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à propos de la biodiversité

par Maxime Lamotte


116, bd Raspail, 75006 Paris
Laboratoire d'Herpétologie du Muséum national d'histoire naturelle : 57, rue Cuvier, 75005 Paris

La biodiversité est un terme récemment introduit pour remplacer l'expression parfaitement synonyme
de diversité biologique ! Il recouvre un grand nombre de caractéristiques biologiques différentes qui se
manifestent à tous les niveaux d'organisation menant des molécules aux cellules, aux organismes, aux
populations, aux biocénoses et à la biosphère. La biodiversité concerne donc aussi bien la biologie
moléculaire, la cytologie, l'histologie, l'embryologie, l'anatomie comparée, la systématique, la
génétique des populations, l'écologie... Cependant, si son étude présente un intérêt évident à chacun
des niveaux d'organisation du monde vivant, son lancement médiatique est lié à une motivation
nettement plus précise reposant sur une double constatation. La première est que le monde subit de nos
jours une dégradation de plus en plus rapide et que des espèces, des écosystèmes, des types de paysage
même disparaissent, entraînant une diminution irréversible de la richesse de notre Planète. La seconde
est que l'étude des éléments constituants de cette richesse - populations végétales et animales,
biocénoses - est de plus en plus négligée par une communauté scientifique qui la croit « dépassée »...
faute d'en comprendre l'intérêt. Aussi est-il urgent d'attirer l'attention sur ces domaines de la biologie
en voie de sous-développement, tant pour en rappeler l'importance fondamentale que pour en orienter
les développements futurs.

1. La multiplicité des paysages et des écosystèmes


L'aspect le plus apparent de la biodiversité est celui que représente la multiplicité des paysages à la
surface de la terre. Des océans arctiques aux mers chaudes, des forêts équatoriales aux forêts
tempérées et aux toundras, des savanes boisées aux steppes arides, les types de végétation et, en
liaison avec eux, ceux des peuplements animaux, sont innombrables. La diversité, qui est liée en
premier lieu aux conditions mésologiques et notamment au climat, est encore accrue par la localisation
géographique et par un isolement plus ou moins grand dans des continents, des îles, des lacs, des
réseaux hydrographiques différents. Comme elle concerne l'ensemble de la surface du globe, elle est
directement menacée par les destructions et les modifications que provoque partout, inexorablement,
la prolifération du genre humain.
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De fait, la nature primitive ne permet la subsistance que de populations humaines de faible densité,
vivant par surcroît dans des conditions d'inconfort peu compatibles avec les désirs nés de la
civilisation occidentale moderne. Aussi ne reste-t-il plus guère que de rares populations comme les
Pygmées d'Afrique centrale, diverses tribus de Nouvelle Guinée et de Bornéo, quelques aborigènes
d'Australie, qui vivent en équilibre avec leur milieu. Partout ailleurs des paysages nouveaux se sont
substitués à ceux qui existaient au cours des millénaires précédents. Ils sont le produit des
« civilisations », si l'on groupe sous ce vocable tous les changements qui ont permis l'accroissement de
la densité des populations humaines en modifiant le milieu naturel. Tel fut le cas du remplacement de
la cueillette de centaines d'espèces de la végétation naturelle par la culture de plantes appartenant à des
espèces de moins en moins nombreuses et de plus en plus différentes des souches originelles,
remplaçant par ailleurs de façon presque totale les formations végétales primitives, le plus souvent des
forêts. Parallèlement, des animaux sauvages, relativement nombreux à l'origine, étaient soumis à une
domestication vite accompagnée d'une sélection conduisant à des modifications de plus en plus
profondes.
Il n'est donc plus guère possible aujourd'hui de reconstituer la diversité originelle des paysages et donc
des écosystèmes primitifs du globe. On peut seulement espérer en conserver quelques éléments en
protégeant ce qui peut l'être encore, même si l'opposition qui existe entre de tels milieux primitifs et
les besoins immédiats de l'homme ne facilite pas la tâche. C'était le but des réserves intégrales des
décennies passées, dont peu subsistent encore. Beaucoup ont été déclassées, ou simplement envahies
par les habitants des régions voisines. Plus insidieusement, d'autres ont acquis le statut de réserve de la
biosphère, bien moins strict, et tolérant trop souvent des atteintes anthropiques regrettables. Seules les
réserves classées comme sites du patrimoine mondial (*) échappent en principe à cette critique mais
elles sont peu nombreuses et, malgré les engagements des pays concernés, pas nécessairement
respectées dans la réalité. C'est dire combien peu de sites du globe, en dehors de contrées peu
accessibles et inhabitées, peuvent encore être considérés comme réellement « naturels » et rappeler la
biodiversité primitive du monde vivant.
Force est aussi de remarquer que la plupart de ces réserves correspondent à des zones plutôt
exceptionnelles. C'est en général la faible densité des populations qui en a permis l'installation, tandis
que les régions fertiles ont été presque partout mises en culture.
Les zones protégées ne donnent donc pas une image fidèle de l'ensemble des paysages et des
écosystèmes primitifs de la Planète. Aussi serait-il très désirable, dans la mesure où il en est encore
temps, d'assurer aussi une protection minimale d'autres milieux, autrefois les plus répandus, mais dont
la fertilité ou l'attrait touristique a conduit la plupart à une modification profonde : c'est le cas des
forêts de plaine de nombreux pays, ou encore des zones littorales. De rares témoins en subsistent
encore, il serait dommage de les laisser disparaître.
S'ils ont détruit et continuent à détruire nombre de milieux naturels, les hommes ont aussi créé par
leurs cultures, par leurs élevages et par leurs activités diverses, un grand nombre d'écosystèmes
nouveaux, contribuant ainsi à accroître la diversité des paysages du globe. Dans une région donnée,
cet accroissement est toutefois limité ensuite par un excès d'anthropisation. A l'échelle de l'ensemble
du globe, les aspects négatifs de l'action anthropique sont aussi considérablement accentués par
l'uniformisation qu'entraînent les échanges de flore et de faune liés à l'expansion de l'espèce humaine
et spécialement de ses cultures et 'de ses élevages. On sait que les biocénoses insulaires sont
particulièrement sensibles à ces perturbations et que leurs espèces endémiques sont souvent les
premières à disparaître, supplantées par des formes plus compétitives développées sur les continents.
La surpopulation qui caractérise souvent les îles des régions tropicales ajoute encore à cette évolution
régressive de leurs milieux naturels primitifs.
Beaucoup des paysages et écosystèmes qui caractérisaient notre Planète il y a quelques siècles ont
ainsi disparu, conséquence inévitable de l'extension des populations humaines. Avec l'accroissement
continuel de leur densité et de leurs besoins, cette disparition va s'accentuer et s'accélérer. Certains
penseront peut être que cela n'a pas d'importance et qu'il est normal que l'occupation par l'homme de
toute la surface de la terre s'accompagne d'une transformation à son profit de tous les écosystèmes.
Une telle évolution pourrait même, à la limite, être considérée comme favorable...

(*) Instaurés par l'UNESCO (programme M A B - L'Homme et la biosphère) au début des années 70. On relira à ce sujet, de Jacques Lecomte,
Protection et gestion des espaces naturels en France, paru dans le n°5 du Courrier de la Cellule Environnement (1988), pp. 4 à 11.
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Pour la satisfaction des besoins matériels immédiats des hommes, un tel point de vue serait
défendable, mais il néglige des aspects fondamentaux du problème.
Tout d'abord, la vie de l'Homme n'a pas pour but unique la satisfaction de ses seuls besoins,
alimentaires et énergétiques. Sa qualité implique aussi des cadres de vie dont l'agrément est
indissociable des milieux diversifiés auxquels sont adaptées les multiples populations qui vivent dans
le monde, des paysages variés seuls capables d'apporter à l'ensemble de l'humanité les « distractions »
qu'elle souhaite. La réalité de ce besoin éclate de nos jours avec le développement des voyages,
organisés ou non. La perte de la diversité des paysages supprimerait ces ressources pour beaucoup
d'êtres humains. Du seul point de vue économique, le maintien de la diversité représente donc la
source de sommes considérables ; celles-ci s'accroissent d'ailleurs à mesure que les sites se font plus
rares et l'on peut dire qu'une réserve ou un parc national acquiert avec le temps une valeur vénale de
plus en plus importante.
Il est permis aussi de dire que le maintien de la diversité du monde vivant a, pour le monde
scientifique, une importance capitale et que l'homme moderne ne saurait se détacher de la recherche
scientifique sous peine d'une certaine déchéance intellectuelle.
Non moins fondamentale pour refuser la dégradation de la biosphère par une anthropisation
généralisée est la considération de son avenir. L'évolution des êtres vivants n'est possible qu'à la
faveur de la diversité, intra- et interspécifique, mais aussi entre écosystèmes et entre biotopes. Toute
diminution de la diversité dans le monde vivant est donc une atteinte à son pouvoir évolutif, c'est-à-
dire à la possibilité qu'il a de s'adapter à des changements du milieu. Comme de tels changements sont
inéluctables, même si l'avenir de l'humanité ne doit pas dépasser quelques millénaires, maintenir la
biodiversité représente un gage de durée pour le fonctionnement de ce monde dont nous faisons partie.

2. La diversité des entités taxinomiques


Par le fait qu'une espèce, et toute autre catégorie taxinomique, sont en général des entités mieux
définies qu'une biocénose ou un écosystème, il est plus facile d'en quantifier la diversité. Une telle
estimation peut être tentée dans le cadre d'une région géographique limitée, ou d'une biocénose, mais
il est intéressant aussi de la considérer à l'échelle de la Planète.

La diversité spécifique à l'échelle de la Planète


On a beaucoup discuté au sujet du nombre total d'espèces présentes sur l'ensemble du globe. Une
donnée relativement précise est celle du nombre d'espèces décrites à ce jour par les spécialistes des
différents groupes animaux et végétaux : il est sensiblement supérieur à un million et augmente
continuellement à mesure que se poursuivent les prospections et les révisions systématiques. Si, dans
certains groupes comme les Oiseaux, les Mammifères et même les Reptiles et Amphibiens, les espèces
connues représentent une part très importante de toutes celles qui existent, la situation est bien
différente dans la plupart des autres taxons. Les Protozoaires, par exemple, mais aussi les Acariens, les
petits Diptères, les microlépidoptères et bien d'autres groupes sont tout à la fois insuffisamment
collectés et insuffisamment étudiés. C'est donc seulement par diverses méthodes indirectes qu'on a
tenté une estimation du nombre total des espèces vivant probablement sur le globe. Certains auteurs
ont avancé ainsi des valeurs atteignant plusieurs dizaines de millions ! D'autres pensent qu'une
fourchette de 5 à 10 millions est sans doute raisonnable. Il est difficile de préciser davantage cette
estimation dont la signification mérite en outre quelques remarques.
En effet, la notion d'espèce n'a vraiment de sens que chez les organismes à reproduction sexuée et non
chez ceux qui, comme les Rotifères Bdelloïdes (*), les Bactéries et d'autres microorganismes, se
reproduisent uniquement de façon asexuelle. Or les organismes sans sexualité représentent un nombre
immense de formes et tiennent une place essentielle dans le monde vivant. De plus, même chez les
êtres vivants qui possèdent une reproduction sexuée, la notion d'espèce est loin d'être toujours
parfaitement définie. Pour toutes les populations qui sont géographiquement isolées - allopatriques -

(*) Très petits organismes pluricellulaires (moins de 1 mm en général) caractérisés par 2 couronnes de cils (Rotifères = porte-roues) dont les
battements les font se mouvoir en tournant comme une toupie. La classe des Bdelloïdes rassemble des Rotifères terrestres ou d'eau douce,
tous femelles.
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comme celles des îles ou des lacs en particulier, tous les stades existent entre des séparations
spécifiques ou simplement raciales, ce qui conduit certains spécialistes à créer de nombreuses espèces
là où d'autres ne voient que des sous-espèces regroupées en espèces polytypiques. Or le nombre de
situations de ce type est tout à fait considérable. Il n'en est pas moins fondamental d'en considérer la
diversité, mais la quantification en est plus complexe et plus incertaine.
Force est donc de conclure que la diversité des êtres vivants de la Planète ne peut être définie avec une
relative précision que dans le cas de certains groupes, ceux qui sont les mieux connus du point de vue
taxinomique. Même pour de tels groupes, cependant, la prospection très insuffisante de nombreuses
parties du globe - notamment dans les zones tropicales, les plus riches - fait que seuls les résultats
relatifs à certaines régions privilégiées - souvent les plus pauvres en espèces ! - constituent des
approximations dignes de foi.

La diversité spécifique au sein des biocénoses


Le propre des biocénoses est d'être formées par un nombre d'espèces qui peut être très élevé, dépassant
des milliers, voire des dizaines de milliers dans des milieux complexes comme les forêts équatoriales.
C'est la coexistence de toutes ces espèces en un même lieu de superficie limitée qui en caractérise la
diversité. Pour plusieurs raisons, cependant, cette notion simple en apparence est difficile à préciser et
à quantifier, même sous sa forme la plus élémentaire qu'est le nombre des espèces, encore appelé
richesse spécifique.
Une difficulté majeure est en effet le caractère flou du concept de biocénose, comme d'ailleurs de
toutes les formations écologiques complexes. Même en se limitant à la partie végétale, les entités
théoriquement les plus strictement définies que sont les associations végétales des phytosociologues
n'ont jamais des contours bien définis dans l'espace. De plus, les espèces qui les définissent en théorie
ne se rencontrent jamais toutes ensemble et possèdent une distribution spatiale irrégulière. La plupart
d'entre elles sont en outre présentes dans d'autres biocénoses voisines. Bien plus souvent d'ailleurs, les
types de végétation varient de façon progressive ou même brutale et des écotones existent entre deux
biocénoses différentes.
La situation est plus complexe encore dans le cas des peuplements animaux qui sont définis, pour
chaque taxon, de façon bien plus floue que les taxons végétaux dans la mesure où les animaux sont
mobiles. Ils sont par ailleurs, distribués chacun sur des échelles de grandeur très diverses : celle qui
correspond à des Protozoaires ou des Acariens du sol est sans rapport avec celle des Reptiles, moins
encore avec celle des Mammifères, Ongulés ou Carnivores. Une biocénose globale, dans ces
conditions, constitue une entité extrêmement floue dont, par conséquent, la diversité spécifique est
bien difficile à cerner, ce qui oblige à la considérer plutôt au niveau de chacun des taxons qui la
composent.
C'est donc seulement dans le cadre d'un taxon relativement limité - une famille par exemple, ou un
ordre, rarement un taxon d'ordre supérieur comme une classe - que la diversité peut être définie de
façon plus précise. Le fait est plus vrai encore si l'on considère que la richesse spécifique n'est qu'une
première approche de la diversité, car elle ne tient pas compte des différences entre les effectifs des
espèces. Or, à nombre égal d'espèces, un peuplement est plus diversifié si les espèces qui le composent
y ont des effectifs plus voisins. Il le sera moins, au contraire, si certaines espèces y sont très
communes et d'autres très rares. On utilise, pour tenir compte de cette caractéristique, des indices de
diversité. Le plus connu est celui de Shannon, défini par l'expression : H'= somme de i=1 à S de pi log2 pi, où
pi est la fréquence de l'espèce de rang / et S le nombre total d'espèces. L'indice de Shannon est d'autant
plus élevé que le nombre d'espèces est grand. Pour comparer des peuplements dont le nombre des
espèces est différent, on utilise alors un indice d'équitabilité, E, défini par le rapport entre l'indice de
diversité (de Shannon par exemple) et l'indice qui correspondrait à une diversité maximale, c'est-à-dire
à un peuplement où toutes les espèces auraient le même effectif et qui serait donc H'max= log S, d'où E =
H'/H'max = H'/log S.
Quel que puisse être l'intérêt théorique de tels paramètres pour définir la diversité spécifique, ils
présentent l'inconvénient de s'appuyer sur des données - les effectifs des espèces - toujours difficiles à
obtenir. Ils n'ont d'ailleurs de sens que dans le cadre d'un groupe taxinomique limité, correspondant en
particulier à des formes qui ont des tailles du même ordre de grandeur, comme les Oiseaux, les
Rongeurs, les Carabiques, les Myriapodes Diplopodes. Ils ne peuvent donc pas s'appliquer à
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l'ensemble des espèces d'une biocénose, allant des Protozoaires jusqu'aux Vertébrés. Aussi faudrait-il,
dans la pratique, se contenter le plus souvent de définir la diversité spécifique par le nombre d'espèces,
lui-même bien difficile à connaître.

La diversité des taxons d'un niveau supérieur à l'espèce


Un autre aspect de la biodiversité au sein des biocénoses a été très négligé jusqu'à ce jour : celui de la
diversité envisagée à l'échelle des taxons d'ordre supérieur à l'espèce. Un peuplement renfermant une
centaine d'espèces pourra en effet être considéré comme moins diversifié s'il est composé d'espèces
appartenant toutes à un même groupe taxinomique que si celles-ci appartiennent à des groupes très
différents. Pour prendre un exemple - totalement imaginaire -, une biocénose renfermant 1 000
espèces, 250 genres, 5 familles, 3 ordres, 2 classes est moins diversifiée qu'une autre renfermant 1 000
espèces, 400 genres, 20 familles, 8 ordres et 4 classes.
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II n'est évidemment pas facile de quantifier ce type de diversité supraspécifique, car il faudrait pour
cela donner une valeur numérique aux écarts entre les divers niveaux taxinomiques. On peut toutefois
en rendre compte en considérant conjointement un ensemble de taxons allant de l'espèce au genre, à la
famille ou même l'ordre et la classe. On complétera ainsi l'estimation de diversité trop souvent faite en
ne tenant compte que de la richesse spécifique d'un ou quelques taxons choisis parce que plus faciles à
étudier.

3. La diversité génétique au sein des espèces


Entre les individus d'une même population locale existe déjà une diversité génétique dont l'ampleur
apparaît de plus en plus considérable au fur et à mesure que progresse l'efficacité de son analyse.
Autrefois limitée à un petit nombre de cas de polymorphisme visible de la forme ou de la coloration,
étendue ensuite à des différences dans les structures chromosomiques, puis à des polymorphismes
protéiniques détectés par électrophorèse, elle s'observe aujourd'hui au niveau de la constitution même
des gènes grâce aux techniques de la biologie moléculaire. En dehors des organismes d'un même
clone, identiques par définition en l'absence de mutations, il n'y a donc pas deux individus qui soient
totalement semblables entre eux.
Cette diversité génétique au sein d'une population locale se trouve très amplifiée lorsqu'une espèce
occupe une aire géographique étendue ; elle se traduit alors par l'existence de races géographiques
(sous-espèces) différentes selon les régions. Une telle variation géographique des génomes est
présente chez presque toutes les espèces, sans être toujours bien visible sur les phénotypes lorsque leur
aire de répartition est restreinte.
La diversité génétique mise en évidence au sein des populations naturelles diminue avec leur effectif,
ainsi qu'avec leur aire de répartition. Cette réduction est à l'origine du phénomène appelé « effet de
fondation », qui joue un rôle essentiel dans les mécanismes de l'évolution en permettant des
divergences inattendues du patrimoine héréditaire d'une espèce.
Sans être éteintes, nombre d'espèces sauvages des divers milieux de la Planète ont de nos jours des
effectifs qui tendent à diminuer considérablement. Il en résulte des conséquences importantes.
Pour certains animaux de grande taille, des Mammifères en particulier, le comportement social se
trouve modifié et appauvri. Tel est le cas notamment des espèces qui vivent en communauté car leurs
comportements de protection contre les ennemis et de transmission du savoir acquis sont liés à un
effectif minimal du groupe. On peut citer l'exemple des Eléphants, des Lycaons, des Chimpanzés et
sans doute de bien d'autres espèces parmi les Cétacés, les Primates, les Ongulés, les grands
Carnivores...
Aussi grave, sinon davantage car elle concerne la totalité des espèces de faible effectif, animales ou
végétales, sociales ou non, est la situation du patrimoine héréditaire, c'est à dire du stock de variabilité
de leur génome. Celui-ci risque en effet de descendre à un niveau incompatible, non seulement avec
un pouvoir d'adaptation à de nouvelles conditions, y compris les variations inéluctables du milieu
actuel, mais même avec le maintien d'une vitalité intrinsèque suffisante.
Sur ce dernier point, des situations très différentes semblent toutefois exister selon les espèces. Chez
certaines, la consanguinité semble être bien supportée ; l'exemple le plus net est celui des souches de
Souris de laboratoire, et même de Drosophiles, qui persistent après de nombreuses générations
endogames. Une situation opposée se rencontre chez la Caille japonaise, dont la consanguinité
détermine la stérilité et l'extinction en quelques générations seulement. Les réactions des populations
naturelles des diverses espèces sont malheureusement inconnues sous ce rapport.
L'isolement de populations locales de très petits effectifs contribue de la même façon, lorsqu'il est
total, à ce danger de létalité génétique. Or une telle situation est de plus en plus courante chez
beaucoup d'espèces de Mammifères de grande taille, dont les aires résiduelles sont maintenant
séparées par des zones qu'ils ne peuvent franchir.
L'appauvrissement de la diversité génétique au sein des espèces pose, du point de vue pratique, des
problèmes particulièrement graves pour l'avenir dans le cas des espèces domestiques, animales et
végétales.
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Des modes particuliers d'élevage et la poursuite d'une certaine sélection, variables selon les régions,
avaient originellement conduit à la formation d'un grand nombre de races domestiques, parfois très
différentes les unes des autres. Chacun connaît la multiplicité des races de Chiens, de Chats, de
Chevaux, de Porcs, de Bovins, de Moutons, de Poules, de Pigeons, de Canards à travers le monde.
Cette diversité des races correspondait en partie à des besoins différents (races à viande et races à lait
de Bovins, Moutons à viande et Moutons à laine, Chevaux de trait et Chevaux de selle...), mais plus
encore à un isolement géographique accompagné de conditions mésologiques différentes, climatiques
en particulier.
Avec le développement des échanges interrégionaux et internationaux permettant la confrontation des
performances et avec la recherche de rendements toujours plus élevés, de nombreuses races locales ont
paru perdre leur intérêt. Négligées par les paysans et par les autorités, elles ont été abandonnées et,
pour certaines, ont disparu. Après l'accroissement de diversité né de la création progressive de ces
races, il se produit donc au contraire de nos jours une rapide diminution de la diversité génétique, au
sein des espèces domestiques.
Une telle réduction constitue une menace pour l'avenir car elle rend plus aléatoire l'éventuelle
adaptation à de nouvelles conditions de milieu. Aussi des organisations nationales et internationales,
les unes publiques, les autres privées, s'efforcent-elles de conserver la richesse du patrimoine
accumulé à ce jour grâce à des collections de ressources génétiques ou « banques de gènes ». Pour les
végétaux, ce peuvent être des collections de graines, maintenues notamment par la lyophilisation ou
encore par la congélation de méristèmes ou d'embryons. On fait aussi appel à des cultures, surtout
lorsqu'il s'agit de plantes pérennes à longue durée de vie.
Un même problème se pose pour les races animales domestiques, problème rendu plus complexe
encore que pour les plantes cultivées par le coût plus élevé de leur entretien. A côté de la conservation
d'animaux sur pied se mettent également en place des banques de sperme et d'embryons conservés
dans l'azote liquide. Des microorganismes font également l'objet de programmes de conservation à
cause de leur utilité dans les domaines agro-alimentaire, comme les Levures et les Bactéries lactiques,
agronomique avec les Rhizobium fixateurs d'azote, biomédical avec les Pénicillium et les
Streptomyces.
Une présentation détaillée de ces problèmes du maintien d'une diversité génétique suffisante dans les
espèces et les souches domestiques a été faite récemment de façon excellente par Chauvet et Olivier
dans leur livre « La biodiversité, enjeu planétaire » paru aux éditions Sang de la terre (Paris, 1993).
Les progrès du génie génétique ont par ailleurs attiré l'attention sur une autre technique de
modification d'un génome et donc d'accroissement de la diversité du patrimoine héréditaire d'une
espèce. Il s'agit de l'introduction d'un gène provenant d'une espèce différente. Comme la résistance aux
parasites ou aux conditions défavorables du milieu a souvent disparu dans les races domestiques,
sélectionnées pour d'autres caractéristiques (de fort rendement en particulier), il devient possible de la
réintroduire ou de l'accroître à partir d'espèces sauvages voisines. Un bon exemple est fourni par un
chiendent des côtes méditerranéennes françaises, Agropyrum elongatum, qui possède des gènes de
résistance à certaines viroses des blés cultivés.
Les espèces sauvages parentes d'espèces cultivées peuvent avoir d'autres fonctions comme celle de
porte-greffes : tel est le cas du prunier sauvage pour l'abricotier. D'autres fournissent des individus
mâles stériles utilisés dans les plans de sélection, comme la betterave, Beta maritima, des côtes
françaises. C'est dire l'intérêt d'assurer la survie de telles espèces, dont certaines peuvent être
menacées d'extinction parce qu'elles ne sont plus présentes que dans des aires restreintes. Des plans
existent déjà dans le monde pour la conservation dans les milieux naturels des plantes sauvages
apparentées aux différentes plantes cultivées des régions tropicales aussi bien que tempérées, mais leur
mise en pratique est souvent difficile.
On peut faire la même remarque pour les parents sauvages des animaux domestiques. De fait,
beaucoup de ces espèces sont devenues rares comme celles de Mouflons et celles du genre Bos ou
comme le cheval de Prjevalski qui n'existe plus que dans des parcs zoologiques. Il apparaît ainsi que le
maintien d'une diversité suffisante au sein d'une espèce n'implique pas seulement la persistance de
diverses races, mais qu'elle dépend aussi de la sauvegarde d'autres espèces, c'est-à-dire d'écosystèmes
naturels.
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En conclusion
S'il est permis de conclure, après ces quelques remarques, ce peut être pour tenter de préciser les
efforts qui doivent être faits, de toute urgence, pour ralentir la dégradation de notre patrimoine
biologique. Il serait dommage, en effet, que la bonne volonté qui semble se manifester en haut lieu
(trop haut peut-être pour être ressenti au niveau de l'exécution) en faveur de la biodiversité, ne soit tout
à la fois détournée des buts essentiels et diluée dans une multitude de directions qui, sans être inutiles,
sont en tout cas de moindre urgence.
Trois axes principaux semblent s'imposer en priorité.
Le premier concerne les aspects globaux des paysages et des écosystèmes. C'est pour assurer leur
conservation qu'ont été créés les réserves naturelles et les parcs nationaux. Les réserves de la
biosphère coordonnées par l'UNESCO dans le cadre du Programme M A B ont le même but. La
difficulté vient de ce que ces mises en réserve, décidées par des autorités politiques nationales et
internationales, sont trop souvent incomprises par les populations locales et mal respectées. Il est
urgent de développer une politique de surveillance efficace et pour cela de consacrer les crédits et le
personnel nécessaires. Comme c'est un effort le plus souvent impossible pour beaucoup de pays
concernés, il doit être pris en charge par la communauté internationale.
Le second axe prioritaire concerne la survie des espèces. La préservation du plus grand nombre
possible d'écosystèmes et d'écocomplexes dans les diverses parties du monde jouera un rôle de
premier plan dans cette sauvegarde. Elle doit néanmoins être complétée par une attention plus
particulière portée à certaines espèces très menacées comme beaucoup d'Oiseaux et surtout de grands
Mammifères, accessoirement quelques grands Reptiles. Une telle survie peut parfois être obtenue, en
cas de dégradation irréversible du milieu primitif, par simple interdiction de chasse et le maintien de
milieux de remplacement. Des milieux « secondaires », c'est à dire remaniés par l'homme, sont
parfois, en effet, des refuges satisfaisants pour certains animaux forestiers privés de forêts primaires.
Ce maintien d'une diversité spécifique aussi élevée que possible à l'échelle de notre globe doit
évidemment s'accompagner d'une poursuite active de son étude. L'effort fait au siècle dernier pour la
découverte du monde et la prospection de ses faunes et de ses flores s'est malheureusement relâché de
façon lamentable. Il est essentiel que les musées et autres organismes qui se consacrent aux études
taxinomiques retrouvent les moyens qu'ils ont perdus. Des travaux de systématique sont plus que
jamais indispensables, ne serait-ce que pour connaître les espèces - innombrables, quoi qu'on fasse -
qui risquent de disparaître dans les siècles et même les décennies à venir. Et le plus urgent dans ce
domaine, ce sont des travaux de systématique classique auxquels une priorité doit être accordée. De
tels travaux ne demandent pas du matériel coûteux, mais un personnel nombreux et stable. Une
meilleure collaboration internationale en accroîtrait l'efficacité.
Un troisième axe de travail s'impose dans le domaine du maintien de la biodiversité génétique chez les
plantes cultivées et les animaux domestiques. Malgré leur intérêt pratique évident, ces problèmes sont
loin d'avoir reçu l'attention qu'ils méritent. De fait, les succès considérables obtenus dans
l'amélioration des rendements des différentes cultures et des qualités des races animales domestiques
ont occulté le revers de la médaille, qui est la diminution des ressources génétiques accumulées
jusqu'alors et disponibles pour les siècles futurs. L'intérêt immédiat ne doit pourtant pas faire oublier
l'importance fondamentale qu'a pour l'avenir le maintien d'une forte diversité génétique, seule à
pouvoir répondre à des besoins futurs d'adaptation. Il importe donc de prévoir les moyens
administratifs, techniques et financiers nécessaires pour assurer la survie du plus grand nombre
possible de races animales et végétales, comme aussi des espèces sauvages voisines susceptibles de
fournir des gènes utiles. Le coût de telles mesures ne sera certainement pas regretté dans l'avenir •

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