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Magazine de la communication de crise et sensible Vol.

20 - novembre 2011 – p 33/55

L’application des méthodes


sociométriques classiques
dans le domaine de commu-
nication sensible
Dr. Valeria PATCHEVA

L
’intensité d’émergence des processus négatifs dans la société
contemporaine – incidents, conflits, crises, cataclysmes naturels ex-
trêmes - appelle à mener une réflexion sur les notions de risque et
de sécurité. Chaque jour les phénomènes critiques mettent à
l’épreuve la légitimité de l’ordre social et économique établi. A l’époque
de « la société mondiale du risque » [Beck, 1998] et des « accidents nor-
maux » [Perrow, 1984] la mondialisation contribue à accélérer les ten-
dances en matière de risques et à étendre les effets de la crise. Le dy-
namisme du contexte social impose de nouveaux enjeux aux organisa-
tions et en même temps aux professionnels de communication sensible.
Leur travail accorde la priorité à l’adoption d’une position sociale proac-
tive et d’un comportement engagé, destiné à la conduite d’une réflexion
sur l’expérience accumulée dans la maîtrise de situations de crise en
vue de prévention et de minimisation des effets négatifs.

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DIMENSIONS ET TENDANCES DISCIPLINAIRES DANS L’EVOLUTION DE LA


GESTION DE LA COMMUNICATION

La dernière édition de l’enquête européenne dans le domaine de la


communication30 - – Panorama européen 2011 de la communication (Euro-
pean Communication Monitor 2011) – définit les principaux problèmes, les thè-
mes clefs et les tendances dans le développement de la gestion de la com-
munication dans les trois années à venir. C’est l’étude la plus large jamais réali-
sée au niveau transnational. Elle englobe 2209 professionnels de 43 pays31. Des
professionnels reconnus ont participé à l’enquête – trois sur quatre de ceux-ci
dirigent un département ou une agence de Communication et, 56 % de ceux-
ci justifient d’une expérience professionnelle de plus de 10 ans dans ce do-
maine.

Les participants identifient les enjeux majeurs du développement des


communications stratégiques dans un avenir proche: maîtriser l’évolution digi-
tale et le Web social - 54,9 %; corréler la stratégie commerciale et la commu-
nication - 44,0 %; œuvrer en matière du développement durable et de la res-
ponsabilité sociale de l’entreprise - 37,2 %; faire face à la demande d’une nou-
velle transparence et de publics actifs - 35,1 % et, construire et maintenir la
confiance – 30,1 %32. Les auteurs de l’étude constatent que le paysage éco-
nomique, de communication et professionnel dans les différents pays euro-
péens se trouve à des stades différents de leur développement. Les conclusions
déduites ne peuvent donc pas prétendre à une représentativité mais peuvent
s’avérer utiles pour identifier les modèles et les tendances respectives dans ce
domaine, ainsi qu’à inciter des discussions de qualité.

L’étude met en exergue les disciplines les plus importantes dans la ges-
tion de la communication. Celles-ci sont énumérées dans l’ordre descendant
comme suit: communication d’entreprise (institutionnelle / organisationnelle);
communication commerciale / de marque et avec les clients; communication
de crise; communication interne et gestion du changement, ainsi que gestion
des enjeux. Il est intéressant de noter les tendances 2014 : la communication
d’entreprise persiste à la première position. Le rang suivant d’après les intervie-
wés est destiné au marketing et à la communication avec les clients qui, dans
les années à venir seront aussi importants que la communication interne et la
gestion du changement. La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et la
communication de développement durable poursuivent leur élan et quant à la
communication de crise, quoique de tendance descendante, celle-ci garde
sa place parmi les disciplines de pointe de la gestion de la communication33.

30
Zerfass, A., Verhoeven, P., Tench, R., Moreno, A., & Verčič, D. (2011): European Communication
Monitor 2011. Empirical Insights into Strategic Communication in Europe. Results of an Empirical Sur-
vey in 43 Countries (Chart Version). Brussels: EACD, EUPRERA (available at:
www.communicationmonitor.eu).
31
Dans cette étude la liste des 50 pays européens se base sur la liste officielle des pays européens consti-
tuée par l'Union européen (http://europa. eu/abc/european_countries). Les pays qui y sont inclus sont di-
visés par régions d’après la classification de la Division statistique de l’ONU
(http://unstats.un.org/unsd/methods/m49/m49regin.htm). L’Andorre, l’Arménie, la Moldavie, Monaco,
San Marino et la Cité du Vatican n’ont pas participé à l’étude.
32
Ibid . , p. 78 .
33
Zerfass, A., Verhoeven, P., Tench, R., Moreno, A., & Verčič, D. (2011): European Communication
Monitor 2011. Empirical Insights into Strategic Communication in Europe. Results of an Empirical Sur-

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Le rapport annuel de l’Institut de gestion des crises (Institute for Crisis Ma-
nagement) aux Etats-Unis nous donne en quelque sorte une confirmation des
tendances en indiquant que la moyenne de crises d’affaires34 pour la période
de 2001 à 2010 dépasse le nombre de 8800 par an. Le taux relativement cons-
tant des événements de crise au cours de la dernière décennie motive les Di-
recteurs de communication à être sans cesse sur leurs gardes en veillant aux si-
gnaux précoces de l’environnement qui auraient été utiles à la planification
anticipée et à l’élaboration de stratégies d’entreprise visant à restreindre pré-
alablement les risques, maîtriser les processus critiques et minimiser les effets né-
gatifs potentiels. Le rapport 2010 de l’ICM révèle les secteurs de l’économie les
plus touchés: l’industrie pétrolière; la construction navale et les travaux de ré-
paration; l’industrie automobile; les banques; le transport aérien; l’industrie
pharmaceutique; l’assurance; le secteur informatique; l’extraction du charbon
et le secteur des logiciels35.

Les études citées ci-dessus indiquent d’une manière catégorique qu’à


l’heure actuelle, plus que jamais, la gestion de crise est un facteur déterminant
du dynamisme organisationnel. L’influence des crises et notamment leurs effets
négatifs dépassent aisément les limites des entreprises. Les barrières d’ordre
géographique, temporel voire de génération, se sont effondrées et, par
conséquent les dégâts engendrés par les crises s’étendent partout (Tchernobyl,
1986; Bhopal, 1984; « la vache folle », 1986, etc.). A l’époque des risques glo-
baux, « la crise du jour » [Mitroff, 2001] met à l’épreuve chaque jour la légitimité
de l’ordre économique et social établi.

LA GESTION DE LA COMMUNICATION VERSUS LA GESTION DE CRISE

Même aujourd’hui beaucoup d’organisations conçoivent la gestion de


crise comme un exercice de relations publiques, étant persuadées que les mé-
dias sont à l’origine des situations de crise, mais en réalité les origines sont multi-
ples et diverses. Elles considèrent la communication de crise – aspect de la
communication sensible - comme une panacée, comme un outil permettant à
résoudre tous les problèmes. La communication de crise est certes un élément
essentiel de la gestion de crises mais n’en est pas le seul moyen. Elle représente
une approche complexe visant la maîtrise et le contrôle des dysfonctions, pro-
voquées par l’effet d’un événement négatif donné ayant le potentiel de
concerner une organisation donnée. La gestion efficace de la communication
de crise exige un nouveau type de gestion et de nouvelles capacités analyti-
ques ressortant logiquement du dynamisme du développement économique
global. La pensée analytique innovatrice présuppose une combinaison inhabi-
tuelle de méthodes scientifiques au-delà des restrictions disciplinaires.

vey in 43 Countries (Chart Version). Brussels: EACD, EUPRERA (available at:


www.communicationmonitor.eu), p. 85.
34
Une crise d’affaires selon la définition d’ICM est: tout problème ou trouble provoquant des réactions
négatives auprès des parties prenantes qui pourraient exercer une influence sur la stabilité financière de
l’organisation et de ses capacités de développer son activité. Les données statistiques se fondent sur les
événements négatifs reflétés par les médias américains [http://www.crisisexperts.com].
35
Le taux des crises provoquées par des actions mal intentionnées des “cols blancs” est le plus élevé, no-
tamment de 20 %, suivi du taux des dommages sur des installations de production – 11 % et des incidents
imprévus – 10 % [http://www.crisisexperts.com].

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La première étape de la gestion de la communication devrait com-


prendre la description, la définition du problème et l’analyse de la situation.
C’est notamment à cette phase que les méthodes sociométriques offrent la
possibilité d’élaborer un modèle de la crise, conforme à son dynamisme inté-
rieur. Les sociogrammes comme un outil de la sociologie appliquée sont
convenables à l’étude des relations émotionnelles au sein des petits groupes.
Ceux-ci peuvent être considérés comme un complément non traditionnel aux
méthodes analytiques classiques (tels que l’observation, les interviews appro-
fondis, les enquêtes et etc.) pour fixer les relations entre les différentes parties
prenantes en cas de crise. Les sociogrammes sont donc une méthode cogni-
tive de type qualitatif permettant de fixer les relations qui émergent dans une
situation de communication sensible.

Les origines du mot sociométrie se trouvent dans les mots latins « socius » -
social – et « metrum » - mesure. Nous examinons la sociométrie comme un mé-
canisme permettant de décrire et mesurer le degré de rattachement entre les
différents individus, groupes, communautés, structures au sein d’un système
donné, voire entre des formations plus importantes comme des pays, par
exemple. La mesure du rattachement peut servir non seulement à évaluer le
comportement des individus mais peut contribuer aussi à un changement posi-
tif au moyen d’un marquage des zones de risque sensibles et à la prévention
des conflits potentiels. Au sein d’un groupe de travail, telle que la cellule de
crise, la sociométrie peut être un moyen efficace pour réduire les conflits et
améliorer la communication. Elle donne la possibilité de fixer la dynamique de
groupe et d’éviter les facteurs de conflits. Une bonne définition de la sociomé-
trie est que c’est une méthode de dépistage des vecteurs d’énergie des rela-
tions interpersonnelles au sein d’un groupe donné. Celle-ci dessine les modèles
selon lesquels les individus s’associent les uns aux autres lorsqu’ils agissent
comme un groupe ayant une tâche ou un objectif spécifique [Criswell in Mo-
reno, 1960: 140].

Jacob Moreno est le premier à décrire les méthodes sociométriques. Il


détermine la sociométrie comme « l’étude mathématique des propriétés psy-
chologiques des populations; la technique expérimentale aux résultats obtenus
par l’application de méthodes quantitatives » [Moreno, 1953: 15-16]. Les études
de Moreno sont basées sur la thèse que les individus sont amenés à faire des
choix dans leurs relations interpersonnelles. Cette série de décisions détermine
l’appartenance ou le rejet d’un l’individu d’un groupe donné. Selon Moreno le
choix est un fait fondamental dans toutes les relations humaines (…) Peu im-
porte si celui qui choisit se rend bien compte de sa motivation ou non; peu im-
porte si (les choix) sont inarticulés ou fortement expressifs, si ceux-ci sont ration-
nels ou irrationnels. Les choix ne requièrent aucune justification spéciale pour
autant qu’ils soient spontanés et vrais à celui qui choisit [Moreno, 1953: 720].
Moreno explore les voies par lesquelles les relations entre des individus appar-
tenant à un groupe, servent à la fois de limitations et d’opportunités à leurs ac-
tions. L’apport de Moreno consiste surtout à l’introduction de la notion de
« configuration sociale » - reflétant des modèles concrets de relations interper-
sonnelles qui incluent le choix, l’attraction, l’antipathie, l’amitié, etc. entre les
gens impliqués et à la création des sociogrammes ainsi dits – des projections
graphiques des configurations sociales où les individus sont marqués par un
point ou un cercle et les relations sociales par des lignes orientées. Lorsque les

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membres d’un groupe donné sont amenés à choisir d’autres membres du


groupe en fonction d’un critère quelconque, chacun d’eux se voit accorder la
possibilité de faire son choix et d’expliquer comment il l’a fait. Ces choix, pris
dans leur ensemble, reconstituent la structure des « réseaux » au sein d’un
groupe.

Selon Moreno le sociogramme identifie le degré de primauté et


d’influence des individus en fonction de la fréquence d’approbation positive
que chaque individu reçoit des autres du groupe. L’individu ayant recueilli le
plus grand nombre de voix positives, est qualifié d’étoile sociométrique (socio-
metric star). Les données relatives au sociogramme sont présentées sous la
forme d’unе grille ou d’une matrice des choix de chaque participant. La grille
porte le nom de sociomatrice. Maurice Duverger considère que l’intérêt de la
méthode est de mettre en lumière la structure psychologique réelle d’un
groupe, et de la comparer à sa structure officielle et formelle: dans la mesure
où l’on peut obtenir des réponses sincères aux questions posées, évidemment.
Notons, à cet égard, que des moyens indirects (tests, observation-participation)
peuvent se substituer aux questions directes relatives à l’antipathie et à la sym-
pathie [Duverger, 1964: 475].

En se basant sur cette information on peut élaborer une sociomatrice qui


fait une «photo instantanée» de la dynamique émotionnelle du groupe analy-
sé. Les critères d’évaluation des relations sont extrêmement importants.
L’attraction émotionnelle est mesurée pour chaque participant, ainsi que pour
chaque critère séparément. Les réponses obtenues permettent de tirer des
conclusions sur la compétence professionnelle, la sympathie personnelle, la
fiabilité et la confiance attribuée à un membre donné de l'équipe. Les données
relatives aux choix faits sont présentées sous la forme d’une matrice: le nombre
de choix (+/-) que quelqu’un a reçu et le nombre de choix (+/-) que quelqu’un
a émis. Le total des résultats démontre quelle est l’attitude du sujet concret à
l’égard des autres et quelles évaluations - positives ou négatives - prédominent.
L’attitude hésitante neutre reflète à quel point un sujet peut compter sur un
soutien ou est incertain dans ses relations avec les autres.

Les sociomatrices sont donc un bon moyen d’évaluer la situation des re-
lations – avant et après le conflit. Les choix produits déterminent les liens infor-
mels entre les gens. Ces relations complètent les relations formelles – ainsi, cel-
les-ci dessinent le tableau réel des relations interpersonnelles au sein de
l’organisation / du groupe. Le traçage de la dynamique des liens émotionnels
et psychiques est un des meilleurs moyens de leur maîtrise et aussi, de leur trans-
formation positive. Une analyse attentive permet d’identifier la distance sociale
entre les membres de l’équipe, de fixer la stratification sociale – par exemple,
les différences entre le leader formel du groupe et le leader informel. Il est pos-
sible que dans certaines situations le leader formel se retrouve en isolement ce
qui peut remettre en question la légitimité de ses décisions. Celui qui a recueilli
le plus d’attitudes positives en vertu des différents critères fixés au préalable,
c’est bien lui la star sociométrique incontestable.

Les résultats résumés sous la forme de sociomatrices seront différents


dans les trois étapes essentielles de la crise – avant, pendant et après le mo-
ment critique. Le stress en tant que facteur permanent a la capacité de redéfi-

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nir la stratification sociale du groupe. Nous pouvons admettre qu’une affirma-


tion pareille est également valable pour la cellule de crise d’une organisation
donnée. Une étude de ce type, prouvant l’hypothèse ici développée n’a pas
encore eu lieu en Bulgarie quoiqu’il en existe des exemples dans la littérature
étrangère.

Il serait d’une audace inutile, à la limite de la déraison que le choix de la


cellule de crise soit laissé au hasard ou au respect strict de la hiérarchie organi-
sationnelle. Car le facteur humain détermine l’issue de la situation. La prise de
décisions en situation de crise se produit dans un contexte riche en stéréotypes,
d’un niveau de concentration abaissé (des ressources humaines), d’une satu-
ration d’information entravant le traitement des flux d’information, d’une atten-
tion diminuée à l’égard des conséquences, etc. [Pacheva, 2009: 74]. Le choix
d’une stratégie, dans les conditions d’une crise, porte le potentiel de pro-
grammer l’avenir dans l’une des trois dimensions possibles - le retour au status
quo, le contrôle – l’adaptation – la croissance ou l’entropie d’un système
d’entreprise. Toute crise grave impose un changement évolutif et reflète la ca-
pacité d’auto-organisation et d’adaptation active de l’entreprise concernée.

Dans son étude fondamentale consacrée à la dynamique de groupe,


Janis [Janis, 1982] accentue sur deux processus accompagnants – notamment
le risque de dégradation des aptitudes cognitives et la diminution des capaci-
tés d’évaluation morale des phénomènes. La préparation préalable efficace
au moyen d’entraînements et d’exercices de simulation des membres de la
cellule de crise, est une condition de réagir contre la tendance d’auto-
isolement de l’équipe et de surmonter les conflits internes potentiels.

Dans son analyse des réseaux sociaux Hatala [Hatala, 2006] met en évi-
dence les principales interactions qui peuvent être également adaptées aux
membres de la cellule de crise: relations et interactions de communication (qui
communique avec qui sur différents sujets en utilisant des moyens différents
pour transférer l'information); interactions instrumentales (qui s'adresse à qui
dans la recherche d'une opinion avertie, aide ou assistance dans l'exécution
de tâches déterminées); relations et interactions d’influence (qui se conforme
avec qui au sein des groupes informels); relations interpersonnelles (qui est ap-
précié ou non par un membre du groupe). Les managers de communication
sont obligés de penser dans une optique stratégique et de prévoir des méca-
nismes d’autocorrection et d’auto-actualisation des ressources humaines pour
pouvoir les engager dans la gestion des crises afin de pouvoir assurer une sur-
veillance permanente de l’environnement organisationnel.

Dans son aspect collectif, le sociogramme peut être utilisé comme un


instrument d’auto-connaissance et de raffermissement du collectif, surtout dans
des conditions extrêmes parce qu'ils donnent un meilleur aperçu du climat or-
ganisationnel. Nous faisons la différence entre la sociométrie et la sociographie,
et pour cette raison, nous n’affirmons pas que nous utilisions les méthodes so-
ciométriques dans leur aspect classique puisque leur analyse requiert des logi-
ciels, tandis que notre étude se pose un objectif différent – la description ex-
pressive des participants dans la situation. Nous proposons également une au-
tre application «inhabituelle », des sociogrammes dans le domaine de la
communication sensible – comme une méthode permettant d’illustrer les ac-

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teurs dans une situation critique concrète, ainsi que comme une reproduction
graphique des relations engendrées entre ceux-ci au cours de la crise.

Nous utilisons une combinaison d’un cercle et d’une abréviation de let-


tres pour l’identification des parties prenantes et, quant à la présentation des
relations, nous nous sommes conformés à la norme graphique établie en la ma-
tière: le rapport de sympathie est marqué par une ligne continue orientée, le
rapport d’antipathie est marqué par une ligne discontinue orientée vers la di-
rection concernée et le rapport d’indifférence (unilatéral ou réciproque) n’est
pas marqué, c.-à-d. c’est l’absence de symbole qui porte l’information sur ce-
lui-ci. Les sociogrammes que nous proposons ont été élaborés dans un but
pragmatique et n’ont donc pas de prétentions académiques. Leur rôle cognitif
consiste à tracer les interactions entre les parties prenantes dans des situations
de crise concrètes. Les relations naissantes entre les acteurs dans la crise peu-
vent être fixées au moyen d’entretiens approfondis avec ceux-ci. Cette mé-
thode offre la possibilité d’analyser et de tracer la position de la personne inter-
viewée, ainsi que d’identifier les variables de l’environnement intervenantes qui
ont exercé une influence quelconque.

Nous examinerons plusieurs exemples de communication sensible pour


lesquels nous avons élaborés des sociogrammes présentant les acteurs en si-
tuation de crise, ainsi que les relations engendrées entre ceux-ci pour une pé-
riode de temps donnée.

Cas 1: A la fin de l’année 2004 les salariés de la compagnie aérienne


« Bulgaria Air » commencent à protester en demandant une augmentation de
leurs salaires. Les premiers jours de février 2005 commencent les négociations
actives entre des représentants du personnel et la direction de la société. Au
début, les pilotes refusent d’accepter la nouvelle convention collective et quit-
tent les négociations. Après, 15 pilotes sont licenciés et, les autres démissionnent
en guise de solidarité. Les négociations se poursuivent dans une situation parti-
culièrement tendue. Le 11 mai 2005 est signée une convention définitive régis-
sant l’augmentation des rémunérations des pilotes à des niveaux proches de
ceux qui avaient été proposés au début par la compagnie.

Les parties prenantes dans le conflit entre les pilotes et la direction de la


compagnie aérienne « Bulgaria Air » sont:
A – L’organisation – direction de la compagnie
B – Les clients
C – Les pilotes-agitateurs
D – Les Médias
E – Les autres pilotes
F – Le Ministère du Transport et de la Communication
G – Le reste des salariés de la compagnie
H – La confédération de travail “Podkrepa”
I – La confédération des syndicats indépendants de Bulgarie [KNSB]

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Phase 1: Etat des relations pendant la Phase 2: Etat des relations à la fin de la
phase aiguë de la crise crise

Fig. 1: Sociogrammes des relations entre les parties prenantes présentant deux
des phases du conflit entre les pilotes et la direction de « Bulgaria Air »
[Pacheva, 2009: 178].

Cas 2: Le 13 mai 2008 des informations paraissent sur Internet. On ap-


prend que dans quelques jours Première Banque d’Investissements déposera le
bilan. La nouvelle commence à se propager à une grande vitesse et, dans
l’espace de quelques heures, l’hystérie devient collective. En même temps, le
site Internet d’e-banking ne fonctionne pas ce qui augmente davantage la
tension. On suppose que la rumeur a commencé à se propager à partir du fo-
rum www.bg-mamma.com – un des forums les plus puissants des mères en Bul-
garie. Le 15 mai 2008, la banque voit ses actions s’écrouler à la Bourse.
L’information officielle met plus d’un jour de retard. Le 14 mai, le Directeur exé-
cutif de la banque concernée, Mme Maya Georgieva, dément les rumeurs de
faillite en faisant une intervention sur la plus puissante station de radio en Bulga-
rie - « Darik ». Le Chef de « Surveillance bancaire » de la Banque nationale de
Bulgarie, M. Rumen Simeonov, confirme ses paroles dans une déclaration offi-
cielle. Les jours suivants la Banque reçoit le soutien des représentants de
l’Association des banques en Bulgarie, de la Banque nationale de Bulgarie, des
directeurs d’autres banques et du gouvernement. La banque lance une cam-
pagne publicitaire et des relations publiques massives visant à surmonter les ef-
fets négatifs de la crise et à rétablir la réputation corporative à l’aide des mé-
dias traditionnels mais en mettant un accent particulier sur les communications
en ligne. En 2009, le blog corporatif de la Banque gagne d’ailleurs un prix.

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Les parties prenantes dans la crise provoquée par la rumeur de faillite de


la Première Banque d’Investissements sont :

A –Première Banque d’Investissements


B – Les bloggeurs
C – Les clients de la banque
D –Les autres banques
E – La surveillance bancaire
F – Les Médias
G – L’association des banques en Bulgarie
H – La Banque nationale de Bulgarie
I – Le gouvernement

E E
D G D G

C A H C A H

B I B I
F F
Phase 1: Etat des relations pendant la Phase 2: Etat des relations à la fin de la crise
phase aiguë de la crise

Fig. 2: Sociogrammes des relations entre les parties prenantes dans la crise pro-
voquée par la rumeur de faillite de la Première banque d’investissements

Cas 3: Le 28 février 2008 à 23h40 le wagon-couchette et le wagon-lit du


train rapide n° 2637, de Sofia à destination de Kardam a pris feu au moment où
il approchait la gare de Cherven briag. Neuf passagers trouvent la mort dans
l’incendie et huit personnes sont intoxiquées par des gaz asphyxiants. Les corps
des victimes sont identifiés quelques jours plus tard. À cette heure-ci, 27 passa-
gers se trouvent dans le wagon-lit et 35 passagers dans le wagon-couchette.
La version initiale était que l’incendie a été provoqué suite à des actes involon-
taires. Une stratégie de transparence totale ait été adoptée, étant donné que
toute nouvelle information est régulièrement diffusée par les médias. Les autori-
tés lancent une enquête du cas. Au mois de décembre, suivant Georgi Dimi-
trov, le contrôleur du wagon-couchette brûlé et le chef du train Ivanka Kosta-
dinova ont été inculpés d’avoir provoqué par négligence la mort de plus d’une
personne, la peine prévue étant un « emprisonnement » de 5 à 15 ans. Nonobs-
tant le fait que des expertises techniques ont été établies sur ce cas, il n’y a pas
encore eu de jugement définitif. Les jugements sont revus actuellement.

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Les parties prenantes dans l’incident avec le train brûlé « Sofia-Kardam »


sont:

A – La compagnie « Les Chemins de fer bulgares » [BDZ]


B – Les victimes et blessés
C – Le Ministère du Transport
D – Les familles des victimes
E – Les autres passagers
F – La Police
G – Les Sapeurs-Pompiers
H – Les Autorités locales
І – Les Médias

D C

B A
F

G
E
H

Fig. 3: Sociogramme des relations entre les parties prenantes dans


l’incident avec le train brûlé « Sofia-Kardam »

Cas 4: À la fin du mois de décembre 2008 démarrent les travaux de


construction d’un nouvel arrêt ferroviaire « Vardar » destinés à assurer une
communication aisée entre les habitants de la ville de Pernik (située à 30 km de
Sofia) et le métro de Sofia. Selon les plans, le nouvel arrêt ferroviaire devrait être
édifié dans le quartier de Gevgelisyki entre les gares « Gorna bania » et « Za-
harna fabrika ». L’ouverture du nouveau point facilitera le trafic routier en direc-
tion Sud-ouest. Peu de temps après le commencement des travaux de cons-
truction les habitants du quartier commencent des actions de protestation. Ils
s’opposent à la construction d’un arrêt à l’endroit mentionné puisqu’ils croient
que cela pourrait nuire à l’environnement et amènerait un flux de passagers
non souhaité. Les actions de protestation sont également soutenues par les
chauffeurs de taxi qui ressentent une menace pour leurs intérêts professionnels.
Les habitants de Guevgueliyski lancent une souscription contre les travaux de
construction, organisent des meetings sur place et arrivent au vandalisme – jet-
tent des pierres sur les trains passants, mettent des objets sur la ligne ferroviaire
et font justice eux-mêmes en utilisation la force physique à l’égard des cons-
tructeurs du site. Finalement, la Société nationale « Infrastructure ferroviaire » est
amenée à déplacer l’arrêt afin de satisfaire aux demandes des protestants.

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Les parties prenantes dans le conflit concernant l’arrêt ferroviaire « Vardar »


sont :
A – La Société nationale « Infrastructure ferroviaire »
B – Les habitants de Guevgueliyski
C – Les habitants de Pernik
D – Les chauffeurs de taxi
E – La Municipalité de Sofia / la Municipalité d’Ilinden dont le quartier
Guevgueliyski révèle
F – Les Médias
G – Le Ministère du Transport
H – Les autorités locales
І – Les Médias

H E

C
A
B F

D
G

Fig. 4: Sociogramme des relations entre les parties prenantes pendant la phase
aiguë du conflit concernant l’arrêt ferroviaire « Vardar »

Les sociogrammes présentés font nettement ressortir que les médias, en tant
que partie prenante, jouent un rôle décisif lorsque des circonstances extraordi-
naires se présentent. Il n’est pas rare que les entreprises fassent appel aux jour-
nalistes en tant que médiateurs et garants du dialogue social. La médiatisation
fait valider l’événement et définit son statut public comme un incident, une
crise ou une catastrophe. Quoique dans la plupart des cas les médias gar-
dent leur primauté dans l’emprise du terrain de la communication publique, les
organisations déclarent de plus en plus souvent leur politique de transparence
et d’ouverture en situation de crise. Il serait intéressant de mener une étude
mettant en œuvre lesdites méthodes sociologiques appliquées comme une
analyse comparative de nombreux cas dans un secteur concret – notamment,
le transport, le secteur bancaire ou l’assurance. Une telle étude pourrait dé-
montrer d’une manière expressive si, dans la branche concernée, il existe des
erreurs symptomatiques en matière de gestion de la communication, suite à la

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sous-estimation des nids de conflit entre les parties prenantes dans la situation
de crise analysée.
Nous considérons que l’apport des méthodes sociométriques mises en
œuvre dans la communication sensible va en général dans deux directions :
primo, celles-ci tracent les relations lors de l’élaboration d’un modèle progressif
de la stratification sociale de la cellule de crise et secundo, celles-ci identifient
les zones de conflit entre les parties prenantes impliquées dans les situations de
crise. Les problèmes qui « émergent » le plus souvent lors de l’étude de cas, sont
liés à la consolidation interne, à la cohésion sociale et à la solidarité profession-
nelle au sein de l’organisation. Les résultats peuvent trouver une application
dans les programmes développés de communications d’entreprise internes en
vue de motiver les salariés ou d’améliorer l’ambiance organisationnelle. Les so-
ciogrammes sont des constructions dynamiques qui évoluent avec le temps en
suivant le processus de développement de la crise.

Les méthodes sociométriques en tant qu’une partie de l’arsenal d’étude


contemporain des spécialistes dans le domaine de communication sensible,
peuvent être interprétées aussi comme un mécanisme permettant de partager
l’expérience d’événements critiques vécus. L’expérience partagée à elle seule
ne peut pas prévenir une organisation donnée d’une crise potentielle mais
peut faciliter et rendre plus efficace la gestion de la communication, minimiser
les effets négatifs et servir d’une base préalable au choix stratégique d’actions
relatives à une réhabilitation rapide du système concerné.

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tuation de crise. Sofia: М-8-М, 2009 (paru en Bulgare).
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European Communication Monitor 2011. Empirical Insights into Strategic
Communication in Europe. Results of an Empirical Survey in 43 Countries (Chart
Version). Brussels: EACD, EUPRERA, (available at:
www.communicationmonitor.eu).

Valeria PATCHEVA a fait ses études à l’Université de Sofia « St. Clément


d’Ohrid » spécialité Journalisme. Sa thèse de doctorat est intitulée « Gestion de
la communication en situation de crise. Adaptation de l’organisation. Elle est
l’auteur des livres « La crise sous contrôle. Communication d’entreprise en situa-
tion de crise (2009) et «Relations publiques et communication d’affaires » (en
collaboration avec L. STOYKOV (2005). Elle est chargée de cours à la Faculté
de Journalisme et de Communication de masse à l’Université de Sofia « St.
Clément d’Ohrid ». Elle a participé à des conférences scientifiques et a publié
dans la presse spécialisée dans le domaine des communications publiques. Elle
justifie d’une expérience dans le journalisme et les conseils en matière de rela-
tions publiques.

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