Recueil de Textes Oral Bac Blanc
Recueil de Textes Oral Bac Blanc
Recueil de Textes Oral Bac Blanc
« Le Dormeur du val »
Les Effarés
Noirs dans la neige et dans la brume, 20 Quand, sous les poutres enfumées,
Au grand soupirail qui s'allume, Chantent les croûtes parfumées
Leurs culs en rond, Et les grillons,
Ils voient le fort bras blanc qui tourne Ils se ressentent si bien vivre,
La pâte grise et qui l'enfourne Les pauvres Jésus pleins de givre,
Dans un trou clair. Qu'ils sont là tous,
10 Ils écoutent le bon pain cuire. Collant leurs petits museaux roses
Le Boulanger au gras sourire 30 Au treillage, grognant des choses
Grogne un vieil air. Entre les trous,
Ils sont blottis, pas un ne bouge, Tout bêtes, faisant leurs prières
Au souffle du soupirail rouge Et repliés vers ces lumières
15 Chaud comme un sein. Du ciel rouvert,
Ma Bohème
(Fantaisie)
L’Albatros
Vers la fin du mois d’octobre dernier, un jeune homme entra dans le Palais-Royal au moment
où les maisons de jeu s’ouvraient, conformément à la loi qui protège une passion essentiellement
imposable. Sans trop hésiter, il monta l’escalier du tripot désigné sous le nom de numéro 36.
— Monsieur, votre chapeau, s’il vous plaît ? lui cria d’une voix sèche et grondeuse un petit
5 vieillard blême accroupi dans l’ombre, protégé par une barricade, et qui se leva soudain en
montrant une figure moulée sur un type ignoble.
Quand vous entrez dans une maison de jeu, la loi commence par vous dépouiller de votre
chapeau. Est-ce une parabole évangélique et providentielle ? N’est-ce pas plutôt une manière de
conclure un contrat infernal avec vous en exigeant je ne sais quel gage ? Serait-ce pour vous
10 obliger à garder un maintien respectueux devant ceux qui vont gagner votre argent ? Est-ce la
police tapie dans tous les égouts sociaux qui tient à savoir le nom de votre chapelier ou le vôtre, si
vous l’avez inscrit sur la coiffe ? Est-ce enfin pour prendre la mesure de votre crâne et dresser une
statistique instructive sur la capacité cérébrale des joueurs ? Sur ce point l’administration garde un
silence complet. Mais, sachez-le bien, à peine avez-vous fait un pas vers le tapis vert, déjà votre
15 chapeau ne vous appartient pas plus que vous ne vous appartenez à vous-même : vous êtes au jeu,
vous, votre fortune, votre coiffe, votre canne et votre manteau. À votre sortie, le JEU vous
démontrera, par une atroce épigramme en action, qu’il vous laisse encore quelque chose en vous
rendant votre bagage. Si toutefois vous avez une coiffure neuve, vous apprendrez à vos dépens
qu’il faut se faire un costume de joueur.
Un cri terrible sortit du gosier de la jeune fille, ses yeux se dilatèrent, ses sourcils violemment
tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec horreur, elle lisait dans les yeux de Raphaël un de
ces désirs furieux, jadis sa gloire à elle ; et à mesure que grandissait ce désir, la Peau en se
contractant, lui chatouillait la main. Sans réfléchir, elle s’enfuit dans le salon voisin dont elle
5 ferma la porte.
— Pauline ! Pauline ! cria le moribond en courant après elle, je t’aime, je t’adore, je te veux ! Je
te maudis, si tu ne m’ouvres ! Je veux mourir à toi !
Par une force singulière, dernier éclat de vie, il jeta la porte à terre, et vit sa maîtresse à demi
nue se roulant sur un canapé. Pauline avait tenté vainement de se déchirer le sein, et pour se
10 donner une prompte mort, elle cherchait à s’étrangler avec son châle. – « Si je meurs, il vivra ! »
disait-elle en tâchant vainement de serrer le nœud. Ses cheveux étaient épars, ses épaules nues, ses
vêtements en désordre, et dans cette lutte avec la mort, les yeux en pleurs, le visage enflammé, se
tordant sous un horrible désespoir, elle présentait à Raphaël, ivre d’amour, mille beautés qui
augmentèrent son délire ; il se jeta sur elle avec la légèreté d’un oiseau de proie, brisa le châle, et
15 voulut la prendre dans ses bras.
Le moribond chercha des paroles pour exprimer le désir qui dévorait toutes ses forces ; mais il
ne trouva que les sons étranglés du râle dans sa poitrine, dont chaque respiration creusée plus
avant, semblait partir de ses entrailles. Enfin, ne pouvant bientôt plus former de sons, il mordit
Pauline au sein. Jonathas se présenta tout épouvanté des cris qu’il entendait, et tenta d’arracher à
20 la jeune fille le cadavre sur lequel elle s’était accroupie dans un coin.
— Que demandez-vous ! dit-elle. Il est à moi, je l’ai tué, ne l’avais-je pas prédit !
Il jeta en quelques jours une esquisse d’ensemble, et la grande œuvre fut commencée. Mais,
durant tout l’été, il s’engagea, rue Tourlaque, entre lui et sa toile immense, une première bataille ;
car il s’était obstiné à vouloir mettre lui-même sa composition au carreau, et il ne s’en tirait pas,
empêtré dans de continuelles erreurs, pour la moindre déviation de ce tracé mathématique, dont
5 il n’avait point l’habitude. Cela l’indignait. Il passa outre, quitte à corriger plus tard, il couvrit la
toile violemment, pris d’une telle fièvre qu’il vivait sur son échelle les journées entières, maniant
des brosses énormes, dépensant une force musculaire à remuer des montagnes. Le soir, il
chancelait comme un homme ivre, il s’endormait à la dernière bouchée, foudroyé ; et il fallait que
sa femme le couchât, ainsi qu’un enfant. De ce travail héroïque, il sortit une ébauche magistrale,
10 une de ces ébauches où le génie flambe, dans le chaos encore mal débrouillé des tons. Bongrand,
qui vint le voir, saisit le peintre dans ses grands bras et le baisa à l’étouffer, les yeux aveuglés de
larmes. Sandoz, enthousiaste, donna un dîner ; les autres, Jory, Mahoudeau, Gagnière,
colportèrent de nouveau l’annonce d’un chef-d’œuvre ; quant à Fagerolles, il resta un instant
immobile, puis éclata en félicitations, trouvant ça trop beau.
15 Et Claude, en effet, comme si cette ironie d’un habile homme lui eût porté malheur, ne fit
ensuite que gâter son ébauche. C’était sa continuelle histoire, il se dépensait d’un coup, en un élan
magnifique ; puis, il n’arrivait pas à faire sortir le reste, il ne savait pas finir. Son impuissance
recommença, il vécut deux années sur cette toile, n’ayant d’entrailles que pour elle, tantôt ravi en
plein ciel par des joies folles, tantôt retombé à terre, si misérable, si déchiré de doutes, que les
20 moribonds râlant dans des lits d’hôpital étaient plus heureux que lui. Déjà deux fois, il n’avait pu
être prêt pour le Salon ; car toujours, au dernier moment, lorsqu’il espérait terminer en quelques
séances, des trous se déclaraient, il sentait la composition craquer et crouler sous ses doigts. À
l’approche du troisième Salon, il eut une crise terrible, il resta quinze jours sans aller à son atelier
de la rue Tourlaque ; et, quand il y rentra, ce fut comme on rentre dans une maison vidée par la
25 mort : il tourna la grande toile contre le mur, il roula l’échelle dans un coin, il aurait tout cassé,
tout brûlé, si ses mains défaillantes en avaient trouvé la force.
DORANTE. − Cette femme-ci a un rang dans le monde ; elle est liée avec tout ce qu’il y a de
mieux, veuve d’un mari qui avait une grande charge dans les finances, et tu crois qu’elle fera
quelque attention à moi, que je l’épouserai, moi qui ne suis rien, moi qui n’ai point de bien ?
DUBOIS. − Point de bien ! votre bonne mine est un Pérou ! Tournez-vous un peu, que je vous
5 considère encore ; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n’y a point de plus grand seigneur que
vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles, et notre affaire est infaillible,
absolument infaillible ; il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans l’appartement de
Madame.
DORANTE. − Quelle chimère !
10 DUBOIS. − Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos équipages sont
sous la remise.
DORANTE. − Elle a plus de cinquante mille livres de rente, Dubois.
DUBOIS. − Ah ! vous en avez bien soixante pour le moins.
DORANTE. − Et tu me dis qu’elle est extrêmement raisonnable ?
15 DUBOIS. − Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera si
honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu’elle ne pourra se soutenir qu’en
épousant ; vous m’en direz des nouvelles. Vous l’avez vue et vous l’aimez ?
DORANTE. − Je l’aime avec passion, et c’est ce qui fait que je tremble !
DUBOIS. − Oh ! vous m’impatientez avec vos terreurs : eh que diantre ! un peu de confiance ;
20 vous réussirez, vous dis-je. Je m’en charge, je le veux, je l’ai mis là ; nous sommes convenus de
toutes nos actions ; toutes nos mesures sont prises ; je connais l’humeur de ma maîtresse, je sais
votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis, et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ;
on vous épousera, toute fière qu’on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-
vous ? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître,
25 et il parlera : adieu ; je vous quitte ; j’entends quelqu’un, c’est peut-être Monsieur Remy ; nous
voilà embarqués poursuivons. (Il fait quelques pas, et revient.) À propos, tâchez que Marton prenne
un peu de goût pour vous. L’amour et moi nous ferons le reste.
MONSIEUR REMY.
Hum ! Quoi ? Entendez-vous ce que je vous ARAMINTE, doucement.
dis, qu’elle a quinze mille livres de rente, Ne le querellez point. Il paraît avoir tort, j’en
entendez-vous ? conviens.