, la fortifia, l’embellit, la peupla en grande partie de
familles romaines, dédiant la ville au dieu Mercure, et les eaux thermales du pays à
Priape. Ces eaux étaient connues avant Sextius; les Ségobringiens en fesaient usage et y
étaient beaucoup attachés. Aussi virent-ils avec douleur qu’on élevât des fortifications
près de la source. Ils s’en plaignirent; et Sextius, pour les tranquilliser, leur assura que
les ouvrages qu’il fesait construire étaient destinés à conserver aux habitans ces eaux
précieuses dont ils se montraient si justement jaloux.
Le long séjour des barbares en cette ville et leurs dévastations furent cause que les eaux
se perdirent. Elles n’ont été retrouvées qu’en 1704, en enlevant les décombres d’une
vieille maison. Non seulement on découvrit une source d’eau chaude qui sortait à gros
bouillons, mais encore des bains, dont les dimensions montraient assez qu’ils avaient été
publics. D’ailleurs, un mentula de pierre, une quantité de médailles et d’inscriptions
trouvées parmi les décombres qui cachaient les eaux, attestent que ces bains étaient
réellement ceux qui avaient été bâtis par les Romains. On les a reconstruits de nouveau
pour le public, et on a fait à coté une rotonde au milieu de laquelle est une fontaine de
cette eau, où les pauvres vont boire ou se laver gratuitement.
Plusieurs chimistes ont essayé d’analyser cette eau. On a reconnu que sur vingt-cinq
livres se trouvent 12 grains de carbonate de chaux, 18 grains de carbonate de magnésie,
7 grains de sulfate de chaux, une quantité de gaz oxigène, et une matière animale de la
nature de la gélatine.
La ville actuelle ferait l’admiration des amateurs du beau, du majestueux, si elle n’était
point privée de ses monumens anciens qui attestaient le bon goût des Romains. Le
principal édifice qu’on y trouve est la cathédrale Saint-Sauveur; la façade n’en est pas
fort ancienne; les sculptures qui décorent cet édifice et la porte d’entrée sont de 1504.
Quelques personnes ont cru y reconnaître des sujets païens; mais les bons connaisseurs
n’y aperçoivent que deux prophètes et six femmes vêtues comme on l’était au seizième
siècle. Chaque compartiment est orné d’arabesques et séparé par des guirlandes de fleurs
et de fruits, le tout traité avec art et d’un goût peu commun; mais malheureusement cet
édifice a eu à souffrir du vandalisme révolutionnaire. On éprouve un sentiment pénible,
en voyant sur ce chef d’œuvre des temps modernes l’empreinte de l’ignorance, de
l’irréligion et de la fureur.
Cet édifice fut bâti au lieu même où se trouvait un temple dédié au Soleil. C’etait un vrai
monoptère dans le goût du Panthéon de Rome. Les colonnes du baptistère sont un reste
de cet ancien temple; elles sont toutes de marbre; cependant il y en avait deux en granit
de l’Estérel pris dans la carrière d’Esclans. On en voit encore une intacte; elle décore la
fontaine qui se trouve devant l’hôtel-de-ville d’Aix; cette pièce est ce que cette ville
offre de plus curieux.
Les Romains avaient élevé à Aix trois fameuses tours qui étaient, sans contredit, les plus
beaux monumens qu’ils eussent laissé dans les Gaules. Elles étaient enclavées dans une
vaste enceinte de murailles où se trouvait la demeure des gouverneurs, des prêteurs
romains et de tous ceux qui, dans la suite, ont administré la province. Ces monumens
furent respectés par les Barbares, et admirés par tous les princes qui avaient visité cette
ville. Pourquoi a-t-il fallu que la philosophie et l’inconstance du dix-huitième siècle
aient porté les hommes à anéantir ces chefs d’œuvre. Quelque temps avant leur
destruction, on avait découvert, au couchant de la tour dite du trésor, une rotonde
composée de huit colonnes de marbre ou de brèche de couleur verte. Comme cette
trouvaille excitait des disputes entre plusieurs envieux, on recombla cette fouille, et l’on
ensevelit ce monument précieux. Espérons du zèle, des lumières et du patriotisme de nos
administrateurs, qu’ils ne dédaigneront pas la gloire de rendre au pays ce qui peut lui
rester encore des trésors de l’Antiquité.
Le nouveau palais de justice se trouve au même local où étaient les trois belles tours. Ses
quatre façades, loin de nous les faire oublier, nous en font, au contraire, bien plus
déplorer la fierté. Heureusement l’intérieur de ce palais nous dédommage un peu de ce
que l’extérieur a de défectueux ou de disproportionné, Je dis un peu, car cet édifice ne
présente aucune pièce assez spacieuse pour contenir le monde qui accourt ordinairement
lorsqu’on juge une affaire intéressante.
Une salle de bains antiques existe sous la fontaine de la place aux Herbes. Cette salle est
une rotonde dans le pourtour de laquelle sont pratiquées seize niche contenant chacune
un de marbre et deux tuyaux dont l’un devait servir pour l’eau chaude, et l’autre pour
l’eau froide; mais depuis plusieurs années on en a fait murer l’entrée. Le canal des
fontaines offre à tous pas de belles pièces d’architecture qui croupissent dans la fange.
Cependant on conserve dans une salle de l’hôtel-de-ville une belle pièce de mosaïque et
le fameux bas-relief de l’accouchement de Léda; ce dernier morceau mérite sa
réputation.
La ville d’Aix avait autrefois une cour d’amour qui se distinguait sur toutes les autres
par les moyens de conciliation que les juges employaient pour pacifier les parties. Ils
trouvaient moins agréable de prononcer des sentences que de faire des amis et des
heureux. Les dames du pays se disputaient à l’envi la gloire de défendre l’innocence et
de la faire triompher de ses persécuteurs.
L’hôtel-de-ville, qui est digne de la capitale de la Provence, renferme une bibliothèque
plus riche que celle de Marseille; un seul don lui valut, à ce qu’on assure, près de quatre-
vingt mille volumes.
La faculté de droit de la ville d’Aix fut établie par le pape Alexandre V, ce qui attira dans
cette ville les principales lumières de la province.
La ville d’Aix est très-bien habitée, surtout pendant l’hiver; aussi la société y est-elle
excellente et fort polie; c’est, pour ainsi dire, un reflet de la capitale; les dames surtout y
brillent par leur esprit et leur aimable gaîté. Un tiers de la population y vit de ses
revenus. En été, les familles riches se disséminent dans la campagne, et laissent leurs
vastes maisons sous la surveillance d’un simple gardien.
Au faubourg Saint-Jean, il y a une fort belle caserne pour une place qui n’est pas
militaire; elle ne date que de 1730.
Le territoire d’Aix est fort aride, quoiqu’il touche à la rivière de Lar qui le traverse en
partie. Il en serait autrement, si la ville eût entretenu les aqueducs romains qui lui
amenaient les eaux de la Traconade de Jouques ainsi que celles de Saint-Antonin. La
terre est une marne calcaire blanchâtre, d’une nature crayeuse, et, par conséquent, peu
propre à la culture. Cependant on y récolte du vin, peu de blé, quelques amandes et très-
peu d’huile. La plupart des oliviers y étant constamment endommagés par le froid, on
s’attache à la culture du mûrier.
Les carrières gypseuses du territoire d’Aix offrent dans le calcaire marneux une quantité
abondante d’hélisses terrestres et fluviatiles, et d’empreintes de poissons d’eau douce.
Entre les plâtrières et la ville est un beau calcaire silicieux grisâtre, d’un grain tres-fin et
brillant, renfermant beaucoup d’ossemens pétrifiés qu’on avait pris pour des
antropolites, mais qu’on a enfin reconnu appartenir à des ruminans.
Cette sorte de brèche osseuse ne se montre pas au-dessus du sol. On y trouve également
des empreintes de palmiers, de joncs, de papyrus, de roseaux, de fougères, etc.
Les communes du ressort des deux justices de paix de cette ville sont, Aix, Éguilles,
Saint-Marc-de-Jaumegarde, Meyreuil, Tholonet, Vauvenargues et Venelle.
Trois grands personnages jouent leur rôle dans cette procession; ce sont le Prince
d’amour, le Roi de la bazoche et l’Abbat ou l’Abbé de la jeunesse. Le premier était pris
dans le corps de la noblesse, le second dans celui du barreau, et le troisième dans celui
des métiers.
Le Prince d’amour, drôlement costumé, était le principal officier des jeux. En cette
qualité, pendant toute l’année, il ait au conseil de la ville après les consuls, et y avait
voix délibérative. Mais comme cette charge était pour lui trop dispendieuse, il fut
remplacé par un autre personnage connu sous le nom de Lieutenant du Prince d’amour, à
qui on accordait une indemnité de mille francs, le droit de pelote et l’entrée gratuite au
spectacle; sa suite était composée d’un porte-enseigne, six bâtonniers, des trompettes,
violons, tambours, etc.
Le Roi de la bazoche, aussi drôlement costumé que le Prince d’amour, et ayant en sus le
Cordon Bleu et la décoration du Saint-Esprit, était précédé de son cortège qui était le
plus nombreux et le plus magnifique; 1° c’était le premier bâtonnier suivi d’une
compagnie de mousquetaires; 2° un second bâtonnier suivi du capitaine des gardes, du
connétable, de l’amiral, du grand-maître, du chevalier d’honneur et d’une compagnie de
gardes à casques; 3° le troisième bâtonnier et sa compagnie de mousquetaires, le guidon
du roi, le lieutenant du roi, les symphonies et les juges; 4° enfin, le Roi de la bazoche
entre deux gardes du Parlement, et suivi d’une troupe de jeunes gens invités par lui.
L’Abbat, tenant un bouquet à la main, était accompagné de deux abbés et d’une grande
suite de parens et d’amis. Il était précédé de dix officiers, un guidon, un porte-enseigne,
un lieutenant d’abbé et six bâtonniers qui commandaient les compagnies de fusiliers
attachés à l’abbadie, pour exécuter les décharges de mousqueterie. L’Abbat avait aussi
voix délibérative au conseil, et jouissait d’un droit de pelote.
La veille de la Fête-Dieu, vers les neuf heures du soir, les bâtonniers de l’abbadie et de
la bazoche parcouraient la ville accompagnés de fifres et de tambours. Dans leurs
différentes stations, les bâtonniers simulaient un combat à la lance, et saluaient les
dames en finissant chaque pas d’armes; ce jeu tout chevaleresque s’ appelait la passade.
Une heure après, le grand cortège du guet se mettait en ordre. La marche était ouverte
par la Renommée à cheval, sonnant de la trompette; un groupe de chevaliers lui servit de
cortège.
Ensuite venaient deux personnages grotesques, montés sur des ânes, entourés d’animaux
et escortés d’une foule d’enfans qui les poursuivaient avec des huées.
Après, c’était Momus avec ses grelots, Mercure portant les ailes et le caducée, la Nuit en
robe noire parsemée d’étoiles, et tenant à la main des pavots.
Le jeu du chat venait ensuite. Un Israëlite tenait une perche surmontée d’un veau en bois
doré; trois autres Hébreux, dont l’un tenait un chat à la main, se prosternaient devant
l’idole; Moïse arrivait, portant les tables de la loi; Aaron, revêtu de ses habits
pontificaux, cherchait à calmer le courroux de Moïse.
Les grands diables, au nombre de douze, arrivaient entourant Hérode; un homme vêtu en
femme, dont le costume parodiait la mode du jour, se tenait à côté d’Hérode, et le
brossait; on l’appelait la diablesse; mais elle représentait réellement Hérodiade; car, dans
l’origine, elle figurait dans un autre groupe où se trouvait saint Jean-Baptiste, et qui a été
supprimé.
Il était suivi du spectacle de la reine de Saba, qui n’est autre chose qu’une caricature;
trois suivantes, un danseur et un tambourin formaient toute sa suite; chaque fois que la
reine s’arrêtait, le danseur, tenant en main une épée dont la pointe supportait un petit
château garni de cinq girouettes, exécutait une danse, à l’imitation des baladins de
l’Inde; la reine, les mains sur les hanches, suivait les mouvemens du danseur, et lui
rendait ses saluts avec une gravité affectée les suivantes clôturaient le jeu en exécutant
aussi une danse.
Saturne et Cybèle paraissaient à cheval avec les attributs que la fable leur donne; ils
étaient suivis par deux troupes de danseurs; après venait le grand char de l’Olympe
portant Jupiter et Junon; Vénus et Cupidon présidaient aux jeux, aux ris et aux plaisirs;
la marche était fermée par les trois Parques qui étaient là pour rappeler que la mort
termine tout; ainsi finissait le guet.
Le lendemain, jour de la Fête-Dieu, vers les dix heures du matin, la procession était
précédée des groupes de la veille, qui avaient trait à l’ancien et au nouveau testament; il
en paraissait aussi de nouveaux que nous allons faire connaître.
Les tirassouns. C’était la scène du massacre des Innocens; Hérode présidait lui-même à
l’exécution; il était escorté d’un tambourin, d’un porte-enseigne et d’un fusilier qui, au
signe donné, fesait une décharge; quelques enfans, vêtus d’une seule chemise de toile
écrue, tombaient à terre et se vautraient dans la poussière; Moïse, à ce spectacle,
montrait au roi sanguinaire les tables de la loi.
La belle étoile. Les trois mages allant à Béthléem, précédés d’un ange portant une étoile
flamboyante au bout d’un long bâton; trois pages, chargés de présens, suivaient les
mages.
Les apôtres. Leur costume était oriental, et chacun d’eux portait un symbole propre à le
faire reconnaître; leur divin maître était avec eux, et marchait recueilli et comme accablé
sous le poids de la croix.
Saint Christophe. Un homme très-fort, caché sons un squelette énorme à longue barbe
blanche, et dont les bras étaient étendus en croix, portait sur une des mains un enfant
Jésus de carton.
Les chevaux-frus. Ces chevaux étaient de carton; un trou placé sur le dos permettait au
cavalier d’y passer jusqu’à la ceinture, où il fixait la carcasse du cheval avec des
cordons; le cheval était caparaçonné de manière que le bas de l’homme en était caché;
c’était le cavalier qui portait le cheval; il tenait de la main gauche la bride, et de la droite
une épée; cet escadron était guidé par un coureur, un héraut et un arlequin qui
s’évertuaient à faire des sauts et des gambades; les cavaliers exécutaient au son des
tambourins diverses manœuvres d’équitation, en fesant imiter à leurs chevaux tous les
mouvemens naturels du cheval.
La Mort. Les jeux qui précédaient la procession étaient terminés, comme ceux du guet,
par la Mort; mais elle avait déposé les attributs mythologiques pour se montrer dans
toute sa laideur.
Sitôt que les jeux étaient terminés, c’est-à-dire vers les quatre heures du soir, la
procession sortait de la cathédrale. Ce qui la distinguait et la rendait plus imposante,
c’étaient les trois cortèges du Prince d’amour, du Roi de la bazoche et de l’abbadie qui
venaient y étaler toute la pompe de leurs riches costumes, et y exécuter des décharges de
mousqueterie; c’étaient les corps de métiers et les corporations avec leurs bannières et
leurs drapeaux; c’étaient les autorités civiles et militaires et un nombreux clergé, au
milieu d’une foule immense arrivée de tous les points de la Provence et des provinces
voisines.
Cette cérémonie, qui a paru ridicule à quelques-uns, ne doit être considérée que comme
la fidèle expression des mœurs du temps, comme un mystère muet où tous les objets se
dessinent avec leurs véritables couleurs.
La marche du guet, qui se fesait la veille et dans la nuit, était un mélange de sujets tirés
de la fable et de la bible. Ce mélange n’était pas fait sans dessein; il se rapportait à ces
temps où le paganisme triomphait partout, excepté dans la Judée, où la vérité ne se
montrait qu’à demi, mais dans l’attente d’un triomphe prochain; c’est pourquoi toutes
les divinités païennes étaient rassemblées; mais leur marche était souvent interrompue
par des personnages tirés de l’ancien testament; c’était là le premier acte des mystères.
Enfin tous ces jeux allégoriques ayant cessé, la religion chrétienne se montrait
triomphante et dans toute sa pompe; c’était là le troisième et dernier acte des mystères.
La tradition, s’accordant avec le sentiment de quelques anciens auteurs, place une ville à
l’endroit précité, aux environs duquel il y a plusieurs chapelles ou restes de chapelles
antiques qui ont été dédiées par les chrétiens à saint Martin, à saint Jean, à saint
Georges; on y voit des restes d’un camp bien retranché appelé tourre vieillo. D’un autre
côté, on rencontre une grotte nommée par les habitans caverne de la chèvre d’or; elle se
trouve sur les flancs d’un rocher où sont gravées les lettres T, î, î, V; ces caractères sont
très-allongés et d’une grande dimension.
Ce lieu a été habité par les Romains, à en juger non seulement par la multitude de
tombeaux antiques, qu’on y rencontre souvent dans les terres, mais encore par des
fragmens de pièces d’architecture qui paraissent avoir fait partie d’un beau cénotaphe.
Un de ces fragmens se trouve sur la principale porte du village, et les autres dans les
murs extérieurs de la chapelle du cimetière.
Les Barbares du nord détruisirent l’ancien Aeria. Les Sarrasins achevèrent d’anéantir ce
qui subsistait encore. Ce fut ces derniers, sans doute, qui démolirent le cénotaphe dont
nous venons de parler. Mais ayant reconnu que ce monument n’avait été élevé que pour
éterniser la mémoire d’un homme qui avait cessé d’être, ils choisirent cet emplacement
pour ensevelir leurs morts. Aussi, dans ce cimetière, qui est le seul du pays, on trouve,
aux deux extrémités de chaque fosse, une pierre debout, comme on le voit aux tombes
des Musulmans.
Allein fit partie pendant longtemps du domaine des comtes de Provence. En 1257,
Benoît d’Alignano, évêque de Marseille, et probablement issu d’une famille noble
d’Allein, céda la haute seigneurie de sa ville épiscopale (Marseille) à Charles 1er
d’Anjou, qui lui donna en échange les terres d’Allein, etc. Le 24 mai 1473, Jean Allardo,
évêque de Marseille, échangea la seigneurie d’Allein pour la baronnie d’Aubarn avec le
roi René. Vers le milieu du quinzième siècle la seigneurie d’Allein fut donnée par le roi
de Franc, à Jacques II de Renaud, descendant du fameux Fouque de Renaud, podestat de
la république d’Arles et fut érigée en marquisat en faveur de César de Renaud, un de ses
arrière-petit-fils, par lettres patentes du mois de mars 1695; et cette terre est restée à
cette famille jusqu’à la révolution.
Le village est ceint de murailles flanquées par quatre tours. On y entre par quatre portes,
dont une avait sa herse en fer. Quelques places et plusieurs promenades embellissent les
avenues.
Le territoire est traversé par le canal de Crapone, et par celui de Boisgelin. Le premier
arrose et fertilise les terres; le second, au contraire, étant trop profond loin de servir à
l’irrigation, est un grand obstacle à l’écoulement des eaux pluviales. Le sol produit du
blé, du vin, peu d’huile et beaucoup de sainfoin. On y cultive principalement le mûrier et
l’amandier; aussi les cocons et les amandes forment la majeure partie des revenus des
habitans, au nombre de 1,368. Ils sont livrés uniquement à l’ agriculture; leurs mœurs
sont douces et sociales; ils ont le caractère extrêmement gai et vif; ils sont doués d’un
bon esprit. Dans aucune circonstance de la révolution, les agitateurs n’ont pu parvenir à
porter le peuple à des excès.
Allemagne a été un lieu considérable. Les eaux stagnantes de la rivière, les grands
défrichemens et, plus encore, les effets désastreux des guerres civiles se plurent à
dépeupler ce village. Le seigneur du lieu, un des chefs du parti des religionnaires, fut
assiegé dans son château par le baron de Vins. Leydiguières vint exprès du Dauphiné
pour secourir le seigneur d’Allemagne qui était son parent. Un combat meurtrier eut lieu
entre les Razats et les Carcistes; onze gentilshommes, quarante officiers, six cents
soldats périrent dans cette journée; de Vins fut complètement battu, mais le baron
d’Allemagne y perdit la vie.
De sages précautions ont rendu ce village plus salubre. Des bourgeois de Riez ne
dédaignent pas d’aller passer la saison des chaleurs dans leurs campagnes près
d’Allemagne, et de respirer l’air à toute heure du jour. Le territoire produit des truffes,
des noix, du blé, du fourrage, des légumes et surtout du vin exquis. Le village n’annonce
pas être dans une grande aisance; un grand nombre de maisons sont délabrées. Il y a peu
d’années, qu’une trombe d’air enleva la toiture de plusieurs habitations, déracina des
arbres et emporta un gros noyer avec toutes ses branches à une grande distance du lieu
où il avait été arraché. Population 730 hab.
ALLOS, ou Alloz, Allostrum. Petite ville chef-lieu de canton pour son territoire
seulement, à 6 lieues de Barcelonnette. Elle était la capitale des Gallitœ. peuple celto-
lybien. Il est fait mention d’Allos dans les trophées d’Auguste. On prétend que
Charlemagne fit bâtir l’ancienne paroisse qui se trouve à environ deux cents pas en-
dessous de la ville, et qui subsistera encore longtemps, malgré le peu de soin et de
respect qu’on a pour cet ancien édifice. On trouve encore des restes de fortes murailles
et de deux forts dont l’un est à l’est et l’autre à l’ouest de l’endroit.
Allos faisait partie de la vallée de Barcelonnette; la Foux, la Baumelle et Boucher sont
les trois principaux hameaux du territoire. Un grand nombre de ruisseaux arrosent la
campagne; les principaux sont, Auriac, Anchay, Boucher, Chancelaye, Roubions, Tapié
et Valsebière. Le climat est très-froid, le sol fertile; les montagnes, couvertes de gazon,
nourrissent en été une grande quantité de bétail venant des environs d’Arles; elles
produisent beaucoup de plantes médicinales fort estimées, et des framboises excellentes.
On y voit beaucoup de chamoix, des chèvres sauvages, des bartavelles et même des
gélinottes; on y trouve aussi du cristal de roche.
Dans le territoire d’Allos, et au sommet de la haute montagne du Laus, est un lac qui a
près d’une lieue de circonférence, et à certains endroits plus de trente pieds de
profondeur. Il donne naissance au ruisseau du Chadoulain, et fournit beaucoup de truites
excellentes et bien saumonées; on y en a pris qui pesaient jusqu’à cinquante, soixante et
quatre-vingts livres; pendant l’hiver, on les pêche en brisant la glace qui est à la
superficie. Plusieurs auteurs ont avancé que ce lac donnait naissance au Verdon, preuve
certaine qu’ils n’ont pas visité ce lieu, car la disposition du terrain leur eût prouvé le
contraire.
Le bois est abondant, mais il n’y a que le mélèze qui soit propre à la menuiserie; on s’en
sert également pour la charpente des maisons qui étaient couvertes en bois avant la mi-
décembre 1833, époque où toute la ville a été dévorée par les flammes. Les habitans au
nombre 1,410, sont naturellement vifs et emportés, mais l’éducation corrige facilement
leur caractère.
ALPINES. On donne le nom d’Alpines à toutes les montagnes et fortes élévations qui se
trouvent dans l’ancienne Provence, sur la rive droite de la Durance prise dans son ancien
lit; de sorte que toutes les hauteurs qui se trouvent entre Orgon, la Crau d’Arles et le
Rhône font partie des Alpines.
AMIRAT, Amiratum. Village du canton de Saint-Auban, à 15 lieues de Grasse (Var),
sous un climat pur et tempéré, et formé des hameaux Amirat, Barlet, Maupenq et Ubac.
La belle source du Barlet jointe à celle de Creisonnière arrose les prairies et les jardins.
Le pays avait autrefois beaucoup de vignes; on y recueille des fruits excellens. Les
habitans, au nombre de 140, sont d’un caractère ardent.
Un autre emplacement sur le plateau d’une élévation, porte le nom de la paro. Ce nom
semble dériver de paro œre, qui signifie acquérir par argent, acheter. Les gens du pays
pensent qu’il se tenait là le marché aux bestiaux, ce qui n’est pas invraisemblable, à
cause des grands pâturages et des nombreux troupeaux qu’on a de tout temps élevés
dans le territoire. D’ailleurs, le nom de ce plateau l’annonce de manière à n’en pouvoir
douter.
La voie aurélienne se montre encore sur plusieurs points du territoire. Elle a conservé le
nom de camin-roumiou. Il y a quelques années qu’on découvrit près de Mercanti, une
pierre miliaire dont on a inconsidérément enlevé toute l’inscription; et une autre miliaire
au commencement du siècle dernier, qui prouvait que la ville d’Antéa n’était pas loin de
là.
Il importait aux historiens modernes de s’assurer sur quel point se trouvait cette
ancienne capitale des Sueltereri, qui devint une station militaire sous les Romains. Mais
il leur était trop pénible de quitter les grandes routes pour aller gravir les montagnes et
explorer les territoires. Voila aussi pourquoi les uns ont hasardé de placer Antéa à
Ampus, et les autres à Aups, à cause sans doute de l’initiale de ces noms. Papon, au
contraire. ne trouvant pas assez d’analogie entre les noms d’Aups et d’Ampus avec celui
d’Antéa, dit tout bonnement que de ce dernier il n’en existe plus aucun vestige.
Cependant je peux assurer, sans crainte d’être contredit, qu’Antéa existe encore, et qu’il
conserve presque en entier son nom primitif. Je l’ai reconnu moi-même au hameau de
l’Antier, qu’on a corrompu par celui de l’Antier. Voyez ce qu’il en est dit à l’article
DRAGUIGNAN.
Le territoire d’Ampus fut distribué, à ce qu’il parait, à plusieurs familles romaines qui
vinrent y établir des villes plus ou moins considérables. Il y en eut une au quartier de
Reynier qui devint, dans la suite, un village. Il fut fortifié sous les comtes de Provence.
Pendant les guerres de religion, il servit de boulevard aux protestans qui menaçaient la
ville de Draguignan; mais ayant été battus complètement par les habitans de cette
dernière ville, ils ne furent plus en force pour défendre le lieu de leur refuge, et eurent la
douleur de le voir détruire ce même jour.
Le nom du quartier de Villote annonce assez qu’en cet endroit il y avait un autre villa.
La situation du lieu, la fertilité du sol, une source d’eau assez abondante, prouvent
qu’elle a dû être très-agréable et très productive. En-dessus de l’habitation actuelle, il y
avait un lac qui a dû servir de vivier aux poissons et aux coquillages dont les Romains
fesaient grand usage. Les atterrissemens ont presque comblé ce lac. Cependant, lors des
fortes pluies, il s’y ramasse encore deux ou trois mètres d’eau qui y attirent des oiseaux
aquatiques.
De temps en temps, on découvre dans les terres des fragmens de pièces d’architecture
qui paraissent avoir servi à des monumens païens, principalement à de petits temples
particuliers, que les Sarrasins détruisirent lors de leurs invasions.
Le hameau de Lagne ou Lagnéros vit, en 1745, une armée espagnole qui se rendait en
Piémont, camper auprès d’un grand puits qui porte le nom du quartier. Ce hameau n’est
formé que de fermes et de métairies. La campagne est très-giboyeuse; on y trouve
beaucoup de vipères dont la morsure est souvent très dangereuse.
Il parait que les premiers habitans du territoire d’Ampus avaient fait éprouver des pertes
considérables aux couquérans des Gaules. On peut en juger par le nom d’un quartier
appelé Malbosc (mauvais bois), et par les nombreux squelettes d’hommes qu’on a
découverts dans la terre ou dans du sablon, entassés par piles, reposant sur une longue et
large brique tumulaire.
Le village actuel est sur une élévation terminée par un précipice. Le territoire est d’une
étendue considérable en grande partie couverte de chênes blancs. Le sol produit du bon
blé et des truffes noires excellentes. Il y a une carrière de marbre qu’on a exploitée
pendant quelque temps, et qu’on vient d’abandonner. Pop. 1,200 hab.
ANATILIA. Cette ville, dont Pline fait mention, était près de l’embouchure du Rhône,
en-dessous d’Arles, et était la capitale des Anatilii. Les alluvions du fleuve en ont
couvert les fondemens.
ANATILII Peuple celto-lygien qui occupait la rive gauche du Rhône, près de son
embouchure, et qui avait Anatilia pour capitale. Cela étant, ce pays n’appartenait pas aux
Saliens, comme le prétendent plusieurs écrivains du siècle.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Saint-André, Allons, Angles,
Argens, la Celle-Michel, Courchons, Moriès, Méouille, la Mure et Peyresc.
A environ une lieue d’Annot, et sur la route d’Entrevaux, se trouve une grotte dite de
Saint-Benoît; elle est fort curieuse, non seulement par sa vaste étendue et par les
stalactites qu’on y voit, mais par les ossemens humains qu’on découvre dans les
enfoncemens les moins accessibles. On présume avec vraisemblance que ces ossemens
sont ceux des premiers habitans qui, pour avoir fait cause commune avec les Oxibiens,
les Déciates, les Suelteri et plusieurs autres peuples contre les Romains, furent, par ordre
de Fulvius, poursuivis jusque dans les bois et dans les cavernes où on les fit périr par les
flammes. On découvre encore dans la grotte Saint-Benoît des parties de charbon qui
semblent provenir du combustible qu’on employa pour exécuter cet ordre inhumain,
c’est-à-dire pour étouffer les malheureux qui, pour se soustraire à leurs ennemis,
s’étaient cachés dans cet enfoncement.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Annot, Saint-Benoît, Braux,
Fugeret, Méailles, Montblanc, Ubraye et Vergon.
Le sol, en partie sablonneux et en partie argileux donne des productions excellentes; les
plus recherchées sont les navets, les melons, les prunes et les cerises. On y fait le
commerce des céréales et des truffes des environs. Les fossiles sont très fréquens dans le
territoire. On y trouve une petite source d’eau bitumineuse et froide dont le peuple, pour
se purger, va boire jusqu’à soixante verres dans une matinée. Cette eau sort d’un trou
creusé en forme de puits sur une élévation; on la désigne dans le pays sous le nom d’aïto
blanco.
I1 y a aussi du nom d’Antea une anse entre Agay et la Napoulle. Du temps des guerres
continentales. Des Anglais y sont venus quelquefois faire aiguade. C’est de là que l’on
croit que les premiers Marseillais jetèrent les fondemens d’Athenopolis. (Ce ne fut peut-
être qu’un commencement de ville ou même qu’un temple dédié à Pallas. Vo y e z
ESTÉREL.
ANTIBES, Antipolis. Ville maritime et militaire, chef-lieu de canton, à 6 lieues de
Grasse (Var). Son encien nom dérive d’un mot grec qui signifie vis-à-vis, à l’opposé. En
effet, elle est située en face de Nice, mais en-deçà du Var. Elle fut fondée par les
premiers Marseillais, qui la gouvernèrent jusqu’à ce qu’elle fût tombée au pouvoir des
Romains. Ces derniers en firent une ville latine, l’agrandirent, l’embellirent de plusieurs
monumens remarquables, à l’exception d’un amphithéâtre. Il y avait une école
d’utriculaires, où l’on apprenait à naviguer sur des outres enflées. Un aqueduc conduisait
au cirque les eaux de Fonvieille, source qui se trouve sur le chemin de Biot; ce canal est
encore en assez bon état. Les eaux de la fontaine de Bouillie, à deux lieues d’Antibes,
sur la route de Grasse, venaient alimenter les fontaines et les bains publics.
La ville d’Antibes devint opulente par son commerce. Elle rivalisait avantageusement
avec plusieurs autres plus importantes. Mais l’invasion des Sarrasins et des pirates, les
incursions des peuples du Nord. Les différens s qu’elle essuya, firent disparaître son
commerce et ses habitans. Cependant elle en conserva assez pour être la principale ville
de la contrée, et elle eut des princes et des seigneurs particuliers. Les monumens furent
détruits et ensevelis sous les terres. De temps en temps on découvre de belles pièces
d’architecture, des pierres d’inscription, des tombeaux, des mosaïques, des médailles de
bronze du Bas-Empire, etc. La paroisse d’aujourd’hui se trouve au même emplacement
où il y avait autrefois un temple dédié à Diane, qui était la même que celle d’Éphèse et
de Marseille, à laquelle on avait consacré toutes les forêts du littoral. A côté de cette
église sont deux hautes tours qu’on croit avoir été bâties deux cents ans avant J. C.; ce
sont ces deux pièces seulement qui attestent l’ancienneté du lieu.
Dans cette église, ainsi que dans plusieurs autres; de la Provence, on y célébrait dans un
temps la fête des Fous, sorte de saturnale qui avait lieu le jour de Noël ou le jour de
l’Épiphanie. Le peuple s’y montrait avec toute l’indécence possible, chacun se piquant
d’employer le moyen le plus extravagant et le plus propre à changer le temple de Dieu
en une maison de scandale et de dissolution.
Chez les pères franciscains, également à Antibes, on célébrait la fête des Innocens de la
même manière que la populace célèbre aujourd’hui les derniers jours d’un carnaval.
Heureusement pour la religion, toutes ces scènes ridicules et scandaleuses ne se
renouvellent plus; elles furent introduites pendant les siècles d’ignorance, des siècles
plus éclairés les ont fait disparaître.
Le territoire d’Antibes n’est pas fort étendu, mais il est très-bien cultivé; toute la
campagne n’est que jardins, vignes et vergers; les oliviers y sont très-beaux, et l’huile en
est excellente; les figues sont préférables à celles de Grasse; les vins sont assez estimés;
les melons et tous les fruits, les légumes et les blés méritent la préférence qu’on leur
donne; le tabac de ce pays est ordinairement classé tabac de première qualité; les
orangers, les jasmins d’Espagne, les tubéreuses, les roses et les autres fleurs fournissent
aux fabriques de parfumeries et aux distilleries du pays pour les eaux de senteur. Le
séjour d’Antibes serait on ne peut plus agréable, si la ville présentait un peu plus
d’amusemens à la société, et surtout si l’on n’y était pas comme en prison.
APT. Ville des plus anciennes de la Provence; elle était capitale des Vullgientes, peuple
celto-lygien. On croit qu’elle s’appelait hat. Les premières phalanges romaines qui
pénétrèrent dans le pays détruisirent cette ville; mais Jules-César la fit reconstruire et lui
donna son nom: Alpta-Julia-Vulgientes. L’empereur Auguste afIectionna également
cette ville; aussi, après sa mort, on lui éleva un temple dans Apt fait qui est attesté par
plusieurs inscriptions. Le temple avait un certain nombre de prétresses spécialement
occupées à brûler des parfums et à chanter des hymnes en l’honneur de cet empereur. Il
paraît que ces prêtresses avaient le droit de se marier; une inscription trouvée à Apt
annonce qu’une fille nommée Vénonia Maximilla fit élever un monument aux dieux
mânes, en mémoire de sa mère, prêtresse du temple d’Auguste.
Les Romains embellirent cette ville à-peu-près de la même manière que tant d’autres où
l’on avait établi des colonies; mais elle n’eut point d’amphithéâtre, car on n’en élevait
que dans les villes du premier ordre. Sous Trajan, Apta Julia jouissait d’un droit italique
auquel diverses prérogatives étaient attachées. On ne sait point de quel empereur elle
l’avait reçu.
Lors de la décadence de l’empire romain, la ville d’Apt essuya diverses révolutions qui
lui firent perdre une partie de son ancien lustre. Les Sarrasins vinrent ensuite comme on
réparait la ville, et ils la ravagèrent de nouveau Ce ne fut que vers la fin du dixième
siècle que ces malheurs cessèrent, et qu’elle parvint à se relever à-peu-prés de ses ruines.
Ce n’est guère que de cette époque que date la cave souterraine qu’on voit dans l’église
cathédrale, où l’on trouve diverses pierres gravées de plusieurs figures, et qu’avaient
vraisemblablement servi à quelque temple des dieux du paganisme. Mais cette
particularité doit-elle faire penser que la cave sacrée a été construite avant l’ère
chrétienne? Non, certes; car ces pierres sont disposées sans ordre, placées çà et là au
hasard, ce qu’on n’eût point fait dans un temple consacré aux dieux.
En 1562, du temps des guerres de religion, la ville d’Apt fut assiégée par le baron des
Adrets. Les habitans lui opposèrent une résistance héroïque; mais ils auraient été
infailliblement forcés de se rendre, si le comte de Sommerive ne fût promptement venu à
leur secours.
Les gens d’Apt croient communément que sainte Anne vint finir ses jours dans cette
ville qui, tous les ans, en célèbre la fête. La reine, mère de Louis XIV, en 1623, fit écrire
à l’évêque de cette ville pour qu’on priât la sainte d’intercéder afin qu’elle eût bientôt un
dauphin. La fête de sainte Anne étant un jour de foire pour ce pays, est cause que la
plupart des Provençaux ne connaissent cette ville que sous le nom de Santana d’Apt, ce
qui signifie Sainte-Anne d’Apt.
La ville d’Apt n’est pas bien grande; elle est entourée de murailles vieilles, mais très-
solides. Son éloignement de la mer des grandes rivières et des principales routes est
cause qu’elle n’a pu étendre son commerce ni s’attirer une grande réputation. Elle n’en
est pas pour cela plus malheureuse; au contraire, son existence, depuis le départ des
Barbares, a été des plus paisibles et des plus heureuses.
Les habitans ont des mœurs. et ne s’exposent que rarement à être repris de la justice.
Les environs offrent toutes les matières premières pour cette dernière fabrication; de
bonnes argiles rouges, de blanches et de vitrifiables servant à la faïence; d’autres argiles
plus compactes propres à la fabrication des eaux fortes qu’on y distille également. Les
coteaux situés à l’est fournissent un sablon fin, léger qui rend les argiles plus fusibles
dans les fabriques de faïence; il relève l’émail de leur couverture.
En creusant dans les terres des environs d’Apt, on trouve plusieurs autres productions
précieuses et curieuses; tantôt c’est une ocre supérieure à toutes celles qu’on connaît
ailleurs; tantôt ce sont des pyrites qui annoncent des minerais et des fossiles; tantôt ce
sont des pétrifications de plusieurs objets différens; ici ce sont plusieurs sortes de
coquillage, principalement des cornes d’Amon, qui sont minéralisées avec le cuivre et le
fer; là ce sont des poissons plats, tels que la dorade, la sole et autres à demi-pétrifiés et
très-bien conservés jusqu’aux nageoires ailleurs ce sont des carrières de gypse enrichies
de cristaux selénitiques, et quelquefois des pierres spéculaires; toutes ces curiosités sont
connues depuis longtemps.
On trouve également aux environs d’Apt beaucoup de silex très-fin, dont on se sert pour
la fabrication des pierres à fusil. Celles qui proviennent des fabriques d’Apt sont fort
estimées; elles sont ordinairement claires, transparentes, sans tâche et de couleur fauve.
Heureuse est la ville qui excelle dans son industrie; il est hors de doute, qu’avec la
probité et l’amour du travail, elle parvient toujours à la fortune.
La ville d’Apt est très-froide en hiver et très-chaude en été, à cause de sa situation dans
une longue vallée entourée de coteaux dominés par des montagnes nues du côté du nord,
et couvertes de neige une partie de l’année. Ces coteaux sont complantés de vignes et
d’oliviers, et embellis par plusieurs maisons de campagne agréables; la plaine offre des
terres à blé, des prairies et beaucoup de mûriers pour la nourriture des vers à soie. Le
pays est assez bien habité; on y trouve beaucoup d’habitans qui jouissent d’une honnête
aisance. Leur vie est douce et agréable; éloignés du tumulte du monde, ils se réunissent
dans des sociétés intimes et familières, où l’on trouve plus d’amitié, moins d’égoïsme et
des passions plus modérées. Leur exemple sert de modèle à la classe industrielle, et tout
le pays s’en ressent.
La ville d’Apt n’a plus son évêché; elle est un chef-lieu d’arrondissement du
département de Vaucluse, sur le Calavon, à 188 lieues de Paris; elle a quatre foires dans
l’année, celles de Saint-Clair, de Sainte-Luce, de Quasimodo et de Ste-Anne. Pop. 5,727
hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Apt, Auribeau, Caseneuve,
Castellet, Gargas, Gignac, la Garde, Saint-Martin-de-Castillon, Rustrel, Saignon, Saint-
Saturnin, Viens et Villars.
ARALUCI, Aralucis, nom qui signifie Autel de la lumière. Tout les historiens modernes
ont donné à tort le nom d’Aralacis au village de Mandelieu. On pense avec plus de
vraisemblance que ce village s’appelait Ad Lucum, et que Aralucis désignait la grotte de
la Sainte-Baume, sur le revers de la montagne de l’Estérel, du côté de la mer. En effet, il
semble que les rayons du soleil, passant par une ouverture qui se trouve encore au haut
de la voûte, dardaient sur un point intérieur de la grotte où il parait qu’anciennement il y
avait un autel païen; on croit reconnaître encore l’emplacement du trépied sur lequel le
grand prêtre rendait ses oracles.
ARCHE (L’), et par corruption LARCHE, Archia. Ancienne ville du canton de Saint-
Paul, à 5 lieues et demie de Barcelonnette, et à 2 lieues de l’Argentière, village du
Piémont, pays des Oratelli, peuple des Alpes maritimes, que les auteurs anciens
s’accordent à placer près des Nementuri. Il y avait autrefois un fort carré dont on voit
encore quelques restes. C’est entre le lac de Lauzagni et celui de la Magdeleine que se
trouve la ligne de démarcation entre la Provence et le Piémont. Le premier lac donne
naissance à l’Ubayette; les eaux du second vont grossir le Pô qui a son embouchure dans
la mer Adriatique.
Les plantes les plus remarquables par l’éclat de leurs couleurs ou par la suavité de leur
parfum, qui se trouvent sur les montagnes pastorales de la vallée de Barcelonnette et
notamment sur la montagne de l’Arche sont, le lys bulbifère, le lys martagon, le lys
pampon, la fritillaire méléagre, le panicaut des Alpes, le sabot de Vénus, l’épilobe en
épi, l’aconit Napel, l’aconit paniculé, l’aconit anthora, le trollius d’Europe, le ciclamen
d’Europe, l’ancholie vulgaire, les ancholies visqueuse et alpine de Linné, l’asphodèle
rameux de Linné, la violette à éperon, la violette à grandes fleurs, la violette jaune, la
tulipe sauvage, la Daphné, le pied d’alouette élevé, etc., etc.; toutes ces fleurs pourraient
être cultivées dans les jardins.
Il ne pourrait pas en être de même du plus grand nombre de fleurs qui viennent
naturellement dans cette région froide, et parmi lesquelles nous citerons particulièrement
l’orchis noir qui répand une forte odeur de vanille, l’orchis odorant, l’orchis canopsea,
les primevères, les saxifrages, les androsaces et une infinité d’autres qui, au printemps
de ces pays, charment la vue et pénètrent les sens.
D’autres pensent que le nom de cette commune provient de plusieurs arcs en bâtisse que
les Romains y avaient construits, on ne sait trop pour quel objet. On y en voit encore
quelques-uns vers la partie haute du village. Je pense que ces arcs sont les restes d’un
retranchement romain qui fut fait lorsque les armées d’Antoine et de Lepidus étaient en
présence sur les deux rives du flumen Argentum. Ce retranchement a dû être construit
par Antoine qui se trouvait sur la rive gauche; Lépidus en avait également construit un
sur la rive droite et dans le territoire de Vidauban. Il parait que le retranchement
d’Antoine fut, dans la suite perfectionné; car il existe de beaux restes de constructions
qui ont résisté aux siècles et au génie destructif des hommes. Nous citerons
principalement la tour qui domine un grand précipice, la tour dite de la vieille église,
celle de Vachère, et celle appelée fort Barro qui défendaient la place sur tous les points
dont l’accès était facile.
Sur la rive gauche de l’Argens, et à une petite distance du pont actuel, se trouvent
d’autres vestiges de construction romaine, qui annoncent que sur cet emplacement il y
avait un temple à oracle, Il existe encore une partie du souterrain par où l’on faisait
disparaître ceux qui avaient le malheur de s’apercevoir de la fourberie des prêtres païens,
et qui n’avaient pas la prudence de se montrer croyans. Le souterrain conduisait à la
rivière, où les victimes, après avoir été poignardées, étaient précipitées dans un gord.
Les Templiers s’emparèrent de cet édifice et en firent une de leurs demeures. Les guerres
intestines la détruisirent en grande partie, et les gens du pays ont abattu le reste. Une
ferme voisine est entièrement construite des débris du temple et du monastère. On
rencontre à tous pas, dans la terre labourée, des fragmens de tuiles romaines, et des
débris de mosaïques en marbre de différentes couleurs.
Au devant de la ferme sont deux pierres miliaires en granit: une seule présente encore
des restes d’inscription, mais difficiles à être copiés.
Le village des Arcs est bâti en amphithéâtre, sans ordre et sans goût, sur une belle
exposition au midi; les rues sont sales et étroites; les eaux des fontaines, principalement
celle dite du Saouzé, sont fort bonnes, et arrosent, de concert avec une autre belle
source, une grande partie de la campagne qui produit abondamment du vin, de l’huile,
du foin, du blé, des haricots et surtout des melons très-estimés. Il y avait, en 1814, une
fabrique de sucre de betteraves et de sucre de raisin; mais cet établissement tomba à la
paix continentale. On trouve encore dans le pays des fabriques d’eau-de-vie et une
filature pour la soie. Population 2,500 hab.; foire, le 29 août.
On voit, à l’est du village, près de la forêt des Maures, une fontaine d’eau ferrugineuse
qui dépose une sorte de terre jaune ocracée. Au lever du soleil, on y voit sur l’eau
surnager une sorte de crème légère dont les couleurs approchent de celles de l’arc-en-
ciel. L’alkali phlogistique en précipite un peu de bleu de Prusse; le reste n’est qu’une
chaux de fer qui rend cette eau un peu minérale, et dont on pourrait se servir dans le
besoin. C’est dans le territoire des Arcs que se trouvait le monastère de la Celle-
Roubaud, qui prit ensuite le nom de Sainte-Rosseline. Voyez ce mot.
Quelques-uns pensent que le nom d’Argens fut donné à cette rivière, parce qu’elle
roulait autrefois dans ses eaux un sable très-fin et un peu argenté.
La rivière d’Argens offre des cataractes près de la chapelle Saint-Michel, entre Vidauban
et le Thoronet; la rivière se précipite du haut d’un rocher très-élevé dans des gouffres
très-profonds, et l’eau disparaît entièrement pour aller ressortir à une certaine distance;
ces cataractes sont une belle horreur qui mérite d’être vue. Un paysan eut le malheur de
s’y laisser entraîner par l’eau en présence de plusieurs personnes; le fil de l’eau le
conduisit à l’endroit qui avait le plus de profondeur; et comme il ne frappa sur aucun
rocher, il revint bientôt au-dessus de l’eau écumante. Il appela du secours pendant
longtemps, mais le grand bruit fit que personne ne put l’entendre; d’ailleurs on le croyait
mort, et les spectateurs s’empressèrent de fuir un lieu qui leur avait offert une scène si
déplorable. Ils allèrent porter cette fâcheuse nouvelle à Vidauban, pays du malheureux
noyé.
Cet infortuné ne s’étant fait aucun mal, attendit jusqu’au lendemain, pour voir si l’on
viendrait le secourir. Mais ne voyant arriver personne pour lui jeter des cordes afin de le
retirer de ce gouffre, pressé par le froid et par la faim, il se résigne à la mort. N’étant pas
bien aise de souffrir longtemps, il se précipite en plongeant au fond des eaux, et en se
dirigeant du côté où elles fuyaient; la force du courant le pousse avec une rapidité
surprenante, et va le jeter sur le sable à une petite distance en dessous de l’endroit où la
rivière reparaît. Un laboureur, en allant abreuver ses bœufs, l’aperçoit lui prodigue
ses soins, et le conduit à Vidauban au moment même où sa famille lui fesait rendre les
bonheurs funèbres.
C’est sur les rives de l’Argens, entre Vidaubal et les Arcs, et en face du Forum Voconii,
que les armées d’Antoine et de Lépidus furent quelque temps en présence. A quelques
centaines de pas du pont actuel se trouvait le pont des Romains. On en voit encore les
culées, dont une est au milieu de la rivière et à une assez grande profondeur.
Les alluvions de l’Argens ont formé la vaste plaine entre Roquebrune, le Puget et Fréjus,
qui, dans le principe, n’était qu’un golfe. Vers le milieu du siècle dernier, en creusant un
puits près d’une grande ferme sur la rive gauche de la rivière, et presque en face de
Roquebrune, le terrain s’éboula. Les effondreurs, d’abord effrayés, descendirent
jusqu’au fond, et trouvèrent une maisonnette avec plusieurs ustensiles de ménage fort
anciens.
Les différentes couches de terrain vues dans cet éboulement sont très-marquées; tantôt
on distingue le schiste micacé des hauteurs de la Garde-Freinet; tantôt on reconnaît le
calcaire graveleux ou argileux, ou ferrugineux des collines au nord; tantôt, enfin, on peut
se convaincre que les terres de grès de la région de l’Estérel ont aussi contribué à
combler ce vaste golfe pour en faire un des greniers du département du Var.
ARLES. Quelques auteurs modernes ont fait remonter l’origine de cette ville à la plus
haute antiquité. Plusieurs ont voulu la rendre la capitale des Saliens, et ont assuré que
Protis, un des chefs de la première colonie phocéenne qui vint en Provence, alla en ce
lieu demander au roi Nanus ou Comanus la permission de fonder une ville sur la côte de
ses états. Cependant Pline dit que les Anatilii habitaient vers l’embouchure du Rhône; et,
à cette époque, la mer était très-rapprochée du lieu où se trouve Arles. Nul auteur ancien
n’a fait mention de l’existence de cette ville avant la fondation de Marseille. Nous
savons que la bourgade qui servait de chef-lieu aux Saliens était la capitale de tous les
peuples alliés aux Saliens. Une capitale où se tenaient les assemblées générales de la
nation devait occuper un point central, et non pas être tout-à-fait à l’extrémité, et séparée
des autres bourgades par des déserts, par des marais impénétrables, et surtout par une
grande rivière difficile à traverser, telle que celle de la Durance, qui, dans le principe, au
lieu d’aller se jeter dans le Rhône, passait d’abord d’Orgon à Lamanon, entrait dans la
Crau et se jetait dans la mer, près de Foz-les-Martigues; et ensuite d’Orgon passait par
Saint-Gabriel, les Baux, et resserrait le territoire d’Arles entre elle et le Rhône.
La ville d’Arles n’a pas existé avant César. Les Anatilii ont pu être alliés des Saliens;
mais il ne connaissaient pas l’art de construire des maisons, quoique leur chef-lieu
s’appelât Anatilia. Lorsque Scipion fut à la poursuite d’Annibal, ce général romain passa
au lieu où se trouve la ville d’Arles; et Polybe, historien de cette guerre, ne parle nulle
part qu’il y existât des traces d’une habitation. Marius même, lorsqu’il divisa les eaux du
Rhône dans le canal qu’il fit creuser à une très petite distance du lieu où Arles fut bâti,
n’aurait pas manqué de la connaître: il se serait fait un devoir de la préserver de l’attaque
des Barbares. Les Barbares eux-mêmes, qui passèrent le Rhône sur ce point, auraient
saccagé cette ville, si elle eût réellement existé.
César est le premier auteur qui fasse mention d’Arles, non comme une ville, mais
comme un lieu propre à la construction des galères. Il nomma ce lieu Arelate, qui
signifie large plaine. Il ne dit pas que les habitans furent employés à la construction de
douze galères destinées contre Marseille, mais qu’il envoya des ouvriers pris dans ses
légions, et qu’ensuite, après avoir jugé de l’importance du lieu, il envoya le questeur
Tibérius avec une colonie pour s’y établir. Voilà donc la véritable origine de la ville
d’Arles.
Une inscription nous apprend que le préfet du prétoire transporta son en cette ville,
quand les Barbares se furent emparés de Trèves. Il y résidait avec beaucoup d’autres
officiers qui occupaient les premières charges de l’empire en deçà des Alpes. De là vient
qu’on y tenait tous les ans l’assemblée générale des sept provinces qui étaient encore
sous la domination romaine. Ces prérogatives méritèrent à la ville d’Arles le titre
glorieux de Métropole des Gaules, que les empereurs Honorius et Valentinien lui
donnèrent.
Cette ville, par sa position, devint bientôt l’entrepôt des Marseillais et des peuples de
l’intérieur.
L’appas du gain y attira un grand nombre de familles romaines et gauloises. Les unes
bâtirent Tarascon et Avignon sur le bord du Rhône; les autres, Cavaillon sur le bord de la
Durance. Les revers qu’éprouva Marseille attirèrent tout le commerce à Arles, et cette
ville devint si peuplée, si riche, si florissante, que le grand Constantin l’affectionna
vivement, lui donna son nom: Nobile totius Gallitcœ imperium, l’orna d’un grand
nombre de beaux édifices et y établit sa résidence. Ce fut cet empereur qui défendit les
jeux de l’arène; il y substitua les courses d’hommes et de chevaux, la joute, les sauts,
décernant des prix à ceux qui s’y distinguaient. Il permit la fête des Mados; c’était une
suite des fêtes du paganisme, en l’honneur de la déesse Maïa. Le premier jour de mai,
une fille richement parée était placée sous un dais, ses amies demandaient poliment aux
passans quelque pièce de monnaie pour acheter une bague, un collier ou une écharpe à la
Maio. Cet usage subsiste encore dans quelques communes; mais on n’expose que des
filles jeunes, et cette fête n’est considérée que comme un jeu d’enfant.
Constantin eut pour successeurs ses trois enfans. L’empire des Gaules échut à Constantin
le jeune, et cet empire comprenait l’Angleterre, l’Espagne, les Alpes Cottiennes, et tout
ce qui se trouvait entre les Alpes et l’Océan. Ce jeune empereur eut à lutter contre un
usurpateur qui, ayant su s’attirer la confiance des troupes, se fit proclamer empereur des
Gaules, et s’empara d’abord de l’Angleterre. Ce tyran, encouragé par le nom de
Constantin qu’il portait, envahit une partie des Gaules et vint établir à Arles le de son
empire. Des forces furent bientôt dirigées contre lui. Il fut obligé d’aller se renfermer
dans Valence; mais, ayant été secouru par le chef de l’armée d’Angleterre, il repoussa
ses ennemis, et fut faire la conquête de l’Espagne. Honorius, empereur d’Occident,
craignant sans doute pour ses états, fit la paix avec l’intrus et l’associa à l’empire.
L’usurpateur revint à Arles pour se reposer de ses fatigues et jouir du fruit de son
usurpation. Mais un autre tyran, nommé Constance, vint le surprendre dans cette
capitale. Après quatre mois de, la ville se rendit. Constantin, pour se soustraire à la
fureur de ses ennemis, crut devoir recourir à une religion qui n’est pas celle des rois
illégitimes. Il se fit sacrer prêtre, et se présenta au général de Constance revêtu des
habits pontificaux. Mais il fut arrêté ainsi que son fils, envoyé à Honorius, et massacré
en route par des soldats qui, quoique au service d’un usurpateur, détestaient ceux qui se
livraient au crime de l’usurpation.
A cette époque, la ville d’Arles se trouvait divisée en deux parties; celle sur la rive
gauche du Rhône était la ville de Constantin. Cet empereur y fit bâtir le château de la
Troulle qui fut longtemps la demeure des souverains. Il fit reconstruire les murailles qui
tombaient de vétusté, et convoqua lui-même en cette ville le premier concile, où l’on
condamna les erreurs les Novatiens. La partie sur la rive droite du fleuve. s’appelait la
ville de Saint-Géniez, en mémoire du martyre de ce saint. Cette dernière subsiste encore
en petite partie, et c’est le faubourg de Trinquetaille qui, naguère, communiquait à la
ville par un pont de bateaux, et actuellement par un joli pont en fil de fer.
Le haut rang que cette ville occupait dans l’empire était soutenu par une grande
magnificence. Peu de villes pouvaient à cette époque, offrir de si beaux édifices et de si
grands monumens. Plusieurs empereurs se plurent à l’embellir. Parmi ces vastes édifices,
quelques-uns offrent encore de beaux restes; mais le plus grand nombre a disparu ou va
bientôt disparaître.
Après avoir été pendant six siècles sous la domination romaine, la ville d’Arles tomba,
en 480, au pouvoir des Wisigoths, conduits par Euric leur roi, qui régnait déjà sur toute
la Narbonnaise première, c’est-à-dire depuis le Rhône jusqu’à l’Océan, et qui avait
Toulouse pour capitale.
Les Francs, après avoir défait les Bourguignons, qui s’étaient établis dans la partie de la
Provence en-delà de la Durance, et qui s’étendaient jusqu’en Suisse, vinrent, sous la
conduite de Gondebaud, mettre le devant Arles. Ils cernèrent la ville et la réduisirent à la
famine Les assiégés se défendaient avec valeur, et tous les jours ils faisaient éprouver
des pertes plus ou moins considérables aux asans. Quelques traîtres, sous des vues de
récompense, résolurent de livrer la place à l’ennemi. Un ecclésiastique, frappé des
horreurs qui se commettraient dans la ville si elle venait à être prise d’assaut, et croyant
la chose inévitable, descendit par les remparts durant la nuit, et alla se rendre aux Francs.
Comme ce prêtre était parent de saint Césaire, il n’en fallut pas davantage aux ennemis
de la religion pour accuser ce saint évêque d’entretenir des intelligences avec l’ennemi.
C’en était fait de ce saint prélat, quand le hasard, ou plutôt une permission divine, fit
découvrir les véritables traîtres. Un Juif pendant la nuit lança à l’ennemi une pierre à
laquelle était attaché un billet qui promettait de lui livrer le poste occupé par les
Israëlites, sous la condition, que lui et les gens de sa secte conserveraient leur vie, leurs
biens, et qu’ils auraient part au pillage de la ville. Le bras qui lança cette pierre ne fut
pas assez vigoureux; elle fut trouvée par une patrouille, et portée à celui qui commandait
la place. Le Juif et ses complices furent à l’instant punis, et saint Césaire fut rétabli dans
son église avec tous les honneurs dus à sa dignité et à ses vertus.
Des troupes de renfort arrivèrent pour délivrer la ville. Les Francs furent poursuivis par
Théodoric, qui leur enleva tout le Languedoc et chassa les Bourguignons de la Provence.
Après cette conquête, Théodoric rentra dans Arles où il fut reçu avec les plus vives
démonstrations de joie et de reconnaissance. Il rétablit dans cette ville le de la préfecture
des Gaules. Les Provençaux regrettant le gouvernement romain, aimaient tout ce qui leur
en retraçait l’image. Aussi se soumirent-ils à leur nouveau préfet qui les gouverna avec
sagesse pendant tout le temps qu’il occupa cette place, c’est-à-dire depuis l’an 511
jusqu’en 529.
La ville d’Arles jouit de la plus grande tranquillité jusqu’en 566, époque de la mort de
Clotaire. Deux des fils de ce roi, Sigebert et Gontran, se disputèrent la possession de
cette ville, quoiqu’elle fût du domaine de Gontran. Sigebert l’ayant surprise sans
défense, s’en empara, et exigea le serment de fidélité des habitans. Mais bientôt il se
convainquit qu’un ambitieux ne peut guère compter sur un serment obtenu par la force
ou par la terreur. Gontran, indigné de la conduite de son frère, accourut avec une armée,
pour reprendre une place qu’on lui avait ravie si indignement. Les habitans engagèrent
les troupes de Sigebert à faire une sortie générale pour surprendre l’armée de Gontran
qui dormait dans ses tentes en pleine sécurité. Mais dès que les soldats de Sigebert furent
hors des murailles, les portes de la ville furent fermées; et, pris entre deux feux, ils
furent tous écrasés ou passés au fil de l’épée. Ceux qui échappèrent au carnage se
précipitèrent dans le Rhône, préférant la mort à une honteuse défaite.
Sous son véritable maître, la ville d’Arles jouit de ses prérogatives, et sa tranquillité ne
fut proprement troublée que dans le huitième siècle.
Ils en furent écartés par la vigoureuse résistance des habitans qui occupaient la rive
gauche du Rhône
A cette nouvelle, Charles-Martel vint asr les Barbares, qui s’étaient réunis en grand
nombre dans Avignon, escalada les remparts, mit le feu à la ville, et passa au fil de
l’épée tous les Maures qu’il rencontra. Il parcourut ensuite toute la Provence, chassa
devant lui les Sarrasins ainsi que le traître Mauronte, et les força à aller se réfugier au
milieu des bois et des neiges des montagnes du Dauphiné et du Piémont. Mais ils en
sortirent bientôt pour venir exercer à nouveau dans la Provence leur rage et leur fureur
Charles-Martel revint aussi; et, de concert avec le roi des Lombards, il défit
complètement les Barbares dans le comté de Nice et sur le bord de la mer.
Cette terrible leçon fit que les Sarrasins respectèrent pendant quelque temps nos côtes.
En 850, ils débarquèrent à l’embouchure du Rhône, et le remontèrent jusque près
d’Arles, pillant et ravageant la campagne sur l’un et l’autre bord du fleuve. Mais voyant
les habitans de la contrée s’avancer en bon ordre pour les combattre, ils jugèrent prudent
de se rembarquer en toute hâte. A peine eurent-ils regagné leurs vaisseaux, que la
tempête les fit échouer sur la côte; et tout ce qui avait échappé à la fureur des flots fut
massacré par les gens du pays.
Dix-neuf ans après, les Barbares surprirent l’évêque d’Arles dans son château qui se
trouvait au bord de la mer dans l’île de la Camargue. Près de trois cents de ses gens
furent inhumainement écharpés; lui seul fut fait prisonnier et mis sur un vaisseau. Les
habitans d’Arles, qui affectionnaient tendrement leur digne pasteur, donnèrent aux
Sarrasins pour sa rançon cent cinquante livres pesant d’argent, cent cinquante casaques
et autant d’esclaves et d’épées. L’évêque fut remis à terre revêtu de ses habits
pontificaux; mais auparavant ils avaient eu la barbarie de lui arracher la vie.
Saint Trophime, archevêque d’Arles, fut le premier qui apporta les lumières de
l’évangile dans cette ville. Ses descendans les communiquèrent aux villes de Tarascon,
d’Avignon, d’Apt, de Vienne, etc., ce qui valut à la l’église d’Arles la suprématie sur
celles des autres villes de la Gaule. Cette gloire lui fut injustement disputée par celle de
Vienne, et cette contestation faillit occasionner une grande effusion de sang. Un grand
nombre de conciles se sont tenus en Provence, principalement dans la ville d’Arles, et
leurs décisions ont toujours obtenu l’approbation du souverain pontife.
La ville d’Arles a eu un grand nombre de rois dont l’histoire de Provence fait mention.
L’empereur d’Occident prétendait avoir la suzeraineté de ce royaume; mais ni lui, ni
ceux à qui il donna cette couronne ne sont parvenus à la posséder. Richard Cœur-de-
Lion, roi d’Angleterre, à qui l’empereur avait donné le titre de roi d’Arles, pour le
défrayer de la tyrannie qu’il avait exercée sur lui, voyant que ce titre n’était que
chimérique, ne remplit pas la moindre démarche pour se faire reconnaître par les
Provençaux.
Plusieurs évènemens funestes se sont plu à dépeupler cette ville et à troubler les
habitans. En 1384, la peste exerça de tels ravages à Arles, que le peuple, pour désarmer
la colère de Dieu, donnait tous ses biens aux œuvres et aux religieux. Comme les
possessions de ces derniers ne payaient aucune contribution à l’état, la reine Jeanne
ordonna aux moines de rendre ou du moins de vendre les biens qu’il avaient reçus à des
personnes soumises à payer les impôts.
L’ignorance de cette époque fit donner une origine estraordinaire à la contagion qui
désolait la ville d’Arles et ses environs. On prétendait que c’était un feu sorti de la terre
ou tombé du ciel, qui, s’étendant vers le couchant, consuma plus de cent lieues de pays,
dévorant hommes, animaux, arbres et pierres. Il en résulta, ajoute-t-on, une corruption
qui infecta la messe de l’air. On disait que ce feu tombait du ciel comme la neige,
brûlant les hommes, la terre et les montagnes. D’autres soutenaient que c’était une pluie
de vers et de serpens.
En juin 1365, l’empereur Charles IV vint se faire couronner roi à Arles alors sous la
domination de la reine Jeanne. Il y lit des actes de souveraineté. Ce fut dans ce voyage
qu’on lui donna dans l’église de Saint-Trophime le spectacle indécent de la fée des
Foux, sorte de saturnale dont nous avons parlé dans l’article ANTIBES. L’empereur en
fut si scandalisé, qu’il ne voulut point en permettre la continuation.
Trois ans après, Duguesclin, après s’être emparé de Tarascon, vint mettre le siège devant
Arles. Mais les habitans, entièrement dévoués à leur reine et à la patrie, lui opposèrent
une si vigoureuse résistance, qu’il fut forcé, dix-neuf jours après, de repasser le Rhône.
En 1384, les Tuchins, malfaiteurs de plusieurs pays, qui parcouraient la Provence pour
faire du butin, furent attirés par quelques-uns de leur horde dans la ville d’Arles, et firent
main basse sur plusieurs habitations. Ils y auraient sans doute laissé des traces plus
profondes de leur fureur et de leur avidité, si les habitans du bourg, ne fussent venus
tomber sur eux à la pointe du jour, et ne les eussent chassés de la ville. Les traîtres
appartenant à la noblesse eurent la tête tranchée, et les autres furent pendus ou noyés.
La ville d’Arles fut réunie à la France en même temps que le reste de la Provence. Louis
XI la visita, et y fut reçu comme un père au milieu de ses enfans. Charles-Quint, après
s’être fait couronner roi d’Arles, aurait désiré venir dans cette ville pour y exercer
quelques actes de souveraineté. Mais les troupes qui le précédèrent, voyant les
Arlésiens, ainsi que les dames de marque, travailler avec ardeur pour mettre la ville en
état de défense, retournèrent auprès de leur maître, pour l’engager sans doute à renoncer
à son royaume illusoire. L’aspect imposant de la ville de Marseille acheva de le
convaincre; et, dans sa retraite précipitée, il perdit ses prétentions et ses titres sur la
Provence.
Dans ses premières années, la ville d’Arles a cultivé les sciences et les arts. Il y eut une
académie ou l’on enseignait les langues latine et grecque; aussi parlait-on dans cette
ville avec la même pureté qu’à Rome et à Athènes. Plusieurs inscriptions nous ont
transmis que les femmes même rivalisaient avec les hommes dans ces études.
L’église cathédrale d’Arles est d’une haute antiquité; le portail, bâti au treizième siècle
est le chef d’œuvre de l’architecture de ce temps; il représente la tentation de la première
femme, la naissance de J. C., le Jugement dernier et saint Michel pesant les âmes; on y
voit aussi des scènes de la vie agreste. L’intérieur de cette église est fort vaste et décoré
d’assez bons tableaux; la petite nef fait le tour même du sanctuaire.
Dans l’église Sainte-Anne, toute délabrée, se trouvent un grand nombre de sarcophages
dont quelques uns sont assez curieux, un autel dédié à la bonne déesse, des bas-reliefs
dont l’un représente les Heures, le fameux Mithras, le groupe de Médée prêt à égorger
ses enfans. On y trouve aussi un grand nombre de cippes, d’autels votifs, etc. Les
principales pièces ont été enlevées et transportées à Paris.
L’amphithéâtre qui, naguère, était, dans son intérieur, encombré d’une multitude de
petites maisons qui le cachaient, est aujourd’hui mis à découvert. On n’a plus besoin de
monter sur les toits de ces maisons pour mesurer de l’œil l’étendue d’un édifice qui a dû
être magnifique. Il parait qu’il était plus vaste et d’un meilleur goût que celui de Nîmes.
Mais malheureusement il a été victime de la rage et du génie destructif des peuples
barbares qui ont occupé longtemps la ville d’Arles. Le premier étage de cet amphithéâtre
était en pilastres d’ordre dorique, le second étage était en colonnes d’ordre corinthien; la
colonne de gauche de la porte du midi conserve encore son chapiteau pour en servir de
preuve; on voit les restes de plusieurs gradins. Il y avait quatre portes d’entrée, mais il
n’existe plus que celle du nord qui, quoique sans ornement, est très-belle et d’une forme
majestueuse; elle introduisait dans l’arène par un corridor d’une construction ingénieuse
et magnifique. Sous cette même porte est le passage d’un étage souterrain qui est la
partie la plus curieuse de tout l’amphithéâtre.
Le temps n’aurait rien pu pour détruire un pareil édifice.
Dans le huitième siècle, cet amphithéâtre fut changé en forteresse; on éleva des tours sur
les portes d’entrée, mais leur construction est bien différente de celle qui leur sert de
base.
Non loin de cet édifice, et du côté du midi, on trouve les restes du théâtre; deux colonnes
qui décoraient la scène existent encore dans la petite cour de l’ancienne maison de la
Miséricorde; elles sont de brèche d’Afrique avec basés, chapiteaux et entablement de
marbre blanc. Quoique ces colonnes aient été dégradées par quelques accidens inconnus,
et qu’on n’en ait pas tous les soins qu’elles méritent, elles font l’admiration des
connaisseurs.
C’est quelquefois sur cette place qu’a lieu le combat contre les taureaux pris dans l’île
de la Camargue. On établit une enceinte circulaire en dehors de laquelle sont des gradins
pour les spectateurs; on lâche un taureau dans cette arène; des hommes armés de bâtons
l’excitent; le taureau court sur celui qui le provoque, et au moment où il baisse la tête
pour le dosser, l’homme saute lestement par le côté et lui assène un coup de bâton sur le
mufle; l’animal s’irrite, entre en fureur, mais c’est en vain qu’il consume ses forces;
d’autres le remplacent et ne sont pas plus heureux enclin, le plus sauvage et le plus fort,
qu’on a réservés, pour terminer le combat, est introduit avec une grande, cocarde de
ruban attachée à ses cornes; le prix est destiné à celui qui pourra enlever cette cocarde.
Après des essais longtemps infructueux, un vigoureux athlète se présente. Loin de fuir le
terrible animal, il court au-devant de lui, et, saisissant les cornes, il le renverse, sur le
dos, ce qui lui donne le temps d’enlever la cocarde. Il arrive quelquefois que le taureau,
poussé à bout, poursuit avec opiniâtreté l’homme qui l’attaque, et lui porte des coups
plus ou moins dangereux.
Les Romains avaient un forum près du lieu où est la place Saint-Julien, ou place des
hommes; on en a trouvé des traces dans les caves du quartier. On a cru reconnaître un
quadrangulaire vaste et profond, entouré d’une double galerie voûtée, dont une partie
soutenait une autre galerie garnie de colonnes et de balustres.
Les alentours de la ville d’Arles seraient charmans dans un pays sain. Les bords du
Rhône offrent de grandes troupes d’éphémères sortant des eaux, et tombant presque en
même-temps sans vie; les libellulines, vulgairement appelées demoiselles, y sont
également trés-nombreuses pendant l’été. Il y en a d’une espèce qui ne vivent que deux
heures. Pendant ce court espace de temps, elles grandissent, s’accouplent, se
reproduisent et meurent. Les deux animaux les plus curieux, celon moi, qui se trouvent
aux environs d’Arles, sont le castor de France (lou ribré), qui vit dans les îlots des
embouchures du Rhône, avec à-peu-près les mêmes habitudes et la même intelligence du
castor du Canada, et une sorte d’araignée de couleur verte pointillée de jaune, à laquelle
on vient de donner le nom de miccromenata sorricoïdes, parce qu’elle produit un fil
épais qu’on peut mettre en peloton et employer à certains ouvrages de filature.
Les sauterelles et les criquets prennent naissance dans les pays chauds de la Provence, et
principalement à Arles; ils causent un dommage considérable à l’agriculture. En 1613,
dans le territoire d’Arles et de ses environs, plus de six mille hectares de champs à blé
furent dévastés en peu d’heures par ces insectes malfaisans. L’autorité ordonna une
chasse générale, et on recueillit trois cents quintaux de ces insectes et trois mille
quintaux de leurs œufs.
La population de la ville d’Arles, qui n’est aujourd’hui que d’environ 19,000 âmes,
annonce une ruine prochaine, à moins qu’on ne parvienne à dessécher les marais qui
l’avoisinent, ou qu’on n’y dirige une eau coulante propre à les assainir, ce qui ne serait
ni bien difficile, ni fort dispendieux, en déviant les eaux de la Durance prises à
Rognonac.
Le costume actuel des femmes d’Arles et de ses environs a été beaucoup modifié; elles
ont quitté le drolet, mais elles portent un justaucorps très-court, d’une étoffe noire, sur
un jupon d’une couleur tranchante; leur coiffure est remarquable par un nœud de ruban
très-large; elles aiment les dentelles, et se parent de riches bijoux. Arles est, de tous les
pays de la Provence, celui où les femmes apportent le plus de soin, de propreté,
d’élégance dans leur costume; mais les hommes forment en cela un contraste qui
n’échappe pas à l’observation des étrangers. Heureusement on en est dédommagé par cet
accueil civil et affectueux qu’on rencontre rarement en Provence. Avec quel zèle ils
s’empressent de montrer à un étranger les curiosités du pays, lui donnent tous les
renseignemens possibles, lui offrent leurs services et leur amitié; ils ne ressemblent point
à ces flatteurs qui vous touchent la main et vous trahissent presque en même temps. Ce
sont des hommes francs, qui ont le cœur sur les lèvres, et qui ne sauraient feindre de
l’amitié pour quelqu’un qu’ils ne pourraient souffrir.
Arles est aujourd’hui un chef-lieu d’arrondissement du département des Bouches-du-
Rhône, et sous-préfecture; il y a aussi un tribunal de commerce, mais l’archevêché a été
supprimé. Cette ville se trouve à 189 lieues de Paris, et a trois foires dans l’année, le 17
janvier, le 14 février durant 8 jours, et le 3 mai durant un jour. Voyez les mots CRAU,
CORDES, CAMARGUE et MONTMAJOUR.
Les communes du ressort des deux justices de paix de cette ville sont, Arles, Fontvieille
et le Mas blanc.
ARTUBY Autre rivière qui prend sa source dans les montagnes près de Séranon, et va se
jeter dans Verdon, en dessus d’Aiguines.
ASSE. Rivière du departement des Basses-Alpes, formée par le torrent de Blioux qui
passe à Senez, et par le torrent de Clumane. Le nom d’Asse ne convient à cette rivière
que depuis le bas du bourg de Barrême, quoique certaines personnes le lui donnent
même à Senez. L’Asse est sujette à des debordemens; son lit est mobile et rempli de
creux et de cailloux, ce qui le rend un peu glissant. Il est dangereux de traverser cette
rivière quand elle est un peu forte. Le proverbe du pays dit: La rivière d’Asse ne la
connaît que qui la passe. Elle se jette dans la Durance près d’Oraison.
Les Marseillais ont du fonder Athenopolis dont le nom est tout grec, ils l’établirent
vraisemblablement sur un point où il y avait de l’eau potable, et ce point est près de la
caranque d’Antéa; un temple dédié à la déesse de la sagesse peut seul avoir donné le
nom à cette position. Voyez [ESTÉREL]
Aubagne est d’une origine presque inconnue. Quelques auteurs ont cru qu’une colonnie
arlésienne s’établit dans la plaine d’Aubagne au commencement de l’ère chrétienne;
mais deux raisons combattent assez fortement une pareille idée La première est que
César, considéré comme fondateur d’Arles, s’empara de la ville d’Aubagne et la joignit
au gouvernement d’Arles, et chacun sait que César existait avant l’ère chrétienne; la
seconde raison est, qu’au premier siècle de notre ère, la ville d’Arles n’était pas encore
assez populeuse pour envoyer une colonie bâtir sous les murs de Marseille, ville déjà
assez puissante, qui n’aurait point permis un établissement qui n’avait d’autre but que de
tenir ses habitans sous le joug des Romains.
Quelques historiens modernes ont voulu soutenir qu’un démembrement des Albici, et
même que tous les Albici qui habitaient aux environs de Riez, habitaient également le
plan d’Aups sur la montagne de la Sainte-Baume, et qu’il s’étendaient jusqu’à Aubagne
où ils rendirent des services à César; et que ce général, par reconnaissance, leur permit
de s’établir à Aubagne. Les Albici ne pouvaient être en même temps et près de Riez et
près de Marseille. Nous savons que quelques Albici qui occupaient la campagne
d’Abiosc, joints à quelques Variacens qui habitaient Valensoles, s’étaient fait distinguer
par leur valeur, lors du de Marseille. Quelques-uns de ces braves ont pu s’établir dans les
environs de cette ville, principalement Peynier où il en existe encore une preuve
physique; mais ils étaient en si petit nombre, qu’ils se trouvèrent confondus parmi les
habitans du pays. Rien n’atteste qu’ils aient formé un établissement particulier.
La ville d’Aubagne est bâtie sur un tertre argileux recouvert de poudingue. Du côté de
l’ouest, les maisons sont baignées par l’Huveanne; au centre de la ville passe un torrent
qui inonde les quartiers neufs quelquefois jusqu’au premier étage des maisons. Les
ruines de l’ancien château paraissent encore au haut de la ville vieille. Le pays possède
des tanneries, des papeteries, une vingtaine de fabriques de poterie, et une fabrique de
faïence très-ordinaire. Les montagnes présentent des indices de fer hydraté et des pyrites
martiales de couleur jaune à reflet métallique, on y trouve aussi des mines de houille non
encore exploitées.
Le territoire d’Aubagne est fort vaste et presque tout en plaine; il est très-bien cultivé, et
fournit de l’excellent vin en abondance, du blé, de l’huile, des câpres, des légumes, des
plantes potagères, du foin, des fruits des plus belles espèces et des meilleures qualités.
On porte le tout à Marseille où l’on en tire un parti fort avantageux. C’est ce qui est
cause de la grande aisance des habitans qui sont au nombre d’environ 6,000; aussi sont-
ils gais, actifs, spirituels, sociables et passablement heureux. Il y a quatre foires dans
l’année, savoir: le lundi avant la quinzaine de Paques, le jeudi avant la Fête-Dieu, le 21
septembre et le 8 décembre.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont, Aubatgne, Cuges,
Gémenos et la Penne.
La Clue de Montauban est un passage qui, quoique fort scabreux, est très-curieux à voir.
C’est une montagne coupée en deux; elle est formée par de grandes couches de pierre
calcaire, la plupart inclinées à l’horizon. L’Estéron, rivière qui vient du côté de
Soleilhas, passe au milieu et coule avec plus ou moins de fracas, suivant la profondeur
de son lit et l’âpreté des rochers. Il est presque impossible à l’œil de l’homme de suivre
le cours de cette rivière au fond de ce précipice. Le chemin se trouve à mi-côte sur la
rive gauche, taillé dans le roc et couvert, dans une assez longue étendue, par le rocher
même, la vue du précipice et la hauteur des montagnes, dont les cimes semblent presque
se toucher, rendent ce passage ténébreux et effrayant. C’est la plus belle horreur qu’il y
ait en France; la Suisse même n’offre rien de si curieux à voir. Les neiges qui
s’amoncèlent en hiver dans cet espace resserré empêchent d’y pénétrer, et il y aurait du
danger à le tenter pendant cette saison rigoureuse; les glaces y ont quelquefois jusqu’à
quatre pieds d’épaisseur. Pendant la révolution, les soldats qui passaient par ce chemin
se plaisaient à faire tomber les pierres du parapet dans le précipice, pour jouir du bruit
a ffreux qu’elles faisaient dans leurs chutes, ce qui rendit ce passage encore plus
dangereux. Heureusement on vient de le réparer; mais on aurait dû élargir le chemin, en
creusant de nouveau dans le roc; par ce moyen, deux bêtes chargées pourraient se
rencontrer sans se heurter.
La partie de cette montagne qui se trouve sur la rive droite n’offre qu’une énorme paroi
d’un kilomètre de longueur sur environ quatre cent soixante mètres de hauteur, et qui
semble s’être séparée de l’autre partie. Vers la mi-hauteur du point le plus élevé se
trouve un trou de la forme d’une porte cochère, à l’entrée duquel on aperçoit de la
bâtisse. Jusqu’aujourd’hui personne n’a pu faire une conjecture vraisemblable sur le
moyen que des hommes ont pu employer pour parvenir à ce trou, ni pour deviner le but
qu’ils se proposaient en allant bâtir là. J’ai toujours pense que quelque seigneur du lieu
avait voulu établir un colombier dans cet enfoncement.
Le climat de Saint-Auban est froid et sain; le sol varie à chaque instant; il y a des forêts
de hêtres dont la feuille est employée pour les paillasses, et le bois fournit à la seule
industrie du peuple en hiver, qui est la fabrication de cuillers à pots, de fuseaux,
d’égrugeoirs, de coquetiers, de grande jattes et d’échelettes, sorte de harnais pour les
bêtes de somme. Cette commune a formé un établissement qui devrait être adopté dans
tous les petits endroits; c’est un bureau de bienfaisance qui, à la fin avril, fournit aux
habitans du blé sans intérêts, et aux malades indigens du linge, des couvertures et de
l’argent jusqu’à cent cinquante francs. Pop. 650 hab.
Le peuple des environs croit que cette montagne renferme une mine de fer très-pur. Il
serait à désirer que la chose fût vraie, pour que les pauvres gens puissent avoir en hiver
une occupation industrielle, telle que la fabrication des clous pour souliers, dont on fait
une grande consommation dans la haute Provence. Mais je crois que le peuple se
trompe, car je n’y ai rencontré aucun indice qui m’assurât la présence de ce métal.
Dans le territoire d’Aups se trouvent les ruines d’une bâtisse antique qui porte le nom
d’infirmiero, preuve que, du temps des Romains, il y avait dans ce quartier un hospice
militaire, puisqu’il s’y trouvait une infirmerie. En fouillant dans les terres, on trouve
quelquefois des tombeaux ou sarcophages portant inscription et renfermant des
ossemens ou des armes romaines, ainsi que le petit mobilier dont on les garnissait.
La ville actuelle se trouve dans la plaine; ses rues sont fort étroites et très-sales, à cause
de la quantité de fontaines et des ruisseaux qui s’y trouvent; les façades des maisons,
presque toutes d’un goût ancien; elles sont noires, à cause de l’humidité de l’atmosphère
qui procure des brouillards. On y trouve cependant une belle rue et une assez jolie place
devant la paroisse, où l’on a construit depuis peu une fontaine en marbre veiné rouge
trouvé dans le pays. Il y a dans la campagne une mine de fer en grain et des bancs de
sable quartzeux.
On trouve à Aups des tanneries et des fabriques de poterie commune. Le climat est
tempéré, l’air sain et vif; le sol produit beaucoup de blé très-estimé, de l’huile d’olive et
du foin excellent. Le grand nombre de petites sources qui se trouvent dans la campagne
arrosent les prairies.
Naguère, un torrent qui passe au couchant de la ville, déborda un jour de foire, entra
dans la ville, et emporta des troupeaux de brebis ainsi que des hommes qui voulaient
tenter de les préserver.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont, Aups, Aiguines,
Baudinard, Bauduen, les Salles et Vérignon.
En 1707, le duc de Savoie ne pouvant suivre la route à cause du fort de l’ile Sainte-
Marguerite, passa par Auribeau, et voulut se rendre maître de ce village pour le saccager.
Mais les habitans lui opposèrent une vigoureuse résistance, et bravèrent ses menaces par
des saillies aussi spirituelles que risibles. Il tenta plusieurs fois l’attaque, et fut
constamment repoussé avec des pertes considérables, ce qui le détermina à aller passer
la Siagne plus haut et à s’enfoncer dans les montagnes du Taneron.
Le village est sous un climat chaud en été et tempéré en hiver; il ne possède point d’eau
jaillissante, et on est obligé d’avoir recours à l’eau de puits ou à celle de la rivière. La
principale denrée du pays est l’huile d’olive qui vaut celle de Grasse; il est malheureux
que les oliviers y soient en grande partie infestés du gallinsecte qui semble s’être
acclimaté dans le pays. Pop. 600 hab.
Mais, dans le huitième siècle, lorsque les Sarrasins infestèrent nos côtes et firent
quelques incursions dans le pays les habitans de la campagne d’ Auriol quittèrent leur
villœ pour aller se fortifier sur une colline. Le bourg qu’ils établirent prit le nom de
Paudiolum; il est encore connu sous celui de Pajol; mais on n’y voit que les restes d’une
grande tour carrée, d’une ligne fortifiée de quelques cassines, et d’un ancien temple
dédié aux Naïades.
Dans le douzième siècle, une grande partie des habitans, ne pouvant se loger dans le
bourg, se décidèrent à venir bâtir de nouvelles demeures près du château d’Auriol qui fut
d’abord appelé Turres aquœ, après Turris quatuor, à cause de ses quatre tours, et ensuite
Castellum massiliense, et ce fut en 1383, époque où les Marseillais s’en emparèrent pour
punir les habitans de s’être déclarés pour Charles de Duras; ce château fut également
pris et dévasté par le Duc d’Épernon, pendant les guerres de religion.
On croit avec fondement que Caïus Marius fit construire la grande tour d’Auriol, dans la
crainte que qu’il ne prît fantaisie aux barbares qu’il voulait combattre, de passer par
Marseille, et ensuite par cette vallée; le nom de cette tour semble assez l’annoncer:
Turris maga ou Turris Mariana, en français Tour mane. Au devant de cette tour se trouve
une place sur laquelle on foule le blé, et qu’on appelle Aire de Marius. Immédiatement
après les guerres de la ligue, I’habitation fut transportée sur la ribe droite de la rivière.
La plaine d’Auriol, quoique fort étroite, est presque toute arrosable; les plants d’oignons
sont estimés dans la contrée; les fruits rouges y sont d’une qualité supérieure et sont
recherchés à Marseille; les vignes sont toutes sur des coteaux; aussi le vin en est-il assez
estimé; ses passes entrent en concurrence avec celles de Roquevaire.
Les hauteurs d’Auriol étaient autrefois couvertes de mélèzes; ils ont fait place aux
chênes verts et aux chênes blancs infiniment plus convenables à un climat tempéré
Quelques oliviers embellissent les coteaux, mais ils ne donnent pas un grand produit.
On trouve dans le territoire des carrières d’une craie très-blanche et fort pure, du gypse
blanc et gris, des argiles pour la poterie et les briques hexagones, des mines abondantes
de houille et de fer hydraté, et des coquilles fossiles en grande quantité.
Le bourg offre des fabriques de poterie et de briques dites tomettes d’une excellente
qualité, des distilleries d’eau-de-vie et des moulins à papiers. La population est de 4,300
habitans; les jours de foire sont, les 17 septembre, 29 octobre et 5 décembre.
AURONS. Village du canton de Salon, à 7 lieues d’Aix. Son nom lui vient d’Aurosus,
parce qu’il se trouve à une exposition battue par tous les vents. Le climat est sain et
tempéré; le sol est fertile, surtout dans les vallées, où l’on récolte beaucoup d’olives et
du bon blé, Le village ne date que du neuvième siècle; il fut souvent troublé pendant les
guerres civiles. Pop. 230 hab.
AVANTICI. Peuplade celto-lygienne qui était voisine des Bodiontici, à en juger par ce
passage de Pline: Avanticos atque Bodionticos quorum oppidum Dinia. On ne peut guère
assigner aux Avantici que le pays qui se trouve entre la Durance et l’arrondissement de
Digne; mais il serait difficile et même impossible de désigner sur quel point se trouvait
leur chef-lieu. Si les premiers Romains qui envahirent la Celto-Lygie pénétrèrent dans
cette contrée, nous sommes autorisés à croire que nulle famille un peu importante ne s’y
établît, car elle nous aurait laissé quelques traces de la magnificence de cette époque, et
nous aurait transmis quelques détails sur un peuple considérable qui figura dans l’armée
gauloise qui alla porter ses ravages en Italie.
AVATICI. Autre peuplade celto-lygienne qui paraît être une division des Saliens. Elle en
était très-voisine, car elle occupait les bords de l’étang de Berre, depuis le pays des
Saliens jusqu’au Cœnus qui est l’étang de Caronte d’aujourd’hui. La ville capitale de ce
peuple était, sous les Romains, MARITIMA. Voyez ce mot.
La chartreuse de l’Averne se trouve sur le penchant d’une colline. Elle fut bâtie avec de
la pierre ollaire grise, dure, mêlée de filets d’asbeste tachetée de noir, et qui a
l’apparence du plâtre gris. Une partie de ce vaste bâtiment a été détruite; une autre,
destinée aux supérieurs et aux voyageurs, existe encore Ce lieu si long-temps habité par
des hommes pieux et hospitaliers, cette maison de prière et de charité, n’a maintenant
pour habitans que des valets de ferme et des gardiens de chèvres. Au lieu du son d’une
cloche qui rappelait autrefois les heures de la prière, du travail et du repos, on n’entend
plus que le bêlement des grands troupeaux de chèvres blanches qui se nourrissent là où
les brebis mourraient de faim.
Les forêts de l’Averne sont sur un sol qui n’offre que montagnes, vallées et précipices.
Elle sont garnies de pins maritimes, de chênes-liége et de châtaigniers. Le bois à brûler
du premier, l’écorce du second et le fruit du dernier sont embarqués pour Marseille. Le
sol est composé de schiste, de quartz micacé d’une grande beauté, de gneiss arrondi en
galet, de granit strié, de schorl, de l’asbesté incombustible, et de quelques fragmens de la
tourmaline magnétique. On y trouve aussi de la cyanite prismatique, de la cyanite
lamellaire, delacyanite à lames divergentes, du spath pesant et des blocs de serpentine cà
et là que les chartreux; avaient extraits d’une carrière voisine; mais point de source d’eau
pour alimenter une fontaine ni pour arroser un jardin; à peine trouve-t-on quelques petits
surgeons d’eau qu’on ne peut réunir. Les hirondelles ne nichent jamais dans cette
contrée, faute de terre compacte pour faire leurs nids.
Une partie des forêts de l’Averné, mise en culture, suffirait aux besoins d’une population
de six mille âmes au moins qui pourraient avoir leurs habitations près du port de
Cavalaire, où il n’y a qu’une forte tour et un poste de douaniers; la campagne donnerait
des primeurs comme celle d’Hyères; l’oranger y serait moins exposé aux rigueurs des
saisons; la vigne produirait considérablement du vin préférable à ceux des environs, qui
jouissent d’une bonne réputation, et la côte maritime du département du Var n’offrirait
pas une si longue lacune sans habitation.
AVIGNON Avenio, et, plus souvent, Avenio Cavarum. Ville chef-lieu du département de
Vaucluse, sur la rive gauche du Rhône, à une demi-lieue du confluent de la Durance et
dans une plaine fort vaste, à xxx lieues de Paris.
Le nom d’Avenio est celtique, et signifie rivière, ce qui est une preuve de l’ancienneté
d’Avignon. Tous les historiens modernes s’accordent à dire qu’elle était la capitale de la
nation celto-lygienne appelée Cavares. Cependant le territoire d’Avignon ne montre
aucune preuve qu’on ait pu y établir le chef-lieu d’une grande nation d’alors. Je crois
qu’Avignon était une ville des Cavares, mais que la capitale était Carpentras. Les
premiers Marseillais vinrent établir à Avignon des comptoirs pour leur commerce
intérieur. Cc fut là que d’autres Marseillais se décidèrent à monter le fleuve pour aller
donner naissance au commerce dans le Lyonnais. De Lyon ils montèrent la Saône et
allèrent jusqu’à l’Océan propager les lumières et le luxe de l’Orient. Ce furent donc les
Marseillais qui, les premiers, pénétrèrent dans toute la France actuelle pour y faire
connaître les avantages de la civilisation, du commerce et de l’industrie.
César ne manqua pas de s’emparer d’Avignon et d’y établir une garnison. Les
descendans de cet empereur se plurent à embellir cette ville. On y trouve encore des
traces de la magnificence romaine, tels que des arceaux qui formaient les anciennes
murailles, une colonne d’ordre corinthien, des pavés en mosaïque que l’on rencontre
quelquefois en creusant les terres, etc. Il y avait aussi un temple dédié à Jupiter, derrière
la petite montagne de Notre-Dame-des-Dons. Dans le siècle dernier, on trouva près de là
une tête de Jupiter, une de Janus Bifrons et une de Julia Mammea, mère de l’empereur
Alexandre Sévère.
Innocent III, trompé par de fausses relations, approuva d’abord la conduite des légats;
mais ensuite, mieux informé par des plaintes qu’on lui porta, il indiqua un concile à
Rome au mois de novembre 1215. Le comte y accourut, accompagné de son fils
Raymond et de son gendre, le premier pour réclamer ses propriétés, les derniers pour
faire valoir leurs prétentions incontestables, dans le cas que le comte en fût déchu.
Simon de Montfort, qui avait usurpé les domaines du comte de Toulouse, s’y rendit
aussi; de sorte qu’on voyait, d’un côté les princes légitimes injustement persécutés et
dépossédés, et de l’autre un usurpateur dont l’ambition était démasquée, et qui, sous un
voile de piété facile à percer, cherchait à s approprier le bien d’autrui. La cause de ce
dernier prévalut, et l’histoire jusqu’alors ne fournit pas d’exemple d’une injustice
pareille dans une assemblée aussi solennelle, qui d’ailleurs était tout-à-fait incompétente
pour un pareil différent.
A son arrivée dans Avignon, l’an 1216, le jeune comte reçut l’accueil le plus favorable;
la ville et les habitans se donnèrent à lui, et lui offrirent mille cavaliers bien armés pour
l’aider à faire la conquête de ses états. Tout le Venaissin et même Marseille mirent le
même empressement pour le seconder.
En 1226, le roi de France, Louis VIII, voulant s’emparer des états du comte de Toulouse,
pour lesquels il n’avait d’autres titres que les mesures des légats, faisait défiler ses
troupes sur la rive droite du Rhône où la terreur lui soumit plusieurs villes.
Les Avignonais ne se doutant pas du danger qui les menaçait, lui envoyèrent une
députation pour renouveler la promesse qu’ils avaient déjà faite, de donner passage à
l’armée française sur le pont du Rhône. et pour demander leur absolution au cardinal
Saint-Ange, légat du saint-Siège. Le cardinal le leur promit, à condition qu’ils
s’engageraient par serment à obéir à l’église, à lui remettre les forteresses, à laisser
passer l’armée française au milieu de la ville, et à donner des otages pour la sûreté de ces
promesses. Tout cela n’annonçait pas des intentions pacifiques. Ensuite, quand il fut
devant la ville, il lança publiquement une nouvelle excommunication contre le comte de
Toulouse et ses partisans, et jeta un nouvel interdit sur ses terres.
Les Avignonais, qui conservaient un fond d’attachement pour le comte, furent alarmés
de cette sévérité. Ils ne comptaient pas assez sur la générosité de leurs ennemis, pour
croire qu’ils ne s’empareraient pas d’Avignon, s’ils permettaient à l’armée d’y entrer. Ils
leur refusèrent donc le passage, ainsi que les vivres qu’ils avaient fait acheter dans
Avignon. Après avoir attaqué et tué quelques Français, ils abattirent le pont de bois pour
empêcher les communications entre la partie de l’armée qui avait passé le fleuve, et celle
qui était restée de l’autre côté.
Le roi, voulant à toute force étendre sa puissance en Provence, mit le devant Avignon.
Le comte de Toulouse avait fait enlever tous les vivres du pays Venaissin: les femmes,
les enfans, les vieillards et les troupeaux s’étaient réfugiés dans les montagnes. Les prés
furent labourés, afin d’enlever à la cavalerie française les moyens de subsister. Toutes les
provisions furent arrêtées, et les fourrageurs poursuivis par les gens de la campagne.
L’armée française manqua bientôt de tout. La plupart des soldats, exténués par la faim,
ne pouvaient plus faire le service. Les uns mouraient faute de nourriture, les autres par
les flèches et les coups de pierre qu’ils recevaient du haut des remparts de la ville ou au
milieu des champs. Ceux qui restaient, soit négligence, soit mépris de la vie,
n’ensevelissaient point les cadavres; la pourriture s’y mit, l’air en fut infecté et tout
couvert de grosses mouches, qui, se mêlant aux boissons et aux alimens déjà mal sains
par leur nature, y portaient le germe de corruption qui les avait engendrées, et faisaient
périr un grand nombre de ceux qui avaient échappé au fer et à la faim.
Plusieurs assauts furent infructueux, et la valeur française fut sur le point d’échouer
devant cette place. Charles VIII en eut honte; aussi y fit-il venir toutes ses forces pour
tenter un dernier effort. La ville, réduite à elle-même, et manquant peut-être de
projectiles, capitula après trois mois de, et se soumit à obéir à l’église. Le légat exigea
des habitans de traiter en ennemis le comte de Toulouse et sa famille, de secourir le roi
de France, de n’accorder aucun asile aux hérétiques, sous peine de bannissement et de
confiscation des biens, de donner mille marcs d’argent à l’église d’Avignon en
indemnisation, de détruire les murailles et les remparts de la ville, de combler les fossés,
et de ne pas les rétablir sans sa permission et celle du roi Charles VIII.
En 1228, toutes les terres que Raymond VII possédait en-deçà du Rhône furent données
forcément au pape; mais elles furent rendues par Innocent IV. En 1335, Robert, frère de
Louis de Duras, vint en Provence avec des troupes, et s’empara du château de Baux. A
cette nouvelle, plusieurs ennemis de la reine Jeanne coururent à se ranger sous les
drapeaux du rebelle, portèrent le ravage dans le voisinage et vinrent mettre le devant
Avignon. Mais le pape le fit lever à prix d’argent. D’autres brigands les remplacèrent
bientôt: après avoir désolé la campagne, arraché les arbres et les vignes, massacré les
habitans, ils se replièrent sur Avignon, où ils obtinrent une forte somme pour se retirer.
C’est alors que le pape, ne voulant plus être exposé à de pareilles contributions, fit
entourer la ville des murailles qui subsistent encore, et dont le grand-maître de Rhodes
fit presque toute la dépense.
Ce pays rentra dans les mains des pontifes de Rome, sous Philippe le Hardi et Grégoire
X; mais la ville d’Avignon ne faisait point partie de cette possession, quoique les papes y
fissent leur résidence. Ce ne fut que vers le milieu du quatorzième siècle, que la reine
Jeanne vendit à Clément VI la ville et l’état d’Avignon pour le prix de quatre-vingt mille
florins d’or qu’elle ne toucha pas, attendu qu’après l’acte de vente, le pape réclama
pareille somme qu’il prétendait lui être due pour un arrérage de la cense annuelle à
laquelle le royaume de Naples était soumis. Les Provençaux appelèrent cette aliénation,
vente malheureuse et maudite.
Clément V s’étant établi à Avignon en 1308, y fit transporter aussitôt le pontifical; mais
Grégoire XI retourna à Rome en 1376, et ne laissa pour gouverneur qu’un vice-légat qui
avait tout à la fois la juridiction ecclésiastique et civile. Depuis cette époque, Avignon et
le comtat Venaissin ont été pris et rendus par la France dans trois occasions différentes;
mais, au commencement de la révolution, elle s’empara pour la quatrième fois, et força
le souverain pontife à y renoncer, attendu que Clément VI ne les avait acquis que d’après
un droit controuvé, qu’il avait fait valoir dans un moment où la reine Jeanne était dans le
malheur, et où elle sollicitait de ce pape la déclaration de son innocence du crime qui lui
était imputé à tort par le roi de Hongrie.
Ce Clément VI était avide des richesses de ce monde; son goût fut également celui des
grands de sa cour; son frère, le cardinal Hugues Rogiez, laissa apres sa mort plus de
quinze cent mille livres presque tout en or. Les grandes richesses des gens d’église
attirèrent à Avignon une armée de brigands nommés les tards-venus, tous Anglais. Ils
affamèrent cette ville dans un moment où la peste y exerçait ses plus grands ravages,
puisqu’en quatre mois elle perdit dix-sept mille personnes parmi lesquelles se trouvaient
neuf cardinaux, cent évêques, un millier d’ecclésiastiques et huit officiers de la cour du
pape. Cette armée de brigands se grossit considérablement par l’arrivée d’autres troupes
anglaises, allemandes, brabançonnes et gasconnes; elles se livraient au pillage, au
meurtre et au viol. C’en était fait de la Provence, si le marquis de Montferrat n’eût
trouvé le moyen de les conduire en Italie, pour les mettre aux prises et les faire détruire
par les Visconti.
Le Rhône baigne les murs d’Avignon du côté de l’ouest. Le lit de ce fleuve fut rapproché
de la ville à l’occasion des différens qu’elle essuya. On ne sait trop si ce rapprochement
fut fait par les assiégés pour se mettre à couvert des coups le mains de l’ennemi, ou par
les assiégeans pour mettre leur camp à l’abri des insultes des assiégés. Mais on sait
positivement que cette déviation a occasionné dans les environs de grandes marres
d’eau, et que des champs entiers s’étaient changés en marais infects et insalubres qui
donnaient la mort aux habitans de la campagne et à ceux des communes voisines. Le mal
a été réparé en grande partie, mais il y reste encore à faire.
On passait autrefois ce fleuve sur un beau pont en pierre qu’on appela long-temps le
pont du miracle. En 1178, persuadé que l’ignorance aimait le merveilleux, on publia
qu’un jeune pâtre, âgé de douze ans, nommé Bénézet, avait été inspiré de faire
construire ce pont. L’âge de ce pâtre, son état, sa pauvreté, n’inspirant pas toute la
confiance qu’exigeait un pareil projet, on fit croire au peuple que cet enfant avait lui seul
chargé sur ses épaules une pierre de treize pieds de longueur sur sept de largeur, et qu’il
l’avait portée au lieu même où le pont devait être commencé, Il n’en fallait pas tant, dans
ce siècle de stupidité, pour échauffer des cervelles déjà naturellement vives. On cria au
miracle; les bourses s’ouvrirent; on fit des legs dans les testamens; les souverains de
Toulouse et de Forcalquier concoururent à l’enrichir, Mais, dans la suite, les eaux du
Rhône, pour détromper le peuple qui, par tradition, aurait perpétué une pareille erreur,
emportèrent dans un instant et le pont et le miracle, Il est permis de croire aux grandes
vertus de Bénézet, puisqu’elles lui ont valu la canonisation; mais l’histoire n’assure pas
qu’il ait porté lui-même le lourd fardeau de cette pierre.
La ville d’Avignon serait assez importante, si, à différentes époques, elle n’avait pas
perdu beaucoup d’habitans. Le commerce actuel n’est rien, comparativement à ce qu’il a
été. Son industrie pourrait être infiniment plus considérable et lui aitirer un grand
nombre d’ouvriers; mais cette ville est une de celles qui voient de sang-froid de petites
communes s’enrichir de leurs dépouilles, et qui ne font aucune démarche pour les
recouvrer. Elle a pourtant encore des fonderies, des fabriques d’eau-forte, des moulins à
garance, des manufactures d’étoffes de soie à peine connues dans les environs, et un
grand nombre d’imprimeries qui travaillent pour les départemens du Midi,
principalement pour les ouvrages classiques et pour les livres de piété. Les éditions
d’Avignon sont très-ordinaires et sur mauvais papier, ce qui est cause qu’elles se vendent
à vil prix; cependant il y a quelques imprimeries qui s’attachent aujourd’hui à mieux
faire, et à procurer une meilleure réputation aux presses de leur ville.
Avignon n’a ni rue bien alignée, ni belle place; la ville est bâtie en rond, entourée de
vieilles murailles flanquées de tours, construites avec de gros quartiers de pierres taillées
avec assez de symétrie et soutenues à certains endroits par des arceaux; mais toutes ces
défenses ne sauraient garantir la ville pendant une heure de siège.
Dans un temps, on comptait à Avignon sept portes, sept paroisses, sept églises
privilégiées, sept confréries de pénitens, sept collèges, sept hôpitaux, et plusieurs autres
établissemens remarquables par le nombre septénaire. Il y avait aussi une faculté de
théologie, une de droit, une des arts, une de médecine, une université fondée en 1303, et
une académie littéraire, qui subit le même sort que celle d’Arles c’est-à-dire qui mourut
peu d’années après sa naissance. Tous ces établissemens ont disparu pour faire place à
un athénée, à un hôtel pour les invalides, une préfecture, un tribunal de première
instance et de commerce, une bourse et chambre de commerce et un conseil de
prud’hommes.
Le palais papal, qui fut ensuite occupé par les vice-légats, existe encore; mais il est
converti en caserne militaire, qui est une des plus vastes du Midi. En face du palais se
trouve l’ancien hôtel des monnaies; il est occupé par plusieurs brigades de gendarmerie.
Un grand rocher couvert de terre et de gazon domine la ville du côté du Rhône. Ce
rocher a dû supporter une forteresse importante à l’époque où la poudre n’était pas
encore connue. Elle servait en la ce temps à défendre le passage du fleuve, et à tenir la
ville sous l’obéissance. Cette élévation est visitée par la généralité des voyageurs qui
arrivent en cette ville. De là, on peut promener ses regards sur un vaste horizon qui offre
des variétés agréables. D’un côté c’est le Mont-Ventoux dont le sommet est blanchi par
la neige et les Alpines couvertes d’arbres et de gazon vert; de l’autre ce sont les plaines
du Languedoc, où Bacchus et Cérès sont constamment liés ensemble; plus près c’est la
vieille Durance qui s’enfonce dans le lit du vieux Rhône son époux; ailleurs ce sont une
infinité de Naïades, filles de la nymphe de la Sorgue, qui viennent féconder les prairies,
les jardins et les vergers du territoire. En un mot, tout ce que l’œil peut apercevoir du
haut de cette roche est majestueux, gai, riant et digne de l’admiration de ceux qui aiment
contempler la belle nature.
Avignon, dont le site serait très-agréable, si ce n’était le Maëstral qui s’y fait
vigoureusement sentir, se trouve en même temps dans la position la plus heureuse pour
le commerce. Le Rhône, toujours navigable, et la route de Marseille à Lyon servent à
voiturer les marchandises qui viennent de la Suisse et de tous les départemens de France,
ainsi que celles qui de Marseille montent dans les pays au-dessus de la Provence, ce qui
procure journellement à Avignon des voyageurs en tout genre. Le territoire est très-gras
et de la plus heureuse fertilité; les promenades, toujours en plaine, sont magnifiques; la
plupart des chemins sont bordés d’arbres qui garantissent du vent et de l’ardeur du
soleil. De tous côtés on voit des allées de mûriers qui servent à élever une quantité
prodigieuse de vers à soie, ce qui est cause que toutes les maisons de campagne sont, au
printemps, converties en magnanières, et que le pays compte une infinité de filatures
pour la soie et des moulins pour la tordre. Le sol produit avec succés la garance, la
gaude, la graine d’Avignon, le chardon de bonnetier, beaucoup de blé, des légumes, de
fourrage, de vin et d’huile d’olive. Il y a de belles pépinières d’arbres fruitiers et
d’arbres d’agrément, qui fournissent à trente lieues à la ronde. Presque tout le territoire
est arrosé par les belles eaux de la Sorgue, qui sont celles de la fontaine de Vaucluse. Ces
eaux, après avoir fertilisé la campagne, viennent servir aux belles teintures du pays. Le
territoire offre une fontaine d’eau minérale nommée Font couverte; cette eau est un peu
sulfureuse et purge légèrement; elle est une ressource médicinale pour les pauvres de la
contrée.
La population d’Avignon est de 29,960 habit. Ils sont naturellement affables et gais avec
les personnes de qui il n’ont pas à se plaindre. Comme il n’en coûte rien pour se bien
conduire envers des citoyens occupés de leur ménage et de leur industries, je pense que
tout honnête homme peut être assuré de l’estime, de l’attachement et de la protection des
Avignonais. Il y a à Avignon quatre foires dans l’année, savoir: 24 février, le 3 mai le 14
septembre et le 30 septembre. Voyez BARTHELASSE.
AYE, ou ALLE. A un quart de lieue du village de Gonfaron (Var), sur la route même de
Toulon à Antibes, est une jolie source qui porte le nom de Fédaye, corruption de fontaine
d’Aye, qui, après avoir reçu les eaux des montagnes qui la resserrent, va se réunir à
l’Argens, à une demi-lieue au-dessus du Muy. Cette rivière est presque la seule du
département où l’on pêche des moules; des porphyres et un granit dur en forment
souvent le fond. Le porphyre éprouve une interruption dans le territoire de Vidauban, et
donne lieu à une belle cataracte au-dessous de laquelle on a établi une dérivation pour
deux scieries à planches.
Lors des grosses pluies, la rivière d’Aye est un torrent dangereux pour ceux qui que
hasardent à la traverser hors des deux ponts. Cependant, en 1834, la source d’Aye tarit
entièrement.
B
BADINE. Port de la Badine. Petit port dans le golfe d’Hyères, le long de l’étang de
Giens.
Le village est bâti en amphithéâtre, à l’extrémité d’une vaste forêt dépendante de celle
de l’Esterel, dans un lieu peu fréquenté, quoique près de la route de Fréjus à Castellane.
Le climat est assez sain; le sol, schisteux, produit du blé, du vin, de l’huile, des haricots
dits de l’œil noir, des noisettes et des châtaignes moins belles et ne se conservant pas
autant que celles des autres parties des Maures. Dans les forêts de pins, on trouve en
quantité des fraises plus parfumées que celles des jardins cultivés, des morilles et des
champignons, vrais agaricus deliciosus; des sangliers habitent ces forêts, et y attirent les
chasseurs des villages voisins.
Il y avait autrefois dans le territoire de Bagnol une verrerie qu’on pourrait rétablir avec
avantage, ne fut-ce que pour consommer le bois de pin qu’on laisse souvent pourrir sur
place, faute de pouvoir le vendre. Une pareille manufacture pourrait aussi se servir du
charbon de terre de la mine très-abondante qu’on trouve dans le pays et à un endroit
d’un accès facile. Une pareille industrie donnerait de l’aisance aux habitans de ce pays
qui sont au nombre de 800, et ils seraient par là intéressés à la conservation des forêts
qu’on incendie de temps à autre.
Le port de Bandols serait le plus sûr et le plus commode de la Provence, s’il plaisait au
gouvernement de le faire confectionner sur un beau plan. Il y aurait l’emplacement d’un
superbe arsenal de marine qui rivaliserait avec celui de Toulon. Le comte d’Estaing, qui
connaissait parfaitement la localité, le proposa administre du roi, mais quelques
mauvaises considérations empêchèrent que ce projet ne s’effectuât. La France a
plusieurs établissemens de ce genre sur l’Océan, pourquoi n’en aurait-elle pas deux sur
la Méditerranée? Celui de Bandols, assez fort par sa position, n’aurait pas besoin d’une
nombreuse garnison pour repousser toute attaque ennemie. D’ailleurs, Marseille et
Toulon serviraient de boulevards à Bandols, si le gouvernement daignait en faire un
nouveau Cherbourg. Le projet qu’il a d’ouvrir des établissemens de charité pourrait fort
bien lui faire envoyer à Bandols de pauvres ouvriers propres à être employés aux travaux
de la marine; et une infinité de brouillons oisifs qui infestent les villes, seraient tirés de
la misère et de l’ennui, et le village de Bandols, qui n’a aujourd’hui qu’environ 1,300
habitans, deviendrait en peu d’années une ville très-importante et digne de l’affection du
roi.
BANON, Banonum. Bourg chef-lieu de canton, à 5 lieues de Forcalquier, bâti sur une
hauteur, avec un beau marché tous les lundi. Ses forêts offrent beaucoup de chênes, ce
qui est cause qu’on élève beaucoup de cochons dans le pays, et qu’il s’y fait un grand
commerce de pourceaux. La plaine est agréable et bien cultivée; elle est arrosée par le
Calavon, qui prend naissance dans le territoire, et produit principalement du blé, des
légumes, du foin et des fruits de toutes espèces; le pays a une verrerie dans la campagne.
Pop. 1,340 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Banon, Carniol, l’Hospitalet,
Montsalier, Redortier, Revest-du-Biou, Revest-des-Brousses, la Rochegiron, Saumane,
Simiane et Valsaintes.
BAR (LE), Castrum de Albarno. Village chef-lieu de canton, à 3 lieues de Grasse (Var),
sur la rive droite du Loup et sur le penchant d’une colline, ce qui est cause de sa grande
irrégularité. Le territoire est coupé par des collines couvertes d’oliviers et de figuiers,
dont les productions fort estimées attirent beaucoup d’argent au pays. Les eaux de la
fontaine du village et celles du Loup arrosent les jardins et beaucoup de prés. Au bord de
la rivière, il y a une belle papeterie qui, malheureusement, ne fabrique que du papier
d’emballage. Les truites de la rivière sont excellentes et bien saumonées; il est dommage
qu’on ne leur donne pas le temps de grossir et même de multiplier.
Du temps des Romains, tout le territoire du Bar n’était qu’une épaisse forêt qui servait
de retraite à de nombreux troupeaux de sangliers qui firent donner le nom d’Apros à la
rivière. Ces animaux ont entièrement disparu, ainsi que les chênes qui leur fournissaient
des glands. Pop. 1,200 hab.
Les Esubiens, nation celto-lygienne connue sous le nom de Braccata, furent les premiers
habitans de cette vallée, ou plutôt furent le peuple le plus considérable; car il y en avait
plusieurs autres qui étaient ses alliés naturels, tels que les Némaloni, les Embiens, les
Nementuri et les Oratelli. Ils établirent leur capitale, c’est-à-dire ce que les Latins
appellent leur mallus, au lieu ou se trouve le village d’Ubaye, non seulement parce que
la température est la plus douce de toute la vallée, mais parce que de là ils surveillaient
leurs voisins et pouvaient les arrêter, en cas qu’ils eussent voulu venir troubler les
différentes peuplades de la vallée.
Les Esubiens et leurs alliés, invités par les Boïens et les Insubriens, autres peuples qui
habitaient le revers des Alpes, du côté du Pô, à faire cause commune pour attaquer les
Romains, marchèrent vers l’Italie, surprirent les phalanges de la république dans la
Toscane, les battirent, se chargèrent d’un riche butin, et prirent ensuite le chemin de
leurs montagnes pour aller y cacher le fruit de leur victoire et de leurs rapines. Mais
l’armée du consul Attilus, qui se trouvait vers l’Adriatique, et celle du consul Attilus,
qui, venant de la Sardaigne, débarqua sur les côtes occidentales de l’Italie, prirent les
montagnards entre deux feux, et leur tuèrent ou mirent hors de combat environ quarante
mille hommes.
Cette grande défaite fut cause que les Esubiens et les autres peuples de la vallée virent
avec plaisir, quelque temps après, Annibal se diriger vers l’Italie. Ils eurent garde de se
réunir aux autres Celto-Lygiens pour aller disputer le passage à un conquérant qui
semblait devoir bientôt les venger de ceux dont ils avaient à se plaindre.
Malheureusement les Carthaginois furent complètement défaits. Les Romains, pour
punir les Esubiens, envoyèrent de nouvelles forces dans les Gaules, qui rendirent les
peuples de la vallée tributaires de Rome; et Auguste, dans la treizième année de son
règne, vint les soumettre au joug de l’empire, ainsi que Pline l’assure, d’après le trophée
des Alpes qui se trouvait à la Thurbie, près de Monaco.
Les Esubiens et leurs alliés supportèrent patiemment le joug des Romains; ils finirent
par s’y accoutumer et par se lier intimement avec leurs maîtres de qui ils tenaient leur
instruction.
Plus de cinq cents ans après, les barbares du Nord vinrent, le fer et la flamme à la main,
désoler cette contrée. Heureusement ils en furent bientôt chassés. Pendant leur séjour, les
habitans furent entièrement démoralisés et contraints de vivre en sauvages dans les lieux
les plus tristes et les moins accessibles. Après l’expulsion des barbares, nombre de
moines bénédictins, animés par cette charité chrétienne qui faisait toute leur gloire et la
règle de leur conduite, accoururent former trois établissemens dans cette vallée, dans la
seule-vue de réunir les familles éparses, de les civiliser, de les initier à la foi de
l’évangile, de leur apprendre à se construire des maisons, à défricher et à cultiver les
terres, etc.
Dans la suite, les Sarrasins vinrent, à différentes reprises, infester toute la vallée. Ils
détruisirent beaucoup de villages, et en construisirent de nouveaux dont la plupart ont
conservé leur nom arabe.
En 973, Guillaume le, comte d’Arles, aidé des troupes de l’empereur Rodolphe, expulsa
pour toujours les Maures, et la vallée fut réunie à la Provence. Raymond Bérenger V,
autre comte d’Arles, bâtit la ville de Barcelonnette près des ruines de celle qui avait été
construite par les Romains, et donna à la vallée le nom du chef-lieu.
Comme Louis II, comte de Provence, était occupé à la conquête de Naples, Amédée
VIII, comte de Savoie, s’empara de la vallée; mais il en fut chassé, dès que le comte de
Provence fut de retour de son expédition. A la mort de ce dernier, Amédée IV la reprit et
la garda jusqu’en 1447, époque où René d’Anjou la reconquit de nouveau pour la perdre
presque en même temps; François 1er s’en empara en 1547. Cette même année, l’armée
impériale étant entrée en Provence, le duc de Savoie profita de cet évènement pour
reprendre Barcelonnette, mais il fut forcé de l’abandonner, lorsque les Allemands
repassèrent la frontière. La paix de Câteau-Cambrésis finit par l’accorder au Savoyard.
En 1630, Louis XIII s’en empara, mais il la rendit deux ans après. Enfin le traité
d’Utrecht finit par la donner à la France. C’est ainsi que, pendant vingt siècles, cette
vallée fut le théâtre successif des guerres de ses voisins, qu’elle en éprouva tous les
ravages et toutes les sollicitudes. C’est aussi ce qui est cause qu’on n’y trouve plus
aucun vestige des monumens qui pourraient aujourd’hui intéresser les voyageurs et les
historiens.
Un auteur contemporain veut, qu’avant l’arrivée des Romains, cette vallée fût connue
sous le nom de vallis negra, vallée noire. Pour moi, loin d’être de cet avis, je pense que
toute dénomination latine ne doit dater que de l’invasion des Latins; et qu’avant l’arrivée
des Romains, cette vallée devait avoir un nom qui dérivât de celui de la rivière qui la
baigne dans toute sa longueur, qui est d’environ quinze lieues de pays. Cette vallée, dont
la plaine est à environ 1,500 mètres au-dessus du niveau de la mer, est située entre des
montagnes extrêmement raides et élevées, qui sont toutes découpées par des vallons, des
ruisseaux et des torrens qui n’offrent au premier coup d’œil que des solitudes et des
précipices affreux. Presque toutes ces montagnes, dont quelques-unes ont plus de 3,600
mètres au-dessus du niveau de la mer, sont couvertes de gazon, de plantes odoriférantes
plus belles et plus suaves que celles de nos parterres, et de plantes médicinales qui
possèdent les mêmes vertus que celles qui viennent des montagnes de la Suisse et de la
Franche-Comté. Parmi ces dernières, nous citerons principalement l’absinthe des Alpes;
l’angélique des montagnes, l’arbousier bousserole, la cacalie des Alpes, le carvi, la
conyse, diverses espèces de dentaires, le doronic plantaginé, l’ellébore blanc et noir,
l’ellébore d’hiver, le fenouil des montagnes, la gravelle vulgaire, l’impératoire, l’orobe,
les deux espèces de lunaires, le nerprum purgatif, différens orchis, la berce, l’Arnica des
montagnes, le pied-dechat, la quintefeuille ainsi que la potentille frutiqueuses, le raisin
de renard, la reine des prés, le laurier rose des Alpes, le rosier primprenelle, le sabot de
Vénus, la scandix, des montagnes, trente-neuf espèces de saxifrages, d’innombrables
espèces de scandix, le selin des montagnes, le sénéçon blanchâtre, le spirea, le
thélictrum à feuilles d’ancolie, les thlapsis de toutes les espèces, principalement celui de
rochers, des montagnes et des Alpes, la toque des Alpes, la valériane, etc.
La face de la montagne des Orres, qui borde la rive droite de l’Ubaye, n’offre dans sa
base qu’une roche schisteuse; sa partie moyenne, quelques parties de grès; et sa partie
supérieure, le calcaire nu et un gravier infertile, tandis que la face des montagnes qui
bordent la rive gauche, beaucoup moins penchante que la première, offre de belles forêts
de sapins et de mélèzes, et des prairies naturelles où le menu bétail va paître par milliers
pendant la saison où la neige a fait place à la plus belle végétation; les plaines, excepté
celle entre le village des Thuiles et celui de Saint-Pons, sont toutes labourables ou
couvertes de prairies arrosables, de vergers et de jardins potagers. L’air de cette vallée
est fort sain; les pluies y sont fréquentes; les gelées des mois de mai et de juin nuisent
souvent aux récoltes, surtout aux endroits élevés, l’hiver y est très-long; le froid, les
neiges, les glaces interceptent les communications, et forcent les habitans à passer les
journées dans des stablats; ceux de la ville deviennent de vrais salons, vu que toutes les
personnes honnêtes, généralement fort instruites, les fréquentent et s’y livrent à tous les
amusemens de la bonne société.
Le printemps, toujours tardif, est ordinairement pluvieux dans toute la vallée, surtout
dans le vallon de Fours; les pluies et les vents nuisent aux céréales, aux prés et aux
feuits. L’été n’y commence qu’en juillet, et les chaleurs n’y durent guère que deux mois,
encore sont-elles tempérées par un vent frais qui commence vers les neuf heures du
matin, et ne cesse qu’au coucher du soleil. L’automne y est la saison la plus agréable;
elle donne des fruits excellens, même des prunes et des cerises. On ne trouve quelques
vignes que près du village d’Ubaye, mais le raisin n’y parvient jamais à une parfaite
maturité.
Les terres de la vallée sont bien cultivées; on sème les légumes en mai et avril, et le
froment en août et septembre; la moisson commence en juillet, et ne finit, sur les
hauteurs, qu’au commencement d’octobre. Quelquefois les moissons sont surprises par
les neiges qui les couvrent pendant sept ou huit mois. On assure que la qualité du blé
n’en est point altérée. Cela paraîtrait fabuleux, si nous ne savions qu’il en est souvent
ainsi sur les montagnes de la Suisse.
Les quadrupèdes qu’on voit sur les montagnes boisées et gazonnées de la vallée sont, le
loup commun, le renard, le chamois, le chevreuil, la marmotte, le lièvre blanc, le lièvre
gris, l’écureuil blanc, l’écureuil noir, la fouine, la belette, le blaireau, la loutre, le loir,
etc.; les oiseaux sont, l’aigle royal, l’aigle commun, le vautour des Alpes, le milan,
l’épervier, le faucon, le corbeau, la cresserelle, la corneille à bec et pieds rouges, celle à
bec et pieds jaunes, et celle à bec et pieds noirs, le faisan ou plutôt la gélinoite, le coq de
bruyère, la bartavelle, la perdrix grise, la perdrix rouge, la perdrix blanche, le coucou, la
grive, le geai, le passereau des montagnes, la pie, le grimpereau, la bergeronnette, sans
compter les oiseaux qui y viennent au printemps pour en partir en automne, ni les
oiseaux nocturnes qui sont les mêmes que dans la basse Provence. Les alpilles y sont
communes, et des mouches cantarides vivent sur la feuille des frênes.
La vallée de Barcelonnette, ainsi que toute la haute Provence, a sans doute été plus
habitée qu’elle ne l’est aujourd’hui; les terres y étaient mieux cultivées et mieux
soutenues, et les récoltes étaient plus assurées; aussi les habitans n’abandonnaient pas
leur pays à l’approche de l’hiver comme ils font aujourd’hui. Plusieurs villages sont
tombés en ruines ou ont été détruits par les Maures et par les guerres dont ce pays a été
le théâtre. Ceux qui ont survécu à la fureur des soldats, ne sont que des diminutifs de ce
qu’ils étaient autrefois. Le manque de bras et la nonchalance des agriculteurs sont deux
des principales causes de la médiocrité des récoltes et de la pauvreté des habitans; aussi
la plupart des cultivateurs vont avec leurs familles passer l’hiver dans la basse Provence;
les femmes ramassent des olives et des châtaignes, les enfans travaillent avec leurs
mères; s’ils sont jeunes, ils demandent l’aumône, font les décroteurs, les souillons de
cuisine ou font danser la marmotte; les hommes servent de goujats aux maçons, fendent
le bois à brûler, jouent de la vielle, font voir la lanterne magique, etc. Les habitans du
vallon de Fours prennent un plus grand essor. Au lieu de s’arrêter en Provence, ils vont
exploiter les provinces du Nord; il en est même qui poussent leurs courses jusqu’en
Belgique, en Saxe et même en Danemark. Ils restent plusieurs années sans retourner
dans leur pays, mais ils n’y reviennent jamais sans être chargés de numéraire et d’objets
précieux.
Ceux à qui l’âge ou les infirmités n’ont pas permis de quitter le chaume paternel,
s’occupent en hiver à carder, à filer la laine, et à en faire un drap commun et grossier
pour les vêtemens des deux sexes.
La pauvreté ou l’avarice est cause que les hommes se nourrissent fort mal. Ils conservent
leur sobriété même dans leur migration, et quand ils sont obligés de se nourrir à leurs
frais; aussi tout le numéraire qu’ils touchent peut être considéré comme bénéfice. La
plupart emploient le fruit de leurs économies à l’achat de quelques marchandises qu’ils
colportent d’abord, qu’ils étalent ensuite sur les places publiques; ils finissent toujours
par s’établir dans quelque ville, et deviennent en peu d’années de riches marchands.
Parvenus à la fortune, ils appellent auprès d’eux leurs frères et leurs sœurs, et leur
fournissent tous les moyens possibles pour les acheminer à quelque industrie. Les moins
heureux retournent dans leurs climats pour y cultiver l’héritage de leurs pères, sans
désespérer de faire fortune un jour, Quelques-uns ne dédaignent aucun moyen vil ou peu
délicat de gagner une pièce de monnaie. Tout pour l’argent! Rien pour la considération!
Telle semble être la devise de ceux qui végètent dans leurs masages.
Il est des circonstances où ces hommes ne conservent pas leur sobriété, et c’est toutes les
fois qu’ils sont invités à quelque festin. L’usage de cette vallée est que les mariages, les
baptêmes et les funérailles sont célébrés par de grands repas qui réunissent quelquefois
jusqu’à cent cinquante personnes. Rien n’est épargné pour satisfaire la soif insatiable et
le vorace appétit des convives, qui témoignent en bien mangeant et en enivrant la part
qu’ils prennent à la fête qui les réunit.
Les personnes honnêtes savent se distinguer du commun par une conduite décente et
polie. La multitude emploie dans les affaires une superfluité de paroles engagéantes. Dès
qu’un marché est conclue vendeur montre à l’acheteur le vice de la marchandise qu’il
vient de lui livrer, surtout lorsqu’il s’agit de la vente d’une vache, d’un mulet, etc.,
marchés qui ont lieu ordinairement sur la place de la Grave. Celui qui achète à terme
emploie ordinairement toutes sortes de prétextes pour ne jamais payer. La présence d’un
huissier peut seule lui faire délier la bourse et satisfaire le créancier. J’avoue cependant
que le pays offre des personnes qui se conduisent avec plus de délicatesse, et qui
méritent toute confiance.
La ville d’aujourd’hui se trouve dans la plaine 194 lieues de Paris. Ses rues sont larges,
ses maisons bien bâties et bien alignées; il y a plusieurs places fort régulières; les
promenades sont très-agréables, surtout celles en delà de l’Ubaye, qui vient presque
baigner les murs de la ville et qui arrose toutes les rues et les jardins. La ville a un
tribunal de première instance et deux foires, le lundi de Passion et le 30 septembre,
appelée lou grand Sandré. Pop. 2,099 h.
Les communes qui font partie du ressort de la justice de paix du lieu sont, Barcelonnette,
Enchastraye, Faucon, Fours, Jauziers, Saint-Pons, les Thuiles et Uvernet.
Bargemont ne fut, dans le principe, qu’une villa romaine. Un officier y attira sa famille
et ses esclaves pour exploiter les terres et y cultiver la vigne et l’olivier. Il est à regretter
de ne plus y trouver de vestiges de la construction de cette première maison de
campagne, ni ceux des temples, des bains, des piscines et autres monumens dont les
Romains aimaient à embellir leurs demeures rurale. Cependant on y découvre, de temps
à autre, des médailles du Haut-Empire, des urnes cinéraires renfermant des lampes
sépulcrales, des ampoules et tout le petit mobilier funéraire de ce temps. On distingue les
cendres des personnes opulentes, en ce qu’elles sont renfermées dans une petite urne de
verre bleu qui est elle-même, pour sa conservation, renfermée dans une grande urne de
terre cuite.
Les Sarrasins ne manquèrent pas d’exercer leur génie destructif sur cette ville et sur les
habitations qui se trouvaient dans le territoire. Au commencement du dixième siècle,
Bargemont passa sous la domination des rois d’Arles. La fortification du lieu date de
cette époque; on voit encore une partie du rempart ainsi que plusieurs tours; le reste fut
détruit pendant les guerres intestines.
Le village actuel est plus considérable qu’il ne l’était anciennement. Le climat en est
sain; la vie animale et les eaux y sont excellentes; le terroir est fertile près du lieu, à
cause du nombre de petites sources qui l’arrosent; le pays n’a presque pas de plaine; tout
est amphithéâtre couvert d’oliviers. Les principales productions sont, l’huile, le foin, de
bonnes figues, des cerises noires et toutes sortes de fruits exquis. On y trouve du gypse
blanc en abondance et d’une extraction facile. Les habitans, au nombre de1,920, sont
vifs, spirituels et industrieux; leur petit commerce s’étend jusqu’à Grenoble, d’où ils
apportent du chanvre. Les jours de foire sont bien suivis, principalement pour le menu
bétail; elles se tiennent le lundi après Quasimodo, le 3 août, le 21 octobre et le 23
décembre.
En 1590, la ville de Barjols fut encore attaquée par un corps de protestans commandés
par d’Ampus et le président du Castelet. La ville se rendit à composition, moyennant
quatre-vingt-dix mille francs, très-forte somme pour le pays d’alors, mais les soldats,
habitués aux cruautés les plus révoltantes, et ulcérés par l’esprit de parti, qui égare les
hommes, égorgèrent inhumainement, et contre la foi des traités, plus de cinq cents
habitans, pillèrent les maisons des prêtres, et même les églises, sous le prétexte qu’elles
contenaient les meubles et les effets des bigarrats, c’est-à-dire des gens du parti
contraire. La voix des chefs n’avait plus de force pour se faire obéir par des hommes
ivres de sang et de pillage; il fallut leur laisser assouvir leur rage et leur fureur.
Immédiatement après cet événement, le roi, ne voulant plus que Barjols fût exposé à de
nouveaux désastres, céda la citadelle à la ville qui en fit abattre une partie et laissa
démanteler le reste. On en voit cependant encore des vestiges assez considérables. Le
peuple croit que cette citadelle avait été un château de plaisance de la reine Jeanne. Il est
possible que cette princesse ait logé pendant quelques jours dans cette forteresse,
lorsqu’elle allait en personne visiter ses chers et, bien aimés Provençaux. Tous assurés
pourtant que le roi Robert aima beaucoup cette ville, où il avait été élevé; aussi, en, il la
fit chef de bailliage, et y établit une viguerie qui, pendant la révolution française, fut
changée en district.
Ainsi que plusieurs autres villes de la Provence, Barjols avait des jeux particuliers qu’on
célébrait à l’occasion de la fête patronale du lieu. Un bœuf gras figurait à la procession
de Saint-Marcel. Après, il était égorgé. On en faisait rôtir une partie, et le reste était mis
en daube. Le tout était servi sur une grande table où chacun avait le droit de s’asseoir.
Plus tard, on se contentait d’aller en demander une portion moyennant le prix de 5 sols.
Les entrailles de ce bœuf étaient réservées pour la jeunesse nubile, qui, élégamment
costumée, exécutait à cette occasion une danse particulière. On assure même que chaque
couple manquait rarement d’être uni-en mariage dans le courant de l’année.
Près de la ville se trouve un des sites les plus pittoresques de la Provence, la vallée du
Fauvéri. Il semble que la nature ait prodigué tous ses dons pour faire de ce lieu un
magnifique paysage. Sur le penchant de la vallée, d’un côté s’élèvent des rocs immenses
parsemés d’arbustes chétifs dont le feuillage fait ressortir la couleur grisâtre de la pierre;
de l’autre on aperçoit les façades varices d’un grand nombre d’usines et de plusieurs
maisons d’un joli goût; au milieu, des prairies toujours vertes sont arrosées par les eaux
qui tombent en cascades du haut d’un bloc de tuf très-élevé qui se trouve au fond. Ce
tuf, décoré par l’orme et le peuplier, sert de base à un groupe de fabriques et de maisons
de plaisance couronnées par une masse de roches calcaires dont les pointes aiguës ou
arrondies se perdent quelquefois dans les brouillards produits par les eaux du Fauvéri.
En-dessus se trouve le site des Carmes qui doit son nom à une maison de carmes qui s’y
trouvait. Les restes seuls d’une chapelle antique, creusée en partie dans le roc, annoncent
le passage des pères dans cette vallée. Ce lieu devait être éminemment propice au
recueillement et à la prière. Là se trouvent réunies de magnifiques horreurs. On se plait à
chercher dans la nature ce qu’il y a de plus poétique et de plus propre aux émotions. On
néglige aujourd’hui les belles fabriques qu’on y voit, pour jouir d’une belle scène de la
nature et d’un admirable paysage. Des blocs de rochers s’élèvent majestueusement; leur
cime stérile et nue contraste singulièrement avec la jolie vegétation qui les environne.
Lorsque le Fauvéri est gonflé par les orages, il forme de grandes cascades dont le bruit
semble annoncer le renversement de la montagne. Les eaux qui se précipitent en
grondant dans un gouffre profond, sortent en bouillonnant pour se répandre en nappes
écumeuses dans la prairie.
Plusieurs cavités se trouvent dans le roc qui supportait l’ancien monastère des carmes.
Mais leurs voûtes, quoique humides, sont loin d’être aussi riches en concrétions que
celles de la grotte de Villecrose. Cependant on y voit plusieurs pièces de stalagmites,
dont l’une présente une sorte de pilier, et l’autre la carcasse d’un petit navire sur sa
quille. En fait de stalactites, les plus remarquables sont des grappes de raisin, une dinde
plumée et bardée, une citrouille et surtout un beau mouton de Barbarie qu’on dirait fait
d’après nature.
Le Biez, dit ruisseau des écrevisses, traverse la ville, pour mettre en mouvement un
grand nombre d’engins, et notamment un moulin à papier tenant à l’ancien château, et
qui date de 1620. Le pays a dix-neuf moulins à tan, vingt-quatre tanneries, trois belles
papeteries, une blanchisserie, un moulin à foulon, et une fabrique de cartes qui, dans
plus de la moitié de la Provence, jouit d’une réputation bien méritée.
Le climat de Barjols est doux et tempéré, l’air sain; le sol, quoique ingrat, est bien
cultivé; il produit principalement du foin, de l’huile excellente quand elle est fabriquée
avec soin, du vin et d’autres fruits. On trouve dans le territoire plusieurs carrières de
marbre non exploitées; une espèce est tout blanc, l’autre est un rose mêlé de blanc et de
noir. Population hab. Les foires sont, le lundi après le 17 janvier, le huitième jour après
Pâques, le 27 juin, le 29 septembre et le 30 novembre.
BARLES. Village du canton de Seyne, à 8 lieues de Digne, situé dans un vallon, sur la
petite rivière de Brès. Pays très-froid en hiver, a cause des neiges qui y séjournent de six
à huit mois de l’an. On trouve dans le territoire une sorte de pierre grise, vitrifiable, dans
laquelle on distingue des points brillans qu’on prendrait pour de l’argent natif. Le pays
offre une fontaine d’eau minérale propre à la guérison des écrouelles. Il importe quelle
soit connue, pour que les personnes attaquées de cette maladie aillent s’y baigner et
tâcher d’y trouver la guérison. Pop. 508 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont Barrême, Bédéjun, Chaudon,
Clumane, Saint-Jacques, Lambruisse, Saint-Lions et Tartonne.
BARTHELASSE. Ile formée par le Rhône, en face d’Avignon. C’est vers le centre de
cette île que l’on doit assigner l’ancien lieu appelé Mutatio Cypresseta, que des auteurs
modernes ont placé près de la ville de Sorgues. Nous savons que cette position touchait
la rive gauche du Rhône, à une lieue d’Avignon. Mais comme depuis l’époque de la
destruction de cet ancien lieu, on a détourné une grande partie du fleuve pour lui faire
baigner les murailles d’Avignon, on ne peut plus assigner à la position romaine la rive
gauche du nouveau lit du fleuve, mais celle de l’ancien lit, et, par conséquent, l’intérieur
de l’île de Barthelasse.
Cette île servait autrefois de retraite à des malfaiteurs, à des hommes poursuivis par la
justice, surtout pour des affaires politiques. Ils se tenaient principalement dans les isclos,
sortes d’ilots qui se trouvent au milieu du fleuve. Il n’en est plus ainsi aujourd’hui; cette
île est rendue très-agréable par des promenades, des guinguettes, des cafés qu’on y a
établis. Le nom de Barthelasse vient d’être changé en celui de Bagatelle
BATAlLLES. Rivière qui coule près d’Hyères, et qui, après un cours de deux lieues, va
se jetter dans la mer, près de Bormes.
Sur la montagne de Grapon est un grand creux nommé lou traou de l’oulo (le trou de la
marmite). Il en sort un petit vent continuel et sensible. Dans la montagne de la Pérusse
on trouve une fontaine d’eau minérale, appelée fontaine de faces. Le village est fort
ancien; il fut connu des Romains. On trouve souvent dans les terres des médailles et des
tombeaux antiques Pop. 135 hab.
BAUDRON, Castrum de Baudron. Village qui fut détruit en même temps que celui de
Favas, et dont les territoires n’en font qu’un. Voyez le mot FAVAS.
De ce rocher élevé, on découvre toute la basse Provence. A l’ouest et au nord, les Alpes
arrêtent une horizon immense; et à l’est et au midi, une vaste étendue de mer se déroule.
La magnificence de ce lieu sauvage, le silence imposant qui y règne, la vue d’une nature
grandiose, souvenir d’une grande douleur, agitent sensiblement l’âme, et la portent au
recueillement et à la prière.
Nous savons tous qu’après la résurrection de Jésus-Christ, par suite de la persécution des
chrétiens dans la Judée, une barque amena sur la côte de Provence, et dans l’île de la
Camargue, Marie Jacobi, Marie Salomé, Marcelle et Sara leur servante; nous savons que
cette barque contenait aussi sainte Marthe qui se fixa dans une petite île du Rhône, là
même où se trouve aujourd’hui la ville de Tarascon, et sainte Magdeleine qui préféra au
monde la plus triste solitude, où rien ne pouvait la distraire dans ses prières, ni
interrompre les larmes qu’elle aimait à répandre pour l’amour de son Dieu.
Saint Maximin fut le seul mortel instruit du lieu où vivait la sainte pénitente. Ce fut lui
qui l’assista dans ses derniers momens; ce fut aussi lui qui lui fit ériger une chapelle
dans la grotte, et à l’endroit même où elle avait rendu le dernier soupir. Les largesses et
la foi des comtes de Provence et de François Ier les firent augmenter et embellir cette
chapelle, et construire un couvent pour les religieux de différens ordres qui s’y sont
succédés jusqu ‘aujourd’hui.
Parmi les personnages illustres qui ont visité la Sainte-Baume, nous pouvons citer saint
Louis, roi de France, Charles II, prince de Salernes et comte de Provence, Jean 1er, roi
de France, Charles VI, Louis XI avec Marie d’Anjou sa mère, Anne de Bretagne, épouse
de Charles VII, et depuis de Louis XII, Louise de Savoie, mère de François 1er, Claude
de France sa première femme, et la duchesse d’Alençon sa sœur, ÊEléonore d’Autriche,
femme de ce monarque, accompagnée de son fils Henri II, les ducs d’Orléans et
d’Angoulême, Charles IX accompagné du duc d’Anjou son frère et du roi de Navarre
(depuis Henri IV), Louis XIII, Anne d’Autriche, Louis XIV, et enfin la duchesse
d’Angoulème, fille du trop infortuné Louis XVI.
Le pic des Béguines, point le plus élevé de cette montagne, est à 1,114 mètres au-dessus
du niveau de la mer. Ce pic est d’un marbre veiné rouge, renfermant entre ses couches
des cames, des tellines et autres coquillages, vrai dépôt que la mer a formé on ne sait
trop à quelle époque.
Quelques écrivains modernes, plus propres à séduire par de faux brillans qu’à instruire
par un raisonnement juste, ont cru pouvoir, d’un seul coup de plume, expliquer une
énigme qui a toujours paru comme un problème impossible à être résolu par des
hommes. C’est la nature, ont-ils dit, qui a formé dans la terre des cailloux qui ont la
forme de toutes sortes de coquilles; des cailloux qui ressemblent à toutes sortes de
poissons, à toutes sortes de plantes, à toutes sortes d’ossemens.
Comme on ne voit point de raz-de-mer qui élèvent les eaux à la hauteur de la moindre
des collines, on peut douter qu’il en ait existé qui les aient élevées jusqu’au sommet des
Alpes et des pics les plus élevés. Comment donc se fait-il que des dépôts marins se
trouvent sur toutes les élévations du globe? Jusqu’à présent les géologues de toutes les
nations n’ont donné que des conjectures plus ou moins vraisemblables. Mais pas une
assez satisfaisante. Sans être géologue, moi-même, on me permettra, j’espère, d’émettre
mon opinion que je crois contraire à toutes celles données avant la mienne.
Le globe de la terre n’avait, dans le principe, ni élévation, ni vallée. Les eaux de la mer,
contenues dans une infinité de lacs plus ou moins étendus, poussées par la moindre
tempête, inondaient une certaine étendue de pays. Comme elles se retiraient avec plus de
vitesse qu’elles n’étaient venues, ces eaux entraînaient dans leur fuite une terre allavine;
et cette terre, composée de grès, d’argile, de gravier, de cailloux, de sablon, d’ossemens
même, couvrait une quantité prodigieuse de coquilles et de poissons que les eaux de la
mer avaient amenés. Ces dépôts contribuèrent à former la bande secondaire qui
enveloppe le globe, et cette bande couvrit la bande primitive qui, comme chacun sait, est
toute granitique et couverte généralement par le calcaire. Tout cela n’a pu avoir lieu qu’à
des époques infiniment reculées, et qui datent de plus de six et de dix mille ans.
Ce n’est qu’après ces différens évènemens que les montagnes se sont formées, non point
par les débordemens de la mer, ni par ceux des fleuves et des rivières, car il n’en existait
point alors; non point par les eaux pluviales qu’on a supposé avoir sillonné la terre et
creusé les gorges, les vallons et les vallées; mais par une révolution du globe, excitée par
le feu central de la terre. Ce feu intérieur, par un pouvoir incalculable, força la double
écorce qui formait l’enveloppe du globe à faire une infinité d’éruptions d’une nature
différente de celle des volcans, mais telles à-peu-près que celles que certaines maladies
intérieures font faire à la superficie du corps des animaux.
C’est ainsi que la bande primitive ou granitique souleva la bande secondaire, tantôt
calcaire ou coquillière, tantôt marneuse, et forma les différentes élévations qu’on nomme
pics, montagne, collines, coteaux. Quelquefois la bande secondaire ne fut que déchirée;
de là ces couches inclinées par l’élévation de granit, qui passa à travers les cratères et les
déchiremens pour faire des coulées entre les couches de la bande secondaire, ou même
au-dessus de ces couches. Le plus souvent le granit n’a fait que soulever à plat les
bandes supérieures; c’est ce qu’on voit à la montagne de la Sainte-Baume, dont la base
est granitique, le massif est calcaire, et le sommet est couvert à certains endroits de
dépôts marins provenant des différentes inondations de la terre qui eurent lieu avant la
formation des montagnes.
BAUME (SAINTE). Il existe dans le département du Var une autre grotte qui porte le
nom de Sainte-Baume. Elle se trouve sur la montagne de l’Estérel du côté de la mer, au
bord d’un affreux précipice qui fit donner au quartier le nom de Maou-Peys, mauvais
pays. C’est là où saint Honorat, évêque d’Arles, par attachement pour saint Léonce,
évêque de Fréjus, vint passer plusieurs années, avant d’aller dans l’île de Lérins, qui
porte son nom, où il fonda une célèbre abbaye.
Un contemporain prétend que cette grotte à dû être un temple que les Romains dédièrent
à Apollon, conducteur du char du soleil et dieu de la lumière. Il croit que ce temple fut
appelé Aralucis, autel de la lumière, nom qui lui convient parfaitement, et non au village
de Mandelieu, ainsi que les écrivains modernes ont osé l’avancer. Pour moi, je pense que
le temple de la lumière fut fondé par les premiers Marseillais, et qu’il se trouvait, dans le
principe, sur le plateau au-devant de la grotte, où est aujourd’hui une sorte de jardin
garnie d’un grand nombre d’orangers qui y viennent naturellement, quoique ce soient
des hommes qui les y aient introduits; que ce temple ayant été détruit par les Oxibiens,
lorsqu’ils étaient en guerre avec Marseille, les cérémonies religieuses eurent lieu dans
l’intérieur de la grotte obscure, où la lumière ne pénètre que par une ouverture au haut
de la voûte, par où les eaux pluviales tombent dans une citerne. Dans cette grotte se
trouve encore un autel chrétien où, tous les ans, le premier du mois de mai, on célèbre la
messe, à cause d’un grand nombre de personnes des communes de Fréjus et de Saint-
Raphaël qui s’y rendent en dévotion. Auprès de la grotte, on trouve des châtaigniers, des
figuiers, des noyers, des cyprès, un houx de haute futaie, et des oliviers sauvages venus
naturellement dans les rochers. Voyez ESTÈREL.
le château de Baux, construit sur un rocher dominant la vaste plaine de la Crau, présente
les ruines d’uu vaste et bel édifice, et d’une forteresse formidable dans les temps des
guerres civiles. Aussi, ce poste fut-il souvent occupé par les parties qui se disputaient
l’autorité les armes à la main; et, sur la demande des habitans et l’offre d’une somme
considérable, le roi Louis XIII en ordonna la démolition en l’année 1632, c’est-à-dire
vers l’époque où il entrait dans la politique du gouvernement de détruire la féodalité, et
de ne laisser subsister aucun de ces châteaux fortifiés qui pouvaient offrir des points
d’attaque et de défense.
Climat moins malsain que les communes en-dessous; le sol est propre aux oliviers, dont
l’huile est excellente. L’étang de Comte est à une lieue des Baux, près des marais qui.
vont se joindre à ceux d’Arles. Les montagnes du pays, comprises parmi les Alpines,
fournissent de belles sources; les pâturages en sont gras, et les fromages fort estimés.
Pop. 600 hab.
BAYONS, Bayo. Village sur la rive droite de la Sasse. Le territoire offre une bande
schisteuse où l’on trouve des pierres quartzeuses et vitrifiables, ainsi que des pyrites. Le
sol produit du blé et des légumes. La foire du pays est le 8 septembre. Pop. 720 hab.
Une division de l’armée de Charles-Quint, qui se dirigeait sur Toulon, fut surprise dans
le territoire du Beausset par quelques soldats français et par les paysans de la contrée.
Prise entre deux feux, entre ce village et celui de Cuges, elle fut écharpée et presque
anéantie.
Climat tempéré, air bon, pur, sec et élastique; une partie du territoire produit un vin
excellent pour les colonies; on y recueille aussi du blé, de l’huile, des câpres, mais peu
de fruits. Les forêts du pays sont considérables et garnies de pins; on en retire la résine
dont on fait la poix, le galipot, l’eau de térébenthine. La principale industrie est la
fabrication du charbon de bois, qu’on porte à Toulon et à Marseille. Foire, le dimanche
de Quasimodo. Pop. 3,300 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, le Beausset, la Gadière, le
Castellet, Riboux, Signes et Saint-Cyr.
BEAUVEZET. Village du canton de Colmars, à 13 lieues de Castellane, sur la rive
droite du Verdon. Le sol produit du blé, du fruit et de bons pâturages pour les nombreux
troupeaux qui vont y passer l’été; les fromages du pays sont fort estimés. Pendant
l’hiver, on y carde la laine, et on y fabrique des étoffes communes. C’est la patrie du
curé GAUFREDY, qui, accusé de sortilège, fut brûlé vif à Marseille; ses parens
changèrent leur nom en celui d’Engelfred. Populat. 690 hab.
Dans un quartier du territoire on voit les ruines du village de Frontignan. Les habitans,
échappés au massacre des barbares, abandonnèrent ce lieu pour s’établir sur la route, à
Bédoin, pays ancien et vraisemblablement habité par les Romains, à en juger par les
inscriptions qu’on y a trouvées à différentes époques.
Pendant la révolution, les habitans ne pouvant supporter la vue d’une longue perche
qu’on avait plantée sur la place, parce que, sous le beau nom de liberté, ce n’était, selon
eux, que l’insigne de la terreur et de l’anarchie, l’arrachèrent et la livrèrent à la proie des
flammes. A cette nouvelle, un général, qui se disait Français, partit de Marseille avec des
troupes, et, sans, consulter son âme, il vint raser la ville de Bédoin, et plongea les
habitans dans la dernière des misères. L’histoire a déjà fait justice contre un pareil forfait
qui donne une juste idée de cette circonstance déplorable. Cependant la ville a été
reconstruite, et elle a beaucoup gagné sous le rapport de la régularité.
BEINES. Village du canton de Mézel, à 6 lieues de Digne, sur la rive gauche de l’Asse.
Le territoire n’offre en grande partie que des horreurs et la plus triste solitude. Le seul
hameau des Pallus est riant en été; on y voit des prairies et des eaux limpides et
abondantes. L’huile qu’on recueille dans le pays est très-bonne, et les fruits y sont
délicieux. Pop 407 hab.
BÉRITINI Peuple chananéen qui habitait dans les environs de la Penne, près de
Glandèves, non loin d’Entrevaux et de la rivière du Var.
BERRE, Berra. Ville chef-lieu de canton, sur l’étang de ce nom, à 5 lieues et demie
d’Aix. Lorsque la ville d’Astramela fut détruite par les Wisigoths conduits par leur roi
Euric, c’est-à-dire vers la fin du cinquième siècle, une partie des habitans vinrent bâtir la
ville de Berre à laquelle ils donnèrent le nom de Gada-rose; ce ne fut que long-temps
après qu’elle prit le nom de Berre.
Lors des guerres de religion, Berre était reconnue comme place importante. Le duc de
Savoie, voulant se maintenir en Provence, fit tous ses efforts pour s’emparer de cette
place; il l’assiégea, et s’en rendit maître en 1591; mais, sept ans après, il fut forcé de la
rendre au duc de Guise. Il aurait été inutile d’entretenir ses fortifications, vu que, par les
nouvelles tactiques militaires, cette place ne pouvait supporter le siège d’un jour.
Cette ville est assez bien bâtie; son port est sûr et la plage est fort commode. Plusieurs
môles facilitent l’embarquement des marchandises; mais il n’y a pas de fontaine; un seul
puits fournit aux besoins de l’habitation. Le peuple y est souvent oisif, ce qui est cause
de sa grande dissipation. Il n’existe pas en Provence de pays où il y ait moins de mœurs.
Il serait dangereux pour une famille étrangère d’aller faire sa résidence dans un pareil
lieu. Aussi tout le monde fuit ce pays avec effroi, soit sous le rapport de ce relâchement
blâmable, soit sous celui de son mauvais climat. C’est bien dommage, car cette ville est
très-agréablement située, et son territoire est très-productif en grains huiles, amandes et
jardinage. Sa population est de 1,700 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont, Berre, la Fare, Rognac,
Velaux, Ventabren et Vitrolles.
L’étang de Berre, qui, dans le principe, a dû être appelé Mare Astramelœ, de la ville
d’Astramela, et non Mustramela, d’un conte que l’on fait sur une nommée Marthe, a
environ quinze lieues de tour. Il est bordé de nombre de communes qui, la plupart,
respirent un air malsain qui occasionne des fièvres intermittentes en été et en automne.
Au sud-est, l’étang est traversé par un chemin qui se trouve quelquefois entièrement
sous les eaux. Une tradition populaire attribue ce chemin à Caïus Marius qui, dit-on, le
fit construire dans une seule nuit, en présence des ennemis. On ajoute que le nom de
Cayon, que ce chemin a conservé long-temps, vient du latin Caïus. On l’appella ensuite
camin dejay, et aujourd’hui le chemin du roi. Les savans qui l’ont examiné conviennent
tous que la nature seule a contribué à sa formation. Ce chemin forme l’étang de
Marignane, auprès duquel sont les salines de Berre qui fournissent du sel jusqu’au centre
de la France. On entend aujourd’hui par étang de Berre, une division de l’ancienne Mare
Astramelœ, et la plus proche de la ville de Berre. Voyez MARTIGUES.
La ville est assez bien bâtie; elle a des rues fort larges et bien alignées; ses deux places
ont chacune une fontaine abondante. Le territoire est presque tout en plaine arrosé par la
rivière, il produit du blé, du vin de l’huile, des haricots blancs et des plantes potagères;
les ruisseaux sont remplis d’écrevisses Quoique le pays ne nourrisse pas de nombreux
troupeaux, on y fait des fromages très-estimés; il y a quelques fabriques d’eau-de-vie.
Hubert de Vins fit le de Besse, et l’emporta d’assaut dans l’année 1578. Les foires du
pays sont, le 25 août et le 21 septembre. Popul. 1,650 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont, Besse, Cabasse,
Candamy, Flassans, Gonfaron et Pignans.
BLAISE (SAINT). Ancien village dans le territoire de Piganières. Il n’en existe plus que
les vestiges.
BLASCON. Après que les premiers Marseillais eurent vaincu les Cénobringiens, et
qu’ils leur eurent ôté tous les moyens de faire la guerre, ils leur firent goûter les
avantages de la civilisation. Plusieurs peuplades se formèrent; celle de Blascon vint
s’établir dans l’île où se trouve une partie de la ville des Martigues, nom qu’elle portait
déjà, et qui paraît venir de blas-cœni, poisson du cœnus, parce qu’on y pêchait et qu’on
y pêche encore beaucoup de muges qui sont l’espèce de poisson la plus particulière de
l’ancien Cœnus.
BLIOUX, Blivium. Village du canton de Senez, à 4 lieues de Castellane. Climat sain, sol
assez bon; le peuple y aime le vin avec excès. Les ruisseaux Ricoufreide et Chaussano
arrosent le territoire, se joignent à un autre ruisseau qui porte le nom du village même,
parce qu’il y prend sa source; tous réunis, ils vont se joindre à celui de Clumane, près de
Barrême, et forment la rivière d’Asse. Les productions de Blioux sont les mêmes qu’à
Senez. Pop. 840 hab.
BOISSET, Boissetum. Hameau à 3 lieues d’Apt son chef-lieu de canton, sur la rive
gauche du Calavon. La plaine produit de l’huile et du vin; les collines sont assez bien
boisées; le territoire offre des schistes remplis de débris de testacées et de jolis
icthyolites; les pierres coquillières y sont très-communes; on y aperçoit aussi des
cailloux silicés et du sable micacé.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Bollène, la Garde, Paréol, la
Motte, la Palud, Mondragon, Mornas, et Sainte-Cécile.
BONDE. Belle source et étang très-poissonneux, d’une lieue et un quart de tour, au midi
du village de la Motte-d’Aigues, près de Pertuis.
BONIEUX, ou BONNIEUX. Petite ville chef-lieu de canton, à 3 lieues d’Apt, située sur
le penchant de la montagne du Léberon, visant au Nord. L’ancien lieu était autrefois bâti
en hémicycle au pied de la même montagne; on le nommait BITONNE. Mais, dans le
treizième siècle, du temps des guerres des Albigeois, les habitans, fatigués des troubles
qu’ils éprouvaient, furent bien aise de se mettre en mesure de défense pour l’avenir; ils
abandonnèrent leurs demeures pour aller en construire de nouvelles sur la hauteur, et
sous la protection d’un vieux château bien fortifié. Ils s’entourèrent de bonnes murailles
flanquées de tours; on ne pouvait entrer dans cette enceinte que par deux portes garnies
chacune d’une herse et d’une avant-porte qui en défendaient l’approche. Deux faubourgs
s’établirent ensuite hors la ville et du côté du nord. Le nom de cette ville dérive du joli
point de vue qu’elle offre et qui est assez étendu.
A environ une lieue de Bonieux, et du coté de l’est, on voit sur le Caulon ou Calavon un
beau pont à trois arches qui fut construit par les troupes de Jules-César. Il est encore en
bon état, et porte le nom de Pont Julien. Les Romains construisirent en outre le chemin
Roumieu, qu’on voit encore sur le bord de la rivière et sur une longueur de quatre lieues.
On prétend qu’il y a une mine d’or sur la montagne au midi de la ville. Le peuple prend
souvent des pyrites pour de l’or, ou du moins pour du minerai. Cette montagne, ou plutôt
le vallon de Valmasque, qui se trouve à l’ouest, nous rappelle un fameux combat qui s’y
livra entre les catholiques et les huguenots. Le climat de Bonieux est doux; les
productions sont à peu près les mêmes qu’à Apt; il y a une foire le 17 janvier. La
population est de 2,570 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Bonieux, Buoux, la Costes,
Ménerbes, Opède et Sivergue.
L’histoire rapporte qu’en 1482, saint François de Paule, appelé en France par Louis XI,
aborda à Bormes, et trouva le pays désolé par une peste des plus désastreuses; que ce
saint, pour récompenser la charité qu’il reçut des habitans, obtint du ciel la guérison des
malades; et que, depuis cette époque, ce bourg n’a plus été attaqué de ce fléau, lors
même que la contagion infestait les pays voisins, ce qui est souvent arrivé.
Les jardins de Bormes offrent les mêmes productions que ceux d’Hyères; le clmat est
assez sain, les collines très-fertiles; on y recueille du blé et de belles châtaignes qu’on
embarque pour Marseille. Au bas de la plaine est le hameau de Lavandou, où l’on a
établi une pêcherie. Les Catalans y venaient à la pêche du corail. Le territoire offre du
talc savonneux argenté, des terres ferrugineuses connues dans le commerce sous le nom
de crayons sanguins, des terres bolaires, du poudingue assez compacte, et des forêts de
pins. Populat. 1,500 hab. Foire, le dimanche de Quasimodo.
BOURRÈLY. Château fort curieux dans son intérieur, dans un site fort gracieux, sur le
bord de la mer, à une lieue et demie de Marseille.
BRAS-D’ASSE, Bras vallis Assice. Village du canton de Mézel, à 7 lieues de Digne, sur
la rive droite de l’Asse, et sur une hauteur près du torrent appelé Vallon des Cardeurs.
Ces deux rivières sont redoutables lors de leurs crues, et elles causent un dégât
considérable dans les terres. On passe ordinairement l’Asse sur les épaules des paysans
qui travaillent dans la plaine; un étranger ne s’exposerait pas seul dans une rivière qui lui
offre du péril par l’inégalité de son lit. Le climat est doux et sain; les productions sont,
les prunes, les légumes, le chanvre, le vin, les pommes de terre et de la bonne huile. Pop.
399 hab.
Le climat est tempéré en été, mais très-froid en hiver, parce que le soleil n’y darde ses
rayons que pendant quatre heures de la journée; le sol est marneux; la marne du pays est
appelée roubine, et ne bonifie pas le terrain. Cependant on y recueille beaucoup de
fruits. Il y a dans le territoire de la craie, du charbon de terre et des coquillages fossiles.
L’ancien village se trouvait sur une colline assez élevée, près de la Durance, et que l’on
nomme le Château; on y voit encore des vestiges de ses fortifications.
Le duc d’Épernon assiégea opiniâtrement cette place défendue par un brave du pays,
qui, à cause de sa valeur, fut surnommé La Bréoulle. Le chemin qui du village conduit
en Dauphiné, est tracé, à travers des rochers, dans une longueur d’environ deux cents
mètres Ce lieu a ouvert un passage très-dangereux jusqu’en 1755, époque à laquelle
l’administration y fit construire un parapet. Il fixe l’attention sous le double rapport de
la singularité du site et de la hardiesse des travaux. Pop. 948 hab.
Le village actuel est entouré de belles prairies qui servent à la nourriture de plusieurs
troupeaux. Le territoire offre beaucoup de pyrites que certains minéralogistes peu
instruits prirent pour du cuivre; ils induisirent en erreur plusieurs crédules qui
dépensèrent beaucoup d’argent pour faire creuser dans la terre, croyant trouver une mine
abondante de ce métal. Pop. 530 hab.
BRIGNOLES, Brinonia, de deux mots celtiques, brin, prune, et on, bonne, dont on a fait
le mot latin Brinonia. Ville chef-lieu d’arrondissement du département du Var, avec
tribunal de première instance, tribunal de commerce, à 227 lieues de Paris.
Dans le sixième siècle, Brignoles était déjà une ville assez importante, et sa population
allait toujours croissant. La ville ne pouvant contenir tout le monde, on fut forcé de
construire un grand nombre de hameaux et de faubourgs. Parmi ces derniers, nous
citerons ceux de Saint-Jean, de Saint-Martin, de Saint-Pierre, de Saint-Simian et de
Brignolette, comme étant les plus populeux. Mais, pendant les guerres intestines, ces
faubourgs furent forcément abandonnés par les habitans. lls se réfugièrent sur une
éminence, autour du palais des anciens comtes de Provence. Ce fut là qu’ils bâtirent la
ville actuelle; ils l’entourèrent de murs et contre-murs flanqués de tours et de bastions;
ils y creusèrent de larges fossés principalement dans la partie en plaine, ce qui la rendit
forte et imposante aux chefs des différens partis qui désolèrent la province. Les Tuchins
ainsi que Raymond de Turenne firent de vains efforts pour s’en emparer. C’est alors que
ce dernier, homme bouillant et emporté, assouvit sa rage sur le village de Camps.
L’heureuse situation de la ville de Brignoles, la bonté de son climat devenu sain par les
travaux des hommes, la beauté de ses promenades et la fertilité de son terroir,
engagèrent les souverains de la Provence à venir y passer la belle saison de chaque
année. Les comtesses ne manquaient jamais d’y venir faire leurs couches, et d’y passer
leurs convalescences. Nombre de familles de distinction y fixèrent leur domicile, et
Brignoles devint la seconde capitale de la Provence. La noblesse ne manqua pas de
s’emparer de l’autorité dans la ville, ce qui ne lui fut pas difficile chez un peuple qui
préférait obéir à la folle vanité de commander. Mais comme les nobles établirent une
sorte de gouvernement aristocratique qui lésait les intérêts du souverain ainsi que ceux
du peuple, Bérenger IV s’empara par finesse du consulat, et tint pendant un siècle la
ville sous l’oppression. Les habitans parvinrent à secouer le joug despotique de leurs
administrateurs, et laissèrent de nouveau le pouvoir à la noblesse oisive, qui vexa
tellement le peuple par les abus les plus révoltans, que celui-ci se ligua et exclut à son
tour ses oppresseurs et du consulat et du conseil. Mais, peu de temps après, le peuple,
naturellement bon, pleinement persuadé du regret et du repentir des nobles, leur
pardonna et leur confia de nouveau toutes les charges municipales auxquelles ils
tenaient par vanité plutôt que par intérêt.
Le connétable de Bourbon, par suite d’une brouillerie avec le roi de France, se mit à la
tête d’une armée autrichienne, et se rendit maître de la ville de Brignoles. La ville et les
faubourgs ne purent tenir un seul jour contre la valeur de ce grand capitaine, tant il est
vrai qu’il n’est point de place assez forte pour résister à la valeur d’un général français.
Mais, onze ans après, Brignoles résista vigoureusement à l’empereur Charles-Quint qui
croyait que sa seule présence ferait tomber les murailles et les bastions. Forcé de battre
en retraite, il fut poursuivi par une centaine de jeunes gens du pays qui, sans expérience
dans l’art militaire, tombèrent dans une embuscade, et furent enveloppés par toute
l’armée impériale. Après avoir tenté plusieurs fois inutilement de se faire jour à travers
les rangs ennemis, et avoir jonché le sol de cadavres, harassés de fatigue, et ne pouvant
résister au nombre, ils se rendirent prisonniers.
L’empereur, fier d’un événement qui venait de mettre entre ses mains les enfans des
principaux notables du pays, retourna sur Brignoles, et fit précéder ses troupes par les
prisonniers liés ensemble. Les assiégés, craignant de donner la mort à leurs propres
enfans, ne brûlèrent pas une amorce; au contraire, ils ouvrirent les portes aux Impériaux.
Charles-Quint entra dans la ville en triomphateur, et la livra au pillage.
Après ce trait de cruauté, il voulut, à l’imitation des conquérans romains, bâtir une ville
qui rappelât le souvenir de cet exploit. Mais, présumant qu’on ne lui donnerait peut-être
pas le temps d’en creuser les fondemens, il se contenta de donner le nom de Nicopolis à
la ville existante, nom qu’elle conserva une vingtaine de jours, c’est-à-dire tout le temps
qu’elle fut occupée par les troupes allemandes.
Lors des guerres de la ligue, qui mirent toute la France en combustion, le duc d’Épernon
fut envoyé en Provence en qualité de gouverneur. Il soutint de son mieux l’autorité
royale; mais l’abus qu’il fit de son autorité lui attira de puissans ennemis. Il ne trouva de
tranquillité qu’à Brignoles, où il établit sa résidence. La crainte d’y être troublé fit qu’il
s’y fortifia de son mieux; il y fit même construire une citadelle assez importante, qu’il
fit détruire jusqu’aux fondemens, lorsqu’il reçut la nouvelle de sa disgrâce et l’ordre de
quitter le pays.
Le baron de Vins, ayant une offense particulière à venger sur cette ville, vint l’assiéger;
mais il éprouva une vigoureuse résistance. Feignant de renoncer à cette entreprise, il fut
se cacher dans une forêt du territoire de Bras. Les habitans de Brignoles, croyant être
délivrés entièrement de leurs ennemis, se livrèrent à la joie et à la débauche. La nuit,
tous les hommes, fatigués par la danse et par la boisson, s’abandonnèrent au sommeil.
Mais le lendemain, 1er janvier, avant le lever du jour, de Vins vint leur souhaiter la
bonne année. Les dormeurs furent éveillés par les cris des mourans qui tombaient sous
les coups des soldats de Vins, et par ceux des femmes qui se désespéraient de voir
saccager leurs maisons.
Pendant les guerres du Semestre, Brignoles donna des marques non équivoques de sa
fidélité au roi. Elle contribua beaucoup à la victoire remportée par le régiment Saint-
André, le 15 juin 1649, sur les parlementaires, dans la plaine du Val. Elle indiqua, en
1746, aux troupes françaises qui venaient à marche forcée pour secourir Toulon, des
chemins raccourcis à travers les montagnes qui séparent les deux villes; elle donna aussi
des avis salutaires au maréchal de Belle-Isle, campé au Puget-les-Toulon, et, par ses avis
et son secours, les troupes du duc de Savoie furent refoulées jusqu’en-delà de la
frontière.
Les habitans de Brignoles, au nombre d’environ 6,000, ont des mœurs, de la religion et
de la probité; ils sont fidèles et très-dévoués à leur patrie; ils sont polis et très-affables
envers les étrangers On ne trouve point parmi eux cette tourbe disparate qui fait à tort
déprécier les gens de certaines villes. Le peuple se modèle aux personnes honnêtes, et le
riche ne dédaigne pas de sourire aux malheureux, en supposant que le pays en offre.
La grande rue de Brignoles est belle. Deux places offrent des fontaines élégantes. Les
dehors de la ville sont agréables, mais entièrement dégarnis d’arbres. La cime des
hauteurs qui l’environnent, est également nue, ce qui est cause sans doute que les vents
enlèvent presque toujours la récolte des prunes si estimées dans le midi et dans le nord
de l’Europe.
BUECH. Petite rivière qui prend sa source dans les montagnes de la Croix-Haute en
Dauphiné, d’où, après un cours de 13 lieues, elle se rend dans la Durance, près des murs
de Sisteron.
BUOUX, Buolis. Village du canton de Bonieux, à une lieue et demie d’Apt. Pendant les
guerres de religion, il fut le théâtre de quelques exploits militaires; mais son fort finit
par être détruit. Climat doux et tempéré; sol de médiocre qualité; encore est-il dégradé
par plusieurs torrens; cependant il produit du seigle, du froment, des noix, des amandes,
du raisin et des fruits exquis. Les pâturages y sont abondans, et les laitages y sont
meilleurs que dans le voisinage. Pop. 240 hab.
C
CABANES, Cabanœ. Village du canton d’Orgon, à 7 lieues et demie d’Arles, sur la rive
gauche de la Durance. On dit que des bergers construisirent là quelques cabanes qui
servirent bientôt de gîte aux voyageurs qui d’Avignon allaient à Tarascon. Ces cabanes
se multiplièrent; plusieurs familles d’artisans y accoururent et s’y établirent pour y
exercer leurs métiers. Les simples cabanes furent converties en maisons, et un petit lieu
de repos est devenu un assez joli village. Le climat est sain; le sol est fertile en grains et
en mûriers; aussi dans le pays on élève beaucoup des vers à soie. Foire, le 22 juillet.
Pop. 1, 350 hab.
Plusieurs auteurs, qui ont écrit sur la Prorence sans l’avoir suffisamment explorée,
placent Matavo, les uns à Brignoles, les autres à Vins et même à Cotignac, quoique ce
dernier lieu fût extrêmement éloigne de la voie aurelienne. Comme une erreur entraîne
toujours à une autre, la fausse position de Matavo en fit donner une inexacte au Forum
Voconii, qui a été placé, tantôt à Gonfaron, tantôt au Luc, et, en dernier lieu, au Cannet
du Luc.
Papon a reconnu par lui-même que Matavo était réellement à Cabasse; mais il n’a pas
pris la peine de s’assurer de l’endroit où devait se trouver le Forum Voconii. Il vit bien
qu’il y avait erreur, ou chez les historiens de la Provence qui l’avaient précédé, ou dans
l’itinéraire romain qui donnait les distances. Pour corriger cette erreur, il dit qu’au lieu
de XII milles de distance entre Matavo et Forum Voconii, ainsi marqués dans
l’itinéraire, il fallait lire VII. Ce moyen est unique pour trancher une pareille difficulté
Cest tout comme s’il eût dit que le C, chiffre qui signifie toujours cent, doit, dans le
besoin, être pris pour L, autre chiffre qui désigne le nombre cinquante. Si Papon se fût
transporté lui-même sur tous les lieux, et qu’il eût pris la peine de chercher les véritables
positions, il n’eût pas manqué de reconnaître que le Forum Voconli ne pouvait être au
Cannet, à cause d’un grand circuit qu’on aurait été obligé de faire pour éviter une
direction impraticable, mais bien à Taradeau, naguère Taradel, corruption de Taladel,
distant de Cabasse de XII milles, en passant par le Thoronet et le pont d’Argens, près du
hameau de Sainte-Marie. Il aurait eu pour seconde preuve la plaine des Arcs et de
Vidauban, où il est dit que les armées de Lépidus et d’Antoine campèrent sur les rives
de l’Argens près du Forum Voconii, il aurait vu que la route de Forum Julii à Matavo
était tout-à-fait directe, et qu’il existait, entre ces deux derniers lieux, la distance exacte
marquée dans l’itinéraire; et alors, non seulement Papon eut relevé les erreurs des
écrivains qui l’avaient précédé, mais il eût évité d’en commettre lui-même, ne fût-ce
que celle de dire que la route de Forum Julii (Fréjus) à Reiis Apollinaris (Riez) passait
par Forum Voconii, Antéa, etc.
IMP. CAES
FE. VAL. CONS
TAXTINO
P. F. AVG.
DIVI. MAXI
MIANI AVG.
NEPOTI.
DIVI. CONS
TANTI. AVG.
PII.
FILIO
XXXIV
On doit la lire ainsi: Imperatori cœsari, Flavio Valerio Constantino, pio, felici, Augusto,
divi Maximiani Augusti nepoti, divi Constantini pii filio, triginti quatuor. Ou bien: A
l’empereur César-Flavius - Valérius Constantinus, pieux, heureux, Auguste, petit-fils du
divin Maximianus Auguste, fils du divin Constantinus, trente-quatre. ”
PRO. SALVTE
C. CAESARIS. GERMAN.
F. GERMANIC AVGUST.
PAGVS MATAVONCVS.
On s’apercevra que cette inscription n’est pas conforme aux différentes copies qu’en ont
donné les historiens modernes, qui la tenaient, presque tous, de gens peu capables de
copier exactement les pièces d’archéologie; aussi elle change tout le sens qu’on a voulu
lui donner. Cette inscription doit être lue ainsi: Pagus Matavonicus Germanico Augusto,
pro salute Caii Cœsaris Germanici filii. Et en français: Les habitans de Matavonium à
Germanicus Auguste, pour la santé de Caïus-César Germanicus, son fils.
En voici encore une toute défigurée par Honoré Bouche, qui assure n’exister plus de son
temps, et que l’on trouve cependant encore dans le petit cimetière susdit, et appliquée au
mur d’une sorte de monoptère joint au chœur de l’église, qui est lui-même un
monument fort ancien.
D. M.
V. F.
Cette inscription a été traduite par l’auteur de l’Annuaire de cette manière: Cornélia,
fille de Quintus, a fait vœu d’élever ce monument de sa pitié, à elle “ même, à Caïus-
Adretitius Victor, de la tribu Voltinia, son excellent époux, qui a bien mérité d’elle, à
Caïus-Adretitius Firminins son fils, à Sextius-Adretitius Vindex son autre fils, à Caïus-
Adretitius Gratus son petit-fils, qui est mort âgé de seize ans, à Caïus-Adretitius Pius
son autre petit-fils, à Adretitia Pia sa petite-fille, à Titus-Adretitius Avitus, aussi son
petit-fils, et à Victamaria Junia sa bru très-méritante.
Une bâtisse bien conservée forme la façade d’une ancienne maison de cinq étages qui
cache une grotte spacieuse que la nature forma dans le roc d’une montagne. On y voit
encore dans l’intérieur une sorte de four à cuire le pain; ce qui confirme la tradition, qui
veut que ces ruines et ces cavités aient servi de lieu de refuge aux habitans de la contrée,
pendant les incursions des Sarrasins, et lors des troubles des guerres civiles qui
désolèrent la province.
La masse de rocher où se trouve la grotte, dont nous venons de parler, est de nature
calcaire; elle a des voussures d’une infinité d’espèces hardiment profilées par la nature;
une multitude d’arbustes s’élèvent des fentes de cette roche, et y croissent avec facilité,
parce que le bûcheron ni le berger ne peuvent guère les atteindre pour les mutiler.
Le climat de Cabasse est assez sain, quoique les brouillards que la Nissole lui procure
rendent le lieu humide. Le sol produit du bon blé, de l’huile, du jardinage et beaucoup
de foin; aussi on élève dans le pays beaucoup de bêtes à laine; des vaches suisses
paraissent y être bien acclimatées; elles y donnent une grande quantité de lait; les
fromages du pays sont si gras, qu’ils peuvent être comparés à ceux du Mont-d’Or. Les
forêts du territoire n’offrent proprement que des chênes blancs et des chênes verts. Les
foires du pays sont 11 mai et le 31 août. Populat. 1, 500 hab.
CABASSOLE. Voyez CAMARGUE.
Le climat de ce lieu est assez tempéré; l’air y est très-sain; le sol, très-productif, est
arrosé en partie par des eaux qui viennent du Léberon. Pop. 490 hab.
La commune de Cabris, avec beaucoup d’oliviers, n’a point de pressoirs pour détriter
ses olives. Dans les fureurs de la révolution, les habitans détruisirent ceux que le
seigneur du lieu possédait sur la Siagne. On est obligé aujourd’hui de recourir à ceux du
territoire de Grasse; et, dans les années de récolte abondante, les gens de Cabris ont eu
souvent la douleur de laisser gâter leurs olives, ne pouvant les détriter en temps
opportun. Un moulin à la Sinéty, construit près de la fontaine du hameau de Pémeynade,
éviterait ce désagrément et rendrait beaucoup au propriétaire. Le hameau du Mousteiret
était anciennement un village; celui du Tignet a été converti en commune, mais celui de
Pémeynade n’a pas encore pu l’obtenir, malgré ses demandes réitérées. Sa situation
dans la plaine et auprès de la route le rend plus agréable que le cheflieu Pop. 1, 800 hab.
Il y a tout lieu de croire, que la primitive ville était d’une grande étendue, et qu’elle
embrassait les environs de la colline sur laquelle se trouvait la citadelle, vu, qu’à
différentes époques, on y a découvert des ruines, des colonnes et autres restes d’anciens
monumens d’une jolie ville. Les fonts baptismaux de la paroisse actuelle ont
vraisemblablement figuré dans un temple magnifique dédié aux dieux du paganisme; ils
sont considérés comme un monument des plus antiques et des plus beaux qu’il y ait en
France; ils sont de marbre blanc, ornés d’un bas-relief admirable.
La ville moderne est à l’ouest de l’ancienne, et sur le penchant d’une colline; elle est
défendue, du côte du nord, par un mur terrassé et par des ouvrages avancés. Ses
fortifications étaient autrefois plus considérables, mais Louis XIV en fit enlever les
canons.
Toute la plaine qui s’étend depuis le Cadenet jusqu’à la base du Léberon, n’est qu’un
vaste dépôt de grès siliceux mêlé d’argile, et contenant des coquilles marines, bivalves.
Les hauteurs ont à leur base des monceaux de sablon de différentes couleurs, qui se
communiquent dans l’intérieur, et qui ont laissé entre eux de grandes concavités où les
bergers enferment leurs troupeaux. Ce sablon est couvert par différentes couches de
terre que les eaux ont déposées à différentes reprises, tantôt d’une manière horizontale,
tantôt inclinées à l’horizon, et tantôt obliques, transversales ou perpendiculaires à
l’horizon, selon les circonstances et les événemens qui ont occasionné ces dépôts
terreux, ou selon le degré de force que le feu intérieur de la terre mit pour soulever ces
couches de leur ancien niveau.
A quelle époque ces formations ont-elles eu lieu? Quand ont-elles commencé? Quand
ont-elles fini? Il serait bien difficile de répondre juste à ces questions. Nul mortel, pour
savant qu’il soit, n’est à même de les résoudre, sans s’exposer à se tromper et à tromper
le public. Tout ce qu’on peut assurer avec vraisemblance, c’est qu’elles datent de
beaucoup plus que de six mille ans, et qu’elles ont commencé à une époque infiniment
plus reculée. On peut en juger par les différens dépôts de coquilles; les unes sont
entièrement converties en pierres, les autres n’ont qu’une simple enveloppe qui enduit
leurs valves pour indices de pétrification; les pègnes, les tellines, les huîtres, les moules
ont conservé la plupart leur nacre intérieure. Des couches de poissons parfaitement
conservés se montrent sur différens points; ils n’ont pas encore atteint un degré
lapidifique, et un grand nombre se montrent encore avec leurs nageoires. La plupart des
roches de ces coteaux sont calcaires; les autres, formées par les débris des testacées, font
la pierre coquillière.
Le terroir de Cadenet est d’une bonne qualité; la plaine offre beaucoup de mûriers, et les
coteaux sont couverts de vignes et d’oliviers qui fournissent de ton vin et une huile qui
est comparée à celle d’Aix. Il est dommage que les brouillards de la Durance fassent
souvent avorter le germe des blés, et couler les fleurs des arbres fruitiers. Les foires
sont, le 20 janvier, le 1er mars, le 24 août, le 21 septembre et le 8 décembre. Pop. 2, 600
hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Cadenet, Cucuron, Lauris,
Lourmarin, Mérindol, Puget, Puyvert, Vaugines et Villelaure.
CAGNES, Cagna. Bourg du canton de Vence, à une lieue du Var, et à 51. E. de Grasse.
Il est situé sur une colline qui borde la route royale d’Antibes à Nice, à une distance de
quinze minutes de la mer; deux routes départementales, partant l’une de Grasse et de
l’autre de Vence, viennent y aboutir. Ce lieu était le Deciatum des anciens. Tout prouve
que les Deciates, peuple celto-lygien qui occupait les rives de l’Apros (le Loup), avaient
leur mallus et leur retranchement à l’endroit même où se trouve le bourg de Cagnes,
dont la situation et l’exposition étaient on ne peut plus convenables aux habitans de la
Celto-Lygie. La ville primitive éprouva le même sort qu’Ægytna, ville des Oxibiens, et
le peuple, après avoir essuyé plusieurs grands revers, fut forcé d’abandonner le littoral
aux Marseillais, alliés des Romains, et d’aller chercher un refuge chez les peuples de
l’intérieur.
On trouve dans l’intérienr de la commune, sur une pierre calcaire qui forme le dessus
d’un banc en maçonnerie, à côté de la porte d’entrée d’une maison, l’inscription que
voici:
D.
M.
M. LIVIVS NICOSTRATVS
LIVIO ONESIMO PATRI ET
LIVIA. NICE. LIVIO ONESIMO
MARITO ET LIVIO HERMAE
PATRONO VIVI FECERVNT
SIBI
POSTERISQVE SVIS.
Traduction:
Marcus, Livius Nicostratus et Livia Nicca ont, de leur vivant, élevé ce monument à
Livius Onesimus, leur père et leur mari, a Livius Herma, leur patron, et à eux-mêmes et
à leur postérité.
Non loin de l’embouchure du Loup, et à cent mètres de la rive gauche de cette rivière,
qui limite le territoire de Cagnes, on rencontre les ruines du monastère de Saint-Véran:
c’est à l’endroit même où avait existé une célèbre église qui fut bâtie dans les premiers
temps où la lumière de l’évangile pénétra en Provence. Cette église est connue, dans les
annales ecclésiastiques, sous le nom de Notre-Dame la Dorée. Il parait d’après la
chronologie de Lérins (page 363), et l’histoire de Bouche l’ancien, qu’elle fut d’abord
détruite par les barbares et rétablie ensuite sous le règne de Charlemagne, qui, allant en
Italie, la combla de magnifiques présens. Ces richesses et le voisinage de la mer furent
une nouvelle cause de sa destruction.
On trouve, dans le premier des ouvrages cités, que Durandus. qui, du monastère d’Apt
dont il était abbé, passa à l’évêché de Vence, conçut, dès son arrivée, le projet de relever
cette belle église et d’y établir un monastère. Ce projet s’exécuta en 1026; et, par
l’influence du prélat, l’établissement reçut bientôt de grandes donations. Un abbé
nommé Pontins en eut le premier la direction; mais, après un laps de trente ans, celui-ci
reconnut que le monastère ne pouvait exister plus long-temps dans l’observance
régulière sans être lié à une grande congrégation, et il se soumit, en l’an 1056, à la
célèbre abbaye de Lérins. Nonobstant une aussi sage précaution, la main du temps
frappa de nouveau sur cette demeure religieuse; elle fut abandonnée, ses édifices
périrent, et le revenu des terres qui lui restaient passa entre les mains du chapitre de
Vence, qui en a joui jusqu’au moment de la révolution.
Des bâtimens ruraux se sont élevés sur ces ruines dont on ne voit plus aujourd’hui que
quelques vestiges en face de la route d’Italie.
Les causes de l’abandon de ce monastère ne sont pas connues; mais il ne put provenir
de sa position, car elle avait été bien choisie: élevé sur un terrain légèrement en pente,
au midi et en vue de la mer, l’édifice religieux dominait des prairies et de vastes
champs, auxquels l’industrie agricole a fait éprouver de grandes améliorations, depuis
qu’ils n’existent plus en main morte. Tout à côté, une dérivation du Loup, les eaux
d’une belle source appelée les Baumes, du nom des voussures ou grottes qui la
dominent, mettent en mouvement quantité de moulins et usines remarquables, dont la
construction, à peine achevée à travers bien des difficultés vaincues, n’a pas coûté
moins de cent mille francs. Ce développement industriel fera époque dans le pays.
C’est en cet endroit que campa le consul Q. Opimius, lorsque, suivant Polybe, il vint
mettre le siége devant Ægytna, pour venger l’insulte faite par ses habitans à Flaminins,
ambassadeur de Rome.
Dans sa position, Cagnes ne fut pas exempt de la domination féodale; mais, sans
regretter ce régime, ses habitans aiment à dire, par tradition, que le pouvoir qui en
dérivait fut toujours assez doux entre les mains honorables qui l’exercèrent jusqu’au
moment où, déjà miné par le temps, le trop vieil édifice dût tomber à jamais. La terre de
Cagnes était érigée en marquisat; elle appartenait à feu M. de Grimaldy, des princes de
Monaco, dont l’ancienne et illustre famille possédait, de temps immémorial, la
seigneurie d’Antibes qui fut achetée 25, 000 florins, par le bon roi, en 1608.
Deux rampes latérales, conduisant au haut d’un perron aussi élevé que le massif sur
lequel la tour est assise, se fesaient remarquer autrefois par de gros balustres en marbre;
la porte d’entrée, que fermait un pont-levis, conduit dans une cour, autour de laquelle
règne un péristyle à colonnes. Le premier et le second cadre offrent des galeries
ouvertes, soutenues également par des colonnes, et le long desquelles règnent des
balustrades à hauteur d’appui. Le tout est en marbre et présente un ensemble aussi
massif que pourraient l’être un escalier, une colonnade de Versailles ou de toute autre
grande maison royale. Ces galeries ne conduisent pourtant qu’à des salles d’une
médiocre grandeur et d’une distribution peu commode, à l’exception d’une seule qui
renferme un plafond renommé, lequel est peint à fresque et représente la chute de
Phaëton.
Cette peinture a, dans tous les temps, excité la curiosité des connaisseurs, et la plupart
de ceux qui se rendent en Italie ne manquent jamais de monter à Cagnes pour y voir les
restes de ce morceau qui n’est point au-dessous de sa brillante réputation. Feu M. Ie
comte de Villeneuve-Bargemont, dont plusieurs écrits se rattachent à la gloire du
département qui l’a vu naître, a consacré quelques pages à la description de ce beau
travail qu’il attribue à Carlone, auteur du plafond de l’église de l’Annonciade, à Gènes.
Nous lui empruntons les expressions suivantes sur le morceau principal, pour donner
une idée du génie de l’auteur:
— Le peintre a choisi le moment où Phaëton, renversé de son char, entraîné par ses
chevaux dont les rênes sont flottantes, est précipité dans l’immensité des airs: sa main
gauche cherche à trouver un point, l’appui, la droite se porte à la tête en signe d’effroi,
et la jambe droite est élevée en l’air, de manière à offrir le plus beau raccourci; le visage
est noble, et la consternation qui y règne n’a rien qui ne soit digne du fils d’Apollon.
Les quatre chevaux sont groupés de la manière la plus savante: l’un paraît être culbuté
derrière le char; deux autres, renversés aussi dans le même sens, veulent se raccrocher
l’un à l’autre, et se sont attrapés chacun par la bouche; le quatrième, qui est de couleur
blanche, semble tomber perpendiculairement sur le spectateur; toutes les parties de son
corps sont de la plus grande beauté, et les quatre jambes, dont deux (les postérieures)
sont vues en raccourci, ont l’air de se raidir par un mouvement convulsif; la crinière
hérissée et la queue flottante de ce coursier viennent faire diversion à la beauté des
formes; la tête, pleine de vie, de noblesse, est magnifique dans tous ses détails; les yeux
sont pétillans, et la bouche entrouverte semble faire entendre un hennissement
douloureux.
— Toutes ces figures, groupées de manière à présenter un ensemble parfait, sont
correctement dessinées, et l’art se remarque surtout dans les jambes des chevaux, qui
sont aussi bien distribuées qu’il a été possible de le faire dans une scène de désordre et
de confusion.
Les accessoires ne sont pas moins soignées: les ornemens du char sont simples, mais
nobles et bien entendus; le talent marqué de l’artiste pour la perspective se remarque
jusque dans une roue qui est détachée, et qui, en tombant, a l’air de se rouler sur elle-
même; l’illusion est véritablement faite pour embarrasser le dessinateur, car la manière
dont elle se présente varie, de quelque situation qu’on la regarde.
En dernière analyse, ce plafond peut-être considéré comme un monument très-précieux
sous le rapport du dessin, de la composition et de l’impression.
On dit dans le pays, et le voyageur français a répété, que le peintre, après avoir travaillé
trois ans à faire ce morceau, ne pouvait perdre de vue ce cher ouvrage dont il était
amoureux, et qu’au moment de son départ, il versa des larmes, en disant: Bella mia
cascata di Phaëton, io non piu ti vedere, mai, mai, mai.
Parmi les souvenirs historiques qui se rattachent au château de Cagnes, on peut citer la
résistance honorable qu’il fit, à l’aide des habitans, en 1592, au duc de Savoie, qui,
profitant alors des troubles de la France, envoya des secours aux ligueurs pour chercher
à s’emparer de la Provence. Mais on sait que le maréchal duc de Lesdiguières, qui
commandait les troupes de Henri IV, eut la gloire, en cette occasion, de sauver une
seconde fois cette province.
Le climat de Cagnes est à-peu-près celui de Nice. Son territoire, presque entièrement
formé de cailloux roulés, donne de l’huile, du blé, des légumes, du vin excellent et tous
les fruits communs à la Provence. Le tabac et le mûrier y sont cultivés avec succès;
l’oranger n’y vient en pleine terre que selon les abris; mais on le trouve dans tous les
jardins, à quelque exposition que ce soit. Ce territoire, baigné par le Loup au sud-ouest,
est traversé par la rivière de la Cagne, dont le village a pris le nom: elle met plusieurs
moulins et usines en mouvement, et arrose une jolie vallée au fond de laquelle on voyait
un ancien château tombé naguères sous le marteau de la Bande noire. Cette vallée
s’étend du nord au sud, où la Cagne a pour confluent le Malvan, ruisseau qui prend sa
source près du territoire de Vence, et dont le nom romantique désigne, dans celui de
Cagnes, une autre vallée que l’on parcourt avec plaisir. Si l’on monte à mi-côte, l’œil se
plaît dans un riant paysage; il aime surtout à remarquer la ville de Saint-Paul et ses
fortifications sur une hauteur pittoresque, d’où un vieux canon nommé Lacan, sans
anses et sans affût, formant à lui seul tout le matériel de la place, fait entendre ses
détonations dans les grandes circonstances; plus bas on voit la Colle, fille de Saint-Paul,
l’un des plus jolis villages du canton, mais singulièrement nommé dans sa situation en
plaine. Deux lointains remarquables terminent la perspective: d’un côté, des montagnes
chenues, fesant partie du premier échelon des Alpes, arrêtent les regards, qui, de l’autre,
iront se perdre dans l’horizon de la Méditerranée.
Vence et ses environs sont une mine féconde en anciens monumens; aucun des travaux
qu’on y fait pour l’exploiter n’est infructueux. Deux nouvelles inscriptions viennent
d’être découvertes sur le domaine du petit Saint Jean, appartenant à M. Guérin, ancien
président de la cour royale d’Aix, lequel est situé à l’extrémité nord-ouest du territoire
de Cagnes, dans la jolie vallée du Malvan. Nous allons essayer d’en donner la
description.
OTI DIVI CO
NSTANTINI
AVG. PII
Il est difficile d’établir quelle est la nature de ce monument, et à qui il était consacré.
Mais nous pensons qu’il peut avoir été élevé à l’honneur de Julien l’Apostat, lorsqu’il
fût proclamé Auguste dans les Gaules, par les soldats, en 360, au mois de mars ou
d’avril. Julien était fils de Jules Constance, frère du grand Constantin. La qualification
de nepoti divi Constantini Aug. pii, qui est dans l’inscription, s’accorde avec
l’explication que nous en donnons. Elle paraît même ne convenir qu’à Julien. Alors il
faudrait lire l’inscription ainsi: Flavio Claudiano Juliano nepoti divi Constantini,
Augusti pii.
Nous ne pensons pas, comme on l’a cru d’abord, que ce monument puisse être une
pierre milliaire. Nous nous fondons, pour rejeter cette opinion, sur ce que les pierres
milliaires destinées à être placées aux bords des chemins pour marquer les distances,
portaient une inscription renfermant le nom du souverain qui avait fait construire ou
réparer la route; et on y ajoutait ordinairement les titres et les différentes marques de
puissance dont il était revêtu. Ce nom était un nominatif, parce que l’inscription n’était
pas dédicatoire, mais simplement énonciative. Au lieu qu’ici les dernières lettres du mot
nepoti, qui sont intactes, prouvent que le nom qui commençait l’inscription était au datif
et qu’elle était dédicatoire. C’était donc un monument élevé à l’honneur du souverain, et
non une pierre milliaire.
Cette inscription existe sur un tronçon de colonne de pierre calcaire grisâtre, d’un travail
assez poli, mais enraillé par le frottement; il a, dans son état actuel, 190 centimètres de
hauteur sur 143 de circonférence.
La seconde inscription, sur une pierre en forme d’autel, est ainsi conçue:
M. M.
VIRIAE MEL
POMEDES
MATRI DVL
CISSIME
SEVERINA
PECIT DE SVO
SIBI.
Toute autre explication serait superflue; seulement nous ferons observer que la dédicace
M. M., en tête de l’inscription doit porter D.M., Aux Dieux Mânes; telle qu’elle a été
gravée, c’est un non sens, et d’ailleurs il n’y en a pas d’exemple. Nous fesons encore
observer que Melpomenes étant un nom propre, on n’aura pas cru devoir le décliner,
mais on doit dire Melpomeni.
Près de ces deux monumens, on en a trouvé un troisième sous la forme d’un carré long.
C’est probablement aussi un tombeau; il n’y a pas d’inscription, mais la figure de la
hache, qui y est sculptée, l’annonce assez. La hache, Ascia, indiquait la magnificence
que les Romains apportaient dans la construction de leurs monumens funéraires. Aussi
la pierre sur laquelle se trouve cette figure est-elle d’un grain très-fin. Il était défendu
autrefois, par la loi des douze tables, d’orner les tombeaux de la figure de la hache. Mais
ces mœurs simples et modestes qu’Ovides décrit dans le livre II Des Fastes, disparurent
et firent place a un abus extrême de richesses et d’ornemens des tombeaux. On peut
donc inferer de ceci que le tombeau dont cette pierre fesait partie appartenait à quelque
famille distinguée.
Après ces détails archéologiques, nous reprenons la suite de quelques indications qui se
rattachent à la topographie et au produits du territoire.
Les vallées de la Cagnes et du Malvan donnent un chanvre renommé que l’on porte aux
foires de l’arrondissement de Grasse et à celles d’une partie de l’arrondissement de
Draguignan. Le lin est également cultivé dans ces vallées. Dans le siècle dernier, ces
productions, justement appréciées, engagèrent des négocians de Lyon à élever sur le lieu
même une grande manufacture de toiles. Mais une administration infidèle, plus que
l ’ i n s u ffisance de la matière première, dont les besoins étaient remplis par des
importations d’Italie, fit tomber cet établissement, qui pendant nombres d’années fut
très-favorable au pays. Il y reste encore aujourd’hui un souvenir de ses avantages dans
la possession successive de quelques bons ouvriers en tisseranderie.
Sur le littoral, qui est la partie du territoire traversée par la route d’Antibes à Nice, on
croit s’apercevoir que l’on est près d’entrer sur le sol de l’Italie. Là on remarque dans la
végétation une vigueur qui s’annonce par la beauté des oliviers dont la plupart ont
résisté au rigoureux hiver de 1709 et à tous les froids extraordinaires qui se sont
succédés depuis. Mais le rapport de ces arbres séculaires n’est plus ce qu’il devrait être,
en raison de l’étendue et de l’élévation de leur branches. Cependant il y en a encore
d’un seul pied qui donnent jusqu’à 80 décalitres de fruits.
Dans ce territoire, dont le sol est inégal, varié et, par cela même, très-agréable, croissent
quelques plantes maritimes qui aiment les climats tempérés. L’aloès commun vient dans
tous les environs de Cagnes; il est surtout remarquable par la hauteur de sa tige à fleurs
liliacées. Le myrte, le grenadier y bordent les chemins; le gibier, les perdrix rouges
surtout y abondaient autrefois; mais le défrichement des coteaux que couvraient le grand
et le petit pin maritime, l’abus de la chasse en ont presque amené la destruction. Les
embouchures du Var, de la Cagne et du Loup attirent, en hiver, quantité d’oiseaux
aquatiques que la température retient sur ces bords. C’est toujours un nouveau plaisir
pour les chasseurs, qui peuvent tirer aux plongeons, aux canards, aux oies sauvages, aux
colymbes, aux sarcelles, aux poules d’eau, aux macreuses et à des espèces qui leurs sont
inconnues.
Une autre remarque assez fâcheuse que l’on fait au sujet de la commune de Cagnes,
c’est que les habitans y sont réduits à l’eau de citerne, et que la classe peu aisée n’a pas
même cette ressource. L’eau de la Cagne est la seule que la masse de la population
puisse, boire; elle serait assez bonne, mais cette rivière est exposée à recevoir toutes les
vidanges des moulins à huile de Vence, de la Gaude et de Saint-Jeannet; aussi, durant le
travail de ces usines, son aspect est tel, qu’il répugne aux voyageurs de laisser leurs
montures s’y abreuver. Un ancien arrêt du parlement de Provence prescrivait de
n’effectuer ces vidanges que du samedi soir au dimanche, sous peine de trois mille
francs d’amende. On a dont que cette pénalité n’était plus en harmonie avec notre
législation, lorsqu’on a voulu faire revivre cet ancien règlement, dont il serait difficile
d’ailleurs de constater la violation. L’idée philanthropique d’amener au pied du village
les eaux d’une source assez abondante, ne fut pas secondée dans la tentative qui en fut
faite, il y a quelques années; et, chose bizarre, la classe peu aisée, la partie de la
population la plus intéressée à cette amélioration, la regardait comme inutile, en raison
de ce que l’eau ne monterait pas au point culminant de l’habitation, qui est à quatre-
vingt-dix mètres au-dessus de la source. Deux mille hectolitres d’eau par jour sont
nécessaires pour alimenter convenablement cette commune. Il est à espérer que la
machine simple de M. Cordier, dont un homme peut faire le service, réalisera un jour ce
bienfait.
En terminant cet article, nous n’oublierons pas de dire qu’à cause de sa situation sur une
colline, le bourg de Cagnes a ses rues penchantes, qu’il n’est pas même trop bien bâti,
mais le goût des constructions s’y est introduit, et déjà on élève de jolies maisons dans
la plaine, dont on n’a plus à craindre le mauvais air qui résultait de la stagnation des
eaux. Cette amélioration est due à une culture mieux entendue, à des écoulemens bien
dirigés, et surtout à l’élévation successive des terres alluvines, œuvre lente des siècles,
mais toujours favorable dans son résultat. Ou peut en dire autant du Cros-de-Cagnes,
hameau bâti sur le rivage de la mer, depuis qu’un vaste pâturage de ses alentours a été
converti en jardins. Les parfums de l’oranger y ont succédé aux miasmes de quelques
mares qu’y occasionnait le torrent des Vaux, mieux contenu aujourd’hui dans son cours.
Le commerce du pays résulte de ses productions; son industrie consiste dans une filature
de soie, quelques distilleries d’eau de fleur d’oranger, la salaison des sardines et des
anchois, 4 moulins à farine, 18 à huile, 2 scies à eau et plusieurs briqueteries, dont le
génie militaire de la place d’Antibes a toujours employé les produits préférablement à
ceux des environs.
Il n’y a pas plus d’un siècle, les habitans de Cagnes étaient encore de mœurs simples, et
l’indolence fesait leur caractère distinctif. Avant de se mettre en chemin pour les travaux
de la campagne (s’aviar), ils consultaient les quatre points cardinaux, et le moindre
nuage les fesait rentrer dans leurs habitations pour y attendre gaîment le beau temps,
bien que dans une position qui n’était pas toujours le bonheur idéal.
Depuis soizante ans, ils sont successivement devenus beaucoup plus actifs et plus
laborieux; placés dans la sphère de la petite culture, il ne manquent ni de soins ni de
persévérance, malgré l’inconstance des saisons. Il y a aujourd’hui chez eux avidité de
s’instruire et de s’élever à l’aisance et aux plaisirs de la consommation. La classe aisée
s’est toujours distinguée par un tour d’urbanité qui plaît; le progrès tend vers une utile
émulation à cet égard. Puisse un luxe corrupteur ne jamais altérer une si heureuse
révolution!
Quelques observations superficielles avaient fait croire que le pays était peuplé de
contrebandiers. Si l’on y compte quelques individus, comme on en trouve partout, qui
louent leur coopération à la fraude, il est vrai de dire qu’il n’est pas de commune
frontière où l’on se livre moins à ce commerce illicite.
(Article communiqué.)
Les roches qui se montrent dans le territoire de Caille, sont du calcaire du Jura, dans
lequel est interposé un calcaire oolitique ou coquillier, contenant principalement des
peignes. Dans les terres on trouve des pyrites dans une sorte d’argile employée par les
tuiliers du pays. Le dessus des hauteurs est couvert de belles plantations de pins et de
sapins qui servent pour la charpente et pour la menuiserie.
Au haut d’une montagne en face du village de Caille, il y a une grotte souterraine fort
belle et très-riche en stalactites. On y trouve tout ce que l’imagination croit y voir. Ses
voutes sont très-élevées, et nombre de pointes de rochers semblent menacer les curieux
qui visitent ces concavités. Darluc rapporte que les deux premiers amateurs d’histoire
naturelle qui eurent connaissance de l’existence de cette grotte, dans laquelle des enfans
avaient déjà pénétré, élargirent à l’aide d’un pic la crevasse qui servait d’antre à la
caverne, et s’y introduisirent pour y admirer la beauté du travail de la nature. Ils eurent
soin de se charger de morceaux de stalactites curieux pour en faire l’ornement de leurs
cabinets. Pendant qu’ils s’occupaient à leurs recherches, l’humidité de la grotte
affaiblissant la lueur des torches qui les éclairaient, ils se hâtèrent de remplir leurs
poches et de prendre la fuite. Mais, dès qu’ils furent au passage étroit, la peur qu’ils
avaient de rester sans lumière, le volume de leurs poches pleines de concrétions, et
même leurs vêtemens qui avaient grossi de volume en s’imbibant de l’humidité de la
grotte, tout cela fit qu ils ne purent pas se glisser par l’ouverture. Dans ces entrefaites,
ils perdirent leur dernière lumière, ce qui les effraya au point de négliger de chercher un
moyen pour sortir de leur prison. Cependant, après être un peu revenus à eux, ils
vidèrent leurs poches, quittèrent leurs vêtemens, et se sauvèrent en chemise, après s’être
écorchés en plusieurs endroits de leurs corps. Cet événement fit du bruit dans le village;
le peuple se rendit à la grotte, en élargit considérablement l’ouverture, de manière à
n’être plus obligé d’en sortir entièrement nu.
Vers le milieu du siècle dernier une aérolithe, sorte de pierre météorique qui ressemble à
du fer, tomba du ciel sur la montagne d’Audibergue, aux environs de Caille. Un berger
la découvrit. Il en instruisit son maître qui la fit traîner par des bœufs jusque dans la
plaine, où elle fut abandonnée. Un maréchal ferrant, la prenant pour du fer, la fit
transporter à Caille près de sa boutique; il en brisa un morceau pour essayer de le forger.
Il en fit des fers de mulet qui furent d’un bon user; mais il négligea d’ouvrer le reste du
bloc. Il l’abandonna même, et, depuis plus de cinquante ans, il servait de siége dans la
rue. Cette aérolithe, une des trois plus belles connues, vient d’être transportée à Paris
comme une pièce fort rare et fort curieuse; elle pèse quatorze cent soixante livres. En
paiement, le gouvernement a fait cadeau au village de Caille d’une jolie horloge très-
bien confectionnée, qui sera infiniment plus appréciée que toutes les aérolithes qui ont
pu tomber du ciel, par des hommes qui ne connaissent et n’apprécient que l’argent qui
provient de leurs denrées, Pop. 200 hab.
CALAVON, ou CAULON, Caslevo, autrefois Aucalo. Rivière qui naît près de Banon,
passe à Apt, à L’Isle, et se jette dans la Durance, entre Caumont et Cavaillon. C’est sur
le Calavon, près de Bonnieux, que l’on voit encore le pont Julien, que César fit
construire et auquel il donna son nom.
CALCARIA. Ancien nom d’une petite rivière dans le département des Bouches-du-
Rhône. On sait positivement que cette rivière se jetait dans l’étang de Berre; mais on
ignore l’endroit de sa source. L’un veut qu’elle soit au-dessus de Marignane, l’autre au
Village des Pennes. Quelque révolution du globe l’a sans doute fait tarir, et la culture
s’est emparée de son lit, de manière qu’on n’en voit plus la moindre trace.
Pline dit: Regio Oxibiorum, Liganorumque, super quos Suetri, Quariates, Adunicates. Si
les Oxibiens occupaient les cantons de Cannes et de Grasse, et si les Quariates et les
Adunicates étaient dans les pays traversés par la route qui de Grasse conduit à
Castellane, il est inconcevable que certains auteurs aient placé les Ligauni, tantôt sur le
littoral de la Ligurie près de Savone, tantôt dans les Alpes Cisalpines, et tantôt à Grasse,
pays qui appartenait aux Oxibiens; tandis que la plaine de l’ancien Calian est en-
dessous, et n’est séparée que par une montagne de la vallée que les Quariates et les
Adanicates occupaient.
D. M.
M. IVLIO
EVXINO
MII. VIRO
AVG.
C. COELIO
C. ET. L. LIB.
SESTERTIO
C. COELIO. C. L. FELICI.
VI. VIR.
C. COELIVS. C. L. FAVSTVS
VI. VIR. FRATER. FECIT
Les Ligauni ayant fait cause commune avec les Oxibiens et leurs autres alliés contre les
Romains, éprouvèrent les mêmes revers, et leurs villes capitales furent entièrement
détruites par les vainqueurs. Ligaunia se trouvait, selon les apparences, sur
l’amphithéâtre du Cavaroux. Le nom de cette terre est une corruption de Cadaveroux
(Cadaverosus), à cause des masures qu’on y trouvait, mais qui n’existent plus.
Après ce désastre, une partie des habitans construisit une nouvelle ville sur les deux
rives de la Camera; L’autre partie se divisa, pour aller, sans quitter le territoire, jeter les
fondemens des villages de Seillans, Montauroux et Avaye ou Auvaye. Tous ces lieux
furent visités par les différens peuples barbares qui envahirent la Provence; mais nous
ignorons les excès qu’ils y commirent.
Le seconde ville de Calian fut, en 1391, réduite en cendres par le cruel Raymond de
Turenne, fils de Guillaume Roger, comte de Beaufort de Canillac, et d’Éléonor de
Comminges. Les habitans allèrent s’établir sur plusieurs points du territoire. Les
communes de Fayence et de Tourrette ne datent que de cette tette époque; auparavant
elles n’étaient que des hameaux de Calian, ainsi que celui de Saint-Paul et celui de
Vermasque improprement appelé Saint-Laurent, qui n’est que le nom du patron de
l’ancienne église dont on voit encore les vestiges.
Calian fut rebâti une troisième fois, mais sur une éminence où se trouvait un hameau
fortifié qui, avec le fort du Castelet et le fort Saint-Barthélemy de Montauroux, avait
servi de boulevard à l’ancienne ville. Le nouveau Calian est bâti en amphithéâtre et sans
goût, mais à une belle exposition, et sous un climat aussi sain que doux.
La plaine en-dessous de la ville n’est formée que des alluvions de la Camiole; son sol
est sablonneux et ne possède presque pas d’humus; il ne produirait assez qu’à force
d’engrais; mais malheureusement le pays en manque, même pour ses oliviers. Il lui
faudrait des prairies, et il en aurait, si l’on remettait les eaux de la Siagne dans le
fameux aqueduc, encore existant en grande partie, que les Romains avaient construit
pour conduire ces eaux à Fréjus. Mais les Caliannais, naturellement spirituels et propres
à toutes sortes d’instructions, sont abandonnés des leur bas age à leur volontés, et se
rient de tout projet d’amélioration.
Un jour viendra, sans doute, où des spéculateurs étrangers au pays viendront effectuer
une entreprise faussement qualifiée d’impossible; et les eaux de ce canal seront vendues
ou affermées à bon prix aux propriétaires. Cependant la commune est assez riche pour
faire exécuter à ses frais ce grand travail, d’autant plus qu’une grande partie de
l’aqueduc romain est encore dans un bon état, et qu’il n’y aurait proprement à faire en
entier que la jetée pour retenir les eaux au sortir de la source, et un canal pour les
conduire dans l’ancien aqueduc.
Les Sarrasins, à leur arrivée en Provence, donnèrent aux habitans le spectacle de leurs
danses guerrières. Une de ces danses, appelée la Mauresque, s’est conservée dans cette
contrée. Nulle commune ne s’y livre aussi souvent et avec autant de passion que celle de
Calian. Elle s’exécute en courant les rues les uns derrière les autres sur une seule file, en
gambadant ou battant des entrechats, et s’arrêtant de temps à autre pourboire à la-ronde,
ce qui échauffe leurs têtes et excite les disputes.
Les femmes préfèrent la danse dite le rigaudon; elle s’exécute toujours au son du fifre et
du tambour. Un cavalier avec sa dame, suivis de plusieurs autres couples, courent deux
à deux et parcourent plusieurs fois tout une place, pour vaste qu’elle soit: quelquefois
les cavaliers se séparent des dames et prennent une direction contraire; tantôt les
hommes font un grand branle, et tantôt ce sont les dames; mais puis tous les couples se
réunissent et courent encore en sens divers; tout cela s’appelle la vole, faire la vole, à
laquelle succède le rigaudon, qui est de se prendre deux à deux, c’est-à-dire un cavalier
avec sa dame, se regardant en face, l’un allant en avant et l’autre en arrière jusqu’à
l’extrémité de la place, et retournant de la même manière. Il arrive souvent que les
couples se heurtent par le derrière, même avec intention; ils se donnent des coups si
rudes, si violens, que le plus faible tombe quelquefois à la renverse; que ce soit un
cavalier, que ce soit une dame qui tombe, tout le monde en rit aux éclats; quand deux ou
trois couples se sont entravés, ils font ensemble un petit branle, et reprennent ensuite
leur promenade ridicule qui se ressent des Maures africains.
Le pas qu’on exécute au rigaudon s’appelle tricoter; la plupart le font en dansant sur le
talon, ce qui est risible pour l’étranger qui le voit pour la première fois, et insipide, si
c’est à la seconde. On peut dire que dans ce pays la danse a lieu toute l’année; qu’il n’y
a ni l’Avent ni le Carême qui détiennent. Si, par fois, ils n’est pas permis aux ménétriers
de sortir avec leurs instrumens, les filles se réunissent sur plusieurs points du village et
dansent parmi elles, en s’accompagnant de leurs chants qui ne sont autres que des cris
perçans et pris au ton du fausset: cette manière de chanter est commune à tous les
villages.
Bien des gens croient que c’est la passion de la danse et la fréquente occasion de danser
qui font que les Caliannais aiment leur pays de manière à ne presque pas pouvoir
s’habituer ailleurs. Nous citerons un fait assez curieux, qui prouve que c’est un motif
plus louable qui leur fait chérir le lieu qui les a vus naître. En 1707, lors de l’invasion
des Piémontais, un général autrichien nommé Brounk, au service du duc de Savoie,
arriva à Calian avec une partie des troupes qu’il avait sous son commandement; la
femme de ce général eut pendant la nuit les douleurs de l’enfantement, et accoucha d’un
garçon; ce qui fut cause que le pays eut une garnison qu’on ne retira qu’à la retraite des
Savoyards.
Quarante ans après, un corps d’armée autrichien passant par la petite route qui conduit
de Grasse à Draguignan, éprouva des pertes considérables au passage de la Siagne, par
le courage et la valeur des paysans caliannais. Les Impériaux arrivèrent en force sur le
pays de Calian, bien résolus de le livrer à la proie des flammes. Comme il se disposaient
à exercer leur vengeance et leur fureur, le général qui les commandait les assembla, et
leur dit: — Je sais que vous avez “ fortement à vous plaindre des gens de ce lieu; ce sont
des méchans comme nous n’en rencontrerons, peut-être jamais; ils se sont conduits à
notre égard de la manière la plus cruelle; ils mériteraient une juste représaille ……;
mais ils sont mes compatriotes; Calian est mon pays, et je Elois le faire respecter.
Malheur à celui d’entre vous qui osera porter atteinte aux personnes et aux propriétés.
On voit clairement que cet officier était le fils du général Brounk.
Le territoire de Calian est divisé en deux parties séparées par celui de Montauroux. La
partie à l’ouest se trouve sur la bande calcaire, et celle à l’est sur la bande schisteuse. La
première, qui est celle où se trouve la ville, est complantée de chênes verts et blancs
dans ses expositions au nord, d’oliviers et de figuiers sur ses amphithéâtres au midi, et
de vignes dans une grande étendue de ses plaines. Cette partie n’était autrefois qu’une
épaisse forêt. Le sol est maigre, sec et pierreux; il ne produit qu’à force de culture et
d’engrais. Le sol est à-peu-près tel que Diododre de Sicile le décrit, en parlant de la
Celto-Lygie en général.
— Les Celto-Lygiens qui viennent après la Celtique, dit-il, habitent un canton sauvage
et stérile. Ils mènent une vie misérable, travaillant assidûment à des ouvrages rudes et
pénibles. Comme leur pays est couvert d’arbres, ils sont obligés de passer presque tout “
le jour à les couper: pour cet effet, ils se servent de haches extrèmemenl fortes et
pesantes. Ceux qui travaillent à la terre sont le plus souvent “ occupés à casser les
pierres qu’ils y rencontrent, car ce terroir est si ingrat, qu’il serait impossible d’y trouver
une seule motte de terre qui fût sans pierre. Cependant, quelques “ rudes que soient
leurs travaux, la longue habitude les leur fait paraître supportables; ils achètent une très-
petite récolte par beaucoup de peines et de fatigues.
La seconde partie du territore de Calian est appelée Thaneron, et, par corruption,
Taneron. C’était une vaste forêt dans un pays fort ardu, d’environ douze lieues de
circonférence, qui avait ses seigneurs particuliers. Le dernier de ces seigneurs n’ayant
pas de postérité, laissa cette vaste terre à la maison de Gabris, et la juridiction à la
commune de Calian, dont les habitans avaient seuls le droit d’y introduire des
troupeaux, et de s’y défricher des terres, moyennant un droit de champart (de tasquo).
Cette partie du territoire offre une population d’environ 800 habitans, disséminés dans
des cassines éparses et toutes plus rustiques. Dans les terres cultivées se trouvent
beaucoup de vignes, de figuier, de noisetiers, d’oliviers et de châtaigniers mais les
vignes, plantées sur un sol très-penchant, n’y durent que quelques années, vu que la
moindre averse entraîne la terre soulevée et met à découvert les racines Les terres en
friche n’offrent que des forêts de pins maritimes qui pourraient être remplacés par le
pinus larix ou pin de l’île de Corse, arbre précieux pour nos ports de construction. Au
fond de toutes les gorges, et auprès du moindre surgeon d’eau, se trouvent des
arbousiers dont le fruit, entièrement négligé, pourrait donner un sirop excellent, et un
rhum qui équivaudrait à celui qui vient de la Jamaïque; les châtaigniers pourraient
fournir une excellente nourriture, si l’on avait soin d’en multiplier l’espèce. La
généralité des habitans de ce quartier y est dans la plus affreuse misère, et le manque de
nécessaire les porte assez souvent au crime. La plupart ne vivent que de la fabrication
du charbon de bois. Il y a pourtant des mines de charbon de terre et de plusieurs sortes
de minerais, les mêmes que l’on rencontre sur la montagne de l’Estérel, dont le
Thaneron est une dépendance. Toutes ces mines sont négligées et méprisées par des
hommes aussi rustres qu’ignorans, qui ne travaillent point pour acquérir des biens, et ne
permettent pas que leurs voisins fassent des plantations pour augmenter leurs fortunes.
On assure qu’on s’occupe en ce moment de soustraire ce quartier à la juridiction de
Calian, pour en faire une commune particulière. Les habitans de Calian, loin d’en être
fâchés, s’en réjouissent, et considèrent cette sonstraction comme une vermine qu’on
enlève d’un corps qui tient à être pur et sain.
Le pays de Calian offre une papeterie, trois verreries et une scierie à planches. Les
principales productions sont, l’huile, le vin et quelques fruits. La plaine dite des Touas
donnerait des amandes en quantité, s’il plaisait aux agriculteurs d’y cultiver l’amandier;
et cette récolte les indemniserait souvent du manque de celle des olives, qui y réussit
rarement.
Les foires du pays sont, le premier et le dernier vendredi de mars et le 7 août. Pop. 2,
200 hab.
Vers le milieu de la forêt de Rouët, et même sur le bord de la rivière, est un lieu appelé
l’Argentière. Aux granits qui se trouvent dans cette partie sont mêlées des paillettes
d’argent. Plus d’une fois on a essayé de séparer ce métal; mais les frais ont toujours
excédé le profit.
La petite ville de Callas est bâtie en amphithéâtre sur la bande calcaire; elle est dominée
par la colline de Piol, dont le sommet offre la roche entièrement nue; les rues, toutes
étroites et tortueuses, sont sales, à cause du fumier qu’on est obligé d’y faire pour la
fructification des oliviers. Ses habitans, qu’on qualifie à tort de stupidité, sont laborieux,
propres à l’agriculture et au commerce. Ils transportent leurs huiles dans tout le
Dauphiné et même à Lyon.
En 1431, le pays de Callas s’était compromis pour cause d’insubordination et de
désobéissance au roi. Ces forces militaires furent dirigées contre ce lieu pour le détruire
et pour châtier sévèrement les habitans. C’en était fait de Callas, si la ville de
Draguignan n’eût employé tout son crédit à la cour pour le préserver d’une ruine totale.
Ce service est entièrement oublié.
En 1579, le seigneur de Callas fut égorgé dans son château par un ennemi particulier.
Parce que les habitans avaient soutenu un long procès contre le seigneur, ils furent
accusés d’être les auteurs de ce meurtre. Par arrêt de 1584, ils furent reconnus innocens.
Le seul coupable fut puni par la justice. En 1620, les héritiers du feu seigneur ayant
établi des contestations sur les droits féodaux, les habitans achetèrent les biens et les
droits seigneuriaux; de ces derniers ils en firent hommage au roi, qui les accepta.
Pendant la dernière révolution, le pays a été aussi calme qu’en temps de paix. Les
honnêtes gens ne se sont point cachés, et ont conservé entre leurs mains l’autorité
municipale. Le peuple n’a point envié des charges pour lesquelles il ne se sentait point
capable; aussi nulle persécution n’a eu lieu dans ce pays. Au contraire, nombre de
malheureux Provençaux trouvèrent à Callas un sûr asile contre le délire révolutionnaire
qui les poursuivait avec acharnement.
Après nos malheureux désastres, en 1815, lorsque les armées étrangères occupaient la
France, une assez forte garnison fut imposée à Callas. Les habitans du pays, irrités déjà
par la vue des soldats ennemis qui ravageaient la campagne et maltraitaient ceux qui
étaient forcés de les recevoir dans leurs maisons, se levèrent comme un seul homme, et
jurèrent d’exterminer tout le détachement. Le massacre aurait commencé; il aurait eu
des suites terribles, si le maire qui prévoyait que d’autres troupes seraient envoyées pour
venger celles qui auraient été sûrement exterminées, n’eut calmé cette effervescence,
causée surtout par la haine contre l’étranger, en montrant les suites de ce coup d’état. La
population se calma; mais c’est un souvenir glorieux qui doit rester.
Le climat de Callas est tempéré; le sol est, en général, assez mauvais et sec; il produit
cependant du blé, du vin et surtout beaucoup d’huile. Population: 2, 100 hab.
CAMARGUE (LA). Grande île formée par le grand et par le petit Rhône et par la mer.
Cette île n’est éloignée de la ville d’Arles que par la largeur du fleuve, que l’on passe
sur le même pont de fil de fer qui aboutit au hameau de Trinquetaille. Les Anatiliens,
peuple celto-lygien, occupaient cette île. Le mot Anatilii, en langue celtique, signifie
habitant d’une île. Leur ville capitale se trouvait à l’embouchure du grand Rhône
d’alors, qui était peu distante du lieu où se trouve la ville d’Arles.
Le nom de cette île est une corruption de Campus Marii ou de Caïus Marius, dont on a
fait Camaria ou Camargue. Marius avait parcouru la Camargue, lorsqu’elle s’étendait
jusqu’à l’étang de Galéjon, où passaient jadis les eaux du grand Rhône qui
communiquaient avec les fossœ Marianœ. C’est sur le bord du Galéjon, et du coté de
l’est, que les Marseillais Phocéens avaient bâti une ville qui tut nommée Rhoda,
Rhodos, Rhodanutia, ville qui donna le nom au fleuve. Il n’en paraît plus aucun vestige.
Les atterrissemens du Rhône l’ont entièrement couverte, et toutes les fouilles qu’on a
faites depuis, n’ont pu découvrir le point exact où elle se trouvait.
Le petit Rhône a également fait un pas vers l’est. Son ancien lit était ce qu’on appelle
encore le Rhône mort. Louis IX, dans sa première et seconde croisade, s’embarqua à
Aiguemorte. La mer s’avançait jusque là. Mais le déplacement du petit Rhône a forcé la
mer à se retirer à une grande distance de cet ancien port. L’étang de Valcarès, qui
occupe presque un quart de la Camargue était un golfe très-enfoncé dans les terres. Le
grand Rhône, par ses atterrissemens, a non seulement rétréci le golfe sur tous les points,
mais il en a fait un étang, en le séparant de la mer par un banc de sable. Autrefois le
grand Rhône portait ses eaux jusqu’aux Saintes-Maries, c’est-à-dire à la pointe sud-
ouest de la Camargue.
Le canal du Japon, qui forme l’île du plan de Bourg, ne date que de 1711. Il fut formé
par une grande crue des eaux du grand Rhône. Du côté de cette île, la mer recule d’une
manière sensible. La tour Saint-Louis fut construite en 1737 sur l’ancien rivage, et elle
en est aujourd’hui éloignée au moins d’une lieue. Jugez de combien la mer doit avoir
reculé, depuis que les Romains bâtirent la ville d’Arles.
La Camargue nourrit une grande quantité de chevaux et de bœufs sauvages; les chevaux
sont très-légers à la course et beaucoup plus infatigables que les autres chevaux du
royaume: mais ils sont sauvages et ombrageux. On y a nouvellement établi un haras de
la plus belle espèce.
Les bœufs, ou plutôt les taureaux, vulgairement appelés dans le pays bœufs marins,
parce qu’ils vivent au bord de la mer, n’y sont plus aussi nombreux que dans le temps
où l’on y en comptait plus de seize mille. Ces animaux ne se nourrissent que dans des
marais fangeux, sous un climat brûlant en été et très-froid en hiver. Ils ne sont soignés
par personne, et vivent dans un état tout à fait sauvage. Des gardiens à cheval sont
chargés d’un troupeau dont le moindre est de cent têtes, et le plus fort de quatre cents.
Ils n’ont d’autre charge que de les faire rester dans le pâturage qui leur est assigné. Ces
hommes sont si vigoureux, si lestes et si adroits, qu’ils ne craignent pas de s’élancer
dans les troupeaux pour leur enlever les jeunes veaux.
Ces taureaux étant tous noirs, et ceux d’un troupeau, se mêlant souvent avec ceux d’un
autre, il est important pour les propriétaires de connaître chacun ce qui lui appartient. Il
cet effet, on applique à chaque bête une marque qui désigne le troupeau ou le nom du
maître. Cette opération s’appelle la ferrade. C’est un spectacle amusant pour les gens de
la contrée, qui y accourent en foule. Les gardiens, auxquels se joignent des jeunes gens
d’Arles et des environs, tous montés à cheval, et armés d’un long trident, courent dans
les marais à la poursuite des jeunes taureaux. Dès qu’on en aperçoit un, il est en même
temps entouré, piqué et forcé de se diriger dans une enceinte faite avec des charrues, des
pieux, et de tout ce qu’on a pu se procurer. Tous les spectateurs entourent la barrière; la
plupart sont armés de perches pour repousser au besoin l’animal.
Parvenu dans l’arène, le taureau est serré de plus près; et lorsqu’il est harrassé de
fatigue, on le combat à pied, et on finit par le renverser sur son dos. Chacun s’empresse
de tenir l’animal par quelque partie de son corps. Le propriétaire approche de la
personne de l’assemblée qu’il veut honorer, lui présente le fer chaud, et la prie de venir
l’appliquer sur le taureau. Dès que la personne a repris sa place, on ouvre une issue à
l’animal par où il se précipite avec toute la fureur dont il est susceptible, pour aller
promener tristement sa honte dans les marais qu’il vient à peine de quitter, L’île de la
Camargue, dans ses extrémités, offre un animal fort curieux qui mérite d’être connu.
C’est le castor de France, qu’on nomme en provençal lou vibre, du latin viber. Il habite
les embouchures du Rhône et principalement dans les îlots qui se trouvent au milieu du
fleuve. Il ne vit que d’écorce d’arbres qu’il va couper lui-même, et qu’il charrie par le
courant de l’eau jusqu’à sa demeure, qui est très-commode et convenable à ses
habitudes. Elle est si bien construite et tellement cachée, qu’on ne peut la découvrir, à
moins que le terrain qui la couvre ne s’éboule. Pour préserver leurs demeures des
inondations, ces animaux, à l’aide de plusieurs branches et de joncs entrelacés, élèvent
sur l’entrée de leur tanière une espèce de tour qu’ils cimentent avec de l’argile. Par ce
moyen, les eaux des plus fortes crues ne les surprennent jamais.
Les moucherons et les arabites désolent les habitans pendant l’été. Les gens sont obligés
de boire de l’eau du Rhône, parce que celle des puits est saumâtre et d’un goût si
désagréable, que les bestiaux n’en veulent pas. Les poissons qui se nourrissent dans les
étangs sont si mauvais, qu’ils occasionnent la fièvre à ceux qui ont l’imprudence d’en
manger.
Il y a, dans la Camargue, de vastes étables pour y recevoir les nombreux troupeaux qui,
au commencement de l’automne, descendent des montagnes de la haute Provence et du
haut Dauphiné. Ils s’y nourrissent d’herbes salées qui sont favorables au menu bétail.
CAMPJUEL, Campus Julii (Champ de Jules). Vaste plaine pierreuse qui se trouve entre
Trigance et Aiguines. On assure que Jules César y fit camper son armée. On trouve
encore des vestiges de campement près de Vérignon. Le duc de Savoie s’y arrêta aussi,
lorsqu’on le força à quitter la Provence, après s’y être soutenu pendant plusieurs années
par les intrigues de la comtesse de Sault. Cette plaine n’offre aucune source. Les
grandes fermes qui s’y trouvent disséminées, donnent chacune jusqu’à mille et douze
cents francs par an à des muletiers pour leur apporter de l’eau du Verdon ou d’ailleurs.
On présume que les eaux pluviales de cette plaine fournissent à la belle source dite
fontaine l’évèque, et qui se trouve dans le territoire de Beauduen. Cette plaine est
giboyeuse; on y va à la chasse des lièvres et des perdrix, Il s’y trouve beaucoup de
vipères.
CAMPS, Castrum de Campis. Village à une lieue de Brignoles son chef-lieu de canton
et d’arrondissement, bâti au pied d’un coteau, au bas duquel naît une belle source d’eau
excellente appelée, dans les temps les plus anciens, fons de Camps. Il est immanquable
que des familles romaines n’aient établi plusieurs villa, dans le territoire. Je pense même
qu’il devait y en avoir une considérable près de la fontaine, et que c’est cette villa qui
forma le village primitif.
Le climat est sain, le sol fertile. On y recueille un peu de toutes les productions de la
basse Provence. Les châtaignes n’y sont pas aussi bonnes que sur les montagnes des
Maures; mais le vin cuit qu’on y fait mérite la réputation dont il jouit. Des bancs de grès
très-étendus percent par intervalles à travers les masses calcaires, et font que les plantes
potagères y sont excellentes. Pop. 1, 100 hab.
CANDERON. Montagne près de Brignoles, dont le sommet est à 760 mètres au-dessus
du niveau de la mer. Elle contient du marbre de différentes couleurs, du jaspe qui prend
facilement le poli; il est fond brun rouge parsemé de tâches blanchâtres et noires. Au bas
de cette montagne se trouve une mine de charbon de terre qui, exploitée, pourrait être
fort avantageuse aux fabriques des environs, et favorable à une verrerie qu’on pourrait
établir sur le lieu même.
L’arrivée des Wisigoths en Provence fit fuir nombre d’habitans de la ville d’Aix et de
plusieurs autres endroits. Ils vinrent s’établir en ce quartier, et construisirent leurs
demeures près de la chapelle. Ils s’adonnèrent à cultiver un sol ingrat qui ne produit,
même aujourd’hui, qu’à force d’engrais; cependant on y recueille du blé, du vin et de
l’huile. Des événemens malheureux ont fait abandonner entièrement le lieu du Sauzet;
et les habitans, au nombre de 1, 900 préfèrent avoir leur domicile sur la grande route.
En outre de cette divinité supérieure à laquelle ils avaient donné le nom de Dis, leur
ancien roi, à qui ils étaient redevables de leur législation, les Celto-Lygiens adoraient
aussi un être inférieur, qu’ils appelaient Neith; c’était, selon eux, le souverain des vents
et des tempêtes, du feu et de l’eau, du froid, du chaud, et de tout ce qu’ils redoutaient le
plus. C’est pourquoi ils lui offraient du gibier, du poisson, des plantes marines et des
fruits, selon qu’ils allaient à la chasse, à la pêche, ou qu’ils allaient se livrer à la
navigation ou à un long voyage par terre. Leurs cérémonies religieuses étaient si
imposantes, si édifiantes et si dignes de respect et d’admiration, que la plupart des
Phocéens, fondateurs de Marseille, abandonnaient leurs temples pour aller immoler des
victimes aux divinités tutélaires des Celto-Lygiens.
Il y avait quatre espèces de druides: les Druides proprement dits, les Bardes, les
Vacerres et les Eubages. Les Druides avaient le soin des sacrifices, des prières, de
l’interprétation des dogmes de la religion, de déclarer la guerre, de conclure la paix, de
l’administration de la justice, de l’instruction de la jeunesse dans les sciences et la
divination, etc. Les Bardes chantaient des vers à la louange des dieux et des hommes
illustres; ils jouaient des instrumens et chantaient à la tête des armées. Les Vacerres ou
Vates offraient les sacrifices, et vaquaient à la contemplation de la nature. Les Eubages
tiraient des augures des victimes humaines qui avaient été substituées aux taureaux et
aux génisses qu’on immolait avant la création des Druides.
Le sexe féminin n’était point entièrement exclu des fonctions sacerdotales; mais il fallait
être vierge et être élevée de bonne heure à cet état, pour apprendre à juger les personnes
qui s’étaient rendues coupables du crime d’injure, de médisance et de diffamation; et
surtout pour avoir assez de force et de fermeté pour enfoncer le glaive de la justice dans
le cœur des victimes humaines. Ces filles, qui étaient en même temps vierg e s ,
prêtresses, prophétesses, juges et bourreaux, étaient appelées Druidesses, et avaient leur
monastère également dans une sombre forêt, et à peu de distance de celui occupé par les
Druides. La fécondité des Druidesses n’était pas punie aussi rigoureusement que celle
des Vestales romaines; on croit qu’elles étaient condamnées à demeurer cloîtrées tout le
reste de leur vie.
Voilà ce que c’était que les Druides; voilà quel fut le résultat de l’affreux machiavélisme
des Phocéens et des Romains. Ce fut sous le prétexte de l’immolation des victimes
humaines, que les Romains détruisirent la religion et les prêtres celto-lygiens. Les
Romains n’avaient pas raison de reprocher aux Druides, encore dans un état voisin de la
barbarie, de sacrifier à leurs dieux des hommes qui, d’après Diodore de Sicile, n’étaient
que des malfaiteurs ou des malheureux que le sort de la guerre avait fait tomber en leur
puissance, quand les Romains eux-mêmes, à l’époque la plus florissante de leur
civilisation, infiniment plus barbares que les Druides, forçaient non seulement les
prisonniers de guerre, mais leurs propres concitoyens, leurs parens, leurs serviteurs à
s’entregorger eux-mêmes, non comme une punition due à quelque grand crime, mais
aux uns, pour avoir défendu leur prince et leur patrie, leurs enfans, leurs biens, leur
indépendance; et aux autres, pour avoir osé adorer la divinité sous un nom différent et
de tout autre manière que la multitude ignorante qui formait la masse de la nation; ou
pour avoir osé préférer les félicités de la vie future aux louanges et aux honneurs des
grands, parvenus à la fortune par le crime de la rébellion et en trompant le peuple; et les
Romains faisaient de la mort de ces infortunés l’objet de leurs féroces comme de leurs
plus chères récréations. Hommes, femmes, enfans, patriciens, plébéiens, prêtres ou
magistrats, tous accouraient à l’amphithéâtre pour jouir de l’affreuse agonie des
Gaulois, des Romains, des sujets de l’empire qu’ils contraignaient à se déchirer les uns
les autres, ou qui devaient périr sous la griffe et sous la dent des tigres, des lions, des
léopards, animaux bien moins cruels que les hommes qui leur fournissaient
journellement leur pâture et puis on nous fait encore l’éloge du peuple romain; on nous
vante ses lois et ses mœurs; on regrette leur gouvernement, on déplore la chute de leur
empire. Hélas! Quel aveuglement! Si ces barbares n’avaient jamais existé, ils n’auraient
point communiqué à tous les peuples qu’ils subjuguèrent, des principes de trahison et de
cruauté qui se perpétueront jusqu’à l’entier dépeuplement de la terre.
Plusieurs auteurs, tant anciens que modernes, ont dit que la ville capitale des Oxibiens
était Ægytna; d’autres ont soutenu que c’était Oxibia. Je pense que la capitale de ce
peuple était divisée en deux parties, distantes l’une de l’autre d’environ une lieue. La
première partie, conçue sous le nom d’Ægytna, se trouvait, ainsi que tous les auteurs
nous l’assurent, au fond du golfe Jouan; la seconde, appelée Oxibia, était au pied d’un
retranchement naturel, sorte de fortification qui avoisinait toujours le lieu où les anciens
peuples tenaient leurs assemblées générales. Ce retranchement des Oxibiens se trouvait
sur une éminence qui domine la ville de Cannes, où l’on voit encore les ruines d’un
ancien château qui défendait la plage et la voie aurélienne. Ce château, construit par les
Marseillais. dès qu’ils furent maîtres du littoral, fut appelé castrum Marcellinum; en
1132, il prit le nom de castrum Forum.
Les Romains, après avoir défait les Oxibiens près de l’embouchure de l’Acro (la
Siagne), détruisirent leurs villes capitales. Ce fut sur les ruines d’Oxibia que les
Marseillais jetèrent les fondemens de la ville de Cannes, qui fut saccagée et détruite par
les Sarrasins, et les habitans menés en esclavage. Des familles génoises, mêlées à
quelques autres du pays qui avaient pris la fuite à l’approche des barbares, repeuplèrent
la ville actuelle que le commerce de Grasse fait valoir. Les bâtimens marchands ne s’y
arrêtent guère, parce que la plage ne leur offre aucun abri contre les vents du midi. Un
double môle y serait très-urgent, et les navires, en cas de guerre maritime, y seraient en
sûreté sous les batteries du fort de l’île Sainte-Marguerite. La ville de Cannes, qui a des
parfumeries et des scieries, serait en peu d’années une ville industrielle et commerçante,
et l’on pourrait compter sur la franchise et la bonne foi des habitans.
C’est dans le territoire de Cannes que se trouve la plaine de Laval, célèbre par la bataille
des Romains contre les Oxibiens, et par celle des troupes d’Othon contre celles de
Vitellius jointes à celles de Valius. Elle dura la moitié de la journée et toute la nuit
d’après. Les soldats d’Othon, quoique victorieux, ne purent profiter de leur victoire. Ils
se rembarquèrent pour l’Italie. Vitellius fut s’enfoncer dans Antibes, et Valius retourna
tristement à Fréjus. Les soldats romains, dirigés par un nommé Cassius, construisirent
une montagne au bord de la mer, pour qu’elle leur servît de retranchement et de défense
contre l’armée d’Othon. Parce qu’on a bâti une chapelle en l’honneur de saint Cassien
au-dessus de ce tertre, la plupart ont cru que cette élévation était l’ouvrage des moines
de Lérins. Les moines ont desséché bien des marais pour en distribuer la terre aux
pauvres, mais ils n’ont point élevé de montagnes pour se rendre redoutables.
La plaine de Laval était, dans le principe, un golfe ouvert du côté du midi, et fort abrité
sur tous les autres points. La rivière de Siagne a, par ses atterrissemens, comblé cette
vaste étendue de mer, et en a fait un champ à blé et une prairie qui seraient très-
productifs, si les eaux de la Siagne, sortant toutes les années de leur lit, ne les inondaient
pour les convertir en marais pestilentiels. Cette plaine n’était autrefois qu’une rizière qui
fournissait une grande partie de la France. Les habitans de quelques petites communes
voisines réclamèrent pour qu’on discontinuât cette culture qui rendait le pays insalubre.
Ce moyen n’a pas suffi pour rendre cette contrée plus saine, et la France s’est rendue
tributaire du Piémont pour se procurer du riz. On pourrait sans crainte et sans
inconvénient rétablir ces rizières; on pourrait aussi remplacer avantageusement la
culture du riz par celle du pastel, du tabac et de la patate du Malaca. Cette dernière a
très-bien réussi dans un essai en grand qu’on vient d’y faire,
et le fruit en provenant est aussi bon que si on l’avait recueilli dans les meilleurs fonds
de la zone torride, C’est devant Cannes que se trouvent les îles de Lérin si célèbres dans
l’histoire de l’église et dans les annales de la Provence. Voyez SAINT-HONORAT et
SAINTE MARGUERITE. Les principales productions de Cannes sont, le blé, le vin et
le foin. La pêche y est abondante, et les poissons y sont meilleurs qu’à Antibes. Populal.
4, 000 hab. Foires, le 16 mai, le 14 septembre et le 6 décembre.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont Cannes, le Cannet,
Mouans, Mougins, la Roquette et Sartoux.
Ce serait faire injure au bon goût des Romains, de croire qu’ils avaient fait du Cannet un
lieu important. On ne peut pas même supposer que la voie aurélienne passât par ce
village. Le manquement d’eau, la forte rampe pour arriver sur cette élévation, et la
fausse direction de Forum Julii à Matavo, sont une preuve certaine que le Forum
Voconii des Romains n’était pas au lieu où se trouve le village du Cannet. Nous croyons
l’avoir suffisamment démontré aux articles CABASSE, DRAGUIGNAN et
TARADEAU, auxquels nous renvoyons nos lecteurs.
Cependant le lieu du Cannet fut connu des Romains. On y voit des traces de leur long
séjour. Il est hors de doute que la vaste plaine, fertile en grande partie, et la belle
exposition de l’amphithéâtre qui la garantit du côté du nord, n’aient attiré des familles
romaines dans le pays. Des restes de monumens nous l’attestent de manière à n’en
pouvoir douter. La chapelle de la Trinité, sur la grande route, est construite en partie de
pierres sépulcrales, la plupart portant des inscriptions. Le manquement d’eau ne permit
pas de bâtir une ville ni un bourg dans le territoire, mais simplement des villas ou
maisons de campagne, dont la plupart furent embellies de monumens et même de petits
temples en l’honneur de quelques divinités particulières. Cette année même, le
propriétaire de la terre dite Sainte-Maïsse a trouvé, en faisant des feuilles, des traces non
douteuses d’une piscine de construction romaine, composée de plusieurs bassins, dont
un plus grand que les autres, et contenant une multitude de coquilles d’huîtres de
l’Océan, signes incontestables qu’il y avait près de là une maison de campagne qui avait
appartenu à une riche faınille. Une seconde preuve, c’est une plaque en plâtre blanc,
garnie de moulures et autres ornemens, et qui paraît avoir servi à l’embellissement
d’une maison de maître. Ajoutons à cela des médailles, une grande quantité de fragmens
de tuiles romaines et de briques tumulaires, une petite cuiller en ivoire, en sortes de
verres évasés, sur pied et à bord doré, des tuyaux de plomb propres à la conduite de
l’eau, une petite conque en calcaire dur, très-bien sculptée, qui recevait l’eau d’un petit
canal et la donnait vraisemblablement à des bains, nombre de carreaux de marbre
coulés, moitié blancs et moitié foncés, qui peuvent avoir servi à une salle de bains ou à
un petit temple. Je ne doute point, qu’en continuant les recherches, on ne trouve en ce
même quartier les fondemens de la villa dans ses trois divisions.
Une villa ou maison de campagne romaine était un grand bâtiment divisé en trois
parties; l’une, appelée artana, destinée uniquement pour le maître et sa famille; l’autre,
dite rustica, comprenait toutes les habitations des intendans des travaux, des ouvriers, et
même des esclaves, si le maître était un militaire; enfin la troisième, désignée sous le
nom de fructuaria, où se trouvaient, selon les lieus et les climats, les granges, les cuves,
les pressoirs, les jarreries nécessaires à l’économie rurale. Les Romains ne divisaient
pas comme nous les propriétés. Ils ne connaissaient, au contraire, que la grande culture.
Une villa était souvent un village très-peuplé, dont les propriétaires étaient comme
furent plus tard les seigneurs au milieu de leurs vassaux.
L’arrivée des Sarrasins dans le Sinus Sambracitanus (le golfe de Grimaud), força
vraisemblablement les habitans du territoire de quitter la campagne, pour aller se
fortifier sur la hauteur, et braver, par leur position, les menaces du Fraxinet, qu’ils
avaient en face. L’histoire ne nous dit pas si le Cannet fut attaqué par les barbares;
cependant nous pouvons le présumer, vu que tous les autres lieux de la contrée ont
éprouvé les effets du génie destructif de ces ennemis des chrétiens. Ce fut, je crois, à
cette occasion que quelques habitans, pour éviter la mort ou l’esclavage, furent se
cacher dans un lieu sauvage et d’un accès difficile auprès des cataractes de l’Argens, où,
pour se livrer à leurs devoirs religieux, ils taillèrent dans le roc la chapelle connue sous
le nom de Saint-Michel. L’avenue de cette chapelle, presque toute la voûte, les parois,
les banquettes qui se trouvent au bas, la marche qui sépare le sanctuaire du corps de la
chapelle, tout cela n’est qu’une seule et même pièce taillée au ciseau. Il y a de bâtisse
que la clef de la voûte, que le temps ou les hommes ont dégradée, et qu’on ne
s’empresse point de réparer. Cependant cette solitude est souvent visitée par des curieux
et par des savans. Tous aimeraient trouver des preuves de la piété des fidèles
d’aujourd’hui, qui pussent être balancées avec celles des premiers chrétiens qui
s’établirent dans ce triste lieu; tant il est vrai que ce n’est pas dans le bruyant de la
société, mais bien dans la retraite, que l’homme se détache réellement du monde pour ne
s’occuper que de son propre salut.
Le village du Cannet est d’une construction égale à celle de la généralité des communes
rurales. Les habitans n’avaient d’autre eau pour boire que celle des citernes du château
seigneurial. Mais, lors de la dernière révolution, le peuple, égaré par l’esprit de
circonstance, détruisit en un seul jour et le château et les citernes, sans songer qu’en
nuisant à son seigneur il se nuisait encore plus à lui-même. Aussi, depuis cette époque,
les habitans vont chercher l’eau fort loin et jusqu’au bas de la rampe, à une petite
fontaine particulière généreusement rendue publique.
Ainsi que nous l’avons dit, le Cannet a une vaste plaine qui, bien cultivée, fournirait aux
besoins d’une nombreuse Population. Elle est fertile, immédiatement au-dessous de la
route d’Italie, mais les trois quarts ne sont que des landes. Elle est traversée par la
rivière d’Aye, et coupée par de petits torrens dont un donne naissance à une source
d’eau salée. Les amphithéâtres, de la partie calcaire sont couverts de beaux oliviers, et
ceux de la partie schisteuse offrent des chênes-lieges, des châtaigniers et de grandes
forêts de pins de plusieurs espèces, parmi lesquelles on distingue le pinus pinea et le
pinus sativa. Ces arbres forment avec leurs branches un espèce de parasol, et produisent
des pommes fort grosses remplies de pignons d’un bon goût. C’est une ressource pour
les pauvres gens, qui vont les vendre dans les communes voisines, principalement à
Draguignan, où il s’en fait en été une grande consommation.
Auprès du pont de l’Aye, il y a une verrerie où l’on fabrique tantôt des cristaux, tantôt
du verre à vitre ou du verre vert. Au quartier Saint-Dalmas, il y a une mine de plomb
qu’on avait commencé d’exploiter avec succès. La mésintelligence qui régna entre les
concessionnaires, la mort du directeur, l’ignorance des ouvriers et la banqueroute que fit
le régisseur, en enlevant la caisse des actionnaires, furent cause de l’abandon de cette
mine. Tous les bâtimens qu’on avait construit pour cette fonderie sont détruits. Les eaux
et les éboulemens ont comblé et fait disparaître tous les travaux.
Les principales productions du territoire du Cannet sont, l’huile, le vin, le blé, les
châtaignes et les pignons. Pop. 810 hab.
CAPILATI. Nom générique des Celto-Lygiens et des Gaulois, qui portaient les cheveux
longs. C’étaient ceux qui habitaient la haute Provence, depuis en dessus de Vence
jusqu’à Allos.
CARAMIE, Caramia. Petite rivière du département du Var, qui naît dans le territoire de
Mazaugues, traverse les plaines de Camps, la Celle, Brignoles, le Val, et se réunit à
l’Issole en dessous de Carcès, ou, ensemble, elles forment de superbes cascades.
CARCÉS, Carcer. Joli village du canton de Cotignac, à 4 lieues de Brignoles, sur la rive
droite de l’Argens. Son nom annonce assez que, du temps des Romains, on avait établi
en ce lieu une prison pour renfermer les malfaiteurs. Depuis cette époque, le pays a
toujours été habité; mais le village n’est proprement connu que par un de ses anciens
seigneurs dont la conduite fait époque dans l’histoire de cette province.
A cet ordre, une partie de la Provence prit les armes; et, en peu de jours, 600 carcistes
périrent devant Cuers, 400 furent sabrés à Cabasse, et au moins autant trouvèrent la
mort devant la ville de Lorgues qu’il assiégeaient depuis six semaines. Presque toute la
garnison du château de Trans, qui était nombreuse, fut passée au fil de l’épée, et le
village de Carcés ne dut son salut qu’à l’arrivée en Provence de Catherine de Médicis
qui pacifia les esprits pour quelque temps.
Carcès est un grand pays de vin; et comme il arrive souvent qu’on ne peut le vendre à
aucun prix, on le livre à la distillation. Plusieurs distilleries se servent de l’appareil
simplifié d’Adam de Montpellier. C’est là la seule industrie du pays. On pourrait y
introduire avec avantage la fabrication du vert-de-gris. Il y avait autrefois un moulin
pour tordre la soie.
Les rives de l’Argens offrent de belles prairies; le reste du territoire est fertile en blé. Le
cultivateur emploie comme engrais le mazin, qu’on trouve à peu de profondeur sur le
bord de la rivière. Foires, le troisième dimanche après Pâques, le 20 juillet et le 15
octobre. Pop. 2, 050 hab.
CARCONTE. Ville ruinée, qui se trouve dans le territoire d’Auron, et près de la rive
droite de la Touloubre.
Climat tempéré air sain; le sol ne produit que pour les besoins du cultivateur. On v élève
des pourceaux, Pop. 90 hab.
CARNOULLES, Castrum de Carnolis ou Carnolum. Quelques-uns font dériver ce nom
du latin carniticina, prétendant que, du temps des Romains, on avait exécuté des
criminels en ce même lieu.
Presque tous les auteurs anciens et modernes s’accordent à dire que Carpentras est une
des trois villes des Cavares, nation celto-lygienne qui occupait la rive gauche du Rhône
et la rive droite de la Durance. Quelques-uns disent aussi que Carpentras était la capitale
des Memini. Cette erreur est inconcevable. On serait fondé à croire que ces historiens
avaient intérêt à donner de la célébrité à certaines villes au préjudice de plusieurs autres.
C’est ainsi qu’ils ont désigné Avignon comme capitale des Cavares, tandis que, d’après
les auteurs anciens, cette ville n’était qu’une petite bourgade, lorsque les premiers
Marseillais vinrent y établir des comptoirs pour le commerce intérieur. D’ailleurs, le
territoire d’Avignon n’offre rien qui ait pu convenir au chef-lieu d’une nation celto-
lygienne: point de retranchement naturel, point d’amphithéâtre à l’abri des vents, et une
vaste plaine qui, à cette époque, était marécageuse. Ajoutons que cette ville se serait
trouvée tout-à-fait à l’extrémité de cette nation, tandis qu’une ville capitale doit, autant
que possible, se rapprocher du centre.
Les historiens qui, je ne sais trop pourquoi, ont transporté le siége de cette capitale à
Avignon, sentirent que Carpentras avait dû appartenir à un peuple ancien. Aussi, pour ne
pas lui ravir cette gloire, ils jurèrent à propos d’y assigner le chef-lieu des Memini, et
nommèrent cette ville Carpentorate Meminiorum, au préjudice de Forcalquier, vraie
capitale de ce peuple. Cette sorte de larcin en fit faire un autre non moins important.
Comme le Forrum Neronis avait éte établi dans la capitale des Memini par Tibère
Néron, lieutenant de César dans les Gaules, quelques auteurs, ne trouvant plus ce peuple
à Forcalquier, ont cru de voir transporter ce fameux marché à Carpentras. Par ce moyen,
ils se trouvaient d’accord avec ceux qui les avaient induits à erreur. Pour moi, exempt de
prévention en faveur ou contre l’ancienneté de telles ou telles villes, et m’étant fait un
devoir de relever toutes les inexactitudes et les invraisemblances historiques que je
croirai reconnaître chez ceux qui ont écrit avant moi sur cette province, je soutiens que
le Forum Néronis appartenait à la capitale des Memini, c’est-à-dire à Forcalquier, et non
à la capitale des Cathares qui, selon toutes les probabilités, devait être Carpentras. Je
soumets volontiers mes décisions aux personnes instruites, à celles qui ne mettent ni
considération, ni partialité, ni caprice dans leurs jugemens; et je suis persuadé que toutes
se rangeront à mon avis.
On sait que les homains, voulant changer et adoucir les mœurs des habitans de la Celto-
Lygie, envoyèrent des colonies dans toutes les principales villes des dillérentes nations.
Carpentras étant une ville capitale, reçut nombre de familles étrangères, qui rendirent le
lieu infiniment plus considérable qu’il ne l’était auparavant. Aussi fut-il embelli de
plusieurs monumens dignes de la magnificence des conquérans des Gaules, mais qui
furent anéantis par les différens peuples barbares qui vinrent à plusieurs reprises désoler
cette belle province et la couvrir de ruines.
En 1320, la ville de Carpentras obtint le siége des sénéchaux qui était à Pernes, et devint
par là la capitale du comtat Venaissin. Six ans auparavant, il y eut à Carpentras un
conclave pour nommer un successeur à Clément V. Six cardinaux italiens voulaient que
le souverain pontife fût de leur nation, afin qu’il transférât le Saint-Siège à Rome. Un
plus grand nombre voulait un, Français. Les cabales fermentèrent, l’esprit de parti se
communiqua non seulement aux écclésiastiques qui ne faisaient point partie du
conclave, mais encore à la Populace du pays d’élection traînait en longueur, quoiqu’on
eût supprimé une partie des alimens nécessaires à la subsistance des cardinaux. Le
peuple, naturellement impatient, fatigué d’attendre, mit le feu au palais où le sacré
collège était assemblé, et ce feu consuma une partie de la ville. Les cardinaux qui
échappèrent aux flammes prirent la fuite pour aller quelque temps après se réunir à
Lyon.
La ville de Carpentras se trouve sur une petite élévation, à l’extrémité d’une longue
plaine. Sa campagne est bornée du nord et de l’est par de hautes montagnes dépendantes
du Mont-Ventoux. Cette situation, qui n’est pas la même de la primitive bourgade,
l’expose à tous les vents et la rend très-froide en hiver. Mais en revanche, pendant l’été,
elle jouit de plus de fraicheur que les communes voisines.
Carpentras possède une bibliothèque fondée par le célèbre évêque d’Inguimbert. Elle est
composée de vingt-cinq mille volumes et de huit cents manuscrits, parmi lesquels on en
distingue plusieurs de Peyresc de Belgencier, qui vivait dans le dix-septième siècle;
deux marines originales de Vernet forment la plus belle décoration intérieure de cet
édifice. Dans un des corridors se trouve un monument phénicien qui a donné lieu à une
dissertation de l’auteur du Voyage du jeune Anacharsis. Cette dissertation a été
savamment réfutée par un Carpentracien, M. l’abbé Eysseric, homme non moins
recommandable par ses vertus chrétiennes que par son savoir et ses lumières.
Il y avait, dans l’enceinte du palais épiscopal, un arc de Marins. On apprendra avec plus
d’indignation que de surprise, que le cardinal de Bussy en fit le point d’appui d’une
superbe cuisine. On a cru pendant long-temps que cet arc de triomphe avait été élevé à
la gloire de Marius. M. de Fortia prétend, avec quelque apparence de raison, que ce
monument triomphal, ainsi que ceux d’Orange et de Cavaillon, devait être consacré à
César, puisque ces trois arcs de triomphe se trouvent sur la route que le vainqueur des
Gaules avait tracée dans ce pays.
L’hôpital de Carpentras est un superbe édifice, à trois corps de logis, où tout est beau, où
tout est grand, trop grand peut-être pour une aussi petite ville. C’est au sein de ce
monument que reposent, sous un tombeau de marbre blanc, d’un assez beau style, les
cendres vénérées de ce vertueux évêque d’Inguimbert.
Tous les voyageurs s’accordent à dire qu’il serait difficile de trouver un plus bel escalier
que celui de cet hôpital.
En visitant les gracieux environs de Carpentras, l’attention est fixée par l’aqueduc qui
fournit l’eau nécessaire à la ville. Cette construction élégante et hardie, ouvrage de
l’ingénieur d’Allemand, est soutenue par quarante-huit arches; les deux dernières, à
l’extrémité de la ville, s’appuient sur un pont sous lequel coule la rivière d’Auzon.
Le territoire de Carpentras offre des jardins, des prairies et des terres à blé. On y cultive
le safran, la garance et une sorte de plante fourragère qui amende les terres et donne un
grand revenu aux agriculteurs. Cette plante est appelée gros sainfoin, chaud sainfoin à
deux coupes. Elle s’élève beaucoup plus haut que le sainfoin ou esparcette; elle
s’accommode du mauvais terrain presque aussi bien que du bon, et n’a pas besoin d’être
arrosée. Les hauteurs sont couvertes de vignes, d’oliviers et d’arbres fruitiers. Sur tous
les points on trouve des mûriers; aussi on élève dans le pays beaucoup de vers à soie
dont les cocons sont fort estimés.
Les communes du ressort des deux justices de paix de cette ville sont, Carpentras,
Aubignan, Caromb, Saint-Hippolyte, Loriol et Sarrians.
CARSALADE. Ilot près de la côte maritime du département du Var, non loin de Six-
Fours.
CASSIS, Villa Carcitana selon les uns, Carcicir Portus suivant les autres. Petite ville
port de mer du canton de la Ciotat, à 5 lieues de Marseille. On assure que Cassius y
débarqua et donna le nom au pays. Nous savons positivement que les Romains ont long-
temps habité ce lieu, et qu’ils y laissèrent des traces de leur séjour; cependant ils n’en
firent jamais un endroit important. L’ancienne ville était sur une élévation. Elle occupait
l’emplacement où se trouve le fort qui défend la rade et le port. Mais comme les
habitans se sont adonnés à la navigation, ils ont jugé à propos de transporter leurs
demeures à portée du port qui malheureusement est ouvert. La principale industrie du
pays est la pêche du corail, et l’exploitation des carrières de pierres de taille et des
cadettes, qu’on transporte par mer à Marseille et à Toulon.
On montre au haut d’une colline une espèce de soupirail par lequel il s’échappe un vent
comme celui qui sort d’un soufflet de forge, accompagné d’un sifflement assez fort. On
donne à ce singulier sommet le nom de martin-buffo. Il doit son origine à une grotte
creusée dans le roc, et dont la voûte est percée à la partie supérieure. La mer, qui
s’engouffre dans cette grotte, en chasse l’air avec violence, et il s’échappe par le haut de
la voûte qui s’ouvre extérieurement par des conduits étroits.
Sur la côte de Cassis il y a le port Miou, (Æmines portus des anciens). Un navire qui ne
connaît pas ce port, croit, en y entrant, ne pouvoir manquer de se briser contre le rocher
qu’il a en face. La tradition porte qu’un navire étranger, poussé par une violente
tempête, était sur le point d’échouer sur les rochers qui bordent la côte, quand le fils du
capitaine conseille à son père d’entrer dans ce port inconnu qui, selon lui, présentait un
port de salut. Le père, une fois entré, croyant que son vaisseau allant se briser, s’emporte
comme un furieux contre son fils lui assène un grand coup de hache sur la tête et l’étend
raide mort à ses pieds. Le courant de l’eau fait naturellement changer de direction au
vaisseau, et il se trouve bientôt dans un excellent abri. Le capitaine, alors repentant
d’avoir inconsidérément arraché la vie à un fils qui l’avait bien conseillé, s’enfonça son
épée dans le cœur, sans qu’aucun de ses marins ne daignât lui retenir le bras, tant ils
étaient indignés de son premier crime.
La ville de Cassis occupe toute la plaine. Le territoire est tout montueux et très-rampant.
Le terrain est maigre et sec. La principale production est le vin, qui jouit d’une bonne
réputation; le vin blanc surtout est très-recherché à Marseille. Pop. 2, 300 hab.
CASTELLANE, Castellum Salinensium, ou Petra Gastellana Salinensium. Ville chef-
lieu d’arrondissement du département des Basses Alpes, sur la rive droite du Verdon, à
207 lieues de Paris.
Les premiers habitans de Castellane étaient des Celto-Lygiens, connus sous le nom de
Saliniens. Ils faisaient partie de la nation Suetri, qui occupait les environs de cette ville.
Elle en était la capitale. Sa situation à mi-hauteur d’un rocher lui fit donner le nom de
Salinœ, et à ses habitans celui de Saliniens. C’est par cette raison que les Romains
l’appelèrent d’abord cité des Saliniens, de sorte que le nom de Salinien; ne servait qu’à
distinguer les gens de la ville de ceux de la campagne, qui portaient le nom de Suetri.
Les Suetri firent cause commune avec les Esubiens, lorsqu’ils allèrent porter les
troubles dans l’Italie; avec les Oxibiens contre les armées impériales, qui s’étaient
emparées de la basse Provence, et avec les Saliens contre C. Sextius Calvinus, qui
occupait les environs d’Aix. Aussi les Suetri furent-ils traités avec la même rigueur que
leurs alliés, et assujettis aux mêmes humiliations. Après avoir été long-temps tributaires
de l’empire, ils furent soumis par Auguste, dans sa conquête des Alpes; et cet empereur
ne négligea rien pour faire trouver à ce peuple son joug supportable et léger. Aussi,
d’ennemis implacables des Romains, les Suetri devinrent leurs sujets fidèles et dévoués.
Les Sarrasins ayant détruit Salinœ, vers l’an 812, le reste des habitans se fortifia tout-à-
fait au haut du rocher, là même où était le retranchement naturel qui avait servi de
défense aux Suetri et aux Saliniens. Ce fut alors que ce lieu prit le nom de Petra
Castellana. Ensuite, la Population ayant augmenté, l’on bâtit une ville bien fortifiée en
dessous de l’ancienne, et on la nomma simplement Castellana. Après les guerres, les
habitans descendirent dans la plaine, y établirent leurs nouvelles habitations qu’ils
entourèrent de murailles. On donna également à cette ville le nom de Castellana, et on
oublia entièrement ceux de Salinœ et de Saliniens.
Cette dernière ville devint la capitale d’une petite souverainete qui comprenait trente
communes, et qui s’étendait jusqu’à Digne et Moustiers. Ce petit état fut assez fort pour
résister à une seconde invasion des Maures, et pour arrêter tout voisin qui aurait voulu
étouffer sa puissance. Cet état se forma en 1032, et se soutint jusqu’en 1257, époque où
il fut soumis au gouvernement de Provence et à la cour royale de Draguignan.
IVLIA FVSCINA
OSSVARIVM
VIVA SIBI FECIT
M. MATVGONI MÀRCELLINI ET
M. MATVCONI MAXIMI DECC
CIVITATIS SALIN. M. MATVC
ONIVS SEVERVS ET IVLIA
FVSCINA FILIIS PIISSIMIS
ET SIBI VIVI FECERUNT
H. M. H. N. S.
M SETOSIVS..
M. RVFINO SETO..
CIVIT SALINIENSIS
PRAETORI MAXI...
AMANTISSIMO
QVI OBIIT PRIO NO..
NAS MENSIS V..
TITO VESPASIANO IMP. VIX.
DIEBVS.. MENS.. II
ANNO.. IN HORTO
SVORVM.
Le territoire de Castellane, situé entre des montagnes, et arrosé par des rivières et des
ruisseaux rapides, produit du fourrage, du blé, des légumes, des fruits de toutes espèces,
principalement des prunes qu’on fait sécher et qu’on livre ensuite au commerce. Il s’y
teint beaucoup de laine; il y a des fabriques de cire, de chapeaux et de draps communs.
Les fontaines à remarquer sont celles de Pasquier à la Palud, qui est fort abondante, et
celle des Moulins, qui est salée.
Castellane a un tribunal de première instance. Les foires sont, le lundi après Saint-Pons,
le lundi avant la Magdeleine, le 14 septembre et le lundi avant la Toussaint. Pop. 2, 100
hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Castellane, Castillon,
Chasteuil, Demandolx, Eoulx, la Garde, Saint-Julien, Peyroules, Robion, Soleilhas,
Taloire, Taulanne et Villars-Brandis.
CATÉNACA. Ancien village, sur la voie romaine qui de Forcalquier allait à Apt. C’est
le même que Céreste. Voyez ce mot.
CAULON. Rivière. C’est la même que Calavon, dont nous avons déjà parlé. Il existe
une autre rivière nommée Caulon, qui a sa source à Nans, passe à Rougiers et se jette
dans l’Argens, près de Bras.
CAUSSOLS, Cavas solum. Petit village du canton du Bar, à 4 lieues de Grasse. Dans
le principe, cette terre fut distribuée à des familles romaines qui y établirent des villages
dont la plupart ont dû être fort agréables, à cause de la quantité de petits ruisseaux qui
arrosent les terres. Lors de l’arrivée des peuples barbares qui ravagèrent la Gaule, les
habitans se réunirent sur un seul point, et formèrent l’ancien village qui eut, dans la
suite, des seigneurs particuliers. Un de ces derniers, qui, quoique gouverneur d’Antibes,
habitait continuellement la capitale, trompé par un agent peu digne de la confiance, dont
il l’avait honoré, fit détruire le village par des troupes qu’il y envoya expressément.
A une certaine distance des ruines de l’ancien Caussols se trouvent celles de plusieurs
châteaux forts et d’un village qu’on nomme encore aujourd’hui la Valette. Nul auteur
n’a daigné parler de ce dernier lieu. Si l’on fait attention que les différentes maisons qui
étaient groupées autour du château n’étaient que des cassines fort étroites, on pensera
qu’elles n’ont dû être occupées que par des hommes de peine, à la solde du maître de
cette terre. Alors, on conjecturera avec vraisemblance, qu’à l’approche des barbares, ces
ouvriers cultivateurs vinrent établir leurs demeures sous la protection d’un château qui
en imposait par sa force et par sa situation; mais que cette précaution ne préserva par
leurs cassines du genre destructif des barbares.
Le sol produit du blé et du foin. Le pays n’a, pendant l’hiver, qu’une vingtaine
d’habitans; mais, dans la belle saison, nombre de familles de Grasse, qui y possèdent
des terres, vont y passer quelques mois, et leur présence rend
le pays moins solitaire. En creusant les terres, on découvre
de temps en temps des tombeaux romains avec leur petit mobilier funéraire, et des
médailles de plusieurs règnes.
Sur les hauteurs on trouve beaucoup de fossiles, principalement des bélemnites de
plusieurs formes et de diverses longueurs.
CAVAILLON, Cabellia Cavarum. Ancienne ville, des Cavares. Les premiers Marseillais
y établirent un comptoir et des marchés, comme ils en établissaient sur tous les points
propres à étendre, augmenter et faciliter leur commerce.
Les Romains y fondèrent une colonie qui devint assez importante. Les bateaux
remontaient alors la Durance jusqu’en dessus de Cavaillon. Cette ville avait un port
assez vaste qui fournissait aux Cavares, aux Voconces et aux Tricastins. Cette ville avait
aussi un collége pour les bateliers, où l’on apprenait à naviguer sur des outres. Ces sortes
de bateliers étaient appelés utriculaires, et portaient une médaille sur laquelle on voyait,
d’un côté, une outre enflée, et de l’autre, ces paroles: Collegcam utricularium
cabellicensium Lucius Valerius successus.
L’impétuosité, les débordemens et l’inconstance des eaux de la Durance sont cause que
le port n’existe plus, que beaucoup de jardins ont été entraînés, et que nul bateau ne peut
plus remonter la rivière.
CELLE (La), Artacella ou Arctacella. Village à une lieue et demie de Brignoles son
chef-lieu de canton et d’arrondissement. Son nom latin signifie petites cellules ou
cellules étroites, attendu que, dans le principe, il y avait là un grand monastère qui offrait
une multitude de petites chambres ou cellules. Il fut d’abord occupé par des moines, et
ensuite par des filles qui furent richement dotées par les anciens comtes de Provence.
Il y a quelques années, un propriétaire, creusant dans sa terre, trouva une sorte de
tombeau en briques, renfermant une petite statue et un crucifix, le tout d’or massif. La
statue fut vendue à Toulon moyennant la somme de dix-huit mille francs.
Le village de la Celle est situé dans une vaste plaine fertile exposée à l’impétuosité des
vents. Le territoire est excellent
et très-bien cultivé. Il produit du blé, du vin, du foin et des fruits de plusieurs espèces. Il
est étonnant que les habitans n’aient pas transporté leurs maisons sur la grande route, qui
n’en est qu’à un quart de lieue, ou du moins qu’ils n’aient pas songé d’y construire une
auberge, qui aurait attiré au pays de nouvelles familles, et procuré aux habitans un
débouché pour leurs denrées. Aussi ce village n’a qu’une Population de
700 hab.
Avec tout cela, les Celto-Lygiens étaient hospitaliers et très-humains. Ils regardaient
comme un grand crime de maltraiter un étranger, surtout lorsqu’il n’avait pas le moyen
de se défendre
Rome, sous le prétexte de venir secourir Marseille, son alliée, envahit la Celto-Lygie, à
laquelle elle donna le nom de Gaule Transalpine, et la réunit à la république. Les peuples
des pays conquis, ne pouvant se résoudre à vivre sous des lois qui leur étaient
étrangères, et surtout à fléchir le genou devant des conquérans ambitieux et cruels qui
étaient venus leur apporter des chaînes, se soulevèrent à différentes reprises, et firent
éprouver des pertes considérables à leurs oppresseurs. Mais leurs ressentimens et leur
courage héroïque ne purent tenir long-temps contre des armées aguerries, ni contre
l’habileté des chefs qui les commandaient. Les Gaulois, après avoir fait des prodiges de
valeur, furent battus sur tous les points, et poursuivis avec acharnement dans l’intérieur
des terres. Il n’y eut point de sûr asile pour eux. Le fer et la flamme du vainqueur les
atteignaient dans les forêts les plus sombres, dans les gorges les plus impénétrables et
dans les antres des rochers, où ils périssaient par milliers par l’effet de la fumée. Ce fut
de cette manière que ces illustres républicains, dont on a tant vanté la grandeur et la
magnanimité, communiquaient les lumières de la civilisation à des hommes réputés
sauvages parce qu’ils n’ambitionnaient point les terres de leurs voisins, et qu’ils ne
voulaient être gouvernés que par les chefs dont ils avaient fait choix eux-mêmes.
L’empire n’exerça pas moins de tyrannie sur le peuple vaincu que n’avait fait la
république. César, s’il faut en croire Suétone, sous le prétexte de punir des révoltes,
détruisait les villes et les temples gaulois pour en piller les richesses. Auguste, dit un
savant moderne, non seulement écrasa le peuple d’impôts, mais il défendit aux Gaulois,
sous peine de mort, d’écrire et de parler leur langue maternelle, Ce fut lui qui fit effacer
de toutes les archives, de tous les écrits et de tous les monumens, les noms vulgaires. A
cette occasion, tous les livres, privilèges, annales de la nation gauloise furent livrés aux
flammes par les officiers de l’empereur. Par ce moyen, la nation gauloise perdit le
souvenir de sa gloire passée, de sa liberté ravie; on effaça, pour ainsi dire, les traces de
son origine et de son existence politique.
Le peuple, forcé d’adopter le langage de leurs tyrans, de leurs maîtres, en adopta aussi
les mœurs et les usages. Aussi, Gervais de Tilbury, qui vivait sous Othon IV, a fait le
portrait des Provençaux d’une manière qui n’est pas tout-à-fait à leur gloire. Je ne peux
croire que cet auteur ait voulu parler des Provençaux en général. De tous les temps on a
vu, et l’on voit encore aujourd’hui, des écrivains juger des mœurs de tout un royaume
par celles de la capitale; d’autres écrire sur tout une province, n’en connaissant à peine
que deux ou trois villes sur un même point. Qu’un voyageur vienne de nos jours visiter
la Provence. S’il fait son entrée par le pont du Var, il ne trouvera d’abord qu’un mélange
confus de Piémontais et de Génois, dont le caractère est bien différent de celui des vrais
Provençaux. S’il y pénètre par le Col de Vars, il arrivera chez des peuples qui ont vécu
nombre de siècles sous les lois piémontaises, des peuples qui ne se considèrent pas
encore bien eux-mêmes comme faisant partie des Prorençaux. Si ces voyageurs arrivent
par Avignon, il ne sera pas étonnant qu’ils rencontrent encore des descendans de
certaines familles qui, avant la révolution, avaient cherché dans le comtat un asile contre
la justice de leur pays. Enfin, qu’un voyageur arrive par mer à Marseille, et il sera
étonné de trouver dans la principale ville de la Provence des traits
de toutes les nations et de toutes les provinces du royaume.
Mais que cet observateur pénètre dans l’intérieur des terres, qu’il visite Aix, Arles, Apt,
Brignoles, Draguignan, Forcalquier, etc., et il pourra se flatter de connaître la Provence
et les Provençaux.
On assure que la voie aurélienne y aurait passé. On peut présumer que les habitans sont
paisibles, laborieux et ennemis du libertinage. Bien plus encore, on affirme qu’aucun
crime n’a été commis dans la commune, et que jamais Ceyrestain n’a subi de peine
infamante ni même afflictive; ce qui est fort rare, dans une époque où les orages
révolutionnaires ont corrompu jusqu’au moindre des hameaux. Il est à regretter que la
Pop. ne soit que de 700 hab.
CHABRIERS. Village, ancien hameau d’Entrages. Voyez ce mot.
CHAMAS (SAINT), Sanctus Amantius. Bourg du canton d’Istres, à 7 lieues d’Aix, sur
le bord de l’étang de Berre, ou plutôt sur une partie de l’étang de Berre, qui porte le nom
d’Étang de Saint-Chamas.
L’origine de cette petite ville est inconnue, quoiqu’elle ne soit pas antérieure au
douzième siècle. Le pont Flavius, qui se trouve près du lieu, n’est pas une preuve qui
constate l’existence de la ville du temps des Romains. Les itinéraires en auraient fait
mention, que les moines du Mont-Majour, ayant voulu dessécher les marais des
environs, bâtirent une chapelle en ce lieu en l’honneur de saint Amant; qu’ayant dis-
tribué les marais desséchés à plusieurs cultivateurs, ceux-ci se construisirent des maisons
près de la chapelle, et formèrent un petit village qui, dans la suite, s’accrut au point où
nous le voyons aujourd’hui. C’est un bourg assez considérable, divisé en deux parties
par une colline formée de coquilles marines et fluviatiles liées par du safre. Le rocher,
creusé dans toute sa hauteur du côté de l’étang, montre certaines cavités qu’on suppose
avoir été habitées avant la formation du village. Quelques-uns servent encore d’asile à
des familles qui n’ont pas le moyen de se procurer un appartement. Le côté opposé de la
colline est longé par l’ancien rempart, et le dessus offre le canal qui conduit les eaux de
la Touloubre à une poudrerie et aux moulins du lieu. Les deux parties de ce bourg se
communiquent par une voûte de près de trente toises au travers de ce rocher.
La partie la plus ancienne du bourg, c’est-à-dire celle de l’est, était entourée de remparts
qui subsistent encore. L’élégance de ses maisons, l’alignement et la largeur de ses rues
sont cause que c’est la partie la mieux habitée. L’autre partie n’était jadis qu’un marais,
qu’on dessécha en creusant un petit port qui est devenu assez actif. Aussi les marins se
sont emparés de ce quartier, et ils en sont presque les seuls habitans.
La poudrerie royale se trouve en suivant la colline vers le nord. Elle touche à l’étang et à
la colline, et forme un vaste enclos où l’on a établi un fort joli jardin. Le point de vue de
cette fabrique est pittoresque par la chute d’eau qui fait mouvoir les différens engins. Les
magasins de cette poudrerie sont sûrs et commodes. Ils ont été creusés dans le roc, et
faits avec toutes les précautions convenables. Cette industrie est très-avantageuse au
pays.
Saint-Chamas est une de ces petites communes qui, loin d’imiter la capitale de la
province, ont pour les monumens anciens tout le respect et toute la vénération qu’ils
méritent.
A environ cinq cents pas du bourg, et sur la Touloubre, se trouve le pont Flavius. La
magnificence de sa décoration le fait regarder comme un monument triomphal. Cet
édifice avait un peu souffert; mais on s’est empressé de le faire réparer. Dans ce pays, on
pense qu’il vaut mieux entretenir que détruire. On aurait voulu, sans doute, pouvoir se
procurer des ouvriers à même d’imiter le travail des Romains; mais, dans ce siècle qui
n’est pas entièrement celui du génie et du bon goût, on n’a trouvé que de la bonne
volonté et des maçons. Les faces latérales de ce pont portaient un lion à chaque
extrémité. Trois furent détruits; ils ont été remplacés par d’autres qui font ressortir d’une
manière sensible la beauté et l’élégance de celui qui a résisté à la barbarie des hommes;
qui se plaisent à détruire ce qu’ils devraient respecter et admirer.
C’est dans le territoire de Saint-Chamas, et même au cap de l’Œil, que se trouvait la ville
d’Astromela ou Astramela, capitale des Saliens. Indépendamment d’une multitude
d’objets qu’on y a trouvé à différentes époques, on y a découvert, il y a peu d’années,
une belle salle de bains. C’est une galerie de plus de cent mètres de longueur et de
cinquante de largeur, offrant de chaque côté nombre de chambres nécessaires à un pareil
établissement. Les eaux de la rivière de Lar y arrivaient par des tuyaux qu’on a
également reconnus, de manière à n’en pouvoir douter.
Il n’y a qu’un quart du territoire de Saint-Chamas qui soit cultivé. Une partie n’est qu’un
jardin très-fertile en fruits et en légumes; et l’autre n’offre qu’oliviers qui donnent de la
bonne huile. La manière de préparer les olives à la picholine, fut imaginée à Saint-
Chamas par un nommé Picholini. Cette manière, qui est de saler les olives vertes, s’est
répandue dans toute la basse Provence. Aujourd’hui on a, dans ce pays, per- fectionné
cette industrie; on tire le noyau de l’olive salée, et on le remplace par de l’anchois haché.
Ce travail exige beaucoup de soins, d’adresse et de propreté.
La fertilité du sol de Saint-Chamas est due aux eaux de la Duransole, à celles de la
Touloubre et aux canaux de Craponne et de Boisgelin. Le peuple de ce pays est fort
passionné pour la danse, mais pas à un point à leur faire négliger leurs affaires. La
Population de ce bourg est de 2, 900 hab.
C’est là qu’on voit cette fameuse inscription, rapportée par tous nos historiens, qui nous
apprend que El Posthumus Dardanus fit ouvrir cette route. (Voyez DROMONS).
La montagne de la Gache est au-dessus de ce rocher. Le climat de ce village est froid et
sain. On ne cultive que la plaine, qui est fertile en grains de toutes espèces. Pop. 42 hab.
Lors de l’invasion des Sarrasins, le chapitre de Fréjus vint se mettre sous la garde des
habitans de Château-double; plus tard, les protestans qui menaçaient la ville de
Draguignan, vinrent également s’y réfugier; mais ils en furent chassés par les
Draguignanais eux-mêmes, qui détruisirent une partie des fortifications.
En différens lieux, dans le pays, on a trouvé des tombeaux antiques, principalement au
quartier de la Garde, où l’on voit encore les ruines d’une fortification de ce temps, et des
vases de plusieurs dimensions.
Le territoire offre une mine de fer abondante que la difficulté des transports a fait
abandonner. Le sol produit du blé, du vin, de l’huile excellente. C’est le pays des rouge-
gorges; on y en prend prodigieusement en automne. Pop. 1, 000 hab. Foire, le 25 juillet.
Voyez REBOUILLON.
CHATEAU-D’IF. Petite île avec prison d’état dans un château fort, devant Marseille. On
la nommait autrefois Stucium. Voyez MARSEILLE.
Le sol de la plaine est bon; aussi produit-il beaucoup de blé. Populat. 438 hab.
Le terrain, sec et sablonneux, produit du blé, du vin et des légumes. Pop. 677 hab.
CIMIEZ, Cemenelium. Ville épiscopale de l’ancienne Provence, qui n’offre depuis long-
temps que des ruines.
On la trouve, sous les noms de Civitas Cemenelensis ou Cemeliensis, dans les auteurs
ecclésiastiques; Cemenelum, dans la table de Peutinger; Cimela ou Çumela, dans les
Martyrologes, et Cimies ou Cemele, dans les écrivains gaulois. C’était la ville principale
des Vediantiens, et une rivale d’Arles. Saint Nazaire y baptisa saint Celse, et saint Pons y
souffrit le martyre, vers le milleu du troisième siècle.
Cette ville, qui était considérable, fut détruite à la fin du sixième siècle, temps que les
Lombards et les Saxons ravagèrent la Provence. Les habitans se retirèrent à Nice, qui est
situé à une demi-lieue vis-à-vis de l’ancien Cimiez, et s’y fortifièrent. Nice jusqu’alors
n’était considéré que comme un faubourg de Cimiez.
Quoique Cimiez ne fasse plus partie de la Provence, nous avons cru bien faire de le
mentionner, pour l’intelligence de ceux qui s’attachent à l’historique de l’ancienne
Provence. Voyez le mot VEDIANTII.
CIOTAT, Citharistes. Petite ville chef-lieu de canton, dans le golfe des Lecques, à 6
lieues de Marseille. Elle fut construite, 160 ans avant Jésus-Christ, par les Marseillais.
Ils lui donnèrent le nom de Cithariste, et au golfe celui de Sinus Citharistes. César visita
ce lieu, et y établit une station maritime. Ses successeurs y firent passer une route de
second ordre, qui suivait la côte, et passait par Telo Martius, Olbia, Alconis, Heraclea
Caccabaria et Forum Julii. Des restes de quais attestent que les Romains avaient
séjourné long-temps à la Ciotat, et que des vaisseaux venaient y mouiller.
L’invasion de la Provence par les barbares, notamment par les Sarrasins, les Lombards et
les Normands, troublèrent cette ville, au point que les habitans furent forcés de déguerpir
et de chercher un lieu de refuge dans l’intérieur des terres. Aussi cet abandonnement fut
cause que les maisons tombèrent en ruines, et que la ville n’offrit plus que des tas de
décombres.
Sous Bérenger IV, quelques Catalans, ayant jugé le golfe des Lecques propre à la pêche,
se joignirent à quelques pêcheurs du village de Ceyreste, et bâtirent sur le rivage un
hameau, qu’ils nommèrent, en langue catalane, Bort de nostre cieuta. Nombre de
familles vinrent augmenter ce lieu, qui devint en peu de temps un joli bourg, qu’on
nomma Burgum civitatis. La quantité de pirates qui infestèrent cette côte, forcèrent les
habitans à s’enfermer dans des murailles et à se fortifier de sept tours, dont on voit
encore des vestiges.
Dès que le bourg se sépara de Ceyreste, et qu’il fut érigé en commune, ce qui eut lieu en
1429, le corps des marins fit construire une nouvelle tour fort élevée pour découvrir les
corsaires et les pirates.
Un saint ermite fut l’habiter, et mettait une cloche en branle, dès qu’il découvrait une
barque ennemie. Le peuple alors courait aux armes, et prenait des mesures pour
préserver les vaisseaux.
Sous François Ier, la Ciotat comptait une Population de 12, 000 âmes. Le plus grand
nombre y fut attiré à cause de
la grande quantité de navires marchands qu’on y construisait pour les Échelles du
Levant. Cette industrie procurait de grandes richesses à tous les ouvriers et aux
propriétaires terriens. Vers le milieu du siècle dernier, le chantier de ce port ne pouvait
suffire aux constructions commissionnées par le commerce de Marseille. Les bénéfices
étaient si grands, et il s’y consommait une telle quantité de boisson, que les agriculteurs
se décidèrent à abandonner en partie la culture de l’olivier, qui était d’un très-faible
produit dans leur territoire, et y substituèrent la culture de la vigne, qui convient
parfaitement au sol et aux expositions du pays. Mais comme le sol est presque infertile
les vignes commencent à n’y plus bien venir.
La ville de la Ciotat se trouve au fond d’une anse. Ses rues sont larges et bien alignées. Il
y a peu de temps, en creusant une cave dans la ville, on a trouvé des ossemens qu’on
peut considérer païens, à cause d’une lampe sépulcrale très-bien conservée qui se
trouvait parmi ces débris de corps humains. Il y a un tribunal de prud’hommes, établi de
temps immémorial, une école gratuite d’hydrographie, un sous-commissariat de mariné
et un trésorier des invalides. Le port, défendu par une batterie sur les ruines du château
Béloard, est d’une bonne tenue, et peut recevoir des frégates.
L’Ile verte, non loin de la pointe dite le Bec de l’aigle, défend l’entrée de l’anse où se
trouve la Ciotat. Pendant la dernière guerre continentale, plusieurs fois les Anglais se
sont approchés de cette île. La dernière fois, ils prirent terre pour faire aiguade, et se
firent soutenir par des troupes de débarcation. Cela n’empêcha pas qu’ils fussent chassés
avec perte par une poignée d’hommes éclopés.
Les rochers qui bordent la côte de la Ciotat et de ses environs, sont une sorte de
poudingue formé de débris du terrain intermédiaire de la côte du département du Var,
principalement des phillades, de quartz et de grès agglutinés par un ciment de grès rouge
et brun. Ce poudingue est en grands amas posés sur un terrain traumatique, qui fait suite
à celui de Saint-Nazaire et de Six-Fours. Il paraît plus ancien que le poudingue des
environs de Marseille, et que celui des bords de la Durance.
Une fable assez risible qu’on raconte à la Ciotat, est, qu’au pied d’un rocher dit le
Capucin, se trouve une grotte sous-marine. On prétend qu’un marin, en plongeant,
s’enfonça sous la saillie d’un rocher et pénétra fort avant, sans autre but peut-être que
d’étudier la profondeur. Le hasard le fit arriver sur une pointe où il put se fixer hors de
l’eau. Une douce clarté qui pénétrait par les crevasse d’une route immense et fort élevée
lui permit de distinguer l’intérieur de la grotte, dont les parois étaient couvertes de
branches innombrables du plus beau corail. Il aurait voulu retourner tout de suite pour
aller publier cette trouvaille; mais il lui fut impossible de trouver l’issue par où il était
venu. Ce ne fut que le lendemain à la même heure, qu’un rayon du soleil, donnant sur un
certain point de la mer, lui indiqua la direction qu’il devait suivre pour sortir
heureusement de cette espèce de tombeau. Muni de quelques échantillons du corail qu’il
avait trouvé, il sortit sain et sauf, et, chose extraordinaire, il oublia sur quel point se
trouvait la grotte, il ne se rappelait que les prétendues richesses qu’il y avait laissées. Les
crédules ont essayé vainement, et à différentes époques, de percer la montagne par sa
partie supérieure. On s’est enfin lassé d’une entreprise aussi ridicule que ruineuse.
Les pêcheurs de la côte de Provence croient que les grottes sous-marines contiennent
beaucoup de corail, à cause de la tranquillité des eaux. Cette raison est tout-à-fait fausse.
Les polypes, qui font le corail, ne se plaisent que dans les mers profondes, où ils
trouvent mieux de quoi se nourrir. L’expérience a prouvé que plus on s’écarte de la côte,
plus la pêche du corail est abondante.
Le territoire de la Ciotat est très-aride; il n’y a pas un seul courant d’eau. La ville n’a
que des puits et des citernes. Cependant on trouve trois sources; celle de l’anse du pré,
qui est peu distante de la ville; la font sainte, qui est au fond du golfe, et une troisième
dans le port, qui jaillit du fond de la mer. Cette dernière ayant été couverte par les eaux
de la mer, ne peut plus être aperçue. Les Romains avaient conduit à Citharistes, par le
moyen de plusieurs conduits dont il existe encore des vestiges, les eaux de plusieurs
sources qui se trouvent sur le penchant méridional des montagnes de Roquefort. On
pourrait facilement rétablir ces conduits; et les eaux procureraient à la Ciotat de
nouvelles fabriques, tandis qu’elle n’à que des filatures de coton; elle avait des fabriques
de coton qu’on a abandonnées depuis quelque temps. Le vin du pays est fort estimé, non
seulement à cause du terroir et des expositions, qui sont favorables à cette denrée, mais
parce qu’on le fabrique avec plus de soin qu’ailleurs, sans avoir plus de peine. Popul. 6,
200 hab. Foire, 6 mars et 15 août.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont, la Ciotat, Cassis,
Ceyreste et Roquefort.
CLARET. Petit village du canton de la Morte, à 5 lieues de Sisteron, sur la rive gauche
de la Durance. Les vallées offrent communément des blocs de marbre. L’espèce la plus
abondante est celle qui ressemble à la brocatelle d’Espagne. Une de ces brèches est
violette, et l’autre d’une couleur verdâtre. Le sol produit du vin des pommes, des poires,
beaucoup de noix dont on fait de l’huile, assez de légumes, mais peu de blé.Pop. 465
hab.
CLAVIERS, Claverium. Village du canton de Callas, à 3 lieues et demie de Draguignan.
Ce lieu est fort ancien. Il était très-important aux époques des guerres intestines et des
troubles du gouvernement féodal. L’ancien village était enfermé dans un vaste château
très-fort, situé sur une élévation inabordable sur plusieurs points. Le village et le château
furent détruits, après avoir soutenu plusieurs siéges opiniâtres contre des forces
nombreuses.
Le village actuel est bâti sur le même coteau, près des ruines de l’ancien château, et à
une exposition plus douce et plus agréable. Il est entouré de collines complantées de
vignes et d’oliviers, et couronnées de forêts de pins et de chênes verts. Dans toute la
longueur du territoire, du nord au midi, est une petite vallée fertile, arrosée par le
ruisseau d’Ensiay. Le climat est tempéré; l’air vif et sain; le sol, naturellement aride et
ingrat, produit de l’huile, du vin, du blé, du chanvre, du foin, des légumes et des fruits.
Le pays offre des fabriques de chapeaux, et des muletiers qui transportent les huiles
jusques dans le Dauphiné.
A quinze minutes du village, et au quartier de la Lioure, on trouve une grotte assez
remarquable par les masses d’albâtre qu’on y voit. Dans de petits réduits, il y avait de
jolies pièces de stalactites qu’on s’est plu à dégrader. Il y a encore plusieurs bassins
contenant une eau claire, limpide et très-fraîche.
Dans le territoire se trouve un hameau nommé Meaux ou Meaulx, Castrum de Mels. Ce
lieu existait du temps des Romains. Selon Poinsinet de Sivri, traducteur de Pline, c’était
une des villes alliées des Oxibiens. Il paraît que cette ville éprouva le même sort que
celles d’Œginœ et d’Oxibii. Les habitans, échappés au carnage, bâtirent le village de
Claviers au lieu même où se trouvait un retranchement naturel. Pop. 1, 150 hab. Foire, le
6 juin.
CLERMONT, Clarus Mons. Petit village du canton du Bar, à 3 lieues de Grasse; situé
dans un pays hérissé de collines. Le sol est fertile, principalement en fruits. Pop. 36 hab.
Cogolin paraît avoir été bâti sur le cratère d’un volcan éteint. En creusant les terres les
plus rapprochées du village, on y trouve des masses de laves et de basaltes dont on se
sert depuis long-temps à former le chambranle des portes et fenêtres des maisons. On
présume que le vaste souterrain qui, de l’ancien château, communiquait dans la
campagne, est une dépendance de ce cratère. Je crois que c’est de là qu’on a tiré la
grande quantité de pierres volcaniques qu’on a employées à la construction du village.
La montagne de Faucon, qui termine le territoire de Cogolin à l’ouest, fournit aussi une
espèce de grès volcanique très-dur, que l’on emploie dans la bâtisse comme pierre de
taille, et dont on fait des meules pour les moulins à huile.
On avait commencé à exploiter, il y a peu d’années, sur le penchant nord-est de la
colline qui domine Cogolin, une mine de plomb argentifère, dans une gangue quartzeuse
souvent enveloppée de roches granitiques. Le minerai était assez riche pour donner des
profits considérables; mais les travaux furent mal dirigés, et les ouvriers pas du tout
surveillés; on se laissa gagner par les eaux, et la mine fut abandonnée.
Le territoire de Cogolin, bordé, du côté de Grimaud, par la rivière de Giscle, est traversé
dans toute sa longueur par celle de Renoux ou de la Molle. (On lui donne
indifféremment ces deux noms) Ces deux rivières sont à sec pendant l’été; mais, pendant
leurs crues d’hiver, elles servent au flottage du bois à brûler.
On en fait des tas énormes au fond du golfe de Grimaud, où des navires vont le charger
pour le porter principalement à Marseille.
Le territoire de Cogolin est très-fertile, surtout dans la plaine, qui est annuellement
engraissée par les débordemens des rivières. Il produit beaucoup de blé, de vin et de
foin. On y recueille aussi de l’huile, du maïs et des haricots noirs. On y a cultivé avec
succès la patate douce d’Amérique, que Linné appelle consvolvulus batata. On pourrait
y cultiver avec avantage le chanvre, la garance et surtout le tabac. Sur la colline il y a
quelques chênes à liége. Les bois de pins sont devenus fort rares, car le territoire est peu
étendu et presque tout cultivé.
L’air y était autrefois très-fiévreux; il est devenu plus pur, par suite de la destruction des
forêts environnantes, qui interceptaient les vents, et par la mise en culture des parties
marécageuses de la plaine. Les maladies y sont maintenant peu communes.
Malgré sa position avantageuse à l’embranchement de la route royale de Saint-Tropez à
Toulon, avec la route départementale qui va au Luc et à Draguignan, Cogolin n’a ni
fabrique, ni industrie manufacturière. Cela vient sans doute de ce que la Population n’est
pas assez considérable, quoiqu’elle augmente tous les jours depuis l’assainissement des
marais. Les habitans, au nombre de 1, 200, sont actifs et laborieux. Ils sont entièrement
livrés à l’agriculture; ils élèvent aussi beaucoup de bœufs, et des chevaux de la race des
ègues.
Il y avait à Cogolin un dépôt d’étalons du gouvernement; il vient d’être supprimé,
quoiqu’il eût donné d’assez beaux produits, et qu’on dût en attendre de plus grands
avantages dans la suite,
Il y a, le 9 août, une foire consacrée principalement à la vente du gros bétail,
Il y a peu d’années, on trouva dans la cave d’une maison de Cogolin un monument grec,
qu’on présume n’avoir pas été construit dans ce pays, mais avoir été apporté de l’île de
Lesbos.
Ce monument a trois pieds deux pouces de hauteur sur dix pouces six lignes de largeur,
il est triangulaire. Sur chacune des trois faces est représentée en bas-relief une figure
encadrée et placée au-dessus d’un large espace vide, en forme de parallélogramme, qui
semble destiné à recevoir une inscription: on n’y aperçoit cependant aucune trace de
lettres; mais, au-dessus de chaque figure, on lit des caractères grecs.
Une de ces figures représente une femme debout et vue en profil. Elle est vêtue d’une
tunique qui descend jusqu’à terre, en formant de longs plis. Cette première tunique est
recouverte par une seconde plus courte qui s’arrête au-dessus du genou. Sur sa tête est
jeté un voile qu’elle relève de la main droite; son bras gauche est plié au-dessous du
sein. Dans l’espace qui est au-dessus de la figure, on lit le mot RITO.
Une seconde figure représente un homme avancé en âge.
Il s’appuie sur un long bâton. Ce personnage est vêtu d’un ample manteau ou pallium,
qui laisse à découvert le haut de la poitrine et les deux bras. Au-dessus de la statue, on
lit:
epmon
..... no?
m - omnaio?
La troisième figure est celle d’un vieillard couvert également d’un manteau, dans lequel
le bras gauche est enveloppé.
Le bras droit est nu ainsi que la poitrine. Cette figure est vue presque entièrement en
face.L’inscription qui la surmonte est:
mnh? I V V?
?ATOPO
Des personnes instruites, qui ont examiné avec soin ce bas-relief, ont jugé que ce
monument avait rapport au retour d’Ulysse à Ithaque. La femme qui soulève son voile
qui cachait son visage, serait Pénélope, qui cherche à s’assurer si Ulysse est réellement
l’individu qui se précipite à elle. L’homme appuyé sur un bâton serait Ulysse lui-même.
Le bâton annonce et le voyageur, et l’homme disposé à châtier les téméraires qui
dissipaient son bien et persécutaient sa femme et son fils. Le vieillard serait le fidèle
Eumée, cet ancien serviteur, qui accueillit avec tant d’empressement le destructeur de
Troye, au moment où il descendit sur le rivage d’Ithaque.
Tel est ce monument que les habitans de Cogolin auraient droit de réclamer auprès de
celui de leurs compatriotes qui dépouilla son propre pays pour enrichir le village de la
Valette.
Il y a plusieurs fabriques de draps communs. Les fromages du pays et des environs sont
fort estimés.
A une petite distance de la ville, et près de la route d’Allos, il y a une fontaine
intermittente qui coulait et s’arrêtait pendant sept minutes. Le tremblement de terre de
Lisbonne la fit tarir; elle n’a reparu qu’en 1770, mais avec des variations qui prouvent
que les naturalistes n’avaient pas bien connu la cause de ses suspensions.
Le quartz abonde à Colmars; il y a même quelques indices de minéraux. Les prairies
sont couvertes de belles plantes; l’érable et le sapin sont communs dans les collines.
Pop. 955 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Colmars, Beauveser,
Thorame-Basse, Thorame-Haute et Villars-Colmars.
Dans les bancs de pierres calcaires qui forment le toit ou le lit de plusieurs mines de
houille, on trouve des couches épaisses de gryphites, de vis, de buccins, de moules et
autres coquillages. On y trouve aussi des pyrites ferrugineuses. Pop. 740 hab. Foires, 23
mai et 24 juin.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Comps, Ghâteauvieu,
Bargème, la Bastide, le Bourguet, Brénon, Brovés, la Martre, la Roque-d’Esclapon et
Trigance.
CONIL, Cuniculus. Grande forêt de pins, vis-à-vis de Cuges, d’où l’on tire beaucoup de
poix, de résine, d’essence de térébenthine, etc.
CONSTANTINE, Constantina. Nom d’un camp fortifié, sur une petite montagne, à une
lieue est de Saint-Chamas. On y a découvert, à différentes époques, des monumens
antiques, tels que des statues d’or, d’argent ou de jaspe, des anneaux d’or et des
médailles de plusieurs règnes.
La montagne de Constantine est au bord de l’étang de Berre. Les eaux viennent presque
baigner son pied. Autrefois elles s’élevaient beaucoup plus haut, à en juger par les
anneaux d’amarre qu’on y voit encore. Sur le sommet, on trouve des débris d’un camp
retranché, de forme ovale, entouré de murs en pierres sèches fendus par deux tours. Hors
de cette enceinte, on voit à chaque pas de grosses pierres de taille détachées.
Au midi, il y a une citerne bâtie avec un ciment très-dur; elle est aujourd’hui comblée.
La tradition porte que le grand Constantin se retrancha dans cette forteresse. Cela peut
bien être; le nom qu’elle porte semble l’annoncer. Mais ce que nous pouvons assurer,
c’est que ce n’est pas cet empereur qui la fit construire. Sa première construction en
pierres sèches prouve que c’est un retranchement celto-lygien, que les Romains avaient
ensuite perfectionné et augmenté. Ces sortes de retranchemens étaient toujours à portée
d’un chef-lieu les premiers habitans, et le chef-lieu voisin de Constantine était
Astramela, près de l’embouchure de la Duransole, même au cap d’Œil, où l’on trouve
encore beaucoup de ruines de cette ancienne ville qui paraît avoir été considérable. Elle
fut détruite vers la fin du cinquième siècle, et lors de l’invasion d’Euric, roi des
Wisigoths. Les habitans prirent la fuite; et, au rétablissement de l’ordre, une partie alla
bâtir la ville d’Istres, et l’autre celle de Berre. Mais quel peuple habitait la ville
d’Astramela? c’est sur quoi les auteurs modernes ne sont pas d’accord. Pour moi, je suis
fondé à croire qu’elle était la capitale des Saliens. Elle ne pouvait être que le mallus
d’une grande nation de ce temps. Son retranchement, sa position et son point central le
prouvent suffisamment. Mon idée, quoique contraire à celles des auteurs modernes et
des contemporains, fut sentie par Honoré Bouche, à la différence qu’il prit les ruines du
retranchement de Constantine pour celles d’une ville qu’il supposa être la même où
Protis, un des chefs de la première expédition phocéenne, vint faire alliance avec le roi
des Saliens. Voyez ce mot.
CORNILLON. Village du canton de Salon, à 61. et demie d’Aix, situé près d’une
branche du canal de Craponne, et ayant un hameau nommé Confoux. Climat doux et
tempéré; sol fertile en blé, pâturages, fruits, et surtout en huile d’olive. Pop. 680 hab.
Quant aux deux autres, elles servent à l’irrigation, à huit fabriques de tannerie, douze
filatures pour la soie, douze moulins pour la tordre, etc.
Le sol produit principalement du blé, du vin et de l’huile.
Le cotignac, sorte de confiture faite avec du moût de raisin et du fruit du cognassier, fut
imaginée en cette ville, qui lui donna son nom. Il est étonnant que cette fabrication, ainsi
que celle du raisiné, ne soit pas devenue une industrie provençale. Cependant la ville de
Marseille fait des expéditions de ce dernier jusque dans les colonies, et est obligée de se
le procurer elle-même dans plusieurs contrées de l’Italie, par la raison que nul Provençal
n’a daigné jusqu’à présent faire cette spéculation en grand. Le seul canton de Courtenay
(département du Loiret) en débite tous les ans de mille à quinze cents quintaux, qui
rendent de trois à quatre cents mille francs.
Au nord du territoire de Cotignac, il y a de vastes forêts de chênes mises en coupes
réglées, qui rendent considérablement aux propriétaires.
A un quart de lieue de Cotignac, et sur une élévation, se trouve l’église de Notre-Dame-
de-Grâce, fondée en 1519,
et célèbre par la dévotion des fidèles qui, dans un temps, y venaient processionnellement
de toutes les parties de la Provence. En 1663, Louis XIV et Anne d’Autriche sa mère y
vinrent en dévotion. Pop. 3, 800 hab.
Les foires du pays sont, le lundi après la Purification, le 19 mars, le lundi après
l’Annonciation, le 9 juin, le lundi après l’Assomption, le lundi après la Nativité, le lundi
après la Saint-Martin et le lundi après la Conception.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Cotignac, Carcès,
Châteauvert, Correns Entrecasteaux et Monifort.
COURMES, Corma. Village du canton du Bar, à 7 lieues de Grasse, et sur la rive gauche
du Loup, Climat froid; sol pierreux et pénible à cultiver, Le village, quoique sur la
montagne, est dans un enfoncement où le soleil ne paraît que fort tard.
Au nord du village sont les ruines d’une commune dite de la Magdeleine, qui fut détruite
pendant les guerres intestines.
A l’est, il y eut, dans le principe, une maison de campagne ou ferme romaine, avec un
grand nombre de tombeaux, preuve certaine qu’elle a longtemps existé. Quelques
maisons autour de cette villa, formèrent un hameau, où l’on voit les ruines d’une église
et une grande quantité d’ossemens dans un lieu où fut probablement le cimetière
autrefois,
La plupart des montagnes ne sont que des rocs pelés. Celle dite de Courmette est fort
élevée; son point de vue est fort étendu. Il s’étend depuis la montagne de l’Estérel
jusqu’à celle du Col de Tende en Piémont, et jusqu’à l’île de Corse au midi. Ce fut du
sommet de Courmette que le célèbre Cassini calcula et prit la distance des environs.
L’aérostat lancé à Paris le jour du couronnement de Napoléon, vint presque toucher le
sommet de Courmette: un nouveau vent se leva, et le poussa avec une rapidité étonnante
jusque dans la campagne de Rome. Le sol de Courmes produit du blé et des herbages
pour les troupeaux. Pop.: 185 hab.
CRAU D’ARLES (LA). Vaste plaine entre le Rhône, l’étang de Berre et la mer. Elle a
huit lieues dans tous les sens, et n’offre ni élévation, ni habitation, ni eau, ni arbres, ni
terrain, surtout en dessous du chemin d’Arles à Salon. Ce n’est que cailloux roulés de
différentes grosseurs. Le premier historien qui visita cette plaine, crut que ces cailloux
étaient les mêmes que les dieux firent pleuvoir sur les enfans de la terre qui avaient osé
méconnaître leur puissance. Les naturalistes d’aujourd’hui reconnaissent que la plaine
de la Crau n’était, dans le principe, qu’un vaste golfe de la mer, dans lequel la Durance,
qui d’Orgon passait à Lamanon, venait se jeter. Cette rivière non seulement combla ce
golfe par des atterrissemens considérables, mais encore elle obstrua son ancien lit, et fut
forcée de s’en creuser un autre dans une direction contraire.
La plaine de la Crau se divise en région pierreuse et en marais. La première est
subdivisée en terrains nus et en bruyères. Les terrains nus poussent, aux mois de mai et
de septembre, une herbe fine et rare qui sort de dessous les cailloux, et qui est
recherchée avec avidité par le menu bétail, vu qu’elle contient beaucoup de sel marin.
Cette herbe consiste en plusieurs sortes de graminées, telles que les Crypsis schœnoïdes,
la calamagrostis espigeios, l’avena nuda, la festuca stipoïdes, la rottbala filiformis, la
poa disticha, et plusieurs espèces de pâturins et de chiendents.
On y trouve aussi la salvia precox, la thapsia villosa, l’hissopus canescens, le
lithospermum officinale, la bidens tripartita, les chironia pulchella et maritimum (petite
centaurée), appelée dans le pays herbo de la Craou.
L’autre région de la Crau, en outre de ses marais qui la rendent mal saine, a un grand
nombre d’étangs qui ne contribuent pas peu à son insalubrité. On travaille en ce moment
à un canal qui doit assainir cette partie.
La formidable armée des Cimbres, des Ambrons et des Teutons passa plusieurs jours
dans cette plaine de la Crau pour provoquer C. Marius, général romain, qui s’était
retranché à Foz-les-Martigues, anciennement Fossœ marianœ. La privation d’eau et de
toute subsistance força les barbares à continuer leur route vers l’Italie. Ils mirent trois
jours pour défiler devant le camp des Romains, à qui ils adressaient mille insultes. Ils
eurent bientôt à se repentir de leur audace et de leur témérité. Voyez le mot
POURRIÈRES.
CREISSET. Petit village du canton de Mézel, à 6 lieues de Digne, sur la rive gauche de
l’Asse, en face de Norante.
Le climat est froid et sain. Terrain en partie fertile et en partie très-ingrat, Il donne du
froment, du seigle, de l’orge, des légumes et de bons fruits. Des plantes médicinales
abondent sur les montagnes voisines. Le village est sur un rocher.
Le sol est presque tout en pente, et garni de sources qui font ébouler les terres. Pop. 160
hab.
CRIDE. Cap de la Cride. Cap de la côte maritime du département du Var, qui forme la
baie de Bandol.
CROISETTE (DE LA). Cap sur la côte maritime du département du Var, près de Sainte-
Maxime, et à l’entrée du golfe de Grimaud.
CROIX (SAINTE). Village du canton de Riez, à 15 lieues de Digne, sur la rive droite du
Verdon. Climat tempéré; air assez sain, depuis qu’on a desséché les marais. Le sol est
fertilisé par les eaux de la rivière. Il produit des fruits et beaucoup de légumes; l’huile du
pays, quoique en petite quantité, est préférable à celle d’Aix. Pop. 487 hab.
CUREL. Petit village du canton de Noyers, à 6 lieues de Sisteron, sur la rive gauche du
Jabron. Climat et productions du sol, les mêmes qu’à Château-Neuf-de-Miravail. Pop.
308 hab.
CYPRESSETA MUTATIO. Ancienne, position que certains auteurs modernes ont placée
au même endroit où se trouve la ville de Pont-des-Sorgues. On sait que, ce lieu était près
de la rive gauche du Rhône, et à environ une lieue d’Avignon.
En ce cas, comme depuis que Cypresseta a disparu, on a rapproché considérablement le
fleuve de la ville d’Avignon, nous pouvons assurer avec vraisemblance que cette
position ne pouvait se trouver que dans l’île de Barthalasse, formée par l’ancien et le
nouveau Rhône.
DAME. Ile Notre-Dame. Ilot près de la côte maritime du département des Bouches-du-
Rhône, au midi de Marseille
et du hameau de Daume.
DAME. Fort Notre-Dame de la Garde. Petit fort sur une grande élévation qui domine la
ville de Marseille. Il est entièrement négligé. Il ne sert proprement que de poste à une
vigie chargée de signaler les vaisseaux qui se montrent dans le lointain. C’est dans ce
fort que se trouve la chapelle de Notre-Dame de la Garde, vulgairement la Bonne-Mère,
patronne de Marseille et des marins provençaux.
DÉCIATES. Peuple celto-lygien qui occupait les rives du Loup (l’Apros), près de son
embouchure dans la mer, entre Antibes et le Var, et non entre la Siagne et le Var, comme
un auteur contemporain veut le prétendre. Selon les historiens modernes, le chef-lieu de
ce peuple a dû être dans le territoire de Villeneuve Loubet; mais ils ne l’assurent pas. Un
peuple si belliqueux et si redoutable aux Romains, devait avoir son chef-lieu près d’un
endroit fortifié par la nature; et cet endroit ne se trouve sur aucun point du territoire de
Villeneuve; preuve certaine que ces écrivains n’ont pas exploré eux-mêmes les lieux, et
qu’ils s’en sont rapportés au témoignage de personnes peu expertes dans la partie.
Un véritable amateur aurait reconnu cet endroit fortifié dans le territoire de Cagnes, et au
lieu même où se trouve le village de ce nom, lieu unique dans toute la contrée;
exposition au soleil levant, retranchement naturel, eau potable à portée, trois choses
principales que les anciens peuples cherchaient avant de former leurs établissemens.
Les Déciates, alliés des Oxibiens, les secondèrent dans leurs attaques contre les
Romains, et essuyèrent les mêmes traitemens de la part des vainqueurs, c’est-à-dire la
destruction de leurs villes, et le désagrément de quitter le rivage de la mer pour aller
s ’ é t a b l i r, dans l’intérieur des terres, chez les autres peuples leurs alliés. Vo y e z .
OXIBIENS
DÉZUVIATES. Peuple celto-lygien qui occupait Orgon et ses environs jusqu’à Sénas. Il
était allié des Saliens. Peut-être même en était-il un démembrement.
DIDIER (SAINT). Petit village du canton de Pernes, à une lieue et demie de Carpentras.
On y trouve de la pierre
coquillière excellente pour la bâtisse. Le sol est assez bon, et ses productions sont à-peu-
près les mêmes qu’aux environs. Pop. 515 hab.
DIEU-DONNÉ: Port et jetée qui unit les îles de Pomègues et Ratonneau devant
Marseille. Voyez ce mot.
DIGNE, Dinia, Digna, Dine, civitas Diniensium; et, selon Scud. et Ortélius, Donoy.
Ville épiscopale, chef-lieu du département des Basses-Alpes, avec tribunal de première
instance, cour d’assises, tribunal de commerce, à 197 lieues de Paris. Je pense que le
véritable nom de cette ville est Dinia, nom qui lui vient du celtique din, eau, et ia,
chaude. On trouve, en effet, à environ vingt minutes de la ville, sur la route de
Castellane, au bord d’une rivière entre deux collines, une source d’eau thermale dont la
chaleur est à 39 degrés au thermomètre de Réaumur. Cette eau contient de l’hydrogène
sulfuré, de l’acide sulfurique, de l’acide carbonique, de la chaux et de la magnésie, ce
qui la rend propre à la guérison de plusieurs maladies, mais funeste aux maux vénériens.
Les Romains connurent cette fontaine. On ignore s’ils y firent construire les premiers
bains, ou si ça été long-temps après eux. Tout ce que nous pouvons assurer, c’est qu’on a
établi depuis plusieurs siècles un hôpital militaire; mais on en a eu si peu de soin, qu’on
le prenait naguère pour une masure. On affirme qu’une quantité de serpens, non
venimeux à la vérité, qui se tenaient près de la source, venaient souvent se baigner avec
les malades. Un heureux changement de maître vient de rendre cet établissement aussi
agréable que la localité pouvait le permettre, et les malades pourront à toute heure du
jour se promener à l’ombre de plusieurs arbres qui ne contribuent pas peu à embellir ce
nouveau local.
La ville de Digne est fort ancienne. Son origine remonte à la plus haute Antiquité. Elle
était la capitale des Bodiontici ou plutôt Blédiontici, peuplade celto-lygienne alliée et
même faisant partie des Albici, nation qui avait pour capitale la ville de Riez. Digne n’a
pas été le théâtre de grands exploits, du temps des Romains. Cependant on assure que
Jules César y passa, et qu’ayant trouvé cette ville mal bâtie, il la qualifia, d’indigne. Je
pense que ce qu’on fait dire à César est une pure calomnie; car, à l’arrivée des Romains
en Provence, il n’y avait pas de ville bien bâtie dans toute la Celto-lygie.
Un auteur contemporain, de qui j’ai quelquefois emprunté les lumières, est fort en peine
de trouver l’ancienne position de la ville de Digne. Cependant l’emplacement de la ville
actuelle était on ne peut plus convenable aux premiers habitans de cette contrée:
exposition au soleil levant, sur un amphithéâtre à l’abri de tous les vents, ayant en dessus
un retranchement naturel, et en dessous deux rivières où coulait continuellement de l’eau
excellente pour boire; situation bien préférable à celle du village des Sièyes, où la
Bléonne, sortant de son lit, rendait le pays mal sain. Il ne s’agit pas de juger d’un lieu
par ce qu’il est aujourd’hui, mais par ce qu’il était dans le principe; et l’on évitera de
faire des erreurs peu dignes d’un observateur judicieux.
Les différens peuples barbares qui vinrent contrarier les Romains dans leurs conquêtes,
détruisirent la ville de Digne jusqu’aux fondemens. Les habitans se réfugièrent sur les
hauteurs voisines comme en des lieux de sûreté.
Un hameau fut, à cette époque, formé vers le plateau qui termine la montagne de
Cosson. Aussi, près de la chapelle de Saint-Michel, on trouve une quantité d’ossemens
et de tombeaux chrétiens qui conservent tous les signes d’une haute antiquité. Quelques-
uns renferment un petit pot de terre de la même forme que ce qu’on appelle en
provençal, un toupin.
Ce pot paraissait être destiné à y tenir de l’eau bénite, usage qui s’est entièrement perdu.
Après l’expulsion des barbares, quelques familles descendirent au quartier de Notre-
Dame, sur la route de Barcelonnette; et, plus tard, nombre d’autres transportèrent leurs
habitations autour de l’ancien retranchement celte, où elles se fortifièrent de plusieurs
tours. L’industrie fit accroître considérablement la population du nouveau lieu; mais les
guerres intestines et la peste de 1629 sont cause que la ville de Digne est aujourd’hui
réduite à un tiers de la population qu’elle avait eue autrefois.
La ville d’aujourd’hui offre quelques jolies maisons dans leur intérieur, une belle
promenade servant de cours et de pré de foire, beaucoup de vergers, dans la plaine
seulement, car les hauteurs ne présentent que des rochers et des arbustes qui ne
produisent rien. La plaine serait très-productive, mais elle est à moitié occupée par la
Bléonne, qui fait tous les jours quelque nouvelle usurpation. Il est surprenant qu’une
ville éclairée telle que Digne, n’ait pas songé à réduire le lit de cette rivière, en plantant
sur les deux rives des arbres inclinés; de manière que les branches penchantes pussent
prendre racine dans le limon que l’eau entraîne habituellement lors des fortes pluies et
du dégel. La vallée, depuis Digne jusqu’à Malijeai, y gagnerait considérablement, et les
terres basses, voisines de la rive gauche, ne seraient pas constamment ravagées et
couvertes d’eau stagnante et de gravier.
Toutes les maisons de campagne de Digne, ainsi que celles du territoire de Courbons,
ont un essui où l’on met sécher les prunes qu’on récolte dans le pays; et ce fruit, joint
aux laines et aux bestiaux, forment le principal commerce du chef-lieu, qui s’étend fort
loin.
La montagne Saint-Vincent, au nord de la ville, contient beaucoup d’astroïtes. Les
coquilles pétrifiées y sont communes, malgré les visites fréquentes des amateurs.
Une autre montagne, au nord des bains, offre des marcassites et des blocs d’une terre
martiale dans laquelle on voit du fer cristallisé.
A quelques minutes au nord de la ville, et sur la route de Barcelonnette, on voit encore
l’ancienne cathédrale, qu’on prétend avoir été bâtie par Charlemagne. Quoique cet
édifice soit, pour ainsi dire, abandonné, il résistera encore long-temps à la rigueur des
siècles.
A environ une lieue de cette ville, est le petit village de Champtercier, patrie du célèbre
Gassendy. Ce lieu était anciennement un faubourg de Digne, à en juger par les vestiges
des marchés et des foires qui s’y tenaient. Ces foires se tiennent aujourd’hui à Digne
même, et elles sont fort courues. Elles ont lieu le premier lundi de Carême, le 2e lundi
après Pâques, le lundi après l’Octave de la Fête-Dieu, le lundi après la Saint-Julien, le
lundi après la Toussaint, le 30 novembre et le 21 décembre. Le commerce du pays
consiste principalement en prunes-Brignoles, amandes, huiles, cire, miel, laines,
chanvres, toiles de Seyne, mulets, chevaux, bourriques, et tout ce qui peut être utile aux
habitans de la haute Provence. Population 4,160 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont, Digne, Aiglun, Ainac,
Auribeau, Barras, le Castellard, le Chaffaut, Champtercier, Courbons, les Dourbes,
Entrages, Saint-Estève, Gaubert, la Gremuse, Lambert, Malmoisson, Marcoux,Melan, la
Pérusse, la Robine, les Sièyes et Thoard.
DILIS POSITIO. Ancien village qui se trouvait au cap de la Couronne, près des
Martigues. Voyez LAURONS.
Mais comme tout ce qui est l’ouvrage des hommes est périssable, et qu’il n’y a rien de
stable dans ce monde nous verrons bientôt à quelle époque cette ville fut entièrement
détruite, quel fut le peuple qui la détruisit, et quelle fut la cause de sa destruction. En
attendant, on me permettra de donner de nouvelles preuves qui attestent qu’Antéa
existait au même lieu que je lui assigne, et que j’ai été le premier à le signaler.
L’ignorance de la position d’Antéa a fait commettre plusieurs erreurs aux historiens
modernes, notamment celle sur la véritable position du Forum Voconii. Ceux qui
croyaient qu’Antéa se trouvait à Aups, n’ont pas craint d’avancer que le Forum Voconii
était à Draguignan. Ils y étaient en quelque sorte autorisés par la distance de cinq lieues
qui se trouve entre ces deux villes. Les autres, qui ne calculaient les distances que sur la
carte, en suivant la ligne directe, supposant que l’Antéa était l’Ampus de nos jours, ont
soutenu, l’un, que le Forum Voconii était Gonfaron; l’autre, que c’était le Luc, et le plus
grand nombre, que c’était le Cannet du Luc. Mais les Romains mesuraient différemment
les distances.... Loin de suivre la ligne droite, souvent impraticable à cause des
montagnes, des vallées et des forêts peut-être impénétrables de leur temps, ils les
mesuraient en suivant les routes pratiquées, sur lesquelles ils avaient eu soin de placer
des pierres milliaires. A cette époque, il s’en fallait beaucoup que les routes fussent
exactement les mêmes que celles de nos jours. On sait positivement que celle qui du
village de Trans conduisait à celui des Arcs, passait par la plaine de Sainte-Rossoline.
D’après cela, si nous voulons trouver la véritable position du Forum Voconii, nous
dirons: de l’Antier à Draguignan une lieue, de Draguignan à Trans une lieue, de Trans à
Sainte-Rossoline une lieue, de Sainte-Rossoline aux Arcs une lieue, et des Arcs à
Taradeau une lieue; ce qui fait en tout cinq lieues. Or, le Forum Voconii se trouvait à
Taradeau, dont les distances avec Matavo, Forum Julii et Antéa sont exactement les
mêmes que celles marquées dans les itinéraires.
Les premiers Romains qui envahirent la Celto-Lygie connurent Antéa. Plusieurs familles
italiennes s’établirent en cette ville, et s’y construisirent des habitations en rapport de
leurs rangs et de leurs fortunes. Mais l’esprit remuant des Sueltéri et de leurs alliés, leur
attachement pour la liberté, et leur haine pour des hommes qui étaient venus leur ravir
leur indépendance, attirèrent dans le pays des armées romaines qui, non seulement
détruisirent la ville d’Antéa, mais encore le retranchement qui leur servait d’asile et de
défense.
Le peuple alors était caché dans les forêts de Malmont et Malbos (mauvais mont et
mauvais bois), et fit éprouver des pertes considérables à ses oppresseurs. Le fer et la
flamme des Romains finirent par soumettre les révoltés.
Les malheureux habitans d’Antéa se réfugièrent sur une hauteur du Malmont. Ils y
construisirent de nouvelles demeures, et donnèrent à ce lieu le nom d’Arguenaud, puis
celui de Griminum, vulgairement Guignan.
Ce nouveau lieu subsista pendant plusieurs siècles, c’est-à-dire jusqu’à ce que les
habitans eussent reçu les lumières de l’évangile, par saint Hermentaire (sant Armentàri),
premier évêque d’Antibes, qui vivait en 450, et non en 880, comme certains historiens
l’ont avancé; car, dans le neuvième siècle, le lieu de Griminum fut détruit par les
Sarrasins, et les habitans occupaient la ville de Draguignan qui était déjà populeuse et
bien fortifiée.
Saint-Hermentaire, animé d’un saint zèle, vint, sous le règle des Romains, augmenter le
nombre des disciples de la foi, Comme, à cette époque, il fallait, pour persuader les
hommes, parler en même temps et aux yeux et au cœur, le saint prélat, homme vaillant et
vigoureux, s’arma d’une lance et d’une épée, et fut dans la campagne combattre un
énorme serpent qui était l’effroi de tout le pays. Il eut le bonheur de le percer de son
arme, et de le voir expirer à ses pieds, sans avoir été atteint lui-même. Ce haut fait
d’armes, et le signalé service qu’il venait de rendre à l’humanité, lui valurent la
confiance de toute l’habitation. Il profita de cette confiance pour persuader le peuple des
vérités de la religion de Jésus-Christ. Tout le monde s’empressa de renverser les idoles
païennes, et de substituer à leur place l’image de la Rédemption. C’est à cette époque,
que la ville prit pour armoiries un dragon ailé ayant la tête traversée d’une épée. Telle est
l’assurance qui nous est donnée par la plupart des historiens, telle est la tradition
populaire qui s’est conservée jusqu’à nous.
Immédiatement après leur conversion, les habitans de Griminum abandonnèrent la
hauteur pour venir s’établir au pied de la montagne, et près d’un sol marécageux qu’ils
desséchèrent. Ils y bâtirent une ville qu’ils nommèrent d’abord Dragoniam, et ensuite
Draguignan.Ils l’entourèrent de fortes murailles; et, plus tard, ils la fortifièrent par une
haute et vaste tour, sur un rocher escarpé au centre du lieu, par trois citadelles du
plusieurs bastions. La population s’accrut et diminua successivement. On agrandit et on
embellit la ville à différentes époques. Elle devint bientôt considérable et une des plus
importantes de la Provence. La juridiction de sa cour royale comprenait les vigueries de
Castellane, de Grasse, de Draguignan, de Lorgues, d’Aups, de Brignoles, d’Hyères et de
Toulon. En 1569, le roi y établit des prud’hommes, qui jugèrent gratis les affaires en
dessous de cinq florins.
Le greffier de ce tribunal n’avait pour tout émolument qu’un liard par ordonnance.
Les guerres civiles firent tomber les premiers remparts de Draguignan. Comme les
huguenots menaçaient de saccager la ville, l’autorité jugea à propos d’aller cacher les
reliques de saint Hermentaire dans l’île Saint-Honorat. Draguignan fut assez heureux
d’échappera la vigilance des gens de la nouvelle secte, qui couvraient la campagne de
deuil; car ils se livraient au viol, au meurtre, au pillage et à l’incendie. Ils ne tardèrent
pas à se présenter devant la ville pour tâcher de l’enlever d’assaut; mais ils furent
vivement repoussés par la bravoure des habitans, dirigés par le sieur de Saint-Martin,
lieutenant du grand prieur de France. Cet échec ne découragea pas les religionnaires. Ils
se réfugièrent dans les villages de Châteaudouble et du Muy, pour attendre une occasion
plus favorable; mais ils furent surpris par les Draguignanois, qui les chassèrent de ces
deux positions, et détruisirent les remparts qui leur servaient de défense.
En 1515, la ville et les faubourgs de Draguignan furent entourés d’un nouveau rempart
flanqué de tours, et bordés d’un large fossé. Cette ville semblait prévoir qu’elle allait
être le théâtre des plus grands désordres. Au commencement du seizième siècle, les
catholiques, moins nombreux, ou, peut-être, moins audacieux que leurs adversaires,
étaient forcés de se tenir cachés. Ils se réunissaient néanmoins à la campagne ou dans
des caves de la ville, pour y remplir leurs devoirs religieux aussi secrètement qu’il leur
était possible.
Les chances de la guerre ayant affaibli les religionnaires, ils furent à leur tour opprimés
par les catholiques, qui usèrent de représailles, et surpassèrent même ceux qui leur
avaient donné l’exemple du carnage et de la barbarie, En 1560, Antoine et Paulon de
Richieu, sieurs de Mauvans, habitans de Castellane, insensés armés par les luthériens, et
tous deux animés par le souvenir de l’exécution de l’arrêt du parlement contre le lieu de
Mérindol, (Voyez ce mot), commirent les plus grandes scélératesses dans les communes
qu’ils parcouraient. Antoine parut seul à Draguignan, peut-être sans intention criminelle,
quoique sa présence fût d’un mauvais présage. Il fut reconnu par quelqu’un qui jugea
défavorablement son apparition. Le peuple en fut instruit, et s’empressa de se saisir de sa
personne. Ce même jour, malgré les remontrances des gens honnêtes de la ville, Antoine
fut inhumainement massacré par la populace, qui lui arracha le cœur, pour le promener
dans les rues au bout d’une perche. Le corps, après avoir été traîné autour des remparts,
fut livré et abandonné aux chiens. Ceux-ci, moins avides de sang que les hommes,
refusèrent une telle nourriture, et semblèrent vouloir donner une leçon d’humanité.
Un protestant du pays sortit pendant la nuit, recueillit avec soin les restes du cadavre et
les inhuma. Le parlement en ordonna l’exhumation, et fit pendre aux portes de la ville
d’Aix, et par la main du bourreau, ces membres dégoûtans et à demi-putréfiés.
Cette conduite irrita tellement Paulon, qu’il mit toute la haute Provence en combustion.
Après, il courut s’enfermer dans Sisteron; mais, prévoyant qu’il ne pourrait s’y soutenir,
il fut terminer sa misérable vie dans le Périgord.
Le commencement du dix-septième siècle n’offrit pas de scènes sanglantes dans
Draguignan; mais ses environs étaient ravagés par la peste. La ville envoya des secours
aux lieux frappés par la contagion, depuis Toulon jusqu’à Riez, Moustiers et même
Colmars, quoique ce dernier lieu ne fût pas dans sa juridiction.
A cette époque, un ver rongeur attaquait les tiges tendres des oliviers, et les desséchait
en peu de jours. La ville leur intenta un procès, qui fut plaidé de la même manière que
dans une autre circonstance, où la ville d’Arles fit sévir contre les rats qui désolaient la
campagne.
Vers l’an 1650, une troupe d’ennemis du roi, qui s’étaient fortifiés au village de Reynier
et au château de Rhuez, vint tenter de surprendre la ville qui était sans garnison. Les
habitans, la plupart armés de broches et de bâtons ferrés, firent une sortie, poursuivirent
les rebelles, les atteignirent au quartier de la Granégone, où il y eut un combat meurtrier.
Les rebelles perdirent beaucoup de monde, et leurs lieux de refuge furent détruits.
Cet événement mit la ville dans la nécessité de se tenir sur la défensive. De temps en
temps elle était attaquée; mais elle opposait toujours une vigoureuse résistance. Le
gouvernement du roi, voulant faire cesser le désordre qui régnait chez les Provençaux,
envoya à Draguignan le baron de Roumoules, qui ordonna aux habitans d’ouvrir les
portes de la ville et de se réunir sans armes sur un même point, hors des murailles. Les
habitans obéirent; et pendant qu’ils étaient assemblés, les rebelles, qui se trouvaient
cachés dans la campagne, pénétrèrent dans la ville, s’emparèrent de la tour de l’horloge
et de plusieurs autres postes, et assassinèrent quelques hommes de marque qui se
trouvaient dans les rues. Ils furent bientôt cernés dans leurs retranchemens.
Le gouverneur de la province leur envoya un parlementaire qui reçut un coup de fusil
parti de la tour qu’on voyait encore, il y a peu d’années, sur la place de Porte-Aiguières.
Les communes des environs s’armèrent pour venir délivrer la ville de cette troupe de
perturbateurs. Ceux-ci en étant informés, et n’étant pas en force pour opposer une forte
résistance, prirent la fuite, dans l’espoir de revenir plus tard pour y assouvir leur fureur.
Ils reparurent en effet avec des forces considérables. Ils essayèrent plusieurs fois de
prendre la ville à l’escalade.
Les habitans, après avoir repoussé les différens assauts, firent une grande sortie, et
remportèrent sur les ennemis du roi une victoire complète. A cette nouvelle, toute la
Provence se sentit comme soulagée d’un fardeau accablant. La ville de Marseille
ordonna des réjouissances publiques. Elle écrivit une lettre de félicitation, et offrit des
secours à Draguignan dont la guerre avait épuisé les ressources.
Deux ans après, des officiers de plusieurs contrées, qui avaient la ville pour prison,
formèrent un parti qui donna lieu à une nouvelle guerre civile dont Draguignan fut le
berceau. Ce parti, connu sous le nom de sabreurs, parce que les chefs se servaient
habituellement du sabre, se trouva en présence d’un autre parti non moins redoutable,
appelé les ganivets, à cause qu’il était composé en grande partie d’hommes qui
maniaient journellement le canif (lou ganif). Ils avaient chacun à leur tête une jeune
paysanne du pays, qui les commandait. Ce fut à qui maintiendrait le chaperon dans sa
faction, et à qui vengerait ses haines particulières sous le voile des haines nationales.
Dans ce désordre affreux, la fureur aveuglait tout le monde. Le père égorgeait ses enfans
sans pitié; le fils plongeait le poignard dans le sein de celui qui lui avait donné le jour, la
femme embrassait la cause contraire à celle de son mari, à qui elle témoignait une
grande aversion; les filles étaient autant de furies qui parcouraient les rues, armées d’un
glaive teint de sang, et qui excitaient tout le monde au carnage. Le maire de la ville, M.
de Gansard, fut la première victime. Nombre d’officiers et de pères de familles furent
massacrés; les femmes, les vieillards et les enfans en bas âge ne furent point épargnés; et
leurs corps furent entassés dans des caves ou dans les tours qui entouraient la ville.
Cet esprit de parti se communiqua à Lorgues, Brignoles, Saint-Maximin, et de là dans
toute la Provence et le comtat Venaissin. Le roi envoya promptement des troupes contre
Draguignan, ordonna la démolition de la forteresse sur le rocher de l’horloge, qui servait
de refuge aux sabreurs, et fit sévir contre les auteurs de ces troubles qui, comme
étrangers, avaient tous pris la fuite et s’étaient sauvés dans le Piémont.
Cet événement a fait naître un bruit diffamatoire contre Draguignan; et ce bruit s’est
conservé jusqu’à aujourd’hui.
Il s’agit d’un régiment de cavalerie nommé la cornette-blanche, qui, pour s’être mal
comporté envers les habitans, aurait éprouvé, dans une seule nuit, une sorte de vêpres à
la sicilienne. Ce bruit est entièrement faux. Deux raisons vont le prouver. La première,
est que ce régiment étant en garnison dans cette ville avec deux régimens d’infanterie,
ces derniers n’auraient point manqué de le défendre; la seconde, est qu’il n’existe rien
dans les archives du parlement de Provence qui atteste qu’un pareil excès ait eu lieu. Ce
qui donna naissance à cette calomnie, c’est vraisemblablement l’arrêt rendu par le
Parlement contre les officiers sabreurs, et dont l’exécution en effigie eut lieu dans la
ville où ils avaient commis le crime.
Dix-huit mois après, tout fut pacifié; et le siége, qui avait été momentanément transféré à
Lorgues, fut rendu à Draguignan. Cette même année, le roi, convaincu du bon esprit des
habitans, offrit à sa chère ville (ce sont ses propres expressions) une chambre de
commerce et sa protection pour les manufactures du pays. Ils confirma les privilèges de
Draguignan qui étaient immenses; nous ne citerons que les droits de péage et de ceyde
qu’il avait dans toute la province, parce que ces droits étaient fort avantageux.
Après ces terribles événemens, la ville jouit d’un calme parfait. Elle n’éprouva de
nouveaux troubles qu’en 1707, par des hommes payés pour maintenir l’ordre et pour
faire respecter les personnes et les propriétés. Une armée française vint camper dans la
plaine, pour empêcher le duc de Savoie de s’écarter de la ligne qu’on lui avait tracée,
lors de sa retraite de devant Toulon. Ces soldats français se conduisirent à Draguignan
pire que dans un pays qu’ils auraient conquis par les armes. Ils se livrèrent à tous les
excès les plus blâmables; ils démolirent les bastides, volèrent les ferremens et les
instrumens aratoires, coupèrent un grand nombre d’oliviers, arrachèrent les vignes,
s’emparèrent des récoltes et maltraitèrent les cultivateurs. Ce qui révolta le plus les
habitans, ce fut de n’obtenir d’autre justice de la part du chef de ces forcenés, que de
grands éclats de rire et une plaisanterie offensante.
Draguignan est aujourd’hui le chef-lieu du département du Var. On lui a rendu une partie
du lustre qu’il avait autrefois.
Il a une cour d’assises, un tribunal de première instance, qui connaît en appel les
jugemens correctionels des tribunaux des trois autres arrondissemens, un tribunal de
commerce, une sociéte des dames de la maternité, une autre des dames de la
miséricorde, etc.; il avait naguère une Société d’émulation qui, dès sa naissance, fut en
grande réputation dans le royaume. Le manque d’encouragement la fit tomber. Elle a été
remplacée par une société d’agriculture et de commerce, qui ferait le plus grand bien, si
elle était secondée par les principaux propriétaires du département. La bibliothèque de la
ville est très-utile au public; elle fut fondée par M. Joseph Fauchet, premier préfet du
Var, et est composée de 15,000 volumes, d’un médaillier et d’un cabinet d’histoire
naturelle. On y trouve aussi quelques beaux tableaux originaux de plusieurs peintres
fameux.
L’église paroissiale en offre également plusieurs qui attirent l’attention des connaisseurs.
Un de ces derniers, ouvrage de Vanloo, décorait à Paris le grand autel de Saint-Germain-
des-Prés.
Les étrangers remarquent avec raison le jardin des plantes de cette ville, qui serait mieux
nommé les champs élysées; car ce n’est qu’une promenade publique formée par des
arbres exotiques d’une belle venue.
On se plaît particulièrement au centre du jardin, autour d’un beau jet d’eau, au milieu
d’une place bien ombragée et ornée de jolies statues en marbre. Au sommet du jardin
sont nombre de caisses d’orangers, et une infinité de vases contenant des plantes et des
arbustes rares, dont la plupart viennent de la zone torride. Cet établissement est encore
dû aux lumières et au bon goût du premier préfet du Var. Le jardin anglais qui sert
d’ornement à cette promenade, ainsi que l’esplanade et le lavoir immense qui se trouve
au bas, sont dùs à M. Chevalier, septième préfet du Var.
Les habitans de Draguignan, au nombre d’environ 10,000, sont naturellement gais,
hospitaliers et très lians avec les étrangers. Depuis un temps immémorial, la noblesse
des environs venait passer ses quartiers d’hiver dans la ville, exprès pour y jouir de
l’agrément de la bonne société. C’est qu’en effet on y trouve toujours des réunions
choisies, où la jeunesse se livre à des divertissemens honnêtes et instructifs. On admire,
chez la généralité, cette politesse et ces manières aisées qui annoncent une éducation
soignée et l’usage du monde. L’instruction que les jeunes gens reçoivent au collége de
cette ville, tenu autrefois par les savans pères de la doctrine chrétienne, et devenu
maintenant, grâce au zèle éclairé de l’administration municipale, l’un des plus importans
collèges de l’Académie d’Aix, contribue beaucoup à développer chez eux le goût de
l’étude et du travail. Aussi les connaissances sont généralement répandues dans toutes
les classes de la société.
Je ne dois point terminer cet article, sans parler des deux cérémonies religieuses qui
avaient lieu autrefois à Draguignan, telle que la procession de la Fête-Dieu et celle de la
fête patronale du pays.
Autrefois la Fête-Dieu était, pour les habitans et pour les étrangers qui s’y rendaient en
foule, un des plus beaux jours de l’année. On établissait des théâtres sur toutes les
principales places de la ville. Des orchestres nombreux s’y réunissaient, et faisaient
vibrer dans l’air des sons harmonieux. Le clergé en habit sacerdotal, les magistrats en
grande tenue, et les autorités civiles et militaires, stationnaient devant les différens
théâtres et sur des gradins disposés exprès, pour y voir représenter des scènes tirées de
l’écriture sainte; ce qui était cause que la cérémonie durait toute la journée et une partie
de la nuit. Les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, appartenant aux meilleures familles
du pays, figuraient dans ces scènes intéressantes, s’y piquaient à l’envie pour mériter les
applaudissemens de l’assemblée; et les personnes du quartier ne négligeaient rien pour
donner à ces représentations tout l’éclat qu’elles méritaient. Aussi toutes les maisons
étaient tendues de riches tapisseries ouvragée des mains des habitans, et les fenêtres,
garnies de draperies, de guirlandes et de vases de fleurs qu’on cultivait exprès toute
l’année.
Il existe depuis long-temps en Provence la coutume de faire la Bravade, lors de la fête
patronale d’un lieu. Chaque pays a ses usages particuliers. Les uns croient bien honorer
leur saint, en faisant beaucoup de bruit et des décharges de mousqueterie à tous pas; et
c’est ce qu’on voit à Calian, Saint-Tropez et plusieurs autres communes du littoral; les
autres forment des compagnies de dragons et de carabiniers pour escorter les reliques;
d’autres enfin se contentent d’aller processionnellement à une chapelle ordinairement
située à la campagne. Là, des galoubets et des violons, sous une voûte de verdure,
attirent la jeunesse aux plaisirs de la danse, pendant que la multitude, assise sur la
pelouse au bord d’une fontaine ou d’un ruisseau, fait un repas champêtre ou mange des
friandises que l’on vend sur le lieu même. A l’approche de la nuit, la jeunesse retourne
en faisant la farandoule, sorte de danse inventée par Thésée, et introduite en Provence
par les Grecs. On appelait alors cette danse “La grue”, parce que les danseurs forment
une longue chaîne qui, à l’imitation d’une volée de grues, s’entrelace d’une infinité de
manières.
Les cérémonies de l’ancienne bravade de Draguignan méritent d’être citées, soit par les
différens jeux qui la composaient, soit par l’antiquité de l’origine de ces jeux. D’abord
des baladins, couverts de rubans, à l’imitation des Corybantes qui dansaient autour du
jeune Jupin, marchaient en tête de la bravade, en exécutant des pas grotesques, selon les
ordres qui leur étaient donnés par le bâtonnier qui les dirigeait; ce jeu nous vient des
anciens Grecs. Ensuite c’étaient les “chevaux frus”, c’est-à-dire chevaus fringans,
précédés des galoubets, au son desquels ils exécutaient en cadence une danse
particulière, en se croisant dans tous les sens; ce second jeu fut apporté par les Phocéens;
c’est une imitation du combat des Centaures avec les Lappithes. Après venaient les
olivettes; c’étaient seize jeunes gens, vêtus à la romaine, qui, en présence de leurs chefs,
se livraient un combat particulier, en dansant; ce jeu faisait allusion à la fameuse
querelle de César et de Pompée. Puis arrivaient les Turcs suivis du grand sultan et de ses
principaux ministres, traînant à leur suite plusieurs esclaves enchaînés, en mémoire des
Sarrasins, lorsque à la fin du neuvième siècle, ils saccagèrent le lieu de Griminum et
menèrent les habitans en servitude. Enfin venaient des compagnies de dragons, hussards,
romains, et carabiniers, qui saluaient les reliques par de grandes décharges de
mousqueterie. Cette coutume vient de ce que les Sarrasins, étant maîtres du pays,
empêchaient les chrétiens de remplir leur devoirs religieux; et que ceux-ci furent forcés,
pour célébrer la fête de leurs patrons, de faire escorter les reliques par des hommes
armés, pour tenir en échec les infidèles et pouvoir se défendre en cas d’attaque.
Les foires du pays sont, le lendemain de la Pentecôte, le 1er septembre et le 13
décembre. On vient d’y établir un marché pour les bestiaux, qui aura lieu les premier et
troisième mercredis de chaque mois.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Draguignan, Ampus,
Flayosc, la Motte et Trans.
ARA
SILV
ANI
DRAIX, Drazi. Village du canton de la Javie, à 4 lieues de Digne, sur la rive gauche de
la Bléonne. Climat froid en hiver, et très-chaud en été. Sol pierreux et fertilé en grains,
légumes et fruits de toute espèce. Il y a de bons pâturages, et l’on y élève nombre de
troupeaux de menu bétail,
Pop.156 hab.
Ce chemin fut ouvert par Dardanus, préfet du prétoire d’Arles, afin de pouvoir arriver
plus facilement dans une de ses terres, où il voulait se fortifier, de manière à se faire
respecter des peuples barbares qui menaçaient d’envahir la Gaule narbonnaise. Il paraît
qu’il effectua son projet sur une hauteur connue alors sous le nom de Théus; et, dans la
ferme conviction que les dieux préservaient de tout accident l’homme qui mettait sa
confiance en eux, il leur consacra sa maison de campagne fortifiée, qui aurait pu devenir
une ville, si les habitans de la contrée fussent venus s’y réfugier. C’est ainsi que, du nom
primitif de ce lieu Théus, il en fit celui de Théopolis, ville des dieux, c’est-à-dire ville
mise sous la protection des dieux. Le peuple de la contrée n’a conservé à ce lieu que la
première dénomination, en lui donnant une prononciation italienne, ou de l’ancien
langage provençal, Théous, nom qui a été donné ensuite à un petit village bâti en ce
quartier, où se trouve une chapelle souterraine construite, vers le douzième siècle, avec
des débris d’autres monumens, qui peuvent fort bien être ceux que Dardanus et sa
famille tirent élever dans leur terre.
Le territoire de Dromons offre une mine de plomb, une fontaine d’eau salée imprégnée
de foie de souffre, du vitriol, des pierres remplies de soufflures, qui font présumer que le
pays a eu des volcans. Les hauteurs présentent beaucoup de plantes médicinales. Le
climat est froid, les récoltes tardives et abondantes en blé et en foin, quoique le sol des
vallées soit pierreux et graveleux. Pop. 490 hab.
DURANCE, Durantia. Grande rivière formée par le Dur et par l’Ance, près de Mont-
Genèvre, dans le haut Dauphiné.
Elle entre dans la Provence, en dessus de Sisteron; et, après avoir reçu la Sasse, le
Buech, la Bléonne, l’Asse, le Verdon, le Calavon et une infinité de ruisseaux, elle se jette
dans le Rhône, en dessous d’Avignon. Son ancien cours était d’Orgon à Lamanon,
Eyguières et la vaste plaine de la Crau, qui, dans le principe, n’était qu’un golfe, et que
la rivière combla de terre alluvines et de cailloux roulés de différentes grosseurs. Puis, la
Durance s’ouvrit une autre issue qui la conduisit dans les territoires des Beaux et
d’Arles; enfin, peu de temps avant l’arrivée des Romains, elle passa par Cavaillon,
Bompas et Avignon, où elle a continué de couler.
Quelques auteurs modernes ont prétendu que la Durance était navigable, les uns jusqu’à
Cavaillon, les autres jusqu’à Pertuis, et un dernier jusqu’au confluent du Verdon; ce qui
est tout-à-fait inexact. Silius Italicus dit que cette rivière fut un obstacle à la marche
d’Annibal, au-dessus du pays des Voconces; et Tite-Live dit que les Gaules n’ont point
de rivière moins propre à la navigation que la Durance, parce qu’elle est toujours
inconstante, sans lit et sans bornes certaines. D’après cela, on peut croire avec
vraisemblance que les utriculaires, sorte de mariniers qui se trouvaient à Cavaillon et qui
ne naviguaient que sur des outres enflées, ne descendaient ni ne remontaient la rivière,
mais ne faisaient que la traverser, comme on fait aujourd’hui avec un bac, pour passer
d’une rive à l’autre.
DURIO. C’est le nom d’une ancienne ville de Provence dont on ignore la position. Les
uns veulent que ce soit l’ancien Sisteron; d’autres soutiennent que c’est Donzère, ville
qui fait aujourd’hui partie du département des Hautes-Alpes; un seul veut que ce soit la
même que l’ancien Aeria.
Le nom Durio désignant une situation d’un accès difficile, nous concluons que cette
ancienne position n’était à aucun des lieux qu’on s’est plu lui assigner jusqu’à
aujourd’hui.
E
ÉBUSIANI. Voyez ÉSUBIANI.
ÉGUILLE, Castrum de Arquilla ou Aquila. Village à une lieue et demie d’Aix son chef-
lieu de canton et d’arrondissement, et sur une hauteur. Le sol produit du blé,
du vin, des amandes et quelques olives. Le beurre du pays jouit d’une bonne réputation;
les herbages y sont excellens Pop. 2,500 hab.
ÉGUITURI. Peuplade celto-lygienne dont le chef-lieu était à Reillane. Tout prouve que
ce pays a dû être occupé par les premiers habitans de la Celto-Lygie.
EMBIENS. Peuple celto-lygien, division des Ésubiens, et qui paraît avoir occupé la rive
gauche de l’Ubaye, depuis en dessous de Méolan jusque sur les hauteurs en face de
Jausier, contrée appelée par les anciens, vallis nigra, à cause de la couleur du sol et des
épaisses forêts qui s’y trouvaient. Il est vraisemblable qu’une subdivision de ce peuple
fut occuper la petite vallée de Fours, en remontant le ruisseau de Bachelard.
Son climat est tempéré; son point de vue est fort étendu.
La neige n’y séjourne pas aussi long-temps que dans les communes voisines. Le sol
produit peu de grains et peu de légumes de médiocre qualité; mais, en revanche, il y a
beaucoup de prairies et des pâturages excellens. Le territoire offre de la craie, du char-
bon de terre, des coquillages fossiles et des plantes médicinales. Pop. 298 hab.
ESCALE (L’), Scala. Village du canton de Volonne, à 5 lieues de Sisteron, près la rive
gauche de la Durance, sur laquelle on vient de jeter un joli pont sur quatre sortes de
câbles en fer. Au premier essai les câbles cassèrent, et beaucoup de spectateurs furent
victimes. Ce pont communique au village de Château-Arnous, et rend la route de Digne
à Sisteron plus courte et plus agréable. Climat tempéré; territoire presque tout arrosable
par les eaux dérivées de la Bléonne et de la Durance. On y recueille du vin, de l’huile,
des noix et des fruits. Plusieurs torrens exercent leurs ravages sur plusieurs points, et
notamment entre les deux principaux hameaux près de la route. Populat. 597 hab.
ESCLANGON, Esclango. Petit village à 2 lieues de Digne. Climat froid; sol peu fertile;
il produit du blé et peu de vin. Pop.100 hab.
ESCLANS. Ancienné communauté qui, depuis environ un siècle, n’en est plus une. Son
territoire a été divisé entre les communes de la Motte et du Muy.
ESPINOUSE, Spinosa. Petit village du canton de Mézel, à 5 lieues de Digne, sur une
hauteur. Les chemins sont fort raides, mal entretenus et ravagés par des torrens. La
révolution française a vu détruire le château du lieu assez fortifié pour arrêter un ennemi
nombreux. Le territoire, quoique montagneux, est fertile et agréable; il produit
principalement du blé. Pop. 204 hab.
Cette grotte, ainsi que nous l’avons déjà dit, servit quelque temps de retraite et de cellule
à saint Honorat, fondateur du monastère de Lérins. Elle servit également d’asile à
plusieurs de ces moines qui échappèrent furtivement des mains des Sarrasins, au
moment qu’il les menaient en servitude.
C’est au pied de cette montagne, et au bord de la mer, que passait la voie aurélienne. Il
en paraît encore quelques restes que les gens du pays nomment camin aourélian. Ce
quartier n’offre, d’un côté, qu’une vaste étendue de mer bordée d’écueils dangereux; et
de l’autre, que des rochers et d’affreux précipices. Aussi l’amphithéâtre est appelé maou
pey, ce qui signifie mauvais pays. Je ne sais pas comment des personnes éclairées, qui
ont fait des grandes recherches sur la Provence, ont pu penser que les Oxibiens, peuple
qui ne vivait que des fruits que la terre lui fournissait naturellement, avaient établi leur
chef-lieu dans une contrée si peu productive. Elles n’ont pas songé que si les Oxibiens
avaient réellement occupé ce pays, il aurait été impossible aux Romains de les attaquer
par terre et de leur livrer une bataille rangée. Une poignée d’hommes aurait suffi pour
détruire une armée romaine, pour nombreuse qu’elle fût. Et cependant nous savons que
des légions romaines suivirent cette route, pour venir châtier les Oxibiens, qu’ils
rencontrèrent dans la plaine de Laval, près de l’embouchure de l’Acro, qui est la Siagne
d’aujourd’hui. Si les Marseillais et les Romains fondèrent quelques établissemens sur
cette côte, ce ne fut que pour protéger leurs marines, et non pour exploiter un pays qui
n ’ o ffre presque pas de terres végétales. Les arbres ne viennent bien que dans les
scissures des rochers, mais ces arbres ne sont que des pins et quelques châtaigniers,
Dans le principe, il y croissait quelques arbres qu’on ne trouve à présent que dans, la
zone torride. On a trouvé, en creusant quelques parties terreuses, de grosses buches de
bam-bouc pétriliées, dont un échantillon a été déposé, dans le cabinet d’histoire naturelle
de Draguignan.
La montagne de l’Estérel était autrefois touffue de pins maritimes, étouffés par des
arbousiers, des bruyères, des cystes noirs, des genêts épineux, des sumacs de corroyeurs,
des myrtres et de plusieurs autres arbustes couvrant la fougère, le corymbe doré,
l’immortelle, plusieurs belles espèces de saxifrages, la fraxinelle, des inules, des
érigerons, et surtout des fraisiers qui donnaient et qui donnent encore un fruit dont le
parfum embaume la campagne et pénètre les sens du voyageur. Le loup gris, le renard
fauve, le sanglier, le cerf étaient les seuls habitans de cette forêt. Les voleurs de grand
chemin vinrent se réunir aux bêtes farouches, et donnèrent de ce lieu l’idée la plus
effrayante. Les incendies ayant beaucoup éclairci cette forêt, et l’autorité départementale
l’ayant faite défricher jusqu’à une certaine distance de la route, il en résulte
qu’aujourd’hui le voyageur ne redoute plus que l’auberge qui se trouve au haut de la
montagne. Sans égorger les étrangers, elle a la réputation de saigner profondément leur
bourse pour salaire des repas qu’ils y prennent. C’est ce qui a fait dire de tous les lieux
où l’on paie fort cher, c’est l’Estérel.
La route d’aujourd’hui est fort bien entretenue; mais elle est très-raide, de quelque côté
qu’on arrive. Il en aurait été autrement, si l’on eût conservé celle du bord de la mer. On
aurait pu à tous pas y arrêter toute invasion ennemie. On pourrait, sur la route actuelle,
trouver plusieurs points propres à être fortifiés, ne fût ce que la hauteur dite de Saint-
Jean.
Là, une seule redoute serait considérée comme une clé du royaume. Une cinquantaine de
braves Provençaux, sans autre défense que leur courage et l’aspérité du lieu, arrêtèrent
en cet endroit l’armée de Charles-Quint. Cet empereur ne put surmonter cet obstacle
qu’en faisant incendier la forêt.
La montagne étant aujourd’hui déboisée, on n’aurait plus à redouter l’embrasement. Un
fortin, sur un rocher, ne craindrait point d’être battu en brèche. Ce serait une de ces
places formées par la nature, qui défient tous moyens destructifs inventés par les
hommes.
ESTÉRON. Rivière qui prend sa source dans la montagne de Teilhon, passe dans la clue
de Saint-Auban, traverse les
territoires de Soleilhas, des Ferres, de Conségudes, de Dos-Fraires, et se jette dans le
Var, au-dessus du Broc.
ÈSUBIANI. Peuple celto-lygien surnommé Braqueti, à cause qu’il portait une sorte de
culotte, selon les uns, et un petit manteau fourré, selon les autres. Il occupait les bords de
l’Ubaye, à l’entrée de la vallée de Barcelonnette. Il est fait mention de ce peuple dans le
trophée des Alpes.
D’après l’inspection des lieux, je suis physiquement convaincu que leur retranchement
était sur l’élévation où se trouvait l’ancien village de la Bréoule. Voyez BAR-
CELONNETTE.
Le territoire offre également des carrières de marbre jaune qu’on avait essayé
d’exploiter, mais qu’on a été forcé d’abandonner, à cause des difficultés du transport.
Sur le plus haut rocher du lieu se trouve une tour parfaitement bien conservée,
quoiqu’elle existe depuis avant Jésus-Christ. Elle est bâtie en pierres volcanisées. Elle
est à même de résister jusqu’à la fin du monde, à moins que le génie destructif de
l’homme ne vienne employer ses efforts pour l’abattre.
Le pays d’Évenos a un souterrain en forme d’église, qu’on nomme le saint trou. On y
descend comme dans un puits.
Il a environ cent mètres de longueur sur dix-huit de hauteur et vingt-cinq de largeur. Son
dôme est très-curieux et fort élevé. On y voit une infinité de concrétions formées par la
nature, qui représentent des tuyaux d’orgue, des choux-fleurs, et tout ce que
l’imagination veut y voir. Au milieu est une source d’eau excellente, sortant de terre
dans une petite conque admirable d’environ un pied de diamètre, également formée par
l’eau. Elle est toujours pleine d’eau, quelque quantité qu’on en puise.
Le village d’Évenos est situé sur une hauteur qui domine le passage des vaux
d’Ollioules. Aussi, en 1793, pendant que les Anglais et les Espagnols occupaient la ville
de Toulon, les troupes françaises, commandées par Carteaux, s’étaient fortifiées à
Évenos pour défendre le défilé. Le climat d’Évenos est bon. Le sol produit du blé, du
vin, de l’huile et des fruits exquis, mais en petite quantité, vu qu’il n’y a que les vallons
qui
soient cultivables. La seule industrie est la fabrication du charbon, qu’on porte
journellement à Toulon, pour se procurer du pain et tout ce qui est nécessaire. Pop. 650
hab.
EYRARGUES. Village du canton d’Orgon, à 6 lieues et demie d’Arles, dans une plaine
fertile arrosée par le canal du Réal. La principale production est le blé, le vin blanc
connu sous le nom de clarette. On y cultive des mûriers, et on y élève beaucoup de vers
à soie. Pop. 2,320 hab.
F
FARE (LA). Village du canton de Berre, à 4 lieues d’Aix, près la rive droite du Lar et de
la hauteur de Constantine, dans une contrée abondante en huile excellente et en amandes
à coquilles tendres. On y recueille aussi des céréales. Pop, 2,300 hab.
FARE (LA). Village du canton des Baumes de Venise, à 5 lieues d’Orange. Climat
tempéré. Sol ingrat; il produit assez d’huile fort estimée. Popul. 138 habitans,
FARON, ou plutôt PHARAON. Montagne avec un fort du même nom, qui domine
toutes les fortifications de la ville de Toulon. Voyez ce mot.
FAVAS. Petit village du canton de Callas, à 4 lieues de Draguignan. Il fut, ainsi que celui
de Baudron, ruiné, au huitième siècle, par les Sarrasins, qui établirent sur la montagne de
Piol, à huit cent soixante mètres au-dessus du niveau de la mer, un retranchement
considérable qu’on voit encore presque en entier. Il consiste en trois enceintes de
murailles en pierres sèches. Celle extérieure a environ mille pas de tour. Des fossés
profonds, creusés dans le roc, rendaient cette position imprenable. Les ruines du village
de Baudron existent encore; elles sont considérables et offrent des pans de murailles
d’une assez grande élévation.
La situation de ce village, sur une hauteur au milieu de plusieurs montagnes autrefois
couvertes d’un bois épais, annonce assez que ce lieu a dû être un repaire des barbares
africains. N’ayant jamais pu se relever de ses ruines, les habitans de ce village se
disséminèrent dans la campagne, et le territoire a été réuni à celui de Favas qui n’offre
également que des habitations éparses; les principaux propriétaires faisant leur résidence
dans plusieurs autres communes mieux habitées et plus agréables. le sol produit du bon
blé et des pâturages excellens. Pop. 95 hab.
Aux alentours de ces ruines, on a trouvé, il y a peu d’années, plusieurs tombeaux, dont
l’un, de forme ovale et couvert d’une seule dalle, ne contenait que la décomposition d’un
corps humain; et les autres, tous de briques, renfermaient des cendres, des cuillers de
bois et des médailles de plusieurs règnes; il y en avait à l’effigie de Jules César,
d’Auguste, de Caracalla, d’Aurélien, de Domitien, de Vespasien, etc; on y trouva aussi
un petit bronze de Diane et un de Cybèle.
Ce fut sur les ruines d’une partie de la villa romaine que les pères de Lérins, qui avaient
la juridiction ecclésiastique du territoire de Calian, construisirent un monastère et
creusèrent un puits dans, le roc, à l’imitation de celui que saint Honorat, fondateur de
leur ordre, creusa dans l’île qui porte son nom. Ce puits existe encore, et touche à la
chapelle de Notre-Dame, dont la construction paraît être du douzième siècle époque à
laquelle ce quartier appartenait à Calian.
L’ancien Faventia n’existait plus depuis long-temps.
Les Sarrasins, qui avaient exercé leurs ravages dans toute la contrée, l’avaient fait
entièrement disparaître. Les habitans échappés au massacre ou à l’esclavage, s’étaient
réfugiés au chef-lieu, et c’est de là que, pendant plusieurs siècles, ils exploitaient leurs
terres.
Cependant, quoique ces personnes, originaires de Faventia, fussent nées, à Calian, elles
se regardaient toujours comme étrangères à cette ville. Aussi profitèrent-elles d’un
moment favorable pour transporter leur domicile à portée de leurs terres. Une fabrique
de faïence établie sur une hauteur, attira auprès d’elle les nouvelles habitations, et cette
fabrique donna le nom de Faïence (Faëntia) à toute la bourgade, qui, quoique dans la
juridiction de Calian, se considéra comme indépendante, et se gouverna comme telle,
jusqu’à ce qu’elle eût acquis le titre de commune, qu’on ne put lui refuser, parce que sa
population s’était considérablement accrue à l’occasion de la destruction de Calian par
Raymond de Turenne, et, plus tard, par le déguerpissement des habitans du village
d’Avaye.
Des personnes recommandables du pays assurent que depuis long-temps Fayence est
considérée comme ville royale, et que, jusqu’à la révolution de 1789, elle a joui de la
somme de 4 fr. par an, que le roi lui faisait payer pour la réparation et l’entretien des
fortifications du lieu. C’est peut-être pour cette considération que, le 28 octobre 1590,
trois commissaires délégués du parlement de Provence lui donnèrent commission de
faire raser, démolir et abattre le château de Tourrettes, village à quatre cents pas loin,
afin qu’il ne sevit plus de lieu d’asile aux carcistes et autres fugitifs.
Quoiqu’il en soit, le bourg de Fayence est le principal lieu du canton. Le climat est sain
et agréable; mais le pays est très-mal bâti. Le territoire offre des mines de charbon de
terre non exploitées, et qui seraient d’un grand secours pour l’habitation, à cause du
manque de bois à brûler.
Le sol produit du blé, du vin et beaucoup d’huile.
Les foires de Fayence sont, le lundi avant le jeudi gras, le 1er mai, le 9 septembre et le
18 novembre. Pop. 2,200 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Fayence, Calian, Mons,
Montauroux, Saint-Paul, Seillans et Tourrettes.
On y voit encore quelques cabanes rustiques et des ruines. Les habitans abandonnèrent
ce lieu pour s’établir sur la route. Le sol est favorable aux céréales, à la vigne et à
l’olivier.
Il n’y a pas jusqu’au plus petit coin de terre qui ne soit cultivé, à moins, qu’il ne soit
couvert de bois. Les rues de l’ancien lieu sont en produit. Les bois sont fournis de
chênes blancs et verts. La rivière de Nissole arrose une partie du territoire ainsi que les
prés et les jardins; on y pêcha des truites assez bonnes. Foire, le, 20 août, Populat. 900
hab.
Voilà pourquoi la capitale des Mémini fut établie autour du mamelon qui domine la ville
de Forcalquier, et non dans la fertile plaine de Mane, desséchée par des hommes
civilisés.
Le retranchement naturel qui se trouvait sur la hauteur à pain de sucre qui domine la
ville actuelle, a dû être très-fort. Les Mémini s’y enfermèrent, lors de l’arrivée des
Romains. Cela n’empêcha pas que l’armée de Jules César ne s’en emparât, et que cet
illustre conquérant ne distribuât les terres des environs plusieurs officiers qui s’y
établirent avec leurs familles et leurs esclaves, pour se livrer à l’agriculture. Ce fut alors
que le territoire de Mane vit convertir ses marais en jardins et en vergers, que toute son
étendue fut embellie de maisons de campagne plus ou moins élégantes, la plupart
enrichies de monumens curieux dont on découvre de temps en temps des vestiges.
Les Mémini, devenus Gaulois, conservèrent leur ancienne capitale, dont la population
fut considérablement augmentée par nombre de familles qui quittèrent des régions peu
heureuses pour venir respirer l’air de la Gaule transalpine. Peu d’années suffirent pour
que ce lieu fût très-important, et qu’il nécessitât qu’on lui donnât un gouverneur
particulier. C’est alors que cette ville prit le nom de Forum Neronis, à cause d’un marché
qui y fut établi par Tibère Néron, lieutenant de César, qui obtint, comme une retraite
honorable, le gouvernement de cette ville, à laquelle il s’attacha et ne négligea rien pour
la rendre prospère; mais il ne put obtenir que la voie romaine y passât, car elle fut
construite à une demi-lieue loin.
Plusieurs écrivains ont voulu, par je ne sais quel motif, ravir à cette ville son ancienneté,
son nom primitif et son beau marché, pour en honorer un tout autre endroit. (Voyez
l’article CARPENTRAS). La plupart des erreurs historiques et topographiques des
auteurs; mêmes les plus recommandables, proviennent de la négligence de s’être
transportés eux-mêmes sur les lieux, et de la confiance aveugle qu’ils ont mis aux
renseignemens puisés chez des personnes peu expertes et peu véridiques. Il est certain
que le moindre amateur, avec un peu de zèle, peut, en inspectant les lieux, reconnaître
les inexactitudes des écrivains qui l’ont précédé, et rendre à chaque localité ce qui lui
appartient réellement. C’est ce que j’ai cru devoir faire, après avoir exploré plusieurs
fois la Provence, et notamment le territoire de Forcalquier, qui nous rappelle de brillans
et de tristes souvenirs.
Les différentes invasions des peuples barbares ruinèrent complètement cette ville. Les
Bourguignons s’emparèrent, en 474, de la partie occidentale de la Provence jusqu’à la
Durance, et, par conséquent, du pays de Forcalquier, qu’ils possédèrent jusqu’en 536,
époque où ils en furent chassés par les Francs.
Sous ces derniers, la Provence ne fut point heureuse.
Les divisions qui régnaient parmi les souverains la livrèrent au despotisme des
gouverneurs et aux ravages des Normands, des Lombards, des Saxons, des Hongrois et
surtout des Sarrasins. Les excès que ces derniers commirent, servirent de prétexte à
Bozon, gouverneur des états de Louis II en deçà des Alpes, pour se faire couronner en
879. Alors commencèrent, à proprement parler, les rois de Provence.
Lorsque les descendans de Bozon II se partagèrent, la Provence, la portion qui échut à la
branche cadette, et qui comprenait les villes d’Apt, Riez, Sisteron, Gap et Embrun, prit
le nom de comté de Forcalquier, parce que cette ville en fut capitale. Elle fut long-temps
le séjour des comtes; mais ces princes souverains ne s’y sont jamais attachés. Ils
préférèrent faire construire un vaste palais dans la ville de Manosque,que de laisser à
Forcalquier un monument digne d’une ville capitale. Aussi les comtes de Forcalquier
tenaient leurs audiences partout où ils se trouvaient, dans la cour d’une maison, sous
l’orme d’une place publique, sous un pin à la campagne, auprès d’une fontaine, au bord
d’un ruisseau, etc. Raymond Béranger IV, dans le treizième siècle, à l’occasion du
mariage de ses quatre filles avec quatre des plus grands potentats de l’Europe, était assis
avec la comtesse sa femme au haut de l’escalier qui conduisait au clocher de Saint-
Mary; ses gendres futurs et les quatre princesses étaient sur les marches en dessous, les
principaux seigneurs venaient ensuite, et occupaient des places bien moins commodes,
et qui étaient cependant enviées par les grands vassaux, qui se tenaient presque à la
porte. D’après cela, il n’est pas étonnant que la ville de Forcalquier n’offre rien de bien
remarquable, si l’on en excepte la porte de deux ou trois maisons. L’ancienne ville se
trouvait à l’est et au midi de l’ancien fort. Elle fut détruite pendant les guerres intestines.
On en voit encore des restes considérables, la plupart couverts de lierre. La ville actuelle
se trouve bâtie en amphithéâtre, et fait face au nord. Ses rues sont étroites, tortueuses et
la plupart fort sales; et c’est ordinairement ainsi dans tous les pays où l’on cultive
l’olivier. Le terroir, quoique sec, maigre, léger et sablonneux, produit assez de blé et de
vin; mais ces récoltes sont précaires, vu que le territoire est sujet aux orages et à la grêle,
vraisemblablement à cause du voisinage de la montagne de Lure, qui n’en est qu’à
quatre lieues. La campagne n’offre ni rivière, ni source importante; aussi elle est
dépourvue de prairies et de jardins potagers; on ne peut point y établir de manufacture
propre à occuper le peuple et à donner de l’aisance au pays, qui est, j’ose dire, sans
industrie. Aussi la ville n’a qu’une pop. de 3,030 hab. Elle a une foire, le 16 août de
chaque année.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont Forcalquier, Dauphin,
Limans, Saint-Maime, Mane, Saint-Michel, Niozelles, (manque un mot), Sigonce et
Villeneuve.
FORUM. Ce mot latin, si souvent répété dans l’itinéraire romain, désignait, non
seulement les lieux où l’on avait établi des marchés, mais encore ceux où il y avait des
greniers, des lieux de provisions pour l’armée. Les Romains avaient aussi appelé forum,
les places où le peuple s’assemblait pour les affaires, celles où l’on plaidait, etc.
FOURNEAUX. Étang dans la Camargue, qui donne lieu à un phénomène singulier qui
paraît incroyable au vulgaire. En traversant cet étang lorsqu’il est à sec, on croit voir
l’eau au-devant de soi. Plus on avance, plus cette prétendue eau recule, et l’on finit par
ne rencontrer aucun fluide: cet effet est produit par ce qu’on appelle le mirage.
FOURNIGUE. Ilot et roc de la côte maritime du dépp- artement du Var, près de Bormes.
FRÉJUS, Forum Julii, aujourd’hui Foro Julium. Ville épiscopale, chef-lieu de canton du
département du Var, sur la dernière racine apparente de l’Estérel, à vingt minutes de la
mer, trois quarts de lieue de l’embouchure de l’Argens, et 7 lieues de Draguignan.
Dans le principe, quelques Celto-Lygiens de la nation sueltérienne, se livrant à la pêche
et à la piraterie par besoin et par passion, se construisirent des cabanes près du rivage de
la mer, et, par là, ils jetèrent les fondemens de Fréjus.
Peu d’années après que les Phocéens eurent fondé Marseille, des Gaulois qui, sous la
conduite de Sigovèse et de Bellovèse, se dirigeaient vers l’Italie, trouvant le climat de la
Provence assez doux, abandonnèrent leurs chefs, et s’établirent sur le littoral, depuis
Marseille jusqu’au Var. C’est de cette époque que date la fondation de Fréjus, qui vit
changer ses cabanes en une multitude de maisons construites dans le goût de celles qui
formaient la ville de Marseille.
Jules César trouva donc en ce lieu une population agglomérée et une ville assez
considérable.
Il n’en fut pas le fondateur, comme certains auteurs ont voulu le prétendre, mais
simplement le restaurateur et le protecteur. Il y fit bâtir de nouveaux quartiers, y établit
un marché et donna à la ville le nom de Forum Julii. Il y fit aussi commencer un port qui
devait faire de Fréjus une des principales villes des Gaules.
Le port de Fréjus ne fut achevé que sous Auguste, c’est-à-dire dès que cet empereur eut
jugé par-lui même de l’importance de cette ville, et qu’il y eut envoyé une colonie de
soldats de la huitième légion, pour l’aider à exécuter les projets d’augmentation et
d’embellissement qu’il avait conçus. Il fit construire un arsenal pour la marine, un phare
pour servir de guide aux vaisseaux, et un amphithéâtre pour amuser les peuples de la
contrée. De plus, il fit venir à grands frais les eaux de la Siagne de Mons, prises à la
source même, par le moyen d’un superbe aqueduc en maçonnerie qui, à cause de ses
sinuosités, parcourait environ dix lieues de pays. Le grand attachement qu’Auguste
montra pour Fréjus fit que Pline appela cette ville Octavonorum colonia.
Auguste ne borna pas là ses faveurs pour une ville qu’il affectionnait. Après avoir fait
conduire dans le port de Fréjus les vaisseaux dont il s’était rendu maître à la célèbre
bataille d’Actium, il fit bâtir une maison de bains qui avait soixante-deux mètres de
longueur sur trente de largeur; un panthéon dont on voit des vestiges à la ferme de
Villeneuve, un beau théâtre, et un emplacement où les jeunes gens s’exerçaient à la
palestre, à la lutte et aux autres jeux de force et d’adresse usités de ce temps.
La ville, qui avait alors environ une lieue de circonférence et quarante mille âmes de
population, fut entourée de fortes murailles flanquées de tours très solides, et de quatre
portes magnifiques, dont les principales étaient la porte dorée, ainsi nommée, parce
qu’elle avait des clous à tête dorée, et la porte romaine, qui était celle qui faisait face à la
route d’Italie. Cette dernière fut renversée par un coup de tonnerre, au commencement
du dix-huitième siècle.
Agrippa ne contribua pas peu à l’embellissement et à la prospérité d’un lieu qu’il
affectionnait. Plusieurs auteurs pensent que ce fut lui qui y amena les eaux de la Siagne
de Mons, attendu que cet empereur n’effectuait jamais que des entreprises de difficile
exécution.
Les habitans de Fréjus, guidés par Valère Paulin leur compatriote, contribuèrent
beaucoup à affermir Vespasien sur le trône auquel ses soldats l’avaient élevé. Fabus
Valens, ancien favori de l’empereur Vitellius, ayant trahi son maître, forma d’abord le
dessein de se saisir de l’armée navale, d’aborder un des ports de la Gaule narbonnaise,
d’allumer dans cette province la guerre civile, et de soulever ensuite toutes les Gaules et
l’Allemagne contre son souverain. Il se met en mer, et la tempête le jette dans le port de
Monaco, où il ne trouva que de la répugnance contre le projet qu’il avait conçu.
Valère Paulin ayant appris que Vespasien avait été salué empereur, abandonna la cause
de Vitellius, qu’il savait indigne d’un trône qu’il avait usurpé, pour ne s’attacher qu’à
l’homme qui venait d’y être élevé par son mérite. Il vint dans son pays, où il savait avoir
l’estime et la confiance de ses compatriotes, réunit secrètement la jeunesse fréjusienne,
monta plusieurs bâtimens légers qui se trouvaient dans le port, fut surprendre Valens
qu’il savait avoir été jeté par une seconde tempête sur les îles Sthœcades (les îles
d’Hyères), lui livra bataille, se saisit de sa personne, lui fit trancher la tête, et l’apporta à
Fréjus pour la montrer au peuple. Les Vitelliens ayant appris la mort de ce favori dont ils
ne connaissaient pas encore la trahison, perdirent courage, et ne balancèrent pas à se
ranger du côté de Vespasien. Aussi cet empereur en témoigna sa reconnaissance à la
ville de Fréjus, en lui accordant tout ce qu’elle lui fit demander.
La ville de Fréjus ne fut point bâtie sur le cratère d’un volcan éteint, ainsi que plusieurs
auteurs l’ont cru, mais sur une coulée de lave qui annonce qu’il y a eu un volcan dans le
voisinage; non point dans le bas pays, mais bien sur une des hauteurs qui forment la
montagne de l’Estérel. Les murailles et les principaux édifices de Fréjus furent en partie
construits avec des pierres volcanisées, tirées d’une carrière qui tenait à l’ancienne ville,
et que l’on voit encore près de la fontaine dite l’Agachoun. On ne sera pas surpris qu’il y
ait eu un volcan aux environs de Fréjus, quand on saura que tout le long de la côte du
département du Var, on trouve des cratères, des pierres volcanisées, de la lave, de la
pozzolane quelquefois aussi bonne pour la construction que celle qu’on fait venir à
grands frais de Rome ou de la Sicile.
Cette ville, célèbre par sa vaste étendue, sa population et sa situation maritime, célèbre
par les hommes illustres qu’elle a fournis, célèbre encore par le second triumvirat qui y
fut signé entre Antoine et Lépidus; cette ville subsista long-temps dans l’état florissant
où elle avait été mise par les Romains. Mais malheureusement elle fut surprise et
saccagée plusieurs fois par les barbares et par les pirates. En 940, les Sarrasins du
Fraxinet abattirent une grande partie des remparts de Fréjus, détruisirent les tours les
plus fortes, pillè- rent les maisons et les incendièrent, ce qui rendit le pays désert
pendant trente ans, c’est-à-dire jusqu’à ce que Riculphe, évêque de cette ville, ayant fait
construire la cathédrale, y appelât le clergé et les anciens habitans qui s’étaient réfugiés
dans la campagne ou dans les lieux circonvoisins.
Vers l’an 1475, à la suite d’une vive contestation entre le pape et le roi René, les
membres du chapitre de Fréjus, pour avoir embrassé la cause du roi, furent
excommuniés. Les habitans de cette ville, privés de tout exercice divin, allèrent, le jour
des Rameaux, dans les paroisses voisines pour y célébrer leurs devoirs religieux. Des
corsaires profitèrent de ce moment pour venir achever de détruire ce que les barbares
n’avaient fait que commencer. Ils pillèrent et brûlèrent indistinctement toutes les
maisons, et ne laissèrent qu’un monceau de cendres. Ce fut ainsi que toute l’ancienne
grandeur de cette ville disparut pour ne plus reparaître.
En 1536, Charles-Quint, après avoir fait incendier la forêt de l’Estérel, et fait périr par
les flammes les femmes, les enfans et les vieillards qui s’y étaient cachés pour éviter les
insultes d’une soldatesque ennemie, fit son entrée triomphale dans la ville de Fréjus, qui
n’avait en ce moment pour tous habitans que des chanoines, des moines et des abbés.
Par ses ordres, les églises furent dépouillées de leur argenterie, des vases sacrés, des
reliques et autres objets précieux. Après, comptant posséder la Provence pour toujours,
et voulant singer les empereurs romains, qui restaurèrent la primitive ville, il ordonna de
réparer le port pour y amener les vaisseaux du roi de France, et de remettre à neuf
l’amphithéâtre. Ensuite, à l’imitation de Jules César, qui avait donné son nom à Fréjus, il
voulut aussi donner le sien à cette ville: il la nomma Charleville, et la désigna comme
capitale d’un duché qu’il venait de créer. Cette gloire ne fut pour lui qu’éphémère; et un
mois après, c’est-à-dire lors de sa retraite précipitée, ses prétendus sujets de Charville
faillirent lui faire subir le même sort que celui qu’il avait fait éprouver lui-même aux
habitans de la contrée dans la forêt de l’Estérel.
La mer qui, du temps des Romains, venait baigner les murs de la ville, s’est retirée
d’environ vingt minutes. Les atterrissemens de la rivière d’Argens, ceux du torrent du
Reirant et les flots de la mer qui poussent continuellement des sables vers le rivage, ont
comblé peu à peu le port qui a été long-temps un lieu infect et pestilentiel. On l’a depuis
peu desséché et livré à l’agriculture, ce qui a fait un grand bien pour la salubrité du pays.
La chapelle de Saint-Antoine fut bâtie sur un môle flanqué de tours, dont on voit encore
quelques vestiges. Il paraît que ce môle fut construit afin de mettre les vaisseaux à l’abri
des vents qui s’y font vigoureusement ressentir, et d’y ménager tout autour un aqueduc
qui conduisît de l’eau potable dans le port, pour la commodité des vaisseaux et des
personnes domiciliées dans cette partie de la ville. Une des quatre tours de ce môle a été
prise dernièrement, par un savant observateur, pour un petit phare, tandis qu’elle n’était
qu’un poste pour les vigies qui étaient nuit et jour en observation. Un phare existait à
Fréjus; mais il se trouvait sur la partie la plus élevée de la ville. On en voit encore des
restes très-apparens sur lesquels on ne saurait se méprendre.
Des restes d’aqueduc se voient encore à quelques minutes de la ville, sur la route
d’Italie. Ce sont des arcades qui s’élèvent jusqu’à environ dix-huit mètres. Cet aqueduc
était le même qui amenait à Fréjus les eaux de la source de Mons. Il subsiste encore en
grande partie, quoique coupé sur différens points.
Le cirque ou amphithéâtre se montre encore sensiblement, quoique dans un état de
délabrement complet. On ne peut reconnaître son ancienne architecture, ni ce qui
pouvait le distinguer des autres monumens semblables qui se trouvaient dans les Gaules,
quoique, par des fouilles récemment faites, on ait été convaincu qu’il avait du être d’un
goût recherché. Tout ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’il avait environ cent
cinquante mètres de longueur.
L’église cathédrale de cette ville offre un baptistère en bon état qui a dû servir de temple
à quelque divinité du paganisme; il est formé de huit colonnes de granit très-dur, dont les
chapiteaux, tous d’ordre corinthien, sont de marbre blanc. Ce petit monoptère est le seul
monument ancien qui ait échappé à la barbarie des hommes.
On découvre de temps en temps, enfoncés dans les terres, des restes de plusieurs autres
édifices, des morceaux d’architecture, des tombeaux, des médailles, des dieux lares et
des statues de plusieurs dimensions. On cite principalement une statue de Vénus-Uranie,
qui fut trouvée il y a environ 180 ans. Elle était d’un fort beau marbre. Le sculpteur
trouva dans le bloc une veine rouge qu’il fit adroitement tomber sur la joue, par la
manière habile dont il disposa la figure. Cette statue ainsi que plusieurs autres pièces
très-curieuses, fut envoyée à Paris, ville qui se plaît à s’enrichir des dépouilles des
autres, sans leur donner des preuves de sa reconnaissance. Il n’y a guère que les peuples
barbares, que les peuples ignorans, qui laissent dépouiller leurs pays de ce qu’ils ont de
plus précieux.
Dans la terre dite Belle-vue, on a trouvé dernièrement une sorte de cimetière contenant
une grande quantité de tombeaux en briques romaines, un cercueil de sapin renfermant
une caisse de plomb et les cendres d’un jeune enfant, plusieurs vases cinéraires en pierre
d’environ vingt pouces de hauteur, avec la figure de plusieurs dieux, et une tête qu’on
présume être celle de la statue d’Agrippa.
Partout, dans le territoire de Fréjus, on a découvert des inscriptions plus ou moins
intéressantes, qui ont été décrites par la plupart de ceux qui ont écrit sur la Provence, et
dont voici les deux principales. La première est un monument que les habitans de cette
ville élevèrent en l’honneur de l’empereur César-Lucius-Domitius Aurélien, appelé
Restaurateur de l’univers, pieux, heureux, invincible, Auguste, qualifié de grand pontife,
et surnommé Germanique, parce qu’il avait remporté de grandes victoires sur les
Germains. C’est pourquoi on ajoute à ce titre celui de Maximus. Il est honoré du titre de
très-grand et de Gothique, parce qu’il défit complètement les Goths; il est encore appelé
parthique, parce qu’il avait vaincu les Parthes.
La seconde est un monument de reconnaissance de la ville de Fréjus envers un de ses
protecteurs, qui était tribun des soldats de la huitième légion et grand prêtre de la
province narbonnaise, etc.
RESTITVTOR ORBIS
IMP. CAES.
L. D. AVRELIANO
PIO. FEL. INVICTO
AVG. PONT.
MAX. GERM. MAX.
GOT. MAX. PART. MAX.
TRIB. P. IIII. COS. III
P. P. P. COS.
—
V
———
ET PHILOMVS
Q. SOLONIO. Q. F. VOE
SEVERINO
EX V DECVRIIS EQVO
PVBLICO LVPERCO
IIII. VIR. AB. ÆNAR.
PONTIFICI
FLAMINI PROVINCIÆ
NARBONENSIS
TRIBVNO MILITVM LEG.
VIII. AVG.
CIVITAS FOROIVLIENSIVM
PATRONO
DI MAN.
NVMSAE. CAESIAE. G. NVMISI. F
CONIVGI. PIENTISSIMAE. VIXIT
ANNIS. LX. L. SOLICIVS. AVRELIAM
D. LEC. V. MAC. ET. LEG P. MINER
VIAE. P. FIDELIS. VIVO. ET. NV
MISIVS. CHRISVS. LIBERTVS. SIB.
ET SVIS. FECERVNT
Une belle fontaine d’eau potable coule naturellement d’un rocher et tombe dans la mer.
Les bâtimens viennent y faire aiguade, sans avoir besoin de débarquer les futailles.
Après vient le cap Théoule, le cap Roux et la grande caranque d’Antéa, où se trouve une
autre fontaine propre à fournir de l’eau aux navires. C’est dans cette caranque que les
premiers Marseillais, qui jetèrent les iondemens d’Athénopolis sur la hauteur de
Monturbis, devaient tenir leurs vaisseaux comme en un bon abri. C’est là aussi où les
Anglais, pendant la derrière guerre contre la France, envoyaient des débarcations pour
faire aiguade, et pour tâcher de surprendre les troupeaux de chèvres qui broutaient au
bas de la montagne. La conformité du nom de cette caranque avec celui de l’ancienne
capitale des Sueltéri, annonce assez que cette côte appartenait à ce peuple, et non aux
Oxibiens, ainsi qu’on n’a pas craint de l’avancer.
Près de la caranque d’Antéa, il y en a deux autres, celle de Saint-Barthélémy et celle
d’Aurèle, dont le nom dérive de la voie aurélienne qui y passait. Non loin de cette
dernière se trouve une tour dont quelques personnes ont fait grand cas, quoiqu’elle
n’offre rien de rare ni d’ancien. Sa mauvaise construction prouve assez qu’elle n’a point
été élevée comme fortification. A une petite distance de cette tour, et toujours sur le
chemin aurélian, qui est, j’ose dire, impraticable, on trouva une pierre milliaire avec
celle inscription:
TRIBVNICIA
POTESTATE XX
VIIII
Près du torrent de Boulouris, on trouve des carrières exploitées par les Romains; elles
sont dans le même état que lorsqu’on les abandonna. Le porphyre était exploité par
banquettes et à la trace. On remarque, dans le roc taillé à pic, les rainures pratiquées
pour enlever les blocs. Dans une de ces carrières, on trouve encore deux blocs
parallélépipèdes ébauchés et prêts à être enlevés; ils ont sept mètres de longueur sur
quatre-vingt millimètres d’épaisseur; ils paraissent avoir été préparés pour des fûts de
colonnes de la même dimension que celles qui se trouvent dans une prairie près de Riez.
La partie ouest du territoire de Fréjus est une vaste plaine qui s’étend jusqu’à la mer et à
la rive gauche de l’Argens. Cette plaine était, dans le principe, occupée par la mer, et ne
formait qu’un grand golfe. Les charriemens de la rivière et de plusieurs torrens ont non
seulement comblé ce golfe, mais, depuis le séjour des Romains, ils ont exhaussé le
terrain, de manière à ce que les eaux pluviales ne peuvent plus s’écouler. Les terres
labourables produisent beaucoup de blé, à cause de leur fertilité. Les jardins, qui sont
considérables, donnent abondamment des légumes et surtout des plantes potagères. Ces
dernières sont superbes, mais sans goût, à cause des eaux molasses dont on les arrose.
Il en est de même des fruits de toutes sortes d’espèces.
Les foins sont également peu estimés; mais les pois-chiches et tout ce qui est arrosé par
le Reirant jouissent d’une réputation bien méritée.
Les garones de Fréjus, ainsi que celles d’Arles, sont garnies de joncs, de masses et de
roseaux panachés (arundo phragmites). Ces derniers sont entièrement négligés, tandis
qu’on pourrait les couper en été, en faire des fascines, et les enterrer dans les vignes,
comme un engrais qui a l’avantage d’entretenir la vigueur des plants sans altérer la
qualité du vin. Le tamaris est l’arbuste qui vient naturellement au bord des ruisseaux du
territoire. Des hommes laborieux ne manqueraient pas de substituer à leur place l’osier
cultivé, dont le produit ne peut être contesté, ne fût-ce que pour la confection des
futailles et la fabrication des paniers. Le roseau cultivé (l’arundo-donax) croît également
sur les bords des fosses ou ruisseaux, et sans aucune espèce de soin. Fréjus en a
beaucoup, et ç’a été pendant long-temps le principal objet de son commerce.
On expédiait ces roseaux coupés en tuyaux propres à en faire des époulets ou des
peignes pour les tisseurs. Ce commerce a considérablement perdu, et les roseaux ne
serviront bientôt plus que pour faire des claies propres à y mettre sécher des figues ou à
d’autres usages peu importans.
La patate du Malaca, dont la culture a été abandonnée dans le département des Bouches-
du-Rhône, a très-bien réussi dans celui du Var. On en a fait un essai en grand dans le
territoire de Fréjus, près de la Napoulle.
Ce fruit a donné des tubercules sans nombre et d’un goût exquis.
L’olivier vient assez bien sur les amphithéâtres du territoire; mais l’huile en provenant
n’est pas de la première qualité.
Depuis quelques années, on a fait de grandes plantations de figuiers qui, dans la suite,
pourront donner un bénéfice considérable, mais jamais aussi important que celui de la
culture du tabac, si elle n’était pas contrariée par l’administration. Les qualités de tabac
qu’on recueille dans le département sont reconnues supérieures, et on ne les emploie que
pour la première qualité.
La ville de Fréjus offre quelques monumens publics qui méritent l’attention des curieux.
Nous citerons le palais épiscopal, le séminaire, et surtout l’hôpital qu’on vient de
construire sur un plan qui fait le plus grand honneur à l’architecte qui l’a conçu.
Fréjus est célèbre, non seulement par son origine, par son ancienne importance et par les
hommes illustres qu’il a produits, mais par le débarquement de Napoléon, lorsqu’il
revint d’Égypte pour renverser le gouvernement directorial, et par son embarquement en
1814, lorsque, déchu de l’empire, on le conduisait à l’île d’Elbe. Le pays est réputé par
les bons anchois qu’on y sale, et qui sont, sans contredit, les meilleurs connus.
Il y a deux foires dans l’année, savoir: le troisième lundi après la fête de Pâques et le 6
octobre. Populat. 2,635 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Fréjus, Bagnols, le Muy, le
Pujet, Saint-Raphaël et Roquebrune. Voyez LA NAPOULLE, ESTÉREL et SAINTE-
BAUME.
FRETTA. Ville ancienne détruite par les Sarrasins, vers la fin du huitième siècle. Elle se
trouvait dans le territoire de Saint-Rémy. On ne doit pas la confondre avec Glanum.
Le territoire offre des carrières de pierres de cos, dont on se sert pour aiguiser les
faucilles et autres instrumens tranchans, et un grand nombre de mines de charbon de
terre exploitées qui procurent un grand revenu au pays. Le sol produit de l’huile, du vin
et du blé; les forêts de pins donnent de la résine et de la poix. Pop. 1,550 hab.
G
GADAGNES. Voyez: CHATEAU-NEUF-DE-GADAGNES.
GALINIÈRE. Ancien village du canton de Tretz, sur la route d’Aix à Brignoles. Il a été
réuni au village de Château-Neuf le Rouge, et n’offre plus aujourd’hui qu’une grande
auberge qui porte le nom de Galinière.
GALLITÆ. Peuplade celto-lygienne dont il est fait mention dans le trophée des Alpes.
Honoré Bouche les place à Colmars, et Papon à Allos. Le peu de distance qu’il y a d’un
de ces lieux à l’autre fait croire que les Gallitœ les occupaient tous deux. Cependant je
pense que le chef-lieu était près d’Allos.
GAPEAU, ou CAPEAU, autrefois GAPEL. Rivière du département du Var, dont une des
sources est à Signes et l’autre à Belgencier. Elle reçoit les torrens de Cuers, Pignans et
Collobrières, et se jette dans la mer, près d’Hyères. Vers son embouchure, son lit est
large et profond; il est même navigable. Ses rives sont très-agréables, par les berceaux
de verdure, et par les belles terres en plaine qui sont autant de jardins et de prairies,
souvent d’une immense étendue et d’une grande fertilité.
GARCIN. Voyez GASSIN.
GARDE (LA), Guardiu. Village à une lieue de Castellane son chef-lieu de canton et
d’arrondissement. Climat sain; le territoire est arrosé par nombre de petites sources et
ruisseaux; il produit du blé, du seigle, des légumes, des noix, des prunes qu’on fait
sécher et qu’on livre au commerce, et beaucoup de foin. On y nourrit du menu bétail et
un grand nombre de bêtes de somme dont on fait le commerce. Population 278 hab.
In Fraxineto, in villa quam vocent ad Mollen, etc., dit une charte de l’an 1014.
Il y avait, du temps des Romains, dans le site riant et abrité où se trouve la chapelle de
Saint-Clément, à une demi-lieue de la Garde-Freinet, un village dont on aperçoit encore
quelques vestiges. Ce village a dû subsister jusqu’à l’arrivée des barbares africains, et se
trouve rappelé dans l’affouagement de 1200, en ces termes: Item castrum quondem
sancti Clementi. On trouve auprès de la chapelle les débris de nombreux tombeaux de
briques; on y découvrit aussi, il y a environ quarante ans, ua tombeau creusé dans le roc.
La dalle qui le couvrait a été brisée et n’existe plus. Quelques restes d’antiques murailles
et d’autres débris attestent le séjour des Romains en cet endroit. Nous savons qu’ils ne
négligeaient jamais de former quelque établissement dans les sites agréables. Il s’en est
fallu de peu, à la fin du siècle dernier, que ce village ne fût reconstruit par les habitans de
la Garde. Obligés de rebâtir leur église paroissiale, il fut question de l’élever au quartier
de Saint-Clément, dont la position est aussi gracieuse que l’emplacement du village
actuel est triste et pénible. Les chétives maisons qui se trouvaient autour de l’ancienne
église auraient été abandonnées, et on en aurait construit de plus décentes auprès de la
nouvelle paroisse, au quartier de SaintClément. Quelques propriétaires, dont les intérêts
auraient été lésés par la réalisation de ce beau projet, s’y opposèrent fortement et le
firent abandonner.
Il exista, peu après l’expulsion des Sarrasins, dans le territoire de la Garde, un village
qui portait le nom de Freinet, puisqu’il se trouve une longue suite de seigneurs qui en
prenaient le titre, à commencer par saint Fulcher, père de saint Mayeul, ainsi qualifié
dans une charte de l’an 1026, contenant donation du lieu de la Napoulle à l’abbaye de
Lérins.
Ce village subsistait encore en 1325. On trouve, dans les archives de cette commune, des
lettres obtenues en la chancellerie, le 4 juin 1325, portant exemption du fouage pour les
lieux de Freinet, Saint-Tropez, le Luc, la Lauzède, etc. Ils devaient sans doute cette
faveur à l’épuisement qu’ils avaient éprouvé dans la guerre ruineuse que le roi Robert
soutint, quelques années auparavant, contre les Gibelins d’Italie.
Le village de Freinet était situé auprès du moulin ruiné de la Moure. Il fut saccagé dans
la guerre civile occasionnée par Charles de Duras, et abandonné pendant la guerre
encore plus cruelle que fit ensuite Raymond de Turenne. Les habitans se retirèrent alors
au pied des rochers escarpés sur lesquels les Sarrasins avaient établi un petit fort (ce
qu’on appelait Guardia dans la basse latinité), et où se trouvait, à cette époque, un
château appartenant à Jean de Pontevès. Celui-ci leur concéda, le 6 juin 1394, un nouvel
acte d’habitation avec plusieurs priviléges, entre autres celui de prendre dans la forêt du
bois et le liége nécessaire pour couvrir leurs maisons. C’est depuis lors que le village et
le château ont porté le nom de la Garde-Freinet.
Ce château fut rasé ensuite par ordre du maréchal de la Valette, donné le 7 novembre
1589.
Le village de la Garde était autrefois resserré dans une espèce de creux, entouré de
rochers escarpés, et couvert par un ravin profond qui en rendait l’accès difficile. Ses
maisons étaient basses, étroites et d’une mauvaise construction; ses rues, sombres et
tortueuses, formaient un véritable labyrinthe; son aspect était des plus misérable, et ses
habitans fort pauvres. Depuis une cinquantaine d’années, et surtout depuis la paix
continentale, les choses sont bien changées: le commerce des bouchons a répandu
l’aisance dans ce pays peu favorisé de la nature; le village s’est rapidement étendu vers
la route de Saint-Tropez; des places plantées d’arbres, des rues larges et droites, bordées
de maisons d’assez bonne apparence, quatre fontaines donnant une eau toujours
abondante et limpide, en ont fait un joli séjour.
Un chemin étroit et scabreux conduit en dix minutes sur l’emplacement du fort Freinet,
situé au nord-ouest sur un rocher isolé, et dominant toute la chaîne qui court à-peu-près
nord et sud. La partie vers midi est tout-à-fait escarpée; l’on ne peut y monter qu’à l’aide
de degrés mal taillés dans une roche schisteuse, et l’on arrive aux restes de la porte de
l’ancien château. On trouve au-delà une plate-forme d’une petite étendue, entourée de
deux côtés par un fossé d’environ douze pieds de largeur sur huit ou neuf de profondeur,
et des autres côtés par de grands précipices.
Cette plate-forme présente assez bien la forme d’un D, dont la partie circulaire tourne
vers le nord, et détache la plate-forme de la crête des rochers qui s’y joignent par une
pente assez douce. Au milieu se voit une citerne carrée, dans laquelle on descend par des
degrés taillés dans la pierre et bien conservés. Autour sont à peine quelques vestiges de
remparts et de logemens.
En face du fort Freinet, à une demi-lieue vers l’est, on aperçoit le Mont Peigros ou
Pigros. Cest sur le sommet de cette montagne que saint Buvon se fortifia, et d’où il
contribua à la prise de la Garde du Fraxinet. Bellendus, qui rapporte ce fait dans la vie
de saint Buvon, appelle cette montagne Pigros, nom qu’elle a conservé jusqu’à
aujourd’hui.
Quoiqu’on ait disputé sur le lieu où était la forteresse du Fraxinet, si célèbre aux
neuvième et dixième siècles, par le séjour des Sarrasins, il est bien certain qu’elle se
trouvait dans le diocèse de Fréjus, et près du golfe sambracien. Une suite non
interrompue de chartes et de titres authentiques prouve que la vallée qui s’étend de la
Garde-Freinet vers le golfe de Grimaud, a toujours porté, depuis le dixième siècle, le
nom de vallis Fraxineti. Une charte, rapportée par H. Bouche, contient la donation faite,
en 980, par Guillaume 1er à Gibelia de Grimaldi, de la vallée du Fraxinet et des terres à
l’entour du golfe sambracien. Une autre charte de 1014, rapportée par Ruffi, désigne le
village de la Molle de cette manière: In comitatu Foro-Juliensi id est in Fraxineto, in
villa quam vocent ad Mollen. Une autre charte de 1410, mentionnée aussi par H.
Bouche, porte que Pierre Acigne, sénéchal de Provence, était seigneur de la baronnie de
Grimaud et du Val-Freinet. Enfin les barons de Grimaud ont toujours pris, jusqu’à la
révolution, le titre de seigneurs du Val-Freinet.
Ces indications sont parfaitement d’accord avec la tradition locale et la récite des
historiens modernes, surtout avec l’auteur qui raconte que Hugues, roi d’Arles et
d’Italie, ayant appelé à son secours la flotte de Grèce, elle entra dans le golfe
sambracien, et mit le feu aux navires des Sarrasins, tandis que lui-même les assiégeait
par terre.
Les Sarrasins, qui établirent leur quartier général dans la forteresse du Fraxinet, vers l’an
890, profitèrent habilement de leur position avantageuse, pour s’y maintenir pendant un
siècle contre les attaques de leurs ennemis, et fondre de là sur tous les deux les qui leur
offriraient un riche butin. Placés sur les hautes montagnes de la Garde-Freinet, ils
avaient derrière eux le golfe de Grimaud qui leur donnait un abri assuré pour leurs
navires, et une communication facile par mer avec leurs compatriotes d’Espagne et
d’Afrique, d’où venaient continuellement des renforts. La plaine fertile, située entre le
golfe et les montagnes, était entourée de villages peuplés de Sarrasins, et fournissait
facilement au besoin d’hommes plus redoutables par leur courage et leur férocité que par
leur nombre et leur habileté dans l’art militaire. D’immenses et épaisses forêts de pins
entremêlés de bruyères, de ronces et de genêts épineux, à travers lesquelles serpentaient
avec peine des sentiers tortueux, couvraient l’aride plaine du Cannet, et les flancs
escarpés des montagnes rendaient les approches de la forteresse très-difficiles, tandis
que du haut des remparts de la Garde, les Maures découvraient une vaste étendue de
pays, ce qui leur permettait de suivre les mouvemens de leurs ennemis et de tomber sur
eux à propos et à l’improviste.
De là, ils se répandirent comme un torrent dévastateur dans toute la Provence et jusque
dans le Languedoc et le Dauphiné. La plupart des villes de Provence furent en proie à
leurs ravages. Ils occupèrent pendant long-temps la vallée de Barcelonnette et plusieurs
postes importans dans les Hautes et les Basses Alpes. Dans leurs courses, ils
massacraient tous les hommes en état de porter les armes, emmenaient les femmes et les
enfans esclaves en Afrique, détruisaient par les flammes et le fer les édifices publics et
particuliers, et se retiraient toujours chargés d’or et de tous les objets précieux qu’ils
avaient trouvés dans les villes saccagées.
Les seigneurs provençaux contribuèrent eux-mêmes à augmenter la puissance des
infidèles, en les appelant tour-à-tour à leurs secours les uns contre les autres. C’était
dans un temps où les différens seigneurs s’entre-déchiraient cruellement pour venger
leur susceptibilité offensée, ou pour s’emparer des dépouilles de leurs adversaires. Tous
eurent bientôt à se repentir d’avoir attiré des barbares sous leurs bannières. Toulon fut
saccagé deux fois dans l’espace de vingt et un ans; Fréjus fut presque anéanti. Ces
Maures s’étant joints, en 935, à une escadre de leur nation, surprirent la ville de Gênes,
la pillèrent, passèrent au fil de l’épée tous les hommes, et n’accordèrent la vie qu’aux
femmes et aux enfans, qu’ils regardaient comme un butin précieux. Maîtres de toutes les
places fortes, est-il dit dans une ancienne charte, ils ont ravagé tout le pays, détruit les
églises et les monastères, anéanti les monumens du bon goût des Romains; des lieux les
plus agréables ils en ont fait la plus affreuse solitude, et le séjour de l’homme civilisé est
devenu le repaire des bêtes féroces.
Les chrétiens firent les plus grands efforts pour purger le sol de la Provence de cette
poignée d’infidèles qui le désolaient. Hugues, roi d’Arles et d’Italie, aidé de la flotte de
l’empereur d’Orient, les vainquit sans les détruire. L’empereur d’Occident, Othon 1er dit
le Grand, envoya contre eux ses troupes à plusieurs reprises, et promit de venir les
combattre en personne, mais toujours sans succès. Conrad le Pacifique, un de ses
successeurs à l’empire, les ayant attirés dans un piége, détruisit un de leurs corps
d’armée, et les affaiblit au point qu’ils ne purent continuer leurs courses de quelque
temps. Cependant, malgré leurs combats journaliers et leurs pertes fréquentes, les
Sarrasins n’avaient pu être entamés dans la possession des montagnes où il s’étaient
retranchés. Enfin un événement en apparence peu important, amena leur expulsion totale
de la Provence. Saint Mayeul, abbé de Cluny, revenant de Rome avec un nombre
considérable de voyageurs qui s’étaient mis à sa suite, et, pour ainsi dire, sous la
protection de son caractère sacré, fut pris et fait esclave par les Sarrasins du Fraxinet. Il
fallut vendre les vases sacrés de son abbaye pour payer sa rançon et celle de ses
compagnons. Mayeul, né en Provence, d’une famille distinguée, jouissait alors d’une
grande réputation de sainteté et d’un grand crédit, surtout auprès de ses compatriotes.
Guillaume 1er, comte de Provence, avait pour lui tant d’amitié et de vénération, qu’il lui
fit des donations considérables, entre autres celle de la ville de Vallensole, et voulut
recevoir de sa main l’habit de religieux de son ordre avant de mourir. Ses exhortations,
comme un prélude aux croisades que vit éclore le siècle suivant, excitèrent le prince et
les principaux seigneurs provençaux à la destruction des infidèles qui souillaient la
Provence de leurs présences et de leurs cruautés.
Gibelin de Grimaldi, Boniface de Castellane, Buvon, qui depuis fut mis au rang des
saints, et plusieurs autres seigneurs qui avaient déjà combattu en particulier les
Sarrasins, joignirent leurs troupes à celles de Guillaume, et, sous ses auspices,
attaquèrent, vers l’an 973, la redoutable forteresse du Fraxinet. Saint Buvon étant
parvenu à se retrancher sur la montagne de Pigros, vis-a-vis la garde du Fraxinet, le
capitaine de la garde sarrasine de ce poste important vint se plaindre au saint guerrier, dit
l’histoire de sa vie, de ce que le commandant de la forteresse lui avait inconsidérément
ravi sa femme qu’il aimait plus que toutes les richesses du monde; et, pour se venger
d’une pareille insulte, il livra à Buvon le poste et la garde qui lui étaient confiés. Cette
trahison ayant facilité aux Provençaux l’accès des montagnes, la fameuse forteresse du
Fraxinet, que l’on avait long-temps regardée comme imprenable, fut enfin assiégée et
prise d’assaut.
Guillaume fit passer au fil de l’épée le chef des Sarrasins, qu’on avait fait prisonnier, et
tous les soldats de la garnison qui refusèrent d’embrasser le christianisme. Il fit aussi
raser la forteresse, pour qu’elle ne pût à l’avenir servir de refuge à de nouveaux
barbares. Il attaqua ensuite les diverses habitations qu’ils avaient faites à Grimaud,
Cogolin, la Molle, Maravieille, Gassin, Ramatuelle, et autres pointes des montagnes
d’alentour, que les anciennes chroniques désignent sous le nom de Mons-Maurus, et
qu’on appelle encore aujourd’hui montagne des Maures. Ces villages firent peu de
résistance.
Les hommes capables de porter les armes furent massacrés; les autres, ainsi que les
femmes et les enfans, furent réduits en servitude; et au quatorzième siècle, on voyait
encore leurs descendans être les esclaves des Provençaux dont ils avaient été si
longtemps la terreur.
Le climat de la Garde-Freinet est tempéré; l’air est pur et salubre, mais beaucoup plus
froid que celui des communes voisines, à cause de sa situation au nord, et de son
exposition au Maëstral et autres vents qui, dans leur impétuosité, enlèvent quelquefois
des parties considérables de la toiture des maisons, quoiqu’elles soient, en général,
chargées de grosses pierres et qu’elles aient leurs pentes à l’opposé des vents du nord.
Le territoire, quoique vaste, n’est formé que par une chaîne de montagnes rocailleuses et
de vallées profondes et pas du tout soutenues. Il s’y trouve peu de terres labourables et
de prairies. Les vignobles ne sont pas considérables et donnent un vin commun; l’huile,
au contraire, est d’une bonne qualité, mais on y en recueille fort peu. On estime
beaucoup les herbes potagères de la Garde, surtout les navets. Le gibier n’y est point
rare, quoique moins abondant qu’autrefois.
Les produits les plus importans sont, les forêts de pins, les écorces du chêne-liége et les
marrons.
Les châtaignes et les marrons de ce pays sont les meilleures que l’on connaisse. Le plus
grande partie s’embarque au port de Saint-Tropez pour Marseille, Toulon, Nice et les
autres villes du littoral; le reste s’expédie directement par le roulage pour les autres
villes de Provence, pour Lyon et pour Paris. Partout les marrons de la Garde sont
recherchés, à cause de leur saveur agréable et de leur grosseur. On en trouve qui pèsent
près de quatre onces pièce. Il ne sont connus dans l’intérieur du royaume que sous le
nom de marrons de Lyon et quelquefois marrons du Luc. La production des châtaignes a
diminué depuis la révolution, parce que les vieux châtaigniers périssent peu-à-peu et
sont rarement remplacés par des plantations nouvelles, toute l’attention des propriétaires
tendant en ce moment à augmenter le produit des chênes-lièges. Ce pendant les bonnes
récoltes peuvent donner encore douze mille quintaux de châtaignes, poids de table.
Sur cette quantité, on en prélève environ deux cents quintaux, qui doivent peser une
once chaque, et qu’on appelle passebelles ou marrons.
Le produit des chênes-lièges a décuplé en peu d’années et augmentera encore à l’avenir.
Les bouchons de la Garde sont justement renommés dans le nord de la France et dans
plusieurs pays étrangers. Leur consommation augmente journellement, et doit encoura-
ger les propriétaires à faire des semis de ces arbres précieux, qui réussissent dans tout le
territoire, et même en milieu des rochers schisteux qui en occupent une portion
considérable jusqu’à présent sans valeur.
Il y a dans ce territoire des mines de cuivre, d’alqui-foux et de plomb argentifère. Il y a
peu d’années qu’on en exploitait une de cette dernière espèce à la montagne de Peygros.
Le minerai était de bonne qualité; cependant elle a été bientôt abandonnée, comme cela
est arrivé souvent pour les mines de ce pays, quoique les échantillons de minerai, qu’on
a conservés, prouvent qu’il n’était pas d’une qualité inférieure à celui qu’on extrait des
mines de la France, dont l’exploitation est la plus profitable. L’anglais O’Connoer et
l’allemand Hik exploitèrent long-temps, pendant le siècle passé, et avec avantage, l’un la
mine de Vénéron, l’autre celle des Mourgues. Si les entreprises des nationaux n’ont pas
réussi aussi bien que celles de ces étrangers, ne doit-on pas penser que c’est faute de
connaissances assez profondes dans cette partie, d’expérience et d’une bonne direction,
plutôt que par la pauvreté des mines, qu’elles ont échoué? C’était du moins l’opinion
d’un minéralogiste de profession, qui avait résidé plusieurs mois dans ce pays.
Les habitans sont, en général, industrieux et actifs. Il est fâcheux que l’instruction soit
peu répandue, car l’intelligence et l’esprit naturel ne sont pas rares chez eux. Ceux qui
habitent la campagne se livrent exclusivement à l’agriculture. Ils sont laborieux, droits,
simples et charitables. Il n’en est pas tout-à-fait de même dans le village, où toutes les
idées sont tournées vers le plaisir et la passion de s’enrichir. L’on s’y occupe
principalement du commerce des bouchons, qui est encore assez lucratif, quoiqu’il offre
moins d’avantages qu’il y a dix ans. Outre les hommes occupés à écorcer les liéges dans
les forêts, et ceux employés à transporter le liége en planches à la Garde-Freinet et les
bouchons à Saint-Tropez, Marseille et autres villes, cette industrie occupe un nombre
considérable de bras. L’on y compte vingt-huit fabriques de bouchons, qui occupent,
suivant les saisons, de trois cents à quatre cents ouvriers hommes ou femmes. Ces
dernières se montrent fort adroites à ce métier dangereux. On remarque dans ce moment
une jeune fille qui peut rivaliser avec les meilleurs ouvriers pour la quantité et le fini du
travail. On évalue à cinq mille balles de trente mille bouchons chaque, le produit annuel
de toutes ces fabriques, qui s’expédie dans tout le nord de la France et à l’étranger.
Il y a encore à la Garde une petite fabrique de draps communs. Il y avait, avant la
révolution, des tanneries, dont le cuir vert pouvait rivaliser avec celui de Grasse. Cette
industrie a été abandonnée sans cause apparente depuis plusieurs années. Cependant
l’abondance et la bonne qualité des eaux, la facilité de se procurer l’écorce de chêne vert
et la feuille de myrthe, enfin le nombre considérable de bestiaux qu’on élève dans les
environs, devraient engager à reprendre cette branche d’industrie. On pourrait aussi
reprendre le blanchiment de la cire et la fabrication des bougies qu’on y avait exécutés
autrefois avec succès.
On y tient trois foires par an: le 3 mai, le 8 septembre et le 23 octobre; mais elles sont
fort peu importantes.
Il y a dans le territoire beaucoup de hameaux, dont le plus considérable est celui de la
Moure, où se trouve une église érigée en paroisse l’an 1717, et maintenant desservie par
un recteur. Il comprenait autrefois tout le territoire de la commune du Plan-de-la-Tour,
qui en a été détaché pendant la révolution. Populat. 2,112 hab.
GARGAS, Gargatium. Petit village à une lieue d’Apt son chef-lieu d’arrondissement et
de canton. Climat sain; sol fertile. Il y a des vignes et des arbres fruitiers; mais les
principales productions sont, l’huile et le blé. Pop.905 hab.
GASSIN, anciennement GARCIN, en latin Gassinus. Ce dernier nom dérive des mots
Guardia Sinus. C’était autrefois un petit fort bâti sur la pointe d’une colline fort élevée,
d’où l’on découvrait tout le Sinus sambracitanus (aujourd’hui golfe de Grimaud), et une
grande étendue de mer, depuis Fréjus jusqu’aux îles d’Hyères. Lorsque de ce fort on
apercevait les navires des Sarrasins, et, plus tard, des barbaresques qui ont infesté ces
côtes jusqu’au commencement du dix-huitième siècle, on faisait un signal d’alarme qui
était à l’instant répété par le château de Grimaud Aussitôt les malheureux cultivateurs de
la contrée mettaient en sûreté leurs familles et leurs troupeaux, et s’armaient pour
repousser l’ennemi. Il paraît que ce fort s’acquittait fort bien de ce devoir; car on ne
trouve aucune preuve, soit dans les histoires de Provence, soit dans les anciens titres,
que Gassin ait jamais été pris, quoique sa position l’exposât également aux attaques des
ennemis extérieurs et à celles des fauteurs des guerres civiles. Ils ne furent cependant
point à l’abri des troubles qui agitèrent la Provence en divers temps. On sait que les
habitans de Gassin contribuèrent vaillamment, pendant les guerres de la ligue, à la prise
des châteaux de Cogolin et de Ramatuelle, et de la citadelle de Saint-Tropez, tombés au
pouvoir des ligueurs. Plus heureux pendant la révolution de 1789, ils ont joui d’un calme
profond, par suite de l’union et de la sagesse des personnes de toutes les classes et
conditions. Aucune d’elles n’a éprouvé le moindre préjudice ni la moindre animosité
pour les affaires de circonstance.
L’ancienne enceinte du village de Gassin subsiste encore en grande partie, ainsi que la
porte, qui était fort étroite et à un seul battant. Sa construction paraît remonter au
douzième ou au treizième siècle. Cette enceinte fut agrandie presque du double, vers le
milieu du quinzième siècle; mais, dans le dix-septième siècle, on fut obligé d’abattre
cette dernière pour faciliter l’agrandissement du village. Cependant, à mesure que la
sécurité fut plus grande, les habitans commencèrent à abandonner le village, placé sur
des rochers presque inaccessibles, pour se retirer dans leurs maisons de campagne. Il y a
peu d’années, ce village n’offrait presque plus que des maisons noircies par le temps et
des masures ruinées; il semblait menacé d’un abandon presque complet, comme sont
ceux de la Molle, Six-Fours, Séranon, Chénérilles et tant d’autres dont il ne reste plus
que des débris sur des rochers escarpés. Mais il a repris une nouvelle vie, depuis qu’une
administration municipale plus soigneuse est parvenue, avec de bien faibles moyens, à
tracer deux chemins praticables aux charrettes et qui se croisent même au-dessus du
village. Les masures ont été remplacées par des maisons nouvelles; les anciennes ont été
réparées; la population agglomérée s’accroît peu-à-peu, et tout annonce pour ce pays un
avenir prospère ou du moins satisfaisant.
Le territoire de Gassin a été long-temps habité par des Romains. On trouve presque à
chaque pas des traces de leur ancien séjour, soit dans des restes de constructions, telles
que des conduites d’eau, des bains, des piscines, des villœ ou maisons de campagne, soit
par des tombeaux, des urnes funéraires, des lampes sépulcrales, des moulins à bras, des
inscriptions tumulaires indéchiffrables à la vérité, et beaucoup de médailles du Haut-
Empire enfouies dans la terre. Il paraît qu’il y avait dans ce temps deux villages, l’un à
l’emplacement actuel du château de Bertrand, l’autre autour du mouillage de Cavalaire,
qui était l’ancien Alconis des itinéraires, qu’un auteur contemporain affirme être
l’Heraclea Caccabaria, que tous les auteurs s’accordent à placer dans le territoire de
Saint-Tropez. Ces deux villages furent détruits par la première irruption des Maures, l’an
730. Les habitans qui échappèrent au massacre, cherchèrent alors un refuge dans un
endroit qui ne put être aperçu des barbares lorsqu’ils débarqueraient sur la côte, et qui
leur permît cependant de les voir venir de loin. Ils crurent l’avoir trouvé sur une
montagne voisine de Gassin, qui porte encore le nom de Ville-vieille. Peut-être faut-il
reporter à cette époque reculée la bâtisse de la chapelle de Notre-Dame de Consolation
et celle de la fontaine couverte, placée dans un vallon entouré de bois, que forment la
colline de Gassin avec celle de Ville-vielle. Cette chapelle fort ancienne a servi de
paroisse jusqu’au milieu du seizième siècle.
Les Sarrasins du Fraxinet ont été les premiers fondateurs du nouveau village de Gassin;
car ils y établirent un poste fortifié qui leur servit de boulevard. Une singularité qui
distingue Gassin de la plupart des anciens villages bâtis dans une semblable situation,
c’est qu’on n’y trouve point de vestiges d’ancien château. Dans le fait, il n’y en a jamais
eu. Cela vient de ce que la seigueurie en était divisée entre plusieurs co-seigneurs qui,
ayant souvent recours au courage de leurs vassaux, étaient obligés de leur laisser de
grands privilèges qu’ils surent défendre jusqu’en 1789. Parmi les arrière-fiefs répandus
sur le territoire, il y en avait un dont le nom est assez remarquable, pour que je le
consigne ici, quoique je n’aie pu en découvrir l’origine. C’était le fief Virgile. La famille
qui en portait le nom existe encore; mais depuis quelque temps elle a quitté le pays.
Le hameau de Cavalaire (voyez ce mot) fait partie du territoire de Gassin. Parmi les
poissons qu’on y pêche, nous citerons principalement les poissons volans. Ils
ressemblent un peu, pour la forme et la couleur, aux maquereaux; ils sont munis de deux
nageoires latérales fort amples qui s’étendent jusqu’à l’origine de la queue, lorsque ce
poisson est en repos, et qui lui servent d’ailes pour s’élancer au-dessus des eaux à une
distance de cinquante à soixante mètres.
Le climat de Gassin est fort sain et tempère. Les vallées, abritées des vents d’est et de
nord-ouest, jouissent de la température la plus douce. On y voit en pleine terre des
palmiers, des orangers, des citronniers, des poncyres d’une grosseur peu commune et
c h a rgés de fruits. On a admiré pendant long-temps, à une demi-lieue au-delà de
Cavalaire, un palmier d’une hauteur prodigieuse; il donnait des dattes sans noyau, qu’on
pouvait manger, quoiqu’elles fussent un peu âpres et fort petites. Cet arbre a péri lors du
froid rigoureux de 1820. La vallée où il se trouvait porte depuis des siècles le nom de
quartier du dattier.
Le terroir de Gassin est généralement fertile. Il produit du vin, de l’huile, beaucoup de
blé, du foin, des fruits et des légumes. Le gibier y abonde, surtout les lapins, les bécasses
et les perdrix rouges. Le sol est très favorable au développement des arbres,
principalement des pins. Il n’y a pas de rocher aride qui ne se boise en peu de temps. Les
roches schisteuses et les collines escarpées qui bordent la côte vers Cavalaire,
fournissent en quantité le meilleur liége de Provence, et produisent assez de châtaignes.
Il n’y a point de rivière dans cette commune, à cause de sa position péninsulaire. Le
principal courant d’eau est le ruisseau de Bourrian, qui traverse la plus grande partie du
territoire, et se jette au fond du golfe de Grimaud. Il coule presque toute l’année, et met
en mouvement plusieurs moulins à farine et une scierie à planches. Ses débordemens
couvrent souvent la plaine et la fertilisent.
Je ne dois point terminer cet article, sans signaler à la curiosité des amateurs d’antiquités
deux monumens qui méritent de fixer leur attention. Le premier est une masse de terre
en forme de cône tronqué, d’environ quatre-vingts pieds de hauteur et d’une largeur
proportionnée, construite de main d’hommes sur le sommet d’une montagne, entre
Gassin et Grimaud: on l’appelle la colline de la Moutte. Je pense que c’est un monument
druidal. L’autre est un vaste retranche- ment en pierres séches qui couronne tout le
sommet du Mont-Jean, l’une des montagnes les plus élevées des Maures.
C’est un ouvrage des Celto-Lygiens.
Il peut avoir été le principal retranchement des Camatulici qui, comme nous l’avons déjà
dit, occupaient cette contrée.
Le territoire offre aussi plusieurs carrières de serpentine. Celle du quartier de la Canade
a été exploitée long-temps pour fournir à la décoration extérieure de la plupart des
édifices des communes voisines.
Les habitans de Gassin sont généralement bons et honnêtes, mais peu industrieux. Ils se
livrent presque exclusivement à l’agriculture, qui manque encore de bras. Cependant il y
a dans le pays deux fabriques de bouchons. Le principal commerce consiste dans
l’exportation des vins, qui supportent très-bien le transport par mer, et dans
l’exploitation de leurs vastes forêts de pins. Pop. 660 hab. Voyez CAVALAIRE.
GAU. Ile de Gau. Ilot près de la côte maritime du département du Var, au midi de la
Seyne.
GAUBERT, Gaubertum, et, dans le douzième siècle, Castrum de Galberto. Petit village à
deux lieues de Digne son chef-lieu d’arrondissement et de canton sur la rive gauche de
la Bléonne. Près de l’ancien village se trouve un rocher de grès qui s’avance isolément
vers la rivière, qu’il domine. C’est là qu’on voit les restes d’un petit temple ou fanum,
dont une partie est taillée dans le roc, et l’autre paraît avoir été en bâtisse. Ce temple fort
curieux a dû appartenir à une villa romaine.
Des restes de forte bâtisse et de fortifications se remarquent encore sur le plateau de
Gaubert. Le sol produit du blé, du foin et des prunes qu’on livre au commerce du chef-
lieu. Pop. 410 hab.
GAUDE. Village du canton de Vence, à 7 lieues de Grasse, divisé en trois hameaux. Les
habitans, presque tous d’origine piémontaise ou génoise, sont souvent en guerre avec
ceux des villages voisins, quoique leur origine soit la même. A la moindre rixe, ils se
battent et s’assassinent, après s’être mutuellement promis de ne point recourir à la
justice. Francs de justice, se disent-ils avant d’en venir aux mains. Mais comme il en
résulte quelquefois des accidens fâcheux, ils manquent facilement à leur promesse. Il y a
dans le territoire une belle maison de Templiers qu’on vient de restaurer.
Le climat est très-chaud. Le sol est pierreux et sablonneux, et presque tout en coteaux.
On y recueille abondamment de l’huile, des figues et des vins les plus estimés de la
Provence, lorsqu’ils ne sont point frelatés. Les ceps de vigne qu’on ente souvent sur
d’autres arbres sauvages, sont disposés en forme de treilles, de manière à laisser passer
librement les rayons du soleil, en ayant soin encore de donner aux rameaux les fonctions
convenables. La richesse du sol de ce pays doit être attribuée aus alluvions que
produisent sans cesse les nombreux cours d’eau qui arrosent les vallées, et qui entraînent
avec eux un limon plus ou moins productif. Pop. 650 hab.
LIBERO PATRI.
Ce monastère prit le nom de Garguier, du latin Gargaria, ancien bourg dont il ne reste
plus aucun vestige, et qu’on présume avoir été situé sur le même emplacement.
C’est même à Gargaria que les premiers Marseillais établirent un marché, peu
considérable à la vérité, car il n’était fréquenté que par les familles des campagnes qui se
trouvaient éparses dans la contrée, et par quelques bourgades qui s’y établirent ensuite.
En 1826, on a découvert dans la campagne de Géménos un monument funéraire
consistant en trois urnes emboîtées l’une dans l’autre. Celle extérieure était en terre cuite
avec deux anses; la seconde, de la même matière, portait dans son fond une plaque de
bronze parfaitement polie; le pied de la troisième urne posait sur cette plaque. Cette
dernière était en verre et avait environ treize pouces de hauteur. Elle contenait des
cendres, des ossemens, des clous placés en croix, une amphore et un anneau en matière
calcaire.
Le territoire offre aux amateurs d’histoire naturelle une infinité de coquilles fossiles,
dont la plupart tiennent encore fortement aux rochers; et les amateurs de l’industrie y
voient avec plaisir une papeterie qui occupe un grand nombre d’ouvriers, et une belle
manufacture de verre à vitre, où l’on travaille aussi le verre cristal.
GIENS. Presqu’île et étang situé au sud de la ville d’Hyères. L’étang a environ une lieue
de longueur. On le nomme aussi l’étang de Pesquier. D’un côté de la presqu’île est la
petite rade de Giens et de l’autre la grande rade d’Hyères, dont l’entrée est défendue par
le château Brégançon. Voyez HYÈRES.
GIGORS. Petit village du canton de Turriers, à 8 lieues de Sisteron. Sol peu fertile, qui
donne du blé, des pommes de terre et de bons pâturages où l’on engraisse des troupeaux
de menu bétail. Popul. 229 hab.
GLANDÈVES. Ancienne ville épiscopale, sur la rive droite du Var, à vingt minutes
d’Entrevaux. Elle est appelée dans les anciens titres, Glandat, Glanda, Glandata et
Glandatera; et ailleurs, CITÉ DU GLAND, Civitas Glandis, Glandet et Glandetum; en
dernier lieu Glanatina. Cette ville, connue dès le quatrième siècle, fut dévastée par les
Lombards au huitième, par les Sarrasins au dixième, et enfin ruinée et détruite au
quatorzième par les guerres civiles et par les débordemens du Var. Il ne reste de cette
ville qu’un ancien château situé sur une montagne qui a conservé le nom de Glandèves.
L’ancienne ville était au bas de cette montagne. Le siége épiscopal fut transféré à
Entrevaux, comme étant la ville la plus à portée; mais on a fini par le supprimer.
GLANUM, que Pline nomme Glanum Livii, était une ville qui appartenait, dans le
principe, à un peuple allié des Saliens, et placée entre Cavaillon et Ernaginum. Tous les
historiens s’accordent à placer Glanum à quelques minutes de la ville de Saint-Rémy.
(Voyez ce mot.)
GOLFE DES LECQUES. Golfe formé par le Bec-de-l’Aigle, sur la côte du département
des Bouches-du-Rhône, et le cap de Tarente,, sur la côte du département du Var. C’est
dans ce golfe, et près de ce dernier cap, que se trouvait la ville de Tauroentum, fondée
par les Phocéens.
Ce golfe a donné son nom à un hameau de la commune de Saint-Cyr. Ce hameau est
tout-à-fait au bord de la mer. Il s’accroît chaque jour, et deviendrait important, si l’on
pouvait y construire un môle propre à abriter les vaisseaux marchands.
GOULT Gaudium. Village du canton de Gordes, à 3 lieues et demie d’Apt. C’est, sans
contredit, un des pays les plus pauvres de la Provence; car le sol, sablonneux, maigre et
presque stérile, est entièrement ravagé par deux ruisseaux. Aussi le peuple et même
quelques fabricans d’étoffes communes sont le plus souvent privés d’argent, de manière
à ne pouvoir travailler. Cela ne les empêche pas d’être toujours joyeux. On élève dans le
pays des vers à soie, et on y engraisse beaucoup de cochons. Pop. 1,325hab.
GOURDON, Gordo. Village du canton du Bar, à 6 lieues de Grasse, situé sur une
montagne de rochers taillés à pic du côté de l’est. Plusieurs auteurs donnent à ce lieu le
nom de Gardon. Poinsinet de Sivri, traducteur de Pline, dit que Gardon était une ville
alliée des Déciates. Il suffit de connaître ce village, pour juger qu’il n’a jamais été une
ville, et bien plus, que ce lieu n’existait pas du temps des Romains. Le village n’a dû se
former que lors de l’invasion des barbares. Les habitans disséminés dans la campagne,
réunirent leurs habitations sur un seul point propre à s’y défendre contre toute attaque
ennemie. De ce point on découvre une vaste étendue de mer, les montagnes du comté de
Nice et l’île de Corse.
Sur un pic très-élevé, au bord du Loup, se trouve un grotte spacieuse, dans laquelle il y a
un creux qui est un véritable four à cuire le pain. Il paraît même avoir servi à cet usage
du temps des guerres intestines. On vient d’en enlever les pierres pour les employer
ailleurs pour le même usage. Dans cette grotte il y a également une fontaine où coule
une eau excellente. Les bergers vont y chercher de l’eau dans leurs marmites de cuivre.
Avec leurs souliers ferrés, ils passent sur un chemin d’un demi-mètre de largeur au plus,
taillé sur la roche calcaire. Le moindre faux pas les précipiterait à trois cents mètres de
profondeur. Peu avant d’arriver à la grotte, ce chemin est coupé par une grande crevasse
du rocher. Autrefois il y avait sur ce point une sorte de pont-levis; mais il n’existe plus
aujourd’hui. Les bergers franchissent ce passage aussi lestement qu’un petit fossé au
milieu d’une prairie dans la plaine. Un seul homme, avec des provisions, pourrait vivre
long-temps dans cette grotte, et se défendre contre l’armée la plus nombreuse et la plus
redoutable; aussi cette position est appelée la forteresse de Gourdon. Comme ce pic ne
défend pas le village, et qu’il ne peut servir que de lieu de retraite, on ferait mieux de le
nom- mer le retranchement de Gourdon.
Quoique le village et le territoire de Gourdon soient assez froids, à cause de leur
exposition aux vents du nord et de l’est, on y recueille du blé, du vin, de l’huile et
quelques fruits. Pop.240 hab.
GRANÉGONE (LA), que Poinsinet de Sivri a prise pour une grande ville très-ancienne
et alliée des Déciates; que tous les historiens modernes de la Provence ont désignée
comme un ruisseau qui prend sa source dans le territoire de Draguignan et va se jeter
dans l’Argens, près du village de Roquebrune; la Granégone, dis-je, n’est qu’un nom de
quartier qui ne fait époque à l’histoire de Provence, que pour une bataille où les
Draguignanois défirent complètement un corps de protestans.
GRANS. Village du canton de Salon, à 8 lieues d’Aix, situé sur une branche du canal de
Crapone, et près de la vaste plaine de la Crau. Climat tempéré et sain; sol très-bien
cultivé; aussi produit-il de la bonne huile, du blé et du vin en abondance. Les eaux du
canal engraissent les terres et arrosent quelques prairies et les jardins. Pop. 1,900hab.
L’origine de cette ville n’est pas si ancienne que certains auteurs modernes ont osé
l’avancer. Elle n’était plus la capitale des Ligauni. Elle était dans le pays des Oxibiens,
que occupaient la rive gauche de l’Acro (la Siagne.) Tout au plus si l’on peut supposer
que, du temps des Celto-Lygiens, il y eut un marka (sorte de foire) dans la campagne de
Grasse, où des peuples de l’intérieur, tels que les Ligauni, les Quariates, les Adunicates,
les Vélauni, venaient, à certains jours de l’année, échanger leurs denrées où leurs
marchandises pour des objets qui leur étaient nécessaires, tels que le sel, que les
Oxibiens et les Déciates ramassaient depuis le golfe de Laval jusqu’à l’embouchure du
Var.
Après la défaite des Oxibiens, quelques-uns de ces malheureus vinrent habiter la
campagne de Grasse pour y vivre de la chasse et de la rapine, et surtout pour se livrer à
des cruautés contre les Romains de qui ils avaient tant à se plaindre. Ils occupèrent d’a-
bord la forêt de Malbosc, qui se trouvait entre la ville actuelle et les hauteurs de
Château-Neuf; et de là ils allaient se poster, sur le chemin Roumiou, qui d’Oxibia
conduisait sur les Alpes.
Vers l’an 15 de notre ère, l’empereur Tibère ayant fait sortir de Rome quatre ou cinq
mille juifs, sous prétexte de leur donner des terres en Sardaigne, mais, dans le fait, pour
les faire mourir peu-à-peu par l’air empesté de cette île, nombre de ces malheureux
s’étant aperçus, un peu tard à la vérité, de l’intention cruelle et barbare de l’empereur,
désertèrent la Sardaigne, et vinrent chercher un lieu de refuge dans la Gaule trans-alpine.
Plusieurs barques abordèrent la côte des Oxibiens. Les habitans du littoral (c’était alors
des Marseillais) ne voulurent point admettre parmi eux ces pauvres proscrits. Ceux-ci
furent forcés d’aller chercher un coin d’asile dans l’intérieur des terres. Il se trouvèrent
bientôt en présence des malheureux de Malbosc qui vivaient dans un état de sauvage
inhospitalier. Ils s’observèrent pendant quelque temps avec des craintes réciproques.
Ensuite ils s’abouchèrent, se firent confidence de leurs peines et de leur haine contre les
Romains. Comme leur malheur venait de la même source, les deux peuples firent
alliance, et ne formèrent bientôt qu’une seule et même famille, qui s’adonna à
l’agriculture et à l’industrie. Ce nouveau peuple quitta le fort de la forêt et fut s’établir
au lieu où se trouve le hameau de Magagnosc, dont le nom dérive du latin Magalia, qui
signifie cabanes, loges, huttes; et non pas du provençal Magagno, qui signifierait ruse,
finesse, fourberie.
Plusieurs siècles après, les juifs qui se trouvaient dans les différentes villes de Provence,
ayant exaspéré les habitans en se livrant au vol et au meurtre, des mesures sévères furent
prises contre eux. Il s’en suivit l’ordre rigoureux de les exterminer. Ceux qui se
trouvaient à Magalia, ne s’étant pas livrés à de pareils excès, et tenant beaucoup à rester
dans le pays où ils se trouvaient, et à conserver les terres qu’ils avaient mis en grand
produit, embrassèrent le christianisme, en 585, ce qui leur fit obtenir leur grâce, ainsi
que l’autorisation de bâtir une ville auprès d’une belle source où les Romains avaient
construit, pour la garde des eaux, une tour et un corps de garde dont on voit encore les
façades. Les habitans donnèrent à leur nouvelle habitation un nom qui pût rappeler la
faveur qu’on venait de leur accorder. Quelques auteurs ont cru que le nom de cette ville
venait d’un consul romain nommé Crassus. Ils auraient dû dire que la belle source de
Grâce ayant été gardée par un capitaine nommé Crassus, prit le nom de fontaine de
Crassus, et qu’ensuite le nom de Crassus s’étendit sur tout le quartier. La généralité des
Grassois actuels donnent pour origine au mot Grasse la bonté de leur terroir; mais si l’on
fait attention que, dans les anciennes chartes, le nom de cette ville était écrit par un G
(Grâce), on croira avec plus de vraisemblance qu’il dérive de la clémence ou de la
faveur accordée par le chef de la province.
Il est surprenant que cette ville n’ait jamais offert la moindre inscription qui rappelât
quelque fait mémorable ou qui constatât son ancienneté; preuve certaine que des
familles romaines ne l’ont jamais habitée. Je crois même que, dans le onzième siècle, la
ville de Grasse n’était pas un lieu bien important, vu qu’à cette époque, au lieu d’être le
chef-lieu de la contrée, elle faisait partie de la principauté de Calian, qui comprenait tout
l’ancien pays des Ligauni et des Oxibiens.
Au reste, peu importe que la ville de Grasse soit plus ou moins ancienne, qu’elle ait été
plus ou moins considérable avant le douzième siècle. Il suffit de savoir d’une manière
positive que, depuis sa fondation, elle a été commerçante, qu’elle a soutenu plusieurs
siéges pour préserver ses richesses, qu’elle fut surprise par les Sarrasins qui
massacrèrent une partie des habitans et menèrent l’autre en esclavage, et que ceux qui
avaient pris la fuite à l’approche des barbares vinrent repeupler la ville.
En 1179, Grasse s’allia avec Pise, tout comme si elle avait été érigée indépendante, et
promit de défendre les biens des Pisans et leurs personnes, et, dans le cas où le comte de
Provence ou ses juges inquiéteraient ces étrangers, elle s’engageait à s’intéresser pour
eux ou à les dédommager. Cette séparation de la mère-patrie ne pouvait être de durée;
des forces marchèrent contre la ville de Grasse, et l’obligèrent de rentrer dans le devoir.
Plus tard, elle fit alliance avec Gênes; mais comme elle ne nuisait en rien aux intérêts de
la Provence, le gouvernement d’alors n’y opposa point d’obstacle, et Grasse continua de
jouir de ses droits.
Lors de l’invasion de la Provence par Charles-Quint, la ville de Grasse donna une
grande preuve de sa fidélité au roi et de son dévouement à la patrie. Les habitans
brûlèrent leurs marchandises, leurs foins, leurs grains, pour que l’ennemi ne pût exercer
sa rapine et ne trouvât pas la moindre subsistance; ils détruisirent eux-mêmes leur ville
et leurs maisons de campagne, pour que les chefs ennemis ne trouvassent pas un toit
pour s’y abriter. Un pareil sacrifice leur valut l’estime du roi et les éloges de tous les
Français.
En 1589, la ville de Grasse embrassa le parti de la ligue. Le baron de Vins accourut avec
une armée pour la soumettre. Ce chef ayant été tué sous les murailles d’un coup de
mousquet par un de ses propres soldats, le capitaine Beaumont et le conseiller d’Agar
prirent le commandement du siége, et, en dix jours, la ville se rendit, malgré les ligueurs
qui la défendaient, et les neuf cents chevaux et deux mille hommes de pied que le duc de
Savoie avait fournis, en attendent qu’il pût venir lui-même à la tête de son armée. Cela
n’empêcha pas au duc de venir quelque temps après s’enfermer dans Grasse dont il
enviait la possession. Mais cette ville, ayant perdu le capitaine Laplane lâchement
assassiné par deux officiers, rentra sous l’obéissance du roi Henri IV, et les Savoyards se
décidèrent à évacuer un pays qui ne leur offrait plus de partisans.
En 1707, le duc de Savoie et le prince Eugène, ayant éprouvé une vigoureuse résistance
à Grasse et essuyé des insultes de la part des habitans, promirent d’abandonner cette
ville à quelques régimens de cavalerie et d’infanterie, dès qu’ils auraient soumis la
Provence. Le mauvais succès de ces deux princes devant Toulon leur fit abandonner leur
projet d’envahissement, et les força à retourner à toute hâte vers Nice.
Arrivés à Cannes, se rappelant leur promesse, ils envoyèrent six à sept mille hommes
pour saccager la ville de Grasse. Celle-ci, se méfiant des Savoyards qu’elle savait avoir
commis des violences partout où ils avaient passé, refusa de leur ouvrir ses portes; mais
elle leur offrit une nouvelle contribution.
L’ennemi, voyant une ville sans garnison et qui n’avait pour toute défense qu’une
enceinte de murailles, demanda vingt mille livres argent, dix mille bouteilles de parfums,
tout le pain et le vin dont il avait besoin, et un couvent de religieuses à discrétion. Cette
demande indigna tous les Grassois, au point qu’ils jurèrent tous de se faire ensevelir
sous les ruines de leur ville, plutôt que de se rendre.
Les Savoyards attaquent la ville; les habitans, du haut des remparts, font un feu nourri
sur leurs ennemis trop forts en nombre. Déjà des échelles sont placées; l’assaut
commence. C’en était fait de la ville et de ses braves défenseurs...
La providence veut qu’un détachement de dragons, commandés par le général Sailly,
vienne de Draguignan par la petite route, et qu’un paysan leur apprenne le danger qui
menace les Grassois. Sailly arrive au galop à la vue de Grasse; comme il est aperçu, les
Savoyards abandonnent leurs échelles et une partie de leurs armes, et se sauvent à toute
hâte, en suivant la route la plus courte qui devait les conduire au bord du Var. Leur fuite
fut tellement précipitée, que les chevaux perdirent près de quatre cents fers, en moins
d’un quart de lieue de chemin.
C’est une erreur de croire, comme la plupart des Grassois, que l’ancienne ville fût au
pied de la colline et près de l’endroit où se trouvent les restes de la chapelle dite Saint-
Esprit. En creusant dans les terres, on en aurait trouvé des vestiges.D’ailleurs, il y a des
preuves apparentes que l’ancienne ville se trouvait au midi de la ville actuelle, et que la
rue Tres-Castèous en faisait partie.
Il paraît que, dans la suite, la peste fit beaucoup de ravages dans le pays, puisqu’on fut
obligé, pour se garantir de ce fléau, d’établir une sorte de lazaret à la campagne sous le
vau d’Antibe. On y voit encore les ruines de plusieurs cabanes en bâtisse, où les
malheureux pestiférés avaient été relégués.
La ville est mal bâtie, et elle n’offre aucun monument curieux. Son église paroissiale est
une masse informe qui ne mérite pas d’être vue. Ce qui peut lui donner quelque
célébrité, c’est que Vice-Dominis pape qui ne régna qu’un jour, en avait été prévôt.
Grasse est depuis long-temps une des principales villes de commerce de la Provence.
Les habitans savent créer une industrie, et surtout la perfectionner. Cependant cette ville
possédait autrefois l’art de dégraisser les huiles, ce qui occupait beaucoup de
malheureux et attirait un grand profit au pays. Cet art est entièrement perdu. C’est à
peine si les Grassois d’aujourd’hui savent s’il a existé. On ne voit plus dans cette ville
ces fabriques de gants qui fournissaient toutes les villes de France et les cours d’Europe.
Les premières ont été transférées à Grenoble, et les secondes ont trouvé un sûr asile à
Saint-Étienne-en-Forêt. On n’y rencontre plus ces fabriques de cuir vert, dont la qualité
était naguère très-recherchée dans les montagnes de la Provence et dans celles du
Dauphiné, à cause de sa grande supériorité sur tous les autres. Ces établissemens sont
entièrement tombés, non par le manque des marchandises premières et des moyens de
fabrication, mais par la mauvaise politique des nouveaux fabricans, qui voulaient en peu
d’années faire une aussi grande fortune que ceux qui, depuis plusieurs générations,
travaillaient dans la partie.
La parfumerie est une industrie récente dans ce pays. Elle ne date que du milieu du
siècle dernier. le premier parfumeur conduisit lui-même deux caisses de sa marchandise
jusqu’à Paris, où il vendit sa petite pacotille d’une manière très-avantageuse, et se fit une
réputation qui lui rendit tributaires toutes les cours de l’Europe. Un pareil succès ne
pouvait manquer de lui susciter des rivaux. Plusieurs maisons de Grasse entreprirent la
même industrie, qui leur fut également avantageuse. La concurrenee s’est accrue à un
point, que les petits fabricans, pour arriver promptement à la fortune, ont nui à la
réputation que les bonnes maisons s’étaient acquise. Cependant, quoi qu’on en dise, la
ville de Grasse offre encore beaucoup de fabricans délicats qui, possédant une honnête
fortune, tiennent à conserver la bonne renommée des parfumeries du pays.
La fabrication des boîtes et bonbonnières est presque entièrement tombée. Les anciens
ouvriers se seraient attachés à perfectionner cet état; mais les ouvriers actuels, soit
négligence, soit dégoût, l’abandonnent entièrement aux grandes villes du royaume.
Quoique cette industrie ne soit pas assez importante pour regretter de l’avoir entièrement
perdue, elle l’était assez pour donner du pain à un grand nombre de malheureux.
Le commerce de Grasse achète une grande partie des eaux de senteur de l’Italie et des
différentes contrées de l’Orient, les fleurs de la principauté de Monaco et du comté de
Nice, les huiles de l’arrondissement et les cocons des environs. Il expédie ses
parfumeries dans toutes les parties du globe, et ses huiles dans l’intérieur de tout le
royaume. Par le retour, il attire au pays toutes les productions agricoles et industrielles
les plus indispensables.
Les habitans de la ville de Grasse ont depuis long-temps une réputation d’avarice, de
cupidité que les populations voisines disent méritée. Je ne rappellerai pas ici le proverbe
qui la consacre, parce qu’en fait de mœurs, les dictons sont toujours de faibles autorités.
Il est possible néanmoins, qu’à l’époque où le proverbe auquel je fais allusion fut créé et
lancé contre eux, les Grassois se comportassent en vrais citoyens d’Israël peut-être
qu’aujourd’hui encore, tels et tels paraissent justifier par leur conduite l’opinion
généralement répandue sur le compte de leurs pères. Mais à coup sûr, considérée dans
son ensemble, la génération actuelle doit être jugée plus favorablement. Si des
préventions subsistent encore, il faut les attribuer moins à une indignation excitée par
des vices réels, qu’à cette envie que fait toujours naître le spectacle d’une grande
richesse, Les Grassois doivent leur fortune, non pas à cet esprit de lésinerie qu’on dit
présider à tous leurs actes, mais au courage, mais à l’intelligence et à l’exercice de toutes
les facultés qui créent et font progresser l’industrie. C’est par là principalement qu’ils
ont élevé leur ville à ce haut point de prospérité, objet des sarcasmes de leurs voisins.
L’aisance répandue dans toutes les classes de cette opulente cité a heureusement influé
sur les mœurs, On a commencé depuis vingt ans à y marcher avec le siècle; le précepte
jadis si respecté, de ne parler jamais que le langue de sa mère, a été généreusement
abandonné. Aussi, peuvent-ils s’appliquer avec plus de vérité le mot d’un prince
tristement célèbre, et dire: — Il y a aujourd’hui en France douze mille Français de plus.
Spirituels, gais, hospitaliers, leur société est agréable, enjouée, et c’est surtout en faveur
des étrangers qu’ils se mettent en frais d’amabilité. Les grâces leur sont faciles; ils les
tiennent de la nature. Les physionomies sont parfaitement en harmonie avec ce sol riche,
émaillé, suave, parfumé, qui fait de ce pays une sorte d’Éden. Vainement on chercherait
à se faire une idée de ces lieux enchantés. Quand on voit ces merveilles de la nature et
de l’industrie, on n’ose plus accuser les poètes de mensonge. Les images qu’ils nous
présentent et que nous croyons n’être que le fruit d’ingénieuses fictions, se trouvent là
heureusement réalisées. Qui dira l’impression que font sur l’âme de l’observateur ces
jardins étagés où se montrent dans tout leur éclat les plus brillantes productions de Flore;
ces prairies arrosées par cette Foux, dont l’urne inépuisable répand au loin la verdure et
la fécondité; ces orangers aux fruits d’or, aux fleurs argentées, qui, en plein air, s’élèvent
à la hauteur des arbres indigènes; ces oliviers enfin qui, serrés comme les pins de la
forêt, plus grands et plus touffus qu’ailleurs, n’étendent leurs orgueilleux rameaux que
pour verser avec plus d’abondance leur précieuse liqueur. Si du cours vous portez vos
regards sur le magnifique bassin qui s’offre devant vous au midi, quel gracieux
ensemble, quelle merveilleuse diversité d’objets. Ici Mouans; là Mougins; à gauche la
montagne de Courmette souvent blanchie par les neiges; à droite la plaine de Laval et le
sombre Estérel; en face, au bord d’une immense mer, les îles de Lérins, et par un beau
jour, au bout de l’horizon, les montagnes de la Corse. Elle est délicieuse, en vérité, cette
promenade du cours. Mais pourquoi là où l’on ne va chercher que des idées de plaisir,
est-on attristé par l’image de la douleur?
Pourquoi aujourd’hui encore est-on condamné à voir au bout de l’allée cet hospice que
les convenances et la salubrité publique exigeraient qu’on transférât ailleurs? Il serait
digne des magistrats de cette ville de mettre à exécution le plan conçu à ce sujet par un
administrateur dont la gestion a laissé d’honorables, d’ineffaçables souvenirs. Toutefois,
si les promeneurs ont à se plaindre de ce douloureux voisinage, les malades du moins
n’ont qu’à se louer des soins paternels qui leur sont prodigués. Placés dans des salles
vastes, aérées, bien exposées, ils reçoivent les secours les plus empressés. Une chapelle,
d’une élégante simplicité, ornée de trois tableaux dus au pinceau de Rubens, décore cet
édifice, monument de la charité d’un pieux évêque dont la mémoire est encore chère à
tous les Grassois.
La ville de Grasse offre depuis quelque temps des sortes d’aliénations la plupart avec
penchant au suicide. Quand aux causes qui ordinairement proviennent de l’hérédité ou
du climat, causes puissantes pour les maladies chroniques, on peut mentionner l’esprit
de certaines personnes douces d’une avidité démesurée. Ajoutez à cette dernière cause le
passage subit de la pauvreté à la fortune, et vice versa.
Il existe en cette ville une seconde maladie qui fait bien plus de ravages que la première;
c’est de la phthisie que je veux parler.La cause locale la plus puissante qui occasionne la
phthisie, est, sans contredit, le froid humide qui règne en cette ville une grande partie de
l’année, et qui occasionne même des odontalgies terribles qui ne se terminent que par la
destruction complète des dents. Une cause secondaire de la phthisie, c’est la négligence
de brûler les vêtemens de ceux qui sont morts de cette maladie. Les frères et les sœurs
s’en revêtent plutôt que de les sacrifier. Quelques-uns les font vendre, et empoisonnent
des familles saines. Une cause volontaire qui propage la phthisie, c’est le peu de
délicatesse que certaines personnes ont de s’allier avec un sang phthisique. Ce sacrifice
de la santé provient toujours de l’avidité pour la fortune.
Au quartier d’Antibe il y a une mine de charbon de terre qui, exploitée, serait fort
avantageuse aux fabrications du pays, ne fût-ce que pour les fabriques de savon, les
filatures de la soie et les moulins à huile.
Le territoire de Grasse, offrant beaucoup d’oliviers, doit avoir aussi beaucoup de
pressoirs à huile. Il y en a réellement un grand nombre; mais le pressurage s’y fait fort
mal. Les pressureurs se servent d’un levier très court, et n’emploient pas assez de force
pour bien exprimer l’huile. Aussi, en marchant sur les grignons qui sont répandus dans
les usines, on croit fouler une terre limoneuse. Il n’est pas surprenant que ces grignons
se vendent le double qu’ailleurs aux ouvriers rescenseurs.
On ne s’étonne plus qu’un pressoir à huile s’y vende jusqu’à quarante mille francs,
tandis qu’ailleurs on les obtient pour huit mille. Un ou deux moulins à Sinéty dans
l’endroit forceraient les autres moulins travailler avec plus de conscience.
La chapelle de Saint-Hilaire, au quartier de ce nom; était anciennement un temple dédié
à Jupiter Ammon. Il se trouvait sur la voie romaine qui conduisait au Brigantium. Près
de cette chapelle on célébrait, il n’y a pas long-temps, le Juvenial des Romains (la
jouvine des Grassois). Mais de quelle manière? Tous les ans, le premier jour du mois de
mai, l’autorité municipale du lieu conduisait sur cette hauteur tous les jeunes gens de
l’un et de l’autre sexe. Là, celui et celle qui, au vu de tout le monde, injectaient plus loin
leurs urines, obtenaient un prix, et étaient ensuite promenés dans la ville en
triomphateurs. Heureusement cet usage indécent n’a plus lieu. Je suis assuré que le
peuple d’aujourd’hui refuserait de se prêter à une pareille cérémonie.
Les montagnes des environs de Grasse, et du côté du nord, sont un chaînon de toutes
celles qui depuis la Durance, près de Sisteron, jusqu’au Var, un peu en-dessus de son
embouchure, servent de ligne de démarcation entre la basse et la haute Provence. La
partie inférieure de ces montagnes produit l’olivier; la partie moyenne a perdu ses forêts
et aurait besoin d’être reboisée; la partie supérieure n’est souvent, aux expositions à l’est
et au midi, que la roche nue.
La nature de ces montagnes est un calcaire compact de couleurs différentes; tantôt c’est
un beau blanc ou un blanc sale jaunâtre, tantôt c’est un gris bleuâtre ou un rouge de
sang. Cette dernière couleur provient de la grande quantité d’oxide de fer qui s’y trouve,
et dont la poussière couvre les pierres d’une sorte de rouille qui s’y attache fortement,
mais qui ne pénètre pas dans l’intérieur.
Les couches de ce calcaire sont le plus souvent horizontales. L’épaisseur est
ordinairement considérable vers la base, et diminue à mesure qu’elles s’élèvent vers le
sommet. Là elles se contournent subitement pour redescendre sur la face opposée. Ce
calcaire a souvent le même caractère que celui du Jura, et fournit de l’albâtre et de belles
carrières de marbre de différentes nuances. Ces couches calcaires sont composées de
plusieurs substances, parmi lesquelles on distingue quelquefois le gypse, toujours
entremêlé de lits d’argile de diverses couleurs, mais le plus souvent d’un blanc sale.
Cette formation gypseuse est accompagnée de dépôts de sable en couches subordonnées,
et qui se communiquent toujours sur des points différens.
Les coteaux en-dessous de cette chaîne de montagnes, et qui se trouvent sur le littoral,
sont infiniment moins élevés. Leur nature, dans l’arrondissement de Grasse, est calcaire,
mêlé cependant avec du grès et du granit, par le voisinage de la montagne schisteuse et
granitique qui, de la montagne de l’Estérel, s’étend par sillons plus ou moins larges et
plus ou moins profonds jusqu’à la rivière du Var. C’est dans cette partie inférieure que
l’on voit en été une sorte de mouche luisante que le peuple appelle baïsso luverno. Des
naturalistes croient que c’est le lampire d’Italie, genre d’insecte cléoptère; d’autres le
nomment rhinocéros, même nom d’un grand quadrupède qui porte une corne. Cet
insecte ne se montre qu’à la nuit, et ne passe jamais sur la rive gauche de la Siagne. Si
on l’y porte, ou il meurt presque en même temps où il se hâte de repasser sur la rive
opposée.
La ville de Grasse a trois hameaux, le Plan, Plecassier et Magagnosc. Elle a aussi quatre
foires dans l’année, savoir: le lundi après Saint-Marc, le lundi après Saint-Michel, le
lundi après le 1er novembre et le lundi après Saint-André. Pop. environ 13,000 hab.
La population de Grasse serait infiniment plus considérable, si cette ville n’éprouvait pas
continuellement des migrations, toujours dans la vue d’acquérir des richesses. Toutes les
nations de l’Europe sont exploitées par des négocians de cette ville, qui ne négligent
jamais de procurer de la célébrité au commerce de leur pays. On ne trouve pas de villes
en France qui n’aient dans leur sein quelques familles grassoises, qui y ont été attirées
pour le commerce des parfumeries ou pour tout autre industrie. Ajoutons à ceux-là un
grand nombre de jeunes gens qui voyagent sans interruption pour les productions du sol
et des fabriques du pays. Ces productions sont embarquées au port de la ville de Cannes,
qui, dans le fait, n’est que le port de Grasse, quoiqu’il en soit à quatre lieues.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont, Grasse, Auribeau,
Mandelieu et Pégomas.
GREMEUSE. (LA). Village sur la rive gauche de la Bléonne, à 4 lieues de Digne son
chef-lieu d’arrondissement et de canton. Productions, les mêmes qu’à Chénérilles. Pop.
80 hab.
La partie basse est dans une position plus agréable. La rivière offre des truites bien
saumonées. Le territoire est fertile en blé, en vignes et en fruits exquis. On commence à
y introduire la culture de l’olivier, qui y vient très-bien. On y a trouvé une inscription
fort ancienne sur un tronçon de colonne qui sert aujourd’hui de crucifère. Les fromages
du pays sont excellens. Les eaux pluviales découvrent journellement sur les terres
penchantes des bélemnites fort curieux. Pop. 800 hab.
Nombre de Romains opulens recouvrèrent la santé, en faisant usage des eaux de Gréoux.
Aussi enrichirent-ils celui ou ceux qui en étaient les propriétaires, au point qu’on y fit
construire un bel hôpital dont on croit reconnaître encore les vestiges, et un temple dont
on a trouvé des débris qui annonçaient un monument de bon goût. Quelque grand
personnage adressa un ex-voto à la nymphe des eaux de Gréoux. Il était conçu en ces
termes:
Ce qui prouve que la femme d’un Romain, qui avait été deux fois consul, deux fois
préteur, général en chef, pontife et proconsul d’Asie, vint y chercher et y trouva la santé.
La réputation des eaux de Gréoux tomba avec la gloire des Romains. L’invasion des
barbares du nord et celle des Sarrasins firent entièrement oublier les vertus des eaux de
cette fontaine qui ne reprit sa célébrité que dans le douzième siècle. Possédée par des
Templiers, ceux-ci eurent le talent d’y attirer nombre de chevaliers français qui, dans les
croisades, avaient contracté en Palestine la coutume de se baigner. Les guerres intestines
qui, pendant plusieurs siècles, couvrirent la Provence de deuil, virent détruire de fond en
comble cet établissement précieux pour la santé.
Deux siècles et plus se sont écoulés sans que personne songeât à le réparer. Il a fallu un
propriétaire aisé, un homme instruit, un homme qui connaissait à fond l’art d’Esculape,
pour rendre à ces eaux une partie de leur primitive réputation. Aussi, depuis une
trentaine d’années, un grand concours d’étrangers de l’un et de l’autre sexe, de tous les
rangs et de toutes les conditions, viennent, deux fois dans la belle saison, y chercher la
guérison de leurs maux.
L’établissement des bains se trouve à environ cinq cents pas à l’est du village, et cent pas
de la rive droite du Verdon. Des promenades bien ombragées et plusieurs petits jardins
anglais ornés de divers arbustes qui donnent des fleurs odoriférantes, font de ce site un
séjour gracieux. L’hôpital, entièrement construit à neuf, est très-vaste, fort commode et
digne de recevoir des personnes honnêtes. Les baignoires sont toutes de marbre. Il y en a
qui sont carrées, et dans lesquelles on descend par plusieurs marches également de
marbre.
Le climat de Gréoux est tempéré. La plaine est fort agréable; mais les amphithéâtres sont
dégarnis d’arbres, parce que le terrain n’est pas soutenu et ne peut pas l’être, à cause du
manquement de pierres, à moins qu’on ne les fit venir à grands frais de la rive gauche du
Verdon ou des deux extrémités du territoire. Le sol produit du vin, du blé, des amandes
et quelques olives, Pop. 1,440 hab.
Elle est en lettres très-bien formées, dans le genre de celles qu’on voit sur les monnaies
de la reine Jeanne et, d’autres monumens du quatorzième siècle.
En 1388, Jean de Grimaldi, sénéchal de Provence pour Charles de Duras, ayant
puissamment contribué à faire passer le comté de Nice et la vallée de Barcelonnette sous
la domination de la maison de Savoie, perdit vraisemblablement alors ses possessions en
deçà du Var, parmi lesquelles on compte la seigneurie d’Antibes.
La baronnie de Grimaud passa successivement dans le domaine de plusieurs familles
illustres ou très-en faveur auprès du souverain, ce qui prouve l’importance qu’on y
attachait.Nous citerons, comme seigneurs de la baronnie de Grimaud et Val-Freinet,
1° Guillaume de Pontevés qui, d’après Papon, prêta hommage pour le fief de Grimaud,
en 1298.
2° Pierre d’Acigné, grand sénéchal de Provence. Il était originaire d’Anjou, et le roi
René l’appelait son cousin. En 1412, il remporta une victoire signalée sur les Aragonais
entre le Rhône et la Durance, ce qui lui valut une grande récompense.
3° Jean Cosse, seigneur italien, et neveu de Balthazar Cosse, qui fut élu pape, en 1410,
sous le nom de Jean XXIII, qui, ayant embrassé le parti du roi René, fut forcé de quitter
les états de Naples, et perdit tous les biens qu’il y possédait. C’était un de plus grands
capitaines et des plus habiles négociateurs de son siècle. En 1450, il fut élu sénateur de
l’ordre du Croissant, en remplacement du roi René. Il est qualifié, à cette occasion,
seigneur de Grimaud et grand sénéchal de Provence. En 1470, dans l’acte d’inféodatian
de la terre de Saint-Tropez, il prend les titres de comte de Troyes, baron de Grimaud et
Val-Freinet.
4° Étienne de Vèse, favori de Charles VIII, qui le fit sénéchal de Nîmes et de Beaucaire,
son pays natal.
5° Enfin Grimaud fut érigé en marquisat en 1627, par Louis XIII, en faveur du sieur
d’Esplane, auquel succéda la famille de Castellane-Saint-Juers, qui le posséda jusqu’à la
révolution.
Grimaud était le chef-lieu d’une baronnie distincte et séparée du vigueyras de
Draguignan, tant pour l’administration civile que pour la justice, ainsi que cela fut
reconnu par arrêt du Parlement, du 22 novembre 1680. Bouche le jeune, en parlant du
siége de Roquemartine, en 1396, dit qu’il fut entrepris par les troupes des vigueries
d’Aix, Brignoles, Draguignan, Grimaud et des terres adjacentes. Il formait, par
conséquent, un district tout-à-fait distinct des vigueries, quoiqu’il ne fît pas partie des
terres adjacentes. Il avait un siége d’appeau auquel ressortissaient les jugemens des
juges seigneriaux de Grimaud, la Garde-Freinet, la Molle, Cogolin, Gassin, Ramatuelle
et Saint Tropez. (Il paraît que Sainte-Maxime et le Revest ne faisaient point partie de
cette baronnie.
Le village de Grimaud, dont il est rarement fait mention par les historiens de Provence,
paraît avoir peu souffert des guerres étrangères et des guerres intestines qui ont si
souvent désolé la Provence. Il était devenu le refuge de toute l’industrie et du commerce
de la contrée. On y voit encore plusieurs vieilles maisons d’une architecture curieuse,
tantôt dans le genre mauresque et tantôt dans le goût italien du moyen âge. Des galeries
à arcades, construites dans le quinzième et le seizième siècle, soutenaient les maisons de
la
Grande Rue et la rue des Juifs, et facilitaient la circulation des acheteurs au-devant des
boutiques dont elles étaient garnies. A cette époque de troubles et de rapines, les
malheureux commerçans ne pouvaient livrer leurs marchandises à la foi publique. Ils
admettaient rarement les acheteurs dans leurs magasins, où ils se tenaient renfermés
comme dans une forteresse, Ils ne traitaient avec eux qu’à travers un guichet ou une
fenêtre, dont ils rétrécissaient l’ouverture autant que le permettaient le passage des
objets vendus et payés d’avance.
Entre ces deux rues se trouve, sur la place du Cros un puits remarquable par son
antiquité, attestée par des profondes entailles faites, dans les margelles de serpentine qui
en forment le contour, par le frottement des cordes des seaux avec lesquels on puisait
l’eau. Ce puits a été creusé à une grande profondeur dans le roc vif et au ciseau, long-
temps avant l’invention de la poudre.
A l’autre extrémité de la rue des Juifs se voit l’église paroissiale, dont la construction
remonte au moins au dixième siècle. Elle est bâtie d’un granit grossier, d’une couleur
tirant sur le blanc sale, tel qu’on en trouve dans les environs. Ses murs, fort épais,
présentent sur leurs faces extérieures et intérieures des blocs carrés et posés par assises
régulières.
La voûte présente intérieurement la même construction; elle a la forme d’une croix
latine; elle est ornée de six pilastres de forme dorique, mais dont les proportions sont
amaigries.
Les bras de la croix forment deux chapelles, dont les voûtes, ainsi que celle de la nef,
sont construites en berceaux.
Tous les arcs sont de plein cintre. Tout prouve que cette église a été édifiée avant qu’on
connût l’architecture gothique. Le chœur est formé par une niche immense creusée dans
un massif carré; aussi n’a-t-on pas craint de bâtir en dessus, dans des siècles postérieurs,
un clocher assez élevé, sans que le poids énorme suspendu sur l’arceau d’ouverture ait
nui à sa solidité. La poussée des voûtes n’est point soutenue non plus par des arcs-
boutans ni par des contre-forts; et cet édifice résistera aux rigueurs des siècles, à moins
que le génie destructif des hommes ne vienne hâter sa ruine. Au sommet de la colline sur
le penchant de laquelle est bâti le village, à l’endroit même où les premiers habitans du
pays avaient construit un retranchement pour préserver leur bourgade, se trouvent les
ruines pittoresques du vieux château, dont la construction est attribuée par la tradition
locale à la reine Jeanne 1ère. Cette princesse intéressante et malheureuse est toujours
vivante dans le souvenir des Provençaux, malgré ses fautes et ses grands revers. Cette
construction, bien supérieure à celle des autres châteaux de la même époque, a dû être
faite par des architectes italiens du quinzième siècle, et vraisemblablement par les ordres
de Jean Cosse, l’un des hommes les plus distingués de son siècle. Il subsiste encore deux
tours rondes de la façade principale, ornées de cordons de serpentine du meilleur effet.
Les fenêtres, toutes carrées, ont des chambranles de la même pierre. Au milieu du
château s’élevait une autre tour d’une grande hauteur: c’était un véritable belvéder d’où
l’on pouvait apercevoir la mer tout autour de la presqu’île de Gassin et Saint-Tropez.
Cette pièce est tombée depuis environ ving-cinq ans. Autour du château s’étend une
vaste enceinte de murailles garnies de meurtrières, par où l’on défendait l’approche du
village.
Ce château n’a été abandonné que vers le milieu du dix-huitième siècle, par le dernier
seigneur. Ayant reçu dans une bataille une blessure qui le rendait boiteux, il trouva
beaucoup trop pénible d’habiter un château dont l’accès était très-escarpé; c’est
pourquoi il transporta son habitation au bas de l’endroit.
Près du village de Grimaud, en creusant dans les terres, on a trouvé des tombeaux de
briques, des médailles et des bâtisses romaines; des voûtes considérables ont été
découvertes, en nivelant la place des Mûriers. Mais ce qui affirme le plus que les
Romains ont long-temps habité le lieu primitif, ce sont les restes de l’aqueduc qui
amenait sur l’emplacement actuel de Grimaud la belle source de Painchaud, qui en est
éloignée d’une lieue, et séparée par la profonde vallée d’Engalières. Ces ruines ne sont
pas imposantes comme celles de l’aqueduc de Fréjus, construit pour l’utilité d’une ville
qui tenait un haut rang dans la province, mais elles méritent encore l’attention et l’intérêt
des curieux. On ne saurait trop admirer combien on avait su allier l’économie avec la
solidité. L’eau était d’abord conduite dans des tuyaux de briques soutenus par une
maçonnerie légère, jusqu’à la vue de Grimaud. Là se trouvait un réservoir voûté destiné
à rassembler les eaux avant de leur faire franchir la vallée qui a plus de trois cents pieds
de profondeur. Du réservoir partait un nouvel aqueduc qui suivait le penchant de la
colline dite de Roux, traversait le torrent d’Engalières sur un pont qu’on y avait jeté
antérieurement, et remontait la colline opposée, en forçant l’eau. On a trouvé jusque vers
l’église actuelle des débris de cet aqueduc, qui était formé de tuyaux enduits d’un vernis
vert, de onze pouces de longueur sur deux ponces de diamètre, placés seulement l’un
dans l’autre, et préservés par deux rangées de noues ordinaires cimentées par un mortier
romain. Il reste encore des vestiges du réservoir, qu’on nomme le puits des fées, et le
pont qui supportait l’aqueduc. Ce pont, bâti en pierres brutes et chargé encore d’une
portion d’aqueduc, peut avoir quatorze mètres d’ouverture et douze de hauteur en
dessous de l’arche. Sa culée occidentale a été percée pour laisser passage aux eaux d’un
biez. Il présente, du côté du nord, un joli point de vue. Sous son arche, pleine de
hardiesse et de solidité, l’on aperçoit une échappée de vue sur la plaine, on ne peut plus
riante et pittoresque.
Le territoire de Grimaud est fort étendu. La plus grande partie est formée par des
montagnes de granit et de schiste argileux entremêlés de bandes transversales de quartz.
L’une de ces bandes, d’une largeur et d’une longueur extraordinaires, est connue sous le
nom de roucas blanc. On y avait exploité une mine d’alquifoux au quartier de Mourety.
Ces collines sont parsemées de petits bois de pins et de chênes-liège entre lesquels se
trouvent un grand nombre de hameaux et de fermes isolées. La partie sud-ouest du
territoire forme une plaine couverte de terres labourables et de prairies, où paissent de
nombreux troupeaux de bœufs et de chevaux. Il n’y a point d’habitation dans cette vaste
étendue, à cause des inondations auxquelles elle est sujette en hiver, ce qui engraisse les
terres par le limon que les eaux y déposent. La mer occupait autrefois cette plaine en
tout ou du moins en grande partie. En creusant la terre à trois ou quatre pieds de
profondeur, près de la grande garonne, on y a trouvé du sable de mer mêlé de coquilles
brisées. Il continue à se former au fond du golfe et surtout du côté de Saint-Pons, des
atterrissemens qui font reculer la mer peu-à-peu d’une manière sensible. On trouve en
plusieurs endroits de la plaine des amas d’eau appelés garonnes et foux. Ces derniers
sont des étangs formés à l’embouchure des rivières et des torrens dans la mer; les autres
sont de véritables lacs alimentés par des sources souterraines. La grande garonne est fort
utile pendant l’été pour l’abreuvage des troupeaux de gros bétail qui y viennent en grand
nombre.
Le terroir de Grimaud est, en général, fertile. Quoique les terres soient bien cultivées
depuis la révolution, cette culture est encore susceptible de grandes améliorations. On
pourrait y faire des récoltes plus riches que celles du blé et des haricots noirs, qui s’y
succèdent régulièrement, d’autant mieux que l’humidité de l’atmosphère, ou plutôt des
brouillards du matin, procure la carie et la rouille au blé, et fait changer plusieurs tiges
en ivraie. L’éducation des troupeaux donnerait de grands bénéfices, si elle était mieux
entendue. Depuis la suppression du dépôt d’étalons à Cogolin, un particulier en a établi
un à ses frais auprès de Grimaud. On espère qu’il contribuera à donner des chevaux
hauts de taille et plus étoffés que la race ordinaire des eygues, dont la petitesse ne saurait
être compensée par la vigueur particulière à cette race.
Une fabrique de bouchons et trois briqueteries forment toute l’industrie de cette
commune. Ces dernières seraient susceptibles d’un grand développement, si l’on
parvenait à perfectionner leurs produits; ce que je ne crois pas impossible, puisqu’on
trouve des briques romaines dans le pays, faites vraisemblablement avec la même terre,
et qui sont tout à la fois plus dures et plus légères.
Il s’y tient trois foires dans l’année: le jour de l’Ascension, le 15 août et le 29 septembre.
Elles sont les plus considérables de tous les environs, surtout celle du 15 août, qui se
tient à une demi-lieue du village, près de la chapelle de Notre-Dame de la Queste, dans
un site riant et commode.
Un peu plus loin se trouve Saint-Pons, maintenant simple métairie, mais auquel se
rattachent quelques souvenirs historiques. Il paraît qu’il y a eu sur cet emplacement,
alors baigné par les eaux de la mer, un village ou du moins une villa considérable, du
temps des Romains. En 1074, il y existait un monastère qui subsistait encore en 1290. Il
a formé un arrière-fief jusqu’à la révolution. On y voit encore une chapelle abandonnée,
avec quelques vestiges de tombeaux, d’un cimetière et d’anciennes bâtisses.
Le village de Grimaud a une maison commune nouvellement restaurée, un beau
presbytère, et un hôpital richement doté pour un pays dont la population n’est que de
1,264 habitans. Des chemins bien entretenus traversent le territoire en tous sens, et
faciliteront les améliorations dont la commune est susceptible. Les principales
productions du pays sont, le foin, le blé et les haricots noirs. On y recueille aussi de
l’huile excellente, et une assez grande quantité de vin d’une qualité ordinaire.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Grimaud, Cogolin, la Garde-
Freinet, Sainte-Maxime et le Plan de la Tour.
En face du village de Grimaud se trouve le golfe du même nom, qui a environ une lieue
de large sur trois de long. Il a dû être une sorte de vivier pour les Camatulici, peuple qui
se livrait particulièrement à la pêche. Ce golfe fut appelé par Antonin, Sinus
Sambracitanus. Plus d’une fois, les flottes marseillaises et les flottes romaines y
trouvèrent un sûr abri contre les tempêtes, et un port de salut, lorsqu’elles étaient
poursuivies par des flottes ennemies. Plus tard, le Sarrasins, sortis de l’Espagne et de
l’Afrique, virent y débarquer, à différentes reprises, des troupes nombreuses qui se
fortifièrent dans la contrée et envahirent toute la Provence C’est également dans ce golfe
que la flotte d’Orient vint attaquer les vaisseaux des Sarrasins qui s’y tenaient en pleine
sécurité. Pendant le blocus continental des dernières guerres, les vaisseaux de l’état et
les navires marchands, poursuivis par les Anglais, venaient y chercher un heureux
refuge, sans crainte que ces tyrans des mers osassent venir les troubler.
Ce golfe, formé pas les territoires de Sainte-Maxime, de Grimaud, de Cogolin, de Gassin
et de Saint-Tropez, est très-exposé au vent d’est; il serait dangereux de le traverser,
lorsque ce vent est déchaîné. Il est plus prudent alors aux voyageurs d’en faire le tour à
pieds que de s’exposer dans une barque qui serait infailliblement engloutie sous les
vagues. Nous donnons d’autant plus volontiers cet avis au public, qu’il ne se passe
presque point d’années qu’il n’y ait des personnes qui s’exposent à être victimes de leur
imprudence et de leur témérité.
H
HERACLEA CACCABARIA. Ville de l’ancienne Provence, avec un port de mer, située
auprès du lieu où se trouve aujourd’hui la ville de Saint-Tropez. Voyez ce mot.
Pline fait mention d’une autre ville de ce nom, qu’il dit placée auprès des embouchures
du Rhône. Quelques auteurs ont cru retrouver la position de cette ville à Saint-Gilles-les-
Boucheries, près d’Arles, mais dans le Languedoc. Cependant rien ne l’assure; car on
peut trouver des positions convenables à une ville, soit dans la Camargue, soit sur la rive
gauche du Rhône et à l’endroit même où se trouvait la ville celto-lygienne Anatilia, à
laquelle les Grecs et les Latins peuvent avoir donné le nom d’Heraclea; et alors elle
aurait été réellement près des embouchures du Rhône, tandis que Saint-Gilles n’est près
que de l’embouchure d’une dérivation de ce fleuve, faite par les soldats de Marius.
HONORAT (SAINT). Une des îles de Lérins, vis à vis la ville de Cannes. Les Celto-
Lygiens l’appelaient Planasia, les Romains Lerinœ, dont on a fait Lérins. C’est dans
cette île que se trouvait la plus ancienne abbaye des Gaules, fondée, vers l’an 410, par
saint Honorat, originaire de Toul, et dont la famille avait dont plusieurs consuls à
l’empire. Ayant quitté les déserts de l’Orient qui lui rappelaient la mort d’un de ses
intimes amis, il vint en Provence chercher une solitude près de Fréjus, à cause de la
grande vénération qu’il avait pour saint Léonce, évêque de cette ville.
Aidé du secours de cet évêque, le saint solitaire fit bâtir un monastère dans l’île de
Lérins, qui était alors déserte et infestée de serpens dont la plupart étaient venimeux.
Nombre de moines, de toutes les nations et des principales familles, vinrent y vivre,
pendant plusieurs siècles, dans la pratique des vertus et dans la sainteté. Beaucoup ont
illustré cette île par leur grand savoir. Aussi elle a fourni long-temps des évêques à
presque toutes les églises des Gaules.
Dans le huitième siècle, les Sarrasins surprirent cette île, s’emparèrent des moines,
auxquels ils proposèrent de grandes récompenses, s’ils consentaient à changer de
religion. Mais, les trouvant fermes dans la foi de Jésus-Christ, ils les firent mourir de la
manière la plus cruelle, à l’exception de cinq, dont quatre furent menés prisonniers.
Après avoir abattu les églises et rasé les bâtimens, les barbares se rembarquèrent pour
aller relâcher dans la rade d’Agay. Les quatre prisonniers prirent la fuite, marchèrent
toute la nuit dans les bois et les rochers, arrivèrent à Aralucis, c’est-à-dire là ou se
trouvait un temple ou les ruines d’un temple dédié à la lumière. Ils se tinrent cachés dans
un souterrain, et repassèrent le lendemain dans l’île, où ils eurent la douleur de trouver
plus de cinq cents de leurs frères morts. Ils leur rendirent les honneurs de la sépulture,
rappelèrent ceux qui étaient passés en Italie, et relevèrent en peu de temps le monastère.
Quelques années après, les Sarrasins y revinrent, mais ils n’eurent pas le temps d’y
exercer leurs cruautés. Ils ne purent assouvir leur rage qu’en 1109. C’était le jour de la
Pentecôte. Pendant que les pères étaient à chanter leur office, les barbares débarquèrent,
pillèrent le monastère et le livrèrent aux flammes.
En 1401, des pirates génois s’emparèrent de nuit et par escalade d’une tour qui se
trouvait dans l’île, et ils la gardèrent jusqu’à la fin de l’année, c’est-à-dire jusqu’à ce
que, faits prisonniers, ils eussent subi la peine capitale au pied de cette même tour.
Le pape Adrien V, en 1516, et François Ier, en l525, visitèrent cette île, en mémoire des
saints martyrs dont les restes se trouvaient dans cette terre. En 1554, les Espagnols la
saccagèrent. Douze ans après André Doria, général de la flotte de l’empereur, y
débarqua des troupes; en 1635, les Espagnols vinrent s’y fortifier et n’en furent chassés
que deux ans après: en 1746, les Anglais et Les Autrichiens vinrent y détruire la forêt
dont elle était couverte, et un an après ils furent forcés de l’abandonner. Au
commencement de la révolution française, nos troupes arrachèrent les vignes qui
auraient pu entraver leurs manœuvres.
Le monastère se trouve sur la pointe d’un rocher qui s’avance dans la mer. Il fut bâti en
1116, pour mettre les moines à l’abri de toute attaque de la part des barbares. Cet édifice
est carré, et ressemble à une forteresse. Il est surmonté d’une grande terrasse garnie de
créneaux; les murs sont en pierres de taille. Ils ont résisté au canon des flottes ennemies,
et plusieurs boulets sont encore attachés aux façades du côté de la mer. On passe sur un
pont-levis pour entrer dans le monastère. Une partie de l’intérieur est encore logeable;
l’autre menace de crouler bientôt. Le dessous du premier étage n’est qu’une vaste citerne
qui résonne au moindre tapage; l’escalier est très-grand; il se ressent du goût du
douzième siècle.
A l’entour de l’île on voit encore les vestiges de six petites chapelles qui ornaient le
monastère au centre. L’église, dont une partie est tombée depuis peu, était fort grande et
en pierres de taille, de même que deux chapelles qui y étaient contiguës. L’entrée de
l’église était décorée de deux colonnes de granit de l’Estérel; on y en voit encore une;
l’autre fut transportée à Marseille. Plusieurs inscriptions se trouvent encore dans le
cloître. La plus curieuse est celle qui se trouve sur un carré de marbre blanc, dans un
mur près du puits que saint Honorat fit creuser au centre de l’île, lequel puits fit
comparer ce saint à Moïse, pour avoir fait sortir de l’eau d’une pierre. Ce puits offre une
belle source d’eau excellente au-dessous du niveau de la mer.
Dans l’intérieur de l’île on voit encore beaucoup de petites cellules entourées d’une
petite enceinte de murailles.
Chaque moine en avait une pour venir s’y livrer à la méditation, et pour s’y distraire en y
cultivant quelques plantes. Le public qui visite ce lieu est pénétré d’un saint respect pour
une terre qui a été entièrement arrosée du sang d’une infinité de saints martyrs.
Cette île est d’une forme ovale, et d’environ une demi-lieue de circonférence, bordée de
rochers ne présentant que de petites anses accessibles à des bateaux. La surface est
presque unie; aussi le canon du fort de l’île Sainte-Marguerite la préserve de toute
invasion. Voilà pourquoi on devrait la cultiver, sans crainte de voir détruire les récoltes.
Elle donne du blé, des haricots verts exquis. Il y a beaucoup de cacie, dont la fleur est
vendue aux parfumeurs de Grasse. L’oranger y viendrait très-bien en plein vent, et ferait
de l’île un séjour enchanteur; car son point de vue est des plus agréables.
HYÈRES, Arœ, autrefois Nobile Castrum Arœarum. Ville chef-lieu de canton, à 4 lieues
de Toulon, sur le Gapeau, non loin de la mer. Cette ville est fort ancienne. Son origine
remonte à la plus haute antiquité. Je ne dirai point, pour lui donner une célébrité outrée,
qu’elle a été la capitale d’une peuplade celto-lygienne.... Je serais contredit par la
vraisemblance et par la saine raison. Mais je prouverai que ce lieu est habité depuis un
temps immémorial, et je suis persuadé que tous mes lecteurs se rangeront de mon avis.
Tous les auteurs anciens qui ont écrit sur la Provence, s’accordent à dire que les
Bormani, peuple celto-lygien, occupaient la côte maritime de Bormes et d’Hyères; et
que ce peuple avait pour voisins, d’un côté les Commoni, et de l’autre les Camatulici.
D’après cela, il résulterait que le pays des Bormani n’avait sur le littoral qu’une largeur
de sept à huit lieues, espace fort rétréci pour un peuple qui avait besoin d’une vaste
étendue de terres, pour s’y livrer à l’exercice de la chasse. De nouvelles observations,
que je viens de faire sur le lieu même, m’ont prouvé clairement que les Bormani ont dû
occuper nécessairement toute la vallée de le Gapeau jusqu’à sa source, ainsi que celle du
Riou-Martin jusqu’à l’extrémité du territoire de Pignans. Je dis plus, la situation des
lieux m’a convaincu que ce peuple avait son chef-lieu à l’endroit même où se trouve
Solliès-Ville, et une bourgade sur la hauteur qui domine la ville de Cuers.
Mais, ainsi que tous les autres peuples dont les territoires avoisinaient la mer, les
Bormani avaient établi près de la côte des cabanes pour ceux qui se livraient à la pêche
et à la piraterie; et ces cabanes se trouvaient sur l’amphithéâtre où est la ville d’Hyères,
et au pied d’un retranchement naturel qui a dû être le poste le plus fort de toute la
contrée.
Les Cénomani, peuple celte qui avait suivi Bellovèse dans sa migration, et qui
l’abandonna pour s’établir sur le littoral, depuis Marseille jusqu’au Var; les Cénomani,
dis-je, vinrent augmenter le nombre des cabanes des pêcheurs bormani, tout comme ils
augmentèrent celles des pêcheurs sueltériens, à l’endroit même où se trouve la ville de
Fréjus, Quelques-uns, secondés par des Marseillais commerçans, jetèrent les fondemens
de la ville d’Olbia sur le bord de la mer, à l’est du golfe d’Hyères, et à peu près au même
endroit qui porte encore le nom de port de l’Eoubo. Ceux qui ont prétendu qu’Olbia était
le même que la ville d’Hyères d’aujourd’hui, se trompent bien certainement; car les
Marseillais, n’ayant établi le premier que pour servir de comptoirs et de relâche aux
navires n’auraient pas choisi le haut d’une montagne à une lieue du rivage de la mer, où
il était impossible de faite arriver les vaisseaux.
Les Romains, à leur tour, fondèrent une station maritime au nord de la rade de Giens, et
sur le revers méridional de la colline de Saint Salvadour. Cette station fut nommée
Pomponiana. Elle devint considérable, puisque les ruines qu’on y découvre encore
occupent un espace d’environ dix-sept mille toises carrées; mais cela ne l’empêcha pas
d’être abandonnée.
Les habitans d’Olbia et de Pomponiana, trouvant plus d’intérêt à cultiver les terres qu’à
se livrer au commerce maritime, pour lequel ils ne se croyaient point nés, et étant
fréquemment troublés par les pirates qui infestaient ces parages, abandonnèrent leurs
villes pour venir augmenter la population qui se trouvait protégée par un fort naturel et,
pour ainsi dire imprenable. Les nouvelles habitations furent construites sur un plateau où
l’on avait usage de battre les grains, c’est-à-dire sur la place de l’Aire, en provençal ièro
ou hyère; et comme cette partie de la ville devint bientôt la plus considérable, elle donna
son nom à la partie ancienne, dont le nom primitif est tout-à-fait oublié: peut-être
portait-il le nom de Mas Bormani, ce qui signifierait cabanes des Bormani. Les
nouveaux habitans, n’ayant d’autre eau potable que celle de la source de l’Humino, tout-
à-fait au-dessus de la colline, firent venir celles de la source de Mounacho, qui est dans
la terre de la Castille, par le moyen d’un aqueduc. Ensuite ils embellirent la ville de
plusieurs monumens qui ont entièrement disparu, par l’effet désastreux des différentes
incursions des barbares africains, qui détruisirent tout et menèrent une grande partie des
habitans en esclavage.
Après l’expulsion des Sarrasins du Fraxinet, la ville fut reconstruite; l’église paroissiale
fut bâtie sur les ruines d’un temple païen dédié à Bacchus. Les seules preuves qui en
restent sont quelques chapiteaux ornés de feuilles de vigne.
Comme les anciennes fontaines et les aqueducs avaient été détruits, on creusa d’abord
quelques puits sur la hauteur; ensuite on fit venir les eaux de la source dite la Maire, qui
se trouve sur le penchant d’une colline en face de la ville, et du côté de la mer. Ce sont
ces eaux qui alimentent les fontaines actuelles.
Dans la campagne d’Hyères, et sur la rive droite du torrent de Borrel, on a découvert les
ruines d’une villa qui a dû appartenir à une riche famille romaine. On sait qu’auprès de
l’urbania, partie d’une maison de campagne où logeait le maître, les Romains
établissaient toujours un temple plus ou moins vaste ou élégant, qu’ils dédiaient à une
divinité particulière. Ce temple n’était ordinairement qu’un simple oratoire; mais
quelquefois c’était un monoptère spacieux, enrichi de pièces d’architecture analogue au
bon goût et à la munificence de celui qui le faisait construire. Parmi les vestiges
récemment découverts près de cette villa, devait être une mosaïque servant de tapis au-
devant de l’autel ou au-devant de l’endroit où se trouvait le trépied sacré, et où le prêtre
rendait ses oracles. Cette mosaïque, en effet, se trouve encore dans la terre. Elle n’a pas
assez d’étendue pour qu’elle ait dû servir à décorer une pièce d’appartement, quoique en
général elles fussent petites.
Quelques restes de bâtisse ancienne en ce même lieu ont été prises pour celles d’une
salle de bains.
Je ne sais trop si les riches et sensuels habitans de cette époque ne leur auraient point
préféré celles qui furent par eux amenées à la ville, et dont nous parlerons bientôt. Je ne
pense pas qu’ils se servissent de celles du Borrel, attendu que ce torrent coule rarement
en été, saison convenable pour prendre des bains.
Sur la colline qui domine la ville d’Hyères, on a trouvé, à différentes époques, des
pierres votives et des pierres tumulaires, la plupart portant inscription; et dans la
campagne, des tombeaux reconnus pour avait servi aux premiers chrétiens, en ce qu’ils
portaient des croix et qu’ils renfermaient un bénitier et à-peu-près le même mobilier que
ceux des païens.
Parmi les ruines de Pomponiana, on reconnaît encore aujourd’hui celles de plusieurs
édifices; et en fouillant dans la terre, on rencontre des arceaux en bâtisse, des restes
d’aqueducs qui amenaient vraisemblablement les eaux de la petite source de Saint-
S a l v a d o u r, un quai, des fragmens de mosaïque, des débris de tuiles romaines, de
vaisselles communes, etc.
Au quartier de Notre-Dame de la Crau, on a trouvé dernièrement, en creusant les terres,
une briqueterie de construction sarrasine, et des tombeaux en briques avec ossemens,
preuve incontestable que les barbares africains ont séjourné dans le pays.
Le château de la ville d’Hyères, réputé imprenable à cause de son heureuse situation,
occupait une grande partie de la montagne qui domine la ville. Il fut assiégé par les
comtes de Provence, par Raymond de Turenne, par les carcistes et par les troupes de
Henri IV; il opposa toujours une résistance opiniâtre.
Le baron de Vins, voulant venger ses cavaliers massacrés par les gens du pays dans le
territoire de Cuers, vint essayer de surprendre la place; mais il fut forcé de battre en
retraite, après avoir laissé un grand nombre de ses soldats morts sous les remparts.
Le duc d’Épernon, gouverneur de la Provence sous Henri IV, ayant l’indigne projet de
trahir le roi, qui l’avait honoré de sa confiance, ordonna à M. de Signans de défendre et
de conserver le château d’Hyères jusqu’à la mort, pour ne le céder qu’aux troupes du
duc de Mayenne, ennemi du roi.
M. de Grésil, père de M. de Signans, quoiqu’il sût que son fils commandait cette place,
accepta l’ordre du roi pour aller s’en emparer, pleinement persuadé que son fils ne
méconnaîtrait point son père, et ne voudrait point servir une autre cause que celle de
l’honneur. Mais ce fils, indigne du nom de fils, du nom de Français, indigne de la famille
à laquelle il appartenait, non seulement méprisa toutes les remontrances de son père, non
seulement il lui opposa une vigoureuse résistance et le repoussa avec des pertes
considérables, mais, peu de jours après, comme son père se présenta à lui, seul et sans
armes, dans la vue de le rappeler au devoir et à l’honneur, il se saisit brutalement de ce
vieillard, le recommanda sévèrement à des geôliers, qui le chargèrent à l’instant de
chaînes et l’ensevelirent vivant dans un cachot. On peut, d’après ce fait, juger des mœurs
du parti qui s’était armé contre la légitimité de Henri IV.
Le roi, indigné de cet événement, ordonne au duc de Guise de venir s’emparer de vive
force du château d’Hyères, d’en chasser les ligueurs, et de délivrer par là les habitans de
l’oppression d’un soldat inhumain; Six mois après, le château et les autres fortifications
n’offrirent plus qu’un monceau de décombres.
Henri IV ne manqua pas de venir visiter sa bonne ville d’Hyères, et sa présence
dédommagea les habitans de tout le mal qu’ils avaient éprouvé pendant le siége. Le roi
fut conduit dans l’église Saint-Louis, fondée par Louis IX, lorsqu’à son retour de la terre
sainte, il débarqua à Hyères avec sa femme et ses enfans.
En 1707, l’armée navale d’Angleterre, venue exprès pour favoriser le duc de Savoie
lorsqu’il assiégeait Toulon, débarqua à Hyères quelques troupes, qui se crurent
généreuses, parce qu’elles n’exercèrent aucune cruauté sur les personnes. Elles se
contentèrent seulement de piller les campagnes, de brûler les grains, de couper les
arbres, et de répandre à terre l’huile et le vin qu’elles ne pouvaient consommer. Les
malades et les blessés savoyards furent envoyés à Hyères pour y être soignés; mais
l’insalubrité du pays les faisait périr par centaine. Les habitans loin de se venger sur ces
malheureux des outrages reçus de la part des Anglais, leur prodiguèrent leurs soins et
leur fournirent généreusement ce qui leur était nécessaire, exemple frappant du caractère
des Provençaux, qui oublient facilement le mal qu’ils ont reçu, pour ne s’occuper que du
bien que l’humanité leur commande de faire.
Le climat d’Hyères est tempéré en hiver, et très-chaud en été. Une grande partie du sol
est fertile, et ses productions sont précoces. Au quartier du Riolet il y avait autrefois des
rizières très-productives qui attiraient beaucoup d’argent au pays; mais l’idée qu’elles
étaient cause de l’insalubrité du territoire, fit qu’on les abandonna à pure perte. Le
coteau qui abrite la ville est couvert de beaux oliviers qui sont d’un bon produit, et la
partie de la plaine qui l’avoisine n’offre que des jardins et des vergers, les uns donnant
toutes sortes de primeurs, les autres n’offrant presque qu’orangers, citronniers, poncires,
cédras, bigarradiers, qui y viennent en plein vent, ainsi que plusieurs autres plantes
qu’on peut s’y procurer, telles que l’acacia julibrissin, l’aloisla citrodora, l’andropagan
squar-rosus-veti-vert de l’Inde, l’arundo bombos, le calycanthus prœcox, le cassia
corymbosa, le casuarina equiseti folia, le jasminum grandiflorum, la justicia adathoda, la
lagerstro emina indica, le magnolia grandiflora, le melaleuca linarifolia, le melia
azedarach, le metrosideros alba, le nerium splendens, le phaseolus caracala, le phlomis
leanurus, le phœnis dactilifera, le pittosporum sinense, le polygala speciosa, le prunus
lusitanica, la rosa banksiana alba, le saccharum officinarum, la visnea mocanera, l’yuccà
aloifolia, etc. Un seul jardin donne souvent dans une année pour vingt-quatre mille
francs de fruits, sans compter les produits des fraises, des légumes et des fleurs de
parterre. Ces produits, joints à ceux de l’huile et de la grande quantité de vin du pays,
forment en cette ville un commerce continuel et toujours lucratif; aussi le sol du pays est
estimé a des prix exhorbitans. Le seul emplacement de la remise de l’Hôtel des
Ambassadeurs fut, dit-on, vendu plus de dix mille francs. Cet hôtel peut rivaliser avec
avantage ceux qui se trouvent dans la plupart des grandes villes, soit sous le rapport de
l’élégance et de la commodité, soit sous celui des soins assidus et de la bonne chère, qui
ne déplaisent jamais aux voyageurs.
Le territoire d’Hyères a été long-temps sous l’influence des miasmes méphitiques des
marais qui l’avoisinaient. Mais depuis qu’on a facilité l’écoulement des eaux du Gapeau
vers son embouchure, qu’on a comblé bien des fossés et remis en culture la plupart des
terres basses, la ville d’Hyères et son territoire sont devenus aussi salubres qu’on pouvait
l’espérer. Aussi cette année (1835), funeste dans presque toute la Provence à cause des
ravages qu’elle a essuyés par le Choléra morbus indien, la ville d’Hyères en a, pour ainsi
dire, été exempte, tandis que des villes très-saines en ont été désolées. Nous citerons
principalement Marseille, Toulon, Aix, Arles, Brignoles, Saint-Chamas, Antibes,
Lorgues, Cagnes, la Valette, Figanières, Fayence, Ampus, le Muy, etc.
Cette ville est un séjour fort agréable aux étrangers, notamment à une multitude de
familles anglaises qui viennent tous les ans y passer le quartier d’hiver, pour y jouir de la
douceur et de la beauté du climat, de la vue d’une campagne toujours verte et toujours
ornée de fleurs et de fruits. D’après cela, jugez de ce que la ville d’Hyères devait être du
temps où les Romains y avaient amené, par un bel aqueduc dont on découvre encore des
vestiges sur plusieurs points, les eaux claires et limpides,de l’abondante source du Thon,
qui sort d’un rocher, derrière le village de Solliès-Toucas. Si cet aqueduc était rétabli, ce
qui ne serait ni bien pénible ni fort coûteux, et que les belles eaux du Thon arrivassent
encore à Hyères, il n’y a point de doute qu’elles ne rendissent l’air de ce pays aussi sain
que du temps des Romains; que la plupart des riches familles qui viennent passer la
saison du froid en cette ville, n’y séjournassent toute l’année; qu’un grand nombre de
cultivateurs étrangers ne vinssent augmenter la population; que toute la partie inculte de
la plaine ne fût rendue en peu de temps à sa fertilité primitive; c’est alors que le pays
mériterait bien les titres qu’on lui donne, celui de jardin de la Provence, et celui
d’Hespérie de la France.
La ville d’Hyères devait un monument à la mémoire d’un de ses enfans, qui illustra la
chaire évangélique. Elle s’est acquittée de ce devoir avec convenance, et tous les
étrangers qui visitent cette ville se font un plaisir d’aller saluer l’image du célèbre
Massillon. Mais la ville d’Hyères doit, selon moi, un même égard, et de plus un tribut
de reconnaissance à la mémoire de Jean Natte, parce que c’est à lui qu’elle doit une
grande partie de sa richesse. Jean Natte, ayant conçu le louable projet de donner la vie et
la fécondité à la campagne du lieu qui l’avait vu naître, communiqua son moyen à
l’autorité locale de cette époque. Mais, celle-ci, prévenue défavorablement contre un
homme qui n’avait d’autre expérience et d’autre recommandation que la solidité de
son génie, se rit d’un projet qu’elle aurait dû admirer et encourager; Natte, qui voulait à
toute force faire le bien de ce pays, ne se rebuta point du dédain qu’il avait éprouvé
d’abord; il partit pour Aix, se fit présenter au roi René, lui soumit son plan et sollicita sa
protection. Il l’obtint facilement, et l’on trouve encore dans les archives de la cour des
comtes, registre Tauris, fol. 110, l’ordonnance royale du 16 mars 1462, qui autorise Jean
Natte de faire monter les eaux de la rivière de Gapel dans la ville d’Hyères. Muni d’un
ordre supérieur, Jean Natte retourne à Hyères, et en dépit de la prévention,
malheureusement trop en vogue dans les petits endroits, il amène de force les eaux de la
Gapeau au pied de la ville et dans les magnifiques jardins qui en font la richesse et
l’ornement.
Ce canal, pris à environ 7,ooo mètres en dessus de la ville, commença de faire pour la
salubrité du lieu ce que les eaux du Thon pourraient achever, si un autre Jean Natte
daignait se charger de cette entreprise.
La plaine, qui se trouve au midi de la ville, est d’une vaste étendue; mais plus elle
approche de la mer, plus elle devient infertile, à cause des sables et de l’aridité du sol.
Au fond de cette plaine se trouve la presqu’île de Giens, qui contient l’étang de Pesquier.
Cette pointe du continent sépare deux belles rades. Celle à l’est est la rade d’Hyères; elle
est très sûre, et l’on n’y a jamais vu de naufrages. Du temps des croisades, on s’y
embarquait pour la terre sainte.
Ce fut dans cette rade que saint Louis et sa famillet, prirent terre, lorsqu’ils revinrent du
pays des infidèles.
La rade à l’ouest est la rade de Giens. C’est dans la rade d’Hyères qu’en 1830, se réunit
la fameuse flotte de cinq ou six cents voiles, chargée de toutes les troupes
expéditionnaires qui allèrent faire la conquête d’Alger, de tout le matériel, des munitions
de guerre et de bouche nécessaires à cette armée.
Au quartier de Saint-Laurent, et au bord de la mer, sont les salines, divisées dans
plusieurs enclos: où se trouvent nombre de puits à bras ou à roue. Le canal de la Foux y
conduit les eaux de la mer. Ces salines sont aujourd’hui dans une grande activité, et
occupent un tel nombre d’ouvriers, que ce quartier est aussi peuplé que bien des gros
villages.
Près de l’ermitage de Notre-Dame se trouve une grotte dite des Fées. Elle est souvent
visitée à cause des pièces de stalactites qu’on y voit. La chapelle de Notre-Dame est fort
jolie et bien entretenue. On y voit un tableau de Pujet; il représente les douze Apôtres
allant visiter le Saint Sépulcre.
Au quartier de Saint-Salvadour, il y avait autrefois un monastère d’hommes connu sous
le nom de Saint-Pierre d’Alinanare. Il fut ensuite cédé à des religieuses. Les pirates
venaient souvent le menacer, et les Maures le détruisirent en 1406. Ses ruines sont
confondues avec celles de Pomponiana; mais il est facile de les distinguer sous le
rapport de la construction.
On trouve au cap de Carqueyranne, de la malachiste dont on a poli quelques fragmens
pour orner des bracelets. C’est vraisemblablement de lapis lazuli que Gassendi assure
avoir été découvert par Peyresc.
Ce cap est tout-à-fait à l’opposé de Brégançon ou Bergançon, petite île avec un château
fort, séparée de la côte de Bormes par un canal étroit où l’on a construit une jetée. C’est
dans cet îlot que, selon Étienne de Byzance, se trouvait Pergantium, ville celto-
lygurienne. Cela étant, nous pouvons assurer, sans crainte d’être contredits, que cette
ville devait être moindre que la plupart de nos petits villages, car cette île n’est qu’un
rocher aride, d’une très-petite étendue, qui offre à peine l’emplacement d’un fort où l’on
tient toute l’année une vingtaine d’hommes de garnison. La côte voisine est aussi aride
que celle de l’Eoube qui en est à une demi-lieue au plus.
Toute la campagne aux environs de la ville d’Hyères est décorée d’une multitude de
belles maisons de plaisance, la plupart occupées par des familles étrangères qui viennent
y dépenser une partie de leurs revenus. Il arrive souvent qu’elles y donnent des fêtes et
des soirées aussi brillantes que chez les principaux habitans des villes de premier ordre.
La ville d’Hyères offre des filatures pour la soie, car on commence d’y planter beaucoup
de mûriers; des distilleries d’eau-de-vie de rafle et d’eau de fleur d’oranger. Elle a trois
foires dans l’année: le 1er mai, le 25 août et le 15 décembre. Le territoire seul forme tout
le canton. Population 7,200 habitans, y compris ceux du joli hameau de la Crau, au
nombre d’environ 1,500, plus suffisant qu’il ne faut pour former une commune
particulière.
Le hameau de la Crau, à une lieue et demie d’Hyères, s’accroît journellement et d’une
manière très-sensible. Il est tout en plaine et traversé par le canal Jean Natte, dont nous
venons de parler. Deux seules rues forment ce hameau, mais elles sont fort larges, bien
alignées, et se croisent au milieu. Dans une de ces rues devrait passer une route
départementale d’Hyères à Solliès-Farlède; elle faciliterait l’importation du sel, des
oranges et des primeurs dans les quatre cinquièmes du département du Var et dans toutes
les Basses et les Hautes-Alpes. L’autre rue pourrait servir à une nouvelle route, de
Pierrefeu à Toulon; elle serait plus courte, plus directe et plus agréable que la route
actuelle qui, par un long et ennuyeux circuit, va passer au quartier des Salins, où les
charretiers et les voyageurs ne trouvent pas la moindre ressource. Déjà, sur la direction
de la Crau à Pierrefeu, on a jeté sur le Gapeau un pont très-convenable; qu’on en
construise un second sur le Real-Martin, et cette route, si utile au transport des vins,
s’établira d’elle-même, et le hameau de la Crau en retirera un avantage si grand, qu’en
peu d’années les fortunes seront augmentées d’un tiers.
Les îles d’Hyères, ou îles d’Or, furent d’abord nommées Insulœ stœchades, à cause de la
grande quantité de lavande (stœchades) qu’on y trouvait. Ces îles, en face d’Hyères, sont
au nombre de trois habitées, et une déserte. Elles sont célèbres par la mort de Valens,
capitaine de Vitellius. Ce Valens, voulant trahir son maître, s’était emparé de sa flotte
dans la Gaule narbonnaise, et cherchait à soulever tous les peuples de l’Italie. Une
tempête l’ayant jeté sur les Stœchades, il y fut attaqué par quelques navires sortis du port
de Fréjus, et commandés par Valère Paulin qui agissait pour Vespasien, nouvel empereur
qui avait été proclamé par les troupes. Valens eut la tête tranchée, et sa mort décida les
Vitelliens à reconnaître l’autorité de Vespasien, digne du rang où il venait d’être élevé.
L’île dite du Levant ou de Titan est la plus à l’est, et à 7 lieues d’Hyères. On l’appelait
autrefois Hypœa. Elle a très-peu d’habitans, à cause de la grande quantité d’écueils et de
rochers à fleur d’eau qui l’entourent.
Elle offre des carrières de talc blanc et de talc jaune à lames fort unies.
L’île de Port-Cros, ainsi appelée d’un port très profond nommé Port-Maye, où les
vaisseaux peuvent mouiller par trois ou quatre brasses d’eau. Elle est à 6 lieues un tiers
d’Hyères. Cette île, qui est la plus haute de toutes, fut appelée par les anciens Mèze, à
cause de sa position au milieu des autres. On y établit une batterie, lors de la dernière
guerre continentale. On y trouve une grande quantité de granits, dont quelques-uns
renferment des géodes, que beaucoup de personnes prennent pour des grenats.
L’île de Porquerolles est celle la plus à l’ouest, et, par conséquent, la plus voisine de
Toulon et d’Hyères. Elle ne se trouve qu’à 4 lieues de la dernière. Elle est la plus
considérable par ses fortifications et par le nombre de ses habitans. Les anciens Grecs la
nommèrent Prote. Les modernes lui ont donné le nom de Porquerolles, du latin Porcus,
attendu qu’à cette époque, une grande quantité de sangliers sortaient des forêts du
continent, et venaient, à la nage, manger les glands qui se trouvaient dans cette île.
Il n’y a pas long-temps que cette île contenait beaucoup de faisans; mais le long séjour
des troupes les a entièrement détruits.
Les îles d’Hyères ont appartenu successivement à toutes les nations du monde. Les
Lyguriens en dépossédèrent les Celto-Lygiens; les Romains en chassèrent les Lyguriens;
les Grecs y établirent de douces et paisibles colonies; les Maures et les barbares du Nord
y régnèrent tour à tour. Le christianisme y conduisit de pieux solitaires sortis de l’île de
Lérins; mais, en 1198, ils y furent surpris par des Sarrasins et menés en esclavage.
Nombre de leurs successeurs y éprouvèrent plus tard une semblable persécution. Dans le
seizième siècle, par suite d’un édit de Henri II, une troupe de scélérats et de femmes
libertines et sans pudeur y furent relégués comme sur une terre d’exil. En 1654, un faible
reste de ces colons repoussés de la société, s’adonnèrent à la piraterie et attaquèrent
indistinctement les navires de toutes sortes de pavillons; ils allaient s’en emparer jusque
dans les ports du continent. Les gouverneurs de ces îles soutenaient ce brigandage, qui
pesait principalement sur les Provençaux. Heureusement Louis XIV réprima cette
conduite, et fit restituer aux Provençaux ce qui leur avait été enlevé par ces forbans.
I
IF. C’est le même que Château-d’If. Voyez MARSEILLE.
ILE OU L’ILE, Insulœ. Ville chef-lieu de canton, à 3 lieues et demie d’Avignon, sur la
Sorgue, dans une plaine fertile et agréable. Elle est ceinte de murailles, autour desquelles
coule la rivière dans une espèce de fossé ; c’est de là que lui vient le nom de L’Ile.
Ce lieu n’était autrefois qu’un vaste marais. Mais comme la rivière était fort
poissonneuse, quelques personnes, amateurs de la pêche, y bâtirent plusieurs cabanes
qui, en peu d’années, furent converties en maisons.
Ces premiers habitans en attirèrent d’autres, et, tous réunis, formèrent un bourg qui fut
nommé Saint-Pierre. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la ville Vieille. On entoura ce
bourg, de murailles et de fossés qui le rendirent fort. Les habitans des villages de Saint-
Antoine et de Vélorgues, étant sans défense, se réfugièrent à Saint-Pierre, pour se
préserver des troupes qui pillaient et saccageaient les petits endroits, notamment ceux
des environs. Le lieu devint alors beaucoup plus important. Les marais furent desséchés.
Le sol, mis en culture, donnait des récoltes si abondantes, que tout le monde y fut bientôt
dans l’aisance. Chacun s’attacha à embellir sa maison, et à attirer au pays des personnes
opulentes et tout ce qui pouvait lui donner quelque considération. Aussi on y a tenu deux
conciles, l’un dans le treizième siècle, et l’autre dans le quatorzième.
La ville actuelle a des fabriques de couvertures de laine. On y commerce à la soie et aux
cuirs tannés. Le sol produit de tout abondamment, principalement du blé, du vin, de
l’huile, du foin, des fruits et des mûriers. Les dehors de la ville offrent des promenades
fort gracieuses et en grande partie ombragées. Les foires sont, le 2 février, le 12 mai, le
27 août et le 11 septembre. Pop. 6, 060 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, L’Ile, Cabrières, Château-
Neuf de Gadagnes, Jonquerètes, Lagnes, Saint-Saturnin, Saumanes, Thor et Vaucluse.
INCARUS. Autre position de l’itinéraire maritime, qui répond au lieu de Carri, au midi
de Château-Neuf-les-Martigues.
ISSOLI ou ISSOLET. Autre rivière qui passe à Thorame, et se jette dans le Verdon, près
du village de Saint-André. Autrefois l’Issole ne perdait son nom qu’en se jetant dans la
Durance, près de Vinon. Mais aujourd’hui le Verdon, reconnu plus considérable et
venant de plus loin que l’Issole, a fait oublier le nom de ce dernier dans tout le pays
qu’ils baignent de concert en dessous de leur jonction.
ISTRES, Istrium, Castrum Istrio. Ville chef-lieu de canton, à 8 lieues et demie d’Aix, sur
l’étang de Berre et le petit étang de l’Olivier.
Le nom de cette ville dérive de la grande quantité d’huîtres fossiles ( Octriosus ) qui
composent la colline qui lui sert de base. Les premiers fondemens de la ville d’Istres
furent jetés par les Avaticiens échappés de la ville de Maritima, lorsqu’elle fut saccagée
par les premiers Sarrasins qui pénétrèrent en Provence ; et la ville devint importante par
la réunion d’une partie de la population d’Astromela, capitale des Saliens, qui fut
détruite par Euric, roi des Wisigoths. Istres est divisé en ancienne ville et en faubourgs.
Tout ce qui est ancien se ressent des siècles de mauvais goût ; mais tout ce qui est
moderne est infiniment mieux bâti et, par cette raison, mieux habité.
Les environs d’Istres présentent une suite de collines qui bordent l’étang de Berre. Elles
sont toutes de grès coquillier tertiaire, renfermant une prodigieuse quantité de coquilles
fossiles, parmi lesquelles les ostracites surabondent. Quelques-unes de ces collines sont
couvertes de chênes sur lesquels on recueille le kermès, insecte propre pour la teinture.
La pente de ces collines, qui tourne à l’est vers l’étang de Berre, est une lisière
soigneusement cultivée, dont l’aspect est très-pittoresque. C’est là que se trouve la grotte
dont parle Darluc, et le singulier monument élevé, par les gens du pays, à la memoire du
bailli de Suffren : c’est une roche placée par la nature au milieu d’un vallon romantique,
à laquelle l’art a donné la forme d’un vaisseau de ligne.
La pente occidentale des collines est couverte de vignes, d’oliviers et de prairies. Une
lisière de la plaine, arrosée par les canaux de Craponne et de Boisgelin, n’est qu’un
jardin très-productif. Le reste est la plaine de la Crau et des étangs, où se trouvent des
fabriques de soude factice.
Les femmes d’Istres ont un costume qui approche de celui des Arlésiennes. Elles se
chargent et se parent avec ostentation ; elles ne se piquent pas de suivre les modes ; elles
tiennent opiniâtrement aux anciennes coutumes. Les habitans ont un tel attachement
pour leur pays, qu’ils ne s’en éloignent que forcément. Ils mettent une sorte d’affectation
à ne point frayer ni s’allier avec leurs voisins, afin de conserver les traits originels et les
usages de leurs aïeux. Aussi ils ont conservé quatre sortes de danses fort anciennes. La
plus curieuse est celle dite des épées. Elle fut sans doute introduite dans la Celto-Lygie
par les Phocéens. Néoptolème, fils d’Achille et de Déidamie, l’enseigna aux Crétois, et
donna à cette danse le nom de Pyrrichie. La fable dit que les Curètes inventèrent cette
danse, pour amuser le petit Jupiter avec leurs épées dont ils frappaient sur leurs
boucliers. Cette danse s’exécute à Istres toujours le soir. Les danseurs ont un tour de
grelots à chaque genou, une orange à la main gauche, et une épée nue à la main droite.
Le danseur est entre deux danseuses, et figure alternativement avec elles, en leur
présentant l’orange, qui représente sans doute la pomme d’or des Hespérides. Ces
triolets se croisent d’une manière très-compliquée, et en observant toujours la mesure.
Les uns et les autres brandissent leurs épées, les frappent en cadence, de manière à
figurer un combat.
A Istres on ne connaît d’autre genre de commerce que celui de la soie, du kermès, et de
la vente des moûles très-renommées, que l’on pêche dans l’étang de l’Olivier. Tout le
monde y est ou berger ou agriculteur. Le climat est temperé en hiver, et assez chaud en
été. Le sol fournit de l’huile, du vin, du blé, des légumes, des amandes, du foin et de
toutes sortes de fruits. Il y a trois foires dans l’année, le 3 février, le 3 août et le 2
Octobre. Pop. 2, 900 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Istres, Saint-Chamas, Fos et
Saint-Mître,
Cemenellum.
Varum flumen, mille pas VI. - Antipolim, X. - Ad Horrea, XII. - Forum Julii, XVIII. -
Forum Voconii, XXII. - Papon dit XXIV.
Matavonem, XXII. - Ad Turrem. XIV. - Tegulatum, XVI. - Aquas-Sextias, XVI. -
Massiliam, XVIII. - Calcaria, XIV. - Fossas Marianas, XXIV. - Quelques-uns disent,
XXX IV.
Arelate, XXXIII. - Ernaginum, VII. - Glanum, XII. - Cabellinem, XVI. - Apta Juliam,
XII. - Catolucum, XVI. - Alaunium, XVI. - Segusteronem, XXIV. - Alabontem, XVI.
Cemenello.
Varum flumen, VI. - Antipoli, X. - Ad Horrea, XII. - Foro Julii, XVII. - Foro Voconii,
XVII. - Matavone, XXII. -
Ad Turrem, XVII. - Tegulata, XVI. - Aquis-Sextiis, XV. - Arelate. - Ernagena. - Glano,
XII. - Cabelline, XII. - Ad Fines, XII. - Apta Julia, XII. - Catuiacia, XII. - Alaunio, XVI.
- segusterone. XIV. - Alaronte. XII.
AUTRE.
Foro Voconii.
Anteis. XVIII. - Reis Apollinaris. XXXII
M
MACHOVILLA OU MACHAO. Selon Grégoire de Tours, Machovilla était un lieu situé
dans le territoire d’Avignon;
H. Bouche prétend que ce nom appartenait à l’ancienne ville de L’Ile; Papon, parce qu’il
a lu quelque part que Menerbe s’appelait autrefois Manancha, croit que cette ville était
la même que Machovilla. Comme il est possible que ces trois auteurs se soient trompés,
nous n’adopterons l’opinion ni des uns ni des autres.
MAESTRAL, que l’on prononce Mistral. Vent impétueux qui règne principalement en
Provence. Caton est le plus ancien auteur qui parle de ce vent terrible, qui, dit-il, jetait à
terre un homme armé, et renversait un chariot chargé. Sous le règne d’Auguste, ce vent
renversait même les maisons, et faisait de tels ravages, que cet empereur éleva un autel
au Maëstral, et fit vœu d’offrir des sacrifices à cette nouvelle divinité.
Ce vent, appelé par nos marins Nord-Ouest, et qu’ils prononcent comme Norrat, est le
Skiron des Grecs et le Circius des Latins. Il prend naissance dans toute la région des
Cévennes, et se dirige vers le Rhône, d’où il s’étend dans la basse Provence et dans le
Languedoc.
Ce vent succède presque toujours aux temps pluvieux et il suffit de quelques gouttes de
pluie pour le faire naître, ce qui est cause qu’il désole la campagne. Cependant, en été, il
donne quelquefois une pluie subite qu’on appelle Mistralado. Les agriculteurs font là
remarque que, lorsque après le coucher du soleil, il paraît des éclairs du côté du Rhône,
c’est immanquable que sous quelques heures on n’éprouve un orage; ce qui arrive
souvent du temps que l’on foule les blés. Ce vent dure ordinairement trois jours,
quelquefois neuf et rarement douze. On a remarqué que, lorsqu’il cesse au coucher du
soleil, il reprend le lendemain avec plus de force; et que lorsqu’il continue de souffler
après le crépuscule du soir, il diminue de force et cesse ordinairement à minuit. Mais
cela n’arrive pas toujours, à telle enseigne, qu’en 1769 et 1770, ce vent régna pendant
quatorze mois de suite, sans qu’on ait pu expliquer ce phénomène.
Le Maëstral, qui cause tant de ravages dans la Provence, ne s’étend à guère plus de deux
ou trois lieues en mer. On ne le connaît pas en Corse ni même à Nice. Il ne souffle que
sur la lisière de la côte, et il semble avoir besoin, pour se soutenir, d’éprouver la pression
latérale des chaînes de montagnes. C’est en se resserrant dans les nombreuses vallées de
la Provence qu’il augmente de force et de vitesse. Aussitôt qu’il débouche dans la mer, il
se dilate et se perd dans l’immensité de l’horizon.
Le peuple d’une partie de la Provence donne à tort le nom de Maëstral à tous les vents
indistinctement qui suivent la même direction, c’est-à-dire qui viennent du côté du
couchant. Quelques-uns appellent ces derniers, vents droits ou temps droit.
MAIME (SAINT). Village sur une hauteur, à une lieue de Forcalquier son chef-lieu
d’arrondissement et de canton. Entre ce village, celui de Dauphin et celui de Mane, il y a
une grande plaine coupée par les restes d’un vieux chemin appelé chemin Seinet, nom
que quelques-uns croient être une corruption de Sanguinea (voie de sang).
Ce n’était autre que la voie romaine qui d’Apt allait à Sisteron et dans les Alpes. Une
partie de cette plaine s’appelle encore Champ Prélien, Campus Prœlii, et une autre partie
Champ-Férons, Campus Ferox, ce qui semble attester qu’il y eut là une bataille des plus
sanglantes. Entre ces deux champs, il existe un point qu’on nomme les Encontres, dont
la tradition fait le point de rencontre de deux armées, et celui où se donna le premier
choc. Quoiqu’on ne puisse pas s’en rapporter aux traditions, surtout pour des faits qui
datent d’une époque très-reculée, celle-ci fait exception à la règle, attendu que nous
avons des preuves sensibles qui viennent à l’appui de ce fait.
Il y a quarante ans environ, qu’en plantant une vigne dans la terre de Saint-Clair, qui fait
partie du Champ-Prélien, on découvrit, en creusant les tranchées, près de seize cents
squelettes couches sur le dos, les uns à côté des autres, ayant les bras étendus le long
corps, sans avoir subi le moindre dérangement. Tous paraissaient être les restes
d’hommes d’une haute taille, fort vigoureux, et dans la fleur de l’âge; car ils avaient les
mâchoires garnies de leurs dents.
Depuis cette découverte, chacun dans le pays se demande à quelle occasion eut lieu cette
bataille, quels sont les peuples qui sont venus arroser de leur sang cette plaine dont on
n’a encore effondré qu’une bien faible partie. L’histoire reste muette, et l’on ne peut
faire que des conjectures plus ou moins vraisemblables. Aussi les uns veulent que ce soit
C. Sextius, lorsqu’il défit les Salyens et leurs alliés; ce qui ne peut pas être, attendu que
nous savons positivement qu’il fit bâtir la ville d’Aix à l’endroit même où il remporte
cette grande victoire. Les autres prétendent que c’est Marius, lorsqu’il poursuivit les
débris des peuples barbares qu’il avait complètement battus devant Pourrières; ce qui est
tout-à-fait inexact, car il atteignit et anéantit ces fuyards sur-la rive gauche de la Durance
et dans la plaine qui se trouve entre les villages de Vinon et de Saint-Paul. Quelques
personnes l’attribuent à Jules César, lorsqu’il se rendait dans le pays de Vulgientes, aux
environs d’Apt. Pour moi, considérant que les squelettes qu’on a trouvés à différentes
époques, et notamment en 1793, étaient tous d’une haute stature, telle que celle qu’on
donne aux Gaulois, et qu’il ne s’en trouvait point qui fussent d’une taille moyenne; je
pense que cette bataille du Champ Prélien fut livrée entre Gaulois seulement, mais à une
époque antérieure à l’invasion des Romains, et même à l’établissement des Phocéens sur
la côte de la Celto-Lygie. Plus tard, les historiens grecs ou latins n’auraient point
manqué d’en faire mention; un arc de triomphe, des sarcophages et des inscriptions
auraient transmis cette affaire à la postérité la plus reculée. Les différens noms latins de
cette plaine ne lui furent vraisemblablement donnés par les Romains, que d’après les
rapports que les Gaulois du pays leur firent de cette sanglante bataille.
Sous les comtes de Forcalquier, le village de Saint-Maine possédait un château dont il ne
reste plus qu’une tour en ruine; la tradition conserve le souvenir de quatre princesses qui
y furent élevées en même temps, et qui épousèrent le même jour quatre grands
souverains, parmi lesquels se trouvaient un roi de France et un roi d’Angleterre. Une
partie du terrain qui avoisine ces ruines retient encore les noms de Jardin de la cour,
vigne de la cour, pré de la cour. La principale production du pays est le blé. Les arbres
de haute futaie viendraient bien sur les amphithéâtres, qui sont presque entièrement
dégarnis. Pop. 296 hab.
MAIRE. Ile de le Maire. Ilot entre Marseille et Cassis. Elle était connue des Romains
sous le nom d’Immadras.
Le commerce du pays est assez considérable; le cuivre, le papier et les étoffes qu’on y
fabrique attirent du numéraire. Il y a plusieurs hameaux dans le territoire; le plus
considérable est Vels ou Veaulx, Vitudi. Foires, les 20 janvier, 3 février, 19 mars, 3 mai,
25 août et 29 septembre. Populat. 3,080 hab.
Les communes du ressort de la justice paix de cette ville sont, Malaucène, Beaumont,
Brantes, Entrechaux, le Barroux, Saint-Léger et Savoillans.
MALCOL. Village inhabité, dans les montagnes aux environs de Sisteron.
MALLEMOISSON. Village du canton des Mées, à 4 lieues de Digne, sur la rive droite
de la Bléonne. Climat sain. Sol assez fertile en céréales, vin fruits. Pop. 235 hab.
MALIJAI. Village du canton des Mées, à 4 lieues et demie de Digne, sur la rive droite
de la Bléonne et sur la rive gauche de la Durance, près du confluent de ces deux rivières.
On prétend que le nom de ce village dérive du latin male jacet (il est mal placé), parce
que ce lieu se trouve entre l’Escale et le Chaffaut, (ce qu’on rend en français l’Échelle et
l’Échaffaud), nom de deux villages voisins.
Je crois plutôt que ce nom lui fut donné à cause des marais pestilentiels qui se trouvaient
sur la rive gauche de la Bléonne. Depuis long-temps ils ont été desséchés, et leur
emplacement est devenu une terre très-fertile. Le territoire produit du blé, du foin, des
légumes et surtout beaucoup du vin. Le climat est bon. Pop. 507 hab.
MALMONT. Colline fort élevée dans le bassin de Draguignan. Dans le principe, elle
était couverte d’un bois très-touffu, et servit de retraite aux Suelteri, lorsqu’ils étaient
poursuivis par les Romains. Ce sont ces derniers qui donnèrent le nom à cette montagne,
à cause des dangers qu’ils couraient toutes les fois qu’ils en approchaient. Le vin qu’on
recueillait sur cet amphithéâtre jouissait d’une grande réputation. Jules César en fit le
plus grand éloge, ce qui fut cause qu’on en expédia jusqu’à Rome. On vend encore à
Paris du vin de Malmont qui n’a jamais passé dans la Provence. Aujourd’hui cette
colline est couverte d’oliviers.
MANDELIEU, Mantol Vocus, en provençal, Capitou. Petit village sur une hauteur, à 3
lieues de Grasse son chef-lieu d’arrondissement et de canton.
Un auteur, dans les siècles d’ignorance, osa avancer que le nom primitif de la position
qui se trouvait dans le territoire de Mandelieu se nommait Aurélien, nom de cet
empereur qui fit construire la voie romaine qui passait dans la plaine. Un autre auteur
donna à ce village le nom d’Aralucis, et l’erreur de ce dernier a été aveuglement adoptée
par tous les écrivains qui sont venus ensuite. Cependant nul auteur ancien a fait mention
que, sur cette montagne, il y eut un temple ou un autel dédié à la lumière, ce que le mot
Aralucis exprimerait. Je pense avec plus de vraisemblance que ce lieu était nommé Ad
Lucum, ce qui signifie dans le bois sacré. Je suis persuadé que toutes les personnes qui
connaissent les hauteurs de Mandelieu seront de mon avis.
Sur une des hauteurs de ce lieu, il y avait un temple dédié à Venus. Saint Nazaire le fit
détruire vers l’an 447. Sainte Cressentia, sa fille, y substitua un monastère de filles, qui,
selon moi, devait être près du hameau des Adrets, au quartier qui est encore appelé le
Couvent. Dans le voisinage de Mandelieu, il y a deux montagnes qui ont conservé long-
temps leur ancien nom. L’une s’appelait mons Mercurii, et l’autre mons Martii. Sur cette
dernière, le dieu Mars y était adoré sous le nom de Olloubo ou Ollondius, mots grecs
qui, l’un et l’autre, signifient destructeur, ce qui convenait fort bien au dieu de la guerre.
L’insalubrité de la plaine de Laval et de l’étang de la Napoulle ont réduit la populatiou à
80 habitans.
Étonné d’y voir gravé dessus le dévoilement du mystère, il dit au pêcheur: — Tu es bien
heureux de ne savoir lire, cette trouvaille aurait été ta perte.
On raconte aussi, qu’un frater ayant aperçu sous la fenêtre du prisonnier quelque chose
blanc qui flottait sur l’eau, il l’alla prendre et le porta à Monsieur de Saint-Marc. C’était
une chemise très-fine, pliée avec assez de négligence, et sur laquelle le prisonnier avait
écrit d’un bout à l’autre. Le barbier protesta et jura plusieurs fois qu’il n’avait rien lu;
mais, deux jours après, il fut trouvé mort dans son lit.
Ce prisonnier a donné naissance à bien des fables. La plus drôle, et qui ne date pas de
loin, est que ce prisonnier, parvenu à l’age des passions, témoigna au gouverneur le désir
d’avoir auprès de lui une femme.
Celui-ci, après en avoir obtenu l’autorisation, lui procura une veuve de trente ans, qui
consentit au sacrifice de sa liberté pour procurer une fortune à sa fille unique. En moins
d’un an, cette veuve mit au monde un enfant mâle qu’elle allaita pendant quelques
temps; et dès qu’il fut sevré, le gouverneur le fit passer dans l’île de Corse, en le
recommandant à une personne de confiance comme un enfant venant de bonne part, en
langue italienne de bonna panté. On présume que c’était le trisaïeul du héros de même
nom qui naguère régnait sur les Français, sous le nom de Napoléon.
Sous le règne de Napoléon, en homme puissament riche eut pendant quelque temps l’île
Sainte Marguerite pour prison. Il fit à ses frais établir des promenades garnies d’arbres.
Autrement il n’y avait guère que le jardin du commandant qui offrît quelques arbres, tels
que l’oranger, le figuier et autres arbres fruitiers.
C’est au fond de ce jardin, et non loin de la mer, que se trouvent les ruines d’une vieille
construction qu’on nomme les oubliettes. Un trou en forme de puits, dans lequel on
descend difficilement à l’aide de quelque marches de pierre qui à peine peuvent recevoir
tout le pied; un petit souterrain fort étroit qui conduit jusqu’à la mer, voilà en quoi
consistent les oubliettes. La tradition porte, que lorsque un prisonnier d’état mourait
dans le château, soit de mort naturelle, soit sous le fer assassin, pour que personne ne fût
instruit de sa mort, on le descendait pendant la nuit dans ce caveau, pour le jeter ensuite
au fond de l’eau, par le moyen d’une grosse pierre qu’on lui attachait autour du corps.
Tout cela n’est qu’un conte, inventé du temps où l’on croyait aux fables, aux sorciers et
aux revenans. Pour moi, je ne vois dans cette construction souterraine, que la recherche
d’une eau potable dont l’île est entièrement dépourvue. De pareils travaux ont été
exécutés inutilement sur plusieurs points de l’île, et tous ont été recomblés presque en
même temps. Aussi ce grand jardin est fort aride; ce qu’on y récolte le plus, ce sont des
asperges, des champignons, des escargots et surtout des rats, qui y font les plus grands
dégâts.
Le reste de l’île est inculte. Le climat est tempéré hiver, et la chaleur y est modérée, à
cause des vents frais que la mer y entretient. L’intervalle qui sépare cette île de celle de
Saint-Honorat a si peu de fond qu’il serait dangereux à un navire de s’y laisser entraîner
dans une tempête. Il y a une quarantaine d’années, qu’il y échoua un énorme poisson qui
avait été blessé dans l’Océan. Les tanneurs de Grasse en firent l’acquisition, et le
réduisirent en huile.
MARIE. Les Saintes-Maries. Bourg, chef-lieu de canton pour toute la Camargue, qui ne
contient que des hameaux, formant en tout une pop. de 1,300 hab., à 8 lieues d’Arles.
L’origine du lieu des Saintes-Maries date du commencement de l’ère chrétienne. Marie
Jacobé, dont parle l’écriture sainte, Marie Salomé, Marcelle et Sara leur servante, sainte
Marthe, sainte Madelaine, saint Lazare et plusieurs autres saints personnages, forcés,
après la mort de Jésus-Christ leur divin maître, de fuir une terre de persécution,
s’embarquèrent dans une frêle barque, et à l’aide de Dieu, ils arrivèrent en peu de temps
sains et saufs sur la côte de Provence. Ils prirent terre dans l’île de la Camargue, à
l’endroit même où se trouve le bourg dont nous parlons; et là, après avoir rendu leurs
actions de grâces à Dieu, ils se dispersèrent pour aller sur différens points, les uns pour
prêcher la foi de l’évangile, les autres pour y passer le reste de leur vie dans la retraite.
Les deux Maries ainsi que Sara, que l’on présume avec quelque fondement être la
femme de Pilate, née ainsi que son époux à Avignon, ne voulurent pas aller plus avant.
Leur bon exemple ne manqua pas, quoique chez des païens, de faire un grand nombre de
disciples au régénérateur des mortels, qu’elles avaient si bien connu. Et quand elles se
virent au moment de finir leur pieuse carrière, elles recommandèrent aux chrétiens du
pays de les ensevelir, après leur mort, tout près d’une petite source où, pendant leur vie,
elles aimaient à aller se désaltérer. Leurs dernières volontés furent exécutées; mais dans
la crainte que les persécuteurs des chrétiens ne vinssent troubler les cendres de ces
saintes femmes, on se garda bien de désigner au public le lieu où elles reposaient. C’était
un secret qui ne se communiqua que d’un chrétien à l’autre, encore fallait-il être du pays
et être reconnu d’une grande discrétion.
Environ mille ans après, la Camargue n’avait plus pour habitans qu’un pieux solitaire,
dont la sainteté le fit visiter par un grand personnage qu’on présume être Guillaume Ier,
comte de Provence. Le saint ermite convaincu de la piété de son hôte, lui déclara qu’il
était instruit que le tombeau des saintes Maries se trouvait bien près de la source. Le
comte, animé d’un saint zèle, fit construire une chapelle là où se trouvait la source. Il
l’entoura de fortes murailles pour la préserver des corsaires qui venaient se réfugier dans
l’île, et promit un encouragement à tous ceux qui viendraient bâtir des maisons près de
cette chapelle. En peu d’années, il y eut une ville à laquelle on donna le nom des Trois-
Marie; la ville de la Mar. Les souverains de la Provence se plurent à visiter ce lieu et à
faire du bien aux habitans. La justice de Tarascon était obligée de faire une douzaine de
lieues pour venir aux Trois Maries exercer la justice sur les crimes et délits commis dans
la ville de la Mar.
En 1448, le roi René, prince aussi pieux que bon, ayant appris que dans ses états se
trouvaient les précieux restes de trois saintes femmes qui avaient été témoins de la
passion et de la mort de Jésus-Christ, se fit autoriser par le pape Nicolas V,
s’accompagna de l’archevêque d’Aix, alla sur le lieu, fit faire des fouilles dans l’église,
découvrit d’abord un canal où passait de l’eau douce, le remonta jusqu’à la source qui se
trouvait près d’un autel. Puis, creusant par côté, on trouva non seulement les corps que
l’on cherchait, mais encore, dans une boîte de plomb, la tête de saint Jacques le Mineur,
que Marie Jacobé, sa mère, avait apportée de Jérusalem.
Le souverain pontife instruit de cette trouvaille, délégua le légat d’Avignon pour aller
sur le lieu servir de commissaire apostolique. Il y fut suivi de tout son conseil. Le roi
René, après y avoir envoyé l’évêque de Marseille pour prendre la déposition des
témoins, s’y rendit lui-même accompagné d’un archevêque, douze évêques, quatre
abbés, plusieurs dignitaires des chapitres; nombre de professeurs et docteurs suivirent le
monarque, ainsi que les principaux personnages de la province et du comtat, parmi
lesquels se trouvaient trois protonotaires du saint-siège et trois notaires publics de
Provence. Après que le légat eut reconnu la vérité, et qu’il eût pris l’avis de son conseil,
il prononça le décret; et les reliques furent renfermées dans deux chasses fermées par
quatre clés, dont deux furent remises au roi qui les porta à Aix, où on les a conservées
jusqu’à aujourd’hui. Elles sont dans les archives de la chambre des comptes.
Tous ces détails, qui ne seront pas du goût de quelques personnes, ont été publiés par feu
M. le comte de Villeneuve, préfet des Bouches-du-Rhône, dans la statistique de son
département. Si je les donne presque littéralement ainsi que plusieurs autres extraits de
son ouvrage, c’est que j’y ait été autorisé par ce digne administrateur.
MARITIMA AVATICORUM. Ville qui se trouvait dans le pays des Avaticiens, sur le
bord oriental de l’étang de la Valduc, et qui fut détruite par les Sarrasins. Il en existe
encore des ruines considérables près de la chapelle de Saint-Blaise, mais elles sont dans
le plus grand désordre. En cherchant avec attention, on trouve des médailles impériales,
des fragmens de poterie fine, des morceaux de fûts de colonnes, des chapiteaux, des
jarres, de grandes urnes cinéraires en briques rapportées, etc. En 1774, on trouva un
morceau de colonne sur laquelle était gravé qu’un nommé Antiochus avait construit une
hôtellerie en l’honneur des Héliades, sœurs d’Apollon.
Sur le roc des environs de Maritima, on voit encore des traces de chariots à voie étroite,
et dont les roues étaient à larges jantes, telles qu’on les fait aujourd’hui aux grandes
charrettes; preuve certaine qu’il y avait une route qui de Maritima allait joindre la voie
aurélienne. Cela devait être ainsi à une ville entièrement commerçante, bâtie par les
Marseillais qui expédiaient par le roulage dans l’intérieur des Gaules. Le commerce de
cette ville tomba, à mesure que le canal de Marius s’obstrua, et que la mer fut repoussée
par les sables. La plupart des habitans changèrent de lieu; les autres, après avoir été
pillés par les Maures, furent se fortifier sur une hauteur voisine. Voyez, CASTÈOU-
VEIRÉ.
La flotte phocéenne ayant pris terre au fond d’un golfe appartenant au roi des Saliens,
nation qui occupait le littoral depuis le Bec de l’Aigle (le golfe des Lecques) jusqu’à la
plaine des cailloux (la Crau d’Arles), Protis, suivi de quelques-uns de ses compatriotes,
se rendit auprès du roi Nannus, afin de gagner son amitié, et de se mettre sous sa royale
protection. Le hasard le fit arriver à la demeure de ce prince précisément le jour où sa
fille Gyptis devait faire choix d’un époux parmi les jeunes seigneurs celto-lygiens qu’il
avait eu soin de réunir. La démarche noble et majestueuse de Protis, la douceur de sa
voix, le charme de ses expressions, la beauté de sa figure, et, plus encore peut-être, le
désir d’échapper à des prétendans qui lui étaient tous également odieux, firent que
Gyptis présenta au jeune Phocéen une coupe pleine d’eau qu’elle tenait en main. C’était
ainsi que les jeunes princesses désignaient celui à qui elles voulaient appartenir. Nannus
approuva le choix de sa fille, et céda aux étrangers tout le terrain convenable pour y bâtir
une grande ville, à laquelle ils donnèrent le nom de Massalia, ou plutôt de Mas
Salyorum, parce que en cet endroit il se trouvait quelques cabanes appartenant à des
pêcheurs saliens.
Nannus vit avec plaisir les progrès de la colonie phocéenne, et ces murailles, ces
fortifications dont elle s’environnait, ne lui causaient aucun ombrage. Mais Comanus,
son fils et son successeur, ne partagea point cette noble confiance. Aussi, dans la crainte
d’être un jour troublé dans ses possessions par ces étrangers devenus ses voisins, il
résolut de les surprendre et de les anéantir. Il choisit, pour accomplir ce funeste projet, le
jour où l’on devait célébrer la fête de Flore. Il vint avec son armée s’embusquer dans les
forêts qui couvraient la campagne à l’ouest de Marseille, et envoya dans la ville
quelques soldats, la plupart cachés sur des chariots couverts de feuillages, avec ordre de
lui ouvrir les portes, dès que les Marseillais, fatigués par les danses et les jeux, seraient
ensevelis dans un profond sommeil. C’en était fait de cette ville, si l’Amour ne fût venu
à son secours. Une jeune Salienne, parente de Comanus, éperdument amoureuse d’un
jeune Phocéen, ayant appris le sort qui menaçait son amant, se hâta de l’engager à
quitter Marseille, et lui offrit un lieu de sûreté. Le jeune homme, instruit de la trame
ourdie contre ses compatriotes, courut la dévoiler aux magistrats de la ville.
A l’instant toutes les portes sont fermées, les émissaires de Comanus sont arrêtes et mis
à mort. Tous les Marseillais courent aux armes, font une sortie, surprennent le jeune roi
des Saliens, lui livrent un combat meurtrier, où ce prince trouve la mort avec environ
sept mille des siens.
Ce châtiment sévère ne corrigea pas les indigènes.
Un autre chef nommé Catumandus, appela à lui toute les forces des rois ses alliés, les
réunit sur un même point, pour détruire une cité dont la prospérité toujours croissante lui
inspirait les plus vives alarmes.
Sur ces entrefaites, Ambiga, roi des Bituriges, peuple la Celtique, voisine du Berry,
permit à deux de ses neveux, Bellovèse et Sigovèse, d’aller, avec une puissante armée,
former un grand établissement dans l’Italie. Arrivés dans le pays des Tricastiniens (au
midi du département de la Drôme), Sigovèse prit la direction des Alpes Cottiènes, et
Bellevèse suivit celle des Alpes-Maritimes. Le génie qui protégeait la ville de Marseille
fit rencontrer à ce dernier l’armée de Catumandus. Et ce chef gaulois, ignorant le motif
qui avait pu amener cette armée dans ces lieux, fond sur elle avec impétuosité; et, sans
lui donner le temps de se mettre en défense, la culbute sur tout les points, jonche le sol
de cadavres, et poursuit les fuyards jusque dans les montagnes. Marseille fut donc une
seconde fois préservée d’une destruction totale, aussi se montra-t-elle reconnaissante
envers ses libérateurs. Le brillant accueil qu’elle fit aux Celtes fut cause qu’une partie de
ces derniers abandonnèrent leur chef, et obtinrent des Marseillais des terres sur le
littoral, depuis Marseille jusqu’au Var, ce qui augmenta considérablement la force et la
puissance de la ville grecque, et la rendit redoutable à ceux qui auraient voulu la troubler
par terre.
Plusieurs auteurs disent que les Celto-Lygiens firent un dernier effort pour surprendre
Marseille et en égorger les habitans. Mais que Caramandus, qui était sans doute le même
que Catumandus, étant en vue de la ville, s’endormit, et qu’un songe effrayant vint le
troubler. Il crut voir une femme d’une beauté divine qui lui ordonna, sous peine de mort,
de faire alliance avec les Marseillais. Qu’à son réveil, il ne manqua pas de s’acquitter
d’un ordre qu’il crut lui venir des dieux; qu’il alla, avec les principaux magistrats de la
ville, remercier la divinité protectrice de Marseille, et qu’en entrant dans le temple, il
reconnut en la statue de Diane la même femme qui lui était apparue en songe; et qu’il se
retira, convaincu que les forces humaines ne pouvaient rien contre une ville protégée par
une divinité.
Vers l’an 543 avant Jésus-Chrit, Harpage, un des principaux généraux de Cyrus, mit le
siége devant Phocée. Le sénat obtint un armistice de vingt-quatre heures pour se
soumettre; et, profitant de ce court délai, les habitans dévastèrent leurs temples,
s’embarquèrent avec leurs femmes, leurs enfans et leurs richesses, et se dirigèrent vers
l’île de Chio. Mais les Ilotes leur ayant refusé l’hospitalité, ils décidèrent qu’ils iraient à
l’île de Cirné (île de Corse), où, vingt ans auparavant, quelques familles phocéennes
avaient fondé la ville d’Alalia. Avant d’exécuter ce projet, ils retournèrent furtivement à
Phocée qui était au pouvoir d’Harpage, massacrèrent la garnison qui dormait en pleine
sécurité. Jetant ensuite une barre de fer dans mer, ils jurèrent de ne revenir dans leur
patrie que lorsque ce fer remonterait de lui-même sur l’eau. C’est alors qu’ils cinglèrent
vers l’île de Cyrne, où ils restèrent environ cinq ans. Leur flotte fut en grande partie
détruite par celle des Carthaginois jointe à celle des Tyrrhéniens qu’ils avaient offensés.
Les Phocéens alors se divisèrent; les uns se rendirent dans la Lucanie, et les autres
arrivèrent à Marseille, la 60e année après sa fondation.
Les Marseillais n’ayant plus d’autre patrie que la ville qu’ils avaient fondue,
s’attachèrent à la rendre aussi prospère que sa situation le permettait. Les uns se livrèrent
à l’agriculture, et surent féconder un sol naturellement sec et stérile; ils plantèrent la
vigne et l’olivier jusqu’alors inconnus dans la Celto-Lygie; les autres se livrèrent à la
pêche avec succès; et les vins et la saumure de Marseille furent échangés dans les ports
étrangers contre le froment et les objets de nécessité.
Les vues politiques de Marseille étant le commerce et la navigation, elle établit un
arsenal et des chantiers de construction, encouragea les ouvriers, les marins, et, en peu
d’années, elle eut une flotte qui excita l’envie de Carthage. Celle-ci, contre le droit des
gens, captura plusieurs vaisseaux marseillais en temps de paix. Elle ne tarda pas à s’en
repentir. Les flottes marseillaises cherchèrent à leur tour les vaisseaux carthaginois.
Plusieurs flottes africaines furent entièrement détruites; et les prises furent si
considérables, que la citadelle de Marseille et le temple de Diane ne pouvaient contenir
les riches dépouilles des ennemis.
Les Marseillais cherchèrent à maintenir par de bonnes lois cette prospérité qu’ils avaient
su conquérir par leur courage et leur bravoure. Parmi les institutions dont il s’honorent à
si juste titre, nous citerons celle qui fixait la dépense de la parure, et la dot des filles;
celle qui interdisait l’usage du vin aux femmes de tout âge et de toute condition; celle
qui réglait la cérémonie des funérailles, et qui défendait les larmes et les lamentations,
même à la mort d’une personne tendrement aimée. Deux cercueils étaient placés à
chaque porte de la ville; l’un servait aux hommes libres, et l’autre aux esclaves. Les
corps étaient consumés par les flammes, à une distance de la ville qui ne pouvait être
moindre de deux mille pas. Une cérémonie funèbre finissait toujours par un banquet
entre les parens et les amis du défunt.
Les lois de Marseille permettaient de faire des esclaves, mais le maître n’exerçait point
sur eux une puissance absolue. Il pouvait, à la vérité, soumettre jusqu’à trois fois son
affranchi à la servitude; mais il perdait tous ses droits à la quatrième plainte.
Marseille accordait l’hospitalité à tous les étrangers; mais aucun d’eux n’y pouvait entrer
en armes. On posait les armes aux portes de la ville, où on les reprenait en sortant. Cet
usage fut établi sagement contre les indigènes qui, allant toujours armés même en temps
de paix, auraient pu abuser de la confiance des habitans.
Le gouvernement de Marseille fut d’abord oligarchique. Il devint insensiblement
aristocratique, quoique le pouvoir fût partagé entre un grand nombre de citoyens. La
forme républicaine fut établie, lors de l’arrivée de la seconde migration des Phocéens.
L’autorité souveraine appartint au Sénat, composé de six cents membres appelés
Timouques, c’est-à-dire honorables. Cette dignité était à vie. Nul ne pouvait en être
revêtu, s’il n’avait des enfans et s’il n’était citoyen depuis trois générations. Le sénat
était présidé par quinze de ses membres, qui avaient en outre le pouvoir d’exercer la
police et de diriger l’administration publique.
Ces quinze formaient un conseil présidé par trois d’entre eux; mais le conseil des six
cents avait le pouvoir législatif, le droit de faire la guerre ou la paix, de nommer des
ambassadeurs et de prononcer sur tout ce qui pouvait intéresser l’état.
L’un des premiers soins de la colonie fut d’élever des temples aux dieux de la Grèce.
Ceux d’Apollon et de Diane furent renfermés dans l’enceinte de la citadelle, parce que
ces deux divinités protectrices étaient les plus vénérées dans le pays. Leurs autels ne
furent jamais souillés par le sang des victimes humaines; les infortunés qu’on vit expirer
au milieu des flammes s’y étaient précipités eux-mêmes par dévouement à la patrie. On
croyait alors, que pour détourner une calamité publique, il suffisait à un citoyen de
recevoir les exécrations des siens et de mourir ensuite: la colère des dieux devait
s’apaiser à l’instant. On cessera de s’étonner qu’il se trouvât à cette époque des hommes
qui se dévouassent ainsi volontairement à la mort pour le salut de la patrie, quand on
saura que ceux qui étaient fatigués de la vie, allaient exposer au sénat les raisons qui la
leur faisaient détester; et que si ces raisons étaient reconnues valables, non seulement on
leur permettait de se suicider, mais encore on leur fournissait le poison le plus prompt,
pour qu’ils n’eussent pas long-temps à souffrir. Ce fait est contesté aujourd’hui par des
personnes éclairées, sans doute; mais elles n’ont pu le démentir par des preuves solides.
La justice marseillaise était impartiale, et la loi punissait sévèrement le juge
prévaricateur. Un magistrat, nommé MÉNÉCRATE, qui s’était laissé corrompre, fut
déclaré infâme, et ses biens furent confisqués. Il ne lui resta qu’une fille unique qui était
difforme et paralytique; et désespérant de l’établir aussi avantageusement qu’il l’aurait
pu au temps de sa prospérité, il tomba dans une sombre et dangereuse mélancolie. S’il
regrettait ses richesses passées, c’était surtout pour cette fille objet de toutes ses
affections. Un jour il fit part de la cause de sa tristesse à Zénothémis, jeune homme fort
riche et son intime ami. Après quelques paroles de consolation, le jeune homme emmène
chez lui le père et la fille, fait préparer un grand festin; plusieurs personnes de distinction
y sont conviées; et, au moment des libations d’usage, Zénothémis présente sa coupe à
Ménécrate, en lui disant: — Recevez, ô mon père! recevez cette coupe de la main de
votre gendre. Aujourd’hui j’épouse votre fille; ces convives m’en sont témoins; ils sont
aussi garans de la promesse que je fais, ô mon père! de partager mes biens avec vous.
Le mariage eut lieu, en effet, et jamais union ne fut plus heureuse. Un fils d’une rare
beauté en fut le fruit. Dès qu’il fut grand, Zénothémis le présenta aux sénateurs
assemblés, qui, pénétrés d’admiration de la conduite du père, et attendris par l’air doux
et suppliant du fils, rétablirent ce jeune homme dans les biens et la charge de Ménécrate,
son aïeul.
Cependant la population et le commerce de Marseille allaient toujours croissans. Il lui
importait de fonder au loin des colonies qui pussent la seconder. Elle en établit donc sur
les côtes d’Espagne, de la Gaule et de l’Italie, parmi lesquelles se trouvaient Hemirosco
Pium, aujourd’hui Dénia, près de l’embouchure du Xucas, dans le royaume de Valence;
Emporium, l’Ampurias, dans la Catalogne; Rhodé, Rose, qui était dépendante
d’Emporium; Agatha, Agde, sur la côte du Languedoc; Rhode, Rhodos ou Rhodanusia,
ville qui était autrefois à l’embouchure du vieux Rhône, et qui donna le nom à ce fleuve;
Stomalimné, qui se trouvait sur l’étang de Caronte, près des Martigues; Maritima, qui
existait sur le bord oriental de l’étang de la Valduc; Citharista, position près du lieu où
est la Ciotat; Tauroentum, au fond du golfe des Lecques, à l’opposé de la Ciotat;
Athénopolis, près de la grande caranque d’Antéa, entre Agay et la Napoulle; Antipolis,
aujourd’hui Antibes; Nicœa, Nice, qui appartient au Piémont; Eléa, dans le golfe de
Salerne; Lagaria, près de Thurium, etc.
Pendant qu’elle formait ces différens établissemens, Marseille songea à réaliser un projet
conçu depuis long-temps, mais dont l’exécution paraissait difficile. Il s’agissait de faire
la découverte des lieux d’où les Phéniciens et les Carthaginois tiraient l’étain, le succin,
l’ambre jaune et toutes les autres richesses qu’ils vendaient avantageusement dans tous
les ports qu’ils fréquentaient. Pythéas et Euthymènes, tous deux Marseillais, et doués de
connaissances supérieures, furent chargés d’aller faire ces précieuses découvertes.
Au sortir du détroit de Gibraltar, Pythéas remonta vers le nord, longea les côtes de la
Lusitanie (le Portugal), doubla l’Aquitaine et l’Armorique, reconnut les Cassitérides (les
Iles Britanniques), passa dans le canal qu’on nomme aujourd’hui la Manche, et
découvrit l’île de Thulé (l’Islande), où la durée du jour solsticial était de vingt-quatre
heures. Après il retourne à Marseille pour rendre compte du résultat de ses observations,
et entreprend un second voyage vers le nord-est de l’Europe. Il entre dans le détroit du
Sund, s’enfonce dans la mer Baltique qu’il remonte jusqu’à l’embouchure d’un grand
fleuve qu’il nomme Tanaïs, et qui ne peut être que la Vistule; car le Tanaïs est un fleuve
qui sépare l’Europe d’avec l’Asie, et se jette dans la mer d’Asow.
Euthymènes sortit également par le détroit de Gibraltar; mais il prit la gauche pour
parcourir les côtes occidentales de l’Afrique, d’où l’on tirait la poudre d’or. Il reconnut
l’embouchure du Sénégal. Peut-être qu’il poussa plus loin sa navigation, et qu’il
découvrit l’embouchure du Niger et même le cap de Bonne-Espérance. Marseille dut à
ces deux célèbres navigateurs la découverte de plusieurs nations dont personne
jusqu’alors n’avait soupçonné l’existence.
Alexandre ne tarda pas à augmenter considérablement la prospérité de Marseille, en
ruinant la ville de Tyr et le commerce des Phéniciens. En apprenant la chute de son
opulente et orgueilleuse rivale, Marseille envoya des ambassadeurs pour complimenter
ce héros. Le jeune conquérant leur demanda fièrement ce qu’ils craignaient le plus dans
leur pays. La chute du monde, répondirent les intrépides envoyés. Alexandre s’attendait
peut-être à une réponse plus flatteuse; mais ces paroles hardies lui prouvèrent que les
marseillais étaient d’autres hommes que les êtres mous et efféminés qu’il venait de
soumettre à ses lois.
En effet, les Marseillais, non seulement étaient bons navigateurs et habiles commerçans,
mais ils se distinguaient encore par toutes les qualités du citoyen, du soldat. Ils avaient,
pour défendre leur patrie et leur liberté, la vertu, le courage et l’éloquence. Les écoles de
Marseille, les plus célèbres du monde civilisé, enseignaient avec succès la Dialectique,
la Géographie, l’Éloquence, la Médecine, les Mathématiques et la Philosophie. Les
jeunes gens les fréquentaient par goût et par devoir; ils avaient pour leurs maîtres tout le
respect et tous les égards dus au mérite, et leur vouaient une reconnaissance qui ne se
démentait jamais. Aussi nul ne sortait de ces écoles avec un goût frivole, capricieux,
moqueur, mais avec l’amour pour le travail et pour l’économie, l’attachement pour
l’ordre, pour les lois, pour les personnes chargées de les faire exécuter; avec une fidélité
à toute épreuve, soit dans les opérations commerciales, soit dans leurs alliances avec les
peuples dont ils n’avaient pas à se plaindre; témoin les services qu’elle accorda à Rome,
lorsque celle-ci fit une guerre d’extermination contre Carthage devenue ambitieuse et
conquérante; et les secours en argent qu’elle lui envoya, pour la délivrer des Gaulois
sénonais qui, après avoir embrasé la ville, assiégeaient le Capitole. Ce fut Marseille qui
fit savoir au sénat qu’Annibal avait franchi les Pyrénées pour aller attaquer Rome et
anéantir sa puissance.
Ce fut alors que P. Cornelius Scipion arriva sur le rivage marseillais avec une flotte de
soixante galères, et une légion qu’il alla lui-même poster à l’embouchure du Rhône. Ce
fut deux galères marseillaises envoyées à la découverte, qui apportèrent la nouvelle que
la flotte carthaginoise se disposait à traverser l’embouchure de l’Èbre; ce furent les
vaisseaux marseillais qui, réunis à la flotte du consul romain, lui fournirent le moyen
d’en attaquer une autre plus nombreuse. Dans cette circonstance, Marseille usa
noblement de son influence et de ses richesses; elle s’en servit pour soulever les Gaulois
qui, se plaçant sur la rive gauche du Rhône, disputèrent le passage du fleuve au général
carthaginois.
Toutes ces précautions furent, à la vérité, inutiles; car Annibal envoya, pour traverser le
Rhône, une division de son armée qui exécuta son ordre sans obstacle, attaqua les
Gaulois par derrière, les mit en fuite et les poursuivit au loin. Les Africains se hâtèrent
alors de passer, et ils se dirigèrent ensuite vers l’Italie par les Alpes Cottiènes.
Rome ne fut point ingrate envers les Marseillais. A peine délivrée des craintes que lui
avait inspirées Carthage, il fallut qu’elle tournât ses armes contre les peuples de l’Italie;
la Gaule cisalpine, la Ligurie furent bientôt obligées de se soumettre. Ce fut alors, qu’à
la nouvelle des hostilités que les Oxibiens se permettaient contre Marseille, (les
Oxibiens assiégeaient, en effet, Antibes et Nice, colonies marseillaises), le sénat romain
députa Flaminius Popillus Lœnas et L. Pappius, afin d’engager ces Gaulois à se retirer, à
vivre en paix avec Marseille, sœur de Rome et protectrice des Romains. Ces députés
furent mal reçus par les Oxibiens; et, forcés de se rembarquer, ils vinrent se réfugier à
Marseille comme en un lieu de sûreté.
L’ o ffense faite aux députés romains fut promptement vengée. Le consul Quintus
Opimius marcha contre les Déciates et les Oxibiens, les battit complètement, les chassa
du littoral, qui fut à l’instant donné aux Marseillais, et les força d’envoyer à Marseille
des otages qui devaient être changés à des époques déterminées. Les vainqueurs
s’emparèrent des bourgades, et s’y tinrent en cantonnement jusqu’à ce que tout le pays
fut tranquille.
Marseille fut bientôt exposée à un danger beaucoup plus grand. Les Saliens, jaloux de
l’agrandissement de cette ville, appelèrent à eux tous les Gaulois leurs alliés. Ils se
donnèrent pour chef Teutomal, guerrier plein de hardiesse et d’intrépidité, qui eût peut-
être porté un coup terrible à la puissance de Marseille, si Caïus Sextius Calvinus ne fût
venu à son secours. Les Saliens furent taillés en pièces, et Teutomal fut forcé de se
réfugier chez les Allobroges, peuple qui occupait le pays entre le Rhône, l’Isère et les
montagnes de l’Helvétie. Revenu sur le champ de bataille, le vainqueur construisit une
ville qu’il nomma Aquœ Sextiœ. Ce fut alors que les Marseillais possédèrent tout le
littoral depuis le Rhône jusqu’au Var, sur une largeur de 8 à 12 stades, selon que le pays
était en plaine ou montueux. Teutomal inspira aux Allobroges sa haine et son courroux
contre Marseille et contre les Romains. Il eut même l’adresse d’attirer dans son parti les
Arvernes, nation gauloise très-puissante, qui occupait l’Auvergne actuelle et plusieurs
autres pays. Bituitus, fils du roi de ces derniers, fut attaqué par le proconsul Domitius
Œnobarbus dans la plaine de Vindale, et le battit complètement. Bituitus rassembla des
forces beaucoup plus considérables que celles des Romains, et vint attaquer vers l’Isère
Q. Fabius Maximus. Les Gaulois furent encore battus; et l’on assure que, dans cette
dernière affaire, il y eut de cent vingt à cent cinquante mille hommes de tués ou de
noyés.
Ces différens troubles ayant attiré les armées romaines dans la Gaule transalpine, Rome
jugea à propos de la garder et d’en faire une province, qui fut bientôt considérablement
agrandie par la soumission des Allobroges, des Arvernes et de plusieurs autres états au-
delà du Rhône, qui, tous ensemble, formèrent la Gaule narbonnaise.
Marseille, ainsi délivrée de ses ennemis, semblait se promettre une longue paix. Elle
était loin de prévoir l’orage terrible qui se formait et qui allait bientôt éclater. Une
multitude innombrable de guerriers suivis de leurs femmes et de leurs enfans, sortis des
côtes de la mer Baltique et des forêts de la Germanie, se précipita soudain à travers les
Gaules, répandant partout la désolation et la mort. Ces barbares, connus sous le nom de
Cimbres, de Teutons et d’Ambrons, voulaient, dit-on, s’établir dans les riantes
campagnes de l’Italie. Mais en se dirigeant vers la patrie qu’ils s’étaient choisie, ils
mettaient tout à feu et à sang, et tous leurs pas étaient marqués par des ruines nouvelles.
Effrayée du péril qui menaçait ses possessions en deçà des Alpes, Rome envoya C.
Marius pour arrêter ces barbares.
Marius arrive avec son armée. Il exerce continuellement ses soldats à la discipline, les
conduit à la fatigue, en les soumettant aux travaux les plus pénibles, en leur faisant
élever des fortifications. Marseille le seconda de tous ses moyens. Elle lui fournit des
vivres, des outils et tous les objets utiles ou nécessaires. Néanmoins une année s’écoula
sans que Marius eût un ennemi à combattre.
Enfin les Barbares arrivèrent de nouveau dans la Narbonnaise. Ils voulaient se diriger
sur Marseille, pour passer ensuite en Italie. Marius, retranché dans son camps près de
Foz-les-Martigues, les observait. Il les laissa paisiblement passer le Rhône, et traverser
la plaine de la Crau. Il essuya sans s’émouvoir leurs insultes et leurs provocations.
Décidé à ne rien confier au hasard, il aima mieux les suivre, et attendre, pour les
combattre, qu’il pût avoir sur eux l’avantage de la situation. L’instant décisif arriva
enfin. Ce fut dans la plaine qui avoisine Pourrières que les barbares furent complètement
battus. Ils laissèrent sur le champ de bataille environ trois cent mille morts. Les débris de
cette armée formidable furent poursuivis sans relâche, et entièrement anéantis dans la
campagne de Glanum, aujourd’hui Saint-Rémy. Les soldats marseillais contribuèrent
beaucoup à la défaite des barbares; aussi Marius donna, en reconnaissance, à la ville de
Marseille les Fosses Marianes. Elle utilisa ce canal pour porter ses marchandises dans
l’intérieur des Gaules, et pour faire venir les productions de l’intérieur.
Sous le rapport du commerce, Marseille ne tarda pas à être, après Alexandrie, la ville la
plus florissante du monde; mais il s’en faut que ses richesses agricoles répondissent à
celles qu’elle devait à l’industrie. Les terres qui l’entouraient appartenaient aux
Romains, à ce peuple ambitieux, avide, dont l’univers entier n’aurait peut-être pas
satisfait l’avarice. Dirons-nous que, si jusqu’alors elle avait respecté Marseille, Rome
n’y avait été portée que par des motifs intéressés, parce qu’elle avait besoin de l’appui
de cette opulente cité? L’égoïsme prend trop souvent les couleurs de la reconnaissance et
de l’amitié, pour se maintenir dans ses conquêtes et ses usurpations. Lorsque César et
Pompée se disputaient l’empire, les Marseillais embrassèrent la cause de Pompée, parce
qu’ils la croyaient la plus juste. Ils savaient certes que César, qui avait des forces
considérables dans la Narbonnaise, et qui pouvait compter sur la sympathie et sur le
concours des habitans, ne manquerait pas de se présenter devant Marseille pour la
soumettre par la force des armes; mais cette pensée ne les arrêta point. Ils
s’empressèrent de réparer les remparts et les fortifications de la ville, de construire un
grand nombre de galères, de former des marins. Hommes, femmes, vieillards, enfans,
tous rivalisaient d’ardeur pour la bonne cause. Des députés furent envoyés dans les
montagnes pour engager les Albiciens et les Variacens à envoyer leur jeunesse au
secours de Marseille.
César se présenta devant Marseille à la tête de trois légions. Ses flatteuses propositions
ne furent point écoutées. Les portes de la ville lui furent fermées, tandis que l’entrée du
port fut ouverte à la flotte de Domitien, ami et capitaine de Pompée. César alors fit
cerner la ville par Tribonius. Il alla ensuite faire construire douze galères à l’endroit où
se trouve aujourd’hui la ville d’Arles. Décimus Brutus en obtint le commandement, et
vint bloquer le port de Marseille, pour affamer la ville et pour empêcher la flotte de
Domitien d’en sortir. Sa présence n’intimida pas les Marseillais. Dix-sept galères furent
mises à flot. Elles étaient montées par de bons archers. Domitien fit aussi embarquer ses
esclaves, et leur promit la liberté, s’ils s’en rendaient dignes.
Bientôt les deux partis en vinrent aux mains. Les Marseillais, excellens manœuvriers, ne
cherchaient qu’à mettre les vaisseaux ennemis hors de service. Les Romains, au
contraire, habitués à combattre corps à corps, ne négligeaient rien pour venir à
l’abordage, ce que les Marseillais tâchaient d’éviter. Cependant des corbeaux sont
lancés. Plusieurs vaisseaux restent accrochés. Les combattans s’attaquent à coup de
traits, puis à coup de lance et à coup d’épée. Teulon et Gyaric, qui commandaient la
flotte de Marseille, sont tués en même temps. Cette flotte, privée de ses chefs, ne put
plus combattre avec ordre; aussi neuf galères furent prises ou coulées à fond, et les
autres rentrèrent en mauvais état dans le port.
Tribonius, qui cernait Marseille par terre, voyant le triomphe de Brutus, s’avança vers la
ville pour l’attaquer. Les Marseillais, furieux d’avoir été battus sur mer, jurèrent de s’en
venger sur terre. Ils se rendent en bon ordre sur les points menacés, et font usage en
même temps de la flamme et du fer. Bientôt on voit le feu embraser une grande terrasse
de quatre-vingts pieds de hauteur, se communiquer ensuite à une sorte de rempart formé
d’arbres coupés et entassés les uns sur les autres, et enfin à toutes ces machines dont la
construction avait occupé pendant un mois les charpentiers de l’armée de Tribonius.
Peu de jours après, les Marseillais apprirent avec joie que Nasidius, envoyé par Pompée
avec dix-sept galères, était dans le port de Tauroentum, au fond du golfe appelé
aujourd’hui golfe des Lecques. Une flotte nouvelle est équipée en peu de jours; l’élite
des Marseillais s’y embarque; les mères, les femmes, les amantes les exhortent à vaincre
ou à mourir pour le salut de la patrie. Les deux flottes firent leur jonction et ne
balancèrent pas à aller au-devant de celle de Brutus pour la combattre. Les vaisseaux
marseillais l’attaquèrent avec toute la valeur et l’intrépidité possible. C’en était fait de
Brutus et des dix-huit galères qu’il avait sous son commandement, si le lâche Nasidius
n’eût fait défection avec ses vaisseaux au moment du combat.
Cette trahison découragea les Marseillais qui n’osèrent pas même rentrer dans le port.
Cinq de leurs galères furent coulées bas et quatre prises. A cette nouvelle, les habitans
de Marseille poussèrent des cris de douleur; mais nul ne songea à se rendre. Au
contraire, chacun promit de venger ses compatriotes morts sur les troupes de César.
Tribonius ayant fait élever une tour de six étages qui dominaient les remparts, fit
construire une galerie couverte de briques et de mortier, pour faciliter la sape qui devait
ébranler et abattre les murailles. Les Marseillais, bloqués par mer et par terre, ne
recevaient plus la moindre subsistance; et l’autorité, prévoyant qu’une plus longue
résistance était impossible, et ne voulant pas exposer la ville à la fureur des soldats
ennemis, fit demander au chef des assiégeans un armistice qui devait durer jusqu’au
retour de César. Tribonius, qui avait l’ordre d’éviter autant que possible la ruine d’une
ville qui avait rendu de grands services aux Romains, acquiesça à cette demande, et
laissa ses troupes se reposer dans une entière sécurité. Mais quelques jours après, une
troupe de ceux qui défendaient la ville, sachant les Romains endormis dans leurs tentes
ou dans la tranchée, fit une sortie en plein jour, et embrasa dans un instant toutes les
fortifications ennemies.
Par cette violation des traités, l’exaspération des assiégeans fut au comble. Impatiens de
venger l’affront qu’ils venaient de recevoir, de renouveler leur attaque et de livrer
l’assaut, c’était fait sans doute de Marseille: le coup fatal allait être porté, lorsque, pour
le bonheur de cette ville infortunée, César se présenta. On l’avait repoussé comme
ennemi, on le reçoit maintenant comme libérateur. Les portes s’ouvrent devant lui; on
s’abandonne à sa clémence; et César, par une amnistie générale, se fait pardonner ses
succès.
Aucun Marseillais n’eut à souffrir des insultes, des violences des vainqueurs. Les
personnes, les propriétés furent respectées. Néanmoins, comme rival de Pompée, César
eut à prendre, dans l’intérêt de son ambition, des mesures qui devaient affaiblir pour
longtemps l’influence de Marseille.
Le coup qui l’allait frapper était terrible sans doute; mais il n’humiliait point la fierté
d’un peuple jaloux de sa gloire. Les ordres de César, tout sévères qu’ils étaient, parurent
moins un châtiment infligé aux vaincus, qu’une précaution nécessaire contre un ennemi
qu’il voulait priver de tous ses appuis.
César fit donc abattre les fortifications de Marseille,
la dépouilla de ses armes, de ses trésors, la priva de toutes ses colonies, à l’exception de
Nice, et laissa dans la citadelle une garnison de deux légions.
Cependant la république de Marseille conserva son indépendance sous la protection des
Romains. La population s’augmenta, et des familles grecques sorties de ses colonies, et
de cette foule de Romains qui venaient a Marseille étudier les sciences et les lettres qui y
brillaient alors du plus vif éclat.
Avec les Romains s’introduisirent à Marseille, et le luxe et le goût des frivolités, et les
vices les plus honteux. Bientôt il ne resta plus rien des antiques mœurs.
Avec elles, s’affaiblit insensiblement cette industrie qui éleva si haut la prospérité de
Marseille. Son commerce fut dès lors partagé avec plusieurs villes que les Romains
avaient fondées dans les Gaules, principalement avec Arles et Narbonne.
Marseille était devenue étrangère aux divisions qui déchirèrent l’empire romain, lorsque
après César, Auguste et Tibère, les armées s’arrogèrent le droit de disposer des
couronnes, et que la guerre civile fut le seul chemin qui conduisît au trône. Elle ne sentit
s’appesantir sur elle le joug de la tyrannie, que sous le règne de Maximien Hercule, à
l’époque où les persécutions les plus cruelles furent exercées contre les chrétiens, dont le
nombre s’était accru prodigieusement dans les Gaules.
Dieu ne permit pas que ce furieux persécuteur des chrétiens jouît paisiblement du trône.
Il fut forcé d’abdiquer à cause de ses excès. Mais la rage qu’il avait de régner lui fit
bientôt reprendre le titre d’Auguste qu’il ne conserva pas long-temps. Constantin, son
gendre, lui succéda. Pendant que ce dernier était à Trèves, Maximien, que rien ne
pouvait corriger, voulut une troisième fois ressaisir la couronne. Il s’empare des trésors,
et, après avoir acheté le dévouement des factieux, il marche sur Arles, s’en empare; mais
il n’a pas le temps de s’y fortifier. Constantin le Grand venait à marche forcée pour punir
sa perfidie. Maximien alors se réfugie à Marseille devenue son dernier asile. Il y est
bientôt cerné, et la ville eût été prise d’assaut, si les échelles de l’armée de Constantin
n’eussent été trop courtes. Les Marseillais ne voulant pas exposer leur ville pour soutenir
un tyran justement odieux, ouvrirent une de leurs portes aux soldats de Constantin, qui
se saisirent de l’implacable vieillard, et le conduisirent à Arles, où il se suicida dans la
prison.
Au commencement du cinquième siècle, Jean Cassien (saint Cassien) (on ne sait quel est
le lieu de sa naissance), vint à Marseille fonder un monastère religieux, connu sous le
nom de Saint-Victor, et un autre monastère de religieuses, appelé Saint-Sauveur. Un
grand nombre de personnes des meilleures familles des Gaules vinrent y embrasser
l’ordre monastique. La plupart se livrèrent à l’étude de la théologie, et devinrent les
lumières du monde chrétien.
Alors commença la décadence de l’empire romain. Les peuples barbares du Nord
l’attaquaient sur plusieurs points à la fois. L’empire d’Orient succomha le premier, et
Rome ne tarda pas à subir la loi d’un vainqueur étranger. Les Gaules furent morcelées.
Chaque ville devenait tour-à-tour la proie des Barbares. Marseille ne put se défendre
contre ces nouveaux ennemis. Elle tomba au pouvoir des Visigoths, et, quelque temps
après, des Bouguignons. Gondebaud, leur roi, céda la Provence à Théodoric, roi des
Ostrogoths, qui établit dans Marseille d’immenses magasins de grains pour le besoin de
l’armée.
Dans la suite, les Francs possédèrent toute la Provence, et éteignirent la domination des
Ostrogoths dans ces contrées. Marseille devint la capitale d’une province qui comprenait
les diocèses de Marseille, d’Aix et d’Avignon. Elle eut pour souverain Sigebert, roi
d’Austrasie.
Les Lombards, qui s’étaient établis dans l’Italie, passèrent les Alpes pour faire la
conquête de la Provence. Gontran, roi de Bourgogne et frère de Sigebert, envoya
Mummolus pour les repousser. Il les rencontra sur la rive gauche de l’Asse, dans la
plaine d’Estoublon, leur livra bataille et les anéantit.
Sigebert étant mort, eut pour successeur son fils Childebert, alors âgé de cinq ans, et qui,
deux ans après, fut adopté par Gontran. Celui-ci, n’ayant point de port de mer, exigea de
son neveu la moitié de la ville de Marseille, c’est-à-dire la partie basse. Childebert,
parvenu à l’age de raison, voulut recouvrer ce qu’il n’avait fait que céder verbalement
dans un âge où il ne lui était pas permis de contracter des engagemens. Gontran refusa
de restituer; et, pour se maintenir dans son usurpation, il persécuta cruellement saint
Théodore, évêque de Marseille, qui conservait à son roi une inviolable fidélité. Gontran
mourut enfin, et toute la Provence appartint à Childebert. Ce prince eut plusieurs
successeurs qui établirent à Marseille la résidence des gouverneurs de la province; et ces
gouverneurs prirent le titre de Patrice, de Préfet, de Duc ou de Comte.
La Provence jouit pendant quelque temps d’une paix profonde. Mais elle fut troublée par
l’arrivée des sarrasins, qui, secondés par le gouverneur d ‘Avignon, pénétrèrent dans la
province et saccagèrent Arles, Aix et Marseille. Cette dernière, surtout, vit ses plus
beaux monumens livrés aux flammes, et ses principaux habitans égorgés dans les rues et
sur les places publiques. Les religieuses de Saint-Sauveur, voulant se préserver de la
brutale lubricité des Barbares, se coupèrent le nez et se mutilèrent le visage, préférant la
mort la plus horrible à la douleur de perdre leur honneur. Les Barbares admirèrent un
instant le dévouement héroïque de ces pauvres filles; mais bientôt la fureur s’empara
d’eux, et toutes les religieuses reçurent la mort en regardant le ciel. Heureusement
Charles-Martel vint, à deux reprises différentes, délivrer Marseille et toute la Provence
de ces ennemis des chrétiens.
Au commencement du neuvième siècle, les Sarrasins firent une descente sur nos côtes,
surprirent la ville de Marseille, renouvelèrent leurs massacres, détruisirent une seconde
fois le monastère de Saint-Victor, pillèrent un grand nombre de maisons, et emmenèrent
en esclavage une multitude d’habitans.
Lors des guerres des croisades, et sous le règne des rois de Jérusalem, la ville de
Marseille, pour prix de sa coopération à ces saintes entreprises, obtint une maison à
Jérusalem et une rue dans toutes les principales villes intérieures ou maritimes. Telle est,
à ce qu’on présume, l’origine des quartiers des Francs dans les Échelles du Levant. Plus
tard, elle obtint également des rues et des maisons de campagne dans les îles Baléares,
pour avoir aidé les Espagnols à en chasser les Sarrasins.
Lorsque Boson fut couronné roi de Provence, la ville de Marseille fut comprise dans le
comté d’Arles; et lorsque Hugues eut à son tour usurpé la couronne, qu’il eut été chassé
de l’Italie pour venir mourir dans un monastère, la Provence n’eut plus pour souverains
que des comtes, qui confièrent à des lieutenans nommés vicomtes le gouvernement de
quelques districts importans, et notamment celui de Marseille, qui eut quelquefois
plusieurs vicomtes en même temps.
La ville basse de Marseille ayant acquis de grandes richesses, finit par acheter la
seigneurie de sa ville, et s’érigea une seconde fois en république, dont le premier
magistrat, toujours choisi parmi les étrangers, eut le titre de Podestat. La ville haute était
gouvernée par ses évêques, et formait un état particulier.
Sous le règne des comtes de Provence, Marseille ne fut point troublée par des ennemis
étrangers; mais elle eut plusieurs querelles à soutenir. Tantôt c’était avec l’évêque, tantôt
avec les moines de Saint-Victor, tantôt avec les comtes de Baux. Elle fut presque
toujours déboutée de ses prétentions, et force de payer annuellement de fortes sommes à
ceux avec qui elle avait été en contestation.
Charles d’Anjou, frère de saint Louis et successeur de Raymond Béranger, de qui il
épousa la quatrième femme, comme héritière du comté de Provence, voulut dépouiller
les barons et les villes de leurs justices souveraines. Aidé par Alphonse, comte de
Poitiers et de Toulouse, il obtint la capitulation des villes d’Arles et d’Avignon en 1251.
Toutes les forces furent dirigées contre Marseille, qui se défendit vaillamment pendant
huit mois; mais elle finit par accepter les conditions de paix qui lui furent proposées. La
ville rentra dans le domaine et la juridiction des comtes de Provence; elle eut un
gouverneur désigné sous le nom de Baille. Les fortifications furent détruites, et le comte
renonça au droit d’en faire construire de nouvelles. Il exempta les habitans de toute taxe,
promit de payer la moitié du prix des pensions annuelles que la ville faisait, mais
seulement dans le cas d’un accommodement définitif qui mît fin aux pensions, etc. La
ville conserva, pour ainsi dire, son gouvernement républicain. Mais, l’année d’après,
Charles se dirigea de nouveau sur Marseille qui, craignant de tout perdre pour vouloir
tout conserver, reconnut le comte et ses successeurs comme seigneurs perpétuels de la
ville vicomtable de Marseille et de toutes ses dépendances. La ville épiscopale n’attendit
pas d’être contrainte par la force, pour reconnaître l’autorité du comte. L’évêque et son
chapitre acceptèrent sans balancer les premières propositions qui leur furent faites, et les
deux parties de la ville ne furent plus qu’une ville municipale, surtout lorsque Jeanne eut
fait tomber l’injuste et ridicule barrière qui séparait les Marseillais en deux peuples.
Marseille ne manqua pas de secourir, à différentes reprises, cette reine. Après sa mort,
les Marseillais refusèrent de reconnaître Charles de Duras, son infâme assassin, pour
comte de Provence, et se donnèrent à Louis d’Anjou.
Alphonse V, roi d’Aragon, épousa Jeanne II, reine de Naples, à qui il ne tarda pas de
déplaire, à cause du ton de maître qu’il prenait sur elle. Alphonse, rappelé en Catalogne
pour s’opposer au roi de Castille qui menaçait ses états héréditaires, résolut de se venger,
en passant, de ce que les Marseillais lui avaient capturé deux galères, lorsqu’ils
défendaient la cause de leur prince. Arrivé devant Marseille, il fit attaquer pendant la
nuit, par ses dix-huit galères, l’entrée du port et les deux tours qui la défendaient. (La
tour Saint-Jean et la tour Saint-Nicolas). Il croyait ne rencontrer aucun obstacle; mais il
éprouva la plus vigoureuse résistance. Quelques habitans s’arment à la hâte, et se
dévouant au salut commun, soutiennent contre lui un combat inégal mais opiniâtre. Ce
n’est qu’à l’aide de la flamme qu’il parvient à débarquer. Il incendia plus de quatre cents
maisons pour forcer le peuple à quitter les bas quartiers, qui furent à l’instant livrés au
pillage de la soldatesque aragonnaise. Un des chefs trouve cachée dans une maison la
chasse où étaient renfermées les reliques de saint Louis de Brignoles, évêque de
Toulouse. Il en prévient Alphonse, qui se hâte de la faire enlever et de la faire porter en
triomphe jusque sur son vaisseau. C’était à ses yeux le plus riche butin qu’il pouvait
trouver dans ces lieux, le plus précieux monument de sa prétendue victoire. Bientôt il
apprit que toutes les communes des environs s’étaient armées. Déjà toute la population
de Cuges et de la ville d’Aix se montrait dans le lointain: et Alphonse, ne se croyant pas
assez fort pour résister à ses nouveaux ennemis, se rembarqua promptement, le 26
novembre 1423.
La reine contribua de tous ses moyens à réparer les pertes que la ville de Marseille
venait d’éprouver. Cette ville renaquit de ses cendres; il ne resta plus aucune trace des
dernières dévastations. Bientôt même elle se montra aux étrangers surpris, et plus belle
et plus forte qu’elle n’était auparavant. Elle eut une marine puissante qui fut la terreur
des Catalans et des Aragonnais. Ces derniers armèrent tous leurs vaisseaux pour venir
une seconde fois saccager Marseille; mais celle-ci les attendit sans crainte, et força la
flotte ennemie à s’arrêter dans l’anse, où fut signé un armistice de plusieurs années, et
qui, depuis cette époque, est appelée anse des Catalans, ou simplement les Catalans.
René, le bon René, cet excellent roi, l’idole des Provençaux et surtout des Marseillais,
légua la Provence à Charles de Maine, sous la condition que si ce dernier n’avait point
d’enfans, le comté de Provence appartiendrait Louis XI, roi de France, et ensuite à
Charles VIII, son successeur.
Charles III mourut, en effet, sans postérité, et la Provence devint ainsi la propriété des
rois de France.
Néanmoins elle continua d’exister comme nation indépendante. Marseille eut pour
gouverneur Palamède de Forbin, qui eut le talent d’inspirer aux Marseillais un grand
amour pour le roi. Charles VIII ne négligea rien pour mériter lui-même cet amour.
Depuis cette époque, les Marseillais conservèrent toujours à leurs princes légitimes un
attachement, un culte, un dévouement qui ne se démentiront jamais.
François Ier, lors de son premier voyage, put juger de ces sentimens, par la joie que fit
éclater à son arrivée ce peuple chevaleresque, par les jeux qu’il célébra en son honneur.
Un combat naval fut livré dans le port; une multitude d’oranges étaient dirigées de tous
les côtés contre le monarque, au point qu’il fut obligé de prendre un bouclier pour se
garantir de ces brillans projectiles. Il finit cependant par en envoyer lui-même aux dames
qui, des fenêtres et des balcons, cherchaient à l’atteindre et prenaient plaisir à le voir se
débattre.
François Ier se convainquit bientôt que les hommages qu’il avait reçus ne s’adressaient
pas à sa fortune, qu’il n’en était point redevable à ses succès. Quand vinrent les jours
mauvais, les Marseillais prouvèrent par de grands, par d’héroïques sacrifices, combien
était sincère leur amour pour leurs rois.
La mort de l’empereur Maximilien ayant rendu vacant le trône impérial, François fut
invité par plusieurs princes d’Italie à rechercher, à recueillir ce brillant héritage. Mais
François ne s’étant présenté qu’avec une armée peu nombreuse, fut abandonné de tous
ses alliés, qui firent cause commune avec son adroit compétiteur. Charles fut préféré, et
prit le nom de Charles-Quint. François trouva des traîtres jusque parmi les siens. Le
connétable de Bourbon, guerrier plein de mérite, mais d’une excessive susceptibilité,
vendit ses services à Charles-Quint, qui lui promit le titre de roi de Provence, sous la
condition qu’il en ferait la conquête.
A cette nouvelle, les Marseillais se hâtent de fortifier leur ville, et de l’approvisionner de
tout ce qui lui était nécessaire pour soutenir un long siége. Toute la chevalerie
provençale courut s’y enfermer, décidée à la sauver ou à mourir. Trente-trois vaisseaux
viennent défendre son approche du côté de la mer; tous les édifices en dehors des
murailles sont rasés; tous les lieux élevés, les clochers même, sont garnis de bouches à
feu. Les hommes apprenaient le maniement des armes; tandis que, de leur côté, les
femmes les plus délicates s’exerçaient à servir les troupes, comme si elles eussent été au
moment du combat.
Le connétable s’arrêta quelques jours à Nice pour y attendre la flotte impériale qui
devait le seconder dans ses opérations. Cette flotte ne tarda pas à se montrer devant
Monaco.
La flotte marseillaise vint la recevoir, et l’attaquant avec impétuosité, elle lui coula bas
trois galères et la força d’entrer dans le port. Des troupes impériales débarquèrent sur le
rivage; mais le canon marseillais leur tua plus de deux cents hommes.
Deux vaisseaux ennemis essayèrent vainement d’entrer dans le port. Ils en furent
empêchés par le vaisseau amiral des Marseillais, qui alla les combattre, s’en saisit, et fit
prisonnier le prince d’Orange ainsi que plusieurs seigneurs français qui venaient se
range sous les bannières du connétable.
Bourbon passe le Var, au commencement de juillet 1524. Il n’éprouva d’abord qu’une
faible résistance. Quelques paysans, qui s’étaient armés à la hâte, se mirent à le harceler,
et lui tuèrent trois ou quatre mille hommes. La ville d’Aix, effrayée au seul bruit de son
approche, n’osa point lui fermer ses portes. Ce succès, qu’il devait à la terreur de son
nom, était pour lui le présage d’un prochain triomphe. Néanmoins ce nom si redouté,
Marseille l’entendit sans effroi. Que dis-je? Pleine de confiance dans son courage,
soutenue par son ardent patriotisme, elle attendait avec impatience elle appelait de tous
ses vœux le jour où il lui serait donné de combattre contre ce prince parjure, traître à son
roi et à son pays. Elle ne doutait point de la victoire, parce qu’elle ne doutait point de la
justice, de la sainteté de la cause qu’elle avait embrassée.
Le connétable arrive enfin, et son premier soin fut de faire détruire tous les aqueducs qui
conduisaient les eaux dans la ville. Mais cette mesure cruelle sera sans résultat. Il ne
restera à Bourbon que la honte de l’avoir conçue. Marseille possède un grand nombre de
puits qui suffisent aux besoins du moment.
Ces magistrats timides, que sa présence seule devait faire trembler; qui, selon lui,
s’empresseraient de déposer à ses pieds les clefs de leur ville, ne paraissaient jamais. Il
attendait d’eux des honneurs, et ils lui préparaient des combats. Indigné, décidé à
vaincre une résistance qui l’humilie, Bourbon fait dresser des batteries. Les canons
homicides vomissent la mort dans la ville, tandis qu’armés de la sape, les hordes
allemandes ouvrent la tranchée, forment des parapets.
Cependant les héroïques défenseurs de Marseille ne laissent pas leurs ennemis préparer
paisiblement leurs moyens de destruction. Ils ont aussi, eux, des instrumens de ruine, des
instrumens de carnage; et soudain, de leurs tubes meurtriers, partent à la fois mille
projectiles qui portent le trépas dans les rangs impériaux.
Des cris de douleurs se font entendre; le connétable accourt et en demande la cause.
— Ce sont, répond son premier général, ce sont les consuls de Marseille qui, comme
vous voyez, vous envoient les clefs de leur ville.
Ce fut le 2 mars 1660 que le roi fit son entrée par la brèche. Sa majesté, voulant
empêcher que cette ville ne retombât sous le joug des factieux, fit élever sur un énorme
rocher, en face de la ville et à l’entrée du port, une citadelle qui porte le nom de Saint-
Nicolas. La ville de Marseille non seulement applaudit à cette sage précaution, mais elle
offrit quatre-vingt-dix mille francs qui furent employés à l’achat des terrains et des
maisons qui devaient être démolies.
Quatre ans après, le fort Saint-Jean fut construit à l’entrée du port et en face du fort
Saint-Nicolas. Par ce moyen, la ville était inabordable du côté de la mer, et nulle barque
ne pouvait sortir sans passer sous le feu de la mitraille et de la mousqueterie. Ce fut alors
que la tranquillité de la ville fut assurée. Un grand nombre de familles étrangères
accoururent. On se livra avec une ardeur nouvelle à la culture des sciences, des arts et
des lettres; le commerce refleurit, grâce à la franchise que le roi donna au port de
Marseille, et qui s’étendait dans tout le territoire de cette ville qui a environ trois lieues
de largeur.
La population augmentant chaque jour davantage, la ville eut besoin d’être
considérablement agrandie. Le plan fut confié, en 1666, au célèbre Puget, natif de
Marseille, et qui était le Michel-Ange de la France. Né pour la peinture, la sculpture et
l’architecture, il alla de bonne heure étudier les ouvrages des grands maîtres qui avaient
illustré l’Italie. A son retour, il se signala par des chefs-d’œuvre dignes du pinceau de
Raphaël et du ciseau des plus habiles sculpteurs de l’antiquité. Plusieurs tableaux qu’il
fit dans les environs de Toulon, les deux Hercules qui soutiennent le balcon de l’hôtel-
de-ville de cette même cité, et les deux fameux groupes qui se trouvent à Paris, dont l’un
représente le Milon de Crotone, et l’autre l’enlèvement d’Andromède par Persée, seront
des monumens éternels de son génie.
Et toutefois ses compatriotes n’apprécièrent point ce grand homme. Était-ce de leur part
envie ou ignorance? Quoi qu’il en soit, ils préférèrent aux plans qu’il avait présentés
ceux d’un architecte obscur, et condamnèrent ainsi leur ville à n’avoir jamais un
monument digne d’elle. Le cours n’est ni aussi long ni aussi large que le voulait Puget;
les façades des maisons qui l’entourent n’offrent point ces beaux et vastes portiques qui
auraient imité ceux des plus beaux palais de l’Italie; l’hôtel-de-ville, fort écrasé, eût été
l’un des plus beaux édifices de ce genre; les églises auraient rivalisé avec la basilique de
la capitale du monde chrétien; en un mot, Marseille aurait reproduit les merveilles de
Rome lorsqu’elle tomba sous le joug des Barbares.
Je ne terminerai pas le récit des évènemens du dix-septième siècle, sans raconter un fait
mémorable, que je puise littéralement dans un ouvrage récent, qui se recommande de
lui-même sous tous les rapports.
— Vers la fin de ce siècle, un trait remarquable de la vie de Nicolas Compian porta dans
tous les cœurs l’attendrissement et l’admiration. Ce négociant Marseillais s’étant
embarqué pour l’Égypte, eut le malheur d’être pris par un corsaire de Tripoli. Il fut
vendu à un riche Musulman. Quoique traité avec une extrême douceur, il versait des
larmes amères au souvenir de sa patrie et de sa famille. Son maître ayant fait de vains
efforts pour le consoler, lui dit un jour:
— Je te permets d’aller à Marseille, d’embrasser tes parens, d’arranger tes affaires,
d’amasser ta rançon; mais promets-moi de revenir, et donne-moi ta parole d’honneur;
c’est un gage qui me suffit. Vas; que Dieu te conduise et te ramène en santé.
Compian partit ivre de joie. Il passa quelques mois an sein de sa famille, qui, ayant
éprouvé des revers et perdu ses richesses, était dans l’impuissance de le racheter. Fidèle
à sa parole, héros de la foi promisé, il se déroba aux caresses de sa femme et de ses
enfans, pour aller reprendre ses fers.
En arrivant à Tripoli, il trouva son maître plongé dans la douleur, et à la veille de perdre
sa femme qu’il aimait éperdument.
— Chrétien, lui dit-il en le voyant, tu sens mon affliction; ton Dieu t’envoie à mon
secours; prie, prie ce Dieu pour ma femme et pour moi, car les prières de l’homme de
bien doivent désarmer sa colère.
A ces mots, Compian, tombant à genoux, pria avec ferveur à côté de la jeune femme.
Les vœux de son âme honnête furent exaucés; le mal diminua,
convalescence commença bientôt, la santé revint, et la joie rentra dans cette maison
long-temps affligée. Le vertueux Musulman, les yeux mouillés des larmes de la
reconnaissance, appela son esclave, et lui dit:
— Écoute-moi, chrétien; cesse de t’affliger. Je voudrais te retenir et couler avec toi le
reste de mes jours; je voudrais, en t’unissant à ma fille adorée te donner le doux nom de
fils. Mais ta religion et la mienne s’opposent à l’accomplissement de mes vœux; il faut
obéir à la loi, malgré le désir de mon cœur.... Écoute, te dis-je; laisse-moi achever, et ne
n’interromps pas “ par des remercimens que je ne mérite pas encore et que je voudrais
mériter. Il me reste un bien à te donner: c’est ta liberté. Ce n’est pas assez pour moi. J’ai
fait charger un vaisseau de blé; ce blé t’appartient, je te l’ai destiné.
Embarque-toi, puisque Dieu veut que tu me quittes; ne vas pas, les mains vides,
rejoindre tes parens. Soyez tous mes amis comme je suis le tien.
La ville de Marseille avait été, depuis dix-huit siècles, ravagée plusieurs fois par la
peste, qui lui était apportée du Levant. Mais c’est surtout en 1720 que la mortalité fut
terrible. Ce fléau fut répandu dans Marseille, le 31 janvier, par le Grand Saint-Antoine,
vaisseau marseillais, venu de Seyde et de Tripoli, par trois autres navires également
venus du Levant avec patente brute, c’est-à-dire que dans le lieu de leur départ il y avait
des soupçons de peste.
Le mal ayant perdu de son intensité, les médecins, trompés par ce symptôme, déclarèrent
que ce n’était qu’une maladie occasionnée par le dérangement de la saison. Mais, au
retour des chaleurs, le mal fut au comble. Les habitans voulaient prendre la fuite et se
répandre dans les différentes parties de la Provence, du Languedoc et du Dauphiné. Mais
un arrêté du parlement ayant prononcé la peine de mort contre tous ceux qui sortiraient
du territoire de Marseille, les riches allèrent habiter leurs maisons de campagne; les
pauvres s’établirent le long des remparts; les étrangers et les artisans allèrent camper sur
les rives de l’Huveaune on chercher un gîte sur les montagnes qui avoisinent Marseille;
les marins et les pécheurs se rendirent dans leurs barques et dans leurs vaisseaux au
milieu du port ou de la rade. La ville manque de vivre; la garnison, privée de pain,
menace d’attaquer la ville; l’autorité municipale menace à son tour la garnison de
marcher contre elle. De grands feux sont allumés pendant la nuit sur toutes les places,
dans toutes les rues, afin de purifier l’air; on parfume l’intérieur des maisons et des
édifices publics, en y brûlant une grande quantité de souffre. Vains efforts; le fléau
exerce toujours de ravages.
Le mois d’août arrive, et le nombre des victimes ne décroît point. Les temples du dieu
vivant sont désertés; les ateliers et les boutiques fermés, le palais de justice sans
magistrats, la bourse de commerce sans commerçans; la confusion seule règne dans cette
malheureuse cité. On n’entend de tous côtés que des cris lamentables et des hurlemens
affreux. Partout on rencontre la mort. Les familles se désunissent; le père meurt sans
bénir ses enfans; la mère, à son dernier soupir, n’aperçoit point auprès de son chevet sa
famille chérie; et les enfans, objets autrefois d’une si tendre sollicitude, sont
abandonnés; de jeunes nourrissons restent long-temps à la mamelle d’une mère qui a
cessé de vivre et dont le corps est en putréfaction. Les portes des maisons sont toutes
fermées. Le maître, qui vient de prodiguer ses soins à son ami, n’y peut plus rentrer, et
est forcé de mourir sur le seuil; partout, au milieu des rues sont des monceaux de
cadavres ou des malheureux expirans, dont les cris et les soupirs sont couverts par le
roulement des tombereaux qui, chargés de victimes, écrasent ceux à qui il reste encore
un souffle de vie.
Presque tous les morts auraient pourri sur les places publiques ou dans leur lits, si les
échevins (principales autorités municipales), secondés par quelques généreux citoyens,
n’eussent animé de leurs nobles sentimens les hommes chargés d’enlever les cadavres.
Tous les malades seraient morts sans recevoir les douces et touchantes consolations de la
religion, si Belzunce ne fût venu à leur secours. Belzunce! A ce nom, quel cœur n’est
pas ému, quel homme n’est pas pénétré de respect et d’admiration. Ce vénérable prélat
se devoue au soulagement des malheureux pestiférés; il n’a de repos ni la nuit ni le jour;
il visite continuellement les mourans; c’est lui qui reçoit leurs derniers soupirs, qui leur
ferme les yeux. Les prêtres qui suivent son exemple et imitent son zèle sont moissonnés
par la mort. Lui seul résiste à tous les dangers. C’est Belzunce qui distribue son argent
aux pauvres, vend tous ses meubles, contracte des obligations pour procurer un morceau
de pain à ceux qui en manquent; c’est Belzunce qui, par des prières et des solennités
publiques, s’efforce de faire renaître le calme dans les esprits.
Le prince régent nomma un nouveau gouverneur, et enjoignit aux intendans des
provinces d’envoyer des fonds de secours à Marseille. Des médecins distingués
accoururent de tous les points du royaume pour donner leurs soins aux malades.
Plusieurs hôpitaux furent établis, les rues nettoyées, lavées et tout-à-fait désinfectées; le
vaisseau le Grand Saint-Antoine et toute sa cargaison livrés aux flammes dans l’île de
Jarre.
La plupart des maisons n’ayant plus de maîtres, échurent aux premiers qui arrivèrent en
septembre de l’année d’après, époque où les échevins déclarèrent, l’état sanitaire de la
ville pour rassurer les étrangers.
C’est pendant que la peste faisait de Marseille un vaste désert, que plusieurs personnes,
retirées à la campagne, se livrant à l’étude des lettres, se réunissaient chez l’une d’elles
pour se communiquer leurs lumières.
Ces réunions continuèrent, quand tout le monde fut rentré dans la ville. Plusieurs
littérateurs marseillais s’y firent agréger; et, en peu d’années, le roi accorda cette
académie naissante le titre de sa fondation.
Toute la ville se ressentit de cette utile institution.
Mais bientôt arriva la révolution de 89. La société académique fut forcée du suspendre
ses travaux. Les Provençaux partagèrent les espérances que la révolution française avait
fait naître dans presque tous les esprits. Quelques désordres fâcheux eurent lieu à
Marseille. La justice n’ayant osé sévir contre les coupables, ceux-ci prirent encore plus
d’audace. Leur troupe s’accrut de cette foule de jeunes gens sans existence fixe dont
fourmillent toutes les grandes villes. Des rassemblemens se formèrent dans certains
quartiers de la ville; des troupes entrèrent dans Marseille; les principaux moteurs furent
arrêtés et enfermés dans le château d’If, où ils furent détenus jusqu’a nouvel ordre.
Quelques mois après, la populace, excitée par des meneurs secret, veut s’emparer des
fortifications, surtout du fort Saint-Nicolas, parce que celui-ci tenait la ville en respect.
Le commandant de ce fort, en homme prudent, consentit à admettre dans la place deux
compagnies de la garde bourgeoise, pour faire le service conjointement avec la troupe de
ligne cinq fois plus nombreuse. Mais le commandant du fort Saint-Jean, le sieur de
Beausset, ne voulait céder la place que d’après un ordre du roi. Son état -major ne
montra pas la même fermeté. La populace entra dans le fort; le malheureux de Beausset
fut massacré, et plusieurs parties de son corps furent promenées dans la ville au bout des
piques et des bâtons.
La ville de Marseille eut son club et ses sections, où les personnes honnêtes étaient
accusées comme aristocrates et ennemies du bien public, et où jamais il ne fut pris des
mesures sévères contre ceux qui fomentaient réellement les désordres. Le commandant
de la garde nationale, pour avoir voulu empêcher la licence et l’effusion de sang, fut
accusé et destitué de son grade. Les gens de bien, ne pouvant entendre de sang-froid les
propositions infâmes qui se faisaient dans les différentes sections, se réunirent dans
l’église des Carmes, afin de décider sur les mesures qu’ils avaient à prendre pour sauver
la ville de l’anarchie à laquelle elle était sur le point d’être livrée. Ils ne trouvèrent
d’autre moyen que celui de la force des armes. Mais comme il leur répugnait de faire
répandre le sang de leurs compatriotes, dont la plupart avaient été entraînés malgré leur
conscience, ils préférèrent se séparer en silence, sauf à se réunir de nouveau dans une
circonstance plus favorable.
Les troubles qui agitaient Marseille se faisaient ressentir dans toute la Provence et dans
le Languedoc. Nombre de personnes d’un caractère peu fait pour braver l’esprit de
circonstance, et un plus grand nombre encore de vieillards, qui avaient passé leur vie
dans des maisons religieuses, quittèrent leurs maisons et leurs cellules pour venir
chercher un refuge dans la ville d’Arles, dont la situation entre un fleuve, la mer et des
marais semblait les garantir contre les persécutions.
Le club de Marseille fut instruit de cette réunion, et prit quelques centaines de
septuagénaires pour une armée formidable qui s’organisait. Ou résolut d’aller exterminer
cette prétendue armée. Mais sachant qu’en la ville d’Aix il y avait le régiment d’Ernest,
et craignant que ces Suisses ne s’opposassent à leur dessein, les clubistes marseillais se
dirigèrent d’abord sur cette ville avec une nombreuse artillerie, s’adjoignirent leurs
confrères de la contrée, et forcèrent ce régiment à mettre bas les armes. Ce fut après ce
premier succès qu’ils marchèrent sur Arles, en proférant le cri, à bas les aristocrates.
Leurs vociférations se faisant entendre de loin, les réfugiés prirent la fuite et allèrent se
cacher dans l’île de la Camargue.
Bientôt les puissances prirent les armes contre la France. Le malheureux Louis XVI fut
enfermé dans la tour du Temple. Les jacobins de Paris demandèrent aux principales
villes du royaume des secours en hommes déterminés. Le club de Marseille ne put faire
un meilleur choix, qu’en admettant dans le bataillon dit révolutionnaire qu’il envoya,
tous les hommes accourus expressément en cette ville dans l’espoir du pillage. Ce
bataillon, composé d’environ cinq cents hommes, se mit en marche et se fit précéder par
la réputation la plus sinistre. Ces cinq cents hommes arrivèrent à Paris la veille du l0
août, journée malheureuse où le sabre des prétendus Marseillais inonda de sang le palais
des successeurs de Saint-Louis et de Henri IV. Ce premier bataillon ayant rempli sa
mission, fut remplacé par un second, qui, composé d’hommes semblables, fut un des
soutiens de la fatale journée du 21 janvier 1793. Les premiers mois de cette année furent
signalés à Marseille par des excès coupables que tout honnête homme doit flétrir. Les
démagogues de cette cruelle époque, appelée à juste raison temps de la terreur, pendaient
ou enfermaient dans de noirs cachot, tous les citoyens paisibles ou qui occupaicat un
rang distingué dans la société. Le 22 avril, Philippe-Égalité, duc d’Orléans, le duc de
Beaujolais, le plus jeune de ses fils, sa sœur la duchesse de Bourbon et le prince de
Conti arrivèrent à Marseille comme prisonniers, et furent enfermés dans le fort Notre-
Dame de la Garde, où le duc de Montpensier, second fils d’Égalité, était écroué depuis
plusieurs jours.
Tout ces excès finirent par diviser ceux même qui y avaient en quelque sorte participé.
Un arrêté de deux représentans réfugiés à Montélimart cassa le tribunal populaire de
Marseille et le comité central des section. Plusieurs membres de ce dernier, loin de
dissoudre leur réunion, l’érigèrent en comité général et s’emparèrent de tous les
pouvoirs. Cet acte courageux et énergique fut applaudi, et des hommes modérés, et de
ceux qui avaient le plus à se plaindre de la révolution. Une coalition se forma entre les
départemens des Bouches-du-Rhône, Basses-Alpes, Hautes-Alpes et le Gard, pour
envoyer chacun un bataillon à Bourges, ville où l’on se proposait d’établir un autre
gouvernement. Le point de réunion était Avignon. Dans ces entrefaites, des
commissaires arlésiens vinrent à Marseille demander des troupes pour les aider à châtier
les sans-culottes qui convoitaient le pouvoir. Le bataillon marseillais qui devait se rendre
à Avignon, se dirigea d’abord sur Arles où il demeura plusieurs jours.
Cependant la Convention, instruite de la coalition marseillaise, détacha de l’armée des
Alpes le général Cartaux avec quinze cents hommes, avec ordre d’arrêter les bataillons
de Nîmes et de Marseille A son approche, les Nîmois abandonnèrent le pont Saint-Esprit
pour aller se cacher dans leurs foyers. Les Marseillais arrivèrent à Avignon, après avoir
repoussé les habitans qui leur disputaient le passage de la Durance. Le commandant
demande à Marseille de nouvelles forces; elle ne leur envoie que des domestiques ou des
hommes payés à la journée. Cartaux se présente, et il est repoussé avec pertes. A peine
le combat est-il fini, qu’un commissaire envoyé par les sections de Marseille apporte
l’ordre au commandant, qu’en cas qu’il soit repoussé par Cartaux, ce qu’on ne croyait
pas, on lui enjoignait de se retirer sur la rive gauche de la Durance pour empêcher
l’ennemi de passer cette rivière. Cet ordre fut mal compris. On crut qu’il y avait du
danger à rester plus long-temps à Avignon. Le bruit se répand qu’on va battre en retraite.
Une terreur panique s’empare de tous les esprits. Tous les Marseillais s’empressent de
quitter Avignon, et se précipitent au bac de Barbentane sans pouvoir se rallier.
A cette nouvelle, Marseille fut consternée. Cependant elle se hâta de demander du
secours aux autres villes de Provence. Plus de huit mille hommes furent bientôt réunis,
et allèrent établir leur quartier général à Lambesc; et de là dirigèrent des troupes sur
plusieurs points pour combattre les forces conventionnelles.
Cet état de choses et la stagnation totale du commerce plongea la ville de Marseille dans
la misère. Elle n’avait plus en circulation que des assignats, qui ne pouvaient lui
procurer du blé pour ses habitans. Elle fut forcée d’envoyer des députés à l’amiral Hood
qui commandait l’escadre anglaise, pour le prier de laisser passer quelques navires qui
allaient chercher du grain dans l’étranger. Ces députés furent parfaitement bien reçus, et
l’amiral anglais adressa cette proclamation aux habitans de Toulon et de Marseille.
— Français, vous êtes depuis quatre ans, travaillés par une révolution qui a
successivement amené sur vous tous les malheurs. Après avoir détruit le gouvernement,
foulé aux pieds toutes les lois, assassiné la vertu, préconisé le crime, des factieux,
parlant de liberté pour vous la ravir, de souveraineté du peuple pour dominer eux-
mêmes, de propriété pour les violer toutes, ont établi leur odieuse tyrannie sur les débris
d’un trône où fume encore le sang de “ votre légitime souverain ... Le tableau de vos
maux est horrible; il a dû affliger les puissances coalisées: elles n’ont vu de remède que
dans le rétablissement de la monarchie.
Je viens vous offrir les forces qui me sont confiées pour épargner l’effusion du sang,
pour écraser les factieux, rétablir l’harmonie et la tranquillité que leur détestable système
menace de troubler dans toute l’Europe.
Comptez sur la fidélité d’une nation franche. Je viens de donner une preuve éclatante de
sa loyauté: plusieurs vaisseaux chargés de blé, venant de Gênes, arrivent dans vos ports,
escortés par des vaisseaux anglais. Prononcez-vous donc, et je vais faire succéder des
années de bonheur à quatre ans de servitude et de calamité.
L’armée départementale ayant éprouvé la défection des troupes de ligne qu’elle avait, fut
forcée de s’approcher de la ville, dans le dessein de s’y enfermer. Mais, considérant que
les hauteurs étaient au pouvoir des terroristes, et les forts entre les mains de la ligne, sur
laquelle on ne pouvait compter, les départementaux se dirigèrent sur Toulon comme le
dernier de leurs retranchemens. Cartaux entra dans Marseille avec moins de trois mille
hommes précédés des terroristes. Tout ce qui n’était pas dans l’opinion républicaine fut
désarmé. Cartaux se reposa plusieurs jours sur les lauriers qu’il avait cueillis dans cette
fameuse campagne; et son indolence donna le temps aux Toulonnais de négocier et de
céder leur ville aux troupes anglaises, espagnoles et napolitaines, le 28 août 1793.
Marseille, de nouveau tombée sous la Convention, vit rétablir son tribunal
révolutionnaire, qui couvrit la Provence de larmes et de deuil. Tous ceux qui avaient
occupé des emplois ou qui avaient fait partie de l’armée départementale, dont le but était
de secouer le despotisme du parti de la montagne, ou se sauvèrent dans Toulon, ou furent
traduits devant le tribunal révolutionnaire, et de là à l’échafaud.
On ne pouvait échapper au gibet, qu’en adoptant ce cynisme de langage et d’action qui
distinguait alors nos fougueux novateurs. Malheur à la fille, à la femme dont la bouche
n’aurait pas fait entendre ces expressions sacramentelles abandonnées aujourd’hui à la
lie du peuple. Les honneurs devenaient la proie de tous ceux qui osaient prostituer leur
langue et leurs bras aux ignobles tyrans qui avaient asservi la France. Au nom de la
liberté et de l’égalité, on imagina les cartes de sûreté, les certificats de civisme, le
maximum, les réquisitions, les visites domiciliaires, les fusillades, les noyades, les
confiscations, en un mot, toutes les horreurs que peuvent produire la cruauté et la folie.
Plusieurs représentans du peuple, Barras, Fréron, Robespierre jeune, Ricord, Salicetti,
ayant appris que Toulon avait arboré le drapeau blanc et proclamé Louis XVII,
menacèrent de s’en venger sur Marseille. Déjà plusieurs beaux édifices sont, d’après
leurs ordres, ensevelis sous leurs décombres; déjà le balcon de l’Hôtel-de-Ville était
abattu, et des ordres étaient donnés pour combler entièrement le port; heureuse ment la
Convention, toute montagnarde qu’elle était, s’opposa à ce barbare dessein. Les
représentans alors, furieux d’être contrariés dans leurs vues patriotiques, appelèrent
Marseille Ville sans nom, et firent conduire au supplice ses plus vertueux citoyens.
Heureusement le 19 décembre arriva; les conventionnels ayant repris Toulon, Barras,
Fréron et leurs collègues allèrent assouvir leur rage sur la ville conquise, et anéantirent
cette marine que l’intérêt et tant de glorieux souvenirs auraient dû protéger.
Ces hommes avides de sang eurent des regrets. Ils retournèrent à Marseille et
suspendirent le tribunal révolutionnaire parce que, selon eux, il n’immolait pas assez de
victimes. On créa une commission militaire, qui devait fournir à une guillotine sans
cesse en permanence sur la Cannebière. Que de femmes, de vieillards, de religieuses, de
prêtres, de commerçans, de riches, de pauvres, d’artistes, d’artisans furent conduits à
cette boucherie. Les membres de cette commission, peu de jours après leur installation,
envoyèrent le catalogue de leurs jugemens, qu’ils accompagnèrent de ces paroles....
— Vous verrez que nous n’avons pas perdu un instant. La vengeance nationale est ici à
l’ordre du jour; la terreur est dans l’âme des lâches, des aristocrates et des modérés. Le
glaive de la loi nous est confié; il frappe journellement des têtes coupables. Il n’en
échappera pas un, nous vous l’assurons. Plus la guillotine joue, plus la république
s’affermit. Le sang des scélérats, des ennemis de la patrie arrose les sillons du Midi;
leurs corps fertilisent les champs, la terre a soif de ces monstres. Nous travaillons sans
relâche à faire disparaître des départemens du Midi tous ceux qui ne veulent pas la
liberté, qui méprisent l’égalité, qui rejettent l’unité et l’indivisibilité de la république, qui
n’aiment pas la Convention nationale, qui craignent les jacobins et tous les sans-culottes
nos frères. Ça va bien, ça ira mieux dans peu de temps.
Tel était le langage de ces juges qui, pour aller plus rondement, n’entendaient ni témoins
ni accusateurs publics, ni défenseurs, ni même les parties. Ils se con tentaient, du haut du
balcon du palais de justice, de prononcer les arrêts de mort contre les victimes qui se
trouvaient entassées sur la place, et que des charrettes transportaient à l’instant jusqu’au
pied de la guillotine.
En jugeant de cette manière, la commission militaire de Marseille ne pouvait cependant
se suffire. Il lui fallait un tribunal extraordinaire. On l’établit à Orange, et les habitans
des Bouches-du-Rhône et même de Marseille y furent envoyés à charretées.
Le 9 thermidor arriva, et la chute du Néron français (Robespierre) ne fut pas bien
comprise par les clubistes de Marseille. Aussi continuèrent-ils à envoyer des victimes à
l’échafaud. Il fallut que mille hommes de troupes, sortis de Toulon, vinssent faire arrêter
l’effusion du sang et emprisonner plusieurs anarchistes. Les jacobins, furieux de voir le
pouvoir s’échapper de leurs mains, se rassemblèrent et menacèrent d’assassiner deux
représentans qui se trouvaient en cette ville; mais la troupe de ligne fondit sur les
factieux, en saisit une quarantaine et dissipa les autres. Les principaux furent condamnés
à la peine de mort par une commission militaire; ils allèrent à l’échafaud en dansant et
en chantant la Marseillaise.
Les amis de la paix, tout ce qui avait un cœur honnête put un peu respirer; les personnes
du sexe purent se montrer dans les rues sans avoir besoin de blasphémer, et sans craindre
d’être insultées et outragées. Les honnêtes gens, poursuivis à cause de leur fortune,
purent sortir de leurs cachettes et des voûtes souterraines qui les avaient dérobés aux
recherches des terroristes, et préservés d’une mort infamante. Leur présence épouvanta
les pendeurs et tous ceux qui avaient participé aux grands crimes de la terreur. Ils
pensaient bien que celui à qui on avait confisqué ses biens, que les enfans à qui on avait
assassiné leurs pères, que le père dont on avait égorgé le fils, ne verraient pas de sang-
froid des monstres qui causaient leurs larmes. Ils ne se trompaient pas: plusieurs de ces
hommes sanguinaires furent à leur tour poursuivis et livrés aux nouveaux tribunaux.
Heureux ceux qui ne reçurent que la bastonnade, au lieu du dernier supplice qu’ils
avaient si bien mérité. Croirait-on que plusieurs de ces grands coupables furent
demander un asile chez des personnes qui avaient été indignement persécutées, et que
ces misérables furent sauvés par ceux même qui avaient droit de les faire poursuivre.
Faut-il s’en étonner; ne sait-on pas que l’honnête homme, l’homme religieux, l’homme
chrétien pardonne à ses bourreaux, et laisse à la faiblesse le honteux plaisir de la
Vengeance!
Parmi les royalistes, il y en eut un certain nombre qui invoquèrent cette infernale
divinité. On les vit, dans la journée du 5 juin, se diriger en armes vers le fort Saint-Jean,
y pénétrer et massacrer sans pitié les assassins de leurs pères, de leurs frères, de leurs
amis. Ils devinrent inconsidérément assassins eux-mêmes; ils massacrèrent
indistinctement tout ce qu’ils trouvaient dans les cachots; ils y étaient en quelque sorte
autorisés par des représentans qui se trouvaient dans la ville. Les membres de la famille
d’Orléans, qui, depuis le 22 mai, se trouvaient dans cette forteresse, furent respectés.
Fréron vint avec l’autorité d’un dictateur. Il fit ses efforts pour pacifier Marseille, et eut
le talent de mécontenter tous les partis. Après son départ, les élections qui eurent lieu
occasionnèrent des troubles et des rumeurs. Le général Willot vint prendre le
commandement de Marseille. Il adoucit le sort du duc de Montpensier et du comte de
Beaujolais, toujours détenus au fort Saint-Jean. Ce général s’attira l’estime et la
confiance des honnêtes gens; aussi fut-il envoyé par eux au conseil des Cinq-cents.
Mais bientôt arriva le 18 brumaire, où, par un événement aussi imprévu que funeste, les
jacobins arrivèrent de nouveau au pouvoir. Tous les émigrés qui étaient rentrés dans
leurs foyers n’eurent que quinze jours de temps pour évacuer le sol français; leurs
parens, leurs amis furent vivement persécutés. Plus de justice. Le crime se commettait
impunément. Aussi toutes les scélératesses dont la campagne était devenue le théâtre, le
saccagement des métairies, le dévalisement et le meurtre des voyageurs, tout était
attribué aux émigrés, qui se trouvaient quelquefois à plusieurs centaines de lieues. Le
maréchal Lannes vint seconder les terroristes et les animer contre de prétendus
coupables, qui n’avaient d’autre tort que celui de ne point aimer la révolution.
Royalistes, dit ce général mal intentionné dans sa première proclamation; royalistes, je
suis arrivé, demain vous êtes morts. A une pareille menace, il ne parut plus sur la voie
publique que des hommes forcenés qui assassinaient et pillaient dans les magasins en se
disant royalistes, et qui n’étaient que les agens de la terreur. Aussi un grand nombre de
citoyens honnêtes et paisibles furent-ils accusés de ces crimes par les coupables même,
et condamnés comme tels. Comme on conduisait ces malheureux au supplice, la
populace jacobine les insultait et leur envoyait des coups de pierres, et les sans-culottes
les accompagnaient en dansant la carmagnole. Je ne continuerai pas à raconter toutes les
atrocités de cette époque. J’aurais voulu jeter le voile de l’oubli sur celles que j’ai été
forcé de décrire; mais j’avais promis l’historique de Marseille, et je devais mentionner
les faits les plus importans. Heureusement nous voici arrivés au 18 brumaire. Bonaparte,
revenant d’Égypte, débarqua sur la côte de la Provence, et chacun s’en réjouit. Les
jacobins disaient avec joie, voici le couteau des chouans; les amis de la religion le
considérèrent comme le soutien de l’autel; les royalistes virent en lui un connétable qui
venait relever le trône abattu par l’égarement des uns et la cruauté des autres. Chacun fut
plus ou moins trompé dans son espérance. Bonaparte, devenu consul, envoya des préfets
dans tous les départemens. Celui des Bouches-du-Rhône eut Charles de la Croix, qui
calma les esprits et embellit considérablement la ville de Marseille, et favorisa son
agrandissement, en faisant démolir les remparts. Les Marseillais épars dans la France et
dans l’étranger, apportèrent dans leur ville le désir de la paix et de l’oubli du passé.
Chacun s’empressa de reprendre son industrie. Les trésors qu’on avait été obligé de
cacher pendant les troubles furent déterrés. Le commerce reprit quelque consistance; la
religion se montra dans tout son lustre; l’académie des sciences put rouvrir ses séances,
l’école de médecine renaquit de ses ruines; en un mot, tous les Marseillais ne firent
bientôt plus qu’une seule famille, réunie sous un même esprit et un même intérêt, à la
satisfaction de tous les Français qui aimaient la concorde et la prospérité de leur patrie.
Bonaparte, devenu empereur, s’attira l’inimitié de tous les souverains de l’Europe, et
établit ce blocus continental qui jeta le commerce de Marseille dans l’état le plus
déplorable. Les négocians ne vendant point les marchandises dont leurs magasins étaient
encombrés, les fabriquans ne recevaient point de commandes, et les ouvriers ne
pouvaient donner du pain à leurs familles; première cause de la haine des Marseillais
contre Napoléon. Thibaudeau, autre préfet à Marseille, voulant seconder l’ambition de
celui qui lui avait confié ce poste, épuisait toutes les bourses et toutes les familles pour
alimenter les armées françaises, et ce fut ce qui acheva d’aliéner tous les esprits à
l’empereur. Il ne faut pas s’étonner si, en 1814, les Marseillais firent de si grandes
démonstrations de joie à la nouvelle de la déchéance de Bonaparte. Les dépêches
n’étaient pas encore arrivées, que tout le monde, hommes, femmes, vieillards, enfans,
sans distinction de rang et de condition, tous s’embrassaient en répandant des larmes
d’allégresse. Dans un instant le drapeau blanc flotta à toutes les fenêtres de la ville;
chacun arbora la cocarde de Henri IV, et se promenait dans toutes les rues, quoique
encombrées de farandoules composées de personnes de l’un et de l’autre sexe. Le
commerçant donnait la main à une tailleuse; la main du fripier n’était pas dédaignée par
la femme d’un des principaux rentiers; le magistrat, sans blesser sa dignité, prenait une
part active à cette joie universelle; et l’on peut dire que c’est le cœur qui dirigeait tous
les esprits. Le retour de la légitimité ne porta point les Marseillais au crime. Si le peuple
se présenta en foule devant l’hôtel de préfecture, ce ne fut que pour reprocher à
Thibaudeau son despotisme et sa tyrannie. Si quelques-uns se présentèrent à la prison
d’état du château d’If, ce ne fut que pour donner la liberté à une foule de personnes
marquantes qui, accusées de délits politiques, gémissaient depuis long-temps dans des
cachots obscurs et infects. En un mot, les Marseillais, loin de courir les rues en criant à
la lanterne, les parcouraient aux cris mille fois répétés de vive le roi, vive Louis XVIII,
vivent les Bourbons, et se précipitaient ensuite dans les églises pour remercier l’éternel
de les leur avoir rendus. Enfin les rues et les places publiques de Marseille, loin de
présenter des signes de meurtre et de sang, n’offraient que des arcs de triomphe en
verdure et des guirlandes qui unissaient toutes les maisons, pour prouver que toute la
ville ne formait qu’une même famille, qu’elle n’avait qu’un même cœur, qu’un même
esprit, qu’un même amour. Son altesse royale, Monsieur, comte d’Artois; fut témoin de
cet enthousiasme marseillais. Il put se convaincre que la Provence était et serait toujours
religieuse et royaliste.
Le commerce de Marseille se réveilla de l’affreuse léthargie dans laquelle il avait été
plongé par les guerres continentales. Les vaisseaux de ce port promenèrent la couleur
française dans toutes les mers, et portèrent les productions de notre industrie dans toutes
les colonies d’Amérique et dans les Échelles du Levant, et chargèrent à leur retour les
denrées étrangères les plus agréables et les plus utiles. Tout annonçait la plus grande
prospérité pour le commerce français. Les Anglais en furent alarmés. Ce fut pour arrêter
cette prospérité, que Bonaparte fut inspiré à quitter l’exil pour ramener la guerre.
Masséna, qui se trouvait à Marseille, arrêta l’élan des habitans, qui voulaient se porter en
masses sur les bords de la Durance pour arrêter le déserteur de l’île d’Elbe. ils y allèrent,
en effet; mais il n’était plus temps; Bonaparte se trouvait déjà dans le Dauphiné, et la
route jusqu’à Paris ne lui présentait plus d’obstacles. Le duc d’Angoulême, assuré du
bon esprit des habitans du Midi, vint y organiser une armée de volontaires royaux.
Marseille fournit plusieurs bataillons de ses citoyens, dont la plupart répandirent leur
sang pour la défense de leur roi. La trahison et la défection de plusieurs chefs militaires
amenèrent la désorganisation de cette armée. Le duc d’Angoulême fut forcé de capituler,
et il s’embarqua à Cette sur un vaisseau suédois.
Le gouvernement des Cent jours ne se sentant pas assez fort pour résister aux puissances
étrangères qui s’avançaient à marche forcée vers nos frontières, essaya d’attirer dans son
parti tous ceux qui, au commencement de la révolution, avaient donné des preuves de
jacobinisme. Les anciennes haines furent éveillées. Les insultes, les menaces et les voies
de fait furent mises en avant. Brune fut envoyé en Provence pour inspirer la terreur aux
Provençaux. Il est effrayé lui-même, en voyant la garde bourgeoise se refuser
constamment à reconnaître Napoléon. Aussi appela-t-il plusieurs régimens qui aigrirent
les Provençaux par des insultes, des coups de plat de sabre, des emprisonnemens et des
jets de pierre contre les fenêtres. Les troupes bivouaquèrent sur toutes les places
publiques et dans les principales rues. L’autorité d’alors eut l’imprudence de désarmer la
garde nationale et de la dissoudre, pour en organiser une nouvelle composée d’hommes
dévoués au parti. Le manque de sujets rendit cette dernière opération impossible, et
l’autorité n’eut plus auprès d’elle des citoyens armés pour empêcher des désordres qui
ne pouvaient manquer d’avoir lieu en cas de réaction.
Mais bientôt arrive le 25 juin. Le général Verdier annonce aux officiers qu’ils ne doivent
plus crier vive l’empereur. Des Marseillais entendent cet ordre, et dans un instant toute
la ville en fut instruite. Tout le monde court les rues pour se communiquer cette
nouvelle; un poste du bataillon sacré, placé à la Cannebière, a l’imprudence de faire feu
sur le peuple. A cette témérité, tambours marseillais battent la générale; tout le monde
est en armes. Verdier va se cacher chez lui; la fusillade s’engage dans toutes les rues;
toute la ville est pavoisée de drapeaux blancs. La ligne, repoussée sur tous les points,
rentre dans ses quartiers. A quatre heures, il ne restait plus que le poste du Palais, qui
allait être écharpé par la populace, quand un détachement de la garde nationale vint le
prendre sous sa protection, et l’accompagna jusqu’au fort Saint-Jean. Ces soldats, se
voyant en lieu de sûreté, eurent l’ingratitude de faire feu sur ceux qui venaient de les
préserver de la mort. Les officiers du bataillon sacré mitraillèrent le peuple qui se
trouvait sur le quai et la place Saint-Jean. Un pareil forfait ne pouvait manquer d’avoir
des suites fâcheuses; la mousqueterie se fait entendre dans toutes les rues; plus de cent
cinquante morts étaient déjà étendus sur le pavé, quand des habitans de la campagne,
armés de fusils de chasse, arrivent de tous les côtés pour défendre la ville. Verdier,
effrayé du sort qui menace les officiers, suit les conseils d’un Marseillais, fait partir les
troupes la nuit d’après, et les dirige sur Toulon. Elle firent leurs adieux à la ville, en
fusillant une femme qu’elles rencontrèrent hors des barrières. La population entière
aurait poursuivi en armes ces hommes auteurs des troubles et du sang qui avait ruisselé
dans Marseille, mais l’autorité de la ville annonça le retour des Bourbons. A ce nom,
toutes les haines cessèrent, l’esprit de vengeance s’évanouit, la joie universelle vint de
nouveau briller sur tous les visages; tout ce qui eut des sentimens chrétiens courut dans
le temple de Dieu pour le remercier de lui avoir donné la paix, cette douce paix, qui fait
le bonheur des peuples et la félicité de l’homme de bien.
Telle est l’histoire de cette ville antique, la première qui ait existé dans les Gaules, et qui
communiqua les lumières de la civilisation, du commerce et de l’industrie à tous les
peuples qui se trouvaient entre la Méditerranée, les Alpes, le Rhin et l’Océan; de cette
ville qui attira dans ses ports les richesses de toutes les parties du monde, en échange des
productions de son sol, de son industrie et du trafic qu’elle faisait avec tous les peuples
du continent; de cette ville qui, pendant des siècles, eut la sage politique de se faire
craindre et respecter de tous les conquérans ambitieux qui enviaient sa puissance, sa
prospérité et sa gloire; de cette ville qui, tombée sous le joug de plusieurs peuples
barbares et de quelques princes étrangers, sut reconquérir ou racheter ses franchises, sa
liberté et son indépendance; de cette ville enfin qui, devenue française par droit de
succession, n’a jamais cessé de donner à ses rois des marques d’un dévouement sans
borne et d’une fidélité à toute épreuve. Il ne nous reste plus qu’à en faire la description
topographique, et nous allons nous en acquitter le plus exactement et le plus
succinctement qu’il nous sera possible, en n’omettant rien de ce qui mérite le plus d’être
connu.
La primitive ville de Marseille était très-bien bâtie et d’une étendue considérable. Elle
était disposée en manière de théâtre, dont le port aurait servi de scène. Elle était enrichie
de beaux monumens d’architecture comparables à ceux de Carthage, de Rhodes et de
Cysique, l’une des plus belles villes d’Asie, du temps de Strabon. Parmi ces monumens,
se trouvaient un grand nombre de temples magnifiques, dont les principaux étaient celui
de Diane, près de l’endroit où est aujourd’hui l’église de la Major; celui d’Apollon, au
même emplacement de l’église Saint-Sauveur, et celui de Pallas, où se trouve le clocher
des Accoules. On adorait aussi à Marseille Jupiter sous le nom de Dolichen, à cause de
Doliché, île de la Grèce, où ce Dieu avait un temple. En creusant le port de Marseille, on
trouva la statue colossale de Jupiter ainsi que cette inscription:
DEO DOLICHENIO
OCT. PATERNVS EX IVSSV EIVS PRO
SALVTE SVA ET SVORVM.
La ville de Marseille était divisée, du temps de Jules César, en plusieurs parties bien
distinctes. La ville haute était défendue par trois forts, savoir: le fort Roguebarbe, sur la
hauteur des Grands-Carmes; le Château-Babon, sur le bord de la mer, s’étendant de la
place Saint-Laurent jusqu’à la rue Saint-Pierre; et le fort de l’Évêché, près du boulevard
des dames.
La ville basse tenait à la ville haute, et ne venait que jusqu’à la Cannebière et au grand
Cours. L’extérieur de la ville, du côté du port actuel, n’offrait qu’un vaste mur fort élevé,
percé de distance en distance de quelques ouvertures étroites que l’on fermait tous les
soirs avec des grilles de fer. En dedans de ces grilles étaient des places entourées de
vastes magasins ou hangars, où étaient déposées des marchandises.
Les deux parties de la ville réunies avaient plusieurs portes principales: celle du Port
Gaulois, qui se trouvait à l’ouest de l’église de la Major, et dont l’emplacement a été
couvert par les eaux de la mer; celle de la Juliette, qui existe encore; son nom annonce
assez que c’est par là que Jules César fit son entrée dans Marseille; d’ailleurs, c’était à
cette porte que venait aboutir l’ancienne route de France; la porte d’Annone, ainsi
appelée de la Halle au blé qui en était voisine; Cette porte était en face de la rue des
Grands Carmes; celle de la Frache s’ouvrait sur la rue Sainte-Barbe; celle du Marché,
sur la Grande Rue; et la porte Réale, sur la rue des Fabres.
Le rempart qui longeait la ville se terminait auprès du port par une vaste tour appelée
Tour des seigneurs de l’hôpital. En dedans de cette tour, et sur la place du Cul de Bœuf,
était le Theloneum ou grand bureau de la douane. Cet édifice se liait par un mur au
Macellum Thelonei (Marché de la douane), vulgairement appelé le Grand Mazeau. Ce
marché fut transféré sur la place du petit Mazeau.
La troisième partie de la ville était formée de plusieurs bourgs ou hameaux qui, en
s’agrandissant, ont formé les nouveaux quartiers. Le bourg du Bernard du Bois n’a point
perdu son nom; celui de Roubaud était au haut de la rue Thubaneau; la plaine Saint-
Michel formait un autre bourg qui a été remplacé par des rues nouvelles; le haut de la
rue d’Aubagne et les Calades formaient le bourg Burgus Callatœ; il était défendu par le
château de Chroé, qui se trouvait entre la rue des Bergers et le cours Julien.
La Cannebière n’était alors qu’un marais dont les eaux stagnantes refluaient dans les
fossés qui entouraient les remparts. Le bas de la Cannébière s’appelait le Plan
fourniguier. C’est là que commençaient les salines qui occupaient une grande partie de la
Rive-Neuve. La rue Bauveau et ses environs se trouvent à la place de l’ancien arsenal.
La rue Paradis n’était qu’un cimetière appelé les Champs Elysées. Elle reçut le nom de
Paradis, parce que beaucoup de martyrs y avaicnt été ensevelis. Entre la rue de l’Arbre
et celle du petit Saint-Jean était le cimetière de la ville. Il y en avait un autre près de
l’église Saint-Etienne, aujourd’hui Notre-Dame du Mont. Mais il ne servait que pour les
habitans des faubourgs voisins. Enfin un dernier cimetière se trouvait près du monastère
de Saint-Victor: nous en parlerons bientôt avec quelques détails.
La ville actuelle se divise en ville vieille et en ville neuve.
La première est en grande partie l’ouvrage des siècles d’ignorance; elle a été bâtie par
les Goths. On n’y trouve ni jolies rues, ni belles places, ni aucun reste de son ancienne
magnificence. En vain y chercherait-on les fondemens du fameux temple de Diane, qui
était construit, assure-t-on, dans le même goût que celui d’Éphèse. Quelques-uns croient
que ces fondemens se trouvent au fond des eaux, au-dessous de la place de la Tourrette,
où plusieurs rues ont disparu: on croit apercevoir encore au fond de la mer, quand elle
est calme, des vestiges de puits et de maisons. D’autres croient que ce temple était au
lieu même où se trouve l’église cathédrale de la Major. Si cela est, il faut convenir que
cet édifice a subi une bien déplorable métamorphose; c’est une espèce de caveau, sans
façade et sans faîte, que les vagues de la mer menacent d’engloutir.
La ville nouvelle offre de belles et longues rues toutes tirées au cordeau. Les deux plus
remarquables sont celles d’Aix et de Rome, qui, conjointement avec le grand Cours et le
cours Saint-Louis, n’en font qu’une qui traverse la ville dans un sens; et celles de la
Cannebière, de Noailles et de la Magdelaine, qui, conjointement avec les allées de
Meilhan, n’en font également qu’une qui traverse aussi la ville, mais dans un sens
contraire. La rue Paradis et la rue Saint-Ferréol sont magnifiques; celle de Bauveau,
quoique moins longue, est encore plus belle et a toutes ses maisons uniformes. La rue
Cannebière et la rue des Minimes sont d’une largeur extrême. La rue Sainte, la rue
Longue des Capucins et la rue Reinard sont d’une très-grande étendue; celles de la
Darce, de Montgrand, du Tapis Vert et une infinité d’autres sont dignes de la troisième
ville du royaume de France. On en ouvre en ce moment plusieurs autres hors des
barrières, qui rivaliseront bientôt avec celles que nous avons mentionnées et qui font
l’admiration des étrangers.
Ces rues nouvelles ne tarderont pas à se garnir de maisons, surtout si le beau et vaste
projet qu’on vient de former s’effectue sans difficulté. Ce projet consiste à la démolition
d’environ cinq cents maisons de l’ancienne ville, qui forment beaucoup de ruelles fort
étroites et souvent infectes, à cause des urines et des malpropretés qu’on y dépose, pour
y construire une sorte de Bazar dans le genre à-peu-près du jardin du Palais Royal à
Paris.
Ce bazar serait un grand carré long qui s’étendrait depuis la place Saint-Martin jusqu’à
la rue des Fabres; et de la rue des Pucelles jusqu’à la rue Belzunce et à celle des
Templiers.
L’enceinte extérieure serait formée par des maisons uniformes, chacune de quatre étages,
et les maisons qui font face au grand Cours et à la Cannebière en feraient partie.
L’enceinte intérieure serait formée par des portiques avec magasins, entresols et
terrasses; les galeries ou passages entre les deux enceintes auraient leurs voûtes vitrées.
Par ce moyen, on pourrait y circuler à toute heure du jour, malgré les rigueurs du temps.
L’intérieur du bazar, de deux cents mètres de longueur sur soixante-douze de largeur,
offrirait, au centre, une pièce d’eau et un jardin de chaque côté, le tout entouré de deux
rangs d’arbres pour ombrager cette promenade.
Une rue, de quinze mètres de largeur, traverserait le bazar depuis la fontaine des
Méduses jusqu’à la rue du Pont; mais deux entrées principales seraient, l’une près de la
place Saint-Martin, et l’autre dans la rue des Fabres; cette dernière communiquerait
particulièrement avec le port et avec les nouveaux quartiers.
Ce qu’on trouve aujourd’hui du plus curieux à Marseille, c’est, sans contredit, le port
Dieudonné. Quoique récemment construit, il mérite l’attention des curieux. Trois grands
rochers s’élevaient au milieu de la mer. Les anciens les nommaient Sturium, Phœnice et
Phila; et les modernes, îles d’If, de Ratoneau et de Pomègue. Sur le premier, ou le plus
petit, on a construit depuis plusieurs siècles, une forteresse qu’on appelle Château d’If.
Les deux autres n’avaient reçu aucune destination utile.
Louis XVIII ayant considéré qu’entre les rochers de Pomègue et de Ratoneau il y avait
assez de fond pour que les vaisseaux de 74 pussent y circuler sans difficulté, conçut le
projet d’unir ces deux îlots par une jetée, et d’y établir un port où les bâtimens de tous
calibres, venus des pays infectés de la fièvre jaune, pussent y purger leur quarantaine. Ce
projet fut bientôt mis à exécution. La duchesse d’Angoulême, fille de l’infortuné Louis
XVI, vint exprès, en 1823, pour y jeter la première pierre. Une partie des rochers qui
couronnaient ces îles furent brisés et jetés dans l’eau, sur une seule ligne et sur une
largeur considérable. Les coups de mer avaient soin de repousser ces pierres, et de les
placer entre les vides qui se trouvaient entre les unes et les autres; ce qui donna une
grande solidité aux fondations, c’est-à-dire à tout ce qui se trouve au-dessous du niveau
de l’eau. Ensuite on encaissa la jetée qui s’élève à quinze mètres au-dessus du quai, par
un double mur.
Celui du côté du port est vertical et en grosses pierres de taille. Celui du côté opposé,
c’est-à-dire du côté de l’ouest, a un talus très-étendu, formé par de gros blocs de pierres
sur lesquels les vagues en courroux viennent se briser et perdre leur fureur. Quatre
escaliers servent de passage pour descendre du haut de cette espèce de rempart sur le
quai, qui longe la jetée, et s’étend à chaque extrémité. Marseille reconnaissante donna à
ce port le nom du fils adoptif du roi qui venait de lui faire un si riche présent.
Anno MDCCCXXV.
Le port Dieudonné est défendu par le château d’If, qui se trouve vers le milieu de son
entrée, par la tour de Pomègue, par le château de Ratoneau et par plusieurs batteries
qu’on se propose de construire, pour empêcher les vaisseaux ennemis de venir, par le
derrière de la jetée, incendier tout ce qui se trouverait dans cet abri. Ce port est beau et
sûr. Il le sera bien
plus, dès qu’on aura fait un môle entre Ratoneau et le château d’If. Il l’eût été
d’avantage, si l’on eût reculé la jetée, de manière à enfermer une caranque naturelle, qui
seule aurait pu contenir plus de cent voiles comme dans un bassin.
Par le moyen des pétards, on a fait dans l’île de Pomègue une place d’armes sur le roc,
où six mille hommes de troupes peuvent manœuvrer sans difficulté.
Le département a fait construire un bel hôpital dans celle de Ratoneau. Voilà tout ce
qu’on trouve dans ces îles. D’ailleurs, pas un brin d’herbe, pas la moindre source: on n’y
boit que de l’eau de citerne.
En face de la rade de Marseille et sur la terre ferme, du côté de la porte de Jules, est un
vaste enclos entouré d’une double enceinte de murailles séparées l’une de l’autre par un
espace assez large, pour que le bras le plus vigoureux ne puisse rien lancer de l’intérieur
de ce lieu sur le terrain qui l’environne. C’est ce qu’on appelle le Lazaret. Là, sous des
voûtes soutenues par des piliers, on dépose les marchandises venues de tous les lieux
suspects de contagion, et elles y sont exposées à l’air en tous sens. Vers le milieu se
trouvent des hôpitaux pour les pestiférés.
Le port, qui se trouve dans l’intérieur de la ville, a une ouverture étroite et recourbée
vers le nord-ouest, ce qui en rend l’entrée très-difficile pour les vaisseaux qui viennent
de l’est. Cependant cette entrée, par sa courbure et son rétrécissement, fait la sûreté du
port, qui est à l’abri des vents, et qui n’offre aucune espèce de danger.
Ce port n’est point l’ouvrage de la nature, mais bien l’ouvrage des hommes, qui, dans le
principe, le nommèrent port Lacydon. Il a été creusé et agrandi à différentes reprises,
ainsi qu’on peut en juger par les différens dépôts de terre qu’on reconnaît à l’endroit
même où l’on construit actuellement un bassin de carénage, et qui pendant long-temps
n’a été qu’une nécropolis ou cimetière. Ce lieu de sépulture étant composé de plusieurs
assises, paraît avoir été formé à des époques bien différentes et très-distinctes. La
première comprend le temps qui s’est écoulé depuis la fondation de Marseille jusqu’au
premier creusement du port Lacydon, qui n’eut lieu qu’environ deux siècles après; la
deuxième est celle où le Lacydon est creusé, et les débris déposés sur toute la rive
méridionale; la troisième est celle où le sol formé par ces remblais devient une
nécropolis grecque. A la quatrième, la nécropolis grecque devient les champs élysées
des Romains; la cinquième s’étend du troisième au dixième siècle.
Ces époques sont ainsi déterminées par les tombeaux, les médailles et la multitude
d’autres objets qu’on y a trouvés récemment.
Le port Lacydon, que nous ne nommerons plus que port de Marseille, est entouré d’un
quai très-bien entretenu. D’un côté, on voit le joli hôtel-de-ville et la bourse du
commerce, au centre d’une très-longue enfilade de maisons qui forment une barrière aux
vents du nord et au Maëstral, ce qui fait que le quai est très-abrité. Si l’on y éprouve
beaucoup de chaud en été, en revanche, on n’y ressent pas le moindre froid en hiver.
C’était une des cheminées du bon roi René. On sait que ce prince, accessible à tous ses
sujets, sans distinction, donnait audience à toute heure du jour sur cette promenade, à
quiconque désirait lui parler et l’entretenir sur un procès, une affaire administrative ou
tout autre sujet.
De l’autre côté du port, c’est le quai du commerce, garanti des vents d’est par une petite
montagne et par un grand nombre de fabriques, de grandes maisons appelées domaines,
parce qu’elles n’offrent que de vastes salles servant de magasins de dépôt. Un canal
forme une sorte d’île garnie de domaines. Au centre de cette île se trouvent les bureaux
et le hangar de la douane. Les navires entrent dans ce canal pour venir déposer les
marchandises, ou pour charger celles qui sont destinées pour les ports étrangers.
Au fond du port est la belle rue de la Cannebière, qui communique au grand Cours et à
toutes les principales rues de la ville. C’est au bas de la Cannebière que se fait
ordinairement le chargement des marchandises qui doivent être expédiées par mer.
De ce point jusque près du fort Saint-Jean, des milliers de vaisseaux de toutes les
nations, sur trois, quatre ou cinq rangs, forment continuellement le plus beau tableau que
l’on puisse voir. C’est une grande ville mouvante, souvent très-peuplée, car chaque
navire est occupé par un certain nombre de marins. Il n’y a guère que les bateaux
pêcheurs qui ne soient point gardés pendant la nuit. Ces bateaux se tiennent près de la
petite place de Saint-Jean. C’est sur cette place qu’est le local qui sert de salle
d’audience aux prud’hommes, sorte de magistrats dont l’origine se perd dans la nuit des
temps. Les Druides, ou prêtres celtes avaient des réunions sous certains chênes où ils
exerçaient la justice. (Ce chêne s’appelle en provençal le drouis.)
Les Romains nommaient les juges de pareils tribunaux prudentes; et les Provençaux les
désignèrent long-temps sous celui de juges sous l’orme. Dans le dixième siècle, on
établit à Marseille de pareils juges connus aujourd’hui sous le nom de prud’hommes. Ce
sont les chefs et les magistrats des patrons pêcheurs. Ils exercent leur juridiction avec
cette simplicité des premiers siècles. Par devant eux, il ne faut ni écritures, ni avocats, ni
huissiers. Le demandeur jette dans une boîte vingt-cinq centimes destinés aux pauvres,
et charge en même temps un des valets du tribunal de citer son adversaire pour le
dimanche suivant. Celui-ci comparaît, dépose dans la même boîte les mêmes épices;
chacun plaide sa cause. Les prud’hommes écoutent avec la plus grande attention, et
tâchent de concilier les parties; à défaut, ils vont aux voix, et le président prononce la
sentence en provençal: La ley vous coundano. On n’écrit pas la sentence, mais elle est
aussitôt exécutée. La partie condamnée vient-elle à s’y refuser, on saisit son bateau, et
tout se termine à l’instant. Si l’un des juges croit être sous l’influence de quelque
sentiment d’amitié ou de haine à l’égard de l’une des parties, il se récuse lui-même, alors
même que ses préventions ne seraient pas connues. Aussi pouvons-nous assurer que
jamais aucune injustice n’a terni la réputation d’un prud’homme de Marseille.
C’est sur la même place Saint-Jean que se trouve le local de la consigne. Là, tous les
capitaines marins viennent, à leur arrivée, montrer à travers une grille leur patente à
l’officier chargé du bureau de la santé, et recevoir ses ordres sur la quarantaine qu’ils ont
à subir. Dans le joli salon de ce local, on voit un beau tableau de David, représentant en
grand Louis XVIII en costume de roi, et un superbe bas-relief du célèbre sculpteur
Puget, représentant saint Charles Borromée et la peste qui désola Milan. Ce morceau
fera toujours l’admiration des amis des beaux-arts.
En face de la consigne et sur l’autre rive du port, est ce qu’on appelle la petite
quarantaine. Là se trouvent toujours beaucoup de bâtimens qui, dans la dixaine, doivent
recevoir l’ordre de communiquer avec la ville. Cependant ils sont surveillés avec la
même rigueur que s’ils étaient atteints de la contagion.
Nous avons dit que l’entrée du port était formée par le fort Saint-Jean d’un côté, et par le
fort Saint-Nicolas de l’autre. Nous ajouterons qu’il est aussi dominé par le fort Notre-
Dame de la Garde qui se trouve sur une très-grande élévation, d’où l’on découvre une
vaste étendue de mer, tout le port, toute la ville et même tout le territoire. Cet ancien
fort, entièrement négligé, ne sert plus aujourd’hui que de poste à une vigie chargée de
signaler à la ville les vaisseaux marchands qui se montrent en vue. C’est dans ce fort que
se trouve la chapelle de Notre-Dame-de-la-Garde, patronne de la ville de Marseille et
des marins provençaux. Il est fâcheux que cette montagne soit entièrement dégarnie
d’arbres, et qu’on ne puisse y en planter, à cause de la disparition de la terre végétale. Ce
serait le plus agréable séjour de la contrée. On y jouirait des plaisirs de la campagne,
sans être tout-à-fait absent de la ville, puisque de cette position élevée on voit tout ce qui
se passe dans Marseille, dans le port, dans la rade et même dans les îles dont nous avons
déjà parlé.
La ville de Marseille a une église cathédrale, trois églises paroissiales, dix églises
succursales intra muros, et une dans chacun de ses vingt-huit hameaux, sans compter un
grand nombre de petites chapelles. Parmi tous ces édifices, il y en a fort peu qui, par leur
grandeur, leur architecture et leur élégance, soient dignes d’une si belle ville. On y
trouve aussi un temple pour les Grecs schisoiatiques, un pour les protestans, et une
synagogue qui est loin de ressembler à l’ancien temple de Jérusalem.
Les Marseillais ont été de tous les temps grands amateurs de spectacle. Ce goût se
conserve encore. Cependant au lieu de cinq salles que Marseille avait avant la
révolution, elle n’en compte plus que deux aujourd’hui: le Théâtre-Français qui n’est pas
toujours ouvert, et le Grand-Théâtre dont la belle façade sert de fond à la rue Bauveau.
Les exigences de quelques jeunes gens sans expérience sont cause quelquefois que le
spectacle est interrompu, et que les personnes sensées se dispensent d’aller être témoins
des troubles qui répugnent toujours à l’homme raisonnable et surtout aux étrangers dont
cette ville abonde.
La ville de Marseille possède le plus ancien observatoire qui ait été connu dans les
Gaules; une académie des sciences et belles-lettres, une société académique de
médecine, une société statistique, une société de beaux-arts, un athénée, un hôpital pour
les insensés, un établissement pour l’instruction des sourds-muets, un grand et un petit
séminaire, un collège royal, une école gratuite de dessin, une école gratuite de musique,
une école d’hydrographie, une école de navigation, une belle bibliothèque publique où
se trouve une collection d’antiques et de médailles, un musée enrichi de tableaux des
meilleurs maîtres; en un mot, Marseille offre tout ce qui peut contribuer à l’instruction et
à la propagation des lumières.
Nous ne passerons pas sous silence plusieurs établisemens de bienfaisance formés par
cette charité chrétienne qui caractérise les Marseillais. De fortes sommes d’argent
étaient, de temps immémorial, employées pour racheter tous les ans un certain nombre
d’esclaves qui gémissaient sous le joug des barbares. D’autres sommes sont aujourd’hui
destinées à nourrir, instruire et donner un métier aux enfans trouvés, aux enfans des
familles nécessiteuses, à soulager les prisonniers, les malades et les infirmes. Les
hommes et les dames du plus haut rang, les commerçans, les artisans, les gens des basses
classes, tous contribuent directement ou indirectement à quelque œuvre pieuse. Si un
pauvre militaire est condamné pour cause de désertion, au sortir du conseil de guerre,
une femme passe devant lui et implore à haute voix la commisération publique. Tout le
monde se précipite aux fenêtres ou sur la
porte des magasins; chacun s’empresse de jeter sa pièce de monnaie, pour faire un petit
sort au malheureux condamné. Un zèle si louable, une générosité si méritante font des
Marseillais des modèles qui devraient avoir tout le monde pour imitateurs.
Ce zèle charitable, que j’admire et que je loue, est dû, n’en doutons pas, à cette religion
dont les Marseillais observent si fidèlement les principes. S’ils fréquentent les églises,
c’est pour y être avec décence et respect; s’ils assistent à une procession, ce n’est point
par hypocrisie, car ils y sont de cœur et d’âme. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir,
dans l’Octave de la Fête-Dieu, ces processions générales où sont tous les corps de
métiers; celle de Notre-Dame du Mont et celle des Réformés, où toutes les meilleures
familles assistent avec tant de recueillement. Je reverrai toujours avec un égal plaisir
celle de Saint-Laurent, où des milliers de femmes, vêtues en indienne marseillaise,
rappellent cette foule de bergères qui, lors de la naissance du Messie, s’acheminaient
vers l’étable de Bethléem, pour y adorer leur sauveur.
Les habitans de Marseille, au nombre d’environ 140, 000, peuvent être divisés en deux
sortes: en Marseillais d’origine, et en Marseillais récens. Les premiers conservent encore
cet esprit patriotique et cette fidélité à leur parole qui leur ont mérité de tous les temps
l’estime et la confiance de tous les peuples de l’univers.
Les Marseillais récens, c’est-à-dire ceux qui sont nés en cette ville de parens étrangers
au pays ou du moins qui y ont été amenés dès leur bas âge, ayant étudié aux mêmes
écoles et humé, les mêmes principes que les Marseillais d’origine, sont animés du même
esprit et montrent les mêmes vertus. Aussi nous ne craignons pas d’assurer que les uns et
les autres sont d’une probité à toute épreuve et les protecteurs des étrangers qui
s’établissent dans leur ville. Néanmoins, il est à regretter que la plupart des jeunes gens,
au sortir des écoles, se livrent inconsidérément à certaines passions qui leur font perdre
en quelque sorte une partie du fruit de leur éducation. Mais vient bientôt l’âge de la
raison, et une conduite plus régulière les rend sans peine et sans contrainte les dignes
émules des parens qui leur ont donné le jour. Nous ne devons pas regarder comme
Marseillais cette foule de Génois, de Catalans, de Grecs et autres étrangers que des
affaires commerciales et industrielles, ou le désir de faire une prompte fortune attirent
journellement en cette ville, et qui, dans un moment de trouble et d’effervescence,
inspirent quelque crainte aux gens de bien. Tout ce qui ne porte pas un cœur Français ne
peut être considéré comme Marseillais.
Le territoire de Marseille, extrêmement vaste, offre une seconde ville très-considérable,
par ses vingt-huit hameaux et par une multitude innombrable de bastides, où les
négocians et les ouvriers vont passer les jour de fête, pour se remettre des fatigues de la
semaine.
Il n’est rien qui délasse mieux l’esprit des hommes sans cesse occupés de spéculations,
de trafics, de correspondances commerciales, que d’aller se récréer avec leurs familles
hors de leurs magasins et de leurs comptoirs. Les ouvriers éprouvent un même
soulagement à leurs pénibles travaux. Aussi un jour de fête les remet entièrement de
leurs peines et de leurs soucis. La cité se trouve alors dans la campagne, qui serait assez
agréable, si les propriétés n’étaient entourées de murs en bâtisse qui interceptent la vue
au point qu’on y est comme renfermé dans les enclos du lazaret.
Le territoire de Marseille est sec et aride. Il n’est guère arrosé que sur un point par les
eaux de l’Huveaune. Partout ailleurs on ne trouve que des puits. Je ne parle pas du
ruisseau de Jarret, attendu qu’il ne coule presque jamais, et que ses eaux n’arrivent pas
jusqu’aux Chartreux, pour arroser le jardin des plantes récemment établi. Aussi les
arbres n’y prennent pas ce développement qu’on pourrait en attendre, si le sol était gras
et humide. Une seule source se trouve dans le territoire et au quartier de la Croix de
Reynier. C’est cette source qui fournit de bonnes eaux aux meilleures fontaines de la
ville et notamment au grand puits.
Marseille est aujourd’hui le chef-lieu du département des Bouches-du-Rhône, et le chef-
lieu de la 8e division militaire. Elle a un tribunal de première instance, un tribunal, une
chambre et une bourse de commerce, un tribunal de prud’hommes, un hôtel des
monnaies, une direction télégraphique, etc. Son commerce s’étend dans toutes les parties
du globe où le pavillon français est admis, mais principalement en Afrique et dans toutes
les Échelles du Levant; il exporte toutes les productions du midi de la France, et les
échange pour celles des pays étrangers et des colonies. La ville offre une manufacture de
tabac, des fabriques de savon, de vitriol, de soude factice, de nitre, d’alun, d’acide
sulfurique, de chapeaux, d’amidon, de bonneterie, de toiles peintes, de papier peint, de
verre à vitre, de verre vert, de chocolat, des ciergeries, des fonderies, des raffineries de
sucre, des filatures de coton, des teintureries, des tanneries, des brasseries, des
distilleries, etc. Il y a une foire le 1er septembre, qui dure 15 jours.
La ville de Marseille est divisée en six arrondissemens de justice de paix, savoir: trois
intra muros et trois extra muros. Les communes qui font partie de ce ressort sont,
Marseille et Alauch.
ERRATA
De l’article MARSEILLE.
- Au lieu de, et les maisons qui font face au grand Cours et à la Cannebière en feraient
partie, lisez: et entourée d’une rue de quinze mètres de largeur, y compris les trottoirs.
- Au lieu de, Une rue, de quinze mètres de largeur, traverserait le bazar depuis la
fontaine des Méduses jusqu’à la rue du Pont; mais...... lisez: Dix passages vitrés seraient
ouverts au public, et communiqueraient aux galeries intérieures ainsi que dans les
jardins; les......
Marius, en attendant l’arrivée des barbares, fit ouvrir une grande tranchée ou canal, afin
que les barques pussent de la mer communiquer avec l’étang de Berre; l’eau douce fut
remplacée par l’eau salée. C’est alors que cet étang, devenu une sorte de mer, fut désigné
sous le nom de Mare Astramelum, à cause d’Astramela, seule habitation qui se trouvât
sur le bord de l’étang. Par abréviation, on l’appela bientôt Mastramelum, et, par
corruption, Mastramela. D’après cela, on verra que je ne suis pas de l’avis de ceux qui
ont écrit que Mastramela dérive d’une nommée Marthe, femme qui passait pour avoir
l’esprit de prophétie, et qui avait été envoyée à Marius par sa femme. Tout ce que je
peux leur accorder, c’est que cette prétendue sybille qui, pour rendre ses oracles, avait
fixé sa demeure dans une des îles des Martigues, parce qu’elle était sans habitans et d’un
difficile accès, donna son nom à cette île, Marticus, Insulœ Martici. Long-temps après,
l’étang, fut divisé en plusieurs parties. Chaque partie prit le nom du lieu qui l’avoisinait
le plus, tels que l’étang de Saint-Chamas, l’étang de Berre, l’étang de Marignane. Il n’y
eut que la partie la plus au midi qui, au lieu de prendre le nom moderne de la ville la
plus rapprochée, prit celui de la femme qui la première avait attiré des habitans aux
Martigues, étang de Marthe.
Nombre de familles romaines s’établirent dans la campagne des Martigues, ainsi qu’on
peut en juger par les ruines et les antiquités qu’on y trouve. La plupart des habitations se
trouvaient dans l’île de Blascon.
Saint Géniez, martyrisé à Arles sous Diocletien, convertit à la foi de l’évangile tous les
peuples de la Contrée. Une chapelle fut élevée à son honneur sur l’étang de Caronte.
Elle attira un grand nombre de personnes de la campagne qui y construisirent un village.
Les Sarrasins et les Normands le saccagèrent. Les habitans se réléguèrent dans l’île de
Blascon qui prit alors le nom de insula Sancti Genesii.
Des moines vinrent, dans le douzième siècle, défricher les deux rivages de la terre ferme
qui forment l’étang de Caronte. La partie du midi fut appelée Jonquières, à cause de la
quantité de joncs qui y croissaient; et celle du nord, La Ferrière, vu que le sol est
rougeâtre et ferrugineux. Les ouvriers qui furent employés à ce travail obtinrent la
propriété des terres défrichées, et s’établirent à portée de leurs domaines.
Les Marseillais creusèrent des canaux dans les marais, entre Métapine et Blascon; ils
amassèrent la vase boueuse sur les deux bords, et firent ce qu’on appelle les bourdigues,
où l’on arrête le poisson par le moyen de claies. Les poissons se trouvant enfermés dans
des sortes de piscines, on les prend quand on veut, malgré la rigueur du temps et de la
saison. Raymond Bérenger IV et l’archevêque d’Arles se disputèrent la possession des
Martigues. Ce dernier, par une transaction, se contenta des bourdigues. Les Marseillais
vinrent s’en emparer de vive force, ainsi que de l’île de Blascon, où ils se fortifièrent.
Bérenger IV, joint aux Arlésiens, chassa les Marseillais, et il ne resta à ces derniers que
le château qu’ils occupaient dans l’île de Bouc, et duquel ils furent dépossédés par
Charles d’Anjou.
L’île de Blascon, qu’on appelle aujourd’hui simplement l’Ile, La Ferrière et La
Jonquière furent longtemps trois villes distinctes. Elles furent réunies en 1581 par
Charles IX. Ces trois parties communiquent ensemble par des pont-levis. Sous Louis
XIV, la population de ces trois parties de ville s’élevait à 20, 000 habitans, tandis
qu’aujourd’hui elles en comptent à peine 7,500. Il serait bien possible que cette ville
reprît son ancienne splendeur, dès que le canal que l’on construit dans la Crau sera
terminé. Il est possible aussi que ce canal fasse renaître la ville de Métapine, partie sur la
terre ferme et partie dans l’île de la Tour de Bouc, et que cette ville devienne une sorte
d’entrepôt pour le commerce de l’intérieur.
La simplicité dans laquelle vivaient les anciens habitans des Martigues, jointe à leur trop
de bonhomie, a donné lieu à leurs voisins de les accuser de stupidité. On leur attribue
nombre de fables controuvées. Cependant il est à propos de détromper les étrangers. Les
Martigaux peuvent être indolens et timides par le peu d’usage du monde; mais ils sont
honnêtes et bons chrétiens. Ils sont aussi de très-bons marins, d’excellens pêcheurs
remplis d’adresse, et surtout très-charitables. Les femmes, quoique réputées assez faibles
dans les villes maritimes, sont très-chastes aux Martigues: une veuve ou une fille qui
aurait manqué aux lois de l’honneur était aussitot chassée par les autres femmes. Une
pareille scène y est rarement arrivée, parce que peu de personnes s’y sont exposées.
Les pêcheurs des Martigues forment le corps le plus considérable du pays. Ils donnent
quelquefois des joutes sur la mer (lou jué de la targo), pour attirer un grand nombre
d’étrangers dans leur ville, et c’est ordinairement à l’occasion de la fête du roi ou d’une
fête patronale du lieu. Ce jeu est le plus magnifique et le plus imposant que l’on
connaisse depuis Toulon jusqu’à Arles et même à Tarascon. Les bateaux jouteurs sont en
nombre pair, équipés chacun de huit rameurs, d’un patron et d’un brigadier. Ils sont
divisés en deux flottilles distinguées par des couleurs. A l’arrière des bateaux sont
placées des espèces d’échelles appelées tintainos, qui saillent en dehors d’environ trois
mètres par l’extrémité supérieure. Le sommet de la tintainos est terminé par un ais fort
étroit et placé horizontalement, sur lequel le jouteur se tient debout. Il porte à la main
gauche un bouclier de bois, et il tient de la droite une lance terminée par un bouton ou
par une plaque. Les prud’hommes du pays sont les juges du combat. Ils sont dans leur
bateau, revêtus du costume cérémonial, qui est tout en noir, le manteau de soie, et le
chapeau à la Henri IV, surmonté de longues plumes noires.
Tout étant disposé, deux bateaux se détachent et rament avec le plus de vitesse possible
l’un contre l’autre.
Les patrons ont soin d’éviter l’abordage, mais de se rapprocher assez pour que les deux
jouteurs puissent se porter mutuellement un coup de lance. Le plus faible est précipité
dans l’eau, et gagne tout honteux à la nage le premier bateau qu’il rencontre. Très-
souvent ils tombent tous deux en même temps. D’autres fois le jouteur perd sa lance ou
son bouclier. Dans ce cas, il est également obligé de céder sa place à un autre.
Tous les jouteurs qui sont parvenus à faire tomber de suite trois de leurs adversaires sans
tomber eux-mêmes, sont proclamés fraires (confrères ou candidats). Au coucher du
soleil, aucun nouveau jouteur ne peut plus entrer en lice. Les fraires ont seul le droit de
jouter entre eux. Alors seulement le prix est disputé. Celui qui a renversé tous ses
concurrens est proclamé vainqueur, et il est promené en triomphe par les autres marins.
Un autre divertissement pour les gens des Martigues et des environs est celui de la
chasse aux canards sauvages, et surtout aux macreuses, qui fréquentent particulièrement
l’étang de Berre. Tous les bateaux du port, ainsi que ceux des lieux voisins, sont garnis
de chasseurs armés de fusils, la plupart très-longs, nommés canardières. Ils entourent
l’étang et se réunissent tous ensemble vers le milieu en formant le cercle. Les oiseaux, à
l’approche des bateaux, se rendent vers le centre de l’étang. Mais dès qu’ils se voient
serrés de trop près, ils prennent tous à la fois leur volée. C’est alors que cinq ou six cents
coups de fusil au moins abattent des milliers de ces oiseaux que des bateaux particuliers
sont chargés de ramasser. Quelquefois les bateaux chasseurs partent d’un même point,
s’étendent, forment une seule ligne, et vont rencogner les oiseaux vers la côte la plus
écartée des petits étangs voisins, dans lesquels il serait impossible de les atteindre.
Cette chasse est annoncée plusieurs jours d’avance dans tout le département. Des jeunes
gens de Marseille, d’Aix, d’Arles, etc., s’y rendent comme à une partie de plaisir. Ils
prennent place dans un bateau qu’ils affrètent à grands frais, et ont une part égale aux
autres chasseurs. Ils sont fort contens, si, après une dépense de trente francs, ils rentrent
chez eux avec du gibier pour cinq francs.
Pour faire cette chasse il faut un temps assez calme; et on ne le rencontre pas souvent
dans un étang où tous les vents qui descendent du Rhône, de la Durance et de plusieurs
autres vallées, se dispersent et soufflent dans toutes les directions avec la plus grande
violence. Les orages repoussés de toutes les montagnes se rassemblent en tourbillonnant,
et éclatent dans la région des étangs avec plus de fracas. Il ne se passe presque pas de
jour sans que l’étang de Berre en soit agité, et souvent d’une manière subite et violente.
Ce qu’il y a de remarquable, c’est que cette agitation n’a lieu que dans certaines parties
de l’étang, de sorte que les alléges qui le traversent éprouvent dans leur marche une suite
de calme et de bourrasques, qui obligent les mariniers à changer fréquemment de
manœuvre.
Cet étang a quatre lieues de diamètre. Les jeunes qui le traversent à la nage courent
toujours de grands périls.
Le territoire des Martigues contient plusieurs hameaux. On y trouve du charbon minéral,
du gypse cristallisé et des pierres coquillières pour la construction des maisons. On en
porte journellement à Marseille. Le sol produit du bon vin et de la bonne huile. Il y a un
tribunal de commerce, un de prud’hommes et une justice de paix, duquel ressortissent
les communes des Martigues, Carry-le-Rouet, Château-Neuf les Martigues, Gignac,
Marignane et Saint-Victoret.
MARTIN (SAINT). Petit village du canton de Seyne, à 16 lieues de Digne. Climat plus
tempéré que celui des villages voisins. Les fruits y sont bons et abondans; les grains et
les légumes viennent assez bien dans certains quartiers. On y recueille un peu de vin qui
n’est pas mauvais. Pop. 155 hab.
MARTIN-DE-CRAU (SAINT). Ce n’est pas une commun, mais un lieu sur la route de
Salon à Arles, et dans la plaine de la Crau, où il y a une église et une auberge fort utile
aux voyageurs qui passent par ce chemin, et qui n’ont pas le malheur de s’égarer dans la
plaine.
MAS (LE). Petit village du canton de Saint-Auban, à 14 lieues de Grasse, sur l’Estéron
qui lui fournit de bonnes truites. Il appartient à la France depuis 1713. C’est dans ce lieu
que saint Arnoux ou Arnuldus, évêque de Metz, mourut, à son retour de Rome. On a
construit de grandes écluses sur la rivière, pour faire flotter les bois des forêts du pays. Il
y a un beau filon de charbon de terre qui n’a jamais été exploité. Climat plus tempéré
que celui des villages voisins. Les coteaux ne produisent presque rien. Les fonds sont
assez bons, et donnent du vin, des haricots et du blé. Il y a des mines de charbon de terre
qu’on pourrait exploiter avec avantage. Pop. 460 hab.
MAURES (LES). On désigne sous le nom de Maures tout le pays qui se trouve sur la
bande schisteuse entre la Gapeau et la Siagne. Ce nom fut donné cette zone
montagneuse, à cause qu’elle servit long-temps de refuge aux Maures Sarrasins qui
s’étaient fortifiés au Fraxinet. Tout le pays des Maures est couvert d’épaisses forêts de
pins, de chênes-lièges et de châtaigniers qui donnent des revenus considérables. Son sol
granitique et schisteux offre une infinité de volcans éteints, des laves, de la pozzolane,
des pierres ollaires, de la serpentine, du spath pesant, de différentes cyanithes, des
schistes, de quartz micacé, du quartz améthyste, du mica blanc et jaune, du jaspe, de la
trappe, du porphyre globuleux, du porphyre bleu, de l’albâtre, du gneiss, du granit strié,
de schorl, de l’asbeste incombustible, de la tourmaline magnétique, du talc savonneux
argenté, de la galène, de l’alquifoux, de l’antimoine, du cuivre, de l’acier très-fin, du fer
chromaté, du fer oxidulé magnétique aimantaire, des grenats, des géodes, des terres
bolaires, des terres ferrugineuses dont on fait la sanguine ou crayon sanguin, et une
infinité d’autres productions naturelles, toutes plus curieuses pour les amateurs de la
science.
Lors de la formation des montagnes des Maures, la bande primitive ou granitique, en se
faisant jour par les sommets, coula de tous les côtés et couvrit entièrement toute la bande
secondaire ou calcaire qui auparavant se trouvait au-dessus du granit. Cette grande
coulée empêche les eaux pluviales de pénétrer dans les cavités intérieures de la bande
secondaire. Ce qui est cause que ces montagnes ne donnent naissance à aucune rivière, à
aucune source un peu importante; mais simplement, lorsqu’il pleut, à des torrens ou à
quelques surgeons d’eau qui tarissent facilement dans la saison des chaleurs.
MÉES (LES), Mediœ, anciennement Castrum de Medis. Petite ville chef-lieu de canton,
à 6 lieues de Digne, sur la rive gauche de la Durance. Un auteur contemporain croit que
son ancien nom est Metœ, et qu’il lui fut donné à cause des rochers qui forment la crête
d’une montagne, et qui, vus de loin, ressemblent à des bornes.
Cette ville est fort ancienne. Les Romains y ont séjourné long-temps, et cela ne pouvait
être autrement dans un pays si fertile et si gracieux. On y a trouvé des tombeaux avec
leurs petits mobiliers, des briques tumulaires des débris de mosaïque, un grand vase rond
de forme antique, nombre de médailles et une inscription qui paraît avoir appartenu au
fronton d’un temple de Jupiter. Un fragment de la pierre qui contenait cette inscription,
porte en tête et en grande lettres, les sigles
I. O. M.
GRAE....
IPO.....
La terre des Mées, celle de Mézel et quelques autres furent inféodées par la reine Jeanne,
en faveur de Guillaume Roger, comte de Beaufort de Canillac, malgré l’édit du roi
Robert et la parole que la reine Jeanne et son mari avaient donnée aux députés de
Provence, de ne point aliéner les terres du domaine; ce qui fut la source d’une guerre
allumée par le fils de ce Roger (Raymond de Turenne), la plus cruelle, la plus horrible
dont la Provence ait jamais vu d’exemples et éprouvé les funestes effets. Animé par
Charles Duras qui voulait se maintenir dans le royaume de Naples, Raymond de Turenne
se créa une armée composée de tous les bannis de l’Italie, de la Guyenne, du Languedoc,
du Dauphiné et du comtat Venaissin, et détruisit une partie des bourgs, villes et villages
de la Provence. Saint-Rémy, les Baux, Pertuis, la Tour d’Aigues, Mérargues, Vitrolles,
Mont-Furon, les Pennes, Calian, Pierrevert, Colmars, Boades, Tolane et plusieurs autres
places furent la proie des flammes et les victimes du brigandage des soldats du cruel
Raymond.
La reine défendit aux Provençaux d’avoir aucune communication avec ces incendiaires,
de leur fournir de l’argent, des vivres, des chevaux, des armes, des habits, sous peine de
punition corporelle et de confiscation de tous leurs biens. Des milices se formèrent sur
tous les points de la Provence. La tête de Raymond fut mise à prix. Dix mille francs, qui,
à cette époque, valaient un million de nos jours, devaient être la récompense de celui qui
en purgerait la terre. Après neuf ans de guerre, de pillage, de meurtres et d’incendies,
Raymond se baignant dans le Rhône à Tarascon, et voyant venir vers lui quelques
cavaliers armés qui n’étaient pas de sa bande, s’élança sur le bord d’une petite barque,
dans la vue de se sauver en traversant le fleuve. Le poids de son corps fit chavirer la
nacelle, et il se noya. Le lendemain on trouva son corps, au bord de l’eau, près d’Arles.
Cette mort rendit la vie à toute la Provence, et fit rentrer la terre de plusieurs lieux dans
le domaine de la couronne.
Un torrent traversait naguère la ville des Mées, et causait un ravage considérable dans la
plaine. On a été obligé de percer une colline, pas bien haute à la vérité, pour dévier ses
eaux, qui passent ensuite sur un superbe aquéduc qui les conduit jusque dans la Durance.
Cependant, après les grosses pluies, il passe encore une grande quantité d’eau dans la
ville, et ce torrent intercepte alors les communications d’un quartier à l’autre, sans qu’on
ait eu la précaution d’y jeter un pont.
Les rochers auxquels la ville est adossée sont curieux. Il sont formés de cailloux roulés,
agglutinés et formant une espèce de poudingue. Tous ces rochers sont terminés en
pyramide, et taillés à pic vers le couchant. Du côté du nord, au contraire, ils sont coupés
en talus, et l’on gravit jusqu’au sommet sans difficulté.
Le terroir est excellent. Il produit du foin et des fruits très-estimés. Son vin surtout, un
peu vieilli, est aussi bon que ceux des rives du Rhône. Aussi il jouit d’une réputation
bien méritée. Les foires sont, le lundi avant les Cendres, le lundi avant la Fête-Dieu, le
jour de la Fête-Dieu, et le lundi avant la Toussaint. Pop. 2,090 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont, les Mées, le Castellet,
Chénerille, Entrevenues, Malijai, Mirabeau, Oraison et Puy Michel.
MÉGEAU. Petit port sur la côte maritime du département des Bouches-du-Rhône, au
midi de Gignac.
MEIRANE. Étangs de la Crau, à une lieue et demie d’Arles, au-dessous du bois de Caïs.
Il est poissonneux; on y pêche beaucoup de carpes excellentes.
MÉMINI. Nation celto-lygienne qui avait beaucoup d’alliés, et notamment les Albici,
quoiqu’ils en fussent séparés par la Durance. Les Mémini avaient leur chef-lieu à
Forcalquier, quoiqu’en aient dit certains auteurs modernes, qui ont prétendu que ce
peuple occupait la ville de Carpentras, qu’ils désignent eux-mêmes comme une ville des
Cavares, inconséquence peu pardonnable à ceux qui écrivent l’histoire. Vo y e z
FORCALQUIER et CARPENTRAS.
Le territoire est resserré entre des collines. Le sol est fertile dans les vallons par les
arrosemens de la Gapeau. Les productions sont, le blé, le vin, le foin et l’huile. Pop.
1,200 hab.
MÉTAPINE. Ancienne ville construite par les premiers Marseillais à l’entrée de l’étang
de Caronte, partie sur la terre ferme et partie dans la petite île de la tour de Bouc. On en
trouve encore des vestiges.
MÉZEL, Mezellum. Bourg chef-lieu de canton, à 4 lieues de Digne, sur la rive droite de
l’Asse que l’on passe sur un beau pont de pierre. C’est dans la plaine de Mézel et celle
d’Estoublon, sur la rive gauche de la rivière, que les Saxons furent anéantis par
Mommulus, chef des troupes du roi Gontran. Le territoire produit du vin, un peu d’huile,
peu de blé, quelques légumes, et beaucoup de prunes-Brignoles qui font le commerce du
pays. Le climat est tempéré, l’air sain. Pop. 887 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Mézel, Beynes, Bras-d’Asse,
Saint-Jeannet, Saint-Julien-d’Asse, Saint-Jurson, Château-Redon, Creisset, Espinouse,
Estoublon et Trévans.
MÉZOARGUES, ou SAINT-PIERRE-DE-MÉZOARGUES. Petit village du canton de
Château-Renard, à 5 lieues d’Arles, près la rive gauche du Rhône. Il était autrefois dans
une île de ce fleuve; de là est venu son nom dérivé du latin, in medio aquarum. Le sol est
très-fertile en blé. Pop. 340 hab.
MILLES (LES), Millia. Hameau dans le territoire d’Aix, où se trouve une blanchisserie
renommée.
MIMET, Mimetum. Village du canton de Gardanne, à 3 lieues d’Aix, sur une élévation
d’où l’on découvre l’étang de Berre et une vaste étendue de pays. Il y a une mine de
charbon de terre. Le sol donne les mêmes productions qu’à Aix. Pop. 510 hab.
Un grand nombre d’autres urnes ont été trouvées dans la contrée; mais elles étaient
presque toutes en terre cuite. Dans quelques-unes on a vu un morceau de résine qui,
faute de moyens pour se procurer des parfums, semblerait y avoir été coulée pour
suppléer à une libation à laquelle les Romains tenaient beaucoup. Il s’y trouve une
source d’eau minérale. Le sol est assez fertile en blé et en légumes. Les collines offrent
des indices de minéraux. Le Buech passe au couchant du territoire. Pop. 1,355 hab.
MITRE (SAINT), Castrum Sancti Mitri. Village du canton d’Istres, à 10 lieues d’Aix,
sur l’étang de Berre, bâti sur une élévation par une partie des habitans de Castèou-Veiré,
Castrum vetus, et de plusieurs autres châteaux des environs que Raymond de Turenne
détruisit. Le plateau où se trouve le village domine toutes les collines de la contrée; aussi
le point de vue est magnifique. Au midi, c’est le golfe de Lyon; à l’est, c’est l’étang de
Berre et presque le sommet des Alpes; au nord, ce sont les Alpines et quelques
montagnes du Dauphiné; à l’ouest, ce sont les rives du Rhône, la Camargue, quelques
montagnes du Languedoc, et, selon le temps et la saison, la chaîne des Pyrénées.
Plusieurs étangs occupent une partie de la plaine aux environs de Saint-Mitre. Celui de
Cités est entouré de salines; les eaux de celui de la Valduc arrivent à ces salines par un
canal creusé à travers la montagne, et dans lequel les eaux s’élèvent par des vis
d’Archimède.
Trois vastes salles, dont l’une a plus de cent mètres de longueur, offrent aux amateurs
qui viennent la visiter des curiosités sans nombre. Tout ce que l’imagination peut se
figurer est représenté sur les parois. La licence et le génie destructif sont cause qu’on a
dégradé les belles stalactites qui descendent des voûtes d’une hauteur immense, et qu’on
a brisé les jolies stalagmites qui s’élevaient de terre. Cependant cette grande cavité
présente encore de quoi satisfaire les admirateurs des ouvrages de la nature.
A environ une lieue au-dessus de la grotte, se trouve un pont naturel connu sous le nom
de pont-à-Dieu. Une très-haute montagne de rochers se divise en deux parties pour
donner passage à l’eau qui coule dans un lit très-profond; un énorme bloc de rocher
appartenant aux deux parties de la montagne sert d’arche à ce pont, qui n’est guère foulé
que par des troupeaux de menu bétail. Aussi n’est-il connu que par les bergers et
quelques cultivateurs qui fréquentent ce quartier.
A une demi-heure en dessous du village de Mons, se trouve la belle source de la Siagne,
dont les Romains avaient conduit les eaux jusqu’à Fréjus, par le moyen d’un bel
aquéduc, tantôt sous terre, tantôt raz de terre et tantôt très-élevé de terre. Ce canal existe
encore en partie. On y découvre encore des pièces de bois qui avaient servi pour les
cintres. La plupart de ces pièces ont acquis un degré de pétrification. A un quart d’heure
de son origine, le canal passe sous un énorme rocher, au bord d’un précipice affreux. On
coupa d’abord ce rocher en deux parties, pour qu’il pût donner passage aux eaux. Mais
n’ayant pas pris les précautions convenables, la partie du rocher qui se trouvait du côté
du précipice se détacha, et dût entraîner dans sa chute un grand nombre de malheureux
ouvriers qui s’y trouvaient. On recommença un même travail; mais cette fois on eut soin
de laisser entre les deux parois une partie du roc qui forme une sorte d’arche de voûte et
un tirant fort et solide. Ce rocher, ou plutôt ce passage entre deux est appelé roque
taillade. Ce travail fut fait au ciseau. On en voit très-distinctement les marques. On dirait
que cet ouvrage n’est fait que depuis quelques années, et je suis étonné qu’aucune
inscription n’indique l’époque précise; cependant il existe depuis plus de dix-huit
siècles. Quelques-uns attribuent ce travail à César, d’autres à Auguste; plusieurs auteurs
pensent que c’est Calligula, parce qu’on sait qu’il se plaisait à vaincre la nature et à
entreprendre les travaux les plus difficiles et les plus périlleux.
Pour la conservation de cet aquéduc, les Romains avaient établi de distance en distance
des tours et de petits forts, dans lesquels se trouvaient des sextum virs et des soldats. Le
premier de ces forts était sur une élévation qui domine la source. Il fut plus tard entouré
de maisons qui formèrent le village d’Avaye, dont il ne reste que des ruines. Parmi la
bâtisse du moyen âge, on distingue encore la construction romaine, et notamment deux
morceaux de piliers de la porte d’entrée du fort romain.
Le village de Mons a trois foires dans l’année: le second lundi d’avril, le dimanche après
le 29 juin et le second lundi d’octobre. Pop. 1,120 hab.
MONTEUX, ou MONTEAUX, Montilii. Petite ville à une lieue de Carpentras son chef-
lieu d’arrondissement et de canton, sur la rivière de Lauzon, au milieu d’une plaine vaste
et fertile. On croit communément que son nom vient de sa situation, parce que de cette
ville jusqu’aux Alpes on ne cessait de monter, en suivant la voie romaine d’Arles en
Italie.
Cette ville est renfermée dans des murailles très-bien bâties. Elle était le séjour le plus
ordinaire du pape Clément V.
Ce fut là, qu’après sa mort, on trouva ses trésors. Ils étaient immenses, et peut être plus
considérables que ceux d’un royaume de ce temps.
Le territoire de Monteux est tout cultivé; il produit abondamment des grains de toute
espèce. Les prairies, et notamment le gros sainfoin, qu’on y cultive depuis peu, les vers à
soie, le safran et la garance donnent un revenu considérable au pays. La plaine était
naguère couverte de vastes paluds, sortes de terres vagues et marécageuses qui rendaient
la contrée malsaine. Un persan nommé Alten, ayant apporté d’Asie quelques graines de
garance, plante jusqu’alors inconnue en France, fit ses premiers essais en grand dans ces
paluds. Les racines furent si belles, si abondantes et d’une qualité si supérieure à celles
qu’on recueille en Orient, que tous ceux qui cultivèrent cette plante furent amplement
récompensés de leurs travaux, et cette culture procura la salubrité au pays. Si cette ville
eût été susceptible de reconnaissance, elle aurait sans doute élevé une statue à Alten,
pour éterniser la mémoire du double service qu’il avait rendu à Monteux et à tous les
lieux qui ont cultivé la garance avec succès. Cette ville est la patrie de saint Gens. Pop.
4,770 hab.
MOTTE (LA), Motta. village à 2 lieues et quart de Draguignan son chef lieu
d’arrondissement et de canton, sur la rive gauche de la Nartubie. Il y avait autrefois des
forges où l’on fabriquait des boulets de canon. Climat tempéré. Les chaleurs de la
canicule y sont très-fortes. Territoire fort vaste, depuis qu’on y a réuni une partie de celui
d’Esclans. Le sol est mauvais, en général. La partie arrosable et quelques petits coteaux
produisent du blé, du vin, de l’huile et des légumes excellens. On y néglige à tort les
melons, qui étaient préférables à ceux des Arcs. On trouve dans le territoire beaucoup de
tuf, des bandes d’un granit grisâtre composé de sablon quartzeux, de mica, de scorie et
de feld-spath. On y trouve aussi des pyrites et des filons métalliques. La rivière offre une
belle cataracte nommée le saut du capelan, parce qu’on prétend qu’un prêtre y avait été
entraîné par le courant de l’eau. Pop. 860 hab.
MOUANS, Movens. Village du canton de Cannes, à une lieue et demie de Grasse. Il fut
détruit de fond en comble par les Sarrasins, et rebâti par les gens du pays auxquels se
joignirent plusieurs familles génoises. En 1592,le duc de Savoie, forcé de quitter la
Provence, passa par Grasse, et les habitans l’engagèrent à châtier le village de Mouans, à
cause qu’il avait donné des preuves de son attachement au roi. Le village n’avait pour
toute défense que le courage héroïque de Suzanne de Villeneuve, sa baronne, qui soutint
pendant plusieurs jours en siége meurtrier contre le duc et son armée. Elle ne se rendit
qu’à la condition que le village et le château seraient respectés. Le duc lui donna sa
parole; mais il y manqua en faisant démolir le château. La baronne, furieuse, se plaignit
hautement du duc, jusqu’à ce que celui-ci lui eut promis quatre mille écus pour
l’indemniser en partie du dommage qu’elle avait essuyé. Mais loin de satisfaire à cette
seconde promesse, le duc partit avec son armée et se dirigea vers ses états. La baronne
courut après lui, l’atteignit dans la plaine de Cagnes, et quoiqu’il fût au milieu de ses
soldats, elle lui rappelle courageusement sa promesse. Le duc, loin de répondre, se
dispose à s’enfuir; la baronne alors saisit la bride du cheval, l’arrête; ses regards et ses
paroles firent tellement trembler le prince savoyard, qu’il fit sur le champ satisfaire la
baronne.
Le village de Mouans est tout en plaine. Ses rues sont tirées au cordeau et d’une largeur
proportionnée. On y construit en ce moment, au quartier de la Foux, une fabrique pour
travailler le fer et pour faire toutes sortes d’objets de taillanderie à la mécanique. Les
productions sont les mêmes qu’à Grasse. Population 660 hab.
MOUSQUIER. Petit port sur la côte maritime du département du Var, près de Bormes.
MOUTTE. Cap de la Moutte, sur la côte maritime du département du Var, près de Saint-
Tropez.
MUY (LE), Castrum de Modio. Joli village du canton de Fréjus, à 3 lieues et un quart de
Draguignan, bâti dans la plaine près du confluent de la Nartubie dans la rivière
d’Argens.
Turris de Modio, ou plutôt de Medio, ne désignait, sous les Romains, que la tour qu’on
voit encore en très-bon état au bas du village. Le nom de Turris de Medio semble ne lui
avoir été donné que parce qu’elle se trouvait sur la route et à la mi-chemin d’une station
militaire à une autre station, c’est-à-dire qu’elle se trouvait à une égale distance de
Forum Julii (Fréjus) et de Forum Voconii (Taradeau). C’est dans cette fameuse tour que
s’enfermèrent sept gentilshommes provençaux qui avaient projeté de faire périr
l’empereur Charles-Quint, lorsqu’il venait pour s’emparer de la Provence. La machine
qu’ils employèrent écrasa effectivement la voiture du prince; mais comme en ce moment
il se trouvait à cheval, il fut assez heureux d’échapper à ce danger. Les sept
gentilshommes, voyant qu’ils avaient manqué leur coup, se défendirent en désespérés
contre toute l’armée. Cinq furent blessés mortellement, et les deux autres, ne pouvant
plus se défendre, capitulèrent. L’empereur ne fut pas magnanime à leur égard. Au lieu de
leur conserver la vie, ainsi qu’il l’avait promis, il les fit pendre à l’instant à un mûrier
qui se trouvait près de la tour.
Vers l’an 1588, les ligueurs assiégèrent le château du Muy. Le seigneur fut assassiné par
les assiégeans. La marquise, toute effrayée, se sauva sur le toit d’une maison voisine, et
en sautant, elle se trouva accrochée par sa jupe et suspendue à un tuyau de cheminée.
C’est dans cet état, qu’une demi-heure après, elle fut dégagée par les assassins de son
mari, qui, touchés de pitié ou peut-être de remords, eurent la générosité de lui laisser la
vie et l’honneur.
Une partie du territoire d’Esclans a été réunie à celui du Muy. La Nartubie arrose ce
dernier, fournit aux tanneries du pays, et met en mouvement nombre de scieries à
planches qui font la principale industrie du pays. Le sol, cultivé, produit du blé du vin,
de l’huile, du foin très-estimé, des plantes potagères, des légumes et des fruits,
principalement des pêches. Le territoire offre une grande étendue de terres tophacées qui
ne produisent de l’avoine qu’avec peine. Le hasard fit qu’un propriétaire répandit de la
glaise sur cette terre; les plantes qui y vinrent donnèrent beaucoup plus de paille et de
grains. La vigueur extraordinaire qu’on leur remarqua surprit tout le monde et n’éclaira
personne.
Les montagnes du Muy offrent du beau granit et des porphyres, et la vallée un courant
volcanique.
La partie du territoire au nord et en delà de la Nartubie est réputée stérile. On y trouve
cependant le ciste ladanifère en grande quantité, et de grandes forêts de pins où l’on
fabrique la poix et la résine. On y trouve des forges qui depuis long-temps avaient été
abandonnées. On a essayé dernièrement de les remettre en activité. On prétend que les
entrepreneurs ont été payés pour les abandonner de nouveau. Le commerce du pays
consiste en planches qu’on embarque par radeaux sur l’Argens, et ce commerce fait que
tout le monde y est dans l’aisance.
A trois quarts de lieue du Muy, et sur la rive droite de l’Argens qu’on passe sur un bac,
est un désert curieux sur une élévation, au pied d’une montagne de rochers granitiques
dont les déchiremens et les éboulemens forment une infinité de petits sites fort
agréables. On parvient à la chapelle de Notre-Dame de la Roque par un chemin étroit et
tortueux, sous un berceau de verdure. A chaque contour était autrefois une madona où
les fidèles faisaient des stations. Auprès de la chapelle est un ancien monastère qui fut
occupé par des grands Trinitaires. Les moines abandonnèrent un des plus jolis déserts de
la Provence et un climat très-sain pour aller habiter la capitale de la province. Tout près
du couvent et de l’ermitage, on trouve des places formées par la nature. Elles sont bien
gazonnées et ombragées par des arbres venus au hasard et d’une grande élévation. A
côté, l’on voit de grosses dales détachées de la montagne, appuyées d’un seul point sur
un bloc de granit, formant des sortes de cellules ou plutôt des abris contre la pluie et
l’ardeur du soleil; non loin de là, une montagne de rochers, d’une hauteur prodigieuse,
déchirée depuis le haut jusqu’au bas, et formant un passage fort étroit qui conduit dans
un place intérieure où jamais les rayons du soleil n’ont pénétré. Les uns croient que ce
déchirement a été causé par les eaux du déluge, ce qui n’a pas le sens commun; les
autres pensent qu’il n’est dû qu’à quelque volcan, et c’est ce qui est le plus
vraisemblable. Les anciens religieux l’attribuaient à une cause divine. Aussi gravèrent-
ils sur le rocher ces paroles de la passion: Et petrœ scisserunt.
A une petite distance de là, on trouve un antre appelé le saint Trou. Tous ceux qui
visitent ce désert croiraient ne le connaître qu’imparfaitement, s’ils n’avaient point passé
par le saint Trou. C’est une crevasse dans le rocher, où, sans la moindre lumière, on
grimpe au hasard jusqu’à une certaine hauteur, pour passer avec difficulté, et en se
traînant, entre trois rochers qui ne laissent qu’un étroit passage à une personne. Après,
on se trouve dans une grotte assez éclairée et dont la voûte s’élève fort haut. On sort de
cette grotte pou rentrer dans un long et large déchirement de la montagne, nommé le jeu
de ballon, qui est entièrement ouvert aux deux extrémités.
Le point de vue de cette montagne est magnifique et des plus étendus. Il s’étend depuis
les Alpes jusqu’à l’île de Corse, et voit à ses pieds toute la vallée depuis Draguignan
jusqu’à Fréjus. Les voyageurs se plaisent à s’égarer dans les bosquets qui avoisinent
l’ermitage, et où l’on trouve plusieurs sortes d’arbres exotiques.
Le Muy a deux foires dans l’année, savoir; le sept janvier et le troisième lundi après
Pâques. Population 2,050 hab.
N
NAGAYE. Voyez AGAY.
NAPOULLE (LA). Les Romains avaient construit une ville maritime sue la voie
aurélienne même, au pied de l’Estérel, près de l’embouchure de l’Acro. Cette ville
portait encore au douzième siècle le nom d’Avenionetum ou Avenionis Castrum. Un
auteur moderne a prétendu que ce lieu s’appelait Epulia, et de ce mot il a fait La
Napoulle. Mais la généralité des auteurs s’accordent à dire que le nom de Napoulle est
formé du grec Neapolis, qui signifie Villeneuve, nom qui fut donné à cette ville dans le
treizième siècle, c’est-à-dire lorsqu’on reconstruisit ce lieu qui avait été détruit par les
Sarrasins, et les habitans menés en esclavage. On ne sera pas en peine de le croire,
quand on saura qu’à cette époque le seigneur du lieu s’appelait De Villeneuve.
En 1530, les Sarrasins vinrent de nouveau incendier cette ville, et chargèrent de chaînes
les malheureux qui l’habitaient. On voit encore dans la mer une partie d’un port très-
bien conservé que Marius fit construire avec élégance; preuve inconstestable que ce lieu
devait être important. La voie romaine le traversait, et suivait la côte jusqu’à Fréjus.
La Napoulle n’est aujourd’hui qu’un hameau de Fréjus, devenu très-malsain à cause des
marais de la plaine de Laval et de l’étang de la Napoulle, qui donnent la mort à presque
tous ceux qui ont la témérité d’y passer une saison d’été. Le Riou ou torrent de
l’Argentière, qui prend sa source sur la montagne de l’Estérel, vient baigner ses murs.
On peut le passer sur un vieux pont en très-mauvais état; mais le chemin de détour qui y
conduit est aussi dangereux que le torrent lors de ses crues. Ce torrent emporte les
voitures et les charrettes chargées, et la Siagne submerge une grande partie de la plaine.
Le département du Var a toutes ses routes en assez bon état, moins celle qui se trouve
dans les plaines de Laval et de la Napoulle, où le voyageur court le plus grand péril.
C’est près du hameau de la Napoulle que naguère on a cultivé en grand la patate du
Malaca. Cet essai a parfaitement réussi. Si ce fruit réussissait de même dans les bons
fonds de la Provence, les habitans perdraient presque l’habitude de manger du pain et
des pommes de terre, tellement le goût de la patate leur serait préférable.
NÈGRE. Cap de la côte maritime du département du Var, qui forme la baie de Six-
Fours.
NÉMANTURI. Autre peuplade celto-lygienne qui, selon les apparences, occupait les
rives de l’Ubaye en dessus de Barcelonnette et près de Jauzier. Elle était également
voisine des Embusiens. Il est parlé de ce peuple dans le trophée des Alpes, dont Pline
fait mention,
NÉRUSI, ou NÉRUSII. Peuple celto-lygien qui habitait à Vence et ses environs jusqu’au
Var. Il était compris parmi ceux qui faisaient partie des Alpes Maritimes. Il donna asile
aux Déciates, lorsque ces derniers furent forcés de céder le littoral aux Marseillais.
NIBLES. Petit village du canton de la Mote, à 3 lieues et demie de Sisteron, une lieue de
la rive gauche de la Durance, et sur la petite rivière de la Sasse, qui arrose les jardins et
les prairies. Le territoire est mélangé de bon et de mauvais terrain. Ce dernier domine
par le manque de cultivateurs. Le blé, les légumes et les fruits y sont d’une bonne
qualité. Il n’en est pas de même du vin. Le climat est tempéré en été et très- froid en
hiver.
Il sort d’une montagne une source d’eau salée auprès de la Sasse. Elle est plus ou moins
chargée de sel, suivant que les eaux de la rivière sont plus ou moins élevées. A deux
cents mètres en dessus se trouve une belle source d’eau douce qui, par sa position, ne
peut être utilisée à rien. Le pays est très-pauvre. Pop. 182 hab.
NICOLAS (SAINT). Fort de Marseille qui défend l’approche des flottes ennemies et
commande la ville.
NIOZELLES. Village sur une hauteur, à une lieue de Forcalquier son chef-lieu
d’arrondissement et de canton. Climat tempéré; sol sablonneux, qui produit du froment,
du seigle, de l’avoine, de l’épeautre et quelques légumes. Pop. 293 hab.
O
ŒGYTNA. Ville capitale des Oxibiens, qui se trouvait au fond du golfe Jouan. Les
Romains et ensuite les Sarrasins la détruisirent jusqu’aux fondemens; car il n’en existe
plus le moindre vestige. Les habitans échappés à la fureur des barbares allèrent bâtir le
village de Mougins.
OLLIERES, Olleriœ, Castrum de Oleriis, et dans une charte de 971, Uleria villa. Village
du canton de Saint-Maximin, à 5 lieues de Brignoles. Climat assez sain; sol aride et
pierreux, fertile en blé et autres grains. Les trois quarts sont en bois taillis. On y trouve
du très-beau marbre portor et des indices de houille. Pop. 390 hab.
OLLIOULES, Oliolis. Petite ville chef-lieu de canton, à 2 lieues de Toulon. Son origine
est inconnue. On croit qu’elle fut nommée Ollioules, à cause du grand nombre d’oliviers
dont le territoire est garni; alors il faudrait écrire Olioules, Olitum, ou, selon moi,
Oliarium, qui signifierait une jarrerie, premier magasin pour entreposer l’huile qu’on ait
construit dans le pays. Son nom pourrait également venir d’oleo, à cause de l’odeur des
orangers qui embellissent les jardins. Mais on ignore si cet arbre est cultivé depuis long-
temps dans les petits jardins d’Ollioules.
On voit dans la ville les ruines d’un ancien château dont la construction paraît être du
treizième siècle. On y trouva une inscription autour d’une légende, dont la promesse
paraît s’être réalisée:
Les hauteurs qui abritent ce lieu rendent sa température douce, au point que les orangers
y viennent en plein vent et donnent des récoltes assurées.
La campagne produit du blé, du vin, des câpres, de l’huile et des figues excellentes. Il y
a beaucoup de jardins potagers dont la plupart sont entourés de murs en pierres
volcaniques. Il en est de même des murs d’une partie des maisons.
Les vaux d’Ollioules sont de grandes horreurs que l’étranger admire sans quitter la
route. Sur la hauteur d’une de ces collines, on trouve de grandes traces de volcan et
beaucoup de laves. En général, ces laves sont très-compactes; on en tire des meules pour
les pressoirs à huile. En brisant ces laves, on y trouve du schorl, du quartz plus ou moins
altéré, du spath calcaire et quelquefois du feld-spath. Cette même colline offre par
intervalle du silex et de la craie. Ailleurs il y a des carrières de marbre blanc et de rouge
sanguin, qu’on pourrait exploiter facilement et avec avantage.
Dans le territoire se trouve aussi une source d’eau thermale au fond d’un puits; et près de
là on a découvert des tombeaux en briques romaines, un petit ossuaire de vingt-cinq
centimètres de hauteur, et des médailles romaines et arabes.
Ollioules est le seul pays où l’on cultive en grand la fleur d’immortelle. La plaine est
très-fertile et très-bien cultivée. Il y a une exposition où l’on cueille, fin mars ou
commencement avril, du raisin mûr qu’on envoie fort loin.
Le pays offre quelques pépinières pour les arbres fruitiers. Les eaux y sont excellentes;
le climat doux, l’air excellent et exempt des maladies qui affligent la plupart des
localités.
Il y a beaucoup d’aménité parmi les habitans. Nul ne s’expose jamais à désobéir à
l’autorité, malgré les différentes circonstances politiques.
Le jour de la foire du 10 août, les dames du plus haut rang de Toulon et des environs,
viennent orner le bal, et ne dédaignent jamais de danser avec toutes personnes du pays
d’une mise décente, parce qu’elles sont assurées de n’y trouver
que la politesse et le respect. Elles y étalent un luxe pareil aux fêtes brillantes des
grandes villes. Pop. 3,140 hab.
Il y a une foire, le 10 du mois d’août.
Les communes du ressort de la justice de paix de ce lieu sont, Ollioules, Bandol,
Evenos, Saint-Nazaire, la Seyne et Six-Fours.
ORAISON, Auraisonum. Joli village du canton des Mées, à 10 lieues de Digne, près du
confluent de l’Asse dans la Durance. Ce village n’est formé que d’une belle rue longue,
large et bien droite. Quoiqu’on ne trouve dans le pays aucun vestige de construction
ancienne, on peut présumer que les Romains y avaient établi des villœ pour s’y livrer à
la grande culture. Nous n’en avons d’autres preuves que la beauté du climat, la situation
du territoire entre deux rivières et traversé par un ruisseau qui l’arrose, la nature du
terrain, le voisinage de plusieurs autres lieux habités par de riches familles venues de
l’Italie, et quelques noms d’origine romaine qui se sont conservés dans le pays. Il est
possible que chaque hameau existant doive son origine à une villa particulière, ainsi
qu’on le voit souvent ailleurs. Le territoire est fertilisé par les eaux de la Durance. Il est
renommé pour le blé de semence. Son vin est très-gros et n’est recherché que par les
commerçans des Hautes-Alpes, qui viennent en faire charger des charrettes. Il y a aussi
des fruits, mais peu d’huile. Pop. 2,028 hab.
ORATELLI. Peuple celto-lygien. Les anciens auteurs disent qu’il était voisin des
Némenturi, qui occupaient les rives de l’Ubaye. D’après cela, je ne sais pas pourquoi les
modernes placent les Oratelli sur les rives du Var, sans désigner le point. Je crois qu’il
est plus vraisemblable de croire que les Oratelli habitaient les environs de l’Arche et le
long de l’Ubayette, ruisseau qui passe par Meyronne et se jette dans l’Ubaye près du
hameau de Gleisole. Peut-être même occupaient ils tout le territoire de Saint-Paul, qui
s’étend jusqu’au lac de Longet.
ORGON, Castrum de Urgone. Petite ville chef-lieu de canton, à 8 lieues et trois quarts
d’Arles, et sur la rive gauche de la Durance. La voie aurélienne qui d’Arles allait à Apt
passait par Orgon. Il en reste encore des vestiges dans ce qu’on appelle chemin arletenc.
Toute l’étendue de terrain qui se trouve entre ce vieux chemin et le canal Saint-Andiol,
fut distribué à nombre de familles romaines qui y établirent des villœ dont on trouve
encore des restes. Plusieurs inscriptions et surtout une dédiée à l’empereur Antonin, sont
une seconde preuve du séjour des Romains en ce lieu. Les Désuviates, peuple celto-
lygien allié des Saliens, avaient leur chef-lieu dans le territoire. La lance des conquérans
des Gaules en diminua tellement le nombre, que ceux qui survécurent à leur défaite
furent pour ainsi dire les esclaves de leurs vainqueurs.
Long-temps avant cette époque, la Durance passait plus au midi et se dirigeait vers
Saint-Gabriel. Mais cette rivière ayant pris son cours plus au nord, les Romains
entretinrent un canal dans l’ancien lit. La prise d’eau appelée lou traou touquet, dont la
voûte est taillée au ciseau, se trouve à l’extrémité du Mont Saouvi. Ce canal se rendait
aux palluns de Mollèges, traversait le territoire de Glanum
(Saint-Remy), passait à Ernaginum (Saint-Gabriel) et allait se joindre au canal Barbegal
près d’Arles. Tout ce canal était navigable et rendait le pays d’Arles fort sain. Le séjour
des barbares et la négligence des habitans qui nous ont précédés sont cause que ce canal
est tout obstrué. Il en coûterait peu pour le remettre dans son premier état, ce qui
donnerait la vie et la santé à une très grande étendue de pays.
Le vieux château d’Orgon date des derniers temps de l’empire romain. C’était peut-être
une citadelle qui défendait le passage le plus important de la voie aurélienne. Ce
château, appelé Castrum Druentiœ, fut pris d’assaut par Euric, roi des Wisigoths,
lorsqu’il allait assiéger Arles. Les Goths lui donnèrent le nom de urbs Gothorum. Dans
le douzième et le treizième siècle, il servait de prison d’état. Louis XI le fit démolir. On
le reconstruisit immédiatement après; mais Louis XIII le fit encore abattre, et il n’a plus
été relevé depuis.
L’ancien village était même au-dessous du fort. Il ne renfermait que des gens de guerre,
des bergers et des familles attachées au seigneur du lieu. Le territoire était inculte. Mais
la population s’accrut au quinzième siècle, parce qu’on distribua les terres à défricher,
moyennant un simple droit de champart (de tasquo). Les nouveaux habitans agrandirent
le village et en firent la ville actuelle, qui est très-exposée aux vents, principalement au
Maëstral. Le sol de ce pays est assez ingrat. On le bonifierait aisément par la vase que la
Durance dépose dans son lit, lors des débordemens. Cette vase, que le soleil dessèche,
occasionne quelquefois des maladies; on préviendrait ce désagrément, si on l’enfouissait
comme un engrais excellent.
C’est au bas de la ville qu’une déviation de l’eau de la Durance forme le canal de
Boisgelin, qui suit en partie le cours primitif de la Durance, lorsqu’elle se dirigeait dans
la mer en passant par Lamanon plaine de la Crau.
Orgon a deux foires dans l’année, le 29 juin et le 2 novembre. Pop. 2,800 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Orgon, Saint-Andiol,
Cabanes, Eygalières, Eyrargues, Mollégès, Senas et Verquières.
ORRES, ou plutôt Horres, du mot horreur. Haute montagne qui sépare la vallée de
Barcelonnette du département des Hautes-Alpes. Sa face du côté de l’est n’offre presque
que des touffes d’arbustes dans les abris de la roche calcaire qui se montre à nu dans la
partie supérieure. La base est schisteuse, et la partie moyenne présente du grès par
intervalle. Les terres ne pouvant s’y soutenir par des murs, sont entraînées par les eaux
pluviales qui forment des torrens très larges et souvent impétueux.
OXIBII. Seconde ville capitale des Oxibiens, qui se trouvait au même endroit où est la
ville de Cannes. Voyez ce mot.
P
PALUD (LA). Village du canton de Bollenne, à 4 lieues et demie d’Orange, dans une
plaine fertile séparée du Vivarais par le Rhône. Le sol produit du blé, des légumes, du
foin, et des fruits. Il s’y trouve beaucoup de mûriers, ce qui fait que dans le pays on
élève des vers à soie. Pop. 2,322 hab.
PEMEYNADE. Hameau de Cabris. Malgré tous ses efforts, il n’a pu encore se faire
ériger en commune. Le froid de 1820 lui fit couper tous ses oliviers. Ils ont repoussé et
donnent une huile égale à celle de Grasse. Il est malheureux pour ce quartier de n’avoir
point d’eau courante, et, par conséquent, point de pressoir à huile. On pourrait, près de la
fontaine, en construire un à la manière Sinety. Celui qui l’entreprendrait y trouverait un
grand avantage, et rendrait un service important à l’habitation.
PENNE (LA). Ancien village très-escarpé qui se trouvait dans le territoire de la Celle,
près de Brignoles. Il ne reste que des ruines de ses anciens édifices.
L’inscription est:
Il y a dans le territoire une brèche très-agréable par la diversité des couleurs; elle prend
un beau poli, quoiqu’elle soit difficile à travailler. La fontaine qu’on rencontre en venant
de Marseille est remarquable par la difficulté de l’entreprise. Il a fallu percer une masse
de pierre vive, de l’épaisseur de cent mètres. Les mineurs, qui travaillaient en même
temps au nord et au midi, en suivant la direction de la boussole, se rencontrèrent sur la
même ligne, à très-peu de différence les uns des autres pour la hauteur.
Le climat est tempéré et sain; le terroir est fertile. Les vignes, les oliviers, les amandiers
et autres arbres fruitiers y sont d’un bon produit. Pop. 1,360 hab.
PERNES, Paternœ. Ville chef-lieu de canton, à une lieue de Carpentras, sur la Nasque et
au bas d’un coteau qui domine une plaine fort vaste. Elle était très-importante dans le
dixième siècle, puisqu’elle était le siége des sénéchaux et des recteurs du comtat
Venaissin ainsi que des autres tribunaux. Elle les perdit en 1320, époque où ils furent
transférés à Carpentras.
Les Romains ont occupé la campagne de Pernes. On en a pour preuve l’ancien portique
d’un temple qui a été construit dans les plus beaux siècles de l’empire, des inscriptions,
des tombeaux avec leur petit mobilier, des anneaux d’or, des instrumens de sacrifice, et
des médailles de différentes formes, de différens règnes et de différens métaux.
La ville de Pernes est agréablement située; Elle est ceinte de remparts flanqués de tours.
L’air y est salubre par la quantité de fontaines qui lavent toutes les rues, et par les vents
du nord qui s’y font fréquemment ressentir. La source qui donne de l’eau à la ville est
tellement abondante, que presque toutes les maisons ont une fontaine particulière,
indépendamment d’un grand nombre d’autres qui sont publiques.
La Nasque baigne et arrose la plaine, qui est fortvaste, et en fait la campagne la plus
riche et la plus riante qu’on puisse voir en Provence; Les coteaux sont enrichis de vignes
et d’oliviers d’un bon produit. Le terroir étant bon, on n’y voit rien d’inculte. Les fonds
n’offrent que prairies, vergers et jardins. Toutes les avenues sont presque bordées de
mûriers. Les principales productions du territoire sont, du très-bon vin, des amandes, des
grains, des légumes de toute espèce, du foin, du safran, de la garance; en un mot, le
territoire réunit, à peu de chose près, toutes les productions de la Provence. La récolte
des cocons y est immense; celle du chanvre est considérable. Aussi le pays offre des
filatures pour la soie, et un grand nombre de tisserands.
Au quartier des Paluns, et à cinq mètres de profondeur, il y a un lit de tourbe de près de
trois mètres d’épaisseur. C’est un composé d’un grand nombre de couches de feuilles
d’arbres et de quelques parties ligneuses; ce qui prouve qu’il y avait autrefois de grandes
forêts dans la contrée. Cette tourbe, mise à la forge, rougit assez le fer pour le rendre
malléable; mais elle n’a pas assez d’action pour opérer la soudure. Cependant elle
pourrait être employée à une infinité de fabriques, et elle épargnerait le bois des forêts
voisines. La cendre de cette tourbe fait un assez beau rouge pour la peinture à huile.
Le territoire offre aussi des carrières de tufs très-légers, des carrières de pierres calcaires
dont une approche beaucoup du marbre statuaire, tellement elle a le grain fin. Les
pétrifications sont communes sur plusieurs points. Il y a une foire à Pernes, le 24 du
mois d’août. Pop. 4,605 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix de cette ville sont, Pernes, le Beausset,
Roque-sur-Pernes, Saint-Didier, Valleron et Vénasque.
PERTUIS Ville chef-lieu de canton, à 8 lieues d’Apt, et sur la rive droite de la Durance.
Les premiers Marseillais jetèrent les fondemens de cette ville, y établirent des marchés
et des greniers pour le sel qu’ils y faisaient transporter des environs de Salon. Le chemin
qui communiquait entre ces deux lieux existe encore en partie, et a conservé le nom de
chemin salien. Quelques auteurs modernes ont avancé que ce nom lui fut donné à cause
qu’il servait à voiturer le sel, ce qui n’a pas le sens commun. On a toujours vu que les
routes portaient ou le nom de celui qui les avait construite, ou du pays où elles
conduisaient. Celle-ci portait le nom de chemin salien, parce qu’elle conduisait au pays
et même à la capitale des Saliens, que la connaissance topographique et toute la
vraisemblance m’a fait placer sur l’étang de Berre, près de Saint-Chamas.
Les Marseillais firent également construire à Pertuis des greniers pour les blés qu’ils
échangeaient pour le sel avec les habitans du nord de la Celto-Lygie. Le commerce du
blé s’y est conservé jusqu’à aujourd’hui. Des boulangers de Marseille et d’Aix vont
presque toutes les semaines s’approvisionner aux marchés de Pertuis.
Nous ignorons quel fut le nom que les Marseillais donnèrent à la ville de Pertuis.
Comme on y avait établi un port, les Romains la nommèrent Portus, Portus Pertusii,
Castrum Pertusi, Pertus, et aujourd’hui Pertuis. Elle avait des utriculaires comme à
Cavaillon, qui naviguaient jusqu’aux embouchures du Rhône.
Quelques auteurs ont cru que Pétronne, poète, courtisan, homme d’état, qui vivait sous
Néron, et qui mourut l’an 66 de Jésus-Christ, était né en cette ville. Si cela était, il
faudrait placer à Pertuis le Vicus Petronii des Romains. Mais comme les historiens ne
sont pas d’accord sur le lieu de la naissance de ce poète; qu’il en est qui veulent qu’il ait
reçu le jour à Peyruis; entre Manosque et Sisteron, et que nombre d’autres, faute de
preuves, disent seulement qu’il est né en Provence, aux environs de Marseille, on ne doit
point se permettre de lui assigner un lieu qui pourrait être contredit.
Pertuis existait déjà à l’époque de la victoire de Marius. Les habitans de cette ville en
ont conservé le souvenir, au point que, non seulement ils vont en procession tous les ans
sur le mont Sainte-Victoire, pour remercier Dieu du succès de cette affaire, mais ils cé-
lèbrent une fête, le 5 janvier, pendant la nuit, qui est un simulacre ridicule de cette
bataille.
Vingt et un chevaliers de l’ordre des Templiers furent enfermés dans cette ville.
Quelques auteurs ont prétendu que ces infortunés y furent jetés vivans dans des puits.
Nous savons de source certaine qu’ils furent au contraire élargis secrètement et
dépaysés.
Ce lieu fut, dans la suite, un endroit de refuge pour les troupes de Raymond de Turenne.
Marle, qui était alors sénéchal, vint les disperser, et d’ici il fit assiéger Éléonore de
Comminges dans le château de Meyrargues.
Cette ville était autrefois beaucoup plus considérable. Les moines de Mont-Majour en
ayant voulu disputer la propriété à Guillaume de Sabran, comte de Forcalquier, celui-ci
en fit démolir une grande partie. Je pense que ce fut parce que cette partie appartenait
réellement aux moines. La ville actuelle est ceinte de murailles flanquées de tours. Elle a
soutenu plusieurs siéges; mais le plus mémorable est celui de 1596, contre les ligueurs. ll
fut cause de la destruction de ses bastions et de ses forts.
Pertuis est dans une vaste plaine. La ville renferme des places fort vastes, des tanneries,
des fabriques d’étoffes de laine et des filatures pour la soie. Le climat est froid en hiver.
Les roubines, sortes de marais, y entretiennent une humidité dans l’atmosphère qui nuit
à la santé des habitans.
Le territoire abonde en pâturages. On y recueille du blé, du vin, des olives et des fruits
de toute espèce. Il y a aussi beaucoup de mûriers, ce qui fait que dans le pays on élève
beaucoup de vers à soie. La campagne est fort belle et très-bien cultivée. Il y a une
pépinière qui fournit des plants d’arbres à plus de vingt lieues loin. La nature du sol est
à-peu-près la même qu’à Cadenet.
Il y a à Pertuis de beaux marchés pour les blés et une foire, le 13 du mois d’août. Pop.
4,530 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Pertuis, Ansouis, Bastides
des Jourdans, Beaumont, Cabrières-d’Aygues, Grambois, la Bastidonne, la Motte
d’Aygues, la Tour-d’Aygues, Mirabeau, Peypin d’Aigues, Saint-Martin de la Brasque,
Sannes et Vitrolles.
PESQUIER. Étang, qui se trouve dans la presqu’île de Giens, entre la grande rade
d’Hyères et la rade de Giens.
PROH DOLOR
AEMY BERE.... PRAE ILLIRICS
QVI IMPER. MAGISTRATVS
SICARIOS INSECVTVS IVSTE
SEMPER FVERT POST ADMINIST.
AEGYPT. DVM IN GALL. CVM LIBER
IVSSV IMP. CON... PROFICISCERE...R
A SICCARIS ET IVDÆIS PERVICACISS.
NEFANDVM FASCINS IN VICO C.
PETRONII AD RIPAM DRVENTIÆ
PVGIONI CONFOSSVS HIC SITVS EST
S. L. H. P. M. R. D. O. M. V. F.
PIERREFEU. Village du canton de Cuers, à 6 lieues de Toulon, bâti sur une hauteur. Il y
avait autrefois une cour d’amour pareille à celle de Signes. On y voit une pierre votive
en l’honneur de la déesse Trétra, inscription qui existait autrefois à Tretz, où elle avait
été lue par Peyresc et autres savans. L’élévation sur laquelle le village est bâti, est un
rocher quartzeux grisâtre, élevé et taillé à pic du côté du nord. Les puits qu’on y a
creusés donnent une eau saumâtre, tandis que ceux qui sont ouverts dans le schiste en
fournissent de très-pure. Au nord de Pierrefeu sont des bancs de grès tenant en
poudingue des porphyres roulés, quoique aucune montagne voisine ne renferme des
porphyres en masse. Le terrain est fertile; il produit de l’huile, du vin, des figues, des
fruits de toute espèce, beaucoup de fourrage et de haricots. Populat. 1,210 hab.
PIOLENC, Podiolenum ou Podium Odolenum. Bourg à une lieue et demie d’Orange son
chef-lieu de canton et d’arrondissement, près la rive gauche du Rhône. Climat assez
froid et très-sujet à des vents impétueux. Le sol est humide et le terrain gras. Il produit
quantité de vin, de blé, de légumes, du foin, du maïs et toutes sortes de fruits. On y
cultivait autrefois le tabac. Il y a un grand nombre de mûriers, de figuiers et de saules. Il
y a une verrerie, une fabrique de faïence, plusieurs filatures de la soie, quantité de
fontaines, dont deux très-abondantes, qui naissent dans le bourg même. Le territoire
renferme du jayet, des pierres coquillières, des argiles propres à la poterie et à la faïence,
et une mine de charbon de terre qu’on a exploité avec avantage. Pop. 2,040 hab.
PLAN-DE-LA-TOUR (LE). Cette commune n’est établie que depuis un petit nombre
d’années, ayant été détachée de celle de la Garde-Freinet en 1793. Il paraît que son
territoire actuel, ainsi que ceux de Saint-Pierre de Miramas et de Sainte-Maxime, furent
saccagés à tel point, pendant le quatorzième et le quinzième siècle, qu’il n’y resta plus
d’habitations ni d’habitans.
Après la fondation de Saint-Tropez par les Génois, le golfe de Grimaud commença
d’être respecté par les barbaresques et les autres pirates. Pauléty, notaire à Grimaud, se
hasarda le premier, en 1476, à acheter une assez vaste étendue de terre dans le territoire
de Saint-Pierre de Miramas, et tout près du terrain qu’occupe le hameau actuel du Plan
de la Tour. Pour garantir ses valets et travailleurs de toute surprise, il fit bâtir sur une
hauteur, au centre de son domaine, une forte tour qui porta son nom pendant long-temps,
et qui subsiste encore en partie dans la bastide de M. Jean-Baptiste Sigallas, appelée La
Tour. Plusieurs années après, la sécurité et le nombre des cultivateurs augmentant, ce
domaine se divisa, et l’on bâtit dans la partie en plaine une bastide qui est désignée sous
le nom de Plan de la Tour, dans un acte de 1613. La population s’accroissant aussi
graduellement dans la partie du territoire de la Garde-Freinet voisine de la Tour de
Pauléty, qui était fort éloignée du chef-lieu de la commune et même de l’église de la
Moure sa paroisse, l’on y bâtit une église sous l’invocation de Saint-Martin, laquelle fut
érigée en succursale, en 1770. Il se forma à l’entour un hameau qu’on appela Saint-
Martin du Plan de la Tour, et qui devint bientôt un joli petit village bien bâti, avec une
place plantée d’arbres et des rues assez larges. C’est là le chef-lieu de la commune du
Plan de la Tour, qui augmenta rapidement. Il est entouré d’un nombre considérable de
hameaux qui donnent à cette contrée un aspect riant et pittoresque.
Le sol est généralement montagneux et pierreux; les parties basses sont formées d’un
terrain graveleux et stérile; mais l’industrie et le travail de ses laborieux habitans supplée
à l’infertilité naturelle du sol, qui produit du vin et de l’huile excellens; on y élève
beaucoup de gros et de menu bétail, surtout des ânes renommés par leur vigueur et leur
agilité. Il y avait autrefois dans le pays beaucoup de ruches à miel, qui ont un peu
diminué à cause du bas prix du miel et de la cire. L’éducation des vers à soie est peu
suivie; elle serait cependant d’un produit d’autant plus avantageux, que le mûrier réussit
assez bien dans les terrains pierreux impropres à toute autre plantation. Il y avait un
dévidage de soie que les propriétaires ont fermé depuis quelques années. On porte
maintenant les cocons aux fabriques des Arcs, de Draguignan et de Grasse, car il n’y a
plus aucune fabrique de ce genre dans les cantons de Grimaud et de Saint-Tropez. Il
serait à souhaiter qu’il s’en établît quelqu’une, pour encourager la culture du mûrier dans
une contrée où elle est totalement négligée.
L’industrie s’est rejetée sur la fabrication des bouchons, qui se fait assez activement au
Plan de la Tour dans trois fabriques.
Le village du Plan de la Tour fait partie du canton de Grimaud, et se trouve à 7 lieues de
Draguignan. Il y a une foire assez importante pour la vente des bestiaux, principalement
des bœufs et des chèvres, le 1er août. Pop. 1,086 hab.
PLAN D’AUPS, ou PLAN HAUT, dans les anciens titres Alma. Petit village du canton
de Saint-Maximin, à 8 lieues de Brignoles, sur la montagne de la Sainte-Baume qui est
en partie dans son territoire. C’est au Plan d’Aups que certains auteurs ont cherché de
placer les Albici, peuple qui habitait aux environs de Riez. Nous avons suffisamment
combattu cette erreur à l’article AUBAGNE, auquel nous renvoyons nos lecteurs. Le
territoire est assez fertile, principalement en blé et en pâturages servant à la nourriture de
nombre de troupeaux. On avait essayé de planter de la vigne à 800 mètres au-dessus du
niveau de la mer; mais leurs fruits ne purent point parvenir à maturité. Le territoire
renferme des grottes spacieuses, principalement celle de la Sainte-Baume, du très-beau
marbre jaune, rouge et blanc mélangé, imitant la brocatelle d’Espagne, et beaucoup de
coquillages fossiles sur le calcaire. Pop. 90 hab.
PLANIER. Tour sur un rocher au milieu de la mer, en face de Marseille et à 2 lieues du
port Dieu-Donné. Cette tour est habitée par un homme à gages qui a le soin d’allumer
tous les soirs un gros fanal, pour avertir les navigateurs qu’il y a là un écueil dangereux.
Pendant la dernière guerre continentale, il est arrivé que le mauvais temps empêchait ce
gardien d’aller à la ville se procurer des provisions. Les Anglais qui croisaient devant
Marseille s’empressaient de lui en fournir gratuitement. On vient d’y construire un
nouveau phare infiniment plus solide que n’était le premier.
PONTEAU. Petit port au milieu de l’île de la Tour de Bouc, sur la côte maritime du
département des Bouches-du-Rhône.
PORTE. Cap de Porte, sur la côte maritime du département du Var, près de Gassin.
PUYVERT. Village du canton de Cadenet, à 4 lieues d’Apt. Le sol offre les mêmes
productions que celui de Lauris. Pop. 197 hab.
Q
QUARIATES. Peuplade celto-lygienne. Voyez ADUNICATES.
POMPEIAC. F.
RVFINA
Reillane fut exposée aux brigandages des Sarrasins, des Lombards et de presque tous les
peuples du nord, qui apportèrent l’effroi et la désolation en Provence. Les protestans et
les catholiques la possédèrent et la déchirèrent alternativement. Son château était très-
fort autrefois; il n’en reste plus que quelques parties qui, ainsi que les murailles et leurs
tourelles, annoncent les ravages du temps, de la barbarie, du fanatisme et de l’ignorance.
Ce n’est que long-temps après les Romains, que les habitans commencèrent à descendre
de la cité pour bâtir sur le penchant oriental de la colline. Les anciens édifices, tels que
le château, les remparts, les tours, etc., étaient d’une solidité à toute épreuve. On y voit
les vestiges d’une synagogue, sur lesquels on a trouvé des caractères hébraïques. Ces
vestiges
annoncent le goût, l’ordonnance et l’architecture d’un vrai temple juif.
A l’extrémité et au couchant de Reillane, est un lieu nommé carlue (canes lacus),
ancienne demeure des Druides. Il y avait un souterrain qui, à ce qu’on assure, conduisait
dans une maison de Druidesses qui se trouvait non loin de là, et sur une élévation dite de
Saint-Géniez.
Le climat de ce pays est tempéré; l’air pur, les eaux salubres, les alimens sains. Reillane
deviendrait en peu de temps une ville fort riche, si on lui procurait des bras et de
l’industrie. Il y avait une verrerie et quelques fabriques de draps communs. Le principal
commerce est la vente des pourceaux qu’on élève en grande quantité dans le pays.
La partie méridionale du territoire présente une riche vallée coupée par des prairies
charmantes. On y voit des terres labourables, des amandiers, des vignes et quelques
oliviers. Le blé du pays est d’une qualité supérieure et un des plus fins de la Provence.
De très-belles sources arrosent la campagne; celle de Saint-Martin entraîne des
minéraux; celle du Riou du pas engraisse les terres.
Les foires du pays sont,le 1er mai, le 7 octobre, le 18 octobre et le 13 novembre. Pop.
1,432 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix de ce lieu sont, Reillane, Aubenas, le
B o u rguet, Céreste, Sainte-Croix,Lincel, Saint-Martin-de-Renacas, Mont-Justin,
Oppédette, Vachères et Villemus.
REMY (SAINT), autrefois Glanum. Petite ville chef-lieu de canton, à 5 lieues d’Arles.
Les Saluvii, démembrement des Saliens, avaient leur chef-lieu au haut de la vallée,
même à l’endroit où commence le défilé qui descend au village des Baux. Les Grecs
phocéens connurent cette bourgade, parce qu’elle se trouvait sur la seule route qui de ce
temps conduisait de Marseille à Arles, Ils y établirent un marché, ou peut-être ils ne
firent que rendre très-important celui déjà existant. Les Romains y firent passer la voie
aurélienne; et quand Constantin voulut embellir la ville d’Arles, les carrières de Glanum
lui fournirent toutes les pierres qui pouvaient lui être nécessaires. C’est ce qui fit valoir
le pays, et qui augmenta le nombre des habitans. Aussi ce bourg s’étendit-il
considérablement vers la plaine. Les terres furent défrichées et mises en produit,
plusieurs chemins furent construits, des canaux furent creusés, des monumens furent
élevés, et d’un lieu de rien, ils en firent bientôt une ville très-importante, qui fait époque
dans l’histoire de cette province. D’après les anciens remparts dont on voit encore des
vestiges, on juge facilement que cette ville occupait tout le plateau où se trouvent les
monumens existans. Un aqueduc y apportait les eaux nécessaires aux besoins des
habitans. La fertilité de la campagne fit élever dans la ville un temple à Cérès, dont on
voit encore quelques ruines. Il paraît que dans le pays il y avait un temple dédié à la
Lune. Ce qui le prouve, c’est cette inscription qu’on y trouva:
LVNAE
LVCIFERAE
ATTIA ANTOL
RHODES, Rhoda, Rhodos, Rhodanusia. Ville que les premiers Marseillais bâtirent près
de l’embouchure du Rhône, et qui donna le nom à ce fleuve, Rhodanus. Le temps,
l’invasion des barbares et plus encore les atterrissemens du Rhône, sont cause qu’il ne
paraît plus aucun vestige de cette ville, et qu’on ignore le point exact où elle se trouvait.
Tout ce que l’on peut assurer, c’est qu’elle était sur la rive gauche du fleuve, près de son
embouchure, qui, à cette époque, n’était pas fort éloignée du lieu où l’ou bâtit ensuite la
ville d’Arles.
RHONE, Rhodanus. Un des quatre grands fleuves qui arrosent la France. Il a ses sources
près du mont Saint-Godard, au pied du mont de la Fourche, et dans un glacier à deux
lieues des sources du Rhin. Il parcourt le Simplon, entre en Suisse, traverse le Valais,
tombe dans le lac de Genève vis à vis de Villeneuve, en sort à Genève, reçoit les eaux de
l’Arve, passe à Seyssel, où il commence d’être navigable. A 4 lieues de Saint-Géniez, il
se perd dans la fente d’un rocher; il reparaît peu à peu pour passer sous le pont Grezin. Il
arrive à Lyon, où il reçoit les eaux de la Saône. Ensuite il prend celles de l’Isère, de la
Drôme, de la Durance, et se jette enfin dans le golfe de Lyon, en dessous d’Arles, par
trois embouchures nommées Gras, qui occupent douze lieues de largeur. Ce fleuve
charrie plusieurs espèces de pierres, telles que des morceaux de granit, du jaspe, des
silex de toute façon, des laves et des pierres volcanisées. Les sables, noirâtres et
ferrugineux, offrent beaucoup de parcelles d’or. Ce métal n’est point minéralisé avec la
pierre dure; ses molécules sont seulement contiguës aux sables qui les entourent.
Le Rhône tire son nom d’une ville fondée sur ses bords par les Phocéens, ou, selon moi,
par quelques Rhodiens qui s’étaient joints à l’expédition phocéenne. Ces Rhodiens
donnèrent le nom de Rhodès à la ville qu’ils fondèrent à l’embouchure du Rhône, qui ne
se trouvait pas au même endroit qu’aujourd’hui. Sous savons que ce fleuve a éprouvé
des changemens considérables. Tout prouve qu’il coulait originairement dans le
Languedoc depuis en sus d’Avignon, et qu’il ne s’est dirigé du côté d’Arles que peu de
temps avant la fondation de cette ville par Jules César, et peut-être même du temps des
Rhodiens. Ce qu’il y a de certain, c’est que les atterrissemens de ce fleuve sont
prodigieux, et empiètent sur la mer d’une manière extrêmement remarquable. Nous
savons que la tour Saint-Louis, bâtie il y a environ cent ans à l’embouchure du grand
Rhône, en est maintenant éloignée de plus d’une lieue. Le They de Bigue et le They de
Béricle, îles qui forment aujourd’hui les trois bouches du grand Rhône, sont deux îles
toutes nouvelles, dont l’une a plus d’une lieue, et l’autre deux lieues de circonférence.
Le petit Rhône commence à une petite distance en dessus d’Arles, sépare le Languedoc
de l’île de la Camargue, et se jette dans la mer près du bourg des Saintes-Maries. Le
vieux Rhône ou canal du Japon, forme, avec le grand Rhône, l’île du Plan du Bourg,
dans la Camargue.
RIEZ, Regium. Ville chef-lieu de canton, avec un évêché supprimé, sur la petite rivière
de Colostre, à 10 lieues de Digne. Les Romains, après s’être emparés des Alpes, bâtirent
cette ville dans le pays des Albici, et lui donnèrent le nom d’Albece, Reiorum
Appollinarium. Comme ce fut peu de temps après les conquêtes d’Auguste que Riez fut
construite et érigée en colonie romaine, sous le patronage de cet empereur, plusieurs
monumens ont désigné cette ville sous les noms de Colonia Julia-Augusta Reiorum,
Colonia Julia-Augusta Appollinaris. La notice de l’empire lui donna les noms de Civitas
Reiensium, vel Regiensium,Regensium, Roginensium.
Quelques auteurs modernes ou contemporains ont pensé que la capitale des Albici devait
être au même endroit où l’on construisit la ville de Riez. Sa position l’annoncerait assez;
car l’Albiosc d’aujourd’hui n’offre rien qui puisse faire conjecturer qu’elle ait été la
capitale d’une grande nation qui avait pour limites le Verdon, la Durance et les Alpes, et
qui donnait la loi à plusieurs peuples qui avaient leurs chefs particuliers. Les habitans de
la nouvelle capitale des Albici s’appelèrent Rienses, tout comme ceux qui occupaient la
capitale des Suetri étaient connus sous le nom de Saliniens.
Cette colonie augustale paraît avoir été considérable. Non seulement elle occupait
l’emplacement de la ville actuelle, mais les deux rives de l’Auvestre et de la Colostre, où
l’on découvre journellement des restes d’anciennes constructions. Le génie destructif
des peuples barbares qui infestèrent ces contrées, et, plus encore, l’ignorance des
habitans qui suivirent ces temps désastreux, ont anéanti les nombreux édifices qui
faisaient le luxe et l’ornement de cette capitale. La plupart des pierres, même des pièces
d’architecture et d’inscription, ont été employées à la construction de la ville actuelle,
dont le mauvais goût est un contraste affligeant de la ville romaine. On ne retrouve plus
les vestiges du cirque ou amphithéâtre dans le champ qui porte encore le nom des
arénes, ni ceux du théâtre, des différens temples et autres édifices publics, dont les
Romains embellissaient les villes de premier ordre. L’avidité de se procurer des pierres a
fait qu’on en a détruit jusque les fondemens.
Cependant on découvre encore quatre belles colonnes de granit gris d’ordre corinthien,
dans une prairie peu distante de la ville, et huit autres colonnes circulaires du même
granit, sur la place du Pré de la Foire, les unes et les autres échappées miraculeusement à
la rigueur des siècles et à la barbarie des hommes.
Les quatre premières colonnes, de cinq mètres quatre-vingt centimètres de hauteur, et de
deux mètres trente-trois centimètres de circonférence, ont servi, selon les uns, à un
palais; et selon les autres, à un prétoire, à un arc de triomphe, à un temple dédié à la
déesse de la Sagesse, etc., sans que nul ait donné une preuve satisfaisante de son
opinion.
Tout ce que nous pouvons assurer, c’est que ces colonnes, loin d’avoir été fondues sur le
lieu, ainsi que des personnes fort instruites ont osé le prétendre, sont de granit de
l’Estérel, et qu’elles ont été tirées de la belle carrière de Penafort près de Draguignan. Ce
qui a donné lieu à cette erreur, c’est que ces personnes n’ont pu se persuader que des
masses si considérables aient pu être transportées de si loin. Un contemporain, voulant
trancher la difficulté, n’a pas craint d’avancer qu’il y avait autrefois à Riez une rivière
très-considérable sur laquelle les navires chargés remontaient sans difficulté; mais qu’un
tremblement de terre en fit disparaître la source. Il en donne pour preuve, les pierres
rondes qu’on trouve dans les terres, sans faire attention qu’on n’en trouve pas d’autres
entre la rivière de l’Asse et celle du Verdon, c’est-à-dire dans une largeur de quatre
lieues de pays. En supposant que la chose fût, ce qui n’a pas le sens commun, cette
rivière devait suivre nécessairement le même cours que la Colostre, qui se jette dans le
Verdon prés du village de Saint-Martin. Le confluent du Verdon dans la Durance a
toujours été près du village de Vinon.
D’où vient donc que tous les auteurs anciens et modernes s’accordent à dire que jamais
les navires n’ont pu remonter la Durance, et qu’il n’y avait que des utriculaires qui
pussent naviguer sur cette rivière, mais jamais en sus de Pertuis? D’ailleurs, il aurait
également fallu qu’il y eût une autre grande rivière entre la carrière de Penafort et la
mer; et celui qui sait la signification du mot penna, et qui connaît le torrent d’Endros, ne
pensera jamais que des bâtimens aient pu naviguer dans ces quartiers montagneux.
Disons avec plus de vraisemblance, et même avec certitude: la voie romaine qui de
Fréjus allait à Riez était assez large et assez solide pour que les chariots les plus
lourdement chargés pussent y rouler sans peine ni embarras. Les seules montées qui
puissent offrir quelques difficultés étaient celle d’Antéa et celle de la rive droite du
Verdon; mais les Romains savaient employer des mécaniques à même de déplacer, de
pousser, d’élever les plus lourds fardeaux, et les conduire jusqu’aux lieux les plus élevés
sur des poutres supportées par une quantité de roues basses et massives. Il n’est pas
étonnant alors qu’ils aient fait transporter une multitude de colonnes avec leurs bases,
piédestaux, chapitaux, entablemens, corniches, etc., jusqu’à Riez et même jusqu’à
Valensole.
Des contes, imaginés par des écrivains enthousiastes de leur pays, ont accrédité pendant
long-temps que les huit colonnes circulaires du Pré de Foire sont les restes d’un
Panthéon ou d’un temple de Cybèle. La récente démolition du mur qui entourait ce reste
de fanum, de forme octogone, a prouvé clairement que cet édifice avait été élevé à
Sylvain ou à toute autre divinité champêtre. Une nouvelle preuve, c’est un autel dédié au
dieu Sylvain, qu’on a trouvé enfoui dans la terre près de ce monument. Cet autel portait
cette inscription:
SYLVANO
DAIDVME
NVS
SYMPHOET.
Un temple chrétien ayant été construit près de ce monoptère, fit qu’on le conserva pour
s’en servir de baptistaire; car, de ce temps, les fonts baptismaux ne faisaient jamais
partie de l’édifice principal. Comme l’église de Notre-Dame de Sède fut détruite, on
convertit ce baptistaire en chapelle, ce qui était un bien, pour conserver un monument
qui rappelait l’importance de la ville romaine. Mais l’esprit frénétique de la révolution et
le génie destructif des enfans de cette époque désastreuse, sont cause que tous les
ornemens d’architecture qui embellissaient ce temple ont été mutilés à coups de pierre
ou à l’aide de tout autre corps dur. Aussi, les fleurs, les fruits, les plantes, les têtes de
Faunes et de Sylvain qui se trouvaient aux fleurons, ainsi que les chapiteaux à feuilles
d’achante ou de persil, sont, j’ose dire, méconnaissables et dans un délabrement
complet. L’illustre Peyresc s’empara d’une inscription qui est un témoignage qu’en la
ville de Riez, il y avait un temple dédié tout-à-la-fois à Rome et à Auguste; il paraît que
le pontife réunissait le titre de Quartumvir à celui de Flamine.
M. SEVERIVS. M. F.
FABVLATOR. FLAM
Une autre inscription annonce qu’un Sextum vir augustal avait élevé à Riez un temple à
Cybèle, et que des Décurions lui cédèrent l’emplacement sur lequel il le fit bâtir:
MATRI
DEVM OB
SACRVM
V. S. (votum solvit)
M IVL
On peut rendre de cette manière les deux dernières lignes de cette inscription:
NVMINIBVS
AVGVSTORVM
C. V. N. A.
Les barbares du nord furent les premiers qui ruinèrent la ville de Riez. Les Sarrasins, qui
séjournèrent long-temps dans la contrée, achevèrent ce que les premiers n’avaient fait
que commencer. A leur expulsion, ils ne laissèrent qu’un monceau de ruines, dans
lesquelles on a trouvé dans la suite un grand nombre d’objets curieux. Nous citerons,
une statue représentant un jeune homme, qu’on a pris pour le dieu Sylvain; un bras de
cuivre doré, une statue de Mercure, un petit buste d’albâtre, de trois centimètres de
hauteur, représentant un empereur romain; une amulette d’une terre très-fine, de quatre
centimètres y compris l’anneau, représentant trois figures égyptiennes, dont deux de
femmes sur les côtés, et une d’homme au milieu; un bracelet d’or et un d’airain, des
sarcophages, des tombeaux en briques, des tumules, plusieurs belles pièces de pavés en
mosaïque, une hache romaine, une quantité de débris de petits pots de terre, et un grand
nombre de médailles, dont une, plus abondante que les autres, à l’effigie d’Auguste,
avec la légende: DIVUS AUGUSTUS PATER, et au revers, un autel avec le mot
PROVIDENTIA en exergue, sans légende.
La ville actuelle est dans une étroite vallée très-bien cultivée. Des jardins, des prés et des
vignes garnissent la plaine; les noyers ombragent les chemins et les ruisseaux, l’olivier
embellit les coteaux Le sol, assez fertile, produit du vin excellent, de l’huile qui vaut
celle d’Aix, des fruits de toute espèce. La ville était entourée de murailles de cailloux
roulés. On ne trouve pas d’autres pierres dans la contrée. On s’en sert pour soutenir les
terres en amphithéâtre et pour construire les maisons. Les rues sont très-étroites et fort
sales les fontaines sont abondantes et donnent une eau pure et très-légère; les
promenades sont belles; il y en a une toute ombragée de marronniers d’Inde. Les
marchés sont suivis à cause du bon blé qui s’y vend. Le pays offre des fabriques de
vermicelles, des tanneries et des corderies. Le commerce consiste en céréales, laines,
cire, miel et autres productions. La ville, d’une population de 3,170 habitans, offre une
société aussi brillante qu’on peut l’espérer. On y trouve des fortunes, de l’instruction et
de l’urbanité, avantage que l’on réunit difficilement dans les petits endroits.
Les foires du pays sont, le 2 janvier, le 18 mai, le 14 septembre, le lundi après le 18
octobre, le 27 novembre et le 21 décembre.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Riez, Albiosc, Allémagne,
Sainte-Croix, Esparron de Verdon, Saint-Jurs, Saint-Laurent, Montagnac, Montpézat,
Puimoisson, Quinson et Roumoules.
RIOU. Ilot avec une tour, près la côte maritime du département des Bouches-du-Rhône,
au midi de Marseille.
ROGNE. Village du canton de Lambesc, à 4 lieues d’Aix. On y voit les restes d’un
aqueduc bâti par les Romains, une fontaine nommée font Marie (fons Marii), Je pense
qu’on l’appela d’abord fontaine de Marius. Des médailles romaines, qu’on trouve
fréquemment dans un quartier du territoire, prouvent que Marius ou soit une partie de
ses troupes y campa. Il paraît que les Sarrasins visitèrent ce pays, et que les habitans leur
livrèrent un combat meurtrier. Aussi, depuis cette époque, tous les ans, à pareil jour, le
clergé et l’autorité du lieu se rendent à la chapelle de Saint-Marcelin, pour remercier
Dieu de la victoire que leurs pères remportèrent sur les barbares. Le pays produit du blé
recherché, de l’huile excellente, des amandes et du vin. La seule industrie est la
fabrication du charbon de bois. Pop. 1,800 hab.
Les arrêts de cette cour étaient exécutés à l’instant, et le plus souvent en présence de la
multitude. Un homme était châtié par des hommes, tout comme une femme l’était par
des personnes de son sexe.
Ce tribunal était si éclairé et si équitable, qu’il ne rendit jamais une sentence injuste.
Voici l’exemple d’un de ces arrêts.
“ Par devant nous, le marquis des Fleurs et Violettes d’amour, s’est assis un procès d’une
amoureuse, demanderesse d’une part, et d’un jeune chevalier, défendeur d’autre part. Et
disait la dite amoureuse, que depuis long-temps elle aimait d’amour tendre et loyal le
chevalier cité; qu’elle avait pris la ferme résolution et promis n’aimer autre que lui, et
refusé le cœur de trois jouvençaux qui avaient soupiré pour elle; que, malgré sa fidélité,
elle était assez malheureuse de voit chaque jour son bien-aimé auprès d’une autre jeune
dame rire, folâtrer et chanter ensemble tout le bonheur qu’amour procure et fait espérer;
qu’une telle déloyauté la tourmente et l’agite au point qu’elle ne chante plus, ne mange
guère et dort encore moins, ce qui est cause que sa santé s’altère et dépérit sensiblement.
— A cette accusation, le chevalier défendeur répondit, n’avoir jamais déclaré aimer ni
fait serment d’amour à la dame demanderesse, à qui il avait déplu dès le premier jour
qu’elle le vit, ainsi que témoins diraient l’avoir appris d’elle; et que lui chevalier
d’honneur, avait voulu prouver à la plaignante, qu’on ne doit jamais rebuter ouvertement
et publiquement un chevalier à qui nature n’a pas refusé tous dons de plaire. C’est
pourquoi, pendant quelque temps, il avait eu pour elle des soins assidus; sans autre vue
que de lui paraître un jour moins rebutant qu’elle l’avait jugé d’abord; mais que son
cœur n’ayant jamais été en gagé, il était le maître d’en disposer à son gré...
Finalement, parties et témoins ouïs, fut absolu ce défendeur des pétitions et demandes de
cette demanderesse, qui, au contraire, fut molestée d’avoir déprisé un chevalier
d’honneur. Et pour que leçon servît d’exemple à toutes les dames capables de mépriser,
un héraut publia ledit arrêt sur toutes les hauteurs qui dominent le lieu où la cour était
assemblée.
ROQUEBRUNE, dans les anciens actes, Rupe Nigrensis et Rupe Brunensis. Village du
canton de Fréjus, à 5 lieues et demie de Draguignan, une lieue de la mer, et près de la
rive droite de l’Argens, qu’on vient de détourner pour le faire passer sous un pont
construit depuis avant la révolution. Le village est sur une petite élévation et exposé au
midi. Sa température est chaude, à cause des montagnes qui le défendent des vents du
nord. Ces montagnes sont une reprise de celles de l’Estérel, dont elles ne sont séparées
que par le bassin de l’Argens. Elles sont schisteuses et granitiques, et renferment
plusieurs minéraux, ainsi qu’on peut le voir à l’article MAURES.
L’histoire reste muette sur un petit village qui se trouvait dans le territoire, et qui mérite
d’être cité.
La montagne dite de la Roque, vue du côté de Fréjus, présente à son sommet trois pics,
appelés les croix de Roquebrune. On parvient à celui le plus occidental par un sentier
fort raide et presque impraticable; encore faut-il, sur un point, franchir un déchirement
de cette haute montagne de rochers, qui est un énorme précipice. Arrivé sur cette grande
élévation, on trouve les vestiges d’un village nommé Sainte-Gandi, sans que personne
sache à quelle époque il fut construit ni à quelle circonstance il fut abandonné. Le
manquement d’eau pendant l’été ferait supposer que ce n’était qu’un lieu de refuge, lors
de la persécution des chrétiens. On y voit encore les restes de la chapelle et la pierre du
tombeau de l’autel, un puits, les fondemens d’une quantité de petites maisons, etc.
Le point de vue du pic de Sainte-Gandi est magnifique; mais il ne présente pas une
même étendue de mer que le pic le plus oriental, d’ou l’on découvre une grande partie
de l’île de Corse. Ce dernier pic me rappelle un événement arrivé il y a environ quinze
ans, qu’on me permettra de mentionner ici.
— Une mendiante parcourut un soir toutes les maisons de campagne du quartier de
Pétignon, derrière ce pic, pour tâcher d’obtenir l’hospitalité pour une nuit seulemeut.
Repoussée par plusieurs propriétaires, elle en trouva un enfin qui lui accorda une place
dans son fenil. Vers le minuit, cette mendiante est éveillée par un bruit extraordinaire
Elle croit que la rivière d’Argens précipitait ses eaux sur la montagne. Elle se lève, va
heurter à la porte de la chambre de son hôte pour le prévenir du péril. Celui-ci se lève,
appelle sa femme et ses enfans, et ils vont tous ensemble chercher un lieu de salut sur un
mamelon voisin. Une trombe d’eau se déchargeait au sommet de ce pic. Le courant
d’eau était si fort, qu’il précipitait des blocs de rochers de plus de quatre mètres
d’épaisseur. La maison de campagne même fut atteinte et entraînée jusqu’au bas de cet
énorme précipice.
Le village de Roquebrune manque d’eau en été; on a recours à celle des puits. L’air est
assez sain sur la hauteur; mais il est insalubre dans la plaine, surtout aux quartiers de
Fournel et de Villepey, à cause des vapeurs méphitiques occasionnées par les eaux
stagnantes du marais de Vi l l e p e y, près de l’embouchure de l’Argens. C’est bien
dommage, car ce pays est un des greniers du département du Var. Les céréales sont la
principale production de la plaine, qui est fort vaste et très-fertile. Les hauteurs sont
couvertes de forêts de pins.
L’ermitage de Notre-Dame se trouve sur une élévation d’où l’on découvre une vaste
étendue de terre et de mer. Dans la chapelle, on voit encore un ex-voto que les habitans
firent pour remercier Dieu de ce que, en 1707, leur village n’éprouva pas, des troupes du
duc de Savoie, le même sort que celui du Puget de Toulon, dont l’embrasement est
représenté sur l’ex voto. Roquebrune n’avait pas tort de remercier Dieu d’avoir été
préservé de la visite d’un ennemi incendiaire; la tradition conservait encore le souvenir
du voisinage des Sarrasins du Fraxinet, et des différens siéges que le village avait
essuyés pendant les guerres de religion. Ce fut devant ces murailles que La Valette,
sénéchal de Provence, reçut le coup de la mort par un des assiégés.
Roquebrune à une foire le jour de Saint-Médar, 8 juin, et une le 11mai. Pop. 2,025 hab.
Le bourg d’aujourd’hui est bâti dans un vallon. En 1707, le duc de Savoie, qui était
campé devant Toulon, envoya des troupes pour mettre le pays à contribution. Mais
comme les habitans refusèrent de payer la somme qu’on leur demandait, et qu’ils ne
purent soutenir leur refus avec des cartouches, les Piémontais brûlèrent le château et
quatre-vingt-seize maisons. Il y a dans la plaine un lac, ou peut-être un abîme sans fond.
Le 1er novembre 1755, jour mémorable par le tremblement de terre de Lisbonne, les
eaux de ce lac s’élevèrent à une hauteur considérable. Elles furent agitées et rougies. Le
même mouvement fut observé en Provence aux lacs de Tourves et de Bras et à la
fontaine de Colmars. Le peuple de la Roquebrussane avait la superstition de croire que si
tous les ans on ne bénissait pas le lac, il en sortirait dans le cours de l’année des flammes
qui ravageraient la contrée; ce qui prouve que ce lac s’est formé de quelque volcan.
Un citoyen de ce pays, encore existant, avait le projet d’écrire un ouvrage semblable à
celui que je publie en ce moment. Je regrette beaucoup qu’il n’ait pu l’effectuer. Ses
grandes connaissances en auraient fait sans doute un ouvrage monumental. Ayant été
appelé au siége épiscopal de la ville de Metz, il a trouvé plus à propos et plus digne de
son saint ministère, de ne s’occuper que du nombreux troupeau que la divine providence
a bien voulu confier à sa direction.
On trouve à la Roquebrussane des fabriques d’eau de vie et un joli rucher, dans une
maison de campagne, visité par des amateurs. Il y avait autrefois plusieurs verreries,
qu’on fut obligé d’abandonner par le manque de combustibles. Les montagnes sont
cependant couvertes de pins et de chênes blancs et verts. Le restant, quoique dans un
mauvais sol, offre beaucoup de vignes, d’oliviers et des prairies. Les lentilles et les
haricots du pays sont très-estimés. Il y a un hameau nommé les Moulières, qui est une
transplantation de celui de Peiboulon. Pop. 1,510 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, la Roquebrussane, Sainte-
Anastasie, Forcalqueiret, Garéoult, Mazaugues, Méounes, Néoules et Rocbaron.
ROQUEFORT. Village du canton du Bar, à 3 lieues de Grasse. Il y a sur une hauteur les
ruines d’un château des Templiers. La tradition dit que ces guerriers adoraient une
chèvre d’or; et qu’à l’époque de leur destruction, ils précipitèrent cette chèvre dans un
abîme qui se trouve à la mi-hauteur de la colline. Il serait plus croyable que les
chevaliers du Temple construisirent un monastère sur cette élévation où se trouvait la
statue d’une chèvre d’or, idole des habitans de la contrée, et qu’à l’époque de leurs
arrestations et de leurs proscriptions, car ils ne furent pas massacrés en Provence, ces
guerriers religieux jetèrent dans cet abîme tout ce qu’ils ne pouvaient emporter, ne
voulant laisser aucune de leurs richesses à leurs persécuteurs. Le territoire offre des
pierres lithographiques; mais la qualité varie selon l’endroit d’où on les retire. Le sol
produit du vin, des figues et de l’huile qui équivaut à celle de Grasse. Pop. 810 hab.
ROQUES-HAUTES. Village du canton de Tretz, à une lieue et demie d’Aix. Les soldats
de Marius avaient pris position dans le territoire. Le sol produit comme aux lieux
voisins. Pop. 95 hab.
ROSSELINE (SAINTE). Ancien monastère dans le territoire des Arcs, connu pendant
long-temps sous la dénomination de Cellâ Robaudi, traduit par le mot barbare Sallobran
dans les siècles d’ignorance. C’était d’abord un temple du paganisme qui tenait à une
villa appartenant à une riche famille. Des chevaliers du Temple s’en emparèrent et y
établirent une de leurs maisons. Après, ce fut une maison de religieuses de l’ordre des
Chartreux, dédiée à Notre-Dame de Sion, fondée par un nommé Robaud.
Roselyne, Rosoline ou Rosseline, fille d’Arnaud II, sire de Villeneuve, baron des Arcs et
de Trans, et de Sibile de Sabran, fille d’Elzéar, comte de Forcalquier, née aux Arcs en
1263, vint augmenter la célébrité de ce monastère. Elle y entra fort jeune, et succéda, en
1310, à sa tante Vians de Villeneuve, qui en était prieure. Elle était sœur d’Elzéar de
Villeneuve, évêque de Digne, et d’Hélion de Villeneuve, l’un des grands maîtres les plus
célèbres de Saint-Jean de Jérusalem, alors fixé à Rhodes. Ce dernier visita sa sœur dans
ce monastère, et lui fit hommage d’un coffret contenant des reliques qu’il avait
apportées de la terre sainte.
Roselyne mourut le 17 janvier 1329, en odeur de sainteté. On a composé un volume sur
les miracles opérés par son intercession. La tradition de celui des pains changés en fleurs
s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Le corps de cette sainte s’est entièrement conservé,
malgré les troubles et ses différentes translations, car il est resté long-temps enfermé
entre deux murailles dans l’ancien château de Trans.
Le monastère de la Celle-Robaud passa dans la suite aux Observantins, et prit le titre de
Sainte-Catherine.
Mais il ne tarda pas d’être rendu à l’évêque de Fréjus qui fit du couvent une maison de
plaisance, et dédia la chapelle à sainte Roselyne. Un grand concours de fidèles de
l’arrondissement de Draguignan y viennent en dévotion tous les ans, le dimanche de la
Trinité. Une quantité prodigieuse d’ex-voto prouvent qu’on n’intercède pas en vain la
protection de cette sainte.
L’église, qui est assez vaste, offre des beautés dignes de l’admiration des curieux. Une
Descente de croix en relief décore le grand autel; le Christ et le linceul qui l’enveloppe
sont d’un bon travail. Il n’en est pas de même des autres personnages, dont quelques-uns
manquent de proportion. A côté se trouvent deux personnages rapportés plus tard. L’un
est sainte Catherine; et l’autre, Louis de Villeneuve, baron des Arcs, le même qui fit
restaurer et embellir cette église.
Dans la chapelle où se trouve le reliquaire qui contient le corps de sainte Roselyne, est
un tableau de la Nativité, peint sur bois en l’année 1541, qui est justement admiré par les
connaisseurs. Dans ce même tableau, on a peint Claude Ier de Villeneuve, marquis de
Trans, et sa femme Isabeau de Feltris, offrant à Notre Seigneur dans la crèche leurs huit
enfans, qui forment un groupes d’anges chantant le Gloria in excelsis Deo.
La boiserie du chœur n’est pas moins admirée par les gens de l’art que la plupart des
ornemens d’architecture de cette chapelle. Le site extérieur est un des plus gracieux que
l’on puisse trouver. De belles places bien ombragées, une source abondante qui fournit à
un vaste bassin et arrose un joli jardin et de belles prairies; un air pur et une exposition à
l’abri des vents qui désolent la campagne; une plaine bien cultivée et des coteaux
couverts de touffes d’arbres, contribuent à varier ce charmant paysage.
ROUET. Petit port sur la côte maritime, et hameau dans le territoire des Martigues.
ROUGIERS. Ancien village du canton de Saint-Maximin, à 4 lieues de Brignoles. Il
était d’abord sur une haute montagne, du côté du midi. Il n’y reste que les vestiges de
quelques maisons et d’une tour romaine qui fit donner à ce lieu le nom de Turris, et non
pas au village de Tourves, comme les historiens modernes l’ont avancé. La voie
aurélienne ne passait pas au village de Tourves. Elle allait passer sous l’ancien Rougiers
qui etait considéré comme une forte position, et le serait encore, si on y élevait une
fortification. On y voit encore quelques cavernes en forme de caves, cimentées au fond
et à l’entour, qui servaient probablement de citernes, ou peut-être de greniers pour le
besoin des habitans et des soldats qui passaient sur la route; car Turris était un lieu
d’étapes, et n’avait point d’habitation agglomérée entre lui et Matavo. Il n’y a pas long-
temps qu’on voyait dans une vieille masure de l’ancien Rougiers cette inscription:
Après les guerres civiles, les habitans vinrent bâtir au pied de la montagne; mais puis ils
se décidèrent à se réunir dans la plaine, sous un climat tempéré. Le sol est assez bon;
mais le territoire est d’une fort petite étendue. Il est abondant en bol, que les ouvriers
emploient comme du bol d’Arménie. Les principales denrées du pays sont le blé et le
vin. Il y a deux foires dans l’année: le 20 janvier et le 9 septembre. Popul. 990 hab.
ROUSSET, Rossetum. Village du canton de Tretz, à 3 lieues d’Aix. Climat vif et sain;
sol fertile en vin et en blé. La Galinière et Château-Lar sont deux hameaux de ce lieu.
Pop. 700 hab.
S
SABLET. Village du canton des Beaumes de Venise, à 3 lieues d’Orange, et près de
l’Ouvèze. Son nom dérive du sable qui couvre le sol de son territoire, qui est fort
agréable et fertile en vin, grains, huiles et toutes sortes de fruits. Il y a beaucoup de
mûriers, et les vers-à-soie y réussissent assez bien. Population 1,206 hab.
SAIGNON, Sanio. Petite ville près la rive gauche du Calavon, et à une lieue d’Apt son
chef-lieu de canton et d’arrondissement. Dans les anciens titres, ce lieu est qualifié de
Castrum insignœ et nobile, olim inexpugnabile. Le site de cette ville a pu donner lieu à
cette qualification d’imprenable, parce qu’elle est sur une montagne qui semble
commander la ville d’Apt. Mais il ne paraît pas qu’elle ait été entourée par des
fortifications qui en défendissent l’approche à une armée, ni qu’elle ait soutenu des
siéges mémorables. Les productions du pays sont les mêmes qu’à Apt. Pop. 1, 130 hab.
ANNO. M.CCLXI
Le pays offre une fabrique de faïence et plusieurs fabriques de briques hexagones dites
tomettes. Elles jouissent d’une réputation bien méritée; aussi en fournissent-elles toute la
Provence et presque tous les ports de la Méditerranée.
Le climat du pays est chaud en été, et très-froid en hiver, à cause des gelées blanches.
Les foires sont, le mardi après l’Épiphanie, le mardi de la semaine sainte, le 24 août et le
25 novembre. Pop. 2,520 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Salernes, Tourtour et
Villecroze.
SALIENS. Grande nation celto-lygienne, fameuse par l’accueil qu’elle fit aux Phocéens,
et par les moyens qu’elle employa bientôt pour s’en défaire. Les auteurs modernes ne
sont pas d’accord sur le lieu où se trouvait la capitale des Saliens. Les uns prétendent
qu’elle était à Aix, parce que dans le territoire il y a un quartier appelé Saint- Jean de la
Salle, que,dans les actes latins, on nommait Sanctus Joannes a Salyes. Un
démembrement des Saliens peut avoir occupé la campagne d’Aix, mais il portait le nom
de Ségobringiens. D’autres auteurs veulent que les Saliens fussent à Salon. Mais ce pays
n’était qu’un vaste étang qu’il n’y a pas long-temps qu’on a desséché. Le quartier de
Salonnet était le seul, à même d’être habité. Aussi, il y avait le chef-lieu des Salyes,
autre démembrement des Saliens, que la plupart ont pris pour les Saliens mêmes.
D’autres auteurs enfin, et ce sont les plus modernes, ont voulu prouver que les Saliens
avaient leur mallus près de l’endroit où se trouve la ville d’Arles. Mais une nation qui
avait sous son commandement nombre d’autres peuples qui faisaient, j’ose dire, toute sa
force, devait, selon moi, être à portée de secourir ses alliés et d’en être secourue au
besoin; et si les Saliens étaient à Arles, non seulement ils étaient à l’extrémité du pays
qui était sous leur obéissance, mais encore ils étaient séparés des autres peuples leurs
alliés par des étangs, des marais et une grande rivière sans pont. Car, peu d’années avant
l’arrivée des Romains en Provence, la Durance passait d’Orgon à Saint-Remy, Saint-
Gabriel, et de là dans les marais d’Arles et de la Crau. D’ailleurs, nous savons que les
environs d’Arles étaient occupés par les Anatilii, peuple allié des Saliens.
Il est plus probable de croire que les Saliens avaient leur chef-lieu à l’embouchure de la
Duransole, qui se jette dans l’étang de Berre, près de Saint-Chamas. Là ce peuple était
sous un climat fort doux qu’il ne dédaignait pas; près d’une eau coulante qu’il
recherchait; près le beau retranchement de Constantine, seul digne d’une grande nation
de ce temps; près d’un étang poissonneux et fréquenté par des oiseaux aquatiques; à
portée de forêts immenses et giboyeuses, dans un pays où les arbres fruitiers viennent à
merveille, et sur un point au centre de leurs alliés, qui s’étendait depuis le Rhône et la
Durance jusqu’à la mer. Des chemins qui de plusieurs contrées se rendaient sur ce point,
ont long-temps porté le nom de chemin saliens, c’est-à-dire chemin qui conduit chez les
Saliens. J’ajouterai que la capitale des Saliens prit le nom d’Astramela, nom qu’elle
conserva jusqu’à sa destruction.
Ce fut sur la côte des Saliens que des Grecs, sortis de la Phocide, vinrent fonder une
colonie. Nannus, roi des Saliens, donna sa fille en mariage à Protis, un des chefs de cette
colonie, qui fonda Marseille. Coman, fils de Nannus, voulant anéantir la ville de
Marseille qui lui faisait ombrage, marcha contre elle pour tacher de la surprendre
pendant la nuit. Mais il fut lui-même surpris et massacré avec six ou huit mille des siens.
Son successeur appela toutes les forces des rois ses alliés, afin de détruire la puissance
marseillaise. Il fut, malheureusement pour lui, rencontré par une grande armée gauloise
venant du côté de Lyon, et se dirigeant vers l’Italie, sous le commandement de Bellovèse
et de Sigovèse. Ceux-ci, croyant que les Saliens s’étaient réunis pour s’opposer à leur
passage, fondirent sur eux et en firent un grand carnage. Caramandus, chef des Saliens,
fit un dernier effort pour expulser les Marseillais. Mais il fut tellement effrayé d’un
songe qu’il eut pendant la nuit, qu’il jugea prudent de s’allier avec Marseille; et les
Saliens devinrent les amis fidèles des Marseillais.
Plus tard, les Saliens, ne pouvant supporter patiemment le joug des Romains,
s’adjoignirent les forces des autres peuples de la Celto-Lygie, et se dirigèrent sur un
même point. C. Sextius Calvinus les surprit, remporta sur eux une pleine victoire qui mit
fin pour toujours à leurs soulèvemens, et bâtit sur le champ de bataille une ville à
laquelle il donna son nom, Aquœ Sextiœ.
SALINŒ. Ville capitale des Suetri, qui occupaient une partie de la rive droite du
Verdon. Cette ville se trouvait sur le rocher qui domine la ville de Castellane. Ce fut ce
rocher qui donna le nom à la ville de Salinœ ainsi qu’à ses habitans, qui s’appelaient
Saliniens, pour être distingués des Suetri qui habitaient la campagne. D’après cela, M.
d’Anville n’était pas fondé, lorsqu’il plaça Salinœ à Seillans; ou, ce qui revient au
même, que la capitale des Suetri était à Seillans. J’en dis autant de ceux qui ont placé les
Suetri à Senez.
SALON, Solo, Salonum, Salona, villa Salone, Castrum Salonense. Ville chef-lieu de
canton, à 6 lieues et demie d’Aix. Selon la tradition du pays, un lac salé s’étendait
depuis la ville actuelle jusqu’à la vallée où passait autrefois la Durance. Les Romains,
premiers propriétaires agriculteurs, furent forcés de s’établir sur les hauteurs. On trouve
de temps en temps des médailles et des ruines de leurs maisons de campagne
La voie romaine passait aux environs de Salon, ou un reste d’inscription nous apprend
qu’on avait élevé un monument en l’honneur d’un Sextum vir Augustal, c’est-à-dire
d’un des six prêtres institués par Tibère, pour avoir soin des cérémonies établies en
l’honneur d’Auguste, dont on fit l’apothéose après sa mort.
L’ancien lieu, qui se trouvait sur la colline du Valdemech, fut le chef-lieu, non des
Saliens, comme certains auteurs l’ont prétendu, mais des Salyes, subdivision des
Saliens. On trouve encore des ruines considérables de ce lieu, que l’on nomme Salonet.
Sa construction annonce que cette habitation remonte à une très-haute antiquité. On y
voit des entailles sur le rocher, où s’appuyaient les poutres de plusieurs maisons.
Quelques endroits du rocher offrent des creux faits par main d’homme, qui paraissent
avoir été habités. C’est là que les Salyes, qui fabriquaient le sel, avaient établi un marché
qui fournissait cette marchandise jusqu’aux habitans des Hautes-Alpes. La voie romaine
qui d’Aix allait à Arles, passait à Salonet, et non pas à Salon moderne, à cause des eaux
qui l’avoisinaient.
Ce fut sous Charlemage qu’on commença le dessèchement du lac salé de près le lieu où
se trouve la ville de Salon. Après l’expulsion des Sarrasins, on acheva cet ouvrage, et
l’on cultiva la plaine. Alors la population déguerpit de Salonet pour venir bâtir la
nouvelle ville. Les archevêques y construisirent un beau château qui fut illustré par le
séjour de plusieurs princes et de plusieurs papes. Le roi René contribua beaucoup à
l’agrandissement et à la prospérité de ce pays. Le sol, avant lui, était presque stérile. Les
Romains avaient conçu le projet d’y amener les eaux de la Durance pour le fertiliser.
L’empereur Auguste aurait effectué ce projet, si la mort ne fût venue le surprendre. Mais
Adam de Crapone, natif de Salon, fut plus heureux. Il commença le canal qui porte son
nom sous d’heureux auspices, et il eut le bonheur de le finir; ce qui est cause que le
territoire de Salon est un vaste jardin qui fournit à Marseille toutes sortes de fruits. On y
recueille aussi beaucoup de grains, du vin, de la bonne huile, du fourrage, des plantes
potagères et du tabac. La campagne offre principalement le croton tinctorium,
vulgairement appelé tournesol, d’où l’on tire la couleur bleue; et le chêne-kermès (lou
réganèou). C’est sur ses branches que de temps immémorial le pauvre du pays va
recueillir le vermillon.
Il est à regretter que la ville de Salon ait négligé son ancien jardin botanique, auquel
nous sommes redevables de l’introduction et de la multiplicité du jasmin du Cap et de
celui des Açores, de l’héliotrope des Indes, du tulipier de Virginie, du catalpa de la Ca-
roline, de la bruyère du Cap de la verbène d’Amérique, et de plusieurs autres plantes qui
sont devenues très-communes.
Les villes de Salon et de Saint-Rémy se disputent la naissance du fameux Michel
Nostradamus, poète et prophète du seizième siècle. Il paraît qu’il naquit à Saint-Rémy le
14 décembre 1503, et qu’il mourut à Salon le 24 juin 1565. Ses prophéties lui firent une
réputation étonnante hors de la Provence, et surtout hors de Salon, où il éprouva des
désagrémens qui lui firent cruellement sentir, que nul n’est prophète dans son pays. Il en
fut heureusement dédommagé par les marques de bonté qu’il reçut de Henri II et de
Catherine de Médicis, qui lui firent faire un voyage à Paris pour le voir.
Charles IX étant ensuite venu en Provence, en 1564, voulut avoir le même plaisir, et lui
fit présent de deux cents écus
d’or; il lui donna le titre de son médecin ordinaire, avec des appointemens considérables
dont il ne jouit pas long-temps car il mourut l’année d’après. Son tombeau se trouvait
dans l’église des Cordeliers, et il était dit que malheur arriverait à celui qui l’ouvrirait.
Cette église ayant été détruite pendant la révolution, le tombeau a été transporté dans
l’église paroissiale du lieu, et les habitans le regardent comme un monument précieux.
L’ancien château, quoique en bon état, a éprouvé un changement bien funeste. Dans le
principe, il ne servait que pour les grands personnages qui visitaient cette ville; et
aujourd’hui il est converti en une maison de correction.
Les gens de Salon sont fort religieux et aiment passionnément la musique. Les jours de
fête, des femmes, vêtues à l’arlésienne, font danser la jeunesse au son du galoubet, dont
elles jouent assez bien. La ville de Salon est charmante, surtout pour celui qui veut
passer ses jours au milieu d’une petite société honnête, et loin des petites tracasseries
que l’on rencontre ordinairement dans les communes rurales. Il y a trois foires dans
l’année: le 11 août, le 29 septembre et le 11 novembre. Pop. 6,060 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Salon, Aurons, Cornillon,
Grans, Labarben, Lançon, Miramas et Pélissane.
SALYES. Peuplade celto-lygienne, autre démembrement des Saliens, qui avait son chef-
lieu à Salonet.
SAMBUC (LE). Hameau qui fait partie de la commune des Saintes-Maries, dans la
Camargue.
SANNES, Salubre. Village du canton de Pertuis, à 4 lieues d’Apt. Sol et productions, les
mêmes qu’à Ansouis. Pop. 150 hab.
A. D M.
RESPICEPRAETRIENSOROTITVLVMQ
DOLEBIS QVAMPRAEMATVRENIMIVM
SIMMOTISADEPTVS. TRIGINTAAN
MORVMRAPT AESTMIHILVXGRATISSI
MAVITAE: ETDEGENTEMEASOLVSSINE
PARVOLOVOIXIQVEMMATERMISERVM
FLEVITQVODPIETATISHONORERELICTA
EST Q. LVCCVNIOVERO
RAIELIAS CECVNDINAMATER
FILIOIISSIMOFECIT
On doit lire:
Id et Diis Manibus:
Respice, prœteriens, oro, titulumque dolebis. Quam prœmature nimium sim mortis
adeptus. Triginta annorum rapta est mihi lux gratissima vitœ et de gente meâ,solus sine
pavolo vixi.
Quem mater miserum flevit,quod pietatis honore relita est Q Luccunio Vero.
Raeilia Secundina mater filio piissimo fecit.
Traduction:
Les productions du territoire de Sartoux sont, le blé, le vin, les figues et surtout l’huile
qui équivaut à celle de Crasse. Pop. 215 hab.
SASSE. Rivière qui prend sa source en dessus de Seyne, et qui se jette dans la Durance,
à une lieue en dessus de Sisteron.
SÉRIGNAN, Sereniancun. Bourg fermé de murailles, sur une petite élévation, près la
rive droite de l’Aigues, à une lieue et demie d’Orange son chef-lieu d’arrondissement et
de canton. Le terroir est d’un bon rapport; il produit du blé, du vin, des olives et du
safran. Il y a beaucoup de prés et de jardins arrosables. Les collines sont couvertes de
chênes verts. Il y a un étang de cinq lieues de circonférence; on y chasse aux canards,
aux macreuses et autres oiseaux aquatiques; on y pêche aussi des poissons. Pop. 1,220
hab.
SEYNE, Sedena. Ville chef-lieu de canton, à 13 lieues, de Digne, sur le penchant d’un
petit coteau, entourée de remparts, et dominée d’une citadelle qui est à son tour
dominée. Les Édénates, peuplade celto-lygienne, avaient leur chef-lieu même à l’endroit
où se trouve la ville, dont la situation était unique pour ces peuples. Cette ville était
limitrophe, avant que la vallée de Barcelonnette fût annexée à la Provence. Les fureurs
des guerres du fanatisme ont fait éprouver de grands ravages à cette ville. Les protestans
s’y étaient fortifiés. Le duc d’Éperon ayant fait transporter des canons dans ces
montagnes par le secours des mariniers, soumit cette place à l’autorité royale.
Le pays offre beaucoup de tisserands. On y commerce en toiles, mulets, ânes et autres
bestiaux. Il y a des étalons de chevaux de belles races. Les habitans jouissent tous d’une
honnête fortune et d’une bonne santé; ils y vivent plus long-temps que dans toute autre
partie de la Provence, attendu que les changemens de saison et les vicissitudes du temps
n’y sont pas si brusques qu’ailleurs. Le climat y est fort rude en hiver; les matinées et les
soirées d’été y sont très-fraîches.
Le chaud ne s’y fait ressentir que quelques heures du jour et d’une façon modérée.
La plaine de Seyne est très-vaste, couverte de prairies, de chènevières et d’arbres
fruitiers. Elle est arrosée par plusieurs ruisseaux et par la rivière de Planche, qui est un
vrai torrent, lors des grosses pluies. Cette plaine offre de la tourbe, qu’on pourrait utiliser
pour le chauffage des poêles en hiver. Les hautes montagnes qui avoisinent Seyne sont
couvertes de gazon et couronnées de neige en été. On y livre, au printemps, les ânesses
et les cavales pleines, qu’on ne retire avec leurs poulains qu’au commencement de
l’automne. Les foires du pays sont, le lundi après Saint-Hilaire, le 5 mai, le 13 août, le
14 septembre et le lundi après Saint-André. Pop. 2,725 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Seyne, Auzet, Barles, Saint-
Martin, Montclar, Selonnet, Verdanches et le Vernet.
SEYNE (LA), Seyna. Ville maritime du canton d’Ollioules, à une lieue et trois quarts de
Toulon, et au fond de la rade de cette ville.
C’est sous le règne de Henri IV, que quelques montagnards de la ville de Seyne,
reconnaissant l’avantage du local, engagèrent quelques habitans de Six-Fours à jeter
conjointement les fondemens de la ville de Seyne dans leur territoire. A leur exemple,
nombre d’étrangers vinrent l’accroître, et,en peu de temps, il y eut plus d’habitans qu’à
Six-Fours même. Cette nouvelle colonie s’occupa principalement de la pêche et de la
navigation. La prospérité des habitans fit qu’ils construisirent un quai, et qu’ils attirèrent
dans leur port des ouvriers nécessaires. Bientôt les vaisseaux vinrent y faire leurs
provisions de vin, même pour la marine royale. On y construit aujourd’hui de petits
bâtimens. Dans le principe, la ville fut construite sur une petite éminence; mais comme
la population augmentait sensiblement, des maisons furent bâties en dessous et dans la
plaine. Pendant le dernier siége de Toulon, la Seyne fut presque entièrement détruite.
Les habitans furent forcés de reconstruire leurs maisons à leurs frais. La ville actuelle est
très-bien bâtie; ses rues sont bien percées et bien alignées; les maisons peu élevées, mais
spacieuses et commodes. Un joli port, un quai fort large, un petit cours et une belle
église font l’admiration des étrangers. Il est à regretter que le pays soit exposé à tous les
vents. Son point de vue est magnifique, du côté de la terre; on distingue Hyères, la
Valette, la Garde, le Revest, Évenos, Ollioules, Six-Fours et surtout la ville de Toulon et
toute sa rade.
En 1805, Latouche, amiral, mourut au cap Cépet, et on l’y enterra. On lui a élevé un
mausolée.
Le cros Saint-Georges est un hameau de la Seyne, et se trouve au bas de la presqu’île de
Samandrier ou Saint-Mandrier. On y voit une église en rotonde d’une jolie architecture,
et un pavé imitant la mosaïque, ouvrage fait par des forçats de Toulon.
Sur la presqu’île de Samandrier est le fort Caire, autrefois fort Napoléon. Les Anglais
s’y étaient enfermés; mais, après quatre assauts différens, ils furent refoulés sur le fort
Balagay, qui fait le pendant de la grande Tour, et sur le fort l’Aiguillette, qui est à la
pointe de la presqu’île. Cette langue de terre offre encore un bel hôpital pour la marine,
et le lazaret pour les personnes qui viennent des pays infestés de maladies contagieuses.
Ce fut sur le monticule de Brégaillon, que le général Cartaux fit placer une couleuvrine
qui faisait éprouver des pertes considérables aux Anglais. Ce général avait établi son
camp près des Quatre-Moulins à vent.
Le pays a un commissaire de classe pour la marine, un tribunal de prud’hommes, quatre
corderies pour la marine, et un ancien couvent de capucins qui fut converti en petit
séminaire, et qui sera bientôt une jolie caserne.
La chapelle de Notre-Dame de la Garde se trouve sur le point le plus élevé du cap Sicié.
Les marins y ont une grande confiance. Le 3 mai et le dimanche d’après, il y a un grand
concours d’étrangers.
SIAGNE. Rivière nommée Acro par les Romains. Elle a sa principale source dans le
territoire de Mons, reçoit les eaux de la Siagnore, qui vient d’Escragnolles, celle de
Bianson et de plusieurs autres torrens, et va se jeter dans la mer près de la Napoulle,
après un cours de huit lieues. On y pêche abondamment des truites excellentes. Les eaux
de cette rivière font mouvoir deux moulins à papiers, plusieurs moulins à farine,
plusieurs pressoirs à huile et des scieries à planches. Sous les Romains, les eaux de la
Siagne, prises à la source, étaient conduites à Fréjus par un bel aqueduc dont il existe
encore de vestiges. Voyez MONS.
SIEYES (LES). Village sur la rive droite de la Bléonne, à une lieue de Digne son chef-
lieu d’arrondissement et de canton. Les Romains établirent plusieurs villœ dans le
territoire. On a découvert dans les terres quelques restes d’Antiquité, qui paraissent avoir
appartenu à un petit temple d’une divinité païenne. Ces vieilles constructions ont fait
conjecturer que ce lieu devait avoir été la capitale des Bodiontici; mais on a été fort en
peine de reconnaître l’endroit où devait se trouver leur retranchement. Je le crois bien,
puisqu’il se trouvait sur la hauteur qui domine la ville de Digne. Le sol produit du vin,
des fruits, principalement des prunes, qu’on fait sécher et qu’on livre ensuite au
commerce. Pop. 368 hab.
SIGNES, Signœ Bourg fort ancien du canton du Beausset, à 8 lieues de Toulon. Une
colonie de Marseillais s’y établit pour l’exploitation des bois, qui étaient immenses et
très-touffus. Comme on était obligé de mettre des signes sur toutes les hauteurs du
terroir pour s’orienter, on donna le nom de Signes au pays.
Dans le douzième siècle, il y avait à Signes une cour d’amour célèbre par sa sévérité.
Une preuve physique, c’est la place d’amour près de l’ancien château, où l’on jugeait les
différens en déloyauté; et une preuve morale, c’est l’ascendant que les femmes y ont
conserve sur les hommes, malgré la licence des guerres intestines et de la révolution.
En 1572, Frédéric de Ragueneau, un des plus aimables prélats de son temps, fut
assassiné dans son château de Signes, à cause de son grand attachement au roi. La
tradition porte que le pays fut fouetté, et que le maire était obligé, tous les ans, à pareil
jour, d’aller à Marseille faire amende honorable dans la cathédrale. Comme nul ne
voulut plus se soumettre à cette rigueur, la commune, pour s’en exempter, fit don d’une
partie de ses usines aux évêques de Marseille, successeurs de Ragueneau.
En 1707, quinze cents Piémontais, campés devant Toulon, allèrent à Signes pour mettre
le pays à contribution. Les habitans répondirent au héraut d’armes qui les sommait de
payer: — Nous n’avons rien à donner à votre maître, parce que nous ne lui devons rien;
d’ailleurs, nos grains sont destinés aux troupes du roi de France qui vont bientôt arriver;
nos fourrages sont pour leurs chevaux. Quant à l’argent, nous l’avons tout employé à
l’achat d’une quantité de cartouches pour repousser du sol français les ennemis de notre
chère patrie. Portez notre réponse à votre chef, et s’il n’en est pas content, qu’il vienne
lui-même; il trouvera au bout de nos fusils les contributions qu’il nous demande.
Les Savoyards, choqués d’une réponse si hardie, marchèrent sur Signes, bien résolus de
mettre tout le pays à feu et à sang, comme ils avaient déjà fait à la Roquebrussane; mais
le colonel et plusieurs centaines des siens furent victimes de cette résolution. Les autres
prirent la fuite et abandonnèrent un grand nombre de blessés.
A cette nouvelle, le duc de Savoie fut dans une grande colère. A l’instant il ordonna à de
nouvelles troupes de se joindre aux premières, et d’aller venger sur Signes la mort de
leurs camarades. Heureusement pour Signes, il fit une grande averse qui remplit d’eau le
torrent qui sépare le village du chemin de Toulon. Les Savoyards crurent que les
habitans s’étaient fortifiés en remplissant les fossés; et ne voulant pas s’exposer à une
seconde défaite, ils jugèrent prudent de battre en retraite, et de renoncer à venger leur
vanité offensée.
Les gens de Signes sont non seulement bons français, mais très-secourables pour
l’honnête homme qui est dans le malheur.
SINUS AD GRADUS. C’est de ce nom que, dans l’itinéraire maritime, sont appelées les
embouchures du Rhône, aujourd’hui les gras ou leis graous.
SIVERGUES, Siverga. Petit village du canton de Bonieux, à une lieue et demie d’Apt,
sous un climat très-pur. Ses montagnes sont couvertes de bois de chênes blancs, où l’on
nourrit beaucoup de pourceaux. La plaine et les vallées n’offrent que des terres
labourables, et des prairies arrosées d’une infinité de petites sources qui naissent dans le
territoire. La campagne est embellie par des noyers et des amandiers, qui donnent un
certain produit. On y nourrit de nombreux troupeaux dont le laitage est fort estimé dans
les environs. Pop. 110 hab.
L’espace compris entre cette colline et le cap Cépet, y compris le territoire de la Seyne,
est encore un schiste mêlé de quartz et de grès.
On lit dans l’Oryctologie d’Argenville, qu’il y a une mine d’argent et de cuivre dans ce
territoire. Nous n’avons rien trouvé qui nous annoncât la présence de ces deux métaux,
et surtout en quantité propre à exciter la cupidité des spéculateurs.
Le sol de Six-Fours serait assez productif, s’il ne manquait pas de bras à l’agriculture.
Tous les hommes du pays étant marins, les femmes seules ont le soin de cultiver la terre.
Elles ne labourent qu’avec des ânesses; aussi les travaux sont moins bien faits
qu’ailleurs, et les récoltes sont très-médiocres, Les femmes provençales, quoique très-
laborieuses, sont loin de l’être autant que les Celto-Lygiennes du temps des Phocéens et
des Romains. Diodore de Sicile raconte qu’une de ces femmes s’étant louée, quoique
enceinte, pour travailler avec les hommes, sentit, vers le milieu de la journée, les
douleurs de l’enfantement, et, sans faire semblant de rien, elle alla se cacher derrière un
buisson, accoucha, couvrit son enfant de feuilles, le laissa et revint au travail sans dire ce
qui lui était arrivé. Les cris de l’enfant ayant dévoilé le mystère, le chef des ouvriers ne
put décider cette femme à quitter la bêche et le chantier; il fallut que le maître du champ
lui payât son salaire, pour l’obliger d’aller prendre du repos. Si un pareil zèle pour le
travail reprenait chez les Provençales, nul doute que les terres ne fussent d’un meilleur
rapport, et territoire de Six-Fours serait infiniment plus productif. Cependant on y
recueille du blé, du vin, de l’huile et très-peu de jardinage, faute d’eau pour arroser les
terres. Pop. 2,850 hab.
SOLLIÉS-PONT. Bourg chef-lieu de canton, à 4 lieues de Toulon, sur les deux rives de
la rivière de Gapeau. C’est encore un démembrement de Solliés-Ville. On y trouve des
filatures pour la soie, et beaucoup de tanneries pour la grosse et pour la petite peau. La
paroisse du pays, toute moderne, est une des trois plus belles du département. Le
territoire est très-productif. En outre des prairies artificielles, la rivière arrose les jardins,
qui sont considérables et très-importans. La plaine, d’une vaste étendue, est presque
entièrement couverte de vignes que l’on plante ordinairement à peu de frais, en se
servant d’une sorte de plantoir de fer qu’on nomme vulgairement la fichouïro. Par ce
moyen, les vignerons sont dispensés de faire ouvrir des tranchées. Aussi le pays produit
beaucoup de vin très-estimé. Les Génois le transportent par mer dans tous les ports
d’Italie. On trouve dans la campagne des caves si grandes et si bien fournies, que les
charrettes vont y charger dedans. Le territoire offre beaucoup d’oliviers, de carroubiers,
de pistachiers, de jujubiers, de grenadiers, etc. On y recueille aussi des primeurs. Les
foires du pays sont le 5 février et le 14 septembre. Pop. 3,470 hab.
SORGUE. Rivière formée par les eaux de la fontaine de Vaucluse. Elle arrose
principalement les territoires de l’Isle, de Thor, Vedène, Avignon, et se jette dans le
Rhône près de la petite ville de Pont-de-Sorgue. Voyez ces mots.
SORPS, Sorpius. Village détruit sur la rive gauche du Verdon, dans le territoire de
Beauduen. On y voit encore les restes d’un pont bâti par les Romains, qui faisait partie
de la voie romaine qui de Fréjus allait à Riez. Il y a une superbe source qui sort d’un
rocher pour se jeter bientôt dans la rivière. On la dit aussi belle que celle de Vaucluse.
On présume qu’elle est principalement alimentée par les eaux pluviales qui se filtrent
dans les terres de la plaine de Camp-Juel. Cette source est appelée Fontaine-l’Évêque.
Un évêque de Riez lui donna ce nom, à l’époque qu’il y fit bâtir tout près un château de
plaisance. Il est malheureux que l’eau de cette fontaine ne puisse être employée pour
l’irrigation; elle fertiliserait plusieurs vastes territoires.
STABLO. On croit assez communément que ce lieu est le même que Estoublon. Papon
l’historien fait dériver le mot stablo du latin stabulum, qui signifie étable,écurie. Il ajoute
que, dans les anciens temps, ce mot était synonyme à hospitium, auberge. C’est un fait
que le village d’Estoublon a toujours été un lieu de repos pour les voyageurs.
SUELTÉRI. Nation celto-lygienne qui avait Antéa pour capitale, et qui occupait les
environs de Brignoles, du Luc et toute la rive gauche de l’Argens, depuis Barjols jusqu’à
Fréjus et la Napoulle. Cette nation était vraisemblablement composée de nombre de
peuplades qui avaient des noms différens, mais qui ne sont point parvenus jusqu’à nous.
Ainsi que les autres Celto-Lygiens, la frugalité leur était naturelle. Ils ne vivaient que de
la chasse ou de la pêche, et ne buvaient que de l’eau mêlée avec du miel ou avec du lait;
ils connurent, dans la suite, une boisson qu’ils faisaient avec des grains d’orge; leur
vaisselle était de bois ou d’argile; les plus distingués buvaient dans les cornes des
animaux qu’ils avaient tués à la chasse, les plus braves buvaient dans les crânes des
ennemis qui étaient tombés sous leurs coups. Les principaux faisaient mettre autour de
ces crânes un cercle d’or assez épais.
Ces peuples prenaient leurs repas assis par terre, ou sur des peaux qui leur servaient
également de lits. A la fin des repas qu’ils prenaient en commun à l’occasion de quelque
fête particulière, ils allumaient de grands feux et y dansaient autour. Dans le principe, ils
ne connaissaient point l’art de bâtir des villes ni même des cabanes. Leurs habitations
étaient simples et sauvages comme eux; avec tout cela, ils étaient humains, hospitalliers;
ils regardaient comme un grand crime de maltraiter un étranger, surtout lorsqu’il était
sans armes.
Les Sueltéri avaient pour alliés les Ligauni, les Oxibiens, les Déciates et plusieurs autres
peuples. Ils éprouvèrent les mêmes revers. Ce qui acheva de les perdre, ce fut d’avoir
voulu secourir les Saliens. Sextius les défit complètement près de l’endroit où se trouve
la ville d’Aix, et les soumit au joug des Romains. Voyez DRAGUIGNAN.
SUETRI. Nation celto-lygienne qui occupait environs de Castellane, et qui avait pour
capitale Salinœ. Voyez ce mot.
T
TAILLADES (LES), Taillatœ. Village du canton de Cavaillon, à 4 lieues d’Avignon. Les
habitans ne sont que dans des granges ou bastides. Le climat est beau; le sol peu fertile.
On y élève beaucoup de vers à soie qui sont la principale production du pays. Pop. 334
hab.
TALADEL, Talaria, nom qui lui venait d’un temple dédié à Mercure. Aujourd’hui
village du canton de Lorgues, à 3 lieues et demie de Draguignan, sur la Floreye, et non
loin de la rive gauche de l’Argens.
Parce que ce lieu est écarté de la route actuelle, et qu’il n’offre que des fermes et des
métairies éparses, la plupart de ceux qui ont écrit sur la Provence ont négligé de le
visiter. Cependant ce lieu méritait d’être connu et d’être examiné de près, pour pouvoir
juger de ce qu’il a pu être dans son principe. On aurait reconnu que, dans les premiers
temps, le territoire était d’une vaste étendue et digne d’une ville assez importante; car il
comprenait toute la rive gauche de l’Argens, depuis le territoire du Muy jusqu’au
confluent de la rivière de Brès; on aurait vu que la voie romaine qui de Forum Julii allait
à Matavo, devait nécessairement traverser une partie de la plaine de Talaria; et on se
serait convaincu que le Forum Voconii de l’itinéraire avait dû se trouver sur un des
amphithéâtres qui avoisinent cette rive, et non pas à Draguignan, à Gonfaron, au Luc, ni
au Cannet du Luc comme on a osé l’avancer. Ce lieu doit, je crois, son origine à un
membre de la famille plébéienne des Voconia; peut-être à un des ancêtres de celui qui,
l’an de Rome 594, tribun du peuple, fit passer une loi fort sage qui porta son nom. Le
premier tenait sans doute un haut rang dans la milice romaine, et était revêtu d’un haut
emploi dans l’administration, pour avoir mérité l’honneur de donner son nom à une ville
qu’il eut ordre de fonder lui-même, pour le besoin et la commodité des troupes qui
traversaient la province transalpine.
Il est assez difficile d’assigner exactement le point où se trouvait cette station militaire.
Cependant, si l’on suit la partie de la route actuelle qui porte encore, dans les actes
notariés, le nom de camin aourélian, on ira du Muy à l’ancien pont d’Argens, qui n’offre
plus que les quatre culées à un grand jet de pierre au-dessous du pont actuel; au village
de Vidauban, au milieu de la plaine de ce dernier; ensuite on prendra une direction à
droite; on traversera l’Argens là même où sont encore les restes d’un pont romain; on
entrera dans la plaine du primitif Taradeau; on se dirigera vers le pont de Sainte-Marie,
dont les culées sont de construction romaine, et on arrivera à Cabasse, anciennement
Matavo, sans faire de grands circuits et sans gravir de fortes élévations. D’après cela, il
est hors de doute que la voie aurélienne, loin de passer par le Cannet du Luc, comme dit
Papon, ni d’aller à Gonfaron, comme l’assure d’Anville, prenait une meilleure direction,
quoiqu’elle traversât trois fois le flumen Argentum.
Cette route ne traversait qu’une faible partie de la plaine de l’ancien Taradeau; mais elle
passait au point même qui se trouve à la distance de XX milles de Forum Julii, de XII
milles de Matavo, et de XVIII milles d’Antéa; preuves certaines que c’était là où se
trouvaient la station militaire et les greniers pour les besoins des troupes, qui portaient le
nom de Forum Voconii. Si lon n’en trouve plus aucun vestige, on doit l’attribuer aux
grands atterrissemens qui ont exhaussé considérablement, à différentes reprises, le sol de
cette plaine, à telles enseignes, que de dessus les hauteurs, on distingue encore un
chemin sous terre, à la couleur des céréales qu’on y sème dessus, et qui ne sont jamais
d’un aussi beau vert que celles qui sont semées aux côtés.
Tout le monde sait que ce fut devant le Forum Voconii que, 41 ans avant Jésus-Christ, et
après la mort de Jules-César, Lépidus, gouverneur de cette province, vint camper sur une
rive de l’Argens, tandis qu’Antoine était retranché sur la rive opposée. En effet, on
trouve encore, en creusant dans les terres, sur la rive droite du fleuve, et à quelques
centaines de pas au-dessous du pont actuel, des vestiges du campement de Lépidus; et au
village des Arcs, des restes de retranchement et de fortifications de l’armée d’Antoine.
D’après cela, nous pouvons assurer, sans crainte d’être contredit par les personnes de
bonne foi, que le Forum Voconii se trouvait sur la rive gauche de l’Argens, et dans le
territoire du primitif Taradeau.
Ce lieu subsista jusque vers la fin du neuvième siècle, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où
les Sarrasins du Fraxinet portaient le ravage et la mort dans tous les pays qui excitaient
leur cupidité. Forum Voconii fut entièrement détruit; et les habitans qui échappèrent au
massacre et à la servitude, se réfugièrent dans les bois, et jetèrent les fondemens de la
ville de Lorgues.
Les barbares, voulant se maintenir dans leurs conquêtes, et surtout s’assurer une retraite,
établirent plusieurs repaires non loin de la station qu’ils venaient d’anéantir. Nous
citerons principalement celui qui porte le nom de muros (leis mourous), où l’on voit
encore de grands restes de fortifications et de maisons; et celui sur la hauteur où se
trouvait le temple de Mercure qu’ils avaient eux-mêmes abattu. Ils employèrent une
partie des mêmes pierres à la construction d’une haute tour carrée qui a encore environ
vingt-quatre mètres d’élévation sur six mètres de largeur, dans chacune de ses quatre
faces. Ils établirent aussi un retranchement sur la hauteur voisine, qu’on nomme encore
le fort.
A l’expulsion des barbares, quelques familles encore errantes vinrent établir leur
demeure sous la protection de la tour sarrasine, où l’on se tenait continuellement en
vigie, pour voir venir de loin l’ennemi, et donner le signal convenu, afin de faire retirer
les habitans et les troupeaux qui se trouvaient disséminés dans la campagne. Malgré
cette sage précaution et le courage héroïque d’un nommé Aubanel, qui s’était enfermé
dans la tour qui porte encore son nom, le village fut saccagé et livré à la proie des
flammes par le cruel Raymond de Turenne.
L’état déplorable où les habitans se trouvaient réduits fit qu’ils ne songèrent plus à se
construire de nouvelles maisons. A peine élevèrent-ils quelques cassines dans leurs
campagnes, pour pouvoir se mettre à couvert des injures du temps. Leur triste situation
les rendit inquiets et téméraires. Pendant les guerres intestines, ils se liguèrent avec les
habitans du Cannet, leurs voisins, et allèrent détruire le village de Vidauban. Cette
inconduite fit qu’ils furent à leur tour poursuivis, et forcés de chercher un lieu de refuge
dans le village des Arcs, où ils séjournèrent long-temps, en s’administrant eux-mêmes
dans une partie de la maison commune qu’on leur céda généreusement. La seigneurie de
leur territoire appartenait alors à la ville de Draguignan. Mais, dès que cette ville eut
revendu ses droits à plusieurs co-seigneurs, ceux-ci appelèrent les habitans et leur
accordèrent des privilèges fort avantageux, que des étrangers, accourus pour augmenter
la population, ne purent partager avec eux.
L’amitié que les anciens habitans avaient vouée à ceux des Arcs, fit que ces premiers
établirent leur maison commune au premier étage d’une très-petite maison de campagne
que l’on voit encore sur la limite des deux territoires, et qu’ils choisissaient toujours
pour premier administrateur un citoyen des Arcs. Cet usage s’est conservé jusqu’à la
révolution. Aujourd’hui la maison commune se trouvant sur un point plus central, les
habitans de Taradeau sont forcés de choisir un maire dans le pays, où l’on trouve peu de
personnes qui sachent écrire leur nom.
Le territoire de Taradeau est loin d’avoir conservé sa primitive étendue: non seulement il
a perdu tout ce qui appartient aujourd’hui aux communes de Lorgues et des Arcs, mais
encore la vaste terre d’Astrol, qui devint la propriété des commandeurs de l’ordre de
Malte, et qui fait partie du territoire actuel de Vidauban. C’est dans la plaine de cette
terre que passait la voie aurélienne, et que se trouvait le Forum Voconii. D’après cela, on
ne sera point étonné de ne trouver, dans le territoire de Taradeau, d’autres traces de
construction romaine, que des vestiges d’une villa, en creusant dans la terre; car tout ce
qui se trouvait au-dessus a été détruit. Il n’y a d’apparent que les restes d’un réservoir,
des fragmens de briques et de tuiles, dont la plupart portent le nom de Marcus. Parmi ces
ruines, on a trouvé deux pieds de colonnes qui ont dû appartenir à un petit temple païen,
une meule de granit ayant servi à un moulin à bras, un fragment de tuyau de plomb, un
morceau de tableau de marbre sur lequel étaient peints, en très-belles couleurs, la partie
inférieure de deux hommes, avec une inscription en dessous, dont la tradudion est:
Au coin d’une maison de campagne, on voit une pierre tumulaire qui conserve encore
ces caractère.
VLIAE
VIBI. F
CHILO
COIVGI
En supposant qu’il y ait eu un trait horizontal sur la lettre O du dernier mot, on pourrait
traduire cette inscription de cette manière:
Le territoire produit de l’huile, du vin, et du blé estimé pour les semences. Pop. 360 hab.
TARASCON, Tarasco. Ville chef-lieu de canton, avec tribunal de première instance, sur
la rive gauche du Rhône, en face de Beaucaire, à 3 lieues et un quart d’Arles. Cette ville
est très-ancienne. Strabon la désigne sous le nom de Tarasco; Ptolomée l’appelle
Taurusens; dans le moyen âge, on la nommait Castrum nobile Tarasconi. Le vulgaire
croit à tort que ce nom lui vient d’un certain animal fabuleux appelé dans le pays
tarasque, ne viendrait-il pas plutôt du grec tauros, à cause de la grande quantité de
taureaux sauvages qui se trouvaient et qui se trouvent encore dans la contrée? A la
vérité, l’analogie n’est pas satisfaisante.
Pompée donna les deux rives du Rhône aux Marseillais, et ceux-ci vinrent alors fonder
cette ville, environ 75 ans avant notre ère. Ils y établirent un comptoir pour les
marchandises qu’ils expédiaient ou qu’ils recevaient de la Septémanie. Sa position la
rendait non seulement propre au commerce, elle en faisait aussi un poste militaire
important. D’abord elle était située dans une île entourée par le Rhône, qu’on nommait
insule jarnica ou jovarnica. Les atterrissemens du fleuve ont fini par la réunir au
continent; c’est ce qu’on appelle le faubourg Jarnègues. Ensuite, on y bâtit une citadelle
qu’on nomma, Arx Joris; elle était sur le rocher et à la même place où les anciens comtes
de Provence firent construire le château existant, qui est le plus beau monument dont le
quinzième siècle ait enrichi le Midi. Sa masse énorme et imposante, ses hautes tours
rondes ou carrées semblent menacer encore les ruines de l’ancien château d’Orginon
(Beaucaire). Le château de Tarascon, qui fut achevé et habité par le bon roi René, est
depuis quelques années converti en maison de correction.
Les Romains s’emparèrent de Tarascon vraisemblablement lorsqu’il voulurent s’opposer
au passage d’Annibal. Ils y élevèrent un temple au dieu Mars. Ce fut sur les ruines de cet
ancien temple que les habitans construisirent l’église de Sainte-Marthe, de cette même
Marthe, hôtesse du sauveur, qui vint dans la même barque que Marie-Magdeleine sa
sœur, Lazare son frère et les saintes Marie dont nous avons déjà parlé. Marthe s’arrêta
dans l’île de Tarasco, où elle prêcha la foi de l’évangile, et convertit les habitans. Elle
détruisit le paganisme qu’on représenta sous la figure d’une sorte de monstre marin
auquel on donna le nom du pays. Marthe mourut, et elle fut inhumée à l’endroit où se
trouve l’église qui porte son nom.
Clovis, malade depuis quelque temps, vint, à l’époque du siége d’Avignon, se procurer
une entière guérison auprès du tombeau de Marthe. En reconnaissance, ce monarque
accorda à Tarascon le chef-lieu d’une viguerie d’Arles.
La ville alors, ainsi qu’aujourd’hui, était entourée de murailles flanquées de tours. Au
temps de la ligue, comme elle tenait pour le roi, elle fut assiégée par les ligueurs.
Quelques moines, joints à plusieurs conspirateurs du pays, se réunirent clandestinement
dans une église, et délibérèrent d’ouvrir la nuit prochaine une porte de la ville à
d’Ampos, général des assiégeans, et se donnèrent le mot de ralliement, qui était la mort.
Heureusement pour la ville et pour les partisans du roi, qu’un nommé Henri de Tarascon
s’était endormi dans cette église en faisant sa prière du soir. Quoique caché dans un
confessional, il put tout voir et tout entendre. Il retint même le mot de ralliement. Dès
qu’il put sortir sans être vu, il fut déclarer à l’autorité cette infâme trahison. Les
coupables furent pris sur le fait; Henri fut récompensé par le roi, et ses descendans n’ont
plus été connu que sous le nom de La Mort.
Le roi René, qui affectionnait cette ville, y établit le jeu de la tarasque, qui avait lieu tous
les ans à la seconde fête de la Pentecôte. On promenait dans la ville l’effigie de la
tarasque. La queue de cet animal n’est autre chose qu’une longue poutre qu’une
cinquantaine d’hommes, cachés dans le corps du monstre, dirigent avec force et adresse
pour atteindre les personnes les plus à portée. A cette procession assiste un âne couvert
de fleurs, tout comme à Marseille, à celle de la Fête-Dieu, on promène un bœuf gras:
chez les uns, c’est l’emblème de la bêtise et de l’ineptie; et chez les autres, c’est
l’idolâtrie toute pure.
Les corps de métiers accompagnent la tarasque, qui jette des serpentaux allumés par
toutes les ouvertures de sa tête. Les crocheteurs, contrefaisant les ivrognes, heurtent de
toutes leurs forces les personnes qui bordent la haie; les paysans, avec des cordeaux
tendus, font le croc-en-jambe aux badauds; les bergers, faisant les niais, barbouillent la
figure avec de l’Huile de genièvre (holi de cade) aux personnes qui l’avancent un peu
trop; les jardiniers jettent de la graine d’épinard dans le sein des jeunes filles et
quelquefois dans celui des mamans; les meuniers jettent de la farine sur le visage et dans
les yeux; les arbalétriers décochent des flèches sans pointe, mais qui ne laissent pas que
de faire du mal; les mariniers traînent sur une charrette un bateau rempli d’eau sale pour
en asperger la foule. Heureusement cette ridicule cérémonie n’a plus lieu que dans des
occasions fort rares
La vaste plaine de Tarascon est le produit des anciennes alluvions du Rhône, et des
différens lits de la Durance.
Aussi le sol n’est qu’un limon très-profond, dont la fertilité fait la richesse du pays. On y
recueille abondamment toutes sortes de céréales, de la garance, du foin, du vin, mais le
blé est la principale denrée du pays. La plaine, quoique immense, est dépourvue d’eau
coulante. Un canal pris à la Durance près de Rognonas, serait très-nécessaire à
l’irrigation et à la salubrité du pays. On ne trouve, dans la campagne, que des puits à
bras ou des puits à roues à godets. Aussi, peu de maisons de campagne (de mas) y sont
agréables. On peut en excepter le bel établissement de Tonnelle, où se trouvent de belles
pépinières qui fournissent à trente lieues loin.
La ville de Tarascon est toute dans la plaine. Elle a un joli faubourg très-passant, à cause
de la route d’Aix à Nîmes. Naguère on passait le Rhône sur un beau pont de bateaux.
Aujourd’hui on y a construit un superbe pont en fil de fer, qui paraît être d’une grande
solidité.
La population de Tarascon est d’environ 1,1000 habitans. Les hommes de ce pays
passaient pour être les plus beaux hommes de la Provence. Cela a pu être; mais à présent
leur stature ne diffère pas de celle des autres Provençaux. La plupart des femmes et des
filles sont vêtues à la manière des arlésiennes, et ne diffèrent en rien sous le rapport de
l’élégance de leur taille, de la beauté de leur visage et de la blancheur de leur teint. Les
divertissemens du pays sont à-peu-près les mêmes qu’à Arles: la lutte contre les
taureaux, la joûte sur des bateaux et la danse au son du galoubet.
Les habitans sont très-affables, et leur société ne diffère pas de ceux des grandes villes.
Il est à regretter que cette ville, la quatrième du département des Bouches-du-Rhône,
soit, pour ainsi dire, sans industrie et sans commerce. Le pays offre trois foires dans
l’année: le jour de l’Ascension, le 29 juillet et le 10 septembre. La ville et ses hameaux
forment tout le canton.
TAULANE. Autre petit village fort ancien qui n’existe plus. Il se trouvait sur la rivière
d’Artubi, à une lieue de Séranon.
Le territoire a été réuni à celui de la Marthe.
L. CÆCILIÆ
L. F. DONATÆ
VAL. PHILOSERA
PIS. CONIVGI B. M.
c’est-à-dire Luciæ Cœciliœ Lucii filiœ donatœ, Valerius Philosera piissimœ conjugi
bene merenti.
Cette inscription, dit M. Marin, est une preuve du mélange des anciens colons phocéens
avec les Romains devenus maître de la Provence. Lucius Cæciliœ, Valerius, sont des
noms romains; et Philosera (ami de Junon) a une origine grecque. . . . . . . . . Ce
monument, que nous croyons avoir été consacré à la tendresse conjugale, peut recevoir
une autre explication. Comme il n’y a pas de point après Philosera, et que la syllabe pis
en peut être la suite, il faudrait alors lire Philoserapis, ce qui signifierait ami de Serapis.
Sur le penchant de la même colline des Beaumelles, on découvrit une sorte de cimetière
plein de vases cinéraires, d’amphores et de pièces de monnaie. Parce qu’on n’y a trouvé
aucun tombeau, on a conjecturé que ce lieu de sépulture était destiné au bas peuple. Les
personnes de distinction ainsi que les riches avaient des tombeaux de briques ou de
pierres; mais ils étaient disséminés dans les environs. Cependant, pour que la terre ne
pesât pas sur la cendre des pauvres, elles étaient couvertes de briques creuses et
renversées, semblables aux tuiles qui couvrent nos maisons. Il est probable qu’à
Tauroentum on avait l’usage de brûler les morts; car on n’a trouvé nulle part des
ossemens entiers, mais toujours des os calcinés, des cendres et du combustible réduit en
charbon. Cette coutume, entièrement grecque, fut communiquée aux Romains, qui
l’adoptèrent et en firent usage jusqu’au règne des empereurs chrétiens.
Toutes les hauteurs qui couronnent les ruines de l’antique Tauroentum, n’off r e n t
aujourd’hui à l’œil du nautonnier qui fréquente ce parage, que la roche tapissée de lichen
et ombraguée d’arbustes malingres et chétifs, image fidèle de la nature sauvage dont le
peintre et le poète aiment à orner leurs tableaux. Ces élévations, toutes égalemens tristes,
toujours désertes, ne sont proprement visitées que par des chèvres, et quelquefois par
l’oiseau de passage qui, avant de prendre son essor pour aller chercher une terre
outremer, est bien aise de mesurer l’espace immense qu’il a à franchir d’un seul trait. On
n’y entend plus que le sifflement de la brise et des redoutables aquilons, ou le bruit des
vagues écumantes qui viennent en mugissant saper le pied de la montagne, et tâcher de
l’entraîner dans l’abîme, afin de couvrir et de faire disparaître pour jamais jusqu’au
moindre vestige d’une cité malheureuse, qui aurait dû subsister jusqu’à la fin des siècles,
pour montrer aux races futures le bon goût de nos aïeux.
TÉGULATA. Ancien lieu qui se trouvait au même endroit où est aujourd’hui la Grande
Pugère, auberge sur la route d’Aix à Brignoles, et près du pont de Lar, où passait la voie
aurélienne. Quelques auteurs anciens ont nommé cette position Tectolata. Plusieurs
écrivains modernes auraient voulu assigner Tectolata à Tretz, tandis que cette ville se
nommait Trittia. Tégulata n’existait pas du temps de Marius; car elle se serait trouvée au
milieu du champ de bataille qui vit périr trois cents mille barbares dans une seule
journée.
TEY. C’est le nom qu’on donne à trois bancs de sable près l’embouchure du grand
Rhône. Le plus grand est le Tey de Béricle; le moyen est le Tey de la Bigue, et le
troisième, qui est long et étroit, est le Tey de Gloria.
THÈSE. Petit village du canton de la Motte, sur la rive gauche de la Durance, à 4 lieues
de Sisteron. Le sol est peu fertile; on y recueille du blé et des légumes. Pop. 400 hab.
THOR (LE), Tauris, autrefois THOR, Taurus ou Vèlorgues. Bourg du canton de l’Isle, à
3 lieues d’Avignon, dans une grande plaine baignée par un des canaux de la Sorgue, ce
qui le rend, humide et fort boueux. Le territoire est vaste; le sol gras et généralement
fertile; ses principales productions sont, toutes sortes de grains, de la garance et du foin.
On y élève beaucoup de vers à soie. Le château ruiné, nommé Thouzon, bâti sur une
éminence, fut souvent pris et repris par les catholiques et les calvinistes, dans les guerres
de religion du seizième siècle. Le pays a deux foires dans l’année: le 3 mai et le 16
septembre. Pop. 2,880 hab.
TIGNET (LE). Petit village du canton de Saint-Vallier, 2 lieues de Grasse, bâti sur le
penchant d’une haute colline. Ses maisons, quoique toutes séparées, paraissent de loin
être sur une même ligne d’une grande étendue. C’est un démembrement de la commune
de Cabris. Sur la hauteur se trouvait une maison de Templiers qui fut convertie, dans la
suite, en forteresse, puisqu’on y voit encore les meurtrières. Un long souterrain, existant
encore en partie, conduisait dans une autre maison dont les ruines m’ont fait penser
qu’elle avait été une ferme romaine. Le peuple nomme ces ruines Castélaras. Le village
du Tignet recueille beaucoup d’huile et du vin; il y a une papeterie sur la Siagne. Pop.
167 hab.
Une troisième attaque fut hasardée. Des hommes de la Seyne, connaissant parfaitement
le pays, conduisirent une colonne, tantôt par des précipices, tantôt en marchant dans la
mer. Elle attaque le petit Gibraltar d’un côte, tandis que le gros de l’armée se précipite
sur l’autre. Les assiégés, ne s’attendant pas à être pris entre deux feux, oublient leurs
moyens de défense.
Quelques Anglais crient sauve qui peut. A ce cri, les soldats jettent les armes et prennent
la fuite. La batterie est enlevée les autres postes de la presqu’île ne peuvent tenir long-
temps. Les conventionnels s’en emparent, et prennent leurs mesures pour s’y maintenir.
Dès ce moment la consternation fut générale dans la ville. Les réfugiés demandèrent des
armes: ils auraient voulu reprendre la presqu’île. . . . Ils l’auraient pu en l’attaquant par
mer; mais les Anglais, ne trouvant pas leur compte à cette résolution, promirent de la
reprendre eux-mêmes, et firent pour cela quelques fausses démonstrations. Dans la
journée du 17, des troupes conventionnelles s’emparèrent sans résistance des hauteurs de
Pharaon. Les Anglais auraient voulu cacher encore aux habitans le danger imminent où
se trouvait la ville. Les traîtres avaient déjà fait tous leurs préparatifs de départ! Aussi,
voyant qu’ils ne pouvaient plus tromper, ils incendièrent l’arsenal, s’emparèrent de
plusieurs vaisseaux, et s’éloignèrent d’une ville qui allait être livrée aux plus effroyables
malheurs.
Comme les Anglais s’embarquaient, les habitans, chargés de ce qu’ils avaient de plus
précieux, accouraient sur le quai, et demandaient, en fondant en larmes, une place sur les
navires. Ils sont repoussés avec rudesse, avec inhumanité; quelques-uns seulement
obtiennent à prix d’or un recoin dans la cale des vaisseaux. La population revient plus
nombreuse encore, et malgré ses cris de désespoir, elle est de nouveau repoussée. La
foule erre par toute la ville, sans savoir où tendaient ses pas. Elle entre dans les églises,
où le saint-sacrement était exposé.
Langara, amiral espagnol, et Moreno, général de la même nation, ignoraient entièrement
ce qui avait pu déterminer la conduite des Anglais. S’ils ont capitulé, se disaient-ils, ils
auront pris un certain délai pour que nous puissions nous retirer sans confusion. Mais
quand ils furent instruits de leur perfidie, les Espagnols prirent leurs mesures pour
évacuer la place. Un grand nombre de malheureux trouvèrent un asile sur leurs
vaisseaux déjà encombrés de malades, mais ils ne purent se charger de grands effets; les
rues voisines du port restèrent encombrées de malles et de ballots comme dans une ville
livrée au pillage.
Les troupes royalistes avaient évacué les forts Artigues et Malbousquet; les
constitutionnels s’en étaient emparés.
Ils commencent un feu vif sur la ville. La population se précipite une troisième fois vers
le port. Les femmes, les enfans sont renversés et foulés aux pieds.
Les premiers arrivés sont précipités dans l’eau; les autres s’élancent en désespérés sur
les embarcations. Ils s’y pressent, ils s’y étouffent. A peine les rameurs peuvent se
mouvoir. Un grand nombre de ceux qui nageaient sans espoir s’accrochent aux canots.
Ils s’efforcent d’y entrer, sans songer que la moindre secousse peut les faire sombrer.
Les soldats sont dans la cruelle nécessité de faire usage de leurs sabres pour se préserver
d’une mort funeste. Dans ce désordre affreux, le fils ne peut suivre son père, la mère
abandonne ses enfans, des familles sont divisées et dispersées, sans savoir si elles
pourront se réunir un jour. La nuit arrive. Les Napolitains, prenant une foule d’habitans
qui s’avancent vers le port, pour un bataillon de conventionnels, font sur elle une grande
décharge de mousqueterie qui jonche le sol de morts et de blessés. Un corps de cavalerie
espagnole, dans la même erreur, poursuit ces malheureux dans les rues, et sabre tous
ceux qui ne peuvent se cacher. La foule revient sur le quai; les uns se jettent
volontairement dans l’eau pour se délivrer d’une vie importune; les autres se précipitent
dans des chaloupes ou dans des bateaux pêcheurs, et, sans savoir manier la rame ni le
gouvernail, ils errent dans les ténèbres, se heurtent, se poussent, se brisent contre les
môles. Ceux qui ont le bonheur de sortir du port, se dirigent vers les escadres qui sont
encore en rade, et demandent d’abord aux Anglais la grâce d’être admis dans leurs
bords. Les factionnaires répondent:
— Les Anglais ne reçoivent personne, et menacent de faire feu sur ceux qui ne
s’éloigneraient pas promptement, Langara, le sensible Langara, outré d’une pareille
conduite, s’écria, en versant des larmes: pauvres Français! nous sommes venus pour
vous assassiner. A l’instant, il ordonne de les recevoir. Les Napolitains suivent cet
exemple. Les Anglais, tout honteux, se décident à en faire autant. Bientôt le vent devient
favorable. Les amarres sont retirées, les voiles déployées, les cordages tendus, l’ordre du
départ se fait entendre; et, au lever du jour, les vaisseaux et un grand nombre de
malheureux Français étaient déjà bien loin.
De nouveaux cris de frayeur retentissent dans toute la ville. L’horrible clarté que
répandait l’arsenal tout en feu, avait fait croire aux habitans qu’ils allaient être dévorés
par les flammes. Tout le monde est sur pied; hommes, femmes, enfans, tous courent dans
les rues, dans l’espoir d’échapper au funeste incendie. Les bombes et les boulets que les
conventionnels envoyaient sur la ville, dispersaient un instant la foule; mais elle se
réunissait bientôt pour chercher un moyen de salut. Quelques hommes résignés à la
mort, voulant, s’il se peut, sauver la vie de leurs femmes, de leurs enfans, courent vers
les poudrières, et arrachent les mèches qui devaient les faire sauter. Les ouvriers, les
matelots rivalisent de zèle avec les habitans, pour sauver le peu de vaisseaux que les
Anglais avaient laissés. Les forçats même, oubliant ce qu’ils ont été, et ne songeant qu’à
ce qu’ils devaient être, se précipitent dans les flammes, et ne négligent rien pour les
éteindre. Heureusement pour la ville et les habitans, le vent change, et une forte pluie
vient seconder les efforts des Toulonnais. Les flammes cessent de s’élever. Pendant que
la multitude jette de l’eau sur les brasiers et sur le bois à demi-brûlé, quelques hommes,
voulant épargner aux habitans l’horreur qu’essuie ordinairement une ville prise d’assaut,
vont ouvrir les portes aux soldats de la convention. Quelques Allobroges, avides de sang
et de pillage, se présentent les premiers; et, guidés par des clubistes de la ville, ils
balaient les quais et les rues de tous les effets précieux abandonnés par les fugitifs. Les
deux armées conventionnelles entrent aussi dans la ville. Le corps de la marine, qui avait
travaillé toute la nuit à éteindre l’incendie pour conserver à la France une ville, un
arsenal, des vaisseaux, et surtout des citoyens dignes d’éloges et de pitié, se porte au
devant des représentans pour se mettre sous leur protection. Deux cents de ces
malheureux, pris indistinctement, sont saisis et alignés sur la place du Champ de
Bataille, contre le mur de la corderie; et, pour récompenser leurs longs services
militaires et leur dévouement de la dernière nuit, ils sont fusillés sans commisération.
Leurs cadavres sont foulés aux pieds et traînés dans les rues, aux cris de: — Vive la
république, vive la liberté, vivent les sans-culottes.
Les représentans font fusiller une marine qui faisait respecter le pavillon français sur
toutes les mers. Fidèles aux ordres atroces de la convention, ils font éprouver le même
sort aux citoyens honnêtes qui leur sont désignés par des scélérats que, pendant le siége,
on s’était contenté de détenir sur le vaisseau le Themistocle, afin de les empêcher de
faire du mal. La place du Champ de Mars fut le théâtre du carnage. Les Toulonnais y
étaient appelés en masse. Là:
— Les cannibales, dit le même Maximin Isnard que nous avons déjà cité, les cannibales
s’élancent dans les rangs ils choisissent leurs victimes au gré du caprice, des passions,
du hasard; l’un saisit son ennemi, l’autre son rival, un troisième son créancier; ils
arrachent le père des bras de son fils, le fils des bras de son “ père, et les entraînent avec
furie. Vainement ceux qu’ils saisissent se jettent à leurs pieds, en leur rappelant leur
ancienne amitié, les liaisons de l’enfance, la parenté qui les unit. . . . Des soldats ont le
courage de favoriser la fuite de quelques malheureux qui implorent leur pitié; mais déjà
plusieurs centaines de citoyens sont alignés le long de la fatale muraille.
Un instant après ils ont cessé de vivre. Cette scène déplorable se renouvela plusieurs
jours de suite, et l’on ne fusillait jamais moins de deux cents personnes à la fois. D’un
autre côté, la guillotine, placée sur le Champ de Bataille, était toujours en permanence;
c’est là qu’on fit la cruelle expérience que dix personnes pouvaient être décapitées en
cinq minutes.
La mort de Robespierre fit tomber les échafauds, et brisa le glaive des assassins. Ceux
qui avaient eu le bonheur d’échapper au carnage purent se montrer sans crainte et sans
effroi.
Cependant les terres et les maisons des pauvres fugitifs furent vendues au profit de
l’état. L’arsenal reprit son activité; le chantier construisit de nouveaux vaisseaux pour
remplacer ceux que les Anglais avaient emmenés contre la foi des traités. La ville fut
réparée, et vit bientôt disparaître les traces du bombardement qu’elle avait essuyé.
L’école forma de nouveaux marins, au grand mécontentement de la Grande-Bretagne.
Aussi, cette nation rivale et ambitieuse, non contente de nous avoir privé de nos
vaisseaux, d’avoir fait fusiller notre marine, cherchait, en 1815 immédiatement après les
cent jours, à faire entrer dans cette ville quelques-unes de ses légions, sous le prétexte de
forcer les habitans à reconnaître l’autorité de Louis XVIII; mais, dans le fait, pour nous
ravir encore nos vaisseaux et incendier notre arsenal. Heureusement la Provence n’avait
point encore oublié 1793; des gardes nationales se rendirent en toute hâte dans Toulon,
et déjouèrent par là les projets criminels des ennemis de la paix et de la prospérité
française.
Il arrive peu d’étrangers dans Toulon qui ne désirent de connaître son bel arsenal; mais
peu obtiennent la permission d’y entrer pour en admirer les beautés.
La porte de ce vaste local est ornée de colonnes d’ordre dorique, détachées du fond, de
bas-reliefs, de trophées de marine, et de deux figures, l’une de Mars et l’autre de
Minerve. Au milieu est un écusson avec des trophées et des cornes d’abondance d’où
sortent des coquillages. A l’une des extrémités de l’attique, on voit un génie qui
embrasse un faisceau de lauriers; à l’autre, un génie qui tient un faisceau de palmes; aux
deux extrémités sont des trophées d’instrumens relatifs aux sciences qui ont rapport à la
marine et à la navigation.
Le bassin se trouve dans l’arsenal. C’est le fruit du génie du célèbre ingénieur
Grogniard. Il fit construire sur l’eau un énorme caisson en bois, qu’il fit remplir de dix-
huit cents pièces de canon de fer ou de fonte. Le poids fit plonger ce caisson. On bâtit
dans son intérieur le bassin existant qui a cent quatre-vingts pieds de longueur, quatre-
vingts de largeur et dix-huit de profondeur. Vingt-huit pompes, mues par des forçats, le
mettaient à sec en dix-huit heures seulement. Aujourd’hui, une seule pompe à vapeur
fait en moins de temps le même ouvrage. Une sorte de bateau conique, appelé bateau-
porte, ferme l’entrée du bassin, dès qu’on y a fait entrer le vaisseau qu’on veut radouber
ou cuivrer. Lorsqu’on veut faire entrer l’eau dans le bassin, on décharge le bateau-porte
qui s’élève insensiblement jusqu’au haut de la coulisse où on l’avait fait entrer. Dès que
le bassin est mis à sec, on y descend par un escalier en pierres de taille pour aller
ramasser une grande quantité de poissons qui sautillent dans le fond.
La belle et vaste corderie, toute couverte, fait l’admiration des étrangers. Les forçats y
sont occupés à filer le chanvre pour la fabrication des voiles. Tous les fuseaux sont mis
en mouvement par un seul engin à bras; et chaque homme file environ une livre de
chanvre par jour, ce qui lui donne de vingt à vingt-cinq centimes pour ses petits besoins.
D’autres forçats y filent des ficelles qu’on goudronne. Un certain nombre de ficelles
roulées ensemble forment un cordon ou forte corde; trois cordes forment un aussière, et
trois aussières composent un câble plus ou moins gros, selon la grandeur du navire
auquel on le destine.
Au-dessus de la corderie, on prépare la filasse pour la filature et pour la corderie. Tout
près est la voilerie, où un grand nombre d’ouvriers sont continuellement occupés à tisser,
coudre et raccommoder les voiles.
L’atelier des forgerons vient ensuite, et la plupart des ouvriers y sont enchaînés deux à
deux. Plus loin est la fonderie, au devant de laquelle une immense quantité de canons de
tous calibres semblent menacer l’univers d’une prochaine destruction. L’atelier des
armuriers est également dans l’arsenal, et peu éloigné de celui des charpentiers et des
menuisiers, où l’on voit quelquefois des tas énormes de jambes de bois, dont chaque
vaisseau se charge pour en faire la distribution à ceux qui perdent une jambe dans un
combat.
Le magasin général offre en tout temps tout ce que l’on peut désirer d’y voir, depuis une
broquette jusqu’à l’objet le plus lourd et le plus volumineux. La salle d’armes mérite
d’être vue en temps de paix; mais elle n’intéresse pas autant les curieux que la salle des
modèles, ainsi nommée à cause des modèles qu’on y trouve de toutes sortes de navires
français ou étrangers, et de tout ce qui a rapport à la marine.
Dans ce même arsenal il y a des locaux où sont logés les forçats. Ceux en bâtisse sont
appelés bagnes, et ceux en bois, galères, quoique recouverts d’un toit. Les forçats sont
enchaînés deux à deux. Leur chaîne pèse vingt-deux livres, et l’anneau de fer qui est à
une jambe, quatre livres et demie. Un délit un peu grave fait, qu’en outre de la
bastonnade, on leur met une double chaîne et un double anneau. Croira-t-on que cet état
pénible et humiliant, loin de corriger les hommes, en fait souvent de grands fripons, et
surtout des faussaires très-adroits? Il n’est pas d’hommes plus habiles que les forçats à
contrefaire les écritures et imiter les signatures les plus difficiles. Heureux sont ceux qui
mettent leur adresse et leur habileté à exceller dans le métier qu’on leur apprend, et qui
doit, au sortir de ce lieu de flétrissure, leur assurer une existence honnête pour le reste de
leur vie.
Les grands artistes qui visitent Toulon aiment à s’extasier devant les deux Hercule qui
soutiennent le balcon de l’hôtel-de-ville, et qui sont l’ouvrage du fameux sculpteur Pujet
de Marseille. Ces deux statues vivront plus que l’édifice qu’elles honorent, a dit un
admirateur de ce siècle. Si Toulon doit un jour subir le sort de Palmyre, quand les
barques des pêcheurs viendront seules sur cette rive déserte, et que les débris du
pompeux arsenal seront couverts par la mousse et le lierre, alors les étrangers, admirant
ces frappans vestiges et les deux Hercule mutilés, se feront une haute idée du siècle qui
produisit de tels ouvrages.
On sait que Louis XIV, ayant fait venir de l’Italie Bernin, réputé pour être le meilleur
sculpteur du siècle, celui-ci, croyant arriver dans une terre encore étrangère aux beaux-
arts, resta stupéfait, lorsqu’en débarquant à Toulon, il vit, en face de la barque qui l’avait
apporté, les deux statues du Puget fraîchement mises en place. Il s’informa du nom de
l’ouvrier qui les avait faites; et dès qu’il sut que cet ouvrier était de Marseille et qu’il
existait encore, il s’écria: Si l’auteur de cet ouvrage est sujet du roi de France, pourquoi
ce Monarque m’envoie-t-il chercher du fond de l’Italie!
Aussitôt il se rembarqua, et retourna à Rome.
La ville de Toulon, eu égard à sa population, est d’une fort petite étendue. Aussi les
étrangers trouvent difficilement à s’y loger, même à des prix exorbitans. Une seconde
ville, spéciale pour le commerce est devenue indispensable. En vain le génie militaire
alléguera-t-il, pour s’y opposer, qu’une nouvelle ville, à l’est de l’actuelle et au bord de
la mer, pourrait servir de retranchement à une armée assiégeante, et favoriser l’attaque et
la soumission de la ville ancienne. Il faut que les habitans et les étrangers se logent et
puissent se livrer à leur industrie. Ce sera ensuite au gouvernement à faire construire de
nouvelles fortifications pour défendre l’approche de la ville projetée, qui, en peu
d’années, sera aussi considérable que la première. Cette nouvelle ville, bâtie sur un plan
bien conçu, offrira, plus de régularité, et peut-être plus d’édifices remarquables que celle
existante, quoique celle-ci en ait plusieurs qui méritent l’attention des curieux.
Indépendamment de l’hôtel-de-ville, nous citerons principalement l’hôpital de la marine,
la nouvelle caserne, la paroisse Saint-Louis, le palais de justice, etc. Le théâtre n’étant ni
assez vaste ni passablement situé, on a le projet de le transporter au même local où se
trouve l’hôpital du Saint-Esprit.
On trouve à Toulon une école navale, une école de marine, et une école de chirurgie qui
forme de bons sujets pour la marine royale. La société des sciences, belles-lettres et arts
du département du Var est séante à Toulon. Quoique cette société ne date que du
commencement de ce siècle, elle s’est déjà acquise une réputation bien méritée, soit par
le choix de ses membres, soit par le zèle qu’ils mettent à propager leurs lumières, fruits
de leurs recherches et de leurs observations. Il est à regretter que cette société ne soit pas
suffisamment encouragée par l’autorité. . . .
On aimerait la voir se réunir dans un local spacieux,
commode, élégant, digne d’une pareille institution et des personnes qui en font la gloire;
on aimerait aussi voir dans son sein une bibliothèque bien assortie, un musée, un cabinet
d’histoire naturelle et d’antiquités, pour que chaque membre résidant eût sous la main
les documens nécessaires à la partie qu’il traite et qu’il veut approfondir. Ces avantages
seraient un sûr moyen pour que cette société académique, qui fait le plus grand honneur
à la ville de Toulon, se soutint et augmentât de plus en plus le nombre de ses
correspondans.
La principale industrie de la ville de Toulon est la construction de la marine royale et la
fabrication de tout ce qui y est relatif. C’est ce qui occupe et nourrit presque la moitié
des habitans. Hors de l’arsenal, on trouve une teinturerie pour le coton, des fabriques de
savon, de draps et de bonnets, des tanneries, un moulin à farine mu par la vapeur, etc. On
pourrait établir avec avantage plusieurs autres fabriques dans le territoire, à cause de la
grande quantité d’eau et de la belle mine de charbon de terre qu’on a récemment
découverte au quartier des Routes, et qui paraît être très-abondante et d’une excellente
qualité.
Le principal commerce de Toulon consiste en grains importés, et en huile, vin, câpres,
figues et passes qu’on récolte dans le territoire et dans les lieux circonvoisins. Le vin du
quartier de la Malgue est un des plus estimés de la Provence, celui des autres quartiers
est embarqué pour la marine, pour les colonies et pour les différens ports de l’Italie et du
Levant.
Les dehors de Toulon sont très-agréables, à cause de ses amphithéâtres, de ses belles
maisons de plaisance et de ses beaux points de vue. Non loin de la ville il y a un petit
jardin des plantes fort riche en productions étrangères. Dans la campagne on voit une
infinité de plantes exotiques qui s’y sont acclimatées. On remarque principalement le
phormium tenax, ou lin de la nouvelle Zélande, qui ne manquera pas de se multiplier
dans toute la basse Provence, dès qu’on aura reconnu l’utilité.
Il se tient à Toulon deux foires dans l’année, qui durent huit jours. Elles commencent le
15 mai et le 15 novembre. Pop. 28,420 hab.
Les communes du ressort des deux justices de paix du lieu sont, Toulon, la Garde, le
Revest et la Valette.
TOULOUBRE. Petite rivière qui prend sa source au-dessous de Vénelles, et se jette dans
l’étang de Berre, près de Saint-Chamas.
TOUR D’AIGUES. Village du canton de Pertuis, à 9 lieues d’Apt. L’origine de son nom
dérive d’une belle tour carrée que les Romains, premiers habitans du lieu, firent élever à
l’endroit où l’on voit les ruines d’un vaste château; et par les belles eaux qui entourent le
village et qui arrosent la plaine. Il y a eu, sans doute, d’autres monumens dans le pays, à
en juger par une inscription qu’on y trouva en l’honneur du dieu Mars, surnommé
Belladoni, mot gaulois qui signifie guerrier.
Le village de la Tour-d’Aigues a acquis une sorte de célébrité dans l’histoire moderne, à
cause d’un superbe château qui fut construit par l’amour et la folie. Le baron de Santal,
espérant avoir la visite de Marguerite de Valois, première femme de Henri IV, fit des
dépenses excessives, non seulement par la construction de ce vaste monument, mais par
la magnificence et la richesse de son ameublement, par une belle galerie de tableaux de
prix, par une superbe bibliothèque, par un vaste cabinet d’histoire naturelle contenant
toutes les curiosités qu’on trouve en Provence, par un parc magnifique où se trouvaient
beaucoup d’arbres étrangers enfin, par un jardin fort vaste, où l’on cultivait une infinité
de plantes exotiques donnant des fleurs odoriférantes, ainsi que toutes les plantes
indigènes qui embellissent nos parterres.
Marguerite de Valois ne crut pas devoir visiter ce lieu. Mais, en 1559, Catherine de
Médicis, suivie de plusieurs personnes de sa cour, vint y passer vingt-quatre heures. Le
feu a dévoré ce vaste édifice, vers la fin du siècle dernier. Il n’en reste que quelques
lambeaux qui ne signifient plus rien.
Le sol de ce pays est fertile et bien cultivé. Il produit toutes sortes de grains, de la bonne
huile, différens fruits, beaucoup de chanvre, et surtout beaucoup de vin; les vers à soie,
des filatures et une fabrique d’organsin sont l’industrie du lieu. Le territoire contient de
belles mines de fer et de charbon de terre qu’on pourrait exploiter avec avantage, et
conserver le bois des forêts qui dépérissent sensiblement. L’établissement de plusieurs
forges serait une nouvelle industrie pour le pays, quoique tout le monde y jouisse d’une
honnête aisance. Pop. 2,500 hab.
Dans cette gorge affreuse se trouve le chemin dit des chevilles, par où les habitans de
plusieurs communes passent avec la même facilité que les chèvres et les chamois
gravissent sur les montagnes escarpées. C’est un énorme précipice de rochers taillés à
pic, quelquefois à talus très-glissant. L’homme y a taillé de distance en distance, des
endroits propres à y placer le pied. Souvent ce ne sont que des chevilles de bois dur
fichées dans les jointures des couches ou dans les crevasses des blocs. On ne peut lever
un pied que quand on est solide de l’autre, et qu’on se tient fortement des mains aux
chevilles supérieures. Ce passage n’est qu’une sorte de rancher; il faut une demi heure
pour le monter à une personne habituée. Si l’on s’amusait à regarder en dessous de soi,
la vue du danger ferait perdre le jugement, et précipiterait au fond de la gorge les
téméraires qui osent se hasarder à un tel passage.
TOURTOUR, Tortorium, anciennement Castrum de Tortor, et, selon l’abbé Isarn qui
vivait en 1040, Torturu. Village du canton de Salernes, à 4 lieues et demie de
Draguignan. Son nom vient de l’usage où étaient les Romains d’y punir les criminels. Ce
village se trouve sur la voie romaine qui d’Antéa allait à Riez. La tour dite de Grimaud,
qu’on voit dans la campagne, est une sorte de trophée qui rappelle que le sieur de
Grimaldy, seigneur d’Antibes, défit complètement près de là une armée des Sarrasins qui
s’étaient établis dans le Fraxinet. Il paraît que les barbares se soutinrent pendant
plusieurs jours à Tourtour, et qu’ils eurent le temps d’y ensevelir nombre de Maures de
distinction morts aux premières affaires. Aussi, l’on trouve près de la tour de Grimaud
beaucoup de tombeaux de briques sarrasines fabriquées à la hâte et sur le lieu.
En 1130, on fonda au quartier de Florégia un monastère dont on voit encore quelques
ruines; mais, trente ans après, cette abbaye fut transférée au Toronet.
Une belle source d’eau naît à trois ou quatre cents pas en dessus du village. Le site et les
belles eaux qui arrosent les vallons en rendent le séjour délicieux en été. Le terroir est
fertile en huile, en blé très-recherché et en foin très-estimé. Les raisins parviennent
difficilement à la maturité sur la hauteur. Pop. 810 hab.
Le territoire de Tourves est arrosé par un nombre considérable de sources; aussi, après la
récolte du blé, on recueille dans la plaine de nouvelles richesses, principalement des
haricots blancs, Le foin y est très-abondant et très-estimé; la graine des prés est très-
recherchée. Il y a beaucoup de vignes qui donnent un vin excellent. On y trouve des
carrières de marbre non exploitées, un lac assez considérable, et deux moindres à côté.
Ils se sont formés dans des cavités où brûlaient des volcans sous-marins; c’est ce qui fait
que les eaux en sont un peu salées. Le village avait anciennement une savonnerie, une
papeterie, des tanneries; mais ces fabriques sont tombées, faute de pouvoir soutenir la
concurrence. Le pays a une jolie place, de belles promenades qui faisaient partie du parc
de l’ancien château. Il y a aussi trois foires dans l’année, savoir, le 6 août, le 22
septembre et le 19 novembre. Pop. 2,800 hab.
TRANS, Trans. Joli village à une lieue de Draguignan son chef-lieu d’arrondissement et
de canton. C’était autrefois une dépendance de cette ville. L’ancien village était appelé
Infré, du latin infra, parce qu’il était bâti en deçà de la Nartubie, c’est-à-dire du côté de
Draguignan. On en découvre quelquefois des vestiges au quartier de Saint-Victor et près
de la chapelle de ce nom.
La voie romaine qui de Fréjus allait à Riez, suivait la rive gauche de la Nartubie depuis
vis-à-vis le village de la Motte jusqu’à Draguignan, à-peu-près au même endroit où se
trouve ce qu’on appelle encore le vieux chemin de la Motte. Vers le milieu du siècle
dernier, on découvrit une pierre milliaire en face de la terre de Valbourgés; en octobre
1834, j’en ai reconnu une moi-même près de la chapelle de Notre-Dame de Vallauris,
trouvée depuis peu dans la terre; elle est en granit foncé, et porte une inscription assez
dégradée pour en rendre la traduction difficile.
A ce même quartier on a découvert, à différentes époques, plusieurs pièces d’antiquité
qui n’étaient pas sans intérêt. J’y ai reconnu plusieurs tombeaux en briques, des
lacrymatoires, des lampes sépulcrales, des amphores en verre bleu, un dessus de
tombeau en calcaire, ayant aux deux angles de devant une tête d’enfant, et sur la face la
figure d’un animal fabuleux. Dans ces différens tombeaux il y avait des médailles à
l ’ e ffigie de Trajan; et ailleurs, d’autres médailles à l’effigie de César- A u g u s t e ,
d’Agrippa, de Germanicus, de Maxime et d’autres indéchiffrables. On y voit encore
plusieurs pierres de granit qui ont dû appartenir à un édifice romain; quatre sont rondes
comme le fût d’une colonne. En ce même endroit, il y a dans la terre cinq bassins en
amphithéâtre, élevés en gradin chacun de neuf pouces en sus de celui qui vient après. Ils
donnaient de l’eau à un plus grand bassin; ils sont tous en mastic très-solide et bien
conservé. Il paraît que la petite source qui vient grossir le ruisseau en dessous de la
chapelle fournissait à ces bassins; mais qu’une révolution ou une obstruction dans le
canal lui a fait changer son cours. Dans le grand bassin, j’y ai trouvé des écailles
d’huîtres de l’Océan, preuve incontestable que près de là se trouvait une belle villa ou
maison de campagne, appartenant à une famille romaine très-opulente.
En février 1833, on a trouvé au quartier du Gabre plusieurs médailles en bronze, dont les
mieux conservées sont, une d’Adrien, une d’Agrippa et une de Julia Marsa (ou Maesa)
Augusta; elles étaient près d’une belle urne cinéraire intacte, renfermée dans un vase de
grès avec son couvercle.
TRETZ, Trittis, Tretis, Castrum et Valle de Trilis et Tretis. Petite ville chef-lieu de
canton, à 4 lieues et demie d’Aix. Quelques Marseillais vinrent fonder cette ville. Ils y
élevèrent un temple à la nymphe Tritœa, fille de Triton, et y établirent un marché qui
devint important. Les Romains y construisirent des greniers qui, selon les besoins,
fournissaient des grains à Aix ou à Fréjus.
Cette ville fut pillée et dévastée par les Sarrasins; mais, après leur expulsion, les
habitans, joints à ceux des lieux voisins, la rebâtirent au pied du mont Olympe, et
l’entourèrent de murailles. Sa population s’éleva jusqu’à dix mille âmes; mais les
guerres intestines, les pestes et autres malheurs en ont fait disparaître les trois quarts.
La ville actuelle est peu considérable; ses remparts sont en partie démolis; ses rues, fort
étroites et irrégulières, offrent encore des maisons supportées par des arceaux. Le
clocher est un beau monument d’architecture ancienne, et mérite d’être vu.
La plaine de Tretz est fort vaste, et s’étend jusque près de Pourrières. Elle fut le théâtre
de la grande bataille de Marius contre les Cimbres, les Ambrons et les Teutons. Les
coteaux sont d’un terrain houiller, et les mines sont exploitées avec avantage. Le mont
Olympe, en outre des ruines romaines, offre des ammonites du genre des ellipsolites, et
une mille de marbre rouge et blanc. Les hauteurs du territoire sont en partie garnies de
pins, de chênes à kermès, de chênes verts et blancs et de quelques érables. Les terres
cultivées donnent du blé, de l’avoine, des haricots noirs, et de l’huile d’olive préférable à
celle d’Aix. La culture de la garance, nouvellement introduite, peut devenir avantageuse,
car elle y vient parfaitement bien. Il y avait plusieurs verreries dans le territoire; mais la
plupart des fabricans ont préféré transporter leurs établissemens à Marseille.
Les habitans de Tretz sont fort religieux. C’est la religion qui les a corrigés de cette
humeur inquiète qui les caractérisait autrefois. Si quelqu’un se porte au crime dans ce
pays, on est assuré d’avance que ce n’est point un de ceux qui exercent fréquemment
leurs devoirs religieux.
La veille de l’Épiphanie offre en cette ville une scène amusante et peu commune. A
l’entrée de la nuit, la jeunesse se rassemble, et va au devant de trois mages, à une
certaine distance de la ville, portant, en guise de présens, des corbeilles de fruits secs.
Trois jeunes hommes, costumés en mages, attendent la troupe. Ils sont complimentés par
l’orateur de la jeunesse, qui est ordinairement très-leste; et après son compliment, il leur
présente les corbeilles. Les mages les reçoivent avec dignité, et donnent à l’orateur une
grande bourse remplie de jetons. Aussitôt celui-ci prend la fuite, feignant de se refuser
de partager l’étrenne avec ses compagnons; il se fait poursuivre pendant quelque temps
par la troupe, et ne se laisse atteindre que lorsque les ambassadeurs envoyés par la ville
sont arrivés à un certain point. Alors la troupe entre dans la ville en faisant la mauresque,
(sorte de danse) dans laquelle l’orateur transfuge se trouve enveloppé. Pop. 2,800 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Tretz, Saint-Antonin,
Beaurecueil, Château-Neuf-le-Rouge, Fuveau, Peynier, Puyloubier, Roques-Hautes,
Rousset et Vauvenargues.
TRÉVANS, Trevanticum, Locum de Trevanis, dans les anciens actes, Castrum de
Trevas. Village du canton de Mézel, à 6 lieues de Digne. Climat tempéré en été, mais
très-froid en hiver; sol montagneux et peu fertile; il produit du blé, du vin, des légumes,
mais en petite quantité. Pop. 123 hab.
TRICELLATI. Peuple celto-lygien qui ne nous est connu que par l’inscription du
trophée des Alpes. Ce peuple était placé entre les Gallitœ, qui se trouvaient à Alloz, et
les Ectini, qui étaient près d’Entrevaux; ce qui a fait présumer qu’il occupait les environs
d’Adaluis.
U
UBAYE. Rivière qui longe toute la vallée de Barcelonnette. Elle est peu considérable
vers sa source; ses eaux, resserrées entre deux montagnes escarpées, descendent par
cascades jusqu’à son confluent. Elle reçoit les eaux du Mélezen en dessous de Saint-
Paul; celles de l’Ubayette, qui vient du col de la Magdelaine, après avoir arrosé l’Arche
et Meyronnes; celles du Bachelard, qui prend naissance au col Saint-Dalmas, coule dans
le vallon de Fours, et passe devant l’Uvernet; celles du Rio-Bourdon, qui descendent la
montage des Orres, et autres petits ruisseaux. On y pêche des barbeaux, des meuniers et
des truites excellentes, mais en petite quantité, à cause des loutres et des pêcheurs, qui
les détruisent. Le lit de cette rivière offre des mines de cuivre. Il n’est pas étonnant que
la vase soit imprégnée de particules de ce métal.
V
VACHÈRES, Vacheriœ ou Vachœ. Village du canton de Reillanne, à 4 lieues et demie de
Forcalquier, près la rive gauche du Calavon, dans une contrée assez fertile. Territoire
sablonneux, les productions sont les mêmes qu’aux lieux voisins. Pop. 628 hab.
VAISON, Vasio. Petite ville chef-lieu de canton, à 5 lieues d’Orange, et sur une
élévation qui n’est qu’un rocher escarpé. Les Voconces ou Voconiens, nation celto-
lygienne, y avaient établi leur chef-lieu. Leur retranchement se trouvait sur le rocher. Les
premiers Romains qui visitèrent ce lieu s’y attachèrent, et y construisirent une ville dans
la plaine, sur les deux rives de l’Ouvèze. Dans la suite, ils l’honorèrent du nom de
Fœderata, c’est-à-dire d’alliée de Rome, titre le plus flatteur qu’elle pût obtenir. Elle fut
bientôt habitée par les familles les plus nobles de l’empire. Elles y portèrent leur goût
pour les arts et la magnificence. Aussi, elle fut bientôt ornée de monumens beaux,
solides et commodes, de façon que tout le monde s’y croyait dans un quartier de la ville
de Rome, c’est ce qui lui valut sans doute le titre de république, qu’elle porta quelque
temps.
L’emplacement où se trouvait la ville de Vaison dont nous venons de parler, se nomme
encore la Villasse. On y voit une multitude de preuves de son ancienne grandeur. Ici, ce
sont les restes d’un amphithéâtre digne du goût des Romains, là, c’est un superbe pont
d’une seule arcade, sur l’Ouvèze, construit en pierres d’une grosseur et d’une longueur
prodigieuse, sur lequel trois voitures ou chariots pouvaient passer de front. Le temps a
respecté cette belle construction, cependant les inondations ont fait disparaître le
parapet, plus loin, et sur les bords de la rivière, on découvre les ruines des bains, et les
restes d’un quai percé par dix ou douze égouts assez hauts, ailleurs, ce sont un temple
dédié à la déesse des forêts, et des aqueducs souterrains qui servaient à amener dans la
ville les eaux de la Brédouire et de Groseau. En creusant les terres, on a trouvé, à
différentes époques, des colonnes d’une grosseur prodigieuse, des statues de différentes
dimensions, des urnes funéraires en marbre, en plomb et en verre, des médailles de
presque tous les règnes, des bijoux d’or, tels que colliers, brasselets et anneaux, dont un,
il y a peu d’années, sur lequel, à l’aide d’un microscope, on voyait très-bien gravé un
char traîné par plusieurs chevaux. Nombre d’inscriptions curieuses ont disparu, quelques
unes annonçaient que Vaison avait été mise comme Rome au rang des divinités, d’autres
assuraient que cette ville avait des compagnies d’ouvriers, tels que des centonnaires et
des lapidaires ou tailleurs de pierre. On sait que, de ce temps, chaque ville, chaque
particulier, chaque corps de métier avait son génie tutélaire, et que chacun s’empressait
de lui ériger un ex-voto, qui était ordinairement gravé sur pierre.
Les belles pièces de mosaïque qu’on découvre de temps à autre dans la plaine près de la
Villasse, prouvent que l’ancien Vaison a dû avoir un grand nombre de beaux palais et
autres édifices publics. Je pense qu’il avait aussi d’autres temples que celui que je viens
de citer. Les montagnes voisines portent toutes des noms anciens. Les principales sont,
la montagne de Mars, celle de Théus ou Zeus, qui signifie Jupiter, celle de Puy-Muin, en
latin Podium Minervœ, et en français balcon de Minerve, et enfin celle d’Ausis, dérivé
d’Auspey, qui signifie augure. Toutes ces hauteurs ayant été consacrées à des divinités,
ont dû avoir leurs temples et leurs idoles.
L’ancien Vaison a produit nombre de personnages illustres, parmi lesquels je ne citerai
que le célèbre historien Trogue-Pompée, le sénateur Pentagate et Julius Romanus, intime
ami de Pline le naturaliste.
Ce même Pline vint à Vaison non seulement pour visiter le lieu qui avait donné
naissance à son ami, mais pour y voir la pierre qui, selon une prédiction d’Anaxagore,
devait, à cette époque, tomber du ciel. C’était peut-être une aérolithe telle que celle
qu’on vient de faire transporter du village de Caille
(département du Var) au Muséum de Paris. L’histoire ne dit pas si cette pierre tomba
réellement à Vaison, nous savons qu’il en tomba une aux environs d’Apt, et ces deux
villes ne sont éloignées que d’environ 9 lieues.
L’ancien Vaison n’est pas moins illustre dans le sacré que dans le profane. Saint Albin,
un de ses premiers évêques, y fut martyrisé, dans l’irruption de Crocus, roi des
Allemands. Trois de ses successeurs, parmi lesquels nous distinguerons saint Quenin,
s’y sont rendus illustres par leurs miracles et leur sainteté, Daphnus, un de leurs
confrères, brilla au premier concile d’Arles, que le grand Constantin honora de sa
présence. Les évêques Auspice et Fonteïus sont très-connus par les éloges que Sidoine
Apollinaire leur donne dans ses lettres. On en trouve une aussi d’Avit de Vienne à
Gemellus leur successeur. Enfin, cette ville qui a eu trois conciles dans le quatrième et le
cinquième siècle, se glorifie d’avoir vu naître sainte Rusticule, de l’illustre maison de
Murciens.
Cette ville, quoique pillée et ravagée successivement par les Huns, les Wisigoths, les
Sarrasins et les Normands, fut toujours une ville considérable, jusqu’au milieu du
douzième siècle. En 260, les habitans érigèrent un monument à l’empereur Galien. Dans
le cinquième siècle, on regardait Vaison comme une des clés de la Provence. Le choix
qu’en fit ensuite Charles, roi de Provence et de Bourgogne, pour y rester de préférence
aux autres villes du voisinage, prouve qu’elle conservait encore de précieux restes de sa
grandeur passée. Il en est de même de son ancienne cathédrale, bâtie l’an 910, qui, par
son étendue et sa solidité, ne peut convenir qu’à une ville grande et bien peuplée. Le
clocher et le cloître attenant ne lui cédaient en rien pour le goût et pour la solidité.
L’évêque Bérenger de Mornas et ses successeurs ayant refusé de reconnaître les comtes
de Toulouse pour souverains, Raymond V et Raymond VI détruisirent Vaison, pour
punir les habitans d’avoir pris le parti de leurs pasteurs. Le peuple, désolé, alla chercher
un refuge dans les lieux voisins, et, quelques temps après, un petit nombre se décida à se
construire de nouvelles maisons sur le rocher voisin. Plusieurs malheurs forcèrent les
habitans du nouveau lieu à se barricader, ce qui les garantit, dans la suite, du pillage des
Huguenots. Le baron des Adrets s’étant présenté, en 1563, devant la nouvelle ville, fut
forcé de se retirer, après plusieurs jours de siége inutile.
Le terroir de Vaison est, en général, assez maigre, mais, avec de l’engrais et un travail
assidu et bien entendu, il produit beaucoup. Les montagnes sont couvertes de bois de
toute espèce. La plaine n’offre que mûriers et arbres fruitiers, plantés çà et là dans les
prairies et les jardins. La seule industrie du pays est celle d’élever les vers à soie. C’est
aussi celle de la plupart des communes du comtat Vénaissin, qui sont presque toutes
riches et dans des sites agréables et gracieux. Aucune n’est habitée comme elle devrait
l’être. Trois fois autant de population y vivrait également bien, sans nuire aux habitans
actuels. L’industrie se multiplierait partout, un plus grand nombre de consommateurs
ferait mieux vendre les denrées, beaucoup de terres en friche seraient mises en culture,
les fourrages seraient consommés par un plus grand nombre de troupeaux, qui
fourniraient une plus grande quantité de laine et
d’engrais, et ces différens séjours redeviendraient aussi brillans que ce qu’ils étaient sous
les Romains. Depuis long-temps, on rêve à l’établissement de plusieurs dépôts de
mendicité: le département de Vaucluse pourrait en être un pour tous les départemens du
Midi. On n’aurait qu’à confier un certain nombre de familles malheureuses à chaque
commune qui manque de bras pour l’agriculture, ou qui a des terres vagues susceptibles
d’un grand produit. Ces familles seraient libres, et béniraient la main qui leur aurait
procuré une honnête aisance.
Les montagnes des environs de Vaison offrent une quantité d’ostracites, d’anmonites
pyriteuses, de camites, de différens madréporites du genre des orgues de mer, de fungites
cyathiformes ou placentiformes, d’astroïtes étoilés, de nautiles, de bois fossile et autres
productions naturelles.
Les foires du pays sont, le 23 janvier, le 15 février, le mardi de la Pentecôte, le 8
septembre et le 30 novembre. Pop. 2,580 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Vaison, Buisson, Cairanne,
Crestet, Faucon, Puymeras, Rasteau, Roaix, Saint-Marcelin, Saint-Romain en Viennois,
Saint-Roman-de-Malegarde, Séguret et Villedieu.
VAL (LE). Joli village à une lieue de Brignoles son chef-lieu d’arrondissement et de
canton. La primitive habitation se trouvait sur une hauteur, et se nommait Paracol
(Parcs Colles). Les habitans l’abandonnèrent successivement, pour venir établir leurs
demeures dans la plaine et dans un site infiniment plus agréable, quoique moins fort. Ce
site dot être apprécié par les Romains. Une riche famille dut y établir une villa
considérable. La belle source qui se trouve près du village actuel et les jolies expositions
des coteaux qui forment la vallée, l’annoncent de manière à n’en pouvoir douter. Si nous
avions besoin d’une preuve plus convaincante encore, nous la trouverions dans un
fragment d’inscription trouvée, il y a plusieurs années, dans les ruines de la chapelle dite
des Pénitens. Elle paraît avoir servi au tombeau d’un membre de la famille qui possédait
cette terre. Quoique le temps ait dégradé cette inscription, on y lit encore ces mots:
CHO.
Q. ATILII
PYTHEE
ET ATILIA
C’est même au Val que, du temps des guerres intestines, le régiment Saint-André,
composé de deux à trois cents cavaliers, battit complètement, et en moins d’une heure, le
baron de Carcès qui commandait des forces considérables, mais tous hommes
indisciplinés, et habitués plutôt au meurtre et au pillage qu’à faire la guerre.
En 1707, les paysans du pays attaquèrent et défirent un gros parti d’Allemands et de
Piémontais, ce qui fit dire à un général français témoin de cette action: — Les
Provençaux sont de braves gens. Je suis certain, en voyant la résolution de “ tous, que
non seulement le duc de Savoie échouera dans son entreprise, mais qu’il souffrira
beaucoup dans sa retraite.
Peu de mois après, il eut la satisfaction de voir sa prédiction se réaliser entièrement.
Le village du Val s’accroît et s’embellit chaque jour, il deviendra important, à cause de
la petite route de Brignoles à Draguignan, qui le traverse et devient très-passante. Le
climat est doux, l’air fort sain. Une mine de charbon de terre d’une mauvaise qualité se
trouve dans le territoire, du côté de Montfort. Le sol produit du blé, du vin, de l’huile, du
fourrage, des légumes et des fruits. Les foires sont, le 3 février, le 8 août, et le 14
septembre. Pop 1,750 hab.
VALETTE (LA), Vallis Lœta. Village à une lieue et demie de Toulon son chef-lieu de
canton et d’arrondissement, dans un site fort agréable, sous un climat tempéré et fort
sain. H. Bouche dit qu’on y trouva cette inscription:
IVE. VICTORINUS.
PAPPVS IVLA PR. MEMOR FECI BENE ME
AN. III D. XVI
Le peuple s’y ressent plus des mœurs de la ville que de celles du village. Aussi y trouve-
t-on des personnes instruites dans toutes les classes. L’homme riche fait des expériences
en agriculture, et les communique sans égoïsme aux cultivateurs. Ceux-ci reçoivent les
lumières de ceux-là avec empressement, avec reconnaissance, et ne méprisent point ceux
de qui ils les tiennent. Aussi, le sol du pays, qui est très-maigre et très-ingrat, produit
beaucoup d’huile, beaucoup de vin très-estimé, des fraises excellentes, etc. Le pays offre
des tanneries et des fabriques d’acétate de plomb.
Sur le chemin de la Crau est le château de Lamagnon, qui avait appartenu à la reine
Jeanne. Ses murailles sont très-fortes, les fossés existent encore en partie. Les eaux de la
belle source du Thon, de Solliés-Toucas, venaient autrefois arroser les jardins et les
prairies de cette terre royale. Les foires sont, le dimanche après la Sainte- Anne, et le
dimanche après la Sainte-Cécile. Pop. 2,000 hab.
VALLIER (SAINT), dans son origine, Castrum Valerii, sous les comtes souverains de
Provence, Castrum de Sancte Valerio, au commencement de la domination des rois de
France, Chastel-de-Saint-Vallier, et enfin Saint-Vallier. Bourg chef-lieu de canton, à 2
lieues de Grasse.
Il est probable que Saint-Vallier existait, mais sous un autre nom, avant que les Romains
pénétrassent dans la Gaule. Cinq camps formés de pierre sans ciment et parfaitement
conservés, situés à environ une demi-lieue autour du village, semblent l’attester. On
trouve dans le territoire de cette commune beaucoup de haches en pierre dure ou
tabonas, qui prouvent qu’il s’y est livré, dans un temps très-éloigné, plus d’un combat,
car on n’a fait usage des pierres taillées et aiguisées, comme instrumens de guerre,
qu’avant l’introduction des armes de fer. Assez éloigné de la côte pour que le druidisme
ne fût pas troublé par les étrangers, on voit sur divers points des monumens de ce culte
sanglant. On a découvert récemment sous une énorme pierre, à la campagne, un coin ou
hâche en cuivre, un stylet et des fragmens d’autres instrumens en fer.
Il est incontestable, du moins, que Saint-Vallier ai été fondé par les Romains. Ce fut,
dans le principe, un fort dont les murailles existent encore en grande partie, et qui, par
son étendue, devait contenir facilement plusieurs cohortes. Pour expliquer l’origine de
ce fort, il faut nécessairement se reporter aux premières apparitions des Romains dans la
Gaule, et ne pas perdre de vue la politique astucieuse et constamment suivie par ce
peuple extraordinaire, qui n’intervenait jamais impunément dans les différens où il était
appelé comme allié.
154 ans avant Jésus-Christ, le consul Q. Opimus, envoyé avec une armée dans la Gaule,
à la sollicitation des Massaliotes, prit Ægitna et Oxibia, les détruisit, réduisit la
population en esclavage, et donna aux Massaliotes les terres qu’il avait conquises sur les
Oxbiens et les Déciates, qui furent désarmés. Des troupes romaines restèrent en quartier
d’hiver, et occupèrent les villes et les principales positions militaires de l’arrondissement
de Grasse.
C’est ainsi que les Romains se préparèrent un point d’appui pour subjuguer, à la
première occasion, les Gaulois, dont le nom seul les fesait frémir. Et en effet, en 125, le
consul M. Fulvius Flaccus et son successeur C. Sextius Calvinus, ravagèrent le
département des Bouches-du-Rhône. Ce dernier, après avoir fait la conquête du pays
salien, promena ses légions le long du littoral entre le Rhône et le Var, balayant la popu-
lation et la refoulant dans les montagnes de l’intérieur, pour assurer les routes de terre et
de mer, d’Italie en Gaule. La route de terre longeait la côte entre la mer et les derniers
escarpemens des montagnes.
Castrum Valerii remonte sans doute à cette première époque, et eut pour objet, 1° de
contenir les Gaulois si redoutables des montagnes, et ceux qui, ayant été dépouillés de
leurs biens, de leurs armes et de leur liberté, furent forcés de quitter le sol qui les avait
vus naître, 2° de protéger les quartiers d’hiver et en même temps le passage du Var, 3° de
couvrir et défendre les magasins qui furent établis probablement à Auribeau.
Des médailles et des pièces de monnaie en cuivre et en argent, que l’on y trouve
fréquemment, des tombeaux en terre cuite avec des lacrymatoires, prouvent
suffisamment le séjour des Romains. On a découvert, il y a une douzaine d’années, à un
quart de lieue du village, sur une éminence appelée le Brec, des restes de bâtisse, un
conduit en terre cuite qui y amenait les eaux du Castelas, et des monnaies en cuivre et en
argent, du temps de Jules César. C’était sans doute une villa.
Sur les hauteurs, à une demi-lieue au nord du village, se trouvent deux cassines
entourées de retranchemens en pierres sèches, dont l’une est appelée la tour de Nans
(elle a été détruite il y a trois ou quatre ans), et l’autre la chrève d’or. Celle-ci était
accompagnée d’autres constructions dont on ne voit que les fondemens. De ces deux
points on a une vue magnifique sur tout le littoral depuis Toulon jusqu’au Var. On ne sait
pas quel a été le but de ces espèces de fortifications avancées. Il est possible que, par la
première, on ait eu en vue de surveiller les défilés du nord, et de mettre le fort à l’abri
d’une surprise de la part des habitans de la haute Provence, la seconde annonce que près
de là il a dû se trouver un temple dédié à la chèvre d’or. La situation est à-peu-près
conforme à celle de pareils édifices qui se trouvaient dans les territoires de Lorgues et de
Draguignan.
On a prétendu que ces constructions ont été faites du temps des Sarrasins, mais cette
assertion n’offre aucune probabilité. D’un côté, il ne pouvait s’y loger que quelques
individus, et de l’autre, pour les garder, on aurait affaibli le village, qui se serait ainsi
trouvé à découvert du côté du midi, et livré à l’ennemi.
Quoiqu’il en soit, les habitans eurent certainement à se défendre soit contre les
Sarrasins, soit contre les religionnaires, et c’est sans doute par suite des succès qu’ils
obtinrent, que le village fut surnommé l’espaseto (petite épée), surnom que la tradition a
long-temps conservé.
L’antique origine de Saint-Vallier et l’importance que l’on y attacha se trouvent
corroborées par les droits qu’il avait, et qui lui furent confirmés par les comtes de
Provence et par les premiers rois de France jusqu’à Henri III.
Les habitans avaient les terres cultes et incultes, les pâturages, les eaux (æquor), la
justice, le droit de faire paître leur gros et menu bétail, de couper du feuillage (ramagia)
dans toute la province, et les droits de régale, droits, est-il dit dans les lettres patentes,
dont ils ont constamment joui de tout temps. Les premières lettres patentes que l’on
conserve encore, sont de Sance, frère d’Alphonse Ier, roi d’Arragon, et à la date du mois
d’Auguste 1181.
Il existe, en effet, une sentence de 1430, du juge de la cour (curiæ) de Sancte Valerio, et
une autre sentence, de 1481, du juge de Grasse, qui reconnaît aux habitans le droit de
faire paître leurs troupeaux dans le territoire de cette ville. Il y a une tradition qui
confirmerait ce dernier fait, s’il pouvait être mis en doute, c’est que les bergers allaient
abreuver leurs troupeaux à la Foux de Grasse un couteau ouvert suspendu au côté, ce qui
ferait croire que la force était employée au besoin pour soutenir le droit. Il serait possible
aussi que les bergers fussent armés pour se défendre des voleurs qui, dit-on, infestaient
les territoires de voisins.
Des avantages aussi considérables opposèrent un obstacle à la féodalité, qui
insensiblement y poussa des racines malfaisantes. Le chapitre de Grasse parvint à s’en
faire déclarer seigneur, mais ce ne dut être que postérieurement à 1244, époque à
laquelle l’évêché d’Antibes fut transféré à Grasse, propter insalubritatem aëris et
incursus piratorum, porte la bulle d’Innocent IV.
Sous l’administration paternelle des comtes, Saint-Vallier se maintint dans sa prospérité,
mais sans acquérir aucun accroissement, à cause de sa position et de l’aridité du sol, peu
propre à la culture des céréales, particulièrement du blé, et qui ne permet que d’élever du
bétail. Sa décadence commença quelque temps après la réunion de la Provence à la
couronne. Le clergé fut plus favorisé, et devint, par conséquent, plus puissant. Le
chapitre de Grasse suscita des tracasseries continuelles et des procès interminables à la
communauté, qui ne se laissa pas dépouiller sans opposer une résistance opiniâtre. On ne
peut se lasser d’admirer, dans la lutte qu’elle soutint, cette population forte de son
organisation romaine.
Un arrêt de la cour des comptes, de 1513, rendu en conséquence d’un édit de la reine
Jeanne, de 1366, enjoignit aux habitans de ne reconnaître la juridiction d’aucun seigneur
de la province. Cet édit, remarquable par celui qui le donna, per magnificum virum
Napoleonem, fait connaître et réprime l’audace et l’insolence de la noblesse et du clergé
de cette époque, qui se livraient à toutes sortes de vexations et de cruautés.
Un autre arrêt de la même cour, de 1526, maintint la haute justice et les droits de régale
aux habitans, mais concéda la basse justice au chapitre. Plus tard, la justice fut
administrée par les rois de France.
En 1698, Saint-Vallier avait perdu tous ses privilèges. A la même époque, l’impôt qui
pesait sur les habitans fut doublé.
En 1722, la communauté fut obligée d’aliéner des propriétés importantes pour payer ses
dettes, beaucoup de particuliers vendirent leurs biens et s’expatrièrent. La population,
qui était encore, en 1689, de neuf cents âmes,diminua progressivement.
Pendant les orages de la révolution, les habitans se maintinrent dans les limites d’une
sage liberté, non seulement ils ne commirent aucun excès, mais encore ils s’élevèrent
spontanément et d’un commun accord contre les violences de quelques habitans de
Cabris, qui cherchaient à mettre le désordre dans le canton.
Il y a plusieurs qualités de marbre dans le territoire, dont une, fort belle, a fourni les
colonnes qui ornent le principal autel de l’église de Grasse. Auprès de la montagne de
Graou, et dans un fond, se trouve un lit de tourbe qui serait un combustible nécessaire
pour l’aménagement des bois des environs, qui dépérissent chaque jour. Cette tourbe est
en grande partie recouverte d’une sorte de sable vert propre à la fabrication du verre
vert. Il est employé aux manufactures de verre de Calian, où on le nomme sable de
Saint-Vallier.
Dans la vallée du quartier de Nans se trouve une forte couche de lignite, recouverte par
un banc de grès, qui contient à plusieurs endroits des rognons de cuivre, de fer hydraté.
Cette roche est elle-même recouverte par des lits de sable agglutiné, de peu d’épaisseur
sur quelques points. Ce lignite fournit une houille d’un aspect heureux et facile à rompre
en fragmens rhomboïdaux. Elle fut essayée avant la révolution par un armurier, qui
assura n’en avoir brûlé d’aussi bonne pendant trente ans qu’il avait travaillé dans le
Forêt.
Sur les différentes hauteurs du territoire de Saint-Vallier, la lavande croît avec vigueur.
Plusieurs personnes y transportent leur alambic, et distillent cette plante. L’ h u i l e
essentielle qu’on en retire est vendue aux parfumeurs de Grasse, ou expédiée dans
l’intérieur, pour en faire l’eau de Cologne ou toute autre préparation chimique. Un
chimiste moderne, M. Prouest, a prouvé que le camphre existe dans toutes les plantes de
la famille des labiées, et en quantité considérable dans la sauge et la lavande, et qu’on
peut l’extraire avec avantage.
La curiosité naturelle la plus remarquable du pays est un pont formé de rochers et
couvert de gros arbres, sous lequel passe la rivière de Siagne, et que l’on appelle pont-à-
Diou. Les amateurs ne manquent pas de le visiter, et l’on y va faire des parties de plaisir.
Les moutons que l’on engraisse dans le territoire ont une chair d’un goût exquis, qui les
fait rechercher par les gourmets, les truites que l’on prend vers la source de la Siagne
n’ont pas moins de réputation. L’air pur et frais que l’on respire pendant la chaleur de
l’été, attire souvent des malades dont la santé en éprouve promptement les salutaires
effets.
Foire importante pour le bétail, le 1er lundi de septembre. Pop. 630 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Saint-Vallier, Cabris, Saint-
Césaire, Escragnoles et le Tignet.
VAR. Grande rivière que les Romains qualifiaient de fleuve, Varum flumen. Elle prend
sa source dans les montagnes des Alpes, en dessous de Saint-Dalmas en Piémont, entre
dans la Provence près du village de Sausses, où il reçoit le Colon, passe à Entrevaux,
rentre dans le Piémont au Pujet de Théniers, s’enfonce dans le comté de Nice, et vient
servir de limite au département du Var, depuis le confluent de l’Estéron jusqu’à la mer,
entre Nice et Antibes. Le nom de cette rivière dérive du latin variare, varier, changer. En
effet, son lit change souvent de place, et fait un dégât considérable dans la plaine qui se
trouve sur la rive gauche. C’est pourquoi le roi de Sardaigne a affecté depuis peu la
somme de six millions, pour faire construire une forte digue en bâtisse, à même de re-
pousser l’impétuosité des débordemens des eaux, qui ont ordinairement lieu aux pluies
d’automne et lors de la fonte des neiges. Son lit offre des indices de plomb, de cuivre, de
fer et même d’or. On y trouve des morceaux de beau granit, du grès et une pierre veinée
de spath blanc. Avant la révolution, on passait le Var à gué: aussi s’y perdait-il souvent
du monde; mais aujourd’hui il y a, près du village de Saint-Laurent, un pont en bois de
plus de cinq cents mètres de longueur, dont la moitié est entretenue par la France et
l’autre moitié par le Piémont.
VAUGINES, autrefois Vallis Jovina, aujourd’hui, par corruption, Vallis Jouina. Village
du canton de Cadenet, à 5 lieues et demie d’Apt. On croit que, du temps des Romains,
on y adorait particulièrement Jupiter. Le nom du lieu semble assez l’annoncer. Jou, Jovis
est un nom celtique dont on a fait Jupiter, en ajoutant l’épithète pater. Le climat de ce
village est tempéré, l’air sain, le sol fertile, principalement en pâturages, on y recueille
aussi du blé, du vin et de l’huile, et on y élève des vers à soie. Pop. 510 hab.
VAUGRENIER. Étang près d’Antibes et au bord de la mer, sur la route de Nice. Il fut
formé dans le cratère d’un volcan. En hiver, on s’y promène sur une barque, pour aller
ramasser les oiseaux aquatiques que le chasseur a abattus.
VEDÈNES. Village du canton de Bédarrides, à une lieue d’Avignon, sur la rive gauche
de la Sorgues, dans une plaine bien arrosée. On y recueille du blé, du foin et des fruits
délicieux. Le climat est sain et tempéré, quand le Maëstral ne souffle pas. Population
1,250 hab.
VÉDIANTICI. Nation celto-lygienne qui occupait la rive gauche du Var et tout le comté
de Nice. Elle s’était réunie aux habitans de la côte de Gênes, qui attirèrent les lances
romaines par leur piraterie contre tous navires, principalement contre ceux de Marseille.
Le consul Æmilius marcha contre eux. Surpris de sa prompte arrivée, ils demandèrent
une trêve de dix jours, pour disposer toute la nation et leurs alliés à faire leur
soumission. Mais dans ce court délai, ils font des préparatifs hostiles, et avant même
l’expiration de la suspension d’armes, ils surprennent le camp romain, et tiennent le
consul comme assiégé. Celui-ci, outré contre une si mauvaise foi, et désespérant d’être
secouru, ordonne une sortie générale, tombe à l’improviste sur les Liguriens qu’il met
dans le plus grand désordre, et, trois jours après, toute la partie de la Ligurie qui est entre
le Var et l’Arno, fut de nouveau soumise aux Romains.
VÉLAUNI. Peuplade celto-lygienne qui occupait les deux rives du Loup, près de
Cipières et de Gréolières. Selon les apparences, ce dernier était leur chef-lieu.
IMPERATORI CÆSARI
DIVI F. AVG.
PONTIFICI MAXIMO,
IMP. XIIII.
TRIBVNITIÆ POTESTATIS XVII.
S. P. Q. R.
QVOD EIVS DVCTV AVSPICIISQVE
GENTES ALPINÆ OMNES,
QVÆ A MARI SVPERO AD INFERVM PERTINEBANT,
SVB IMPERIVM POP. ROM. SVNT REDACTÆ.
GENTES ALPINE DEVICTÆ.
TRIVMPILINI, CAMVNI, VENOSTES, VENNONETES, ISARCI,
BREVNI, GENAVNES, FOCVNATES:
VINDELICORVM GENTES QVATVOR,
CONSVANETES, RVCINATES, LICATES, CATENATES: AMBISONTES,
RVGVSCI,SVANETES,
CALVCONES, BRIXENTES, LEPONTII, VIBERI,
NANTVATES,
SEDVNI, VERAGRI, SALASSI, ACITAVONES,
MEDVLLI, VCENI, CATVRIGES,
BRIGIANI, SOGIONTII, BRODIONTII,
NEMALONI, EDENATES, ESVBIANI, VEAMINI, GALLITÆ,
TRIVLATTI, ECTINI, VERGVNNI,
EGVITVRI, NEMENTVRI,
ORATELLI, NERVSI, VELAVNI, SVETRI.
Traduction:
A Auguste César, fils du divin César, empereur, grand-pontife, l’an XIV de son règne, et
de sa puissance tribunitienne le XVII, le sénat et le peuple romain, en mémoire de ce que
sous ses ordres et sous ses auspices tous les peuples des Alpes, de la mer supérieure à
l’inférieure, se sont soumis aux lois romaines. Noms des peuples vaincus: Triumpilins,
Camunes, Venostes, Vennonètes, Isarques, Breunes, Génaunes, Focunates: les quatre
nations Vindéliennes, Consuanètes, Rucianètes, Licates, Catenates: Ambisontes,
Rugusques, Suanètes, Calucons,Brixentes, Lépontiens, Vibères, Nantuates, Sédunes,
Véragres, Salasses, Acitavons, Médulles, Ucènes, Caturiges, Brigiens, Sogiontiens,
Brodiontiens, Némalons, Édenates, Ésubiens, Véamiens, Gallites, Trioulattes, Ectins,
Vergunnes, Éguitures, Némentures, Oratelles, Néruses, Vélaunes, Suètres.
Ces peuples tentèrent plusieurs fois de secouer le joug des Romains, qu’ils regardaient
comme des tyrans et des oppresseurs. Ils ne se soumirent réellement que lorsque la
majeure partie des habitans fut d’origine étrangère.
La ville de Vence, par son climat et sa situation, devint le séjour d’un grand nombre de
riches familles romaines, qui s’y attachèrent tout comme si elle eut été le pays de leurs
ancêtres. La ville fut consacrée au dieu Mars. On y adora aussi les déesses Vénus et
Cybèle, auxquelles on éleva des temples. Elle devint bientôt un grenier des Romains.
C’est pourquoi on l’appelle vincium horreum Cœsaris.
Cette ville a dû être bien plus considérable qu’elle ne l’est aujourd’hui. La preuve est le
nombre considérable d’inscriptions et de pierres de monumens antiques qu’on y a
trouvées, et qu’on y découvre de temps à autre. La plus curieuse est celle qui nous
apprend, que trois particuliers y offrirent un taurobole, sorte de sacrifice, pour
l’expiation d’un crime. On creusait une fosse profonde, couverte de planches trouées en
plusieurs endroits, et sur lesquelles on égorgeait un taureau avec la plus grande
cérémonie. Le prêtre destiné à faire l’expiation, se tenait sous les planches, vêtu d’une
robe de soie, et portant sur sa tête une couronne entourée de bandelettes. Il se tournait de
toutes les manières pour recevoir le sang sur toutes les parties de son vêtement. Dès que
la cérémonie était achevée, il sortait de la fosse, et tout le monde se prosternait devant
lui, comme s’il eût représenté la divinité pour laquelle on offrait le sacrifice. Ses habits
ensanglantés étaient regardés comme des choses sacrées. On les conservait
soigneusement et avec beaucoup de respect.
Le grand nombre d’inscriptions qu’on trouve encore à Vence, soit dans l’ancien palais
épiscopal, soit à la cathédrale et autres lieux, suffiraient pour prouver l’ancienneté du
lieu. On voit même dans le pays des colonnes qui avaient servi de bornes aux limites des
terres des Nerusii et des Marseillais.
Il ne reste plus rien de l’ancienne ville de Vence, qui fut saccagée par les barbares. La
ville est resserrée dans une enceinte de murailles qui interceptent l’air et assujettissent
les habitans à plusieurs sortes de maladies. Les faubourgs sont infiniment mieux bâtis et
plus salubres. Un grand ruisseau arrose toutes les rues, les jardins et les prairies. Les
eaux des fontaines sont excellentes. Le pays offre des tanneries et une fabrique de
chapeaux. Le sol donne peu de blé, mais assez de vin, de la bonne huile et beaucoup de
fruits exquis. Ses figues sont très-recherchées dans le commerce, et on y en sèche
considérablement. Le territoire n’offre pas de forêts, mais, en revanche, il y a des mines
de charbon de terre entièrement négligées. Les collines présentent une infinité de
coquillages fossiles et pétrifiés, les plus remarquables sont les peignes.
Près de la ville actuelle, sur la montagne des Pénitens blancs, il y avait autrefois un
village nommé Saint-Laurent, et au quartier Saint-Martin, on voit encore les restes d’un
château des Templiers, dont une partie est en assez bon état.
Les foires du pays sont, le 26 mai, le 10 septembre, le 13 décembre et le 20 février. Pop.
3,500 hab.
Les communes du ressort de la justice de paix du lieu sont, Vence, le Broc, Cagnes,
Carros, la Colle, Dosfraires, Gattières, la Gaude, Saint-Jeannet, Saint-Laurent, Saint-
Paul et Villeneuve-Loubet.
VÉNELLES, Venellœ. Village à une lieue et demie d’Aix son chef-lieu de canton et
d’arrondissement, sur une éminence, avec une bourgade sur la route des Alpes. Climat
tempéré, air sain, sol aride, produit du blé, du vin, de l’huile, etc. Il y a des coteaux
infertiles. La Touloubre prend sa source dans le territoire. Pop. 900 hab.
VERDON. Rivière qui s’appelait anciennement Supora, ainsi qu’on le voit dans la
géographie de Philippe Ferrarius. Elle perdait son nom à sa jonction avec l’Issole, qui
vient de Thorame basse, mais aujourd’hui elle porte le nom de Verdon, depuis sa source
sur les montagnes d’Allos jusqu’à son confluent dans la Durance près de Vinon. Les
eaux de cette rivière, qui est assez considérable, sont peu ou pas du tout utilisées.
Cependant elles pourraient être conduites par des canaux dans un grand nombre de
communes du département du Var, notamment dans celles de l’arrondissement de
Brignoles et de Draguignan, où elles répandraient la fertilité et favoriseraient l’industrie.
VICUS PETRONII. Village dans lequel naquit le fameux Pétronne, poète, courtisan,
homme d’état, qui vivait sous Néron,et qui mourut l’an 66 de Jésus-Christ. Quelques uns
veulent que ce village soit la ville de Pertuis, d’autres soutiennent que c’est le bourg de
Peyruis, mais le plus grand nombre convient que ce lieu était près de Marseille, mais
qu’on ignore quel est son nom actuel. Voyez PEYRUIS.
VIEILLES (LES). Caranque près d’Agay. Pendant les guerres continentales, les
corsaires anglais viennent s’y cacher derrière des écueils, pour surprendre les vaisseaux
marchands qui voyagent de côte en côte.
VIENS, Vientium. Village sur un roc, entouré de murailles, à 4 lieues d’Apt son chef-
lieu d’arrondissement et de canton. Son territoire est presque entièrement privé d’eau.
On ne voit que vallées et coteaux d’un accès difficile. Dans la montagne qui borde le
chemin de Céreste, se trouve une grotte de laquelle on retire une sorte de poudingue
formé par des cailloux roulés et très-durs, si fortement liés ensemble, qu’on en fait des
pierres meulières excellentes.
Les Sarrasins avaient établi des forges à Viens, preuve certaine que dans le territoire il y
a des mines de fer, il y a aussi du manganèse. Les pierres minéralisées qu’on trouve dans
les terres, et qui contiennent du souffre et de l’arsénic, font présumer qu’on pourrait
rencontrer quelque minéral précieux au commerce. On est assuré de rencontrer du vitriol
en grande quantité. Vers le haut d’un torrent on ne voit qu’un sable ferrugineux où le
vitriol de Mars se forme en abondance. C’est une efflorescence de couleur jaunâtre, que
de loin on prendrait pour du souffre. Les eaux qui naissent de tous les côtés sont
purement vitrioliques. Tout prouve que l’exploitation du vitriol serait avantageuse. Il
serait possible que dans les environs on trouvât du souffre en grandes masses. On peut se
servir de la sonde pour s’assurer du fait, et ne pas faire comme ceux qui, se fiant à des
écrivains qui avaient pris des pyrites pour de l’argent, vinrent ensevelir leurs fortunes
pour trouver dans ce territoire un minéral qui n’y existe pas.
La campagne de Viens est garnie de vignes et d’oliviers d’un assez bon produit. Pop.
1,212 hab.
VILLENEUVE, Villa Nova. Village à 2 lieues et trois quarts de Forcalquier son chef-
lieu d’arrondissement et de canton, et près de la rive droite de la Durance. La culture du
gros sainfoin ou sainfoin à deux coupes, nouvellement introduite, rend le sol fertile en
blé et en fourrages. Il produit aussi de la bonne huile et du vin. Le climat est doux et
sain. On trouve quelquefois, en creusant les terres, des traces du séjour des Romains,
telles que des fondemens de plusieurs villœ, ceux d’un petit temple, des tombeaux et des
médailles de plusieurs règnes. Populat. 818 hab.
V I L L E P E Y, Villa Piscis. Ancien lieu sur la rive droite de l’Argens, près de son
embouchure dans la mer. Son nom annonce assez son origine. Il paraît que le voisinage
de l’ancien Forum-Julii (Fréjus), attira dans ce quartier une famille romaine, dans la
seule vue d’y établir une villa ou maison de plaisance, qui fut bientôt convertie en
guinguette, où un grand nombre de personnes allaient journellement faire des parties de
plaisir et manger du poisson. La prospérité de cette entreprise fit augmenter le nombre
des guinguettes, au point qu’elles formèrent une bourgade assez importante qui subsista
long-temps. Les Sarrasins du Fraxinet ainsi que les pirates la saccagèrent, et les habitans
échappés au massacre et à la servitude, se construisirent de nouvelles demeures sur un
petit coteau exactement vis-à-vis Fréjus, où se trouvaient des ruines romaines qu’on
vient à peine de faire disparaître.
Ce nouveau lieu existait en 1123, d’après une bulle du pape Caliste II, et portait le nom
de Castrum Valla Peis. Il a toujours été une commune indépendante. Il fut détruit, soit
pendant les guerres civiles, soit par le déguerpissement des habitans, occasionné par les
exhalaisons de ses marais. Cependant il conserva son titre et sa qualité, il avait son
maire, son conseil municipal, son juge seigneurial.... A la révolution de 1789, son
territoire, qui était un des plus beaux de l’arrondissement, fut partagé entre les
communes de Fréjus et de Roquebrune, où les habitans de Villepey s’étaient réfugiés.
Saint Aigulfe, appelé par les gens du pays saint Aigout ou Aigoux, est un cap situé au
bord de la mer, dans le territoire de Villepey. Il y existe deux vastes souterrains dans
lesquels on renferme aujourd’hui des troupeaux. Les voûtes sont formées de ce ciment
romain qui paraît indestructible, à telles enseignes que, pour pratiquer une ouverture, on
a été obligé de faire jouer la mine.
Quoique le climat de Villepey ne soit plus aussi fâcheux que ce qu’il était il y a quelque
temps, les habitans ont besoin de se précautionner pendant l’été, parce que les grands
étangs qu’il y a ne laissent pas que d’exhaler un certain méphitisme qui cause des fièvres
intermittentes. Cependant les travaux qui y ont été faits sont singulièrement amendés. Il
serait trèsfacile et très-avantageux d’y établir de grandes pêcheries, ainsi qu’il y en a à
Hyères et aux Martigues, parce que les poissons de toutes qualités, et particulièrement le
turbot, la sole, l’anguille, l’alauze, y abondent. Tout ce poisson y est amené par la mer,
qui communique avec ces étangs.
A l’extrémité supérieure du territoire se trouve un autre étang d’eau douce, qui contient
une grande quantité de carpes d’une grosseur monstrueuse, puisqu’il en est qui pèsent
plus de quatre-vingts livres, il contient aussi, et en grande quantité, d’énormes moules
fluviatiles. Cet étang est avivé par plusieurs ruisseaux, et il se dégorge dans l’étang
d’eau salée.
Les terres de Villepey sont susceptibles de toutes sortes de cultures, et principalement en
céréales. Elles sont extrêmement fécondes, et le fleuve d’Argens, qui les arrose, est
cause de cette fécondité. La température en est très-douce; les orangers, les citronniers
n’ont pas besoin d’y être abrités; l’olivier y croît très-bien et y est productif, les coteaux
sont couverts de cistes ladanifères, de chênes-liège, d’arbousiers et de myrthes, dont la
fleur parfume la campagne, et le fruit sert de nourriture aux merles et aux grives qui y
séjournent tout l’hiver. Dans cette saison, les gourmets de la contrée ne trouvent pas de
plus friands morceaux que les merles de nerte, qu’on prend à des attrapes dans les
bosquets parfumés de Villepey.
VISAN. Village du canton de Valréas, à 5 lieues d’Orange, sur le Lez, qui arrose la
plaine et la rend productive, principalement en blé, légumes, plantes potagères, foins et
fruits exquis. Les montagnes offrent une infinité de coquillages fossiles et pétrifiés. On
élève dans le pays des vers à soie. Population 2,120 hab.
VOCONCII. Peuple celto-Lygien qui occupait le nord de Sisteron ainsi que la vallée du
Jabron jusqu’à la Durance, et qui avait pour capitale Vaison.
Z
ZACHARIE (SAINT). Bourg du canton de Saint-Maximin, à 7 lieues de Brignoles, au
pied du pas de la Sambuque. Ce bourg est fort ancien. Toute la vallée de l’Huveaune fut
distribuée à des capitaines romains. Ils y construisirent des maisons de campagne qu’ils
embellirent selon leurs fortunes et leur bon goût. Aussi, dans la campagne de Saint-
Zacharie, on a trouvé des pavés en mosaïque, de petites colonnes qui, d’après certaines
inscriptions, avaient servi à un temple dédié aux déesses-mères, ou plutôt aux mauvaises
déesses, à qui le peuple offrait des sacrifices pour les apaiser. Une de ces inscriptions,
dont la première ligne est effacée, montre encore ces mots:
MATRIBVS
VBELKABVS
V. S. L M.
SEX. LICINIVS
SVCCESSVS
Les ruines d’un ancien village nommé Orgnion se trouvent sur le penchant d’une
montagne, près du chemin qui conduit à la Sainte-Baume. Là on a découvert, dans une
vieille chapelle, un petit autel dédié au dieu Mars, ainsi qu’on peut en juger par
l’inscription qui s’y trouve gravée.
MARTIGIA
RINO.
V. S.
SEXT. IVL.
FIRMINVS.
Marti Giarino votem solvit Sextus Julius Firminus.
FIN
© CIEL d’Oc
Janvié 2004