Lena Clarke - Ensorcelée

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Ensorcelée

Lena Clarke

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Minuit

— J’attire à moi ceux qui me plaisent, ils m’offrent leur cœur sans
condition. Ô Aphrodite, déesse de l’amour, prête-moi ta force. Vif
comme le vent, ardent comme le feu, le sortilège du désir vole et
allume la flamme de la passion que je leur inspire.

Assise entre Liliana et Agatha, je me demande comment j’ai pu me


laisser entraîner dans toute cette histoire. Nous sommes en pleine
forêt, installées en cercle autour d’une sorte de mini chaudron dans
lequel Krystal incorpore plusieurs ingrédients. À chaque nouvel
élément, elle déclame son sortilège, sortilège que nous sommes
ensuite censées répéter.

Si les onze autres filles s’en donnent à cœur joie, je suis pour ma
part assez réservée. À ma gauche, Liliana m’a déjà rappelée à
l’ordre plus d’une fois en me plantant son coude dans les côtes. Or,
si ma présence est étonnante, la sienne est carrément stupéfiante.
Je ne saisis pas pourquoi elle a accepté de se prêter à ce petit jeu.
Concocter un philtre d’amour pour Halloween est vraiment une
idée stupide. D’autant plus que l’incantation liée à celui-ci n’a rien
d’habituel.

— Et maintenant, à l’aide de ce poignard, coupez-vous une mèche


de cheveux et plongez-la dans la potion.

Après avoir montré l’exemple en ajoutant une boucle brune à


la mixture de couleur rose, Krystal tend l’ustensile tranchant à
Dahlia. Celle-ci obéit aux ordres, avant de le donner ensuite à sa
jumelle, Danaë. Sans hésitation, chacune des membres de notre
coven1 procède au même rituel. Personne ne remet en doute les
1 Coven : Rassemblement de sorcières, généralement au nombre de treize.

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instructions de notre grande prêtresse. Quand mon tour arrive, je
retiens un soupir. Je n’ai strictement aucune envie de me plier à cet
exercice, mais j’ai le pressentiment que me défiler me serait très
préjudiciable.

À contrecœur, j’attrape l’une de mes mèches rousses du dessous,


puis après m’en être délestée, je la joins aux autres. À ce stade, le
liquide se révèle rouge foncé. Liliana est la seule à ne pas s’être
encore prêtée au rituel et, au moment où ses cheveux blond clair
se mettent à flotter à la surface, une petite explosion se produit. Je
sursaute, examine l’épaisse fumée rougeâtre qui s’élève dans les
airs, laquelle est probablement signe de réussite. À mes côtés, tout
le monde paraît surexcité.

— Répétez une dernière fois après moi : J’attire à moi ceux qui me
plaisent, ils m’offrent leur cœur sans condition. Ô Aphrodite, déesse
de l’amour, prête-moi ta force. Vif comme le vent, ardent comme le
feu, le sortilège du désir vole et allume la flamme de la passion que
je leur inspire.

Tout en psalmodiant ces paroles, Krystal fait tomber des pétales


de rose dans le chaudron. Je réalise que je devrais m’estimer
heureuse. Cette fois-ci, aucun ingrédient étrange n’a été utilisé.
Depuis le début, notre guide s’est contentée de gingembre, de jus de
framboise, de valériane, de miel et de rhum. Tout ça me semble trop
normal. D’un coup, toutes les bougies autour de nous s’éteignent
simultanément quand notre incantation s’achève. Je regrette
immédiatement ma pensée précédente. Après pareil phénomène, il
m’est difficile de remettre en doute le côté magique de la chose.

Dans le ciel, la pleine lune nous éclaire de ses rayons. Il s’agit d’une
nuit idéale pour quiconque souhaite lancer un sortilège. D’ailleurs,
je suis certaine que les sorcières du monde entier s’en donnent
à cœur joie. Un coup d’œil sur mon téléphone coincé dans la
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poche de ma veste m’indique qu’il est minuit. Le 31 octobre vient
officiellement de débuter. Or, j’ai déjà hâte de voir cette journée
toucher à sa fin.

— Est-ce qu’on doit boire cette chose ? demande Melody avec un air
dégoûté.

— Non, nous allons procéder autrement.

Tranquillement, joignant le geste à la parole, Krystal sort un tube


de rouge à lèvres de son sac. Elle l’ouvre, le trempe dans la mixture,
puis l’applique généreusement sur sa bouche. Malgré le manque
de luminosité, je suis parfaitement à même de la voir prendre une
couleur carmin, couleur qui s’estompe légèrement après le passage
de sa langue.

— La potion nécessite un peu de salive. Dahlia…

D’une voix douce, elle appelle sa meilleure amie, laquelle ne se fait


pas prier pour tourner la tête dans sa direction. Ensuite, tout se
déroule en une fraction de seconde. Notre grande prêtresse pose
ses lèvres sur les siennes avec rapidité, et l’invite à faire de même
avec sa voisine.

— Rien de mieux qu’un baiser pour renforcer les effets d’un


sortilège. Il va s’imprégner de notre magie à toutes. Croyez-moi,
personne ne pourra y résister.

Après deux mois à la Blackwell Academy, plus rien ne devrait me


surprendre. Pourtant, Krystal parvient toujours à se renouveler,
et à rendre nos réunions plus étranges de semaine en semaine. Si
quelqu’un d’extérieur à notre groupe était passé à proximité à ce
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moment précis, il aurait à coup sûr fait une drôle de tête en nous
voyant nous embrasser les unes après les autres. Heureusement,
nous portons encore nos vêtements. Jusqu’ici, il n’a jamais été
question de danser toute nue autour d’un quelconque feu ni de
déambuler en tenue d’Ève pour communier avec la nature. Je
demeure néanmoins très méfiante. Avec Krystal, tout est possible,
absolument tout.

Résolue à en finir au plus vite, je presse ma bouche brièvement


contre celle d’Agatha, avant de pivoter en direction de Liliana. Je
suis parfaitement stoïque. Pour moi, il s’agit d’un banal contact
physique, semblable en termes d’émotion à une poignée de main.
Cependant, en voyant ma marraine rougir, je comprends que pour
elle un baiser reste un baiser. Plus âgée que moi de deux ans, elle
a accepté de me prendre sous son aile à mon arrivée. D’un point
de vue éducatif, grâce à Liliana, je parviens de mieux en mieux
à maîtriser mes pouvoirs, à canaliser mon énergie magique, et à
assumer mon héritage. D’un point de vue plus personnel, elle est un
peu la sœur que je n’ai jamais eue, ce qui m’amène à me confier très
régulièrement à elle.

— Ça ne compte pas, lui murmuré-je avant d’effleurer ses lèvres


durant une seconde.

Je sais ce qui la dérange. Le problème ne vient pas d’une


quelconque timidité, mais du fait qu’elle est déjà engagée. La
bague à son annulaire gauche le prouve, et même si apparemment
personne n’a jamais rencontré la fameuse fiancée, je m’efforce de
croire qu’elle existe bel et bien. Liliana n’en parle pas beaucoup,
cependant ses yeux bleu clair pétillent de joie à chaque évocation de
la dénommée Kendra. Simuler un tel bonheur me paraît impossible,
si bien que, contrairement aux autres filles, je suis convaincue de la
bonne foi de mon amie.

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— Comment ça fonctionne au juste ? interroge Maxine. Qu’est-ce
qu’il faut faire pour envoûter quelqu’un ?

— L’embrasser. Un baiser, et cette personne te sera totalement


dévouée. Elle obéira au moindre de tes ordres, au moindre de tes
désirs, ajoute Krystal avec un sourire satisfait. Ça marche aussi bien
pour ceux que vous souhaitez séduire que pour ceux à qui vous
voulez jouer un petit tour. Dans le second cas, inutile de viser les
lèvres, n’importe quel endroit fera l’affaire.

— Et tu es sûre que le charme se lèvera de lui-même à minuit ?


questionne Rebecca.

— Sûre et certaine. C’est l’occasion de vous amuser. J’ai même déjà


prévu un sortilège d’oubli au cas où certaines seraient un peu trop
zélées, et auraient besoin d’effacer les preuves incriminantes.

Un mauvais pressentiment me noue l’estomac au moment où


son regard se pose sur Agatha. Cette dernière se met à lui sourire
innocemment, un sourire qui en dit long sur sa tendance à toujours
se retrouver dans de beaux draps. Je pourrais en parler, faire part au
groupe de mes doutes, mais mon instinct me conseille de garder le
silence. Je me suis trop fait remarquer récemment. Je ne tiens pas à
passer pour une rabat-joie, d’autant qu’au fond, tout ça ne va durer
que vingt-quatre petites heures. Que peut-il bien se produire de si
terrible dans une période de temps aussi courte ?

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04h00

Allongée sur mon lit une place, bien enroulée dans ma couette, je
me réveille brusquement en entendant le bruit de la porte qui
s’ouvre. À moitié dans le brouillard, j’aperçois ma colocataire entrer
tranquillement dans notre chambre. Au travers de l’unique fenêtre
de la pièce, masquée par un simple store à lamelles blanches, les
rayons de la lune arrivent à filtrer. Je n’ai pas besoin de regarder
l’heure pour savoir que nous sommes encore en plein milieu de la
nuit. Tout comme je n’ai pas besoin d’attendre longtemps pour voir
Jehanne se débarrasser de la serviette posée sur ses épaules en la
laissant tomber nonchalamment au sol.

En dessous et comme à son habitude, cette exhibitionniste ne porte


rien, ou presque. Je devrais m’estimer heureuse. D’ordinaire, il n’y
a aucun shorty noir pour lui couvrir les fesses. Je ne compte plus
le nombre de fois où je l’ai aperçue nue, chose qui bien sûr ne la
dérange pas le moins du monde. Je dirais même que m’entendre
m’emporter sur son manque de pudeur est devenu source de plaisir
pour elle.

Je m’efforce de me contenir. Aujourd’hui, je ne vais pas craquer.


Le fait que ses cheveux bruns mi-longs soient mouillés et que des
gouttes continuent à tomber le long de son dos me renseigne sur
l’endroit d’où elle vient. Apparemment, elle sort de la douche. Je
préfère ne même pas imaginer quel genre d’activité a précédé cette
virée nocturne dans la salle de bain commune. Quoique, à bien y
réfléchir, le mystère n’est vraiment pas difficile à élucider. Jehanne
est une lycanthrope. À coup sûr, l’appel de la lune a été irrésistible,
et elle a passé les dernières heures à crapahuter dans les bois sous
sa forme animale.

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— La vue te plaît ? demande-t-elle, avec amusement.

Prise en flagrant délit, je sursaute légèrement. Comment a-t-elle fait


pour savoir que j’étais en train de l’observer ? Toujours de dos par
rapport à moi, elle tourne la tête dans ma direction, et en un instant,
toute ma maîtrise s’envole en fumée. Son sourire me donne des
envies de meurtre. J’ai réussi à résister à mes pulsions assassines
durant deux longs mois, mais rien ne garantit que ce soit le cas
encore longtemps.

— Tu m’as réveillée, rétorqué-je, agacée.

— Un réveil agréable, non ?

— Agréable ? répété-je en me redressant. Tu plaisantes, j’espère ?


Qui aimerait se faire réveiller à…

Je marque une pause, le temps de jeter un œil à mon téléphone posé


sur la table de chevet.

— À 4h00 du matin ! Contrairement à certaines qui se la coulent


douce, j’ai une journée chargée demain, enfin tout à l’heure ! Et à
cause de toi, elle commence déjà très mal.

Au lieu de s’excuser, et sans prêter attention à mes babillages,


Jehanne s’affale sur son lit. Situé de l’autre côté de la pièce, soit à
peine à quelques mètres, il est exactement de la même taille que le
mien. Pourtant, avec la jeune femme dessus, il paraît plus petit. Il
faut dire que, et j’ai beau rechigner à le reconnaître, elle possède un
corps assez impressionnant. Musclé, longiligne, sans imperfection
notable…

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— Tu m’écoutes au moins ? interrogé-je en la voyant replier son
bras sur ses yeux.

— Hmm…

— Tu n’as pas intérêt à t’endormir maintenant ! Pas avant que moi


j’aie retrouvé le sommeil !

Insensible à mes récriminations, ou comme pour me narguer


davantage, ma colocataire abandonne sa position sur le dos pour
se tourner sur le côté. De là où je suis, j’ai une vue directe sur le
tatouage qui serpente à proximité de sa nuque et qui s’étend de
son omoplate droite à son omoplate gauche. Des symboles anciens
entourés par une sorte de voile brumeux et par la lune en arrière-
fond y sont représentés.

— Tu ne perds vraiment rien pour attendre, maugréé-je entre mes


dents.

De mauvaise humeur, car je sais que je n’obtiendrais plus rien d’elle,


je me rallonge. Mon regard trouve les étoiles phosphorescentes
accrochées au plafond. J’essaie de me calmer en les comptant une
à une, malheureusement cela n’a aucun effet. Les yeux grands
ouverts, je souffle, avant de me concentrer sur le reste de la
chambre. Cette dernière n’est pas bien grande. Les deux lits, les
deux bureaux et l’armoire commune prennent la majorité de
l’espace. La guitare de Jehanne traîne contre le mur, juste à côté de
mon clavier dont je ne me suis pas servie depuis un moment.

À force de persévérance, j’ai fini par obtenir de la jeune


femme qu’elle range ses affaires. Probablement que les lancer
systématiquement par la fenêtre a joué, mais je me félicite de

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ma victoire. Plus aucun vêtement ne jonche le sol. Je peux y poser
les pieds en toute quiétude, sans avoir à me soucier de glisser
malencontreusement sur une chaussette orpheline. C’est là, alors
que je repense à toutes les fois où j’ai manqué de me fouler la
cheville qu’un détail me revient en mémoire.

Je me redresse aussitôt, et me mets à fixer la serviette abandonnée


sur la moquette. Mes sourcils se froncent. Il s’agit clairement d’une
provocation, une provocation que je ne compte pas laisser passer.
En un instant, je déplie les doigts, puis effectue un petit geste de la
main, lequel suffit à envoyer l’élément perturbateur droit sur la tête
de ma colocataire. Je sais que c’est puéril. J’entends d’ailleurs dans
un coin de mon esprit, un coin très éloigné, la voix de Liliana me
rappeler que la magie doit être utilisée à bon escient. Seulement, ce
conseil avisé est atténué par la vague de satisfaction qui s’abat sur
moi.

Je me sens mieux tout à coup, beaucoup mieux. Ce contentement


me permet de retrouver mon oreiller avec davantage de sérénité.
Je ferme les yeux, attends que le sommeil vienne m’emporter,
pourtant d’un seul coup, c’est toute autre chose qui se présente à
moi. Les ressorts du matelas de ma colocataire ont à peine le temps
d’émettre un petit bruit que déjà elle se tient à ma hauteur. J’ignore
comment, mais elle atteint mon lit en un temps record et parvient
même à se glisser sous ma couette avant que mon cerveau n’ait pu
réagir.

— Qu’est-ce que… murmuré-je, choquée.

— Tu as gagné, je vais t’aider à faire de beaux rêves.

À quatre pattes au-dessus de moi, l’étudiante me paraît


brusquement plus impressionnante que d’habitude. Ses yeux

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d’ordinaire marron clair semblent flamboyer malgré la relative
obscurité. Ne m’y attendant pas, je reste tétanisée à l’observer
silencieusement. Je devrais lui être insensible, je voudrais lui être
insensible, mais au moment où son corps se rapproche du mien,
des frissons se mettent à courir le long mon épiderme. Plus chaud
que le mien, il me fait oublier brièvement où je me trouve, et surtout
avec qui.

Elle se penche et en un instant, tout s’intensifie. Mon rythme


cardiaque, les picotements sur ma peau… je suis soudain totalement
à sa merci. Son souffle dans mon cou est irrésistible. Je me mets à
déglutir, puis à me tortiller quand le bout de ses doigts s’aventure
sur ma hanche, sous mon pyjama. Elle m’effleure à peine, pourtant
les sensations sont bien réelles. En réaction, mon ventre se creuse,
quant à ma poitrine elle se soulève vivement.

— Je savais bien que tu n’attendais que ça, glisse-t-elle à mon


oreille.

Comme un électrochoc, le ton moqueur de sa voix me ramène


à la réalité. Je tente aussitôt de la repousser en appuyant sur
ses épaules, malheureusement mon mouvement reste sans
conséquence. La différence de force physique entre nous est
flagrante. Elle ne bouge pas d’un millimètre, et a même l’audace de
me sourire largement.

— Désolée, princesse, je préfère être au-dessus. Mais ne t’inquiète


pas, je te garantis que tu seras loin de t’en plaindre.

De colère et de gêne, mon visage prend des couleurs. Contre


mes côtes, sa main effectue une douce caresse. À nouveau, je
frissonne, sauf qu’il est hors de question de céder à l’envie physique
déclenchée par ce contact.

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— Pousse-toi tout de suite, lui ordonné-je avec énervement.

— Non.

— Comment ça, non ? Dégage !

Cette fois-ci, et plutôt que de compter sur des muscles inexistants,


je décide d’user de magie. Après tout, il s’agit d’un cas de force
majeure. Je cours clairement un danger, un danger pas totalement
désagréable, mais un danger tout de même. Mes doigts se mettent
à crépiter. Dans mes veines, mon sang bouillonne. La faire tomber
au sol, voilà ce que je désire. Ce n’est pas compliqué. Il me suffit de
faire appel à mon affinité avec l’élément de l’air, et de me servir de
mes pouvoirs de lévitation.

Concentrée, je libère une faible quantité de magie, qui à ma plus


grande surprise n’a aucun effet sur la jeune femme. Pourtant, je sais
que ça fonctionne. J’en ai la preuve avec ses cheveux qui virevoltent
autour de son visage. Alors pourquoi reste-t-elle de marbre avec ce
sourire arrogant et insupportable ?

— Quelle petite brise rafraîchissante, me nargue-t-elle.

— Qu’est-ce que tu m’as fait ? Pourquoi ça ne marche pas ?

— Oh, mais si, ça marche, ou plutôt ça chatouille. Seulement vois-tu,


c’est nuit de pleine lune, alors…

— Alors en tant que loup-garou, tu es immunisée contre la magie


élémentaire, finis-je avec une voix blanche.

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Comment ai-je pu oublier ce détail ? Je me fustige mentalement,
tandis qu’en face, Jehanne vient d’attraper mes deux mains dans
l’une des siennes pour les maintenir au-dessus de ma tête. À cet
instant, je songe à me servir d’une formule, à utiliser un autre type
de magie. Les mots me brûlent les lèvres, pourtant je parviens à
garder à l’esprit que ces sortilèges sont aussi forts qu’imprévisibles.
Par peur de créer une véritable tornade à l’intérieur de la chambre,
ou même de démolir le bâtiment entier par accident, je me contiens.

— Du coup, je dirais qu’il faut être une petite sorcière très


imprudente pour m’attaquer durant ce laps de temps.

Réjouie comme jamais, la lycanthrope semble irradier de bonheur.


Avec lenteur, elle laisse courir son regard sur le haut de mon corps,
puis entreprend d’effleurer les boutons de mon pyjama avec sa
main libre. Une plainte, ou plutôt une insulte, manque de franchir la
barrière de mes lèvres, cependant n’étant pas en position de force,
je la retiens au dernier moment. Il est évident que dès demain, ou
plutôt après-demain, une fois les effets de la pleine lune totalement
dissipés, je me vengerai. Seulement pour le moment, je dois faire
preuve de stratégie.

— Je ne t’ai pas attaquée. J’ai simplement… fait un peu de


rangement, tenté-je avec le plus de douceur possible dans la voix.

— Mon visage ressemble à une armoire ?

— Non, bien sûr que non. C’est juste, tu sais, je débute à peine dans
l’art de la magie. Il m’arrive d’avoir quelques ratés.

Pas dupe, Jehanne me laisse finir ma phrase, tout en jouant avec


mon premier bouton. L’ouvrir reviendrait à exposer le haut de ma

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poitrine. Je devrais en être horrifiée, malheureusement ce que je
ressens a tendance à me faire perdre de vue le côté déplaisant de
cette situation. Certaines images inavouables me traversent l’esprit,
des images qui ont une incidence directe sur la couleur de mes
joues.

— Tu es une mauvaise menteuse, prononce-t-elle en se


débarrassant du bouton récalcitrant. Et les menteuses doivent être
punies.

J’ai beau me répéter mentalement que je la déteste, mon cœur lui


n’est pas si facile à tromper. Ce traître se met à battre plus vite
quand ma colocataire écarte les deux pans du pyjama. Puis il pique
un véritable sprint lorsque sa bouche vient effleurer l’espace situé
sous ma gorge.

— Tu vas me le payer, tu sais, menacé-je en déglutissant.

— Je sais, et j’ai hâte.

Plus grave que d’habitude, sa voix semble résonner dans chaque


fibre de mon corps. Je retiens ma respiration par peur qu’elle ne me
trahisse, avant d’inspirer un grand coup en sentant mon assaillante
mordiller le haut de mon sein gauche. Comme pour apaiser la zone,
elle utilise ensuite sa langue, ce qui me donne instantanément
l’impression d’avoir touché le fond. D’un coup, je n’ai plus envie de
râler. Je n’ai plus envie de la faire tomber. Au contraire, sans sa prise
sur mes mains, je suis certaine que ces dernières finiraient dans ses
cheveux, à l’encourager.

L’esprit embrumé par le désir, je me mords la lèvre inférieure.


Je me fais un devoir de rester silencieuse, cependant ma défaite

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est évidente. Une plainte m’échappe quand elle aspire ma peau.
Je suis à même de percevoir la morsure de ses dents, et en dépit
de la douleur, une petite onde de plaisir me pousse à resserrer
les jambes. Il me faut quelques secondes pour réaliser qu’elle
vient de me faire un suçon et que, par conséquent, je vais très
prochainement devoir l’assassiner.

Une fois son œuvre accomplie, la jeune femme revient à ma hauteur.


Comme précédemment je reste interdite devant la profondeur
de son regard. La couleur dorée a totalement envahi ses iris,
ses pupilles sont dilatées, et plus que jamais je ressens l’aura de
prédatrice l’entourant. Mon instinct me crie « danger », pourtant
je n’ai pas peur. Au contraire, je la trouve brusquement irrésistible.
Son souffle chaud balaye mes lèvres. Je devrais tourner la tête, lui
signifier mon désaccord, mais comme hypnotisée, je me contente de
la fixer sans prononcer un mot.

En attente, j’ai l’impression que chaque seconde dure une éternité.


Je veux qu’elle m’embrasse. Je n’ai jamais rien désiré aussi
ardemment. Cette envie me hante depuis notre première rencontre,
et si jusqu’ici j’ai lutté contre cette irrépressible attirance, ce soir j’ai
atteint le point de non-retour. Je sais, non je vois que c’est la même
chose pour Jehanne, pourtant au lieu de m’apporter satisfaction,
elle termine par rouler d’elle-même sur le côté. Toujours sur
mon matelas, elle m’amène contre son buste. Ses doigts se logent
derrière ma tête pour m’obliger à nicher mon visage au creux
de son cou. Par principe, je tente de résister, avant de déposer les
armes et d’être distraite quelques instants par son odeur. Sa peau
sent la forêt, un parfum de pin et de terre mouillée qui à mon plus
grand regret ne me laisse pas indifférente.

— Je ne suis pas ta peluche. Retourne dans ton lit, lâché-je en


essayant de masquer mon trouble.

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— Le tien est plus confortable.

— Tu inventes vraiment n’importe quoi, soufflé-je.

Étrangement détendue, j’abdique. Afin de mieux m’installer, mon


bras entoure sa taille, et je me presse davantage contre elle. Dans
la mesure où il ne reste que quelques heures avant le matin, je me
convaincs de l’absence de gravité de la situation. Au pire, je nierai
si jamais elle me rappelle cet épisode. Je ferme les yeux, et alors
que sa chaleur me berce, le sortilège lancé plus tôt dans la nuit
me revient en mémoire. Ma bouche est si proche de son cou qu’il
me serait facile de l’embrasser. Pour me venger, il me suffirait de
déposer mes lèvres contre sa jugulaire, puis d’en faire mon esclave
durant les vingt prochaines heures.

J’hésite. La tentation est forte, pourtant je résiste. Pas à cause d’un


quelconque problème moral, mais à cause de ses doigts en train de
caresser lentement mes cheveux bouclés. Sa respiration régulière
m’indique qu’elle sombre, si bien que ces gestes tendres sont
effectués sans aucune préméditation. L’envoûter maintenant me
semble impossible. Toute volonté me quitte, et je finis à mon tour
par rejoindre le monde onirique.

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12h00

Perplexe depuis mon entrée dans cet amphithéâtre deux heures


plus tôt, je secoue la tête en voyant l’équipe de basket masculine
ranger les affaires d’Agatha. Telle une reine, mon amie leur lance
des ordres d’un simple mouvement de la main et ils s’agitent autour
d’elle. Elle ne semble pas le moins du monde se sentir coupable de
profiter ainsi de la situation, au contraire elle s’en donne à cœur
joie. En se levant, Agatha tend les bras et, instantanément, l’un de
ses sujets s’empresse de lui enfiler son manteau.

D’un point de vue extérieur, la scène pourrait paraître anormale,


pourtant personne n’y fait attention. Je suppose que tous les
étudiants scolarisés ici ont l’habitude de voir plus étrange. Au
lieu de s’interroger, ils sortent par petits groupes de la salle. Je
remarque bien vite que je suis parmi les dernières, ce qui me
pousse à me dépêcher. Mon ordinateur portable termine dans mon
sac en bandoulière, mes cheveux attachés en chignon bas sous
mon bonnet, et alors que je m’apprête à mettre ma veste, je suis
devancée par l’un des joueurs à la botte de mon amie.

— Laisse-moi t’aider.

Avec précipitation, il se saisit du vêtement en laine noir et attends


visiblement que je lui présente mon bras.

— Je peux le faire toute seule.

Comment s’appelle-t-il, déjà ? James ? Jake ? Tout ce que je sais,


c’est qu’avant aujourd’hui nous ne nous sommes jamais adressé la
parole.

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— Tu aurais tort de t’en priver, commente mon amie.

Dans l’allée jouxtant mon siège, Agatha me fixe de ses grands


yeux marron. Sa main passe dans ses cheveux châtains coupés au
carré, puis avec un sourire elle claque des doigts. Instantanément,
le garçon à sa gauche, avec qui j’ai réalisé mon dernier travail de
groupe, approche pour se saisir de mon sac. Même si j’ai dans
l’idée première de lutter, je comprends rapidement que ce serait de
l’énergie perdue en vain.

— Tu avais vraiment besoin d’autant d’esclaves ? soupiré-je en


laissant le supposé Jake exécuter l’ordre de mon aînée.

— Besoin, non. La possibilité, oui.

Mon manteau sur le dos, je me décide à quitter ma position et suis


aussitôt accueillie par le bras d’Agatha qui vient se souder au mien.

— Oh, allez, ne fais pas cette tête. C’est drôle, avoue ?

— C’est plutôt inquiétant, si tu veux mon avis. Avoir cinq types qui
me collent aux basques est loin d’être quelque chose qui me fait
rêver.

— Si tu trouves que c’est beaucoup, attends de découvrir le


harem constitué par les jumelles. À ce rythme, d’ici ce soir tous
les étudiants n’auront d’yeux que pour nous. Pas que les étudiants
d’ailleurs…

En la voyant faire les yeux doux à notre professeur d’économie


toujours installé à son bureau, je soupire et l’entraîne avec moi

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en direction de la sortie. Deux des garçons envoûtés s’empressent
de nous ouvrir la porte et, une fois dans le couloir, je suis à même
de réaliser pleinement l’ampleur du sortilège lancé douze heures
plus tôt. Dehors et dans le parc de l’université visible depuis la
fenêtre à ma gauche, j’aperçois quatre de mes sœurs être escortées
vers la cafétéria par une véritable petite foule. Apparemment, la
modération est loin d’être inscrite dans nos gènes de sorcières.
Soudain, je me demande si, tout comme les autres, Liliana a cédé à
la tentation. Étant donné son embarras lié à notre baiser de minuit,
j’ai du mal à l’imaginer embrasser qui que ce soit. Sans compter que
la visualiser entourée par une horde d’esclaves est presque contre
nature. Douce et calme, elle ne me paraît pas être faite pour donner
des ordres à tout va et encore moins pour profiter d’une telle
situation.

— Tu ne sais pas le meilleur ? On peut littéralement s’échanger


nos victimes. Si quelqu’un obéit à l’une d’entre nous, il obéit
automatiquement aux autres. Du coup, n’hésite pas. Si tu en veux
un, je te le laisse avec plaisir.

— Non merci, ça ira. Si j’ai besoin d’un serviteur, je me le trouverai


seule.

— Dans ce cas, ne tarde pas trop. Certaines filles ont fait un pari
pour savoir laquelle réussirait à envoûter le plus grand nombre
de personnes. Les minutes passent et les candidats se raréfient.
D’ailleurs, tu m’excuseras, mais il est hors de question que celui-ci
me file entre les doigts…

Plus rapide que l’éclair, Agatha se détache subitement et, en un rien


de temps, rejoint un étudiant métis qui me dit vaguement quelque
chose. Je demeure plantée là, à observer mon amie en train de
minauder, jusqu’à finalement me souvenir de qui il s’agit. Conrad
Storm, le cousin de Jehanne, et accessoirement loup-garou lui aussi.
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Dans un premier temps, je suis étonnée. Peu habituée à voir l’un
d’entre eux déambuler seul, je m’attends presque à ce que le
reste du groupe surgisse dans la seconde. Je me retrouve même à
examiner les alentours du regard. Lorsque je me rends compte de
qui je recherche plus particulièrement, je me reprends aussitôt.

— Will, mon sac, lancé-je en retenant le jeune homme prêt à


rejoindre sa maîtresse.

Privé de libre arbitre, le joueur de basket s’arrête net. Il se tourne


vers moi, me tend l’objet, puis semble hésiter. Son attention passe
d’Agatha à moi, comme s’il ne savait plus qui suivre, si bien que je
décide d’abréger ses souffrances.

— Tu peux y aller. Quoique, attends, non. Tu dois sûrement te sentir


très fatigué. Pourquoi tu n’irais pas te reposer ?

— Me reposer, oui, c’est une bonne idée, approuve-t-il sur un ton


monocorde.

— Dans ta chambre, et tu ne sors pas avant minuit, d’accord ?

— C’est compris, je ne sors pas et je me repose.

J’acquiesce, et alors qu’il tourne les talons en direction des


résidences étudiantes, je me dirige vers la serre. Loin d’avoir
accompli une bonne action, j’ai plutôt la sensation de m’être
acquittée d’une vieille dette. Le A obtenu lors du dernier devoir
commun, après avoir lancé un sort pour faire croire que j’avais
participé, me pèse soudain beaucoup moins sur la conscience. J’ai
même l’impression que mon karma vient de s’alléger d’un seul
coup.
20
Je rajuste mon sac sur mon épaule et une fois à l’extérieur, je profite
de la brise automnale qui entraîne quelques feuilles autour de moi.
Les arbres bordant les allées constituées de pavés se sont parés
de leurs plus belles couleurs. Sensible au camaïeu de rouge qui
s’étend aux alentours, je ne me presse pas. Je longe les bâtiments
de style gothique où j’ai pris l’habitude d’étudier, passe devant la
bibliothèque étrangement désertée et rejoins la grande serre située
aux abords de la forêt.

À chaque pas, mes bottines à talons produisent un petit crissement


lorsqu’elles s’écrasent sur la pierre au sol. Emmitouflée dans mon
pull noir, je frissonne néanmoins quand une bourrasque glacée me
frappe de plein fouet. Ma mini-jupe droite en tartan rouge ondule
contre mes cuisses recouvertes d’un épais collant.

Par réflexe, je pose ma main dessus, avant de tourner la tête en


direction des bois. L’étrange sensation d’être observée me saisit.
Ma nuque me démange et je fouille l’orée de la forêt du regard. Une
recherche vaine, puisque je ne distingue que les arbres. Pourtant
j’aurais juré avoir senti quelqu’un, ou quelque chose, m’épier.
J’hésite à aller vérifier, à m’approcher plus près, mais au même
moment, la porte de la serre située devant moi s’entrouvre.

— Kara ? Qu’est-ce que tu fais ?

En entendant la voix de Liliana, l’inquiétude qui me noue l’estomac


disparaît aussitôt. Comme d’habitude, la présence de la jeune
femme me détend instantanément et je lui réponds par un sourire.

— Rien, rien du tout. On va manger ?

Alors qu’elle s’efface pour me laisser passer, je m’empresse de


retirer ma veste ainsi que mon bonnet. Les températures dans la
21
serre sont nettement plus élevées qu’à l’extérieur et la blonde y
semble parfaitement dans son élément. Ses longs cheveux tressés
en une simple natte de côté sont parsemés de petites fleurs d’aster
bleu assorties à ses iris et au gilet ample qu’elle a enfilé au-dessus
d’une robe qui lui arrive aux chevilles. Sur quelqu’un d’autre, ces
vêtements auraient l’air ridicules. Moi-même, habillée de cette
façon, je ressemblerais probablement à une hippie sortie tout droit
des années 60, si bien qu’à mes yeux, réussir à avoir du style dans
cet accoutrement représente un véritable tour de force.

Comme tous les mercredis midi, nous rejoignons l’espace aménagé


dans la roseraie. Des buissons roses, rouges, blancs et même
lilas nous accueillent. Toujours en fleurs, ces derniers paraissent
répondre à la présence de Liliana. Dans un périmètre de dix
mètres autour de la sorcière, chaque plante apparaît plus vive,
plus éclatante de santé. La table ronde en fer située au centre du
lieu est déjà recouverte par divers aliments d’ordinaire réservés à
un pique-nique. Les chaises tout autour sont vides, et quelque part
j’en suis rassurée. Imaginer ma marraine en compagnie d’une horde
d’esclaves est définitivement contre nature.

— Les autres ne sont pas encore arrivées ? demandé-je en


m’installant.

— Je doute qu’elles viennent. Pour tout te dire, je doutais même de


te voir toi.

— Comme si j’allais me priver de tes délicieux mini sandwichs.

Sans faire de manière, je saisis l’un d’entre eux et en dévore une


bonne moitié.

22
— Tu aurais pu trouver meilleur à te mettre sous la dent,
commente-t-elle avec calme.

— Comme quoi, par exemple ?

— Oh, je ne sais pas, ta colocataire ?

Ne m’y attendant pas, je manque de m’étouffer. Je tousse soudain,


prête à cracher mes poumons. Elle n’a pas osé ! Le choc n’est
cependant rien face à ce bout de salade coincé dans ma gorge qui
m’empêche de respirer. Devant ma détresse, Liliana reste stoïque
et me tend simplement un verre d’eau. Je l’avale d’une traite et la
regarde avec consternation.

— Ce n’est pas drôle comme blague !

— Tant mieux, car ce n’était pas une blague.

Sourire aux lèvres, la sorcière attrape un morceau de fromage et


commence à en recouvrir une tartine. Un instant, je me demande si
en plus de ses dons avec la nature, elle ne possède pas un don de
voyance. Ce n’est bien sûr pas la première fois qu’elle me taquine au
sujet de Jehanne. Seulement qu’elle le fasse précisément après cette
nuit est à mes yeux très troublant.

— Je ne comprends pas pourquoi tu me parles d’elle, dis-je avec


mauvaise foi. Tu sais que…

— Tu la détestes ? finit-elle pour moi.

23
— Oui, parfaitement.

— Que tu la considères comme un vulgaire chien galeux ?

— Oui, voilà.

— Que tu préférerais être brûlée vive plutôt que de la laisser poser


ne serait-ce qu’un doigt sur toi ?

— Je… oui… tout à fait…

— Que tu brûlerais vive si elle posait les doigts sur toi ?

— Oui, c’est… attends, non ! protesté-je brusquement.

Amusée, mon amie se met à rire, et moi à me renfrogner. Je viens


d’être piégée en beauté. Pire, à cause de sa réplique, les images
relatives à ce qui s’est passé dans mon lit refont surface. Elles
envahissent mon esprit, me coupant toute capacité de réflexion.
Malgré moi, je porte ma main à ma poitrine, à l’endroit précis où
Jehanne a trouvé bon de laisser sa marque, et juge soudain urgent
de changer de sujet.

— Comment va ta fiancée ? Elle doit bientôt venir te voir, non ?


interrogé-je le plus naturellement possible.

— Oui, très bientôt.

— Pour Thanksgiving ?

24
— Non, ce soir.

Surprise, je cligne des yeux plusieurs fois. Je n’ose croire à ce que je


viens d’entendre, pourtant le visage radieux de Liliana confirme ses
dires.

— Ce soir ? Mais… pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Je te l’ai dit, à l’instant.

Sa petite moue malicieuse me fait secouer la tête. D’angélique,


mon amie n’a que l’apparence. De toutes les membres de notre
coven, elle est de loin la plus calme, pour autant je sais qu’il ne
faut pas la sous-estimer. Appartenant à l’une des plus vieilles
familles de sorcières, la jeune femme possède des pouvoirs qui
défient l’entendement. Jusqu’ici, je ne les ai qu’entraperçus, mais
j’ai parfaitement conscience que mieux vaut ne jamais se mettre
à dos leur propriétaire. Très probablement qu’à la fin de l’année,
lorsque Krystal quittera l’université, Liliana lui succédera en
tant que grande prêtresse. Je me demande un instant comment
se dérouleront les assemblées sous sa présidence, avant de me
souvenir de quelque chose de beaucoup plus important.

— Vos retrouvailles ne risquent pas d’être problématiques ? Tu sais,


à cause du sortilège lancé cette nuit.

— Kendra ne sera pas affectée.

— Pourquoi, c’est une sorcière elle aussi ?

— Non, mais elle est immunisée contre ce genre de magie.

25
— Tu lui as fabriqué un talisman ? questionné-je, avec curiosité.

— Pas de talisman, non.

J’ai beau réfléchir, je ne comprends pas comment sa fiancée pourrait


se prémunir des effets du charme. Même les loups-garous, capables
de résister à la magie élémentaire, sont sans défense face aux
envoûtements.

— Écoute Kara, il y a quelque chose que tu dois savoir. Je ne t’en


ai pas parlé avant parce que ce genre de relation est très mal
considéré, mais…

Pendue à ses lèvres, en attente de la révélation, je sursaute


violemment en entendant un gros bruit provenant de l’entrée de
la serre. Liliana s’interrompt aussitôt dans sa phrase, nous nous
regardons, et sans avoir besoin de communiquer verbalement,
nous décidons d’aller voir de quoi il retourne. J’ai un mauvais
pressentiment. Un mauvais pressentiment probablement partagé,
car la blonde saisit ma main.

D’un point de vue extérieur, ce geste pourrait passer pour une


tentative de réconfort. Se prendre par la main pour se donner du
courage est chose commune, cependant il n’en est rien. Ce n’est pas
la peur qui nous motive, plutôt la prudence. À deux, nous sommes
plus fortes. Le contact physique nous permet de décupler notre
énergie magique et ainsi de répliquer efficacement en cas d’attaque.

Attentives, nous avançons jusqu’aux premiers buissons composant


la roseraie. D’un seul coup, comme sortie de nulle part, Maxine
apparaît. Essoufflée, la jeune femme me saute littéralement dessus
en m’apercevant. Son affolement est perceptible. N’ayant pas

26
l’habitude de la voir autrement que décontractée, je m’inquiète
aussitôt. J’examine brièvement ses cheveux noirs, coupés courts,
actuellement en bataille, remarque l’entaille au niveau de sa
pommette gauche et surtout son absence de manteau. En tee-shirt
et jean, elle paraît avoir croisé un fantôme.

— Heureusement, vous êtes là ! Il faut que vous m’aidiez ! Ils sont


devenus fous, complètement fous.

— Qui ça ?

Les deux mots ont à peine le temps de franchir la barrière de mes


lèvres que d’autres bruits se font entendre. Effrayée, Maxine vient
se réfugier derrière nous, et sous mes yeux stupéfaits, j’aperçois
un garçon être projeté dans les airs. Par réflexe, nous reculons
toutes, puis assistons à un spectacle des plus singuliers. Dans l’allée
menant à notre position, des étudiants sont en train de se battre.
J’en dénombre une petite dizaine, hommes et femmes confondus.
Les insultes fusent entre eux. Chacun essaie de s’échapper de la
mêlée pour nous rejoindre, avant d’être aussitôt rattrapé par le
reste du groupe.

— Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Ils obéissaient


parfaitement et, d’un seul coup, ils ont comme disjoncté !

— D’un seul coup ? Comment ça, d’un seul coup ?

— J’embrassais Stephen et Miranda l’a soudainement poussé pour


prendre sa place. Sur le moment, je n’ai pas vu le mal. Je lui ai rendu
son baiser, et c’est là que les autres ont commencé à l’imiter. Ils
étaient tous autour de moi, à se disputer mes faveurs. Au début, ça
m’amusait, mais quand j’ai essayé de les calmer, je me suis aperçue
qu’ils ne m’écoutaient plus du tout.
27
Paniquée, la jeune femme ne paraît plus vouloir quitter mon dos.
Ses doigts gelés agrippent mon pull dans un geste désespéré. Alors
que je réfléchis à la meilleure manière de gérer la situation, la voix
de Liliana retentit dans les airs.

— C’en est assez !

Le haussement de ton, si rare de sa part, me prend de court. Je


tourne la tête, et remarquant que des massifs de fleurs ont été
sauvagement détruits, je déglutis. Subitement, des racines se
mettent à sortir de terre, puis à s’enrouler à vitesse exponentielle
autour des admirateurs indésirables. Concentrée, ma voisine serre
plus fort ma main et, en à peine quelques secondes, je me rends
compte qu’elle vient tout simplement d’immobiliser l’intégralité de
nos visiteurs. Je prends note du fait que mieux vaut ne pas l’énerver,
surtout lorsque je l’entends ensuite prononcer un sortilège.

— Dormez, rêvez, petits agneaux égarés, de beaux songes jusqu’à


minuit vous ferez.

Instantanément, et alors qu’elles se débattaient jusqu’ici contre


leurs entraves, les personnes devant nous tombent de fatigue.
Leurs yeux se ferment, leurs membres paraissent s’engourdir,
puis, incapables de lutter, les étudiants sombrent dans un profond
sommeil. J’observe ce phénomène avec grand intérêt, tout comme je
ne manque pas de suivre du regard le trajet des chaînes végétales
en train de retourner une à une en terre. Très rapidement, il n’y a
plus aucune trace de leur passage. Le groupe semble simplement
endormi, à même le sol, devant nous. Un léger ronflement s’échappe
de l’un d’entre eux, ce qui pousse Maxine à risquer un coup d’œil
dans leur direction.

— C’est terminé ? Vraiment terminé ? demande-t-elle timidement.

28
— Ils ne te causeront plus aucun problème, confirme Liliana en
relâchant ma main.

Malgré son air détendu, je suis à même de percevoir combien le


processus lui a coûté de l’énergie. Moi-même, je me sens soudain un
peu étourdie.

— Merci beaucoup ! Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans vous.

Même si je n’ai pas l’impression d’avoir beaucoup participé,


l’étudiante de première année me gratifie d’un câlin, avant de faire
de même avec Liliana.

— Évite d’envoûter d’autres personnes, lui conseille notre aînée.


J’ignore ce qui s’est passé, et pourquoi le philtre d’amour a mal
fonctionné avec toi, mais mieux vaut ne prendre aucun risque.

— Alors là, tu peux être rassurée, j’ai eu ma dose pour la journée !


Je n’embrasserai plus personne. D’ailleurs, je vais même déserter le
campus, histoire d’éviter de croiser les autres. Une virée à Salem, ça
vous dit ?

— Désolée, j’ai des impératifs que je ne peux manquer, renseigne


Liliana.

Aussitôt, l’attention de Maxine se reporte sur moi. Ses yeux verts,


un peu plus foncés que les miens, brillent d’espoir. Elle se met à
arborer son plus beau regard de chien battu, devant lequel je tente
de rester inflexible.

— J’ai une dissertation à finir et des cours cet après-midi.

29
— Tu demanderas à quelqu’un de te les envoyer par mail. Quant à
ta dissertation, franchement, je ne sais pas pourquoi tu t’embêtes.
Lance un sortilège sur une page blanche, ou sur le prof directement,
et à toi les A pour le reste de l’année.

— Je ne crois pas que…

— Oh allez, s’il te plaît ! Je vais appeler Rebecca et on passera


le reste de la journée à consolider nos liens entre sorcières de
première année. Il faut se serrer les coudes entre novices.

— Se serrer les coudes ? Tu veux juste t’amuser.

— S’amuser est un très bon moyen de devenir plus proches.

Face à son sourire, je me sens faiblir et surtout, je me demande


pourquoi je lutte. Ai-je envie de passer les prochaines heures dans
un amphithéâtre poussiéreux alors que je pourrais être à quelques
kilomètres en train de déguster une délicieuse part de tarte à la
citrouille ? La réponse est non, définitivement non. Sans compter
que sécher le cours de littérature anglaise me permettra également
d’éviter Jehanne. Ne pas l’avoir revue depuis le moment où je me
suis faiblement endormie dans ses bras me pousse à retarder au
maximum l’échéance.

— Tu as gagné, je viens. J’en profiterai pour renouveler mon stock


de pierres.

— Tu es la meilleure.

Très enthousiaste, la jeune femme dégaine aussitôt son téléphone

30
pour inviter Rebecca à se joindre à nous. De mon côté, je me
rapproche de Liliana et attends que notre amie soit en train de
discuter pour prendre à mon tour la parole discrètement.

— Est-ce que j’ai une petite chance de rencontrer ta fiancée ce soir ?

— Passe me voir dans ma chambre vers 21 heures. Je te la


présenterai.

J’acquiesce, tout en me demandant quand même ce qu’elle


souhaitait me révéler plus tôt. Je m’apprête à lui poser la question
quand Maxine raccroche.

— Elle arrive.

— Pas avec une foule d’admirateurs au moins ? m’inquiété-je.

— Non, toute seule, elle a passé la matinée avec son Adam adoré.
Cela dit, ça ne m’étonnerait pas qu’on le croise « par hasard » au
cours de notre sortie.

31
19h00

Concentrée sur ma partition, un casque sur les oreilles, je laisse


mes doigts courir sur le clavier en essayant de donner vie à La
Campanella de Liszt. Avoir passé l’après-midi à Salem m’a détendue,
suffisamment pour me donner envie de m’exercer. J’ignore depuis
combien de temps je suis enfermée dans ma chambre, mais après
avoir raté cinq fois d’affilée un morceau particulièrement ardu
composé de trilles et d’intervalles de deux octaves, je décide que
c’en est assez. Je souffle et remue les mains tout en jetant un œil à
mon téléphone laissé en mode silencieux sur le bord de mon piano
numérique.

Celui-ci indique 19 h 03, néanmoins ce n’est pas ce qui me marque.


Je suis surprise de découvrir que j’ai neuf appels en absence,
presque autant de SMS, ainsi que plusieurs messages vocaux.
Sourcils froncés, je consulte mon répondeur et discerne aussitôt la
voix de Liliana.

« Je ne sais pas où tu es, mais surtout ne bouge pas ! Ne viens pas au


manoir de la sororité, je répète, ne viens… »

Entendre la communication se couper d’un seul coup me fait froid


dans le dos. Je m’empresse d’écouter les autres, lesquels sont loin
de me rassurer. Pour la plupart, ils sont le fruit d’une erreur de
manipulation. Des bruits parasites ainsi qu’un mélange de sons
indistincts résonnent dans mon oreille.

Je parcours ensuite mes SMS, ou plutôt la conversation de


groupe lancée avec les douze membres de mon coven. Soudain,
je comprends ce qui est en train de se passer. Entre la panique de
certaines et Krystal qui nous enjoint à nous trouver une cachette

32
jusqu’à minuit, je réalise que le philtre d’amour n’a pas seulement
mal fonctionné pour Maxine. Apparemment, une vraie chasse à la
sorcière se joue dehors.

Par réflexe, je me dirige vers ma fenêtre. J’ignore ce que j’espère y


voir. Tout semble calme à l’extérieur. D’ici, j’aperçois la forêt. Je suis
du regard les branches en mouvement et une sensation identique
à celle de ce midi m’assaille. Un frisson parcourt ma colonne
vertébrale. Même si je ne distingue rien, je sais que je suis observée.
Plus fort qu’un pressentiment, cette conviction me pousse aussitôt à
refermer les stores. Je recule, examine ma porte, ou plutôt le verrou
cassé qui s’y trouve, avant d’insulter mentalement Jehanne.

Je me souviens parfaitement du moment où celui-ci a cédé sous sa


force de brute. Durant une nuit où, comme à son habitude, elle était
partie en vadrouille et où j’avais malencontreusement verrouillé
la porte et mis des bouchons d’oreilles. Une personne normale
trouvant porte close aurait été dormir ailleurs, mais pas elle, bien
sûr que non. Donner un coup d’épaule lui a semblé naturel. Or, à
mon plus grand désespoir, personne ne se presse depuis, pour venir
réparer les dégâts.

— Maudit loup-garou, râlé-je.

Hésitante, je commence à faire les cent pas, sans savoir s’il vaut
mieux rester sur place, ou me chercher un meilleur abri. Dans la
mesure où personne n’est encore passé par ici, le plus sage serait
peut-être de compter sur ma bonne étoile et d’attendre sans bouger.
D’un autre côté, avec une seule porte et une fenêtre située au
troisième étage, je risque gros si quelqu’un arrive brusquement. Je
me crois largement capable de maîtriser deux ou trois personnes,
mais un groupe entier ? Rien n’est moins sûr.

33
Perdue dans mes réflexions, je baisse les yeux, et aperçois soudain
mon téléphone s’illuminer. La photo d’Agatha apparaît, ce qui me
pousse à répondre.

— Aga…

— Kara ! me coupe-t-elle précipitamment. Par Morgane,


heureusement tu as décroché ! Écoute, il faut que tu viennes
m’aider. Les autres sont injoignables et je suis enfermée dans la
chambre froide des cuisines.

— Comment tu t’es retrouvée là-bas ?

— À cause de Conrad, il arrivait à me localiser où que j’aille, alors


je me suis dit qu’une fois à l’intérieur, mon odeur serait peut-être
masquée.

— Dans ce cas-là, pourquoi…

— Mais parce qu’il va forcément me repérer ! s’emporte-t-elle. Ce


n’est qu’une question de temps. S’il te plaît Kara, j’ai besoin de toi,
vraiment besoin de toi.

N’ayant pas l’habitude de l’entendre si paniquée, je comprends que


refuser n’est pas envisageable. J’ai beau ignorer comment je vais
atteindre les cuisines, ou ce que nous allons faire ensuite, il est exclu
de la laisser seule.

— J’arrive. Fais-toi discrète en attendant.

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— D’accord, mais dépêche-toi. Si ça continue, Conrad n’aura même
pas besoin d’intervenir, le stress aura raison de moi !

Rapidement, je raccroche, puis je me précipite vers ma table de


nuit et fouille ma boîte à bijoux à la recherche d’un collier et d’un
bracelet en ambre. Censées accroître l’énergie et dissiper les
angoisses, ces pierres me semblent plus qu’adaptées à la situation.
Peut-être suis-je en train de m’inquiéter pour rien. Après tout, je
n’ai envoûté personne. En théorie donc, personne ne devrait me
courir après. Seulement le fait que nous ayons composé ce philtre
d’amour à treize ne me dit rien qui vaille.

Prudemment, je sors de ma chambre. Le couloir, ainsi que le reste


de la résidence semblent déserts. Soudain, je songe aux paroles
d’Agatha datant de ce midi. Si les victimes nous obéissent à toutes,
il est fort possible que pour elles, nous dégagions le même pouvoir
d’attraction. Cette pensée se met à tourner et tourner dans mon
esprit, avant d’être remplacée par divers sorts de dissimulation. En
lancer un serait facile. Une seule formule et je passerais totalement
inaperçue au milieu des humains. Cependant, en contrepartie, je
deviendrais une sorte de phare brillant dans l’obscurité pour les
autres créatures magiques.

Peu rassurée à l’idée de me transformer en feu follet attirant les


loups-garous comme un aimant, je me retiens. Je me contente de
prendre mon courage à deux mains et de quitter le bâtiment dans
lequel je me trouve. Dehors, la nuit est tombée. Comme une idiote,
j’ai oublié de remettre ma veste, mais la température extérieure est
loin d’être ma principale préoccupation.

Anxieuse, je n’arrête pas de jeter des coups d’œil autour de moi


et surtout, je tends l’oreille. Je longe les deux résidences tout en
maudissant la distance qui me sépare du réfectoire. Le stress me
pousse à presser le pas comme si j’avais le diable aux trousses.
35
Ne pas croiser le moindre étudiant me paraît étrange. J’essaie
de me tranquilliser en me convainquant qu’ils doivent tous fêter
Halloween ailleurs. Malheureusement, l’autopersuasion ne semble
pas fonctionner et il m’est impossible de faire taire la petite voix qui
me crie que je suis en danger.

Éclairé par quelques lampadaires, le chemin que j’emprunte me


paraît bien moins rassurant que d’habitude. Peut-être aurait-il
mieux valu opter pour un trajet différent. Passer par l’extérieur est
plus rapide, cependant la sensation d’être totalement à découvert
m’apparaît très déplaisante. Comme une proie en train de se faire
traquer, je reste alerte. Je ne suis pas loin d’attraper un torticolis
à force de tourner la tête dans tous les sens. Soudain, à mon plus
grand désespoir, un bruit de branches craquées résonne derrière
moi.

Aussitôt, un frisson glacé parcourt ma colonne vertébrale. Je


redouble de vitesse, serre les poings et, par peur d’être attaquée
par-derrière, me retourne d’un seul coup. Je suis prête à lancer mon
meilleur sort de lévitation afin d’envoyer valser la menace dans le
décor. Contre toute attente, il n’y a rien. Le sentier est totalement
dégagé. Peut-être ai-je imaginé le son précédent. Une chose est sûre,
la paranoïa n’est pas bonne conseillère.

Je me remets en marche et durant les minutes suivantes, je n’ai


de cesse de regarder par-dessus mon épaule. Je passe devant la
bibliothèque, me frotte les bras pour essayer de me réchauffer,
puis me sens presque rassurée en apercevant le réfectoire. L’édifice
n’est plus qu’à quelques mètres. Il me suffit d’avancer encore un
peu pour arriver à destination. Au moment où le soulagement
m’envahit, un bruit de verre brisé résonne. La peur me dévore à
nouveau. Immédiatement, mon attention se reporte sur le bâtiment
précédent.

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Toujours sur le chemin pavé, j’oublie totalement la morsure du
froid lorsqu’une énorme étagère de livres se fracasse au sol, à
quelques mètres à peine de ma position. Par réflexe, je lève la tête,
et à la vue de la fenêtre cassée du premier étage, je réalise que le
meuble provient de cet endroit. Je comprends également qu’à trente
secondes près, ce projectile aurait pu m’écraser. À cause du choc, je
n’ai pas spécialement de réaction. Plantée là, j’observe les romans
qui gisent sur les pavés, le cerveau vide. C’est seulement quand
j’aperçois de gigantesques tiges vertes ouvrir les portes d’entrée
en grand que je reviens à moi. Une plante massive est en train de
grimper lentement sur la façade de la bibliothèque. Or, je ne connais
qu’une personne capable d’une telle prouesse.

Loin d’avoir oublié Agatha, je préfère tout de même parer au plus


urgent. Je m’élance en direction de la bibliothèque, laquelle est
en train de se transformer en forêt amazonienne. De justesse, je
parviens à m’engouffrer à l’intérieur du bâtiment, et assiste à un
spectacle unique. Les étudiants présents dans le hall se font un à un
attraper par des ramifications des tiges principales. Sur celles-ci,
des fleurs roses en bourgeon finissent par s’ouvrir, et par engloutir
l’humain le plus proche.

Alors que je cours en direction des escaliers, je m’attends à subir le


même sort, mais étonnamment, la plante se contente de m’effleurer,
puis de se détourner. Je progresse à grandes enjambées en suivant
la plus grosse tige, dans l’intention de me rendre à son point de
départ. Je n’ose imaginer la quantité d’énergie qu’il a fallu pour
lancer ce sortilège. Le pire me vient en tête. La peur de trouver
Liliana affaiblie, sur le point de s’évanouir m’enserre le cœur. Sauf
qu’une fois au premier étage, je suis accueillie par une femme qui
m’est totalement inconnue.

Jaillissant de nulle part, elle manque de me plaquer contre le mur


le plus proche. Au dernier moment, par pur réflexe, je parviens

37
à utiliser mon affinité avec l’élément air pour dévier la trajectoire
de son bras et ainsi m’éviter un sort funeste. Sa main atterrit
contre la pierre située à proximité de ma tête. Je n’ai pas le temps
de vraiment observer la scène, cependant le bruit que produit
son poing sous ce contact est tout sauf rassurant. J’ai l’impression
qu’elle vient tout simplement de la fissurer, voire de faire un
énorme trou dedans.

— Bise, zéphyr et alizé, donnez-moi la force de lutter, faites que


mon ennemi ne soit plus un danger !

D’un seul coup, grâce à ce sort permettant d’intensifier mes


capacités naturelles, mon assaillante est soudain projetée en
arrière. Je n’attends pas de voir où elle atterrit pour m’échapper
par la droite d’autant que, j’en suis certaine, elle n’a rien d’humain.
La peur me noue l’estomac. Pas pour moi, mais pour Liliana. Que
s’est-il passé avant que j’arrive ? Je suis terrifiée à l’idée que cette
inconnue ait pu lui faire du mal, ce qui me pousse à entamer un
véritable sprint.

Je n’ai jamais couru aussi vite de ma vie, or en raison des plantes,


des livres, ou encore des meubles gisant en plein milieu du
chemin, ma progression n’a rien d’aisé. Je manque de trébucher à
de nombreuses reprises, d’autant que loin de regarder seulement
devant moi, je n’ai de cesse de vérifier mes arrières. Je traverse
toute la section consacrée à l’histoire des États-Unis, et me rends
compte que la plus grosse des tiges prend racine dans la petite salle
où se trouvent plusieurs photocopieuses.

La porte est défoncée à cause de la plante, quant à la grande


fenêtre à côté, elle est éclatée en mille morceaux. Pour entrer, il faut
obligatoirement passer par cette dernière, sauf que je m’imagine
mal prendre appui sur le verre pilé jonchant l’encadrement.
À hauteur de mon buste, cette ouverture m’apparaît plus que
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dangereuse pour qui souhaiterait s’y aventurer.

— Liliana, tu es là ?

— Kara ?

Entendre la voix affaiblie de mon amie me serre la gorge. Tant pis


pour les éléments coupants, il est hors de question de la laisser
toute seule à l’intérieur.

— Ne bouge pas, j’arrive.

Alors que je suis prête à créer un trou dans le mur à l’aide d’une
formule, je sens un souffle d’air à proximité de ma nuque. À ma
gauche, la femme de tout à l’heure vient soudain de se matérialiser.
Elle est trop près, beaucoup trop près. J’hésite. Réalisant que mon
temps de réaction risque de m’être fatal, je tente de trouver une
échappatoire. Malheureusement, mon cerveau reste désespérément
vide et brusquement une évidence s’impose à moi. Pourquoi est-ce
que rien de tragique ne se produit ?

L’inconnue m’examine. Ses yeux bleu métallique semblent me


sonder. Un mélange de malaise et de fascination se met à m’envahir.
Je sais que c’est tout sauf le moment de la dévisager, mais je n’arrive
pas à m’en empêcher. Immédiatement, je prends conscience que
ses traits sont trop parfaits. Sa peau d’un blanc immaculé est trop
lisse, ses lèvres trop rouges, quant à ses cheveux d’un noir de jais, ils
retombent souplement en une cascade lisse sur ses épaules.

— Vampire, murmuré-je, décontenancée.

39
— Kendra, prononce-t-elle en attrapant ma main afin d’y poser
délicatement sa bouche.

Surprise de ce geste totalement déplacé par rapport au contexte, je


reste interdite. Après tout, une minute plus tôt, elle souhaitait ma
mort ! Il me faut quelques secondes pour que l’information fournie
gagne mon cerveau.

— La fiancée de Liliana ?

Sans qu’elle ait besoin de confirmer verbalement, je sais que j’ai


visé juste. Surtout, je comprends brusquement pourquoi mon
amie s’est jusqu’ici bien gardée de m’en parler. Non seulement les
relations entre espèces différentes sont très mal perçues, mais en
plus les vampires jouissent de la pire des réputations. En côtoyer
un revient tout simplement à se suicider socialement parmi la
communauté magique.

— J’aurais souhaité que les présentations se déroulent dans de


meilleures circonstances, déclare-t-elle, contrariée.

— Vous… tu as failli me tuer.

Toujours choquée, je ne réussis pas à trouver mieux. J’ai des


difficultés à croire que je suis à un mètre à peine d’une créature
constamment décrite comme sanguinaire et monstrueuse. Je
comprends que, plus tôt, j’ai eu énormément de chance. Et celle-ci
pourrait tourner d’un instant à l’autre.

— C’est ce que je dis, dans de meilleures circonstances, reprend-elle


avec un léger sourire. Toutes mes excuses, je pensais que tu étais
l’un de ces envoûtés.
40
— Ça va, ma tête n’a rien. Elle n’a pas fini éclatée contre un mur,
c’est le principal.

J’ai beau être très sérieuse, je constate que ma phrase n’est pas
perçue comme telle.

— Tu es drôle, exactement comme Lili t’a décrite.

Je m’apprête à protester lorsqu’un bruit résonne dans la salle


où se trouve mon amie. Immédiatement, et en un clignement
d’œil, Kendra disparaît. Le courant d’air formé par son départ
fait s’échapper plusieurs mèches bouclées de mon chignon. Ce
dernier ne tarde plus à n’être qu’un vieux souvenir quand mon
interlocutrice revient presque aussitôt à sa place initiale.

Dans ses bras, portée comme une princesse, Liliana ne semble


pas au mieux de sa forme. Son visage est pâle, presque autant
que celui de sa fiancée. Le fait qu’elle soit habillée tout en blanc,
contrairement à la vampire vêtue d’un pantalon et d’un bustier noir,
renforce son aspect maladif, et fait atteindre des sommets à mon
inquiétude.

— Mais qu’est-ce qui t’a pris ! dis-je, angoissée. Même pour toi, c’est
un sort trop coûteux en énergie.

Par réflexe, je m’empresse de venir chercher sa main. Glacée, elle


gagne cependant quelques degrés à mon contact. J’essaie de lui
transmettre un peu de mes forces vitales et remarque au passage
que ce rapprochement physique ne plaît que moyennement à
Kendra. En dépit de son silence, ses yeux bleus se sont assombris.
Une aura négative flotte autour d’elle. Ce n’est sans doute pas le
bon moment pour y penser, malgré tout je ne peux que craindre

41
sa réaction si elle venait à apprendre que vingt heures auparavant,
mes lèvres étaient posées sur celles de sa fiancée.

Souhaitant rester en vie, je me mets à prier pour que cela n’arrive


jamais. Je prie même tellement fort que j’en oublie de restreindre le
flux magique qui circule entre Liliana et moi. C’est elle la première
qui retire ses doigts, juste au moment où un étourdissement me
saisit. De justesse, je parviens à masquer mon état. Je demeure
stable sur mes pieds et me sens soulagée en remarquant que mon
amie a repris des couleurs. Ses lèvres ainsi que ses joues arborent
une teinte rosée. Elle a l’air bien mieux, pourtant quand elle essaie
de retrouver la terre ferme, la vampire l’en empêche.

— Tu n’iras nulle part, pas par tes propres moyens en tout cas. Je
t’emmène avec moi, annonce cette dernière.

— Quoi, mais je dois…

— Tu en as fait assez, la coupe-t-elle. Tes amies se chargeront du


reste.

Au regard qu’elle me lance au même moment, je devine que je n’ai


pas intérêt à dire le contraire. Un frisson glacé me parcourt l’échine.
Je déglutis et m’empresse d’abonder dans son sens.

— Kendra a raison. Il faut que tu te reposes.

Suite à ma prise de parole, l’attention de Liliana se reporte sur moi.


Dans un premier temps, elle paraît prête à protester, cependant,
très vite, son expression change.

42
— Qu’est-ce que tu fais ici ? demande-t-elle, les sourcils froncés.

— Moi ? Oh… je… tu sais… j’étais cachée pas loin, alors quand j’ai vu
cette plante gigantesque sortir de la bibliothèque, j’ai accouru.

— Je ne te crois pas du tout. Je t’avais dit de ne pas bouger, pourquoi


tu…

— Tu devrais l’emmener, dis-je à l’adresse de la vampire.


Maintenant.

D’un signe de tête, Kendra me marque son accord, puis la seconde


d’après, je me retrouve livrée à moi-même. Est-ce prudent d’avoir
renvoyé les deux seules personnes capables de m’aider ? Sûrement
pas. Seulement, étant donné l’état de Liliana, l’éloigner était
vraiment la meilleure décision à prendre.

43
20h00

Attentive aux bruits alentour, j’ai l’impression de perdre plusieurs


années de vie en quelques minutes à peine. Autour de moi, dans
le réfectoire, tout est calme, trop calme. Les tables sont désertées,
l’espace entièrement vide. Cet abandon n’a absolument rien de
normal pour un vendredi soir. En théorie, des étudiants devraient
être en train de dîner, des employés de servir ou de nettoyer, or
il n’en est rien. À l’exception de mes bottines résonnant sur le
carrelage, je ne perçois que le silence.

Plongée dans la pénombre, la grande salle a des allures de pièce


hantée. J’ai hésité à allumer, afin de rendre toute cette situation
moins terrifiante, mais après avoir réfléchi, j’ai préféré rester la
plus discrète possible. Grâce aux baies vitrées présentes sur trois
des murs, la lumière de la lune éclaire ma progression. D’une main
tremblante, j’attrape mon téléphone dans la poche de ma jupe.
Je m’apprête à envoyer un message à Agatha pour lui indiquer de
sortir, lorsqu’à nouveau la désagréable sensation d’être épiée me
saisit.

Instantanément, les poils de ma nuque se hérissent. Je me mets à


regarder tout autour de moi, et surtout j’essaie de ne pas paniquer.
Il est hors de question de courir comme une dératée en direction
des cuisines. Je n’ai certainement pas fait tout ce chemin pour
passer les quatre heures à venir à grelotter de froid en compagnie
d’Agatha.

— Il y a quelqu’un ? tenté-je.

J’ai beau ne rien voir, je sais pertinemment que mon imagination


n’est pas la cause de mon malaise. Certes, je ne suis pas rassurée.

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Il est évident que je préférerais être partout sauf ici, seulement je
n’ai jamais été du genre à me faire peur toute seule. Une conclusion
s’impose alors à moi : il y a bel et bien une personne à proximité.

— À moins que votre but soit de me provoquer une crise cardiaque,


que diriez-vous de vous montrer ? Ce petit jeu commence à me
fatiguer.

Plantée au beau milieu du réfectoire, je me tourne en direction


de l’entrée. Si quelqu’un doit arriver, il passera obligatoirement
par là. J’attends. Cinq secondes, dix secondes, avant de faire
brusquement volte-face en sentant un courant d’air dans mon dos.
Par réflexe, je lève le bras, dans l’intention de lancer un sortilège.
Malheureusement, mon geste est interrompu quand une main
puissante me saisit. Cinq doigts se referment autour de mon poignet
droit, me font lâcher mon téléphone et m’attirent contre le torse
musclé de leur propriétaire.

— Je t’ai eue, gronde mon agresseur en glissant son autre bras sur
le bas de mon dos.

— Lâche-moi, Conrad ! Tu n’es plus toi-même. Ce que tu éprouves


n’est pas réel, absolument pas réel.

Comme emprisonnée dans un étau, j’ai beau essayer de bouger, je


ne parviens à rien. Je suis totalement immobilisée. Contrairement à
la nuit passée collée à Jehanne, cette proximité est fort déplaisante.
Tout mon corps se rebelle contre ce rapprochement. Mes muscles
se raidissent. Je le frappe à l’aide de ma main libre. Je lui donne
même des coups à n’en plus finir, cependant je réalise bien vite que
de nous deux, je suis celle à me blesser. Toutes les zones touchées
sont dures comme de l’acier. Je décide alors d’opter pour une autre
stratégie.

45
Même si la magie élémentaire n’a actuellement aucune emprise
sur le lycan, je juge que lui envoyer une chaise en pleine tête est
un excellent moyen de me sortir de ce guêpier. Devant moi, je la
vois s’envoler. En une seconde, elle atteint son but en percutant
violemment le haut du dos de mon assaillant. Malheureusement
pour moi, ce dernier paraît à peine le sentir.

— Ce n’était pas très gentil, commente-t-il lentement.

— Toi non plus, tu n’es pas très gentil.

Dans l’obscurité, je vois ses yeux flamboyer. Ses lèvres se


retroussent en un léger sourire et, sans que je ne puisse lutter,
il m’entraîne sur la table la plus proche. J’ai l’impression de
peser moins qu’une plume lorsqu’il me pose sur le bord de cette
dernière. S’il y a un moment propice pour paniquer, c’est celui-ci.
Tout dans son attitude m’indique qu’il est incapable de la moindre
retenue. Quelles sont les paroles de l’enchantement pour endormir
quelqu’un déjà ? Ne parvenant pas à m’en souvenir, j’opte pour une
autre stratégie.

— Par Morgane, Circé, et…

Malgré ma rapidité de débit, je n’ai pas le temps de terminer mon


sortilège. Conrad plaque sa paume contre ma bouche et me fait
« non » de la tête.

— Tu ne me repousseras pas. Tu es à moi maintenant, rien qu’à moi.

Un glapissement m’échappe quand ses lèvres trouvent mon cou.


Réaliste, je m’attends à ce qu’il me morde en signe de possession.
L’idée d’hériter d’une marque d’appartenance me pétrifie, si bien
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qu’en le sentant se figer, je retiens mon souffle. Peut-être le loup en
lui est-il en train de s’agiter ? De protester contre ce dénouement ?
Ces questions ont à peine le temps d’effleurer mon esprit que,
soudain, je comprends ma méprise. Il relâche mon visage, se saisit
de mon pull, et d’un seul coup tire dessus pour me l’ôter. Le tout
se passe en une fraction de seconde. Le tissu en lambeaux rejoint
le sol, révélant le débardeur en dentelle noire que je porte juste en
dessous.

Sous le choc, je reste tétanisée. Je cligne des yeux plusieurs fois,


avec la sensation d’avoir le cerveau qui fonctionne au ralenti. J’ai
conscience qu’il faudrait que je crie, que je devrais continuer à me
débattre, mais je suis tellement effrayée que j’ai l’impression de ne
plus avoir aucun contrôle sur mes membres. Face à moi, Conrad se
met à gronder. Il fixe un point sur ma poitrine, un point qui se révèle
être le suçon de Jehanne. Dans mon esprit, un déclic se produit. La
hiérarchie de leur meute se rappelle à moi, comme les concepts
archaïques s’y rattachant. Je me déteste pour ce que je vais dire,
néanmoins à situation désespérée, mesure désespérée.

— J’appartiens déjà à ta cousine. Si tu ne veux pas de problème, tu


ferais bien de me laisser partir.

La première partie de la phrase me donne l’impression d’avoir avalé


du verre pilé. Je déglutis, vois Conrad hésiter et espère être sauvée.
Malheureusement, ma réplique n’est pas suffisante. Le philtre
d’amour devait vraiment être trop fort, car en dépit des risques
encourus, il attrape mes deux mains dans les siennes pour les
plaquer sur la table.

— Je prends le risque.

À ces mots, mon sang ne fait qu’un tour. Je m’attends au pire. Ma

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tête bourdonne, ma température corporelle chute brutalement, et
alors que Conrad se penche à nouveau vers moi, je me retrouve à
faire quelque chose qui en dit long sur mon désespoir. J’appelle
Jehanne. Pas seulement avec ma voix, mais de tout mon être.

Jusqu’ici jamais un tel phénomène ne s’est produit. Sans avoir


besoin de le contrôler, sans avoir besoin de sort, j’ai littéralement
l’impression d’envoyer des ondes télépathiques directement à la
jeune femme. Quoique, peut-être, est-ce même plus fort encore,
car à peine quelques secondes plus tard, la poigne de fer du loup-
garou disparaît. Dans un grand fracas, je l’entends chuter sur le
carrelage et, en rouvrant les yeux, je m’aperçois qu’elle est là. L’ai-
je invoqué ? Non, une chose pareille est impossible. La quantité
d’énergie nécessaire pour une telle manœuvre est astronomique, or
si je tremble actuellement, ce n’est pas de fatigue.

Incapable de me remettre sur pieds, j’observe les lycanthropes


s’affronter. Effrayée, je sursaute à chaque coup donné. Aucun
des deux ne semble se retenir. Après lui avoir sauté dessus pour
le plaquer au sol, Jehanne n’a de cesse de viser le visage de son
adversaire. Si par sa carrure, Conrad paraît tout désigné pour
l’emporter, je constate très vite que ma colocataire est bien plus
agile. Rapide comme l’éclair, elle parvient à éviter la majorité des
frappes. Ses réflexes sont tout simplement hors normes, à tel point
que j’ai du mal à suivre le déroulé du combat.

Roulant au sol, les deux étudiants percutent tables et chaises sans


s’en soucier. Leurs grondements résonnent dans la salle. Des bruits
d’os brisés me font grimacer et je réalise soudain que si je souhaite
secourir Agatha, c’est maintenant ou jamais. À mon avis, depuis
sa position, elle est parfaitement à même d’entendre le vacarme
produit par les deux lycanthropes. Je ne doute pas qu’elle doit être
terrifiée, tout comme je le suis en descendant de mon perchoir. Mes
jambes me portent à peine, pourtant je me force à rejoindre les
cuisines au pas de course.
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Cette fois-ci, je n’hésite pas à allumer. Une fois à l’intérieur, je
prends brusquement conscience que cette cachette est plus que
déconseillée. Le nombre de couteaux qui s’y trouvent est tout
simplement astronomique. N’importe qui pourrait aisément
s’emparer d’un objet tranchant et nous poignarder. Or, dans la
mesure où tout est notre faute, car nous avons réalisé ce philtre
d’amour, il est hors de question de blesser l’un de nos poursuivants,
même par légitime défense.

— Agatha ? Sors de là. Il faut qu’on s’en aille, tout de suite.

Joignant le geste à la parole, j’ouvre la porte de la chambre froide


d’un rapide mouvement de la main. L’urgence a raison de mes
scrupules à utiliser mes pouvoirs. Je m’attends à voir apparaître
mon amie, mais très vite, je comprends qu’elle ne se manifestera
pas.

— Agatha ! Dépêche-toi ! Jehanne est en train de se battre contre


Conrad, alors si on veut partir, c’est maintenant ou jamais !

Sans doute devrais-je m’inquiéter pour ma colocataire, cependant


je la sais parfaitement capable de s’en sortir. En tant que louve
alpha, elle finira forcément par avoir le dessus sur son cousin.
Avec rapidité, j’avance jusqu’à la pièce qui sert de garde-manger.
Seulement, au lieu d’y repérer la sorcière, je m’aperçois que l’espace
est vide de toute présence humaine. J’entre, inspecte chaque recoin,
mais la seule chose que je trouve est un téléphone. Je reconnais
parfaitement la coque décorée d’un chat noir. L’appareil appartient
à Agatha, signe qu’elle était vraiment ici. Malheureusement, sa
propriétaire n’est visiblement plus dans le coin.

— Tu as intérêt à avoir une excellente excuse, marmonné-je, irritée.

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Ayant perdu mon propre portable au cours de l’affrontement avec
Conrad, je fais glisser le sien dans la poche de ma jupe, et ressors
de la chambre froide. Savoir que j’ai fait tout ce trajet pour rien,
bravé inutilement ces dangers, me mets en colère. Je retourne dans
le réfectoire, juste au moment où Jehanne parvient à immobiliser
son cousin au sol. À plat ventre, le jeune homme gronde, mais il ne
peut rien contre son assaillante. Assise sur lui, elle appuie sur sa
nuque avec une main. Je suis pratiquement certaine qu’elle pourrait
la lui briser sans difficulté. L’étudiant semble également s’en rendre
compte, car d’un seul coup, il arrête de se débattre. Ses membres se
détendent et il reste immobile. Totalement immobile, même après
que la lycanthrope se soit relevée.

De mon côté, je m’apprête à sortir en vitesse de ce bâtiment. Prête


à mettre le plus de distance possible entre les autres êtres vivants
et moi-même, je me retourne aussitôt. Cependant au lieu de me
laisser filer en solitaire, ma colocataire vient brusquement se saisir
de ma main. De sa poigne de fer, elle me traîne à sa suite sans que
je puisse réagir. En temps normal, j’aurais protesté, je me serais
immédiatement soustrait à son emprise, mais l’aura meurtrière
qu’elle dégage me dissuade d’émettre la moindre plainte.

Mal en point à cause du combat précédent, la jeune femme avance


malgré tout à un rythme soutenu. Son jean sombre, sa veste en
cuir noire ainsi que son débardeur de la même couleur la rendent
presque invisible dans l’obscurité. Nous atteignons rapidement
l’extérieur et, sans hésiter, elle nous fait prendre le chemin de la
résidence. J’en suis soulagée. J’ai beau être parfaitement capable
de me débrouiller seule, l’inquiétude que je ressentais plus tôt à
arpenter ce sentier n’est plus. En compagnie de Jehanne, je me sens
étrangement en sécurité, chose dont bien sûr je ne l’informerai
jamais.

— Tu sais, pour tout à l’heure, pour ce que tu as fait avec Conrad, te


battre avec lui, et me… prêter main-forte…
50
— Te sauver, répond-elle sèchement.

Aussitôt, sous ce terme, le rouge me monte aux joues. Elle n’a pas
tort. Elle a même visé juste, néanmoins je répugne à l’avouer.

— Appelle ça comme tu voudras.

À cause de sa façon de se mouvoir de manière extrêmement rapide,


je me retrouve à marcher non pas à côté d’elle, mais légèrement
en retrait. Je peine à suivre le rythme, et suis à deux doigts de
trébucher en raison du regard en coin condescendant dont elle me
gratifie après ma réplique. En réaction, et pour m’éviter de chuter,
mes doigts se resserrent autour des siens. Je m’attends à la sentir
me tirer sur le bras, à être traînée comme un poids mort, si bien que
je suis surprise quand la jeune femme s’immobilise brusquement.
Je manque de lui foncer dessus, d’autant qu’au lieu de continuer à
observer le chemin, elle se tourne vers moi.

— Tu as été imprudente, gronde-t-elle.

— C’est vrai, mais…

Sans me laisser finir ma phrase, elle se remet en route. Je suis prête


à recommencer à trottiner, sauf qu’étonnamment ma colocataire
choisit d’avancer beaucoup plus lentement que précédemment.
Ce changement me permet de marcher à ses côtés et, durant une
bonne minute, plus personne ne prononce le moindre mot. Contre
la mienne, sa main est chaude. Je suis gelée, je grelotte, pourtant je
suis loin de détester ce moment. Les étoiles qui illuminent le ciel
rendent cette situation presque romantique.

51
Je risque un coup d’œil à ma voisine. De profil, je m’aperçois
qu’en plus de son arcade sourcilière ouverte, un bleu se dessine
sur sa pommette. Je ne doute pas que ces blessures doivent être
douloureuses. J’ai conscience que m’excuser, ainsi que la remercier
serait la moindre des choses. Plus tôt, j’ai vainement essayé de le
faire, mais n’ayant pas l’habitude de ce genre de paroles, j’hésite sur
la meilleure formulation à adopter.

Alors que nous sommes à mi-chemin du dortoir, que tout est désert
autour de nous, Jehanne s’arrête de nouveau. Je m’attends à subir
une nouvelle salve de reproches, avant de réaliser ma méprise. Ma
colocataire se départit de sa veste, passe derrière moi et me l’enfile.
Refuser, prétendre que je n’en ai pas besoin ne me traverse même
pas l’esprit. Au point où j’en suis, je tiens plus du glaçon que de
l’être humain.

— Merci, murmuré-je. Pour ça, et… pour le reste.

Préparée à entendre la jeune femme me demander de répéter, ou


tout du moins à profiter de cet instant unique à sa juste valeur, je
grimace. Je suis prête à endurer les répliques moqueuses qui vont
suivre, mais à la place, et me prenant de court, Jehanne enroule ses
bras autour de moi. Surprise, je sursaute. Son buste se retrouve
collé à mon dos, puis avec un mouvement extrêmement lent, elle
dégage les cheveux bouclés présents sur mon épaule droite.

— Qu’est-ce que tu fabriques ? demandé-je par réflexe.

— Je me récompense.

— Tu te… je ne t’ai jamais autorisée à faire ça.

52
J’ai beau savoir que je m’adresse à un mur, que mes paroles n’auront
aucune incidence sur son comportement, c’est plus fort que moi. Il
faut que je proteste. Que j’agisse constamment de la sorte devrait,
en théorie, me rendre insupportable à ses yeux. Pourtant, j’ai plutôt
l’impression de l’amuser. Jusqu’ici mon attitude n’a jamais réussi à
la faire fuir, sans doute parce que la majorité de mes plaintes ont
tendance à manquer de conviction.

— Tu as dit que tu étais à moi, glisse-t-elle à mon oreille.

Alors que sa prise sur mon ventre se raffermit, je rougis violemment


sous ce rappel.

— C’est faux, totalement faux. Enfin oui, je l’ai dit, seulement c’était
un mensonge, m’enfoncé-je. Et… comment est-ce que tu peux être
au courant ? Tu n’étais pas là.

Changer de sujet me paraît indispensable. Je n’ai aucune envie de


m’appesantir sur mes paroles passées, cependant je comprends vite
que je ne m’en sortirai pas aussi facilement.

— J’étais là, mais retenue.

Profitant de notre position, la jeune femme prend la liberté de


déposer ses lèvres dans le creux de mon cou. Le contraste de
température entre sa bouche chaude et mon épiderme glacé me
fait frissonner de la tête aux pieds. Une décharge électrique me
traverse, suivie d’une autre quand Jehanne réitère.

— Délicieuse, souffle-t-elle en donnant un coup de langue au même


endroit.

53
Malgré moi, un son aigu m’échappe, mélange de plainte et de
gémissement. L’esprit embrumé par l’excitation ressentie, je
ne pense pas tout de suite à me dégager et encore moins à lui
demander plus d’explications. Je me contente de subir, jusqu’au
moment où la pointe de ses canines s’aventure à proximité de ma
carotide.

— Rien qu’à moi, murmure-t-elle.

Comme un électrochoc, ces quelques mots me font bondir. Ils


me rappellent ceux prononcés par Conrad un peu plus tôt et me
poussent aussitôt à me retourner. Ne s’attendant visiblement pas
à ce geste vif, ma colocataire n’a pas le réflexe de me retenir. Face
à face, nous nous affrontons du regard. J’aperçois ses yeux dorés
flamboyer. Or, même si ce n’est pas la première fois que j’assiste à ce
phénomène, jamais leur lueur n’a été aussi intense.

— Est-ce que tu as embrassé quelqu’un, aujourd’hui ? demandé-je


en déglutissant.

— C’est toi que je vais embrasser.

Juste avant qu’elle n’atteigne son but, je m’empresse de placer


mes doigts devant ma bouche. Ses lèvres s’y écrasent, et face
à l’expression qui s’affiche sur son visage, je sens mon rythme
cardiaque piquer un sprint dans ma poitrine.

— Réponds-moi ! Est-ce que tu as embrassé une sorcière,


aujourd’hui ?

Légèrement tremblante, je prends conscience qu’il y a de fortes


chances pour que Jehanne ne soit pas elle-même. À cause de notre
54
rapprochement nocturne, je n’en suis pas certaine, néanmoins
jamais elle ne s’était montrée aussi pressante. Qu’elle me prenne
dans ses bras, qu’elle essaie de gagner mes faveurs est une grande
première. D’ordinaire, nous passons notre temps à nous chamailler
et, même s’il lui est arrivé de me coincer contre un mur, ou de
me jeter sur mon lit en guise de vengeance, son intérêt pour ma
personne n’a jamais été flagrant.

— Krystal.

D’un seul coup, il n’est plus question de simples soupçons. J’ai


désormais la certitude que la jeune femme est envoûtée et par
conséquent il m’apparaît urgent de prendre la tangente.

— Dans ce cas, pourquoi tu n’es pas avec elle en ce moment ?

Toujours bloquée contre son corps, avec son bras faisant pression
dans le bas de mon dos, j’examine mes options. Le tête-à-tête
avec Conrad m’a fait comprendre que j’avais intérêt à me montrer
maligne. Lancer des sorts au hasard ne peut que me desservir,
d’autant que Jehanne me semble bien plus dangereuse que son
cousin.

— Je t’ai vue.

— Vue ?

— Tu te dirigeais vers la serre, et j’ai eu envie de te suivre.

— Tu… depuis ce midi, c’était toi ?

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En me souvenant de toutes les fois où j’ai eu l’impression d’être
épiée, je réalise que la situation est encore pire que je ne le
croyais. Si je suis étonnée qu’elle ait attendu tout ce temps pour
entrer en contact avec moi, je n’en montre rien. Mieux vaut ne pas
m’appesantir sur le sujet.

— C’était moi et tu m’as donné fort à faire.

Sourcils froncés, j’essaie de comprendre le sous-entendu contenu


dans ses propos. De quoi parle-t-elle ?

— Tu n’imagines pas le nombre de nuisibles qui ont tenté de


t’approcher.

Délicatement, presque trop délicatement, ses doigts viennent à la


rencontre de mon cou. Elle l’effleure, pour s’arrêter derrière mon
oreille.

— Heureusement, maintenant nous sommes seules. Plus d’humains,


plus de plante carnivore, plus rien pour se mettre entre nous.

Au fur et à mesure de sa réplique, le ton de sa voix baisse. Je


comprends ce qui va se produire. Son regard est très parlant. Elle
se penche et durant une micro seconde, je suis hypnotisée par
l’idée de la laisser faire. Mon traître de corps réagit beaucoup trop
bien au sien. J’ai très envie de découvrir le goût de ses lèvres, de
succomber à la tentation et d’enfin l’embrasser. Pourtant, savoir
qu’elle n’est pas en pleine possession de ses moyens me donne le
courage de la repousser. Je me dégage brusquement de son étreinte,
si brusquement qu’elle n’a pas l’occasion de me retenir.

56
— Mistral et tramontane, liens invisibles et profanes, emprisonnez
mon ennemie, faites qu’elle ne me cause plus de souci.

Utiliser ce genre de sortilège sur elle me déplaît, d’autant que


ce dernier compte parmi les plus puissants que je connaisse.
Malheureusement, je n’ai pas le choix. À contrecœur, j’observe
les lames d’air s’enrouler autour de ses chevilles, de ses poignets.
J’entends la lycanthrope gronder. Je la vois se débattre contre ces
entraves magiques, puis finir par être entraînée au sol. À genoux sur
les pavés, les mains dans la terre, elle paraît furieuse. L’animosité
qu’elle dégage est sans commune mesure, à tel point que chaque
cellule de mon corps me commande de fuir et vite.

— Je suis désolée, vraiment désolée, mais c’est pour ton bien.

Sans attendre plus longtemps, je me mets à courir. J’ignore combien


de temps le sortilège perdurera. En revanche, j’ai conscience que
mieux vaut être très loin de ma colocataire lorsqu’elle retrouvera
sa liberté. Sans être une spécialiste en loup-garou, je sais que ces
derniers sont parfaitement capables de pister quelqu’un rien
qu’à l’odeur. Regagner la résidence est exclue. Me diriger vers
le manoir de la sororité à l’autre bout du campus encore plus. En
conséquence, j’opte pour la seule destination envisageable : le
parking.

Les poumons en feu, je progresse à un rythme soutenu. Je réfléchis


à l’endroit où je pourrais me rendre. Le plus simple serait de
rejoindre Salem, puis de dormir dans un bed & breakfast. En cette
nuit d’Halloween, rien ne me garantit qu’il restera des places, mais
au pire, il sera toujours temps de m’installer dans un café et de
revenir après minuit.

Au loin, j’aperçois mon but. Sur mon passage, les feuilles s’envolent.

57
Je me demande soudain comment s’en sortent mes amies. Grâce aux
révélations de Jehanne, j’ai compris que je ne devais ma tranquillité
qu’à son implication. N’avoir croisé personne jusque-là n’était en
rien un coup de chance, or je doute fort que les autres sorcières
aient également pu bénéficier d’un protecteur aux crocs acérés.

Fatiguée par ma course, je reprends mon souffle une fois à


proximité des diverses voitures. Je n’en possède aucune, cependant
je juge qu’un petit emprunt ne pourra m’être préjudiciable. Du
regard, je recherche celle de Maxine. L’emplacement sur lequel elle
s’est garée en nous ramenant au campus apparaît vide et tous les
véhicules m’entourant me sont inconnus. J’en choisis un au hasard,
une Cadillac Escalade qui par sa taille me procure un sentiment
illusoire de sûreté.

La déverrouiller ne me prend qu’un instant. Je pose ma paume


au niveau de la serrure, laisse filer un peu d’énergie magique et
immédiatement le système de sécurité se désactive. Je me saisis
ensuite de la poignée, entrouvre la portière et m’imagine déjà
en paix à des kilomètres de là. Malheureusement, la situation
m’échappe brusquement à ce moment précis. En à peine une
seconde, tout mon plan d’évasion s’envole en fumée.

Une main se matérialise soudain à proximité de mon visage, une


autre repousse la portière devant moi. Celle-ci claque violemment
en se refermant et mon sang se fige dans mes veines. Je n’ai pas le
temps de réagir. J’ai tout juste l’occasion de sursauter lorsque mon
assaillante me fait effectuer un demi-tour afin de me plaquer contre
la voiture.

— Tu n’iras nulle part.

58
Face à moi, Jehanne semble à la fois en colère et grisée par la
tournure des évènements. Ses yeux dorés ne me quittent plus et
j’ai la certitude que je n’aurai plus la possibilité de prononcer le
moindre sortilège.

— Écoute…

— Non.

Loin d’être décontenancée par sa réponse vive et instantanée, je


reprends comme si de rien n’était.

— Tu n’es pas toi-même. Il suffit que tu attendes jusqu’à minuit et…

D’un seul coup, sans crier gare, la jeune femme finit ce qu’elle avait
commencé plus tôt. Ses lèvres se pressent contre les miennes avec
envie, ne me laissant ni l’occasion de terminer ma phrase ni de
me défiler. J’essaie de détester ce contact, d’y prendre le moins de
plaisir possible, pourtant au bout de quelques secondes, je réalise
ma défaite. Jehanne embrasse vraiment très bien, trop bien pour
que j’aie une chance de lui résister.

Je me retrouve à gémir légèrement contre sa bouche. Pire, mon


corps se détend. Un long frisson de volupté me traverse au moment
où ses doigts s’aventurent sous mon débardeur. Au fond, tout au
fond, j’ai conscience que je devrais la repousser. C’est mal, c’est
profiter de son état. Seulement, ma volonté ne pèse pas lourd face
au désir en train de me submerger. Je renonce enfin à la repousser.
Après tout, je meurs d’envie de connaître le goût de ses lèvres
depuis notre rencontre. Au lieu d’essayer de me dégager, j’enroule
mes bras autour de son cou. Se faisant, son buste se retrouve
davantage pressé contre le mien et alors que ses mains vont et

59
viennent le long de mes hanches, de mes côtes, sa langue s’invite
dans notre échange.

Il n’en faut pas plus pour que tout s’intensifie brusquement. Les
sensations déjà bien présentes se multiplient. De tendre, notre
étreinte devient passionnée, si passionnée que j’en perds le peu
de raison qu’il me restait encore. Ma chaleur corporelle augmente
en flèche, au point d’atteindre la température de Jehanne. Coincée
entre la jeune femme et le métal froid de la voiture, je ne réfléchis
plus. Je profite allégrement du moment présent. Je lui rends son
baiser avec fièvre, passe les doigts dans ses cheveux mi-longs, sans
me soucier des conséquences.

Dire que je n’ai jamais rêvé de ce rapprochement serait mentir.


C’est d’ailleurs probablement pour cette raison qu’en sa présence,
mon tempérament belliqueux ne manque jamais de refaire
surface. Lutter contre mes sentiments, lutter contre ce qu’elle
me fait éprouver est un combat de tous les instants, un combat
qu’actuellement je suis en train de perdre en beauté. À ce stade,
j’ai déposé les armes. Même quand sa main droite abandonne
mon ventre pour ma cuisse, je ne proteste pas. Je la laisse me faire
absolument tout ce qu’elle veut et me retrouve presque à me frotter
contre elle pour accentuer les sensations.

De baiser en baiser, nous nous enhardissons. Depuis le début, je


l’entends gronder, un grondement bas qui se répercute dans chaque
cellule de mon corps. Lorsqu’elle se détache, que sa bouche quitte
la mienne, la frustration m’envahit. Je m’apprête à avancer pour
m’emparer à nouveau de ses lèvres quand nos regards se croisent.
Quelque chose a changé. Je reprends mon souffle et, même si
ses yeux continuent de briller dans l’obscurité, la lueur diffère.
L’urgence qui l’a saisie plus tôt semble avoir disparu. Ses mains sur
mes hanches ont arrêté de bouger. Elle ne se recule pas, pour autant
je me rends compte de son trouble, ou plutôt de sa confusion.

60
— Jehanne ? hésité-je.

Avec un froncement de sourcils, la jeune femme porte ses doigts à


son visage, sur la zone blessée. Quelques secondes filent, durant
lesquelles son expression change à de multiples reprises. J’ai
l’impression qu’elle est en pleine réflexion, et surtout que la folie
qui s’est emparée d’elle plus tôt a disparu.

— Tu vas bien ? interrogé-je avec incertitude.

— Qu’est-ce que vous avez fait ?

Prononcée froidement, cette phrase a un effet immédiat sur mon


humeur. Mon sang se glace et surtout, je n’en mène pas large.

— Tu n’es plus envoûtée ?

Sans qu’elle ait besoin de me répondre, et rien qu’à son attitude, je


sais que le charme n’agit plus. Je ne comprends pas comment cette
réalité est possible, il est loin d’être minuit ! Cependant, d’autres
préoccupations urgentes s’imposent à moi. J’ai conscience que je ne
vais pas échapper à une petite explication, ce qui me fait regretter
amèrement le moment où elle n’avait pas tous ses esprits.

— Vous n’avez vraiment aucun bon sens, déclare-t-elle sèchement


en me relâchant. Et surtout, vous les sorcières, vous êtes toutes les
mêmes. Les gens ne sont pas vos jouets ! Apprenez à respecter les
autres !

Même si je mérite ces réprimandes, même s’il vaudrait mieux


courber le dos et endurer les reproches, c’est plus fort que moi, je

61
n’y arrive pas. Je profite du fait qu’elle se soit reculée pour quitter à
mon tour ma position et croiser les bras sur ma poitrine.

— Personne ne t’a obligée à embrasser Krystal, je te signale. Si tu


t’es retrouvée dans cette situation, c’est entièrement ta faute. Tu
critiques les sorcières, mais tu n’es pas mieux.

— Pas mieux ? répète-t-elle lentement.

— Parfaitement ! Tu sors avec tellement de femmes qu’il est


impossible de faire le compte.

— La différence, c’est que moi je ne force personne à me fréquenter.


Elles se jettent dans mes bras de leur plein gré.

Sous ces mots, je manque de m’étouffer. Un petit rire étranglé


m’échappe et toute ma retenue s’envole.

— Tu souhaites peut-être que je fasse gonfler ta tête et tes


chevilles ? Ce serait raccord avec ton attitude.

— Ça le serait s’il s’agissait de vantardise, or ce n’est pas le cas.

— Bien sûr, attends un peu, je vais t’inventer un sortilège sur


mesure. Voyons, peut-être… ballon et montgolfière, rond et…

Coupée dans mon élan par Jehanne qui s’avance d’un seul coup
pour me plaquer de nouveau contre la portière, j’en perds ma
rime. Je ferme la bouche, observe sa main sur mon épaule, avant de
l’affronter du regard.

62
— Tu as fait assez de magie pour aujourd’hui.

— Ce n’est pas à toi d’en juger. D’ailleurs, rassure-toi, il me restera


toujours assez d’énergie pour te remettre à ta place.

— C’est plutôt toi qui aurais besoin qu’on te remette les idées
en place. À ce que je sache, tu ne disais pas non quand je t’ai
embrassée. D’après mes souvenirs, tu répondais sans te faire prier
et tu appréciais particulièrement le moment.

— Ne prends pas tes rêves pour des réalités. J’ai détesté ça, du
début à la fin.

— Étrange, j’aurais pourtant juré t’avoir entendu gémir de plaisir.

— Ton imagination te joue des tours.

— Que dirais-tu de le confirmer ? Si c’est mon imagination, tu ne


verras pas d’inconvénient à ce que je vérifie.

— Au contraire. Pourquoi diable aurais-je envie de refaire


l’expérience de quelque chose d’aussi désagréable ?

Le cerveau fonctionnant à plein régime, j’en oublie momentanément


la gêne liée à cette conversation. Habituée à être de mauvaise foi, les
mensonges sortent sans la moindre difficulté. Il est hors de question
d’avouer que oui, j’ai aimé l’embrasser. Je préfère même avoir la
langue coupée que d’admettre un jour une telle chose.

— Tu n’es pas honnête avec toi-même, lâche-t-elle plus doucement.

63
— Pourquoi ? Parce que je ne te trouve pas irrésistible ?

— Parce qu’il est évident que je ne te laisse pas insensible. Tu es


attirée, admets-le.

— Attirée ? Par toi ? C’est la meilleure, répliqué-je en levant les yeux


au ciel.

Soudain, comme pour m’empêcher de me défiler, deux doigts de


Jehanne passent sous mon menton afin de m’obliger à la regarder.
Contre ma taille, sa main s’assure de me garder à proximité et
durant quelques secondes, je ne parviens plus à me rebiffer. Je
déteste ça, ce pouvoir qu’elle a sur moi. J’aimerais placer cette
attraction uniquement sur le compte de ses gènes d’alpha, sur le fait
qu’elle charme naturellement chaque personne sans avoir besoin de
lever le petit doigt. Malheureusement, je sais qu’il n’en est rien.

Si au tout début c’était le cas, aujourd’hui, c’est plus fort que ça,
beaucoup plus même. Son physique n’est pas la seule chose qui me
trouble. Apprendre à la connaître a été une grave erreur. Au lieu
de réussir à me détacher, j’ai au contraire succombé davantage.
Certes, elle est orgueilleuse, vantarde et surtout beaucoup trop
sûre d’elle, cependant ses qualités arrivent sans mal à compenser
ces désagréments. Avec elle, je me sens en sécurité. Pas seulement
en sécurité d’ailleurs, mais à ma place. En sa compagnie, j’ai
l’impression de pouvoir tout dire, tout faire. Je ne crains pas de
l’effrayer à cause de mes pouvoirs, de la faire fuir à cause de mon
mauvais caractère. En plus d’être rassurante, elle arrive à me tenir
tête, or même si je ne l’avouerai jamais, nos disputes ont tendance
à exacerber mes émotions et, par extension, tout ce que je ressens
pour elle.

— Dis-moi la vérité, murmure-t-elle. Est-ce que tu as envie que je


t’embrasse ? Est-ce que tu… m’apprécies ?
64
Le cœur battant, je saisis parfaitement l’importance de ce moment.
Toute ma répartie habituelle me quitte, me laissant totalement
démunie face à la question directe de la jeune femme. Le « oui »
s’infiltre dans mon esprit, se coince à la barrière de mes lèvres. Il
ne s’agit que d’un mot, pourtant jamais quelque chose ne m’a paru
aussi difficile à prononcer. La peur m’envahit toute entière.

Que se passera-t-il si je cède ? L’avouer me placera


automatiquement en position de faiblesse. Prévoir les agissements
futurs de ma colocataire face à cette révélation est impossible. La
crainte qu’elle se détourne une fois mon cœur mis à nu, ou encore
qu’elle se mette à ricaner me pousse à rester silencieuse. De plus,
je suis incapable de lui faire confiance. Pas alors que son tableau
de chasse est si bien garni et qu’à coup sûr je ne deviendrai qu’une
parmi tant d’autres.

— Kara ? insiste-t-elle avec douceur.

— Je ne peux pas, avoué-je, tremblante.

— Si, tu peux. Une réponse à ma question, c’est tout ce que je te


demande.

Le regard noyé dans ses iris dorés, j’en perds peu à peu ma retenue.
Je déglutis et essaie de prendre mon courage à deux mains. Au
fond, et même si mon amour propre risque d’être piétiné, si mes
sentiments risquent d’être écrasés, il me restera toujours une
solution pour préserver ma dignité. En cas de dénouement négatif,
je pourrais lui faire tout oublier d’un simple sort : ma réponse, le
baiser, la journée entière.

Après une petite inspiration, je m’apprête à lui communiquer


l’information qu’elle désire. Je me rassure autant que possible en
65
examinant l’éclat particulier contenu dans ses prunelles. Je suis
prête. J’ouvre la bouche et, d’un seul coup, au lieu du stress lié à cet
aveu, c’est autre chose qui me noue l’estomac. Des picotements se
font ressentir sur l’intégralité de mon épiderme. Ma tête commence
à tourner. Au loin, je crois percevoir des voix, lesquelles sont de plus
en plus distinctes à mesure que l’impression de chuter s’intensifie.

Par réflexe, je tente de me raccrocher à Jehanne. Mes mains


agrippent brusquement ses épaules, mais elle devient floue comme
le paysage alentour. Terrifiée, je lutte contre cette énergie maléfique
qui veut m’engloutir. J’essaie de me débattre seulement mes forces
semblent m’avoir abandonnée et mes pouvoirs m’apparaissent
inefficaces. Le sol se dérobe sous mes pieds. Je ferme les yeux et,
après un moment qui me paraît interminable, après avoir cru que
j’étais en train de tomber dans un gouffre sans fond, mon corps
se stabilise. La morsure du froid ressentie jusque-là disparaît,
remplacée par une douce chaleur qui m’incite à rouvrir les
paupières.

En un instant, je reconnais l’endroit où je me trouve. Le sous-


sol du manoir de la sororité, aménagé en un salon confortable où
d’ordinaire nous pratiquons la magie, est baigné par la lumière de
diverses bougies. Un feu crépite dans la cheminée, néanmoins j’ai à
peine le temps de l’apercevoir. Quelqu’un me saute aussitôt au cou,
quelqu’un que j’arrive sans mal à identifier.

— Kara ! J’ai eu tellement peur, se lamente Agatha. Tu ne répondais


plus à ton téléphone, et quand les autres m’ont invoquée, il y avait
tous ces bruits dans le réfectoire… J’ai cru qu’il t’était arrivé quelque
chose.

Debout au milieu d’un cercle tracé à la craie sur le plancher, je


prends conscience que nous sommes loin d’être seules. Les trois
quarts des sorcières de mon coven sont réunis.
66
— Elle a cru que tu étais morte, commente Danaë.

— Elle n’arrêtait pas de pleurer en disant que tout était sa faute,


rajoute sa jumelle.

Un peu perdue, il me faut plusieurs secondes supplémentaires pour


reprendre totalement mes esprits. Je comprends très vite de quoi il
retourne. À plusieurs, mes sœurs ont visiblement été capables de
nous téléporter, Agatha et moi.

— Tu as l’air d’aller bien.

À ma gauche, Krystal m’examine de la tête aux pieds. Plus grande


que moi de quelques centimètres, la brune aux longs cheveux lisses
semble soucieuse, fatiguée également.

— Je vais bien, confirmé-je.

— Et Conrad, il ne t’a rien fait ? s’inquiète Agatha.

Toujours contre moi, la jeune femme se détache pour m’interroger.

— Rien de grave, j’ai réussi à lui échapper.

— Comment tu…

— On aura le temps plus tard pour les questions, l’interrompt


Krystal. Maxine, Rebecca et Chloé sont à Salem, hors de danger, mais
nous n’avons aucune nouvelle de Liliana. Le plus prudent est de
l’invoquer elle aussi.
67
— Surtout pas ! lancé-je beaucoup trop vivement.

Aussitôt, tous les regards se tournent vers moi. Prenant conscience


de ma bêtise, je me maudis intérieurement.

— Tu sais où elle est ? reprend Krystal avec méfiance.

— Oui, enfin non pas exactement, mais elle n’a pas besoin de notre
aide.

Rien que d’imaginer ce qui se passerait si Liliana disparaissait


soudain du champ de vision de Kendra, des sueurs froides me
saisissent. À coup sûr, la vampire aurait pour réflexe de venir
directement vérifier au manoir, or c’est tout sauf une bonne
idée. D’ailleurs, cette pensée me fait réaliser que Jehanne doit
actuellement se demander ce qui m’est arrivé. Sans doute croit-elle
que je me suis volontairement échappée. Après tout, étant donné
notre discussion, il ne serait pas étonnant que je me dérobe.

— Elle m’a dit de ne pas m’approcher de cet endroit, annoncé-je


pour changer de sujet.

— C’était dangereux il y a quelques heures, mais nous avons


réussi à reprendre le contrôle. Les envoûtés ont été chassés et des
barrières magiques ont été installées tout autour de la maison,
m’explique calmement Krystal.

Sûrement en raison de son épuisement, la brune n’insiste pas pour


en savoir plus au sujet de Liliana. Elle prend place sur un fauteuil,
quant aux autres filles, elles se dispersent en comprenant qu’aucun
nouveau rituel d’invocation ne sera à effectuer.

68
— Il ne nous reste plus qu’à attendre minuit, et nous pourrons
laisser cette sombre affaire derrière nous, reprend-elle.

Se pinçant l’arête du nez, notre grande prêtresse ne tarde pas à


être rejointe par Danaë et Dahlia. Habillées d’une robe identique,
violette foncée pour la première et rose claire pour la seconde, les
jumelles s’installent chacune sur un accoudoir. Toutes les trois en
quatrième et dernière année, elles sont plus proches que n’importe
qui. Certainement qu’une fois arrivées au même point dans notre
scolarité, Maxine, Rebecca et moi connaîtrons des liens semblables,
mais pour le moment, cette période me semble bien lointaine.

— Derrière nous ? répété-je sans y croire. La moitié du campus s’est


transformé en esclaves psychotiques. Certains ont été endormis,
d’autres retenus en otage par une plante carnivore. La bibliothèque
est complètement saccagée et je suis sûre que j’ignore plein de
choses.

— Un sort d’oubli général, puis un de retour dans le temps pour


remettre les lieux dans leur état d’antan et il n’y paraîtra plus,
commente laconiquement Krystal.

— Ça ne peut pas être aussi simple.

Très sceptique, je croise mes bras sur ma poitrine. J’ai beaucoup de


mal à croire que tout puisse se régler si aisément et, surtout, que
nous n’ayons à endurer aucune conséquence.

— Bien sûr que ça l’est. Nous sommes des sorcières, nous pouvons
faire absolument tout ce que nous voulons. Tu verras, avec le
temps, tu t’y habitueras. Qui sait, dans trois ans, tu seras peut-être
à ma place, à rassurer les novices et à prévoir toi aussi une activité
originale pour Halloween.
69
Alors que Dahlia et Danaë hochent la tête en guise d’assentiment, je
réalise soudain quelque chose.

— Quand tu parles d’oubli général, tu veux dire que plus personne


n’aura de souvenirs de cette journée ? Plus personne, sans aucune
exception ?

— Il y aura des exceptions.

— Oh, et qui seront les…

— Nous treize, répond Krystal sans me laisser finir. Les autres


oublieront tout de ces dernières vingt-quatre heures. La journée
leur semblera floue et ils penseront automatiquement à autre chose.

Perturbée par cette nouvelle, je ne parviens pas à garder


contenance. Mes bras retombent le long de mon corps, quant à mon
cœur, il se resserre dans ma poitrine. Je comprends en un instant
que non seulement Jehanne ne conservera aucun souvenir de
notre baiser dans le parking, mais qu’en plus notre câlin nocturne
disparaîtra de sa mémoire. Je ne devrais pas en être chamboulée.
Après tout, c’est tant mieux. Ainsi, elle ne pourra jamais me
taquiner avec ces évènements. De toutes mes forces, j’essaie de
m’en convaincre. Pourtant, au fond, je sais très bien ce qu’il en est.
Je suis triste, tellement triste que les larmes me montent aux yeux
sans que je puisse le contrôler.

— Kara, ça ne va pas ?

Inquiète, Agatha attrape mon bras. Ce geste me ramène


brusquement à l’instant présent. Constatant qu’elle n’est pas la
seule à me dévisager, je m’empresse de me reprendre.
70
— Si, ça va, ça va très bien. Je suis simplement fatiguée, déclaré-je
avec un sourire de façade.

— Tu veux aller t’allonger dans ma chambre ?

— Non, ça ira. Je vais juste m’asseoir.

— Ne sois pas ridicule, accepte la proposition d’Agatha. D’ailleurs,


tu devrais dormir ici cette nuit. Ce sera plus agréable que de
retourner dans ta cage à lapins, intervient Krystal.

— Oui ma pauvre, c’est trop dommage qu’il n’y ait pas assez de
place dans ce manoir pour les novices. Enfin, ne t’inquiète pas, d’ici
un an tu pourras emménager avec nous. Tes souffrances prendront
fin.

Face à l’expression compatissante d’Agatha, je donne le change. Je


la laisse m’entraîner dans la pièce qu’elle partage avec sa cousine
Thalya et j’essaie d’avoir l’air enthousiaste lorsqu’elle me parle
du futur quotidien qui m’attend. Ne pas être obligée d’utiliser
les douches communes et avoir ma propre salle de bain est bien
entendu quelque chose dont je me réjouis. Je suis également
contente de me dire que, plus tard, je pourrais bénéficier du confort
d’un grand lit double, ainsi que d’une penderie mesurant environ
dix fois la taille de mon placard actuel.

En réalité, il n’y a même que des avantages à emménager au manoir,


si bien que je m’en veux de ne pas ressentir seulement de la joie.
Je suis énervée contre moi-même et par extension contre Jehanne.
Encore une fois, tout est sa faute. Sans elle, ma satisfaction serait
totale. Tomber amoureuse d’une lycanthrope est vraiment le pire

71
qui pouvait m’arriver. Quoique non, le pire aurait été de m’attacher
à une vampire, mais dans tous les cas, choisir entre ces deux
espèces revient à hésiter entre Charybde et Scylla.

72
Le Lendemain

— Si un regard pouvait tuer…

À mon oreille, la voix de Liliana me fait sursauter. Plantée au beau


milieu du chemin menant au réfectoire, j’essaie immédiatement de
me reprendre. Malheureusement, ma meilleure amie n’est pas dupe.
En une fraction de seconde, elle repère ce qui jusque-là captait mon
attention, soit Jehanne en pleine parade amoureuse devant une
fontaine.

— Je suis sûre qu’elle ne s’intéresse pas du tout à cette fille. Elle lui
fait juste son numéro habituel, mais tu verras, dans dix minutes à
peine, elle aura déjà oublié son prénom.

— Inutile de me rassurer, je m’en moque complètement. Elle peut


bien flirter avec qui elle veut, ça ne me concerne pas le moins du
monde.

D’un mouvement vif, je rejette mes cheveux dans mon dos et


tourne la tête en direction de ma voisine. Contrairement à la veille,
elle semble radieuse. Je remarque qu’elle porte une nouvelle robe
blanche sous un gros gilet de laine, ce qui me donne l’occasion de la
taquiner à mon tour.

— Ne me dis pas que tu t’es mariée sans prévenir personne.

— Pas de mariage, nous attendons la fin de mes études pour ça.

— Est-ce que je suis invitée ?

73
Alors que nous nous sommes remises en route, Liliana me lance un
coup d’œil incertain.

— Ça signifie que tu approuves… ?

— Ça signifie que je veux être là pour toi quand tu vivras l’un des
plus beaux jours de ta vie. Pour le reste, ce n’est pas à moi de juger.
Personnellement, je ne comprends pas comment tu peux ne pas
être morte de peur en compagnie de cette femme. Mais après tout,
ce n’est pas moi qui serais amenée à passer ma vie en sa compagnie.

— Elle n’est pas si terrifiante…

Immédiatement, mes sourcils se froncent. Mon scepticisme doit


être clairement visible sur mon visage, car Liliana soupire et
reprend aussitôt.

— Bon d’accord, elle l’est. Seulement, ce n’est qu’une façade. Quand


on apprend à la connaître, on se rend compte qu’elle est vraiment
adorable. Je ne connais personne de plus attentionné.

— Attentionné dans le genre elle tue ses victimes sans les faire
souffrir ?

— Elle ne tue personne, enfin presque personne.

— Le presque est clairement de trop dans ton argumentation.

Du coin de l’œil, et alors que j’essaie de rester concentrée sur


notre discussion, je ne peux m’empêcher de remarquer le

74
rapprochement physique entre Jehanne et sa nouvelle conquête. Je
tente de demeurer insensible, de ne pas m’énerver quand je vois
l’étudiante poser sa main sur le bras de ma colocataire. Cependant,
en l’entendant rire comme une bécasse, il m’est impossible de me
contenir plus longtemps.

J’effectue un petit mouvement avec mon index. Le vent se met


à souffler plus fort, les feuilles à voler dans les airs, le tout droit
sur le visage de la blonde. Pour se dégager, elle a le malheur de
remuer un peu vivement et, vraiment, la tentation est trop forte.
En apercevant ses jambes si proches du bord de la fontaine, je ne
peux m’empêcher de bouger les doigts afin de créer un nouveau
courant d’air. Beaucoup plus puissant que le précédent, celui-ci
file en direction de la jeune femme et, la seconde d’après, je suis
récompensée par le doux son d’un corps en train de chuter dans
l’eau.

— Avec qui elle veut, tu disais ? se moque Liliana.

Loin de me tenir rigueur de mon comportement, mon amie semble


surtout amusée par ma prise d’initiative.

— Je lui rends service. Cette fille ne lui convenait pas du tout.

— Laisse-moi deviner, celle qu’il lui faut est rousse aux yeux verts ?
Elle a mauvais caractère et personne n’a intérêt à s’approcher de sa
promise sous peine d’attraper une bonne pneumonie ?

— Promise ? Tu fréquentes beaucoup trop Kendra.

— Tiens, c’est la seule chose contre laquelle tu protestes ? Il y a


quelque chose que tu souhaiterais m’avouer ?
75
Tout sourire, Liliana se saisit de mon bras. Nous dépassons le
« couple » au moment où Jehanne tend la main pour aider l’autre
fille à sortir les fesses de l’eau et, exceptionnellement, je décide de
me montrer honnête.

— Nous nous sommes embrassées hier.

— Vous… quoi ?

Ne s’y attendant visiblement pas, ma marraine a besoin de quelques


secondes pour se faire à l’idée. Elle reste silencieuse dans un
premier temps, avant de s’empresser d’enchaîner.

— Je veux tous les détails. Qui a fait quoi, où est-ce que ça s’est
passé, combien de temps ça a duré, n’omets rien surtout.

— J’étais coincée contre une voiture, elle était envoûtée, elle s’est
jetée sur moi, et ça a duré une bonne minute.

— Oh…

— Oui, c’est totalement nul, tu peux le dire. De toute manière,


grâce à Krystal, Jehanne n’en a plus le moindre souvenir. Elle ne se
souvient ni du baiser ni du moment glorieux où ce dernier l’a fait
revenir à elle et où nous nous sommes disputées.

Dépitée, je soupire. Après une bonne nuit de repos, j’avais espéré


que tout irait mieux. Un espoir illusoire puisque clairement rien n’a
changé depuis hier soir.

76
— Comment ça revenir à elle ? m’interroge mon amie. Vous vous
êtes embrassées et le sortilège a arrêté de faire effet ?

— C’est l’impression que j’ai eue. Je ne me l’explique toujours pas,


mais…

À cause du regard lourd de sens de Liliana, je m’interromps dans


ma phrase. Nous entrons dans le réfectoire quasiment désert en ce
samedi matin et sommes accueillies par une odeur de pain grillé et
de café.

— Quoi ?

— Non, rien.

— Je vois bien qu’il y a quelque chose, alors vas-y.

— Tu ne te l’expliques pas ? Pas du tout ? questionne-t-elle en


reprenant mes propos.

— Non, même si je suppose que ça a un rapport avec son côté loup-


garou.

Visiblement désespérée par ma réponse, Liliana secoue la tête.

— Tu ferais bien de réviser tes contes de fées. Dans quel cas, un


enchantement est-il levé ? Blanche-Neige, la belle au bois dormant,
après quoi se sont-elles réveillées ?

— Un baiser ?
77
— Un baiser d’amour partagé, me corrige-t-elle.

Arrêtées au milieu du hall du rez-de-chaussée, nous nous observons


en silence pendant quelques instants. Je m’attends à l’entendre rire,
à la surprendre se moquer de moi, cependant rien n’arrivant, je
prends les devants.

— Mais bien sûr, les contes de fées et puis quoi, encore, soupiré-je.
Tu penses vraiment que je vais y croire ?

— Je suis très sérieuse. C’est peut-être hyper cliché, mais la


sorcellerie ne peut rien contre ce genre de sentiment. C’est plus
puissant que n’importe quel sortilège ou talisman.

— Je pense que Kendra t’a prélevé trop de sang. La prochaine fois,


demande-lui de diminuer les quantités.

Tournant les talons, je décide de me diriger vers le premier étage où


sont servis les petits-déjeuners. J’ai grand besoin d’un café, un café
noir, extrêmement noir, pour me remettre les idées en place.

— Elle ne me mord pas, même si ce n’est pas la question. Réfléchis à


ce que je t’ai dit, d’accord ? Et pour une fois… sois gentille.

Gentille ? Je ne comprends le sens de ces paroles qu’au moment où


un bras s’abat sur mes épaules. Immédiatement, un frisson traverse
ma colonne vertébrale. Je suis prête à punir le malheureux qui a osé.
Mon index se lève. Je m’attends en conséquence à ce que l’inconnu
soit emporté en arrière, seulement rien ne se produit.

— Comment ça va, ma belle ? Tu as passé une bonne nuit ?

78
Au son de la voix de Jehanne, je me tends. Je ne me donne pas la
peine de tourner le regard vers elle et baisse l’épaule pour tenter de
me dégager.

— Où est-ce que tu te crois ? Lâche-moi tout de suite.

— Déjà de mauvaise humeur de si bon matin ?

— C’est toi qui me mets de mauvaise humeur. Viens, Liliana, on va


prendre notre petit-déjeuner.

D’un geste vif, j’enlève son bras et attrape la main de ma meilleure


amie pour l’entraîner à ma suite. Nous sommes sur le point de
gravir les escaliers menant au premier étage lorsque Jehanne
m’interpelle.

— Je sais que c’était toi.

— Je ne t’entends pas, déclaré-je sans me retourner.

— Tu es mignonne quand tu es jalouse. Un peu dangereuse aussi,


mais ça fait partie de ton charme.

— Je ne suis pas…

Sans réussir à me contrôler, j’effectue un quart de tour dans sa


direction. Puis, en apercevant son grand sourire, je me rends
compte que je viens de réagir exactement comme elle l’escomptait.
L’envie de me donner une grosse baffe est forte, très très forte,
d’autant que je suis momentanément troublée par son expression
joyeuse.
79
— Tu n’as personne d’autre à aller embêter ? questionné-je, agacée.

— J’ai en effet des personnes qui m’attendent. Je voulais juste


vérifier que tout allait bien.

— Pourquoi est-ce que ça n’irait pas ?

— Ça ne te ressemble pas de découcher. J’avais peur que tu sois en


pleine crise de manque.

— Manque de…

Alors que son sourire se fait plus grand, je fronce les sourcils.

— Maintenant que tu as eu ta dose, je vais pouvoir te laisser. À ce


soir, lance-t-elle avec un geste de la main.

Énervée, surtout par le fait de lui accorder le dernier mot, je serre


les poings. Mon regard se perd sur sa tenue composée d’un pull à
l’effigie de l’université, d’un jean et d’une paire de baskets. Ensuite,
tout se passe en une fraction de seconde. Mon tempérament
belliqueux prend le dessus, je déplie les doigts d’un seul coup et me
concentre sur ses lacets.

Ces derniers se détachent aussitôt et vont se coincer sous ses


chaussures alors qu’elle est en train de trottiner vers la sortie.
Je m’attends en conséquence à ce qu’elle chute, ou au moins à ce
qu’elle soit déséquilibrée. Cependant, comme si de rien n’était, ou
plutôt comme si elle l’avait sentie, elle s’arrête avec souplesse.

80
— Quelle inventivité, me taquine Liliana.

— Même tomber, elle ne peut pas le faire correctement, grommelé-


je.

Comprenant qu’il ne sert plus à rien de rester plantée là, je termine


de monter les escaliers en compagnie de mon aînée. La salle,
laissée dans un état déplorable la veille, est revenue à la normale.
Les tables et chaises sont disposées comme d’habitude. Un buffet
proposant un grand choix de céréales, de confitures, ainsi que
de boissons chaudes est réapprovisionné par un employé. Des
étudiants discutent en petit groupe, pianotent sur leur ordinateur,
ou encore sur leur téléphone. Tout est affligeant de banalité,
exactement comme si rien n’avait eu lieu, exactement comme
Krystal l’avait prédit.

— Je sais, ça fait bizarre, commente Liliana. Pour mon premier


Halloween ici, la grande prêtresse a eu l’idée de réveiller les morts
du cimetière voisin. Ils étaient attirés comme des aimants par notre
magie. C’était comme échapper à une horde de zombies, à ceci près
que, même sans tête, ils continuaient à nous pourchasser. Il y avait
des morceaux de corps partout sur le campus.

Dégoûtée rien qu’en l’imaginant, je fais une grimace et observe


Liliana se saisir de deux tasses.

— J’espère que l’année prochaine, tu opteras pour quelque chose de


moins répugnant.

— Rien ne dit que je serais élue à la tête du coven.

81
— Bien sûr que tu le seras. Krystal va te recommander et, surtout,
on a toutes prévu de voter pour toi.

Sans avoir besoin de m’interroger, ma voisine place ma tasse sous le


récipient contenant le café, la sienne sous celui destiné au chocolat
chaud et s’empare de différentes dosettes de sucre.

— Tu n’as pas peur du sort que je pourrais te réserver ?

— Désolée de te le dire, mais non. Krystal n’a pas réussi à m’effrayer,


ce n’est pas toi qui y parviendras.

— Krystal ne connaît pas tes points faibles. Voyons, par exemple,


pour la Saint-Valentin, que dirais-tu d’une journée entière où il
serait impossible de s’éloigner de plus d’un mètre de la personne
aimée ?

— Tu n’oserais pas, répliqué-je, horrifiée.

Pour toute réponse, ma voisine m’offre un sourire en coin qui me


fait froid dans le dos. Au fond, je sais qu’elle en est parfaitement
capable et, par extension, que mon avenir à la Blackwell Academy
s’annonce plus mouvementé que jamais…

FIN

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Fantastique par Reines de Coeur est une collection déposée par les
éditions Reines de Coeur

© 2019 Reines de Coeur

Conception graphique : Christelle Mozzati

Crédit Photo : Brian A Jackson / Shutterstock.com

Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou


partie de l’ouvrage, sous quelque forme que ce soit. Cette œuvre
est une oeuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les
lieux et les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination des auteurs,
soit utilisés dans le cadre d’une oeuvre de fiction pour construire
le décor, mais ne prétendent en aucun cas refléter une réalité
existante. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes
ou décédées, des entreprises, des évènements ou des lieux, serait
une pure coïncidence.

www.reinesdecoeur.com

ISBN : 978-2-37838-098-4

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Également disponible dans la collection
Fantastique

Blood Moon - Origine d’Axelle Law 9,70 Euros

Ione est une ange un peu particulière… Amnésique, elle n’existe


qu’à travers son rôle de médiatrice auprès d’Elvina. En tant que
Déclencheur, Elvina porte une lourde responsabilité : elle changera
un jour le monde en bien ou en mal. La créature céleste essaie
tant bien que mal de guider au mieux la jeune étudiante en magie,
consciente du pouvoir que celle-ci a entre ses mains. La tâche de
l’ange est plutôt aisée, même s’il n’est pas toujours évident de gérer
une adolescente.

Ione n’est pas seule à tenter d’influer sur le destin d’Elvina. Elle fait
face à Leto, son contrepoids maléfique. Mais un jour, le médiateur
de l’Enfer disparaît subitement. Il est remplacé par Hope, une ange
déchue qui voue une haine féroce à Ione. La collaboration entre les
deux médiatrices s’avère difficile, surtout que Hope ne rate jamais
une occasion de s’opposer à l’ange. Alors qu’Ione pensait que la
situation ne pouvait empirer, Elvina lui demande de partir à la
recherche de Leto. Ce dernier se trouvant en Enfer, la médiatrice
angélique n’a d’autre choix que de s’allier à sa pire ennemie pour
cette périlleuse expédition…

L’Héritage du Pouvoir Edwine Morin et Isabelle B. Price 9,70 Euros

Dans un monde où la magie existe sans que le commun des mortels


en ait conscience, les sorcières disposent d’importants pouvoirs.
Julianne fait partie de ces élues. Ce don, loin d’être une bénédiction,
met constamment sa vie en danger. Traquée en permanence,

84
Julianne mène une vie solitaire pour protéger les personnes qu’elle
aime.

Sara, quant à elle, est une jeune femme tout ce qu’il y a de plus
ordinaire. Détective privé à New York, sa petite agence commence à
rencontrer le succès.

Lorsque le destin réunit Julianne et Sara à nouveau, leur passé


commun les rattrape et bouleverse leurs certitudes. Malgré leurs
désaccords, elles devront unir leurs forces pour survivre…

L’Héritage du Pouvoir est le premier roman lesbien fantastique


écrit par Isabelle B. Price et Edwine Morin. Il met à l’honneur les
pouvoirs magiques et l’union des forces et caractères pour lutter
contre le Mal.

Blood Moon - L’Eveil d’Axelle Law 9,70 Euros

Sian est une vampire, une tueuse sanguinaire qui ne ressent


aucune émotion. En tant que Déclencheur, elle porte une lourde
responsabilité : elle changera un jour le monde en bien ou en mal.
En attendant son Avènement, persuadée qu’elle est maudite, Sian
laisse libre cours à sa nature et passe son temps à tuer.

Heather est une lycan, plus communément appelée louve du Nord.


Elle lutte depuis des années contre ses instincts de chasseuse et
tente de faire le bien. Après avoir sauvé sa meilleure amie, Jodie,
lors d’une battue organisée par des vampires, elle est bannie de sa
meute.

Vouées à se détester et à se combattre, Sian et Heather vont


pourtant devoir avancer ensemble pour venir à bout de leurs
ennemis communs…
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Les Portes d’Ys de Fanny Mertz 3,99 Euros

Cette histoire aurait pu débuter ainsi : « Il était une fois, au milieu


d’une baie tranquille, quelque part en Bretagne, une fille ennuyeuse,
qui ramait. »

Sauf qu’il n’est pas question ici d’un conte, encore moins d’une
histoire inventée. Isabelle est bien réelle. Et comme toute personne
censée, elle perd son calme lorsque sa barque s’échoue sur un banc
de sable au milieu de la baie de Douarnenez. Alors que, les pieds
dans la vase, elle lutte contre l’adversité, un petit éclat de lumière
capte son regard. Fascinée, elle cesse de se débattre et découvre un
mystérieux médaillon argenté : un triskèle.

L’emblème celte autour du cou, Isabelle retourne à sa routine


parisienne. Mais au fil des jours, des phénomènes étranges se
produisent. La jeune femme change de comportement : sa vie,
auparavant si terne, devient lumineuse, ses goûts évoluent dans
tous les domaines, et surtout, une magnifique inconnue commence
à hanter ses rêves…

Et si Isabelle était tout simplement rattrapée par son destin ?

Les Amantes de Las Nieves de Sylvie Géroux 3,99 Euros

Quand Charlie et Cristina décident de se lancer avec quelques


amis dans une expédition d’Urbex au Manoir Maria de las Nieves
en Espagne, les jeunes femmes sont loin de se douter de ce qui les
attend…

Une fois entrée dans la bâtisse, Cristina, passionnée d’histoire,


rappelle aux explorateurs d’un jour l’histoire si particulière de
86
ce lieu. Au cours d’une nuit de folie, le Señor Calderon, ancien
propriétaire des lieux, tira sur sa fille et sa femme, apparemment
sans raison. C’est donc avec une certaine appréhension et un
parfum d’interdit que les aventuriers pénètrent dans le manoir
abandonné.

Tiraillée entre ses sentiments inavoués pour Cristina et les appels


du pied de l’une des membres du groupe, Charlie prend la tête des
opérations espérant laisser derrière elle ses déboires amoureux.

Mais rapidement la joyeuse bande se retrouve confrontée à des


événements pour le moins inattendus… et si le manoir n’était pas si
abandonné que cela ?

Chaud et Froid d’Alice Turner 3,99 Euros

Le bac en poche, Odile passe l’été à travailler à l’Olympos, un


club de vacances situé dans le Sud de la France. Accompagnée
de sa meilleure amie Chloé, elle jongle entre la dureté du job de
saisonnière et la joie de pouvoir profiter de la piscine après ses
heures passées derrière le bar.

Alors que tout va pour le mieux, Odile croise la route de Cupidon


(lui-même) ! Le fameux entremetteur professionnel est en congé
pour la première fois de son existence. Poussé à reprendre du
service par sa mère, il se voit confier une mission de la plus haute
importance : s’occuper du cas Odile Dupré. Lorsqu’il découvre que
celle-ci a 97,77% de compatibilité avec la belle Clara, le dieu de
l’amour décide de tout mettre en œuvre pour aider la jeune femme.

Mais Odile n’en faisant qu’à sa tête, rien ne se passe comme Cupidon
l’avait prévu…

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La Magie d’Halloween Edwine Morin 3,49 Euros

A Vancouver, Kimberley mène une vie de rêve entre ses riches


parents et ses amies de la haute-société. Loin des préoccupations
quotidiennes, elle ne se soucie que d’elle et des exubérantes soirées
auxquelles elle participe.

Le soir d’Halloween, elle se dispute violemment avec un groupe de


jeunes homosexuelles. L’une d’entre elle la menace mais Kimberley
préfère l’ignorer. Quand le lendemain matin, elle se réveille dans le
corps de cette inconnue, elle réalise l’horreur de la situation.

Kimberley est alors prête à tout pour retrouver son ancienne vie…

La Magie d’Halloween est la première nouvelle fantastique


d’Edwine Morin qui signe ici une histoire drôle, décalée et
envoûtante.

Sept Jours Alice Turner 3,49 Euros

Comme chaque année, Anna Dujardin fête Noël chez ses grands-
parents. Entre sa grand-mère qui l’interroge sur son éternel célibat
et son cadeau de noël se résumant à un pull des plus kitsh, la soirée
tourne au fiasco. Avant de rentrer chez elle, Anna jette de dépit le
pull dans la neige et le piétine.

Ce geste ne sera pas sans conséquence puisque quelques heures


plus tard le Père Noël débarque chez elle pour la réprimander !
Afin de réparer son acte, il la pousse à aller échanger son pull en
magasin. Loin de se douter de ce que le Père Noël a en tête, Anna
s’exécute en râlant. Mais au centre commercial, la jeune femme fait
une rencontre qui pourrait bien changer le cours de sa vie…
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De la même auteure

Escorte-Moi de Lena Clarke 9,70 Euros

Passionnée par son métier et à la tête de sa propre entreprise, June


Miller n’aime ni les surprises ni les mondanités. Quand Olivia, son
associée et meilleure amie l’oblige à se rendre à un gala de charité,
la jeune femme s’attend au pire. Et pour cause… Lorsqu’une escorte
girl embauchée par son amie frappe à la porte pour l’accompagner,
June ignore comment réagir.

Prise au piège, elle accepte de passer la soirée avec Sasha. La jeune


escorte, qui n’a pas sa langue dans sa poche, affronte avec patience
l’énervement et les réticences de sa cliente. Elle parvient même à la
convaincre qu’il faut parfois se plier au jeu des apparences. Surtout
lorsqu’elles permettent de mettre en rogne Adriana, l’ex de June.

Déstabilisée par le comportement de Sasha, June ne sait plus sur


quel pied danser. Mais, à ce jeu de séduction, qui se brûlera les ailes
en premier ?

Par-delà Les Astres de Lena Clarke 9,70 Euros

Les Lindoriëns, une espèce extra-terrestre, ont envahi la Terre


depuis dix ans. Chaque année, un contingent de jeunes terriennes
est envoyé dans l’espace pour servir de compagnes et de
reproductrices à leurs représentants influents. Leela, une jeune
femme orpheline conditionnée à cette tâche, fait partie de cette
moisson.

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Le grand jour arrive enfin. Leela, élevée dans un internat sur Terre,
va rencontrer Jenok, le commandant à qui elle est promise. Elle
ignore tout de cet individu dont elle espère secrètement pouvoir
tomber amoureuse.

Malheureusement, l’arrivée de la jeune femme dans le vaisseau ne


se passe pas comme prévu. Prise d’un coup de panique, Leela décide
de fuir et de reprendre sa vie en main. Dans la tourmente, la jeune
terrienne tombe sur Rajaya, une Lindoriënne prête à l’aider. Mais à
quel prix ?

Leela va rapidement se rendre compte que Rajaya pourrait être plus


qu’une simple alliée…

Faux-Semblants de Lena Clarke 7,90 Euros

New York, 1957. Kristen Hamilton, une jeune femme en quête


d’indépendance, décide de prendre son destin en main et de ne
pas suivre le chemin qui a été tout tracé pour elle. Une annonce
pour un poste de secrétaire trouvée dans le très sérieux New York
Times l’amène à pousser la porte du cabinet de détectives Parker &
Associé.

Si la réputation de cette agence n’est plus à faire, Kristen est


surprise par le désordre qui règne à son arrivée. Les présentations
à peine terminées, la jeune femme est aussitôt embauchée par
Charles Parker, le fondateur de l’entreprise. L’homme paraît cordial,
mais Kirsten ne peut en dire autant d’Emma Parker, sa femme et
associée. Glaciale, la détective privée ne ménage pas la nouvelle
secrétaire.

Décidée à percer les secrets de Parker & Associé, Kristen ne laisse

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que peu de répit à sa mystérieuse patronne. Ne dit-on pas que les
apparences sont souvent trompeuses ?

New Heaven de Lena Clarke 9,70 Euros

Angelina est une lycéenne de dix-sept ans bien éloignée des réalités
des adolescentes de son âge. Embauchée pour l’été dans le seul
café présent à New Heaven, la ville où elle habite, la jeune femme
partage sa vie entre son travail temporaire et Noah, son neveu de
quatre ans qu’elle élève comme son propre fils.

Après avoir une fois de plus joué les taxis pour sa meilleure amie
Madison, Angelina croise le chemin de Samantha dont la voiture est
en panne sur le bord de la route. Les deux femmes s’engagent dans
une conversation animée où priment l’ironie et le second degré.

Samantha cherche à en apprendre plus sur Angelina. Bien décidée


à ne pas laisser filer sa mystérieuse bienfaitrice, elle rejoint la
serveuse sur son lieu de travail le lendemain matin. Dans une
ville où tout le monde se connaît, la nouvelle venue ne passe pas
inaperçue.

Étonnée de la voir franchir le seuil du Diner, Angelina a du mal


à comprendre l’intérêt que lui porte Samantha. Mais loin de lui
déplaire, ce jeu du chat et de la souris réveille en elle des sentiments
jusqu’à présent étouffés.

Par-delà les Mondes de Lena Clarke 9,70 Euros

Tamsyn, une jeune Neklonis, est maintenue en captivité depuis de


longues années par des Lindöriens dont elle ignore tout. Maltraitée
et réduite au statut de cobaye, elle perd tout espoir jusqu’au jour où
91
une autre prisonnière lui fait part de son projet d’évasion. Saisissant
cette opportunité unique, Tamsyn parvient à s’échapper, poursuivie
par les gardiens du centre.

Égarée sur une planète inconnue, elle tombe nez à nez avec Leela,
devenue princesse lindörienne depuis son mariage avec Rajaya.
Leela décide de prendre Tamsyn sous son aile quand elle découvre
l’état d’épuisement de la Neklonis. Mais Sierra, la militaire en
charge de la sécurité de la princesse, ne voit pas d’un très bon œil la
présence de cette intruse. Elle doit cependant se plier aux désirs de
Leela quand cette dernière invite Tamsyn au palais.

Après l’histoire d’un coup de foudre dans Par-delà les Astres,


Lena Clarke nous offre, avec Par-delà les Mondes, une rencontre
entre deux êtres qui, malgré leurs différences, vont peu à peu
s’apprivoiser.

Piégées en Mer de Lena Clarke 3,49 Euros

Katelyn Mitchell, jeune femme au caractère bien trempé, est une


actrice américaine de renommée internationale. Habituée aux
mondanités, elle les déteste pourtant. Devant endosser le rôle de
demoiselle d’honneur pour le mariage de sa meilleure amie, Emily,
elle se retrouve coincée en mer sur un yacht. Alors que la soirée
bat son plein, Katelyn, phobique des bateaux, essaie par tous les
moyens de s’échapper.

En pleine réflexion sur son plan d’évasion, elle tombe nez à nez
avec Alexis, son amour de jeunesse qui n’est autre que la sœur de
la mariée. Bien décidée à l’éviter, elle tourne les talons et part à la
recherche de son agent, son cavalier pour la soirée. Malgré leur
relation tendue, Katelyn considère que sa compagnie sera toujours
meilleure que celle d’Alexis. Mais les choses ne se passent pas

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exactement comme elle l’aurait souhaité.

Dans une situation délicate, Katelyn n’a d’autre choix que d’accepter
l’aide d’Alexis, il en va de sa survie…

Entre Rêve et Réalité de Lena Clarke 3,99 Euros

Dans un Japon futuriste où les écrans ont été remplacés par des
hologrammes et où les bracelets connectés gèrent le quotidien, la
docteur Rachel Adams est chargée de la supervision chez Yumelab.
Grâce à une innovation technologique, cette entreprise propose
à ses clients de faire des rêves éveillés et de s’évader de leur
quotidien.

Au sein de la startup, la jeune britannique de trente ans gère une


équipe d’architectes oniriques. Le rôle de celles-ci est de guider
les clients en mal d’inspiration. Parmi ces hôtesses se trouve Rika,
une jeune Japonaise pétillante et spontanée. Rachel est sous le
charme de Rika depuis de longs mois. Mais, étant sa supérieure, elle
se refuse à agir par déontologie et surtout par peur d’une terrible
désillusion.

Lassée de jouer au chat et à la souris avec son employée, Rachel


pourrait bien se laisser tenter par les machines à rêves de Yumelab
pour assouvir ses fantasmes…

Joyeux Noël de Lena Clarke Gratuit

Le soir du 1er décembre, Sarah se retrouve à la caisse de la


supérette proche de son domicile. Les courses de dernières minutes
qu’elle vient d’effectuer étant le résultat d’un pari perdu, la jeune
femme n’a pas pris la peine de se changer. Elle est donc vêtue de son
93
pyjama, d’un énorme manteau et d’un bonnet difforme. Après tout,
elle n’est là que pour du popcorn et des M&M’s.

Malheureusement, la vie en a décidé autrement. Sarah se


retrouve nez à nez avec une caissière sublime dont elle tombe
immédiatement sous le charme. Déstabilisée par ce coup de foudre,
elle part en bégayant, honteuse. Pourtant, les jours suivants, plus à
son avantage, elle décide de revenir.

Les rencontres s’enchaînent sans que Sarah n’ait le courage de


parler à cette jeune femme qui la captive. Pourquoi les romans dont
elle est si éprise n’ont jamais envisagé ce cas de figure ? La magie de
Noël l’aidera-t-elle à faire le grand saut ?

94
Table des matières

Minuit2

04h007

12h0017

19h0032

20h0044

Le Lendemain 73

Également disponible dans la collection Fantastique 84

De la même auteure 89

95

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