La Voile Qui Nous Porte, Qui Tient La Voile

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La voile nous porte, qui tient la voile ?

Olivier Caldara
Bio Air Technologies
http://www.bio-air-technologies.com
oliv.calda@club-internet.fr
olivier.caldara@dassault-aviation.com

Parution Vol Libre n° 327 Octobre 2003


La voile nous porte, qui tient la voile ?

Sur un décollage de la région parisienne, lors d’une belle journée un peu trop calme,
les parapentistes présents sur le site s’adonnent à leur occupation habituelle en ces occasions
où les conditions sont insuffisantes : la discussion sur les avantages ou caractéristiques
comparées de tel ou tel modèle de voile. En écoutant d’une oreille distraite, on pourrait
surprendre l’échange suivant :

• moi je vole sous une « 24 », je suis donc plus chargé et j’ai un gain de vitesse
par rapport aux autres voiles
• ah bon, ma voile fait 27 m², et malgré cette surface, elle est assez rapide alors
que nous avons à peu près le même gabarit …

Ce débat sur la réduction de surface pour augmenter la vitesse bras hauts est « à la mode »,
bien que cette augmentation de vitesse se paie nécessairement par une diminution des
performances maximales atteignables, en taux de chute et en finesse (voir Vol Libre n° 323).

Poussant plus loin leur discussion, nos deux compères s’aperçoivent qu’ils parlent tout les
deux du même modèle de voile, l’un utilisant la dénomination constructeur « 24 »,
représentant la surface projetée, et l’autre se référant à la surface réelle à plat de la voile, de
27 m² !

Cette petite anecdote, ou d’autres similaires, permettent de mettre l’accent sur les
caractéristiques spéciales de nos voiles par rapport aux autres machines volantes :

• Pourquoi plusieurs surfaces sont définies pour le parapente ?


• quelle est leur signification, à quoi servent-elles ?
• comment sont elles définies, quelles sont les conséquences du rapport entre la surface
projetée et la surface vraie sur les qualités de vol et les performances de nos voiles ?
• Quelle est la « bonne » surface à prendre en compte dans le cas de nos deux compères,
lorsqu’on parle de vitesse de vol ?

Le parapente, une aile tridimensionnelle :

En effet, contrairement à la majorité des autres aéronefs à voilure fixe, planeurs, rigides, ou
deltas par exemple, le parapente possède une aile fortement tridimensionnelle.
Cette particularité découle directement de la structure mécanique particulière de nos voiles,
très différente de celle des ailes traditionnelles.
Sur une aile de planeur ou de rigide par exemple, la tenue des efforts aérodynamiques de
portance le long de l’envergure est assurée par un ou plusieurs longerons. Ce longeron se
comporte comme une poutre encastrée au centre de l’aile, et travaille majoritairement en
flexion. La somme des efforts reportée au centre de l’aile, ou résultante aérodynamique, est
égale à l’équilibre au poids de l’aéronef (figure 1).
figure 1 : aile du planeur, longeron en flexion

Sur une aile de parapente, aucune partie rigide n’est susceptible de soutenir les efforts de
portance en flexion pour les reporter au niveau du pilote. Seul un ensemble de suspentes, ne
pouvant reprendre que des efforts de traction pure, est disponible pour le transfert des efforts.
La décomposition des éléments de portance locaux au niveau de chaque point de suspentage
est représentée figure 2, en approximant dans un premier temps le parapente à une simple
surface, et en supposant que la portance locale est toujours positive.

Cette décomposition et ses conséquences sur la structure


dépendent principalement de la courbure moyenne de la
voûte et de la position du pilote, point de convergence du
faisceau de suspentage, par rapport au centre de courbure
moyen de la voûte. La résultante locale de tension du
tissu, après projection de la portance locale le long de la
suspente peut produire un effet variable selon la
géométrie de l’ensemble voile-suspentage-pilote.

figure 2 : parapente, suspentage en tension

D’un point de vue général, plusieurs cas peuvent se présenter (figure 3) :


figure 3a : effondrement voûte trop plate

• 3a) la courbure moyenne de la voûte est faible, voire plate, voire inversée (les
premières esquisses d’un des co-inventeurs de la Bionic étaient dans ce cas) ! le pilote
est donc nécessairement au dessus du centre de courbure de la voûte, à moins d’avoir
un suspentage très long … Dans ce cas, les résultantes locales de tension du tissu
tendent à replier la voile vers l’intérieur, et à effondrer la structure. Aucun parapente
ne retient donc cette structure.

• 3b) la courbure de la voûte est telle


que le centre de courbure et la
position du pilote sont confondus.
C’est le cas limite où les tensions
transmises au tissu par les efforts de
vol sont nulles. La structure du
parapente ne tient que par la pression
interne. Dans la pratique, les voiles
n’utilisent pas cette solution car elle
est trop limite.

figure 3b : cas limite voûte circulaire centrée

• 3c) le centre de courbure est plus bas


que la position du pilote. c’est une
structure classique qui permet une
tension régulière de la voile.

figure 3c : cas général voûte décentrée


Pour des raisons impératives de tenue structurale, un parapente possède donc une courbure
moyenne orientée vers le bas, dont le centre est en règle générale au dessus de la position
pilote. Des adaptations locales peuvent être réalisées, comme par exemple sur la Bionic qui
possède des winglets à courbure négative et un V central, grâce à la pression interne du
parapente. Elles nécessitent une étude poussée de l’équilibre structural local.

Les conséquences de cette structure fortement tridimensionnelle sont multiples, sur le plan des
performances et sur le plan de la sécurité.

Voûte et performances :

Au niveau des performances, les parties inclinées de la surface portante génèrent une portance
inclinée, dont seule la composante verticale se retrouve dans la RFA (figure 4). La
composante horizontale est annulée par symétrie.

figure 4 : portance projetée = surface projetée x Cz

Dans le cas extrême d’un stabilo vertical, la portance générée par cette partie de l’aile ne
provoque que de la trainée (elle sert quand même à quelque chose comme on le verra plus
loin). L’ensemble de la surface développée ou « à plat » génère de la traînée de surface et de
la trainée induite, mais seule une partie de la portance sert à maintenir en l’air le parapente. La
figure 4 montre que pour un Cz local constant sur toute l’envergure, la somme des projections
des composantes verticales locales de la portance ( ( ∆s ⋅ Cz ) proj ) est équivalente à prendre en
compte une projection verticale de la surface totale, qu’on appelle « surface projetée » :

∑ (∆s ⋅ Cz ) proj = S proj ⋅ Cz


Il est pratique pour évaluer la courbure de la voûte d’une voile, de définir le coefficient
d’aplatissement. Il est égal au pourcentage de réduction de la surface projetée par rapport à la
surface développée :
S − S proj
aplatissement (%) = ⋅100
S
Plus l’aplatissement est faible, plus la voile est « plate ». La plage de variation moyenne
d'aplatissement est de l'ordre de 10 à 15%. L’équation de portance à la vitesse d’équilibre est
la suivante :

1
m ⋅ g = ⋅ ρ ⋅V 2 ⋅ ( S proj ⋅ Cz ) 2 + ( S ⋅ Cx )2
2
elle peut se simplifier lorsque la finesse est supérieure à 5 en une expression à 2% près :

1
m ⋅ g = ⋅ ρ ⋅ V 2 ⋅ S proj ⋅ Cz
2

Ce qui donne en utilisant l'aplatissement l'équation suivante :

m⋅g=1⋅ρ⋅V 2 ⋅S⋅(1−ap)⋅Cz
2
De même, l'équation de la finesse est la suivante :

f =(1− ap)⋅Cz
Cx
A partir de ces deux équations, on peut tirer les premières conclusions suivantes, en supposant
dans un premier temps que le changement d'aplatissement n'agit que sur la voile elle-même :

• toutes choses égales par ailleurs, une diminution de 5% par exemple de l'aplatissement
(passage d'une aile "standard" 15% à une aile "compet" 10%) pour une aile donnée
provoque une diminution de 2.5% de la vitesse de vol, soit 1 km/h environ pour une
vitesse de vol de 36 km/h

• pour rétablir la vitesse de vol initiale, avec la même diminution de 5% de


l'aplatissement, il est nécessaire de diminuer le Cz de la même proportion, soit 5%.

• en première approximation, et au même Cz, la finesse d'un parapente est diminuée de


la valeur de l'aplatissement par rapport à la même aile d'aplatissement nul. Une aile de
8.5 de finesse et de 15% d'aplatissement ferait donc 10 de finesse à aplatissement nul.

• de ce qui précède, on peut déduire qu' 1% d'aplatissement correspond à un gain de


finesse d'environ 1/10ème sur nos parapentes, à Cz constant.
Il est à noter que si le Cz n’est pas constant en envergure, ces équations ne sont plus tout à fait
valables. Ainsi, à voûte donnée, si le Cz est plus élevé au centre qu‘aux extrémités, la
portance équivalente sera plus élevée et l’aile plus perfo, et si le Cz est plus faible au centre,
elle sera moins élevée et l’aile moins perfo (figure 5).

figure 5 : cas Cz non constant en envergure

En conclusion, plus la voûte est plate et en considérant le seul effet sur la voile, plus l’aile est
performante a priori, de 0.1 point de finesse environ par % d'aplatissement à Cz constant.

Cependant, le gain réel en performances doit tenir compte d'autres facteurs pour être évalué.
Dans un premier temps, si le Cz est diminué pour conserver la même vitesse bras hauts, l'effet
sur les performances est un peu plus compliqué à calculer puisque le Cx varie lui aussi à cause
de la traînée induite (voir étude de la surface Vol Libre n° 323). De même, un aplatissement
élevé nécessite un suspentage plus long pour les raisons structurales expliquées plus haut,
donc une augmentation de traînée. Il est intéressant d’évaluer le gain réel d’une variation de
l’aplatissement en tenant compte de cette augmentation de traînée de suspentage, pour une
vitesse bras hauts constante :

hypothèses :

allongement 6
surface à plat = 29 m²
loi de corde elliptique
voûte circulaire
Cx profil = 0.012
Traînée pilote = 0.4 m²
aplatissement initial 15%, variation jusqu'à 5%
longueur suspentage initial 400 m
par hypothèse, on fait varier la hauteur de suspentage afin que le pilote soit placé 2 m environ
sous le centre de la voûte pour conserver la tension structurale de l'aile. On choisit de plus de
conserver constant le suspentage haut (2/3 de la longueur totale de suspentes) et de ne faire
varier que le suspentage bas. La longueur totale de suspentes varie donc rapidement avec
l'aplatissement, qui éloigne le centre de voûte.

Quelques résultats sur les performances sont donnés figures 6 à 10 :

• La figure 6 représente la
variation de hauteur de
suspentage pour un
aplatissement de 5 à 15%. On
remarque que l'aplatissement
de 5% semble complètement
déraisonnable. On constatera
plus loin qu'il ne donne pas les
gains escomptés, à cause de
l'augmentation de traînée de
suspentage

• La figure 7 représente la
variation de longueur totale
de suspentage pour la
même variation
d'aplatissement.

• La figure 8 représente la
variation de surface projetée
pour la même variation
d'aplatissement

8
• La figure 9
représente en vue
de face les voûtes
obtenues pour 5,
10 et 15 %
d'aplatissement,
ainsi que les
positions
respectives du
pilote. On vérifie
que la voûte à 5 %
d'aplatissement
donne un
parapente trop
"extrême".

• Enfin, la figure 10
montre la
comparaison des
performances en
fonction de
l'aplatissement pour
plusieurs hypothèses
de définition :

9
o La courbe bleue continue est représentative d'une évaluation de la finesse ne
tenant compte que des variations sur la voile comme présenté plus haut en
première approximation, sans prise en compte d'une variation de Cz pour la
conservation de la vitesse bras haut, et sans prise en compte de la variation de
longueur de suspentage. On vérifie le gain approximatif de 0.1 point de finesse
par % d'aplatissement.

o La courbe bleue pointillée est représentative d'une évaluation tenant compte de


la diminution de Cz nécessaire à la conservation de vitesse bras hauts, sans
prise en compte de la variation de longueur de suspentage. Le gain obtenu est
plus faible de 30 %.

o La courbe rouge est représentative d'une évaluation tenant aussi compte de la


variation de longueur de suspentage. On constate que le gain de finesse
diminue fortement. Il n'est que de 0.25 points pour une diminution de
l'aplatissement de 15 à 10 %, soit la moitié de l'approximation initiale. On
constate par ailleurs qu'une diminution plus importante de l'aplatissement est
inutile puisque la finesse évolue peu en dessous de 10 %, et que la tendance
devient inverse, à cause de l'augmentation de la traînée de suspentage.

o Enfin, la courbe rouge en pointillé montre une évolution des performances que
l'on peut obtenir en changeant les hypothèses de départ concernant le
suspentage : diminution de la longueur totale (suspentage plus clairsemé), ou
diminution de la hauteur pilote (1 m en dessous du centre de courbure dans ce
cas, au lieu de 2 m). Le gain présenté de 0.1 point de finesse environ se fait au
détriment de la sécurité (suspentage favorisant les cravattes) ou des capacités
en virage (mise en roulis plus faible, instabilité spirale)

Sur la question des performances, le gain représenté par la réduction de l'aplatissement de 15


à 10 % semble donc très marginal, de l'ordre de 0.25 points de finesse pour une aile donnée,
toutes choses étant égales par ailleurs et en tenant compte d'une augmentation de la longueur
de suspentage. Outre les concessions nécessaires à la sécurité et à la manœuvrabilité si l'on
veut augmenter ce gain, l'analyse présentée ci-après montre les conséquences apportées sur la
tenue de la voile.

Voûte et tenue de la voile :

En reprenant les données précédentes sur la définition du point de vol et de la


géométrie de la voile en fonction de l'aplatissement, on peut évaluer l'évolution de la
composante transverse des efforts sur la demi-voûte en fonction de l'envergure, pour plusieurs
cas. La figure 11 montre cette évolution pour la voile d'aplatissement 15 % (courbe rouge),
celle d'aplatissement 10 % (courbe bleue pointillée), et celle d'aplatissement 10 % à hauteur
de suspentage réduite (courbe bleue). Cette composante transverse est représentative de la
tension apportée par la portance sur la voile, donc de la tenue de celle-ci. Elle est représentée
en kg sur les courbes.

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Ces courbes montrent que plus une voile est aplatie, moins elle est "béton" (diminution de
30% de la tension entre 15% et 10% d'aplatissement), et que la réduction de hauteur de
supentage agit encore plus sur la tension (diminution supplémentaire de 50% pour la hauteur
de suspentage réduite).

Au final, cette réduction de tension agit directement sur la tenue en turbulences de la voile, et
donc au premier plan sur la sécurité.

Enfin, on peut remarquer que si la charge alaire est un bon indice pour juger du caractère de
tension d'une voile, et que si la diminution de surface favorise a priori cette tension, la
géométrie de la voile et la position du pilote sont tout aussi importantes.

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Au vu de ce qui précède, la quête de l'aplatissement sur les parapentes semble donc très peu
profitable compte tenu des inconvénients potentiels sur la sécurité et les qualités de vol. A
moins d'être un extra-terrestre du pilotage pour palier les défauts apportés en maniabilité et en
tenue en turbulence, aucun parapentiste lambda n'a d'intérêt à rechercher l'aplatissement
maximum pour le choix d'un modèle de voile, pour bénéficier d'un avantage de 0.2 à 0.3
points sur 8.5 de finesse. Seuls les compétiteurs sont a priori susceptibles d'assumer une telle
prise de risque pour un si maigre avantage.

Olivier Caldara
Bio Air Technologies
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