KETTAF 2013 Diff
KETTAF 2013 Diff
KETTAF 2013 Diff
ÉCOLE DOCTORALE
Territoires, Temps, Sociétés et Développement
Fadila KETTAF
Jury :
« Oran est … une ville ordinaire … Mais il est juste d’ajouter qu’elle s’est greffée
sur un paysage sans égal, au milieu d’un plateau nu, entouré de collines
lumineuses, devant une baie au dessin parfait. »
La Peste. Albert Camus (1947, p.10-14)
3
4
Remerciements
Mon profond remerciement va d’abord à M. Raffaele Cattedra qui a bien voulu diriger
cette thèse. Ses orientations, remarques et apports intellectuels se sont révélés très
précieux. Je tiens à lui exprimer ici toute ma gratitude. Je tiens aussi à adresser mes vifs
remerciements à de nombreuses personnes du laboratoire GESTER –devenu UMR
GRED- qui, pendant toute la durée de la thèse, m’ont accordé leur amitiés, m’ont
apporté leur soutient, et sans qui ce travail n’aurait pu aboutir.
Je suis aussi redevable à Amara Bekkouche pour l’aide précieuse qu’elle a consentie à
cette recherche. Je remercie encore une fois chaleureusement Jean-Marie Miossec pour
son humanité, sa générosité intellectuelle et sa disponibilité. Je remercie aussi, et tout
particulièrement, Monique Gherardi pour sa bonne humeur, sa générosité et son aide
dans les moments les plus difficiles dans l’élaboration de cette thèse. Qu’elle trouve ici
ma profonde affection.
Mes remerciements vont aussi à tous mes interlocuteurs publics et privés pour l'aide
précieuse que j'ai reçue de chacun d'eux à Oran. Je pense particulièrement à toutes les
personnes qui m'ont accordé des interviews et des entretiens, ainsi qu’aux responsables
et cadres des différentes directions qui ont mis à ma disposition les informations et les
documents nécessaires au développement de cette recherche.
Je suis également très redevable à Mme Samira Gaïd, laquelle a suivi très
régulièrement, en sa qualité d’amie et co-auteur de plusieurs articles, la lente évolution
de ce travail. Je remercie aussi Mme Zakia Affane qui a eu la gentillesse de me
seconder dans mes tâches d’enseignement lors de mes passages à Montpellier. Toutes
les deux mais aussi Saliha Kadi-Flazi, Saliha et Abdellah Bencherif, Karima
Benachenhou, Chafika Bouziri … n'ont cessé de m'encourager à aller jusqu’au bout de
cette entreprise.
5
J'exprime aussi mes remerciements à Asmaa Kerrouche et Youcef Kadri, jeunes
architectes, pour l'aide qu'ils ont bien voulu m'apporter et le temps qu'ils ont consacré
dans l'élaboration des dessins des plans de cette thèse.
J’aimerais également remercier toutes les personnes qui ont contribué à rendre mon
séjour à Montpellier des plus agréables. Je pense à Frederic Leone, à Shahla
Dorchezadeh, à Christine Pouzoulet, et à tous les membres de GESTER avec qui j’ai
échangé des moments d’amitié et de convivialité.
Enfin et non des moindres, j’adresse à mes parents ainsi qu’à ma famille mes ultimes
remerciements pour leur générosité et leur patience. Je pense que, sans eux, je n'aurais
pas eu la possibilité d'arriver jusqu'au bout de ce périple. Je leur dédie cette thèse.
6
Table des matières
Remerciements ................................................................................................................ 5
Table des matières .......................................................................................................... 7
CHAPITRE 1 ............................................................................................................ 41
ESPACE PUBLIC ET PLACE URBAINE : ESQUISSE D`UN ETAT DES
SAVOIRS ................................................................................................................... 41
1-1 L’actualité de l’espace public : d’un espace urbain perdu à un espace public
recherché................................................................................................................. 42
1-1-1 Crise de « l’espace public » ...................................................................... 42
1-1-2 Espace public et espace urbain : deux espaces à réconcilier .................... 44
1-1-3 Concept à circonscrire : « espace public » et « espaces publics » ............ 49
1-2 Espace public et fabrique urbaine : la place comme grille de lecture de la ville
à travers les âges ..................................................................................................... 53
1-2-1 La place dans les villes antiques: la genèse d’un modèle ? ..................... 54
1-2-2 La place dans les villes du Moyen Âge .................................................... 57
1-2-3 La place dans la ville Moderne : du retour au modèle dans la Renaissance
au déclin de la place à l’époque industrielle ....................................................... 65
1-2-4 La place dans l’urbanisme contemporain ................................................. 69
1-2-5 La place dans la ville : une synthèse ......................................................... 72
1-3 Conception et usages des places publiques ...................................................... 74
1-3-1 Pour une possible typologie des places ? .................................................. 74
1-3-2 Conception et composition urbaines ......................................................... 79
1-3-3 Usages, pratiques et territorialités des espaces publics ............................. 85
CHAPITRE 2 ............................................................................................................ 95
STRUCTURE URBAINE ET FORMATION DES PLACES D’ORAN .................. 95
2-1 Une géographie urbaine tourmentée et une ville aux multiples héritages ....... 96
2-1-1 La genèse .................................................................................................. 97
2-1-2 Aux origines d’Oran : une ville arabo-mauresque ? ................................. 99
2-1-3 Les « trois temps » de la ville d’Oran ..................................................... 101
2-2 La ville ancienne : la structuration des premières places d’Oran ................... 104
2-2-1 La ville espagnole ................................................................................... 104
2-2-2 La « ville » ottomane .............................................................................. 116
2-3 La ville moderne : vers la diffusion des places publiques ............................ 119
2-3-1 Urbanisme militaire français et nouveau tracé urbain ............................ 119
2-3-2 Remodelage urbain : la place s’impose entre 1831 et 1848.................... 122
7
2-3-3 Développement urbain : la place se multiple entre 1848 et 1930 ........... 132
2-4 La ville fonctionnelle : la mise à l’écart des places publiques ....................... 148
2-4-1 De la ville moderne à la ville fonctionnelle : la place dans la tourmente dès
les années 1930 ................................................................................................. 148
2-4-2 Une continuité après l’indépendance : la place s’éclipse........................ 153
8
CHAPITRE 5 .......................................................................................................... 243
ESPACE PUBLIC ET PROJET URBAIN :UN SIMULACRE URBANISTIQUE 243
5-1 L’espace public : un enjeu pour le projet urbain ............................................ 244
5-1-1 Le projet urbain : une nouvelle « démarche stratégique » ? ................... 245
5-2 Le projet urbain en Algérie : utopie ou réalité ? ............................................ 246
5-2-1 Le projet urbain et les espaces publics: entre velléité et timidité ........... 248
5-3 Oran dans la vague des projets urbains : des occasions manquées de
recomposition de l’espace .................................................................................... 253
5-3-1 Développement du Front de mer : une tentative non encore aboutie ..... 253
5-3-2 Le tramway s’invite en ville mais l’espace public reste un éternel oublié
.......................................................................................................................... 259
5-4 Des projets d’espaces verts : des grandes ambitions en attente de concrétisation
.............................................................................................................................. 271
5-4-1 Classification officielle des catégories d’espaces verts et des acteurs
impliqués .......................................................................................................... 272
5-4-2 Projets d’espaces verts pour Oran ........................................................... 274
5-4-3 Prolifération de lois et de projets avec de faibles retombées territoriales277
5-5 De la production et de la gestion des espaces publics : un bilan critique ...... 280
5-5-1 L’espace public dans le processus d’élaboration d’un nouveau POS : le
parent pauvre de tout le dispositif d’aménagement urbain ............................... 280
5-5-2 Production et gestion des espaces publics « ordinaires »: un processus
lourd et inefficace ............................................................................................. 288
9
6-4-2 Vie urbaine : un espace de passage ......................................................... 322
6-5 Place Abdelmalek Ramdane (ex des Victoires) : « un carrefour tu
demeureras ! » ...................................................................................................... 325
6-5-1 Origine et évolutions ............................................................................... 325
6-5-2 Forme urbanistique et architecturale ....................................................... 326
6-5-3 Vie urbaine : un espace de repère ........................................................... 326
6-6 Place Cdt Medjdoub (ex Hoche) : d’une place de quartier à une place de ville
.............................................................................................................................. 329
6-6-1 Origine et évolutions ............................................................................... 329
6-6-2 Forme urbanistique et architecturale ....................................................... 329
6-6-3 Vie urbaine : l’ambivalence des pratiques urbaines ............................... 332
6-7 Boulevard de l’Indépendance (ex Joseph Andrieu): de la Tahtaha des
« Arabes » à la place moderne .............................................................................. 333
6-7-1 Origine et évolutions ............................................................................... 333
6-7-2 Vie urbaine : un usage changeant d’une place en transition ................... 336
6-8 Forme et sens du lieu, usage et représentation ............................................... 338
10
8-2-3 Les nuits du Ramadan : l’effervescence des espaces publics ................. 403
11
12
INTRODUCTION GÉNÉRALE
« La place est sûrement le premier type d’espace urbain inventé par l’homme » soutient
Robert Krier (1980, p. 7). Les archéologues ont identifié des formes de places dans les
premiers organismes urbains constitués sur les bords du Tigre, de l’Euphrate et du Nil.
En Europe, la place n’apparaît que plus tard, d’abord dans la ville grecque puis dans la
ville romaine pour se diversifier dans la ville du Moyen âge. Aux XVIe et XVIIe siècles
des places s’ouvrent, s’agrandissent et aèrent les tissus urbains médiévaux. Aux XVIIe
et XVIIIe siècles, les places agrémentent le centre des villes sous forme de grands vides
monumentaux pour célébrer les royautés en Europe, ou dans les colonies d’Amérique.
Au XIXe siècle, par un effet de diffusion transnational, les places triomphent devant les
hôtels de ville, les préfectures, les théâtres, et les gares. Au XXe siècle, beaucoup
d’entre elles disparaissent au profit des grands réseaux de circulation et des nouvelles
formes d’urbanisation purement fonctionnalistes qui caractérisent le monde entier.
Depuis quelques décennies, elles sont ressuscitées à la faveur d’un discours sur le projet
urbain et d’une pratique urbanistique qui renoue avec la dimension de l’espace public et
des pratiques de sociabilités urbaines.
La place est un espace urbain singulier. Elle est non seulement un espace
d’embellissement et d’ordonnancement architectural spécifique, mais elle est aussi et
surtout un lieu symbolique collectivement reconnu. Emblème manifeste des villes, en
particulier de l’occident européen, elle s’affiche sur les cartes postales, les guides et
« prend place » dans es récits de voyage. Elle évoque aussi l’officialité par les images
caractéristiques des lieux de pouvoir et révèle l’histoire urbaine d’innombrables cités.
De l’agora grecque au réseau de places du quartier contemporain d’Antigone à
Montpellier (notons la filiation mythologique du nom Antigone), du forum romain au
forum des Halles à Paris, de la Piazza de la Signoria dans la Florence médiévale à la
place du célèbre centre culturel Georges Pompidou qui s’impose dans le Paris
haussmannien, de la place des bastides dans les cités du sud-ouest Français à la plaza
mayor dans les cités de l’empire espagnol et de ses colonies, l’éventail est extrêmement
large. La place fascine et sans doute fascinera toujours. Dans le monde arabe et les cités
d’Orient, la place renvoie le plus souvent aux lieux de marché aux portes des villes, aux
bazars, aux souks et autres djemaa, espaces d’assemblée et d’échange des
communautés.
Si les places publiques ont eu une histoire millénaire et bien documentée en Occident,
elles n’ont qu’une histoire récente au Maghreb. Elles sont principalement liées à
l’histoire coloniale et donc à l’exportation du modèle français d’aménagement urbain.
Ce modèle se fonde principalement sur les principes de l’hygiénisme et la régularité de
la ville mis en œuvre à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il s’est répandu
13
dans les colonies et les territoires sous tutelle française. La place publique constitue
dans le dispositif de l’aménagement colonial un espace urbain majeur où étaient lotis les
bâtiments symboles de l’administration coloniale. Dans les villes algériennes, ce modèle
s’est imposé avec force comme moyen d’expression de la puissance coloniale et comme
point de départ de la construction ex nihilo de nombreux villes et villages. Tant de
places bâties entre 1830 et 1940 à Alger, Oran, Constantine et Annaba mais aussi à
Blida, Mostaganem, Sidi Bel Abbés, Skikda, Mascara ou Tlemcen témoignent de la
volonté d’édifier des espaces urbains qui symbolisent le pouvoir colonial et ses règles
urbanistiques et architecturales (Béguin, 1983 ; Malverti, 1994 ; Picard, 1994 ; Almi,
2002 ; Oulebsir, 2004).
On peut lire de très nombreux ouvrages ou articles sur les systèmes des places publiques
en France, leurs formes, leurs aménagements et leurs rôles. Beaucoup de récits
historiques explicitent spécifiquement les enjeux politiques, économiques et sociaux
liées aux places dans la ville. Les études réunies de Caroline Rose et Pierre Pinon
(1999), Places et parvis, de Géraldine Texier-Rideau et al. (2003) Places de Paris XIXe-
XXe siècles ou de Laurence Baudoux-Rousseau et al. (2007) La place publique urbaine
du Moyen Age à nos jour, sont parmi les premières à avoir présenté les places et parvis
de France en même temps que celles d’autres pays européens, ces hauts lieux de la vie
urbaine. Ces études ont exploré tour à tour les dimensions historiques, urbanistiques,
architecturales, patrimoniales et sociales. Les places des villes algériennes quant à elles,
n’ont fait l’objet que de très rares recherches en matière d’urbanisme ou de géographie.
Amara Bekkouche consacre à quelques places publiques un volet de sa thèse en
urbanisme (1998) sur les espaces verts d’Oran. Leur absence dans la recherche urbaine
semble d’ailleurs tout à fait surprenante au regard des multiples travaux consacrés à la
ville. Néanmoins, nous pouvons signaler des travaux sur les espaces publics dans la
discipline de la sociologie urbaine, en particulier ceux de Nassima Dris (2001, 2005) et
de Rabia Bekkar (1997) consacrés aux espaces publics d’Alger et de Tlemcen.
Les places d’Oran sont très représentatives du patrimoine urbain hérité de l’époque
coloniale ; elles témoignent de la présence de ressources urbaines importantes qu’il sera
intéressant d’étudier. La place saisie en tant que lieu où se rencontrent le spatial et le
social ouvre des pistes de réflexion encore très peu exploitées en Algérie. Son
importance dans le tissu urbain et en termes de structuration des quartiers de la ville est
un élément suffisamment important pour la considérer comme objet d’étude à part
entière. Le rôle social de la place publique, les pratiques qui lui sont inhérentes et les
représentations des usagers-habitants ajoutent à cet objet d’étude une dimension aussi
importante dans la recherche urbaine.
Au-delà de la place publique, c’est le concept de l’espace public qui nous intéresse.
Etant issue d’une formation d’architecte pour laquelle le dessin de la forme importe plus
14
que la participation des autres disciplines, je tente d’intégrer une vision géographique de
l’espace. Dans cette recherche en aménagement, ma démarche est, en effet, de faire en
sorte qu’une configuration pluridisciplinaire soit explorée. C’est pourquoi la présente
étude tente d’adopter des approches croisées entre diverses disciplines des sciences
sociales : l’architecture, l’urbanisme, et la géographie urbaine. Plus précisément, ce
travail de recherche privilégie une approche qui articule trois types d’analyse : celle des
composantes physiques de l’espace, celle des formes d’usage et de représentation et
celle des pratiques de la planification urbaine. En ce sens, le questionnement renvoie à
des problématiques multiples. Travailler sur les places publiques d’Oran pouvait
paraître sans intérêt il y a quelques années, dès lors que c’est une société où la
place n’apparaissait pas comme un référent majeur du point du vue culturel, tout
en ayant un héritage spatial et historique de celle-ci. Beaucoup de chercheurs
avancent d’ailleurs l’idée qu’il n’y a pas de places publiques dans le monde arabe
(Remy, 2004 ; Pardo, 2009). Certains vont plus loin et se posent la question de
savoir s’il y a des espaces publics dans les villes maghrébines, au sens
philosophique et social du terme du terme, c’est-à-dire des espaces d’expression de
la démocratie et pratiqués par tous (Navez-Bouchanine, 1996).
Depuis peu, après de longues années d’indifférence et d’abandon par les pouvoirs
publics, la place publique semble avoir acquis une meilleure image à Oran. Les
éléments de réaménagement urbain nouvellement introduits à partir de 2005, modestes
mais perceptibles, ont eu un impact non négligeable sur l’attrait renouvelé des places au
sein de la ville. L’intérêt pour celles-ci semble bel et bien s’affirmer avec des signes
annonciateurs d’usage intensif de l’espace public. Même pendant la « décennie noire »
des années 1990 où l’espace public, hormis les espaces centraux, était perçu comme un
espace de tous les dangers, « les violences qui [s’exerçaient] le plus souvent à la
périphérie ont altéré effectivement les relations de proximité mais n’ont jamais annihilé
la vie quotidienne …» écrit Nassima Dris (2001, p. 20). D’ailleurs, les articles et les
discours ambiants, notamment dans la presse, font écho à cet intérêt porté par les uns et
les autres. L’« envie » ou l’exigence de l’espace public exprimée fortement par les
citoyens explique sans nul doute ce mouvement général qui incite les responsables de la
ville à promouvoir les places publiques et à les doter d’aménités pour le bien-être des
citoyens. Dans ce contexte, aujourd’hui plus qu’hier, la recherche sur les places
publiques se justifie autant par la transformation sur le plan formel que par la réalité de
nouvelles pratiques sociales.
L’idée de cette recherche sur les places publiques s’est imposée à moi alors que je
dirigeais des étudiants en fin de cursus de l’option « aménagement urbain » au
15
Département d’architecture de l’Université des sciences et de la technologie d’Oran
(USTO)1. Les problématiques de la ville que nous abordions en atelier de 5ème année
depuis plus d’une quinzaine d’années se focalisaient particulièrement sur deux
éléments: la composition de l’espace urbain et l’architecture qui le constitue. L’objectif
était de former les étudiants aux questions de la conception urbaine.
Ces questions, importantes comme elles sont, mobilisent depuis de nombreuses années
des universitaires tenus de dispenser des enseignements sur le projet urbain sur deux
préoccupations majeures. La première concerne la forme des espaces publics urbains en
général et des places publiques en particulier. Cette préoccupation est en effet souvent
soulevée dans les discussions et dans les propositions qui mettent en évidence le
problème de la définition de la forme ainsi que celui du processus de sa conception. La
question de savoir comment procéder pour concevoir et dessiner des espaces
urbains dans le contexte algérien se pose avec acuité. Cette interrogation restera
cependant posée et insuffisamment explorée tant que la formation dans le champ de
l’urbain reste insuffisante dans nos écoles d’architectures, ainsi que j’essaye de
l’argumenter à la fin du chapitre 4 de ce travail.
La deuxième préoccupation porte sur l’espace social. Dans cette réflexion, il ne s’agit
pas uniquement de concevoir formellement des places publiques mais de sensibiliser les
étudiants à ce qu’elles deviennent des espaces de "plaisir des sens" et de sociabilité. Ces
rôles qu’on assigne, à tort ou à raison, à la place publique nous renvoient à la question,
éminemment récurrente, de savoir si un tel espace est pertinent dans une société pour
qui la place est avant tout importée d’une culture étrangère. Mais cette question ne nous
renvoie-t-elle pas à celle de la « ville à l’œuvre » (Bailly, 1992) ? C'est-à-dire, comme
l’explique Nassima Dris (2001, p. 33), de la ville en train de se faire « où s’expriment à
la fois des pratiques spécifiques puisant leurs référents dans le champ de la culture
locale et des modes de comportements induits soit par la forme du bâti soit par les effets
de la globalisation ».
1
En Algérie, c’est les écoles d’architecture qui prodiguent quelques enseignements sur l’urbanisme.
Quant à l’aménagement urbain, il peut être entrepris comme option pour le projet de fin d’étude. C’est
souvent dans le 3ème cycle (magister) qu’il est possible d’entreprendre des études approfondies
d’urbanisme.
16
du Maghreb » dirigé par Pierre Signoles dans le cadre du programme « Appui à la
coopération pour la recherche en sciences humaines et sociales entre le Maghreb et la
France » financé par le FSP (Ministère des Affaires Etrangères) de 2006-2010. Ce projet
portait sur plusieurs axes d’étude dont les thématiques à la fois des pratiques et des
urbanités, et des projets urbains, m’ont particulièrement intéressée. Cet intérêt m’a aussi
permis d’entreprendre un doctorat en géographie et en aménagement au laboratoire
GESTER, devenu en 2011 UMR GRED, de l’université de Montpellier 3. Par ailleurs,
ma présence à Montpellier rendait possible l’observation des places du centre-ville qui
présentent de fortes similitudes de composition avec celles du centre-ville d’Oran. C’est
en établissant des correspondances entre les places des deux villes que j’ai pu enrichir
mes connaissances en matière de pratiques des espaces publics (même si ces
correspondances n’apparaissent pas de manière explicite dans ce travail).
Peut-on parler de place dans une ville arabe ? Faute d’avoir été suffisamment théorisée,
la place arabe est encore perçue comme un espace qui n’existe pas aux yeux de
beaucoup de chercheurs qui ont, en revanche, largement débattu sur la question plus
large de l’espace public dans la ville arabe (Abou Lughod, 1987 ; Beyhum & David,
1992, 1993, 1997 ; Wirth, 1982, 1997). Toutefois, même si l’on accepte l’hypothèse
que la place n’est pas un espace significatif dans les villes arabes, les révolutions
baptisées de « printemps arabes » auxquelles nous avons assisté et nous continuons
d’assister depuis décembre 2010, ne se font-elles pas sur les principales places
publiques ? Celles-ci ne sont-elles pas devenues des espaces de liberté de la parole
publique et de rencontre avec l’altérité ? A l’instar de la place des Martyrs
d’Alger, les places Tahrir (Libération) du Caire, des Martyrs de Beyrouth, de la
Perle de Manama, la place Verte de Tripoli, de par leur toponymie qui exprimait
l’indépendance du joug du colonialisme, paradoxalement devenues des espaces
d’ostentation au culte de la personnalité de leur dirigeants autocrates, n’ ont-elles
pas pris une signification nouvelle ? Celle d’espaces de rassemblement
démocratique, de revendication et de communication ? Ainsi, travailler sur les
places publiques prend aujourd’hui tout son sens.
La place s’est éclipsée pour un temps du champ de l’urbain, mais elle a acquis depuis
les années 1980 une nouvelle notoriété sur la rive Nord de la Méditerranée, dans un
contexte européen marqué par des politiques de reconquête des anciens centres urbains
(Whyte, 1988 ; Levy, 1987 ; Chevalier & Peyron, 1994 ; Joseph, 1984, 1998 ; Ghorra-
Gobin, 1994, 2001). La place en tant qu’espace public est donc fortement "à la mode",
tant dans les sciences sociales (l’anthropologie, la sociologie, la géographie), dans
l’urbanisme et l’architecture, que chez les politiques et les « opérateurs » urbains. La
17
place publique est portée par le projet urbain et constitue à cet égard l’une des pierres
angulaires pour une ville de qualité (Devillers, 1994 ; Genestier, 1993, 1998 ; Mangin &
Panerai, 1999 ; Masboungi, 2008 ; Ingallina, 2008). Littératures en tout genre,
conférences, articles et revues consacrés aux espaces publics sont pléthoriques et se
multiplient un peu plus chaque année. Ces espaces occupent désormais une place
prépondérante (jeu de mot oblige) dans les questions sur la ville durable, sur la mobilité
et sur la ville « agréable à vivre » (Beheny, 1992 ; Berdoulay & Soubeyran, 2002 ;
Haëntjens, 2008 ; Terrin, 2011).
Dans ce travail, la recherche sur les places publiques d’Oran voudrait contribuer à une
réflexion plus large sur la fabrique des espaces publics urbains et s’inscrire dans
l’actualité de la recherche urbaine sur le monde arabe et méditerranéen. Dans cette
perspective se posent trois questions fondamentales. Celle des héritages d’un urbanisme
issu de la culture européenne « exportée » vers la rive sud de la Méditerranée, un
urbanisme qui prend aussi appui sur des spécificités locales et qui connaît des
« retours » en métropole. Celle des pratiques sociales de ces espaces par les habitants
autochtones. Et celle enfin de la conception et de la gestion des espaces publics par les
pouvoirs locaux et les opérateurs techniques, et les divers acteurs.
18
de l’imaginaire collectif dans « l’invention » de l’espace public (au sens de de Certeau,
1990 ; Agier, 1999 et Chalas, 2000).
Les lieux choisis pour l’analyse sont saisis à la fois en tant qu’éléments formels
déterminants de la structure urbaine et en tant que supports des pratiques sociales. Leurs
positions et configurations spécifiques sont considérées comme des référents majeurs
dans la lecture de la fabrique urbaine et dans la compréhension de leur portée
symbolique pour les habitants et les usagers. Par ailleurs, la recherche questionne la
place qu’occupe le concept de l’espace public dans les pratiques urbanistiques et les
modes de gestion de la ville, en investiguant les outils et procédures opératoires
d’aménagement et de réaménagement urbain en Algérie, et à Oran en particulier.
La recherche qui se veut une entrée majeure dans le champ d’étude sur les pratiques
spatiales interroge à cet effet les relations étroites qu’entretiennent les édifices et
monuments avec la place, qui font que celle-ci ne trouve tout son sens que dans une
composition urbaine suffisamment cohérente pour supporter des pratiques. Il s’agit ici
d’examiner les frontières entre bâti et non bâti, ainsi que les mouvements et itinéraires
des usagers, afin d’identifier les dispositions spatiales qui favorisent les sociabilités
urbaines (Bertrand, 1984, 1988 ; Lussault, 1993 ; Hillier, 1996). C’est ma formation
d’architecte qui me porte à suivre cette piste.
La réflexion sur l’espace public oranais s’inscrit en droite ligne dans la problématique
posée par Isaac Joseph pour qui :
« Concevoir un espace, dans les langages de l’habiter, c’était – et c’est encore
souvent – concevoir une forme, quitte à demander aux sociologues d’analyser
après coup ses usages, eux-mêmes réduits à la restitution d’une opinion, d’un
« vécu » ou d’un imaginaire. Or, s’il est vrai qu’un espace public est un espace de
représentation, celui-ci, dès lors qu’il est mis en scène, est simultanément
conception et usage, contexte pour des activités et accomplissement de ces
activités » (1998, p. 53).
19
Mettre en exergue ce passage de La ville sans qualité d’Isaac Joseph, bien qu’il remonte
à plus de 15 ans, c’est illustrer combien la mise en forme des espaces publics reste une
problématique de premier ordre dans la fabrique de la ville algérienne. La ville d'Oran
connaît une crise retentissante de son urbanisme avec la perte de l’équilibre de son
territoire (Signoles et al. 1999 ; Saïdouni, 2000 ; Brûlé & Fontaine, 2004, 2006 ; Gaïd &
Kettaf, 2008 ; Bendjelid, 2010 ; Messahel & Ghodbani, 2011). L’hypothèse que nous
pouvons formuler ici est que l’accroissement vertigineux de ses périphéries, en
particulier depuis les années 1990, s’est accompagné d’une mise en forme urbaine et
architecturale désastreuse des espaces publics.
A la fin de cette étude, les résultats paraissent loin des idées qui l’ont provoquée, celles
de s’intéresser aux seules places publiques du centre-ville répondant aux canons
classiques de la place. Au fur et à mesure de l’avancement de la recherche, nous nous
sommes vite rendu compte que, puisque les places ne représentent qu’une portion
limitée du territoire urbain, leur étude ne pouvait par conséquent conduire qu’à une
compréhension réduite, tronquée, voire biaisée des espaces publics. Pour mieux cerner
les rapports qu’entretiennent les habitants avec les places, il était nécessaire d’élargir le
champ d’investigation vers d’autres espaces publics investis par des pratiques urbaines.
Dans cette démarche, nous voulions être attentives à observer les espaces de sociabilité
des Oranais, repérer les multiples lieux d’expression du lien social et investiguer
l’éclosion de nouvelles formes de centralité au-delà de la ville-centre. Ainsi nous
pouvons faire l’hypothèse que c’est également dans les périphéries urbaines
qu’apparaissent des usages de l’espace public qui se juxtaposent à ceux pratiqués au
centre-ville. Cette hypothèse renforce, d’après nous, la volonté de « dépasser les
stéréotypes qui assigneraient au nom de l’histoire, une disposition canonique à la
place » (Mangin & Panerai, 1999, p. 80). Dans ce cadre, les usages liés soit aux activités
commerciales soit à la pratique de détente et de promenade sont perçus comme des
compléments profitables pour le centre ancien qui se désengorge peu à peu et pour les
périphéries qui se voient investies.
Selon David Mangin et Philippe Panerai (1999, p. 76-81), la place publique est un
espace socialement identifié : tout le monde sait reconnaître une place. Mais cette
reconnaissance ne s’appuie pas d’abord sur son usage mais sur sa forme urbaine, celle
de sa réalité matérielle. Par sa forme, la place est facilement identifiable par rapport au
tissu alentour. Vouloir lui assigner à tout prix une fonction, un usage conforme aux
activités modernes est une pensée relativement récente. Les habitants et les usagers eux-
mêmes savent très bien qu’il y a des places vides et calmes, des places de repère ou
d’orientation dans la ville, des places agréables ou déplaisantes, des places que l’on
traverse ou d’autres où l’on s’assoit, des places où l’on aime se promener le soir quand
il fait plus frais en été. Cette reconnaissance de la place en tant que telle renseigne sur
20
les multiples facettes de l’usage, mais elle révèle avant tout la grande diversité des
compositions de la forme urbaine.
Ainsi nous nous inscrivons dans la réflexion de Michel-Jean Bertrand pour qui
« La forme urbaine n’est pas que l’aspect d’une enveloppe, ni la somme de
juxtapositions. Elle est le produit d’une réflexion sur les systèmes complexes –
aspect, dimensions, proportions, dispositifs, réseaux – qui, en fonctionnant
conditionnent les comportements, références et repérages » (1988, p. 132).
La lecture des dispositions spatiales des places d’Oran intègre donc une réflexion sur le
rôle qu’occupent celles-ci dans le tissu urbain et les éléments qui font leur composition
urbanistique et architecturale (Gibberd, 1971 ; Panerai et al. 1980, 1999, Bertrand,
1984 ; Pinon, 1991, 1992, 1994). La compréhension de cette conception formelle n’est
pas seulement la lecture des variables géométriques (configuration en plan, dimensions,
cadrage des façades, etc.), mais aussi l’analyse des rapports qu’entretient la place avec
les espaces publics alentour, notamment avec le bâti qui l’enclot et le paysage
environnant de la voierie. C’est ainsi que la place prend tout son sens avec de multiples
variables d’étude. Sur ce point, la finalité de l’exercice est d’abord d’examiner dans un
processus diachronique la formation des places publiques et d’analyser comment celles-
ci ont structuré l’espace urbain. Ainsi nous pensons identifier les différents types et
caractéristiques spatiales des places publiques à Oran.
Dans cette perspective, l’hypothèse que nous émettons est que les places d’Oran ont
contribué fortement à la configuration de la structure urbaine. Cette dernière est
conditionnée par le site géographique, mais répond aussi à des règles urbanistiques de
nature fonctionnelle et esthétique qui renvoient à l’application de modèles urbains et
architecturaux à « la française ».
Parler des espaces publics c’est aussi aborder la question de leur conception dans la
planification et dans le projet urbain contemporain. Cette préoccupation renvoie aux
logiques et pratiques urbanistiques appréhendées au sens large du terme à savoir : les
logiques urbaines, les procédures, les instruments d’urbanisme et les projets urbains
d’une part, et la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre d’autre part (Signoles et al.
1999 ; Saïdouni, 2000 ; Frey, 1993, 2004 ; Brûlé & Fontaine, 2004, 2006 ; Bendjelid,
2010). L’exploration de l’ensemble de ces éléments permet de comprendre la nature des
actions urbanistiques et les difficultés qui leurs sont inhérentes et de mesurer le degré de
cohérence dans la mise en forme des espaces publics. Ainsi, se pose la question de la
place du concept d’espace public dans la planification urbaine et dans les processus
d’élaboration des projets d’aménagement urbain qui sont leurs corollaires.
21
Les espaces publics sont construits, aménagés, transformés, utilisés, gérés par des
acteurs. La compréhension des actions qui pourraient être initiées ou menées à l’égard
des espaces publics passe par l’analyse des acteurs. Par le terme acteur, nous entendons
le sens défini par Guy Di Méo (2007, p. 28-40) qui écrit que « l’acteur n’est pas plus
une personne en général ; c’est une personne qui agit ». C’est une instance, entité
identifiable : individu, collectivité, organisation, etc. ; une entité dotée d’une capacité
d’agir et qui a des effets directs ou indirects sur son environnement. A Oran, nous
assistons à un « empilement des acteurs » (d’après une expression de J.-M. Miossec,
1999) que nous tentons d’identifier. Alors nous nous interrogeons sur le poids de ceux
que nous avons identifiés comme les principaux acteurs dans la production, la gestion
ou la protection des espaces publics et sur les relations échangées entre eux.
Deux situations nous semblent être au cœur de la problématique des espaces de la ville
d’Oran contemporaine :
Sur un autre registre, la place publique renvoie à l’idée d’un espace animé, investi par
des usagers et utilisateurs divers. C’est un espace à la fois collectif et anonyme,
temporaire, mais périodique, qui admet la passivité ou favorise le contact. Un espace
animé est un lieu dont les caractéristiques encouragent la déambulation; la marche à
pied est un élément essentiel de sociabilité urbaine. C’est en ce sens que la conception
d’un espace public doit permettre l’incertain, accorder la possibilité de l’imprévu,
admettre d’allier l’habitude et l’évènement (Mondada & Söderström, 1991 ; Chalas,
2000). Ces interprétations nous paraissent très pertinentes afin de saisir comment la
pratique des espaces publics constitue un indicateur d’urbanité et pose la question de la
relation du citadin à la ville.
22
de l’histoire de la ville. Depuis leur formation, la variation des noms qui leur ont été
affectés et les transformations qui les ont marquées illustrent la succession
d’interventions sur l’espace public et ont considérablement influencé leur usage. Ces
changements toponymiques retracent l’histoire de la ville au rythme d’évènements
politiques, de changement de régime, de chute de pouvoirs. Plus prosaïquement, cela a
façonné une mémoire collective des places et renforcé durablement leur caractère
emblématique.
Ces notions nous informent sur les valeurs des sociétés urbaines dès lors qu’il existe des
relations entre le regard porté sur la forme urbaine et les valeurs attribuées à celle-ci.
Charles Bachofen (1995) considère l’importance de cette hypothèse qui, selon lui,
renvoie aux questions qui relèvent de l’éthique et de la philosophie. Il souligne que cette
hypothèse est très peu explorée et c’est ce qui explique que la ville continue à se
développer de manière improvisée et sans qualité. La notion de valeur est ici totalement
subjective, car chaque individu, chaque communauté et chaque société à ses critères
d’évaluation.
23
Cette question des valeurs, qui s’impose à moi, ne peut pas être examinée uniquement
sous l’angle des compétences qui me sont propres, à savoir celles d’une architecte –
urbaniste. Dès lors elle ne sera abordée que de façon périphérique. Les présupposés
culturels de la société doivent être considérés avec justesse dans la compréhension des
pratiques des espaces publics. Comme le souligne Anna Madœuf (1997) dans sa thèse
sur les Images et pratiques de la ville ancienne du Caire : les sens de la ville, cela
nécessite d’être à l’écoute de certains signaux, lesquels renvoient aux mots, aux
discours, aux comportements et aux mises en scène urbaines. Dans ce cadre, il serait
très fécond de regarder la ville "en train de se faire" ou "de s’inventer " de nouvelles
formes d’espaces publics, de capter les valeurs de la société oranaise en quête
d’identification de nouveaux territoires pour son émancipation.
- Les usagers et les habitants d’Oran participeraient, par la reconquête des lieux
urbains, à l’invention de l’espace public dans la ville.
Partant du principe que ville et espaces publics sont étroitement liés, on s’attend alors,
selon la doxa urbanistique, à ce que ceux-ci contribuent à lutter contre les ruptures dans
la ville et à renforcer des continuités urbaines. On s’attend également à ce que cette
relation participe à remédier au déclin manifeste des sociabilités urbaines et participe au
tissage du lien collectif. Enfin, on s’attend à ce que les espaces publics puissent
contribuer à lutter contre les méfaits d’annihilation de l’image de la ville et rehaussent la
lisibilité du paysage urbain.
Les espaces publics à Oran, pour indispensables qu’ils soient pour la vie urbaine,
souffrent à l’évidence du manque manifeste des règles d’aménagement les plus
élémentaires susceptibles d’améliorer leurs aspects formels. La marche à pied, la
déambulation ou la halte dans la ville requièrent des espaces « agréables à vivre », au
sens de l’esthétique urbaine et de la qualité d’entretien. Les phénomènes de squat et
d’occupation illicite de l’espace public à Oran ont atteint des proportions alarmantes et
ont affecté significativement la gestion urbaine.
Ces constats, en rapport avec la problématique telle que formulée plus-haut, nous
conduisent à nous interroger sur la pertinence de l’aménagement urbain et des modes
24
d’appropriation par l’usage. Les principaux questionnements que nous aborderons sont
les suivants : quand, comment et dans quelle logique urbaine la place publique a-t-elle
été introduite à Oran et comment a-t-elle évolué ? Quels rôles les places publiques
occupent-elles dans la structure urbaine d’Oran ? Comment les influences occidentales
se sont-elles exercées sur l’organisation et les pratiques urbanistiques à Oran et
comment celles-ci ont-elles évolué ? Quelle place occupe le concept d’espace public
dans les pratiques urbanistiques actuelles ? Est-ce que les places héritées peuvent offrir
des possibilités de pratiques sociales adaptées à la société contemporaine ? Comment
les places publiques héritées sont-elles perçues et vécues aujourd’hui par la société et
quelles sont les différentes dispositions spatiales qui sont susceptibles d’influencer les
pratiques des usagers ? Dans quelle mesure les images et les représentations contribuent
à forger de (nouvelles) pratiques ?
Les lieux examinés dans cette étude sont multiples, ils correspondent aux deux
idéaltypes de la ville-centre et de la ville-périphérie. Ceux de la ville-centre ont des
analogies urbaines et architecturales évidentes et appartiennent à la même aire
géographique et urbaine qui correspond au tissu hérité de l’urbanisme colonial. Ils sont
situés dans les quartiers centraux de la ville et sont organisés en deux grands groupes
distincts : l’un avec des places taillées dans le tissu urbain préexistant avant 1850, et
l’autre avec des places construites ex nihilo au sein d’un ensemble urbain nouveau créé
après 1850.
Dans le premier groupe, on retrouve des "lieux" historiques tels que les places de la
Perle, Kléber, des Quinconces ou encore de la République. Elles sont situées dans le
plus ancien quartier de la ville appelé Sidi el Houari ou « ville basse », là où Espagnols,
Ottomans et Français notamment ont, tour à tour, construit, déconstruit et façonné de
nouveaux espaces urbains. Le second groupe, quant à lui, est composé d’une série de
places aménagées durant l’époque de la colonisation française. Elles sont établies dans
la ville moderne, nommée aussi « ville haute » construite exclusivement pour la
population européenne. Dans ce groupe, nous examinerons la place d’Armes, la place
Jeanne d’Arc, la place de La Bastille, la place Hoche, la place des Victoires et
l’Esplanade Joseph Andrieu qui constituent les places les plus marquantes dans le
paysage urbain. Ces places sont toutes différentes. Elles n’ont pas la même taille et ne
jouent pas non plus un rôle comparable dans l’espace d’Oran. Ce sont les plus réputées
25
et les plus citées dans notre enquête2 ; elles permettent donc une bonne lecture du
triptyque conception, forme et usage.
Diversifier les terrains d’étude, scruter les uns et les autres dans des contextes variés et
dans des dimensions et des temporalités multiples, nous a paru pertinent afin de mieux
saisir tous les éléments constitutifs inhérents à la fabrique des espaces publics.
Méthodologie de la recherche
Le concept d’espace public auquel renvoie la place est largement développé dans la
littérature urbaine. Ce concept polysémique par définition est fondamental dans notre
recherche. Les multiples dimensions de la morphologie, de la perception et de la
représentation, du vécu social, de la temporalité et de la planification urbanistique sont
les entrées majeures de l’étude de ce concept. C’est en croisant les différentes approches
d’investigation relatives à ces questions que l’on peut arriver à saisir les enjeux de
l’espace public. La méthodologie de recherche est plurielle et supporte à l’évidence des
modes et des échelles d’analyse spatiale et sociale variés.
2
Voir infra « méthodologie, p. 26 »
26
La méthode s’appuie sur l’exploration de nombreux documents graphiques et de
littératures scientifiques relatifs à l’urbanisation d’Oran et à l’aménagement des places
publiques. Cette exploration passe par les écrits d’historiens et de géographes, les récits
de romanciers, les discours des politiques et les paroles des usagers, les cartes et plans,
les projets et outils d’urbanisme, les textes officiels, les écrits de la presse etc. Ainsi, les
sources sont de provenances diverses. Celles qui ont été particulièrement utilisées sont
conservées aux archives de la Direction de l’Urbanisme et de la Planification (DUP)
dépendante de la Mairie d’Oran et dans celles du Musée Demaeght d’Oran
(actuellement Musée Ahmed Zabana). L’apport des centres d’archives coloniales de
France a aussi été capital dans le recueil d’informations importantes sur l’urbanisme
français en Algérie, notamment avec la documentation provenant du Centre National
des Archives d’Outre-mer d’Aix-en-Provence (ANOM), du Centre de documentation de
l'UMR PRODIG (rue Saint Jacques à Paris), et du Service de Génie et de Dépôt de la
Guerre au château de Vincennes à Paris3. De nombreux autres documents ont été
explorés dans les bibliothèques de la Société de Géographie d’Oran, de l’Académie des
Sciences d’Outre-mer de Paris, de la Bibliothèque Nationale de France et plusieurs
autres sites universitaires en Algérie et en France (Département d’Architecture d’Oran,
Centre de Recherche d’Anthropologie et des Sciences Sociales – CRASC, Centre de
Documentation Economique et Sociale (CDES) d’Oran, Institut d’Urbanisme de Paris –
IUP, Université Paul Valéry de Montpellier, ...).
Les documents utilisés ont été répertoriés par ordre chronologique : archives, sources
imprimées et une sélection bibliographique qui réunit les études et travaux ainsi que les
ouvrages généraux. Des références concernant aussi bien l’urbanisme, l’architecture,
que des questions relatives à l’administration et aux politiques d’urbanisation en Algérie
ont été utilisés. Ce choix s’explique par la volonté et la nécessite de faire appel aux
contributions croisées de plusieurs disciplines.
Dès lors que la morphologie occupe une place centrale dans cette recherche, ce sont des
archives et des documents imprimés (rapports, livres, revues), mais ce sont surtout des
cartes et des plans de nivellement et d’alignement de villes, des plans cadastraux ou des
plans parcellaires de quartiers, des relevés d’architecture, des photos, des cartes
postales, des dessins, des croquis auxquels un intérêt tout à fait particulier est ici
3
Les recherches dans les archives françaises ont été menée en avril 2010 au Centre National des Archives
d’Outre-mer d’Aix-en-Provence (ANOM) ; en juin 2010 au Service de Génie et de Dépôt de la Guerre au
château de Vincennes à Paris ; .en mai 2011 au Centre de documentation de l'UMR PRODIG, rue Saint-
Jacques à Paris.
27
accordé. Ces documents, en particulier iconographiques, semblent avoir été peu
exploités par les architectes, urbanistes ou historiens de l’urbanisme. Il existe peu de
travaux scientifiques ayant utilisés de telles sources pour l’écriture de l’urbanisme
d’Oran, en particulier au sens de la structuration des espaces de la ville. Dans cette
approche morphologique, nous avons établi un rapport privilégié au dessin, à l’image,
ou à toute sorte de plans d’urbanisme ou de relevés d’architecture. Cette démarche a
nécessité plusieurs années de recherche et d’investigation. Les plans et les dessins
insérés dans cette thèse, ont ainsi été retravaillés, souvent redessinés et parfois même
reconstitués avec l’application Google Earth. L’objectif de ce travail graphique est de
proposer un mode de représentation qui facilite la lecture et la démonstration.
4
Cf. http://www.africa-onweb.com/pays/algerie/photographies-et-cartes-anciennes/cpa-oran.htm,
http://home.nordnet.fr/jcpillon/piedgris/Oranimages.html
28
Oran :
Paris :
- Centre de documentation de l'UMR PRODIG, rue Saint Jacques à Paris:
- Plan d’Oran échelle 1/10.000 édition II – juin 1958, dressé et publié par la 53e
Batterie de Géographie Autonome,
- Plan d’Oran 1/20.000 édition III – mars 1959, dressé et publié par la 53e Batterie
de Géographie Autonome,
29
- Cartes postales, photographies,
- Académie des Sciences d’Outre-mer :
- Ouvrage d’Eugène Cruck, Oran et les témoins de son passé : récits historiques
et anecdotiques (1959).
Toutes les sources utilisées sont de langue française. Les sources écrites en langue
espagnole que j’ai pu exploiter sont plutôt restreintes. La plupart des documents
espagnols sur l’urbanisme d’Oran sont hébergés à la Biblioteca de Estado Mayor de
Madrid et n’ont pas pu être explorés. Seule la documentation traduite et disponible dans
les bibliothèques françaises et à Oran a été consultée. Nous notons ici l’importance de
l’ouvrage coécrit par Mikel de Epalza de l’université d’Alicante et de Juan Bta. Vilar de
celle de Murcia (1988), Planos y mapas hipanicos de Argelia siglos XVII-XVIII. Plans
et cartes hispaniques de l’Algérie XVIème-XVIIIème siècles, une édition bilingue, qui
donne des éléments significatifs sur l’organisation urbaine de l’ère de l’occupation
espagnole.
Je souligne ici une autre contrainte majeure liée au mauvais état de conservation et de
classement des archives d’Oran ; il m’a été difficile de trouver suffisamment
d’informations écrites susceptibles de me permettre d’élaborer une analyse plus
approfondie sur le processus de formation des places de la ville.
La méthode d’analyse que nous avons entreprise associe et intègre plusieurs techniques
et outils d’analyse. Ceux relatifs à l’examen de l’espace physique reposent
essentiellement sur l’analyse typo-morphologique et paysagère et utilisent les moyens
de la lecture des plans cadastraux, de relevé in situ, des photographies et des cartes
postales. Cette analyse formelle s’attache aussi à explorer les dimensions des modèles
architecturaux et urbanistiques coloniaux exportés et adaptés en Algérie, et à examiner
comment ceux-ci sont adaptés dans le contexte Oranais.
5
Nous nous sommes aussi appuyées sur Les techniques d’enquête en sciences sociales de Nicole Bethier
(2006).
30
une situation exceptionnelle d’usages touristiques que pour observer les usages de
certaines places pendant les soirs du ramadan. Ces saisons ont permis d’éviter les
phases d’usage restreint en hiver. Lors des observations, nous avons pu interviewer des
usagers de la place rencontrés de manière spontanée.
Il s’est agi d’observer ce qui se passe, comment les usagers utilisent l’espace, de scruter
leur(s) mouvement(s), leur(s) itinéraire(s), leur(s) comportement(s) afin d’identifier les
arrangements spatiaux et les activités en présence qui favorisent ou non les pratiques de
l’espace. Pour cela, nous avons tenu des carnets dans lesquels, sur les plans des places,
sont relevés systématiquement les différents usages. Nous avons aussi utilisé la
photographie comme un moyen efficace de vérification et de précision des données.
Une enquête qualitative basée sur un questionnaire complète ces investigations. Nous
avons construit ce questionnaire sur la base des méthodes discutées par Hervé
Fenneteau (2002) et François Singly (2005). L’enquête vise à recueillir et à retranscrire
des informations sous la forme quantitative et à les confronter avec les éléments de
l’observation. Cette enquête réalisée en janvier-février 2010 a concerné un échantillon
de 400 personnes résidantes permanentes ou temporaires de la ville. Cette enquête
permet de relever les aspects de la perception des habitants et des usagers des places de
manière globale et de mettre en évidence les éléments qui conditionnent les différents
types de pratiques sociales dans les places publiques. Cette enquête contribue également
à permettre aux enquêtés d’exposer leur opinion sur la nécessité de ce lieu particulier
qu’est la place (éléments d’enquête et questionnaire voir annexe A.2 & A.3).
31
- La Commission de l’aménagement du territoire urbain (CATU),
- La Division de l’urbanisme et de la planification (DUP),
- La Division de la protection de l’environnement (DPE),
Des bureaux d’études ou des cabinets privés d’architecture qui ont été amenés à
entreprendre des études de projets d’urbanisme, dans lesquels les espaces publics sont
censés occuper une place prépondérante, en l’occurrence :
- Le cabinet d’architecture privé pour l’étude d’élaboration d’un nouveau plan
d’occupation des sols, celui du POS SUF 4,
- Le consortium espagnol ISOLUX-CORSAN pour la réalisation du tramway,
- Le cabinet privé d’architecture et d’urbanisme CAU d’Arzew pour l’étude des
espaces verts d’Oran,
- La représentante de la firme canadienne GENIVAR en charge des études
d’aménagement paysager des espaces publics du front de mer Est.
A cette indication générale des méthodes et des sources utilisées dans ce travail, feront
suite des approfondissements spécifiques dans les différents chapitres de la thèse.
Dans le cadre de cette recherche, la diversité des approches abordées est essentielle pour
une ville comme Oran « où la complexité spatiale et sociale réside non seulement dans
son passé mais aussi et surtout dans l’incohérence de son présent ». Ces mots auxquels
j’ajouterais « dans les incertitudes de son avenir », sont puisés de la réflexion de
Nassima Dris sur l’espace public d’Alger, pour qui la vie quotidienne s’impose
« comme un révélateur des dimensions cachées de l’urbain et un enjeu du changement
social » (2001, p. 30).
32
Structure de la thèse
La première partie intitulée « La place dans la ville » comporte trois chapitres. Elle
esquisse l’état des savoirs sur la double acception du concept de l’espace public et des
espaces publics, illustre les chemins parcourus de la « place européenne » et de la
« place arabe » et définit les différents concepts et les outils d’analyse, présentés sous
forme d’une grille, que nous avons adoptés. Elle examine ensuite la structure urbaine et
la formation des places publiques d’Oran. Dans cette perspective, elle aborde la ville à
partir de la configuration de ses espaces urbains. Elle scrute à la fois la géographie du
site et les différents modèles et outils utilisés par l’administration coloniale afin de
cerner au mieux la fabrique des espaces publics. Elle montre aussi comment la
‘disparition’ de la place s’est peu à peu opérée à partir des années 1940 et s’est
poursuivie après l’indépendance de 1962. Enfin, elle établit une typologie des places en
procédant à une analyse typo-morphologique et historique des places publiques, et en
identifiant le rôle que chacune d’elles assume dans la structure urbaine. C’est dans cette
analyse typologique des places que s’explore « l’aventure » parcourue de leur nom.
33
officiels et normatifs de fabrication de la ville et de mettre à l’épreuve l’application du
projet urbain en Algérie, à travers la ville d’Oran.
La troisième et dernière partie concerne « L’espace public et les usages ». Elle est
structurée en trois chapitres qui examinent les formes multiples d’usage, de pratique
spatiale et de représentation des places d’Oran. Elle explore la dialectique entre les
caractéristiques morphologiques, visuelles et d’aménagement, et les pratiques sociales
des six places les plus importantes, et identifie leur représentation. Puis elle analyse plus
finement la Place d’Armes, qui occupe une position particulière dans l’imaginaire
collectif, pour explorer les perceptions et les usages. Cette partie tente aussi de prendre
en compte les choix et les poids des compétences et de la parole publique face au projet
de réaménagement de la Place Hoche. Enfin, elle explore comment les pratiques des
espaces publics inventent de nouveaux lieux urbains. La ville d’Oran illustre ainsi le fait
que ses habitants se manifestent comme des acteurs sociaux capables de modifier par
leurs pratiques le sens des objets et des emplacements urbains.
34
PREMIERE PARTIE
35
36
CHAPITRE 1 : ESPACE PUBLIC ET PLACE
URBAINE : ESQUISSE D´UN ETAT DES
SAVOIRS
37
38
INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
L’argumentaire de cette première partie est retenu comme indispensable pour mener
ensuite, dans la deuxième partie, l’examen de la position qu’occupent les espaces
publics dans les pratiques de la planification urbanistique et du projet urbain, puis, dans
la troisième partie, l’analyse de la dialectique entre l’espace public et les usages et les
territorialités.
La première partie de la thèse- La place dans la ville - aborde trois éléments principaux
de la compréhension globale de la fabrique des places publiques : la connaissance
théorique sur l’espace public et sur celle de la place au sein de la ville ; le processus de
formation des places d’Oran et le rôle de celles-ci dans la structuration de la ville.
La place constitue un espace urbain indissociable de la ville que l’on dit européenne.
Que serait la ville européenne sans ses places et comment se serait-elle construite sans
elles ? Faire l’histoire des places revient à faire l’histoire des villes mêmes, comme le
font beaucoup d’historiens de l’art, de l’architecture ou de l’urbanisme. Ainsi pour
comprendre le rôle des places publiques dans la fabrique de la ville, le premier chapitre
appréhende le débat théorique sur les espaces publics, en général, et sur la place en
particulier, retrace l’évolution de la place dans la ville à travers les âges, et examine les
deux paradigmes de la fabrique des espaces publics : celui de la conception et celui de
l’usage qui ont permis d’établir les différents éléments d’analyse associés à cette
recherche.
Les places d’Oran sont principalement issues de l’urbanisme colonial6. Le passage par
la période coloniale – ou mieux les périodes « coloniales » – est essentiel pour
comprendre le processus de formation des espaces de la ville. C’est pourquoi le
deuxième chapitre analyse la structure urbaine et la formation des places d’Oran. Il
examine d’abord les logiques coloniales et ensuite regarde comment celles-ci ont
imprégné les logiques contemporaines. Cette exploration nous semble aller de soi
puisqu’elle nous permettra de mettre en évidence les phases de développement et les
données urbaines, qui reviendront ensuite à notre sens, dans la deuxième partie, à
travers le prisme des pratiques de la planification urbanistique.
6
Urbanisme au sens proposé par Jean-François Tribillon (1990).
39
elle est un moyen de saisir globalement les rôles qu’occupent les places d’Oran dans
l’espace urbain oranais.
Analyser le processus de formation des places d’Oran c’est aussi analyser les différents
noms qu’elles ont portés. Ainsi, le troisième chapitre explore dans un deuxième volet
« l’aventure » des noms des places pour tenter d’appréhender leur signification dans
l’appropriation et la réappropriation territoriale.
40
CHAPITRE 1
41
1-1 L’ACTUALITE DE L’ESPACE PUBLIC : D’UN ESPACE URBAIN PERDU
A UN ESPACE PUBLIC RECHERCHE
Place et ville sont étroitement liées. Elles ont traversé côte à côte des périodes de gloire
et de mutation et ce depuis les premières cités mésopotamiennes. La place a
incontestablement joué un rôle essentiel dans la construction de la ville et notamment de
ce qu’on peut dénommer par brièveté la "ville occidentale"; le forum romain étant
l’exemple le plus significatif. D’un point de vue morphologique, elle tire son origine de
l’élargissement d’une via (voie) disposant d’une fonction de nœud dans le réseau viaire
(rete stradale), de diverses fonctions urbanistiques et manifeste une valeur architecturale
(Zingarelli, 1990, p. 916). La place est indissociable aux rues qui l’irriguent ; ensemble
elles s’entrelacent pour composer un tissu urbain de fond serré et hiérarchisé. En effet,
ce qui caractérise une constance dans la fabrique de la ville, du moins jusqu’à l’aune du
XXe siècle, c’est bien cette étroite combinaison de rues et places qui constituent les
deux éléments fondamentaux de l’espace urbain (Krier, 1975 ; Moughtin, 2003). Cette
combinaison est inhérente à la notion de composition qui relève dans son acception
première d’une pratique particulière de mise en forme de l’espace urbain et de ses
« matières premières » pour former un ensemble cohérent et lisible (Riboulet, 1998 ;
Pinon, 1991, 1994 ; Gibberd, 1971). Sans doute que la place et la rue répondent chacune
d’elle à des raisons propres, mais leur ordonnancement forme un ensemble qui non
seulement fonctionne correctement, mais aussi présente une « homogénéité picturale, un
motif urbain » comme le dit bien Frederik Gibberd (1971).
La composition urbaine s’inscrit dans le temps. Elle s’accomplit par deux éléments
essentiels : celui de l’héritage urbain et celui du temps du projet urbanistique. L’héritage
urbain renvoie aux types liés à l’usage, aux modèles auxquels on se réfère, au contexte
et aux traces d’occupation passée ; il constitue un préalable à tout projet urbanistique.
C’est en ce sens que celui-ci est redevable à l’art urbain et de ses modèles culturels mais
il l’est aussi de la mémoire des lieux et de leur identité (Pinon, 1994, p. 9).
L’urbanisme pensé exclusivement comme une science pour donner des réponses à des
problèmes fonctionnels a bien souvent éludé cette dimension culturelle propre à la
conception des formes urbaines. Il a été créé à l’origine comme une nouvelle discipline
qui avait pour mission l’aménagement scientifique de l’espace urbain où le mode de
production industriel a impacté considérablement la physionomie des villes. Peu à peu,
la fonctionnalité a pris le pas sur l’art urbain et s’est imposée comme une règle
immuable de l’organisation spatiale. De cette discipline qui se voulait « autonome et
utilitaire », Le Corbusier en fait un fondement des préceptes du mouvement moderne
dont les théories ont conquis, après la deuxième guerre mondiale, un champ
42
d’application mondial (Choay, 1965 ; Panerai & al. 1980a ; Pinon, 1994 ; Giovannoni,
1998 ; Merlin & Choay, 2005). C’et en effet avec l’avènement de l’urbanisme
fonctionnaliste dans la première moitié du XXe siècle que l’espace urbain composé de
rues et de places qui répondaient autrefois à des types ou modèles urbains culturels
connaît une époque de déchéance voire de disparition. Ses principes fondamentaux,
élaborés en 1933 et édités dans la Charte d’Athènes en 1941 par les CIAM (Congrès
internationaux d’Architecture moderne créé en 1928), prônent pour un espace urbain
réduit à sa simple fonction de « voie de communication ».
En scrutant les pensées fondatrices de cette Charte de l’urbanisme, il apparait clair que
celle-ci avait l’ambition, qu’on peut considérer noble et novatrice en son temps, de
promouvoir un nouveau modèle de ville plus juste, plus saine et plus humaine, où
chaque individu devait avoir droit au soleil, à la verdure et à l’espace. Elle a prêché
que, grâce aux nouvelles techniques du bâtiment, « les constructions hautes implantées
à grande distance l’une de l’autre, [devaient] libérer le sol en faveur de larges surfaces
vertes ». Cette disposition qui a soutenu l’interdiction de « l’alignement des habitations
au long des voies de communication » a attribué à la fonction « habiter » et à la fonction
« circuler » des zones bien distinctes. L’habitation dès lors n’est « plus soudée à la rue
par son trottoir » (Le Corbusier, 1957). Ainsi, les espaces urbains composés de rues et
de places et les ilots-parcelles qui les définissent ont disparu au profit de grands espaces
libres, de bâtiments isolés multipliés à l’identique et de voies hiérarchisées de
circulation. Ainsi, les activités sociales autrefois effectuées dans les rues et places se
sont amenuisées, ce qui a souvent généré une crise exacerbée du lien social.
Albert Levy explique clairement la crise de l’espace public et sa conséquence sur le lien
social:
« L’espace public est resté l’impensé de l’urbanisme progressiste moderne et sa
négligence une des principales causes de l’échec de l’urbanisation de ces dernières
décennies, de cette énorme production bâtie massées aux portes des villes
historiques, souvent qualifiée d’anti-urbaine ou de non ville. L’urbanisme, en
effet, a été quasiment réduit à une politique du logement, avec bien sûr, ses
équipements d’accompagnement nécessaires. La construction d’un espace public
commun garant de l’identité et de la cohésion d’une société a été négligée, elle n’a
fait l’objet d’aucune préoccupation sérieuse de la part des urbanistes : l’espace
public n’a été pris en compte qu’en termes de flux et de mobilité, et la circulation
promue au rang de fonction majeure de la ville. Or l’espace public n’est pas qu’un
simple espace technique de communication assurant la mobilité et les flux, il est
aussi, et surtout, ce par quoi la société tient ensemble, son liant, c’est-à-dire ce qui,
par delà sa diversité et sa pluralité, lui permet de se maintenir en un tout unitaire et
solidaire : il organise et favorise la cohésion et la liaison de ses différents
43
fragments hétérogènes. Il est, en un mot, sa force centripète. Dès lors, on
comprend pourquoi, et comment, l’oubli et/ou l’évacuation de cette dimension
publique, sa réduction à la fonction circulatoire, ont pu être également à l’origine
de la crise du lien social et de la crise de la citoyenneté que nous connaissons
aujourd’hui ». (1997, p. 57)
Comme A. Levy, bon nombre d’auteurs abondent dans cette réflexion sur la
problématique de l’érosion de l’espace public et dénoncent la vision purement
fonctionnaliste que portaient les architectes et urbanistes à la ville. Beaucoup d’entre
eux en font même leur procès les traitant d’autoritaires. Dans les textes réunis par Jean-
Loup Gourdon dans Ville, espace et valeurs (1995), Marion Segaud et Charles
Bachofen écrivent que les architectes et urbanistes ont eu une approche totalitaire qui a
nié les valeurs urbaine et esthétique de la société, en imposant un nouveau modèle
urbain dépourvu de tout contenu historique, culturel et identitaire.
La littérature sur l’espace public est largement étendue, mais les analyses pertinentes du
point de vue de sa réalité physique sont moins importantes qu’elles n’apparaissent. Il
semble ainsi que la prolifération des discours sur l’espace public a tendance à extirper
des descriptions la réalité matérielle de l’espace lui-même, surtout s’il se développe sans
formes lisibles dans la ville contemporaine.
Les sciences humaines et sociales abordent abondamment l’espace public mais évacuent
souvent de leur analyse l’espace concret comme si celui-ci « se situait hors l’espace »,
dit Jean-Noël Blanc (2001). Sociologue et enseignant dans une école d’architecture, ce
dernier dans son article Voir l’espace dans les espaces publics porte une critique féroce
44
aux sciences humaines et sociales qui selon lui congédient souvent la dimension
matérielle dans leur analyse de l’espace public. Selon cet auteur, l’espace concret est
« abandonné », « absent », « effacé » ou « gommé par les usages » ; l’analyse de sa
réalité matérielle est évincée par les analyses philosophique ou métaphorique d’un
espace abstrait qui ne lui sont pas d’une grande utilité pour comprendre les espaces
publics. Il convoque tour à tour philosophes, sociologues et même géographes à
« utiliser l’espace des architectes », pas de tous mais de ceux qui savent manier « de
vrais outils d’intelligence de l’espace ». Il les convie à renouveler leur pensée des
espaces publics en revisitant leur savoir sur l’espace.
Les architectes, en tant que praticiens, sont moins versés dans la recherche académique.
Ceux qu’ils le sont savent l’analyser dans ses moindres détails, le scruter dans ses
multitudes coins et recoins, le représenter graphiquement dans ses trois dimensions. Ils
donnent ainsi « l’espace à voir », écrit J.-N. Blanc (2001). Pourtant savent-ils regarder
l’espace arpenté ? Se préoccupent t-ils de la dimension sociale ? Les sciences humaines
et sociales réfutent farouchement l’approche des architectes et les accusent de négliger
la notion du « public » et d’analyser l’espace physique sans considérer l’espace social.
Ils considèrent que cette dimension humaine leur importe peu et que c’est la
fonctionnalité qui est exhibée en emblème.
La logique fonctionnaliste qui a sévi pendant des décennies est, en effet, imputée
principalement aux architectes et aux aménageurs, à ceux qui ont été à l’origine de la
désintégration des espaces de la ville. Elle a laissé une image indélébile dans la
mémoire collective si bien que beaucoup de chercheurs des sciences sociales portent un
certain mépris à l’égard des travaux d’architectes. Mais ce scepticisme est-il aujourd’hui
justifié ? Pas si sûr ! Car le fonctionnalisme n’a pas de descendants que les architectes,
il a aussi imprégné les autres disciplines, les sciences sociales en premier. Bien souvent
ces dernières ne voient pas l’espace matériel dans l’espace public, elles ne voient pas ce
que peuvent apporter la forme et l’art aux usages et aux représentations. Généralement
dans cette approche, cet espace n’existe pas. Seul compte le discours triomphant des
pensées philosophiques ou politiques de l’espace public que l’analyse la plus
performante ne peut rendre compte de l’espace réel.
S’il est vrai que certains architectes obnubilés par la forme ne se soucient guère de la
dimension sociale de l’espace, d’autres en revanche mobilisent les outils et regorgent
d’ingéniosité pour analyser l’espace public pour mieux le connaitre et l’investir.
Dans le domaine de la recherche sur l’espace concret, c’est aux écoles de pensée anglo-
saxonne et italienne qu’on attribue l’apport significatif de savoir et savoir-faire sur les
espaces de la ville. La littérature y est pléthorique : les espaces publics sont représentés,
analysés, détaillés dans leur forme, leur architecture et leur signification. Les villes sont
démontées et recollées dans Collage city de Colin Rowe (1975), Design of cities
45
d’Edmund N. Bacon (1976), Finding lost space de Roger Trancik (1986). Les rues,
passages et places sont décomposés et recomposés dans Städtebau de Camillio Sitte
(1889), Town and Square de Paul Zucher (1959), Town planning de Frederick Gibberd
(1971), City spaces de Robert Krier (1975), Street and square de Cliff Moughtin
(2003). Les perceptions visuelles sont explorées dans The concise townspace de Gordon
Cullen (1961), Image of the city de Kevin Lynch (1960). Les sens, signes et symboles
sont examinés dans Function and sign d’U. Eco (1968), Genius Loci de Christian
Norberg-Schultz (1981), Responsive environment de Ian Bentley and all. (1985). Ce
sont autant de travaux qui explorent les formes de l’espace urbain et analysent comment
celles-ci contribuent ou pas à la lisibilité, aux pratiques et représentations des espaces de
la ville.
Profondément influencée par ces travaux et empruntant parfois les mêmes titres et
expressions, l’école française a emboité le pas à celle des Anglo-saxons et a apporté une
contribution importante sur l’évolution de la pensée sur l’espace de la ville. Une pensée
qui demeure, me semble t-il, largement théorique. Quelques travaux cependant
marquent significativement par leur réflexion la recherche urbaine. Ceux de Philippe
Panerai, Jean Castex, Jean-Charles Depaule, Marcelle Demorgon (1980a, 1980b ;
1999), Pierre Pinon (1991 ; 1992 ; 1994) sont les plus connus de ce que représente
l’analyse urbaine dans la compréhension de l’espace physique : la voie est ici largement
ouverte sur les formes urbaines et les types architecturaux qui, associés étroitement,
constituent cette réalité première qu’est l’architecture urbaine. Mais les retrouvailles
avec les espaces publics proprement dit nous les devons particulièrement à Jean M.
Bertrand (1984, 1988), Bernard Huet (1990), Antoine Grumbach (1992), Bernard
Gauthiez (2003), Jean M. Wilmotte (1999) dont les études fines de l’espace concret
restent toutefois moins élaborées que celles de leurs homologues anglo-saxons.
Cette réflexion sur l’étroite relation qu’entretient l’espace matériel avec l’espace
pratiqué s’illustre par l’importance qu’a prise la problématique de l’espace public au
46
sein des politiques urbaines. En effet, on assiste depuis le début des années 1980 à la
participation des sociologues pour traiter les symptômes des crises sociales urbaines. En
France, cette mobilisation nous renvoie inéluctablement à la commande publique
assignée à Isaac Joseph, sociologue de l’urbain, ou plus exactement des sociabilités
urbaines, pour décrypter les problématiques liées aux difficultés que rencontrent les
personnes dans l’usage des équipements de transports urbains. Grand spécialiste des
questions relatives aux interactions dans l’espace public, I. Joseph fut en effet impliqué
dans les programmes « Espaces publics » et « Services publics » du Plan urbain. Sa
coopération avec la RATP l’a conduit à explorer les interfaces entre les opérateurs de
transports et les usagers mais aussi l’accessibilité de ces équipements (Parasie et Israêl
2004 ; Grafmeyer 2004). Ses recherches sur la Gare du Nord ont montré que les
sciences sociales peuvent non seulement contribuer à apporter un éclairage significatif
sur les usages des espaces mais peuvent aussi participer à la conception de ces espaces
et à l’organisation des services. Ses nombreux travaux témoignent « de sa capacité à
concilier sociologie théorique, commande publique et une attention à un objet tel que la
construction d’une ligne de métro » diront Sylvain Parasie et Liora Israël (2004).
Cette diatribe entre disciplines, qui s’estompe aujourd’hui peu à peu, illustre la
complexité de la notion d’espace public. Alors qu’est ce que l’on entend par espace
public ? Le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, coordonné par
Jacques Levy et Michel Lussault (2003, pp. 333-340) propose des interprétations qui
montrent la multiplicité des définitions sur cette notion :
M. Lussault définit l’espace public « au sens strict, (comme) un des espaces possibles
de la pratique sociale des individus, caractérisé par son statut public. Se différencie ainsi
de l’espace commun, soit l’ensemble des espaces possibles de la pratique sociale des
individus ». Il souligne la limite de l’analyse « standard » telle qu’elle a été utilisée par
les littératures géographique, architecturale et urbanistique, une analyse qui s’appuie sur
une approche attribuant à l’espace public un rôle « vertueux de la citoyenneté ». Une
conception qui renvoie systématiquement à cet « idéal-type mythologique » que
représente l’agora grecque. L’espace public est souvent « imagé sous la forme d’une
place publique » rétorquera t-il. Pour « sortir de ce stéréotype », il interpelle un
47
dépassement du concept d’espace public qui reste, selon lui, ambigu et de tenter celui
d’espace commun qui « est un agencement qui permet la coprésence des acteurs
sociaux, sortis de leur cadre domestique ». Il souligne que « cet espace commun peut
être pensé comme un espace de convergences et d’actes, au sens où des individus y
convergent et y agissent, et interagissent avec les autres individus, mais aussi avec des
objets, des formes spatiales » (Lussault, 2003, p. 333-336).
J. Levy écrit qu’un espace public est un « espace accessible à tous. […], l’espace public
a la capacité de résumer la diversité des populations et des fonctions d’une société
urbaine dans son ensemble ». Levy explique l’accessibilité comme « la coprésence de
toute la société urbaine dans un espace public », une coprésence qui, selon lui, « ne
nécessite pas qu’elle soit effective à tout moment, […]. Il faut seulement que chacun
sache que cela est possible et assumé ». Levy remarque que par cette dimension de
l’accessibilité, « un espace public contribue à l’auto-visibilité de la ville et, comme
image de la totalité, il est, au travers de la civilité, un lieu fortement marqué par la
dimension politique ». Il ajoute aussi que l’espace public est un lieu où il est possible
de s’unir, de se côtoyer sans que les uns ne projettent leur intimité sur les autres. A ce
propos, il dira que « seul l’« anonymat », […], permet à l’individualité de se
développer et de se déployer, y compris dans l’espace public lui même». Il écrit que
l’accessibilité renvoie aussi à la civilité qui est, selon lui, une condition à la citadinité.
Levy soutient que c’est via la civilité que l’espace public possède une relation avec
« l’espace public »- entendez espace ouvert à tous et espace de « l’être ensemble ».
Dans cette réflexion, il écrit au sujet du citadin que « par le fait même de son
identification à la ville, […], intègre dans la moindre de ses actions la survie de (ces)
espaces qu’il s’est approprié. La nécessaire extimité des lieux communs à tous ceux qui
habitent sa ville est devenue une part de sa propre intimité » (Levy, 2003, p. 339).
En s’appuyant sur le travail d’Habermas (cf. 1-1-3), M. Lussault reprend une troisième
acception de l’espace public significativement différente de celles qui précèdent, celle
qui s’exprime en tant que « sphère du débat public » pour désigner la « sphère
délibérative et le domaine de l’opinion publique ». Il relève que cette notion portée par
les sciences philosophique, politiques et sociales, notamment en France, est ambiguë
« dans la mesure où elle utilise le terme espace de façon métaphorique ». Il souligne
que cette notion d’espace où se construisent des opinions publiques « s’impose à un
point tel qu’elle vient brouiller celle d’espace public urbain, utilisée par les architectes,
urbanistes, géographes pour analyser l’espace commun des pratiques » (Lussault, 2003,
p. 339-340).
Aujourd’hui on assiste à une plus large acception de « l’espace public » puisse qu’il
intègre le monde des nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC). Ce qui rend le concept encore plus complexe. Mais ces technologies qui
48
semblent rendre l’espace public abstrait, virtuel7, nient-elles vraiment l’espace matériel?
Dans les pays du monde arabe où la parole démocratique n’existe pas (du moins
jusqu’aux récentes révoltes et révolutions éclatées depuis 2011), l’opinion publique n’a-
t-elle pas trouvé refuge sur la toile du Web pour constituer l’espace public du débat
public, ce nouvel espace intermédiaire virtuel entre l’espace privé de chacun et l’espace
public de tous, et la place publique en particulier ? Cette réflexion est récemment
explorée par Raffaele Cattedra et Maurizio Memoli (2012) pour qui « "les places"
réelles et virtuelles pourraient être représentées comme de nouveaux lieux qui
accueillent, produisent et provoquent des relations conflictuelles »8.
Ces différentes acceptions de l’espace public illustrent la pluralité des approches et des
regards portés sur cette notion qui reste toutefois ambiguë. Le terme d’espace public
donne souvent lieu à de malentendus, des ambigüités, qu’on a du mal à le définir, ce qui
est pourtant nécessaire si l’on veut acquérir des connaissances fines sur l’espace public.
Cela vaut donc d’en préciser notre propre point de vue.
L’espace public (exprimé au singulier) et les espaces publics (exposés au pluriel) sont
deux concepts qui certes expriment une fonction essentielle, celle de la communication,
mais qui indiquent des situations bien différentes. Thierry Paquot dans son ouvrage
intitulé L’espace public (2009) résume avec justesse ces deux expressions et apporte un
éclairage de ce qui les unie et aussi de ce qui les différencie. L’espace public porté par
la sociologie, les sciences politiques, la philosophie et récemment par les sciences de la
communication est à distinguer des espaces publics revendiqués notamment par les
urbanistes, géographes, architectes, paysagistes. Le premier exprime l’espace du débat
démocratique, de l’opinion publique, de la parole libre, un espace qui n’est pas
forcement physique ; il est souvent plus abstrait et évoque « une pratique démocratique,
une forme de communication, de circulation des divers points de vue » (Paquot 2009,
p. 3). La deuxième formulation, déclinée au pluriel, est plus proche de la discipline de
l’aménagement et désigne des espaces géographiques et physiquement identifiables. Ces
derniers sont considérés « comme la partie du domaine public non bâti, affectée à des
usages publics » (Merlin 2005, p. 355). Ce sont tous les espaces extérieurs qui sont
accessibles et gratuits aux publics. Aujourd’hui ils disposent d’une acception plus large,
ils désignent aussi des lieux privés mais ouverts aux publics, comme par exemple un
centre commercial, ce qui complique un peu plus la compréhension du concept, comme
le font justement remarquer J. N. Blanc (2001) et M. Lussault (2003). Ces espaces
7
Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et tant d’autres en sont les exemples d’espace public et
des "places " virtuelles les plus marquants.
8
A ce propos voir l’aticle ‘Arab Spring’ and the City de M. Lopes de Souza et B. Lipietz (2011).
49
publics mettent en relation les citadins et les "usagers" qui s’y croisent, s’y rencontrent,
s’échangent, s’évitent, etc.
Du point de vue des sciences sociales, on doit à Hannah Arendt (1958) l’introduction de
la question philosophique sur l’espace public mais c’est surtout à Jürgen Habermas
qu’on attribue la paternité du concept. Sa thèse en science politique intitulée
Strukturwandel der Öffentlichkeit publiée en 1962 et traduite en 1978 en Français sous
le titre L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la
société bourgeoise est largement connue et souvent revisitée et critiquée9. Elle traite sur
la formation de l’opinion publique et de la sphère publique délibérative bourgeoise, en
Angleterre et en France (au XVIIIe), puis en Allemagne (au XIXe). Agnes S. Ku (2000)
dans son article Revisiting the notion of ‘public’ in Habermas’s theory (revisiter la
notion du « public » dans la théorie d’Habermas) tente une signification plus intelligible
à la notion du public et décrit la sphère publique comme « une arène pour des pratiques
démocratiques exercées entre les citoyens en dehors des appareillages d’Etat et des
marchés économiques » (p. 216). Dans une analyse rétrospective de la sphère publique
dans l’œuvre d’Habermas, elle explique que ce dernier dans sa construction théorique
conçoit la notion du « public » en termes spatial et institutionnel et identifie la sphère
publique bourgeoise comme faisant partie de l’univers privé de la société civile qui est
distinct mais relié à l’univers public de l'autorité de l’Etat. Habermas décrit la sphère
publique bourgeoise comme un produit d’un long processus qui a eu lieu entre le Haut
Moyen Âge et le XVIIIe siècle. L’essor du capitalisme, parallèlement au développement
de l'Etat moderne, avait permis à établir dans la société une sphère privée d’échanges
commerciaux et à faciliter l’apparition de structures de « communication » pour la vie
publique. La sphère publique, comme faisant partie du l’univers privé, était à la fois
constituée par des individus voulant conquérir le droit de s’opposer aux instances
publiques mais aussi fondée sur la capacité de la société civile des individus de
s'organiser de façon indépendante de tout impératif de l'Etat (Ku, 2000). En fait,
Habermas situe un espace institutionnel entre l’univers privé de la société civile et
l’univers public de l’Etat qui, comme le précise T. Paquot (2010), « permet aux
opinions privées d’être rendues publiques ». Cet espace de « communication »
d’opinions comprend la presse, les sociétés littéraires, les cafés et les salons…etc.
9
Une traduction qui lui vaut un malentendu majeur : le terme Öffentlichkeit qui signifie selon Paquot « le
fait d’être porté au public » est traduit en Français par "espace public" et en Anglais par public sphere.
Des critiques ont été émises depuis la parution de cet ouvrage et se focalisent précisément sur le terme
trop vague pour certains d’Öffentlichkeit et sur l’ambigüité autour des notions: public et privé, société
civile, opinion publique. Il s’agit d’une œuvre qui reste toutefois une référence majeure tant elle est
discutée et revisitée dans de nombreux pays ; elle a contribué au développement de ce concept de l’espace
public et à une floraison des écrits autour de cette thématique. Sur ce concept, voir aussi John J. Rodger
1985, p. 205.
50
Dans les champs disciplinaires de l’urbanisme et de l’aménagement, la notion des
espaces publics est portée par la profession pour restaurer la vie urbaine érodée par une
approche exclusivement fonctionnaliste de la ville Moderne des Trente Glorieuses.
Cette notion renvoie au terme de centre civique dans les années 1950-1960, puis à celui
d’espace public à partir des années 1970 (Gibberd, 1971 ; Tomas, 2002). En ajoutant le
qualificatif « public » à « l’espace », cette notion cherche à « ré-humaniser » et à
requalifier les espaces urbains qui sont à même de porter la vie collective, de favoriser
la proximité spatiale des habitants et la mixité sociale des quartiers. Il s'agit de retrouver
une échelle d'aménagement, une densité et un rapport entre le bâti et le non bâti plus
favorables aux piétons. Il est question aussi de réhabiliter le rôle essentiel joué par
l’espace public dans l’organisation, la forme et l’identité de la ville. Cette recherche de
l’espace public, l’urbanisme contemporain le porte comme un glaive qui se dresse
« contre la dissolution des villes et de la société » (Delbaere, 2010). Ainsi, la rue, le
boulevard, la place, le square, le jardin public, la promenade, le mail, etc. demeurent
pour l’urbanisme contemporain les seules alternatives pour recréer du lien social et
reconquérir de l’urbanité. L’urbanité est comprise ici comme « la qualité morale de ce
qui appartient à la ville, […], ce qui fait la ville, c’est l’idée d’interaction sociale qui est
fondamentale. […] La ville apparaît de la sorte comme la manière d’organiser l’espace
qui permet de faciliter au maximum toutes les formes d’interaction entre partenaires et
de les multiplier » écrit Paul Claval (cf. Merlin & Choay, 2005, p. 927). Le terme
d’urbanité est aussi étroitement associé à celui de la civilité. « Si l’urbanité qualifie à la
fois le citadin moderne et son espace, la civilité relève d’un code de conduites qui
préside au face à face ». Ensemble, elles constituent les qualités inhérentes à la ville
qu’il s’agit de retrouver, rappelle Marion Ségaud (cf. Merlin & Choay, 2005, p. 177).
Mais l’espace public qui illustre le mieux cette quête d’urbanité c’est bien la place
publique et ce qu’elle véhicule comme imaginaire spatial de la ville. De formes spatiales
reconnues de tous, les places publiques incarnent ces lieux où les sociabilités
s’expriment avec plus de force. En Europe, elles connaissent une popularité
significative depuis une trentaine d’année si bien qu’elles constituent des objets
importants de développement urbain. Par ailleurs, leur embellissement et aménagement
sont devenus une valeur sûre pour le développement d’un tourisme de ville (Aminde,
1996 ; Vlès, 2004). Le terme de la « nouvelle envie de la place publique » de H.J.
Aminde (Toussaint 2001, p. 2010) exprime emblématiquement cette tendance au retour
à la place publique avec laquelle la ville européenne a toujours su composer.
51
L’espace public au sens d’Habermas a-t-il son égal dans la société oranaise, où une
pseudo-bourgeoisie est apparue récemment produite par la rente et le libre marché ? Si
le café est le lieu par excellence de sociabilité et de la libre parole des hommes en
Algérie, a-t-il contribué un tant soit peu à l’apparition d’une opinion publique sur la
trame politique? Comment l’apparition de cafés mixtes dans les grandes villes va-t-elle
modifier le rôle des cafés ? De même pour les espaces urbains publics, leur
fréquentation de plus en plus élargie aussi bien par les hommes que par les femmes ne
nous renvoie-t-elle pas à revisiter les dichotomies : public-privé ; homme-femme ;
extimité-intimité dont la modernité a incontestablement brouillé les frontières ? Ce sont
autant de questions qui interrogent l’espace public en Algérie. Quelques unes d’entre-
elles ont toutefois été explorées par d’éminents sociologues qui ont ouverts des pistes, et
apporté des éclairages tout-à-fait importants.
Lahouari Addi (1999) écrit que « la modernité se confond avec l’espace public ». Ce
sociologue examine les deux concepts « espace public » et « société » et met en
évidence le rôle que joue la dimension des mutations en profondeur de la société
algérienne dans la crise des années 199010. Il souligne que les expressions sociologiques
telles que la violence sociale dans les villes, l'évolution de la place des femmes et
l'émergence de l'islam politique sont « autant d’expressions sociologiques d’un espace
public en gestation »11. La sociologue urbaine Nassima Dris (2001) abonde dans cette
réflexion et décrypte les espaces publics et les centralités à l’œuvre de La ville
mouvementée d’Alger où les références urbanistiques sont multiples et souvent
contradictoires. Dans sa thèse, elle tente d’expliquer les phénomènes des « violences »
contre la ville et de la « banalisation » des espaces publics12. Elle relève ainsi
« l’ambivalence de la vie quotidienne » qui caractérise la société algéroise qui selon elle
« oscille entre ce qu’elle est réellement et ce qu’elle voudrait être en donnant à l’espace
public un caractère qui réunit et tolère des oppositions » (Dris, 2001, p. 387).
Rabia Bekkar (1997), quant à elle, considère le rapport entre le privé et le public au
Maghreb et explore le statut social des femmes, au sens de leur accès à l’espace public
et à la parole publique. Elle note que les nouvelles exigences de la vie quotidienne
nécessitent des sorties dans l’espace urbain et déplacent continuellement les frontières.
Elle dira à ce propos que « les limites sont franchies tous les jours, l’étanchéité entre
10
Due à la recrudescence de la violence en Algérie, consécutive à l’arrêt du processus électoral du 17
janvier 1992.
11
Aujourd’hui, la problématique de l’émancipation de la femme qui était au cœur des violences parait
dépassée, du moins nous l’espérons.
12
N. Dris (2001) citent plusieurs sociologues qui ont formulé différentes hypothèses pour expliquer ce
phénomène d’altération des espaces de la ville algérienne. Elle cite en particulier Zafar-Zitoun (1997),
Boukhobza (1991), Benatia (1982) et Lepetit (1988).
52
l’espace féminin et l’espace masculin est remise en cause ». Mais elle souligne que si
les femmes, par leurs activités professionnelles, ont accès à l’espace public, l’espace ne
leur appartient pas pour autant; elles y sont exclues. Elle précise que ce droit à l’espace
public ne correspond pas toujours à un accès à une nouvelle parole ; celle-ci reste à
dominance masculine. Elle évoquera toutefois des contextes particuliers où les femmes
du monde arabe ont « envahi la scène publique pour porter la contestation dans la
sphère publique » et en particulier dans le conflit algérien des années 1990. Dans ces
circonstances « l’émergence de la parole féminine (est) évènementielle », et correspond
à des situations exceptionnelles, dira-t-elle.
Plus récemment, les travaux d’Abderrahmane Moussaoui (2006) sur l’islam politique et
la violence en Algérie ont apporté un éclairage significatif sur les traits caractéristiques
de la crise urbaine qu’a vécue la société algérienne : la gestion des villes sans
considération des besoins réels de la population, la nature des politiques de l’habitat, les
aspects de l’aménagement urbain ont contribué fortement à l’annihilation des espaces
publics. Dans son ouvrage De la violence en Algérie, l’auteur écrit dans un chapitre
consacré à « Espace et temps de la violence », qu’en Algérie, la violence a
considérablement exacerbé le lien social. Dans les espaces des villes devenus des « non-
lieux », « les équipements structurants et organisateurs de l’être ensemble ne concourent
plus à la fabrication et au ré-affermissement du lien social » (p. 240). Dans cette
réflexion, l’auteur met en exergue le rôle de la mosquée, en tant qu’espace symbole de
la parole libre et de la contestation politique, dans les violences urbaines. Il rappelle que
« tous les vendredis, les mosquées des grandes villes se prolongeaient dans les rues
avoisinantes, s’appropriant ainsi l’espace urbain physiquement et symboliquement »
(p. 241).
La place, du latin platea, est au sens commun un lieu public découvert constitué par
l’ensemble d’un espace vide et des bâtiments qui l’entourent. Son implantation et son
rôle varient selon les cultures et les époques, et selon l’intensité de la vie
publique (Merlin, 2005, p. 636-637). Elle joue un rôle essentiel dans les villes, qu’il
s’agisse de la Grand-Place centrale (Plaza Mayor dans la tradition hispanique et latino-
américaine), de la place royale ou de l’espace de rencontre disséminé dans les quartiers.
Elle constitue – avec la rue – un élément clé dans la fabrique de la ville. En explorant,
ne serait-ce que brièvement, sa genèse et son évolution historique, est dès lors
53
fondamental dans la compréhension de l’évolution de la pensée sur la ville et des types
et modèles urbains inhérents.
Les historiens de la ville s’accordent à dire que la rue et la place sont aussi vieilles que
la ville elle-même (Tomas, 2002, p. 13). Une question alors s’impose : sous quelles
formes l’espace de la ville existait-il dans les premières cités? Les archéologues qui
explorent les plus anciens établissements urbains décrivent la présence d’un réseau
dense et hiérarchisé de voies. Néanmoins, parmi les plus anciens établissements
humains (IXe millénaire av. J.-C.), certains d’entre-elles ne possèdent pas de voies ; les
maisons sont assemblées les unes contre les autres de manière à former « un village
muraille » dans lequel on accède à travers les toits. Certes, ils représentent une
exception au principe général qui admet que la ville soit constituée d’un ensemble
organisé de voies (Benevolo, 1975 ; Voisin, 2001 ; Pardo, 2009 ; Paquot, 2009).
C’est dans les premières cités nées de l’agriculture dans le croissant fertile en
Mésopotamie qu’une organisation hiérarchisée de l’espace fut établie, susceptible
d’avoir influencé principalement l’organisation de la ville « occidentale » et de la ville
« orientale »14. La cité mésopotamienne s’illustre par l’exubérance des espaces sacrés,
des espaces du pouvoir et par un ensemble organisé de voies (Benevelo, 1975 ;
Delfante, 1997 ; Thiberge, 2002). La reconstitution et la comparaison par superposition
des villes d’Our, Babylone et Dour-Sharroukin, qui appartiennent respectivement à la
13
Thierry Paquot rappelle que la séparation entre l’espace privé et l’espace public n’a guère de sens à
l’époque antique et que l’individu au sens actuel du mot n’existe pas encore. Ainsi parler d’espaces
publics à propos des villes antiques « frôle l’anachronisme » précise t-’il (2009, p. 73).
14
Si l’on s’appuie sur la distinction avancée par Pardo (2009) ces deux catégories obéissent au critère
culturel « euro-centrique », voire « méditerranéo-centrique. « Tout ce qui concerne les régions
européennes et méditerranéennes est dit occidental, et tout ce qui se situe à l’est de cette région (mais
également au sud : c’est le cas de l’Egypte) est considéré comme oriental ». Il signale, toutefois, que « si
la définition du type oriental est assez claire lorsqu’on se réfère aux systèmes urbains du continent
asiatique, la définition du type occidental apparaît plus confuse : même s’il s’est développé en Europe et
dans le Bassin méditerranéen, ce type de ville s’inspire de modèles urbains originaires de régions
« moyens-orientales », voire « orientales » (le haut plateau iranien, la Mésopotamie, la vallée du fleuve
Indus, l’Egypte …) » (p. 10).
54
région de Sumer, de Babylone et d’Assur montrent clairement une évolution graduelle
pour arriver à un réseau plus hiérarchisé de voies et à un ordonnancement plus
rigoureux des quartiers d’habitations. Mais c’est Dour-Sharroukin et Babylone comme
Villes-Empires qui expriment avec force un ordre géométrique. L’organisation de Dour-
Sharroukin laisse penser à un système organisé de voies principales dont les
croisements en angle droit s’élargissent pour former un espace dédié au marché que les
archéologues désignent par place. Babylone, quant à elle, se caractérise par un
urbanisme plus complexe dont « l’axe principal de la grande voie sacrée constitue la
première grande voie de prestige du monde antique » (Atlas, 1978, p. 87).
L’urbanisme babylonien associe les traditions sumériennes aux principes assyriens. Les
caractéristiques en sont l’ordre géométrique d’ensemble, la position centrale du
sanctuaire, l’implantation excentrée des palais. Les voies principales sont disposées
selon une trame géométrique, alors que les quartiers des maisons agglomérées sont
agencés sans principes systématiques d’organisation. Avec Babylone, comme Ville-
Empire, la subordination des cités vaincues favorise l’émergence d’une architecture
ornementale qui marque l’ensemble des constructions publiques. Les lieux de culte et
les palais se multiplient et conduisent à un urbanisme complexe. Ainsi « les enceintes
s’interpénètrent et servent d’appui à une majestueuse structure de places et de voies
grandioses. Les places fonctionnent comme des seuils qui marquent les différents
franchissements des remparts » écrit Voisin (2001). Ce modèle urbain se généralise
dans les villes satellites de ces grandes Villes-Empire. Il influencera les cités d’Asie
Mineure, les grandes villes indiennes et égyptiennes. Ce modèle annonce déjà les traits
que prendra l’espace urbain dans la Rome impériale souligne Michel Ragon (1985,
p. 24-25).
La cité mésopotamienne est, dans son ensemble, l’espace du Roi et comme une
extension du palais. Quelles que soient les évolutions qui ont menées à l’avènement de
l’espace véritablement public, la place en tant qu’espace physique qui s’exprime par
l’élargissement de voies semble avoir existé avant l’agora grecque ou le forum romain.
La genèse des « polis » (Cités) d’Athènes et de Sparte remonte au VIIe avant J.C. Les
cités grecques sont souvent des villes portuaires. Les premières cités sont érigées sur les
hauteurs. Elles comprennent une acropole accompagnée d’une cité basse et une agora
qui constitue le centre de la vie sociale et politique de la cité et de sa région. La défense,
le service et la beauté sont les principes majeurs qui régissent leur édification. La
construction des temples et des édifices publics au niveau bas accordent à l’acropole sa
fonction définitive (Delfante, 1997 ; Thiberge, 2002). Dans la cité grecque, c’est « avant
tout l’ordre politique et religieux» qui institue la ville, même si d’autres préoccupations
comme l’orientation des édifices, le rapport au relief, à l’exposition aux vents ou au
55
soleil sont pris en compte, d’où une variété de morphologies urbaines (Paquot, 2009,
p. 69).
L’urbanisme grec suit d’abord les traditions existantes et s’appuie sur le synœcisme, la
réunion de villages ou bourgs en un point central de la région, et puis se développe,
partant de Milet, sur le système hippodamique régulier, qui associe à la fois ordre
géométrique et adaptation au site (Atlas, 1978 ; Delfante, 1997 ; Paquot, 2009). Si l’on
doit se référer à une ville qui illustre un modèle formalisé par excellence, c’est bien à
Milet qu’on attribue ce type de plan. Ce qui caractérise Milet c’est la régularité de son
tracé. Selon Charles Delfante (1997), elle est la première ville pensée géométriquement
sur un fond de grille orthogonale. Dessinée par Hippodamos15, son territoire est divisé
en trois parties : une consacrée aux dieux (espace sacré), une à la vie publique (avec les
combattants) et une consacrée à la propriété privée (avec les agriculteurs). Les deux
premières étant conçues comme les éléments principaux de la cité qui appartiennent au
domaine commun et s’ajustent à la grille en occupant plusieurs îlots. La formalisation
de l’espace est une pratique qui se développe à la recherche des perspectives par la
construction d’axes majeurs et d’une architecture publique ornementale dont les
proportions sont empruntées au corps humain (Delfante, 1997 ; Thiberge, 2002 ; Paquot
2009).
15
Hippodamos, un meteôrologos (spécialiste des phénomènes célestes) du Ve siècle av. J.-C. et urbaniste
avant la lettre.
56
L’urbanisme et la civilisation urbaine romaine continuent le système hippodamique, et
doivent leurs essors aux Etrusques (peuple du centre de l’Italie) et aux Grecs.
L’influence de l’urbanisme grec dans la recherche de l’ordre et de l’harmonie est très
présente dans la construction des villes, mais les Romains apportent une dimension
supplémentaire qu’est l’ordre cosmique. La fondation d’une ville romaine adopte un
rituel emprunté par les Etrusques, qui détermine les principes d’organisation urbaine :
le tracé des axes nord-sud – du cardo – et est-ouest – du decumanus (voie sacrée) –,
divise la ville en quartiers réguliers et indique l’emplacement des portes. Au croisement
se développe le forum qui est préparé dès la fondation de la ville (Delfante 1997,
Thiberge 2002). Ces deux axes qui structurent la ville romaine suivant un plan
orthogonal en échiquier n’excluent pas toutefois « des chemins de traverse, des
impasses, des escaliers, des voies courbes, selon la topographie des lieux » précise
T. Paquot (2009, p. 72).
Le forum constitue l’aire des activités publiques dédiées aussi aux loisirs des citadins. Il
n’est plus l’espace du débat et de discussion, fonction que remplissait l’agora grecque.
Celle-ci perd de sa fonction démocratique et se transforme dans l’urbanisme romain en
un espace d’ostentation qui s’enrichit d’édifices publics composés de temples et de
portiques. L’ensemble fortement architecturé est relié aux lieux de spectacle comme les
cirques, les odéons et les amphithéâtres (Delfante 1997, Thiberge 2002). Le forum
exalte par son ampleur formelle et architecturale la puissance de la Rome impériale. Il
annonce les traits que prendra la place comme une arène de l’univers public dans la ville
sous influence romaine. C’est à l’urbanisme romain que l’on doit le principe du plan en
damier à la stricte géométrie et de la place comme espace de représentation publique,
qui s’est répandu depuis comme un référent majeur dans l’édification d’un lotissement,
d’un quartier ou d’une ville.
57
abandonnées aux profits de nouveaux centres. De la cité antique, ne subsistent souvent
que quelques infrastructures comme la rue principale et les murailles.
L’accomplissement apparent des prophéties apocalyptiques dans l’agitation politique et
sociale de cette période aurait servi à renforcer le rôle de l’église comme protectrice des
villes, et de la ville comme un reflet de l’ordre divin (Guidoni, 1981 ; Delfante, 1997 ;
Thiberge, 2002 ; Canniffe, 2008). De ces premiers temps de conflits produits par les
menaces internes et externes, et à travers un long processus de développement qui a
duré mille ans, émerge l’arène de l’univers public comme espace urbain clairement
défini avec ses tours, portiques et arcades : la place.
Le bas Moyen Âge, du XIIIe et XIVe siècle, marque le passage « de la ville de Dieu à la
ville de l’homme » (Canniffe, 2008). L’organisation de la ville est ainsi imprégnée par
les oppositions des pouvoirs notamment entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux et
par la multiplication des places qui en découle (Delfante, 1997 ; Thiberge, 2002 ;
Canniffe, 2008). Eamonn Canniffe (2008) remarque à propos des places italiennes que
ces espaces s’identifient peu à peu comme l’image définitive de l’urbanité politique.
La seconde se superpose sur des sites préexistants et inscrit son développement dans le
plan en damier originel, en lui juxtaposant un plan radioconcentrique. Les places, quant
à elles, explique André Sauvage, « ne sont pas les endroits récupérés sur de quelques
forums antiques, mais bien les lieux où les dynasties familiales opposées à la commune,
puis vaincues, avaient leurs propriétés ». Ainsi, elles se sont formées au fur à mesure de
la récupération des propriétés conquises en intégrant progressivement des abbayes et les
faubourgs. C’est la raison qui explique leur irrégularité (Sauvage, 2001, p. 24).
La troisième appelée ville Neuve ou Bastide, fondée au bas Moyen Âge (XIIe – milieu
XIVe siècles), s’érige sur un plan d’une trame géométrique orthogonal en damier et
58
dans lequel s’organise une place de forme régulière proche du carré. Cette typologie se
concentre surtout dans le Sud-ouest de ce qui sera la France, mais elle s’installe aussi
dans l’Europe du Nord. Son tracé semble être le descendant naturel de l’urbanisme
hyppodamique. Ce plan constitue les prémisses de l’ordre urbain de la période
« classique » et de ses places royales, et préfigure aussi les traits que prendra
l’urbanisme de lotissement développé au XIXe et au XXe siècle.
De cette tentative de classification, l’on retient, qu’en Europe les villes du Moyen Âge,
excepté les Bastides, ont évolué vers un urbanisme souvent difficile à reconstituer en
raison de la profonde transformation des tracés urbains antérieurs et des influences
diverses subies entre IVe et XIVe siècles (Guidoni, 1981 ; Benevolo, 1983). L’espace de
la ville en tant que lieu de représentation des pouvoirs s’est complexifié en faveur de
plusieurs centres dont chacun porte une vocation soit religieuse, civile ou économique
de l’espace. « La cathédrale comme le palais ou le château ordonnent symboliquement
l’espace et la distribution des pouvoirs », affirme Charles Delfante (1997). C’est le
début de la spécialisation de l’espace en « type ». Les villes médiévales de l’Italie telles
que Sienne, Florence, Padoue et tant d’autres sont des exemples qui illustrent par
excellence l’urbanisme du Moyen Âge dans lequel place de l’église, place communale
et place du marché le plus souvent se distinguent fortement par des formes urbaines et
architecturales propres dans l’espace urbain. Ces aspects sont fortement argumentés par
Eamonn Canniffe dans The politics of the piazza (2008), où l’auteur examine, à travers
l’histoire, l’impact du fait politique dans la structuration des places italiennes. Tout
en situant ces places dans leurs contextes politique et social, Canniffe met en évidence
le développement des différents types caractéristiques de forme urbaine italienne. Il
relève la forte recherche d’unifier des éléments souvent disparates pour créer des
complexes urbains de palais, loggias et places par un système d’ordonnancement
géométrique qui définit l’espace urbain. Il précise que le rôle de la perspective visuelle
est le mécanisme par lequel un tel ordre pourrait être révélé, et que ce dernier dominera
la conception de la ville dans les quelques siècles qui suivent, notamment à l’époque de
la Renaissance (Canniffe, 2008). Charles Delfante écrit à propos de l’urbanisme du
Moyen Âge que ce sont des principes, précis et intentionnels, qui ont réalisé la globalité
de la cité médiévale et que la force de ces principes a été susceptible de contrôler
l’espace interne, de maintenir son unité lui assurant une permanence historique
(Delfante, 1997).
1-2-2-2 La place dans la ville arabe : les espaces sont-ils des non-places ?
Un bon nombre de théoriciens de la ville partagent la réflexion que la place publique est
plus attribuée à la tradition de la ville occidentale qu’à celle de la ville orientale (Allain,
2004 ; Pardo 2009). D’autres se posent même la question de savoir s’il y a des espaces
publics dans les villes arabo-islamiques traditionnelles ? (Raymond, Beyhum, David &
59
Wirth, 1997). Ces affirmations ou questionnements que se posent les historiens,
géographes, orientalistes, etc., sur le rôle de l’espace public dans le monde arabe nous
conduit à étudier leurs propos et à tenter d’explorer si la place publique appartient
fondamentalement à la culture européenne ou si elle a pris d’autres formes dans les
villes de ce qu’on nomme l’Orient islamique.
Les débats qui gravitent autour de la question de la notion de l’espace public nous
incitent à s’interroger sur la pertinence que prend cette notion dans les villes « arabes ».
Le recours à la terminologie utilisée par des chercheurs telle que ville « arabe », ville
« islamique » ou ville « orientale » pour désigner la ville traditionnelle du Maghreb
revêt une ambigüité certaine et nous oblige à revenir sur certaines définitions. Peut-on
parler d’un modèle de « ville arabe » ou « ville islamique » au sens de l’espace public?
Quelles en sont les formes ? Quels en sont les éléments constants ? Comment se
constitue l’espace du public ? La place existe-t-elle dans la ville « arabe » ? Dispose-t-
elle de spécificités propres? Les débats théoriques sur ces interrogations foisonnent et
demeurent toujours d’actualités.
Janet L. Abu-Lughod (1987) apporte une contribution importante sur ce qui constitue
l’essence même de la ville « islamique ». Dans une démarche qui s’appuie sur la
déconstruction du modèle de la « ville islamique », en critiquant l’approche statique et
a-historique des orientalistes, elle propose un modèle analytique dynamique qui relie la
ville à l’histoire et à son espace géographique. Elle définit trois éléments fondamentaux
qui ont mis en œuvre les processus de fondement des villes traditionnelles dans le
monde arabo-islamique : celui de la distinction entre les membres de la Umma (les
Musulmans) et les Etrangers, qui a conduit à la distinction juridique et spatiale par un
système de rapport de relations de voisinages ; celui de la ségrégation des sexes, qui a
donné lieu à une organisation matérielle et de pratiques particulières des espaces ; et
celui d’un système légal qui laisse à la responsabilité des voisins l’adjudication des
droits de jouissance mutuels sur l’espace et sur l’usage (Abu-Lughod, 1987, p. 172).
Dans ce système fondé à la fois sur la distinction des quartiers, sur la séparation des
sexes et sur le droit de jouissance de l’espace que chacun peut utiliser pour ses besoins
propres, l’espace de la ville islamique est d’accès limité et, de ce fait, ne peut être
considéré comme un espace collectif où règnerait le domaine public16.
16
Enrico Guidoni, dans sa lecture du tissu urbain islamique, argumente schématiquement que les rues se
composent de trois groupes qui correspondent à des fonctions différentes, et qui « espacent » du domaine
public au domaine privé en se distinguant progressivement par leur largeur, leur dessin et leur désignation
toponymique : Le sharî, les durub et les azzika. Le shâri est la rue principale large qui traverse la ville où
se trouvent la mosquée et le souk, c’est l’espace le plus public. Les durub sont les rues secondaires qui
accèdent au quartier dont on peut fermer par une porte ; ce sont des espaces semi-publics, appartenant à
des groupes biens déterminés (une famille, une ethnie) : leur fonction est, selon les cas, publique ou
privée. Les azikka, sont des voies sans issue, totalement privées, qui desservent les habitations d’une
même famille et que l’on peut aussi fermer à son point de contact avec les durub (Guidoni, p. 59).
61
Nabil Beyhum et Jean-Claude David (1997) en prolongeant cette réflexion,
s’interrogent sur ce que représentent les espaces publics dans les villes arabes et en
particulier ceux du Moyen-Orient. Ils se posent la question de savoir si « l’inexistence
des espaces publics dans les villes arabes, ou leur marginalité, est une donnée stable -
culturelle au religieuse selon les auteurs- ou elle est variable, en fonction des
circonstances historiques » (p. 193). Ils admettent volontiers le point de vue des
orientalistes qui ne reconnaissent pas les espaces publics de la ville arabe dès lors qu’ils
considèrent que « la notion d’utilité publique comme de celle de propriété commune ou
collective » n’existe pas, et que le statut de la propriété privé est mieux défini que celui
de l’espace commun considéré comme non approprié. Ainsi, les rues ne sont là que pour
assurer la circulation adaptée aux flux des usagers et la distribution en impasses des
quartiers. Ces deux auteurs précisent cependant que « si l’espace public dans ses
multiples acceptions liées à sa définition et à sa pratique en Occident, semble ne pas
exister dans les villes arabo-islamiques traditionnelles », il existe bien « des lieux de
l’échange, de la communication, de la négociation des différences, du rapport au
politique » (p. 195). Ils émettent l’hypothèse que l’espace du « public » est centré sur le
souk, espace certes différent de celui des villes d’Europe, mais ouvert par son système
de pratiques commerciales et sociales spécifiques, un lieu de rencontre neutre, non
communautaire. Ils rappellent, dans ce contexte, que l’opposition entre public et privé
est à distinguer de celle exprimée dans la pensée philosophique occidentale. Le public
est généralement d’accès limité qui varie selon les temporalités et les particularités
culturelles des villes dans lesquelles elles s’expriment, précisent-ils (p. 196).
Eugen Wirth (1997) examine le rapport entre le domaine public et le domaine privé et
met en évidence l’importance de la « vie privée en tant que dominante essentielle » dans
l’organisation des espaces de la ville de l’Orient islamique ; une vie privée autrement
plus prépondérante dans les villes du Maghreb. Il considère que la ville de Fès est le cas
le plus extrême de cette « tendance à la privatisation ». Il écrit que ce qui caractérise la
ville islamique, c’est bien la mise en valeur du caractère privé par rapport au caractère
public. Dans cette perspective, la représentation et l’effet « public » ont très peu de
poids et les domaines publics sont donc réduits en conséquence. Les souks et l’espace
central sont dans la ville marocaine particulièrement effacés et sans prétention
architecturale. « Les axes de circulation sont considérés que comme une nécessité
économique et non comme un lieu public digne d’être façonné », remarque-t-il.
L’auteur note, néanmoins, une différence notable dans le traitement des espaces entre la
ville marocaine et les villes de l’empire ottoman ou des hauts-plateaux iraniens. Dans
ces dernières, les domaines publics paraissent revêtir un peu plus d’importance : souks,
bazars, mosquées, axes principaux et ensemble de places sont non seulement des
espaces souvent hautement architecturés mais constituent aussi des espaces de
représentations publiques. Toujours Wirth (1997) considère que cette différence relève
probablement des particularités culturelles ainsi que des modèles auxquels elles se
62
réfèrent. Il explique que ces villes semblent avoir gardé et préservé quelques traits
hérités de l’antiquité classique gréco-romaine et de la culture byzantine dans lesquelles
les bâtiments et les domaines publics occupent une place importante.
De ces différents points de vue sur les traits spécifiques qui caractérisaient les villes du
Proche et Moyen-Orient (islamique), il apparait que nombre d’auteurs avancent
l’existence d’un modèle arabo-islamique pour ce qui concerne les faits de structure les
plus généraux des villes. Ces auteurs montrent aussi des différences, des variations en
termes de rapport public-privé et son incidence sur l’usage des « espaces publics », sur
leurs caractéristiques matérielles et sur leurs représentations. De ces diversités urbaines,
un point commun semble surgir, celui de la notion d’espace communautaire qui permet
de créer une catégorie intermédiaire permettant d’appréhender les divers lieux de
regroupement dans la ville islamique. Un espace en somme qui se situe entre espace
privé et espace public, qui peut être religieux, ethnique, linguistique, tribal, des femmes,
des hommes.
Sur la question de l’espace public dans les villes du Maghreb, les études menées sur les
systèmes urbains dans le monde arabe révèlent par contre qu’il n’est pas pertinent de
parler de ville « islamique », du fait que l’aire géographique islamique (territoire des
pays musulmans) s’étend de l’atlantique à l’Asie central (du Maroc à l’Indonésie) et est
composée de cultures, d’écologies et de géographies différentes (arabe, perse, …). Ces
travaux montrent de surcroit qu’il n’est pas opportun de parler de ville proprement
« arabe » quand l’existence de variantes régionales à l’intérieur du monde arabe n’est
plus à démontrer. Les substantifs Maghreb (Occident) et Machrek (Orient) indiquent
bien deux aires régionales différentes de par leur situation géographique, leur culture et
leur histoire. « Pour les Arabes et les Orientaux, la Berbérie de la Tunisie au Maroc,
c’est le Maghreb, le pays de l’Occident » note C. Kehl, (1942, p. 17). Une
différentiation est aussi observée dans une même aire géographique. Au Maghreb, par
exemple, les appellations médina (ville) ou casbah (citadelle) pour les villes du Tell et
ksar (palais, château) pour les villes du Sahara illustrent parfaitement l’influence des
spécificités écologique, historique et culturelle locales sur leur organisation urbaine17.
La réponse de Nassima Dris (2001), discutant sur la casbah d’Alger, nous parait
pertinente, elle écrit : « Ne s’agit-il pas plutôt d’une organisation urbaine dont les
espaces régissent un ordre social traditionnel fondé sur les principes de la culture locale
dans laquelle s’entremêlent des référents à la culture arabe, à l’Islam comme une règle
de vie, et des spécificités écologiques locales ? » (Dris, 2001, p. 50). En ce sens,
17
Jean-Claude David (2010, p. 686), à propos des termes madîna et de qasaba (ou Casaba), souligne
qu’ils ont « évolué d’une façon comparable mais à des rythmes différents et avec des spécialisations
géographiques diverses : les préférences pour l’un ou l’autre des termes qui ont évoqué la ville sont aussi
régionales ». (cf. David, 2010).
63
décrypter les spécificités de la ville arabe devient extrêmement complexe et ne peut se
faire par rapport à un idéal, qui est le plus souvent une référence orientaliste, d’un
système urbain organisé autour d’une centralité exprimée par le binôme mosquée-souk
qui constitue l’élément fondamental et unique de l’espace public.
L’organisation urbaine de la ville du Maghreb peut, ainsi, s’expliquer par ses facteurs
géographiques et ses spécificités culturelles et surtout par rapport à son organisation
sociale régie par la djemaâ. Celle-ci est une institution et son interprétation urbaine est
l’espace où se réunissait l’assemblée des notables qui, précise N. Dris (2001), examinait
les lois canoniques de la religion musulmane pour gérer les intérêts de la communauté.
L’espace de la djemâa sous forme de place est fortement plus présent dans les villes du
Sahara (ksour) que dans les villes du Tell (casbah, médina) et qui s’explique
probablement – et ce n’est là qu’une hypothèse – par le fait que ces dernières ont été
oblitérées par plusieurs siècles d’évolution urbaine rythmée par les conquêtes et les
reconquêtes successives de toutes les dynasties qui se disputaient le pouvoir dans le
Maghreb septentrional. La place djemaâ el F’nâa de Marrakech, et plus encore la place
de Béni-Izgen de Ghardaïa, toutes deux certes à des degrés différents des villes à
référant saharien, sont des exemples pertinents qui contredisent la thèse selon laquelle la
ville arabe est organisée exclusivement autour de la centralité du couple mosquée-souk
et dépourvue de places.
Dans cette même perspective, on peut arguer que la centralité liée au sacré est antérieure
à l’arrivée de l’Islam. Cela explique, peut être, pourquoi bon nombre d’historiens de la
ville n’évoquent pas la ville arabe dans leur ouvrage respectif. Les auteurs indiquent,
d’une manière générale, que la ville s’organisait autour d’un espace central, siège du
pouvoir et de la religion, et qui trouve son origine depuis les premières cités fondées en
Mésopotamie. La centralité autour de l’espace sacré n’est pas propre à la ville « arabe »
ou « islamique ». Elle concerne en effet, la dimension plus universelle du fait urbain.
Cet exemple, qui demande d’être analysé plus scrupuleusement, illustre bien
l’inexistence d’un modèle unique d’organisation de la ville islamique dont l’espace
public s’appuierait uniquement sur une étroite relation mosquée-souk. Et ce, bien des
travaux ont montré que ces deux composantes ne sont pas nécessairement liées ni dans
les formes, ni dans les usages et qui confirment la diversité des dispositions urbaines.
65
s’ouvre sur de longues perspectives monumentales limitées par un édifice majeur
(Lavedan, 1982 ; Delfante, 1997 ; Giovannoni, 1998 ; Thiberge 2002). Cet urbanisme
marque significativement l’art urbain de cette période. Il s’exporte à la faveur de la
conquête de l’Europe du nouveau monde et s’impose comme principe fondamental
d’établissement des nouveaux organismes urbains. Les villes d’Amérique latines
entièrement planifiées, selon les célèbres directives rédigées dans une loi de 1573 par
Philippe II d’Espagne, sont des illustrations manifestes du principe de l’urbanisme
s’appuyant sur un plan en damier dont les rues sont subordonnées à une place centrale
sur laquelle s’ouvrent l’église, la maison municipale, les demeures des plus riches
colons et marchands (Gildhodes, 1982 ; Benevolo, 1983 ; Tribillon, 1990). Cet
urbanisme pourrait aussi provenir des règles de la tradition médiévale des villes neuves,
comme les bastides française et les poblaciones espagnoles, précise Leonardo Benevolo
(1983).
Une des réussites marquantes de cette période est le plan de Sixte Quinte pour la ville de
Rome, initié par son prédécesseur Sixte Quarto, qui est parvenu à ouvrir des grandes
voies jalonnées d’obélisques, créer des liaisons entre les édifices majeurs et proposer
l’organisation des différents quartiers. Ce plan sera considéré comme le premier plan
d’urbanisme de la « ville éternelle ». Cette démarche évoluera vers les places centrées
sur le monument, ce que feront les Baroques et les Classiques (XVIIe et XVIIIe) et plus
tard Haussmann (XIXe) (Delfante, 1997 ; Thibberge, 2002).
L’âge des Lumières voit apparaître des traités d’architecte pour la ville « idéale ». Bien
avant, le premier est rédigé par Battista Alberti (1404-1472) le De re aedificatoria. Ce
dernier est lui-même inspiré par les Anciens et notamment par le De architectura de
Vitruve, théoricien romain tardif de l’aménagement des villes. Palmanova en Italie est la
ville par excellence des cités réalisées sur un plan radioconcentrique d’une grande
rigueur géométrique selon les théories de la cité idéale où la place occupe l’espace
central (Delfante, 1997 ; Giovannoni, 1998 ; Thiberge, 2002).
66
Comme il y a eu des villes idéales, il y a eu des places idéales. Les places ont fait l’objet
de traités divers rédigés par de grands architectes : Leon Battista Alberti ou Andrea
Palladio. « Le dessin du périmètre doit faire apparaître une ambiance fermée en
réunissant les édifices avec des arcades », prétend Palladio qui recommande « une
position ou une forme se démarquant du tissu urbain, des systèmes de proportions et de
dimensionnement et d’attribution de fonctions» (Delfante 1997). Des éléments de décor
ajoutent à l’espace place une valeur artistique : la fontaine, la statue, la colonne, l’arc de
triomphe en sont les principaux (Lavedan 1954 ; Delfante 1997 ; Giovannoni, 1998 ;
Thiberge 2002).
18
C’est le sujet même du livre de Jürgen Habermas (1962), L’espace public, et le support de celui de
Richard Sennett, Les tyrannies de l’intimité (1974), même si ce dernier le traite d’un tout autre point de
vue : celui de la civilité.
67
Les réalisations urbanistiques du XVIIe et XVIIIe siècles correspondent, toutefois, plus à
une volonté de décor pour les classes bourgeoises dominantes qu’à une résolution des
problèmes cruciaux auxquels les villes étaient confrontées : ceux de la circulation, de
l’entassement et de l’insalubrité. Le plan des Artistes, dessiné pour Paris en 1793 par
une commission révolutionnaire, essaie de compenser ce défaut. Des voies y sont
prévues reliant entre elles des places, des monuments, sans tenir compte de la nature des
tissus urbains à traverser (Delfante, 1997 ; Thiberge, 2002). La stratégie du Plan des
Artistes annonce les grandes opérations menées au XIXe siècle, qui transformeront les
grandes villes européennes : Londres (1848-65), Vienne (1857), Barcelone (1859), Paris
(1853-69) et Bruxelles (1867-71), rappelle Marianne Brausch (1980).
68
1-2-4 La place dans l’urbanisme contemporain
La ville du XXe siècle est, en effet, en complète opposition avec le système urbain
antérieur. Philippe Panerai & al. écrivent que « de même que les villes idéales de la
Renaissance exprimaient le refus de l’ordre urbain du Moyen Âge, appelé désordre, la
« Cité Radieuse » exprime le refus de la ville » (2006, p. 139). En ce sens, les nouveaux
principes du mouvement moderne pour la ville idéale qui se déclinent en quatre
fonctions séparées – habiter, travailler, se divertir et circuler – rejettent l’espace urbain
traditionnel en tant qu’ « espace creux » porteur de vie urbaine. L’articulation îlot – rue
– place que constitue le tissu urbain depuis l’antiquité, s’altère au détriment du
bâtiment-objet isolé dans l’espace dont l’unité d’habitation constitue l’élément majeur.
Le langage architectural et formel se simplifie et se répète grâce à l’apport
technologique en termes de matériaux et de système constructif qu’est la préfabrication.
Cet urbanisme moderne qui se veut « un urbanisme du peuple » ne sert plus le prince. Il
travaille pour le commun, pour le citoyen ordinaire, précise Tribillon (2002). Ainsi la
place en tant qu’espace de représentation du pouvoir n’a plus raison d’être. Elle se
transforme au profit de vastes espaces ouverts récréatifs pour le plus grand nombre.
Cette pensée se concrétisera avec vigueur après la deuxième guerre mondiale quand le
besoin en logements devient important. Les villes nouvelles et les grands ensembles
sont, comme le dit bien T. Paquot (2009), les « sinistres avatars » de la ville du XXe
siècle.
L’espace ouvert va se révéler problématique dès lors qu’il ne constitue pas, de par son
échelle et sa composition formelle, un espace viable pour la pratique. Plusieurs
théoriciens soutiennent l’idée que l’espace urbain traditionnel est vécu comme espace
69
public car il se présente comme suffisamment clos et engendre « du fait même de ses
dimensions, une échelle du bâti en rapport avec ses usages multiples » (Thiberge,
p. 141) 19. Ce concept d’enclos disparaît au profit du principe de l’espace ouvert et libre
de l’urbanisme moderne. Cet espace ouvert est devenu un no man’s land pour ses
habitants. Un espace vide de sens. Réduit à la fonction de desserte, il ne constitue plus
une composante fondamentale de la fabrique de la ville, rétorquent farouchement tous
les antagonistes de l’urbanisme moderne.
Ceux qui préconisent le retour de la place publique au canon classique de la ville sont
ceux qui appartiennent au courant de pensée rationaliste que Charles Jencks (1991)
désigne comme le « post modernisme » ou « classicisme nouveau » qui se définit par un
traitement libre du vocabulaire de la tradition. C. Jencks explique que ce mouvement « a
émergé en partie grâce au fait que ses représentants ont découvert la nécessité – le fait
que, si les archétypes et les universels sont incontournables, autant les articuler ou les
transformer en un art conscient de la représentation » (1991, p. 41). Porté
principalement par les Anglo-saxons dont le prince Charles est le fervent défenseur, le
post-modernisme a pour règle privilégiée le retour du centre absent. Beaucoup s’en
servent pour créer un plan centré autour d’une ou plusieurs places qui montrent
clairement leur désir d’espace communautaire. Les architectes Robert et Léon Krier le
pratiquent à partir des années 1970, particulièrement en Allemagne, et se consacrent à la
19
Camillio Sitte, Paul Zucker, Frédéric Gibberd, pour ne citer que eux, sont les principaux auteurs qui
développent le concept de « l’enclos ». Ce concept sera expliqué plus bas.
70
typologie pour recréer la complexité des villes du passé. Ricardo Bofill l’aborde
explicitement dans les années 1980 dans son projet du quartier d’Antigone à
Montpellier et puise ses référents dans le répertoire de l’urbanisme classique, afin de
reconstituer des places à l’image de celles qui correspondaient autrefois aux places
royales. Cependant, pour bon nombre de théoriciens et praticiens de cette pratique reste
fantaisiste et désuète au regard des besoins toujours changeants de la société
contemporaine.
Combien même les projets urbanistiques ne sont pas toujours concluants en termes de
qualification urbaine, tous témoignent cependant de la volonté de réinventer de
nouveaux espaces urbains susceptibles de restaurer la vie urbaine. C’est au projet urbain
qu’on affilie cette nouvelle pensée sur l’espace public qui s’intègre dans une démarche
de réflexion globale sur la ville où celui-ci devient l’élément fédérateur. Partie de
Bologne à la fin des années 1960, la notion du projet urbain est parvenue en France
depuis les années 1980 pour mettre fin à un urbanisme empreint d’une planification
20
Aux Etats-Unis, le toponyme de plaza, terme espagnol puis hispano-américain, qui évoque une
référence au modèle de la plaza espagnole, est souvent usité pour désigner des espaces publics majeurs.
Si ce terme a été introduit dans l’anglais nord-américain au XIXe siècle, il s’impose tout le long du XXe
siècle. D’abord, le terme plaza est associé au mot hotel pour désigner un hôtel de luxe tel que Plaza
Hotel construit en bordure de Central Park (1890), puis il se répand lentement dans son acception
« d’esplanade ouverte au public » comme celle de Rockefeller plaza (1932), Ensuite, suite à l’ordonnance
new-yorkaise de zonage de 1961, il est associé aux espaces ouverts au public situés au pied des tours de
Manhattan, embellies d’œuvres d’art ou de fontaines, et de quelques bancs. Mais ce terme a aussi connu
un usage moins noble et consumériste: shopping plaza. Il est ainsi associé aux centres commerciaux bâtis
dans les suburbs et utilisé dans tous les Etats Unis et au Canada. Sur le long chemin accompli entre la
plaza mayor d’Espagne et les usages nord-américains, voir Christian Topalov dans L’Aventure des mots
de la ville (2010), pp.939-945.
71
spatiale profondément fonctionnaliste et technocratique et asseoir une approche plus
respectueuse aux spécificités de la ville et plus ouverte aux débats et aux négociations
(Carrrière, 2001 ; Avitabile, 2005 ; Masboungi, 2007 ; Ingallina, 2008 ; Pinson, 2009).
Le projet urbain suggère non seulement de requalifier les espaces publics pour recréer
du lien social mais aussi de rétablir le travail de l’urbaniste, de l’architecte dans une
conjoncture profondément mondialisée où la concurrence entre les entreprises, entre les
villes devient le leitmotiv de développement des territoires urbains (Ingallina, 2008 ;
Masboungi, 2007 ; Avitabile, 2005 ; Carrière 2001). C’est dans ce contexte que la
réalisation d’édifices majeurs mises en valeur par des parvis, des esplanades ou des
places, comme indiqué ci-dessus, est devenue une pratique très répandue de
revalorisation urbaine. Ce sont des projets iconiques, souvent portés par des grandes
stars de l’architecture, qui servent d’outil de marketing urbain et territorial. C’est ce qui
fait dire à Ariella Masboungi (2008) que la requalification urbaine par l’espace public et
l’équipement culturel a constitué un véritable « levier de régénération économique et
sociale » de nombreuses villes européennes à partir des années 2000. Cette pratique du
projet urbain a eu une influence appréciable sur la rive sud et notamment sur les villes
maghrébines, marocaines en tête (Carrière, 2001 ; Barthel, 2006 ; Cattedra, 2010).
Beaucoup de projets urbains, cependant, sont plus annoncés que réalisés. Mais si au
Maroc et quelque peu en Tunisie, la démarche du projet urbain semble s’appuyer sur
une forme de requalification des espaces de la ville, en Algérie, en revanche, elle
demeure peu présente dès lors que les pratiques urbaines sont encore imprégnées par
une planification technocratique et fonctionnaliste dans laquelle le logement demeure
l’épine dorsale dans la fabrique des espaces de la ville, ainsi que nous le verrons dans le
chapitre 5.
Dans cette lecture rétrospective de la place et de ses modèles et types inhérents, un long
chemin a été donc parcouru entre l’élargissement des voies et les usages contemporains.
La place dans les villes a toujours incarné la représentation du pouvoir (du Prince, de la
Monarchie, du politique). En ce sens, elle a eu une fonction éminemment élitiste et se
donne ainsi à voir par sa forme, son architecture et son décor. Dans les toutes premières
cités antiques de l’Ancien Orient, s’esquissent des places ouvertes à l’intersection des
axes principaux ou au seuil des temples monumentaux. Partant de là et jusqu’au début
du XIXe siècle, avant l’avènement de l’urbanisme moderne qui s’est répandu un peu
partout dans le monde, les villes de l’Occident européen et les villes de l’Orient
musulman ont connu des trajectoires bien différentes en termes de formes d’espaces
urbains et de leurs pratiques.
72
En Europe, la place semble suivre son chemin vers un espace de rassemblement incarné
par l’agora, puis vers un espace d’ostentation et de loisir aux pieds de temples et
édifices publics, que représente le forum de l’urbanisme romain. Ensuite les places
commencent à se multiplier en faveur d’une séparation du pouvoir religieux et du
pouvoir civil dans le Moyen Âge, pour revêtir d’un espace d’exaltation et de décor qui
symbolise la Monarchie absolue dans la Renaissance. Ici la place atteindra son apogée
en termes de forme rigoureusement géométrique, de composition grandiose et
d’architecture monumentale. Puis, avec la révolution industrielle la place a tendance à
devenir fonctionnelle et se diversifie en fonction du rôle qu’on lui assigne dans l’espace
urbain, pour disparaitre peu à peu aux profits de grands espaces libres de la ville
moderne qui se veut sociale et égalitaire. Enfin, après un long temps d’abandon, elle
renait à la faveur d’un espace urbain accessible à tous, où l’être ensemble est recherché
pour retisser le lien social en crise. Par cet espace public reconquis, Françoise Choay
propose l’idée « d’espace de branchement », dira Thierry Paquot (2009), où
l’articulation de la tradition classique avec certaines idées fondatrices du modernisme, a
fourni une pluralité d’approches à la fabrication de nouveaux espaces publics plus
adaptés aux conditions actuelles de l’homme libre qui exprime son « droit à la ville »
(au sens de Henri Lefebvre (1968)) et aspire à des espaces plus agréable à vivre.
Mais ce regain d’intérêt à l’espace public ouvert à tous ne manifeste t-il pas par « la
prégnance culturelle du modèle mythique de l’idéal-type de la place publique ? Celle-ci,
dérivée en cela du mythe de l’agora et du forum, constitue pour beaucoup la cadre
matériel idéal de la réalisation parfaite de la discussion citoyenne, libre et équitable »
s’interroge Michel Lussault (cf. Levy & Lussault, 2003). En effet, l’intervention sur
l’espace de la ville se traduit par le retour en force de l’art urbain incarné par la place
qui reconquière les toponymes d’autrefois. Place, parvis, esplanade, promenade, mail
constituent des avatars et redeviennent la pierre angulaire de la construction de la ville
d’aujourd’hui.
73
donnent à voir par leur monumentalité et leurs expressions architecturales sont soit ceux
du prince, soit du religieux. Les espaces de représentation se sont ainsi inversés et
s’expriment plutôt dans le domaine privé. Toutefois, des spécificités existent sans doute
à la faveur des conditions géographiques, climatiques et surtout des influences
culturelles particulières des régions où les villes s’implantent. Par exemple, dans les
villes de l’empire ottoman ou des hauts plateaux iraniens, des places formellement
construites existent bien. Dans les villes du Maghreb qui n’ont certainement pas subi les
mêmes influences, et dans lesquelles le domaine privé s’y impose fortement, le droit
malékite aidant, la place a peu de présence, souligne Eugen Wirth (1997).
C’est par les conquêtes plus récentes et surtout par les colonisations du XIXe siècle que
la place et les espaces publics à l’occidental furent introduits dans les villes arabes et
d’Afrique du Nord ; ils sont devenus la règle de la fabrique urbaine. Le modèle colonial
appliqué au Maghreb s’appuie principalement sur un urbanisme de lotissement qui
précède le peuplement. Dans cette période marquée par les grands travaux de
modernisations des villes européennes et par l’importante entreprise urbanistique
haussmannienne, la doctrine urbanistique coloniale entretient, note Jean-François
Tribillon, « avec l’haussmanisme et surtout le post-haussmanisme des rapports
d’échanges étroits tant au niveau technique qu’en matière de personnels » (1990, p. 77).
Les villes sont ainsi tracées suivant une structure urbaine orthogonale percée de places
et squares et tempérée parfois, selon le relief et la géographie du site, par des diagonales
et des radiales baroques. Au XXe siècle, le modèle colonial adopte les règles de
l’urbanisme fonctionnaliste du mouvement moderne qui s’illustre par la construction de
grands ensembles et rompt avec les espaces urbains traditionnels. Cet urbanisme
colonial moderne imprègne, jusqu’à aujourd’hui encore, du moins en Algérie,
l’urbanisme qui s’est poursuivi après les Indépendances.
Après avoir tenté de mettre en évidence le rôle de la place dans l’édification de la ville,
et ce à travers l’histoire urbaine, nous retenons qu’il est important dans notre approche
d’examiner la possibilité de constituer une typologie qui s’appuierait sur les propriétés
spatiales et morphologiques des places, lesquelles permettront de comprendre les
implications sur les pratiques sociales ou les usages.
Peut-on proposer une typologie des places ? La problématique posée par la typologie est
la définition des bases sur lesquelles repose l’action de classement. Ainsi, la question
que posent C. Rose et P. Pinon (1999) s’impose : « Peut-on classer les places selon
leurs formes, leurs usages, leur position dans la ville, leurs relations urbaines avec le
réseau des rues, avec les enceintes et les portes, avec les monuments ? » (p. 20).
74
Pour les formes, la diversité est incalculable. Il y a des places de formes régulières de
création ex nihilo dessinées d’un seul tenant et géométriquement ordonnancées. Il y a de
celles qui sont de configurations irrégulières formées progressivement au grès des
opportunités ou des transformations dans le tissu urbain.
Pour les fonctions et usages, il y a des places qui ont à un moment donné un rôle précis :
place du marché, place parvis d’églises, place d’armes, place royale. Il y a d’autres qui
n’ont pas une fonction apparente. Elles sont conçues pour dégager de l’espace pour
mettre en évidence un édifice majeur ou pour aérer et structurer l’espace urbain. Cette
dernière fonction prolifère au XIXe siècle comme le montrent bien les grands travaux
d’Haussmann pour la ville de Paris, dont le modèle a influencé plusieurs villes
françaises et sans doute s’est appliqué dans les colonies.
La brève description de l’évolution historique des villes (exposée plus haut) illustre que
les places ont commencé à se diversifier à partir du Moyen-âge et qu’elles sont
devenues de plus en plus nombreuses depuis lors. Ceci dit, la classification typologique
peut se faire en fonction des appartenances historiques, des formes, des positions dans la
structure urbaine, des ordonnancements architecturaux, des usages, etc.
La dimension historique d’une place est le critère le plus difficile à cerner tant celle-ci
s’est inscrite dans la longue durée. Caroline Rose et Pierre Pinon soulignent qu’ « il y a
le temps historique de son apparition, de ses transformations, éventuellement de sa
disparition. Il y a aussi le temps des changements d’activités, d’atmosphère » (1999,
p. 10). Ces auteurs affirment qu’il est souvent difficile de dater une place car elle est
généralement le produit d’un processus lent de formation, d’évolution et de
transformation. Il y a des évolutions complexes qui aboutissent parfois à une
organisation très différente de celle voulue à l’origine. Classer des places selon cette
dimension serait une tentative plutôt vaine. En revanche, les classer en type
d’appartenance à des périodes plus longues qui ont marqué significativement
l’évolution des villes, serait à même de nous fournir des informations sur les logiques de
leur production et de leur transformation. La compréhension des formes suppose la
connaissance de leur genèse (Bertrand & Listowski, 1984 ; Rose et Pinon, 1999).
75
L’approche des places dans l’histoire de C. Rose et P. Pinon (1999) s’appuie sur la
notion de processus qui détermine trois types de vides : celui qui est réservé dans un
processus de création d’un nouveau ensemble urbain ; celui qui est conquis en sculptant
dans le tissu urbain construit existant ; et celui qui est régularisé dans un processus qui
opère à partir d’un espace préexistant. Dans ce troisième processus, il s’agit d’agrandir
et de donner une forme plus régulière à une place, qu’elle soit initialement réservée ou
conquise.
En ce sens le propos « que Léonce Reynaud faisait au milieu du XIXe siècle à propos
des villes : « Le tracé d’une ville est œuvre de temps plutôt que d’architecte » (Traité
d’architecture, 1857) » illustre la question du processus (Rose et Pinon, 1999, p. 11).
1-3-1-2 La place dans la ville : rôle dans l’espace urbain, forme et usage
J. M. Bertrand & H. Listowski dans Les places dans la ville (1984) considèrent que la
configuration d’une place dépend étroitement des canons artistiques utilisés et de son
intégration dans l’organisation générale de l’agglomération, depuis la simple
ponctuation jusqu’à la contribution à l’ossature de la ville à une vaste échelle. Une
chaîne de ponctuations, un réseau de places structurantes, peuvent être à la base de
l’ossature de la ville et constituent un squelette dont chaque pièce a son originalité tout
en ne se justifiant que vis-à-vis du reste.
La forme est indissociable à la lecture, soulignent J.M Bertrand & H. Listowski (1984)
ou à la perception, diront K. Lynch (1960) et G. Cullen (1961). L’une et l’autre ne
peuvent être décrites que réciproquement.
La lecture d’une place dans le tissu urbain et dans le paysage se fait à deux échelles : par
rapport et en relation avec la ville et par rapport à son espace propre. Pour l’échelle de la
ville, la place peut être, soit située à la convergence de plusieurs axes, soit traversée par
une ou plusieurs rues passantes ou soit établie en dehors des principales circulations,
enserrée dans le tissu urbain (Rose & Pinon, 1999). La relation de la place avec la ville
dépend aussi des « arrivées » : frontales, axiales, en biais ou latérales. Chaque situation
ménage les autres perspectives et détermine l’orientation (Bertrand & Listowski, 1984).
La deuxième échelle de lecture est tributaire de la façon dont la place est perçue depuis
son espace intérieur. Autant la lecture de la place dans la ville dépend essentiellement
des parcours, dans le sens aussi bien physique que visuel, autant celle de son intérieur
est liée surtout à sa forme et à son vécu. Il s’agit de la nature et l’inclinaison du sol, la
continuité et la discontinuité des parois, leur nature homogène ou hétérogène, l’opacité
ou la transparence, l’importance des pleins et des vides, la nature et la quantité des
éléments qui la meublent, la vie qui s’y déroule avec ses mouvements, ses rythmes, ses
ambiances (Bertrand & Listowski, 1984 ; Rose & Pinon, 1999).
76
Pour décrire une place, il ne suffit pas seulement d’énoncer des critères formels : carrée,
rectangle, ronde. Si le caractère géométrique semble être le plus évident des
caractéristiques d’une place, le caractère topologique en termes de relations qu’une
place entretient avec son environnement est aussi déterminant (Rose & Pinon, 1999).
La place est aussi définie par rapport à la configuration des parois qui la constituent, à
la nature et l’aménagement de son sol. Ainsi, tenter une typologie serait un exercice
ardu, car il y aurait autant de types de places que de places mêmes, comme en
témoignent les nombreux répertoires typologiques des places proposés par Rob Krier
(1975).
Quant au vécu, dès lors que les usages des places sont très changeants et variables aussi
bien dans la longue durée que dans les cycles plus courts, la dimension des usages est le
critère le moins adapté pour classer les places.
Pierre Lavedan, un grand historien de l’urbanisme, dans sa Géographie des villes (1936)
consacre un sous chapitre sur la place publique où il décrit brièvement les places des
villes européennes. Il écrit que la place publique est née du besoin qu’ont les hommes
de se rassembler, un rassemblement qui doit avoir lieu dans le calme, si l’on veut
négocier, discuter, converser ; et ce à la rencontre de divers courants de circulation,
mais en dehors de la circulation même. D’après cet auteur, « il en fut ainsi longtemps.
Mais aujourd’hui la place publique n’est souvent qu’un lieu de passage » (1959, p. 145).
Dans son ouvrage, il a tenté une typologie des places selon trois critères : les fonctions,
l’emplacement et la structure :
77
3) Quant à la structure, Lavedan distingue les places triangulaires, les places
carrés ou rectangulaires, les places circulaires, et celles qui sont formellement
indéfinissables. Les premières sont inhérentes au plan de ville irrégulier et donc
très courantes au Moyen-âge. Une fontaine ou le marché habitent souvent ces
espaces. Les places carrés ou rectangulaires sont des « places d’urbanisation ». De
création ex nihilo, elles sont, selon l’auteur, les plus fréquentes. L’agora grecque,
le forum romain, la Grand-Place du Moyen Âge, la place de l’Hôtel de ville, la
place Royale sont les exemples les plus marquants. La place circulaire est aussi
une place d’urbanisation mais elle est de création récente (XVIe), précise t-il. On
peut citer comme exemple la place Wilson de Toulouse, les Circus typique de
nombre de villes anglaises, notamment de Bath. Elle se multiplie en France au
XIXe comme place-carrefours, notamment sous les travaux d’Haussmann. La
place de l’étoile, place de la Nation, place d’Italie à Paris illustrent bien ce type de
places. Les places semi-circulaires (piazza del Campo à Sienne) et les places
ovales (piazza San Pietro à Rome) sont des variantes les plus significatives.
Dans cette tentative de classification, bon nombre de places ne peuvent être classées sur
le plan formel dans une catégorie géométrique précise. Il s’agit des places qui se sont
construites progressivement et ont subi des transformations à travers les âges. Les place-
carrefours sans formes définies sont aussi assez répandues et ajoutent une difficulté
supplémentaire à une possible classification.
Les places superposent souvent plusieurs fonctions: elles peuvent être à la fois places de
rassemblement, places monumentales et places de trafic. La multiplicité des formes et
des fonctions et la difficulté de saisir les genèses et les évolutions rendent souvent
confus tout essai de classification des places publiques. Néanmoins, plusieurs analystes
tentent différentes classifications typologiques en associant tel et tel critère. Par
exemple, Bertrand & Listowski (1984), en combinant forme et rôle, proposent les
descriptions suivantes : « Les places- marchés rectangulaires occupées par une halle,
créées […] sont à l’écart des voies de passage » ; « les compositions intégrées à la
trame urbaine déterminent des relations, des flux qui incitent à effectuer des
déplacements, en agissant sur la disposition d’ensemble » ; ou « les parvis
monumentaux (sont) souvent déterminés par une croisée ou un éventail de voies dont ils
sont l’aboutissement scénique, au pied d’un édifice remarquable » (p. 28).
Dans l’étude des places d’Oran, nous avons tenté d’établir une typologie qui s’appuie
sur les rôles qu’occupent les places dans l’espace urbain, en recensant des grands
groupes qui associent processus, emplacement et structure. Cette typologie est
développée dans le chapitre 3.
78
1-3-2 Conception et composition urbaines
La lecture de la réalité physique d’un lieu et de son paysage est liée à la forme et à la
lecture qui peuvent être décrites que réciproquement. Il s’agit d’identifier les
caractéristiques typo-morphologiques des places d’Oran : leur appartenance historique,
leur position dans la ville, leur rapport à la structure urbaine, leur configuration
géométrique, leur structure architecturale et leur aménagement.
Pour ce faire, ce travail sur la composition urbaine s’inscrit dans la démarche d’un
certain nombre de théoriciens qui s’appuient sur les approches morphologiques,
visuelles et perceptuelles de l’espace. Les apports de R. Trancik (1986) sur l’urban
design et ses théories, ceux de P. Pinon sur la composition urbaine (1992, 1994), et ceux
de P. Panerai & al. (1980, 1999) sur l’analyse urbaine sont d’une contribution précieuse
pour l’étude des tracés et de l’organisation des espaces de la ville dans son ensemble.
Les travaux de C. Sitte (1889), P. Zucker (1959), J.-M. Bertrand et H. Listowski (1984),
C. Rose et P. Pinon (1999), et de F. Gibberd (1971) constituent les supports analytiques
de l’espace matériel des places. Les approches de K. Lynch (1960) et de G. Cullen
(1961, 1971) apportent une compréhension sur la perception de l’espace urbain. Quant
aux travaux de M. Lussault (1993) et R. Cattedra (2001), ils apportent un éclairage
supplémentaire sur l’impact des images iconographiques sur la symbolique des lieux.
L’ouvrage illustré de M. Carmona & al. (2003) synthétise avec justesse les différentes
dimensions de l’urban design des lieux urbains.
Pour comprendre la formation des places publiques d’Oran, nous nous sommes référés
aux méthodes d’analyse urbaine établies par le groupe d’enseignants-chercheurs
composé de l’architecte et urbaniste Philippe Panerai, du sociologue urbain Jean-
Charles Depaule et du géographe Marcelle Demorgon (1999). Ces méthodes qui
abordent différents éléments pour lire la ville sont combinées à la méthodologie de
Theories of urban design de Roger Trancik (1986), et celle de la Composition urbaine
proposée par l’urbaniste Pierre Pinon (1992, 1994). Trois passages semblent illustrer les
outils d’analyse de la formation des espaces urbains:
« Saisir la ville à partir de sa croissance, comme une organisation qui s’est
développée dans le temps, permet assez facilement d’en construire une image
globale, […]. Cette image globale qui associe la connaissance des plans et celle du
terrain se forme progressivement. Elle met en relation les lignes de forces du
territoire géographique et les grands tracés qui organisent l’agglomération. Elle
repère des points fixes (bornes, barrières) autour desquels s’effectuent les
transformations, elle interprète des différences. Ce faisant elle aborde plus ou
moins la question du tissu urbain ». (Panerai et all. 1999, p. 75)
79
« Réfléchir sur la composition urbaine, c’est d’abord inventorier les modes
d’intervention sur l’espace, à savoir les tracés qui organisent le territoire urbain,
les découpages qui le distribuent, les traces qui le marquent de leurs occupations.
C’est aussi traiter de la manière dont fonctionnent ces modes d’intervention dans
l’espace et dans le temps ». (Pinon, 1994, p. 9)
Ces méthodes très complémentaires nous fournissent les principaux outils d’analyse :
territoires, croissances, tracés, tissus urbains, typologies. Elles sont aussi associées à
d’autres approches, au demeurant plus globales, en particulier celles de la morphologie
urbaine de Rémy Allain (2004) et de la forme urbaine d’Albert Levy (1992, 2005).
L’ensemble constitue le corpus des outils d’analyse appliqués dans la thèse pour
comprendre la structuration urbaine et le processus de mise en forme des espaces de la
ville.
Pour cela, nous avons croisé cartes géographiques, cartes historiques et plans
parcellaires avec des textes historiques pour comprendre la structuration des espaces et
les dispositifs spatiaux qui en résultent. Les cartes topographiques et géographiques
nous ont permis de mettre en relation les lignes de force du territoire et les grands tracés
qui organisent le tissu urbain d’Oran. Les cartes historiques, examinées successivement
en remontant aussi loin que possible dans le temps, ont permis de resituer à un niveau
plus fin le rôle joué par tel ou tel espace. Elles nous ont permis également de repérer les
points de fixation de certains équipements structurants de la ville : préfecture, Hôtel de
ville, églises, mosquées, etc. Les plans parcellaires, quant à eux, nous ont permis
d’analyser les ordonnancements formels des places. Par leurs séries assemblées,
l’analyse de l’évolution des parcelles devient éclairante et facilite la lecture des volumes
contrastés de l’espace bâti et de l’espace non bâti. Apparaissent alors dans un ensemble
urbain des sous-ensembles bien distincts.
Depuis l’antiquité, l’art dans la ville est une préoccupation majeure. Les éléments
esthétiques sont fondamentaux pour la construction d’une place publique. La beauté est
80
un moyen d’exprimer le pouvoir du souverain et pour le bâtisseur ou l’architecte de
rechercher le bien-être du citadin.
P. Zucker (1959) soutient que beaucoup de places sont sans conteste un art, et pour
cause : la « relation unique entre l’espace ouvert de la place, les bâtiments alentours, et
le ciel crée une expérience émotionnelle véritable en comparaison à l’impact de
n’importe quelle autre œuvre d’art » (p. 1). C. Rose et P. Pinon (1999) signalent que
« les voyageurs (européens) du XIXe siècle n’ont pas manqué de les décrire et de les
apprécier, tels que des monuments en soi » (p. 11). Des historiens de l’urbanisme, par
leurs ouvrages, analysent et décryptent la place comme un art urbain. Le Der Städtebau
nach seinen künstlerischen Grundsätzen de Camillo Sitte (1889) traduit en Français par
L’Art de bâtir les villes en 1902 analyse principalement les places italiennes du Moyen
Âge et de la Renaissance et relate les « effets heureux » qu’elles procurent. Le Vecchie
città ed edilizia nuova de Gustavo Giovannoni (1931) intitulé en Français L’urbanisme
face aux villes anciennes (1998) renforce les idées de Sitte et souligne : « Mais le chef-
d’œuvre de la ville médiévale était la place, dont une claire logique marque le tracé
correspondant à sa fonction réelle. C’est ici que l’art applique plus de noblesse et
d’ampleur le sentiment pittoresque qui imprègne la ville dans son ensemble, donnant
naissance à des réalisations monumentales qui n’avaient été régies jusqu’alors que par
les critères classiques de la symétrie et de l’eurythmie » (p. 58). Quant à L’urbanisme à
l’époque moderne XVIe-XVIIIe siècles de Pierre Lavedan (1982), celui-ci se préoccupe
des constructions monumentales des places royales françaises.
81
ouverture et espace définie, signification et contenu historique et ordre en termes
d’organisation, de cohérence, de lisibilité, de clarté (Cf. Carmona, 2003, p. 130).
La qualité esthétique d’une place est étroitement liée à son degré de fermeture. Une
place relativement fermée, est considérée comme un espace positif21. Celle-ci se
distingue par une forme définie et distincte du reste des espaces de la ville. Elle peut
être mesurée et dispose de frontières clairement définies. Sa forme est aussi importante
que celle des bâtiments qui l’entourent. La place, selon M. Bertrand et H. Listowski
(1984), se définie selon trois éléments majeurs : les structures environnantes ; le sol ; et
la sphère imaginaire du ciel. La fermeture et l’enclos spatial sont examinés dans une
double lecture: plan et élévation. L’importance de la fermeture, et le degré de l’enclos
qui en résulte, dépendent essentiellement du ratio de la largeur de l’espace à la hauteur
des parois qui l’entourent. Mais une diversité de dispositions peuvent produire un
espace suffisamment clos et donc positif (la distance de vue la plus confortable pour un
édifice est, selon Camillo Sitte, d’une distance autour de deux fois sa hauteur) (Cf.
Carmona, 2003 ; Bertrand, 1984).
Pour mieux apprécier les qualités esthétiques des places, les classifications de Camillio
Sitte (1889) et de Paul Zucker (1959) sont d’une importance particulière. L’analyse des
espaces urbains de Robert Krier (1975) est aussi utile. Le travail de Krier se base
principalement sur la géométrie de la forme urbaine tandis que celui de Sitte et de
Zucker s’attache sur les effets esthétiques de l’espace urbain.
Camillio Sitte (1889) préconise une approche pittoresque à l’étude de l’espace urbain.
De l’analyse des caractéristiques visuelle et esthétique d’un certain nombre de places de
villes européennes, particulièrement celles produites par la croissance incrémentale ou
organique de la ville, Sitte fait ressortir une série de principes artistiques. L’enclos,
l’effet de masse, la forme et les monuments qui, en se combinant, peuvent produire trois
types de place : ‘en turbine’, ‘en profondeur’ et ‘en largeur’.
Paul Zucker (1959), quant à lui, examine les places d’une relevance artistique qui
représentent des espaces organisés et englobés (enclavés). Il fait ressortir cinq types de
places d’une pertinence artistique: la place fermée (closed square), enserrée dans le
tissu urbain comme la place des Vosges à Paris; la place directionnelle (dominated
square) organisée autour d’un ou plusieurs éléments dominants comme le parvis de
Notre Dame toujours à Paris; la place nucléaire (nuclear square) formée autour d’un
centre ou un monument tel qu’une colonne pour la place de Vendôme (Paris); les places
21
En opposition à l’espace négatif qui lui est sans forme est marqué par l’absence de perception des
limites ou des formes. En ce sens, en discutant l’espace urbain, Trancik (1986, p.60) fait une distinction
entre ‘hard space’, principalement bordé par des parois architecturées, et ‘soft space’ constitué par des
parcs, jardins, allées qui ont moins de fermetures ou de frontières définies et sont dominés par
l’environnement naturel.
82
groupées (grouped square) composées de plusieurs places individuelles qui sont liées
esthétiquement ou organiquement par le moyen d’un axe (ex : place de Stanislas à
Nancy) ou groupées autour d’un bâtiment dominant (ex : place Sain Marc à Venise) et
place amorphe constituée de formes éventrée, diluée, sans formes lisibles (ex : Trafalgar
square à Londres ou place de L’Opéra à Paris). Il précise toutefois qu’une place
correspond rarement à un seul type et répond souvent à deux ou plusieurs.
Les qualités artistiques des places ne s’attachent pas seulement à ses propriétés
physiques propres, elles s’appuient aussi sur leur relation aux rues pour former des
systèmes d’espace social et de mouvement. Le réseau de l’espace public crée une série
d’effets de paysage, mêlant changement de vues et de vista ; jeu de monuments ;
incidents visuels et éléments de décors; contrastes de l’enclos. Au sens large du terme,
un paysage urbain est le produit du tissage de l’ensemble des bâtiments avec toutes les
autres composantes du tissu urbain et de l’environnement (reliefs, horizon, arbres, eau,
trafic, publicité, etc.). La philosophie moderne du concept « paysage » a été toujours
étroitement associée aux travaux de Gordon Cullen (1961, 1971) même si l’approche
« pittoresque » a été employée dans des travaux plus anciens comme ceux de John Nash
et de Camillio Sitte au XIXe siècle. L’expérience cinesthésique du mouvement à travers
l’espace est une partie importante de la dimension visuelle du paysage. En effet, le
paysage urbain de la ville établit le privilège de la vue sur les autres sens. L’architecture
prend ici toute son importance. Pas l’architecture d’un bâtiment mais l’architecture d’un
ensemble qui rend possible un « art autre que l’architecture », un « art de relations »
écrit G. Cullen (1961) qui argue que le paysage ne doit pas être apprécié dans une
manière technique mais dans une sensibilité esthétique (p. 10). C’est ce qui le
différencie sensiblement de la composition urbaine. Celle-ci relève selon Pierre Pinon
(1994) d’une technique particulière d’une mise en forme des espaces urbains dont les
instruments sont les tracés, les découpages et les traces d’occupation. Toutefois, la
composition urbaine établie par Frederick Gibberd (1971) revêt une dimension
importante de la perception visuelle de l’espace dont le mouvement constitue un des
éléments essentiels.
Les types de places peuvent être définis par des classifications ou des typologies mais
chaque place est unique puisant son caractère de son environnement propre. Une
singularité qui donne à l’espace un contenu émotionnel, une présence plus que
physique, c’est ce qui facilite sa perception. Explorer comment les usagers perçoivent
l’environnement urbain est un élément clé pour comprendre comment l’espace est vécu.
La perception suppose de regrouper, organiser les informations sur l’environnement ;
elle est étroitement liée à l’image que donne à voir l’espace urbain.
83
Kevin Lynch dans The image of the city (1960), traduit en Français par L’image de la
cité en 1969, accorde une attention toute particulière à la notion de perception qui
permet à l’habitant de structurer et d’orienter son parcours. Les monuments sont par
exemple des repères bien connus qui lui servent à localiser le quartier de résidence ou le
lieu de travail. Sur la place, "l’usager" doit réfléchir à son trajet, itinéraire, la direction à
prendre. Les activités déterminent aussi ce pouvoir de lisibilité. En un mot, il convient
de préciser quelle sorte de liens se tisse entre la place et le reste de la ville. Les concepts
d’identité, de structure et de signification permettent d’identifier les dispositions
spatiales qui renforcent ce que Lynch dénomme « l’imagibilité » des places.
L’imagibilité étant définie comme « la qualité grâce à laquelle [un objet physique] a de
grandes chances de provoquer une forte image chez n’importe quel observateur »
(Lynch, 1976, p. 11). Et c’est souvent l’architecture et la composition du paysage urbain
qui donnent une identité propre à la place et interviennent dans la perception de
l’espace. Elles procurent un « sens au lieu » au sens de Genius Loci de Christian de
Norberg-Schulz (1981). Celui-ci écrit dans La signification dans l’architecture
occidentale que « dans l’architecture, la forme spatiale signifie lieu, parcours et
domaine, c’est-à-dire la structure concrète de l’environnement humain. […]
L’architecture devrait être comprise en termes de formes signifiantes (symboliques).
Comme telle, elle participerait à l’histoire des significations existentielles » (Norberg-
Schulz, 2007, préface).
Les environnements urbains contiennent des symboles, des significations et des valeurs.
L’étude des « signes » et leurs significations est connue par la sémiologie ou la
sémiotique. Développées par U. Eco (1968), les « signes » sont interprétés et comprises
comme une fonction de la société, la culture et l’idéologie. L’idée clé dans la sémiotique
est la superposition des sens. Le « premier ordre » : la dénotation, étant la fonction
première de l’objet. Le « second ordre » : la connotation, étant la nature symbolique ou
la signification particulière donnée à l’objet. La superposition permet de faire la
distinction entre l'utilisation des objets pour leur fonction propre, et leur signification
sociale soutenue.
84
symbolique simple (comme par exemple la tour Eiffel pour Paris ou la France, la tour
Big Ben pour Londres ou la Grande Bretagne) ; le « lieu générique » qui constitue une
représentation allégorique qui est supposée tisser le territoire, tel le Nil en Egypte ; et
enfin le « lieu de condensation », qui porte à la fois sur le spatial et le social. Dans cette
modalité, « le lieu de condensation n’est tel qu’à condition qu’un individu y éprouve le
sentiment d’une commune appartenance avec le groupe qui établit ou entretient la
signification symbolique du lieu ». Ici, l’auteur donne l’exemple du centre de
Washington où se conjugent les effets de l’urbanisme et de l’architecture d’un côté et
ceux de la déambulation consacrée de l’autre (Debarbieux, 1995, p. 99-100).
Françoise Choay dans son ouvrage Pour une anthropologie de l’espace (2006), rend
compte de la complexité de cette notion de significations et propose que: « Quand le
monument perd son pouvoir sur la mémoire vivante, c’est-à-dire sa valeur affective et
identificatoire, il eut néanmoins être intégré dans une autre mémoire, abstraite,
gnoséologique, celle de l’histoire et de l’histoire de l’art comme disciplines. Devenu
monument historique, il fait alors signe à la manière d’une illustration, support visuel
d’une mise en ordre du temps » (p. 133).
Les usages et les pratiques sociales construisent les espaces publics. Le terme d’usage
est employé dans une vision plus large que celle qui exprime l’utilité d’un espace. Il
renvoie, dans le cadre de cette recherche, à plusieurs types d’usage : l’usage des lieux,
des noms et des images, l’usage des modèles et des règles urbaisitiques, et enfin l’usage
des lois et des instruments. Ces différents usages se présentent dans leur dimension
spatiale et temporelle. L’usage s’illustre aussi à travers les comportements des individus
et les pratiques sociales réelles. Nous nous référons ici à Guy Di Méo (2005) qui entend
par pratiques sociales « tous les déplacements, toutes les fréquentations concrètes de
lieux, tous les actes spatialisés que l’individu mène dans son milieu » (p. 40). Selon cet
auteur, elles déclenchent un processus au cours duquel se construisent des territorialités
et des identités qui se modifient au gré de ces pratiques sociales. La territorialité qui
renvoie au territoire est aujourd’hui plus complexe à cerner, tant les ancrages spatiaux
se diversifient, sont multiples et mobiles, précise t-il. Il souligne que « le territoire et la
territorialité ont du mal, aujourd’hui, à circonscrire des aires trop franchement
délimitées ». Les problématiques qui concernent la territorialité se situent non
seulement dans le cercle de la géographie, mais aussi dans celui, plus large, des sciences
sociales (1996, p. 13). Cette problématique est illustrée par Philippe Tizon dans
l’ouvrage Les territoires du quotidien dirigé par G. Di Méo (1996, p. 34).
Les sociologues Jean Remy et Liliane Voyé (1981), reprenant Isaac Joseph, considèrent
que la territorialité « permet d’inter-relier des comportements dans leur manière de se
85
dérouler dans un contexte d’espace et de temps » (p. 28). Brunet, Ferras et Théry dans
Les mots de la géographie, la définissent comme « Rapport individuel ou collectif à un
territoire considéré comme approprié » (p. 481). Le géographe Claude Raffestin donne
plus de précision et considère que chaque territorialité possède une logique spécifique,
puisque « toute production du système territorial détermine une consommation de celui-
ci ; […] on pourrait dire en quelque sorte que la territorialité est la ‘face vécue’ de la
‘face agie’ du pouvoir » (cf. Di Méo, 1996, p. 26). Ces réflexions sur la territorialité
nous informent sur la capacité des habitants à investir de territoires nouveaux ou
appartenant ou ayant appartenu à d’autres sociétés.
Cette compréhension de l’espace social s’appuie aussi sur les travaux d’Yves Chalas
(2000) qui nous livre une réflexion sur ce qui fait le lien social urbain. Il décrypte les
concepts inhérents à ce type de sociabilité que nous désignons par urbanité. Il écrit que
les protagonistes du courant de pensée de l’Ecole de Chicago (Grafmeyer & Joseph,
1979) ont bien analysé le lien social spécifiquement urbain. Pour Isaac Joseph (1984)
dans son ouvrage Le passant considérable ce sont des relations sociales anonymes et
superficielles qu’il considère comme d’une forme de « coexistence propre aux espaces
publics urbains » qui n’altère en rien ces espaces. Yves Chalas nous renvoie aussi aux
analyses, particulièrement celle de Louis Quéré qui rappelle que « l’indifférence
mutuelle des passants » est « non seulement caractéristique mais constitutive de la
sociabilité urbaine ». II nous livre une longue liste d’auteurs appartenant à l’école de
pensée de l’écologie urbaine pour lesquels la ville est associée à la vie anonyme, à la vie
secrète, à la vie éphémère, à la solitude, à la liberté, à la superficialité, à
l’individualisme, au secret, à la distance ou à l’indifférence. Autant de types de vie qui
donnent à la ville tout son attrait; ils constituent les modalités du « vivre ensemble » en
ville. Beaucoup diront qu’ils sont fondateurs même de la ville. C’est en ce sens que la
sociabilité urbaine se différentie de la sociabilité du village, du quartier. C’est en effet,
l’anonymat qui semble caractériser une ville, et ‘l’étranger’ est celui qui cherche à aller
en ville pour se promener ou simplement se mouvoir, s’assoir sur une terrasse de café,
faire du shopping loin de son village ou de son quartier. Mais il est aussi celui qui va à
la rencontre de l’autre, non du semblable mais du différent. Pour qualifier ce mode de
vie, beaucoup reprendront cette célèbre expression : « l’air de la ville rend libre ». Y.
Chalas réfute l’approche selon laquelle la ville est un espace public des relations
conviviales, du dialogue, de l’échange. Il précise que cette ville n’existe pas et n’a
jamais existé ; elle correspond tout au plus à un village ou un quartier. Ce qui fait ville
selon lui, c’est la « ville inhabitable », celle qui permet la sortie du quotidien, celle qui
offre aux habitants la possibilité de s’éloigner de leur demeure au sens de la « ville
habitable » qui n’est que leur « espace des habitudes » et de s’affranchir du contrôle de
leur communauté. Le facteur sociologique revêt une signification géographique,
souligne t-il (Chalas, 2000).
86
Sans vouloir en faire l’état de l’art du débat, rappelons que l’urbanité renvoie à une vie
urbaine intense fondée sur des pratiques commerciales, sociales, politiques. La place ou
le lieu urbain est cette sorte de forme urbaine que nous lui assignions la vertu de
l'urbanité. Dans la réalité oranaise, certains lieux urbains sont investis par le piéton ou le
promeneur, le marchand ou le festif, mais aussi par la voiture qui impose souvent sa
présence sur l’espace public. Et c’est dans le centre-ville que l’urbanité s’illustre avec
plus de force, comme on le verra dans les chapitres 6 et 7. Cette « consommation de la
centralité »22 se voit aussi s’accompagner, parfois se relayer, par de nouvelles
expressions de centralités qui apparaissent ici et là en périphérie (chapitre 8). Urbanité
centrale et urbanité périphérique sont l’une et l’autre des formes de sociabilité urbaine,
telle que décrite plus haut, qui proposent que l’usager pratique un ailleurs dans
l’anonymat de la foule, et donc, ne craint pas le contact avec l’autre, avec celui qui lui
est étranger.
La lecture de la place dans sa dimension sociale renvoie au rapport étroit entre espace et
société. D’après Carmona & al. (2003, p. 106), elle examine cinq éléments clés : vie
publique, proximités, sûreté et sécurité, et accessibilité. Etre dans un contexte particulier
dépend des caractéristiques et de la situation propre de chaque individu : ego,
personnalité, buts, valeurs, ressources existantes, expériences, niveau de vie, etc. il
dépend aussi des besoins fondamentaux de l’homme dont les principaux sont : les
besoins physiologiques (confort); les besoins de sûreté et de sécurité ; besoins
d’affiliation (sentiment d’appartenance à une communauté par exemple).
22
L’expression est formulée en rapport à la thématique de l’« Urbanité(s) et citadinité(s) dans les grandes
villes du Maghreb » rédigée par Madani Safar Zitoun avec la collaboration d’Abdelkader Lakjâa dans la
partie II du rapport scientifique du projet « Faire la ville en périphérie(s) ? Territoires et territorialités
dans les grandes villes du Maghreb » coordonné par Pierre Signoles, Tours, janvier 2010.
87
L’une des références majeures de cette notion d’accessibilité est le philosophe et
sociologue de l’urbain Isaac Joseph qui note que:
« L’expérience ordinaire d’un espace public nous oblige à ne pas dissocier
espace de circulation et espace de communication. Une gare, une station de métro,
un marché sont réputés accessibles non seulement par leurs qualités architecturales
mais par leur capacité à articuler des visibilités et des énoncés. Ce qui est pris en
compte dans cette qualification, c’est l’offre de déplacements, de cheminements
ou de mouvements, […]. Les gestionnaires, qu’ils aient pour mission d’accueillir,
d’assister, de contrôler, d’interpeller, savent que la qualité d’accessibilité d’un
espace public est liée à la lisibilité de « son mode d’emploi » (Joseph, 1994,
p. 13).
88
attention essentielle à l’analyse de l’aménagement de l’espace et de ses frontières. Ils
soutiennent que la vie de l’espace public se trouve autour de ses frontières. Comme un
support pour observer, les frontières permettent une relation forte avec l’espace de la
place. Les bâtiments alentours offrent un front « actif » à l’espace public et ajoutent
ainsi intérêt et vitalité à l’espace.
La vie publique est associée à la vie urbaine dans sa dimension politique. Elle s’exprime
par la mobilisation des acteurs « ordinaires », dans leurs rapports avec les décideurs de
la production urbaine. Si cette question renvoie à la citoyenneté qui ne sera qu’effleurée
dans cette recherche, elle sera abordée au sens que leur donnent Isabelle Berry-
Chikhaoui et Agnès Deboulet (2000) à travers l’entrée par les « compétences des
habitants » exprimées dans les villes du monde arabe. Leur approche, donnant du sens
aux investissements des « citadins », à ces « actes souvent ordinaires, infimes parfois,
que les habitants contribuent à dessiner la ville, à lui conférer une matérialité, des
fonctionnalités et des symboliques … » (p. 17), soutient en partie notre projet de
recherche. Le regard se déplace : il s’agit de s’intéresser aux implications des actions
des usagers sur l’espace public, de saisir ses compétences réelles, « pratiques et
langagières » de mobilisation collective face à l’intervention urbaine étatique. Dans
cette perspective, deux situations sont explorées : celle de l’investissement au quotidien
par les habitants ou usagers à travers les pratiques d’appropriation et de marquage de
l’espace, et celle du déploiement des projets urbanistiques ou d’amélioration urbaine par
les pouvoirs publics « à des fins de légitimation et contrôle politique » (Cf. Safar
Zitoun, 2010).
89
images, des mythes, des discours qui « motivant les hommes à imaginer et agir, ne
cessent de nourrir et de transformer la réalité » (Berque, 1993, p. 100).
Les espaces publics que nous abordons dans cette recherche sont des espaces urbains
planifiés, conçus et dessinés, aménagés ou réaménagés par des acteurs. Comprendre les
formes et les usages des espaces publics c’est comprendre la place qu’occupe l’espace
public dans la planification urbaine. La planification urbaine est ici comprise comme
l’« Ensemble d’études, de démarches, voire de procédures juridiques ou
financières, qui permettent aux collectivités publiques de connaître l’évolution des
milieux urbains, de définir des hypothèses d’aménagement concernant à la fois
l’ampleur, la nature et la localisation des développements urbains et des espaces à
protéger, puis d’intervenir dans la mise en œuvre des options retenues. Les
documents d’urbanisme, à cet égard, font partie de la planification urbaine »
(Merlin & Choay, 1999, p.668).
90
Dimensions Éléments Informations à outils d’analyse
d’analyse rechercher
Composantes Indicateurs
Localisation Plans de la ville/plans
Forme et Tracé
Configuration des tracés parcellaires (cadastre)
91
Espace - Camillio Forme : en largeur ou en
positif Sitte profondeur
Monuments
92
Ensoleillement et ombre
Lumière
93
94
CHAPITRE 2
Pour mieux rendre compte des logiques de la constitution des espaces d’Oran, nous
avons tenté, quand cela nous a été possible, de les situer dans le processus plus global
de l’évolution politico-administrative que la ville a connue de la période espagnole à
l’époque contemporaine.
95
2-1 UNE GEOGRAPHIE URBAINE TOURMENTEE ET UNE VILLE AUX
MULTIPLES HERITAGES
La ville d’Oran est située au nord-ouest de l’Algérie au fond du golfe du même nom.
La situation exceptionnelle du site et de son relief constitué de falaises et de plateaux
étagés a contribué fortement à un urbanisme original dans son implantation. Ainsi, deux
grands ravins donnent à la topographie de la ville un aspect tout à fait particulier
(figure 1). Le principal, à l’ouest, est le ravin Ras-el-Aïn (Tête de la source), où coule
l’Oued Rehhi (des Moulins). Il est creusé du sud vers le nord entre la montagne du
Murdjadjo (appelée aussi Pic de l’Aïdour), au pied duquel est implantée la ville
espagnole et ottomane, et un monticule sur lequel est posé le Château-Neuf23. Cette
disposition impose une croissance urbaine linéaire en direction du sud vers l’amont du
dit ravin. A l’est de cette forteresse, le ravin Aïn Rouina sépare celle-ci du plateau de
Karguentah24 sur lequel la ville française se développe vers l’est, parallèlement à la mer.
23
Selon Robert Thinthoin (1956), cette forteresse appelée autrefois Ras-el-Cacer – Tête du château –
domine la mer depuis 1347. Elle est appelée par les Espagnols Rosalcasar de rojas casas (maisons rouges)
que les arabo-ottomans traduisent par bordj-el-ahmar ; les Français la rénovent et la rebaptisent Château-
Neuf.
24
Karguentah vient de Kheneg En-Netah, une expression arabe qui veut dire « champ ou jardin où se
battent les taureaux » (Kehl, 1942 ; Lespès, 1938).
25
On peut citer le ravin Mina, le ravin de la Cressonnière, le ravin Blanc.
96
Figure 1 : Le site d’Oran représenté par Robert Thinthoin (1956). Mise en forme F. Kettaf
2-1-1 La genèse
« Oran, comme les jolies femmes, refuse de faire connaître son âge. Et ce défi n’a
jamais pu être mis en défaut par les patients fouilleurs d’archives, les déchiffreurs
de manuscrits ou les savants éclaireurs de la préhistoire (…) » Eugène Cruck.
Récits historiques et anecdotiques de la ville d’Oran (1959, p. 23).
Une telle imprécision sur l’origine d’Oran et sur l’évolution de son histoire antique reste
toujours d’actualité. A la lecture des quelques ouvrages d’historiens d’Oran, nous nous
sommes rendu compte de l’incertitude quant aux faits et évènements inhérents à la
naissance de la ville. Certains d’entre eux ne s’y risquent pas en mettant les propos au
conditionnel.
Toutefois, tous s’accordent à dire qu’Oran fut fondée par les Maures venus d’Espagne.
Le Dr. Ges Seguy (1887) affirme qu’elle « fut construite en 903 par des marchands
arabes de la côte d’Andalousie, qui en firent un entrepôt pour le commerce avec
Tlemcen et le Sahara. […]. Depuis la fin du Xe siècle jusqu’à l’occupation française,
Oran a été le théâtre de luttes incessantes, qui l’on fait passer tour à tour entre les mains
des Turcs, des Arabes et des Espagnols » (p. 23). Camille Kehl (1942) avance que
« Vers 903, la ville d’Oran est créée, dit-on, par des marins andalous sur l’ordre des
97
Ommeyades d’Espagne » (p. 19). Elle fut désignée d’après Henri Léon Fey (1858) sous
les noms de « Bou-Châran, Ouarahân, Oued-el-Haran, Wehran, par abréviation Ouarân,
puis Oran » (p. 40-41). René Lespès (1938), quant à lui, appuie Fey, en soulignant dans
son ouvrage sur Oran, que la ville, du nom d’Ouahran, fut fondée en 903 « sur un
territoire occupé par des tribus berbères » par « des marins andalous venus d’Espagne »
(p. 42). Eugène Cruck (1959) rappelle qu’El Bekri, historien et géographe arabe du XIe
siècle, mentionne qu’Oran fut fondée en 902 « par une bande de marins andalous qui
fréquentaient depuis longtemps cet abri naturel ». Il écrit que Léon l’Africain,
géographe du XVIe siècle, qualifie la ville de « grande cité édifiée par les anciens
Africans sur la Méditerranée ». Cruck ajoute enfin que René Basset, dans son étude sur
les fastes chronologiques de la ville d’Oran, admet qu’« elle a été fondée en l’an 903 »,
mais souligne « la disette des renseignements fournis par les écrivains arabes, historiens
et géographes qu’il a rassemblés » (Cruck, 1959, p. 24-25).
98
correspond plutôt au port ou poste établi près de l’embouchure du Chéliff. Elle note
aussi que le port Portus-Magnus (Saint-Leu) est situé à l’embouchure de la Macta et
qu’il est, au dire de Gsell, « la ville romaine la plus importante et la plus policée de cette
partie de la Mauritanie Césarienne » (Kehl, 1942, p. 11). Cet emplacement désigne
vraisemblablement le site du « Vieil Arzew » à 40 km d’Oran, d’autant plus que des
traces d’une ville romaine sont retrouvées sur le site de Saint-Leu (Bethioua) proche
d’Arzew. Ainsi, la question des origines romaines d’Oran reste toujours incertaine
actuellement.
Même si l’on admet une origine romaine, l’apparition du christianisme au IIIe siècle, le
passage des Vandales au Ve siècle et puis l’invasion des Arabes au VIIe siècle, auraient
fait passer Oran par des périodes de décadence, voire de disparition. Il fallut attendre le
Xe siècle pour que la ville renaisse, quand elle fut occupée par des marchands arabes
venus d’Andalousie26.
De quelle époque peut-on dater le noyau originel d’Oran ? De quel modèle urbain
relève-t-il ? S’agit-il de la « ville médiévale »? Il subsiste peu de traces physiques
tangibles pour que sa logique spécifique de composition soit clairement identifiée. Tel
qu’énoncé par Mohamed Naciri et André Raymond (1997), la confusion est souvent
faite entre « une ville médiévale (qu’il faut reconstruire mentalement) [et] la ville
traditionnelle (dont les restes sont visibles) » (p. V). A Oran, l’essentiel de l’espace
urbain « visible » est constitué par les héritages des occupations successives qu’a
connues la ville d’Oran, notamment de l’époque espagnole, et dans une moindre mesure
ceux de la période ottomane. Il existe très peu d’informations écrites, encore moins
graphiques, sur l’organisation urbaine d’Oran avant la conquête espagnole au XVIe
siècle.
Toutefois, si l’on croit aux quelques écrits rapportés principalement par la littérature
historique et géographique sur cette période assez méconnue, seuls quelques bribes de
témoignages sur l’organisation urbaine d’Oran du XIe au XVe siècle nous ont été
rapportés. Tout en gardant à l’esprit que les interprétations des textes anciens doivent
être nuancées et resituées dans la typologie des descriptions de l’époque, il s’avère que,
26
Il faut noter la permanence à travers tous les siècles et sous toutes les dominations de l’élément berbère
qui constitue le fond de la population des pays de l’Afrique du Nord.
99
pendant cette période, Oran et son proche port, Mers-el-Kébir, même s’ils sont passés
par des périodes de décadence, ont connu des périodes d’assez grande prospérité. El
Bekri décrit la ville au XIe siècle comme étant « située à quarante milles d’Arzew, c’est
une place très forte : elle possède des eaux courantes, des moulins à eau, des jardins et
une mosquée cathédrale » (cité par Kehl, 1942, p. 22-23).
Mais il faut attendre la description du géographe arabe du XIIe siècle Edrisi pour avoir
un peu plus d’indications sur l’œuvre urbaine d’Oran. Il écrit :
« On y trouve des bazars, beaucoup de fabriques, le commerce y est florissant.
[…] ses habitants boivent de l’eau d’une rivière qui y vient de l’intérieur du pays
et dont les rives sont couvertes de jardins et de vergers. […] Les navires espagnols
se succèdent sans interruption dans ces ports. Les habitants de cette ville se
distinguent par leur activité et leur fierté » (Edrisi, 1836, p. 96-97).
L’évolution urbaine d’Oran est, en effet, étroitement liée aux activités de son port.
Beaucoup de références illustrent son importance stratégique. En effet, il constituait la
clé de voûte de la prise de possession de la ville, une vraie passerelle de commerce entre
les deux rives de la Méditerranée (Abi-Ayad, 2004, p. 224). C. Kehl abonde dans ce
sens et signale l’importance du commerce d’Oran ; elle écrit que « tous les ports
méditerranéens y envoyaient leur navires. Valence, Marseille, Gênes, Venise y avaient
des fondouks ou entrepôts et des loges consulaires ». Elle soutient que, vers le milieu du
XIVe siècle, remarquant que la ville nécessitait une meilleur protection contre les
attaques par mer, le sultan mérinide Abou-el-Hassan résidant quelques temps à Oran
fait construire deux forteresses, l’une, le Bordj-el-Hamar – le Château Neuf – et l’autre
au promontoire de Mers-el-Kébir, pour surveiller le port27. Elle ajoute que Léon
l’Africain au XVe siècle parle d’une cité de 6.000 feux (équivalent à 25.000 habitants)
dont la majorité étaient des artisans et des tisserands, et écrit à ce propos que : « La
ville est bien fournie d’édifices et de toutes choses qui sont séantes à une bonne cité,
comme collèges, hôpitaux, étuves et hôtelleries, étant ceinte de belles et hautes
murailles » (Kehl, 1942, p. 23-24).
100
Gomez du XVIe siècle, décrivent une ville florissante. Robles écrit qu’: « Au XVe
siècle, Oran avait connu une splendeur et une physionomie de grande cité sous le règne
des Zianides, avec ses milles maisons, ses mosquées, ses écoles comparables à celles de
Cordoue, Séville et Grenade, ses nombreux thermes et ses magnifiques édifices »
(Robles, 1954, p. 13).
Quant à son aspect physique, Fey (1858) rapporte qu’au moment de l’occupation
espagnole, la ville forme un ensemble très dense, confiné dans un périmètre fort
restreint à l’intérieur duquel les habitations sont lourdes et mal construites. Lespès
(1938) s’étonne, quant à lui, de l’absence de renseignements sur ce qu’était la ville
avant l’occupation espagnole. Il déduit, en s’appuyant sur les aménagements que les
Espagnols durent apporter, qu’il ne devait y avoir « qu’un entassement de médiocres
constructions serrées entre des rues non pavées, étroites et fortement déclives» (p. 69).
Ces déclarations, bien que vagues et contradictoires, nous indiquent que la ville
espagnole a pris certainement appui sur la ville qui l’a précédée. Sans pour autant perdre
de vue que sa population était composée (certes en proportions inégales), de Berbères,
d’Arabes et de Juifs28 dont beaucoup étaient héritiers des expulsés d’Andalousie de
1391 et de 1492, et ont fortement marqué l’espace urbain de leur empreinte culturelle.
C’est pourquoi l’on peut parler à juste titre d’une organisation urbaine originelle
« arabo-mauresque », dont les caractéristiques la rapprochent davantage de celles de la
ville « andalouse » que de celles de la ville « arabe » ou « islamique ». Des
caractéristiques qui donnent à la ville des formes d’urbanités particulières. En effet, la
ville d’Oran « ne peut (pas) être réduite au modèle de la cité musulmane […], (elle est)
affectée par l’afflux des migrants, les poussées sociales, des courants culturels
nouveaux, un contenu urbanistique singulièrement élargi », comme le dit justement
Jean-François Troin (1985, p. 1) au sujet de la ville arabe d’aujourd’hui. Afin de
proposer un éclairage sur l’évolution urbanistique d’Oran, nous avons établi trois
« temps » de la ville.
Une précision s’impose : le centre ancien de la ville actuelle d’Oran a très peu à voir
avec la ville connue sous le toponyme de « médina » ou de « casbah ». Compte tenu de
la forte présence des Espagnols sur son territoire, l’organisation urbaine de la ville ne
peut s’apparenter à celles des autres villes anciennes d’Algérie, comme Alger ou
Constantine, où la domination ottomane a prévalu et n’a pas altéré dans ses grandes
lignes le système urbain précédent. Selon Raffaele Cattedra (2010), le vocable médina
est apparu en français dans le contexte de la colonisation de l’Afrique du Nord. Dérivé
de l’arabe madîna, la médina désigne cette partie de la ville précoloniale où se
28
Ainsi que de Chrétiens dans une moindre mesure.
101
concentrent les autochtones et qui est couramment identifiée comme « ville indigène »,
« ville arabe » ou « ville musulmane ». En Algérie c’est le vocable casbah (citadelle, al-
kasba en algérien) qui prédomine. Dès 1830, ce terme « fut étendu de la citadelle elle-
même à l’ensemble de ce qui n’avait pas été détruit du tissu urbain antérieur à la
conquête » (Paul Siblot cité par Cattedra 2010, p. 730). Mais cette dernière définition ne
s’applique pas à Oran. En effet, la Casbah d’Oran se distingue par son rôle de citadelle
purement militaire qui resta séparée par ses hauts murs du reste de la ville. En ce sens,
la ville ancienne conquise par les Espagnols s’est formée en dehors de la Casbah et
porte en elle ses propres caractéristiques physique et morphologique.
C’est en effet l’occupation espagnole longue de presque trois siècles qui marqua
fortement la structure spatiale de la ville et « qui fit d’elle tant sur le plan défensif que
sur le plan urbain une ville à la configuration éminemment occidentale » (Benkadda,
2004, p. 144). L’important patrimoine archéologique, urbain et architectural datant de
cette période en témoigne. Toutefois, l’occupation ottomane a inscrit en 1799 dans la
plaza de armas, la place centrale de la ville espagnole, une mosquée d’une architecture
remarquable. Même si cette implantation illustre peut-être la volonté du pouvoir
ottoman de restructurer la ville autour d’une centralité « islamique », il n’en demeure
pas moins que cette mosquée inscrite au centre d’un quartier autrefois espagnol ne
permet pas, à elle seule, de qualifier la ville « d’arabe » ou « d’islamique »29.
Finalement, le trait caractéristique de la ville ancienne d’Oran est sans conteste son
système urbain riche et complexe. Celui-ci s’explique, d’une part, par la forte présence
de plusieurs structures correspondant aux différentes occupations berbère, arabe, juive,
espagnole et turque, qui se superposent, se chevauchent et s’entrecroisent. Et, d’autre
29
Toutefois l’architecture du minaret de cette mosquée nous interpelle. Au vu de son architecture, nous
nous demandons s’il n’a pas été construit par les Maures avant l’arrivée des Espagnols. En effet, ce
minaret présente des caractéristiques architecturales andalouses comparées à celles du minaret de la
mosquée du Pacha qui arbore une architecture ottomane. Cette différence dans l’architecture des deux
minarets censés être construits par les Turcs à trois ans d’intervalle nous pousse à formuler l’hypothèse
que le minaret arabo-mauresque pouvait appartenir à une des mosquées qu’évoquaient les anciens
géographes et historiens, et notamment El Bekri, quand il parle d’une mosquée cathédrale. Il pouvait
aussi être construit sur les traces de cette dernière. Si cette hypothèse venait à se vérifier, elle nous
éclairerait significativement sur l’organisation urbaine antérieure à l’arrivée des Espagnols. Cependant, sa
position nous pousse aussi à formuler une autre hypothèse : serait-il construit sur une ancienne église
espagnole qui bordait autrefois la place ? Ces questions restent ouvertes.
102
part, par les spécificités écologiques et géographiques du site. Ces attributs
procureraient à Oran un caractère original par rapport à d’autres villes maghrébines.
Nous ne pouvons donner une description précise de ce que fut l’organisation urbaine
d’Oran avant la conquête espagnole au XVIe siècle, puisque presque tous les édifices
anciens ont disparu sous les importantes actions de démolition et reconstruction menées
par le génie espagnol pour faire d’Oran un préside. Dès lors, la ville d’Oran dont nous
allons explorer la structure spatiale est celle qui se développe du XVIe siècle à nos jours.
Trois grandes périodes peuvent donc être identifiées : celle qui va du XVIe jusqu’au
début du XIXe siècle et que l’on qualifie de ville « ancienne » ; celle du XIXe au début
du XXe siècle que l’on appelle ville « moderne » ; et de cette dernière période à nos
jours que l’on désigne par la ville « fonctionnelle ». Celles-ci correspondent aux trois
logiques dominantes de création des tissus urbains d’Oran : espagnols-turcs, français et
français-algériens qui coïncident aussi avec le changement des paradigmes urbains
(figure 2).
Figure 2 : Les trois temps de la ville (approximatifs). Source : plan d’Oran (1985).
Mise en forme F. Kettaf
103
Ce choix est justifié par les documents dont nous disposons ; ceux antérieurs à
l’occupation espagnole étant vagues et insuffisants. Ainsi, tant que la ville antérieure au
XVIe siècle n’a pas fait l’objet d’une reconstitution scientifique minutieuse, bien des
points resteront difficilement interprétables dans la structure physique des espaces. Les
recherches archéologiques qui pourraient éclairer sur ce passé sont évidemment
difficiles à mener du fait que les traces anciennes sont enfouies sous les villes
successives.
« La douceur d’Alger est plutôt italienne. L’éclat cruel d’Oran a quelque chose
d’espagnol » Camus. Noces suivi de l’été (1959, p. 87).
Cette annotation d’Albert Camus illustre bien la particularité urbaine d’Oran, celle de
son paysage urbain marqué par une histoire tourmentée30. Celle-ci connaîtra une
première occupation longue de deux siècles, de 1509 à 1708 et une deuxième
occupation plus courte de 1732 à 179131 ; la période de 1708 à 1732 étant marquée par
la première occupation des Ottomans. Le tremblement de terre d’octobre 1790 qui a
ruiné en grande partie la ville a précipité son abandon par les Espagnols. Oran fut ainsi
reprise par les Turcs en 1792.
« L’histoire d’Oran espagnole est avant tout une histoire de fortification » écrit Lespès
(1938, p. 63). La première préoccupation des Espagnols est de faire d’Oran une place
forte et une garnison. La construction d’un large complexe de fortifications composé de
forts, d’enceintes et de bâtiments militaires constitue l’essentiel du domaine militaire32.
30
L’histoire mouvementée de cette période est décrite en détail par Fey (1858) et par Epalza et Vilar
(1988).
31
Ces deux périodes sont inhérentes à deux évènements : celui de la Reconquista chrétienne de l’Espagne
musulmane (XVe siècle) qui supposa un nouvel établissement de la frontière entre Chrétienté et Islam, et
celui du retour de la ville à la couronne espagnole (XVIII e siècle).
32
Henri Léon Fey dans son ouvrage Histoire d’Oran, pendant et après la domination espagnole, 1858,
donne une longue description des vestiges espagnols d’Oran. Ceux-ci ont aussi fait l’objet d’un travail
d’ensemble de M. Pestémaldjoglou, (communication faite au 2 e congrès des Sociétés Savantes de
104
Leur présence a influencé considérablement l’urbanisation ultérieure de la ville et a
marqué et marque encore fortement le paysage urbain33.
Beaucoup d’auteurs indiquent que les Espagnols n’ont toutefois procédé, lors de ces
deux conquêtes, qu’à une occupation limitée à la ville car Oran ne constituait qu’un
comptoir maritime et un bagne (Fey 1858 ; Lespès 1938 ; Thinthoin 1956 ; Bunes Ibarra
2004)34. Les quelques indications sur le mouvement de la population, données par
Robert Tinthoin (1956), peuvent l’expliquer. Selon l’auteur, la ville comptait en 1510,
1.600 habitants composés de « chrétiens mâles, marchands juifs et Maures » et quand
les Turcs l’occupèrent entre 1708 et 1732, c'est-à-dire deux siècles plus tard, la
population était de deux mille 2.000 habitants. Reprise par les Espagnols de 1732 à
1791, la ville compte « 9.000 habitants en 1738, dont 1.600 déportés, 800 alliés maures
et 5.500 soldats ». En 1785, elle rejoint 12.000 habitants (p. 177). Ces quelques chiffres
montrent combien la population de l’Oran espagnol était majoritairement composée de
militaires soldats et forçats. Mais ils montrent aussi que c’est lors de la deuxième
période d’occupation que la ville a connu un mouvement de population plus significatif.
l’Afrique du Nord, Tlemcen 1936. Voir les travaux de ce congrès, tome 2, pp.665-686) note Kehl (1942,
p.48-49).Voir aussi Seguy, 1887 ; Cazenave, 1922 ; Lespès, 1938 ; Epalza et Vilar, 1988 ; Benkada, 2008.
33
L’ouvrage établi par Mike de Epalza de l’université d’Alicante et par Juan Bta.Vilar de l’université de
Murcia, intitulé Plans et cartes hispaniques de l’Algérie XVIème siècle – XVIIIème siècle, édité en 1988,
est un document clé pour comprendre l’œuvre défensive d’Oran.
34
Fey (1858) note à ce propos que « … l’Espagne n’eut jamais la moindre pensée colonisatrice à l’égard
de cette conquête ; elle ne vit là qu’un moyen d’assurer plus de sécurité à son littoral en détruisant une
fourmilière de pirates… ». Miguel Angel De Bunes Ibarra mentionne que « la pénétration espagnole au
Maghreb est inspirée par une intention clairement défensive ». Il précise que […] « la présence au
Maghreb, une fois le danger ottoman conjuré, reste réduite au rôle d’une entreprise qui donne un prestige
international à la couronne, unique raison pour laquelle sont maintenus plusieurs présides » (2004,
p. 169). La récupération espagnole en 1732 des présides d’Oran et de Mers-el-Kébir à un moment où
l’expansion ottomane a cessé, illustre bien cette affirmation.
35
Pour se protéger contre les invasions venant de la mer, les Espagnols avaient dressé le fort Lamoune, le
fort Sainte-Thérése et une batterie à son extrémité est. La ville espagnole est entourée d’une seule
enceinte flanquée de forts, défendue du côté de la mer par Château Neuf ou fort neuf (Rosalcazar des
Espagnols), les forts Saint Grégoire et Santa Cruz (Sainte-Croix) et du côté de la terre par les forts Saint
André et Saint Philippe. En plus des chemins à découvert, tout un réseau de galeries souterraines reliant
ces forts vient renforcer le dispositif. La vieille casbah, dressée certainement dès l’origine d’Oran au point
le plus élevé, est modifiée en 1563 puis largement agrandie en 1589. Un fort détaché San-Fernando
appelé aussi château des fontaines devait surveiller la source d’eau de Ras-el-Aïn (Fey, 1858).
105
l’écoulement des eaux (Fey, 1858 ; Lespès, 1938 ; Tinthoin, 1956). Mike de Epalza et
Juan Bta.Vilar (1988) écrivent dans l’ouvrage Plans et cartes hispaniques de l’Algérie
XVIème siècle – XVIIIème siècle, que ces changements introduits dans la structure
interne n’ont pas, cependant, changé les principaux traits urbains typiquement
médiévaux. Ils soulignent qu’au XVIe et au XVIIe siècle, époque florissante de la
Renaissance européenne, « Oran ne ressemblera que vaguement à la cité idéale de la
Renaissance », et « se maintient malgré le passage du temps » (p. 148-149).
Ainsi, trois principaux quartiers composaient la ville espagnole : la Blanca posé sur un
plateau aux pieds de la montagne Murdjadjo attenante à la Casbah au sud et au ravin de
l’oued Rehhi à l’est; la Marine située en contrebas bordant la mer ; et la « ville
nouvelle » qui commençait à s’étager à l’est du ravin. La Blanca qui avait pour centre la
Plaza de Armas de la ville, s’ouvrait vers l’extérieur par trois portes : à l’ouest, Bab-el-
Marsa ou Porte de Santon (1754), au sud, la Porte de Tlemcen ou du Ravin Vert, et la
troisième, à l’est, la Porte de Canastel (1734-1738) (figure 3).
Quant à son aspect urbain, différentes descriptions ont été apportées par des historiens et
des géographes dont les points de vue semblent être quelque peu divergents.
D’après l’historienne Béatrice Alonso Acero (2004), Oran « apparaît comme une ville
entourée de murailles, de rues étroites, bâtie de labyrinthes et maisons entassées "qui
ressemblent à Toledo " ». Il s’agit de maisons « avec cour intérieure, peu de fenêtres,
des murs badigeonnés et des terrasses à la place de toits » (p. 181).
36
Le document espagnol est accompagné d’une traduction française élaborée en 1738. il fut réimprimé à
Oran par L. Fouque en 1926 et préfacé par le Commandant Pellacat qui écrit que « Valléjo fut
certainement le meilleur administrateur d’Oran » (préface, p.1-2).
106
Figure 3 : Les trois quartiers de la ville espagnole. Source : Robert Thintoin (1956). Mise en forme
F. Kettaf
107
Robert Tinthoin apporte une critique sévère et décrit Oran d’alors comme « une ville de
10 hectares environ, adossée au Pic de l’Aïdour, couronné par le fort de Santa-Cruz et
enfermée dans une chemise de fortifications, où seul le ravin de l’oued Rehhi, l’actuel
Ras el Aïn, jette la note gaie de ses jardins et de ses légumes. Aucun souci
d’urbanisme : rues étroites en pente rapide, des maisons vieilles et mal construites, une
ville austère de casernes, de couvents et de forçats » (Guide agréé par la municipalité,
édition 1949-1950).
A l’inverse, Philippe Lamarque (2007) indique que « Après 1589 les Espagnols y
tracèrent une ville florissante, au commerce si actif que la légende prétend qu’elle aurait
été bâtie « sans autre frais que la valeur des boiseries »37. Celle-ci n’est pas en réalité
une légende mais des informations rapportées par l’Histoire d’Oran de Fey qui
correspondent aux inscriptions espagnoles qui ornent plusieurs édifices. Ce dernier,
ajoute que « cette ville, qui brillait par son luxe et l’éclat de ses fêtes, était appelée en
Espagne « la Corte-Chica » - la petite Cour ». (1858, p. 128). Cette appellation
correspond certainement à la rhétorique officielle de l’époque vouée, de toute évidence,
à donner un prestige international à la couronne espagnole38.
37
Evocation d’Oran l’hispanique par Philippe Lamarque parue dans le magazine trimestriel de « La
guerre d’Algérie » 2ème partie, in http://babelouedstory.com/voix_du_bled/oran_02/oran_02.html, p. 2
38
Elle fait référence à ces élites espagnoles d’aristocrates et de personnages influents tombés en disgrâce
qui, depuis l’époque de Philippe II, devaient séjourner à Oran pour purger leur crime. Un poète espagnol
du XVIIe siècle, Gongora, les transforma en héros dans des poèmes célèbres, comme celui qui dit
« Servait à Oran le Roi un Espagnol à deux lances ». L’enclave oranaise était aussi le refuge des fugitifs
chrétiens qui fuyaient Alger et d’autres lieux pour se placer sous la protection de sa garnison. Même
Cervantès a fait le voyage à Oran en 1581 pour des raisons qui ne sont pas connues (Epalza & Vilar,
1988).
108
Château
Neuf
Les jardins
Oued Rehhi
Blanca
A
Casbah
Marine Murdjadjo
Figure 4 : Oran et ses fortifications: ville espagnole enserrée entre le mont Murdjadjo, le ravin d’Oued Rehhi, la Casbah et la mer. Source: Lespès (1938), plan
non daté. Mise en forme: F. Kettaf
109
2-2-1-1 Les places dans la ville espagnole39
En effet, la ville d’Oran espagnole est dotée d’une place centrale, la Plaza de Armas
(Place d’Armes) où défilaient les parades et où se trouvait l’Hôtel de Ville. Autour
d’elle s’organise un réseau de rues convergentes, étroites et fortement escarpées.
Quelques rues sont même construites en escalier. Cette place centrale constituait le
siège du pouvoir militaire et civil. Un peu plus loin, la Plaza del Yglesia Mayor
entourée de plusieurs églises était, sans doute, le siège du pouvoir religieux ; elle a
disparu sous les décombres du tremblement de terre de 1790 et a été occupée en 1832
par le campement et l’hôpital militaire français, dit « de la Mosquée », en raison de la
présence en son sein du minaret turc. Non loin de là, la Plaza del mercado ou de las
Verduras (la Place Aux Herbes des Français, une petite place au bout de la rue
Monteba) était la place du marché dont il ne reste que quelques traces. Hors les murs, en
contrebas de la ville, dans le quartier de la Marine édifié lors de la deuxième occupation
s’éleva la Place de la chapelle del Carmen, qui ne subsiste plus aujourd’hui. Seule la
place principale, la Plaza de Armas des Espagnols (appelée Place de l’Hôpital, puis
Place de la Perle par les Français et, enfin, Place Echeikh Abdelkader aujourd’hui)
marque encore actuellement l’espace urbain de l’ancienne ville espagnole (Figure 5).
39
Selon Epalza et Vilar (1988), un rapport sur Oran établi par Don Luis Roel et imprimé à Madrid en
1790 dénombrait neuf places et placettes, dont l’esplanade à l’intérieur de la casbah.
110
C
Figure 5 : Places d’Oran espagnoles en 1732. A- Plaza Principal (de Armas), B- Plaza del Yglesia Major, C- Plaza del Mercado (de las Verduras).
Source: Lespès (1838), Mise en forme F. Kettaf
111
A-Rôle de la Plaza de Armas dans la ville espagnole d’Oran : la Plaza Mayor ?
La ville d’Oran, dérivée d’une structure préexistante dont l’organisation urbaine n’est
pas encore identifiée clairement, comporte une place centrale, proche d’une église, qui a
certainement acquis au fil des trois siècles d’occupation espagnole un rôle important.
Nous sommes donc probablement en présence d’une espèce de plaza mayor à l’instar de
celles qu’on retrouve en Espagne. Certes, le cadre architectural ne présente pas l’aspect
esthétique et ordonnancé des plazas mayores classiques, celles qui firent partie de la
réalisation monumentale de la monarchie espagnole, à l’instar de ce qui fut le cas en
Italie au XVIe siècle et en France au XVIIe siècle.
Apparue à la fin du Moyen Âge, la plaza mayor s’affina et se diffusa au XVIe siècle
comme un vrai modèle urbanistique qui s’exporta en Amérique latine et notamment au
Mexique où la fondation d’une ville commençait systématiquement par l’établissement
d’une plaza mayor41 (Chumillas, 2010 ; De Solano, 1982). Pierre Gihodes évoque à son
sujet « ce carré vide et initial du damier sur lequel s’ouvrent l’église et la maison
municipale, éventuellement la prison, presque toujours le pilori [, qui] est au départ de
toutes agglomérations dans les premières cités […] » (1982, p. 171).
Ainsi, la plaza mayor se décline sous deux variantes : celle des villes à nouvelle
fondation et celle des villes anciennes qu’on transforme42. Selon Charles Higounet
(1982), la place des villes de création s’inscrit en droite ligne dans le schéma de la place
40
Il est possible que le terme «plaza principal » ne soit que la traduction systématique faite par les
Français du terme plaza mayor et que nous retrouvons dans les cartes d’Oran reproduites par des auteurs
français qui relatent l’histoire espagnole de la ville.
41
Ce type de forme et de centralité est dicté par les Ordonnances de Philippe II, de 1573, qui disposent
que c’est par « la plaza mayor […] (que) doit être commencée la poblacion (ville) ». Voir à ce propos
l’explication d’Alicia Novick et Graciela Favelukes dans Tapalov 2010, pp.951-954.
42
Un ouvrage collectif intitulé Plazas et sociabilité en Europe et Amérique latine publié en 1982 suite au
colloque organisé à la Casa de Velazquez les 8 et 9 mai 1979 constitue une contribution majeure à la
compréhension, dans une perspective socio-historique et sociologique, des aspects essentiels de la
problématique que constitue la plaza mayor hispanique et ses antécédents historiques dans le temps et
dans l’espace.
112
des bastides du sud-ouest de la France développé au XIIIe siècle43 : c’est une place
carrée et entourée d’arcades qui s’insère au centre d’un plan quadrillé de rues disposées
selon deux axes orthogonaux. Beaucoup s’accordent à dire que ce modèle s’appuie sur
celui de la place de Montauban fondée en 1144 (Lavedan, 1974 ; Higounet, 1982) et
qu’André Bazzana considère, et ce n’est là selon lui qu’une hypothèse, comme « une
ébauche de plaza mayor » (1982, p. 36). La place des « villes anciennes remaniées »,
quant à elle, s’adapte, se transforme à l’aune des nouvelles exigences de la vie sociale et
politique. Ainsi, elle se remodèle et évolue graduellement vers la plaza mayor sans
toutefois en avoir l’aspect esthétique44. C’est à cette deuxième configuration que doit
donc être associée la place principale de l’Oran espagnol.
Très peu d’indications nous sont parvenues sur l’œuvre urbaine de la première
occupation espagnole, hormis le fait que la physionomie générale de cette place et de
ses bâtiments rappelait les anciennes places castillanes et que la ville a conservé
beaucoup d’éléments moyenâgeux (Epalza et Vilar, 1988). Cependant, quelques
informations tout à fait précieuses, loin de tout expliquer, nous instruisent sur les
fonctions et réalisations urbaines dédiées à cette place pendant la deuxième occupation
(1732-1790). Le retour des Espagnols, rappelons-le, est marqué par une augmentation
significative de la population qui pourrait expliquer les améliorations urbaines apportées
à la ville et à l’aménagement de la place. Selon Epalza et Vilar (1988), Oran connaît, à
partir de 1732, des changements importants dans sa structure urbaine, qui s’appuient sur
les règles de l’urbanisme du XVIIIe siècle, à savoir la ligne droite, la perspective et le
monument. La réorganisation de la Place d’Armes suit les plans de Tomâs Terreiro qui
tente de la remodeler suivant ces règles. Ces auteurs écrivent que :
43
Charles Higounet dans son analyse de « la place dans les bastides médiévales » écrit que « ce
mouvement de création des bastides a commencé vers 1220 et a duré un siècle environ, avec quelques
prolongements jusqu’à 1374 ». Il dénombre quelque 300 fondations mais il précise que seule une centaine
d’entre elles ont une place entrant dans ce type géométrique. Il souligne que « dans les deux grands types
planifiés, plan sur un axe ou quadrillage sur deux axes, la place s’est insérée de deux façons différentes
dans le tissu bâti ». Cependant, il ne propose aucune hypothèse quant à la filiation entre cet urbanisme et
celui des villes neuves de la péninsule ibérique (1982, pp.121-129).
44
Pedro Chalmeta, un historien islamisant de l’université de Complutense de Madrid, dans son article Les
fonctions de l’Agora-Forum dans la cité arabo-musulmane (1982), examine la vie socio-économique
médiévale musulmane pour répondre à la question de savoir si l’Islam andalous a servi de lien entre le
forum hispano-romain et la Plaza Mayor. Il soutient que l’Islam andalou devait s’installer sur un tissu
urbain où l’agora-forum avait déjà disparu et que donc il n’y aurait pas d’éléments pour établir un relais
entre l’agora-forum allongée ou rectangulaire et la plaza mayor plus ou moins carrée. L’auteur émet une
hypothèse selon laquelle la plaza « serait plutôt une conséquence du phénomène complexe de la
repoblacion (repeuplement) » (p.17), et que sur le plan économique c’est le marché rural, nécessitant un
espace libre, qui se déroule sur une place. La place du marché servait aussi pour des manifestations
sociales et ludiques et, en intégrant des considérations de sécurité, elle aurait évolué graduellement vers la
plaza mayor. Elle serait ainsi devenue un lieu par excellence de concentration des différentes activités
publiques de la ville (pp. 9-18).
113
« La place est entourée de nobles édifices à porches castillans – Hôtel de Ville,
Junte de Gobierno, Junte de Comercio, etc.- et accueille au centre une statue de
Charles III. On y rectifie aussi les rues ; des jardins apparaissent dans les espaces
libres ; de grands bâtiments qui se ressemblent comme des gouttes d’eau se
construisent par l’administration civile et militaire, pour des casernes et des
hôpitaux. C’est ainsi qu’Oran prendra une tournure tout à fait moderne pendant les
60 ans de la deuxième occupation espagnole. » (1988, p. 153)
Déjà Don José Vallejo, dès le retour des Espagnols, la fit entièrement paver lors des
grands travaux de fortifications menés à Oran entre 1734 et 1738 (Vallejo, 1738, p. 6).
Mais c’est le gouverneur Don Eugenio de Alvarado qui, sous le règne de Charles III,
entrepris entre 1770 et 1774 des travaux significatifs de remaniement de la place (Fey
1858 ; Lespès, 1938 ; Pestemaljoglou, 1936 ; Tabalosos, 1773).
114
L’ensemble donnait à la place un aspect équilibré et symétrique (Epalza et Vilar, 1988,
p. 153).
Une point essentiel qui semble conforter notre opinion sur le rôle de la plaza de armas
comme plaza mayor, c’est la position particulière d’une église bordant la place. Sur le
plan de la ville de 1732 présenté par Lespès (1938), nous remarquons, en effet, que
parmi les quatre églises que comptait la ville, l’une d’elle occupe un des coins de la
place sans chercher à composer un cadre architectural particulier : elle offre sa façade
latérale à la vue et n’est pas en contact direct avec la place, disposition qui s’oppose aux
arcades et aux ouvertures de la façade principale. Il était d’un usage courant dans
l’urbanisme qui caractérisait généralement la plaza mayor de création (ainsi celui des
places des bastides), que l’église ne soit pas directement associée à la place. Dans
nombre de cas, elle pouvait même parfois en être détachée et située à un îlot de maisons
de celle-ci (Lavedan, 1974 ; Higounet, 1982 ; Bazzana, 1982). Les deux autres églises
majeures s’organisent autour de la Plaza Eglesias Mayor, située à un pâté de maisons de
là, à l’écart de la place principale. Cette place constituait certainement la place
« religieuse » d’Oran à dominante catholique (cf. figure 5).
De cet essai de lecture urbaine, réalisé grâce à quelques écrits et documents graphiques,
nous pouvons formuler l’hypothèse qu’il est très probable que la plaza de armas, quant
45
Il s’agit, selon Epalza et Vilar (1988) du buste du souverain, posé sur une colonne dorique à base
carrée, qui s’inspire du portrait du monarque, réalisé par le peintre Rafael Mengs (p. 153-154). Cette
statue n’existe plus aujourd’hui.
46
Cette inscription qui orne toujours la place est traduite par Fey (1858, p. 189) dans les termes
suivants : « Sous le règne de Sa Majesté Charles III, d’éternelle mémoire, ces places étant
commandées par le maréchal-de-camp don Eugenio Alvarado, on construit ces portiques sans frais
pour le domaine royal ni pour le public. En l’an 1772 ».
47
Les inscriptions ont été décrites par Fey, Histoire d’Oran (1858); Ximenez De Sandoval, Las
inscripciones de Oran y Mazarquivir (Madrid, 1867) ; certaines également par Cruck, Oran et les témoins
de son passé (1959).
115
au rôle qu’elle a joué, s’est confondue avec la plaza mayor, comme cela fut bien
souvent le cas dans les villes d’Amérique latine. Alors qu’en « Espagne [la plaza de
armas] ne pouvait être qu’un espace ouvert d’usage militaire » (Chumillas 2010,
p. 949). En effet, à Oran, la Plaza de Armas porte en elle un ensemble de
caractéristiques dévolues à la plaza mayor sans en avoir, bien sûr, le cadre architectural.
C’était le centre du pouvoir militaire, mais aussi le pôle civique et commercial : un
espace plurifonctionnel mais aussi le lieu essentiel de la représentation officielle de la
monarchie espagnole en territoire d’Algérie.
Conquise et baptisée Place de l’Hôpital par les Français, la Plaza de Armas fut ensuite
en partie transformée et dotée d’une forme plus géométrique. Elle perdit complètement
de sa centralité lorsque le centre de la ville fut progressivement déplacé sur le plateau
Karguentah. Aujourd’hui, très peu d’éléments de ceux qui composaient et ornaient cette
place au temps des Espagnols subsistent. Elle est aujourd’hui une place de vie pour ce
qui est devenu un des quartiers de la ville ancienne d’Oran qu’on appelle le quartier de
Sidi el Houari. En effet, seuls les quelques petits commerces de proximité et la mosquée
qui la borde lui octroient une forme de vie urbaine. Agréablement ombragée et
aménagée de bancs, la place, communément appelée place de la Perle, offre la
possibilité aux anciens du quartier de se reposer sous les ficus. La place est aussi
entièrement carrelée, ce qui permet aux enfants de l’utiliser comme terrain de jeux.
La présence turque est beaucoup moins marquée à Oran. Cela s’explique par leur double
présence de courte durée, l’une de 24 ans et l’autre de 39 ans. Cela s’explique aussi par
les ravages multiples subis par cette ville : les rivalités intestines entre les Beys
successifs d’Oran et les Deys d’Alger ; l’état de guerre permanent contre les agressions
extérieures, notamment celles des Chérifs marocains et de leurs sujets qui soutenaient la
révolte des tribus ; les calamités comme la famine et la peste qui ont décimé une grande
partie de la population au cours du XVIIIe siècle (Fey, 1858 ; Seguy, 1887 ; Kehl,
1942 ; Lespès, 1938…).
116
La première période de 1708 à 1732, gouvernée par le bey Bou-Chelaghem, ne semble
pas avoir connu d’édifications nouvelles ni d’améliorations urbaines significatives. Du
moins aucune information sur une possible transformation urbaine au cours de cette
période n’a été rapportée par les historiens. Toutefois, pendant la deuxième occupation,
la ville est agrémentée de quelques édifices remarquables : deux mosquées avec leurs
minarets, l’une dite du Pacha ou Bacha (1796), située rue Philippe sur la rive droite du
ravin, et l’autre (1799), sur la rive gauche, au milieu du quartier la Blanca aux abords de
l’ancienne place d’armes espagnole48. Deux autres mosquées, moins importantes par
leur architecture mais plus marquantes par leur inscription dans la mémoire collective,
furent aussi édifiées. Celle construite par le bey Mohammed-el-Kébir pour son tombeau
sur la plaine de Karguentah à l’extérieur de la ville et celle érigée en 1799 dans l’ancien
quartier espagnol par le bey Osman, fis de Mohammed-el-Kébir. Cette dernière est
nommée Sidi-el-Houari, du nom du Saint patron de la ville qui reste jusqu’à nos jours
vénéré par les Oranais.
Après le départ des Espagnols en 1792, le siège de la nouvelle capitale du Beylik fut
transféré de Mascara à Oran. Le bey de Mascara installé par le Dey d’Alger pour
gouverner la ville, entrepris une importante action de repeuplement pour redonner vie à
une ville évacuée par les Espagnols et détruite aux trois quarts par le séisme. Il fit appel
à des populations de toutes ethnies confondues. Ainsi, la ville est bientôt repeuplée par
des Musulmans venus des villes du beylik de l’Ouest, à savoir : Mascara, Tlemcen,
Nédroma, Mostaganem, Mazouna, Kalaâ, etc., mais encore Alger et Constantine, voire
des villes du Maroc, particulièrement Fès et Oujda. La population musulmane de cette
période est aussi composée par les gens originaires des tribus constituant le Maghzen
turc, particulièrement celles des faubourgs alentours, comme les Zmala, les Douaïr, les
Gharraba, et par les Maures. La ville est aussi repeuplée par des Juifs d’Oranie et du
Maroc. Les Espagnols et quelques Français qui sont restés à la demande et sous la
protection du bey, et désireux de continuer à vivre à Oran, ont peu à peu quitté la ville
après la disparition de Mohamed el Kébir en 1799 (Fey, 1858 ; Seguy, 1887 ; Kehl,
1942 ; Lespès, 1938 ; Benkada, 2008). Selon Robert Tinthoin (1956), le bey avait réuni
8.000 à 9.000 habitants israélites, maures, nègres, koulouglis (issus de mariages mixtes
algéro-ottomans). Mais ce chiffre n’indique pas s’il intègre les Turcs, et les gens des
tribus locales.
48
Pas très loin de la place espagnole, un bâtiment d’une architecture mauresque remarquable appelé le
Colysée, fut édifié, selon Adrien Berbrugger (1843), par le dernier bey d’Oran, Hassan Bacha, pour y
loger son harem. Fey et également Seguy repris par Lespes, nous informent que cet édifice est plutôt
l’œuvre des Espagnols : un théâtre élevé par le marquis de la Senora, qui s’appelait aussi théâtre de la
Senora. Ebranlé par le tremblement de terre de 1790, il servira de caserne aux Français dès leur arrivée en
1831 avant d’être démoli pour édifier l’hôpital militaire de Baudens (1846-1850).
117
l’installation – musulmans et juifs –consistait à leur octroyer à titre onéreux ou gracieux
des parcelles de terrains pour pouvoir s’y établir49. Bien que la situation soit trop
complexe, et les informations pas toujours cohérentes pour donner une description
exacte des faits urbains de cette période, tout porte à croire, d’après les historiens, que le
Bey accorda aux premiers arrivants, majoritairement musulmans, des terrains ou des
maisons espagnoles dans la Vieille Ville ruinée par le séisme. Ce Bey a en outre cédé
aux Juifs, dont beaucoup avaient été expulsés par les Espagnols en 1669, des terrains
situés sur un plateau sur la rive droite du ravin Ras-el-Aïn, pour y construire leur
quartier (Kehl, 1942 ; Lespès, 1938 ; Benkada, 2008). Cette concession, comme le
remarque Saddek Benkada (2008), n’était pas faite exclusivement aux Juifs, le Bey
l’avait aussi accordé aux principaux chefs des tribus maghzen. L’intention du Bey,
comme le suppose le même auteur, était avant tout de créer une ville nouvelle attirant
une « population industrieuse », composée aussi bien de Musulmans que de Juifs
(p. 97).
- Au sud, une deuxième partie est, quant à elle, constituée d’une étroite et longue
bande en pente douce qui s’étire le long du mur d’enceinte. Elle est enserrée
entre celui-ci à l’est et la ligne de crête à l’ouest qui borde les jardins qui dévalent
vers l’oued Rehhi. Elle se déploie entre la porte Bab es-Souk au nord et la porte
Bab el-Djiara (porte des chaufourniers) au sud. C’est cette deuxième partie qui fut
attribuée aux Juifs.
Cet octroi est accompagné d’une obligation de bâtir selon de longs alignements
parallèles, les rues se coupant parfois à angles droits. Beaucoup d’historiens attribuent
49
Saddek benkada (2008) nous informe « qu’après l’évacuation d’Oran par les espagnols [et selon le rite
malékite], le Beylik s’était trouvé propriétaire, non seulement d’une part appréciable du sol nu, mais aussi
des maisons et des moulins, et surtout d’une importante banlieue maraichère, qui fournissait aux
Espagnols l’essentiel de leur approvisionnement en fruits et légumes. En fait, le beylik avait hérité de
l’administration espagnole le Domaine public de la ville régi par des documents cadastraux détenus par
des Regidores (régisseurs) ». (p.79)
118
ce fait urbain à la volonté d’un véritable conquérant et aménageur éclairé. Mais si le
développement urbain que prend Oran à la fin du XVIIIe siècle illustre la volonté du
Bey, non seulement de repeupler la ville, mais aussi de mieux l’organiser, il n’en
demeure pas moins que le tracé semble avoir été dicté à la fois par la linéarité du mur
d’enceinte et du terrain à bâtir disponible et par le tracé initial des chemins qui
traversent et divisent les jardins datant de la période espagnole. Ainsi le Bey a
certainement mis à profit ces éléments géographiques et topographiques pour édifier de
longues voies parallèles qui structurent les lots qu’il vendit aux Juifs, préfigurant en
quelque sorte un plan de « lotissements » avant l’heure50.
Ce quartier dit Derb el Yhoud en arabe, et désigné « quartier Juif » sur les plans français
comme sur celui d’I. Derrien de 1848, constituait la nouvelle poussée de la ville sur la
rive droite du ravin oued Rehhi. Cependant, nous ignorons si cette organisation urbaine
est accompagnée par l’obligation d’édifier des places publiques. Cela est fort peu
probable, mais nous ne disposons pas d’information à ce sujet. Néanmoins, le plan
d’alignement des rues d’Oran, dessiné par l’ingénieur Aucour en 1840 sous
l’occupation française, indique l’existence de quelques espaces libres qui semblent avoir
été remaniés pour former de futures places : Place Napoléon à la porte du marché (Bab-
es-Souk), Place des Carrières à la porte des Carrières (Bab el Djiara), Place Blanche et
Place Naples à l’intérieur du quartier. Les Turcs durent finalement battre en retraite et
les Français s’installèrent en janvier 1831.
50
Le lotissement comme action de lotir sur un large territoire est une pratique, somme toute, très ancienne
appliquée en Europe. On peut citer, par exemple, les villes neuves médiévales qui sont du point de vue
foncier, de vastes lotissements publics. Quant au terme « lotissement », Pierre Pinon (2003) écrit qu’il
semble avoir été employé pour la première fois, dans le langage administratif à Paris pour désigner les
reventes de terrains expropriés aux riverains des percées haussmanniennes (p. 53).
51
Voir à ce sujet Marc Côte (1996), L’Algérie, Paris : Masson (réédition 2005, Constantine : Média-Plus)
et Tsakopoulos Panayotis, « Techniques d’intervention et appropriation de l’espace traditionnel :
l’urbanisme militaire des expéditions françaises en méditerranée, REMMM 73-74, 1994/3-4, pp. 209-227
52
La référence est à la loi 52 du 16 septembre 1807 qui « exige l’établissement d’un plan général
d’alignement dans toutes les villes de France de plus de 2000 habitants » (Picard, 1997, p. 222)
119
transformation des voies existantes qu’à la création de nouvelles voies. L’œuvre du
service du Génie s’appuie aussi sur des travaux d’édilité ou d’agrément, de réalisation
d’arcades, de plantation d’arbres, de création de lieux de promenade, de places,
d’installation de fontaines et de kiosques à musique, etc. (Le service du Génie, 1932 ;
Malverti, 1994 ; Picard, 1994a, 1994b, 1997).
Même si l’ordre défensif reste dominant, il n’en demeure pas moins que l’ordre urbain
occupe une place importante. L’organisation de l’espace occupé se manifeste en effet
par l’introduction d’alignement de rues et l’aménagement de places, qui constituent les
outils majeurs de l’intervention française en matière d’urbanisme en Algérie. Ce
processus colonial d’appropriation de l’espace est mis en œuvre tout au long du XIX e
siècle. Les levés de villes et de territoires ainsi que les propositions de nivellement et
d’alignement, d’aménagement de places publiques, de fortifications et de projets
d’édifices, conservés au Centre National des Archives d’Outre-mer d’Aix-en-Provence
(ANOM), aux Archives du Génie et du Dépôt de la guerre du Château de Vincennes en
France53 et dans les archives du Cadastre et de la Mairie d’Oran, constituent, comme
nous l’avons indiqué dans l’introduction générale, un important corpus pour l’étude de
l’urbanisme et de l’architecture en Algérie au XIXe siècle.
Le remodelage du tissu urbain est largement inspiré par le modèle européen. Toutefois,
des orientations sur une démarche qui consisterait à adapter les exigences de la vie
européenne aux rigueurs du climat algérien dans l’aménagement des villes ont été
formulées. En effet, à la demande de Bugeaud, Gouverneur Général de 1840 à 1847, de
définir les règles de construction en Algérie, les ingénieurs du Génie français se réfèrent
aux dispositions des villes et des maisons existantes pour proposer des
53
Cf. Archives du Génie, cartons de l’article 8 (Algérie, Alger, Bône, Constantine, Oran, Tlemcen), et
Arch. Du D. G, cartes de la série 6.B (Algérie).
120
recommandations aussi bien pour le tracé de villes nouvelles que pour les constructions
d’édifices publics et privés54. Cependant ces conseils ne seront que peu appliqués
(Picard, 1994b, p. 123-125). Seules peut être l’étroitesse des voies, la petitesse des
places et la plantation d’arbres qui semblent être des dispositions qui répondent aux
ardeurs du climat. Si ces caractéristiques paraissent aussi répondre à la géographie et à
la nature du sol, elles renvoient aussi à des considérations économiques. A ce propos,
Aleth Picard (1997) soutient que c’est souvent pour des raisons économiques que « les
édiles français construisent des rues moins larges que celles tracées dans les villes
françaises » (1997, p. 223). Xavier Malverti (1994) insiste sur ce point et note que le
colon, en tant que propriétaire, contribue financièrement aux dépenses d’édification de
l’espace public proportionnellement à la longueur de la façade de la maison. C’est
pourquoi la question de la largeur des voies et de leur ornement par des arcades est
souvent source de discussions nombreuses et parfois conflictuelles entre propriétaires et
administration de la ville. L’auteur souligne que « les officiers du Génie dessinaient des
plans réguliers qui « permettent à la fois de répartir avec égalité les colons – […] – et
hiérarchiser les différents espaces publics de la ville par la largeur des rues, l’utilisation
des plantations ou des arcades ». Il précise que le savoir-faire des ingénieurs militaires
s’illustre non seulement dans leur capacité à organiser la ville avec économie et tracer
des plans réguliers mais aussi dans leur aptitude à s’adapter, pour des raisons de
défense, au relief du site pour composer un paysage (1994, p. 237). Promenades,
rampes, boulevards, places, plantés d’arbres ou ornés d’arcades, sont ainsi aménagés
dans le respect du paysage pour créer une ville confortable et surtout accueillante pour
les civils européens (Picard, 1997 ; Malverti, 1994).
54
Aleth Picard nous rapporte un passage des conseils du colonel Charon, directeur du Génie en Algérie,
concernant le tracé des villes nouvelles: « il est un point sur lequel on ne saurait jamais avoir aucune
contestation, parce qu'il a pour bases la raison et le bon sens. Telle serait, sous le rapport de la salubrité et
du bien être des habitants, la nécessité ; premièrement, d'éviter, autant que possible, de percer des rues du
nord au midi, et, dans le cas où les communications exigeraient qu'on leur donnât cette direction, de les
onduler de manière que l'un des côtés de ces rues puisse toujours projeter assez d'ombre pour garantir des
ardeurs du soleil ceux qui auraient à les parcourir ; deuxièmement, de border de portiques celles que l'on
serait dans l'obligation de percer en droite ligne ou bien de les abriter par des toits très saillants, en ayant
aussi le soin de les tenir le moins large possible, et de les rafraîchir par un courant d'eau vive. Il faudrait
aussi que les places publiques fussent également entourées de portiques et peu spacieuses ; quant aux
grandes places, si, par exception, elles étaient jugées nécessaires, il conviendrait de les planter d'arbres et
de les décorer de fontaines» (p. 124).
121
Malverti (1994) d’abord sur les tracés des voies, ensuite sur les réalisations
monumentales, pendant que la construction des logements est laissée à l’initiative
privée.
Les destructions furent massives dans les villes algériennes où les vieux tissus
particulièrement denses et sinueux présentaient un obstacle certain à la mise en œuvre
de la nouvelle organisation urbaine coloniale. Des pans entiers des "villes indigènes"
furent détruits, transformés, percés par les Français pour imposer un paysage urbain
empreint d’un urbanisme résolument européen ; la ville d’Alger en est l’illustration
manifeste. En effet, pour transformer celle-ci en ville française, le Génie dut détruire le
bas de la vieille cité (dénommée la Casbah) pour élargir et aligner plusieurs rues et
ouvrir une grande Place d’Armes, d’abord appelée Place Royale puis Place du
Gouvernement (Béguin, 1983 ; Almi, 2002 ; Oulebsir, 2004). A l’inverse, l’application
du modèle urbanistique européen à Oran s’est faite d’une manière plus aisée. Comme
nous l’avons vu plus haut, les Espagnols ont fait d’elle une ville à caractère européen et
les Ottomans ne l’ont pas vraiment modifié. Par ailleurs, le tremblement de terre de
1790, qui a détruit une bonne partie de la ville, a favorisé l’installation rapide des
Français. L’historien Charles André Julien (1979) affirmait d’ailleurs qu’Oran était la
ville d’Algérie dont l’apparence était la plus européenne (1979, p. 255).
Dès 1831, la ville française s’installa sur l’essentiel de la ville ancienne qui occupait une
surface d’environ 60 hectares (figure 6). Vidée de sa population musulmane qui l’avait
prétendument quittée, elle compte alors, d’après Lespès (1938), 3.000 habitants. Isidore
Derrien (1886) donne un peu de précision et rapporte le premier essai de recensement de
la population d’Oran effectué par M. Pujol, commissaire du Roi exerçant alors les
prérogatives administratives du maire55. Au 2 février 1832, soit une année après
55
I. Derrien (1886) écrit qu’il n’y avait pas encore de conseil municipal proprement dit. Un arrêté du 14
Septembre 1831 du général Berthezène, comme celui appliqué au 2 septembre 1930 à Alger, avait créé à
Oran un « Commissaire du Roi », ayant les compétences administratives du maire. C’est ainsi que M.
Pujol, capitaine de cavalerie en retraite, fut nommé commissaire du Roi et commissaire de police, assisté
d’un conseil composé d’Israélites et de Musulmans. Ses rapports avec le sous-intendant civil, institué en
vertu de l’ordonnance du 1er et 6 décembre 1831, furent une série de conflits. L’ordonnance royale du 12
mai 1832 qui modifia celle de 1831, en plaçant les deux pouvoirs, civil et militaire, sous les ordres du
ministère de la guerre, réduisit la tâche du commissaire au Roi au rôle d’officier de l’état civil et de
122
l’installation des Français, elle était de 3.856 habitants dont 2.876 Israélites, 730
Européens et 250 Musulmans (Derrien, 1886, p. 37-38).
Figure 6 : Les quartiers d’Oran et ses environs en 1831. Source : I. Derrien (1886). Mise en
forme F. Kettaf
En 1846, 15 ans après l’occupation, la population totale avait atteint 25.893 habitants
parmi lesquels les Européens étaient devenus majoritaires. En effet, ceux-ci sont 18.739
– soit un peu plus de 70% de la population totale – composée de 30% de Français, 60%
d’Espagnols et de 10% d’autres nationalités, italienne majoritairement. Les 7.154
habitants restants – c’est-à-dire 30% de la population totale – sont constitués de
l’élément « Indigène » composé de 65% d’Israélites et de 35% de Musulmans56
(Lespès, 1938 ; Tinthoin, 1956). Le peuplement européen qui a contribué fortement à
l’accroissement de la population oranaise, explique les importants travaux d’urbanisme
entrepris par le Génie français aux lendemains de la conquête.
commis du sous-intendant, sans aucune gestion du budget. Les dépenses étaient alors confondues avec
celles de l’Etat.
56
L’estimation de la population musulmane et juive est ici approximative, précise R. Lespès (1938).
Celui-ci émet, en effet, quelques réserves sur les résultats officiels des recensements effectués durant cette
période. Il écrit que le dénombrement de cette population, musulmane en particulier, a été extrêmement
difficile car il a été impossible de suivre son mouvement. C’est à partir de 1901 que le recensement donne
des chiffres officiels sur la population musulmane. Quant aux Juifs, pour la période antérieure à 1870 –
c’est-à-dire avant le fameux décret Crémieux du 24 octobre 1870 qui leur permet d’acquérir la nationalité
française – leur progression était d’une exactitude discutable en raison des dissimulations et des non-
déclarations fréquentes dans cette première période de l’occupation française (Lespès, 1938, p. 93-110).
123
Dès 1832, l’ingénieur civil M. Pézerat, le premier directeur du service des Ponts et
Chaussées, se consacre, outre à l’installation des premiers établissements civils publics,
à l’établissement du premier Plan de la Ville d’Oran57. Le nouveau tracé suivait en
grande partie le tracé de la ville espagnole dont les lignes subsistaient encore.
L’attention se porta aussi sur le comblement des terrains libres entre le Château Neuf et
le quartier juif. Mais jusqu’en 1839 il n’y avait aucun plan d’alignement ni de
nivellement ou d’ouverture de nouvelles voies. Plusieurs faits retardèrent le
développement de la ville.
Les premières années d’occupation furent marquées non seulement par l’insécurité qui
régnait à Oran et qui interdisait toute relation suivie avec l’intérieur, mais aussi par un
conflit de partage entre le pouvoir militaire et l’autorité civile en matière
d’aménagement urbain dans lequel la priorité est donnée aux objectifs militaires58. Dans
cet environnement, l’administration de la ville ou de la commune n’avait que très peu
d’existence. Elle ne disposa que de peu de pouvoir et de ressources suffisantes, écrit
Lespès (1938). A ce sujet ce dernier explique que, jusqu’à l’ordonnance du 31 janvier
1848 qui érigea Oran en véritable commune, il n’existait que des embryons de
municipalités. Et c’est l’arrêté ministériel du 1 septembre 1834, qui a permis la création
d’une municipalité composée d’un Maire et d’adjoints français, musulmans et israélites.
Les conseillers étaient au nombre de neuf : cinq Français, trois Juifs et un Musulman59.
Si la Ville pouvait fixer ses recettes spéciales, l’administration restait sous l’autorité de
l’intendance civile, maître des dépenses. Ce régime, toutefois, ne dura pas longtemps,
un arrêté du 2 août 1836 réduisit de nouveau les pouvoirs du Maire à ceux d’officier de
l’état civil. Cet arrêté qui annula l’organisation de 1834, réunissait les dépenses et les
recettes dans le seul budget colonial. Dès lors les Conseils Municipaux sont privés de
moyens d’actions et impuissants faute de budgets à administrer : ils s’éteignirent
progressivement et la commune ne disposa pas de pouvoir réel dans l’édification de sa
ville. C’est en effet l’Armée qui gouverna tous les travaux d’aménagement et de
construction dans cette première période de l’établissement français (Lespès, 1938,
p. 129-130).
C’est à partir de 1840, et sous la tutelle du Génie militaire, que les premiers rapports
techniques sur l’urbanisme d’Oran sont rédigés par l’ingénieur des Ponts et Chaussées
57
R. Lespès (1938) dans une comparaison avec le plan de la ville espagnole de 1732, c’est-à-dire
antérieur d’un siècle, montrait que « dans les limites de l’enceinte, et par conséquent sur la rive gauche du
ravin, il n’y avait eu guère de changements dans le tracé de la voirie » (p. 131-132).
58
Malverti (1994) écrit que durant la première décennie (1830-1840), les essais de colonisation sont très
limités, et concernent strictement les grandes villes du littoral, Alger, Oran et Bône. Mais en 1834, la
France se prononce pour une colonisation de peuplement. A Alger, la colonisation sera militaire et
communale, à Bône elle sera militaire et agricole et à Oran strictement militaire (p. 230).
59
C’est M. Paschai Lesseps, successeur de M. Pujol qui a démissionné en mars 1833, qui a reçu le 6
juillet 1835 le titre de Maire qu’il conserva avec cette fonction jusqu’en 1848 (Derrien, 1886, p. 49).
124
M. Aucour qui fut une des grandes figures de l’aménagement de la ville (Derrien, 1886;
Lespès, 1938 ; Benkada, 2008). L’installation en août 1840 du commandant de la
Division d’Oran, Lamoricière, pour piloter le grand projet de colonisation, fut une étape
décisive dans le développement de la ville. Celui-ci a joué un rôle essentiel dans les
opérations militaires contre les attaques incessantes des tribus alentours – Douairs,
Zmélas et Gharabas- pour assurer la sécurité d’Oran et ses relations avec l’arrière-pays.
Il fut aussi un acteur important dans les projets d’assainissement et d’aménagement
d’Oran pour lesquelles il imposa l’établissement obligatoire de plans d’alignement et de
nivellement élaborés souvent conjointement par les ingénieurs militaires et civils. Il
confia à l’ingénieur Aucour, un fervent collaborateur, le Service des Ponts et Chaussées
et les travaux urbains majeurs 60. Ainsi, un plan d’alignement et de nivellement des rues
de la ville fut levé par Aucour et publié le 8 octobre 1840. Ce plan que nous avons
retrouvé dans les ANOM, semble s’appuyer sur celui dressé par M. Pézerat en 1832
décrit par Lespès (1938). Il constitue une pièce maitresse et originale pour illustrer
l’ordre urbain et la morphogenèse des places publiques (figure 7).
60
Selon I. Derrien, il fut créé en avril 1832 (1886, p. 40).
125
Figure 7 : Plan d’alignement des rues d’Oran proposé par Aucour (1840). Source : ANOM. Traitement et mise en forme: F. Kettaf
126
L’analyse exhaustive de ce plan nous montre clairement l’importance accordée à la
régularité de l’espace urbain qui est construit tantôt sur des alignements de rues tantôt
autour de places publiques. Celles-ci, en nombre considérable et de forme géométrique
claire, paraissent destinées à aérer et à organiser l’espace urbain particulièrement
décousu et tortueux. Elles semblent occuper un rôle privilégié dans le tracé de la ville.
En effet, les ingénieurs ont fait de la place un outil majeur de structuration urbaine et en
ont réalisé une grande variété. Ils ont su aussi composer, il faut le reconnaître, avec la
topographie du site pour agencer des places qui offrent des vues sur la mer, sur le
Murdjadjo, sur la ville étagée. Les officiers du Génie constituaient un véritable « corps
d’élite » écrit Benkada (2008) et, comme le soulignent A. Picard (1996) et X. Malverti
(1994), ils avaient une connaissance précise des espaces où ils intervenaient ; une
connaissance qui influença la nature des projets qu’ils eurent à réaliser ou à superviser61.
Par exemple, dans le quartier de La Marine, l’artère principale suivait en partie le tracé
de la rue d’Orléans, puis s’élargissait pour former ce qui devint la place d’Orléans et la
place Nemours. La place de l’Hôpital, ancienne place d’armes des Espagnols, présente
une forme plus géométrique. L’emplacement en avant de la première enceinte
espagnole, devant la porte et le pont de Canastel, est destiné à la future place Kléber.
Au-delà de cette dernière, sur la rive droite de l’Oued Rehhi, la future rue Philippe qui
s’insère dans un petit quartier en formation autour de la Mosquée du Pacha avec des
cafés et des boutiques, montait jusqu’à la deuxième enceinte espagnole. Son débouché,
agrandi et régularisé, est dédié à la place Napoléon, à la principale porte de la ville
appelée Bab es-Souk dénommée porte du Marché. Dans le dense quartier juif, plusieurs
places furent esquissées. La place Blanche, créée sur l’emplacement du marché
principal du quartier, ponctue la longue rue marchande d’Austerlitz. La place Naples
aère des rues qui finissent en impasses. La place des Carrières est dessinée aux abords
de la deuxième porte de la ville appelée Bab el Djiara – porte des Carrières (ou des
chaufourniers) – renommée porte des Carrières. La recherche de régularité s’effectue
pour le reste des espaces de la ville (cf. figure 7).
Cette période militaire est aussi marquée par des travaux importants pour améliorer les
communications dans la ville. Celle-ci, rappelons-le, était disposée topographiquement
en deux parties séparées par le profond ravin Ras-el-Aïn où coule l’oued Rehhi: a) la
ville basse, située sur la rive gauche du ravin, où se trouve la ville espagnole qui
comprend les quartiers de la Casbah, la Blanca et la Marine séparés les uns des autres
par des remparts ; et b) la ville haute, située sur la rive droite du ravin, où fut édifié par
les Turcs (1792-1831) le quartier juif qui jouxte la place Napoléon et la porte du Marché
61
L’ouvrage de Saïd Almi (2002) sur les politiques d’urbanisme menées par l’Etat colonial français en
Algérie a tenté de mettre en lumière ce que Pierre Merlin (2003) appelle « les éléments positifs », de
l’action urbaine coloniale, en particulier en cette période où « des militaires éclairés, inspirés du saint-
simonisme, exerçaient des responsabilités » (Merlin, 2003, p. 214).
127
Ces opérations urbaines coloniales témoignent d’un nouveau système urbain fondé sur
les principes du grand boulevard, de l’architecture monumentale et de la prééminence
de la ville régulière en écho avec les pratiques urbaines appliquées en Europe à la même
époque. Ainsi, sous l’impulsion du général Lamoricière et de l’ingénieur Aucour, les
plus importantes améliorations se concrétisent par la réalisation de trois voies nouvelles
agrémentées de plusieurs places. Ces voies et places furent la base de la formation du
nouveau quartier du Ravin.
En effet, différents dessins esquissent le boulevard (figure 8). Une proposition de 1844
présente un large cours d’au moins 30 mètres entre les murs, orné de fontaines et d’une
double rangée d’arbres qui mettent en perspective un majestueux théâtre. Une
disposition qui rappelle étroitement le cours Mirabeau d’Aix-en-Provence, et plus
particulièrement les allées Paul-Riquet de Bézier qui forment une vaste esplanade qui
aboutit à un théâtre62. Une deuxième proposition, de 1846, revoyant à la baisse sa
dimension, propose des arcades de part et d’autre d’une voie de 25 mètres entre les murs
et de 20 mètres entre les trottoirs. Un projet de 1849 renonçait aux arcades et au projet
du théâtre mais prévoyait une double rangée d’arbres. Ce boulevard qui portera
successivement les noms de Malakoff, Dr. Molle, Stalingrad et enfin Khédim Mustapha,
sera finalement une voie large de 25 mètres entre les murs et de 10 mètres entre les
trottoirs, ornée d’un seul alignement d’arbres. Cette voie jalonnera trois futures places
publiques dont deux porteront les principaux édifices publics : la Préfecture et la
62
Ce théâtre fut aussi inauguré en 1844. Cette concordance de date et de proposition nous interpelle.
Force est de constater l’influence des courants de pensée qui se sont développés en France au XIX e siècle,
et qui ont tenté de trouver en Algérie un terrain d’expérience et d’application.
128
Banque de France pour la place Kléber, la Chambre de commerce et la Mairie pour la
place Impériale.
Ces places, de formes et de dimensions variées, ont pour rôle premier l’articulation
entre les deux parties de la ville. Deux d’entre elles, les places Kléber et des
Quinconces, ont pris naissance aux abords des deux premières portes de la ville
espagnole, celle de Canastel et celle de Tlemcen (dite du Ravin Vert). Quant à la
troisième, la place Impériale (puis de la République), elle semble être posée sur
l’embouchure de l’oued Rehhi au dessus du niveau de la mer, une position qui lui
permet de surplomber par un balcon urbain le quartier de la Marine et le vieux port.
Cette disposition particulière lui donne, outre un rôle de jonction, des fonctions de
promenade et de sociabilité.
63
Une commission des fontaines fut instituée le 5 juin 1836 par le sous intendant civil M. Sol (cf.
Derrien, 1886).
129
Figure 8 : Différents dessins proposés pour le boulevard du Ravin (boulevard Malakoff). Fonds de plan : ANOM Aix-en-Provence & Cadastres Oran. Traitement et mise en forme : F. Kettaf
130
Ces travaux d’agrément étaient pour le Génie un outil indispensable pour favoriser le
peuplement et l’installation des Européens. A ce propos, Isidore Derrien (1886) nous
livre un passage du discours de Lamoricière de 1847 destiné à ses officiers et aux
fonctionnaires civils :
« En vous occupant des ouvrages utiles, leur dit-il, ne négligez pas ceux qui
peuvent donner de l’agrément à votre ville. […], vous penserez comme moi que
les travaux d’agrément sont ceux qui attirent et retiennent la population dans les
villes. Quand les conditions manquent on voit bientôt les cités languir et devenir
désertes » (Derrien, 1886, p. 224).
Pendant cette période militaire de 1831 à 1848, durant laquelle Oran était devenue la
principale base de ravitaillement militaire, un plan partiel d’alignement avait dû être
établi par les services des Ponts et Chaussées en 1845 pour définir les futures liaisons
nécessaires à l’occupation française. La ville existante ne pouvait plus contenir une
population en forte croissance. Selon les chiffres donnés par Lespès (1938), qui a émis
toutefois quelques réserves sur leur précision, la population d’Oran a quasiment doublé
entre 1843 et 1846. Elle est passée de 13.218 à 25.893 habitants, composée de 18.739
Européens et de 7.154 Indigènes. Dès 1844, l’administration militaire avait envisagé
l’extension de l’espace urbain au-delà de la deuxième enceinte espagnole, sur le plateau
dit de Karguentah, vaste plaine facilement constructible (Derriens, 1886 ; Lespès, 1938 ;
Cruck, 1958).
Les logiques d’implantation coloniale à l’origine des formes spatiales de cette période
sont régies par le principe de séparation entre les "Autochtones" et les Européens (Dris,
2001). En effet, la ville européenne est destinée aux seuls colons européens et va
fonctionner en parallèle avec la « ville indigène » où s’est installée la population
autochtone contrainte de quitter la ville. Par un arrêté du 20 janvier 1845, le général de
Lamoricière alors en charge de la colonisation européenne et de l’organisation des
indigènes, ordonna la création d’un village à l’extérieur des murs. Ce lieu fut alors
appelé en arabe village des « Djalis », c'est-à-dire des Etrangers, et plus tard « Village
Nègre » (Derrien, 1886 ; Lespès, 1938). Cette logique urbaine illustre bien la volonté
coloniale d’accorder aux autochtones un statut d’étranger aux modes de vie européens
qui leurs seraient inaccessibles. Par cet acte, le général Lamoricière a surtout voulu se
débarrasser des trois tribus des Douaïrs, Zmélas et Gharabas64 qui occupaient les portes,
les glacis et surtout le village Karguentah, un site favorable pour l’extension de la ville
européenne (Derrien, 1886 ; Lespès, 1938).
64
Robert Tinthoin (1946) explique que ce sont des tribus constituant le maghzen turc. « Les uns berbères,
les autres arabes, ils sont venus, en grande partie du Maroc et du Sahara. Ils comprennent des aventuriers
– ayant quitté leurs tribus d’origine – et les descendants des Maures chassés d’Espagne au XVe siècle ».
(p. 167)
131
Un réseau de voies fut proposé sur les anciens chemins menant vers les autres villes et
villages de la province d’Oran. Ces routes sont devenues progressivement les artères
principales de la ville qui portent les noms des villages correspondant (rues d’Arzew, de
Mostaganem, de Tlemcen, de Mascara…) (figure 9). Un plan d’alignement et de
nivellement d’Oran fut dressé et rendu par Aucour le 10 juillet 1848 qui prévoyait aussi
tous les équipements nécessaires au bon fonctionnement d’une ville. Il porta le nom de
Plan Général de la Ville.
65
C’est grâce à cette ordonnance qu’Oran fut érigée en commune le 31 janvier 1848 (Derrien, 1886).
132
leurs conseillers municipaux66. Pour Oran, ce suffrage eut lieu le 29 octobre 1848
(Derrien, 1886). Si l’administration de la ville reste sous la tutelle du Ministère de la
guerre, son conseil municipal peut désormais commander l’exécution de travaux de
grande importance et présider aux destinées de l’extension urbaine. Cependant, jusque
vers 1860 les travaux d’urbanisme se concentrèrent principalement à l’intérieur des
murs d’enceinte (Lespès, 1938)67. Cet auteur précise que faute de crédits suffisants,
beaucoup de travaux traînaient en longueur. Il remarque que les plans d’alignement qui
se succèdent de 1848 à 1860 ne s’occupent que de la réfection de la ville ancienne. Il
rappelle que si la rue des Jardins avait pu être terminée en 1851, le boulevard du Ravin
ne fut achevé qu’en 1859 (pp. 149-151).
Dès que le plateau de Karguentah (appelé « faubourg de la Mosquée »)68 fut annexé à la
Commune d’Oran le 31 décembre 1956, l’extension de la ville commença à s’orienter
au-delà des murs, vers l’Est et le Sud, entraînant dans son sillage le déplacement du
centre des affaires et des administrations. Déjà en 1854 les quelques constructions qui
ébauchaient les faubourgs de Karguentah comptait plus de 4.000 habitants réclamant
adduction d’eau, alignement et édifices publics. Le développement de la ville était
inéluctable. Ainsi, en 1855, le Génie fut appelé à préparer un projet d’extension des
enceintes de la ville pour englober les nouveaux quartiers. En attendant l’achèvement
des études et le tracé définitif de la nouvelle enceinte, un « polygone exceptionnel »
desserrant les zones de servitude militaires fut établi en 1861 afin de rendre possible la
liaison de la ville existante avec Karguentah et avec le "Village Nègre". C’est ainsi
qu’un plan général d’alignement des nouveaux quartiers d’Oran put être arrêté en 1862
et approuvé en 1865. Mais il fallut attendre le projet de construction de la nouvelle
enceinte – construite en 1866 et englobant une nouvelle surface de 75 hectares – pour
que ce plan, remanié en 1867, puisse fixer définitivement le dessin de la voirie de
Karguentah. En 1866, sa population compte 11.000 habitants sur une population totale
d’un peu plus de 33.000 habitants, soit 33 % (Lespès, 1938).
Toutefois, des discussions persistaient autour des modifications de détail. Ainsi, ce plan
continuait à proposer des plans partiels de travaux d’alignement, de prolongement et
d’élargissement de rues et de places existantes en fonction des nécessités du moment.
L’économie représentait un élément clé dans le dimensionnement et l’ornementation des
voies et places projetées. Les ressources financières du Conseil Municipal étaient bien
66
La notion d’universel n’avait pas, apparemment, la même signification que celle employée aujourd’hui.
Les femmes, en France, ne votent qu’après la 2e guerre mondiale. Peut-on parler de suffrage universel
quand la moitié de la population n’a pas le droit de vote ?
67
Selon Saddek Benkada (2008) « le service des Ponts et Chaussées avait, de 1833 à 1851, doté la ville
de 3000 mètres de grande voirie, et 1100 mètres de petite voirie ; l’aménagement de 8 places et la
plantation de 150 arbres » (p. 228).
68
Cette appellation fait référence à la mosquée construite dans la deuxième période turque par le Bey
Mohamed el Kébir pour son tombeau.
133
souvent restreintes au vu des colossaux projets de construction ambitionnés par la Ville
(Lespès, 1938). A. Picard (1997) et X. Malverti (1994) iront jusqu’à dire que c’est pour
des raisons d’économie et sous la pression des propriétaires peu fortunés que
l’administration de la ville fut souvent amenée à réduire la dimension des voies et des
places et à renoncer aux éventuelles arcades ou plantations.
Ainsi, la place Napoléon – la place d’armes des Français – dont l’extension était
projetée depuis 1854, devait être agrandie vers l’Est pour prendre la forme d’un carré de
115 m de côté. Les discussions la ramenèrent à 100 m de côté. Le futur boulevard de
l’Empereur qui partant de la place, devait longer en partie les anciens murs jusqu’à la
bifurcation des routes de Tlemcen et de Mascara, avec une largeur de 30 m. entre les
murs ornés d’arcades. Il sera finalement privé de celles-ci et réduit à 25 m entre les
murs. Ces deux espaces urbains, réalisés à l’emplacement des fossés de la muraille
espagnole bordant le quartier Juif, venaient donc de constituer un point de jonction
significatif entre « l’ancienne ville espagnole » et la « nouvelle ville française ». Mais,
les travaux ne commencèrent qu’à partir des années 1870, quand le Génie restitua à la
Municipalité ce territoire militaire et quand le rempart fut déclassé et démoli en 1868
(Derrien, 1886 ; Lespès, 1938).
Le plan prévoyait aussi l’agrandissement des places de ce que R. Lespès (1938) se plait
à appeler le « Vieil Oran »69 : celui de la place de l’Hôpital dans la Blanca et de la place
d’Orléans dans la Marine. Mais ce sont les places Kléber et de la République qui
devaient recevoir une attention toute particulière quant à leur dimension et leur
aménagement. La situation de la place Kléber en faisait le point de ralliement de tous les
quartiers : le carrefour principal à l’intérieur des murs. Pour la place de la République,
un emplacement de 5.000 m² lui était réservé, entre la rue d’Orléans et la rue Charles
Quint qu’elle dominerait. Fermée du côté nord par une balustrade, elle devait offrir un
véritable lieu de promenade et une vue attrayante sur la mer.
Le quartier Juif, appelé quartier Napoléon, devenait de plus en plus insalubre du fait de
ses rues étroites et inachevées finissant en impasses et du développement du quartier de
la rue des Jardins qui l’enclavait encore davantage. Le plan envisageait ainsi pour son
aération des travaux de prolongement, d’élargissement et de percement de quelques
rues70. Il prévoyait également l’élargissement de la place Blanche (aujourd’hui Frères
Bougarda) et sa liaison directe avec la rue Napoléon par une « rue du Marché ». Il
69
Lespès (1938) écrit que c’est « dans la période de 1848 à 1871 qu’a été sinon achevé, du moins
complètement dessiné, ce qu’on appelle aujourd’hui le « Vieil Oran » compris dans la limite de
l’ancienne enceinte » (p. 147).
70
L’importante insalubrité due en grande partie aux multiples impasses et encombrements des quartiers
de la ville ancienne – Blanca, Marine et quartier juif – suffit à la propagation de l’épidémie de choléra de
1834 et de celle de 1849 qui a fait des victimes à hauteur de 9,3% de la population pour la première et de
7,1% pour la deuxième (cf. Derrien, 1886).
134
prévoyait aussi l’agrandissement de la place de Naples située plus au nord. Pour la place
Blanche, dont la dimension déjà portée de 108 m² à 455m² apparaissait toujours
insuffisante, il était prévu qu’elle soit étendue à 1.130 m². Cette dernière proposition
d’agrandissement ne sera cependant pas réalisée.
Bien que le plan général fût approuvé en 1867, il ne couvrait pas la totalité de la surface
des territoires enserrés dans les limites de la nouvelle enceinte. Ce n’est que le plan de
1880 qui fixa définitivement les lignes de la voirie principale. Il arrêta aussi les
principaux édifices publics et monumentaux. La décision d’installer l’Hôtel de Ville sur
la place d’Armes – effective en 1886 – marqua à jamais le déplacement du centre
d’Oran sur le plateau Karguentah.
135
Face au développement du peuplement et à l’accroissement démographique,
l’administration municipale n’eut de cesse de vouloir améliorer et moderniser l’espace
urbain oranais. En ce sens et conformément aux instruments d’urbanisme inhérents aux
pratiques urbaines de la mère patrie de cette période, la municipalité a élaboré
successivement plusieurs « Projets d’embellissement » d’Oran afin d’améliorer
l’organisation et la structure urbaine. Les plus importants sont ceux d’Emile Cayla de
1891 et de Germain, Manent & Compagnie en 1912. Ces projets, même s’ils n’ont été
adoptés que partiellement, ont apporté des propositions significatives, en particulier à
l’intérieur des murs. Il s’agissait notamment de la projection de boulevards, de places et
de squares dont les tracés apporteront une image résolument moderne. Ces projets
prévoyaient aussi les futures extensions de la ville, composées, pour l’essentiel, par de
grands lotissements. Les chiffres de population donnés par Lespès (1938), recoupés
avec ceux de Tinthoin (1956), indiquent clairement la progression effrénée du
peuplement d’Oran, en particulier dans les faubourgs. En 1936, la population totale a
atteint un peu plus de 195.000 habitants, soit une augmentation de 135.000 habitants
entre 1881 et 1936. Cette population se répartit de la manière suivante : 7.000 habitants
dans la vieille ville, 45.000 habitants dans la ville nouvelle, comprise entre les anciens
murs et la nouvelle enceinte de 1866, et 83.000 habitants dans les nouveaux faubourgs
formés au delà de cette nouvelle enceinte. Ces Faubourgs sont constitués de vastes
lotissements publics, privés ou dédiés à des corporations dans lesquels sont venus
s’insérer à partir de 1922, des réalisations collectives d’habitations à bon marché
(HBM).
L’étude de la formation des tissus urbains d’Oran nous conduit à nous interroger : la
démarche des ingénieurs du Génie qui dessinaient les espaces de la ville suivait-elle un
modèle ou était-elle déterminée par les éléments empiriques et pratiques ? Nous
pouvons émettre l’hypothèse que les deux systèmes se sont succédés et combinés pour
former les espaces urbains. L’examen du plan de la ville renvoie à une lecture à
différentes échelles. Le plan des grandes armatures peut s’analyser, comme l’indique le
groupe de Philippe Panerai & al. (1999), à partir de plusieurs questionnements, à
savoir : les relations entre le tracé des voies et le site géographique, le rôle de ces voies
dans l’ensemble urbain et régional, et la logique géométrique des tracés (1999, p. 81).
Ces tracés associés aux découpages et aux traces d’occupation constituent, selon Pierre
Pinon (1994) les instruments fondamentaux de la composition urbaine dont chacun joue
un rôle essentiel à différents niveaux (1994, p. 10). Ainsi, l’analyse des plans cadastraux
ou des plans parcellaires et celle des cartes géographiques d’Oran ont fourni un certain
nombre d’indications qui, croisées avec des éléments de l’histoire urbaine ont permis
une lecture intelligible de l’organisation des espaces urbains.
136
Mais pour mieux saisir les logiques de l’organisation urbaine d’Oran, il importe de
situer les opérations urbaines dans une réflexion plus large, celle portée par les
préoccupations liées à l'hygiène collective en milieu urbain. Vitoria Sanger (2007), en
s’appuyant sur les travaux de Nicholas Papayanis (2004), rappelle à ce propos que « du
siècle des Lumières jusqu’à Haussmann, bien des concepts en ce qui concerne les
espaces urbains, surtout en termes d’ordre, d’hygiène et de sécurité de la ville, y
trouvent leur origine » (Sanger 2007, p. 113). La question de l’hygiène qui s’imposa au
XVIIIe et se développa tout le long du XIXe siècle dans les grandes villes européennes a
mis en évidence le rôle important joué par l’environnement urbain dans la prolifération
des épidémies (Merlin & Choay, 2005, p. 454). C’est dans ce contexte que des règles
d’hygiène en termes d’assainissement et de circulation de l’air fixèrent des principes
généraux d’organisation urbaine dont la ligne droite et la régularité sont les principaux
outils d’aménagement. A la fin du XIXe siècle, les préoccupations de la salubrité
publique s’amplifient et se systématisent. En France, la première législation sur
l’urbanisme intègre étroitement à la gestion des espaces de la ville des réflexions sur
l’hygiène collective qui visent principalement « l’assainissement, les espaces libres et
l’agencement des bâtiments sociaux71» (Merlin & Choay, 2005, pp. 454-455).
Sur le plateau Karguentah, qui constituait le champ idéal pour le développement d’une
nouvelle ville européenne, l’organisation urbaine trouvait tout son sens en accord avec
un urbanisme « moderne » fondé sur l’hygiénisme. La régularité et l’ordonnancement
d’espaces ouverts sont les principaux outils de l’organisation urbaine. En effet, Le
découpage régulier en trame d’îlots fermés et structurés par des rues et places selon des
critères de cohérence formelle, de rythme et d’alternance, semble constituer l’élément
fondamental de la forme urbaine. L’urbanisme appliqué en Algérie, comme dans
beaucoup de colonies françaises, est fondé principalement sur l’urbanisme de
lotissements.
Dans un premier temps, entre 1848 et 1870, marqué par l’incertitude et la précarité de la
situation française en Algérie, la nouvelle ville s’est développée au fur à mesure des
besoins et des disponibilités foncières, en accord avec la nature du site et sans grand
plan d’ensemble. Par ailleurs, les nombreuses servitudes disposées par l’autorité
militaire à Oran exacerbèrent les conflits entre civils et militaires. Par la suite, les crises
(guerre, famine, épidémie) qui secouèrent la colonie de 1849 à 1873, entravèrent
considérablement les opérations urbaines. C’est ce qui explique sans doute ce
développement par à coups de la ville.
71
La loi sur la lutte contre les logements insalubres date du 22 avril 1850.
137
vers Canastel –, de Mascara et de Tlemcen. Ils composèrent l’ossature principale de la
ville. Ces routes constituèrent les tracés majeurs qui ont servi de base à l’établissement
des nouveaux quartiers.
Nous avons retrouvé dans les ANOM une carte schématique du polygone exceptionnel
datée de 1861 (figure 10) qui libère une zone urbanisable à l’extérieur des vieux
remparts. Cette carte et les plans cadastraux de 1866 localisés dans les archives du
service du Cadastre d’Oran, prennent une signification particulière pour comprendre les
tracés et l’organisation urbaine de la ville nouvelle. Celle-ci est formée, dans cette
première extension, de deux entités urbaines dont chacune constitue un pôle de
croissance ordonnant la formation du tissu urbain et des zones de croissance secondaire.
L’examen et le traitement de ces plans montrent clairement deux entités urbaines
séparées et distinctes qui se sont constituées en étroite relation avec les deux portes de la
ville ancienne. Chacune d’elle s’est organisée, en effet, de façon autonome sous forme
de lotissement qui ne se raccorde à la ville ancienne que par une seule voie.
138
Le franchissement des limites (comme le mur d’enceinte, la zone de servitude, le ravin
d’Aïn Rouina) et la position des portes semblent avoir imposé le développement de ces
deux structures urbaines séparées. Mais c’est aussi le relief qui favorisa cette croissance
discontinue. En effet, le plateau sur lequel s’étend la ville nouvelle est étagée en deux
paliers : l’un de 60- 70 mètres d’altitude et l’autre de 110-115 mètres d’altitude séparés
entre eux par un versant fortement escarpé (figure 11).
139
Figure 11 : Tracés et structure urbaine en 1866. Fonds de carte : plans cadastraux de 1866, archives Cadastre Oran. Traitement et mise en forme: F. Kettaf
140
Dans un deuxième temps, entre 1871 et 1930, imprégné par la stabilisation de la
présence française en Algérie et par l’autonomisation de l’administration civile, la ville
s’est vue dotée d’un urbanisme basé sur le grand dessein et la monumentalité. A
l’évidence (et dans une moindre mesure comparé à ce qui a était réalisé à Paris), ce sont
les principes que certains associent au modèle haussmannien qui furent utilisés. Ce n’est
là qu’une hypothèse. Les opérations d’aménagement urbain menées à Oran sont perçues
notamment par les architectes comme l’imitation du modèle parisien. Mais dès lors que
celui-ci symbolise le pouvoir de la bourgeoisie moderniste qui s’illustre par
l’application de nouvelles typologies urbaines, celle de la percée et celle de l’immeuble
de rapport, une question alors se pose sur l’adaptabilité de ce modèle au contexte
oranais à la même période. Si l’imitation de la percée paraît peu appliquée dès lors qu’il
s’agit de l’édification d’une nouvelle ville, celle de l’immeuble qui exprime
spatialement et architecturalement une hiérarchie sociale (du bourgeois aux
domestiques) semble beaucoup moins évidente. Par ailleurs, le caractère haussmannien
de ces opérations n’a fait l’objet d’aucune recherche minutieuse pour examiner si le
fameux décret de 1852 relatif aux rues de Paris a été appliqué aux rues d’Oran. L’axe
Malakoff, rappelons-le, a été pensé selon le principe du grand boulevard dès 1844, bien
avant l’apparition de ce décret. Bon nombres de travaux (Béguin, 1983 ; Tribillon,
1991; Vacher, 1997 ; Goerg & Lemps, 2003) montrent que les percées et autres
procédés d’architecture et d’urbanisme furent expérimentés dans les colonies,
particulièrement en Algérie, avant d’être appliqués en France. Dans les villes
traditionnelles d’Alger ou de Bône (Annaba), les percées réalisées dès les premières
années de la conquête française témoignent, en effet, de ces pratiques urbaines. A
l’inverse, certains motifs mauresques sont introduits dès le XIXe siècle dans
l’architecture parisienne, bien avant qu’ils soient utilisés en Algérie au début du XXe
siècle, remarquera Nabila Oulebsir (2004). Le modèle français fut ainsi imprégné par
d’autres conceptions urbaines ou architecturales qui se sont épanouies en Algérie ou
ailleurs. Les influences mutuelles des modèles d’une rive à l’autre de la Méditerranée,
concourent ainsi à la genèse du concept de la ville dite « méditerranéenne » (cf.
Cattedra, 2011).
141
simples lotissements. A l’instar des opérations menées pour la réalisation du boulevard
Malakoff, la deuxième fortification espagnole est transformée dans son ensemble et
devient un nouvel élément structurant de la nouvelle ville. Une transformation qui se
marque par l’édification du long boulevard de l’Empereur et celui de Seguin. Elle
s’illustre aussi par le réaménagement de la place d’Armes (place Napoléon), largement
agrandie, et par la construction du boulevard Gallieni, tous deux parés de majestueux
édifices (figure 13). Ces boulevards composés de larges trottoirs et plantés d’arbres sont
les premiers boulevards qui furent réalisés et qui constituent en quelque sorte le modèle
des futurs axes monumentaux édifiés à partir des années 1880 sur des terrains jusque-là
non urbanisés, se situant entre les deux pôles de croissance discutés plus haut (figure
12). Ils marquent l’émergence des principaux thèmes de l’urbanisme colonial : donner
un aspect monumental aux édifices publics et aux travaux d’urbanisation, mais aussi
offrir au colon un « confort urbain » fondé autant sur l’esthétique que sur l’hygiène et
l’agrément, comme l’écrit François Béguin (1983, pp. 107-110).
Figure 12 : Tracés des boulevards et des places. Fond de plan : plan d’Oran 1880
Source : Association française pour l’avancement des sciences (1888)
Mise en forme : F. Kettaf
142
Figure 13 : Tracés basés sur le grand dessin et la monumentalité: larges boulevards jalonnés de places majeures et d’édifices importants. Fonds de plan: plans cadastraux Danger F.F. (autour de 1930), Archives DUP Oran. Traitement et mise en
forme: F. Kettaf
143
C’est, en effet, à partir des années 1880 que la ville commença à connaître ses plus
importantes réalisations urbaines, sans doute à la faveur de conditions économiques
favorables et d’une la situation politique pacifiée. La ville se dota, au fur à mesure de
son expansion, de nouveaux réseaux continus et hiérarchisés d’espaces urbains
significatifs. Les examens des plans de 1880, de 1890 et des plans cadastraux élaborés
par les frères Danger autour des années 1930-1936, que nous avons localisés dans les
archives de la Division de l’urbanisme et de la planification (DUP) de la commune
d’Oran, révèlent clairement la volonté des édiles français d’organiser et de tisser
l’ensemble des espaces de la ville selon le principe des grands boulevards et des places
majeures agrémentées de monuments et de plantations. Ainsi, le square Garbé et le
palais de justice marquent le boulevard Magenta, la place de la nouvelle gare ponctue
celui de Marceau, la place Sébastopol articule en patte d’oie les boulevards Fulton, de
Sébastopol et d’Iéna et la future esplanade Joseph Andrieu rythme le boulevard du Sud
(figures 14).
Mais l’espace urbain qui peut illustrer remarquablement la pratique des principes
haussmanniens en termes d’articulation de boulevards, de squares et de places, c’est ce
quartier dit de la Mosquée, occupé par la caserne militaire de la Cavalerie et l’Artillerie
(installée en 1838). La ville, tout en se développant vers l’est autour de ses nouveaux
axes structurants, resta coupée de la mer. La géographie très accidentée aux abords de
celle-ci et l’emplacement de ces imposantes casernes militaires situées entre la rue
d’Arzew et la mer expliquent en grande partie cette situation. Il faut attendre leur
démantèlement au début du XXe siècle pour que cette partie soit urbanisée et qu’un
boulevard d’est en ouest, un balcon urbain ouvert sur la mer (appelé boulevard du Nord
- du Front de Mer), soit ensuite réalisé (figure 15).
Dans cette partie où se concentre le plus de places et squares majeurs, l’axe qui semble
le plus s’inspirer du modèle parisien est bien celui de l’avenue Loubet (Larbi Tebessi).
Ornée d’un alignement d’arbres et de larges trottoirs, cette avenue articule deux espaces
urbains importants : celui de la place des Victoires dessinée d’un double square paré
d’arcades et celui du square du Souvenir (Bamako) qui s’ouvre sur la mer. Ce square est
agrémenté par un monument commémoratif dédié à la mémoire des combattants tombés
pour la France. Il fera partie d’un ensemble de petits squares qui vont venir rythmer
progressivement le futur boulevard du Front de mer en construction et à partir desquels
s’ouvrent perpendiculairement d’autres boulevards plantés d’arbres bordant des
trottoirs.
144
Figure 14 : Tracés basés sur le grand dessin et la monumentalité: larges boulevards jalonnés de places majeures et d’édifices importants. Fonds de plan: plans cadastraux Danger F.F. (autour de 1930), Archives DUP Oran.
Traitement et mise en forme: F. Kettaf
145
Figure 15 : Tracés basés sur le grand dessin et la monumentalité: larges boulevards jalonnés de places majeures et d’édifices importants. Fonds de plan: plans cadastraux Danger F.F. (autour de 1930), Archives DUP Oran. Traitement et mise en
forme: F. Kettaf
146
2-3-3-3 Les places françaises et modèles d’architecture
Dans ce nouvel « ordre urbain », les espaces ouverts organisés autour des places et
squares se multiplient et servent principalement aux parades militaires, à la pratique de
la sociabilité coloniale et au décor. L’architecture consacre quant à elle les principes de
composition classique inhérents à la pratique architecturale éclectique européenne du
XIXe siècle et du début du XXe siècle. En effet, les architectes puisent dans différents
répertoires pour dessiner chaque édifice : par exemple l’art classique pour les mairies et
les hôtels de ville, le baroque pour le théâtre, l’antiquité pour les tribunaux et le romano-
byzantin pour les églises. Ils développèrent aussi des architectures qui se veulent
respectueuses des spécificités locales, régionales ou culturelles. Ainsi, ils s’orientèrent
vers de nouveaux modèles, forgés à partir d’un large éventail de références
architecturales allant du Maroc à l’Egypte (Odile Goerg & Xavier H. de Lemps, 2003).
Ce style « Arabisance » a pu se constituer, ainsi que l’argumente François Béguin
(1983), comme un style d’Etat au tournant des XIXe et XXe siècles et s’imposa entre
1900 et 1930, avec une très grande variété. A ce propos, Nabila Oulebsir (2004), dans
son développement sur la politique patrimoniale menée en Algérie entre 1830 et 1930,
avance que cette tendance à « reproduire les éléments de l’architecture mauresque dans
les nouveaux édifices des principales villes » fut animée par les travaux de recherche de
Georges Marçais (1876-1962) consacrés à l’art hispano-mauresque et aux filiations
artistiques entre le Maghreb et l’Espagne musulmane. Elle souligne que cette approche
correspondait à la « nouvelle politique culturelle indigène impulsée au début du siècle
par Charles Célestin Jonnart, gouverneur général de l’Algérie […] dont le rôle dans la
promotion de la composante locale est proche de celui qui a été assuré sous le Second
Empire par Napoléon III ». Cette pratique se manifesta dès 1900 où l’Algérie, forte de
son autonomie financière et administrative vis-à-vis de la métropole française, voulut
acquérir une liberté d’entreprise et une identité politique et culturelle propre (Oulebsir,
2004, p. 21).
147
d’un style qui respecte les spécificités locales. Ainsi la nouvelle France coloniale se
donne à voir à travers une mise en image d’un paysage urbain et architectural qui
accentue le pittoresque des lieux par l’application d’une série de lignes arabisantes qui
passent par « l’architecture officielle, les brochures touristiques, l’habitat indigène, les
expositions coloniales, les villes et monuments arabes » (Béguin, 1983)72.
Entre 1930 et 1939, Oran est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. Le
déclassement des fortifications de 1866, autorisé par le décret du 6 septembre 1933,
72
Voir à ce propos l’article de Jean-Marie Miossec (2009) sur l’oeuvre d’Elisée Reclus et de sa
géographie universelle, et en particulier, sur le tome XI consacré à l’Afrique septetrionale, paru en 1886,
et dans lequel les paysages urbains sont fortement représentés.
73
Cette évolution rappelle les deux grandes tendances de l’architecture européenne entre 1900 et 1930,
vers le régionalisme d’un côté, vers le fonctionnalisme de l’autre.
148
marque une étape importante de développement et de rénovation urbaine74. En effet, dès
les années 1920, la ville devait se préoccuper de ses nouvelles périphéries, formées par
de vastes faubourgs inachevés, morcelés, mal agencés et mal reliés, et sans agrément.
Les faubourgs associés à leur seul rôle utilitaire sont composés d’un enchevêtrement
d’installations industrielles manufacturières, d'entrepôt et de lotissements résidentiels
pour les colons. Il faut dire que malgré l’élaboration de plusieurs projets
d’embellissement, l’évolution de la ville continuait à se faire au coup par coup, au gré
des besoins et des disponibilités foncières, sans aucune organisation d’ensemble. Face à
cette situation, des plans furent dressés conformément à la loi française sur l’urbanisme
(dite de « Cornudet » - 14 mars 1919) et à son application en Algérie (par le décret du 5
janvier 1922) afin d’urbaniser plus judicieusement selon une nouvelle pratique
urbanistique : la planification.
74
C’est avec l’Abbé Gabriel Lambert (1900-1979), d’abord conseiller municipal en 1933, puis 33ème
maire d’Oran de 1934 à 1940 et occupant divers postes politiques jusqu’à 1956, qu’Oran avait vécu ses
plus importants travaux. De par son tempérament particulièrement téméraire et audacieux, il a connu une
vie municipale et politique débordante et très mouvementée. Ses dons de sourcier, de fin stratège et de
rassembleurs des différentes communautés, le rapprochèrent des Oranais de « couche populaire » qui lui
manifestaient, du moins pour un temps, un dévouement manifeste. Mais « pour les politiques, il se
comportait comme un trouble-fête, insaisissable, difficile à classer ». Des idées socialistes qu'il professait
dans les années trente, il s’orienta peu à peu vers des positions de droite fasciste et antisémite à partir de
1936 pour reprendre à nouveau les idées socialistes. A nouveau il se voulait un « rassembleur » et
repoussait les extrêmes en cette période toujours troublée par les rancœurs et les vengeances. Les
évènements de la guerre de libération algérienne en 1954, l’amenèrent à s’allier à la cause algérienne.
Sans écarter la France, Il préconisait la recherche d'une solution qui donnerait plus de droits politiques
aux Algériens musulmans. Il se consacra à la gestion de la ville et entreprit de multiples actions urbaines
pour améliorer le cadre de vie des Oranais. La ville lui doit le projet d’acheminement d’eau douce
alimenté par le barrage de Béni-Bahdel, au sud-ouest de Tlemcen dont le projet avait été étudié et
programmé par le service de l'Hydraulique en 1920 mais dont les travaux n'avaient pas encore commencé
en 1932. L’eau douce arrivera le 14 juillet 1952. Oran lui doit aussi d’importantes opérations
d’aménagement et d’assainissement urbains : démolitions des murs de 1866 pour ouvrir le grand «
boulevard des 40 mètres », percement de la vieille muraille de l'enceinte espagnole à hauteur des lavoirs
de Ras el Aïn et de la porte du Santon pour donner accès à la nouvelle route panoramique des Planteurs,
mise en chantier des Halles Centrales, des Magasins Généraux, de la Recette Principale de la rue El
Moungar, du parc municipal, des marchés Michelet et Lamoricière. Le maire n’oubliait pas les indigents
en créant la « Soupe Populaire », et en offrant la gratuité des livres scolaires aux élèves des écoles
indigènes. Il traitait avec la Compagnie des Dragages la pose de réseaux d'égouts dans la vieille ville, le
faubourg Lamur et les nouveaux quartiers de la Cressonnière, de la Mina et du Ravin Blanc. Il demanda à
ses services techniques d'envisager la construction d'un boulevard en front de mer et en surplomb au-
dessus du port, le long de la falaise de Miramar. En 1935, il inaugura le nouveau musée d'archéologie et
lui donna le nom de Demaëght. Il réaffecta au culte musulman la mosquée Sidi El Haouri occupée au
début de la conquête par l'Armée, et étendit le bénéfice des soupes populaires à tous les quartiers arabes.
Il fit rénover les cimetières des divers cultes et subventionna les clubs de jeunesse. Dans les années 1950,
Gabriel Lambert participait également à la commission de l'habitat. Il demanda la création de logements
économiques à la portée de la masse des foyers modestes de toutes confessions (Birebent, 2004).
Les principaux travaux réalisés entre 1930 et 1939 sont : développement et aménagement de la voirie
urbaine, distribution de l’eau, refonte du réseau d’égouts, éclairage, construction des marchés de quartier :
lotissements de villas et petites maisons se multiplient dans quarante faubourgs ou cités, dont neuf créés
depuis 1919. 36000 mètres de portions de routes, voies et chemins sont classés dans la voirie
communale. De nouvelles lignes de bus et de tramway sont créées. Des travaux d’édilité,
d’embellissement de la cité et des bâtiments publics sont achevés. La guerre de 1939-1945 arrêta
brutalement cette dynamique (Thinthoin, 1956).
149
Jean-Pierre Frey (2004), dans son article « Figures et plans d’Oran 1931-1936 ou les
années de tous les Danger », nous rappelle que les travaux d’établissement de Plans
d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension d’Oran et de ses faubourgs (PAEE)
entrepris par les frères et fils Danger de 1931 à 1936 (et dans une moindre mesure par
Gaston Bardet de 1936 à 1948) s’inscrivent dans cette nouvelle tendance. L’auteur nous
livre une lecture des procédures de planification d’Oran et en particulier des PAEE. Il
les replace dans le contexte général de l’apparition au début du XXe siècle d’une
nouvelle discipline, celle de l’urbanisme, dont l’approche se veut pluridisciplinaire afin
de permettre la maîtrise globale des espaces de la ville. De cette période qui a pesé
significativement dans la formation des futurs espaces urbains, la nouvelle planification
urbaine d’Oran avait pour objectif de mettre en œuvre une programmation rationnelle de
l’extension de la ville, d’apporter des solutions aux problèmes de circulation et aux
concentrations des activités et de la population en manque de logements dans les centres
urbains. C’est sous la municipalité de Paul Ménudier, maire d’Oran entre 1931 et 1934,
que fut décidée la réalisation du PAEE qui couvre la période 1931-1936 et que prennent
en charge les frères et fils Danger. Frey souligne que le plan prêt en 1934 était sans
doute beaucoup plus précis et plus en phase avec les termes de la loi que celui de M.
Wollf de 1927. Ce plan indique, selon l’analyse faite par Lespès (1938), le zonage
existant et le zonage futur de la ville. Il prévoit, comme ceux qui l’ont précédé, les
futurs 1er et 2ème boulevards de ceinture. Il suit la direction naturelle que prend la ville
« comme organisme ayant sa propre logique » et répartit de façon équilibrée les
principaux équipements indispensables pour la vie sociale des quartiers (Frey, 2004, p.
121)75.
75
Là est, au sens de Frey, la caractéristique du PAEE dans la mesure où celui-ci porte une attention
particulière « à l’analyse socio-démographique de la population, quartier par quartier, à la catégorisation
et à la distribution des diverses composantes de cette population ainsi qu’à la résorption des défectuosités
de l’hygiène et de l’insalubrité par le biais des équipements et des règlements de construction » (Frey,
2004, pp. 122-123).
76
L’Office public d’habitations à bon marché a été créé en 1922. C’est pendant cette période, les années
1920 d’après la Première guerre mondiale marquées par une extrême pauvreté et un exode rural massif à
la recherche d’emploi, que le logement social prendra une importance capitale dans la construction de la
ville (Frey, 2004).
150
Il est évident que la démarche des PAEE préfigure une approche purement
fonctionnaliste de la planification prônée par les architectes du Mouvement Moderne
qui se préoccupent plus des problèmes de logements et d’expansion urbaine que des
problèmes de conception formelle. Leur attention se focalise sur les principes inspirés
de l’état d’esprit hygiéniste où la circulation de l’air et l’ensoleillement dans la
conception de l’habitat jouent un rôle central. La « ville fonctionnelle » prêchée par la
Charte d’Athènes fit ainsi son entrée dans l’urbanisme oranais et constitua la première
rupture typo-morphologique de l’espace urbain. Depuis, elle est devenue l’élément clé
des interventions urbaines jusqu’à nos jours. Elle s’illustre principalement dans
l’abandon de l’alignement et de la rue-corridor du XIXe siècle pour faire place à un
urbanisme fonctionnaliste fondé sur la séparation des fonctions et la construction de
zones d’habitat standardisé, sans s’attacher à la question relative à la forme et la qualité
de l’espace urbain.
151
Selon Tinthoin (1956), la population oranaise atteint en 1955 près de 300.000 habitants
dont 200.000 européens et 100.000 musulmans répartis sur une superficie de 10 km².
Cela fait d’Oran la cinquième ville de France, après Paris, Marseille, Lyon et Alger. Elle
connaît un accroissement de 10.000 habitants par an, ce qui exacerbe les tensions
sociales en matière de logements.
Dans cette nouvelle organisation qualifiée par Jean-Jacques Deluz (1980) « d’urbanisme
de collage », le tissu urbain traditionnellement structuré par un entrelacs hiérarchisé de
rues et de places s’est vu escamoté au profit d’un système urbain dont le zonage et le
bâtiment-objet sont les principaux paradigmes. Cet urbanisme fonctionnaliste, dès lors
sonne le glas de l’art de fabriquer l’espace urbain et la place tombe dans l’oubli.
77
A Oran, l’arrêté préfectoral numéro 65 du 3 mars 1958 institue une délégation spéciale, dite paritaire,
composée de soixante (68) membres (34 musulmans et 34 non-musulmans) avec à sa tête le maire
Fouques-Duparc. Cette délégation est installée le 4 mars 1958 (Rouina, 2006).
78
Michel Marié (1989) analyse la politique du Plan de Constantine qui, selon lui, est « un bouillon de
culture technologique et administratif au bénéfice de la métropole » (p. 32)
79
Il est à signaler le peu de travaux de recherche concernant cette période.
152
2-4-2 Une continuité après l’indépendance : la place s’éclipse
Après l’indépendance (1962), l’Algérie a reconduit cette pratique issue des fondements
de l’urbanisme moderne, en utilisant les mêmes instruments d’urbanisme laissés par les
Français, en particulier ceux issus de l’esprit du Plan de Constantine. Le choix politique
à vocation socialiste a mené l’Algérie à initier le projet urbano-industriel et à doter ainsi
les villes de zones industrielles et de leur corollaire, les zones d’habitat urbains. En
effet, dès 1975, Oran entre dans une nouvelle ère de développement urbain. Sa
population a considérablement augmentée, atteignant 500.000 habitants en 197780. La
planification urbaine à grande échelle est fondée inlassablement sur le principe du
zonage avec la création de grands ensembles. Elle s’illustre à partir de 1975 par les
Zones d’Habitat Urbain Nouvelles (ZHUN) où le logement est l’élément fondamental
qui constitue, jusqu’à nos jours, la préoccupation majeure des politiques urbaines.
Le paysage urbain des nouveaux quartiers d’Oran se distingue ainsi par des ensembles
de parallélépipèdes implantés aléatoirement selon une logique de plan masse et souvent
dictés par les chemins des grues. Ainsi se dégagent de vastes espaces libres, censés être
occupés par des jardins et des aires de jeux qui sont très vite transformés en des no
man’s land où se mêlent terre et détritus qui n’offrent à l’espace aucune identité
particulière. Les façades caractérisées par la répétitivité et le manque d’architecture
renforcent l’image négative de ces espaces. Une image autrement plus négative que se
donnent aussi à voir les vastes zones de lotissements d’habitation individuelle d’auto-
construction, en particulier celles qui prolifèrent depuis le début des années 1990, ainsi
que les zones dites des Plans d’Occupation des Sols (POS) qui se développent à partir
de 2000 (figure 16).
La crise économique et politique de la fin des années 1980 et des dix années « noires »
qui ont suivi, a favorisé la multiplication des coopératives immobilières sous forme
d’associations dans lesquelles s’organisent les citoyens pour bénéficier, auprès des
Assemblées populaires communales (APC) – instances délibératives des communes –,
d’assiettes financières destinées à la construction de logements individuels. Elle s’est
aussi traduite par la prolifération de grands noyaux illicites aux portes de la ville
composés par une population qui a fui la compagne ébranlée par le terrorisme politique.
80
Données RGHP statistiques n°527/31/ONS (Organisation Nationale des statistiques).
153
Figure 16 : Zone des ZHUN USTO et Zone des POS (LSP, AADL, lotissements) dans la périphérie Est.
Source : Institut National de Cartographie et de Télédétéction (Alger, 2000)
154
Par le laisser-faire de l’Etat soucieux de préserver la paix sociale et par la difficulté de la
gestion urbaine, cette pratique a mité considérablement les périphéries au cours des
années 1990-2000, entrainant ainsi une forte de structuration de l’espace urbain d’Oran
marqué par un ensemble de ruptures morphologiques et paysagères (cf. Bendjelid et al,
2004). Si nous additionnons les populations des communes rurales limitrophes avec
celle de la commune d’Oran que cette dernière a rattrapées, c’est-à-dire Bir-el-Djir, Es-
Sénia, et Sidi-Chahmi, la population totale frôlait le million d’habitants en 200881.
Si aujourd’hui, sous d’autres cieux, on assiste depuis une trentaine d’années au retour
des modèles d’espaces urbains traditionnels, où l’espace public en général et la place
publique en particulier, sont devenus la coqueluche de tout projet urbanistique,
différemment à Oran on continue à expérimenter une forme d’urbanisation
systématiquement orientée vers la construction de grands ensembles urbains d’habitat
sans se soucier de l’aménagement des espaces publics. A la faveur de la croissance
économique actuelle, cette pratique s’accélère et se double d’un déficit flagrant en
termes de qualité architecturale et urbaine. En effet, l’état Algérien s’est lancé, encore
une fois et ce depuis les années 2000, dans une vaste entreprise de réalisation de grands
ensembles urbains à haute densité, principalement résidentiels, avec l’objectif de
construire un million de logements. En parallèle, le secteur privé d’auto-construction et
la prolifération de l’habitat illégal continuent à consommer inexorablement du terrain à
bâtir à l’extérieur de la ville, souvent à vocation agricole, entraînant un énorme mitage
des territoires périurbains (Gaïd & Kettaf, 2005).
L’urbanisation d’Oran, à l’instar de toutes les villes algériennes, s’est faite par les
lotissements individuels et les grands ensembles, sans aucune attention portée aux
domaines de la forme et de la composition urbaine. Cette planification urbaine menée
depuis l’indépendance a généré, dès lors, une urbanisation en « saut de mouton » qui
continue à produire inexorablement des « non-espaces ». Les cités dortoirs juxtaposées
aux cités dortoirs déjà existantes procurent une image d’ensembles urbains
complètement désarticulés et fragmentés où les espaces publics, autrefois organisés en
81
RGHP, idem
155
réseau continu et hiérarchisé, ne constituent presque plus le fondement du tissu urbain
de la ville actuelle (fig. 16). La place s’est ainsi éclipsée du paysage des nouveaux
espaces d’Oran.
82
On peut citer entre autres Rachid Sidi Boumedine, Pierre Signoles, Tewfik Guerroudj, Saïd
Belguidoum, Madani Safar-Zitoun, Abed Bendjelid, Jean-Claude Brûlé, Jacques Fontaine, Jean-François
Troin…, dont la plupart sont liés à l’ancien centre de recheches d’URBAMA de Tours.
156
CHAPITRE 3
Afin de mieux saisir les logiques de la formation des places d’Oran, dans ce chapitre
nous tiendrons compte de la volonté coloniale de créer des organismes urbains en étroite
relation avec ceux des villes françaises ou européennes. Cela nous amène à explorer les
concepts inhérents à l’organisation des places en France.
Cette analyse tente d’établir une typologie des places d’Oran en rapport avec leur rôle
dans la structuration de l’espace urbain, tout en considérant l’évantail des 85 places que
compte la ville d’Oran83. Ce chapitre tente aussi d’examiner « l’aventure » parcourue de
leurs noms.
Hormis la figure 17, tous les plans présentés dans ce chapitre représentent les places
publiques pendant les années 1930. Nous les avons redessinés et traités à partir des
fonds de plans cadastraux dressés par la Société des plans régulateurs de Villes M.M.
Danger F.F. Paris (autour de 1930). Les noms des places exposés ici sont aussi de cette
période d’avant l’indépendance ; des noms qui se sont maintenus dans le langage
populaire actuel. Les cartes postales ou photos anciennes, souvent en noir et blanc,
datent du début du XXe siècle et sont tirées dans des sites internet spécialisés dans les
photos anciennes84. Les photos actuelles, datées de février 2007 et de septembre 2013
sont la propriété de l’auteur.
83
Entre places, squares et esplanades (voir index en annexe A.1).
84
Cf. http://www.africa-onweb.com/pays/algerie/photographies-et-cartes-anciennes/cpa-oran.htm et
http://home.nordnet.fr/jcpillon/piedgris/Oranimages.html
157
3-1 ESSAI D’UNE CLASSIFICATION
Pour déterminer le rôle des places d’Oran dans l’espace urbain, nous nous référons ici à
la méthode de l’analyse typologique proposée par Philippe Panerai & al. (1999). Dans
cette approche, les notions de type et typologie, quelquefois contestées par d’autres
auteurs, constituent l’un des outils majeurs de l’analyse urbaine. Sans rentrer de plein
pied dans ce débat et sans tenter de définir toutes les typologies possibles, nous nous
limeterons à indiquer les quelques termes directement utiles à notre recherche.
Toutafois, une précision s’impose sur la distinction à faire entre type et modèle :
Selon Pierre Pinon (1994), le modèle urbain renvoie à une « conception artistique », à
une forme à reproduire. Le type urbain, en revanche, n’est pas l’objet ou la figure à
imiter. Il est une forme associée à « des cultures, des usages ou des fonctions. Chaque
époque a produit ses types de villes, ses types d’éléments urbains, ses types
architecturaux » (Pinon, 1994, p. 9). Ainsi, précisent Philippe Panerai & al. (1980b ;
1999) reprenant les termes de Saverio Muratori dans son étude sur Venise, « le type ne
se caractérise pas en dehors d’un tissu construit » qui « à son tour ne se caractérise pas
en dehors de l’étude de l’ensemble de la structure urbaine ». Celle-ci « ne se conçoit
que dans sa dimension historique, car sa réalité se fonde dans le temps par une
succession de réactions et de croissances à partir d’un état antérieur » (Panerai & al.
1999, p. 117).
Pour ainsi dire, le modèle renvoie au principe d’un objet à copier ou à imiter, tandis que
le type s’appuie sur l’idée d’un élément qui sert lui-même de règle au modèle.
Ainsi, dans notre cas la typologie ou l’étude des types se présente comme une démarche
qui part des places et relie dans une même analyse leur tracé avec celui des monuments
et des ordonnances formelles. La structuration du tissu est rendu intelligible par la
hiérarchie des voies mais aussi par celle des places qui les distribuent. Les tissus des
différents quartiers s’organisent à partir d’elles, les équipements et les activités leur sont
liés (Bertrand, 1984 ; Rose & Pinon, 1999). Ainsi nous tenterons de définir l’ensemble
des types de places qui permet de saisir la structuration du tissu urbain d’Oran et en
expliquer les mécanismes du dessin.
158
places « régularisées ». Ces dernières, pouvant être définies comme « réservées puis
reconquises ».
Le troisième cas, plus difficile à cerner, associe les deux premiers. Il s’agit des
places au départ « réservées », et plus tard « conquises ». Dans la situation oranaise, il
concerne les places régularisées après une opération de remodelage d’un quartier. C’est
à ce niveau que la notion de composition urbaine devient opératoire dans la
compréhension des pratiques urbanistiques.
Pour mieux situer le lecteur, les principales places d’Oran sont désignées dans la
figure 17.
159
Figure 17 : Les places publiques d’Oran (centre et faubourgs). Fond de carte : plan d’Oran numérisée (2004), Traitement et mise en forme : F. Kettaf
160
3-1-1-1 Places d’armes
Nous avons déjà signalé que la place principale de la ville espagnole fut édifiée au
centre du quartier de la Blanca (figure 18). Elle semble correspondre à la place
d’armes au centre d’une ville. Victoria Sanger (2007) écrit que Vauban identifie
trois types de places d’armes : celles au centre d’une ville, celles dans les ouvrages
d’attaque ou de défense et celles dans les petits espaces saillants et retranchés se
trouvant aux extrémités extérieures et intérieures de la contrescarpe. La place
d’armes au centre de la ville, unie aux remparts, est destinée au maintient de
l’ordre ; elle est liée à l’art de l’attaque et à l’utilisation du plan radioconcentrique.
Elle est dotée de corps de garde et souvent de casernes (Sanger, 2007, p. 110). Cette
disposition correspond sans nul doute à celle de la place espagnole d’Oran.
Ensuite, les premières places d’Oran issues de la colonisation française sont construites
aux portes de la ville : la place Napoléon, la place Saint André (des Carrières), la place
Kléber et la place des Quinconces. L’histoire de la place Napoléon commence dès 1840
avec le premier plan d’alignement élaboré par l’ingénieur Aucour qui proposa la
régularisation d’un espace ouvert intra-muros devant la porte de la ville et au pied du
Château Neuf, occupé par la garnison française. La carte de 1831 indique clairement
que cet espace était attenant à la deuxième enceinte espagnole et à la porte d’Alger
appelée Bab Essouk (porte du marché) où se tenait le marché (figure 6). La place s’est
vue doter d’une forme rectangulaire, limitée par des îlots alignés et par les
bâtiments de la porte. L’espace ainsi dégagé en tant qu’esplanade militaire avait
aussi gardé sa fonction initiale de marché. Cette place (appelée aussi Place d’Armes)
correspondait aux caractéristiques des places d’armes des portes.
Ce type de places, apparues au XVIIe siècle dans les villes militaires françaises se
situent derrière la porte de la ville, à l’intérieur de l’enceinte, et sont associées au corps
161
de garde. Selon Sanger « le terme « places d’armes » désigne cet espace urbain et le
codifie dans la première moitié du XVIIIe siècle » 85. Quant à l’apparition du terme, Piet
Lombaerde (2007) nous suggère que c’est en Italie qu’il apparaît pour la première fois
vers le milieu du XVIe sous le nom de piazza de arme (2007, p. 54), ou piazza d’armi
(Bertrand, 2010, p. 919). Cependant, selon P. Lombaerde (2007), l’appellation de
« place d’armes » ne s’imposa, que tardivement aux XVIIIe et XIXe siècles. Elle
remplaça l’ancien nom de « place de marché »86.
Dès qu’Oran est érigée en Commune avec une véritable organisation municipale par
l’ordonnance royale du 31 janvier 1848, la ville connaît une nouvelle ère de
développement. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, deux nouveaux points de
croissance urbaine commençaient à émerger hors les murs circonscrits dans un
polygone constructible délimité par l’autorité militaire en 1861. Mais la zone où
pouvait s’agrandir la Place d’Armes était exclue de ce polygone. La place ne connaitra
ainsi des transformations importantes qu’à partir des années 1870, quand cette servitude
fut desserrée du joug militaire et quand la ville fut dotée de la nouvelle enceinte de
1866. Elle fut conçue comme un point de transition majeur entre la ville ancienne et la
ville nouvelle, et comme un haut lieu du pouvoir communal où l’Hôtel de Ville, édifié
en 1886, constitue l’édifice majeur (figure 19).
85
Victoria Sanger souligne que « Des traités militaires et des exemples choisis à l’époque de
Vauban, moment très fécond pour la construction de places fortes qui marque une évolution dans
la ville, permettent de suivre la conception de cette sorte de place », (Dans « Les places d’armes à
l’entrée des villes à l’époque de Louis XIV », in Baudoux-Rousseau & al. 2007, p. 109).
86
Piet Lombaerde cite à ce propos que « Vauban et Bernard Forest de Bélidor sont les premiers auteurs
qui donnent une définition claire de la place d’armes » (2007, p. 55).
162
constituent une sorte de prolongement entre l’espace couvert de l’édifice public et
l’espace ouvert de la place (Liévaux, 2007).
C‘est ainsi qu’à Oran la Place Napoléon (Place d’Armes), après le démantèlement dans
les années 1870 de la fortification espagnole et de la porte d’Alger, fut dotée d’un vaste
espace de forme carrée et ornée d’un édifice remarquable : l’Hôtel de ville (figure 19).
La place et les voies qui y accèdent offrent les dégagements nécessaires à la mise en
valeur des éléments architecturaux propres aux édifices communaux. Un imposant
obélisque surmonté de gloires ailées placé au milieu de la place devait symboliser la
puissance coloniale. La présence du mess des officiers situé face à la place et au pied du
Château Neuf appartenant toujours au cercle militaire, montre que la place occupait
toujours un rôle militaire. Elle fut aussi un lieu de vie pour la ville. Lespès décrit dans
son ouvrage sur Oran l’animation intense qui prévalait déjà depuis 1840, quand elle
était à l’intérieur des murs.
3-1-1-3 Places-portes
A l’instar de la Place d’Armes et de la Place Saint André, la Place Kléber et la Place des
Quinconces sont construites aux abords de ce que constituaient les deux premières
portes de la ville espagnole, la porte de Canastel et la porte de Tlemcen, toutes deux
donnant sur le ravin du Oued Rehhi. La porte de Canastel assurait la principale
communication de la ville avec l’extérieur. En ce point, sur le flanc Est de la première
muraille d’enceinte espagnole, se trouvait un pont qui donnait accès à l’autre rive du
ravin, au chemin qui conduisait au village de Canastel et à la porte d’Alger. La porte de
Tlemcen, quant à elle, assurait les sorties vers les jardins et la source d’eau de Ras el
Aïn et vers les lavoirs de la ville. Après la démolition de la muraille et le comblement
du ravin en 1844, le Génie Français érigea (entre 1850 et 1860) en ces deux points la
place Kléber et celle des Quinconces qui jalonnent le nouveau boulevard Malakoff. La
163
première étant au cœur de la ville, sa forme fut régularisée et entourée par les édifices
de la préfecture, de la poste et de la banque de France d’une architecture néo-classique
assez convenue. Une des voûtes de la porte de Canastel orne encore aujourd’hui la
Place Kléber. La place des Quinconces, initialement dessinée pour porter un important
théâtre, est finalement conçue comme un espace ouvert et décoré d’arbres et de
fontaines pour assurer une meilleure liaison entre le boulevard du Ravin et la rue des
Jardins (figures 20). D’autres places-portes furent aussi construites aux entrées des
portes inscrites dans le mur d’enceinte de 1866 de la ville française après son
démantèlement en 1933. La plus structurellement apparente est la place Dr. Roux
édifiée comme place carrefour à la porte de Valmy. Outre leur rôle de place-porte, ces
places ont aussi pour fonction fondamentale l’articulation entre les différentes trames
viaires de la ville.
3-1-1-4 Places-carrefours
La structure viaire d’Oran fortement dictée par le relief tourmenté du site est à l’origine
de la création de plusieurs places-carrefours pour tisser les différentes parties de la ville.
Pierre Pinon (2003, p. 53) en dégage deux catégories qui sont déterminées « par leur
formes et leurs fonctions » : celles qui articulent plusieurs voies convergentes et celles
qui dégagent et aèrent la trame viaire. En ce sens, dans la nouvelle ville, nous
distinguons les deux catégories.
164
Figure 20 : Places-portes. /(A) Place Kléber, (B) Place Kléber dans les années 1920, (C) Porte de
Canastel et( D) place Kléber aujourd'hui, (E, F) place des Quinconces, (G, H) place Saint André
(des Carrières) et église Saint André (convertie après l’indépendance en mosquée)
165
Figure 21 : Places carrefours d’articulation: (A, B,C) place Karguentah , (D, E, F) place Sebastopol
Dessins et mises en forme F. Kettaf
166
Figure 22 : Place carrefours d’articulation (à gauche place Dr. Roux (porte - carrefour
d’articulation), à droite place des Victoires (carrefours d’articulation et d’aeération)
Dessin et mise en forme F. Kettaf
3-1-1-5 Places-squares
D’autres places sont consacrées aux squares, sous forme de petits jardins parfois
entourées de grilles. L’approche hygiéniste a apporté une nouvelle réflexion sur
l’importance qu’occupe le jardin dans la ville. A Paris, c’est Haussmann qui en a
donné l’essor. L’empereur, rapporte Haussmann, lui aurait demandé
« de ménager dans tous les arrondissements de Paris, l’emplacement du plus
grand nombre possible de squares, afin de pouvoir offrir avec largesse chez nous,
comme on le faisait à Londres, des lieux de délassement et de récréation … »
(Haussmann, éd. établie par Choay, 2000, p. 933).
167
Figure 23 : Places-squares : (A) Square du Souvenir qui fini l’avenue Loubet et qui jalonne le
boulevard du Front mer, (B) square Gandolphe.
Dessins et mises en forme F. Kettaf
Une place est destinée à accueillir la nouvelle cathédrale du Sacré Cœur érigée en 1913,
c’est le parvis-square de l’Evêché appelé Place Jeanne d’Arc (Kahina). Devant la
cathédrale qui est le prolongement extérieur surélevé d’un imposant escalier, se déploie
une place plantée d’arbres, bordée des institutions religieuses. Eglise et square sont en
effet étroitement liés. Bruno Foucart (2003) note que le parvis-square est le trait le plus
employé des places devant l’église au XIXe siècle en France. Il écrit que :
« … il est évident que les églises de Paris, anciennes et modernes, ont été pendant
les années du Second Empire comme plus tard, systématiquement squarisées, … »
(p. 90).
168
L’élévation de la statue équestre de Jeanne d’Arc au milieu de la place revêt
certainement une double dimension: spirituelle et sociale. Elle proclame que l’espace
public est à la disposition de la cathédrale et de ses cérémonies, comme en témoigne la
foule entourant la statue lors de son inauguration le 10 mai 1931 (figures 24).
Figure 24 : Parvis-square : (A) Vue aérienne des squares Jeanne d’Arc et Gandolphe, (B)
Inauguration de la statue équestre (Gandini 1992, p. 91)
C’est cette configuration qui semble être appliquée à la place de la gare d’Oran. C’est
dans le rapport fonctionnel et symbolique qui lie la gare centrale au centre de la ville
que l’organisation urbaine s’opère87. Au tournant du XXe siècle, la place est conçue
comme une interface majestueuse entre le bâtiment de la gare, construit en 1913, d’une
87
La gare centrale, commune aux deux compagnies, celle de Paris-Lyon-Méditerranée (P.L.M,
concessionnaire de la ligne Alger-Oran en 1863) et celle de l’Ouest Algérien (concessionnaire en 1882 de
la ligne Oran-la Sénia-Aïn-Témouchent), a été ouverte au public en 1913. En 1910, il est décidé que la
gare d’Oran Marine sera uniquement affectée au service du port.
169
architecture monumentale néo-mauresque et les quartiers de la ville88. Une vaste place
de forme rectangulaire qui encadre la gare, est structurée, latéralement par le boulevard
Marceau (Mellah Ali) qui mène au centre de la ville, et frontalement par la rue Sidi
Ferruch (Sidi Fredj) qui conduit au nouveau quartier St Michel qu’on appelle
communément le plateau. Cependant, la disposition de ces deux voies qui mènent vers
la place en cul-de-sac, l’isole considérablement de la vie urbaine.
L’examen de l’histoire de cette place restituée par Lespès (1938) et croisée avec des
anciens plans d’Oran, nous révèle que cet espace a connu une évolution urbaine
tourmentée. Le plan d’Oran de 1880 proposait que les futurs boulevards Fulton et de
Marceau aboutissent à une place d’articulation et de dégagement pour la gare principale
de Karguentah, pas celle qui fut la gare terminus du port mais celle qui fut une simple
halte située aux abords de l’enceinte de 1866. Face à l’importance que prenaient la ville
et son port, notamment à partir de 1880, cette gare devint désuète et n’était regardée que
comme une installation provisoire ; elle devait être finalement remplacée par la création
d’une autre plus importante.
Ainsi, la place s’est retrouvée en dehors des voies majeures et des mouvements piétons
et automobiles, ce qu’il lui ôta une vie urbaine certaine. Rien ne semble, en effet,
perturber le vide sidéral de cette place, sauf les moments d’arrivée et de départ des
88
Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre 2, au tournant du XX e siècle et sous le gouvernement de
Jonnart (gouverneur général d’Algérie), un mouvement conservatoire axé sur la protection de l’héritage
culturel algérien est apparu, celui d’Arabisance. Jonnart, par le moyen d’une circulaire ad hoc, exhorta les
praticiens de l’architecture à faire usage des formes mauresques pour réhabiliter un art longtemps tenu en
marge. Ainsi, bon nombre d’édifices majeurs à travers l’Algérie sont édifiés selon une tendance qu’on
appela « néo-mauresque », « néo-orientale », ou « arabisance » et qui sont dans leur majorité l’œuvre de
Charles Montaland, Jacques Guiauchain ou Jules Voinot. Voir à ce propos l’ouvrage de Beguin François
(1983) et de Saîd Almi (2002).
89
Cet épisode mouvementé est rapporté par Lespès (1938). Il décrit les différents emplacements proposés
par les uns et par les autres. Voici quelques uns : à un kilomètre au Sud de la station de Karguentah en
dehors des murs d’enceintes (Etat, 1884) ; sur les remblais du ravin d’Aïn-Rouina comblé au niveau de la
place d’armes (projet Cayla, 1893) ; agrandissement de la gare existante (Cie PLM, 1896) ; sur les
terrains du Parc à fourrages (Cie Ouest Algérien, 1898) (pp.203-207)
170
trains. Une place, qui malgré son paysage architectural esthétique, ne présente aucun
intérêt pour les Oranais. Sa position malencontreuse lui a valu sa déshérence.
Mais l’espace le plus significatif en termes de vie urbaine est celui de l’esplanade du
boulevard Joseph Andrieu baptisé esplanade de l’indépendance après 1962. Appelée
communément par les Oranais Tahtaha - expression algérienne qui désigne « une
grande étendue » -, cette place est étroitement liée au quartier de la Ville Nouvelle que
171
formait à partir de 1845 le quartier arabe90. Fonctionnant en parallèle avec la ville
européenne, ce quartier constituait une véritable ville dans la ville, la « cité »
musulmane dans laquelle le marché indigène (Sidi Okba), la place Adélaïde (Gounami
Med) communément appelée Sabalet e-Tolba (robinet ou fontaine des ascètes), la place
Sidi Blal (Sidi Blel) et l’esplanade Joseph Andrieu (de l’indépendance) constituaient les
principaux lieux de vie pour les Autochtones. Aujourd’hui, ces places se caractérisent
par des activités commerciales intenses (cf. chapitre 6).
D’autres places paraissent avoir occupé principalement des rôles de décor et de détente.
La Place de la République (ANP, Armée Nationale Populaire), appelée avant 1870
Place Impériale, est conçue sur l’emplacement de l’embouchure d’Oued Rehhi. Par sa
position d’à peu près 50 mètres d’altitude, elle surplombe par un balcon urbain le
quartier de la Marine et le vieux port (figure 27). De forme rectangulaire étendue, elle
offre deux fronts de façades ordonnancées dont l’un était occupé par les bureaux de la
municipalité avant qu’ils soient transférés à l’Hôtel-de-Ville sur la nouvelle place
d’Armes. Arborée et aménagée d’un kiosque à musique et d’une fontaine octroyée par
Aucour, elle semble être conçue pour permettre une ouverture sur la mer et sur le jardin
de Létang. Celui-ci aménagé en 1836 sur les glacis du château-neuf descend en
promenade jusqu’à la place où un kiosque à musique témoigne de l’utilisation festive de
la place à l’époque française.
Figure 26 : Place du quartier : Place Saint Eugène. Dessin et mise en forme F. Kettaf
90
Ammara Bekkoucke dans son article « Un quartier nommé Ville Nouvelle : du Village Nègre à Médina
J’dida des Oranais » (1998) analyse ce lieu dans sa dimension historique et sociale pour comprendre la
pertinence du terme de ville nouvelle appliqué à cet ancien village.
172
qui se développe tout au long du XIXe siècle » (Mussat, 2003, p. 249). Ornement,
scène et symbole, le kiosque à musique lie l’affectif au politique qui pourrait
s’appliquer aux kiosques que l’on retrouve partout dans l’empire colonial dans les
jardins et surtout sur les places. En Algérie, en tant que territoire français, la vie ne peut
être dissociée de celle de la mère patrie qui doit servir de modèle. Marie-Claire Mussat
note que le kiosque à musique reste le même modèle que celui de la Métropole car, à
quelques exceptions, c’est les mêmes entreprises qui les fabriquent. L’inscription
« construit par la Société métallurgique de l’Yonne à Auxerre » marquée sur le kiosque
élevé sur l’une des places de Tlemcen, en témoigne (2003, p. 255). Les kiosques à
musique exprimaient la sociabilité européenne, comme le montre bien une carte postale
de l’époque française (figure 28).
Associé à d’autres objets du mobilier urbain dans des agencements multiples, le kiosque
à musique met en relief la flexibilité de la place et lui offre une autre vie. Ainsi kiosques
à musique et halles de marché parfois se côtoient. Dans le quartier péricentral de Saint
Eugène (Haï el Makari), que constituait à partir de la fin du XIXe siècle un des
faubourgs de la ville, la place Saint Eugène (Frères Moulay) jalonnant l’avenue du
même nom illustre cette disposition. Un marché couvert en fond de scène, un kiosque à
musique au centre de la place, une double rangée d’arbres entourant la périphérie de la
place lui octroient une multitude de fonctions nécessaires à la vie du quartier. Cette
place correspond à l’archétype de la place de lotissements (figure 25).
173
Figure 28 : Place de la République et jardin de Létang, lieux de sociabilité européenne
Ce qui donnait aussi une vie urbaine aux places c’est l’incontournable café. Le café de
la Perle, place de la Perle, le grand café de la Bourse place Kléber, les cafés maures de
Tahtaha, les cafés « l’Aiglon » et le « Vallauris » de la place de la Bastille et tant
d’autres illustrent l’importance qu’occupe le café dans l’animation des places publiques.
B- Places de lotissements
A Oran, deux types de places de lotissement peuvent être identifiés : le premier, bien
que restreint, comporte une place associée à un ou plusieurs édifices publics, comme
c’est le cas de la place de la Bastille – avec son église du Saint Esprit, son bâtiment des
174
PTT et son Grand hôtel, ou comme la place Saint Eugène avec sa halle de marché. Le
deuxième, plus important mais plus modeste dans sa composition, ne dispose pas de
monument ou d’édifice particulier (figure 30). Chaque lotissement possède sa ou ses
places, quadrangulaires ou circulaires (ou ovales), parfois conçues comme des squares
fermés de grilles. Si la plupart des lotissements sont structurés suivant un schéma en
damier dans lequel s’insère une ou plusieurs places, quelques uns sont dessinés
carrément selon un tracé radioconcentrique qui distribue le territoire à lotir. Deux
exemples de lotissements situés en périphérie du centre ville semblent intéressants à cet
égard. Le plus frappant est celui du lotissement Gambetta dans lequel la Place
Fontanelle (Gharbaoui Mohamed) constituée d’une vaste place circulaire, articule un
système rayonnant de huit rues convergentes. Dessinée comme place-carrefour, elle
revête surtout une fonction de décor et de détente. Ornée d’arbres et d’un kiosque à
musique, elle contribuait et contribue toujours à la vie du quartier (figure 29). Dans le
lotissement Saint Hubert, la figure en croix dessine aussi des places circulaires mais leur
taille est beaucoup plus modeste si bien qu’elles sont aménagées comme des squares.
Parmi les places de lotissement, il y a celles qui ont changé d’échelle. C’est le cas de la
place Hoche (Cdt Medjdoub) et dans une moindre mesure la place des Victoires.
Initialement « réservées » comme places d’un quartier jouxtant le centre ville, elles
s’ouvrent et s’agrandissent pour aérer et ponctuer l’axe central de la rue d’Arzew. Elles
devinrent ainsi des places importantes de la ville. Toutefois, le changement d’échelle de
la place Hoche promue d’une place de quartier à une place de la ville suscite
l’interrogation sur l’ambivalence qui caractérise aujourd’hui les nouvelles pratiques
urbaines de cet espace. Cette problématique sera abordée au chapitre 7.
175
Figure 30 : Places de lotissement. Haut : Lotissement Gambetta. Bas : Lotissement Delmonte
Mise en forme F. Kettaf
176
3-1-1-9 La promenade plantée : le Boulevard Front de mer
91
Le corso apparaît au XVIe siècle en Italie ; Il « désigne à la fois l’idée de déplacement, le cadre de la
promenade et la pratique sociale engendrée par le lieu. La promenade se déroule alors dans la plus belle et
la plus grande rue de la ville ... ». Au début du XVIIe siècle, ce loisir fut exporté en France par Marie de
Médicis. (Sandra Pascalis, 2007, p. 194).
177
Figure 31 : Promenade plantée et squares du boulevard du Front de mer
Dessin et mise en forme F. Kettaf
Figure 33 : Lieu de promenade pour les Oranais et les visiteurs. Photo F. Kettaf (août 2013)
178
Mais l’espace qui participe fortement à la vie urbaine, est, sans conteste, la place-square
Lyautey (Port Saïd) qui s’intègre dans une zone essentiellement imprégnée par la
pratique de la promenade à l’échelle de la ville, celle du boulevard Front de mer. Son
édification est étroitement liée à la nature géographique du site. En effet, la place est le
fruit de la conjonction de deux actions : celle de la construction du viaduc du boulevard
du Front de mer et celle du comblement en 1951 d’un petit ravin côtier de la
Cressonnière sur lequel un grand espace ouvert sur la mer est ainsi créé. De forme
approximativement carrée, le square Lyautey est entouré des trois côtés par de hauts
bâtiments donnant un cadre architectural résolument moderne. Aménagé à partir de
1951 en square et ornée d’une statue à l’effigie de Lyautey, il fut complètement
remodelée après l’indépendance (figures 34). Il devient avec ses deux glaciers, la place
la plus utilisée et la plus convoitée, particulièrement en été. Appelée communément
place des crémeries par les Oranais, elle constitue l’espace de passage incontournable
des visiteurs venus d’ailleurs, des promeneurs et des cortèges nuptiaux (figures 35).
Figure 34 : Square Lyautey, a gauche dans les années 1950. A droite, Square réaménagé dans les
années 1970. Dessin et réalisation F. Kettaf
Figure 35 : Square Lyautey, a gauche photo des années 1950. A droite, photo du square
réaménagé photo F. Kettaf (septembre 2013)
179
Tableau 2 : Classification des principales places publiques d’Oran. Réalisation F. Kettaf
Rôle D’armes - Portes Carrefours Squares Gare lotissement Esplanade ou
Places communale Promenade plantée
de la Perle
Armes (Foch)
Kléber
Des Quinconces
Saint-André
Dr. Roux
Karguentah
Sébastopol
Des Victoires
Gambetta
Jeanne d’Arc
Gandolphe (Garbé)
Du Souvenir
Lyautey
De la Révolution
Garson
Aboudarm
De la Gare
De la Bastille
Hoche
Adélaïde
Sidi Blal
De la Liberté
Saint-Eugène
Fontanelle
Joseph Andrieu
De la République
Front de mer
180
3-2 POUR UNE « AVENTURE » DES NOMS DES PLACES
Analyser les places d’Oran, c’est aussi les aborder à travers leurs noms (ou toponymes).
Le champ toponymique se révèle une approche importante de l’analyse du processus de
formation des espaces de la ville. Une démarche qui, comme le dit bien Brigitte Marin
(2003), « consiste à partir des mots, du langage, pour comprendre les dynamiques
sociales et les transformations urbaines » (p. 5). Certes, nous n’avons pas appréhendé
notre étude de manière approfondie d’après cette approche. Elle nécessite de nouveaux
cadrages des objets, différents angles et méthodes d’analyse. C’est pourquoi nous nous
contentons de retracer en quelques sortes « l’aventure » des noms des places pour saisir
leur émergence, leur importance, leur signification. Nous empruntons le terme
« d’aventure » de Christian Tapalov & al. (2010) car il nous semble exprimer l’idée
d’un cheminement parcouru, fait de permanences ou de changements d’usages selon les
réalités urbaines que les noms ont pour rôle de désigner. De cette aventure des noms des
places, nous tentons de présenter quelques indications sur leurs significations données
au fil du temps, de proposer tout au plus des hypothèses qui pourraient constituer de
nouveaux champs de recherche.
Selon Farid Benramdane et Brahim Atoui (2005), les usages toponymiques en Algérie
peuvent être déclinés comme suit: changement de noms des lieux existants, création de
nouveaux noms, survivances des toponymes de souche française coloniale, émergence
de noms parallèles, création spontanée populaire de noms en l’absence de noms
officiels, concurrence des noms pour les nouveaux espaces, algérianisation des anciens
noms français, multiplicité des écritures pour un même nom, etc. Examiner les noms
des places, c’est attribuer une dimension historicisée mais aussi politisée à un espace
fabriqué, « du point géographique et événementiel, par des fortes enchainements
historiques d’occupation / libération / réoccupation des lieux et de leur
ré/dé/nominations » (Benramdane et Atoui, 2005, p. 7).
Pour lire les mots des places d’Oran et leurs significations, nous nous sommes servis
principalement des sources et matériaux suivant :
- Pour la période française : cartes et plans d’Oran établis depuis 1831, notamment
du plan de nivellement et d’alignement de 1840 dressé par l’ingénieur Aucour ;
du plan cadastral de 1866 relevé par M. Durant géomètre d’Oran, du plan de la
ville de 1880 présenté par l’Association Française pour l’Avancement des
Sciences au Congrès d’Oran de 1888, du plan cadastral des années 1930-1936
181
dressé par la Société des plans régulateurs des villes M.M. Danger F.F. Paris, et
des cartes généraux d’Oran de 1958 et de 1959 dessinés par la 53e Batterie
géographique autonome. Aussi des ouvrages d’Isidore Derrien (1886), de René
Lespès (1938), d’Eugene Cruck (1958) et d’Alfred Salinas (2004).
Les facteurs historiques, politiques, culturels ont remodelé le paysage toponymique des
espaces de la ville. L’activité toponymique constituait un enjeu politique aussi bien pour
l’administration coloniale que pour l’Algérie indépendante. Les espaces sont appropriés
linguistiquement et politiquement ; ils sont habillés d’une toponymie qui véhicule des
valeurs historiques, politiques et culturelles nouvelles. En cent trente ans de
colonisation, la France a changé plusieurs fois de régime et de politique urbaine,
provoquant de multiples transformations des usages toponymiques en Algérie
(Benramdane et Atoui, 2005). Les places d’Oran conçues ou transformées par les
Français portent les mêmes noms que leurs semblables françaises. Leurs toponymes
sont associés aux noms de figures emblématiques ou aux évènements politiques
importants que les édiles du moment ont voulu honorer. En se réappropriant son espace,
l’Algérie libre, procéda depuis 1963 au changement toponymique des places surtout de
celles qui évoquaient les noms et évènements inhérents au triomphe colonial. Les places
furent ainsi rebaptisées avec des nouveaux noms qui commémorent des évènements ou
héros liés à la guerre de libération algérienne. Cependant des variations existent selon
les époques, les conditions politiques, et les situations, que nous ne pouvons ici
décrypter.
3-2-1 Dénomination des espaces urbains sous les occupations espagnole et française
Les noms des rues et places espagnoles exprimaient tantôt l’usage, tantôt un lieu vers
lequel la rue menait, tantôt un caractère distinctif. Les relire, comme le remarque E.
Cruck est une « charmante et instructive évocation du passé ! » (1958, p. 335). Ainsi,
calle principal de la carrera (rue principale de la carrière) désignait la rue qui menait
vers la carrière d’Oran ; Paseo del principe y de la princessa (promenade du prince et
de la princesse) était attribuée certainement à une promenade qui longeait l’oued Rehhi
au pied de l’enceinte espagnole ; calle de los calabocillos (rue des petits cachots),
correspondait à la rue où se trouvait les prisons ; Barrio de los gitanos (quartier des
gitans) désignait probablement une dominance ethnique d’un quartier. C’est, en effet,
l’usage de l’espace ou sa caractéristique dominante qui déterminaient le nom de
l’espace, à l’exemple de : plaza del marcado o de la verdura (place du marché ou places
aux herbes), plaza mayor (place principale) et de plaza de Iglesia Mayor (place de
182
l’église principale). Ces dénominations ne nous rappellent-elles pas les appellations
vernaculaires comme celles usitées dans les villes médiévales ?
Dès la prise d’Oran par les Français, tous les noms espagnols furent changés, remplacés
par des noms, quelque peu, de même nature. Il s’agit d’une véritable re-territorialisation
de la ville. Pour certains noms, ils évoquaient, comme leurs homologues espagnols, un
élément qui caractérisait le site. La Calle principal de la carrera menant à la vieille
Casbah fut renommée rue du Vieux-Châteaux. D’autres toponymes portaient des noms
de lieux ou de villes étrangères comme les rues de Montebello, de Dresde, de la
Moscova, de Médine, de Madrid, de Berlin, de Londres, de Rivoli, de Turin, de Gênes,
de Milan, de Naples, de Vienne, d’Austerlitz, de Wagram … ou impasses de Lisbonne,
de Wagram… Le Barrio de los gitanos se nommera, selon l’hypothèse donnée par
Cruck (1958), rue Tagliamento. Si ne nous pouvons émettre une hypothèse pour
interpréter le choix de ces toponymes, il est important de relever que ceux-ci ne
correspondaient ni à une dénomination honorifique, ni à une glorification de
personnalités politiques (si ce n’est des saints), ni à un devoir de mémoire issue d’une
volonté de perpétuer le souvenir d’une quelconque illustre personnalité. Néanmoins,
c’était une pratique très courante de donner aux rues des noms de villes.
Comme quelques rues, les noms donnés aux toutes premières places réaménagées ou
nouvellement conçues dans l’Oran espagnol, paraissent aussi s’appuyer sur une
caractéristique dominante des lieux où elles s’étaient insérées. Ces désignations
indiquent clairement leur ancrage géographique et leur signification urbaine. Pendant la
première période de l’occupation française de 1840 à 1848, se présentent, deux
catégories relatives à la dénomination des places:
B- Celles qui sont créées ou projetées à l’extérieur des murs aux bords de ce qui allaient
devenir les futurs boulevards aux pieds des remparts, furent désignées par des noms
d’importants personnages français. A l’exemple des places Nemours et d’Orléans qui
semblaient honorées le prince Louis d’Orléans, duc de Nemours, un militaire français
183
qui se remarqua comme lieutenant général en Algérie entre 1834 et 1842 et participa à
la prise de la ville de Constantine en 1836-37. Il en était de même pour la place
Blanche, qui fut créée dans le quartier israélite ; une désignation qui pourrait
correspondre au nom d’une reine de France du XIIIe siècle, Blanche de Castille, qui fut
régente pendant la septième croisade menée en Palestine. Mais c’est aux deux places
sommairement tracées qui bordaient les deux principales portes de la ville,
respectivement celle de Bab-es-Souk et celle de Canastel, que l’administration française
a attribué des noms d’illustres Français de cette époque: de Napoléon, un leader
politique de la Révolution française et de l’Empire, et de Kléber, un célèbre combattant
tombé pour la Révolution. Ces nominations semblent avoir préfiguré les intentions
politiques portées à ces deux espaces et aux transformations urbaines qui allaient en
découler. Avec la construction de la Préfecture (1852) et du Grand hôtel de la Paix pour
la place Kléber, et de l’Hôtel de Ville (1886) et du théâtre (1907) pour la place
Napoléon, ces deux places sont devenues successivement les deux principales places de
la ville française. La première constituait jusqu’aux années 1870 le centre de la ville
dans le Vieil Oran remodelé. La deuxième symbolisait à partir de 1880 le nouveau
centre de la ville nouvelle projetée. Toutes deux incarnaient sans nul doute le triomphe
colonial.
Nous assistons alors à une terminologie nouvelle de qualification de l’espace urbain qui
s’appuie principalement sur l’honorification de personnalités politiques, une pratique
que Cruck (1958) déplorait car pour lui, les noms que donnaient les Anciens
permettaient non seulement le repérage et l’identification mais aussi informaient sur
l’usage de ces espaces ; ils pérennisaient en somme la mémoire des lieux. Cet auteur
écrit que les noms qui glorifient hommes ou évènements politiques « hélas !comme
feuille d’automne, ils sont les uns après les autres lamentablement dispersés dès que
souffle en rafales le vent des passions politiques » (Cruck, 1958, p. 336). En effet, les
espaces urbains oranais porteront successivement plusieurs appellations en étroite
relation avec les mouvements et les évènements politiques produits en France.
Entre 1848 et 1870, pendant la IIe République, les principaux boulevards, rues, et places
qui se sont progressivement édifiés, portaient des noms ou évènements qui
représentaient le Second Empire français. A l’instar des places Kléber et Napoléon, ce
sont principalement les boulevards Malakoff et de l’Empereur, ainsi que les places
Impériale et Saint-Arnaud. Quant à la place Lolotte dessinée dans le quartier de Saint
Antoine, nous n’avons aucune indication qui explique l’origine de son nom.
184
furent débaptisées pour porter de nouvelles dénominations. Ainsi, pour chasser les
souvenirs de l’Empire, la place Impériale devient place de la République. La Place
Napoléon prend le nom de Place de la Révolution mais maintien son ancien nom de
Place d’Armes. La place Saint-Arnaud prend le nom de Place Hoche et la Place Lolotte
celui de la Liberté. Le boulevard Impérial devient celui de National. Sauf la place
Kléber maintiendra son nom initial car celui-ci honorait un martyr de la Révolution
française. La mise à l’honneur de cette dernière reste une pratique permanente de
l’administration française. Ainsi, plusieurs places porteront des noms qui l’évoquent,
comme la place des Victoires, la Place de la Bastille, ou Place Sébastopol. D’autres
places, porteront des noms de « têtes » qui ont gouverné la ville, ou contribué au
progrès de la science. Ainsi le Square Garbé porte le nom de Charles Théodore Vicomte
Garbé, secrétaire général et préfet de 1845 à 1850, puis conseiller général et Maire
d’Oran de 1867 à 1868. Celui-ci fut, selon E. Cruck (1958), un fervent défenseur de la
ville et un éminent personnage dévoué aux bien être des Oranais et surtout de ceux qui
furent victimes de la famine et l’épidémie du typhus qui ont marqué cette période ; il fut
lui-même emporté par cette dernière le 07 avril 1868. Quant à la Place de l’Hôpital qui
fut rebaptisée Place de la Perle, nous n’avons aucune indication qui explique cette
nomination.
La période de l’entre-deux Guerres mondiales fut aussi marquée par des transformations
toponymiques. La Place de la Révolution (place d’Armes) est rebaptisée Place du
Maréchal Foch et le boulevard National devient celui de Maréchal Joffre : des noms de
personnalités militaires qui ont marqué l’histoire de la Première Guerre Mondiale. Le
boulevard du Sud, celui qui fut la Tahtaha du quartier arabe, sera baptisé boulevard
Joseph Andrieu, au nom de celui qui fut maire d’Oran entre 1870 et 1871. « Désavoué
par le conseil municipal, suite à son appui au Gouverneur Gueydon Général favorable
au régime militaire », ce maire dû démissionné, écrit M.K. Rouina (2006). Il semble
qu’il fut réhabilité en donnant son nom à une place importante. Un nouveau square
décoré par un monument aux Morts porte le nom de square du Souvenir en mémoire des
combattants tombés pour la France. D’autres places mettent à l’honneur des figures qui
ont dessiné ou gouverné la ville. Le nom du Square Emile Cayla est associé à celui du
dessinateur du plan d’embellissement d’Oran de 1893. Le Square Lyautey porte le nom
du « grand bâtisseur » qui, écrit Cruck (1958, p. 282), commanda la Division d’Oran de
1906 à 1908 avant de « pacifier » le Maroc ; il est orné d’une statue à son effigie. Le
Boulevard Malakoff fut rebaptisé Dr. Jules Molle, docteur en médecine, fondateur de la
«Ligue Latine » dans les années 1920 et militant pour l’union des « Latins » d’Algérie
(Français, Espagnols, Italiens, Maltais) contre les juifs, qui, fut élu maire et puis député
d’Oran de 1925 (ou 1921) à 1931.
La France socialiste d’après la Seconde Guerre mondiale apporte aussi son lot de
changements. Le boulevard Dr. Molle fut ré-nommé boulevard Stalingrad, au nom de
185
la nouvelle capitale du pouvoir communiste de l’Union des Républiques Socialistes
Soviétiques. Selon Alfred Salinas (2004), le parti radical de l’Oranie exerçait une
influence importante dans la municipalité, notamment entre 1944 et 1948, qui sous
l’impulsion de Gandolphe, un imminent avocat, bénéficia d’une grande sympathie.
Bâtonnier d’Oran de 1924 à 1927 puis exerçant un poste à titre d’intérimaire entre 1940
et 1943, Gandolphe fut une figure importante de ce parti. Le Square Garbé où la
fédération radicale avait son siège fut débaptisé en 1946 pour prendre le nom de
« Gastonnet » Gandolphe, en mémoire du fils du dit Gandolphe, qui mourut noyé en
tentant de sauver une amie emportée par la mer (Salinas, 2004, p. 255). La place Dr.
Roux, bordant l’hôpital civil de la ville, porte le nom de cet illustre médecin français et
collaborateur de Pasteur, qui a découvert le traitement contre la diphtérie et dirigé
l’institut Pasteur de 1904 à 1933.
En renommant les lieux, l’homme reprend possession de son espace. A son tour, pour
rompre avec le passé colonial, l’Algérie indépendante procéda au changement
toponymique des places, surtout de celles qui évoquaient les noms et évènements
inhérents au triomphe colonial, en calquant la même politique menée autrefois par la
puissance française. Les places seront débaptisées et porteront des noms de
personnages, dates ou faits liés à la Révolution algérienne. Le premier texte
réglementaire correspondant aux noms des lieux fut établi par le Décret du 5 avril 1963
relatif aux hommages publics92.
Si les places d’Oran sont dénommées par des figures ou des évènements qui ont honoré
la guerre de libération, chaque nouveau nom semble avoir été déterminé en analogie
avec ce que représentait son ancien nom. Ainsi, la Place Maréchal Foch, qui symbolisait
depuis sa création le vainqueur colonial, mémorisera la date du déclenchement de la
Révolution algérienne : elle sera rebaptisée Place du 1er Novembre 1954. La Place de la
Bastille qui évoquait la Révolution française, sera dénommée Place du Maghreb
alléguant certainement la reconstruction de celui-ci. La place Jeanne d’Arc qui portait le
nom de l’héroïne de l'histoire de France en tant que chef de guerre et sainte de l'Église
catholique au XVe siècle, portera le nom de Place Kahina, valeureuse guerrière berbère
des Aurès de la fin du VIIe siècle. La place des Victoires est rebaptisée Place
Abdelmalek Ramdane et la Place Hoche est renommée Place Commandant Medjdoub :
deux places qui honorent toutes les deux des martyrs de la guerre de libération.
92
Une série de textes sont venus progressivement le compléter, le dernier en date est celui de l’arrêté
interministériel du 4 février 1998 fixant les modalités et les critères de propositions de dénomination et de
débaptisation des lieux et des édifices publics. Ce texte renforce le rôle du Ministère des Anciens
Moudjahidines dans cette action de dénomination des lieux (cf. Atoui 2004).
186
L’esplanade Joseph Andrieu sera baptisée Esplanade de l’Indépendance sans doute en
raison de son appartenance à un haut lieu de la résistance algérienne. Le Square
Gandolphe qui honorait un fameux avocat sera dénommé Maître Thuveny, un avocat
français qui, selon Abdelkader Ougouag, fut assassiné au Maroc pour avoir défendu les
nationalistes algériens. Cet avocat apporta dans les années 1950 assistance au Comité
d’avocats algériens qui défendait les membres de l’Organisation Secrète (OS)
algérienne (Ougouag, 1993). D’autres places portent des noms de villes des pays
d’Afrique qui ont fortement soutenu la Révolution algérienne. Le Square du Souvenir,
portera le nom de Bamako probablement en référence à la participation d’une délégation
des femmes algériennes au congrès de Bamako du 19 janvier 1960. Le Square Lyautey
prend le nom de Place Port Saïd – ville égyptienne du canal de Suez – nom qui
remémore la nationalisation en 1956 de la Compagnie du canal par le président égyptien
Gamal Abdel Nasser.
Les circonstances exactes qui ont motivé le choix de ces toponymies nous sont toutefois
inconnues. Les travaux liés à la toponymie urbaine, en particulier celle relative aux
noms des voies de communication, sont quasi-inexistants. Néanmoins, les études
menées par Brahim Atoui (1996, 2004) peuvent constituer une référence utile et nous
éclairer sur les pratiques toponymiques appliquées en Algérie.
En analysant ce qu’il appelle les odonymes d’Alger, B. Atoui (2004) porte une critique
acerbe à l’encontre des politiques odonymiques menées après l’indépendance.
L’odonymie est définie, selon lui, « comme l’étude de la toponymie urbaine » associée
aux voies de communication (p. 23). Après avoir passé en revue la politique nationale
de dénomination et de normalisation des noms des lieux, il écrit que l’attribution
toponymique en Algérie s’est faite dans la précipitation, en ne suivant aucune règle, si
ce n’est celle de la dé-baptisation de noms coloniaux et celle de glorification des
martyrs de la révolution. B. Atoui relève la pauvreté en nombre et en qualité des noms.
Il précise ainsi que le nombre d’odonymes n’a guère changé depuis le temps de la
France et que du point de vue de la qualité, ces dénominations illustrent un manque
d’effort d’imagination car elles n’ont puisé que dans l’histoire récente de l’Algérie. Le
passé ancien est totalement absent et l’ouverture sur le monde est très peu marquée dans
le paysage toponymique local, remarquera t-il. Il ajoute aussi que l’attribution de noms
de personnalités historiques à des lieux est souvent en disproportion avec leur stature
réelle (Atoui 2004, p. 40-44).
A Oran, malgré l’attribution officielle de nouveaux noms aux places, c’est toujours les
dénominations anciennes qui persistent dans le langage courant des Oranais. Les
enquêtes que nous avons menées aussi bien par les entretiens que par les questionnaires,
indiquent clairement que les habitants et les usagers ordinaires de la ville méconnaissent
les nouveaux noms des places ; l’absence de plaque ou moyen d’identification sur les
187
lieux peut en partie expliquer cette situation. La Place du 1er Novembre 1954 est
toujours appelée place d’Armes, celle de l’Indépendance garde son ancien nom arabe de
Tahtaha. Les places de la Bastille, des Victoires et Hoche, maintiennent leurs noms,
sauf pour la première qui est parfois désignée aussi par place de « la grande poste », en
rapport au bâtiment public de la Poste qui lui fait face (cf. tableau 3).
Cette désignation à un édifice public est, en effet, assez répandue. L’exemple le plus
frappant est celui de la place Kahina. Ni ce nouveau nom, ni son ancien nom de Jeanne
d’Arc ne sont connus et utilisés par les Oranais. Cette place est appelée place de la
cathédrale en raison de la présence de l’imposante cathédrale du Sacré Coeur. La place
d’Armes est aussi désignée parfois par la place de la Mairie, du bâtiment monumental
qui fut au temps des Français l’Hôtel de ville. Le square Port Saïd, ex Lyautey, est
connu uniquement par la place des crémeries à cause de deux glaciers qui l’occupent
depuis les années 1980. Un square sans nom est appelé square de la punaise de par la
forme en punaise du petit monument posé en son centre.
Aujourd’hui, beaucoup de lieux urbains sont indiqués par différents éléments qui
peuvent les caractériser. Cette situation est d’autant plus forte dans les nouveaux
quartiers, construits après l’indépendance, dont les rues sont rarement dénommées. En
l’absence de dénomination officielle, l’usage impose des appellations diverses, comme
le dit très justement Atoui (2004). Les habitants attribuent spontanément des noms aux
espaces, notamment à ceux qui leur servent de repère. Ainsi, voies, places, et ronds
points en particulier, sont nommés soit par un équipement qui leur fait face, soit par le
quartier qui les jouxte, soit par un élément qui les orne. Rond point centre commercial
d’el Morchid, rond-point clinique Nakkache, rond-point cité Jamel, rond-point des
HLM, rond point e-nakhla (du palmier), rond-point Sheraton, rond-point Méridien, sont
autant d’exemples qui illustrent une forme de « compétence » des habitants d’octroyer
des « noms » à des espaces que nous pouvons qualifier de non lieux. Un espace ne
devient lieu que s’il est attribué d’un nom reconnaissable et significatif.
Les noms de lieux sont des éléments essentiels de la mémoire collective. « Les hommes
vivants en société usent des mots dont ils comprennent le sens, c’est la condition de la
pensée collective. Or, chaque mots (compris) s’accompagne de souvenir et il n’y a pas
de souvenir auquel nous ne puissions faire correspondre de mots », écrit Maurice
Halbwachs (cité par Atoui 2004, p. 48). Cet extrait nous éclaire sur l’importance des
noms donnés aux places, de leur diffusion à temps par des plaques apposées sur les
lieux et de leur mise en valeur par des statues ou autres objets commémoratifs. Comme
en témoigne le rond-point appelé Zabana, le seul rond point baptisé officiellement. La
stature du feu Ahmed Zabana en tant que fils d’Oran et grand martyr de la révolution
algérienne, et sa mise à l’honneur par une statue à son effigie se dressant au milieu du
rond-point semble participer à la concordance entre usage officiel et usage local.
188
Tableau 3 : Aventure des noms des principales places d’Oran. Réalisation F. Kettaf
189
Conclusion de la première partie
Après avoir proposé une esquisse sur le débat autour du concept de l’espace public et
des espaces publics dans les sciences sociales et dans l’environnement de l’architecture
et de l’urbanisme, d’avoir considéré du point de vue historique, formel et fonctionnel
l’évolution de « la place dans la ville », et d’avoir présenté les principaux outils et
méthodes adopté sur ce volet de notre recherche, nous nous sommes attachés à saisir les
facteurs qui interviennent dans la fabrique des espaces de la ville, pour mieux
comprendre la genèse et l’évolution des places d’Oran. Pour ce faire, il nous est apparu
intéressant de remonter aussi loin dans le temps et d’examiner l’environnement
géographique, politique, économico-démographique ainsi que l’application des
« modèles urbains » et/ou des outils d’urbanisme, inhérents aux trois temps historiques
majeurs de la « fabrication » d’Oran. Les temps des occupations espagnole et turque, le
temps fort de la colonisation française, et la période qui suit l’indépendance. On peut
faire correspondre ces trois temps, de manière un peu schématique avec le risque que
cela comporte, à trois principaux paradigmes urbains : ceux de la « ville traditionnelle »,
de la « ville moderne », de la « ville fonctionnelle ».
A Oran, ville millénaire à multiple héritage, les places constituèrent jusqu’aux années
1940 des espaces urbains essentiels dans l’organisation et la structure de la ville.
L’occupation française illustre, cependant, la période la plus significative de production
des places publiques, notamment à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, quand
la ville, passant du pouvoir militaire à l’administration civile, s’étendit hors les murs.
Les espaces publics « à la française » constituent, en effet, l’essentiel du fondement de
l’espace urbain oranais contemporain. Dans un premier temps (1831-1870), le dessin de
la ville porté principalement par les officiers du Génie se réfère aux principes de la ville
régulière, ordonnancée et aérée, largement développés au cours du XVIIIe siècle en
Europe (Tsakopoulos, 1994 ; Malverti, 1994 ; Picard 1997). Mais la construction de
l’espace urbain se faisait au fur et à mesure du développement de la ville, sans grand
dessein et sans plan d’ensemble. Dans une deuxième phase (1870-1930),
l’aménagement de l’espace urbain s’est appuyé sur le grand dessin et la monumentalité.
Cet urbanisme parait s’inspirer quelque peu du modèle haussmannien avec ses grands
boulevards, places et squares. Dans un troisième moment (1930-1940), c’est la pratique
de planification et l’établissement des Plans d’aménagement, d’Embellissement et
d’Extension (PAEE) qui s’applique (Lespès, 1938 ; Frey 2004). L’urbanisme moderne
fit ainsi son entrée dès les années 1940, d’abord avec ses hauts immeubles résidentiels
greffés dans les tissus existants, et ensuite avec ses grands ensembles d’habitats qui
190
s’imposent jusqu’à l’heure actuelle comme l’outil fondamental de la construction de la
ville (Deluz, 1989 ; Semmoud, 1995 ; Dris, 2002). C’est dans ce contexte, imprégné par
la pensée urbanistique fonctionnaliste, que la place répondant aux canons classiques a
disparu, au profit de grands espaces ouverts qui ne participent plus à la structuration
urbaine de la ville contemporaine.
Partie intégrante d’un réseau continu et hiérarchisé des espaces publics, les places
d’Oran sont diverses, et chacune d’entre elles revêt un ou plusieurs rôles dans
l’organisation de la structure urbaine. Ce réseau fut fortement influencé à la fois par la
géographie tourmentée du site, par les traces de la ville existante et par les modèles
urbains et architecturaux inhérents à chaque période. Ainsi, nous avons pu établir une
typologie des places d’Oran : les places qui sont construites aux portes de la ville, celles
qui symbolisent la puissance coloniale, celles qui servent d’écrin à des édifices et
monuments importants, celles qui articulent différentes structures viaires, celles qui
servent de parvis d’églises, celles qui aèrent et ponctuent les grands parcours, et enfin,
celles qui structurent de larges lotissements. Elles sont des places d’embellissement, de
desserrement urbain, mais aussi des espaces où s’exprime la sociabilité urbaine, et
comment celle-ci évolue du temps de la colonisation au temps de l’indépendance du
pays.
Les places d’Oran s’illustrent aussi par la variation de leurs noms qui sont saisis comme
des symboles de chaque passage marqué par un événement politique ou un changement
de régime. Les noms des places d’Oran incarnent dans cette évolution à travers
l’histoire de la ville, une fonction symbolique d’appropriation territoriale.
Après avoir saisi la genèse et la formation des places d’Oran, ainsi que le rôle ou les
différents rôles qu’elles occupent dans l’espace urbain, la deuxième partie de ce travail
examinera le traitement des espaces publics au sein de la pratique de la planification
urbanistique contemporaine.
191
192
DEUXIEME PARTIE
193
194
CHAPITRE 4. L’ESPACE PUBLIC DANS LES
PRATIQUES URBANISTIQUES
195
196
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE
L’espace public est – en amont – un espace programmé, géré et ordonné par les
pouvoirs publics. Il est aussi un espace de compétences de savoirs et de connaissances
pratiques détenus par des opérationnels et des concepteurs (architectes ou urbanistes).
Ainsi, la deuxième partie de cette thèse tente d’examiner le traitement de l’espace public
au sein de la planification urbanistique. Elle est composée de deux chapitres.
Le deuxième chapitre examine l’espace public dans les projets urbains contemporains.
Ce chapitre considère d’abord l’environnement conceptuel, idéologique et « appliqué »
du projet urbain, vu d’après la doxa urbanistique dominante qui saisi le projet urbain
comme une nouvelle démarche stratégique dans laquelle l’espace public occupe une
place majeure. Il interroge ensuite l’application de cette démarche en Algérie et analyse
les projets urbains en cours. Dans cette analyse, il est question d’examiner comment les
espaces publics sont aujourd’hui pensés, conçus, produits, aménagés et gérés à l’aune de
l’approche du projet urbain, en essayant de déterminer l’implication et le rôle des
acteurs institutionnels et techniques dans les projets urbains oranais. Pour cela, nous
avons choisi trois catégories de projets: a) deux grands projets urbains, celui de
l’aménagement du front de mer et celui du tramway ; b) des projets d’espaces verts ; c)
deux projets de production et de gestion des espaces publics : il s’agit pour l’un, de
l’élaboration d’un nouveau POS et, pour l’autre, de la production des espaces publics
« ordinaires ». L’analyse de ces projets a mis en relief la problématique d’une
production et d’une gestion désastreuses des espaces publics. Ainsi le couple espace
public-projet urbain demeure dans le cadre oranais un réel simulacre urbanistique.
197
198
CHAPITRE 4
Ce chapitre tente d’examiner la place qu’occupe la conception des espaces publics dans
les pratiques urbanistiques d’Oran. Notre argumentation est organisée en trois volets
principaux. Le premier a pour objectif d’appréhender les tendances générales des
politiques urbaines développées en Algérie depuis l’indépendance, en nous appuyant
notamment sur les travaux d’un certain nombre de chercheurs qui ont traité ce sujet et
en tenant compte plus particulièrement des transformations de la ville d’Oran 93. Ce
volet analyse en particulier la place de l’espace public dans l’élaboration et
l’application des instruments d’urbanisme en vigueur. Le deuxième volet identifie les
différents acteurs et leurs rôles à l’égard des espaces publics. Le dernier aborde la
question des compétences de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre urbaine
dans la perspective de mettre en relief la problématique de l’enseignement de la
conception urbaine et de l’espace public saisi comme son corollaire dans les écoles
d’architecture en Algérie.
L’hypothèse qui peut être formulée ici est que malgré l’évolution des politiques
urbaines et des instruments d’aménagement, les pratiques urbanistiques restent
imprégnées d’un déni inconsidéré de l’importance des espaces publics dans la ville.
93
A titre indicatif nous renvoyons aux travaux de Jean-Claude Brûlé et Jacques Fontaine dans
Aménageurs et aménagés en Algérie (2004) et dans Le Grand Maghreb, sous la direction de François
Troin (2006) ; de Pierre Signoles, Galila El Kadi, Rachid Sidi Boumedine (1999a), L’urbain dans le
monde arabe ; de Maouia Saïdouni (2000), Eléments d’introduction à l’urbanisme : histoire,
méthodologie, réglementation, de Abed Bendjelid (2010), Villes Algériennes ; de Jean-Marie Miossec
(2009), Terrains et échelons de la gouvernances : expériences en France et au Maghreb ;et du rapport
scientifique du projet « Faire la ville en périphérie(s) ? Territoires et territorialités dans les grandes
villes du Maghreb » financé par le FSP (Ministère des Affaires Etrangères France) dirigé par Pierre
Signoles (2006-2010).
199
4-1 L’URBAIN EN ALGERIE : LA DESHERENCE DES ESPACES PUBLICS
En dépit du fait que ces nouvelles méthodes ont jeté les premiers jalons de l’urbanisme
fonctionnaliste à l’aune de concepts et de pratiques comme l’analyse urbaine, les
fonctions, le zonage, les systèmes de circulation et de transports, elles n’ont pas rompu
totalement avec l’art urbain et l’urbanisme d’alignement. Les îlots, les espaces publics
et l’alignement sont restés les fondements de l’espace urbain. L’intérêt manifeste de
cette époque est dans ce qu’elle a introduit comme nouvelles démarches urbanistiques :
la planification et le document plan (cf. Berdoulay & Soubeyran, 2002).
200
réseaux, de transport en particulier. Cette démarche s’illustre par un ambitieux
programme urbanistique mis en œuvre à partir de 1951, qui commence à rompre peu à
peu avec les pratiques urbanistiques antérieures. La réalisation en périphérie de cités de
type HLM « confort » et de type habitat pavillonnaire pour les Européens, de cités de
recasement et de type HLM « simple confort » pour les Musulmans, ainsi que
l’établissement du 2ème boulevard de circulation périphérique en témoignent (Benkada,
2001).
Mais il faut attendre la fin des années 1950 pour que les nouveaux instruments
règlementaires d’urbanisme soient établis pour répondre à la problématique de la
reconstruction à laquelle a été confrontée la France de l’après deuxième Guerre
mondiale. C’est dans cette conjoncture que les outils répondant au modèle de la ville
fonctionnaliste se sont imposés avec force dans la production de l’espace urbain. Ce
modèle de ville, défini par la Charte d’Athènes94, s’illustre par les grands ensembles, les
villes nouvelles, le règne du « standard », le zonage et la tabula rasa. Les principes de
la ville « classique » ont été radicalement inversés. La relation rue-parcelles-bâtiments
n’est plus l’élément fondateur du tissu. Le bâtiment détaché de son socle se trouve ainsi
isolé et multiplié à l’identique sur un vaste territoire où l’orientation est-ouest,
orientation privilégiée du logement, constitue un des principes forts de l’organisation du
plan d’ensemble (Panerai & al. 2006). L’espace entre les bâtis devient vague et résiduel
et le plan urbain donne la primauté aux véhicules motorisés sur le piéton. La notion de
plan de masse, refusant la prise en compte de toute contrainte spécifique d’implantation,
dès lors, prend le dessus sur celle de la composition urbaine (Gibbert, 1971 ; Riboulet,
1998 ; Pinon, 2004).
94
Ce document, publié en 1943 par Le Corbusier, définit les critères d’une ville moderne. Il préconise
quatre fonctions: Habiter, travailler, se divertir et circuler. Le plan Voisin dessiné par Le Corbusier en
1925, qui envisage la démolition du centre de Paris, correspond aux multiples projets de « Cité radieuse »
abstraitement implantés. Le Corbusier est l’une des figures importantes des Congrès Internationaux
d'Architecture Moderne (CIAM) fondés en 1928 à la Sarraz Suisse, qui avaient pour rôle de promouvoir
l’architecture et l’urbanisme moderne. (Le Corbusier, 1957)
201
d’aménagement en France que sur celles qui ont produit la planification urbaine en
Algérie après l’indépendance.
C’est, en effet, le Plan d’Urbanisme Directeur et, son pendant, le Programme qui
constituent les instruments réglementaires significatifs qui régissent la production de
l’espace urbain en Algérie depuis le plan de Constantine. Ce plan approche l’espace en
termes statistiques et quantitatifs. Il a pour rôle de mettre « en relation la structure
démographique (nombre de population), la structure économique (équilibre emploi-
population, localisation et surface à réserver aux activités économiques) et la structure
spatiale (zonage) » (Saïdouni, 2000, p. 204). En France, les Zones à Urbaniser en
Priorité (ZUP), constituent une procédure administrative d’urbanisme opérationnel
élaborée dès 1960 spécifiquement pour les zones périphériques d’extension. Créées ex
nihilo, elles sont accompagnées par une grille d’équipement qui est établie en fonction
d’une hiérarchie partant de l’unité de voisinage au grand ensemble.
En Algérie, la situation était certes quelque peu différente de celle de la France pour que
ces instruments puissent marquer de manière significative l’espace urbain des
périphéries des villes algériennes. Il faut noter aussi que cette période coïncidait avec
celle de la guerre pour l’indépendance. Toutefois, ces instruments ont été reconduits et
ont continué à avoir une grande influence sur les instruments d’urbanisme de l’Algérie
indépendante.
202
périphérique et des quelques projets d’habitat collectif et individuel dits opérations
« carcasses ». En 1966, l’agglomération oranaise a atteint 342.293 habitants dont
323.485 pour la commune d’Oran (ONS) récupérant en six ans sa population de 1960.
C’est à partir des premières années de 1970, que les besoins se sont fait sentir en
matière de logements et d’emplois (Benkadda, 2004).
Figure 36: Oran ZHUN Seddikia : vastes espaces vides et peux aménagés. Photos : F. Kettaf
(juin 2011)
95
La ZUP est largement critiquée aujourd'hui du fait d’avoir induit la prolifération de cités dortoirs, de la
fragmentation spatiale et la marginalité sociale.
204
Figure 37 : Plan ZHUN Seddikia, cité 1.240 logements. Traitement et mise en forme : F. Kettaf
205
Figure 38 : Plan ZHUN USTO, cité 1.500 logements. Traitement et mise en forme : F. Kettaf
206
Figure 39 : Oran ZHUN USTO : vastes espaces en « déshérence ». Photos : F. Kettaf (juin 2011)
Il est clair que la démarche urbanistique standardisée des ZHUN a mis au centre de sa
priorité le nombre de logements à construire et a relégué au second plan la dimension
spatiale et la maîtrise du sol urbain. Cette procédure a eu pour conséquence de produire
de grands bouleversements morphologiques, une fragmentation spatiale visible, une
discontinuité manifeste entre centre et périphérie et un étalement urbain considérable
(Gaïd & Kettaf, 2008). L’absence du concept de l’espace public comme élément
fondamental de la construction du tissu urbain a eu inéluctablement pour effet « la
désintégration systématique des espaces d’urbanité » (Saïdouni, 2000, p. 212).
A une plus grande échelle, la réalisation des ZHUN presque à l’identique sur l’ensemble
du vaste territoire algérien, sans prendre en compte les spécificités géographiques,
climatiques et culturelles va, à terme, gommer le caractère propre de chaque ville.
Désormais, toutes les périphéries des agglomérations algériennes du Nord au Sud se
ressemblent et offrent une image répétitive et monotone. Cette politique urbaine de tout
planifié et de tout homogénéisé a perdu de vue la nécessité de rechercher à produire un
urbanisme, bien évidemment moderne mais adapté aux spécificités locales. Elle a fini
par fabriquer des espaces urbains pauvres comparés à ceux du passé (Bendjelid, 2010).
96
Les espaces des ZHUN sont des terrains domaniaux et sont inévitablement convoités. Ils peuvent être
vendu par préemption ou aux enchères publiques pour des réalisations d’équipements.
207
Marc Côte utilise l’’expression de « jacobinisme spatiale » pour qualifier l’intégration
nationale à travers l’espace qui se manifeste par « un gommage systématique des
différences géographiques et culturelles » (1993, p. 199).
La fin des années 1980 et le début des années 1990 marque un tournant important dans
les politiques urbaines en Algérie. La période de 1980 à 2000 est rythmée par une
succession d’évènements. Le projet de libéralisation économique (1979-1985) renforce
le pouvoir politique du parti-Etat (FLN) et tente de clore l’ère d’économie étatisée. La
crise économique liée à la baisse du prix du pétrole (à partir de 1982) exacerbe les
tensions et évolue vers la monté de la contestation populaire organisée de grande
ampleur qui a, peu à peu, mené vers une crise politique sans précédent. Les émeutes de
1988 en sont le point culminant. La nouvelle constitution de février 1989 établit des
réformes politiques et adopte le multipartisme. Après quatre années « d’illusion »
démocratique (1988-1992), la victoire en décembre 1991 du parti islamiste du Front
islamique du salut (FIS), et puis l’arrêt du processus électoral du second tour en janvier
1992, sonnent le glas du processus démocratique. S’en suit alors entre 1992 et 2000 des
« années noires » de violences qui ont poussé l’Algérie à s’atteler à la gestion de la crise
politique au détriment de la poursuite de la politique volontariste de développement et
d’aménagement du territoire. La croissance urbaine de plus en plus incontrôlée s’est
alors largement amplifiée. La population fuyant les compagnes exacerbées par les
violences islamistes, investit les grandes villes ; Alger et particulièrement Oran sont les
cas le plus importants (Brûlé & Fontaine, 2004 ; 2006).
La fragilité du contexte politique et économique des années 1980 a rendu perceptible les
limites du tout planifié et du tout Etat et a fini par limiter le rôle de l’Etat à celui de
régulateur et contrôleur. Les anciens instruments et procédures de la planification
urbaine devenaient désuets dès lors qu’ils n’arrivaient plus à maitriser l’urbanisation
galopante et à produire des espaces urbains cohérents. Maouia Saïdouni (2000, p. 212)
affirme à ce propos que « l’urbanisation en Algérie se faisait à coup de programmes
économiques et d’habitat et non sur la base de plans d’urbanisme tenant compte de la
dimension spatiale, de l’utilisation rationnelle des sols urbains et de l’échelle mineure ».
208
Il s’agit là de l’adoption d’une nouvelle gouvernance qui distribue hiérarchiquement les
pouvoirs de l’échelon national, voire supranational, à l’échelon local. Dans l’ouvrage
Terrains et échelons de la gouvernance : expériences en France et au Maghreb, élaboré
sous la direction de Jean-Marie Miossec (2009), celui-ci dans son article « Quelle
gouvernance pour gérer quels territoires : la gouvernance à l’articulation des pouvoirs et
des territoires », écrit :
« Qu’il s’agisse de la France, de la Tunisie, du Maroc ou de l’Algérie,
progressivement, dans les dernières décennies, s’est mis en place un processus de
décentralisation et de transfert des compétences » (Miossec, 2009, p. 28)
Si les instruments des PDAU et des POS constituent certes une avancée appréciable sur
le plan théorique et méthodologique, ils n’abordent encore pas, dans la pratique, les
problématiques relatives à la qualité urbaine et à la gestion des espaces publics, en
particulier celles identifiées par Isaac Joseph comme « des qualités et du confort
susceptibles de construire de l’urbanité d’un espace » (1990, p. 73). En effet, les
réflexions ayant trait à l’importance de l’espace public comme clé de voûte de la
fabrique de la ville et des espaces d’urbanité, et à la qualification urbaine au sens du
paysage, sont encore une fois occultées. La prise de conscience de l’importance de ces
97
Cette période est marquée par un nouveau découpage territorial. En 1985, on passe de 31 wilayas à 48
et de 707 à 1541 communes.
98
Le SNAT 1987 visait principalement la division du territoire en 8 régions (SRAT); le redéploiement
démographique et le rééquilibrage territorial en promouvant les Hauts plateaux et le Sud pour la maitrise
du rythme de l’urbanisation et la réhabilitation du milieu rural. Ces instruments resteront lettres mortes.
209
aspects fondamentaux de la vie urbaine dans le processus d’aménagement, bien
qu’apparue depuis la fin des années 1970 dans les pays du Nord, semble absente, du
moins dans les propositions et plans jusque là élaborés.
Les données observables sur l’aménagement urbain constituent des entrées majeures
pour juger de la portée du PDAU et du POS sur le paysage urbain et de son corollaire,
l’espace public. « Le paysage urbain n’est pas que l’effet émergent du développement
du tissu. C’est une donnée essentielle prise en compte dans la plupart des opérations
d’urbanisme de qualité » (Allain 2004, p. 14). En ce sens, nous ne pouvons dissocier
paysages et formes qui sont toujours perçus de façon globale par les usagers de la ville.
Un examen attentif des documents des PDAU et des POS sous l’angle de leurs
présupposés conceptuels montre clairement leur nature bancale de l’aménagement ; les
insuffisances d’orientation en termes de formes et de paysages urbains y sont
manifestes. En tant qu’instruments de planification urbaine, le PDAU du groupement
d’Oran, approuvé en mai 1998, a été conçu pour définir les grandes orientations
stratégiques et pour déterminer, sur le long terme (20 ans), la destination générale des
sols. L'extension de la ville vers l'Est, la préservation des terres agricoles, la reconquête
des tissus urbains existants et l'éradication de l'habitat précaire en sont les grandes
options proposées (cf. PDAU d’Oran, 1998). Mais dans la pratique c’est l’option de
l’extension vers l’Est qui a pris le pas sur le reste, comme l’illustre la figure 41.
L’organisation du territoire d’Algérie se base sur deux collectivités territoriales qui sont
la wilaya et la commune. Toutefois, elle intègre un niveau intermédiaire - la daïra - qui
regroupe plusieurs communes mais qui constitue une subdivision strictement
administrative. Ainsi, le découpage administratif comprend 48 wilayas divisées en 548
dairates (sous-préfectures) et 1.541 communes (loi n°48.09 du 4-2-1984 art.3). Dans
cette organisation, la wilaya d’Oran comprend 26 communes regroupées en 9 daïrates.
Le groupement urbain d’Oran (GUO) que le PDAU prend en charge comprend quatre
communes : la commune d’Oran et trois communes rurales limitrophes de Bir-el-Djir,
d’Es-Senia et de Sidi-Chami (figure 40). De par leur forte proximité, ces dernières ont
été absorbées par l’extension urbaine Est d’Oran prônée par le PDAU. La commune
d’Oran, quant à elle, est divisée en douze arrondissements appelés « secteurs urbains ».
Chaque secteur possède sa propre antenne communale dirigée par un délégué élu.
210
Figure 40 : Groupement d’Oran concerné par le PDAU. Source : PDAU Oran.
Conception F. Kettaf (2012)
Le seul outil réglementaire existant sur lequel a été tracée l'extension Est, est le PDAU
du groupement d’Oran sur la base duquel a été programmé un nombre important de 66
POS. Les espaces d’urbanisation proposés par le PDAU s’expriment en termes de
Secteurs Urbanisés (SU), de Secteurs à Urbaniser (SAU) (moyen terme), de Secteurs
211
d’Urbanisation Future (SUF) (long terme), et de Secteurs non Urbanisables (SNU).
Ceux-ci se répartissent comme le présente le tableau 4.
Nombre 48 composés de 54 5 7 6
sous-secteurs
Dans la périphérie Est, les secteurs à urbaniser (SAU) et à urbanisation future (SUF) qui
présentaient des assiettes foncières essentiellement vierges, le PDAU a procédé en
découpant le territoire en grandes parcelles assez homogènes en surface, de l'ordre de
120 à 180 ha en moyenne, appelé périmètre de POS faisant chacun l’objet d’une étude
de POS. Chaque parcelle a été considérée comme un territoire pratiquement autonome
avec son "centre d'équipements de base" : à savoir une école, un collège, une agence de
poste, un petit centre de santé, une mosquée (appelés équipements de voisinage). Puis il
y a les équipements de quartier, tels que les lycées, cliniques ou administrations prévus
dans quelques périmètres. Dans chaque parcelle sont délimités le nombre de population
et le nombre de logements à prévoir, avec des chiffres souvent incommensurables.
Sur certains secteurs, dits Secteurs d'Urbanisation Future (SUF) pour désigner les futurs
territoires à urbaniser, il est prévu, en plus d’une dizaine de milliers de logements, un
pôle d'affaires, un pôle de sport et de loisirs à proximité de la seule forêt que possède la
ville auxquels s’ajoute et un technopôle contigu à l'université USTO, sans aucune
précision quant à leur échelle et à leur contenu, et sans que leur vocation soit clairement
évoquée.
Le PDAU détermine les limites des secteurs des POS en fixant, pour chaque secteur,
des orientations réglementaires spécifiques, en somme, très générale. L’unique
disposition indiquée par le PDAU en matière d’options d’aménagement à l’endroit des
POS, est ainsi formulée :
« Leur composition et leur forme urbaine doivent obéir à l'option retenue qui
consiste en extension urbaine linéaire vers l'Est. Il s'agit de rompre partiellement
avec la forme radio-concentrique adoptée jusqu'ici. Cette extension doit se réaliser
dans un souci de continuité et de cohérence avec les tissus existants. Ce qui
impose l'établissement de liaisons aussi bien spatiales que fonctionnelles et la
création d'autres pôles de centralité afin de soulager l'hyper-centre. Cette
continuité spatio-fonctionnelle passe par la création d'éléments de repère et
d'appel » (extrait du rapport final du PDAU d’Oran, 1998, p. 16).
212
Belgaïd
Belgaïd
Les phases d'extension
Avant 1962
&
Commune de
Commune de
1962 - 1980 EAC et EAI Bir
Bir el
el Djir
Djir
1980 - 1990
Terrains domaniaux ou militaires
1990 - 2000
Boulevard périphérique
2000 - 2009
Limite du PDAU
Extension en cours
Sidi
Sidi El
El Bachir
Bachir
Port
Port
Sidi
Sidi Marouf
Marouf
Djebel
Djebel Centre ville
Centre ville
Murdjadjo
Murdjadjo 33
11 22 Commune de
Commune de
44 Sidi
Sidi Chahmi
Chahmi
ORAN
ORAN
66
55
St
St Rémy
Rémy
Petit
Petit
Lac
Lac
Pogrammes hors PDAU
Commune
Commune 1 Hôpital des grands brulés
4ème
4ème Bd
Bd d'El Kerma
d'El Kerma 2 Hôpital des cancéreux
3 Pénitencier
4 Gare tramway
Nedjma
Nedjma 5 Hôpital militaire
6 Caserne gendarmerie
Aïn el
Aïn el 200 lgt
200 lgt
Baïda
Baïda
Commune
Commune 0 2 km
d'Es-Senia
d'Es-Senia
Quant aux orientations en termes d’espace public, aucune indication n’a été formulée.
S’agissant du réseau viaire, les grandes voies proposées qui limitent les vastes secteurs à
urbaniser n’ont aucun statut particulier. Elles ont été dès lors projetées et réalisées en
voies de circulation rapides indifféremment baptisées « boulevards » ayant pour effet de
restreindre considérablement la libre circulation des piétons, riverains ou passants.
Quant aux autres espaces publics, seules quelques orientations paraissent illustrer une
certaine préoccupation des rédacteurs de ce document en termes de qualité du paysage
urbain et d’espace « d’urbanité ». Elles se résument comme suit :
« La zone Est, notamment sa frange maritime, constitue une opportunité pour
Oran. Un aménagement de qualité lui permettra de reconquérir une image de
marque et d'acquérir les caractéristiques d'une réelle métropole. Concrètement,
pour réconcilier Oran avec la mer, l'aménagement de toute la falaise et de la zone
des "Genêts", par un ensemble d'équipements et d'activités liées au tourisme et à la
détente est préconisé : parc de plaisance avec une pénétrante mécanique, des
liaisons piétonnes voire même par un téléphérique, valorisant les espaces boisés
existants. A ces actions s'ajoutent celles qui visent la réhabilitation et la mise en
valeur de petites plages existantes.
213
Un port de plaisance est proposé dans cette zone. Le choix précis doit être fait en
concertation avec l'ensemble des intéressés. Toute la zone comprise entre
l'extension du port et la pointe de Canastel doit faire l'objet d'une étude de POS qui
précisera les affectations, les programmes et les différentes liaisons. Des liaisons
piétonnes sont projetées au niveau des falaises de Belgaîd et de Canastel.
L'aménagement de la bande littorale s’intègre au projet de la zone d'expansion
touristique (ZET) d’Ain Franine » (extrait du rapport final du PDAU d’Oran,
1998, p. 16).
Ainsi, pour renforcer Oran avec son littoral et dans le cadre de la préservation des
ressources naturelles et du développement touristique, des propositions telles qu’un
« parc urbain », un « parc de plaisance » et des « liaisons piétonnes », dont la finalité
serait de valoriser les espaces boisés existants et de continuer la promenade du Front
mer actuel, sont préconisés, sans qu’elles soient, toutefois, suivies d’effets sur le terrain.
En effet, très rares sont les « orientations » qui ont été concrètement réalisées, comme
nous allons le voir au chapitre 5.
Le PDAU n’étant qu’un instrument prévisionnel, ses grandes options (qui sont trop
générales pour être applicables directement) ne peuvent être exprimées qu'indirectement
par l'intermédiaire de ses documents d'application : c’est-à-dire les POS. C’est, en effet,
l’étude des POS des différents secteurs qui fixent avec plus de précision les options du
PDAU.
Le POS, décrit par le Code du Foncier et Code de l’Urbanisme (2004) dans le chapitre
III dédié aux instruments d’aménagement et d’urbanisme (Art. 31), a pour objectif de
réglementer les actes d’urbanisation et de les rendre conformes aux objectifs et
orientations du PDAU. Outre son rôle de fixer les contraintes d’occupation des sols, il a
pour tâche de proposer un plan d’aménagement général définissant la forme urbaine et
l’organisation d’ensemble ainsi que de préciser les coefficients d’occupation des sols
(COS) et d’emprise au sol (CES). En termes d’espaces publics, le Code indique que le
POS :
« fixe de façon détaillée pour le ou les secteurs concernés, la forme urbaine,
l’organisation et l’utilisation des sols ; délimite les espaces publics, les espaces
verts, les emplacements réservés aux ouvrages publics et installations d’intérêt
général ainsi que les tracés et les caractéristiques des voies de circulation ;
délimite les servitudes ; précise les quartiers, rues, monuments et sites à protéger,
à rénover et à restaurer ; localise les terres agricoles à protéger » (2004, p. 686-
687).
Mais le paysage que nous livrent les nouveaux aménagements urbains issus des
différents POS et que les observateurs, experts ou profanes, qualifient de
214
catastrophique »99, nous conduit à nous interroger sur les modes opératoires en matière
d’aménagement urbain et à évaluer les directives sur tout ce qui constitue l’aspect
matériel d’une ville. Il est clair qu’à la lecture des orientations des cahiers des charges
destinés aux concepteurs des POS, les orientations en termes de forme urbaine, d’espace
public et d’architecture sont quasiment inexistantes.
En énoncé du « Cahier des prescriptions communes » destiné aux maîtres d’œuvre des
POS, la rubrique consacrée aux « espaces publics » établit que :
« Ils constituent le rapport en l’endroit privilégié de la vie sociale (rencontre -
distraction - circulation - jeux - etc.). [L’espace public] est un élément déterminant
pour la réussite de l’opération car il est la partie la plus perçue visuellement. Les
espaces verts comme étant un élément majeur dans la qualification des espaces
publics et donc de l’aménagement urbain doivent être pensés et étudiés jusqu’à
donner le type d’arbre à implanter et la densité de l’occupation dans l’espace
public et privé ».
Cette unique orientation affectée à l’espace public qui se présente d’une manière
indifférenciée, qu’il s’agisse d’un secteur urbanisé, à urbaniser ou à urbanisation future,
reste trop vague et imprécise en termes de forme et composition urbaine. L’assimilation
de l’espace public à l’espace vert illustre remarquablement la problématique de
l’incompréhension du concept de l’espace public comme élément fondateur de la
fabrique de la ville.
Quel serait alors le principe fondateur de l’espace public du point de vue des
aménageurs et des urbanistes ? C’est bien de la rue dont il est question, dans la mesure
où celle-ci constitue, comme le dit bien Jeanne Brody (2005), le sine qua non de
l’urbain. La rue est support des activités, des bâtiments publics, « des espaces verts, des
places, des squares, de tout ce dont est composée la ville ». Elle est en même temps
« elle-même, par extension, le trottoir, la place, le square, le quartier, la périphérie, ainsi
que tout ce dont se constitue la ville » (p. 11-12). Et c’est par la compréhension de
l’importance de sa forme et de ce qu’elle induit comme « significations et situations »
qu’il est possible de produire des espaces urbains de qualité. Le tracé d’une rue ou
l’aménagement d’une place relève, en effet, de démarches morphologiques et
paysagères. Perçues avant tout comme forme et configuration, rues et places
99
Malika Yamani-Touati a analysé les contours de la fragmentation dans les nouveaux secteurs des POS
et mis en exergue les multiples formes de rupture dans l’espace urbain, « L’extension est d’Oran :
mécanismes de formation et modes d’intervention ». Communication pour le séminaire thématique
régional de Rabat, 19 et 20 octobre 2007, dans le cadre du projet FSP « Faire la ville en périphérie(s) :
Territoires et territorialités dans les grandes villes du Maghreb », Axe 3 : Territoires et politique, dirigé
par Pierre Signoles.
215
déterminent souvent le caractère d’un espace : son embellissement, son ambiance, ses
insuffisances, mais aussi et surtout sa capacité à produire de l’urbanité.
La rue, analogue à la veine qui irrigue et donne vie au corps humain, est le « propre » de
la ville. Dans la réflexion proposée par Jean-Loup Gourdon (2001) dans son essai sur
La rue, l’auteur a habilement, sans nostalgie aucune et sans tentative d’en faire un
modèle, exposé ce que pour lui constitue « le paradigme de la forme urbaine »: la rue et
par extension la place. Cet espace qui révèle un espace de lien et de mouvement, est
aussi un espace de relations qui exprime un espace collectif porteur de vie urbaine.
Entre les grandes lignes du PDAU, insuffisantes en soi, et les détails des POS, il y a
incontestablement « un trou béant » laissant place à l’arbitraire et à l’improvisation
aussi bien des décideurs que des professionnels, et dont les effets s’illustrent par des
aménagements urbains incohérents et aléatoires. Par rapport à cette situation, la
problématique semble être patente. Il s’agit à l’évidence du manque certain d’un Projet
Urbain qui soit porté par une politique urbaine soucieuse d’encadrer les changements
100
A ce propos, voir l’article de Larbi Merhoum « L’espace urbain : la prière de l’absent » dans revue
Vies de Villes, « Faire mûrir une stratégie de reconquête pour la ville de demain », Hors série n°1, février
2007, pp. 130-133.
216
sociaux et d’anticiper sur l’avenir des villes algériennes101. L’espace public est l’un des
éléments fédérateurs et porteurs de sens au Projet Urbain. Patricia Ingallina souligne
dans cette perspective que « le projet urbain reconstitue la globalité de la ville par la
reconstitution d’un discours dont les espaces publics tiennent le fil conducteur. En tant
que projet global, il s’oppose à une pensée sectorielle de l’aménagement » (2001, p. 8).
101
En France, c’est la loi de « Solidarité et renouvellement urbain », dite loi SRU (2000) s’inscrivant dans
une démarche intégrant urbanisme, habitat et déplacements, qui a réformé les outils de la planification et
a donné un cadre permettant la définition des différentes échelles du projet urbain (Ingallina, 2000).
217
Figure 42 : Dessin des POS SAU: lecture d’une fragmentation urbaine. Source : Malika Yamani-
Touati (2007)
Figure 43 : Oran POS 52-51 Haï Sabah. Espace urbain émietté. Photos F. Kettaf (avril 2009)
218
A)
B) C)
D) E)
Figure 44 : Absence de liens avec les voies dans les POS 51-52-53. (A) bâtiments au dessus de la
voie, (B) Bâtiments en dessous de la voie, (C) front de façade avec arcades, espacé par un espace
résiduel, (D et E) Large espace vide résultant lors du recollement des trois POS, rempli par un
dédoublement de deux larges voies, elles mêmes dédoublées par un terre-plein
Photos : F. Kettaf (mai 2013)
219
4-1-4 L’émergence de nouvelles réflexions et de nouveaux instruments
A Oran, l’enquête que nous avons menée auprès du bureau d’études en charge de ces
études103, en particulier celles qui concernent l’élaboration des outils à l’échelle
métropolitaine, a révélé cependant, une réelle difficulté dans leur mise en œuvre. La
question lancinante que se posaient les rédacteurs de ces schémas, portait
essentiellement sur le rôle du SDAAM, par rapport au SCU qui ont, d’après ces
102
A ce sujet, voir les articles d’Ewa Berezowska-Azzaz, «Redéfinir la ville » et « Le projet de ville, une
vision stratégique indispensable », dans Vies de Villes (2007, pp. 52-62).
103
C’est le bureau d’étude tunisien DIRASSET qui mène les études des SRAT, SDAAM et SCU des
métropoles algériennes. Son bureau annexe mis en place à Oran pour mener les études concernant la
région Ouest est conduit par deux géographes d’Oran, Mrs M. Hamdi & al. avec lesquels nous nous
sommes entretenus en 2008 et 2009, et qui nous ont donné un éclairage significatif sur le processus
d’élaboration de ces études : notamment celles du SCU lancées en 2006 et ensuite du SPV (Schéma de la
Politique de la Ville) et du SDAAM lancées en 2008. Par ailleurs, ce bureau dirigé par Tayeb Houidi a
collaboré avec l’ancien laboratoire de recherches GESTER, dirigé par Jean-Marie Miossec, devenu UMR
GRED depuis 2011, et dans lequel nous menons cette présente thèse. Cette collaboration nous a permis de
suivre de près l’évolution de ces études.
220
derniers, le même objectif d’outils stratégiques d’orientation sur un même territoire de
neuf communes. La question était de savoir comment les distinguer, sachant qu’ils sont
censés déterminer, à l’échelle de plusieurs communes ou de groupements de communes,
un projet de territoire qui vise à mettre en cohérence l'ensemble des politiques
sectorielles et porter un projet urbain ambitieux pour l’agglomération oranaise.
Figure 45 : L’arbre hiérarchique des instruments d’urbanisme proposé pour la ville d’Alger.
Source : Ewa Berezowska-Azzaz (2007)
104
Le contenu de la lettre adressée par le Ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement
et du Tourisme au bureau d’étude chargé d’élaborer ces schémas en septembre 2008 illustre
incontestablement la difficulté de leur mise en œuvre. En voici un passage :
« Suite aux orientations de Monsieur le Ministre relatives au réajustement des études de la politique de la
ville et de l’aménagement du territoire, je vous informe que l’étude relative au schéma de cohérence de
l’aire urbaine d’Oran s’intitule désormais le schéma de cohérence du transport et de l’urbanisation de la
métropole Oranaise. Ce recadrage est devenu nécessaire pour éviter tout risque de chevauchement et
d’interférence entre l’étude du schéma directeur de l’aire métropolitaine et celle du schéma de cohérence
221
Schéma de Cohérence Urbaine d’Oran (SCU) par le Schéma de Cohérence du Transport
et de l’Urbanisation de la Métropole Oranaise (SCTU). Cette substitution a eu vocation
d’éviter, selon cette nouvelle directive, tout risque de chevauchement et d’interférence
entre l’étude du SDAAM et celle du SCTU. Ce dernier a été ensuite annulé et élargi en
un Schéma de la Politique de la Ville (SPV) qui redéfinit l’aire d’étude à toute la wilaya
d’Oran (26 communes) 105.
Aujourd’hui, six ans après le lancement de ces études, Oran ne dispose encore d’aucun
outil d’orientation stratégique. Le rapport de la mission 3 de l’étude du SDAAM,
déposé en 2010, qui porte sur le programme prioritaire d’intervention, aborde
l’aménagement sur une base essentiellement fonctionnelle106. La problématique est
principalement économique et territoriale. Le territoire est ainsi organisé sous forme de
zonages profondément monofonctionnels. Cette démarche sectorielle a encore une fois
éludé la question paysagère et celle de l’espace public et ne porte aucune réflexion sur
un projet urbain global à visée stratégique. C’est, en effet, par le projet urbain que la
reconquête de l’espace public comme concept inhérent à la fabrique d’une œuvre
urbaine globale est devenue inéluctable. Il faut dire que le bureau d’étude DIRASSET
est composé principalement par des géographes-aménageurs et de ce fait, il ne peut
aborder les études que dans son champ de compétences. Par ailleurs, ce rapport a été
déclaré infructueux compte tenu de sa proposition jugée trop fantaisiste par la
commission d’approbation organisée en 2011 par la Direction de l’Environnement
(DE).
Si les réflexions sont toujours en cours au niveau des débats et des études sur les outils à
l’échelle du territoire métropolitain, comme celui du SDAAM ou du SCTU, celles à
l’échelle urbaine sur le PDAU et les Projets Urbains n’ont encore pas été abordées 107.
Dans cette démarche vue comme linéaire, ce sont les orientations des premiers qui
doivent permettre la mise en œuvre des deuxièmes. Il est évident que les instruments
d’urbanisme restent incontestablement figés sur les anciennes méthodes. Sinon
pourquoi maintenir le PDAU et le POS, c’est-à-dire des plans centrés principalement
sur la réglementation de l’usage des sols, lesquels se sont montrés inefficaces et
incapables de suivre les mutations en cours et de ce fait se sont retrouvés très vite
dépassés et obsolètes?
du transport et de l’urbanisation de la métropole Oranaise. Il va sans dire que cette nouvelle situation
engendre des réajustements et des réadaptations dans la définition du périmètre d’étude l’objectif et dans
le contenu des missions ».
105
Le SPV concerne les 4 grandes villes (Alger, Oran, Constantine, Annaba).
106
Deux aires métropolitaines ont été proposées : l’aire métropolitaine « élargie » qui concerne quatre
wilayas et l’aire métropolitaine centrale des 9 communes. Mais c’est cette dernière qui est retenue pour
l’étude du programme du SDAAM.
107
Seule la révision de l’actuel PDAU a été lancée depuis fin 2012. Elle fut confiée au bureau d’étude
public URBOR
222
Pour comprendre la problématique liée à l’élaboration de nouveaux instruments, il n’est
pas inutile de les comparer à ceux élaborés en France, sachant que ceux-ci constituent
les référents majeurs. En France, pour ne citer qu’un exemple, toutefois simplifié dans
un souci de clarification, le SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale) similaire au
SCU, a carrément remplacé le SD (Schéma Directeur), l’équivalent du PDAU en
Algérie. Le SCOT qui a pour objet de définir un projet global d’un territoire constitue,
en effet, le document majeur qui articule le SDAM (Schéma Directeur de l’Aire
Métropolitaine) ou la DTA (Directive Territoriale d’Aménagement) – quand ils existent
– avec le PLU (Plan Local d’Urbanisme), qui a remplacé le POS108. Gilles Pinson dans
son ouvrage Gouverner la ville par projet, résume la problématique de l’approche trop
juridique des POS dans la manière suivante :
« L’approche, incarnée par les procédures du plan d’occupation des sols (POS) en
France, […], tend à réduire la pratique de l’urbanisme à la discipline réglementaire
des sols et à évacuer tout souci de composition urbaine. Elle est insensible aux
qualités de la ville existante, néglige les espaces publics et ne permet pas de traiter
les liaisons, les transitions entre les espaces qui constituent la ville » (Pinson,
2009, p. 12).
C’est pourquoi l’un des principes phares du projet urbain est de privilégier le projet
global, le dessein/dessin d’ensemble sur la procédure (Masboungi, 2008). C’est ce qui
fait dire à Gilles Pinson (2009) que le projet urbain doit être porté à la fois par un
politique qui incarne des qualités de leadership et par un concepteur (architecte ou
urbaniste). Cet auteur explique que le PLU, contrairement au POS, doit non seulement
définir la réglementation des sols mais surtout être l’expression d’un projet urbain qui
est soutenu par une volonté politique. Dans sa forme, le PLU comporte, entre autres, un
projet d’aménagement et de développement durable (PADD) et des orientations
d’aménagement dans lesquelles les schémas d’aménagement et les espaces publics
doivent être clairement définis en rapport avec l’identité des lieux. Dans une démarche
itérative, les deux types de documents (correspondant respectivement à l’échelle
métropolitaine et urbaine) sont élaborés parallèlement et s’influencent mutuellement,
précise-t-il (Pinson, 2009).
223
démarche prospective, les grandes tendances et les grands enjeux du développement de
l'agglomération, mais être également en mesure de définir un projet d’aménagement
susceptible de promouvoir les valeurs urbaines. La méthode d’élaboration du PDAU, à
défaut de l’existence d’un autre instrument, devrait être, me semble t’il, menée, dans un
concours de compétences, par une équipe pluridisciplinaire composée avant tout
d’architectes et d’urbanistes, une équipe se devant de définir les principaux sites
stratégiques du territoire et d’assurer la maîtrise d’œuvre urbaine. Une méthode qui doit
aussi intégrer les aspirations des habitants qui ne sont pratiquement jamais impliqués
dans les affaires relevant de la gestion et du développement de leur ville, même si la
réglementation le préconise. Cette question est autrement plus importante dès lors
qu’aujourd’hui les habitants revendiquent ce droit, ainsi que le souligne entre autres
Najet Mouaziz (2008).
La notion d’acteur est une notion complexe (Guy Di Méo, 2007). Les acteurs urbains
sont multiples, ils peuvent être définis et différentiés selon leurs intérêts à partir
desquels ils agissent. Abdellah Messahel (2010) dans ses travaux de thèse sur Les
mécanismes de productions foncières et immobilières en Algérie: le cas d’Oran, met en
relation quatre principaux acteurs : l’Etat, les collectivités locales, les groupes sociaux et
les usagers ou la population.
Dans notre hypothèse, donc, la production des espaces publics se négocie avec ces cinq
groupes d’acteurs, lesquels peuvent nouer entre eux toutes sortes de rapports. Si au
cours de la période entre 1962 et 1990, les maitres du jeu ont été « les hommes de
224
l’appareil Parti-Etat » (Sidi Boumedine, 1999) et les techniciens de l’Etat, aujourd’hui,
le jeu est plus compliqué et laisse place à des combinaisons plus complexes, et plus
difficiles à décrypter. Comme en témoigne l’exemple de la construction de la ville
nouvelle Ali Mendjeli dans le Grand Constantine. Selon Salah-Eddine Cherrad (2009,
p. 227), celle-ci « a impliqué la participation d’un grand nombre d’acteurs aux logiques
et aux statégies différentes ».
Les séries d’enquête que nous avons entreprises pendant cette recherche, nous ont
permis de recouper les données recueillies afin de formuler une tentative de composition
des différents acteurs et d’identifier leur rôles dans la production, la gestion, et/ou la
protection des espaces publics. Les cinq acteurs se composent ainsi :
L’Etat constitue une entité complexe, traversée de courants divers et non monolithique
(Miossec, 2009, p. 27). La notion de l’Etat est une notion abstraite et difficile à définir
les contours. L’Etat se manifeste à travers ses appareils et surtout à travers ses
institutions, en particulier les différentes Directions qui sont le prolongement
opérationnel à l’échelon local des Ministères qui se situent à l’échelon national. L’Etat
détient le pouvoir suprême de la décision. Cependant, il lui est nécessaire pour se
maintenir de se légitimer sans cesse, soit par le discours, soit par des pratiques
d’exercice de pouvoir, soit par la force. Ces trois moyens de légitimation peuvent être
utilisés séparément ou en même temps (Messahel, 2010). La production urbaine en est
un des exemples significatifs.
225
C’est par l’intermédiaire du Wali -représentant de l’Etat-arbitre- que l’Etat tente de
réguler, d’encadrer et de protéger les espaces de la ville par la promulgation de lois et de
décrets, de règlements, d’instruments d’urbanismes et de procédures. Le wali gouverne,
en effet, l’ensemble du territoire de la Wilaya qui constitue l’instance déconcentrée de
l’Etat ; celle-ci se situe à un échelon supérieur à celui de la commune. C’est la wilaya
dotée d’une autonomie financière, qui prend en charge toutes les dépenses publiques.
Les collectivités locales sont la commune et la wilaya. Ces deux instances sont les
seules collectivités territoriales reconnues ; la région n’étant pas encore juridiquement
instituée. La commune et la wilaya sont gérées par deux organes : l’un exécutif et
l’autre délibératif. Au niveau de la commune, ces deux rôles sont conjointement portés
par le Président que l’on désigne par – le Maire – d’une Assemblée élue appelée APC
(Assemblée Populaire Communale). Le président est à la fois le représentant élu de la
commune et le représentant de l'État au niveau local. Au niveau de la wilaya, ces deux
compétences sont exercées, pour la fonction exécutive, par le Wali, qui est le
représentant nommé par l’Etat et, pour la fonction délibérative, par une Assemblée élue
nommée APW (Assemblée Populaire de Wilaya) 109. « La wilaya dispose d’une
administration – le Conseil de Wilaya – placée sous l’autorité hiérarchique du wali.
Elle est chargée d’exécuter les délibérations de l’assemblée populaire de wilaya et les
décisions du gouvernement. C’est le wali qui en assure la coordination générale »
(Bounah, 2009, p. 70).
La commune occupe une position d’articulation entre l’Etat et la société locale. Son
pouvoir dépend du pouvoir central (pouvoirs juridique, financier, coercitif des
appareils…) et du pouvoir des groupes locaux identifiés (membres des Partis,
associations, moudjahidin (anciens combattants), enfants de chouhadas (martyrs de la
révolution), syndicats…), ou informels (notables, ouled bled (enfant du pays), groupes
de pression…) et des individus. La commune est souvent en relation avec les appareils
centraux de l’Etat représentés localement par différentes directions de l’exécutif de la
wilaya (Messahel, 2010). Cette position « bicéphale » fait que le pouvoir communal est
difficilement cernable et de ce fait très ardu à analyser. Son pouvoir est très réduit face à
celui de la wilaya.
Quant aux élus, leurs assemblés APW et APC, ont aussi un pouvoir d’action très limité.
S’ils sont intéressés par les logiques des autres acteurs, ils possèdent leur propre intérêt,
celui d’être réélus. Cette position les rend peu actifs ; ils manquent de visibilité et ne
communiquent que très peu avec la population qu’ils sont censés représenter. Une
109
Les assemblées populaires communales (APC) et de wilayas (APW) sont élues pour un mandat de
cinq ans. Les dernières élections ont eu lieu novembre 2012.
226
architecte représentant la Direction du Logement et des Equipements Publics (DLEP)
dans les commissions d’évaluation des POS, nous explique que « les élus, si toutefois
ils sont présents, s’expriment peu. Leur intérêt est de voir le POS intégrer un maximum
de terrains et de logements à bâtir. Dans ce cas, ils peuvent même être parfois à
l’encontre des besoins de la population » s’étonne-t-elle. Dans la production et la
protection des espaces publics, ils n’ont que peu d’intérêts et sont souvent absents dans
la prise de décision. Toutefois, certains élus peuvent être des acteurs très actifs, quand
ils détiennent des compétences, de la volonté et des pouvoirs de conviction.
L’embellissement de l’ensemble des squares du centre-ville d’Oran mené en 2005, porté
par un élu délégué (dentiste de son état) du secteur urbain dit d’Ibn Sina, encouragé par
le Maire Nourredine Boukhatem et par le Wali Abdelkader Zoukh de cette époque, en
est un exemple éclairant. Interviewé en septembre 2008, l’élu nous explique que :
« c’est grâce à mes voyages et à l’aide de deux architectes-amis, un Oranais et un
Français, que j’ai pu orienter le seul technicien BTS que détient mon secteur pour
effectuer des dessins d’aménagement avec lesquels j’ai pu convaincre la commune
des retombées positives de l’embellissement sur la vie urbaine des usagers ».
Cet embellissement s’est particulièrement attaché à la dépose des parapets en fer forgé
qui fermaient les squares assurant à la fois une meilleure accessibilité et visibilité aux
usagers, et une bonne prise en charge des espaces plantés et de l’entretien par la
commune. En effet, ces squares autrefois délaissés ou squattés par des marginaux, ont
été progressivement investis par les habitants.
Cependant, les élus éclairés et volontaristes sont très peu nombreux, et ceux qui le sont
ne voient leurs actions aboutir que rarement, déplorent deux élues, l’une de l’APW et
l’autre de l’APC, qui nous ont concédé des interviews en juin 2013.
Les institutions publiques et les services techniques attachés à la wilaya impliqués dans
le domaine de la production des espaces publics sont principalement :
227
· L’Entreprise ORCOPRIM, une filiale OPGI
Bien que la commune ne soit pas le seul acteur de la production des espaces publics,
c’est à elle que revient leur entretien et leur gestion. Les principales structures qui sont
rattachées à la commune sont :
4-2-3 Les groupes sociaux : pouvoir certain des uns et pouvoir émergeant des
autres
Les groupes sociaux sont des groupes formés par un ensemble d’individus, ou composés
par des habitants qui s’organisent autour d’un intérêt commun. A. Messahel retient que
« le groupe se fait et se défait au gré des circonstances et toujours par rapport à un
intérêt particulier » (2010, p. 131). Des groupes locaux identifiés, comme les
moudjahidin, les enfants de chouhada, ou des groupes informels comme les notables ou
ouled bled, les promoteurs privés et les associations, détiennent un pouvoir dans la
production du cadre bâti. Mais si les moudjahidin, les enfants de chouhada, ou d’autres
groupes informels de pression peuvent influencer les opérations d’aménagement où ils
sont directement concernés, leur intérêts s’expriment, toutefois, en matière de lots à
bâtir ou de logements à acquérir. La question de la conception ou l’aménagement des
espaces publics ne semble pas être une préoccupation essentielle.
Ce sont surtout des associations ou des groupes formés par des habitants qui tentent
d’activer dans la production et dans la protection des espaces publics, sans y parvenir
pleinement. Si elles arrivent à organiser des actions en faveur de la promotion et la
protection des espaces de la ville, elles sont rarement associées aux processus de prise
de décision dans la production urbaine. Comme la population, elles sont exclues. Les
associations que nous avons interviewées à qui nous ne pouvons ici indiquer l’identité,
s’accordent à dire que ni la commune, et encore moins la wilaya, ne les convoquent
dans les commissions de présentation et d’évaluation des projets car elles sont vues
« comme des « perturbateurs » qui retardent la bonne marche des projets ».
Dans le groupe acteurs sociaux, nous comptons un autre acteur, celui du promoteur
privé qui est apparu avec la nouvelle politique libérale au tournant des années 2000 et
228
qui peu à peu semble s’imposer comme un acteur incontournable. Mais si la production
immobilière privée influence la qualité des espaces publics, elle n’est pas directement
productrice de ces derniers. C’est pourquoi nous avons intégré l’acteur-promoteur dans
le lot des groupes sociaux. Actuellement, les promoteurs immobiliers privés à Oran se
présentent, selon le sentiment commun des Oranais, comme des « prédateurs urbains ».
Ils cherchent les meilleurs terrains à bâtir et convoitent ceux qui sont les plus proches de
la ville. Les plus puissants instrumentalisent les POS en leur faveur et construisent haut
et dense sans se préoccuper des retombées sur le paysage et sur les espaces de la ville.
Ils semblent bafouer les règles élémentaires en matière de prospect et exacerber les
riverains. Quelques uns de ces derniers nous diront au sujet d’un promoteur très connu
sur la place d’Oran qui a construit un immeuble d’habitation haut de vingt étages dans
leur quartier de maisons de un à deux étages, que « jour et nuit nous implorons Dieu
pour qu’il soit maudit ; il nous a privé d’air, de soleil et d’intimité» (entretien effectué
en mai 2012). Et les exemples sont nombreux de ces promoteurs qui réussissent à
soudoyer l’administration pour obtenir des permis de construire afin d’édifier des
ensembles immobiliers combinant logements de standings, bureaux et commerces,
dépassant largement les COS et empiétant sur des servitudes et parfois même sur des
espaces verts (figure 46).
Figure 46: Construction de deux tours d’habitation par un promoteur privé occupant une servitude
routière (désignée par le PDAU non constructible). Photo : F. Kettaf (septembre 2013)
229
4-2-4 Les usagers ou les habitants : des acteurs à la marge et peu entendus
4-2-5 Les concepteurs et les bureaux d’études : un acteur important mais à l’action
peu considérée
Les bureaux d’études d’architecture conçoivent les aménagements urbains. Mais hormis
des projets d’envergure, l’attribution de la majorité des études d’aménagement comme
celles des POS et des aménagements des espaces publics (boulevards, rues, places) ne
se base pas sur une proposition dessinée mais sur une estimation financière que les
cabinets d’architecture, sur la base d’un cahier des charges, font aux maîtres d’ouvrage.
Ces derniers sont souvent moins regardants sur la qualification des dits cabinets que sur
le coût proposé des études. Souvent ce sont les maitres d’œuvre qui proposent le coût le
moins cher qui sont retenus. Signalons que les aménagements de ce que nous qualifions
comme des espaces publics « ordinaires », en particulier les aménagements qui
concernent chaussées, trottoirs, alignements d’arbres …, sont directement confiés à des
entreprises de réalisation. La recherche du concepteur le « moins disant » et l’attribution
des aménagements ordinaires à des aménageurs dépourvus de concepteurs qualifiés,
préfigurent une pensée insoucieuse de la qualité des espaces publics soit pour l’image
de la ville soit pour la vie des habitants. Nous proposons dans la figure 47 un schéma de
synthèse de l’interaction des acteurs impliqués dans la production des espaces publics.
230
Figure 47 : Interactions des acteurs dans la production des espaces publics.
Réalisation : F. Kettaf (2013)
L’indice qui montre au mieux les méfaits d’un aménagement urbain axé sur la seule
préoccupation du nombre de logements et de la fonctionnalité est incontestablement
celui de la mise en forme urbaine et architecturale désastreuse des espaces publics.
Produire un aménagement urbain cohérent revient à maîtriser tout le processus
d’élaboration d’un aménagement urbain. Cet impératif sous-tend une démarche sensible
qui prend en charge toute la complexité du développement urbain. Un impératif qui
devrait s’attacher au principe d’un choix approprié de la forme urbaine et d’un parti pris
d’aménagement des espaces urbains et de la maîtrise d’ouvrage qui lui sont associés,
mais pas seulement. Il devrait s’appuyer aussi sur la nécessaire performance de la
maitrise d’œuvre.
Le constat d’échec de l’urbanisme en Algérie est sans nul doute lié en grande partie à
cette double problématique de la maitrise d’ouvrage et de la maitrise d’œuvre urbaine.
L’analyse du processus de la mise en œuvre des POS à Oran le démontre.
231
Nombreuses réflexions critiques à ce sujet émanant de professionnels et d’universitaires
ont pointé du doigt la problématique de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre
urbaine. En particulier, celles de Saliha Kadi-Flazi (architecte), de Radia Abdellilah
(sociologue) et de M. Hamdi (géographe) qui, lors des journées d’étude organisées du
27-28 janvier 2004 au département d’Architecture à l’Université USTO d’Oran sur la
problématique de l’urbanisation d’Oran, ont mis en lumière les difficultés dans le
processus d’élaboration des PDAU et des POS. Ces réflexions, auxquelles nous nous
référons pour appuyer notre argumentaire, ont été accompagnées par des enquêtes
menées auprès des services de l’urbanisme de la DUC en tant que maître d’ouvrage et
de la DUP comme organe de planification et de gestion urbaine, et également auprès de
deux cabinets d’architecture privés en charge des études de POS. Un argumentaire que
nous avons organisé en deux parties : la première dans ce qui suit et la deuxième dans le
chapitre 5 qui discute des espaces publics dans le projet urbain.
Un des problèmes majeurs de la maîtrise d’ouvrage dans l’élaboration des études des
POS réside dans l’absence d’objectifs clairs dans la planification urbaine, placés en
amont de celle du PDAU en particulier. Cette difficulté intervient aussi bien dans
l’élaboration des études urbaines et architecturales que dans leur approbation. En effet,
l’absence d’orientations précises en termes de partis urbains et de choix d’espaces
publics en rapport avec la complexité de la ville, laisse place à l’arbitraire et à la
subjectivité, aussi bien de la part des concepteurs que de ceux qui les gèrent, dans la
réalisation des études en aval, celles des POS. En ce sens, un PDAU basé
essentiellement sur une démarche fonctionnaliste et quantitative ne peut permettre une
élaboration cohérente et réfléchie des cahiers des charges, attribués à l’étude des POS.
Assimilés à des objectifs d’un simple programme quantitatif, les plans réglementaires
des POS, porteurs de prescriptions pour les opérateurs urbains, excellent à leur tour par
un manque manifeste d’orientations sur les questions relatives à la ville existante, à la
forme urbaine, aux espaces publics et aux liaisons entre les espaces de la ville.
232
« moins disant » : autrement dit le moins cher dans ce type d’études. Cette pratique
témoigne fortement de la dépréciation des difficultés inhérentes aux études
d’aménagement urbain.
La production d’un POS qui vise la qualification urbaine dans sa dimension formelle,
paysagère et sociale semble loin des préoccupations des maîtres d’ouvrage. Sinon,
comment expliquer l’attribution de ces études à de « petits » bureaux d’études composés
généralement d’un seul architecte, le plus souvent avec très peu d’expérience et sans
compétences avérées, juste parce qu’il est le « moins disant »? Dans notre enquête, nous
avons constaté que certains POS ont été octroyés à des bureaux d’études dont le
personnel est composé d’un seul architecte installé juste après l’accomplissement des
dix huit mois de stage exigé par la loi. Alors que pouvons-nous attendre d’une étude de
POS qui non seulement est faite au moindre coût, parfois à perte, mais aussi pensée par
des architectes, fraîchement installés, sans aucune aptitude véritable ?
La problématique est d’autant plus vaste qu’en Algérie il n’existe pas des professionnels
en urbanisme ou de « juges compétents» pour évaluer le contenu et la qualité des études
des POS. Les maîtres d’ouvrage font parfois appel, quand ils le désirent, à des
universitaires, chercheurs (architectes ou géographes) pour donner leur avis lors de la
présentation d’une étude de POS, mais cette pratique reste très rare. Des évaluations
périodiques sont alors parfois menées sans réels impacts sur fond d’incompréhensions
mutuelles. Les quelques propositions et orientations au sens de la qualité urbaine
restent, de ce fait, lettres mortes. L’inexistence de compétences techniques conscientes
de l’importance de la conception urbaine annihile tout effort intellectuel dévolu à cette
dernière. Par ailleurs, la proposition du POS est soumise à enquête publique par le
président de l’APC d’une durée de soixante jours telle qu’exigée par la loi (90-29 article
36) et pendant laquelle citoyens, associations, professionnels et autres acteurs de la
ville peuvent apporter leur avis et revendiquer ou exiger des modifications. Sauf que
cette phase d’enquête est généralement éludée. Questionnés à ce sujet, plusieurs
responsables rétorquent que faute d’information, de représentants de la population et de
cadre régissant cette phase, l’enquête publique passe souvent sous silence.
Le problème majeur auquel est confrontée Oran est la nature étriquée et contradictoire
des modes d’intervention des acteurs institutionnels, qui empêche la ville de mettre en
œuvre des actions stratégiques à l’échelle de l’agglomération (ou de groupement). La
multiplication progressive des acteurs urbains dans le processus de production du cadre
bâti et dans la gestion urbaine semble diluer les responsabilités et témoigne du manque
de lisibilité du rôle mené par chacun, hypothéquant ainsi toute « gestion urbaine »
raisonnée.
233
Dans l’étude d’un POS, les principaux acteurs impliqués sont la commune, les services
techniques de la wilaya et l’agence foncière. Selon la loi, c’est la commune avec son
APC (Assemblée Populaire Communale) représentée par son Président (Maire), qui
instruit, approuve et gère les études de POS. Les lois n°90-08 et n°90-09 du 7 avril 1990
relatives à la commune et à la wilaya, précisent leurs rôles respectifs et attribuent des
prérogatives en matière d’aménagement et d’urbanisme à la commune (articles 90 à 96).
Elles énoncent que « la commune doit se doter de tous les instruments d’urbanisme
prévus par les lois et règlements en vigueur » (article 90), et qu’elle doit assurer le
« respect des affectations des sols et des règles de leur utilisation » et le « contrôle
permanent de la conformité des opérations » (article 91).
Dans ce contexte, la gestion et la planification urbaine ne sont pas l’apanage des APC,
qui vont pourtant gérer cette production urbaine, depuis la conformité des instruments
d’urbanisme aux permis de construire. De par leur manque de moyens financiers et de
ressources humaines, les APC représentent le « parent pauvre » dans la chaîne de
production du cadre bâti; les prérogatives du maire dans ce processus sont souvent
limitées et la nature de sa représentativité n’est pas clairement identifiée. Le rôle de
l’APC se cantonne souvent à l’établissement des pièces administratives inhérentes à ce
processus.
La wilaya d’Oran, par le biais de ses directions et de ses services techniques, a pour rôle
de comprendre et de coordonner les besoins de 26 communes (2 114 km2) dont elle a la
charge. Cependant, elle souffre d’une faible capacité à entreprendre des actions
coordonnées et à mobiliser les compétences qui se trouvent éparpillées dans les
différentes administrations urbaines. Cette problématique nous renvoie
incontestablement à la question de la gouvernance urbaine. Selon Jean-Marie Miossec
(2009) :
« La gouvernance est à l’articulation des différentes formes de pouvoirs et de
territoires. A cet emplacement stratégique, elle doit s’essayer de répondre non
234
seulement aux besoins mais aussi aux sollicitations qu’elle doit en outre
anticiper » (Miossec, 2009, p. 38).
Partant de cette définition, il est évident que la gouvernance d’Oran se présente comme
un « millefeuille » administratif qui s’illustre à la fois par un empilement des acteurs et
par une multiplication de procédures et règlements. Ce qui freine considérablement les
actions urbaines qui se veulent judicieusement pensées, partagées et coordonnées. Les
travaux de Najet Mouaziz (2008) sur la question de la gouvernance urbaine en Algérie,
en s’appuyant sur le cas d’Oran, montrent clairement que l’abondance des acteurs
(décideurs, institutions de l’état, élus, professionnels, associations, promoteurs)
n’implique pas forcément une meilleure gestion urbaine et que le tout-Etat reste toujours
prégnant dans la production urbaine.
Ceux qui ont la charge d’élaborer les études de POS, notamment les architectes,
finissent par se retrouver comme les seuls acteurs déterminants dans le processus de
prise de décision des options d’aménagement. En examinant leur mode opératoire dans
le processus d’élaboration du POS, nous nous sommes aperçus qu’ils ne se réfèrent que
superficiellement au PDAU, tant que celui-ci ne présente aucune vision sur des partis
urbanistiques clairement établis. Ils ne se réfèrent aussi que très peu aux cahiers des
prescriptions des POS, dès lors qu’ils ne formulent point d’indications en matière
d’espaces publics, de forme urbaine et de dessin urbain. Chaque bureau d’études, selon
ses compétences et ses connaissances, se retrouve ainsi à proposer des vues pour le POS
qu’on lui a attribué. Cette lourde tâche à laquelle les maîtres d’œuvre sont souvent
confrontés, nous renvoie à se poser la question de savoir si ces derniers sont qualifiés
pour juger de la pertinence de leur proposition qui engage tout un pan de la ville. Il y a
là de quoi susciter les plus vives inquiétudes. Le paysage désolant que nous livrent les
nouveaux aménagements urbains issus des différents POS est sans nul doute un
235
indicateur pertinent qui montre clairement le manque de performances de la maîtrise
d’œuvre urbaine.
La maitrise d’œuvre urbaine est souvent assurée par un groupe, associant conjointement
un architecte, un urbaniste et parfois un paysagiste, considérés comme susceptibles de
pouvoir mener à bien une démarche de conception urbaine « dans un processus
complexe de coordination interdisciplinaire et partenariale qu’il doit savoir orchestrer en
tant que médiateur, négociateur, conseiller et stratège » (Berezowska-Azzag, 2007,
p. 82) pour fabriquer un morceau de ville. La fabrique urbaine, étant comprise comme
un ensemble typo-morphologique régulé dans les divers arrangements de ses
composantes bâties et non bâties, se doit d’être en bon équilibre du point de vue de sa
silhouette, de la composition de ses espaces publics et de l’aspect esthétique de son
architecture (Gaïd & Kettaf, 2005).
En effet, en analysant les programmes et les méthodes d’enseignement dans les écoles
d’architecture, le registre des critiques est bien large111. Il s’agit aussi bien d’une
carence évidente en matière d’enseignement de la dimension spatiale de la ville que de
l’inexistence de la démarche de la conception urbaine. Les enseignements ayant trait à
la fabrique de la ville et de ses concepts inhérents, ou à la qualification urbaine au sens
du paysage, sont en effet très peu prodigués.
110
L’Algérie ne dispose pas d’instituts ou d’écoles spécialisés dans la formation des profils d’urbaniste et
de paysagiste.
111
Cette recherche a fait l’objet d’un article mettant en lumière la problématique de l’enseignement de
l’architecture en Algérie, Voir S. Gaïd et F. Kettaf (2006), « A critical view of architectural design
education in Algeria, in Al-Qawasmi (Jamal) et Vasquez de Velasco (Guillermo) (Ed.), Changing trends
in architectural design education, Edition CSAAR Press, pp. 299-308, Actes de colloque – Rabat, Maroc
14-16 Novenbre 2006.
236
4-3-2 Reproduction des savoirs : l’enseignement de la conception de l’urbain et de
l’espace public dans les écoles d’architecture
Il n’est pas question de retracer le chemin parcouru par l’enseignement de l’urbain dans
les écoles d’architecture en Algérie, ni d’exposer les différentes facettes de la
problématique de la formation des architectes. Il n’est pas aussi question de mettre en
lumière les multiples interrogations sur la nécessaire redéfinition de l’architecture
occidentale et sa pertinence dans l’Algérie contemporaine. Ce qui suit met surtout en
exergue la prégnance et la continuité de la vision fonctionnaliste dans l’aménagement
urbain dans lequel les principes de composition et de forme urbaine, et donc de leur
« paradigme » saisi au sens de la configuration de l’espace public, sont éludées dans
l’enseignement de l’architecture.
Par ailleurs, ce qui constitue une difficulté majeure, ce sont bien les programmes et les
méthodes d’enseignement de l’architecture qui sont le plus souvent dépassés et
inadaptés. En effet, l’enseignement de l’urbain, particulièrement dans son approche
112
L’Algérie compte aujourd’hui pas moins de 15 écoles d’Architecture intégrées dans ses plus
importantes universités. Un nombre considérable en comparaison avec les pays voisins comme le Maroc
et la Tunisie qui comptent chacun une seule école d’architecture. A lui seul, le département d’Oran, qui
comprend par ailleurs le moins d’étudiants, est composé approximativement de 1500 étudiants pour 90
enseignants permanents tous grades confondus.
237
formelle, esthétique et sociale, reste encore le maillon faible de l’enseignement de
l’architecture. Celui-ci, basé sur un programme qui date du milieu des années 1970, est
largement imprégné par le fondement philosophique du mouvement moderne qui prône
une approche purement fonctionnaliste et quantitative dans le dessin urbain. Un
enseignement qui, dans un contexte politique socialiste, fut porté jusqu’à la fin des
années 1980 par des formateurs venus majoritairement des pays de l’Est de l’Europe et
qui influença fortement les professionnels de l’urbanisme et les futurs formateurs. Dans
cette vision, la dimension spatiale et sociale de la ville a été et reste carrément éludée
dans la formation de l’architecte. Ce qui fera dire à Aïssa Kadri, un éminent sociologue
que « l’université est à l’extérieur de la société » (dans le quotidien El Watan du 14 avril
2006).
Cette problématique est mise en exergue par T. Souami et d’E. Verdeil (2006) dans leur
ouvrage Concevoir et gérer les villes – Milieux d’urbanistes du sud de la Méditerranée
qui propose une grille de lecture des milieux d’urbanistes et explore l’actualité de
l’urbanisme dans le monde arabe. Cet ouvrage fait, en effet, état d’un « décalage
persistant entre la commande publique d’urbanisme, la réponse de milieux
professionnels formés à l’extérieur […] et la réalité des sociétés locales concernées »
(p. 112). Bien évidement l’expression « milieux professionnels formés à l’extérieur »
est entendue dans le cas algérien, comme les milieux professionnels formés par des
formateurs venus de l’étranger.
Face à cette contrainte, des initiatives individuelles portées ici et là par des formateurs
algériens, particulièrement par ceux qui ont poursuivi leurs études de post-graduation en
urbanisme ou en urban design dans des universités étrangères, notamment françaises et
anglo-saxonnes, tentent de « raccommoder» tant bien que mal le programme afin
d’incorporer l’enseignement de l’urbain, consacrant un volume horaire, qui reste
cependant dérisoire, et souvent intégré comme optionnel, dans le projet de fin d’études
en 5ème année.
4-3-2-2 Le dessin urbain dans la conception urbaine : une démarche peu prodiguée
Le dessin urbain ou l’urban design se trouve quelque part entre les abstractions à gros
traits de la planification et les détails concrets de l'architecture. Le dessin urbain étant
entendu comme :
« le rapport entre différents bâtiments; les rapports entre les bâtiments et les rues,
les places, les parcs, les voies d'eau et d'autres espaces qui composent le domaine
public; […] en bref, le rapport complexe entre tous les éléments de l'espace
construit et non-construit. Comme le traitement des espaces entre et autour des
bâtiments est souvent d'une importance comparable à la conception les bâtiments
eux-mêmes, la conception du paysage devraient être considéré comme une partie
intégrante de la conception urbaine » (Planning Policy Guidance 1 (PPG1), 1997).
239
Initiée par la profession américaine dans les années 1950, l’urban design a émergé
comme une nouvelle démarche dans la formation universitaire et a constitué un élément
important dans la planification et les études architecturales. Aux Etats-Unis, c’est la
conférence tenue en 1956 à Harvard, qui annonça l’«urban design » comme un champ
scolaire et qui le définit comme « la partie de la planification qui est concerné par la
forme physique de la ville ». Le premier cours fut donné en 1960. Au Royaume-Uni,
c’est le Joint Center de l’urban design à l’université d’Oxford Brookes, établi en 1972,
qui l’a accompli comme une discipline à part entière dans la formation des aménageurs
de la ville (Goodey, 1979). En France, c’est la notion du « dessin urbain » ou
« composition urbaine », où l’espace public et la forme urbaine occupe une place
centrale dans le projet urbain, qui intègre le programme de formation des écoles
d’architecture (Ingallina, 2008).
En Algérie, en revanche, le dessin urbain et le projet urbain sont des notions non
dispensées dans l’enseignement de l’architecture. Seuls un cours théorique sur
l’urbanisme dans le cursus de la graduation et un magister (master) d’urbanisme dans la
formation post-graduée, à l’accès très limité, sont actuellement enseignés.
240
La mise en place récente du système LMD (licence-master-doctorat) en Algérie dans le
cadre de l’uniformisation à l’échelle européenne du système de progression universitaire
et de l’ouverture de l’enseignement sur la pratique du métier, a donné l’occasion de
remettre à plat l’enseignement de l’architecture, de réorganiser l’architecture des
enseignements, de renouveler les méthodes, de porter des changements substantiels au
programme en intégrant une part importante à l’enseignement de l’urbanisme.
Mais le système LMD tel que pratiqué, notamment en France, adoptant des
organisations d’enseignements et des programmes aussi bien complexes que flexibles et
évolutifs formant l’étudiant à l’interdisciplinarité113 ne pourrait, semble t-il, être effectif
que si les ressources humaines compétentes et les moyens financiers sont suffisamment
mis en œuvre en rapport étroit avec le nombre d’étudiants. En Algérie, le passage au
LMD, n’a pas été suivi par les nécessaires changements pour assurer une formation de
qualité. La poursuite de l’éducation de masse prônée par l’Etat et le manque exacerbé
des moyens et de ressources humaines, continueront inlassablement à mettre en péril la
qualité de la formation.
113
Pourtant, plusieurs acteurs et opérateurs de l’aménagement ont critiqué la réforme du LMD en France.
La revue Urbanisme a consacré en 2009 un numéro spécial « Transmettre » qui questionne les
responsables des formations à l’aménagement et à l’urbanisme « au moment où à la fois l’université se
réorganise, la recherche urbaine se reconfigure et les pratiques des professionnels se diversifient ». Elle
illustre la complexité et la difficulté de l’enseignement de l’urbanisme à l’aune de la réforme en cours de
l’université. Cette réforme est fortement critiquée au sens où elle a encouragé « les filières
« professionnelles » au détriment de la recherche et de la réflexion théorique ; or, en urbanisme les deux
vont, et font, « ensemble ». Ainsi, […] le déficit théorique va s’accroitre, et bloquera très rapidement la
formation « professionnalisante » ». Propos recueillis d’Antoine Loubière et Thierry Paquot, p. 44.
241
242
CHAPITRE 5
UN SIMULACRE URBANISTIQUE
Ce chapitre examine les sens que prend l’espace public au sein du projet urbain
contemporain. Il vise à examiner différents projets en cours et les acteurs institutionnels
et techniques engagés dans la production des espaces publics. L’ambition est d’analyser
comment les espaces publics sont aujourd’hui pensés, planifiés, réalisés et gérés dans un
contexte imprégné par la notion de projet urbain. L’hypothèse que nous avançons est
que les notions du projet urbain et des espaces publics qui sont censés le fédérer ne
trouvent pas un terrain favorable à leur application à Oran.
243
5-1 L’ESPACE PUBLIC : UN ENJEU POUR LE PROJET URBAIN
244
5-1-1 Le projet urbain : une nouvelle « démarche stratégique » ?
La notion du projet urbain ne comporte pas uniquement une dimension spatiale, elle
revêt, telle qu’énoncée par Ariella Masboungi, « un jeu entre la stratégie et le dessin –
entendez dessin et dessein » (2008, p. 126), qui corrobore une démarche stratégique qui
est évolutive dans son interprétation spatiale et qui porte la question de la gouvernance.
En ce sens, cette notion « peut alors se diviser entre une perspective générale
économico-sociale-culturelle et les choix spatiaux : organisation de la trame, des
espaces publics, du paysage avec la ville existante, édification et affectation des
bâtiments » (Ingallina, 2008, p. 20). Plus globalement, cette notion s’illustre « à la fois
comme courant de pensée et comme culture de l’action urbaine » (Avitabile, 2005 p. 7).
Son acception est, en effet, beaucoup plus large; ce qu’il lui vaut d’ailleurs une
utilisation souvent abusive du terme par les uns et par les autres. A ce propos, Ingallina
(2008) souligne la double dénomination de « projet » et de « l’urbain » qui rend la
notion particulièrement floue. Si les architectes l’abordent dans sa dimension formelle
au sens d’un dessin d’architecture à grande échelle, les chercheurs des sciences sociales
et d’autres disciplines l’emploient dans sa dimension plus large, celle de l’urbain qui
renvoie à des compétences multiples et pas uniquement à des considérations
d’organisation spatiale (Ingallina, 2008). Et c’est pourquoi le projet urbain demeure
toujours au cœur des débats quant à la pertinence de ses échelles, l’efficacité de ses
méthodes et la nature de son contenu, comme le dit très justement Ewa Berezowska-
Azzag (2012).
245
parfois à l’excès, par les images, les discours, les formalisations (Avitabile, 2005 ;
Ingallina, 2008 ; Masboungi, 2008 ; Pinson, 2009 ; Bourdin et Prost, 2009).
Il est vrai que depuis le début des années 2000, nous assistons à une multiplication de
grands projets, même si bon nombre d’entre eux restent plus annoncés que réellement
réalisés ou amorcés. Toutefois, il convient de s’interroger sur l’application de la
246
démarche du projet urbain dans la pratique de l’aménagement urbain au sens où il est
défini : s’agit-il d’un réel changement dans la pratique de l’aménagement urbain au
Maghreb et en Algérie en particulier? Comment les métropoles algériennes abordent-t-
elles la notion du projet urbain? Peut-on qualifier les projets en Algérie, en particulier à
Oran, comme projets urbains au regard des thèmes qu’ils sont censés intégrer, à savoir
ceux qui nous intéressent : les questions des formes urbaines et leur corollaire les
espaces publics.
Divers travaux de recherche qui portent sur la fabrique des villes du Maghreb au regard
du concept du « projet urbain » montrent clairement qu’elles se sont engagées, ces
dernières années, dans la démarche du projet urbain. Le chapitre « Les grands projets
urbains à la conquête des périphéries » rédigé par Raffaele Cattedra (2010) dans le cadre
du programme de recherche Faire la ville en périphérie(s) (FSP), coordonné par Pierre
Signoles, constitue un document clé de compréhension du paradigme du projet urbain
au Maghreb. L’auteur met en lumière l’émergence des projets urbains au Maghreb et
analyse dans quelle mesure la démarche du projet urbain constitue une innovation dans
le processus de fabrication des villes maghrébines. Il relève, en revanche, le « caractère
spécifique des modalités de mise en œuvre des projets urbains » qui est en net décalage
par rapport à ce qu’il appelle la « doxa (technico-scientifique) de la démarche du projet
urbain » (Cattedra, 2010).
D’une échelle inédite, même inconnue en France, les projets urbains au Maghreb
marquent un tournant considérable et une innovation certaine dans le champ de
l’aménagement urbain (Reichen, 2008). Si la Tunisie est le premier pays à se lancer dès
le début des années 1980 dans le projet urbain avec particulièrement l’aménagement des
Berges du Lac Nord de Tunis faisant appel aux capitaux, saoudiens notamment
(Barthel, 2008), c’est au Maroc, qui a suivi à partir de 1986, où l’on assiste à une
diversification de projets urbains et une sophistication de leur pilotage (Cattedra, 2010).
En effet, les grandes villes marocaines se sont engagées dans d’importants projets
urbains investissant de vastes territoires afin de renforcer leur image et leur
compétitivité à l’échelle mondiale114. Ces projets abordent, par les paradigmes du projet
urbain, les questions aussi bien de mobilité en termes de liens et de réseaux de
déplacement que de paysage en matière d’accès à la nature, de requalification du
patrimoine et des espaces publics qui constituent les thèmes clés de cette nouvelle
approche (Reichen, 2008).
Quant à l’Algérie, elle leur a emboité le pas beaucoup plus tard dans cette même
démarche. La tentative la plus marquante est celle de la création en juillet 1997 d’un
114
Dans les grandes villes et les capitales, pour n’indiquer que celles-ci, nous citons le grand projet
d’aménagement de la Vallée de Bou Regreg de Rabat-Salé, le projet de « Marina », du « Cap El-Hank »
et du nouveau grand projet de réaménagement de l’ancien aéroport d’Anfa de Casablanca.
247
nouveau cadre institutionnel– le Gouvernorat du Grand Alger – qui en proposa l’étude
du GPU (Grand projet urbain) d’Alger dans une vision globale à l’échelle de
l’agglomération algéroise. Cette approche de la « ville-territoire » inédite en Algérie
aurait était une opportunité certaine pour évaluer les retombées de cette démarche sur
l’espace urbain et sur sa gouvernance si la suppression du Gouvernorat du Grand Alger
en 2000, par ailleurs jugé inconstitutionnel, n’était venue stopper net cette tentative
(Anouche, 2002 ; Troin & al. 2006 ; Zitoune & Boumedine, 2007).
Toutefois, la volonté politique pour un projet urbain ambitieux pour Alger est
aujourd’hui toujours très vivace. Les multiples « projets qui transforment Alger »,
comme le titre la revue algérienne Vies de Villes de juillet 2012 (Hors série n°3),
témoignent de ce dessein d’élever Alger au rang d’une métropole régionale. Cette revue
décrit, sur 420 pages, le projet urbain d’Alger qui s’articule autour de cinq principes :
« Ambition », « Cadre de cohérence », « Etapes programmées », « Projets prioritaires »
et « Gouvernance ». Un projet urbain très ambitieux impose inévitablement la question
de sa possible faisabilité.
Les velléités d’action publique en matière d’opérations que nous pouvons qualifier de
« projets urbains » semblent évidentes au regard des multiples grands projets annoncés
pour requalifier les grandes villes algériennes. Pour prendre place dans l’échiquier des
grandes métropoles, Alger et dans une moindre mesure Oran paraissent s’engager dans
des projets d’envergure souvent qualifiés d’emblématiques, souvent instruits par les
hautes sphères politiques, appelés « projet du président, « projet du ministre » ou
« projet du wali ». En s’appuyant sur la typologie proposée par les travaux du projet de
recherche FSP (cf. Cattedra, 2010), les grands projets urbains qui prédominent sont :
a) les espaces récréatifs et l’urbanisme des fronts d’eau avec l’aménagement de la
baie d’Alger et celui du front de mer d’Oran ;
b) les nouvelles centralités (commerciales, tertiaires et résidentielles);
c) les technopôles;
d) la reconversion des friches comme celle de la gare d’Alger ;
e) les grands équipements et les infrastructures de transports : le métro d’Alger, le
tramway d’Alger, d’Oran et de Constantine ;
f) les projets symboliques : la grande mosquée et le parc Dounia des Grands
Vents d’Alger, le centre des conventions et le jardin Citadin d’Oran ;
g) les villes nouvelles, comme Sidi Abdellah près d’Alger, Ali Mendjeli à
Constantine et en 2012 le projet de la ville nouvelle d’Oued Tlélat de 2.000
habitants programmée autour d’Oran.
248
Mobilisant discours et images, ce sont les projets d’aménagement en particulier de la
baie d’Alger, entrepris depuis 2006, pour « réconcilier » la ville avec son front de mer
qui marquent cette nouvelle approche du projet urbain dans lequel l’espace public
semble occuper une place de choix. Notons les projets de:
- Parc des Grands Vents, appelé Dounia Parc qui dessine un espace public
récréatif majeur au sud d’Alger dont la partie immobilière était confiée au
groupe Emirati (cf. Chabbi-Chemrouk, 2008 ; Vies de Villes de juillet 2012).
Dans les grandes villes européennes, les modèles urbanistiques se fondent sur
l’affirmation et le renforcement de l’identité de la ville la réinscrivant dans une vision
contemporaine. Dans les villes algériennes, même si celles-ci ambitionnent à mettre en
valeur leurs spécificités propres au travers des plans stratégiques de développement,
c’est plutôt sur ce qui se fait aux Émirats et particulièrement à Dubaï ou Doha qu’elles
puisent leur référent. D’ailleurs, ces projets allaient être financés dans un cadre de
partenariat public-privé par des investisseurs venus du Golfe. Ce qui explique
l’exportation de leur « label » urbanistique (Figure 48 et 49).
Après le retrait définitif en 2009 des groupes Emiratis des projets de la baie d’Alger en
raison, semble-t-il, de la crise financière mondiale, comme le souligne une recherche sur
la fabrication des projets urbains au Maghreb (cf. Cattedra, 2010), et après un temps de
balbutiement et d’hésitation sur le devenir de celle-ci, l’intérêt des pouvoirs publics se
confirme à travers une réflexion plus globale et par la nécessité de s’appuyer sur un
schéma de Cohérence pour la baie d’Alger. Un schéma qui s’inscrit dans le Plan
Stratégique de la Wilaya d’Alger à l’horizon 2030. Ainsi le plan « Eco-métropole » du
XXIe siècle, conçu par le groupement Arte Charpentier Architectes (2008), célèbre
l’environnement et offre « des lieux d’urbanité au bord de l’eau » qui se veulent
respectueux des caractéristiques urbaines et paysagères du site (cf. Chabbi-Chemrouk,
2008). Dans cette perspective, le projet articule trois grands axes : celui de la
revalorisation de la façade maritime et de l’espace urbain ; celui de la reconquête des
ports et des nouvelles polarités économiques ; et celui de la ré-naturalisation de la ville
(Arte Charpentier, 2008) (Figures 50 et 51).
249
Figure 48 : Alger « Perle de la Méditerranée » Le projet Emaar (2006)
Figure 49 : Projets émiratis de la baie d’Alger, photos : Web (2008). A gauche Alger Médina : le
projet, à droite Alger Médina en cours de réalisation
250
Figure 50 : Alger Ecometropole : Schema de Cohérence de la baie d’Alger. Source : Groupement
Arte Charpentier (2008)
En juillet 2013, la plupart de ces projets n’ont pas encore vu le jour. Seul le Parc Dounia
situé au sud d’Alger, a été en partie achevé et inauguré le 18 mai 2013 par le ministre du
du Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Envorionnement (MATE), après
sept ans de travaux. Cette partie du parc titré « Un espace de villégiature pour les
Algérois » par le quotidien El Moudjahid du 19 mai 2013, s’étend, selon ce dernier, sur
une superficie de 450 ha sur 1.050 ha que doit compter le parc. Il est constitué de
16.658 arbres et arbrisseaux, 12.034 espèces animales et 4.460 m2 d’espaces gazonnés,
251
un lac naturel de 10.000 m2, et de divers jardins. Le projet « d’Alger Médina » du
groupe national Dahlia SPA (société par action), une cité d’affaires réalisée par
ARCOFINA Holding, est en cours de construction. Sa particularité réside dans le fait
qu’un emprunt national obligatoire, une action inédite en Algérie, a été mené pour sa
réalisation (cf. Cattedra, 2010). Ce projet se déploie sur plus de 100 ha et comporte, en
plus de l’hôtel Hilton et du palais des Congrès, un « City Center » composé de trois
tours d’affaire dont une est opérationnelle depuis 2005, un hypermarché ouvert en juillet
2012, un parc aquatique en cours d’achèvement, et des appartements-hôtels, des tours
résidentielles et des bureaux en cours de réalisation. Si toutes ces opérations seront
accompagnées d’une marina, d’espaces verts et d’esplanades plantés d’oliviers
centenaires ouverts sur la mer, comme se plait à décrire le président directeur général
d’Arcofina Holding, Mohamed Abdelouahab Rahim115, ces projets d’espaces publics
attendent toujours un début de concrétisation. Quant aux projets ambitieux du
développement de la façade maritime de la baie d’Alger, de la réhabilitation des espaces
publics du centre-ville et des aménagements de parcs urbains, entres autres, ils
demeurent au stade des bonnes intentions et de brillants dessins.
115
Voir le journal La Tribune du 22 août 2012.
252
l’action urbaine et aux difficultés d’accéder au processus de la prise de décision,
remarque t-il (Srir, 2012, p. 29).
Ailleurs, et notamment en Europe, le projet urbain est conçu comme porteur d’ambition
aussi bien pour la ville que pour ses citoyens. Cette nouvelle démarche de « gouverner
la ville par projet » (Pinson, 2009) est au cœur de la démarche du projet urbain en tant
que projet collectif, négocié et partagé associant les différents acteurs de la ville : le
politique, le technique, l’expert et le citoyen. Même si dans beaucoup de cas, comme
par exemple en France, la démarche d’implication du citoyen reste souvent confrontée à
la difficulté d’intégrer, dans la pratique, le processus participatif à la démarche de projet
urbain, comme le démontre Camille Gardesse (2012) dans son analyse du projet du
réaménagement du quartier des Halles de Paris mené entre 2002 et 2010. En Algérie le
politique reste de toute évidence myope à cette nécessaire démarche participative et
semble pérenniser une méthode de planification longtemps décriée.
Oran connaît depuis les années 2000, une dynamique sans précédent en matière de
projets urbains d’envergure et d’opérations d’aménagement et d’embellissement tous
azimuts. Selon les discours officiels, ces projets sont destinés à rehausser l’image de la
ville et à l’asseoir, dans une perspective d’avenir, au rang de « métropole ». Alors une
question s’impose : dans ce magma urbain, comment les espaces publics sont-ils perçus,
produits, réalisés et gérés ?
253
Méditerranéens », est conçu pour occuper une surface de 14 ha. L’étude réalisée par le
bureau d’études coréen SPACE Group proposait des « pôles » économique, culturel et
écologique, ainsi que deux marinas. Ce projet devait être porté par le groupe Émirati
EMAAR (d’après les informations recueillies auprès la Direction de l’Environnement
d’Oran au printemps 2008).
Toujours sur le front de mer, la tenue du 16ème Congrès mondial du Gaz Naturel
Liquéfié (GNL), organisé en avril 2010, a rendu nécessaire l’identification de deux ha
destinés à la construction d’un Centre des Conventions d’Oran (CCO). Le groupe
pétrolier algérien public SONATRACH, à travers sa filiale AVAL, a investi pour cette
réalisation l’équivalent de 350 millions d’euros. Ont été programmés un Palais des
Congrès de 300 places, un centre d’expositions de 20.000 m2, un hôtel de haut standing
de 300 chambres, doté de plusieurs restaurants et d’un grand jardin.
L’internationalisation de ce projet s’est traduite par le fait que sa réalisation a été
confiée en 2007 au groupe espagnol Obrascom Huarté Lain (OHL). L’aménagement
paysagé d’un ensemble d’espaces publics a également été programmé. Ces études
d’embellissement ont été confiées à la firme canadienne GENIVAR WAA qui, selon
celle-ci, a été mandatée pour imaginer, concevoir et proposer un paysage in situ. Elles
concernaient deux boulevards majeurs, douze ronds points et la falaise située en contre
bas du CCO sur la Méditerranée. Le boulevard qui mène au CCO a été conçu pour
recevoir un aménagement d’un simple alignement d’arbres – principalement des
palmiers – qui met en valeur l’architecture et son imposante fresque murale
d’inspiration arabo-mauresque. Le deuxième boulevard qui est perpendiculaire au
premier, a été pensé, écrit la WAA, comme « un lieu de rencontre, une sorte de
« Rambla » où les communautés se rassemblent » (figures 53-54). Quant aux giratoires,
chacun devait arborer « un design unique et selon le contexte. Les concepts vont de
l’extravagant, à l’avant-garde, aux paysages algériens traditionnels » décrit la WAA
(2011).
254
avait été attribuée au groupe algéro-coréen UTIC-KUNWON. Le parti pris architectural
et urbain est de toute évidence largement influencé par celui qui prévaut dans les pays
du Golfe, comme le démontre la figure 55. A l’aune du principe de reconquête des
fronts d’eau en lieux d’urbanité, le projet porte, toutefois, un espace public piétonnier
majeur composé de places, de jardins ouverts et de jardins privés (SNASCO, 2012).
De tous les projets annoncés, seul le Centre des Conventions CCO et quelques
aménagements tels que ceux des deux boulevards et de leurs giratoires et de la grande
fontaine du rond point attenant au CCO, ont été achevés en avril 2010, quelques jours
avant le commencement du congrès du GNL (figure 56). Les multiples autres projets
envisagés semblent être renvoyés aux calendes grecques.
Figure 52 : Oran : projets d’aménagement du front de mer Est. Secteur Manzah dit Akid Lotfi.
Réalisation F . Kettaf
255
Figure 53 : Plan d’aménagement d’une allée « rambla ». Source : Sonatrach (2009)
Figure 54 : Plan d’un giratoire portant une large fontaine aux abords du CCO. Source : Sonatrach
(2009)
256
Figure 55 : Mise en image de la Cité de la mer. Jardins publics, Jardins privés.Source : SNASCO-
EPLF (2012)
257
A
C
Figure 56 : Projets réalisés du front de mer. A) Fontaine publique et Centre des Conventions CCO,
B) L’esplanade ou « Rambla ». C) Le boulevard du CCO, Photos : F. Kettaf (Juin 2010).
258
Maints exemples à travers le monde témoignent de l’importance de l’urbanisme
évènementiel dans la mise en œuvre d’un projet urbain. Il s’agit de saisir l’opportunité
des grands évènements internationaux pour régénérer la ville et rehausser son image à
travers une forte reconstitution de l’espace urbain. L’opportunité du 16ème Congrès
mondial du gaz naturel liquéfié (GNL) organisé en avril 2010, aurait pu être envisagée
comme un moyen de promouvoir un vrai projet urbain après des décennies de
planification urbaine désastreuse. Mais le bilan des réalisations urbanistiques se limite
somme toute à l’édification du centre des Conventions et à l’embellissement de la
principale voie qui lui donne accès. Le caractère limité des opérations menées ne semble
pas correspondre aux ambitions métropolitaines d’Oran. Ces opérations ne semblent pas
être à la hauteur de tous les discours officiels relayés en grande pompe par les médias et
la presse écrite émis sur ce projet116.
La perspective de métropolisation d’Oran comme celle d’Alger, qui sous tend un projet
urbain, parait bien fantaisiste au regard des pratiques urbaines en vigueur. Ni les grands
évènements internationaux, ni les aménagements urbains ne paraissent encore constituer
des occasions à saisir pour élaborer des projets de ville. Cependant, Oran comme Alger
ne peuvent rester indifférentes à la nécessité d’intégration dans les réseaux de
performance des villes méditerranéennes.
5-3-2 Le tramway s’invite en ville mais l’espace public reste un éternel oublié
5-3-2-1 Primauté des espaces de la circulation automobile sur les espaces piétons
La priorité donnée à la voiture sur celle affectée aux piétons fait que c’est le secteur des
travaux publics qui conçoit et fabrique les voies primaires de la ville. Elargissements
des voies, trémies, échangeurs, larges ronds s’incrustent dans la ville sans aucune
116
Sur la presse écrite, voir principalement dans les années en cours de la réalisation du projet, en
particulier celle de l’année 2010, en langue française : Le Quotidien d’Oran, La voie de L’Oranie, l’Echo
d’Oran, El Watan, Liberté, Le soir d’Algérie, Le Financier, et en langue arabe : El Khabar, Ech-Chorok,
Ech-Chaab, El Moudjahid … .
259
préoccupation des problèmes que ceux-ci peuvent occasionner au déplacement des
piétons et au paysage urbain. La Direction des Travaux Publics (DTP) en charge de ces
travaux dessine et réalise ces espaces sans concertation avec les APC, ni même avec les
autres directions qui sont peu ou prou concernées par ces projets. L’édification du
quatrième boulevard périphérique achevé au tournant de 2010 en est l’exemple le plus
frappant. Son tracé a été dessiné et réalisé comme une large autoroute desservant les
nouveaux quartiers en cours d’édification à l’aide de bretelles et d’échangeurs. Quant au
troisième boulevard périphérique qui fut réalisé dans les années 1980 et rythmé par des
grands ronds-points, ces derniers sont, depuis 2006, peu à peu remplacés par des
trémies, quelques uns par des ponts. La réalisation des trémies se multiplie dans la ville
et semble constituer la seule alternative adoptée par la DTP pour résoudre le problème
de circulation117. Exprimant nos interrogations face à la généralisation de ces opérations
qui perturbent la mobilité piétonne et annihilent le paysage urbain, un responsable de la
DTP explique de manière laconique que :
« Notre travail est de trouver des solutions pour résoudre le problème de
circulation automobile dans la ville, pour le reste ce n’est pas de notre ressort »
(entretien, avril 2008)
Les enquêtes que nous avons menées auprès de la DUC et de la DTP, révèlent, en effet,
que la préoccupation de la place du piéton passe au second plan par rapport à celle de la
voiture. Ce manque de considération de l’espace du piéton est autrement plus
significatif et plus visible dans le processus de réalisation d’un nouveau mode de
transport en commun à Oran, celui du tramway lancé en 2008. Celui-ci ne semble pas
être accompagné par une volonté de favoriser la circulation piétonne et de rehausser
l’image urbaine. La préoccupation étant plus fonctionnelle : résoudre le problème de
transport en commun.
117
En plus des cinq trémies déjà réalisés, dont quatre sur le troisième boulevard, cinq autres sont
programmés dont deux sont en cours de réalisation dans le même boulevard depuis décembre 2012.
260
aux politiques de la ville, au choix urbain en matière d’espaces publics, et à la
participation des citoyens.
261
Figure 57 : Plan de l’itinéraire de la ligne du tramway d’Oran : sud-nord-est . Source : INGEROP
2005
Figure 58 : Détail d’itinéraire à travers les espaces centraux de la place 1er Novembre au quartier
Saint Eugène (Makari) Source : INGEROP 2005
262
La synthèse générale de la « Faisabilité du tramway de l’agglomération oranaise »
(INGEROP, 2005), met en exergue que le tramway a été intégré dans un Schéma
Directeur de Transport Urbain (SDTU) dont l’aire d’étude concerne six communes
(Mers-el-kébir, Oran, Bir-el-Djir, Es-Senia, Sidi-Chahmi et El-Kerma) regroupant une
population de 1.145.000 habitants à l’horizon 2015. Après analyse et diagnostic, le
programme d’action du SDTU se résume comme suit :
a) Projet tramway ;
b) Organisation du réseau du transport en commun (TC) et de son exploitation ;
c) Infrastructures de voirie et la circulation ;
d) Organisation du stationnement et du transport de marchandises en ville (TMV) ;
e) Organisation institutionnelle.
Le tramway est conçu pour relier les banlieues Sud et Est d’Oran (constituées par les
deux grands campus universitaires) et pour desservir le centre ville et la M’dina Djedida
(Ville nouvelle) en passant par la place du 1er Novembre (place d’Armes). Il est doté de
trois grandes gares multimodales et équipé de 30 rames CITADIS. Son parcours se
déploie sur 18,7 km et compte 32 stations ; il est ponctuée par trois ouvrages d’arts :
d’une trémie et de deux ponts à son point de rencontre avec trois importants giratoires
(figures 57 et 58).
L’enquête que nous avons entreprise auprès de TRAMNOUR et d’EMA quelques mois
avant le lancement des travaux en octobre 2008, avait dévoilé un certain nombre de
problèmes. En recoupant les propos de l’une et de l’autre, les principaux problèmes
étaient inhérents au manque des données géotechniques et topographiques, à
l’insuffisance de compétences techniques et aux difficultés de coordination entre les
différents projets portés par les diverses directions de la wilaya. Sans pouvoir tout
exposer, nous pouvons ainsi synthétiser les résultats de notre enquête :
263
a- Le maître d’ouvrage l’EMA, préférant ne pas laisser au bureau d’études
ENSITRANS le monopole de toutes les études inhérentes au tramway, a réparti
quelques unes d’entre-elles, et pas les moindres, à d’autres bureaux d’études :
Le tramway est mis en circulation le 2 mai 2013, c’est-à-dire depuis quelques mois à
l’heure où nous rédigeons ce texte. Parmi les cinq opérations du programme du SDTU,
seule la ligne du tramway a été finalement réalisée. Les quatre autres opérations
inhérentes au bon fonctionnement du tramway prévues par le SDTU ne sont pas encore
réalisées, à savoir :
- l’organisation du réseau du transport en commun global, de la circulation et du
stationnement,
- la réduction de la circulation automobile dans le centre-ville,
- la réalisation de parkings,
- la création d’organes intentionnels.
Pour évaluer les retombées du fonctionnement du tramway sur les nouveaux usages des
espaces publics, il a fallu attendre sa mise en circulation.
264
B- Gouvernance du projet et les espaces publics
En mai 2013, au moment de la mise en circulation du tramway, nous avons mené une
deuxième enquête auprès du constructeur ISOLUX-CORSAN afin d’identifier les
différents acteurs impliqués et d’examiner la place qu’occupe l’espace public dans la
réalisation du projet.
265
e- Pour l’exploitation du tramway, les études ont été affectées à l’entreprise mixte
SETRAM, composée d’une filiale de la RATP Paris et de l’entreprise Métro
d’Alger (EMA), dont le personnel est constitué principalement d’Algériens.
Figure 59 : Gestion de la circulation par des agents de la SETRAM au niveau du giratoire appelé
« Cité Djamel » composé de cinq couloirs
266
Un bon nombre de travaux d’embellissement proposés par le bureau TECNIA ont été
modifiés et simplifiés par l’EMA. Ils ont été limités principalement à la réfection des
trottoirs et à l’aménagement des abris des stations d’arrêt, proposant une qualité des
matériaux et de mise en œuvre selon nous très discutable. Quant aux artères qui
présentent de très larges trottoirs, leurs réfections ont été réduites à la seule partie qui
borde la ligne du tramway, le reste des trottoirs sont en attente d’un futur traitement.
Seul un petit tronçon d’environ 1,5 km, celui qui fut visité par le Président de la
République en 2012, a été doté d’un traitement paysager composé d’espaces gazonnés,
de parterres floraux, d’alignements de palmiers et de bancs publics (figure 60).
Le plan général de circulation, dont les études ont été affectées au bureau espagnol
ARCEINGENIERIA, est toujours en cours d’élaboration à l’heure où le tramway est
mis en circulation. Autrement dit, le projet du tramway n’a pas encore apporté les effets
attendus en termes d’amélioration de la circulation automobile et piétonne.
Le centre ville d’Oran n’a pratiquement pas changé depuis l’indépendance ; il a connu
peu de projets significatifs de modernisation et de réhabilitation urbaine. A l’instar des
projets menés dans les villes européennes, le projet tramway d’Oran apparaissait, dès
lors, comme une réelle opportunité d’intégrer la réflexion dans un cadre de projet urbain
global afin d’améliorer la mobilité des usagers, de repenser et requalifier les espaces
publics et de réhabiliter le cadre bâti d’un héritage architectural en déprise, et ainsi
267
contribuer à la régénération du centre ville. Mais l’analyse du cadre général de l’étude et
l’évaluation des réalisations effectuées, nous révèlent que le projet du tramway d’Oran
n’a pas été intégré dans une vision globale de développement urbain. D’après nous, il
n’a pas été capable à la fois de mobiliser et de fédérer les différents acteurs urbains et
d’intégrer la pensée sur l’amélioration de l’environnement urbain. Dans une gestion
urbaine très sectorisée et dominée par la primauté attribuée à l’automobile, il a été
confié exclusivement au secteur auquel il appartient : celui des transports urbains. Sa
mise en œuvre, qui a duré dix ans depuis les premières études, illustre la faible maîtrise
de la production et de la gestion urbaine.
A Oran, cette pensée ne semble pas trouver une application effective. La ville persiste à
continuer le modèle urbain du « tout automobile » à tel point que le maintien des
couloirs de circulation des véhicules dans les espaces centraux a conduit à la réduction
systématique des trottoirs nécessitant l’arrachage sur plusieurs kilomètres de rangées
d’arbres, souvent centenaires, au profit de l’emprise des voies automobiles, en
particulier le long des parcours les plus commerçants de la ville. L’Avenue Saint
Eugène, le boulevard Emir Abdelkader et la rue de Mascara, par exemple, ont été
dégarnis de leurs rangées de ficus et leurs trottoirs considérablement réduits. Dans les
quartiers périphériques marqués par de larges boulevards ponctués par d’imposants
ronds-points, le tramway a été introduit dans une trémie et monté sur deux viaducs à son
point de rencontre avec les ronds points afin de maintenir en l’état la circulation
automobile. Ces opérations montrent clairement le manque de considération des espaces
publics au sens de leurs valeurs esthétique et écologique, ainsi que de leur valeur
d’usage pour la ville et pour ses usagers (figure 61).
268
Figure 61 : Tramway descend dans une trémie et monte sur un viaduc au niveau des giratoires,
photos : F. Kettaf (juin 2013)
269
Figure 62 : Place 1er Novembre 1954 réaménagé et Hôtel de ville en cours de réhabilitation,
photo : F. Kettaf (1er mai 2013)
Quant aux restes des aménagements des espaces publics annoncés en grande pompe
pendant la réalisation du tramway et fortement attendus par les Oranais et jusque là peu
réalisés, le directeur de la DTWO Khaled Talha, interrogé en février 2013 par Algérie
Presses Services (APS), explique que le tramway « s’inscrit dans le cadre du
programme de modernisation de la ville d’Oran (2010-2014), rappelant, dans ce sens, le
plan d’aménagement urbain qui porte notamment sur la réalisation d’espaces verts aux
abords du tracé du tramway ». (APS, 6 février 2013, 09 : 48). A ces discours des
décideurs, qui viennent en aval de la mise en circulation du tramway, se profile une
conception fragmentée du projet urbain-tramway et se dégage l’absence patente d’une
pensée globale sur les espaces publics et sur la mobilité urbaine.
Depuis son instruction, le projet du tramway a été présenté par les pouvoirs publics
comme un des éléments clés d’une approche significative en matière d’amélioration des
espaces urbains. Au vu de ce qui a été réalisé, les termes de cette approche sont à
270
l’évidence encore à définir. Et c’est le programme de modernisation de la ville d’Oran
du quinquennat 2010-2014, hautement annoncé par le wali Abdelmalek Boudiaf, qui
n’est que l’expression de la concrétisation des grandes orientations du SDAAM (2010),
qui semble porter les nouvelles ambitions. Il comprend, entre autres, divers projets qui
ont pour objectif, une fois encore, de vouloir propulser Oran au rang d’une métropole
rayonnant à l’échelle méditerranéenne. Il semble aussi reprendre les multiples actions en
matière d’amélioration des espaces centraux inscrits depuis une dizaine d’années. Si
ces dernières opérations étaient plus annoncées que réalisées, certaines d’entres elles
connaissent actuellement une application effective sur le terrain. L’année 2012 est celle
de l’ambitieuse opération de réhabilitation des immeubles du centre-ville. 600
immeubles sont aujourd’hui concernés par ce projet dont 200 étaient déjà inscrits dans
le programme de réhabilitation des vieux immeubles du centre-ville dirigé par l’Office
de la Gestion et de la Promotion immobilière (OPGI) depuis 2006. A l’heure où nous
rédigeons, diverses entreprises italiennes, espagnoles et algériennes s’affèrent à la
réhabilitation de 70 immeubles. Parmi ces derniers, nous retrouvons la Mairie (ex Hôtel
de ville) sur la place 1er Novembre 1954, une opération publique de grande envergure
jamais entreprise depuis l’indépendance118. Toutefois, ce nombre semble dérisoire par
rapport au colossal parc d’immeubles nécessitant des opérations de réhabilitation.
La qualité urbaine est devenue depuis une dizaine d’années une préoccupation majeure
pour Oran. Elle se traduit par le lancement par les collectivités locales de multiples
projets de réaménagement et de requalification des espaces publics et des places
publiques majeures. En Algérie, la production et la gestion des espaces publics
renvoient communément, à celles des « espaces verts ». L’intérêt que portent les hautes
instances de l’Etat aux espaces verts s’insère, comme cité plus haut, dans une démarche
environnementale large qui concerne toutes les villes algériennes. Une démarche
prescrite aussi par le Plan National d’Actions pour l’Environnement et le
Développement Durable (PNAE-DD, 2002)119
118
Toutefois, la mairie et le théâtre qui le jouxte ont connu une opération de réhabilitation de leurs
façades dans les années 1990 réalisée par des entreprises privées algériennes, qui s’était avérée
dommageable pour les deux édifices.
119
Le PNAE-DD (2002) a été préparé dans un cadre de coopération entre le Ministère de l’Aménagement
du Territoire et de l’Environnement (MATE), la Banque Mondiale et l’Agence de Coopération Technique
Allemande (GTZ). La Banque Mondiale a coordonné l’ensemble des activités et le financement liés à sa
préparation. Les objectifs stratégiques dévolus à ce plan sont de :
a. Améliorer la santé et qualité de vie du citoyen
b. Conserver le capital naturel et améliorer sa productivité
c. Réduire les pertes économiques et améliorer la compétitivité
d. Protéger l’environnement global
271
La loi n° 07-06 du 13 mai 2007 « relative à la gestion, à la protection et au
développement des espaces verts », la première depuis l’indépendance, « a pour objet
de définir les règles de gestion, de protection et de développement des espaces verts
dans le cadre du développement durable ». (Journal Officiel n°31, p. 6)
Dans son article 2, elle promulgue les dispositions générales qui ont pour objectif :
« d’améliorer le cadre de vie urbain; d'entretenir et d'améliorer la qualité des
espaces verts urbains existants; de promouvoir la création d'espaces verts de toute
nature; de promouvoir l'extension des espaces verts par rapport aux espaces bâtis;
de faire de l'introduction des espaces verts, dans tout projet de construction, une
obligation prise en charge par les études urbanistiques et architecturales publiques
et privées ». (Journal Officiel n°31, p. 6)
5-4-1 Classification officielle des catégories d’espaces verts et des acteurs impliqués
Dans son article 4, la loi du 13 mai 2007 définit sept catégories d’espaces verts :
- les parcs urbains et périurbains, qui sont composés par les espaces verts
délimités et, éventuellement clôturés. Ils constituent un espace de détente et de
loisirs, et peuvent comporter des équipements de repos, de jeux et/ou de
distraction, de sports et de restauration. Ils peuvent également comporter des
plans d’eau, des circuits de promenade et des pistes cyclables ;
- les jardins publics, qui sont des lieux de repos ou de halte dans des zones
urbaines et qui comportent des massifs fleuris ou des arbres. Cette catégorie
comprend également les squares plantés, ainsi que les places et placettes
publiques arborées ;
- les jardins spécialisés, qui comprennent les jardins botaniques et les jardins
ornementaux ;
- les jardins collectifs et/ou résidentiels publics;
- les jardins particuliers privés;
- les forêts urbaines, qui comportent les bosquets, les groupes d’arbres, ainsi que
toute zone urbaine boisée y compris les ceintures vertes ;
- les alignements boisés, qui comprennent toutes les formations arborées situées
le long des routes, autoroutes et autres voies de communication en leurs parties
comprises dans des zones urbaines et périurbaines. (Journal Officiel n°31, p. 7)
Comme nous pouvons facilement le déduire, dans cette nomenclature, les places n’ont
pas un statut particulier, au cas où elles sont arborées, elles sont rangées dans le lot
« jardins publics » (tableau 6).
272
La loi définit les instruments de gestion des espaces verts publics qui sont constitués a)
du classement des espaces verts et b) des plans de gestion des espaces verts. Elle décrit
les prescriptions relatives au développement des espaces verts et aux normes qui leur
sont applicables. Elle énumère également les dispositions pénales concernant les
mauvais usages et le non respect des normes prévues.
Catégories d’espaces verts Ministères (s) et Directions locales
parcs urbains et périurbains M. de l’intérieur et M. de l’environnement :
Wilaya, DE
Cette loi est renforcée par le décret exécutif n°09-147 du 2 mai 2009 qui « a pour objet
de fixer le contenu et les modalités d’élaboration, d’adoption et de mise en œuvre du
plan de gestion des espaces verts selon la catégorie à laquelle ils appartiennent» (Journal
officiel n°26, p. 20). Le contenu est fixé par un arrêté d’un ministre ou conjointement
de plusieurs ministres selon la nature et l’importance de chaque catégorie d’espaces
verts. Le tableau 5 ci-dessus illustre les différents ministères et les directions locales en
charge des espaces verts.
Suite à ces lois, un large programme d’investissements publics en faveur des espaces
verts en zones urbaines a été lancé pour l’horizon 2015. Les principaux axes de ce
programme s’appuient sur un développement significatif des espaces verts au niveau
des grandes métropoles. Ce programme implique, entres autres : des études
d’inventaires et de classements, ainsi que des opérations de réhabilitation des espaces
existants ; de réalisation de jardins citadins et de forêt urbaines (Oran, Annaba et
Constantine) ; de création de parcs urbains dans les chefs-lieux de 14 wilayas et de
développement de jardins botaniques et oasiens (Laghouat, Djelfa et Illizi).
273
5-4-2 Projets d’espaces verts pour Oran
D’après les diverses enquêtes que nous avons menées entre 2008 et 2013 auprès de la
Division de l’urbanisme et la planification (DUP), de la Direction de l’urbanisme et de
la construction (DUC), de la Direction de l’environnement (DE), de la Direction de la
conservation des Forêts (DCF), et de l’Epic Oran-Vert rattachée à la wilaya, pour Oran
ce programme a comporté un certain nombre d’études et de projets dont les principaux
concernent :
Ce travail de diagnostic présente certes un intérêt sous l'angle écologique, mais pas
vraiment sous celui de l'usage social. N’est pas abordé l’examen des caractéristiques de
ces espaces qui permettent ou non un usage par le public. Sans faire la démonstration,
l’auteur de cette étude décrit de façon générale les facteurs qui semblent participer à leur
« état de dégradation» et souligne « la faible fréquentation de la population oranaise des
espaces verts les plus importants qui est dû essentiellement à [leur] absence
d’attractivité […] par manque de valeur paysagère, d’équipement nécessaire, de culture
du citoyen et de sécurité de ces lieux » (Plan de la couverture végétale, phase 1, 2007).
274
d’espaces verts120. Mais cela n’est pas une particularité d’Oran, Constantine, selon Adra
Ali-khodja (2009), compte 0,29 m2 par habitant. Cette situation touche bon nombre de
villes maghrébines.
Tandis que la première phase d’étude fut présentée au siège de la wilaya, la deuxième
s’est déroulée au siège de la Mairie. Pour les deux présentations, la commission
d’évaluation et d’approbation fut composée du secrétaire général de la wilaya, des
directeurs ou représentants des différentes directions de la wilaya, à savoir, la DUC, DE,
DCF, DDA, DPAT, des représentants de la commune (DUP) et d’un bureau privé de
consulting des espaces verts d’Oran. Signalons que ni les représentants de la société
civile, ni les associations, ni même les élus ont pris part à ces présentations comme le
stipule la loi. Leur absence est tout à fait problématique compte tenu du fait qu’il
s’agisse dans cette action, de répondre aux objectifs dits stratégiques du PNAE-DD
« d’améliorer la santé et la qualité de vie des citoyens » (cf. PNAE-DD, 2002).
C- Le Parc urbain Daya Morsli. Ce projet concerne l’aménagement, au sud d’Oran, des
berges du lac Daya Morsli, une zone humide qui s’étend sur 300 ha, affectée par une
forte pollution due au déversement des déchets industriels émanant des installations
120
A titre d’exemple nous pouvons citer l’observatoire de l’environnement de Montreuil, lequel indique
que « L’OMS estime qu’une douzaine de m² d’espaces verts de proximité (- de 300m de distance du
logement) par habitant en zone agglomérée sont nécessaires. En Seine-St-Denis : 12 m2 espaces
verts/habitants depuis 2008. Paris intra-muros : 5,8 m2 d'espace vert par habitant ou 14,5 m2 en comptant
les deux bois de Boulogne et de Vincennes, contre 36 m 2 à Amsterdam, 45 m2 à Londres, 59 m2 à
Bruxelles ou encore 321 m2 à Rome ». :
http://www.montreuil.fr/fileadmin/user_upload/Files/Environnement/etat_lieux_env/obsenv/fiche25.pdf
121
Aujourd’hui ministère de l’aménagement du territoire, de l’environnement et de la ville (MATEV)
275
industrielles limitrophes. Ce projet a été inscrit, en juillet 2006, dans l’étude du POS de
la Daya Morsli, qui est désigné par le PDAU comme secteur non urbanisable (SNU 04)
appartenant à la commune d’Es-Sénia. Il a été instruit par la DUC et confié au bureau
d’étude de la ville d’Oran B.E.V.OR, un bureau sous la tutelle de la Société publique de
gestion des participations de l’Ouest (SGP), en charge des études des états des lieux des
entreprises publiques de la région ouest de l’Algérie. Attribué, suite à un concours
d’idée, à un bureau d’étude privé, le projet comprend l’aménagement d’un parc urbain
sur une superficie de 45 ha qui abrite un ambitieux programme d’équipements de
loisirs, de détente et de sport. Il est question de réaliser, entre autres, une piscine
couverte, des terrains de jeux (football, handball, basket-ball, tennis, …), un théâtre en
plein-air, des pistes cyclables. Il s’agit aussi de réaliser des cafés, des restaurants, des
cinémas, des commerces.
D- Des forêts urbaines. Une étude sur des forêts urbaines réparties à travers la wilaya
d’Oran, constitue la troisième catégorie de parcs urbains ambitionnés par les pouvoirs
publics afin de munir d’espaces de détentes aux Oranais. Un décret exécutif a été
promulgué en octobre 2006 (Journal Officiel n° 67) autorisant l’investissement privé au
niveau des forêts nationales en matière de détente et de loisirs et fixant le régime
juridique de l’autorisation d’usage ainsi que les conditions et les modalités de leur
octroi122. Et c’est suite à la loi n° 07-06 de 2007 relative aux espaces verts citée plus
haut, qu’une première étude a été réalisée en mai 2008 par la Conservation des forêts de
la wilaya qui a proposé le classement de 13 projets de création de forêts récréatives à la
demande de la Direction Générale des Forêts (DGF), institution nationale affiliée au
Ministère de l’Agriculture et du développement rural (MADR). Elles sont réparties dans
les trois circonscriptions que compte la wilaya d’Oran, comme l’indique le tableau 8.
Tableau 8 : Répartition des 13 forêts urbaines proposées par la Direction de la Conservation des
forêts d’Oran (DCF). Source : DCF (mai 2013)
Pour que des forêts soient susceptibles d’être exploitées comme forêts récréatives, elles
doivent être dotées de livrets fonciers établis par la Conservation Foncière (CF). Pour
cela, elles doivent être au préalable intégrées dans le cadastre forestier, selon le Décret
122
La loi n° 84-12 du 23 juin 1984 portant régime général des forêts, modifiée et complétée par la loi n°
91-20 de 1991 qui intègrent toutes les forêts communales et nationales au domaine forestier national.
276
exécutif n°2000-115 de mai 2000 « fixant les règles d’établissement du cadastre
forestier national, qui a pour finalité l’identification, la reconnaissance et la délimitation
du domaine forestier national ». Dans les 26 communes de la wilaya, 24 sont
aujourd’hui dotées d’un cadastre général et ont fait l’objet d’un arrêté d’intégration de
terrains qui sont susceptibles de constituer des forêts dans le domaine forestier.
Rappelons que la commune d’Oran, dont le cadastre général n’est pas encore achevé,
certains terrains ne disposent pas encore d’arrêté d’intégration.
Si les 13 forêts proposées pour des forêts récréatives sont cadastrées et dotées d’arrêté
d’intégration, elles sont encore en attente des livrets fonciers, qui sont toujours en cours
d’élaboration. En 2012, cinq d’entes elles constituent des sites très fréquentés ; elles ont
été réactivées et retenues comme sites prioritaires pour mettre en œuvre les premières
forêts récréatives, dont les forêts de Madagh, Bel Horizon, Montagne des Lions,
Murdjadjo et Canastel. En janvier 2013, une autre forêt repérée dans la circonscription
d’Arzew est proposée au Ministère des Forêts pour qu’elle soit intégrée comme forêts
récréatives, souligne le chef de service de gestion, de planification et des études de la
Conservation des forêts d’Oran, qui nous a accordé une interview en juin 2013.
E- Espaces de proximité et requalifications des espaces verts existants. Ici, les exemples
sont multiples. Dans les périphéries où les grands ensembles disposent suffisamment
d’espaces libres, il s’agit de la projection de jardins collectifs et/ou résidentiels destinés
aux enfants, de terrains de sport combinés pour les jeunes des quartiers. Il est aussi
question de réaménagement des ronds-points, des alignements d’arbres le long des
grands axes urbains. Dans les espaces centraux, les opérations consistent au
réaménagement des places publiques, en particulier, celles qui présentent des
dégradations importantes, comme celles du quartier historique Sidi-el-Houari et de la
place Tahtaha du quartier de la Ville Nouvelle.
En 2013, six ans après le lancement de ce vaste programme, la plupart de ces études,
plans d’action et projets, qui ont été instruits certainement à gros frais, n’ont pas eu un
réel impact sur le terrain. En effet, à part quelques rares réaménagements ou plantations,
tels que le réaménagement de la place Tahtaha, de quelques espaces de jeux pour
enfants et stades combinés pour jeunes dans les cités, ronds points et alignements
d’arbres, aucun projet important cité plus haut n’a encore été réalisé (figure 63). Nous
avons pu constater que beaucoup d’espaces verts existants sont souvent marginalisés,
convoités ou ébranlés par le secteur des travaux publics ou celui de la construction. Si,
en théorie, les espaces publics sont inaliénables, la disparition de plusieurs squares dans
la ville témoigne du statut juridique incertain de ces espaces. Et les batteries de lois,
décrets, conventions, plans d’action nationaux, institutions ne paraissent pas changer
277
grand-chose. La destruction des espaces verts continue et les exemples sont multiples.
Nous signalons la récupération, en 2011, d’un square au niveau du rond point Dar el
Beïda au profit de l’installation des locaux techniques du projet du tramway (figure
64) ; la destruction, en mai 2013, d’une grande partie de la seule forêt que détient la
ville, celle de Canastel, pour y projeter un complexe hôtelier militaire haut de gamme.
Cela témoigne du décalage entre les ambitions et les discours politiques, les batteries de
lois créées pour les protéger, et la praxis opératoire sur le terrain.
278
Figure 64 : Destruction d’un square au quartier périphérique Dar el Beïda, autrefois pratiqué par les
vieux du quartier. Photo : F. Kettaf (septembre 2013).
Si ces projets sont restés plus annoncés que réalisés, la volonté d’octroyer à la ville
d’importants espaces verts publics apparaît, néanmoins, comme une constante dans les
discours des pouvoirs publics depuis déjà une dizaine d’années. L’expression du wali
« l’année 2012 sera verte à Oran » rapportée par le journal le Quotidien d’Oran (du 24
décembre 2011) illustre la velléité des pouvoirs publics d’aménager de nouveaux
espaces verts et de réaménager ceux déjà existants. Le projet de modernisation d’Oran,
porté par le wali et relayé par la presse, et pour lequel l’équivalent de 14 milliards de
dollars sont mis à la disposition de la wilaya, réactive le projet du jardin citadin
méditerranéen, des forêts urbaines, des marinas, des réaménagements des boulevards et
des places publiques existants, … Plus encore, il ambitionne un projet autrement plus
colossal, celui de la création d’une « coulée verte » de quatre kilomètre reliant le parc
d’attractions d’Oran, situé sur le deuxième boulevard périphérique, au futur parc Daya
Morsli qui borde celui du quatrième (Projet de modernisation d’Oran, 2012). Dans ce
sillage, le wali a instruit les différentes directions à rattraper le déficit en espaces verts.
A ce propos, le chef de service de la gestion, de la planification et des études de la DCF
nous rapporte que «le wali a octroyé une partie du budget censé aller à la DUC pour ses
projets de VRD, à la Conservation des forêts pour les travaux de plantation des arbres
d’alignement dans les grands boulevards » (entretien accordé en juin 2013).
Tous ces projets vont-ils voir un jour une lueur de réalisation? La question reste posée.
279
5-5 DE LA PRODUCTION ET DE LA GESTION DES ESPACES PUBLICS : UN
BILAN CRITIQUE
Pour comprendre comment les aménageurs et les bureaux d’études conçoivent l’espace
public, nous avons saisi l’opportunité de la reprise des études d’un POS de la zone
périphérique Est pour examiner la place qu’occupe l’espace public dans le processus
d’élaboration d’un projet urbain. Cette enquête que nous avons conduite en juillet-aout
2012, s’appuie sur l’étude d’un projet POS appelé SUF élaboré par un bureau d’études
privé d’architecture établi à Oran.
Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre 4, les acteurs (décideurs, concepteurs)
intervenants dans la production des POS ne se réfèrent que très peu au PDAU, tant que
celui-ci ne présente aucune vision claire sur la vocation future de ce nouveau secteur et
sur son rôle par rapport à la ville. Chaque architecte, selon le peu de données dont il
dispose, dessine un POS qu’on lui a attribué sans savoir ce que font les autres
architectes sur les POS voisins. De plus, la Direction de l’Urbanisme et de la
Construction (DUC), seule institution et acteur essentiel dans la décision, assure
difficilement la coordination entre les différents POS proposés. Cette situation pose
souvent des problèmes lors du recollement de ces derniers : ou de chevauchements, ou
le fait que des espaces vides ne sont pas pris en charge par les dits POS, ou, encore, des
effets de discontinuité et d’émiettement de l’espace urbain entre les différents tissus
créés. Malika Touati-Yamani (2007) écrit qu’une telle situation s'est présentée pour les
POS 50, POS 51 et POS 52 où toute une zone non prise en charge a été constatée lors
du recollement des trois POS (cf. figures 42-44, chapitre 4, p.218-219).
280
La conception des profils des boulevards encadrant les POS, est élaborée et réalisée par
la DTP. Elle s’effectue séparément des études des POS et des études d’architecture.
Cela signifie un manque de coordination qui engendre des escarpements importants aux
abords des boulevards et restreint ainsi les possibilités d’accès aux différents secteurs
des POS.
Aujourd’hui, le PDAU ne sert tout au plus qu’à délimiter les périmètres des différents
POS. Aux dires de ses principaux utilisateurs (DUC, DLEP, OPGI), le PDAU, peu
après son élaboration, a été très vite dépassé car, selon eux, il ne répondait plus aux
exigences et aux pressions exercées sur la Ville. La situation socio-économique a bien
changé depuis son élaboration : l’amélioration sécuritaire, la rente pétrolière très
favorable et la volonté politique ambitieuse de construire des milliers de logements et
d’équipements importants, ont fait apparaître de nouveaux acteurs ou groupes de
pression nécessitant un réajustement des plans d’aménagement que les POS doivent
réviser. Dans ce contexte, « les enjeux en matière d’aménagement et d’appropriation du
foncier se jouent autour des POS. Les POS en zone urbaine et en cours d’élaboration
sont ceux qui déchainent les passions », écrit Najet Mouaziz (2008).
Les nouvelles extensions urbaines d’Oran montrent à l’évidence la difficulté d’une mise
en œuvre d’un aménagement urbain cohérent. Les poids des multiples acteurs, la
prégnance de l’Etat, la planification sectorisée et bureaucratique et les compétences
urbaines très réduites, ont produit inévitablement une gestion contradictoire, voire
désastreuse de l’espace urbain. Nous essayons de le montrer par l’analyse de la place
attribuée à l’espace public dans le cas du processus d’élaboration d’un POS SUF.
Le projet du SUF étudié se situe dans la commune de Bir El Djir, dans une zone définie
comme « secteur d’urbanisation future » du groupement d’Oran. Le dit SUF constitué
initialement de 180 hectares, fait partie des sept SUF programmés par le PDAU à
échéance « long terme » dont les études ont été entreprises en 2002, à l’instar de celles
des secteurs à urbaniser SAU. Le projet, dans sa première mission, était prêt et approuvé
en 2004. Il était inscrit dans l’orientation du PDAU (1998, p. 428) qui le destinait « à un
pôle d'affaires, de services et de commerce à l'échelle de la ville » et le projetait comme
« un espace structurant et de repère ». Mais il a fallu attendre décembre 2010, et sans
281
doute l’achèvement en grande partie des SAU – à échéance moyen terme – (comme le
stipule le PDAU) pour que les études de quatre SUF soient reprises à nouveau
(tableau 9). Et c’est le wali Abdelmalek Boudiaf installé en 2010, qui impulsa la reprise
de ces projets. Cette reprise n’est pas sans lien avec l’avènement du printemps arabe et
des contestations populaires qui ont suivi en Algérie.
Pour se faire, la DUC a convoqué le bureau d’étude privé qui a élaboré le POS SUF en
question pour concevoir un nouveau POS, car celui proposé en 2004 était devenu caduc,
en raison de l’empiètement qu’il avait subi par un campus universitaire venu entre-
temps s’y implanter et dont l’aménagement occupa la moitié Sud du dit secteur. La
révision du POS devait aussi intégrer un nouveau programme de logements. Les
conditions dans lesquelles ont été élaborées ces études, d’après notre enquête, font
ressortir l’injonction explicite de l’Etat, couplée de carences d’orientation en matière de
programme et de parti pris urbain. Nous avons pu identifier trois aspects saillants, ainsi
résumés :
D’après notre enquête, dans la réalité urbaine oranaise, le POS n’est autre qu’un simple
« programme de logements » : l’examen du dossier d’études du dit POS déposé par
l’architecte à la DUC, le montre clairement. Ce dossier se compose d’un ensemble de
tableaux récapitulatifs des programmes de logements, d’équipements et de voiries
figurant les COS et les CES, et auxquels s’ajoute un plan d’occupation du sol (POS) à
l’échelle 1/ 1000 accompagné d’un descriptif de quinze pages.
283
Figure 65 : Proposition du POS SUF. Source : Bureau d’étude privé (2012)
S’il est admis que l’espace public est un élément fondateur et porteur de sens au projet
urbain, il n’est guère regardé comme tel dans le processus d’élaboration des plans
d’aménagement à Oran. La préoccupation majeure des décideurs est de construire un
maximum de logements pour lesquelles il faut prévoir les voiries et réseaux divers
(VRD). L’espace public est considéré comme un simple espace d’accès aux logements,
une simple « servitude » et non comme un espace support de la fabrique de la ville et
porteur de vie urbaine. C’est d’ailleurs, la section dite « VRD » appartenant au service
« Construction » de la DUC qui s’occupe de l’aménagement des espaces extérieurs.
284
En examinant la procédure d’établissement du plan d’aménagement du POS SUF en
cours d’élaboration, nous avons été frappés à la fois par l’urgence dans laquelle les
études d’urbanisme sont menées « tambours battants » et par la démarche tout à fait
sectorielle de ces études, qui sont l’expression d’une absence manifeste de coordination
entre les différentes études et d’articulation entre les échelles. Nous avons pu
reconstruire le processus de la manière suivante :
a) D’abord c’est un cabinet privé d’architecture qui dessine le plan général d’occupation
des sols. Le POS doit intégrer un vaste programme de 8.000 logements (soit pour
40.000 habitants) accompagné d’un ensemble d’équipements. Le programme et
l’échelle ne sont ni clairement désignés ni même judicieusement pensés en fonction
d’un parti pris d’urbanisme et sont encore moins en rapport avec une vocation attribuée
à ce secteur. Ainsi chiffres et programme sont souvent proposés par le maître d’ouvrage,
c’est-à-dire la DUC, de façon tout à fait approximative et aléatoire. Soit, ils sont
imposés à l’architecte, soit ils sont laissés sans aucune indication à l’appréciation
personnelle de celui-ci. A ce propos, l’architecte-concepteur remarquant l’absence de
certains secteurs clés comme celui de l’éducation, à savoir l’académie d’Oran, dans
l’élaboration du programme, avoue que
« pour les établissements scolaires – écoles, collèges et lycées –, je n’ai reçu
aucune orientation; j’ai dû faire un calcul très approximatif » (entretien accordé
en juillet 2012).
285
c) Ensuite, et une fois le POS approuvé, il est confié à un bureau d’étude d’ingénierie
qui traite le dossier d’excursion de la première partie des VRD, celle qui concerne les
voies principales et secondaires. En parallèle, ce sont les différents cabinets
d’architecture qui se chargent des différentes études des logements et des équipements.
Les deux types d’études doivent scrupuleusement respecter le POS, même si celui-ci,
élaboré à petite échelle, est susceptible de poser des problèmes éventuels de conception.
En ce sens, l’imprécision du dessin du POS en termes de types d’espaces publics et
l’absence d’un plan d’aménagement détaillé indiquant la nature de ces derniers et leur
rapport aux espaces construits, annihilent tout effort de créativité en matière
d’optimisation de l’assiette foncière, de création de socles urbains actifs et de micro-
évènement urbain à l’échelle du projet. Le travail des architectes se réduit ainsi à
concevoir des blocs répétitifs avec une architecture souvent identique sans liens avec
l’espace public. L’assimilation d’un POS à un plan d’aménagement ou de composition
constitue une des causes de la déqualification urbaine.
d) Puis, les projets d’architecture ayant été approuvés, intervient la deuxième partie des
VRD, celle qui intéresse la jonction aux constructions. Et c’est là où les choses se
compliquent. Ces études qui viennent en aval des projets précédents ont du mal à
trouver une coordination avec ceux qui sont élaborés en amont, rendant leur exécution
difficile. La planification segmentée et le phasage du projet non maitrisé contribuent
non seulement à augmenter le temps de réalisation, multipliant ainsi considérablement
les coûts, mais contribuent aussi à la mise en œuvre désastreuse des projets.
e) Enfin, entrent en jeux ceux que la DUC appelle « les aménageurs », mais qui dans la
plupart des cas ne sont que de simples entreprises de réalisation et maîtres d’œuvres
sans compétences avérées. Ces derniers s’occupent généralement des éventuels
revêtements de sol, mobiliers urbains et plantations123. Cette dernière opération abordée
au bout du processus est souvent escamotée tant les budgets de réalisation sont souvent
largement épuisés. Ces aménagements, dès lors, resteront à la charge des APC.
Il est évident que les aménagements urbains se retrouvent enfermés dans une logique
d’habitat et d’équipements, souvent décidés et pensés dans l’urgence. De ce fait ils
accordent très peu d’importance aux espaces publics comme outil essentiel de la
composition de la forme urbaine. Les espaces publics sont généralement perçus par les
décideurs, et souvent même par les concepteurs, comme des espaces verts qui enjolivent
la ville et, de ce fait, ils n’interviennent pas dans le processus de sa fabrication. Aussi la
123
A ce propos, l’Office de la Promotion et de la Gestion Immobilière OPGI en charge de la réalisation de
2.000 logements sociaux dans ce programme a proposé de lancer une étude sur les aménagements
extérieurs dans un cadre de coordination entre celle-ci, les études d’architectures des logements et les
études de la deuxième partie du VRD. Cette nouvelle démarche, une première à Oran menée par une
institution publique, semble constituer une prise de conscience sur un sujet aussi délicat que les espaces
publics, du moins en termes de qualité esthétique et d’aménités pour les habitants.
286
difficile coordination entre les multiples acteurs urbains, la nature étriquée des modes
d’intervention exacerbée par une bureaucratie manifeste et l’insuffisance de
compétences ont amplifié l’incapacité de la gestion des espaces publics (comme nous le
verrons par la suite).
La manne financière actuelle dont jouit l’Algérie depuis plus d’une dizaine d’années et
le monopole du wali dans le processus de décision, illustre l’omniprésence de l’État
comme acteur majeur dans la fabrique de la ville. En effet, sous l’égide du wali, ce sont
principalement l’Office de la Promotion et de la Gestion Immobilière (OPGI), chargé de
la production de logements sociaux, la Direction du Logement et des Équipements
publics (DLEP), responsable des programmes de logements aidés ou promotionnels et
des équipements, et la Direction de l’Urbanisme et de la Construction (DUC)
coordonnateur et premier responsable des différentes opérations, qui sont les principaux
acteurs publics dans la production des POS. La commune ou l’APC – représentant les
élus « du peuple » – est souvent le grand absent et la dernière avisée dans ce processus.
Pourtant, première responsable de ce secteur, elle se retrouve souvent dans l’incapacité
de gérer l’espace produit et de répondre aux éventuelles absences d’aménagement et
d’aménités réclamées par le citoyen. Celui-ci, quant à lui, constitue l’exclu manifeste
dans le processus d’élaboration des projets d’aménagement.
Dans cette opération de l’étude du POS SUF, et d’après le point de vue de l’architecte-
concepteur, il a fallu attendre l’agrément du wali, par le biais de son secrétaire général
et de la DUC, pour que le POS puisse être présenté à la daïra de Bir-el-Djir en
novembre 2011 pour approbation, devant une commission composée des différents
représentants des services techniques. Ce timing dans le processus d’élaboration des
documents empêche ainsi de faire valoir des propositions alternatives, des
modifications, voire des revendications. La daïra s’est retrouvée, comme souvent,
impuissante devant cette situation ; elle entérina tout juste le projet. « Après la
présentation du projet, je n’ai reçu aucun retour, aucune demande de révision ou de
modification » déclare l’architecte (entretien juillet 2012).
287
prévue par la loi, constituant la troisième phase de l’élaboration du POS, semble avoir
été éludée, car aucune requête ou revendication n’avait été formulée à l’architecte.
Si dans le principe la législation (loi n° 11-10 du 22 juin 2011) attribue un rôle majeur à
la commune et à la société civile représentée par des associations ou des comités de
quartier dans l’élaboration de projets urbains et dans la gestion de la ville, sur le terrain,
elles n’ont qu’un rôle accessoire. La faiblesse des ressources locales et la limitation des
prérogatives effectives de la commune124 face à la suprématie financière et du pouvoir
de la wilaya, fait que cette dernière se trouve en position de force et affirme agir au nom
de l’intérêt des citoyens. Les ambitieux projets de modernisation d’Oran portés par le
wali, témoignent du décalage entre la profusion rhétorique des nombreux discours de ce
dernier sur sa volonté d’améliorer la vie quotidienne des Oranais et la réalité du terrain.
Comme nous l’avons vu au sous-chapitre des espaces verts, la production des espaces
publics en termes d’aménagement est confiée à différentes institutions qui sont
rattachées soit à la wilaya soit à la commune selon leur importance et selon les secteurs
auxquels ils appartiennent. Une sectorisation à outrance qui rend la coordination
difficile et annihile tout effort d’aménagement raisonné. Par ailleurs, les attributions ne
sont pas stables. Elles varient selon les contingences du moment et les injonctions du
wali. Celui-ci, a le pouvoir de retirer une compétence d’une institution pour l’attribuer à
une autre, s’il estime nécessaire pour le bon déroulement des travaux. Sur le plan de la
gouvernance, cette situation rend autrement plus complexe de savoir « qui fait quoi » et
« comment les choses se font » et « pourquoi la ville a du mal à produire et à gérer ses
espaces publics ordinaires».
A Oran, nombre d’espaces, en particulier ceux des nouveaux quartiers des périphéries,
souffrent d’une absence patente d’aménagements extérieurs. Chaussées, trottoirs,
assainissement, éclairage …, s’ils ne sont pas carrément inexistants, ils sont fortement
défectueux. « Ils ternissent le cadre de vie des Oranais », ne cesse d’annoncer la presse
écrite. Quelques passages illustrent emblématiquement la question :
« Pour relancer les projets en souffrance : Une vingtaine d'avis d'appel d'offres
lancés par l'APC d'Oran : Au courant de la semaine dernière, la commune d’Oran
a lancé les avis d’appel d’offre pour ces projets en souffrance », écrit H. B., Le
Financier, le 12 janvier 2011.
124
Entre 1974 et 1990, l’APC détenait le monopole sur le foncier, une période caractérisée par la
constitution des réserves foncières communales. Ensuite, la loi d’orientation foncière de 1990 leur a ôté
cette prérogative.
288
« Plusieurs cités concernées. Un nouveau programme d'aménagement annoncé
l’opération de réfection des 32 km de voirie urbaine dans la ville d’Oran, pour
laquelle les pouvoirs publics ont consacré près de 20 milliards de centimes, sera
lancée aujourd’hui, a indiqué hier, le maire de la ville M. Zineddine Hassam »,
titre Le Quotidien d’Oran du 08 Avril 2012.
L’aménagement et la gestion des espaces publics font partie des opérations qui relèvent
des Plans Communaux de Développement (PCD), ciblant l’ensemble du territoire de la
wilaya et pour lesquels un budget propre est alloué aux communes. Les différentes
étapes et procédures nécessaires au lancement des travaux d’aménagement des espaces
publics se déclinent en six phases principales :
1) Elaboration des fiches techniques par les communes. Chaque commune par le biais
de ses secteurs urbains se doit de définir les besoins et d’établir tous les documents
inhérents aux travaux d’aménagement ou d’amélioration urbaine de ses espaces publics.
Pour cela, elle doit constituer une fiche technique dans laquelle sont mentionnés les
différents travaux et sites à aménager. Il s’agit d’un travail qui nécessite un personnel
qualifié et un examen attentif des besoins de chaque secteur urbain, et que celui-ci doit
communiquer à la commune. Un travail qui est aussi censé se faire en concertation avec
la population par le biais des comités de quartiers ou des associations, comme la loi le
stipule ; le rôle de l’élu, est ici, prépondérant. Cette opération s’avère longue et
fastidieuse à gérer. Questionnée à ce propos, la responsable du service « VRD » de la
DUC qui s’occupe de cette opération, nous indique que « beaucoup de responsables de
secteurs ou communes ne renvoient pas leur fiches et quand ils sont sommés de le faire,
certains rétorqueront qu’ils n’ont pas assez de personnel pour effectuer ce type de
travail ; d’autres, refusent carrément de les établir, justifiant que la population n’a pas
289
besoin de ce type de travaux » (entretien juillet 2012). En réalité, Les communes ou les
APC sont très mal loties en ressources humaines qualifiées. Elles sont aussi broyées par
la machine bureaucratique liée aux opérations d’attribution des actes d’états civils.
Quant à la procédure d’identifier les doléances des habitants, elle est souvent escamotée
en l’absence de cadre juridique approprié permettant d’appliquer cette démarche.
2) Transmissions des fiches à la DUC. Une fois les différentes fiches techniques
réalisées, elles sont transmises à la DUC qui doit définir la liste définitive de l’ensemble
des sites à aménager et la nature des travaux à engager. La liste étant définie, la DUC
procède à l’inscription administrative des travaux. Pour ce faire, la DUC doit vérifier si
le budget alloué couvre l’ensemble des travaux proposés. Sinon, elle doit procéder à une
sélection des sites prioritaires ou, au cas échéant, à demander un budget supplémentaire
par la wilaya. Là aussi, la procédure se révèle longue à exécuter.
3) Elaboration d’un cahier des charges type. Une fois les travaux inscrits, la DUC
procède à l’élaboration d’un cahier des charges type à l’intention des candidats
potentiels, en l’occurrence les entreprises de réalisation. Selon la loi (Art. 34), « le
cahier des charges du concours doit comporter un programme du projet, un règlement
du concours ainsi que le contenu du pli des prestations et des plis techniques et
financiers ». Encore une fois, cette procédure revêt une difficulté supplémentaire car sa
préparation nécessite des compétences que la DUC souvent ne détient pas. Celle-ci fait
normalement appel à un bureau d’étude public ou privé pour son élaboration. Cette
procédure se révèle, une fois de plus, longue et difficile à mettre en œuvre. Comme nous
l’avons déjà montré, beaucoup de manquements et de défaillances dans les travaux
d’aménagement sont liés à l’imperfection des prescriptions des cahiers des charges.
4) Lancement de l’avis d’appel d’offre et retrait du cahier des charges par les candidats.
Une fois le cahier des charges établi, un appel d’offre par voix de presse est lancé pour
déterminer les entreprises de réalisation. Cet appel d’offre est souvent fait dans la
précipitation, quelques jours avant le délai alloué au retrait du cahier des charges. Il est
aussi souvent mis dans le quotidien le moins cher et donc le moins lu. Dans ce
contexte, beaucoup de projets sont déclarés infructueux de par l’insuffisance de
postulants. Le nombre minimum de trois candidats est requis pour valider la procédure.
Sans cela, cette procédure d’appel d’offre doit être reformulée trois fois, avant qu’une
consultation restreinte soit effectuée et pour laquelle l’APC ou la DUC peut recourir à la
formule du gré à gré et faire appel à des entreprises de leur choix. Celles-ci doivent,
toutefois, répondre aux mêmes conditions minimales exigibles, en termes de
qualification, de classification et de références professionnelles.
5) Dépôt des propositions et choix des entreprises. Une fois le retrait du cahier des
charges fait et après le dépôt des propositions des soumissionnaires qui ont eu la
possibilité de candidater, l’APC avec la DUC met en place une commission des
290
marchés qui procède à l’ouverture des plis pour définir les maîtres d’œuvre (les
entreprises). Dans le pli doit figurer une prestation technique et une offre financière.
Comme la loi le stipule, c’est le soumissionnaire le « moins disant » qui est souvent
retenu (Art. 33). Cette exigence, pratiquée depuis les années 1990, est particulièrement
dommageable à la qualité des travaux. Beaucoup d’entreprises abandonnent les travaux
entrepris en cours de route se rendant compte que le prix proposé est en deçà de ce qu’il
devrait être.
A ce long procédé inhérent aux travaux d’aménagement des espaces publics, il faut
ajouter la coordination et la collaboration avec les services techniques tels que la SEOR
pour l’eau potable et l’assainissement, la SONELGAZ pour l’électricité et le gaz,
l’Algérie-TELECOM pour le téléphone, et les entreprises wilayale, communale ou
privée de plantation d’arbres ou d’autres aménagements. Une coordination autrement
plus problématique car ces services publics qui assurent les installations de leur réseaux
respectifs ont du mal à les réaliser dans les temps impartis des travaux. Ces installations
prennent des mois, voire des années à être exécutées.
125
Autour de quinze (15) pièces administratifs qui justifient les capacités techniques, financières et
commerciales, sont exigés pour que l’entreprise soumissionnaire soit retenue comme éligible à un marché
public, explique notre interviewé.
126
Le code de marché a été révisé en mars 2011 et puis en décembre 2012 pour alléger les critères exigés
par la loi et faciliter les procédures, notamment dans le cas d’infructuosité des appels d’offres. Il a ré-
ouvert la procédure du gré à gré, en particulier entre les entreprises publiques tout en établissant des
dispositifs réglementaires à ce sujet. Une révision qui semble re-favoriser le secteur public et la mauvaise
utilisation de l’argent public.
291
L’ingénieur responsable en charge des travaux des voies et réseaux divers (VRD) de la
DUC que nous avons interviewé, rétorque que « les APC gèrent mal leur budget en
dépit des milliards alloués aux PCD ». Elle ajoute que « sur les 230 milliards de dinars
qui ont été alloués durant le quinquennat 2005-2009, seuls 20 milliards, représentant un
taux de 10%, ont été consommés. Ce budget fut reconduit pour le quinquennat 2010-
2014 auquel fut ajouté un complet supplémentaire. Sur les 60 sites recensés pour
aménagement, 21 étaient en cours d’étude ou de réalisation entre 2010 et 2012 ».
Aujourd’hui en 2013, hormis les rares réfections des trottoirs de quelques rues ici et là,
de quelques chaussées de certaines voies dans les quartiers périphériques, la majorité
des aménagements inscrits relevant de la commune semblent se concrétiser
difficilement. Autrement dit, la plupart des actions qui concernent les travaux
d’aménagement des espaces publics « ordinaires » sont toujours en attente d’une
réalisation effective.
Enfin, de cette enquête et de toutes les autres menées sur le processus de production et
de gestion des espaces publics, ont été mis en lumière deux aspects qui marquent
actuellement les projets d’aménagement à Oran: celui des déclarations récurrentes
d’infructuosité des projets et celui des multiples Procès Verbaux (PV) de carences. Ces
derniers sont établis en raison de l’absence des représentants des services techniques et
des directions dans les réunions des commissions d’approbation des projets. Cette
situation démontre à l’évidence le manque de communication et de coordination entre
les différents acteurs urbains et l’incapacité de ces derniers à assurer une production et
une gestion raisonné des espaces publics.
Il est évident que le processus d’aménagement des espaces publics est lourd et
inefficace. Il est exacerbé à la fois par la pesanteur bureaucratique et de longues
procédures, par un manque évident de compétences professionnelles et techniques, et
par l’absence de coordination entre les services, qui retardent ou empêchent une mise en
œuvre cohérente des projets d’aménagement des espaces urbains.
292
Conclusion de la deuxième partie
Le dessin de la ville n’est pas neutre, il porte en lui des desseins économiques et
sociaux. Au regard du développement économique, l’urbanisation des villes algériennes
demeure très peu liée à la dimension économique basée sur les activités produites dans
les villes, tant que l’économie nationale est fondée principalement sur les ressources
provenant des hydrocarbures. La ville algérienne consomme plus de richesses qu’elle
n’en produise. Trait antinomique au concept de la ville, une ville censée être créatrice
d’emplois et d’entreprises (Ingallina, 2008). Nombre d’auteurs considèrent à ce propos
que le projet urbain est « une démarche opérationnelle ayant pour objet la ville qui
répond à une logique de marché » (Genestier, 1993), comme constat de critique de la
compétition entre les villes dans l’actuel contexte néolibéral global.
Des auteurs qui ont élaboré des recherches sur la question du projet urbain au Maghreb,
révèlent des contradictions manifestes dans lesquelles s’opère la mise en œuvre des
projets urbains. Jean-Paul Carrière (2002) en se référant aux textes de Nassima Dris et
de Karima Anouche sur la problématique de la mise en œuvre du G.P.U d’Alger relève
qu’« elles [ces contradictions] sont le résultat du conflit entre l’aspiration à l’intégration
dans une société en voie de mondialisation, d’une part, et les difficultés croissantes à
répondre aux problèmes de gestion quotidienne de la société locale et de son territoire,
d’autre part » (2002, p.11). Aussi, l’une des objections marquantes est bien la
marginalisation des collectivités locales et l’absence de participation de la société civile
dans la démarche de la fabrique de la ville qui illustrent l’écart par rapport aux principes
théoriques soulignant l’importance de la négociation dans un cadre démocratique et
décentralisé (Cattedra, 2010).
293
Aujourd’hui, ce qui caractérise la pratique urbaine en Algérie, comme à Oran, c’est ce
constat alarmant du décalage manifeste entre les discours et les pratiques concrètes et
visibles sur le terrain. Au même moment où des réflexions urbaines s’organisent autour
des transports urbains, des instruments d’urbanisme et d’aménagement des territoires
urbains, de la métropolisation, de la participation de la société civile et du
développement durable, les perpétuels et gigantesques programmes de logements
sociaux, pérennisant un modèle d’urbanisation décrié à-foison, continuent
incontestablement à construire les pathologies de demain. Nous sommes en présence de
deux univers parallèles qui ont du mal à se rejoindre pour construire une ville plus
durable et plus agréable à vivre où seules la qualité et la gestion des espaces
publics peuvent être garantes.
Dans le contexte actuel, la question des espaces publics est plus que jamais cruciale du
fait que ces derniers sont devenus « des espaces névralgiques où se joueront des
questions sociales sensibles » retient Annick Germain, précisant que « […]
l’aménagement de l’espace urbain, et tout particulièrement des espaces publics […],
sera de plus en plus traversé par des questions sociales complexes » (2002, p. 30).
Occulter cette question dans la pratique urbaine revient à mettre en péril, et de manière
irréversible, l’avenir des villes en Algérie. C’est en ce sens qu’Antoine Grumbach écrit
que « le projet urbain implique une perspective qui a pour objet de régler l’espace
public » (repris in le Moniteur, 2002, p. 28).
Le projet urbain, par ses « vertus » et ses exigences, demeure un vœu pieu dans le
champ de l’aménagement urbain en Algérie. La méthode traditionnelle de planification
à l’œuvre depuis l’indépendance reste fortement prégnante dans la démarche de la
fabrique de la ville. Une démarche qui est, de toute évidence, aux antipodes de la doxa
urbanistique attribuée au projet urbain.
294
TROISIEME PARTIE
295
296
CHAPITRE 6 : SIX PLACES MAJEURES DE
LA VILLE D’ORAN : COMPOSITIONS,
FORMES ET USAGES
297
298
INTRODUCTION DE LA TROISIEME PARTIE
Un espace ne devient public que s’il est pratiqué, investi par les usagers. Espace
physique et espace social entretiennent des relations. Ainsi cette troisième partie est
consacrée aux usages et territorialités des espaces publics. Elle est composée de trois
chapitres. Le sixième chapitre analyse la dialectique entre formes urbanistiques et
architecturales et usages de six places publiques du centre-ville, en les plaçant dans le
processus d’évolution de leurs formes et de leurs pratiques. Le réseau de rues et de
places constitue l’essentiel des espaces publics centraux d’Oran. Comme nous l’avons
montré dans les chapitres 2 et 3, ce réseau d’espaces publics est déterminé par le site
géographique. De même, il est ordonné par des modèles urbains de nature esthétique et
fonctionnelle, d’où le concept de formes urbanistiques et architecturales. Les places
publiques d’Oran semblent être conçues avec des critères esthétiques. Leurs positions
dans le réseau des espaces publics, leurs aménagements et leurs bâtiments alentour à
vocation publique (services, cafés, restaurants, commerces et autre) influencent les
pratiques sociales. Les établissements accessibles au public qui bordent les places font
partie de l’espace public urbain. Dans ce cadre, il s’agit de relever les dispositions
urbaines et spatiales qui peuvent favoriser des pratiques sociales et donner un sens aux
lieux.
En nous inspirant de Guy Di Méo (1996, 2005), la territorialité abordée dans cette
recherche propose une méthode de repérage et d’analyse de « l’espace social ». En ce
sens, deux axes méthodologiques sont proposés: une approche qui fait appel aux
concepts d’espace perçu et d’espace vécu, qui part des habitants et des usagers d’Oran
pour identifier la « nature de leurs liens à la spatialité : concrets et symboliques, réels et
représentés » ; et une voie qui aborde les notions d’espace fonctionnel, d’espace planifié
et d’opérations d’aménagement, pour cerner les pratiques spatiales et les compétences
des usagers à l’œuvre dans les espaces publics. Pour ce faire, nous avons choisi des
places et des lieux bien spécifiques : ceux qui, d’une manière ou d’une autre, par la
simple évocation de leur nom, ou par les conflits d’usages qu’ils abritent, voire par les
nouvelles expériences d’aménagement qu’ils connaissent, se donnent à voire et se
présentent comme des situations à analyser pour saisir les relations qu’entretiennent les
usagers-habitants aux places et aux lieux urbains oranais.
C’est dans cette perspective que nous avons choisi de présenter deux types
d’espaces qui se sont imposés à nous et qui sont associés aux deux idéal-types urbains:
le centre et la périphérie. Si dans le centre-ville, l’urbanité s’illustre toujours avec force,
en périphérie, de nouvelles centralités apparaissent ; créées par une vertigineuse
dynamique spatiale qui est le plus souvent portée par les habitants ; ce qui provoque un
« dégorgement » de l’ancien centre d’entassement, devenu insuffisant par sa structure à
299
porter toutes les activités de la ville. « Urbanité centrale » et « urbanité périphérique »
sont ainsi explorées, en précisant que cette exploration s’est focalisée plus sur la
première que sur la deuxième.
La deuxième place, celle du Commandant Medjdoub (ex Hoche), qui a connu en 2005-
2006 une opération de réaménagement urbain, est explorée sous l’angle à la fois des
conflits entre les acteurs politiques et les usagers-commerçants, et des « compétences »
(Berry-Chikhaoui & Deboulet, 2000), exprimées par ces derniers dans le cadre d’une
action publique volontariste.
Le chapitre 8, quant à lui, examine les pratiques des espaces publics et les moments
d’exception, qui participent à « l’invention » (De Certeau, 1990) des lieux urbains. Il est
composé de trois volets. Le premier met en exergue les formes de « compétences des
citadins » à s’approprier des espaces publics. Le deuxième volet tente de montrer
comment certains lieux fraichement aménagés dans la périphérie Est, par la pratique des
citadins, concourent à configurer une nouvelle centralité. Le troisièmes volet explore les
moments d’exception qui s’accaparent des lieux urbains et contribuent à la fabrique
sociale des espaces publics ainsi qu’à la construction de l’image de la ville.
300
CHAPITRE 6
L’étude des places publiques montre combien la ville est pérenne, combien les traces de
ses tracés anciens sont présentes et combien la composition urbaine «a traité» avec elles.
Il est évident que pour mieux comprendre la composition formelle d’une place, il est
nécessaire d’analyser sa forme et retrouver ses filiations avec ses formes plus anciennes.
Comme nous l’avons décrit dans l’introduction générale, tous les plans présentés dans
ce chapitre ont été réalisés à partir de différents fonds de plans. Il s’agit de :
- Plan d’Alignement des rue d’Oran de 1840, proposé par l’ingénieur Aucour ;
- Plans cadastraux de 1866, dressés par la Municipalité d’Oran ;
- Plan d’Oran de 1890, dressé par la Municipalité d’Oran ;
- Plans cadastraux de 1930-1036, édités par M.M. Danger F.F. (Paris) ;
Pour l’état actuel des places publiques, nous les avons dessinés à partir des relevés in-
situ et précisés à l’aide des images satellitaires de Google Earth.
Les cartes postales et les clichés en noir et blanc, datant du début du XXe siècle, on été
repérées dans les sites internet spécialisés dans les cartes anciennes127.
127
Cf. http://www.africa-onweb.com/pays/algerie/photographies-et-cartes-anciennes/cpa-oran.htm,
http://home.nordnet.fr/jcpillon/piedgris/Oranimages.html.
301
6-1 CHOIX DES PLACES DE L’ETUDE
Le choix des types de places sur lesquelles se base l’examen de l’interface espace
physique – espace social, en effet, s’appuie sur le recoupement de trois catégories
de critères qui portent sur:
a) la période de construction (18ème, 19ème, 20ème siècles) et leur origine (ville espagnole,
ville ottomane, ville conçue pour « les Arabes », ville française), qui conditionnent leur
position dans la ville-centre et leur mode de production (réservée, conquise et
régularisée),
b) leur importance dans les parcours urbains, leur agencement formel et leur cadre
architectural spécifique (centre ville classique, moderne classique),
c) la classification des places opérée par la population questionnée qui s’est appuyée sur
une enquête exploratoire à propos de la territorialité des places publiques. Cette enquête
s’est basée sur un questionnaire destiné aux habitants et usagers d’Oran. La synthèse
des résultats est mieux présentée ci-dessous, dans le tableau 3 (voir annexes A.2 et A.3
éléments d’entretien et questionnaire).
302
L’enquête révèle quatre places significatives : Place d’Armes qui vient en tête avec 90%
du choix des interviewés en tant que place principale et symbolique d’Oran, la Place des
Victoires 10%, la Place Hoche 5% et la Place de la Bastille 5%. Les deux autres places,
celle de la Perle et l’esplanade du Boulevard Joseph Andrieu n’ont été que très peu
citées. Nous pouvons émettre l’hypothèse que pour la première, c’est sa position
actuelle, aux antipodes de la dynamique urbaine d’Oran qui l’a éclipsée de l’imaginaire
collectif. Quant à l’esplanade, c’est son appellation courante de Tahtaha, évoquant en
arabe une aire-étendue, une expression qui n’est sans doute pas associée au terme que
nous avons utilisé de « place » à connotation occidentale, qui l’a escamoté des réponses
des interviewés.
Ces six places ont ainsi été choisies pour mieux saisir à la fois les compositions urbaines
et architecturales, les pratiques sociales et leurs représentations. Cette analyse est donc
organisée en trois points : origine et évolutions, forme urbanistique et architecturale et
usages.
303
Places citées Les plus connues Les plus significatives Eléments de signification
D’Armes 95% 90% Symbole d’Oran, Hôtel de Ville, théâtre, historique, cœur de la ville, la plus
fréquentée, son ampleur, esthétique, point de repère, patrimoine.
Des Victoires 60% 10% La plus fréquentée, cœur de ville, commerces, repère, arrêts de bus
Hoche 40% 5% Espace des fleuristes, centre commercial Anik
des crémeries (square Port Saïd) 15%
Kléber 15%
Du Lycée Lotfi 7%
De la Bastille 15% 5% Espace calme, la Poste, rue commerciale de la Bastille
Du front de mer 7%
De la Perle 7%
Jeanne d’Arc 3%
Tableau 10 : Places les plus connues et les plus significatives (telles qu’elles sont décrites par les questionnés). Réalisation F. Kettaf
Réponses Pourcentage par rapport au Facteurs d’utilisation temporalités Principaux éléments qui favorisent la
des places nombre d’interviewés (400) fréquentation des places
fréquentées Du Dont
total
Oui 40% 50% : Places d’Armes, Accessibilité, Après-midi taille, ampleur, vues dégagées, bancs, végétation
(arbres), cafés, fontaine, édifices publics,
25% : place des Victoires, visibilité été
monuments, arrêts de bus, commerces, sentiment
15% : square port Saïd, perméabilité (traversant) occasion de sécurité, présence policière
point de repère
Non 60% - Insécurité, mal entretenue, mal
aménagée, mal fréquentée (SDF),
inexistence d’activités, circulation
automobile dense
Tableau 11 : Fréquentation des places. Réalisation F. Kettaf
304
6-2 PLACE DU 1er NOVEMBRE 1954 (EX PLACE D’ARMES): DU LIEU DU
POUVOIR A L’ESPACE SYMBOLIQUE
Figure 66 : Place du 1er Novembre 1954 (Place d’Armes) : a) L’Hôtel de Ville, b) Le théâtre.
Sources : Maryse Saurel, c) Vue générale
305
Figure 67 : Fronts de façade continue et ordonnancée et composition d’éléments courants et d’éléments exceptionnels. Réalisation groupe d’étudiants de l’Ecole
d’architecture d’Oran (USTO)
306
6-2-1 Origine et évolutions
Les cartes de 1831, 1840, 1848 et de 1866 (cf. figures 6-10) de l’époque coloniale
française indiquent clairement que la place initiale était attenante au mur d’enceinte et à
la porte d’Alger appelée aussi Bab Essouk (porte du Marché) à l’extérieur de laquelle
se tenait le marché. Une place qui devint après l’occupation française, la nouvelle place
d’Armes128. Elle correspondait aux caractéristiques des places-accès à la ville.
Ainsi la place Napoléon, qui avait récupéré son ancienne dénomination de « Place
d’Armes », fut agrandie pour pendre la forme carrée de 110 m de côté. Une grande
partie de la construction de son espace est dictée par un alignement à l’ouest et au sud
par l’emplacement des constructions qui bordent le quartier israélite bâti sous la
domination ottomane. Son nivèlement au nord est imposé par la présence du Château
Neuf129 au pied duquel se trouve le Cercle Militaire et par l’alignement de la rue des
Jardins. Son élargissement vers l’est était probablement conditionné par la présence du
ravin d’Oued Rouina, comblé pour établir le lien avec la nouvelle ville dont
l’urbanisation fut déjà commencée à partir du milieu des années 1840. A la même
période, le boulevard de l’Empereur commença à être édifié, partant de fossés Sud du
Château Neuf, traversant la place et longeant une partie de l’emplacement des anciens
remparts pour continuer jusqu’à la bifurcation des routes de Tlemcen et de Mascara. Ce
fut l’origine de ce que va devenir en 1880 le futur boulevard National qui s’arrima à la
Place et à l’Hôtel de Ville130.
128
La première place d’armes fut, rappelons-le, la « Plaza Principal », érigée au centre de l’ancienne ville
espagnole.
129
Ancienne forteresse construite au XIVe siècle sur un monticule rocheux qui domine le port.
Aujourd’hui elle est composée du palais du bey, du pavillon de la favorite et du donjon. Son glacis et ses
échauguettes sont assez bien conservés.
130
Il n’est pas inutile de rappeler le changement des noms des rues en cette période du basculement du
régime politique français vers la IIIe République.
307
Figure 68 : Evolution forme de la Place d’Armes entre 1840 et 1890
A gauche, l’espace de la porte est conquis et régularisé pour former la place Napoléon
A droite, la place Napoléon s’agrandie. Elle est rebaptisée place d’Armes et habillée de l’Hôtel de Ville (1886)
Fonds de plan : A gauche plan d’alignement d’Aucour de 1840, à droite plan d’Oran 1890 (Oran)
Traitement et mise en forme F. Kettaf
308
Figure 69 : Evolution formelle de la Place d’Armes entre 1907 et 2013
A gauche, la place est ornée du monument de Sidi Brahim (1898) et du théâtre (1907). Elle est rebaptisée Place Maréchal Foch
A droite, la place est réappropriée et réaménagée par l’administration algérienne (1970). Elle est dénommée Place du 1er Novembre 1954
Fonds de plan : Plan Cadastraux 1930-1936 Danger F.F. (Paris)
Redessinés et mises en forme F. Kettaf
309
6-2-2 Forme urbanistique et architecturale
Selon Lespès (1938), l’emplacement de l’Hôtel-de-ville fut très longtemps discuté. Dès
1856, il opposa civils et militaires. Si la Ville et le Conseil Général avaient choisi le lieu
de la Place Napoléon, le Génie s’y opposait, considérant la « fonction » militaire du lieu
comme appartenant au domaine militaire. Cet emplacement fut aussi un sujet de
controverse entre les membres des Conseils Municipaux : les uns préférant que l’Hôtel-
de-ville reste dans la ville ancienne pour que cette dernière conserve son caractère de
centre des affaires, tandis que les autres souhaitant sa construction dans la nouvelle ville
pour favoriser le déplacement du centre. D’où l’incertitude qui se dégage d’une
politique menée au jour le jour avec beaucoup d’hésitation et de retours en arrière. C’est
en septembre 1867 que fut arrêté l’emplacement de l’Hôtel-de-ville sur la Place
Napoléon, mais les multiples crises (économique et politique) qui affectèrent l’Algérie
jusqu’aux années 1877, retardèrent sa réalisation. Les plans avaient été mis au concours
dès 1873 mais il fallut attendre juin 1882 pour que soit décidée la pose de la première
pierre, accomplie au 14 juillet de la même année (Lespès, 1938).
310
périrent dans une lutte contre les troupes de l’Emir Abdelkader (Cruck, 1958, p. 44 ;
Gandini 1997, p. 25). En 1893 sous la direction du maire Pierre Coutures, commandant
en retraite, l’idée d’un monument rappelant le courage des combattants du Marabout de
Sidi-Brahim, a été lancée et une souscription a été ouverte. Le sculpteur Jules Dalou fut
choisi pour réaliser cette œuvre. Cruck évoque avec détail l’épisode mouvementé en
matière de choix, de mise en œuvre et de financement, suscité notamment par un
descendant du Colonel Montagnac mort dans cette bataille. Le choix de son
emplacement suscita maintes hésitations. Finalement, le conseil municipal sous la
direction du nouveau maire Arthur Gobert décida par quinze voix contre onze de
l’installer, comme proposé par Dalou, au milieu de la place d’Armes (Cruck, 1959,
p. 44-48). Inaugurée en décembre 1898, cette colonne sous forme d’un obélisque orné
de statuts en bronze de gloires ailées apparaît être pensée proportionnellement au
volume de la place pour qu’elle s’y impose (figure 70).
Non loin de l’Hôtel-de-ville, l’Opéra Municipal, agrémente depuis 1907 la façade ouest
de la place. Le théâtre Bastrana qui était situé sur la rue de Turin dans la vieille ville
devenait insuffisant et obsolète. En 1905, Hippolyte Giraud, alors maire et natif d’Oran,
qui fut, écrivait Cruck, « un homme d’une rare culture, nourrie et affinée par
l’expérience acquise au cours de nombreux voyages dans divers grandes villes du
monde » (1958, p. 60), décida de doter la ville d’un nouveau théâtre. En septembre de la
même année il présida la cérémonie de la pose de la première pierre auprès du
Gouverneur Général d’Algérie Charles Célestin Auguste Jonnart, connu pour sa
politique culturelle menée au début du XXe siècle de traduire l’art arabisant de façon
nouvelle dans les nouveaux édifices monumentaux des principales villes.
L’inauguration officielle fut décidée pour le 10 décembre 1907, mais faute
d’achèvement du projet une deuxième inauguration fut effectuée le 29 octobre 1908.
Bon nombre de hautes personnalités civiles et militaires y assistèrent : Le préfet de
Malherbe, le député Trouin et le Général Lyautey suivi des Généraux Vigy, Wetzel,
Espinasse, félicitèrent tour à tour le nouveau maire d’Oran Eugène Colombani131
(Cruck, 1958, p.59-62 ; Pister-Lopez, 2005).
131
Ce maire venait de succéder au maire Giraud décédé en octobre 1907.
311
des façades. Néanmoins, l’architecture est à l’évidence d’inspiration italienne. E. Cruck
(1958) et D. Pister-Lopez (2005) écrivent à ce propos que Louis Fulconis, un artiste
italien natif d’Algérie, fut chargé de la réalisation des statues allégoriques qui couronne
la façade ainsi que de la sculpture de marbre dite de la « Source » qui orne le promenoir
circulaire du rez-de-chaussée132.
Quant à l’aménagement de la place, les plans de 1890 et de 1930 indiquent une place
organisée d’un pavage continu et entourée en périphérie d’une double rangée de ficus
parsemée de palmiers. Ces plans dessinent aussi deux kiosques à tabacs disposés en
coins aux niveaux des passages du transport en commun. La place était, à partir de
1899, le point de départ de plusieurs lignes de tramway, remplacées en 1950 par celles
des autobus.
Figure 70 : Place d’Armes (Maréchal Foch) : Point de départ du transport urbain. A gauche des
lignes de tramway au tournant du XXe. A droite les autobus dans les années 1950
132
E ; Cruck nous donne quelques précisions sur cet artiste : Fulconis Louis, Pierre, Victor est fils de
Louis Guillaume Fulconis débarqué à Alger en 1835. Il fut lauréat de l’Académie du grand prix de
Rome d’anatomie et puis celui de l’Ecole des Beaux-arts de Paris. Il réalisa plusieurs œuvres pour
Paris et pour de grandes villes de France avant de venir à Oran en 1904. Né à Alger en 1851, il
mourut à Oran en 1913 (Cruck, 1958, p.62).
312
consacrée à la fonction d’espace de stationnement du tramway133 remplacé à partir de
1950 par celui des autobus, tandis que la partie sud semble avoir été réservée à la
fonction d’espace de détente, de décor et de la parade militaire. La place fut un lieu de
vie et un espace public majeur pour la ville, et ce depuis les premiers temps de
l’occupation française, quand elle était confinée à l’intérieur des remparts. Lespès
souligne, à ce propos, l’importance de l’animation qui prévalait à Oran vers 1846
« dû[e] certainement à la présence d’une garnison nombreuse, et des indices de
prospérité commerciale indéniable… » (Lespès, 1938, p. 142). Les fêtes, les réceptions,
les bals officiels, le carnaval et les cafés se sont multipliés. La rue Philippe, la place
d’Armes et la rue Napoléon étaient les principaux lieux de ces activités. Oran avait pris
les habitudes des villes françaises, y compris la musique militaire du jeudi et du
dimanche, qui avaient lieu à la Place d’Armes ou promenade de Létang134 (Lespès, Op.
Cit, 1938). Lieu symbolique elle était et lieu symbolique elle est restée jusqu’à nos
jours. Cette place demeure dans l’imaginaire collectif l’emblème de la ville.
Figure 71 : Place Maréchal Foch dans les années 1920 : espace de détente pour Européens
133
C’est une société lyonnaise représentée par M. Faye qui a mis en circulation des tramways électriques
dans la ville en 1899 (Cruck, 1959). Six lignes desservaient la ville et ses faubourgs ; le point de départ
fut la place d’Armes (Lespès, p.207).
134
Lespès s’appuie sur les récits de Derrien, De Quivières et Rozet pour décrire l’animation intense qui se
tenait depuis 1840: installation d’un théâtre provisoire place d’Armes en 1844, la venue des troupes
anglaises et espagnoles et du Karagousse en 1847, l’approbation de la construction d’un théâtre sur les
jardins de Bastrana situés sur la rue Philippe en 1848 (1938, p.142-144).
313
flux des usagers d’autobus avait rendu l’espace de plus en plus incommode et pollué.
Aussi l’aménagement par les collectivités locales dans les années 1970 d’un ensemble
de massifs floraux au sol limités par des parapets et d’une grande fontaine disposée au
pied du monument de Sidi-Brahim, ont eu pour effet non seulement de la dégarnir de sa
végétation d’antan mais aussi de la rendre quelque peu imperméable (figure 72).
Figure 72 : Pratiques diversifiées de la Place du 1er Novembre 1954. Photo : F.Kettaf (avril 2011)
314
6-3 PLACE MAGHREB (ANCIENNE PLACE DE LA BASTILLE): D’UNE
PLACE DE L’EGLISE A UN APPENDICE COMMERCIAL
Située en bordure d’une voie importante, la rue Khemisti (ex rue Alsace-Lorraine), la
Place du Maghreb s’insère dans une zone marquée par des pratiques commerçantes et
de parcours à l’échelle de la ville. En effet, la place lie plusieurs quartiers environnants
et plusieurs rues fortement commerciales. Elle est étroitement associée à la rue des
Aurès, ex rue de la Bastille, connue, depuis la période coloniale, par sa fonction de rue-
marché (figure 76).
Il apparaît, en effet, que la place occupait le centre de ce qui fut le premier quartier
construit par les Européens qui venaient s’installer sur le plateau Karguentah. Son
histoire urbaine est étroitement liée à celle de l’église Saint-Esprit qui regroupait les
fidèles habitant hors des remparts. Celle-ci qui commença à s’édifier à partir de 1851
constituait le seul édifice important sur une vaste place et dont le clocheton culminait au
dessus des maisons éparses qui l’entouraient (Gandini, 1992, p. 105). En 1858, les
habitants réclamaient un marché quotidien. La Municipalité leur donna satisfaction et
décida de l’installer sur la place face à l’église. Mais quand il a fallu transformer la
place en marché couvert en 1861, ce dernier suscita des oppositions sur son
emplacement et sur le trouble que sa présence pourrait apporter à l’exercice du culte.
C’est finalement le plan de 1880 qui affecta l’emplacement du marché couvert qui sera
édifié à l’intersection de la rue d’Arzeu prolongée et celle de Mostaganem, aux abords
de la place-carrefours de Karguentah (Lespès, 1938). Toutefois, la pratique du marché
en plein air de la place du Saint-Esprit semble avoir migré peu à peu vers la rue
attenante du même nom, rebaptisée au tournant de 1880 rue de la Bastille (aujourd’hui
rue des Aurès). La place ainsi libérée articulera autour d’elle à mesure dans son
évolution, le bâtiment des PTT au nord, le Grand Hôtel à l’ouest, et les immeubles
d’habitation au sud et à l’est dont les hauteurs dépasseront fortement celle de l’église du
Saint-Esprit (figures 73-74).
315
La place a connu deux noms successifs durant l’époque coloniale française : d’abord
celui du «Saint Esprit » qui se rattache à l’église et la rue du même nom, et qui lui
attribue, du moins sur le plan symbolique, un rôle religieux ; puis celui de « la Bastille »
qui remémore la Révolution française de 1789 qui renvoie à une connotation à
caractère civique, républicain, « séculaire », voire laïque. Après l’indépendance, elle
prend le nom de place du Maghreb. Cette dénomination illustre sans nul doute la
solidarité maghrébine qui se manifesta par le soutien des pays voisins – Maroc, Tunisie,
Libye – à la cause algérienne pendant la guerre de libération. Aussi, elle symbolise en
quelque sorte la reconquête d’un espace maghrébin historique, longtemps ébranlé par
les diverses occupations.
Partant d’un parvis d’une petite église, celle du Saint Esprit, l’espace paraît avoir évolué
vers une place destinée à servir de cadre architectural à la Grande Poste et au Grand
Hôtel. C’est une place de forme rectangulaire de 54 x 80 m et de proportions modestes.
Elle est aménagée à partir des années 1880 par une rangée périphérique de ficus. La
partie centrale est occupée par un massif floral circulaire entourant une petite fontaine,
et bordée de part et d’autre d’une rangée de trois palmiers. Les hauteurs des bâtiments
qui la bordent varient aujourd’hui entre trois à six étages et lui donnent un caractère
relativement intime.
316
Figure 73 : Evolution de la Place du Maghreb entre 1866 et 1890
A gauche, l’espace est destiné au parvis de l’église du Saint Esprit et appelé place du Saint-Esprit
A droite l’espace est réaménagé après 1870 en place arborée et rebaptisée place de la Bastille
Fonds de plan : a gauche plans cadastraux 1866 (Oran), a droite plan d’Oran 1890 (Oran)
317
Figure 75: Place du Maghreb. A gauche le bâtiment des PTT et à droite le Grand Hôtel
Figure 76 : Rue ded Aurès (de la Bastille). A gauche période coloniale, source: E Strullu. A
gauche en 2013
Aujourd’hui, aussi bien le Grand Hôtel que l’église ne sont perçus comme des édifices
exceptionnels en raison de la végétation dense et du manque de recul qui gênent leur
visibilité. En revanche, la Grande Poste et l’important élément végétal qui orne la place
assurent à la place une forte présence. Cette ambiance végétale est soutenue par
l’enveloppe des hauts murs ceinturant la place qui ajoutent une atmosphère intime à
l'espace et renforcent la perception d’enclos. En effet, bien que les quatre angles de la
place soient ouverts sur le tissu alentour, la continuité des façades et la sensation de rues
étroites sont telles que le regard ne s'échappe pas hors de l'espace.
De par sa position aux abords des artères les plus commerçantes d’Oran et des édifices
importants qui l’entourent, la place offrait à bien des égards diverses possibilités
318
d’usages. Les pratiques qui s’y développaient durant la période coloniale étaient en
effet multiples liées principalement au culte catholique, aux commerces, aux loisirs et
aux affaires. La vente des fleurs qui jalonnait la rue piétonne de la Bastille lui attribuait
un caractère tout à fait singulier. Houari Chaïla (2002) nous raconte, relatant sans doute
les années 1940-1950, que la place était particulièrement bruyante en fin d’après-midi,
après les heures de travail, avec les deux cafés « l’Aiglon » et le « Vallauris » qui la
bordaient de part et d’autre135. Il écrit que sous les palmiers entourant le jet d’eau, des
vieux retraités venaient s’y asseoir sur les bancs publics. Aussi et d’après Jacques
Gandini (1997), chaque début d’année, évoquant aussi la même période, se déroulait
sur la place, à cinq cents mètres du lycée des garçons Lamoricière, la traditionnelle
bourse aux livres scolaires. La librairie « Chazaud » qui occupait un coin de la place
contribuait à cet évènement annuel.
135
Houari Chaîla n’indique pas les dates ou les périodes de ses pratiques, mais étant natif d’Oran, il relate
son propre vécu. C’est ainsi qu’on a pu estimer la période.
319
figure parmi les moins citées dans notre enquête. Elle est apparemment supplantée par
la rue des Aurès, ce marché de fruits et légumes à ciel ouvert qui est devenu le marché
le plus populaire d’Oran. Appelée toujours dans le langage courant rue de la Bastille,
cette rue-marché, contrairement à la place qui lui est attenante, s’est forgée au fil du
temps une forte image dans la mémoire collective. Sa réputation et son rayonnement
marchand, par le biais des Emigrés et des commerçants, ont carrément traversé les
frontières algériennes.
320
6-4 PLACE KAHINA (EX JEANNE D’ARC): DU LIEU RELIGIEUX AU LIEU
CULTUREL
Quant à l’aménagement de la place, deux rangées de ficus sont disposées le long des
deux voies latérales. La partie centrale est occupée par quatre palmiers qui entourent la
statue équestre de Jeanne d’Arc érigée en 1931. Celle-ci procurait au parvis une
dimension spirituelle et sociale destinée aux seuls Français et Européens. Elle fut
emportée par les Français au lendemain de l’indépendance et son emplacement fut
aménagé par un massif floral. Aujourd’hui la place porte le nom officiel de Place
Kahina à l’effigie de la combattante berbère Kahina.
321
6-4-2 Vie urbaine : un espace de passage
Aujourd’hui, les pratiques sociales en œuvre sont liées en grande partie à la nouvelle
fonction de la cathédrale convertie en 1985 en bibliothèque régionale. La place connaît
un mouvement incessant des usagers et notamment les jeunes élèves et étudiants. Elle
porte aussi d’autres pratiques. Son organisation urbaine et sa position d’articulation
entre deux parties de la ville lui octroient un rôle de lieu de passage incontournable au
bord duquel deux cafés, de part et d’autre de la place, s’étendent en terrasse sur le parvis
et à l’ombre des ficus. Deux kiosques multiservices installés en périphérie de la place et
au bord du boulevard 2e Zouaves (Hamou Boutlélis) ajoutent une vie urbaine au lieu.
L’imposant escalier de la cathédrale offre l’opportunité aux jeunes de s’y reposer
(figure 82).
Pour améliorer le mouvement piéton et donner une animation à la place, une des rues
latérales utilisée comme le lieu de passage entre deux importantes parties de la ville
s’est vue, dans les années 1990, piétonniser et aménager par une rangée de boutiques et
d’arcades. Cependant, cet agencement, entrepris par la Commune, a rendu l’espace
difficilement perceptible et moins sûr. Autrement dit, un aménagement encombré a
manifestement accéléré le délabrement prématuré de l’espace et a créé un sentiment
d’insécurité chez les usagers.
322
Figure 81 : Evolution de la Place Kahina entre 1913 et 2013
En haut, la Place Jeanne d’Arc au pied de la cathédrale du Sacré Cœur
En bas, la place Kahina est piétonnisée et aménagée en 1990 par des arcades et des boutiques. La
cathédrale est convertie en Bibliothèque régionale en 1985
Fonds de plan : Plan Cadastraux 1930-1936 Danger F.F. (Paris)
Redessinés et mises en forme F. Kettaf
323
A)
B) C)
Figure 82 : Pratiques de la Place Kahina. A) espace de passage, B) espace pour terrasse de café,
C) escalier utilisé par les jeunes de la bibliothèque pour s’assoir
Photo F. Kettaf (avril 2011)
324
6-5 PLACE ABDELMALEK RAMDANE (EX DES VICTOIRES) : « UN
CARREFOUR TU DEMEURERAS ! »
La place des Victoires correspond, selon les urbanistes du XXe siècle, au modèle du
carrefour de dégagement. L’organisation des flux ne peut à elle seule expliquer sa
création. Conçue au cœur de la nouvelle ville, la place est certainement le produit d’une
fusion entre anciennes et nouvelles pratiques urbaines, qui annonce la création d’un
nouveau quartier (figure 83).
Figure 83 : Place des Victoires dans les années 1950, source : Gomez
L’espace initial est constitué d’une petite place réservée de 30 X 70 m qui articule la
rue d’Arzew à la rue Mirauchaux. La poussée de la ville vers l’Est a pris en étau le
vaste espace occupé depuis1838 par les quartiers de cavalerie et d’artillerie situés entre
la rue d’Arzew et la mer. Déclaré d’utilité publique dans les années 1900, leur
démantèlement a annoncé la réorganisation profonde de cette partie de la ville. Une voie
monumentale est donc ouverte, l’Avenue Loubet, autour de laquelle l’ensemble du
quartier s’organise. Cette dernière plantée d’un alignement d’arbres bordant de larges
trottoirs lie le futur boulevard Front de mer à la rue d’Arzew. A cette jonction, un nœud
de rapport se dégage, marqué par un rayonnement de rues. Ainsi le tracé incrémental de
la rue d’Arzew se conjugue à la percée haussmannienne de l’avenue Loubet formant à
leur confluence une place-carrefour qui articule le centre avec les futurs quartiers Sud et
Est en formation. Dans les années 1940-1950, la place est agrandie, en démolissant un
îlot entier, et devient une place importante qui aère cette partie de la ville (figure 84).
325
6-5-2 Forme urbanistique et architecturale
Malgré qu’elle soit dépourvue de monument ou édifice marquant, elle constitue la partie
la plus connue de la ville. Sa position centrale, son emplacement à la jonction de deux
artères principales, sa forme géométrique très étendue et ses fronts bâtis continus et
ordonnancés dont un est surmonté par des arcades, lui procurent une forte image. Après
la place d’Armes, c’est celle qui est la plus citée dans notre enquête.
De par sa situation au cœur d’un carrefour important, la place des Victoires constitue un
repère majeur pour les Oranais. Les arrêts d’autobus et le mouvement piéton et
automobile lui octroient l’image d’une place très fréquentée et animée (figures 85 A-B).
Les activités intenses qui s’y déroulent sont dues principalement aux commerces et aux
loisirs (magasins, cafés, restaurants, …). Elles renforcent cette image de place forte sans
toutefois avoir une relation directe avec elle. La place des Victoires, carrefour
circulatoire et point de passage incontournable, aujourd’hui s’engorge, s’étouffe,
espérant une incertaine réorganisation du flux. En attendant, les collectivités locales ont
dû percer, en 2009, une partie du square introduisant une voie mécanique pour
permettre aux bus de s’arrêter aux arrêts sans perturber la circulation automobile comme
l’indique la figure 85 C.
326
Figure 84 : Evolution de la Place Abdelmalek Ramdane
A) Place carrefour réservé des Victoires. Fond de plan : Plan d’Oran 1890 (Oran)
B) réorganisation de la place articulant la nouvelle avenue Loubet au début du XX e
C) agrandissement de la place aménagée en double square dans les années 1950.
Fonds de plan : Plan Cadastraux 1930-1936 Dansger F.F. (Paris)
Redessinés et mises en forme F. Kettaf
327
A) Place qui articule rue d’Arzew et avenue Loubet
328
6-6 PLACE CDT MEDJDOUB (EX HOCHE) : D’UNE PLACE DE QUARTIER
A UNE PLACE DE VILLE
Son histoire urbaine est étroitement liée au projet de désenclavement des quartiers qui
constituèrent autrefois les quartiers Nord et Sud de Karguentah. Initialement la place
occupait le centre du quartier Sud dit de Saint-Pierre (aujourd’hui Yaghmoracen) ; elle
devait participer à aérer la structure urbaine particulièrement dense formée par les rues
étroites du quartier. Initialement « réservée », elle fut « conquise » par l’agrandissement
de son espace pour s’ouvrir sur le quartier Nord. En effet, l’ouverture de la place
s’esquisse dans une période où Oran connaît un remaniement important de l’espace
urbain de cette partie de la ville. Les Grands travaux de dégagement des quartiers Sud,
Nord et Est menés entre 1930 et 1937 ont permis l’agrandissement des places Hoche et
des Victoires afin de donner un dégagement latéral à la rue d’Arzew qui est devenue
étroite et insuffisante pour la circulation intense qui prévalait alors (Lespès, 1938).
La place Hoche dotée d’une forme rectangulaire de 124 X 40 m fut affectée à mesure de
son évolution par des hauts immeubles d’habitation, de l’agrandissement de la cave
vinicole de Sénéclauze et d’une école. Entièrement pavée et aménagée de bancs et d’une
statue à l’effigie du Général de la Révolution Lazare Hoche, elle sera réaménagée pour
servir exclusivement de parking après l’indépendance. Elle sera habillée dans les années
1990 d’un centre commercial El Anik qui la ferme dans sa partie sud et ensuite dans les
années 2000 d’une mosquée de quartier qui occupe l’angle sud-ouest sans avoir une
relation directe avec la place. C’est ainsi que sa composition regroupe des édifices
d’architecture de styles diversifiés, avec une référence à l’art nouveau, au néoclassique
et à l’architecture résolument moderne. L’imposante rangée d’arbres qui court
principalement en son axe médian lui procure un capital végétal appréciable. En 2005
une opération de réaménagement fut engagée pour évacuer le stationnement qui
encombrait et polluait le lieu. Elle fut surtout entreprise pour dégager de l’espace pour
permettre aux commerçants fleuristes exerçant à la rue Mohamed Khemisti de s’y
installer. Ainsi, la place fut aménagée par deux rangées de huit kiosques à fleurs
implantées tout le long de la place (figures 86-87-88).
329
Figure 86 : Evolution de la place Cdt Medjoub entre début du XXe et 1950
A gauche, la place Hoche réservée d’un lottissement
A droite la place Hoche ouvert à la ville qui aère la rue d’Arzew
Fonds de plan : Plan Cadastraux 1930-1936 Danger F.F. (Paris)
Redessinés et mises en forme F. Kettaf
330
A) Place aménagée en parking après l’indépendance
331
6-6-3 Vie urbaine : l’ambivalence des pratiques urbaines
De par sa forme très allongée dont le petit côté est ouvert sur la rue d’Arzew, la place
revêt des pratiques urbaines à deux échelles de la ville. La partie Nord, celle arrimée à la
rue d’Arzew est occupée par des pratiques commerçantes à l’échelle de la ville : ici, la
vente de fleurs s’y exerce avec vigueur. La partie sud est consacrée plutôt par des
usages à l’échelle du quartier : Là, on y trouve des commerces, services, et une mosquée
de proximité. C’est là aussi que les enfants du quartier viennent jouer dans le seul petit
espace ouvert et dégagé au milieu de la place et que les quelques personnes âgées
viennent s’asseoir dans les interstices entre les kiosques, sur les bords des espaces
dédiés aux massifs floraux. Dans cette partie sud, la présence du centre commercial et
des kiosques à fleurs qui sont consacrés à des pratiques à l’échelle de la ville n’a pas
contribué à intégrer cette partie à la dynamique du centre-ville. L’annihilation
marchande du centre commercial et la désaffection de plusieurs kiosques à fleurs dans
cette partie de la place, en témoignent (figures 89).
A) Côté Sud : kiosques désaffectés et anciens et enfants du quartier investissent les interstices
332
6-7 BOULEVARD DE L’INDEPENDANCE (EX JOSEPH ANDRIEU): DE LA
TAHTAHA DES « ARABES » A LA PLACE MODERNE
Un Village des Djalis (Etrangers) appelé « improprement » Village Nègre, fut créé en
1845 par le Général Lamoricière pour regrouper et fixer les populations autochtones
contraintes de quitter la ville, comme nous l’avons indiqué au chapitre 2. Il fut
probablement greffé à un bourg existant appelé Kelaïa que le plan d’Oran de 1831
indique par le toponyme « Village arabe », et rattaché au Chemin du Figuier, un
parcours qui reliait la porte Saint André (ex porte des Carrières) au principal cimetière
musulman (Tamashouet) à l’extérieur des murs d’enceintes espagnoles. En analysant les
cartes anciennes de 1848 et de 1861 (cf. figures 9, 10) nous distinguons que le Village
Nègre était organisé en deux parties séparées par un large espace qui fut aménagé par un
chemin qui relie la porte Saint André au cimetière chrétien nouvellement créé136 (figures
90). Le développement de la ville nouvelle allait prendre en étreinte le Village Nègre.
Selon Lespès (1838), le plan d’alignement de 1867 proposé par la Commission
communale, prévoyait la promotion de ce chemin en une voie importante dénommée
« Boulevard du Sud » qui aboutirait jusqu’à la porte de Valmy du mur d’enceinte de
1866. Sa largeur de 44 m vue par « la Commission départementale, comme étant
« insolite » » (Lespès, p.165), a été finalement consacrée à la seule partie qui traversait
le Village Nègre. C’est à ce niveau que cette largeur sera dédiée à l’aménagement de la
place principale de ce Village. Sa forme rectangulaire très allongée de 44 x 296 m lui a
valu son nom d’esplanade (figures 91-92).
136
Nous n’avons aucune information qui expliquerait la motivation du Général Lamoricière de créer ces
deux entités séparées. Plusieurs hypothèses peuvent être formulées : est-ce pour séparer les différentes
tribus qui occupaient le plateau de Karguentah ? Ou est ce pour préserver un espace de regroupement déjà
existant au bord du village arabe Kelaîa sur lequel fut greffé une deuxième entité? Ou, encore, est ce pour
préserver le chemin du Figuier qui passait peut être à cet endroit au lieu de l’actuelle rue du Figuier ?
333
Légende:
1 : Boulevard du Sud 3 : Rue du Figuier 5 : Place de la Liberté
2 : Place Sidi Blal 4 : Place Adelaïde 6 : Place Laurence
334
Figure 91 : Evolution de la Place de l’Indépendance entre le début du XXe et 2013
A gauche, le boulevard du Sud est aménagé en esplanade et rebaptisé boulevard Joseph Andrieu
A droite la place réaménagée en une esplanade continue et ornée d’un monument aux morts des
Martyrs de l’indépendance
Fond de plan : Plans Cadastraux 1930-1936 Danger F.F. (Paris)
Redessinés et mises en forme F. Kettaf
335
La Village Nègre qui fut rebaptisé Ville Nouvelle dans les années 1950, dénomination
reprise littéralement en arabe par Médina J’dida après l’indépendance, est constituée
de deux quartiers séparés par l’esplanade Tahtaha : un à droite appelé Medinet El
Haddar, et un à gauche, nommé Sidi Okba. Mais c’est ce dernier qui forme dans
l’imaginaire collectif la Médina J’dida dont le centre névralgique est la rue du Figuier et
le marché Sidi Okba qui s’illustrent par leurs intenses activités commerciales. Quartier
bouillonnant aux multiples facettes, ce quartier-marché à caractère « mi-oriental mi-
occidental » (expression empruntée de Houari Chaïla, p. 110), porte en lui des espaces,
des pratiques et des images fortement symboliques. A l’instar de l’esplanade Joseph
Andrieu, La place Adelaïde et la place Sidi Blal, pour ne citer que ces espaces,
occupent un rôle majeur dans la mémoire populaire.
La place Adélaïde, un espace au milieu duquel se dressait une fontaine publique qui
alimentait le quartier jusqu’aux années 1970, représente pour les anciens habitants ces
images d‘un va et vient incessant et bruissant d’enfants venant remplir leurs bidons en
métal avec une nonchalante gaieté137. Malgré qu’elle soit renommée, après
l’indépendance place Gounami Mohamed, un nom inconnu de tous, elle garde toujours
son nom populaire de place Sebalet Et-Tolba (de la fontaine des ascétises). La place
Sidi Blal porte la Kouba (sanctuaire) du marabout de Sidi Blel qui représente un des
nombreux saints patrons de la ville vénérés par les Oranais, symbolise un lieu de
pèlerinage où chants, danses et cérémonies religieuses s’y pratiquaient périodiquement.
Elle gardera officiellement, mais corrigé, le nom de place Sidi Blel à l’effigie de son
mausolée.
La Ville Nouvelle appelée Médina J’dida est, en effet, étroitement associée à une
pléiade de figures, celles des marabouts ou Oualis, des confréries, des zaouïas
(mosquées-écoles) et des fêtes religieuses, mais pas seulement. Elle doit une part de sa
renommée à son rôle de berceau de la résistance algérienne, de la chanson oranaise
portée par les illustres Blaoui Houari et Ahmed Wahby et de la diffusion de la célèbre
musique Raï.
Si la rue du Figuier qui longe le marché Sidi Okba est connue par sa pratique
marchande majeure qui peu à peu s’est déployée sur l’ensemble des rues et des places
du quartier, la Tahtaha est marquée des pratiques plus spécifiques liées aux loisirs et au
regroupement. Ce vaste espace n’ayant pas reçu d’aménagement jusqu’aux années 1890
en vue d’activités choisies, était employé indifféremment comme lieu de détente, de
rencontre, d’échanges commerciaux ou plus particulièrement de rassemblement lors des
fêtes populaires. Cette place était, en effet, souvent destinée aux fêtes périodiques,
137
Propos receuillis d’une ancienne habitante de la place. Houari Chaïla l’évoque aussi dans son récit.
336
organisées par la population autochtone d’Oran, qui sont données pour célébrer soit les
Ouaâda, ou les Moussem en hommage aux marabouts, soit les cérémonies religieuses
comme les Aïds ou le Maoulid En-Nabaoui (naissance du Prophète). Ainsi des
« fantasias » sont souvent organisées par des troupes de Shâb el Baroud et de Karabilas
(les gens de la poudre et carabiniers) et accompagnées de chants de Karkabou et de
ghaïta, fins mélanges de musiques locales et africaines, autour desquelles s’amasse une
foule bigarrée et enchantée composées de la population autochtone d’Oran et d’ailleurs
qui viennent commercer. Quand elle fut aménagée en Esplanade Joseph Andrieu, c’est
là où partaient les calèches qui transportaient les clients vers les quartiers où vivait
majoritairement une bonne partie de la population musulmane (c’est-à-dire les
quartiers : Lamur, Lyautey, Eckmühl, Victor Hugo) ; ils seront remplacés plus tard par
les taxis (Chaïla, 2002). Les nombreux cafés typiquement « arabes » donnaient en fin de
journée « une animation inaccoutumée » et bruyante de milles sons au spacieux
boulevard Joseph Andrieu, rapportait Cruck (1958, p. 331).
337
A) Tahtaha
La configuration spatiale des places examinées correspond à celle que l’on désigne
communément sous le nom d'espace urbain traditionnel. Cette configuration repose sur
le découpage en îlots-parcelles qui définit et construit l'espace extérieur. De par la
juxtaposition des bâtiments les uns à côté des autres suivant un parcellaire plutôt dense,
la structure du tissu urbain donne ainsi forme aux rues et aux places. M. Carmona, en
citant les propos de Cozen, explique à ce propos que « l’occupation du sol, la structure
des bâtiments, le type du parcellaire et le type de rue » sont considérés comme les
éléments clés des tissus urbains (2003, p. 61). En effet, l’espace urbain traditionnel
338
d’Oran montre l'évidence du couple îlots-parcelles ordonnant et enveloppant les places
publiques.
Les places constituent des vides urbains positifs parce qu’elles sont entourées
d’enfilades de façades continues où les bâtiments sont fortement attachés et où l'espace
semble être « sculpté » dans la masse bâtie. Cette disposition physique crée un sens
d’enclos où le regard est arrêté et ne peut « glisser hors du tableau » donnant à l’espace
une identité singulière, une « existence propre » (Zucker, 1959 ; Alexander,
1977 ; Gibberd, 1979 ; Booth, 1983 ; Baker, 1996).
Initialement conçues pour la grandeur et/ou pour exhiber un ou des édifices publics, les
places analysées, hormis la Tahtaha, possèdent des caractéristiques artistiques
communes. Elles se rangent dans la catégorie de la place « nucléaire » et/ou de la place
« directionnelle » selon les archétypes de Paul Zucker (1959) et suivant le concept de
place « en largeur » ou « en profondeur » selon les principes de Camillio Sitte (1889).
Cette qualité établie de « l’enclos » est l’expression la plus manifeste du sens du lieu.
Du point de vue de leur organisation spatiale, elles sont disposées de telle manière qu’à
l’intérieur de l’espace le regard ne s’évade pas au dehors, un dispositif clé pour produire
un espace suffisamment clos. Elles possèdent des formes géométriques claires. A ce
propos, Robert Krier note qu’« un espace extérieur ne peut être vécu comme un espace
urbain que s’il possède des caractéristiques géométriques et esthétiques extrêmement
lisibles » (Krier, 1980, p.6). Aussi, la Place d’Armes, la Place Jeanne d’Arc et la Place
de la Bastille sont dominées par un ou plusieurs bâtiments imposants vers lesquels la
place s’oriente et autour desquels s’organise l’ensemble de la structure urbaine. En ce
sens, elles sont dotées d’une forte « lisibilité » (Lynch, 1976 [1960]).
La place est généralement une construction globale, fondée sur la relation qu’entretient
le vide aux surfaces enveloppantes. Celles-ci jouent un rôle primordial dans l’image de
la place et dans l’imaginaire collectif des habitants. En ce sens, l’Hôtel de Ville, le
théâtre, la cathédrale du Sacré Cœur et la Grande Poste constituent des bâtiments
exceptionnels vers lesquels s’orientent les regards. La place et les voies qui y accèdent
procurent les dégagements nécessaires à la mise en valeur et à la bonne lecture des
éléments architecturaux propres à chaque édifice autour desquels se concentre
l’essentiel du décor. Ces monuments contribuent à produire, au regard du concept de
« radiance » proposé par Pierre Von Meiss (1993), un véritable sens du lieu.
Les fronts de façades continues des constructions environnantes procurent une unité
architecturale qui contraste avec l’architecture exceptionnelle du monument renforçant
ainsi la lisibilité de la place. Visuellement, ces bâtiments sont fortement liés si bien que
l’effet d’enclos est maintenu et l’œil de l’observateur ne peut s’extraire hors de l’espace.
Cette situation se retrouve dans l’ensemble des places analysées. Cette réflexion est
renforcée par Matthew Carmona et al. (2003) quand ils notent que C. Sitte rejette le
339
concept des bâtiments comme objets isolés dans l’espace (p. 142). Pour Sitte le critère
esthétique fondamental d’un bâtiment est inhérent à la manière dans laquelle sa façade
définit l’espace extérieur et comment il est vu de l’intérieur de cet espace. A cet égard,
plus les bâtiments sont liés les uns aux autres plus le sens du lieu est probable de se
produire.
Obélisque, fontaine et statue implantés au milieu des places sont des monuments
importants qui procurent une forte image à la place. Ces objets focaux qui catalysent le
regard et aiguisent la perception incitent au rassemblement du public. Alexander et al.
(cité par Carmona, 2003, p. 173) notent qu’une place publique sans un élément en son
centre peut vraisemblablement rester vide. Procurant identité et caractère, cet objet
particulier peut aussi provoquer une « triangulation ». Celle-ci est définie par William
H. Whyte (1980, p. 94) comme un processus par lequel un stimulus extérieur permet un
lien entre les individus et pousse des personnes étrangères les une aux autres à se parler
comme si elles se connaissaient. En effet, l’ordonnancement des différents mobiliers
urbains – bancs, téléphones, fontaines, sculptures, statues, … – peut favoriser ou non
l’interaction sociale.
L’imposant obélisque de Sidi Ibrahim entouré d’une grande fontaine à la place 1er
Novembre 1954 constitue un point focal majeur. Il est surmonté de la gloire ailée
symbolisant la conquête française est sculpté à sa base par le portrait en relief de l’Emir
Abdelkader, une figure emblématique de la Révolution algérienne. La juxtaposition des
deux symboles peut être vue comme un élément de controverse. Cependant, elle est
largement ressentie comme une manifestation historique d’un héritage commun qui est
importante émotionnellement pour les habitants. Ces symboles constituent des « valeurs
qui durent et transcendent la vie humaine » donnant au lieu sa puissante charge
symbolique. A ce propos, Holland et al. considèrent que des points et monuments
focaux qui participent à définir et à ponctuer les espaces, même s’ils sont polémiques,
sont enclins d’attirer les individus à l’intérieur (2007, p. 12).
Si le sens du lieu, à la lumière de ce qui a été dit plus haut, est inhérent aux propriétés
visuelles et morphologiques de la place, il implique aussi symboles et significations
d’attachement à un lieu, un sens d’appartenance. L’argument est que les citadins ont
besoin d’identité et de valeur d’appartenance à un territoire spécifique. Christian
Norberg-Schulz note « qu’être à l’intérieur » est l’intention primordiale qui se situe
340
derrière le concept du lieu (1971, p.25). Crang (1998) suggère que les lieux procurent
un ancrage des expériences partagées entre la population, et une continuité à travers le
temps.
Quand bien même les places publiques d’Oran sont connues et facilement identifiables,
il n’en demeure pas moins qu’elles soient peu pratiquées compte tenu de l’importance et
du rôle qu’elles occupent dans la structure urbaine. La pratique dominante est fortement
liée à celle du « mouvement » dans la place. Hormis la place de la Perle qui est à
l’antipode de la vie oranaise, les places sont caractérisées par leur position au cœur du
mouvement de circulation piétonne et automobile du centre ville. Elles sont, en effet,
organisées - avec les rues qui les irriguent- en un réseau continu et hiérarchisé de façon
qu’elles constituent des points de passage incontournable entre différents espaces et
quartiers de la ville. La vie pédestre ne peut exister dans l’absence de destinations
nécessaires qui sont facilement accessibles à pied. C’est en ce sens qu’elles sont des
points de repère essentiels pour les Oranais. Les fonctions d’articulation et de repérage
dans la ville revêtent incontestablement une importance capitale dans l’inscription des
espaces urbains dans l’imaginaire collectif.
Les observations, les analyses et l’enquête menées sur les places d’Oran nous
conduisent à supposer que l’insuffisance de la pratique des places publiques peut être
expliquée par une carence manifeste de perméabilité, de confort, d’activités diversifiées,
d’aménagement raisonné et de qualité, d'espaces piétonniers ou de sentiment de sécurité
qui sont considérés comme étant les ingrédients indispensables pour que l'espace public
soit agréable à vivre et investi.
Mais ce qui semble être au cœur de la problématique liée à l’usage des espaces publics
d’Oran, c’est bien la place qu’ils occupent dans l’imaginaire collectif. La rue de la
Bastille (des Aurès), les rues de la Médina J’dida et la Tahtaha que nous pouvons
associer à des espaces publics « arabes », ne paraissent-elles pas détrôner les espaces
urbains « français » par les images et les représentations qu’ils véhiculent138. Ces
espaces-marchés ne sont ils pas une forme de réminiscence du souk ? Faire son marché
en plein air n’est-elle pas cette pratique si chère aux sociétés arabes ?
138
Dès lors que j’ai utilisé le terme « place » dans l’enquête, la « tahataha » n’est pas du tout citée. Elle
ne semble pas être considérée dans l’imaginaire oranais comme place. La place de Bastille n’est pas aussi
citée. Ceci est lié certainement à sa petitesse et à son encombrement. Mais ce qui est certain pour les deux
places, c’est l’activité commerciale intense en plein air aux abords de celles-ci qui les éclipse dans
l’imaginaire collectif.
341
342
CHAPITRE 7
Une fois examinés les différentes dispositions spatiales et les usages de six principales
places publiques d’Oran, et après avoir saisi les principales caractéristiques formelles
qui peuvent favoriser les pratiques sociales, nous nous efforçons de présenter dans ce
chapitre les territorialités de deux places publiques du centre-ville : la Place du 1er
Novembre 1954 qui se donne à voir et se met en scène par son vécu et son image, et la
place Commandant Medjdoub qui attire sur elle les projecteurs de l’actualité et offre
l’opportunité d’examiner les réactions des usagers-fleuristes face à un projet de
réaménagement entrepris par les pouvoirs publics.
Le centre ville d’Oran a hérité d’une structure morphologique remarquable dans son
organisation, d’espaces urbains majeurs rythmant ses grands parcours et d’une
architecture d’une grande richesse. Il est caractérisé principalement par une structure
orthogonale jalonnée d'espaces publics proéminents. Malgré la paupérisation de son
cadre bâti depuis déjà une vingtaine d’années, le centre ville d’Oran reste encore dans
l’imaginaire des citadins celui de la ville centre. Les vocables utilisés dans le langage
populaire pour désigner tous ceux qui se rattachent à l’espace public sont très
significatifs. L’expression « aller au bled » qui veut dire « aller au pays » pour signifier
à Oran « aller au centre ville » est révélatrice de l’attrait qu’exerce le centre ville sur les
usagers.
Le centre ville constitue un espace public pratiqué par tous. Il constitue pour les usagers
et les habitants d’Oran une valeur essentielle et un attrait certain. Le lieu où l’on se sent
libres, affranchis, intégrés à la vie citadine. Pourtant la ville s’est agrandie, son
étalement a absorbé nombre de faubourgs ou de villages autrefois détachés. Ne faut-il
pas alors poser la question du rôle qu’exerce la qualité urbaine du centre ville.
L’architecture et l’organisation des ses espaces publics constituent un élément majeur
dans la construction d’une image de lieux à haute attractivité. L’espace public assure
l'ordonnancement et la continuité des constructions, étant un espace structurant, donc
générateur de la ville. Il met en scène ce que peuvent déployer les usagers et habitants
comme usages et pratiques sociales.
343
7-1 PERCEPTION ET USAGES DE LA PLACE DU 1ER NOVEMBRE 1954
Ce sous chapitre tente d’analyser les perceptions et les usages de la place du 1er
Novembre 1954 et d’apporter une réponse à une double question: l’une porte sur les
perceptions des formes urbanistiques et architecturales, l’autre sur la nature des formes
de sociabilité liées aux usages139. Ce choix s’explique, d’une part, par le vécu du lieu où
des pratiques quotidiennes sont observées et, d’autre part, par le fait que c’est la place la
plus citée dans notre enquête. Elle est, en effet, considérée comme la place la plus
significative et la plus utilisée au centre-ville. A la question posée aux interviewés de
savoir « quelle est la place la plus significative ? », parmi les 95% qui connaissent la
place, 90% considèrent en premier la place « d’Armes ». Et dans les 40% qui disent
utiliser d’une façon ou d’une autre les places d’Oran, 50% indiquent la place du 1er
Novembre 1954.
C’est pourquoi cette présente investigation s’attache à analyser d’une manière plus fine
l’influence des caractéristiques spatiales dans le comportement des usagers, dans le but
d’identifier les conditions qui favorisent les pratiques de l’espace. Elle s’appuie aussi à
considérer une qualité qui la caractérise : celle de sa contribution à configurer l’image
urbaine. L’hypothèse que nous pouvons faire ici est que les usagers ordinaires agissant
sur la place publique du 1er novembre 1954 procèderaient en la réappropriation d’un
espace public à partir d’une mise en scène urbaine et architecturale de composition
suffisamment lisible, par les pratiques, les représentations et les compétences des
usagers.
L’étude de la place du 1er Novembre 1954, un espace public majeur emblème de la ville,
qui s’est construite par strates successives à partir de 1840, s’avèrerait riche
d’enseignements pour mettre en évidence ce que « le pouvoir permanent de l’image »
peut donner du sens au lieu. Son analyse nous permettra de saisir tous les traits forts qui
font d’elle un espace aussi bien exceptionnel que symbolique, une identité urbaine
complexe pourtant qui dure et transcende la vie des hommes.
Dans cette perspective et comme nous l’avons indiqué dans l’introduction générale, la
méthode d’analyse a consisté en une observation directe couplée d’un entretien libre et à
un examen de l’objet dans ses dimensions spatiale et temporelle. Cette méthode
s’appuie aussi sur l’exploration des supports iconographiques (cartes postales,
brochures), et qui s’inspire largement des travaux de Raffaele Cattedra (2001) menés
139
Selon M. BASSAND & al. (2001), la sociabilité est définie comme « les relations sociales et les
dynamiques de groupe […] fluides, spontanés, astructurelles. […] cette sociabilité peut prendre des
formes infimes : côtoiements, frôlements, regards furtifs ou appuyés, clin d’œil, échanges de salutations,
d’excuses, demandes de renseignement et d’information » (p.14).
344
sur la symbolique de la Mosquée Hassan II et notamment sur la participation de celle-ci
à la « reconfiguration de l’image urbaine » de Casablanca. A travers deux supports de
diffusion - les cartes postales et les brochures touristiques – nous tenterons de montrer
comment la symbolique de la place est arrivée peu à peu à s’imposer, et à s’inscrire
durablement dans l’imaginaire collectif. Nous nous référons ici à Italo Calvino (1974)
pour qui :
« La ville est redondante : elle se répète de manière à ce que quelque chose se
grave dans l’esprit. […] La mémoire est redondante : elle répète ses signes pour
que la ville commence à exister » (p. 25-26).
Dans cette approche, l’analyse fait intervenir trois concepts intimement liés dans la
perception qui sont : « l’identité, la structure et la signification » (Lynch, 1976 [1960])
qu’il convient de favoriser par l’art de «la composition urbaine » (Gibberd, 1971). Il
s’agit de repérer les dispositifs spatiaux et les éléments architecturaux significatifs ou
symboliques qui renforcent l’ «imagibilité» ou la lisibilité de la place.
Cette approche est aussi associée à celles de R. Krier (1980) et de M.J. Bertrand (1984,
1988) qui mettent l’accent sur la lecture de l’espace en sens da sa perception visuelle. Et
cette perception est étroitement liée à la forme et au paysage urbain. Dans cette
perspective, un espace extérieur ne peut être vécu comme un espace urbain que s’il
possède des spécificités géométriques et esthétiques extrêmement lisibles (Krier, 1975).
Par ailleurs, le paysage urbain de la ville établit le privilège de la vue sur les autres sens.
«L’œil de l’usager met en mouvement le paysage ordinaire de la ville, et s’arrête sur
l’exceptionnel, sur ce qui multiplie les sens possibles » (Querrien & Lassave, 1999,
p. 4), sur la vue comme évocation du monde social, historique, végétal, de décor. La
345
question du paysage est celle de l’interface entre espace public et espace privé, et
notamment de leur frontière, la façade. L’architecture prend ici tout son sens.
Figure 94: La Place d’Armes au matin (11h.), A gauche, la mairie (ex Hôtel de ville). A droite, le
théâtre. Photo F. Kettaf (novembre 2006)
346
La place constitue un espace à la fois délimité et tout à fait fluide puisqu’il est possible
de ne pas la traverser et de la contourner, derrière l’Hôtel de Ville par exemple. Sa
nature, ouverte et accessible à tous, est la condition essentielle pour la lisibilité de
l’espace. Par ailleurs, cette lisibilité est renforcée par un ensemble de symboles d’un
grand intérêt. Trois dispositions ont été relevées: des personnages et motifs de sculpture
sur fond d’architecture, des motifs en disposition libre et un élément végétal.
Les lions de bronze, emblème de la ville, et le porche à trois arcades surmonté d’un
imposant fronton, encadrent l’entrée de l’hôtel de ville. La fresque frontale représentant
plusieurs personnages couronne la loggia en trois colonnades servant de balcon au
foyer du théâtre. Avec les deux tourelles coiffées de coupoles, l’ensemble lui confère un
style très caractéristique emprunté à l’art de la renaissance italienne.
Figure 95 : les lions de bronze et la colonne de Sidi-Brahim. Photo f Kettaf (novembre 2006)
347
7-1-2 Temporalités, toponymies et pratiques de l’espace
En plus d’être un repère efficace dans l’espace urbain, cette place constitue le lieu
emblématique de la ville pour les habitants et les usagers. Si nous reprenons son histoire
et examinons la toponymie, on s’aperçoit qu’elle a connu plusieurs temps forts de
composition et de recomposition inscrivant à chaque passage une trace, un nouvel
emblème, un nouveau nom. Le nom d’origine Bab es Souk ou porte du marché indique
la présence d’activités de commerce à l’extérieur des anciens remparts à l’endroit où
aller s’édifier cette importante place. Cet emplacement, conforté par la présence du
Château Neuf et des remparts, symbolisait déjà la force du pouvoir militaire français.
Depuis, cette symbolique n’a cessé d’être renforcée au vu des noms qui lui ont été
affectés: place d’Armes, place Napoléon, puis place de la Révolution (communément
appelée place d’Armes) et place Maréchal Foch. Comme nous l’avons indiqué dans le
chapitre 3, ces noms relatent, en effet, l’histoire de l’Algérie coloniale au rythme des
évènements politiques et en particulier l’instauration du régime républicain qui
affectèrent la France entre 1830 et 1958. Des noms qui ont progressivement façonné une
mémoire collective de la place et renforcé durablement son caractère emblématique.
348
Figure 96 : Le monument de Sidi Brahim surmonté de la gloire ailée et sculpté à sa base par le
portrait en relief de l’Emir Abdelkader. F. Kettaf (avril 2011)
Par ailleurs, la place a connu plusieurs projets de rénovation sous l’occupation française,
dont les principaux sont le projet Cayla en 1891, le projet Germain et Hanen en 1912, et
le projet Wollf en 1927 qui suggéraient, entre autres, la destruction du Château Neuf
afin de réaliser une percée visuelle sur la mer et assurer une forte liaison avec un
boulevard important de la ville; le boulevard Front de mer. Aussi, un concours
international d’un projet d’envergure restructurant entièrement la place, lancé en 1985
par le pouvoir public algérien reflète une volonté politique forte de se réapproprier la
place en la dotant d’une nouvelle image de modernité et de prospérité. Pour diverses
raisons, ces projets n’ont jamais vu le jour. Ceci indique t-il une forme de pérennité qui
s’exprimerait à travers la persistance des formes physiques et des pratiques urbaines ?
La place en tant qu’espace public plaide en fait pour deux esthétiques: celle du plein -
l’architecture- et du vide -l’espace aménagé-, et celle de l’espace social. En effet, la
place du 1er Novembre 1954 dont la forme constitue un cadre architectural exceptionnel
du paysage urbain oranais, symbolise l’identité urbaine d’Oran. «Ce qui fait sens dans le
paysage urbain […] c’est qu’il est partageable avec les autres. Un partage qui n’est pas
stable, et qui change au fil des générations, quand le sens de l’histoire est lui-même mis
en défaut» (Querrien & Lassave, 1999, p. 4) : les incertitudes sur le sort à donner aux
statues de la période coloniale dans l’Algérie indépendante en témoignent. L’obélisque
couronné par une gloire ailée est sculpté à sa base par un portrait en relief de l’Emir
Abdelkader140. La première symbolise la France et le deuxième représente la figure
emblématique de la révolution algérienne. La pérennité des monuments et la
140
Selon GANDINI (1997), « la statue symbolisant la France et le trophée de bronze se trouvant autrefois
à la base du monument sont depuis 1965 à Périssac, en Dordogne » (p. 25).
349
juxtaposition de symboles de deux nations semblent être des facteurs puissants qui
facilitent la perception de l’espace par les usagers. Ces valeurs paraissent « transcender
la vie humaine», comme l’écrit Anne Raulin (2002), et donnent au lieu sa puissante
charge symbolique.
La place du 1er Novembre accueille en majorité des individus provenant des quartiers
environnants relativement pauvres, en convivialité avec les individus appartenant à
d’autres parties de la société locale. De cette mixité d’usage découle des intérêts
individuels mais en coprésence dans un même lieu qui offre des espaces partagés.
Aussi, l’une des pratiques sociales qui représente les contacts entre individus, est celle
de la promenade. Il s’agit, si l’on suit Nelson Popini Vaz de «cet aspect particulier de la
sociabilité exercée en public (qui) constitue la pratique la plus fréquemment observable
dans les lieux publics du centre ville » (Popini, 2003, p. 15). Guénola Capron & al.
insistent sur le fait que c’est par la flânerie qu’on peut saisir le rapport des citadins à
leur ville (Capron 2007, p. 191).
Cette affirmation met en évidence deux dimensions dominantes que nous avons
identifiées dans notre enquête:
- L’anonymat que les espaces publics urbains du centre ville assurent et qui offre « la
possibilité pour l’individu de s’affranchir de ses liens originels pour s’identifier à une
entité plus complexe, celle de la ville » (Ghorra-Gobin, 2001, p. 5). Par sa capacité à
distancier l’individu de sa communauté141, la place, par la pratique quotidienne de son
espace, se voit investie progressivement par des différents groupes sociaux.
- La qualité du paysage urbain qui est le produit d’une subtile composition d’éléments
ordinaires et d’éléments exceptionnels de l’environnement142. En effet, la localisation
dans la structure urbaine, la forme du réseau de rues et d’espaces publics, l’ensemble
des édifices qui constituent le patrimoine architectural, l’élément végétal, le caractère de
scénographie de la place143, pourraient être saisis en tant que signes144. C'est-à-dire
141
Il faut noter que la majorité des habitants d’Oran sont originaires de la compagne et la notion de
communauté et donc le contrôle des comportements sont bien présents dans les esprits.
142
Il s’agit des différents éléments spatiaux du lieu.
143
Ce sont des qualifications exprimées par les interviewés.
350
considérés comme des supports matériels physiques et naturels signifiants qui forment
un cadre propice pour la promenade.
Pour mieux illustrer cette pratique, l’espace le plus mythique dans l’esprit des Oranais
en termes de promenade est le jardin de Létang. Contiguë à la place du 1er Novembre
1954, l’ancienne forteresse espagnole Rosalcasar, rebaptisée Château Neuf sous les
Français, a déposé durablement ses traces aussi bien dans le tissu urbain que dans
l’imaginaire collectif. Hormis sa forte présence dans le paysage, une de ses composantes
les glacis convertis en 1836 en promenade plantée constitue un espace public
exceptionnel de par le panorama sur la baie, le port, la montagne et la vieille ville qu’il
offre aux flâneurs. Cette promenade longtemps fermée au public pour des raisons
essentiellement de sécurité a été ré-ouverte depuis une dizaine d’années au grand
bonheur de la population. Très peu fonctionnelle comme elle l’a toujours été depuis sa
création145, elle se révèle pourtant porteuse de sens pour les Oranais. Depuis 2005, elle
est devenue un espace privilégié pour des associations et des centres culturels qui
tentent de la reconquérir et la mettre en scène, en organisant tour-à-tour des activités
culturelles en plein-air et de promenade (comme nous le verrons dans le chapitre 8).
Cette activité inhérente à la promenade est un bon analyseur de la vie citadine : en tant
qu’imaginaire et pratique de la ville, également comme rapport sensible à celle-ci, à
travers l’acte de marcher, de rouler, etc. (Capron, 2007, p.197).
La place du 1er Novembre est entourée par quatre rues à forte circulation mécanique ce
qui ne facilite pas le mouvement piétonnier sans danger. Néanmoins, les piétons sont
présents dans le jardin et près de la fontaine et de l’obélisque qui attirent le public à
l'intérieur de l'espace. Les bancs de repos disposés entre les parterres fleuris sont utilisés
tout particulièrement par les personnes âgées tandis qu’une vaste partie d'espace libre
minéral est souvent utilisée comme un terrain de football par les enfants des quartiers
alentours. Sur la partie nord de la place, deux cafés-kiosques viennent limiter l’espace
d’activité de la place avec des terrasses.
Par sa taille importante, la place reçoit un ensoleillement une bonne partie de la journée.
Son exposition élevée influence considérablement l’utilisation de l’espace ; au
printemps elle est souvent désertée le matin quand elle est à moitié ombragée mais plus
fréquentée au cours de l’après midi quand elle reçoit le maximum de soleil. En été,
période de forte chaleur, elle est intensément utilisée en fin d’après-midi lorsqu’il fait
plus frais. L’action des jets d’eaux de la grande fontaine renforcent l’atmosphère de
144
Notons à ce propos le travail de recherche de Raffaele Cattedra (2000), De la symbolique
monumentale à l’invention d’un espace public.
145
Lespès (1938) note que pour la flânerie journalière, la promenade de Létang était souvent désertée, au
profit de la rue Napoléon et la place Napoléon, d’où une expression pittoresque, « faire la noria » a été
baptisée par les Oranais pour exprimer la pratique de la déambulation qui s’exercée sur celles-ci (p. 144).
351
fraîcheur de l’espace public. La disposition des bancs à l’ombre des ficus permet aux
promeneurs, souvent des personnes des quartiers riverains, de s’y reposer. Les
figures de 97 à 101 représentent les pratiques majeures qui se déploient dans l’espace,
relevées au printemps 2011 au milieu des après-midi.
Figure 97 : Place du 1er Novembre 1954. Pratiques de l’espace (printemps 2011 : les après-midi..
Réalisation : F. Kettaf
352
Figure 98 : Pratiques de l’espace : flâner, observer, discuter, se reposer, se regrouper.
Photo F. Kettaf ( avril 2011, 16h-17h)
353
Figure 100 : Regroupement des personnes âgées. Photo F. Kettaf (avril 2011, 16-17h)
Figure 101: Regroupement des enfants dans les interstices pour jouer
Photo F. Kettaf (avril 2011, 16-17h)
354
7-1-3 Caractéristiques physiques et formes de sociabilité
Nous venons de repérer les usages courants de la place, de décrire les individus qui la
fréquentent pour essayer de comprendre comment les usagers saisissent les dits signes
et interagissent avec la place. A l’issue de cette analyse, les pratiques observées sur cette
place nous ont permis de dégager les caractéristiques spatiales et architecturales qui
favorisent des formes de sociabilité. Elles nous ont aussi permis de relever un ensemble
de dispositions qui défavorisent la sociabilité en termes de pratiques collectives.
Résumons maintenant ces caractéristiques.
La lisibilité d’une place dépend aussi de comment elle est perçue par rapport à ses
entrées « frontales, axiales ou en biais ou latérales » (Bertrand, 1984). Les quatre accès
principaux de la place se caractérisent par des entrées en biais ou latérales qui
permettent aux usagers de lire d’un seul tenant l’ensemble de l’espace. La plupart des
seuils, qui signalent la transition entre l’espace des rues et l’espace de la place, sont bien
lisibles. En dépassant ces seuils, l’usager s’aperçoit de la singularité du lieu à travers
des signes et des symboles ainsi que la forme et la dimension du lieu. Les propriétés
architecturales et esthétiques des monuments sont visibles de tous les seuils, renforçant
ainsi leur lisibilité dans le paysage.
7-1-3-2 Le confort
Dans notre réflexion, nous considérons le confort comme la qualité qui permet à
l’individu de rester un temps prolongé dans un espace public. Il s’agit des conditions qui
encouragent le citadin à occuper le lieu, à s’y asseoir ou simplement à y déambuler. La
355
notion de confort, au sens que lui donne Maslow (cité par Carmona 2009), est
étroitement liée à la satisfaction d’un certain nombre de besoins fondamentaux. Confort
physiologique, sentiment de sécurité et sentiment d’appartenance au groupe d’individus
en présence, sont les principaux besoins à satisfaire pour que l’espace public soit
réellement pratiqué. La présence de l’élément végétal attribué aux palmiers et aux ficus
qui protègent de l’exposition au soleil, la présence de bancs et de la fontaine, la
visibilité de l’ensemble de l’espace et la surveillance policière, et la possibilité aux
individus de se regrouper sont les facteurs apparents qui offrent des opportunités pour
que l’individu pratique l’espace et se sente à l’aise. La perception des usagers de
l’élément végétal est ici plus liée à la fonction utilitaire de protection et de détente qu’au
rôle esthétique dévolu à ce dernier.
Il est largement admis que le sentiment de sécurité est une considération majeure du
confort dans l’espace public. D’après nos enquêtes, il ressort que les places d’Oran sont
globalement perçues comme des espaces qui manquent de sécurité. Les expressions
« mal fréquentée » ou « insécurité » reviennent fréquemment dans les entretiens. Quant
à la place d’Armes, il est clair que cette place, à l’instar d’autres places de la ville, est
victime de la réputation d’insécurité qu’on lui attribue - souvent à tort – du fait qu’elle
jouxte des quartiers anciens marginalisés et réputés difficiles. A cet égard, les
utilisateurs semblent se rassembler en différents groupes pour assurer une forme d’auto-
surveillance et créer ainsi un sentiment de sécurité évitant tout conflit. La surveillance
est aussi assurée par le mouvement des passants à travers l’espace (cf. Fyfe, 1998).
356
toute convenance. […] Il permet aux femmes de s’y installer de façon décontractée ».
(2002 b, p. 272). Jean-Claude David (1994), apporte la même réflexion à propos de la
Syrie, et souligne l’intérêt que portent les femmes à la pratique des jardins publics146.
C’est en fait le réaménagement de la place dans les années 1970 comme un jardin à la
française dessiné par un ensemble de parterres floraux et d’allées convergents vers une
grande fontaine qui favorise cette forme de territorialité. Mais pas seulement, c’est aussi
la disposition des bancs. La place du 1er Novembre est l’espace public qui compte le
plus grand nombre de bancs installés dans un espace public à Oran, ce qui encourage les
gens à s’asseoir et à se reposer. Rester assis est une pratique qui permet de discuter avec
les uns tout en observant discrètement les autres.
Les opportunités qui permettent d’observer les autres tout en évitant le contact direct
des yeux, ce qui est appelé « engagement passif » par Wythe (1988), sont fournies par
des fontaines, des vues, des arts de la rue et des spectacles qui favorisent la pratique de
l’espace. En ce sens, les enquêtes menées ont montré combien les habitants apprécient
la grande fontaine quand elle est actionnée en été ou lors d’un événement particulier
comme les fêtes nationales. En effet, celle-ci capte l’attention et attire les individus à
l’intérieur de l’espace, qui les transforme en spectateurs, favorisant les commentaires et
les discussions. En ce sens, l’usager, peut rester seul en tant que spectateur du paysage,
sans qu’il se sente seul. La proximité des observateurs d’un même spectacle suffit à
conduire à une discussion.
7-1-3-3 La proximité
La proximité est l’une des clés essentielles de l’espace social dès lors qu’elle est
nécessaire à l’avènement d’un contact aussi bien verbal - par la parole, le dialogue - que
visuel - par le regard, le geste, la posture. C’est l’aménagement du lieu et une certaine
disposition du mobilier urbain qui participent à favoriser le rapprochement ou
l’éloignement des individus. Dans ce contexte, des formes de sociabilité sont observées
dans des sous-espaces de la place où des personnes, souvent de même catégorie, sont à
proximité les unes aux autres. La proximité des individus de différentes catégories est,
en revanche, accomplie que par la visibilité mutuelle. Leur éloignement ne favorise pas
le contact verbal qui ne peut se produire de façon spontanée.
146
Voir aussi le projet de fin d’étude de Marie Blanze (2010) sur « L’appropriation des places publiques
selon le genre : le regard dans le processus d’appropriation », qui émet l’hypothèse que « hommes et
femmes ont un regard différent sur l’espace public » et souligne, d’après ses enquêtes menées d’une place
française à Tours, que « les femmes regardent principalement les gens et les relations entre eux alors que
les hommes s’attachent plus au regard des aménagements, agencements, organisation générale de
l’espace » (p.39). Cette hypothèse, toutefois, me paraît surprenante.
357
7-1-3-4 La perméabilité perturbée
Les usagers de la place du 1er Novembre sont confinés dans des sous-espaces formés par
les allées du jardin. L’aménagement en mobilier urbain et notamment en bancs publics
favorise la proximité qui stimule le rapprochement des personnes de même catégorie,
mais l’importante quantité de massifs plantés défavorise la proximité des individus de
différentes catégories et la sociabilité collective. Celle-ci exige des grands espaces
transparents et dégagés.
7-1-3-6 La rupture du mouvement piéton et la coupure des frontières : défaut pour les
uns et qualité pour les autres
358
perturbés par la circulation intense des véhicules autour de la place, préfèrent souvent la
contourner que la traverser.
La vie urbaine dans l’espace public est aussi inhérente à celle produite par les bâtiments
qui l’entourent. Si ceux-ci sont séparés de l’espace, leurs activités ne contribuent pas à
l’animation de la place. Comme la place du 1er Novembre est coupée de ses fronts
« actifs » par des voies à circulation mécanique difficilement franchissables, les
activités de ces derniers, telles que le théâtre, la Mairie, les commerces et les cafés n’ont
aucune relation avec la place, l’isolant ainsi de la vie urbaine. Seul un café en terrasse
sur la place lui procure une petite vitalité.
L’écart entre la place et les rues assourdissantes du centre ville est cependant perçu par
certains comme une qualité en soi car elle constitue à la fois un espace de repos, surtout
pour les personnes âgées, une aire de jeux pour les enfants des quartiers environnants et
un espace où l’on peut apprécier en toute quiétude la scénographie du lieu.
Le sens du lieu est abordé par Christian de Norberg Shultz en termes du concept latin de
‘genius loci’, qui suggère que les individus expérimentent quelque chose au-delà des
propriétés physiques et sensorielles de l’espace, et développent un sentiment
d’attachement à l’esprit du lieu qui souvent persiste malgré des changements profonds.
Le centre ville d’Oran et la place qui la symbolise conservent leurs identités face au
changement social et culturel significatifs et aux nouvelles pratiques urbaines qui
caractérisent la ville contemporaine. Ils constituent des « emblèmes territoriaux »
(Lussault, 1993) dans l’agglomération oranaise et leurs images sont fortement marquées
dans la mémoire collective. Au-delà de la perception même de l’espace, c’est de l’image
ou des images de la place, au sens iconographique du terme, par lesquelles elle se donne
à voir qui nous intéressent.
359
nous le comparons à celui légué par la colonisation française. Une telle condition a
permis à la place de s’affirmer facilement dans l’espace urbain oranais.
L’examen des supports que constituent les cartes postales et les brochures touristiques,
nous permet de repérer les diverses modalités de représentation de l’espace-place
d’Armes : une représentation qui la donne à voir en tant qu’objet symbolique ou repère
urbain. L’analyse du corpus des cartes postales nous sert à illustrer l’idée selon laquelle
la place du 1er Novembre s’inscrit dans le registre des « emblèmes territoriaux »
(Lussault, 1993), lesquels concourent à nourrir la « structure dominante » (Cattedra,
2001) de l’image urbaine d’Oran, jusqu’à aujourd’hui.
Pour ce faire, nous mettons en parallèle les deux moments : celui de la période française
et celui de la période algérienne (à partir de l’indépendance), à partir desquels nous
montrons que la valeur et la visibilité des repères officiels d’Oran se sont maintenues
jusqu’à nos jours.
Des cartes postales identifiées dans plusieurs sites internet spécialisés dans les cartes
anciennes et qui ne sont, souvent, pas datées, mais dont on peut estimer qu’elles ont été
réalisées dans la période française, nous aident à identifier les principaux repères
architecturaux et urbains qui construisaient les image-icônes d’Oran. Ceux-ci sont de
nombre d’un peu moins de dix éléments dont quatre nous paraissent les plus importants,
étant donné la stabilité de leur représentation dans le temps147.
La figure 102 montre au centre une carte postale de la période coloniale dans laquelle
figurent les quatre éléments les plus photographiés. Cette carte est entourée de photos
qui représentent les quatre éléments dans leur état actuel. Ces quatre objets urbains
nous les trouverons représentés sur les cartes postales et les brochures jusqu’à
aujourd’hui : place du 1er Novembre 1954, Hôtel de Ville, cathédrale (aujourd’hui
bibliothèque) et vue générale d’Oran prise de la chapelle Santa-Cruz perchée au dessus
de la mer sur le Mont du Murdjadjo. Mais c’est la place du 1er Novembre 1954 qui est la
plus représentée iconographiquement.
L’examen d’un certain nombre de cartes postales de la place 1er Novembre 1954 de la
période française, indique que les prises de vue semblent se focaliser sur six éléments.
Quatre lieux : l’Hôtel de Ville, le théâtre, l’obélisque de Sidi-Brahim, l’hôtel
Continental, auxquels s’ajoutent le cadre végétal et le transport urbain (tramway ou bus)
(figures 103-104-105).
147 Place Maréchal Foch (Place d’Armes), Hôtel de Ville, théâtre, Square Jeanne d’Arc et cathédrale, vue
générale du port, du mont du murdjadjo et de la chapelle de Santa-Cruz, promenade de Létang, gare,
Place de la Bastille, rues du centre-ville.
360
Figure 102 : Rprésentation urbaine de la période française. Au centre à droite une carte postale de
la période coloniale qui représente (A) La cathédrale, B) vue générale à partir du Mont Murdjadjo,
C) et D) le théâtre, l’Hôtel de Ville et l’obélisque
361
Figure 103 : Représentation de la Place d’Armes à travers les cartes postales de la période
française. A)L’Hôtel de ville, B) l’obélisque, C) le théâtre et D) l’hôtel Continental
Figure 104 : Représentation de la Place d’Armes à travers les cartes postales de la période
française
L’espace public et l’hôtel Continental : hauts lieux de la sociabilité européenne. (vers 1920)
362
Figure 105 : Représentation de la Place d’Armes à travers les cartes postales de la période
française.
Le tramway et l’élément végétal
Avec ses six éléments, la place constitue, une « composition territoriale emblématique »
(Lussault, 1993 ; Cattedra, 2001) de l’expression de la modernité d’Oran. Certes, au
moment de la réalisation de ces cartes qui montrent l’animation intensive de l’espace, la
place symbolisait le modèle d’une urbanité européenne en terre d’Algérie. Ces cartes
ont sans nuls doutes vocations de promouvoir la ville et à attirer les gens de la
métropole pour s’y installer. L’Hôtel de Ville largement inspiré par celui de Paris, le
théâtre municipal rappelle celui de la salle construite par Garnier à Monté Carlo en 1878
et le tramway déjà mis en ligne en 1899, symbolisaient l’ambition et la prospérité
oranaises. L’installation de ce dernier fut probablement expérimentée en Algérie avant
même de l’être en France.
Ces cartes postales permettent aussi de donner un aperçu des différents stades de
transformation de la place depuis le XIXe siècle et qui illustrent la manière dont les
lieux et objets ont été donnés à voir. Les représentations de la place montrent qu’au-delà
de l’architecture et du décor, l’apparence esthétique et spatiale interprètent les
évolutions politiques de la ville (cf. Petitfrère, 1998).
363
brochures touristiques de 1995 à 2005. Aujourd’hui, plus de 50 ans après, les cartes
postales disponibles témoignent de la stabilité de la force emblématique de ces objets et
ce lieu-repère, lesquels caractérisent, par leur image, une identité urbaine.
Figure 106 : Représentation de la Place du 1er Novembre à travers les cartes postales de la période
algérienne. Cartes postales non datées
Figure 107 : Représentation de la Place du 1er Novembre à travers les cartes postales de la période
algérienne. Cartes postales édition Bakhti 2006
364
Toutefois, les repères que nous avons sélectionnés ne sont pas exhaustifs des lieux ou
des objets urbains mis en images dans les cartes portales et dans d’autres supports au
cours de la période de l’après indépendance. Les cartes postales de la période algérienne
montrent aussi, aux cotés des repères datant de la période française, le marabout de Sidi
el Houari ou la mosquée du Pacha édifiés dans la période turques, et les forts espagnols,
qui paraissent s’inscrire, du moins à un moment donné, dans le système iconographique
d’Oran.
Force est de constater que les emblèmes territoriaux opératoires dans la période
française, se trouve toujours là. Ils sont renforcés par des supports d’autres natures que
les cartes postales et les brochures. Les panneaux publicitaires sur le projet du nouveau
tramway d’Oran placardés à travers la ville depuis le lancement des travaux en 2008 et
les articles dans la presse écrite, montrant une image-montage du passage de celui-ci sur
la place du 1er Novembre, une sorte d’image-réminiscence de celle de la fin du 19ème
siècle, témoignent de l’utilisation de l’image de la place du 1 er Novembre comme
moyen de marketing pour le nouveau projet du tramway (figures 111).
Figure 108 : Représentation de la Place du 1er Novembre à travers les brochures touristiques.
Source : Direction du Tourisme Oran
365
Figure 109 : Représentation de la Place du 1er Novembre à travers les guides touristiques. Source :
ONAT Algérie
Figure 110 : Représentation de la Place du 1er Novembre à travers les brochures touristiques.
Source : Agence Azur Voyage
366
A)
B)
C)
Figure 111 : L’image de la Place du 1er Novembre comme moyen de marketing pour le nouveau
projet du tramway. A) Image-montage : Placard publicitaire à travers la ville lors du démarrage du
chantier. F. Kettaf (Avril, 2009), B) Image montage : Mairie et obélisque en fond de scène du
Tramway en 1ère page du Quotidien d’Oran du 13 avril 2008 ; B) Tramway du XXIe sur les traces
de celui de la fin du XIXe siècle. Collage effectué par un internaute oranais.
367
Cela étant dit, nous pouvons avancer l’idée qu’à travers la persistance des images de la
place et de ses objets symboliques, c’est un emblème territorial de l’Oran officiel mais
aussi de l’Oran des usagers qui s’est imposé. La place avec le Front de mer constituent
aujourd’hui des éléments structurants de l’image iconographique d’Oran. Combien
même la place est peu pratiquée, elle se révèle pourtant porteuse de sens pour les
Oranais.
A cet instant où je termine cette thèse, la place est en train de subir une complète
réorganisation. le passage d’une ligne de tramway au niveau de la place entrepris dans
le cadre du grand projet du tramway d’Oran dont les travaux ont été lancés en 2008,
semble avoir donné l’opportunité d’engager un ensemble de travaux: l’hôtel-de-ville est
en cours de restauration, la place vient d’être complètement réaménagée par la société
Tramnour en charge de la réalisation du tramway et réouverte au public le 1er mai 2013 ;
l’extension de l’Hôtel Royal s’engageant à l’angle de la place, remplacera le mythique
Hôtel Continental de l’époque française, détruit dans des circonstances mystérieuses
dans les années 1970. Ces travaux paraissent vouloir réhabiliter son image comme place
forte et ainsi pérenniser son rôle d’une place « mise en scène » (figures 112, 113).
Figure 112 : Les habitants des quartiers riverains investissent le lieu fraichement aménagé,
photo F. Kettaf 1er mai 2013
Figure 113 : Les enfants retrouvent leur espace de jeux mais les vieux ont perdu leurs espaces de
détente sous les ficus et les palmiers évacués. Photos F. Kettaf 1er mai 2013
368
7.2 REAMENAGEMENT URBAIN DE LA PLACE COMMANDANT
MEDJDOUB (EX HOCHE) ET REACTIONS CITADINES
Une grande opération de réaménagement des espaces publics majeurs de la ville d’Oran
a été lancée en 2004-2005 par la puissance municipale. Elle a engendré des réactions
conflictuelles entre notamment celles des commerçants qui ont fait de l’usage lucratif
illicite une règle d’occupation des lieux publics et celles des pouvoirs locaux qui
entretiennent des points de vue différents sur la production de la ville. Cette action offre
à bien des égards la possibilité d’explorer les compétences exprimées par les citadins
dans le cadre d’une action publique volontariste.
Dans les pages qui suivent nous nous proposons d’examiner les capacités d’adaptation
et de régulation dans le processus d’appropriation et de valorisation d’un lieu de
l’espace public oranais. Nous nous attacherons notamment à mettre en évidence les
formes de mobilisation pacifique, mais aussi hostile ou même violente des usagers, face
à la mise en œuvre d’un projet urbanistique. Ainsi, nous tenterons d’aborder la question
de la confrontation de deux logiques: celle des décideurs de projets d’aménagement et
celle des citadins « ordinaires », à travers l’exemple du projet d’embellissement des
espaces publics majeurs du centre ville.
Nous assistons depuis plus d’une vingtaine d’années à une mobilisation récurrente dans
laquelle s’est engagé un certain nombre d’acteurs: les commerçants, touchés par les
velléités de réaménagement et les préfets successifs de la ville. S’il est vrai que ces
projets maintes fois remis sur le tapis ont été soldés par des échecs, il n’en demeure pas
moins que certains d’entre eux, lancés en 2005, encouragés par des échos favorables de
148
Les éléments de cette réflexion ont été présentés dans une publication. In : Akl Ziad & Beyhum Nabil
(2009).
369
la population en quête de mobilité aisée, ont enfin pu se réaliser en 2006; ceci en dépit
des réactions hostiles et même violentes des commerçants qui ont fait de l’usage lucratif
souvent illicite une règle d’occupation des lieux publics.
Tenant compte de cette définition, la présente investigation s’appuie sur une double
question : celle de « l’action politique » et celle de la « parole publique »: droit à la
participation, à la contestation, à la revendication dans le processus de mise œuvre
d’une opération urbaine. La méthode de travail que nous avons entreprise a consisté en
une observation directe complétée par des entretiens réalisés auprès de divers acteurs
notamment les commerçants, les habitants et deux responsables institutionnels
directement impliqués dans le projet. L’entretien libre a été privilégié. L'examen des
écrits dans la presse, principalement du Quotidien d’Oran de l’année 2005, et de
différents documents établis par les commerçants comme les pétitions ou courriers
destinés aux autorités locales ont aussi constitué un matériel important sur lequel notre
travail s’est basé. La démarche présentée dans ce qui suit s’est inspirée, en partie, des
travaux de Feneyrol (2000) et Idrissi Janati (2000) qui ont mené un travail de recherche
sur les rapports qu’entretiennent les citadins avec le politique et l’aménagement dans les
villes du Maghreb.
370
commerces tolérés ou totalement illicites dans la ville en vue d'améliorer la mobilité
piétonne et plus particulièrement pour réhabiliter une gestion urbaine rigoureuse par les
pouvoirs publics. Nous assistons dès lors à une véritable chasse à ce type de pratique
commerciale proliférante et débordante sur les espaces publics, causant les pires
nuisances aux riverains des différents quartiers qui au fil de leurs plaintes successives
aux pouvoirs publics ont déchanté. Ces opérations entreprises, en particulier depuis
2004, visaient de ce fait plus une réponse à des problèmes urgents que l'apparent
embellissement de l'espace public.
Le centre ville d’Oran, sous sa forme de places, rues et boulevards d'un centre moderne,
ses cafés, restaurants, boutiques et ses services, attire de plus en plus de population,
comme nous l’avons évoqué ailleurs. Ces espaces publics sont véritablement des lieux
de sociabilité mais où l'appropriation différenciée par les multiples usagers génère des
tensions de toutes sortes. L’augmentation incessante du flux d’hommes et de
marchandises suscite une prolifération de commerces sur certains de ces espaces, en
même temps qu’un accroissement inconsidéré de la mobilité. Les problèmes de la
circulation et du «squat» dans l’espace public, auxquels doit faire face la municipalité,
deviennent de plus en plus aigus. C’est, en effet, dans ce contexte que se situe la montée
en puissance de la polémique relative à la question de la privation des usagers du plein
usage de l'espace public.
371
C’est dans ce cadre qu’une concertation entre les autorités municipales et les services de
la wilaya (préfecture) s’est établie en janvier 2005 pour réhabiliter tous les espaces
publics centraux de la ville. Une commission d’embellissement composée d’architectes
et artistes a été ainsi créée pour plancher sur ce dossier. Dans un premier temps et sans
réelle consultation des concernés (habitants et commerçants), un ensemble de
propositions pour le réaménagement de l'ensemble de la Place Cdt Medjdoub ont été
émises et devaient constituer une amorce à une généralisation de la démarche à travers
tout le centre ville.
Figure 114 : : Place Cdt Medjdoub – avant réaménagement ; vue vers la rue d’Arzew. Espace
dédié exclusivement au stationnement. Photo : F. Kettaf (2004)
372
7-2-2 Réactions des acteurs impliqués
Il faut noter que dès l’annonce du wali, notifiée par la commune et communiquée par la
presse et la radio « el Bahia » d’Oran, l’idée de réaménagement a été mal reçue par les
commerçants. Leur résistance remontait en fait à plus d’une décennie; elle a été à
l’origine de la suspension répétée des décisions de réaménagement dans le centre ville.
Il est question ici de l’effet durable de la contestation. Durant notre enquête, et, après
l’achèvement d’un certain nombre d’opérations de réaménagement, la réaction hostile
attestait d’un réel rejet des réalisations accomplies pour l’amélioration urbaine et
architecturale. La dénonciation à l’encontre des pouvoirs locaux était devenue la seule
expression d'un déni de droit citoyen. Aujourd’hui, six ans après, l’accusation des
commerçants est toujours aussi vivace.
Pendant l’enquête, nous avons pu remarquer que d’autres formes d’expression du rejet
prennent parfois le ton d'un jugement critique visant à disqualifier le projet tel qu’il a été
pensé et tel qu’il a été réalisé. L’analyse de ces commentaires révèle l’aptitude des
commerçants à réagir face à une conception qu'ils jugent erronée. Elle dévoile aussi leur
compétence à instrumentaliser le propos du pouvoir local concernant le bien fondé du
projet afin de justifier leurs propres critiques et revendications.
Les critiques acerbes des commerçants focalisent sur le préjudice causé à la dynamique
des lieux d'exercice passé et présent. Les espaces publics réaménagés, censés leur offrir
un meilleur cadre de travail, leur semblent ainsi annihilés. D’abord par rapport à la
question de l’ancrage, dès lors qu’il y a sentiment de déracinement. Ensuite en raison de
la désillusion face au nouveau vécu de leur pratique commerciale. A ce propos
Françoise Navez-Bouchanine dira que «D’une part, on n’approprie que ce qu’on
connaît, […] ; d’autre part, on n’approprie que les espaces dans lesquels on éprouve le
sentiment d’être « à sa place »» (1996, p.105).
Le marché de la rue des Aurès (ex de la Bastille), la vente des fleurs à proximité du
marché Michelet et les kiosques sous les arcades de la rue Larbi Ben M'hidi
373
(ex d’Arzew) ont toujours connu un rayonnement régional et même national; à ce titre
ils sont désormais inscrits dans la mémoire collective.
Le déplacement des fleuristes a quelque peu porté atteinte à l’animation intense qui
prévalait alors. D'ailleurs, le vocable "ambiance" revient souvent dans les commentaires
des habitants et des fleuristes. Ce terme désigne pour eux mouvement, fêtes et
réjouissances. En effet, au quartier du marché Michelet, des dizaines de voitures avaient
pour habitude de venir décorer leur devanture chez les fleuristes face au regard enchanté
des passants. L’animation dense dans cet espace était particulièrement visible en été
lorsque les fêtes traditionnelles de mariage s’intensifient. Les nombreuses boutiques et
cafés avec terrasses du quartier aidant, l'ambiance était à son apothéose. L'attachement
marqué des habitués du quartier aux diverses formes de pratique sociale et les décors
urbains y afférant est une des caractéristiques pour lesquelles les fleuristes ont eu la
nostalgie.
La Place Cdt Medjdoub réaménagée est perçue par les fleuristes comme un réel ratage
en termes évènementiels. Son organisation fonctionnelle et spatiale semble avoir été
pensée strictement au travers de l'implantation des fleuristes, sans ambition de création
d'un cadre diversifié et vivant. Le sentiment d’amertume chez les fleuristes est d’autant
plus fort que, déplacés, bon nombre d’entre eux se retrouve isolé des parcours
commerciaux majeurs. En ce sens, le nouvel aménagement n’a pu atteindre l’objectif
escompté par les aménageurs (institutionnels et professionnels) de créer un espace
piéton très animé (figure 115). La dégradation prématurée de l’espace a fini par
accentuer leur désarroi.
Figure 115 : Place Cdt Medjdoub après réaménagement. Photo F. Kettaf (avril 2006)
374
Figure 116 : Place Cdt Medjdoub, plan de réaménagement tel que proposé par ORCOPRIM/OPGI
(2005)
Des entretiens libres ont été menés en avril 2006 avec les fleuristes et avec un certain
nombre de riverains (habitants et commerçants) pour évaluer l’opinion des diverses
catégories d’usagers de la Place Cdt Medjdoub. Ces catégories ont été ciblées du fait de
leur implication plus ou moins directe par les retombées de l’opération de
réaménagement de la place. La question centrale de l’impact de celle-ci sur l’activité
des fleuristes et le vécu du quartier en général a fait ressortir des divergences notables
d’opinion. Tandis que les fleuristes manifestaient leur mécontentement quant à la
conduite et la qualité du projet, les riverains exprimaient un satisfecit général.
Les motifs d’insatisfaction chez les fleuristes sont multiples; ils concernent toutes les
étapes du processus d’aménagement – déménagement aussi bien que la conception du
projet lui-même, fort critiqué pour la négligence des attributs fonctionnels et esthétiques
du commerce des fleurs, ou encore, pour le coût élevé de l’opération. Ce sont donc les
deux registres de la stratégie d’action municipale d’une part et de l’offre technique et
financière du projet d’autre part qui ont catalysé les critiques. Celles-ci se résument dans
les points suivants :
375
a) La décision administrative du transfert de leur activité vers la place a été prise de
façon arbitraire; elle n’a fait l’objet d’aucune consultation ni concertation et à quelque
niveau que ce soit. L’attachement des concernés à leur premier lieu d’exercice a
indubitablement valeur symbolique. L’évocation des liens avec le quartier de Michelet
est récurrente ; il est synonyme de continuité avec l’histoire de leurs pères qui les
premiers ont investi les lieux à l’aube de l’indépendance. Les autorités ne sont pas
sensibles à ce type de raisonnement et préfèrent gérer les aspects purement techniques
de l’opération. La question du vécu, déterminante, est ici méconnue ou simplement
évacuée149.
Les moyens disponibles pour la résistance effective des acteurs directs d’un projet pour
la ville se heurtent bien souvent au rapport de force inégal entre les acteurs eux-mêmes
et ceux des pouvoirs locaux. Ces derniers usent (ou abusent ?) de leur puissance pour
concrétiser des choix d’aménagement qui engagent l’avenir de la ville. Au-delà, la
capacité de résistance est encore plus contrariée lorsque les forces d’inertie qui
traversent la collectivité urbaine dans son ensemble font obstacle à l’émergence d’une
dynamique de proposition (ADEF, 1998).
149
Voir à ce propos les travaux dirigés par Chevalier Jacques et Peyron Jean-Pierre (1994), Au centre des
villes : dynamiques et recompositions.
376
concepteurs et des entreprises de réalisation n’a obéi à aucune exigence professionnelle
sérieuse de la part de la municipalité et que le coût élevé consenti pour le projet a été un
réel gâchis. Sur un autre plan, c’est la commune qui s’occupe de l’entretien au quotidien
d’une façon peu adaptée aux besoins de collecte et d’enlèvement régulier des décharges
des fleuristes150. La salubrité des lieux sur laquelle ont misé les pouvoirs locaux en
premier a été ici mise à mal par le manque de moyens en aval du projet.
La fiabilité des études et du suivi technique des travaux est une question importante
dans la mesure où il est question de définir le rôle des divers intervenants dans la mise
en œuvre d’une opération urbaine de « reconquête » publique. Le retour sur
investissement de l’argent public est ici tributaire de la pertinence des choix
d’aménagement effectués et de la nature de la gestion dévolue aux différents acteurs.
C’est un élément primordial pour pérenniser les effets d’une action publique
volontariste (METL, 1999).
d) Les délais impartis à la mise en œuvre de l’opération ont été écourtés. Le projet a été
réalisé par la société ORCOPRIM, une filiale de l'OPGI, dans un délai d'un mois et
demi et de ce fait les choix initiaux d’aménagement qui semblaient pertinents ne
pouvaient être menés à terme (figure 116). Le temps nécessaire à une réflexion
cohérente sur l’ensemble des modalités de mise en œuvre du projet a donc fait défaut,
ce qui fait dire à beaucoup d’intervenants qu’il est normal que le traitement en urgence
ne peut que produire des contre-effets. Dans ce domaine, les reproches à l’égard de
l’administration concernant l’inefficacité des opérations d’entretien et les dégradations
subites de l’espace rénové semblent êtres partagés tant par les fleuristes que par les
habitants eux-mêmes qui ont vécu le projet en permanence et ont donc constaté la
grande célérité avec laquelle se sont déroulés les travaux.
Aux pertes relatives des fleuristes se dessinent toutefois des profits pour les habitants.
Globalement, ceux-ci semblent avoir gagné en confiance; ils estiment avoir retrouvé la
sécurité et la salubrité dans leur quartier. Ils semblent en outre convaincus d’engranger
les dividendes d’une image rehaussée de celui-ci. Selon leurs dires, la valeur
150
C’est la Division de Protection de l’Environnement (DPE), une entreprise publique communale des
espaces verts, qui se charge de l’élagage des arbres, de l’arrosage et l’entretien des plantations.
377
immobilière des biens en propriété a sensiblement augmenté. Les habitants interviewés
avancent des plus values de l’ordre de 50% sur certaines ventes opérées récemment
dans certaines des résidences situées à l’angle de la place. Questionnant à ce sujet deux
agences immobilières situées dans ce secteur, ceux-ci diront que les prix ont
effectivement augmenté mais qu’ils l’ont été à hauteur de 20%.
f) L’évaluation du coût des travaux mal exécutés paraissait très onéreuse. Une maîtrise
d’ouvrage plus intelligente et plus efficace, à laquelle aurait participé les concernés,
aurait indéniablement contribué à faire adhérer les fleuristes au projet. À une question
sur le besoin d’aide financière, les concernés ne l’auraient probablement pas exigé tant
que l’approche conceptuelle du projet aurait intégré les spécificités d’aménagement
spatial de leur activité.
Les habitants apprécient le « relookage » de leur place. D’après eux, dans l’ensemble, il
se dégage un climat de bien être, quoique mitigé, en raison du manque d’espace de
détente et du déficit en matière de mobilier urbain. En dépit de ces insuffisances, les
habitants apprécient le lieu. Ils se disent relativement satisfaits, mais auraient souhaité
qu’une attention toute particulière soit accordée à une typologie d’aménagement
378
différenciée qui leur octroie des espaces plus commodes pour que leurs enfants et leurs
ainés puissent les utiliser allègrement.
Figure 117 : Vue sur la partie Nord (centre commercial en arrière plan) : les kiosques à fleurs sont
plus fonctionnels par leur proximité à la rue de Larbi ben M’hidi. Photo F. Kettaf (2006)
Il est à rappeler que la proposition initiale s’articulait autour du concept d’une « place
dégagée », avec des pergolas longeant un espace vert proéminent et un jet d’eau central.
De nouvelles plantations devaient renforcer la matrice verte existante. Un revêtement
différencié du sol et un éclairage d’ambiance devaient agrémenter le lieu. Le tout devait
procurer à la place une grande qualité paysagère.
Le transfert des fleuristes vers la Place Cdt Medjdoub a révélé la vacuité des discours
officiels sur la reconquête urbaine. L’idée selon laquelle les pouvoirs publics ont accédé
aux revendications du plus grand nombre ne peut absoudre leur responsabilité face aux
interlocuteurs les plus concernés, ceux pour qui la mise à l'écart d'une consultation
publique est synonyme de "non droit". D'ailleurs, l'opération suscite un bon nombre
d’interrogations sur la capacité de ces interlocuteurs à défendre leurs intérêts et faire
valoir leur « droit de cité » face à la puissance municipale.
379
La faible résistance et la soumission de commerçants aux décisions administratives pose
la problématique de l'analyse des comportements citadins. La capacité de réaction active
des gens ordinaires est ici tributaire de l'émergence d'un environnement politique
réellement mobilisateur des citoyens. Là où le contrôle des actions citadines dans
l'espace de la ville est effectif, la parole publique peut s'avérer l'unique expression de
liberté de refus, comme souligné par Jean Métral « Les villes du monde arabo-
musulman où la révolution industrielle fut tardive et inaccomplie, où les moyens de
communication sont souvent sous contrôle, ne sont pas encore « tombées dans le
silence ». Si elles ne peuvent être librement bruyantes, elles savent toujours au moins
rester bruissantes de milles voix » (1997, p.10).
L’action par la parole se manifeste d’abord par des écrits et des dessins qui concourent à
construire l’opinion publique (Leguay, 1997, p.27). Elle s’exprime généralement au
moyen du langage. Hannah Arendt écrit que «les mots justes au bon moment sont de
l’action, quelle que soit l’information qu’ils peuvent communiquer. Seule la violence
brutale est muette » (citée dans Davis Taieb et al, 1997, p.7)151.
S'il est vrai que le processus de réaménagement opéré par les pouvoirs public a exclu les
citadins ordinaires de toute participation dans la décision et dans la conduite du projet,
de l'aveu même des intervenants institutionnels consultés, il n'en demeure pas moins
qu'ils ont fait preuve de compétences vis-à-vis des initiateurs du projet. La parole d’une
personne ou d'un groupe de personnes, même insuffisamment organisé, peut prendre un
sens tout à fait pertinent.
En Algérie, les vocables utilisés dans le langage populaire pour désigner tous ceux qui
se rattachent à l’espace public sont très significatifs. Les termes beylek (de Bey) ou
encore houkouma (de gouvernement) sont très tenaces dans le vocabulaire en milieu
urbain. La notion houkouma, qui relève de tout ce qui appartient à l’Etat, est considérée
comme une structure répressive et autoritaire. Dans une telle représentation tout ce qui
concerne la houkouma appartient non pas à la communauté mais au pouvoir central
(Dris, 1999, p.135). Ce terme a été beaucoup employé par les commerçants pour
exprimer le despotisme des collectivités locales. C’est en ce sens que l’usage de
l’espace public révèle avec force les rapports conflictuels entre l’état et la population.
Il n’a pas été question dans ce sous-chapitre de détailler les mécanismes institutionnels
mis en œuvre par l’exécutif de la préfecture et de la mairie d’Oran (wilaya et commune)
pour diriger le processus d’aménagement – déménagement, mais de situer l’action de la
municipalité d’Oran en sa qualité de maître d’ouvrage ; ce sont donc les impératifs de
pilotage et de conduite du projet et la place du citoyen dans ce processus dont il s’agit.
151
Sur les discours, les paroles, les écrits… voir l’ouvrage de Lorenza Mondoda (2000) Décrire la ville.
380
L’analyse du projet de réaménagement de la Place Cdt Medjdoub a montré clairement
l’absence manifeste de la participation des citoyens dans le processus de choix et
d’élaboration du projet, en particulier de ceux qui sont directement impliqués dans cette
opération d’aménagement – déménagement, c’est-dire-dire les fleuristes.
Figure 118 : Vue sur la partie centrale: le délabrement prématuré de l’espace. L’espace est utilisé
par quelques badauds et les enfants du quartier. Photo F. Kettaf (2006)
Les velléités des pouvoirs publics d’orienter de manière exclusive le devenir de la ville,
conduit bien souvent à des formes de mobilisation citadine hostiles. Les paroles
virulentes et accusatrices à l'endroit du pouvoir en place indiquent en outre une forme
de dénigrement des méthodes de gestion urbaine.
381
382
CHAPITRE 8
Après avoir examiné les pratiques, les usages et les représentations de la place du 1er
Novembre 1954 et les réactions et le poids des compétences des acteurs-commerçants
face au projet de réaménagement de la place du Commandant Medjdoub (ex Hoche),
nous nous efforçons de présenter dans ce chapitre comment les pratiques des espaces
publics inventent de nouveaux lieux urbains.
Dans cette perspective, ce chapitre tente, d’abord, d’explorer les compétences des
usagers-citoyens à s’approprier des espaces publics. Ensuite, il met l’accent sur
l’importance de la pratique de l’espace public dans l’invention de nouveaux lieux de
centralité qui offrent un certain nombre de caractéristiques spatiales et morphologiques
et architecturales favorables. Enfin il accorde une attention toute particulière aux
moments d’exception des pratiques des espaces publics.
383
8.1 QUAND LES USAGERS-CITOYENS S’APPROPRIENT DES ESPACES
PUBLICS
Dans notre travail d’observation des lieux publics, nous avons relevé des situations où
les usagers-habitants peuvent agir en groupe pour défendre ou gérer un espace public
par des actions communes ou des réactions qui peuvent aboutir à des changements. A ce
propos, deux exemples significatifs peuvent être cités : celui de la gestion quotidienne
du square Garson et du square-jardin Aboudarm dans un des quartiers résidentiels de la
ville, et celui de l’annulation d’une décision communale d’installations commerciales
sur cette allée plantée et aménagée en 2010 aux abords du centre des Congrès d’Oran
(CCO). Ils se présentent ainsi :
384
financière collective s’effectue régulièrement pour leur octroi. (Entretien, 17
juin 2011).
II- Dans le secteur urbain d’Akid Lotfi (Canastel), sur la frange marine, la déléguée
responsable de l’antenne de la commune du dit secteur, a pris l’initiative en juillet 2011
de mettre en place des abris commerciaux sur une esplanade bordant l’Hôtel Méridien
sur le front de mer – appelée boulevard Dubaï – pour renforcer la dynamique d’un lieu
très investi par la population. Cette action pouvait paraître à première vue intéressante
en soi si ce n’est qu’il n’a suffit que de quelques jours pour se rendre compte du
délabrement prématuré de l’espace. Celui-ci, exacerbé par l’investissement intempestif
de vendeurs à la sauvette, a causé des nuisances et des désagréments aussi bien aux
piétons qu’aux riverains. Le Quotidien d’Oran du 24 août 2011 titrait « Le wali suspend
la déléguée du secteur urbain de Canastel ». L’article argumentait qu’« une centaine
d'habitants de Haï Akid Lotfi, accompagnés des responsables de l’association «El
Mousalaha», s’étaient déplacés au commissariat du 9ème arrondissement pour dénoncer
les agissements des commerçants illicites installés au niveau du boulevard central (Bd
Dubaï) ». Il ajoutait qu’après une série de plaintes et de pétitions, une rencontre s’est
organisée entre le président de l'APC et les représentants du quartier, en présence du
wali, pour mettre fin à ces activités qui dégradaient, selon eux, leur quartier.
Face à cette situation, les pouvoirs publics, à leur tête le wali, se sont vus contraints
d’écourter le temps des installations et de déloger les commerçants afin de remettre en
état cet espace tant convoité, un espace qui est « devenu un endroit de prédilection pour
des centaines de familles en quête de fraîcheur durant les chaudes nuits d'été », écrit Le
Quotidien. Il faut dire que depuis l’aménagement de cet espace au printemps 2010, les
principaux journaux152 relayés par la radio locale « El Bahia » et les forums du web, ne
cessèrent de couvrir d’éloges cet espace.
Ces deux exemples illustrent certes des formes de compétence des habitants à prendre
en charge la gestion quotidienne de leurs espaces publics de proximité, ou à organiser
des actions de revendication en faveur de la protection de leur cadre de vie. Ils restent,
néanmoins, négligeables. Alors, nous nous demandons si l’on assiste à une réelle
émergence de compétences d’action citoyenne ?
152
Voir par exemple Le Quotidien d'Oran du 10 - 07 – 2011 et du 24 - 08 – 2011, Le Soir d'Algérie du
26 - 07 – 2011, Le Financier le 26 - 07 – 2011, Liberté du 20 - 08 – 2011, El Watan du 21 - 07 – 2012, …
385
Figure 119: Entretien par les habitants du jardin Aboudarm des Castors. Photos F. Kettaf (Juin 2011)
Figure 120: Entretien par les habitants du square Garson des Castors. Photos F. Kettaf (Juin
2011)
386
8-1-2 Les associations à la conquête des espaces publics
Les associations activent de plus en plus dans la promotion et dans la protection des
espaces publics. Plusieurs actions sont, en effet, menées dans le domaine associatif.
Depuis une dizaine d’années, nous voyons apparaître de plus en plus d’associations qui
s’intéressent aux espaces publics et activent fortement à attirer l’attention des autres
acteurs de la ville sur leur richesse et sur la nécessité de leur prise en charge. Les
associations Bel Horizon, Santé Sidi-el-Houari (SDH), pour ne citer que celles qui ont
pignon sur rue, multiplient leurs activités culturelles, d’informations, de formations et
de loisirs. Elles organisent régulièrement des rencontres et des conférences pour faire
connaître le patrimoine des espaces de la ville tel une ressource importante qu’il faut
reconquérir, protéger et valoriser. Elles activent en étroite collaboration avec des
associations et fondations internationales et s’associent aux activités de l’Institut
espagnol « Cervantès » et l’Institut « Français » d’Oran (IFO). Mais c’est à l’association
Bel Horizon, une association créée en 2001, activant pour la protection du patrimoine
hérité, que revient les actions les plus visibles de conquête des espaces de la ville.
Depuis 2004, elle utilise l’espace public comme un support de communication et
organise régulièrement des balades patrimoniales. Dans une conférence organisée du 9
au 10 mai 2013 par l’Institut Français sur la Convention Faro, une convention
européenne sur la protection et la gestion du patrimoine, le président de Bel Horizon,
Kouider Metair, nous a exposé sa démarche et souligne que :
« Nous ne voulons plus agir à l’intérieur de nos locaux, c’est en investissant les
espaces publics que nous pouvons sensibiliser les habitants et les pouvoir publics
au patrimoine urbain de la ville».
Pour obtenir l’adhésion du plus grand nombre, l’association privilégie la journée du 1er
mai de chaque année pour effectuer cette balade. Celle-ci, baptisée par l’association la
Randonnée 1er mai, concerne un itinéraire qui traverse les plus importants espaces
publics de la ville. Cette randonnée pédestre initiée en 2006 est organisée sur le suivant
parcours: elle part de la place du 1er Novembre 1954, traverse la promenade de Létang,
s’engouffre dans les dédalles du quartier historique Sidi-el-Houari à travers ses places et
ses monuments et gravite le mont du Murdjadjo. Elle a attiré, au fil des années, une
foule de plus en plus nombreuse. Selon Bel Horizon, elle débuta avec 350 personnes en
2006, pour en atteindre 20.000 en 2011. Cette marche connaît un succès certain au point
que l’édition de 2013 fut placée sous le signe des « Arts de la rue » (voir affiche dans
figure 121). Toujours organisée par Bel Horizon, elle fut accompagnée par l’Institut
Français d’Oran, en partenariat avec l’Ambassade d’Autriche, qui proposa des
interventions artistiques dans l’espace public et dans lesquelles une fanfare venue de
France a animé le parcours et un comédien autrichien a présenté son « Show Bizarr »
sur la place Port Saïd (ex Lyautey) (figures 122). Par ailleurs, d’autres types de marches
387
se sont multipliés dans ce sillage : des marches littéraires, des randonnées musicales et
même la fête de la musique du 22 juin s’organisent régulièrement dans les mêmes
espaces publics (figure 123).
Figure 121 : Programme de la Balade du 1 mai 2013 affiché par l’Institut français. Source : site
internet de lIFO
388
A) B)
C) D)
E)
Figure 122 : Balade et Art de la rue du 1er mai dans les espaces publics du centre d’Oran
A) A la place du 1er Novembre 1954 Photo Association Bel Horizon (1er mai 2011), B) Sur la rue
Phillipe. Photo d’Abderraouf Kouadri-Boudjelthia (mai 2010) ; C, D) Dans la promenade de
Létang, E) Spectacle de rue dans la place Port Saïd (Lyautey) Photos. F. Kettaf (1 mai 2013)
389
Figure 123 : Fête de la musique du 22 juin 2011 sur la place Port-Saïd (Lyautey). Photo
Association Bel Horizon
L’urbanisation à marche forcée dans laquelle s’est engagée la ville d’Oran depuis trois
décennies s’est faite par d’importantes transformations dans l’organisation urbaine,
comme nous l’avons vu dans la deuxième partie de ce travail. Ces transformations
concernent le rapport centre – périphérie, du fait de l’émergence en périphérie d’un
important secteur urbain qui pourrait constituer une nouvelle centralité au regard des
diverses activités qu’il regroupe et les pratiques urbaines qu’il génère. La Centralité
étant définie comme la « capacité de polarisation de l’espace et d’attractivité d’un lieu
ou d’une aire qui concentre acteurs, fonctions et objets de société » (Levy & Lussault
2003, p. 139).
S’il est vrai que le centre ville est toujours cet hyper-centre qui fait actuellement l’objet
de spéculations importantes, il n’en demeure pas moins que la périphérie Est d’Oran
connaît une valorisation spatiale et une dynamique économique et sociale manifestes,
aussi bien par les implantations de services, de campus universitaires, de technopôle,
d’instituts et de centres de recherche, et d’équipements commerciaux, que par la
diversification de l’offre de l’habitat (allant de la maison individuelle aux logements
collectifs à haute densité).
Nous avons tenté d’examiner ce qui nous semble constituer une amorce de centralité se
situant sur un espace qui n’a pas été conçu initialement pour constituer une centralité en
390
soi153. Notre objectif a été celui d’identifier les conditions qui semblent favoriser
l`émergence d’un espace de centralité périphérique: les caractéristiques spatiales,
morphologiques et fonctionnelles particulières et les dynamiques d’appropriation
émergentes, dans une démarche qui prend en compte les logiques de production de ces
nouveaux espaces urbains et les pratiques sociales qui s’y développent. Cette analyse
s’est effectuée à partir de plusieurs enquêtes154.
Oran, à l’instar de toutes les grandes villes d’Algérie, connaît une diversification
certaine et des mutations de sa centralité. L’essentiel des sites d’activités s’est localisé
au cours des trente dernières années en périphérie et cette tendance ne fait que se
prolonger avec les projets récents. En effet, de nombreuses zones de l’agglomération
présentent des pôles d’attractivité qui leur donnent un caractère de centralité plus ou
moins important. L’activité commerciale est l’une des activités les plus marquantes (cf.
Troin & al. 2006). Elle fait de ces quartiers périphériques un espace économique, un
espace de vie, un espace de sociabilité. Cependant, elle n’est pas uniformément répartie.
Certains lieux accueillent plus d’activités et de commerces qui participent à l’émergence
de nouveaux lieux centraux dans la ville. Parmi les plus significatifs, nous pouvons citer
les quartiers de Choupot, de Seddikia, de l’Usto (figure 124).
153
Nous nous référons en particulier à Nicolas Lebrun N., 2002, Centralités urbaines et concentrations de
commerces, décembre 2002, thèse de doctorat en géographie et aménagement, Université de Reims ; à
Pumain D., 2 00 4, «Cen tralité », article Internet Hypergeo,
http://www.hypergeo.eu/article.php3?id_article=46 et au Rapport Internet de la 4ème réunion de l’atelier
Aménagement de l’espace – Grands équipements du 26 mars 2003 du SCOT de la région mulhousienne,
http://www.scot-region-mulhousienne.org/ftp/fichiers//amna260303.pdfr.
154
Ces enquêtes se sont déroulées durant les étés 2010, 2011 et 2013. Elles consistent conjointement à des
observations directes et à des entretiens libres avec les usagers en présence dans l’espace public. Des
interviews se sont aussi réalisées auprès de la DUC chargée de diriger les projets d’aménagement le 10-11
mai 2010 et le 3-4 juillet 2012.
391
Figure 124 : Oran : extensions, nouveaux pôles périphériques d’attractivité. Source : fond de carte
d’Oran (1985), traitée par la DTP insérant le 4ème boulevard périphérique.
Mise en forme : F. Kettaf
Mais celle qui parait attirer le plus d’activités qui contribuent fortement à la naissance
d’un lieu de centralité est sans doute la périphérie Est. Celle-ci constitue l’extension la
plus significative. Il s’agit de la seule direction offrant des potentialités foncières sans
contraintes physiques et que le Plan Directeur d’Aménagement Urbain (PDAU) définit
comme zones d’urbanisation actuelles et futures de toute l’agglomération. Une
importante partie de la ville où un gigantesque programme d’habitat et d’équipements a
été réalisé ou en cours de réalisation et qui attire une population et des activités diverses.
Cependant, le mode d’organisation urbaine qui a mené à une conurbation importante
souffre d’un manque de centralité planifiée. En effet, l’absence d’une planification
urbaine stratégique à l’échelle de l’agglomération oranaise, ainsi que l’insuffisance des
orientations du PDAU et le morcellement des aménagements urbains issus des
différents Plan d’Occupation des Sols (POS) prévoyaient mal la maîtrise globale des
territoires en formation.
Dès lors que la périphérie Est constitue l’unique alternative à l’extension d’Oran,
compte tenu des contraintes physiques qui enclavent la ville des autres côtés, cet espace
catalyse les velléités des multiples acteurs, institutionnels en tête, qui tentent de
392
façonner un nouveau secteur urbain considéré important pour toute la ville. La
réalisation dans les années 1980 d’un des plus grands campus universitaires d’Algérie, à
savoir l’Université des sciences et de la technologie d’Oran « USTO », en est un des
projets les plus marquants. Le nom USTO est d’ailleurs attribué au quartier constitué
d’un ensemble de ZHUN qui est attenant au campus. Depuis, et après un long arrêt, un
ensemble d’instituts et de facultés universitaires, un nouveau centre hospitalo-
universitaire et un important programme de logements à haute densité lancé dans le
cadre du projet présidentiel d’un million de logements sont venus le compléter à partir
des années 2000. Ce secteur est devenu un important espace polarisateur économique et
culturel important. Les futurs équipements à l’échelle nationale, non prévus par le
PDAU, comme le nouveau campus universitaire, le centre des conventions et le
complexe sportif en construction ne feront que renforcer cette polarisation.
L’une des activités émergentes les plus observables est la concentration de commerces
et de services dans le quartier dit d’Akid Lotfi situé dans le secteur El Manzah. Ces
fonctions sont spatialement regroupées et entretiennent entre elles des relations de forte
proximité ; elles sont un facteur de déambulation et d’échanges. L’évolution de cette
centralité commerciale a beaucoup à voir avec celle de la centralité d’accessibilité. Les
localisations proches des voies rapides se trouvent valorisées en termes d’accessibilité
au détriment du centre ville. Cette évolution a aussi à voir avec la densité du bâti qui
présente un caractère de continuité dans sa morphologie. Les linéaires de commerces
favorisés par la forme urbaine rendent l’espace public attractif pour l’implantation
d’activités diverses : commerces de proximité, de luxe, cafés, restaurants, glaciers mais
aussi services (agences immobilières, de voyage, cabinets privés) (figure 125). La
393
concentration de commerces et de services peut, en effet, constituer un moteur de
centralité et un bon outil de régénération urbaine.
Figure 125 : Quartier Akid Lotfi : Alignement et continuité du bâti favorisent le développement
des commerces en rez-de-chaussée. Photo F. Kettaf (septembre 2013)
Les espaces publics sont utilisés pour de nombreux usages, et apportent une part
significative de convivialité. Mais leur rôle n’est pas seulement fonctionnel. Ils se
trouvent agrémentés d’une part d’embellissement et d’une dimension symbolique par un
édifice d’un caractère architectural important, par un espace public soigneusement
travaillé et aménagé d’une grande fontaine et d’un mail planté qui offrent une forte
image à ce secteur. Ils constituent un lieu d’attractivité incontestable pour les habitants
de ce nouveau quartier et les usagers de la ville.
394
moins jeunes, familles, couples, femmes, hommes venant de tous les quartiers de la ville
pour s’y détendre et s’y promener (figures 126, 127).
Figure 126 : La grande fontaine et le CCO-Méridien : des éléments d’embellissement qui attirent
les usagers. Photo F .Kettaf (septembre 2013)
Figure 127 : L’esplanade plantée (rambla) invrstie pour la promenade. Photo F. Kettaf (septembre
2013)
Cet investissement de l’espace du boulevard pour la détente s’explique aussi par tous les
discours et images mobilisés par les différents acteurs, institutionnels en premier, à
395
travers les médias (presses écrites, radios), qui ont foisonnés autour de ce projet et sur la
tenue d’un évènement à l’échelle mondiale. Et ce depuis l’annonce du démarrage du
projet en 2007. Doter la deuxième ville d’Algérie d’un équipement à l’échelle nationale
et internationale, normalement destiné à une Capitale, est accueillie avec ferveur et
enthousiasme par les habitants, rehaussant plus encore l’image de ce quartier. La
question est de savoir si cette ferveur à la pratique de ce boulevard est passagère ou
pérenne. Il est encore trop tôt pour le dire.
Par cet exemple, on s’aperçoit que la toponymie est un élément clé dans l’appréciation
ou la dépréciation d’un espace urbain tant elle façonne progressivement une mémoire
collective du quartier et renforce sa perception en tant qu’espace urbain de « valeur ».
Par ailleurs, même si la qualité urbaine du cadre bâti et du paysage est loin d’être
« satisfaisante », ce quartier, au regard des valeurs foncières et immobilières très
élevées, est devenu l’un des plus « coté » de la ville, il a carrément supplanté le centre
ville. Questionné à ce sujet, un agent immobilier (Sofiane) dont l’agence est située dans
ce quartier, nous explique que ce dernier est très prisé et les coûts des loyers et des
ventes d’appartement sont équivalents à ceux des logements situés au centre-ville155.
Les espaces publics ouverts à tous y sont sans conteste des lieux de lecture, des effets du
développement de pratiques inattendues sur les usages collectifs. L’investissement
intensif des espaces publics fraîchement réaménagés, montre clairement que les
habitants d’Oran aspirent, consciemment ou inconsciemment, à une vie citadine et
cherchent à s’inventer une place dans leur ville. Il montre aussi qu’il faut des valeurs,
des choses à partager pour que se réalise cette forme de territorialité. Celle-ci si chère à
Claude Raffestin (cité par Di Méo 1996, 2007), produirait chez l’Oranais une « sécurité
155
Entretien effectué le 10 mai 2012.
396
réelle et affective […], dans un espace ressenti comme différent des autres» (Gallais,
1982). Comme s’il s’agissait « d’une prise de possession intime des lieux » (Rocheford,
1982). Cependant, cette sensation territoriale de « bien être » ne se réalise pas dans
l’environnement immédiat, c’est un ailleurs qui est plutôt choisi et pratiqué
épisodiquement. Assurant l’anonymat, ce lieu « lointain » revêt plus de sens que le lieu
quotidien de résidence ou de travail. En effet, la plupart des usagers que nous avons
interviewés venaient des différents quartiers de la ville, voire des villes et villages
alentours. Ils affirment qu’ils y sentent bien, en sécurité et inconnus par tous. Ce
sentiment de sécurité est, sans doute, favorisé par la présence policière dans les lieux
investis.
Le nouveau quartier d’Akid Lotfi est caractérisé par une forte mixité et proximité de
différents types d’habitats, social, promotionnel, « standing ». En ce sens, il est aussi un
lieu de rencontre entre les différences sociales. Une telle centralité est source de mixité
sociale en sa capacité de développer la vie urbaine. À ce titre, ce nouveau quartier est
une concentration extraordinaire de couches sociales différentes dont il est intéressant
d’observer les comportements et d’analyser les formes de sociabilité en œuvre dans
l’espace public, dès lors que, comme le dit Guy Di Méo, « ces pratiques et ces
comportements bâtissent l’espace géographique au quotidien » (2007, p. 35).
Oran est connue par la célèbre expression qui lui est consacrée de « Ouahran el Bahia »,
cette image distinctive et très positive qui exprime en langue arabe Oran où il fait bon
vivre, la ville joyeuse, la ville festive. Les Espagnols l’ont nommée aussi « Bahia de
Oran» qui veut dire en espagnol « la baie d’Oran », dénomination comme celle que
portent certaines villes de l’Amérique latine (Bahia du nord du Brésil, Bahia Blanca du
port d’Argentine).
397
Elle est aussi connue par la réputation de ses habitants vus comme ouverts d’esprit et
hospitaliers qui lui doivent des connotations bien négatives de ville dépravée, libertine,
voire débauchée. La célèbre chanson populaire « Oran la joyeuse, jour et nuit festive »
ne renvoie t-elle pas aussi à cette fameuse histoire ancestrale qui nous vient du XVe
siècle dans lequel, sous la domination des Beni-Zian, les Oranais, jouissant d’une
grande prospérité, se livrent aux excès les plus vils ; leurs mœurs se corrompirent. Fey
nous rapporte que « Sidi-Mohammed-el Houari ayant visité Oran, frémit à la vue de tant
de corruption et s’écria pour bannir les Oranais : « Oran, ville de l’adultère, voici une
prédilection qui s’accomplira : L’Etranger viendra dans tes murs jusqu’au jour du
renvoi et de la rencontre »156 (p.55-56). C’est de cette prédilection qu’il lui vaut sa place
au rang du saint patron de la ville, qui reste dans la mémoire collective comme la figure
identitaire de la ville. Son mausolée dans le quartier ancien qui porte son nom constitue
jusqu’à nos jours un lieu sacré où les Oranais viennent quérir sa bénédiction.
Sites, monuments et lieux activent les souvenirs et remémorent souvent les pratiques de
ceux qui ont foulés cette terre, à travers les récits, les légendes et les usages. Certaines
pratiques ont traversé l’histoire, sans prendre la moindre ride, se perpétuent et se
réinventent dans le quotidien urbain. Les musiques locales, le raï et le « karkabo »,
revivifient les imaginaires et occupent une place toute particulière dans le registre du
patrimoine culturel. Principalement d’origine rurale, ces musiques ont d’abord pris
origine dans les quartiers populaires, en particulier M’dina el Jadida (Ville Nouvelle)
pour investir de plus en plus l’ensemble de la ville. Elles témoignent de sa reconquête
et de la reformulation d’identités urbaines collectives.
La musique raï, initialement confinée dans la sphère privée, qui évoque de manière crue
l’amour, la femme et les plaisirs de la vie – sujets extrêmement tabous dans la culture
traditionnelle d’Algérie – se déploie dans la sphère publique. Son internationalisation
l’a propulsée sur le devant de la scène jusqu’à envahir les espaces publics de ville.
La musique Raï et le chant du karkabou qui fait éloge aux saints patrons de la ville, ont
intégré durablement les pratiques festives des Oranais. Sons incontournable des fêtes
traditionnelles, religieuses et nationales, ils animent les espaces publics principaux et
symboliques de la ville. En ce sens, les espaces identitaires de la ville d’Oran, comme la
place du 1er Novembre 1954, le boulevard Front de mer, les abords des mausolées des
saints patrons de Sidi M’hmed, Sidi el Houari, Sidi B’lal, Sidi el Hasni, mais aussi le
rond « Sheraton », boulevard « Dubaï » dans la périphérie Est de la ville vivent aux
rythmes des temporalités urbaines. Les cortèges nuptiaux, les manifestations culturelles,
156
Fey cite que « c’est de ce relâchement dans les mœurs, de ces désordres de toutes espèces, que naquit
la piraterie dans l’ouest et c’est à Oran qu’en fut le berceau ». La mort d’el-Houari eut lieu en 1439
(843) ; sa prédilection fut accomplie soixante dix ans après, par l’arrivée des Espagnols à Oran.
398
les nuits du Ramadan, les balades estivales sont autant d’évènements qui accaparent ces
espaces publics.
La musique locale renvoie à la pratique de la fête. La fête peut constituer une entrée
particulièrement intéressante dans l’observation des pratiques et des représentations des
habitants. On se réfère ici aux travaux de Christian Rinaudo et al. qui considèrent la
fête, celle ayant pour support des espaces publics, « comme un puissant analyseur des
recompositions et des dynamiques urbaines » (2007). C’est en ce sens, que nous
pensons utile d’aborder les manifestations festives pour laquelle les imaginaires jouent
un rôle central dans les pratiques des espaces publics, celles qui permettent une « sortie
du quotidien » et celles qui représentent la ville (cf. Madœuf, 1997 ; 2005).
La fête rend possible une « sortie du quotidien » qui « s’opère par une rupture spatio-
temporelle habituelle et par l’attribution d’un sens nouveau aux lieux momentanément
adaptés, détournés, accaparés » (Rinaudo & al. 2005, p. 173). Le cortège nuptial, les
manifestations culturelles, les nuits du Ramadan sont autant d’exemples qui montrent
bien comment l’espace territorialisé par ces pratiques construit une configuration
symbolique à la fois éphémère (le temps de la fête), reproductible (rythme cycliques des
fêtes) et alternative par rapport à la signification symbolique accordée en temps normal
aux monuments et aux lieux investis par la fête.
Durant tous les étés, périodes propices aux cérémonies de mariage, les espaces de la
ville vivent aux rythmes des cortèges nuptiaux dans lesquels le chant du karkabou
constitue la pièce maitresse. Ces fêtes privées dès lors s’exposent pour un temps à
l’espace public. Pourtant, l’espace n’est pas qu’un support : le chant du karkabou ou de
la ghaïta est bien né d’une tradition ancienne vouée au culte des « Walis » (des Saints)
dont le rôle est, entre autres, de bénir les futurs mariés. Dans ce contexte, les lieux et les
significations qui leur sont attachés, prennent tout leur sens.
399
celui-ci s’est emparé de ces espaces en les imbibant de sa symbolique, le temps de la
fête.
Ce n’est pas seulement l’absence du kobba (mausolée, à la lettre : coupole) qui explique
cette transformation rapide de l’usage du rond point. La proximité d’un hôtel de renom
international et d’une architecture iconique, le premier du genre construit à Oran (en
2005), et celle du rond point agrémenté d’une grande fontaine, ont en effet encouragé
cette évolution. Cette pratique rituelle, même si elle entrave considérablement les
automobilistes qui peinent à se frayer un passage au milieu de l’escorte nuptial, est
revendiquée par les Oranais pour exprimer leur droit à un espace public vu comme
prestigieux.
Ce glissement est très surprenant compte tenu de l’ampleur du phénomène qui a incité
les autorités locales à prendre conscience de l’intérêt qu’aspirent les habitants pour les
espaces publics. En effet, le directeur de la DUC nous explique que :
« C’est en observant la pratique intensive de ce rond point que nous avons pris
conscience des besoins des Oranais en matière d’espaces de détente et que nous
avons décidé, en accord avec la wilaya, d’entreprendre des travaux de
réaménagement d’espaces de loisir » (entretien accordé le 10 mai 2010).
Cette prise de conscience des pouvoirs publics s’est manifestée, en effet, par le
réaménagement d’un espace vert existant, auparavant non pratiqué, à proximité de ce
rond point en espaces de loisir et de détente. Ces derniers, de par leur investissement
intense par les Oranais, se sont retrouvés très vite exigus et insuffisants. Par ailleurs, la
400
pratique rituelle du cortège nuptial autour du rond point n’a pas cessée pour autant; elle
s’est imposée durablement.
Depuis 2000, la ville d’Oran ne cesse de convoquer la culture locale qui s’appuie sur
différentes ressources qu’elle soit propre aux autochtones ou qu’elle sont héritée des
pratiques des anciens occupants, en particulier français ou espagnols, pour mettre en
image la ville et ses espaces publics. Le festival international du raï organisé dans le
jardin du Petit Vichy depuis 1990, des concerts périodiques sur la promenade de Létang,
la marche du 1er mai dans le mont Murdjadjo commencés en 2006, les floralies dans le
grand jardin public organisées depuis 2007, sont autant de fêtes qui servent à la ville à
produire tout un ensemble d’images pour représenter une « identité locale » en
investissant des espaces publics centraux hérités de la période coloniale qui, dans leur
majorité, étaient peu pratiqués par les Oranais. Ils semblent ainsi constituer des lieux
privilégiés d’élaboration de stratégies identitaires collectives (figures 128-130).
La fête, diront Christian Rinaudo & al. « par les rassemblements qu’elle provoque, par
la sélection des lieux qu’elle opère, par les symboles qu’elle convoque et qu’elle met en
scène », ne permet-elle pas de procurer à la ville une meilleure lisibilité ? C’est en ce
sens que la fête constitue une entrée intéressante dans « l’observation des vies citadines,
des pratiques et des représentations des habitants » (2007, p.171-172).
401
Figure 128 : Chants du karkabou et de la karabila animent la place du 1er Novembre lors de la
commémoration du jour l’indépendance, Photo du 5 juillet 2008
Figure 129 : Les floralies dans le jardin public municipal. Edition 2013.
Photos F. Kettaf (25 mai 2013)
Figure 130 : Concert dans la promenade de Létang. Photo F. Kettaf (1er mai 2013)
402
Les observations des pratiques festives qui ont nourri ces quelques réflexions, tout dans
la limitation de notre propos, permettent d’envisager l’importance de la capacité des
fêtes et des rituels à rendre compte des dynamiques urbaines qui sont à l’œuvre pour
inventer et mettre en scène une culture urbaine, mais aussi pour construire ou
reconstruire une « identité locale» dans un monde de plus en plus « globalisé ». Cette
aptitude à l’exploitation des héritages culturels et de leur articulation aux nouveaux
modes de vie modernes semble être pleinement assumée et s’expose plus facilement, et
de manière plus désinvolte, dans l’espace public oranais. Elle correspond, toutefois, aux
caractéristiques « des sociétés contemporaines mondialisées et en particulier des
grandes métropoles qui, comme le soulignait Hannertz, offrent un cadre plus propice à
l’élaboration de nouvelles identités plus complexes et plus syncrétiques (1990) »
(Rinaudo et all., p.190).
Le mois du Ramadan est un moment particulier dans la vie sociale des jeuneurs. La vie
quotidienne durant le Ramadan s’imbibe d’un rythme de vie diurne et de vie nocturne
différent de celui de la vie ordinaire. La vie quotidienne est parcourue et traversée par
les grands rythmes cosmiques et vitaux : les jours et les nuits, les mois et les saisons, et
plus précisément encore, les rythmes biologiques (Lefebvre & Régulier, 1985).
« L'étude de la vie quotidienne a déjà mis en évidence cette différence banale et
pourtant méconnue entre le cyclique et le linéaire, entre le temps rythmé et le
temps des répétitions brutales. Cette répétition est lassante, épuisante, fastidieuse,
alors que le retour d'un cycle a l'allure d'un avènement et d'un événement. Son
début, qui n’est pourtant qu'un recommencement, a toujours la fraîcheur d'une
découverte et d'une invention. L'aube a toujours un charme miraculeux ».
(Lefebvre et Régulier, 1985, p. 191)
Cette réflexion d’Henri Lefebvre et Catherine Régulier qui examinent les rapports entre
« la vie quotidienne et les rythmes », renvoie dans notre étude au moment exceptionnel
du retour du Ramadan, chaque année, qui « a l’allure d’un avènement et d’un
événement ». La vie quotidienne se confond alors avec une nouvelle échelle spatiale,
« en ravivant des lieux symboliques et des pratiques qui privilégient les activités de
groupe et les liens sociaux traditionnels », comme l’écrit Larbi Chouikha dans son
article sur le Rythme de vie et styles de l’usage des citadins de Tunis en période de
Ramadan (2000, p. 183). En effet, le style de vie change et influence les pratiques des
espaces publics. L’enquête s’est basée essentiellement sur l’observation qui s’est
déroulée durant trois années de Ramadan successifs (juillet et août 2011, 2012 2013).
Le développement qui suit s’inspire particulièrement des travaux de Larbi Chouikha
(2000), cité plus haut.
403
Durant le Ramadan, l’activité commerciale à Oran débute tardivement le matin et se
concentre essentiellement autour des lieux d’achats des produits alimentaires : marchés
et échoppes mais aussi les abords des marchés publics qui abondent de vendeurs de
produits prisés en ce mois : diouls (feuilles fine pour la préparation des boureks), pain
traditionnel, bouquet garni de kousbour et de maâdnous (coriandre et persil) et pois
chiche pour la hrira (soupe traditionnelle), gâteaux traditionnels … En journée, la ville
ne vit qu’au rythme effréné de la consommation alimentaire. Le soir après la rupture du
jeûne, l’animation des lieux de commerce, de loisir et de détente est forte,
particulièrement dans la seconde quinzaine du mois, lors de la préparation des fêtes de
l’Aïd Es-seghir qui marquent la fin du mois saint157. Les habitudes de consommation et
de loisir s’enrichissent et se diversifient. Les artères principales d’Oran –
essentiellement celles du centre-ville (rue Larbi M-hidi, rue Khemisti, boulevard Front
de mer et square Port Saïd en été) mais aussi celles des nouvelles centralités en
périphérie, comme citées plus haut (avenue Choupot, boulevard « Dubäi », Akid Lotfi)
– connaissent durant la journée des activités des commerces des produits alimentaires,
tandis qu’en soirée elles connaissent une animation intense où les activités
commerciales se mêlent aux activités de loisir et de détente.
Figure 131 : Les nuits du Ramadan : la « Rambla » et la grande fontaine investi par les
promeneurs. Photo : F. Kettaf (juillet 2013)
157
Dans le langage des oranais, Aid el Fitr est appelé Aid es-seghir (peites fêtes) en rapport à Aid el kebir
(grande fêtes) de l’Aïd el Adha (fêtes du sacrifice).
404
famille, sont très fréquentes et la plupart des cafés et glaciers restent ouverts jusqu’à une
heure bien avancée de la nuit (figure 131). La dernière semaine avant l’aïd est le
moment culminant : toute la journée et surtout la nuit, l’ambiance est à son comble.
Celle-ci est perceptible et ressentie dans tous les principaux lieux exposés à la visibilité
publique. Ces lieux deviennent des espaces hautement actifs durant le Ramadan, si bien
que certaines rues, en particulier celles du centre-ville, en particulier la rue Ben M’hidi,
sont dédiées exclusivement à la circulation piétonne. C’est dire l’intensité du
mouvement piéton qui anime les nuits du Ramadan. Mais c’est dire aussi le contrôle
politique qui s’y exerce avec vigueur.
L’espace public investi par les usages est structuré par le politique. Les pouvoirs publics
interviennent dans plusieurs secteurs de la vie collective en organisant la vie sociale,
religieuse, caritative, culturelle et économique. Ils s’assurent de la bonne conduite des
usagers dans l’espace public. Dans ce contexte, la présence policière dans les lieux
publics, notamment dans ceux susceptibles d’être investis par les usagers, s’accentue
durant tout le mois du Ramadan.
Ce qui caractérise l’espace urbain du Ramadan de ces quinze dernières années, c’est la
visibilité sociale et physique des femmes le soir. Elles sortent de plus en plus vers
l’espace extérieur et se mêlent aux hommes en s’attablant dans des cafés, glaciers
comme ceux situés dans les artères du quartier d’Akid Lotfi et du Front de mer. Elles se
promènent en couples, en groupe d’amis ou en famille dans les artères principales de la
ville : centre-ville, boulevard Front de mer, boulevards Dubaï et Akid Lotfi, rond-points
Sheraton et du Méridien, avenue Choupot, et assistent aux manifestations culturelles
publiques.
405
Conclusion de la troisième partie
A Oran, les places publiques sont certes des espaces d’identification marqués par les
héritages de la symbolique de la ville coloniale. La qualité de leur spatialité (physique et
esthétique) interfère avec le sens que les habitants donnent à la ville, et avec l’image de
cette dernière.
A l’exception de la place de la Perle qui est aux antipodes de la dynamique urbaine, les
places publiques examinées sont principalement des espaces de passage. Ce sont des
espaces que l’on traverse mais où l’on ne s’arrête pas. Ce qui caractérise la majorité
d’entre elles est leur aménagement encombré et leur disposition entourée de voies à
forte circulation automobile, ce qui crée une coupure spatiale avec les activités et les
lieux de commerce environnants et surtout empêche leur fréquentation par les habitants.
Dans certains cas, comme la Place de la Bastille et la Place Hoche, les encombrements
sont si contraignants que les usagers préfèrent les contourner que les traverser.
Toutefois deux places, qui sont d’ailleurs les plus citées par les habitants d’Oran que
nous avons enquêtés, arborent des territorialités particulières. D’une part, la Place
d’Armes qui, de par son ampleur, sa visibilité et sa représentation dans l’imaginaire
collectif, constitue un espace de mise en scène de multiples usages. D’autre part, la
Place des Victoires qui, grâce à sa position centrale et à sa situation à la confluence de
plusieurs artères commerçantes, s’affirme comme un espace de repère et un lieu de
rendez-vous pour nombres d’usagers de la ville d’Oran.
406
Par ailleurs, comme le montre l’enquête sur les réactions des usagers - commerçants-
fleuristes - face à un projet de réaménagement de la place Hoche comportant à leur insu
l’aménagement de kiosques à fleurs, les acteurs ordinaires peuvent exprimer
collectivement des compétences en termes d’appréciation de la conduite et de la qualité
du projet. Leur mise à l’écart dans la prise de décision des déplacements, et plus
précisément leur absence dans les commissions d’évaluation des propositions
d’aménagement, montre un désintérêt de la part des autorités locales. Ce manquement
est patent si bien que les aménagements réalisés, aux dires même des fleuristes, ne
semblent pas être conçus en accord avec les exigences fonctionnelles, techniques et
esthétiques inhérentes à la vente des fleurs. Six mois après la fin de la réalisation du
projet, la place en question s’est très vite dégradée et annihilée. Les commerçants
fleuristes ont pu, en effet, faire preuve de compétences de mobilisation collective vis-à-
vis des initiateurs et des concepteurs du projet. Les paroles virulentes et accusatrices
envers les collectivités locales ayant porté le projet, montrent une forme de rejet des
méthodes d’une telle gestion urbaine. La parole s'avère, toutefois, comme l'unique
expression de liberté de refus.
D’un autre point de vue, l’analyse des pratiques des espaces publics et des moments
d’exception, révèle une invention perpétuelle de lieux urbains. Elle illustre des formes
de compétences des habitants à investir des espaces publics, en particulier en périphérie.
Des pratiques, parfois inattendues, qui impulsent la dynamique des espaces publics et
donnent lieu, de manière plus ou moins spontanées, à de nouvelles centralités.
L’exemple de l’émergence de la nouvelle centralité du quartier d’Akid Lotfi de la
périphérie Est, est un des exemples les plus significatifs dans la ville d’Oran. Il illustre
l’importance des formes urbaines et architecturales de l’espace, mais aussi celle des
images et des représentations attribuées à ce nouveau quartier. Ainsi caractéristiques
physiques, images, discours, représentations ont concouru à la configuration d’un
espace public. Les moments d’exception sont aussi des temporalités qui rythment les
pratiques des espaces publics. Le cortège nuptial, les manifestations culturelles, les nuits
du Ramadan sont autant d’exemples de moments d’exception dans lesquels des espaces
publics connaissent des pratiques intensives. Ces pratiques temporalisées permettent
aux habitants d’investir des lieux spécifiques, aussi bien dans le centre-ville que dans
les nouvelles centralités périphériques.
Ces lieux, en particulier des ronds-points arborés de grandes fontaines, sont situés sur le
nouveau boulevard du Front de mer. Ils sont caractérisés par leur position dans la ville
et leur paysage. Même si l’on privilégie la forme, la monumentalité n’est pas un élément
nécessaire qui fait défaut aux ronds-points pratiqués en périphérie Est. K. Lynch (1960)
le montre bien. Ce dernier utilise le terme de « nœuds » et de « repères » qui renvoient à
l’idée d’espace « convergeant » qui présente un attrait. Les ronds-points dits du
Sheraton et du Méridien sont des carrefours convergents qui offrent des espaces de
407
détente constituant une convergence. Toutefois, la présente des Hôtels à leurs abords à
l’architecture imposante et résolument moderne, ajoutent sans doute, un attrait certain à
ces espaces.
L’analyse des territorialités a mis en évidence le rapport étroit qui existe entre les
paysages et les comportements de ceux qui les pratiquent. Comme le souligne Michel-
Jean Bertrand, « Si Forme et Paysage ne sont pas équivalents, tous deux comprennent à
la fois des éléments perceptibles, des éléments non visuels […], les réseaux qui leur
permettent de fonctionner » (1988, p. 132).
408
CONCLUSION GÉNÉRALE
Deux niveaux de réflexion ont jalonné nos travaux de recherche sur les places publiques
d’Oran. Le premier concerne plus largement l’approche de la conception des espaces
publics et interroge la place qu’ils occupent dans la pratique de l’urbanisme et de la
planification urbaine. Le second aborde les usages contemporains des espaces publics et
tente de saisir les adéquations entre formes urbaines et architecturales et pratiques
sociales et représentations.
Les places publiques d’Oran se révèlent, à l’issue de cette recherche, comme étant des
espaces qui renvoient aussi bien aux héritages propres d’Oran, aux transformations liées
à l’évolution de la ville, à l’application de modèles et de techniques à l’origine souvent
importées, mais aussi aux usages inhérents aux pratiques et aux représentations de ceux
qui les investissent, les qualifient et s’en approprient. La nature polysémique de
"l’espace public" a permis, à travers l’étude des places, de faire émerger un cadre
susceptible d’appréhender l’histoire urbaine d’Oran, les rapports entre l’adoption des
techniques et la pensée urbanistique, les rapports entre la ville, les valeurs et les
pratiques de la société, ainsi que les influences et les échanges entre les deux rives de la
Méditerranée.
Etudier la fabrique des espaces publics d’Oran nous a conduit à explorer, par le biais de
différents champs disciplinaires, le débat intellectuel qui gravite autour de l’espace
public et des espaces publics depuis une quarantaine d’années. Dans la discipline de
l’aménagement, la question de ces derniers est, en effet, au cœur des préoccupations
urbaines, et ce depuis que l’urbanisme moderniste, dit progressiste, a ébranlé les espaces
de la ville et par-là même contribué à exacerber le lien social. En effet, les espaces
publics sont devenus depuis les années 1970, en Europe particulièrement, un enjeu
essentiel de reconquête de l’urbanité et de la qualité urbaine. Et c’est la place publique -
définie ici au sens large du terme - qui incarne le lieu où s’exprime le mieux la
sociabilité urbaine que l’urbanisme contemporain cherche à reconquérir résolument.
Travailler sur les places publiques au sens de leur conception et de leur usage nous a
mené à interroger le rôle qu’occupe la place dans la ville depuis les premiers organismes
urbains ; en termes des chemins parcourus à la fois dans la « ville européenne » et dans
la « ville arabe » mais également en relation aux modèles urbains et architecturaux qui
leurs sont associés. Cet enseignement a représenté dans cette étude un préalable
nécessaire pour mieux appréhender la fabrique des espaces urbains d’Oran. Les
documents iconographiques, cartographiques et cadastraux que nous avons repéré dans
les archives d’Oran et celles d’Aix-en-Provence, se sont révélés des sources originales
409
et des outils essentiels d’analyse ; ceci a permis de mieux saisir à la fois la structuration
des espaces urbains et le processus de fabrication des places publiques d’Oran aux
différentes époques considérées. Sur ce plan, nous espérons avoir ainsi contribué à
ajouter une pierre à l’édifice de l’écriture de l’urbanisme oranais. Cette analyse a fait
l’objet de la première partie de cette recherche.
A Oran, la majorité des places sont localisées dans la ville-centre, créée en grande
partie ex nihilo avec son tracé régulateur. Elles apparaissent dès 1840 au cours d’une
opération de remodelage menée par l’administration militaire française sur la ville
existante en formation depuis l’ère médiévale. Elles se multiplient à partir des années
1860 à la faveur du projet colonial de développement urbain où un vaste plan
d’extension vers l’Est est adopté, transformant en quelques décennies le paysage de
l’agglomération oranaise. Nous avons montré que les places d’Oran ont été jusqu’aux
années 1940 les supports par lesquels ont été édifiés des quartiers entiers, destinés aussi
bien aux résidents européens qu’aux habitants autochtones prolétarisés. Certes, il
s’agissait de quartiers bien distincts les uns des autres. L’intervention française a
constitué une contribution essentielle en matière d’urbanisme. L’acte d’aménager les
centres villes en Algérie et leurs réseaux de places publiques a fondé une pratique de
l’espace urbain tout-à-fait novatrice. Si celle-ci semble analogue à celle prévalant dans
la métropole française, il n’en demeure pas moins que le modèle colonial a trouvé un
terrain favorable à l’application d’un « urbanisme à l’état pur ». Cet urbanisme dont les
principes ne comptaient guère avec l’héritage historique et la question de la propriété
foncière a de fait ignoré le point de vue des populations autochtones. Cela était bien
différent dans les villes européennes, comme le souligne Jean-François Tribillon à
propos de l’urbanisme colonial (2002, p. 78-79). A Oran, le modèle colonial s’appuie à
la fois sur un urbanisme de lotissements dans lequel chaque lotissement est doté d’une
ou de plusieurs places et sur celui du grand dessein et de la monumentalité.
L’architecture des immeubles qui bordent les places, éclectique, est ressemblante à bien
410
des égards à celle adoptée dans les villes françaises à la même période. Ainsi, il s’avère
que les divers styles architecturaux d’Oran correspondent à une pratique dominante de
l’esthétique urbaine propre de l’Europe des XIXe et XXe siècles. Tenons compte aussi
qu’il s’agit d’une pratique qui, dans un contexte de développement du tourisme au début
du XXe siècle, tente de s’imbiber aussi des spécificités locales, et crée un style
communément appelé « style Jonnard ».
La réappropriation de la ville héritée qui suit l’indépendance s’est manifestée par une
volonté de mener des actions d’embellissement de l’ensemble des places publiques du
centre ville. Nous avons montré que l’opération la plus significative, entreprise dans les
années 1970, consiste à introduire des aménagements verts avec des massifs floraux
limités par des parapets en fer forgé. Depuis et hormis l’enlèvement de ces parapets en
2005, très peu d’actions d’agrément ou de réhabilitation ont concerné ces places,
devenues au fil de leur dégradation par le temps, difficilement utilisables.
Transformées en espace vert, les places d’Oran héritées sont regardées par les
aménageurs (décideurs et professionnels) presque exclusivement sous l’angle de la
fonctionnalité. Elles sont devenues des espaces qui devaient revêtir le même rôle : celui
de permettre aux riverains de les utiliser comme espaces de détente et de jeux pour les
enfants. Nous avons avancé à ce propos l’hypothèse que si cette action a permis une
meilleure fréquentation des espaces, l’uniformisation semble avoir, toutefois, contribué
à une forme de banalisation de ces mêmes espaces. Le manque d’entretien et le manque
de créations de places nouvelles a, d’après notre analyse, participé à la perte de
considération de ces espaces autant par les aménageurs que par les usagers.
411
son essence l’espace urbain. Le tissu urbain saisi comme une structure qui articule
étroitement le bâti et le non bâti a progressivement disparu dans l’étalement de la ville
et les extensions urbaines vers les périphéries, laissant place à l’application de
l’urbanisme bien connu des « Cités Radieuses » à la Corbusier. Aujourd’hui encore, les
logements groupés dans des grands ensembles hors la ville et le zonage dominent, de
même que se perpétue la disparition des ilots-parcelles et des espaces publics. L’espace
public constitue en effet, dans le contexte oranais, le « maillon faible » de tout le
dispositif d’aménagement urbain. Son absence comme outil essentiel de la fabrique
urbaine dans les instruments d’urbanisme en vigueur et sa négligence dans le processus
de production et de la gestion urbaine sont manifestes. Ses manquements montrent, sans
nul doute, l’incompréhension des décideurs et des concepteurs de l’importance des
espaces publics dans la ville et l’incapacité de ces derniers à mettre en œuvre des
aménagements urbains cohérents. En outre, le manque de coordination entre les
multiples acteurs urbains, la lourdeur bureaucratique et l’insuffisance de compétences
professionnelles et techniques ont amplifié l’incapacité de la production et de la gestion
des espaces publics.
Une mise en forme urbaine et architecturale raisonnée d’une place ou d’un lieu public
est susceptible d’ajouter qualité d’usage et intérêt visuel, mais aussi de mettre en image
les espaces de la ville. Il s’agit d’une conception qui devrait permettre aux espaces
publics de revêtir une fonction essentielle de la mise en scène sociale, et qui prend en
compte le mouvement piéton et les pratiques de sociabilité urbaine. Dans cette
perspective, nous suggérons que les places ou les lieux urbains se devraient d’être
pensés comme des « exceptions », des points d’arrêt dans lesquels se pratiquent des
usages multiples, des configurations spatiales différentes : des espaces qui invitent à la
convivialité, où l’on peut s’arrêter, s’y reposer, déguster un café tout en observant les
passants, apprécier l’architecture et le paysage. Des espaces perméables et facilement
accessibles pour s’y sentir en sécurité. Des espaces, comme dit Richard Sennett (1990),
qui stimuleraient « la conscience de l’Autre » et où pourrait se produire l’urbanité.
C’est en ce sens que les stratégies municipales de nombre de villes actuelles dans le
monde s’orientent vers la recherche, d’une part, d’un équilibre entre espace pavé et
espace planté en accord avec le rôle que l’on veut attribuer à la place, c’est-à-dire celui
de permettre le mouvement du piéton, et d’autre part, vers la recherche d’éléments qui
concourent à la qualité esthétique du paysage urbain.
Dans ce contexte, l’action des collectivités locales occupe une place de premier plan
dans la promotion et la gestion des espaces publics. Notre approche nous fait arguer que
ce ne sont pas uniquement les habitants qui impulsent la dynamique d’un espace public,
c’est aussi l’acteur municipal qui met son action au service de la ville et de ses
habitants. Sans vouloir en faire l’éloge, il nous paraît utile de relever ici que les places
publiques des centres anciens de nombre de villes européennes représentent des
412
exemples éclairants de comment ces espaces sont susceptibles de devenir des lieux de
mise en scène d’évènements permettant aux pouvoirs municipaux de promouvoir la
ville et de faire connaître ses qualités spatiales et architecturales (Chevalier & Peyron,
1994). Dans le cas de Montpellier, que nous avons étudié à titre comparatif, par la
requalification de ses places principales en particulier et ses espaces publics en général,
la ville affiche une volonté d’améliorer le cadre de vie de ses habitants et de compter
dans la compétition des villes méditerranéennes, comme le soulignent Philippe Cadène
et Dominique Chevalier (1997).
A Oran, quelques actions menées au sens de la promotion des espaces publics montrent
clairement l’incompréhension des collectivités locales à évaluer l’impact de leurs
actions sur la pratique et la gestion des espaces publics. L’installation d’activités
commerciales le temps d’un été sur l’esplanade bordant l’Hôtel Méridien, qui a très vite
dégradé l’espace et influencé négativement la pratique de la promenade et la quiétude
des riverains, est un exemple pertinent d’une gestion urbaine discutable.
Faire d’un espace public un lieu de manifestations temporaires, en s’appuyant aussi sur
l’organisation d’événements qui attirent les foules, implique de lourds investissements,
et comporte une attention particulière et une gestion minutieuse. Nous retenons que
l’absence de réflexions, concertées et négociées, entre les différents acteurs de la ville
(élus, architectes, paysagistes, commerçants, habitants, usagers au sens large,…) sur des
sujets aussi sensibles que l’espace public peut contribuer à exacerber la vie urbaine.
La conception et la gestion des espaces publics s’inscrivent dans une démarche itérative
où il est question de ne pas hâter la recherche de solutions d’aménagement, qui peuvent
êtres rigides et inefficaces, mais de construire une plateforme prospective de travail en
souplesse sur les problématiques posées. Les opérations d’aménagement et
d’architecture doivent, pour ce faire, être le lieu de multiples négociations entre les
différents acteurs qui ont chacun leurs logiques et leurs objectifs. Ces négociations ont
généralement pour support des « figurations »158 qui permettent aux usagers de
visualiser le projet et d’apporter leurs avis ou leurs propositions.
158
Terme utilisé par Amine Benaissa et Frédéric Pousin (1999) pour désigner les dessins, plans et
annotations qui accompagnent les projets.
413
d’espaces verts, sans toutefois, que ces projets soient suivis d’effet conséquents sur le
terrain. Cette prise de conscience affichée, est-elle suffisante pour fabriquer des espaces
publics de qualité ? Certainement pas. Ce qui apparaît être un décalage avec les bonnes
pratiques de conception ; de plus l’absence d’un cadre régissant les divers apports de
compétences semble concourir à plus de questionnements sur la portée de l’action des
pouvoirs publics.
Les espaces publics d’Oran restent à inventer ou réinventer en rapport aux aspirations
citoyennes et à la stratégie municipale. Les conditions de la réalisation ou de
requalification d’espaces publics de qualité sont fortement liées aux performances de
ceux qui portent le projet : celle des élus et des pouvoirs locaux, responsables et
« visionnaires », et celle des concepteurs, professionnels et talentueux. La qualité de la
maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre urbaine est la pierre angulaire pour une
élaboration et une conduite efficaces des projets. Des conditions qui interrogent la
concertation de l’habitant et la négociation avec les différents acteurs concernés,
aujourd’hui de plus en plus nombreux.
Si nombre de villes européennes dans leur quête à vouloir construire des projets
métropolitains se plaisent aujourd’hui, dans le cadre d’un souci général de valorisation
du patrimoine urbain, à mettre en scène leurs propres lieux emblématiques, et donc leurs
places principales, Oran semble se heurter à de lourdes difficultés dans la mettre en
œuvre de mécanismes qui lui permettraient de mener des actions concrètes sur le
terrain.
La vitalité des débats actuels sur la ville algérienne, à travers des colloques, conférences
et séminaires, témoigne de la nécessité de recréer de nouveaux modes de penser et
d’agir, de reconsidérer la place des élus, des professionnels de l’urbanisme et du
paysage, de prendre en compte l’apport des citoyens, ainsi que de repenser les cadres
juridiques et intentionnels pour fabriquer des espaces publics en adéquation avec la
sensibilité sociale159. La tâche est immensément grande mais nécessaire en ces temps où
l’on ambitionne de placer Oran, comme les grandes villes algériennes, dans l’échiquier
des grandes métropoles.
« Fabriquer » une métropole c’est inévitablement mettre en œuvre un projet de ville qui
s’appuie sur les questions fondamentales des formes urbaines, des espaces publics, du
logement, du développement économique, de la gouvernance, du développement
durable… Sauf que l’analyse des projets urbains menés à Oran, a mis en évidence un
159
Rappelons à titre d’exemple : le colloque sur « Alger : Lumières sur la ville » (Alger 2002) : les
journées d’étude sur « La problématique de l’urbanisation d’Oran » (Oran 2003), des colloques
internationaux sur « La fabrique des villes » (Oran 2005), sur « Penser la ville » (Khenchla 2008), sur «
Aménagement urbain et développement durable » (Oran 2009, 2010), sur « Composition urbaine et
architecturale, aspects et devenir (Bskra 2011), sur « Architecture, paysage, urbanisme : pour quelle
qualité de vie » (Oran 2012), …
414
réel problème. La politique urbaine menée en Algérie reste largement tributaire d’une
pratique axée sur une planification urbaine fonctionnaliste, en vigueur depuis
l’indépendance, où le nombre de logements à construire, en particulier les logements
sociaux, et leurs effets territoriaux, la croissance spatiale, en sont les principaux
paradigmes. A l’heure du printemps arabe et face à la contestation exacerbée des
citoyens en termes d’octroi de logements, l’État centralisateur, acteur principal dans la
production de la ville, semble être plus que jamais préoccupé par la production de
logements que par la recherche de la qualification urbaine au sens d’un choix raisonné
de la forme urbaine et de l’aménagement des espaces publics.
415
L’analyse des territorialités contemporaines des espaces publics d’Oran, aussi bien dans
la ville héritée que dans celle qui se déploie en périphérie, indique une diversité dans les
échelles et les temporalités des usages. Certes, les pratiques des places et des lieux
publics sont étroitement liées à leur position dans la ville, à leur aspect formel et visuel,
et à leur aménagement. Elles sont aussi inhérentes à la dimension qu’elles occupent
dans l’imaginaire collectif.
A première vue, utiliser et apprécier des places publiques semble être plus attribué à la
tradition des villes du nord de la Méditerranée qu’à celles du sud. Cette réflexion est en
grande partie partagée par les théoriciens. En ce sens, F. Navez-Bouchanine (1992-
1993), dans un de ses écrits, se pose la question: « y a-t-il des espaces publics dans les
villes marocaines? » (p. 185). Cette question pourrait aussi se poser pour les villes
algériennes. Mais au regard de la pratique, toujours grandissante, de plusieurs espaces
publics à Oran, ne faudrait-il pas prendre de la distance vis-à-vis des idées reçues, se
rapportant à l'idée que les villes dans le monde arabe sont pauvres en espaces publics.
Les places analysées de la ville centre d’Oran expriment des situations bien distinctes à
l’intérieur de l’agglomération. Ce sont des espaces publics significatifs qui contribuent
fortement à la dynamique de la ville. Ce qui les caractérise davantage c’est leur aspect
urbain et architectural particulier et l’apport des éléments de leur vécu. Les places
connaissent des pratiques sociales évidentes. Cependant, une observation plus fine
illustre, qu'elles sont principalement utilisées par une population relativement pauvre
provenant des quartiers alentours, quand très peu d’activités commerciales et de service
sont disponibles pour fournir et favoriser une mixité sociale. En effet, les individus des
classes moyennes et supérieures ne pratiquent que très peu ces lieux. L’insuffisance des
pratiques des places de la ville-centre, hormis la promenade du Front de mer, peut être
expliquée par une carence manifeste d’accessibilité, de perméabilité, d’activités
diversifiées, d’aménagement raisonné et de qualité, d'espaces piétonniers et de
sentiment de sécurité, qui paraissent constituer les ingrédients indispensables pour que
l'espace public soit agréable à vivre et investi.
Il suffit d’observer l’engouement manifesté par les Oranais, toutes catégories sociales
confondues, pour les quelques nouveaux espaces publics aménagés dans la périphérie
Est, en particulier aux deux ronds-points et à l’esplanade d’Akid Lotfi situés aux abords
des nouveaux grands hôtels de prestige, pour s’apercevoir de l’intérêt que portent les
Oranais aux sorties et à la qualité des espaces où ils peuvent se retrouver. Cet intérêt est
très visible et l’usage de certains lieux est important et même parfois surprenant. Mais si
les promenades au printemps et surtout le soir en été sont fortes dans certains lieux
(comme cité plus haut), la pratique quotidienne n’y est pas importante. Toutefois, dans
les entretiens que nous avons réalisés, la présence d’espaces de « promenade » et
d’espaces verts est largement plébiscitée par la population. Par rapport à la population
416
de l’agglomération oranaise, le ratio des espaces verts, lesquels comptent aussi les
places proprement dites selon la nomenclature officielle, est dérisoire. Ceux qui
existent, dans leur majorité hérités de l’époque française, sont peu entretenus et
délabrés, à l’exception de quelques uns d’entre eux. Les quelques rares espaces verts
créés, sont souvent réalisés dans un but d’embellissement des ronds-points et de leurs
alentours. Malgré la proclamation depuis 2001 de lois et de décrets en faveur de
l’amélioration de l’environnement et du cadre de vie des citoyens, peu de nouveaux
jardins et d’espaces publics ont été aménagés à Oran.
Comme nous l’avons indiqué, certains lieux et places d’Oran de par leurs pratiques
sociales avérées sont incontestablement des espaces d’urbanité. Si la Place de la Perle
reste à l’écart de la vie urbaine, les Places d’Armes, des Victoires, Hoche ou la place
plantée du Front de mer sont au centre de la vie oranaise. La réflexion alors s’impose :
ces espaces urbains, aussi qualitatifs soient-ils, ont-ils été en mesure de générer du lien
social tant recherché ? N’y a t-il pas une part de mythe à vouloir rétablir les sociabilités
que d’aucuns appellent de leurs vœux?
Ces espaces génèrent certes la flânerie, mais le promeneur n’est souvent qu’un solitaire
anonyme déambulant au milieu de la foule. Se promener, flâner (Capron & al. 2007) en
ville ne veut pas dire forcement contribuer à la sociabilité, au sens où les sociologues
l’entendent. Isaac Joseph (1984) nous rappelle que « la flânerie est le régime de
l’imaginaire citadin » plus qu’un indicateur de la sociabilité urbaine. Le flâneur
n’entame pas la conversation, le dialogue, n’échange pas le regard, l’attention. Mais
cette mise à distance n’est-elle pas le principe même de la sociabilité urbaine ? N’est-ce
pas là la définition de la vie anonyme, de la liberté, de la vie secrète, etc. que procure la
magie d’être en ville – selon la formule de l’Ecole de Chicago – qui nous est suggérée ?
Au terme de cette étude, certains lieux urbains et places publiques se révèlent des lieux
de liberté, d’anonymat, de mouvement, de la mise à distance indispensable aux relations
en publics. Ainsi, nous assistons à l’émergence de places, ou de lieux, où se présentent
de nouveaux comportements sociaux. La déambulation familiale, quelque fois la
promenade amoureuse, la musique, les fêtes religieuses et rituelles, s’y expriment de
plus en plus en public. Au-delà de l’ordinaire, l’exceptionnel et l’événementiel
permettent aussi une lecture des usages urbains et de leurs évolutions. Les rituels
traditionnels ou religieux et leurs festivités s’exposent de plus en plus de manière
« ostensible » dans l’espace public. L’observance du ramadan, qui s’inscrit dans
l’exception temporelle, s’ancre fortement dans la scène publique ; une pratique qui se
généralise aussi bien dans les pays arabes que dans les pays de forte immigration
musulmane, explique Christian Décobert dans Les pèlerinages au Maghreb et Moyen-
Orient160. Les manifestations culturelles organisées par les autorités publiques, ou des
160
In : Sylvia Chiffoleau et Anna Madœuf (eds), 2010.
417
animations portées par des associations rencontrent aussi un succès certain. Ces
évènements témoignent d’une demande ou d’un besoin des usagers-habitants d’espaces
publics où ils peuvent se rencontrer, se distraire et se divertir. Ces évènements, qui
souvent investissent les espaces centraux, peuvent, pour un jour, une période donnée,
ramener une population qui les avait désertés. Ils témoignent ainsi d’une forme de
reconquête des espaces hérités et longtemps délaissés par les pouvoirs publics.
L’espace public à Oran, par analogie à ce qui a été observé pour les villes marocaines,
« est à la fois le produit et le générateur de nouvelles formes d’urbanité et de nouvelles
pratiques territoriales » (Cattedra, 2002, p. 264). Que ce soit à travers « l’invention »
comme pour l’esplanade d’Akid Lotfi ou pour les ronds-points du Sheraton et du
Méridien, ou à travers la pratique des places publiques dans le centre-ville,
particulièrement par les couches populaires, les espaces d’Oran sont en pleine
transformation. Ces derniers se caractérisent par un redéploiement de la centralité.
L’observation de l’évolution progressive des usages des lieux urbains à Oran nous
suggère l’idée que, l’accès aisé à la pratique des espaces publics de la ville,
l’amélioration du statut de la femme et la libération économique, sont en train de
produire de nouvelles formes de sociabilité et, à ce titre, de promouvoir un sentiment
d’appartenance à ces lieux. Comme l’a souligné Nassima Dris, les espaces publics du
centre de grandes villes, garants de l’anonymat, « sont perçus comme des espaces de
liberté tant par les hommes que par les femmes » (1999 p. 135).
Le postulat qui établit le rôle déterminant de la forme urbaine dans la pratique des
espaces publics est largement admis. Toutefois, le paradigme de l’urbanité impose une
réflexion autrement plus centrée sur les questions de la qualité de l’espace public en tant
qu’espace de vie. En ce sens, l’articulation forme urbaine-qualité urbaine devient une
problématique de premier plan dans le champ de l’urbanisme d’aujourd’hui.
418
En outre, un agencement raisonné des différents composants tels que plantes, arbres,
sculptures, fontaines, bancs, arrêts du transport urbain mène à une meilleure utilisation
sociale de l'espace public. L'analyse des places montre comment la triangulation se
produit là où il y a « quelque chose » d’un intérêt particulier (où il se passe quelque
chose). Comme suggéré par William H. Whyte (1980), la présence d’une sculpture, par
exemple, est susceptible de créer un prétexte pour les personnes de se parler. Cet auteur
souligne que l’aménagement doit délimiter les aires fonctionnelles sans affecter la
mobilité interne et la liberté d’accès. Un aménagement qui considère le piéton comme
un acteur essentiel de la vie urbaine. Celui-ci, par la pratique de la marche, trame
l’espace urbain et donne du sens aux lieux (De Certeau, 1980). Il crée de l’urbanité.
L’architecture et l’esthétique de l’espace est aussi une dimension importante. Investir
dans l’image urbaine est en effet une condition qui favorise la pratique de l’espace
public. Le microclimat est un autre facteur important pour produire des espaces plus
confortables. Cette question est, cependant, complètement négligée dans la conception
urbaine.
Les espaces publics de qualité supportent et facilitent les activités et les interactions
sociales. L’analyse minutieuse des pratiques des espaces publics urbains peut aider à
améliorer celles qui existent ou celles à construire en Algérie, tout en considérant qu'il
est possible de réaliser la qualité et le confort sans coût additionnel élevé. Dès lors que
la structure des lieux importe, les modèles de forme urbaine et leurs aménagements
doivent être passés en revue et repensés à la lumière des exigences du développement de
la ville qui se veut aujourd’hui une ville durable, une ville « vivable » (liveable city),
voire « marchable », pour reprendre les termes exprimés dans Le piéton dans la ville de
Jean-Jacques Terrain (2011). L'analyse des places d’Oran a montré qu'il y a un rapport
certain entre les caractéristiques physiques et environnementales de la ville, et ses
qualités sociales et fonctionnelles.
Aborder l’espace public au sens de l’urbanité sans se référer à la ville durable nous
semble aujourd’hui incongru au regard du nombre d’écrits, colloques et conférences
scientifiques, relayés par les discours politiques qui lui sont dédiée. Michel Lussault,
dans le colloque international « Faire la ville durable, inventer une nouvelle urbanité »
organisé le 20 et 21 janvier 2010 à la Cité Descartes (Marne la Vallée), dira à ce propos
que :
« la question de la ville durable s’est imposée avec une telle rapidité qu’on a
d’ailleurs l’impression qu’il n’est plus possible aujourd’hui de parler
d’urbanisation ou de ville sans immédiatement rajouter d’adjectif durable »
(extrait du discours).
Cet auteur, insiste sur deux systèmes concomitants capables de réfléchir sur les liens
entre, d’une part, la densité urbaine, qu’il considère comme la clé de la ville durable, la
419
diversité urbaine dans « tous ses états » (fonctionnelle et sociale), l’intensité (intensité
qui peut exister entre les différentes parties), et l’accessibilité urbaine. Et, d’autre part,
celui de lier l’efficacité (efficience) urbaine, la soutenabilité ou la robustesse des
environnements construits, les politiques publiques qui s’appuient sur la mobilisation
des acteurs eux même, et la justice spatiale au sens de la justice et de l’équité. Tous ces
termes renvoient à une question majeure, celle de la vie quotidienne, précise t-il. Ce qui
signifie que la vie au jour le jour est au centre même de la ville durable dont l’approche
doit partir de la question : qu’est ce que la vie quotidienne ? (Propos de Lussault, 2010).
420
Bâtiment (BTS), illustre cette problématique. Rappelons-le, 16 kiosques à fleurs
construits en dur et un ensemble de parterres floraux ont encombré fortement l’espace,
si bien que celui-ci s’est vu dépourvu d’espace pour les piétons. Par ailleurs,
l’aménagement ne semble pas avoir pris en compte la double échelle qui caractérise
cette place. De par sa forme étroite et très allongée, sa partie nord est liée à la ville
tandis que sa partie sud est arrimée plutôt à un quartier. Les kiosques à fleurs qui se
déploient tout le long de la place de façon indifférenciée ont porté préjudice à la partie
sud de la place qui s’est très vite dégradée et annihilée. La compréhension de
l’ambivalence qui caractérise les pratiques urbaines déployées par les usagers sur les
lieux publics est déterminante pour élaborer un aménagement plus raisonné de l’espace.
A la lumière de ce qui a été dit plus haut, des questions d’ordre conceptuel s’imposent :
quels sont les outils conceptuels pour aménager des espaces où peuvent s’exprimer des
formes de vie collective? Quels en sont les modèles de référence ? Dans le contexte
algérien de toute évidence ils sont tous à inventer. L’approche conceptuelle qui se veut
suffisamment raisonnée s’attache à l’histoire et la géographie des lieux, aux aspirations
des citoyens, et s’appuie sur les disciplines de l’urbanisme et du paysage, enrichies par
les autres disciplines inhérentes à l’art urbain.
D’après notre revue sur la reproduction des savoirs dans le système d’enseignement, le
cycle master introduit depuis 2011-2012 dans les écoles d’architecture algériennes
pourrait, peut être, constituer une opportunité pour créer des masters spécialisés en
urbanisme ou en projet urbain. Ceux-ci afin de former des concepteurs urbains capables,
entre autres, d’orienter leur réflexion sur l’amélioration de la qualité du cadre bâti, de la
qualité de vie dans l’urbain, de savoir manipuler des formes, de composer des espaces
publics susceptibles de créer du lien et de générer des espaces d’urbanité161.
La pertinence des démarches publiques de reconnaissance des espaces urbains dans les
villes fait depuis quelques années l’objet d’un grand intérêt. L’approche stratégique du
161
L’année académique 2011-2012 a connu sa première promotion de Master 2 au département
d’architecture d’Oran.
421
développement urbain et l’action par le projet urbain d’ensemble sont devenues la toile
de fond de toute réflexion sur des politiques visant à valoriser la ville et ses espaces
urbains.
Ces premières tentatives au renouveau des bâtiments anciens et des espaces de la ville
constituent elles une réelle volonté pour rétablir l’identité urbaine? Inciteront-t-elles à
une véritable politique de réhabilitation? Aussi nous ne pouvons réduire les questions de
l’espace urbain à son seul aspect formel, alors que la dimension socioculturelle joue un
rôle aussi déterminant. Il est fondamental, en effet, de s’interroger sur la position
qu’occupe la place publique dans la ville et sur sa portée symbolique dans l’imaginaire
collectif.
Dans une telle perspective, nous nous accordons avec Nora Semmoud quand elle
suggère de se mettre dans une position «de passeur entre professionnels de l’urbanisme
et les sciences sociales car les pratiques d’appropriation et les significations qu’elles
supposent restent un « champ aveugle » pour les concepteurs. […] Cette médiation nous
paraît être fondamentale pour comprendre et travailler sur l’urbain» (Semmoud, 2001,
p. 248).
422
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449
450
Liste des figures
451
Figure 45 : L’arbre hiérarchique des instruments d’urbanisme proposé pour la ville
d’Alger. 221
Figure 46: Construction de deux tours d’habitation par un promoteur privé occupant une
servitude 229
Figure 47 : Acteurs et leur rôle à l’égard des espaces publics. 231
Figure 48 : Alger « Perle de la Méditerranée » Le projet Emaar (2006) 250
Figure 49 : Projets émiratis de la baie d’Alger. 250
Figure 50 : Alger Ecometropole : Schema de Cohérence de la baie d’Alger. 251
Figure 51 : Alger : revalorisation de la façade maritime. 251
Figure 52 : Oran : projets d’aménagement du Front de mer Est. 255
Figure 53 : Plan d’aménagement d’une allée « rambla ». 256
Figure 54 : Plan d’un giratoire portant une large fontaine aux abords du CCO. 256
Figure 55 : Mise en image de la Cité de la mer. Jardins publics, Jardins privés. 257
Figure 56 : Projets réalisés du front de mer. 258
Figure 57 : Plan de l’itinéraire de la ligne du tramway d’Oran. 262
Figure 58 : Détail d’itinéraire à travers les espaces centraux. 262
Figure 59 : Gestion de la circulation par des agents de la SETRAM au niveau du
giratoire appelé « Cité Djamel ». 266
Figure 60 : Aménagement paysager d’un tronçon de 1,5 km d’espace public 267
Figure 61 : Tramway descend dans une trémie et monte sur un viaduc. 269
Figure 62 : Place 1er Novembre 1954 réaménagé. 270
Figure 63 : Aménagement des espaces verts à Oran. 278
Figure 64 : Destruction d’un square au quartier périphérique Dar el Beïda. 279
Figure 65 : Proposition du POS SUF. 284
Figure 66 : Place du 1er Novembre 1954 305
Figure 67 : Fronts de façade continue et ordonnancée. 306
Figure 68 : Evolution formelle de la Place d’Armes entre 1840 et 1890 308
Figure 69 : Evolution formelle de la Place d’Armes entre 1907 et 2013 309
Figure 70 : Place d’Armes (Maréchal Foch) : Point de départ du transport urbain. 312
Figure 71 : Place Maréchal Foch dans les années 1920. 313
Figure 72 : Pratiques diversifiées de la Place du 1er Novembre 1954. 314
Figure 73 : Evolution de la Place du Maghreb entre 1866 et 1890 317
Figure 74 : Evolution de la Place du Maghreb entre 1900 et 2013 317
Figure 75: Place du Maghreb. le bâtiment des PTT et le Grand Hôtel 318
Figure 76 : Rue des Aurès (ex de la Bastille). 318
Figure 77 : Pratiques de la Place du Maghreb. Espace contourné 320
Figure 78 : Place du Maghreb aujourd’hui. 320
Figure 79 : Place Jeanne d’Arc et Cathédrale dans la période française 321
Figure 80 : Emplacement de la future Cathédrale et du square Jeanne-d’Arc 322
Figure 81 : Evolution de la Place Kahina entre 1913 et 2013 323
Figure 82 : Pratiques de la Place Kahina. Espace de passage 324
Figure 83 : Place des Victoires dans les années 1950. 325
Figure 84 : Evolution de la Place Abdelmalek Ramdane. 327
Figure 85 : pratiques de la place : un carrefour par excellence. 328
e
Figure 86 : Evolution de la place Cdt Medjoub entre début du XX et 1950. 330
Figure 87 : Evolution de la place Cdt Medjdoub entre 1962 et 2013. 330
Figure 88: La Place Cdt Medjdoub avant et après aménagement de 2005. 331
Figure 89 : Pratiques de la place Cdt Medjdoub. 332
Figure 90 : Evolution de la place de l’Indépendance entre 1866 et 1890. 334
e
Figure 91 : Evolution de la place de l’Indépendance entre le début du XX et 2013. 335
452
Figure 92 : Place de l’Indépendance dans les années 1970. 335
Figure 93: Ville Nouvelle : Tahtaha. Rue du Figuier. Place Adélaïde. 338
Figure 94: La place du 1er Novembre au matin. 346
Figure 95 : les lions de bronze et la colonne de Sidi-Brahim. 347
Figure 96 : Le monument de Sidi Brahim. 349
Figure 97 : Place du 1er Novembre 1954. Pratiques de l’espace. 352
Figure 98 : Pratiques de l’espace. 353
Figure 99 : Pratique diversifiée de la place. 353
Figure 100 : Regroupement des personnes âgées. 354
Figure 101: Regroupement des enfants dans les interstices pour jouer. 354
Figure 102 : Représentation urbaine de la période française. 361
Figure 103 : Représentation de la Place d’Armes à travers les cartes postales de la
période française. 362
Figure 104 : Représentation de la Place d’Armes à travers les cartes postales de la
période française 362
Figure 105 : Représentation de la Place d’Armes à travers les cartes postales de la
période française. 363
er
Figure 106 : Représentation de la Place du 1 Novembre à travers les cartes postales de
la période algérienne. 364
er
Figure 107 : Représentation de la Place du 1 Novembre à travers les cartes postales 364
Figure 108 : Représentation de la Place du 1er Novembre à travers les brochures
touristiques. 365
Figure 109 : Représentation de la Place du 1er Novembre à travers les guides
touristiques. 366
Figure 110 : Représentation de la Place du 1er Novembre à travers les brochures
touristiques. 366
er
Figure 111 : L’image de la Place du 1 Novembre comme moyen de marketing 367
Figure 112 : Les habitants des quartiers riverains investissent le lieu fraichement
aménagé. 368
Figure 113 : Les enfants retrouvent leur espace de jeux mais les vieux ont perdu leurs
espaces de détente. 368
Figure 114 : : Place Cdt Medjdoub - avant réaménagement. 372
Figure 115 : La Place Cdt Medjdoub - après réaménagement. 374
Figure 116 : La Place Cdt Medjdoub - plan de réaménagement. 375
Figure 117 : Vue sur la partie Nord (centre commercial en arrière plan). 379
Figure 118 : Vue sur la partie centrale: délabrement prématuré de l’espace. 381
Figure 119: Entretien par les habitants du jardin Aboudarm des Castors. 386
Figure 120: Entretien par les habitants du square Garson des Castors. 386
Figure 121 : Programme de la Balade du 1 mai 2013 affiché par l’Institut français 388
Figure 122 : Balade et Art de la rue du 1er mai dans les espaces publics 389
Figure 123 : Fête de la musique du 22 juin 2011 sur la place Port-Saïd (Lyautey). 390
Figure 124 : Oran : extensions, nouveaux pôles périphériques d’attractivité. 392
Figure 125 : Quartier Akid Lotfi : Alignement et continuité du batî. 394
Figure 126 : La grande fontaine et le CCO-Méridien. 395
Figure 127 : L’esplanade plantée (rambla) investie pour la promenade. 395
Figure 128 : Chants du karkabou et de la karabila animent la place du 1er Novembre. 402
Figure 129 : Les floralies dans le jardin public municipal. Edition 2013. 402
Figure 130 : Concert dans la promenade de Létang. 402
Figure 131 : Les nuits du Ramadan : la « Rambla » et la grande fontaine investis par les
promeneurs. 404
453
454
Liste des tableaux
455
456
Liste des sigles
457
ONAT Office National Algérien du Tourisme
ONS Office National des Statistiques
OPGI Office de la Promotion et de la Gestion Immobilière
OPGI Office de la Gestion et de la Promotion immobilière
OS Organisation Secrète
PAEE Plans d’Aménagement, d’Extension et d’Embellissement
PAW Plan d’Aménagement de Wilaya
PCD Plans Communaux de Développement
PDAU Plan Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme
PDU Plan de Déplacements Urbains
PLH Programme local de l'habitat
PLU Plans Locaux d'Urbanisme
PNAE-DD Plan National d’Actions pour l’Environnement et le Développement
Durable
POS Plan d'Occupation des Sols
PTT Postes, Télégraphes et Téléphones
PPG1 Planning Policy Guidance 1
PU Projet Urbain
PUD Plan d’Urbanisme Directeur
PV Procès Verbaux
RATP Régie Autonome des Transports Parisiens
SAU Secteurs à Urbaniser
SCTU Schéma de Cohérence du Transport et de l’Urbanisation
SCU Schéma de Cohérence Urbaine
SDAAM Schéma Directeur d’Aménagement de l’Aire Métropolitaine
SDH Santé Sidi-el-Houari (association)
SDTU Schéma Directeur de Transport Urbain
SEOR Société de l’Eau et de l’Assainissement d’Oran
SGP Société Publique de Gestion et de Participation de l’Ouest
SIG Système d’Information Géographique
SNAT Schéma National d’Aménagement du Territoire
SNU Secteurs non Urbanisables
SNTF Société Nationale du Transport Ferroviaire
SONATRACH Société Nationale pour le Transport et la Commercialisation des
Hydrocarbures
SPA Société par Action
SPV Schéma de la Politique de la Ville
SRAT Schéma Régional d’Aménagement du Territoire
SU Secteurs Urbanisés
SUF Secteurs d’Urbanisation Future
TC Transport en Commun
TMV Transport de Marchandises en Ville
USTO Université des Sciences et de la Technologie d’Oran
VRD Voiries et Réseaux Divers
ZET Zone d'expansion touristique
ZHUN Zones d’Habitat Urbain Nouvelles
ZI Zones Industrielles
ZUP Zones à Urbaniser en Priorité
458
Annexes
459
Place Kléber Boudali Hasni Sid El Houari
Place Gal Korte Frères Mesaoudi Victor Hugo
Place Lamoricière Bataille Tafraoui Ville Nouvelle
Place Lamur Kadari Hocine Lamur
Place Laurence Ikhlef Mohamed Seghir St Antoine
Place Lecoz Bakhtati Hadj Mohamed La Calère
Promenade Letang Ibn Badis Hotel de Ville
Place Liberté Commissaire Jurandon St Antoine
Place Mal Foch (d'armes) 1er Novembre 1954 Hotel de ville
Square Mal Lyautey Port Said Miramar
Place Mal logis Bendaoud Frères Bougarda Derb Israélite
Square Maryse Bastie BenKheira Khira Cité Petit
Place Melis Benslimane Kada Melis
Place Merceron Mascri Belahouel Carteaux
Place Murat Errazi Miramar
Place Naples Zerouki Abdelkrim Derb Israélite
Place Nemours Ghazaouet St Louis
Place Noiseux Zelloul Mohamed Eckmuhl
Place De la Perle Echeikh AEK St Louis
Place Pasteur Pasteur Delmonte
Place Pécherie Pécherie Port Marine
Place Père de Foucault Père de Foucault Maraval
Place Pyramides El Ahram Derb Israélite
Place Quatorze 14 Juillet Huit 8 Mai 1945 Monplaisant
Place Quinconces Frères Bekhada Sid El Houari
Place République ANP La Marine
Place Sahara Souahlia Lamur
Place Sébastopol Aissat Idir St Michel
Place Sidi Blal Sidi Blel Ville Nouvelle
Square Souvenir Bamako Centre Ville
Place St Eugène Frères Moulay St Eugène
Place St Hubert Hassiba Benbouali St Hubert
Place Theus Ain Sefra St Eugène
Place Thiers Soualmia AEK Lamur
Place Valero El Mokrani Hotel de Ville
Place Victoires Abdelmalek Ramdane Miramar
Place Villebois Mareuil Frantz Fanon Hotel de Ville
Place Vingt quatre 24 Avril Vingt quatre 24 Avril Cité Petit
Place Welsfort Jardins Beni Douala La Calère
Boulevard Front de mer De l’ALN Centre-ville
Source : Extrait de l’index des rues et des places d’Oran réalisé par l’association Bel
Horizon de Santa Cruz
460
A-2 UNE ENQUETE AUPRES DES USAGERS
Cette enquête, réalisé en janvier 2010 a permis d’analyser les expériences vécues et les
impressions personnelles vis-à-vis de la structure et des éléments qui composent les
places, et le degré de leurs pratiques. Pour ne pas influencer les réponses, nous avons
établi des questions ouvertes (voir annexe A-3) permettant de relever les impressions
des usagers relatives à l’utilisation des places et aux catégories physiques (visuelles).
Ces questions ouvertes sont ensuite retranscrites sous une forme quantitative pour
faciliter le traitement et l’interprétation des réponses.
La première partie du questionnaire (1-15) est destinée à mettre en évidence les places
les plus connues, les plus significatives et leurs usages. Dans cette partie, trois
catégories de questions sont établies : La première (1-3) fait apparaître les places les
plus connues et celles qui sont les plus significatives. La deuxième (4-12) fait ressortir
la ou les place(s) utilisée(s) et permet d’évaluer leur accessibilité, le degré d’utilisation,
et les pratiques qui s’y déroulent. La troisième catégorie (12-15) relève les impressions
et sentiments de la personne interrogée sur les facteurs qui facilitent ou non l’usage de
l’espace.
La deuxième partie du questionnaire (16-21) est destinée à faire surgir les opinions sur
le rôle éventuel d’une place à travers les usages auxquels elle serait destinée. Une
première série de questions (16-19), révèle l’image des interviewés de ce qui évoque
pour eux la « place » et ses éventuels usages. Une deuxième série de questions (19-21)
fait ressortir leur opinion sur les aspects visuels relatifs à l’aménagement de la place, à
la qualité du cadre architectural et de l’environnement naturel.
461
462
A-3 QUESTIONNAIRE
Le questionnaire adressé aux étudiants et enseignants est le même que celui destiné aux
habitants-usagers « ordinaires », à l’exception de la dernière question - la question
facultative - qui n’est pas posée à ces derniers. Ci-dessous le modèle du questionnaire.
Vous êtes :
- Enseignante - Enseignant
- Etudiante - Etudiant
- Ages :
1. Quelle (s) est/sont la ou les places de la ville d’Oran que vous connaissez ?
3. Pourquoi ?
Oui Non
Si vous répondu oui à cette question (4), veuillez répondre aux questions 6 à 15, si
vous avez répondu non, veuillez répondre à la question 5 seulement.
463
7. Combien utilisez-vous cette place ?
9. Cette place est elle visuellement accessible? (si l’individu peut voir l’intérieur de
l’espace sans y entrer, il peut juger s’il peut se sentir confortable, le bienvenu et en sécurité)
10. A quels moments du jour, de l’année ou des saisons pratiquez vous cette place ?
(matin, après midi, saison ? fête ? occasion exceptionnelle ?)
11. Que faites vous dans cette place ? (vous pouvez cocher plusieurs réponses)
12. Quels sont les éléments en présence qui favorisent son utilisation ?
Comment ?
Comment ?
464
Questions d’opinion :
16. Quelle image vous vient en tête quad on évoque «la place » ?
17. Pensez vous que les places sont nécessaires pour une ville ?
Oui Non
Pourquoi ?
18. Quels sont les éléments naturels et physiques qui vous semblent importants dans
une place?
19. Pour quels usages (utilisations) les places devraient être conçues ?
20. Pensez vous que les aménagements des places influencent leur utilisation ?
Oui Non
Comment ?
21. Pensez vous que les bâtiments alentours peuvent avoir une influence sur leur
utilisation ?
Oui Non
Comment ?
Question facultative :
22. Certains auteurs affirment que la place est avant tout le reflet d’une conception
européenne de l’espace urbain ; elle est considérée comme la forme urbaine la plus
symbolique de la ville. Que pensez-vous de cette théorie ? Pourrait-elle être
appliquée dans nos villes?
465
466
Résumé
Les places publiques d’Oran sont des espaces d’identification et de symbolique de la ville coloniale. Elles
se donnent à voir par leurs caractéristiques physiques et esthétiques propres mais aussi par leur
participation à la vie urbaine. Cependant, la croissance de la ville a contribué à la redistribution des
pratiques de sociabilité dans l’espace urbain. La recherche sur les places publiques d’Oran se doit donc de
contribuer à une réflexion plus large sur la fabrique des espaces publics urbains et de s’inscrire dans
l’actualité de la recherche urbaine sur le monde arabe et méditerranéen. Dans cette perspective se posent
trois questions fondamentales. Celle des héritages d’un urbanisme issu de la culture européenne
« exporté » vers la rive sud de la Méditerranée. Celle de la conception et de la gestion actuelles des
espaces publics par les pouvoirs locaux, les opérateurs techniques, et les divers acteurs. Et celle enfin des
usages contemporains de ces espaces par les usagers-habitants. Les usages des places et des lieux urbains
à Oran sont réels, parfois même surprenants. Ils sont étroitement liés à leur position dans la ville, à leur
configuration formelle et visuelle, et à la qualité de leur aménagement. Ils sont aussi inhérents à la place
qu’ils occupent dans l’imaginaire collectif. Ces aspects essentiels à la fabrique des espaces publics ne sont
pas, cependant, pris en compte dans les pratiques urbanistiques contemporaines. Le problème de la
reconnaissance de l’espace public en tant qu’espace autorisant le vivre ensemble dans la grande ville,
structurant l’espace urbain et accessible à tous, reste fondamentalement posé à Oran.
Clés : Espace public, place, héritage urbain, forme urbaine, pratique urbanistique, usage, territorialité.
MAKING PUBLIC SPACES: Designs, forms and uses of Oran squares (Algeria)
Abstract
Oran public squares are identification and symbolic spaces of the colonial city. They are given to see by
their physical and aesthetic characteristics but also by their participation in urban life. However, the
growth of the city contributes to the redistribution of sociability in urban space. Research on public
squares of Oran therefore has thus to contribute to a broader thought on making urban public spaces and
to be part of the current urban research on the Arab and Mediterranean World. In this issue, three
fundamental questions arose. That of legacies of town planning coming from European culture "exported"
to the southern bank of the Mediterranean Sea. That of the current design and management of public
spaces by local authorities, technical operators and various actors. And finally that of contemporary uses
of these spaces by local users. Social practices of squares and urban places in Oran are real, sometimes
surprising. They are closely related to their position in the city, their urban and visual form, and the
quality of their installations. They are also inherent in the position they have in the collective imaginary.
These important aspects in making public spaces, however, are not regarded in contemporary urban
practices. The problem of the recognition of the public space as public realm, organizing the urban space
and accessible to all, is fundamentally questioned in Oran.
Key-Words: Public space, square, urban heritage, urban design, planning practice, use, territoriality.
467