Intérét de L'histoire de La Médecine: Jacques POULET
Intérét de L'histoire de La Médecine: Jacques POULET
Intérét de L'histoire de La Médecine: Jacques POULET
Jacques POULET
Elle peut aussi apparaítre vaine par son aspect apparent de jeu de
l'esprit semblant improductif et par la difficulté qui semble exister a priori
á concilier l'Histoire et la Médecine.
Pourtant, á y regarder d'un peu plus prés, chacune d'entre elles s'enrichit
de l'autre et il importe d'emblée, avant toute chose, de s'interroger sur le
rapprochement de ees deux termes : Histoire et Médecine.
HISTOIRE ET MÉDECINE
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L'Histoire s'efforce de reconstituer un passé collectif. A l'opposé, la
Médecine se voue au présent individuel d'un maladee á soulager et se nourrit
des perspectives futures du progrés technique.
Pour d'autres, par exemple Etienne May, plus que toute autre discipline,
la Médecine est liée intimement á l'Histoire des hommes, á leurs craintes,
á leurs réves, á leur vie sociale tout entiére.
La Médecine est tissée par les fils de l'Histoire, et bien des événements
politiques, sociaux, économiques ou culturéis s'éclairent á la lumiére des
íaits médicaux.
Médecine et Histoire ont done des caracteres communs et se rejoignent
en plusieurs points. Elles s'édifient toutes les deux sur des connaissances
objectives, mais pour participer á la fois de la science et de l'art. Ceci
explique les incertitudes et les divergences qu'elles suscitent, incertitudes
qui légitiment leur rapprochement. De plus, chacune d'entre elles a une
infiuence sur l'autre.
II peut étre utile de rappeler qu'un art est le fruit d'actes individuéis
privilegies á la mesure du talent, de l'habileté et de l'intuition de ceux qui
l'exercent. Une science, au contraire, est un ensemble de connaissances
exactes et approfondies, résultant d'observations et d'expériences precises
et portant sur un objet dont l'intérét apparait general et universel.
L'Histoire souffre autant que la Médecine de cette dualité, ce qui rend
compte des jugements variés et souvent opposés que l'on a portes sur cette
discipline.
Pour Anatole France, ce n'est qu'un art qui ne releve que de l'imagina-
tion, et dans le cynisme de son scepticisme il précisait qu'il n'y a qu'un cas
oü la documentation soit certaine, c'est quand il n'existe qu'un seul témoi-
gnage.
Pour Paul Valéry, elle ne peut rien enseigner puisqu'elle contient tout
et donne des exemples de tout.
Au contraire, Fustel de Coulanges affirme que l'Histoire n'est pas un art,
mais une science puré. Elle consiste, c o m m e toute science, á constater les
faits, á les analyser, á les rapprocher, á en marquer les liens.
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En ce qui concerne la Médecine, Paracelse affirmait deja au X V I siécle
qu'elle est á la fois art et science, et Claude Bernard a trouvé la formule
adéquate en é c r i v a n t : « La Médecine n'est ni un art ni une science, c'est
une profession. » Mais cette définition est un peu une échappatoire.
M é m e de nos jours elle demeure un art, car elle s'applique toujours á
des cas individuéis. Elle l'est aussi du fait de la participation personnelle,
constante du médecin obligé de continuer á agir dans l'absence de certitude,
tout autant que par l'habileté manuelle du chirurgien.
Elle n'est devenue science que depuis un siécle, par les apports de la
physiologie nórmale et pathologique, de l'anatomie pathologique, de la bacté-
riologie, de la physique et de la chimie biologique, qui lui servent désormais
de support et le complétent.
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Influence de la Módecine sur VHistoire
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Le temps d'Hippocrate est venu au décours du siécle de Périclés. Si
Galien domina pendant dix siécles la médecine européenne, c'est en grande
partie parce qu'il professait le monothéisme et, de ce fait, au chaos politique
du Moyen A g e occidental a correspondu l'immense vacuité de la médecine
xolastique.
Cependant, dans le m é m e temps, l'apogée de l'empire islamique s'illustrait
de l'enseignement d'Avicenne et d'Averroes, sans lesquels le bond en avant
contemporain de la Renaissance aurait été impensable.
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La Médecine ne prendra son véritable départ qu'au X I X siécle, avec
Laennec et gráce á la méthode anatomo-clinique. Or, les découvertes fonda-
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mentales des médecins frangais de la premiére moitié du X I X siécle corres-
pondent á un des moments oú la France était encoré la plus puissante dans
le monde.
L ' H I S T O I R E DE L A M É D E C I N E
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Des 1858, Louis Pasteur déplorait deja que l'on abordát la culture des
sciences avec une ignorance complete du passé. I I ajoutait cette vérité per
manente : « On s'imagine que la science est d'aujourd'hui. On ne voit pas
que son état actuel n'est que progrés sur Tétat d'une période precedente. »
Claude Bernard n'a jamáis publié un seul de ses travaux sans le faire
preceder de l'historique de la question étudiée.
En effet, pour toute connaissance, tout pas en avant, precede une évolu-
tion, et celle-ci se nourrit tout autant des lecons du passé que des possibilités
du présent et des virtualités de l'avenir. Porter intérét au passé n'est pas
faire preuve d'un esprit retrograde, ni travailler au rebours du courant de
la v i e . Une discipline qui oublie d'oü elle vient cesse bientót de percevoir
oü elle va.
Loin de conférer une valeur absolue á la science qui s'établit aujour-
d'hui, il faut, selon le conseil de J o u b e r t : « Recevoir le passé avec respect
et le présent avec méfiance, si l'on veut pourvoir á la süreté de l'avenir. »
On peut en déduire que l'utilité de l'Histoire de la Médecine consiste
dans ce fait, signalé voilá déá un siécle par Littré : « II n'est rien dans la
plus avancée des médecines modernes, dont on ne puisse trouver l'embryon
dans la médecine du passé. » C'est pourquoi il s'écriait des 1829 : « La science
de la médecine, si elle ne veut pas étre rabaissée au rang de métier, doit
s'occuper de son histoire. »
L'acte medical repose sur l'emploi combiné et judicieux de deux grands
groupes de moyens. D'une part, les facultes de l'esprit propres aux médecins,
en tant qu'étres pensants ; d'autre part, des possibilités matérielles que le
progrés augmente chaqué jour. Si chacun admet la nécessité du recours aux
techniques et de leurs connaissances, il doit symétriquement en étre de
m é m e pour les moyens intellectuels dont dispose le praticien. Une grande
part de ceux-ci se déduit des raisonnements faits dans le passé et de la
progression des connaissances medicales, d'oü sont nées les grandes décou-
vertes.
Chacune des découvertes scientifiques s'appuie plus ou moins directe-
ment sur l'acquis antérieur, puis elle ouvre á son tour la voie á de nouveaux
progrés. C o m m e dans les réactions chimiques en chaine, le déroulement et
la succession de différentes phases sont incomprehensibles, si l'on ignore
les premieres équations. A titre d'exemple, la connaissance actuelle des
pneumopathies aigués bactériennes ou virales en est une illustration typique.
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Jusqu'au debut du X I X siécle, toutes les souffrances respiratoires intra-
thoraciques étaient baptisées d'une facón indiscriminée du nom de péri-
pneumonie. Puis en 1819, dans son « Traite de l'Auscultation m é d i a t e » ,
Laennec décrivit cliniquement et anatomiquement la pneumonie lobaire
franche aigué. Vingt ans plus tard, Rilliet et Barthés individualisaient les
broncho-pneumonies á foyers múltiples disséminés. Mais il restait un grand
nombre de broncho-pneumopathies sortant de ees deux cadres, mal étique-
tées el confondues entre elles, souvent sous le nom de congestions pulmo-
naires de type Woillez.
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L'invention de la ponction pleurale permit deja une nouvelle distinction
entre les spléno-pneumonies et les cortico-pleurites.
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est décrit par Paul d'Egine. Boerhaave a pratiqué la thermométrie avant
Wunderlock. La contagiosité de la tuberculose, attribuée á juste titre á
Villemin et niée par Laennec, a été vue par Alexandre d'Aphrodisi, seize
siécles plus tót.
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la seule discipline capable de freiner le spécialisme centrifuge, de considérer
ia Médecine dans sa totalité, et de maintenir une certaine unité de l'art
hippocratique. Pour obvier á l'étroitesse d'esprit que menace d'engendrer
une spécialisation poussée á outrance, il n'est pas de moyen plus efficace
que l'humanisation de la science par la connaissance de son passé.
Ceci ne veut pas diré qu'il faut renoncer aux biographies et á connaitre
la vie des hommes et des médecins célebres.
II importe de savoir dans quel milieu social, dans quelle ambiance poli-
tique, philosophique ou religieuse, dans quel statut professionnel, dans
quelles conditions techniques et psychologiques, la Médecine a été enseignée,
pratiquée et diffusée, au cours de son évolution. Tous ces facteurs ont joué
un role déterminant dans la genése de la Médecine moderne.
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A U T O N O M T E D E L ' H I S T O I R E DE L A M E D E C I N E
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L'historien de la Médecine doit étre autre chose qu'un historien s'inté-
ressant á la Médecine, ou qu'un médecin s'occupant d'Histoire. I I doit étre
apte á la fois á la recherche historique et á la recherche scientifique. II
doit rester en contact étroit et permanent avec la discipline historique et
les activités des médecins praticiens. Cette double condition constitue l'ori-
ginalité de sa spécialité. Tout en empruntant aux historiens généraux, aux
philologues et á leurs méthodes, elle n'est pas une sous-discipline, ni d'un
cóté, ni de l'autre. Elle reste une discipline médicale autonome, et justifie
l'existence de centres spéciaux d'études.
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