Descriptif Et Textes Oral Blanc 2023

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PREMIÈRE PARTIE : TEXTES SUSCEPTIBLES DE DONNER LIEU À UNE INTERROGATION

La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Alcools d’Apollinaire Textes choisis dans le cadre du parcours associé :

Problématique ou perspectives d’étude : Intitulé : Modernité poétique ?


Comment Apollinaire renouvelle-t-il le topos de
la femme fatale ? Problématique ou perspectives d’étude :
Comment la ville inspire-t-elle les poètes en
quête de modernité poétique ?

1. « Les Colchiques » 1. Verhaeren, « La ville » in Les Campagnes


2. « Salomé » hallucinées, 1893. (Deux première strophes)
3. « Nuit rhénane » 2. Jacques Réda, « Amen », in Amen, 1968.

Lecture(s) cursive(s) : Le spleen de Paris, Baudelaire

La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle Intitulé du parcours : Rire et savoir

Œuvre intégrale : Gargantua, Rabelais Textes choisis dans le cadre du parcours associé :
Intitulé ou questionnement éventuel choisi pour
l’étude : Comment le rire nous protège-t-il des Intitulé : comment le rire nous protège-t-il des
faux savoirs ? faux savoirs ?

1.La naissance de Gargantua, chp 6 1. Montaigne Les Essais, « Du


2. La critique de l’éducation des sophistes, chp 21 pédantisme »
3. La harangue de Janotus, chp 19. 2. Voltaire Candide, extrait de l’incipit

Lecture(s) cursive(s) : Zadig, Voltaire

Séquence 1 : Alcools d’Apollinaire


Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
1) « Les Colchiques »

Le pré est vénéneux mais joli en automne


Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
5 Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas


Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
1 Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
0 Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement


Tandis que lentes et meuglant les vaches
abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne
2) « Salomé »

Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste


Sire je danserais mieux que les séraphins1
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste
En robe de comtesse à côté du Dauphin2

5 Mon coeur battait battait très fort à sa parole


Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton

Et pour qui voulez-vous qu'à présent je la brode


10 Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L'emmenèrent se sont flétris dans mon jardin

Venez tous avec moi là-bas sous les


quinconces3
15 Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte4 et
danse
N'y touchez pas son front ma mère est déjà
froid

20 Sire marchez devant trabants5 marchez derrière


Nous creuserons un trou et l'y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en
rond
Jusqu'à l'heure où j'aurai perdu ma jarretière6
Le roi sa tabatière
L'infante son rosaire7
Le curé son bréviaire8

1
Anges.
2
Successeur présumé d'un personnage important. Désigne souvent le fils du roi.
3
Plantation d’arbres disposés de manière parallèle.
4
Sceptre fait d'un bâton surmonté d'une tête grotesque coiffée d'un capuchon à grelots, considéré comme le
symbole de la folie et servant d'attribut aux bouffons de cour.
5
Hommes d’arme, soldats.
6
Ruban, faveur que les hommes s'efforçaient de dérober à la mariée au cours des fêtes des noces.
7
Grand chapelet.
8
Livre contenant l'ensemble des prières que les prêtres ont l'obligation de dire chaque jour, à certaines heures.
3) « Nuit Rhénane »

Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une


flamme
Écoutez la chanson lente d’un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds
5
Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n’entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées

1 Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent


0 Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été

Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire


Parcours associé : Modernité poétique ?

1) Verhaeren, « La ville » in Les Campagnes hallucinées, 1893

Des quais sonnent aux entrechocs de leurs


fourgons9,
Des tombereaux10 grincent comme des gonds,
Des balances de fer font choir des cubes
5 d’ombre
Et les glissent soudain en des sous-sols de feu ;
Des ponts s’ouvrant par le milieu,
Entre les mâts touffus dressent un gibet11
sombre
1 Et des lettres de cuivre inscrivent l’univers,
0 Immensément, par à travers
Les toits, les corniches et les murailles,
Face à face, comme en bataille.

Par au-dessus, passent les cabs12, filent les


roues,
1 Roulent les trains, vole l’effort,
5 Jusqu’aux gares, dressant, telles des proues
Immobiles, de mille en mille, un fronton13 d’or.
Les rails ramifiés rampent sous terre
En des tunnels et des cratères
Pour reparaître en réseaux clairs d’éclairs
Dans le vacarme et la poussière.
C’est la ville tentaculaire.

9
Longue voiture à chevaux couverte pour le transport des marchandises, du courrier.
10
Voiture de charge tirée par chevaux et composée d'une caisse montée sur des roues et qui peut être
déchargée en basculant en arrière.
11
Ce qui permet de pendre les condamnés.
12
Voitures tirées par des chevaux.
13
Partie supérieure de la façade principale d'un bâtiment.
2) Jacques Réda, « Personnages dans la banlieue », in Amen,
1968

Vous n’en finissez pas d’ajouter encore des choses,


Des boîtes, des maisons, des mots.
Sans bruit l’encombrement s’accroît au centre de la vie,
Et vous êtes poussés vers la périphérie,
Vers les dépotoirs, les autoroutes, les orties ;
5 Vous n’existez plus qu’à l’état de débris ou de fumée.
Cependant vous marchez,
Donnant la main à vos enfants hallucinés
Sous le ciel vaste, et vous n’avancez pas ;
Vous piétinez sans fin devant le mur de l’étendue
10 Où les boîtes, les mots cassés, les maisons vous rejoignent,
Vous repoussent un peu plus loin dans cette lumière
Qui a de plus en plus de peine à vous rêver.
Avant de disparaître,
Vous vous retournez pour sourire à votre femme attardée,
Mais elle est prise aussi dans un remous de solitude,
15 Et ses traits flous sont ceux d’une vieille photographie.
Elle ne répond pas, lourde et navrante avec le poids du jour sur
ses paupières,
Avec ce poids vivant qui bouge dans sa chair et qui l’encombre,
Et le dernier billet du mois plié dans son corsage.

20
Séquence : Gargantua de Rabelais
Parcours : Rire et Savoir
Pbl : comment le rire nous protège-t-il des faux savoirs ?

Analyse linéaire 1 : La naissance de Gargantua

Rabelais livre ici les circonstances de la naissance merveilleuse de Gargantua : lors


d’un banquet, la mère du géant a mangé trop de tripes, rendant impossible la
naissance par la voie normale.

« Par cet inconvénient furent au-dessus relâchés les côtés1 de la matrice2, par
lesquels l’enfant sursauta ; il entra dans la veine creuse, et, grimpant par le
diaphragme jusqu’au-dessus des épaules (où ladite veine cave se partage en deux)
prit son chemin à gauche et sortit par l’oreille gauche3.
Dès qu’il fut né, il ne cria pas comme les autres enfants : « Mies, mies », mais à
haute
voix, s’écriait : « À boire, à boire, à boire » comme s’il invitait tout le monde à boire, si
bien qu’il fut entendu dans tout le pays de Beausse et de Vivarais4.
Je me doute que vous ne croyez assurément cette étrange naissance. Si vous ne la
croyez pas, je m’en fiche, mais un homme de bien, un homme de bon sens, croit
toujours ce qu’on lui dit et qu’il trouve par écrit.
Est-ce contre notre loi, notre foi, notre raison, contre la Sainte Écriture ? Pour ma
part, je ne trouve rien d’écrit dans les Bibles saintes qui s’y oppose. Mais si le vouloir
de Dieu eût été tel, diriez-vous qu’il ne l’ait pu faire ? Ha ! pour grâce, ne triturez vos
esprits et ces pensées vaines, car je vous dis qu’à Dieu rien n’est impossible, et, s’il
le voulait, les femmes auraient dorénavant ainsi leurs enfants par l’oreille.
Bacchus ne fut-il pas engendré par la cuisse de Jupiter5 ?
Roquetaillade ne naquit-il pas du talon de sa mère6 ?
Minerve ne naquit-elle pas du cerveau, par l’oreille de Jupiter7 ?
Adonis, par l’écorce d’un arbre de myrrhe8 ?
Castor et Pollux, de la coque d’un œuf pondu et couvé par Léda9 ?
Mais vous seriez bien davantage ébahis et étonnés si je vous exposais maintenant
tout le chapitre de Pline10, où il parle des enfantements étranges et contraires à la
nature. Et pourtant je ne suis pas un menteur aussi assuré qu’il l’a été. Lisez le
septième livre de sa Naturelle Histoire, chap. III, et ne m’en triturez plus
l’entendement. »
Chapitre 6 « Comment Gargantua naquit de façon bien
étrange ».

1. Parties du placenta.
2. Utérus.
3. Allusion à une légende populaire selon laquelle le Christ aurait été conçu par l’oreille de la Vierge et serait né par là également.
4. Lieux situés près de La Devinière.
5. Dans la mythologie, Jupiter, après la mort de Sémélé, prit l’embryon et le cousit dans sa propre cuisse.
6. Cette légende est inconnue.
7. Selon la mythologie, Minerve (déesse romaine) sortit du cerveau de Jupiter.
8. Allusion à la métamorphose de Myrrha en un arbre dont naquit, ensuite, Adonis.
9. D’après la mythologie, Castor est né d’un oeuf issu de l’accouplement de Léda avec son mari Tyndare, tandis que Pollux est né d’un oeuf fruit de son
accouplement avec Jupiter transformé en cygne.
10. Écrivain romain (ier s. ap. J.-C.), auteur d’une importante Histoire naturelle en 37 volumes.
Analyse linéaire 2 : La critique de l’éducation des sophistes

L’éducation du jeune Gargantua est d’abord confiée au précepteur sophiste,


« maître Thubal Holopherne ». Rabelais en donne un aperçu dans l’extrait ci-
dessous.

Après avoir bien à point déjeuné, il allait à l'église, et on lui portait dans un grand
panier un gros bréviaire emmitouflé, qui pesait tant en graisse qu'en fermoirs et
parchemin, plus ou moins onze quintaux six livres. Là, il entendait vingt-six ou
trente messes ; pendant ce temps-là venait son diseur de prières attitré, emballé
5 comme une huppe14 et ayant très bien antidoté son haleine à force de sirop de
vigne. Avec lui il marmonnait toutes ces Kyrielles 15 et les épluchait si
soigneusement qu’il n'en tombait un seul grain par terre.
En sortant de l'église on lui amenait sur un charriot à boeufs une masse de gros
chapelets de Saint-Claude16, chaque grain aussi gros que le moule d'un bonnet ; et
10 en se promenant dans les cloîtres, il en disait plus que seize ermites.
Puis il étudiait quelque méchante demi-heure, les yeux posés sur son livre mais,
(comme dit Terence) son âme était à la cuisine.
Pissant donc un plein pot, il s'asseyait à table. Et comme il était flegmatique par
nature, il commençait son repas par quelques douzaines de jambons, de langues
15 de boeuf fumées, de caviar, d'andouilles et tels autres avant-coureurs du vin17.
Cependant quatre de ses gens lui jetaient dans la bouche l'un après l'autre en
continu de pleines palerées18 de moutarde ; puis il buvait un horrifique trait de vin
blanc, pour se soulager les reins. Après il mangeait selon la saison des nourritures
à son appétit, et il cessait de manger quand la peau de son ventre était bien tendue.
20 De boire, il n’y avait pas de fin, ni de règle. Car il disait que les limites et les
bornes de boire étaient atteintes quand on voyait enfler d'un demi-pied le liège des
pantoufles du buveur.

Extrait du Chapitre 21 « Les études de Gargantua selon la discipline de ses


précepteurs sophistes »

14
Avec sa capuche, le religieux ressemble à une huppe, oiseau caractérisé par sa touffe de plumes
dressée sur sa tête.
15
Litanies religieuses.
16
Ville du Jura connue pour sa fabrication de chapelets.
17
Dans la théorie médicale des quatre humeurs, sur laquelle repose la médecine du Moyen-°Age, le
flegme est associé à l’élément liquide mais c’est plutôt de l’eau et non du vin que l’enfant flegmatique
aurait tendance à boire !
18
Pelletées.
Analyse linéaire 3 : La Harangue de Janotus

« Moi j’argumente ainsi.

Toute cloche clochante qui doit clocher dans un clocher clochant par le clochatif
doit faire clocher clochantement les clochants. Paris a des cloches. Donc gluc1. Ah !
ah ! ah ! c’est parlé, ça. Mon syllogisme2 est en ou quatrième figure ou ailleurs. Par
mon âme, j’ai vu le temps où j’arguais3 comme un diable. Mais à présent je ne fais
plus que rêver. Et il ne me faut plus dorénavant que bon vin, bon lit, le dos au feu, le
ventre contre la
table avec une écuelle bien profonde.

Ahiii seigneur, je vous en prie au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, amen, que
vous rendiez nos cloches, et que Dieu vous garde de mal et Notre-Dame de santé,
qui vit et règne par tous les siècles des siècles, amen. Hen hen, hasch hasch hasch
grenenhasch4.

Il est vrai en effet certes quand évidemment sans doute par Pollux, quoique oui
certes mon Dieu juste, une ville sans cloches est comme un aveugle sans bâton, un
âne sans croupière5, et une vache sans cloche à vache. Jusqu’à ce que vous nous
les ayez rendues, nous ne cesserons de crier après vous, comme un aveugle qui a
perdu son bâton, de brailler comme un âne sans croupière et de bramer comme une
vache sans cloche à vache.

Un quidam6 latiniste, qui demeurait près de l’Hôtel-Dieu, dit une fois, alléguant
l’autorité d’un certain Tamponus7 – je me trompe, c’est Pontanus, un poète
mondain-, qu’il désirait qu’elles soient en plume et le battant en queue de renard,
parce qu’elles lui engendraient la colique aux tripes du cerveau quand il composait
ses vers versifiés. Mais, nac petetin petetac, ricque, torche lorgne8, il fut déclaré
hérétique. Nous les faisons d’un coup de main, et plus n’en dit le discourant. Allez et
applaudissez9 J’ai signé, Calepinus10, Fin. »
Chapitre 19 « La harangue que fit Janotus de Bragmardo à Gargantua
pour reprendre les cloches ». Traduit en français moderne par Marie-Madeleine
Fragonard,Belin-Gallimard, 2021

1. Équivalent de C.Q.F.D.
(ce qu’il fallait démontrer).
2. Un raisonnement logique rigoureux.
3. Argumenter.
4. Onomatopées. Rappelons que le personnage tousse et éternue pendant son
discours.
5. Élément qui sert à attacher la selle d’un animal.
6. Une personne dont on ignore le nom.
7. Tamponus est un nom inventé pour ridiculiser le poète humaniste Pontanus qui
avait exprimé son horreur des bruits de cloche. Tamponus signifie le tampon mais
aussi le bouchon et constitue donc une allusion à l’ivresse de Janotus.
8. Équivalents des onomatopées suivantes : taratata, tac, pif et paf.
9. Expression par laquelle s‘achèvent les comédies latines.
10. Nom d’un érudit italien. Devient une formule utilisée par les commentateurs pour
annoncer la fin d’un rapport.
Séquence : Gargantua
Parcours associé : Rire et Savoir
Pbl : comment le rire nous protège-t-il des faux savoirs ?

Texte n°1

Michel de MONTAIGNE, Essais, livre I, chapitre XXV, « Du pédantisme », 1560-


1595, traduit en français moderne par Pierre Manen.

Nous savons dire : « Cicéron dit cela ; voilà les mœurs de Platon ; ce sont les
mots mêmes d'Aristote19 ». Mais nous-mêmes, que disons-nous ? Que faisons-nous ?
Que pensons-nous ? Un perroquet en ferait bien autant. Cela me rappelle ce riche
Romain, qui avait pris soin, en y dépensant beaucoup d'argent, de s'attacher des
5 hommes fort compétents en toutes sortes de sciences afin que, lorsque l’occasion se
présentait de parler avec ses amis d’un sujet ou d’un autre, ceux-ci puissent le suppléer
et être prêts à lui fournir qui un discours, qui un vers d'Homère, chacun selon sa
spécialité ; et il croyait que ce savoir était le sien parce qu'il se trouvait dans la tête de
ses serviteurs, comme font ceux dont la science réside en leurs somptueuses
1 bibliothèques.
0 Je connais quelqu'un qui, quand je lui demande ce qu'il sait, me demande un
livre pour me le montrer ; et il n'oserait pas me dire qu'il a la gale au derrière sans aller
chercher dans son dictionnaire ce que c'est que la gale et ce que c'est que le derrière.
Nous prenons en dépôt les opinions et le savoir des autres, et c'est tout : il faut
qu'elles deviennent les nôtres. Nous ressemblons en fait à celui qui, ayant besoin de
1 feu, irait en demander chez son voisin et trouvant qu'il y en a là un bien beau et bien
5 grand, s'y arrêterait pour se chauffer, sans plus se souvenir d’en ramener chez lui. À
quoi bon avoir le ventre plein de nourriture si elle n’est digérée et n’est transformée en
nous ? Si elle ne nous fait grandir et ne nous fortifie ? Imaginons-nous Lucullus 20, que la
lecture éleva et transforma en grand capitaine malgré son absence d’expérience, la
pratiquant comme nous le faisons ?
2 Nous nous appuyons si fort sur les bras des autres que nous perdons nos
0 propres forces. Je veux m’armer contre la crainte de la mort ? C’est en usant de
Sénèque. Je cherche la consolation, pour moi ou pour autrui ? Je la trouve chez
Cicéron. Je l’aurais trouvée en moi-même si l’on m’y avait exercé. Je n’aime pas devoir
ainsi dépendre d’autrui et mendier. À défaut d’être savant du savoir d’autrui, soyons
sages de notre propre sagesse.

19
Cicéron, Aristote, Sénèque et Platon sont des penseurs antiques.
20
Lucullus : général romain du 1e siècle avant Jésus-Christ.
Séquence : Gargantua
Parcours associé : Rire et Savoir
Pbl : comment le rire nous protège-t-il des faux savoirs ?

Texte n°2
Voltaire, Candide, 1759

Pangloss est précepteur au château du baron de Thunder-ten-tronckh et a pour


élève le jeune Candide. A travers le personnage de Pangloss, Voltaire se
moque de la philosophie de l’optimisme de Leibniz.

Le précepteur Pangloss21 était l’oracle22 de la maison, et le petit


Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et de son
caractère.
Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il
5 prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce
meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le
plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement :
car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin.
10 Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi
avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être
chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour
être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau
château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les
15 cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année :
par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il
fallait dire que tout est au mieux. »
Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment : car il trouvait
mademoiselle Cunégonde23 extrêmement belle, quoiqu’il ne prît jamais la
20 hardiesse de le lui dire. Il concluait qu’après le bonheur d’être né baron de
Thunder-ten-tronckh, le second degré du bonheur était d’être mademoiselle
Cunégonde ; le troisième, de la voir tous les jours ; et le quatrième,
d’entendre maître Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et par
conséquent de toute la terre.

21
Nom signifiant « tout langage » en grec.
22
Divinité consultée dans l‘Antiquité et par extension personne ayant du crédit et faisant autorité.
23
Fille du baron de Thunder-ten-tronckh

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