Anoumou Amekudji Et NBiemadi Krouma

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Vol. 3, N° 3, décembre 2023 ISSN 2710-4699 Online

Écriture romanesque et intentionnalité filmique dans Le chien qui


parle de Charles Olince

Anoumou Amekudji
&
N’Biémadi Krouma

Résumé
Les rapports existant entre la littérature et le cinéma ne datent pas
d’aujourd’hui. Ils s’influencent mutuellement. Les intrigues, les
personnages, les dialogues proposés par le roman servent à alimenter les
œuvres cinématographiques. Parmi les sous-genres du roman, le roman
policier est celui qui, sans doute en raison de sa proximité avec les
scénarios cinématographiques, se prête le mieux à l’adaptation au cinéma.
En partant du constat selon lequel les deux formes d’expression sont
mineures dans le paysage artistique togolais, nous estimons qu’elles
pourraient s’inspirer mutuellement. L’étude s’appuie sur le roman Le chien
qui parle de Charles Olince. A partir des outils de la sémiotique narrative,
l’œuvre est d’abord interrogée du point de vue de sa congruence avec les
canons du roman policier. Ceci a permis de dégager des constantes mais
aussi des lourdeurs participant de la tendance réaliste du roman social
dominant, et qui doivent être résolues dans le cadre d’une adaptation au
cinéma. Ensuite, le recours aux techniques et méthodes
cinématographiques a conduit à l’examen des modalités de transposition
de ce récit au septième art.
Mots-clés : roman, cinéma, images, techniques cinématographiques,
intentionnalité filmique


Université de Lomé (Togo), madis.krouma@gmail.com
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Abstract
The relationship between literature and cinema is not new. They
influence each other. The plots, the characters, the dialogues proposed by
the novel contribute to the cinematographic works. Among the subgenres
of the novel, the detective story is the one which, undoubtedly because of
its proximity to cinematographic scenarios, lends itself best to movie
adaptation. Starting from the observation that the two forms of
expression are minor in the togolese artistic landscape, we suggest that
they could inspire each other. The study is based on the novel Le chien qui
parle by the togolese writer Charles Olince. Using the tools of narrative
semiotics, the work is first questioned from the point of view of its
congruence with the canons of the detective story. This made it possible
to identify constants but also heaviness participating in the realistic
tendency of the dominant social novel, and which must be resolved within
the framework of a movie adaptation. Then, the use of cinematographic
techniques and methods led to the examination of the ways of transposing
this story to the seventh art.
Keywords : novel, cinema, images, cinematographic techniques, filmic
intentionality

Introduction
La classification des textes littéraires en genres dans le sillage du
postmodernisme a connu d’importants bouleversements. Le phénomène
d’hybridité générique s’est généralisé au point de s’ériger en norme.
Cependant, le genre romanesque s’est révélé par une plus grande flexibilité
du fait de sa capacité à accueillir les autres genres. Au surplus, il n’est pas
rare qu’un texte narratif revête un double statut. Aussi l’ouvrage
Introduction à la littérature fantastique de Tzvetan Todorov a-t-il eu le mérite
non seulement de redonner à des récits naguère relégués au rang de
paralittérature leurs lettres de noblesse, mais surtout d’introduire le point
de vue du lecteur dans l’évaluation esthétique du genre.
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De surcroît, l’explosion des médias de la galaxie Marconi qui se


prolonge aujourd’hui dans la révolution du numérique a élargi les
frontières de l’interprétation et de la réception des récits littéraires à
l’expérience cinématographique, suivant la logique de l’intermédialité. A
ce propos, Jean Cléder dans son essai Entre littérature et cinéma parle de la
persistance des « affinités électives » entre la littérature et le cinéma pour
relever leur connivence, leur complémentarité :
La littérature offre au cinéma depuis sa naissance des
intrigues, des personnages, des dialogues, des concepts et
de grandes questions (…). Dans l’autre sens, le cinéma a
apporté à la littérature de nouvelles modalités de
perceptions, d’autres façons de raconter les histoires
(techniques narratives, rapport aux genres), et des manières
nouvelles de provoquer l’émotion pour la faire résonner
durablement. (Cléder 3)
Ce lien a été peu exploité dans la littérature et le cinéma africains, et
les quelques rares adaptations enregistrées appartiennent au roman social,
à l’instar des œuvres de Sembène Ousmane qui était un auteur à cheval
entre les deux arts. Or les histoires les plus prisées par le public familiarisé
aux films d’action sont celles dont l’intrigue est centrée sur la mise en scène
du crime. Ce type de roman n’a pourtant prospéré dans cette littérature
qu’à une période récente. Comme le fait remarquer Tsetse (5), « le crime
en tant que motif littéraire a connu sa massification dans la littérature dans
les années 1970 ». Il a fallu attendre la décennie suivante pour voir le
roman policier prendre forme sous la plume des auteurs comme Achille
Ngoye et Jean-Roger Essomba, ce que Hervé Tchumkam qualifiera de
« renouveau du polar africain francophone ». Analysant le prolongement
de cette tendance dans la littérature togolaise, Susanne Gehrmann 24

24Prof. Dr. Susanne Gehrmann (Université Humbolt de Berlin), « L’usage du polar dans
la littérature togolaise : le détournement d’un genre », Communication au colloque
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observe un « détournement » esthétique du genre policier. Cette prise de


distance semble s’appliquer à certaines œuvres récentes qui se réclament
du polar mais dont le matériau narratif reste encore largement tributaire
du roman social.
En prenant pour cas d’étude la littérature et le cinéma togolais, nous
nous sommes rendu compte que les deux expressions artistiques, qui
cherchent leurs marques, semblent paradoxalement s’ignorer, alors que
l’on pourrait les faire dialoguer dans la perspective d’un enrichissement
mutuel. Pour ce faire, nous avons choisi d’analyser le roman Le chien qui
parle de Charles Olince qui semble regorger de la matière pour une
adaptation cinématographique. Le questionnement auquel répond la
présente étude est de savoir, d’une part, si ce récit correspond aux canons
du polar, et d’autre part dans quelle mesure il pourrait être adaptable au
cinéma ?
Cette double préoccupation impose un dualisme théorique et
méthodologique. La première démarche fait appel aux connaissances
empiriques sur le roman policier pour évaluer les distances prises par le
romancier par rapport aux canons du genre. La seconde consiste à relever
dans l’œuvre des caractéristiques filmiques mises en lumière par Jean
Cléder, en s’appuyant principalement sur la théorie de la sémiotique de
Joseph Courtés et, subsidiairement, sur les travaux de George Blueston et
d’Alexie Tcheuyap relatifs à l’adaptation du livre au film. La sémiotique est
une approche littéraire qui consiste à étudier les signes linguistiques et leurs
significations dans l’œuvre. Elle se fonde sur le concept de signes. À en
croire Louise Vigeant (13), le signe, « c’est quelque chose qui est là pour
représenter autre chose ». Par conséquent, le signe peut être à la fois une
idée, une pensée, un concept, un symbole (image), un objet, un nom, un

international de Lomé sur La littérature togolaise : histoire, poétique et didactique 29, 30


et 31 janvier 2020.
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geste, une mimique, un regard, un sourire, un rire. Parlant justement de


l’analyse critique des signes, Joseph Courtés (5) affirme : « Notre but sera
donc, en tenant compte de nos connaissances actuelles, de voir ce que sont
les signes, ce qui permet de les identifier comme entités autonomes, de
repérer les différentes formes qu’ils peuvent revêtir et surtout les relations
qu’ils entretiennent entre eux. » Compte tenu de tous ces aspects cachés
dans le signe, la sémiotique de Joseph Courtés convient à notre recherche
sur l’intentionnalité25 filmique du roman Le chien qui parle et nous permet
donc de mettre en exergue les moyens sémiotiques mobilisés à cet effet
par l’écrivain.
Pour y parvenir, notre article est subdivisé en deux parties : la
première partie examine ce roman sous l’angle du genre, dans le but de
discerner des caractéristiques du polar, tandis que la seconde partie fait
ressortir les problèmes liés au travail d’adaptation et propose des pistes
pour les surmonter.

1. Écriture de Le chien qui parle : entre roman policier et réalisme


sociologique
À la lecture de l’œuvre, on relève des caractéristiques génériques
participant à la fois de deux sous-genres du roman : le roman réaliste et le
roman policier. Cette double modalité amène à se demander s’il s’agit d’un
écart délibéré ou d’un choix générique mal maîtrisé. La réponse à un tel
questionnement nécessite un examen du texte sous les deux aspects.

25 Nous utilisons le terme « intentionnalité » non pas au sens de la phénoménologie


husserlienne, mais de la philosophie du langage chez John L. Austin et John Searle.
L’intentionnalité, à la différence de l’intention, ne s’applique pas à une option
consciemment prise par l’auteur – même si celle-ci n’est pas exclue – mais à des propriétés
du discours narratif. L’intentionnalité dans ce cas précis se fonde sur cette relation de
parenté (les affinités électives dont parle Cléder) entre le roman, en particulier le roman
policier et la création cinématographique.
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1.1. Un roman policier


Le projet narratif de Charles Olince consiste à écrire un roman
policier. On y retrouve les caractéristiques thématiques et formelles de ce
sous genre : le crime, le mobile, le coupable, la victime, le mode opératoire
et l’enquête. Le préfacier de l’œuvre, l’écrivain et critique littéraire Claude
Assiobo Tis, ne s’est pas trompé pas lorsqu’il a affirmé qu’
Il s’agit vraiment d’une intrigue comme en regorge tout
bon roman policier. Car le roman d’Olince est un vrai
polar. La police est au centre de l’histoire non pas
seulement comme celle qui cherche à démêler l’intrigue
mais qui fait partie du nœud même de l’intrigue. (LCQP 7).
Le crime intervient au chapitre premier du roman, à l’issue d’une
querelle de jalousie entre deux hommes dotés de qualités leur assurant un
succès social et que tout aurait pu rapprocher, sauf l’amour d’Irène Tinga.
Le premier, Djifa, ingénieur en génie civil, se rend dans un quartier
périphérique de la ville de Tékan pour visiter un grand immeuble dont il
conduit les travaux. Mais la visite de chantier tourne soudain au cauchemar
lorsqu’il est violemment pris à partie par un homme sorti d’une BMW qui
le menace en lui enjoignant de s’éloigner de sa financée Irène. Mais au
moment où Daniel s’éloigne tout furieux, malgré les tentatives menées par
Irène pour calmer la situation, un coup de feu dont l’origine est inconnue
atteint mortellement Djifa. La description de la scène est typique de celle
des polars :
Elle retournait pour dire quelques mots à Djifa quand un
coup de feu, venu de derrière, retentit. Il gisait au sol. La
balle avait transpercé son abdomen et le sang giclait de la
blessure. Il pleurait à chaudes larmes. Il pleurait sans cesse.
Le sang continuait de se vider de son corps. L’intensité de
sa voix allait décrescendo à mesure qu’il s’affaiblissait. Son
polo blanc, manches courtes, en coton piqué, était devenu

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rouge. Son pantalon jeans de couleur bleue s’était assombri


davantage. (LCQP 16).
La victime et le mode opératoire sont connus, mais pas le coupable
et, bien évidemment, le motif du crime. Pourtant, on sait qu’entre la
perpétration du crime et la détection du coupable, l’enquête policière
procède toujours au listage puis à l’interrogation des suspects. Daniel est-
il susceptible d’être l’un d’eux ? Certes, il en voulait à Djifa pour des raisons
bien connues et n’a pas hésité à manifester son hostilité à l’égard de son
rival. Mais il serait trop facile de suivre la piste du crime passionnel, car
Daniel n’étant pas armé, n’aurait pas pu être à l’origine de ce coup de feu.
A moins de supposer qu’il aurait pris le temps de préparer son forfait avant
le moment de l’altercation, scénario très improbable qui donne lieu à de
nombreuses autres hypothèses, mettant le lecteur en face d’une véritable
énigme policière digne des intrigues auxquelles les amateurs de polars sont
habitués.
La police entre en scène, mais l’histoire se complexifie en raison du
fait que l’inspectrice de police à qui revient la responsabilité de conduire
les investigations n’est autre qu’Irène. Comme il fallait s’y attendre, ce
double statut qui fait de l’officière l’enquêtrice, donc à la fois juge et partie,
la conduit vers la fausse piste : celle du crime passionnel dont Daniel est
le premier suspect. Mais ce dernier n’a que sa parole pour se défendre,
après cet acte d’agression dont il s’est rendu coupable à l’égard de feu
Djifa. L’enquête est alors dans l’impasse, ce qui amène le commissaire à
changer d’équipe :
Le lendemain, le commissaire convoqua une réunion au
cours de laquelle il annonça sa décision de retirer à Irène
l’enquête sur le meurtre de Djifa. Il expliqua qu’en raison
de la complexité de l’affaire et surtout des relents
sentimentaux, il y avait risque d’un conflit d’intérêt quoique

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Irène ait toujours fait preuve de professionnalisme dans ses


enquêtes. (LCQP 35)
L’inspecteur Marc Awi qui prend en charge les opérations doit donc
faire preuve de professionnalisme et de perspicacité. Il réussit à obtenir
des aveux des proches de la victime qui ouvrent d’autres pistes probables.
Parmi ces témoignages, écrit le narrateur, « ceux de Thérèse, la mère de
Djifa, semblaient être une synthèse de tous les autres » (LCQP 38). Ce
témoignage nous conduit dans le passé le plus lointain de la victime, celui
de son enfance, de sa naissance et même d’avant sa naissance. L’on
apprend qu’il n’est qu’un fils adoptif de Thérèse et de son époux Oscar
Olaw, le couple ayant dû l’adopter après l’avoir trouvé abandonné sur un
dépotoir.
Mais il y a l’autre, le fils biologique que l’on avait relégué aux
oubliettes, Salomon. Né deux ans après l’adoption de Djifa, ce dernier est
apparu pour ce couple comme un don du ciel après des années de
tractations entreprises pour avoir un enfant. Mais, comme il fallait s’y
attendre, cette euphorie a produit un effet pervers, celui de faire de
Salomon un enfant gâté, puis un jeune homme orgueilleux et inefficace.
Face à la gestion calamiteuse qu’il a faite de l’entreprise que lui a confiée
son père, ce dernier a dû faire appel à Djifa pour restaurer l’entreprise. De
quoi susciter la colère de Salomon qui se sent frustré dans ses droits de fils
légitime. Appauvri et profondément humilié après son éviction à la tête de
l’entreprise, Salomon n’a plus d’autre choix que de quitter Tékan.
L’ampleur de sa frustration transparait dans la lettre qu’il écrit à ses parents
avant son départ :
J’ai le regret de vous annoncer qu’une tempête s’est abattue
sur ma vie. Une grande tempête dévastatrice qui a
commencé il y a un an. Elle a tout emporté dans ma vie,
tout ce que j’aimais : l’amour de mes parents, mon poste et
mon cœur. Aujourd’hui, ma cité est vide, décimée. Tout est
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noir, tout est fade […] Devant ce drame, j’ai décidé de


reprendre ma vie en main et de reconstruire ma vie ailleurs
[…] (LCQP 95).
Dès lors Salomon, mécontent, ayant bien de raisons d’en vouloir à
la victime, apparaît comme le deuxième suspect après Daniel. L’apparition
de cette nouvelle piste vient corser l’intrigue policière et donne de la
matière aux enquêteurs. D’autant plus que de nouveaux faits confirment
de plus en plus cette piste. Pour ce dernier, prouver son innocence revêt
un double enjeu, car cette « affaire » de crime menace de compromettre
son mariage projeté avec Irène. Pourtant, les enquêteurs semblent
privilégier la piste de sa culpabilité, malgré ses vigoureuses dénégations,
comme cela se donne à lire dans le passage suivant :
Avec les nouveaux éléments de preuve insistant sur
l’implication de Daniel dans le meurtre de Djifa, l’équipe
d’enquête tint une séance de débriefing afin d’harmoniser
les points de vue. A l’issue de cette réunion, le rapport
d’enquête devait être bouclé et envoyé à la hiérarchie.
(LCQP 104)
Pourtant, malgré cette certitude, l’on n’est pas à l’abri de toute
surprise qui viendrait déjouer les pronostics de la police, d’autant plus que
la seconde piste, celle de Salomon, n’offre pas des raisons d’innocenter ce
dernier. Daniel est soupçonné d’être le vrai coupable après la découverte
dans son coffre-fort de l’arme d’où est sortie la balle meurtrière. Pourtant,
son itinéraire retracé ne correspond pas à celui du criminel. Cette
incohérence épaissit le mystère et porte à son paroxysme la tension
dramatique. Elle suscite dans l’esprit des policiers aussi bien que chez le
lecteur un effet de suspense jusqu’au bout, un dilemme qui rappelle les
intrigues romanesques à énigmes d’Agatha Christie. Le préfacier résume
cette situation par l’interrogation suivante : « Qui a tué ? Le rival ou le frère
de la victime […] ? » Peut-être que là aussi, le dénouement de l’intrigue (la

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découverte du coupable), déjouant les attentes, ira dans le sens où l’on


s’attendrait le moins. Tout est encore jouable, jusqu’au moment où peut-
être le chien, celui annoncé par le titre et qui a été jusqu’ici absent du récit,
va "parler". Le mystère reste encore entier, à quelques pages de la fin du
récit.
La présence des éléments constitutifs qui viennent d’être explorés
confère sans conteste à l’œuvre de Charles Olince la facture d’un roman
policier. Si cette présence constitue une condition nécessaire, elle n’est
cependant pas suffisante, dans la mesure où ces facteurs se retrouvent dans
la littérature classique. Seules leur coprésence et leur centralité dans le récit
sont constitutives du genre. Or la confrontation de l’œuvre de Charles
Olince aux canons du roman policier révèle quelques écueils qu’il convient
d’analyser.

1.2. Dissonances génériques


Les critères examinés plus haut relèvent tous de l’histoire, or
l’inclusion au genre ne saurait se limiter aux composantes de l’intrigue.
L’analyse narratologique qui consiste à prendre en compte les aspects
formels de l’œuvre permet de relever ces dissonances génériques.
Le titre du récit et le sous-titre orientent vers des hypothèses de
lecture contradictoires. Le titre « Le chien qui parle » laisse deviner qu’il
peut s’agir d’un roman policier : le chien est un "personnage" récurrent
dans l’univers policier, et les imaginaires romanesque, feuilletonnesque
comme cinématographique sont hantés par des histoires de chiens ou
autres animaux célèbres dotés d’attributs quasi-humains qui jouent des
rôles d’auxiliaires. Par contre, le sous-titre « roman » renvoie plutôt à la
littérature classique. Cette dichotomie entre le titre et le sous-titre procède
de la tentative de capitaliser au profit de l’œuvre l’attrait des lecteurs pour

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le genre romanesque et pour le roman policier, tout en minimisant l’impact


de la marginalité attachée à la paralittérature.
Cette contradiction transparaît dans la préface de Claude Assiobo
Tis qui, après avoir relevé que l’habileté du narrateur à entraîner le lecteur
vers de « fausses pistes » de l’enquête est « classique au roman policier »,
affirme sans transition que « Le roman d’Olince nous ouvre les yeux sur
des réalités sociologiques togolaises et africaines et sur un thème
omniprésent dans la littérature togolaise : l’Amour HF26, l’éternel amour
charnel entre l’homme et la femme » (LCQP 7-8).
Ce constat du caractère réaliste et social du roman n’est pas à
prendre comme une contradiction inhérente au discours du préfacier ; elle
reflète le caractère hybride même du récit. Certes, comme il le relève,
l’intrigue comporte des caractéristiques qui participent à la fois du roman
sentimental et du roman policier. Il s’agit d’un conflit entre deux rivaux,
Djifa et Daniel dont l’enjeu se trouve être Irène, l’inspectrice de police. Le
meurtre du premier, suivi de l’enquête menée pour découvrir le coupable,
donne au récit une allure de polar. Mais au-delà de l’intrigue, le texte
comporte de nombreuses distorsions aux canons du roman policier. Dès
l’incipit du roman qui commence à la page 9, le narrateur insère des
passages descriptifs sur le quotidien des habitants de la modeste ville de
Tékan qui sert de cadre à ce drame, à l’instar du passage suivant :
La pauvreté logeait confortablement chez presque tous les
Tékanais de sorte que la ménagère n’avait quasiment pas
de panier pour parler de son contenu. Pour la grande
majorité de la population de cette ville, il était difficile de
manger deux fois par jour. L’infidélité de la pluie, associée
à l’ingratitude de la terre, ajoutaient une couche de

26 Homme-femme.
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déception et de désespoir aux agriculteurs qui étaient livrés


à eux-mêmes. (LCQP 10)
Loin de se limiter à une simple description du macro-espace du récit,
le narrateur dresse un tableau évoquant la misère des habitants de la ville
de Tékan, toponyme dans lequel le lecteur familier au cadre géographique
de l’auteur n’hésitera pas à reconnaître l’anagramme de Kanté, ville du
Nord-Est du Togo. Poursuivant sa description, le narrateur écrit :
Le claironnement des programmes de financement
agricole se limitait aux salons qui avaient le luxe d’accueillir
un poste téléviseur. Mais sur le terrain, Dieu seul sait
comment les téméraires paysans de la localité tentaient de
braver les difficultés pour faire pousser quelques plants de
maïs. Le quotidien des femmes était pénible tel dans un
camp de redressement. Pour trouver de l’eau, les femmes
devaient parcourir de longues distances avant de pouvoir
partager les eaux d’un ruisseau avec les bœufs, chèvres ou
autres animaux. (LCQP 10-11)
La peinture à grands traits de la misère présuppose une
identification du narrateur qui rappelle la tradition réaliste, même si par
ailleurs la distanciation ironique n’est pas sans rappeler l’humour noir des
romans policiers de Gérard de Villiers. Et, comme par effet de contraste,
le bâtiment dont Djifa dirige la construction est le siège du parti politique
au pouvoir, bâtiment luxueux érigé à grands frais du contribuable, dépeint
par le narrateur comme une énième bévue des dirigeants, une injure à la
misère du peuple (LCQP 23).
L’écart entre le cadre narratif policier et les évènements racontés
s’accentue dans la suite du récit. Le crime intervient à la page 16 du
chapitre premier. Par la suite, s’alternent des séquences de l’enquête et des
flash-backs qui plongent le lecteur dans le passé des personnages. Ces
retours en arrière participent de l’élucidation de l’intrigue, en dévoilant des
pans d’histoire qui, mis bout à bout, permettent de déceler le nœud du
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crime. Cependant, l’amplitude de ces longues analepses occupe une grande


partie du texte, prenant le pas sur la dynamique du récit policier.
La première rétrospective, qui occupe la majeure partie du chapitre
4, revient sur l’histoire d’amour entre Irène, l’inspectrice de police et
Daniel, son fiancé devenu le premier et pour l’instant le seul suspect du
dossier dont l’enquête lui a été confiée dans une première phrase.
L’officière en est si embarrassée qu’elle finit par perdre ses qualités
d’enquêtrice qu’on lui connaît. Le chapitre s’ouvre par une phrase
d’amorce expressive : « Sur le chemin qui menait au poste de police, Irène
se remémorait sa love story avec Daniel ». La suite du chapitre déroule des
moments de la rencontre des « deux tourtereaux », remontant aux
épisodes des amourettes d’enfance, avec des relents de récit de vie et un
sentimentalisme qui se fait parfois grinçant.
L’on pourrait en dire autant du retour au chapitre 4 sur la rencontre
entre Oscar Olaw et Thérèse, parents adoptifs de la victime Djifa et
parents biologiques du coupable Salomon qui occupe un chapitre entier
(LCQP 38-46). L’évocation de ce pan de vie a bien sa place dans le récit
en tant que témoignage d’enquête, mais en faire un chapitre est la preuve
que le narrateur, une fois encore, n’échappe pas à ce tropisme
sociologique, qui constitue selon Kodzo Etonam Tsetse, un trait
caractéristique des romans policiers africains. A la différence des romans
occidentaux, qui éclairent d’un jour nouveau l’enjeu de la production du
récit criminel, écrit-il, « ceux des aires culturelles d’Afrique subsaharienne
reposent sur leur propre réflexivité et leur autoreprésentation » (Tsetse
30).
Dans Le chien qui parle, la relation des difficultés rencontrées par le
couple Oscar-Thérèse pour avoir un enfant, problème socialement
répandu, permet de jouer sur la sensibilité du lectorat immédiat. Aussi le
narrateur aurait-il pu se passer de nombreux détails relatifs à l’enfance de
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Djifa, à son ascension et à sa chute, de même que ceux liés à la scolarisation


et à l’ascension de son frère adoptif Daniel. Ces détails pourtant
intéressants qui auraient pu passer en arrière-plan du récit d’enquête
introduisent de la lourdeur lorsqu’ils deviennent la matière même du récit.
Ainsi, des faits qui auraient pu passer en ellipses sont transformés en
sommaires, voire en scènes, assorties parfois d’envolées lyriques et même
de séquences poétiques qui ne servent pas efficacement la posture
esthétique du discours narratif de l’auteur et moins encore au projet du
roman policier.
Cette interférence du "social" dans le "policier", à la limite de
l’hypertrophie, se confirme au niveau du dénouement de l’enquête
policière. Le lecteur passionné des romans policiers pourrait déplorer au
passage le défaut de perspicacité de l’inspecteur Marc et de son équipe
dont le narrateur vante pourtant le « professionnalisme ». Sinon comment
expliquer l’euphorie dont ils font preuve au moment du dernier débriefing
de leur rapport d’enquête – « On lisait une note de satisfaction sur le visage
des membres de cette équipe qui avait passé afin de débusquer le
coupable » - (LCQP 104), alors même que les résultats de l’enquête
n’étaient pas véritablement concluants ? Le rapport d’enquête désignait
comme probable coupable Daniel, uniquement sur la base d’indices, et ce
dernier aurait pu être condamné en dépit de son innocence.
Le revirement connu par l’enquête à l’arrivée du vieux Kpatcha qui
se plaint de la mort de son chien Mindou-isou, renversé par une BMW X5
E53, est une sorte de deus ex machina qui ne résulte pas de l’enquête en soi.
En réalité, ni cette intrusion au poste de police ni la plainte qui la justifie,
ne contribuent à ce que Roland Barthes appelle l’« effet de réel ». Entre-
temps écartée de l’enquête, Irène revient à la charge et parvient à établir le
lien entre les aveux de Kpatcha et le crime enquêté. Mais le caractère
aléatoire de cette trouvaille résonne comme un tour de divination plutôt
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que comme l’aboutissement d’un véritable travail d’expertise. Ceci nous


éloigne du roman policier dont l’une des finalités, s’il en est, est de mettre
en perspective les compétences et la sensibilité hors pair des enquêteurs.
L’on peut se féliciter que le recours des techniques de la police
scientifique mises à contribution ait permis de détecter la présence de
Salomon sur les lieux du crime. Avec ce dernier, la police se retrouve une
fois encore sur une fausse piste. Néanmoins, c’est grâce à lui, et par
l’intermédiaire d’un informateur à l’intervention tout aussi inattendue, que
les enquêteurs réussiront à mettre la main sur le coupable, un certain
Momo. Une fois encore, l’introduction de ce rival sorti de nulle part
occasionne une véritable entorse à la vraisemblance de l’histoire. Certes, le
récit gagne en complexité et l’effet de surprise sui generis du polar à énigme
recherché est présent, mais il s’agit d’un rendez-vous manqué avec
l’esthétique du roman policier.
L’élucidation du crime n’est plus perçue comme l’objectif de
l’enquête. Elle devient prétexte à un projet narratif hybride, qui mêle à la
narration policière une dose de social à la limite du folklorique. L’évocation
de la fête rituelle Evala, participe de cette logique. Marquée par des
épreuves de luttes où l’on sacrifie des chiens, cette fête célébrée par des
communautés Kabiyè de Raka (on y reconnaît la ville togolaise de Kara),
crée dans les propos du vieux Kpatcha un effet de dissonance qui fait
penser au carnavalesque de Bakhtine, procédé incompatible au roman
policier classique. A la fin du récit, les protagonistes perdent leur épaisseur
au profit d’un schéma d’avance tracé par le narrateur omniscient. Ce
dernier semble d’ailleurs entretenir une sympathie avec ses personnages
par effet de métalepse, au sens de Gérard Genette (244).27 De ce fait, il

27Genette Gérard entend par métalepse « toute intrusion du narrateur ou du narrataire


extradiégétique dans l'univers diégétique (ou de personnages diégétiques dans un univers
métadiégétique, etc.), ou inversement ».
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n’est pas surprenant que les relations tendues jusqu’au bout du récit
débouchent dans l’épilogue sur une atmosphère de happy end
cinématographique.

2. Le chien qui parle, un scénario cinématographique


Dans la préface du roman Le chien qui parle, Claude Assiobo Tis
évoque trois critères qui permettent de « conférer à un auteur le statut
d’écrivain : l’expressivité, l’originalité et la profondeur ». Il a ajouté que
Charles Olince a choisi l’expressivité : un style clair, fluide et marqué
souvent d’images. » Parlant de l’intrigue, Claude Assiobo Tis a précisé
qu’« il s’agit vraiment d’une intrigue comme en regorge tout bon roman
policier. Car le roman d’Olince est un vrai polar. La police est au centre de
l’histoire non seulement comme celle qui cherche à démêler l’intrigue mais
qui fait partie du nœud même de l’intrigue… ». Ces aspects évoqués par le
préfacier montrent déjà que l’œuvre romanesque de Charles Olince
pourrait se prêter à une adaptation cinématographique. Il convient dès lors
de relever les caractéristiques filmiques présentes dans Le chien qui parle, et
d’autre part de mentionner les difficultés qui pourraient subvenir lors du
processus d’adaptation dans la mesure où l’œuvre littéraire d’Olince n’était
pas conçue au départ comme un scénario en bonne et due forme.

2.1. Inventaire des caractéristiques du scénario cinématographique


dans Le chien qui parle
À l’instar de tout roman, Le chien qui parle comporte des images, des
descriptions, des portraits, des dialogues, mais la particularité du livre de
l’écrivain togolais Charles Olince est que ces éléments sont plus nombreux
et plus développés. Par ailleurs, la façon dont l’écrivain en fait usage
permet au lecteur de mieux visualiser ce dont il est question. La description

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suivante est un exemple palpable du caractère filmable du roman Le chien


qui fume :
Après ces menaces, furieux, Daniel se hâta vers sa voiture
garée à quelques encablures. Irène tenta de le suivre, mais
elle ne parvint pas à le rattraper. Le degré d’énervement de
Daniel l’avait transformé en un train à grande vitesse. Elle
retournait pour dire quelques mots à Djifa quand un coup
de feu, venu de derrière, retentit. Il gisait au sol. La balle
avait transpercé son abdomen et le sang giclait de la
blessure. Il pleurait à chaudes larmes. Il pleurait sans cesse.
Il gémissait. Il criait : « À l’aide ! À l’aide ! » Le sang
continuait de se vider de son corps. L’intensité de sa voix
allait decrescendo à mesure qu’il s’affaiblissait. Son polo
blanc, manches courtes, en coton piqué, était devenu
rouge. Son pantalon jeans de couleur bleue s’était assombri
davantage. Irène se précipita sur lui pour lui porter secours.
(LCQP 16)
La lecture de cet extrait donne beaucoup d’informations sur la
manière dont l’altercation verbale entre Daniel et Djifa a conduit
finalement au décès de ce dernier. La description est tellement détaillée
que le lecteur vit la scène comme si elle se passait devant lui ou comme s’il
la regardait par procuration via une adaptation cinématographique. Dans
la même dynamique, le narrateur dans Le chien qui parle donne une précision
qui nous renforce dans notre idée que le roman comporte les traits
caractéristiques nécessaires qui lui confèrent les capacités d’adaptabilité au
cinéma :
Irène de son côté, les larmes en perles, tenta de le rassurer :
- Djifa, ne t’en fais pas, ça va aller. Les secours vont arriver
d’un instant à l’autre et tu verras que tout va bien se passer.
Comme souvent dans des films, les secours prirent du
temps, surtout qu’ils venaient de loin, la ville voisine qui
était le chef-lieu de la région. Allongé en décubitus dorsal,
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Djifa s’affaiblissait progressivement. Une froide sueur le


mouillait. Il bougeait à peine. Immobilisé sur la civière, les
secours s’apprêtaient à le mettre dans le véhicule quand il
poussa son dernier souffle. Désemparée, Irène cria fort
son nom comme pour l’interpeller de revenir, de ne pas
partir […] (LCQP 17-18)
Outre la mention « comme souvent dans des films, les secours
prirent du temps », la précision chirurgicale avec laquelle Olince relate les
derniers moments de Djifa rappelle effectivement à tout cinéphile les
scènes des films d’enquête ou policiers au cours desquelles on regarde les
ambulances arriver sur les lieux d’accidents ou de crimes pour tenter de
sauver les victimes. L’intentionnalité filmique du roman Le chien qui parle
de Charles Olince est renforcée par l’extrait suivant qui donne un caractère
très réaliste à l’œuvre, comme nous l’avons déjà signifié dans la première
partie de notre article :
Elle (la policière Irène) invita ses collègues à la rejoindre.
Ceux-ci y arrivèrent au nombre de quatre et délimitèrent
raisonnablement, avec son aide, la scène du crime par la
rubalise. Ils la passèrent au peigne fin à la recherche
d’indices. Outre les traces de sang, ils y trouvèrent des
traces de semelles, des traces de pneus, des douilles de
balles, une cannette de bière vide, une cigarette fumée aux
trois quarts et du papier mouchoir déjà utilisé. Ils
marquèrent l’emplacement des éléments trouvés à l’aide de
plots puis photographièrent les lieux. Ils essayèrent de
calculer la trajectoire de la balle afin d’obtenir des
renseignements sur l’emplacement du tireur. Chaque indice
prélevé fut mis dans une poche en plastique munie d’un
code en lettre l’identifiant, puis envoyé au laboratoire pour
analyse. (LCQP 20)
La description de la séance de travail entre Irène et ses collègues
officiers de police judiciaire est à l’image des séances de brainstorming des
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policiers réfléchissant sur des cas de crime que nous regardons dans les
films et séries similaires à Crime Scène Investigation (CSI) que nous
proposent, particulièrement dans les régions francophones du monde, les
chaînes de télévision telles que TF1 et Canal+. La description à laquelle se
livre le narrateur dans Le chien qui parle donne effectivement l’impression
de ce déplacement de la caméra qui permet de saisir d’emblée les
mouvements et les actions des personnages. Dans le cas précis du roman
que nous étudions, le narrateur peut être assimilé à un reporter qui, caméra
à la main, suit les personnages dans leurs déplacements. Par rapport à
l’utilisation de la description par Olince dans son roman, nous pouvons
conclure que la description est faite en effet avec un réalisme
cinématographique. Rien n’est donc fixe. Tout est mouvement dans
l’œuvre, comme l’illustre le passage suivant :
Irène prit le devant avec sa Toyota RAV4 suivie de deux
collaborateurs qui étaient dans une Jeep de la police. Sur le
chemin, Irène revoyait le déroulement de la scène du
meurtre, et elle aurait souhaité que ce soit de la fiction. Ce
qu’elle ressentait n’était autre qu’un cocktail épais de
désolation et de colère. Elle se sentait étouffée. Elle défit
son chignon…Irène sonna à plusieurs reprises sans suite.
Elle tenta d’ouvrir le portail et celui-ci s’ouvrit. Elle dit
alors à ses collaborateurs de l’attendre, puis monta, seule,
les marches qui menaient à l’appartement de Daniel…En
redescendant, elle aperçut dans le garage le véhicule de
Daniel et donc conclut qu’il serait très probablement à
l’intérieur…Daniel poussa Irène à la sortie. Elle s’exécuta
et descendit appeler du renfort. Une fois de retour avec ses
collaborateurs, elle récita une formule très proche sinon
inspirée de l’avertissement Miranda : -Police, monsieur,
vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Djifa.
Vous avez le droit de garder le silence. (LCQP 22, 24 et 25)

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Comme on peut le percevoir à la lecture de l’extrait précédent, dans


le cadre de l’enquête en cours au sujet du décès de Djifa, la policière Irène
a visité différents endroits. Le regard du critique de cinéma que nous
posons sur cet extrait nous permet de nous projeter dans la peau d’un
cameraman qui suit Irène et ses collègues dans leurs différents
déplacements.
L’autre caractéristique importante, qui donne l’impression au lecteur
que ce livre semble écrit dans la perspective d’être facilement adapté à
l’écran, est l’utilisation abondante de la technique cinématographique du
flashback. Dans Le chien qui parle, le flashback a l’avantage de combler les
attentes du lecteur. Il permet en effet à celui-ci de suivre les actions passées
qui apportent des éclaircissements au récit du moment. Mais au-delà de sa
fonction informative, le recours à cette technique se révèle comme un
véritable contre-point plastique, étant donné qu’elle n’affecte surtout que
la structure de l’œuvre.
Selon Marcel Martin,
Le flashback consiste alors à mettre dès le début du film le
spectateur dans la confidence du dénouement […]. Ce
procédé aide ainsi puissamment à la créativité de l’unité de
ton, si importante dans une œuvre : il enlève aux
événements leur apparente disponibilité et révèle leur sens
profond en indiquant au spectateur la tournure de l’action
à venir […] (Martin 262).
Fort de cette compréhension de l’utilité du flashback, Charles
Olince en a fait beaucoup usage dans Le chien qui parle pour impacter les
faits à venir, rendre l’histoire plus intéressante, la faire avancer, ou révéler
davantage les personnages au lecteur. La récurrence des flashbacks
constitue une preuve supplémentaire de la transposabilité de ce roman au
cinéma. Aux pages 30 et 31, le flashback permet au lecteur de savoir
comment les personnages de Daniel et Irène ont fait connaissance. Ce qui
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n’avait pas été mentionné au début de l’œuvre. A la page 55, le flashback


raconte le retour de Djifa au pays après que son père le lui a demandé. A
la page 88, le flashback revient sur les discussions entre Daniel, Djifa et
Irène pour éclairer la lanterne du lecteur sur l’évolution des tensions qui
ont conduit au décès de Djifa, décès intervenu un peu plus tôt. Le passage
suivant illustre une étape de leur relation :
Djifa ne termina pas sa phrase quand un jeune homme,
ayant presque le même âge que lui, l’interrompit en
s’adressant à Irène… D’une manière sournoise, Daniel
arracha Irène des griffes de Djifa qui lui semblait suspect.
Il ne fallait pas prendre le risque d’exposer aussi longtemps,
la ‘femme de sa vie’. L’amour de Irène, il l’avait obtenu
après près de deux ans de galère et envisageait de l’épouser.
(LCQP 88)
La récurrence du flashback dans les pages de l’œuvre romanesque
Le chien qui parle de Charles Olince est une preuve supplémentaire de sa
capacité à être transposée à l’écran. Mais le recours fréquent à cette
technique de narration a un double effet : en même temps qu’elle renforce
la possibilité du roman d’être adapté au cinéma, elle fait partie des
obstacles à apprivoiser pour faciliter la transposition du livre au film.

2.2. Difficultés d’une restructuration cinématographique


Bien que nous ayons pu repérer dans Le chien qui parle de Charles
Olince des techniques d’écriture cinématographique qui nous font dire que
l’intentionnalité filmique est une réalité, l’œuvre reste et demeure un
roman. Ce n’est pas encore un scénario, a fortiori un film. L’écriture du
roman offre à l’auteur la possibilité de donner beaucoup de détails, aussi
bien dans les descriptions, la narration, les dialogues que dans les portraits
ou commentaires. Tel est le cas de ce roman. Pour l’adapter au cinéma, ces
artifices littéraires auxquels s’ajoutent certaines techniques
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cinématographiques comme le flashback constituent des obstacles.


L’universitaire et critique de cinéma camerounais Alexie Tcheuyap
confirme cette quasi impossibilité de transposer intégralement et
textuellement un livre à l’écran en ces termes :
Le roman ajoute des personnages et s’attarde sur de
nombreuses descriptions, tout en apportant des nuances
qui ne sont pas très visibles dans le film […]. Il est
rigoureusement impossible de restituer à l’écran la lettre ou
même l’esprit d’un texte littéraire, ce qui impliquerait un
concept de ‘totalité’ incompatible avec tout texte…Pareille
entreprise est utopique et vouée à l’échec. En outre, elle est
maintenant impossible. (Tcheuyap 19, 20)
Dans son article « Littérature et cinéma : l’adaptation une autre
figure de l’intertextualité », Soumeya Merad est du même avis que
Tcheuyap quand elle écrit : « Créer un film à partir d’un livre consiste
nécessairement à transformer, modifier, à faire une réincarnation de
l’œuvre littéraire pour produire une œuvre cinématographique dite
identique ou plus exactement ressemblante. » (Merad 178). George
Bluestone évoque aussi dans son analyse du processus d’adaptation du
livre au cinéma, le caractère inévitable des changements. Il écrit en
substance : « (…) Mutations are probable the moment one goes from a
given set of fluid, but relatively homogeneous, conventions to another ;
(…) changes are inevitable the moment one abandons the linguistic for
the visual medium » (Bluestone 5)
Que l’adaptation éventuelle du livre Le chien qui parle se fasse sous
forme d’adaptation libre, fidèle ou amplificatrice, les difficultés sont
principalement de deux ordres. Le premier type de difficulté est relatif au
format. L’œuvre que nous explorons est constituée de 135 pages
subdivisées en 13 chapitres d’inégale répartition. Les 13 chapitres sont
encadrés par une préface et un épilogue. Le film a un début, un milieu et
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une fin, avec un fond d’histoire dont l’exposition présente les personnages.
L’intrigue quant à elle expose le déroulement des conflits à travers une
série d’actions. Le chien qui parle suit presque le même canevas qu’on peut
résumer sous cette forme : situation, problématique, déclencheur,
adversaires, alliés, obstacles, actions. Ces étapes sont presque les mêmes
pour une intrigue littéraire comme pour une intrigue cinématographique,
mais vouloir adapter une œuvre littéraire au cinéma est une démarche
complexe, dans la mesure où l’écriture littéraire est après tout différente
de l’écriture filmique. Nathalie Lenoir attire notre attention sur le fait
qu’« un scénario montre une histoire mais ne la raconte pas. » Il est
important de rappeler à cette étape de notre réflexion ces mots du
préfacier du roman Le chien qui parle :
Trois critères permettent de conférer à un auteur le statut
d’écrivain : l’expressivité, l’originalité et la profondeur. Ces
critères ne sont pas cumulatifs. Charles Olince, connu déjà
sur la scène littéraire, surtout pour sa pièce de théâtre Awa,
la femme, a choisi l’expressivité : un style clair, fluide et
marqué souvent d’images. (LCQP 7)
Ces mots prouvent le caractère très littéraire du roman d’Olince,
reposent sur la langue écrite, liée à la poésie des mots, des phrases et qui
s’attarde de temps à autre sur les pensées et les émotions des personnages.
Dans une telle situation, le cinéaste désireux d’adapter Le chien qui parle ne
peut qu’omettre certains éléments qu’il juge secondaires comme les
longues descriptions dont Charles Olince a l’art.
Le second type de difficulté que pourrait rencontrer un cinéaste en
voulant adapter Le chien qui parle à l’écran, est lié au processus de
l’adaptation. Dans cette catégorie de difficultés, la toute première d’ordre
dramaturgique a trait au fait qu’un roman se présente sous forme d’une
succession de chapitres alors que le scénario est structuré en actes. Les
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différents chapitres du chien qui parle ne pouvant pas correspondre


systématiquement ou forcément aux actes du scénario qui pourrait être
issu de la lecture du roman, le processus d’extraction d’une forme filmique
devient complexe. Pour terminer, l’autre difficulté majeure à laquelle
pourrait être confronté un réalisateur de film intéressé par l’intentionnalité
filmique du roman Le chien qui parle, est celle de la dramatisation (le
déroulement dramatique), une technique d’écriture qui diffère selon qu’on
écrit un scénario de film ou un roman. Dans le cas de ce dernier, les
événements sont moins contrastés, l’expression des drames et des joies est
moins forte, alors que le cinéma veut faire entendre et voir les faits dont
l’histoire est porteuse. Le cinéma veut amener le spectateur à vivre d’une
part les réactions et les émotions et d’autre part, à plonger dans le vif de
l’histoire. Ce qui nous fait dire qu’une chose est de détecter à la lecture du
chien du parle, une certaine intentionnalité filmique dans son langage, une
autre est de voir si cette intentionnalité filmique perceptible dans l’œuvre
lui assure une transposabilité à l’écran et sous quelles modalités.

Conclusion
Le travail d’adaptation d’une œuvre littéraire est très complexe et ses
techniques sont compliquées dans la mesure où son mode opératoire exige
des modifications, des troncations, des ajouts. Au terme de cette analyse,
il importe de souligner que l’auteur a fait usage de structures narratives
classiques, auxquelles se greffent des procédés empruntés aux canons du
roman policier. Au final, le récit peut être caractérisé comme suit : une
intrigue policière entrecoupée de descriptions et un récit filmique sous-
tendu par des techniques purement cinématographiques dont le flashback,
très récurrent dans le livre.
En parcourant avec attention l’œuvre de Charles Olince, nous
remarquons que sa macrostructure lui donne l’aspect d’un scénario prêt à
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être confié à un réalisateur qui se chargera de lui donner les caractéristiques


d’un film. Après tout, ce qui nous semble très important à retenir à partir
de cette analyse de l’œuvre Le chien qui parle, c’est ce rapport intrinsèque
qui lie désormais l’écriture et le cinéma. En effet, si la part du filmique
dans une œuvre littéraire est aussi importante que celle du romanesque, il
ne fait plus aucun doute que ces deux arts sont voisins et interdépendants.
De par leur fonctionnalité, la littérature et le cinéma sont deux domaines
dialectiquement opposés, mais complémentaires.
Il résulte de l’étude qu’en plus de son profond ancrage social, la
construction du roman Le chien qui parle répond aux caractéristiques
importantes d’un roman policier à savoir l’existence d’un crime, d’une
victime, d’où la nécessité d’une enquête selon un mode opératoire donné
pour découvrir le coupable, le mobile et l’arme du crime. Par conséquent,
ce roman peut être inscrit dans la tradition du polar africain dont le cinéma
togolais, qui cherche à se frayer un chemin, gagnerait à s’inspirer.

Travaux cités
Barthes, Roland. « L’Effet de réel », Communications, no 11, 1968.
Bluestone, George. Novels into Films, California, University of California
Press, 1968.
Cleder, Jean. Entre littérature et cinéma : les affinités électives, Paris, Armand
Colin, 2012.
Courtės, Joseph. La Sémiotique du langage, Paris, Armand Colin, 2019.
Genette, Gérard. Figures III, Editions du Seuil, 1972.
Martin, Marcel. Le langage cinématographique, Paris, Editions du Cerf, 2001.
Merad, Soumeya. « Littérature et cinéma : l’adaptation une autre figure de
l’intertextualité », Revue Sciences Humaines, 48, Vol B, 2017, p.175-186.
Tcheuyap, Alexie, De l’écrit à l’écran : les réécritures filmiques du roman africain
francophone, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2005.
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Tchumkam, Hervé. « Achille Ngoye et Jean-Roger Essomba : le


renouveau du polar africain francophone », Itinéraires [En ligne],
2019-1 | 2019, mis en ligne le 26 juillet 2019, consulté le 23 octobre
2023. URL :
http://journals.openedition.org/itineraires/5872; DOI:
https://doi.org/10.4000/itineraires.5872.
Tsetse, Kodzo Etonam. L’esthétique du récit criminel dans la littérature
francophone contemporaine : le cas du Togo. Littératures. Université de
Lorraine, 2022. Français. ffNNT : 2022LORR0152ff. fftel03958050.
Consulté le 24 octobre 2023. URL: https://hal.univ-lorraine.fr/tel-
03958050/document.
Tzvetan, Todorov. Introduction à la littérature fantastique, Paris, Editions du
Seuil, 1970.
Vigeant, Louise. La lecture du spectacle théâtral, Laval, Mondia Editeurs, 1989.

Comment citer cet article :


MLA : Amekudji, Anoumou et Krouma N’Biémadi. « Écriture
romanesque et intentionnalité filmique dans Le chien qui parle de
Charles Olince ». Uirtus 3.3 (décembre 2023) : 143-168.

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