Fiche 3 La Loi
Fiche 3 La Loi
Fiche 3 La Loi
Objectifs de la séance :
A – La force de la loi
Si un public non initié peut voir la « loi » comme étant un synonyme du « Droit », les étudiants
en droit apprennent rapidement que tel n’est pas le cas. En effet, la loi est une norme juridique
qui cohabite dans l’ordonnancement juridique avec un ensemble d’autres normes de nature
différente (décret, règlement, ordonnance, décision de justice, décision des autorités administra-
tives, etc...). Il convient de distinguer la loi au sens matériel, c’est-à-dire au sens générique qui
désigne l’ensemble des règles écrites émanant des autorités politiques et administratives,
nationales et internationales (cf. l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi ») et la loi au sens
formel et organique.
La loi, dans son sens formel, est le texte voté par le Parlement à la suite d’une procédure
législative.
La procédure législative comprend trois phases principales : le dépôt du texte, son examen par
le Parlement et sa promulgation par le Président de la République (après une éventuelle saisine
du Conseil constitutionnel pour examen de la conformité du texte à la Constitution).
L’esprit qui prévaut est la recherche d’un consensus entre les deux assemblées.
- le texte suit un mouvement de va-et-vient entre l’Assemblée nationale et le Sénat, où seuls de-
meurent en discussion les articles qui n’ont pas été adoptés dans les mêmes termes par les deux
assemblées : c’est la « navette » ;
- si la navette n’aboutit pas à l’adoption d’un texte commun par les deux assemblées ou si elle
prend trop de temps, le Gouvernement peut décider de recourir à une procédure de conciliation
en convoquant une commission mixte paritaire composée de sept députés et sept sénateurs ;
pour les propositions de loi, les présidents des deux assemblées ont également la faculté de
convoquer une telle commission ; la commission mixte paritaire est chargée de rédiger un texte
de compromis que le Gouvernement pourra éventuellement soumettre aux deux assemblées.
En cas d’échec de la procédure de conciliation, le Gouvernement use généralement de la
possibilité qui lui est offerte de laisser le dernier mot à l’Assemblée nationale.
Dès son adoption, le texte est transmis au secrétariat général du Gouvernement qui le présente
à la signature du Président de la République pour promulgation. Cependant, la promulgation
peut être retardée si le Conseil constitutionnel est saisi aux fins de vérifier la conformité du
texte à la Constitution (elle peut même être empêchée si le Conseil déclare le texte
inconstitutionnel) ou si, exceptionnellement, le Président de la République demande une
nouvelle délibération.
Document 2 : V. Lasserre « Loi et règlement », Répertoire de Droit civil, Dalloz, juillet 2015
(act. janvier 2016), n° 85 - 100
La loi, en tant qu’expression de la volonté générale, doit être rédigée conformément aux
principes énoncés par Portalis dans son Discours Préliminaire du premier projet de Code civil.
Document 2 bis : J.-E. Portalis, Discours Préliminaire du premier projet de Code civil (1801)
(extrait)
B – L’affaiblissement de la loi
Les évolutions du processus législatif (1) ainsi que l’apparition de sources alternatives (2)
conduisent à affaiblir le positionnement de la loi dans l’ordonnancement juridique français.
Les évolutions dans le processus de fabrication de la loi ont marqué l’époque contemporaine
par un affaiblissement de la loi…
Le Conseil constitutionnel exerce alors un contrôle afin de vérifier que les lois ont une portée
normative, et n’hésite pas à déclarer celles-ci contraires à la Constitution lorsque tel n’est pas
le cas.
Cette absence de normativité ne permettra pas au juge d’en déduire des effets juridiques.
Document 6 : Cass., Crim. 5 février 2013, n° 11-85909 (FS-P+B+R) : D. 2013, p. 805, note
P. Egéa
Pour aller plus loin : S. Douteau, « Le contenu législatif de l’ordre public contractuel »,
RDC 2020, n° 01- p. 144
Afin de faire face à cet affaiblissement de la loi, certaines initiatives se développent afin de
rendre le processus législatif plus efficace.
Pour aller plus loin : Etude annuelle du Conseil d’Etat pour 2016 « Simplification et qualité du
droit » http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/164000610.pdf
La loi, bien qu’ayant une place prédominante dans l’ordonnancement juridique, est cependant
concurrencée par des sources alternatives : il en est ainsi du droit souple.
Document 8 : Catherine Thibierge, « Le droit souple, Réflexion sur les textures du droit », RTD
Civ. 2003
p.599 (extrait)
● Avant la séance, vous irez rechercher dans un lexique de termes juridiques de votre
choix la signification des termes suivants :
- Abrogation
- Code
- Codification
- Codification à droit constant
- Commission mixte paritaire
- Décrets d’application
- Loi (et loi)
- Loi impérative
- Lex
- Légal, légalité
- Licite, licéité
- Publication
- Promulgation
- Réforme
- Sécurité juridique
- Loi supplétive
● Avant la séance, vous apprendrez la partie du cours consacrée à la loi comme source du
droit. Vous lirez de manière attentive TOUS les documents de la fiche et vous en ferez une
synthèse afin de pouvoir les intégrer dans la dissertation à réaliser (synthèse des articles de
doctrine et des décisions du Conseil constitutionnel).
• CAS PRATIQUE
En 2030, face à une crise sanitaire sans précédent, le Président de la République décide de
prendre arbitrairement des mesures d’urgence pour stopper la propagation d’une épidémie
mystérieuse qui rend les citoyens plus intelligents. Cette épidémie inédite dans l’histoire de
l’humanité a été largement commentée sur YouTube par le célèbre créateur de contenu
JoeyBtoonz. Connu pour ses critiques satiriques, il a qualifié cette situation « d’abus », lui-
même est surpris et ne sait pas comment cette maladie fonctionne ni comment elle se propage.
L’exécutif met en place, sans consultation du Parlement, une série de mesures restrictives :
• Port du masque obligatoire, y compris dans les vidéos TikTok, même si cela fout en l’air
l’esthétisme des vidéos ;
• Interdiction d’aller et venir au-delà d’un périmètre défini sauf si vous souhaitez faire un
vlog des produits achetés chez « Action » ;
• Obligation de se faire vacciner uniquement si vous disposez d’une paire de Jordan Air
achetée chez SNS Paris ;
• Interdiction totale d’utiliser la célèbre plateforme Reddit, qui selon le gouvernement
« rendrait les utilisateurs trop intelligents » et qui serait susceptible de nuire à l’ordre public en
raison des contenus trop stimulants qui induisent une réflexion critique chez ses utilisateurs.
Vous êtes désemparés. Plus de Reddit, plus de live TikTok, vaccin uniquement si vous êtes
stylés. L’Etat vous prive du Sublime, du Fascinant et vous force à vivre l’Absurde. Vous gigotez
tel un toxico, car vous êtes privés de publier vos vidéos de danse sur TikTok en plus… Bref,
c’est un sevrage complexe, un delirium tremens que vous subissez.
Que faire pour regagner votre liberté d’aller et venir, votre liberté d’expression ? En somme, y
a-t-il un moyen vous permettant de contester ces mesures qui portent atteinte à vos libertés
fondamentales ? Veillez à donner l’exacte qualification à ces « mesures gouvernementales » et
à faire apparaître les étapes de votre raisonnement.
Document 1 : Schéma de la procédure législative
Document 2 : V. Lasserre, « Loi et règlement », Répertoire de droit civil, juillet 2015
(actualisation janvier 2016), n° 88-100
88. Initiative concurrente des lois. - L’initiative des lois peut émaner du gouvernement qui
rédige et dépose un projet de loi, ou bien des députés ou des sénateurs qui rédigent et déposent
une proposition de loi. Selon l’article 39, alinéa 1er de la Constitution, l’initiative des lois
ordinaires « appartient concurremment » au Premier ministre qui établit un projet de loi délibéré
en conseil des ministres après avis du Conseil d’État, et aux membres du Parlement, députés ou
sénateurs, lesquels peuvent présenter une proposition de loi précédée d’un exposé des motifs.
Neuf lois sur dix ont pour origine un projet de loi. Même si la révision constitutionnelle du
23 juillet 2008 a essayé de donner plus de pouvoir aux parlementaires, notamment au niveau de
l’initiative des lois, ce qu’écrivait jadis J. CARBONNIER reste vrai : « Entre deux modes de
production du droit, le mode parlementaire, où la règle est votée, voulue par la représentation
nationale, et le mode ministériel où la règle est voulue, élaborée par le Premier ministre, des
ministres, des ministères, l’équilibre antérieur a été renversé par la Ve République : le droit
ministériel a la position dominante » (CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la
Ve République, 1996, Forum, Flammarion, p. 30). Ce n’est pas sans conséquence sur la qualité
de la loi. En effet, chaque ministère, comme un compartiment, « légifère sur les problèmes de
sa spécialité sans les intégrer à une vision d’ensemble du système juridique » (CARBONNIER,
Droit et passion…, op. cit., p. 31).
89. Les lois peuvent être à l’initiative du gouvernement qui dépose des projets de loi ou des
parlementaires qui déposent des propositions de loi. Ces projets ou propositions font ensuite
l’objet d’un examen en commission. Puis ils doivent être inscrits à l’ordre du jour de
l’assemblée afin qu’il en soit délibéré et qu’il soit procédé au vote.
A - Initiative du gouvernement : projets de lois
90. Projet de loi. Avis du Conseil d’État et du Conseil économique, social et environnemental.
- Les projets de lois sont délibérés en conseil des ministres, après avis du Conseil d’État (art. 39,
al. 1er), puis déposés à l’initiative du gouvernement sur le bureau de l’une ou de l’autre des
deux assemblées en conséquence d’un décret de présentation que le Conseil d’État considère
comme un acte de gouvernement. Ils sont donc élaborés sous l’autorité d’un ministre, sous le
contrôle du Premier ministre et du président de la République ; le Conseil d’État exerçant un
contrôle a priori du texte, son avis restant en principe jusqu’à aujourd’hui secret (la publication
à venir des avis du Conseil d’État est en discussion) et ne liant pas le gouvernement. La règle
est différente, cependant, pour les projets de lois de finances qui doivent être soumis en premier
lieu à l’Assemblée nationale qui, élue au suffrage universel, est considérée comme devant avoir
priorité pour établir l’impôt que devra payer le citoyen et prévoir les dépenses. Il en est de même
pour les projets de lois de financement de la Sécurité sociale (art. 39, al. 2). Les avis du Conseil
d’État, quoique non impératifs, exercent une forte autorité à l’égard du gouvernement : « Il lui
sera néanmoins psychologiquement délicat de les tenir pour négligeables : le fin du fin, dans
cette diplomatie intérieure, sera de choisir, parmi les critiques de la Haute Assemblée, celles qui
sont à la fois les plus voyantes et les moins dérangeantes pour les enchâsser dans le bloc
gouvernemental maintenu pour l’essentiel » (CARBONNIER, Essai…, op. cit., p. 198-199). À
l’inverse, les projets de lois ayant pour principal objet l’organisation des collectivités
territoriales doivent être soumis en premier lieu au Sénat (art. 39, al. 2). Les projets de loi de
plan ou les projets de programmation à caractère économique, social et environnemental ou
ceux définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques, doivent être précédés de
l’avis du Conseil économique, social et environnemental (art. 70). Quant aux lois relatives à
une ou plusieurs collectivités d’outre-mer, les projets doivent être précédés de la consultation
des assemblées territoriales intéressées (Const., art. 74, al. 2). On notera que le rôle prédominant
de l’exécutif n’est pas sans conséquence quant à la cible des lobbies : ils assiègent « les
antichambres des ministères, avant que d’avoir à hanter les couloirs, les lobbies des
Assemblées » (CARBONNIER, op. cit., p. 272).
91. Étude d’impact. - Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et la loi organique
du 15 avril 2009, les projets de loi qui doivent être précédés d’un exposé des motifs doivent
faire l’objet d’une étude d’impact définissant les objectifs poursuivis, recensant les « options
possibles » et exposant les motifs du recours à une nouvelle loi. Nées dans le droit de
l’urbanisme, dès les années 1970, à la faveur de la conscience des enjeux environnementaux –
l’« étude d’impact écologique » (FONBAUSTIER, « Études d’impact écologique », J.-Cl.
Envir., fasc. 2500), les études d’impact ont largement franchi les limites du secteur
environnemental pour complètement se généraliser (NOURY, L’étude d’impact des projets de
loi et de décret en Conseil d’État : une tentative de rationalisation du travail gouvernemental,
RRJ 2000-2, p. 631). La circulaire du 26 janvier 1998 relative à l’étude d’impact des projets de
loi et de décret en Conseil d’État (modifiant les circulaires du 26 juillet 1995 et du 21 novembre
1995 relatives à l’expérimentation d’une étude d’impact accompagnant les projets de loi et de
décret en Conseil d’État) a défini l’étude d’impact comme une méthodologie en vue d’évaluer
a priori les effets administratifs, juridiques, sociaux, économiques et budgétaires des mesures
envisagées et de s’assurer, de manière probante que la totalité de leurs conséquences a été
appréciée préalablement à la décision publique. Cela recouvrait l’impact juridique et
administratif du projet (notamment l’étude de faisabilité), l’impact social, économique et
budgétaire et le bilan coûts/avantages. La circulaire prévoyait la transmission du projet au
Conseil d’État dans le cas seulement où l’étude d’impact serait jugée suffisante par le Premier
ministre et le secrétaire général du gouvernement. Les études d’impact interviennent donc dès
le déclenchement de la « procédure normatrice » (NOURY, « L’étude d’impact des projets de
loi et de décret en Conseil d’État : une tentative de rationalisation du travail gouvernemental »,
RRJ 2000-2, p. 617). Dix ans plus tard, les études d’impact ont connu un regain d’intérêt
particulièrement vif. L’exigence des études d’impact a été constitutionnalisée à l’occasion de la
réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Un auteur a remarqué qu’« en affranchissant le
contrôle des études d’impact du cadre circonscrit du travail gouvernemental pour le mettre au
cœur de la procédure législative en général, la révision de 2008 renforce la portée à la fois
symbolique et juridique de cette exigence procédurale » (SIRINELLI, « La justiciabilité des
études d’impact des projets de loi », RD publ. 2010. 1374). La loi organique du 15 avril 2009 a
précisé les conditions de dépôt des projets de loi ; son article 8 dispose que les études d’impact
définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors
de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle
législation. L’étude d’impact porte aussi sur l’articulation du projet de loi avec le droit européen,
l’état de l’application du droit en France dans le domaine considéré, les modalités d’application
dans le temps des nouvelles dispositions, « l’évaluation des conséquences économiques,
financières, sociales et environnementales, ainsi que les coûts et bénéfices financiers attendus
des dispositions envisagées » pour les administrations et les personnes intéressées ainsi qu’une
liste des textes d’application qui seront nécessaires (loi organique n° 2009-403, 15 avr. 2009 ;
art. 7 à 11). Quant au contrôle de l’exigence d’une étude d’impact, il est opéré par la Conférence
des présidents et par le Conseil constitutionnel, le ministre pouvant quant à lui refuser de donner
son accord ou contreseing à un projet de texte dont l’étude d’impact initiale n’a pas été produite
lors des réunions interministérielles. L’article 39, alinéa 4, de la Constitution dispose, en effet,
que « les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents
de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont
méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le gouvernement, le
président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel
qui statue dans un délai de huit jours ».
92. Étude d’impact : critiques. - Comme le remarque un auteur, « la seule onction du vote des
représentants du peuple ne suffit plus à conférer à la loi un brevet d’intérêt général ; il est
désormais important qu’elle se pare d’une valeur scientifique » (SIRINELLI, La
justiciabilité…, article préc., RD publ. 2010. 1368. – HAQUET, « Les études d’impact des
projets de loi : espérances, scepticisme et compromis », AJDA 2009. Étude 1986 s.). Ce renfort
de légitimité (par le travail sur la qualité des lois, sur leur pertinence et leur opportunité et par
le renforcement du contrôle parlementaire) est censé être assuré par l’expertise technique et
juridique préalable. Mais aujourd’hui, une question se pose : quel est l’impact des études
d’impact (HAQUET, article préc., AJDA 2009. Étude 1986 s.) ? De toute évidence, pour que
ces dernières apportent une information de qualité, seule capable de légitimer l’action publique,
cela suppose trois conditions. Tout d’abord, le gouvernement doit effectivement s’atteler à cette
tâche et les moyens de contrôle doivent être effectifs. La Conférence des présidents peut certes
saisir le Conseil constitutionnel dans le cadre d’un contrôle de la constitutionnalité de la loi sur
le fondement de la violation des règles relatives à son dépôt. Mais justement « le contrôle de la
suffisance de l’étude d’impact est… le cœur du problème » (SIRINELLI, La justiciabilité…,
article préc., RD publ. 2010. 1392 s.) et l’« on peut s’interroger sur la capacité technique du
Conseil constitutionnel à apprécier la suffisance des expertises menées par le gouvernement »
(SIRINELLI, La justiciabilité…, article préc.. – AMÉDRO, « L’évaluation des politiques
publiques : structure et portée constitutionnelle d’une nouvelle fonction parlementaire », RD
publ. 2013. 1137 s.). Ensuite, la généralisation des études d’impact exige une capacité
d’expertise colossale dans les ministères dont on peut douter à l’heure actuelle (SIRINELLI,
article préc., p. 1371. – MBONGO, La « constitutionnalisation » des études d’impact préalables
à la loi. Un mirage légistique, D. 2009. Point de vue 108 s.). Enfin, la question de
l’indépendance, de l’expertise et de l’impartialité des études d’impact est de nouveau reposée.
Il a été observé, à propos de la circulaire du 15 avril 2009, que c’est au ministre principalement
responsable du projet de réforme de prendre en charge la responsabilité de l’étude d’impact,
qu’il existe un risque de contournement par des sous-marins législatifs, qu’il aurait fallu un
organisme indépendant du Parlement et du gouvernement et que se pose la question de
l’impartialité de celui qui fait l’étude : personne ou organisme extérieur au ministère, mais
qu’« un choix opposé a été effectué » (MBONGO, article préc., D. 2009. Point de vue 108 s.).
Le problème de l’expertise publique dans un rapport d’autonomie beaucoup plus marqué par
rapport à l’administration est donc clairement posé (HAQUET, article préc., AJDA 2009.
Étude 1986, spéc. p. 1992). Car, pour l’instant, il s’avère que c’est bien au gouvernement que
profitent les études d’impact : la réforme ne fait que confirmer, voire accentuer la prégnance
des positions du gouvernement dans les débats, du fait que le gouvernement défend désormais
des projets de réforme qui bénéficient de la légitimité de l’expertise, tandis que le Parlement
n’est pas en mesure de remettre en cause efficacement le contenu des études d’impact au moyen
de contre-expertises, et encore moins de les contester en refusant leur inscription à l’ordre du
jour ; le gouvernement est donc juge et partie (COMBRADE, « À qui profite l’étude d’impact ?
Les effets de la constitutionnalisation d’une obligation d’étude d’impact des projets de loi sur
les rapports entre gouvernement et Parlement », LPA n° 17, 24 janv. 2012, p. 6 s.). En d’autres
termes, « les études d’impact, au regard des multiples carences, ne semblent pas être en mesure
aujourd’hui d’apporter des solutions pleinement satisfaisantes aux problèmes juridiques posés :
lutter contre l’inflation législative et améliorer le contenu de la loi. Défaillantes dans leur
mission juridique, elles vont s’avérer davantage efficaces pour atteindre des objectifs d’une
autre nature : politique, économique et budgétaire » (DENOLLE, « Les études d’impact : une
révision manquée ? », RFDC 2011. 499 s. – PÉRÈS, « L’étude d’impact à la lumière de la
réforme par ordonnance du droit des obligations », RDC 2014. 275 s.). Et c’est sans parler de
leur opportunité. En effet, nombre « de politiques soulèvent d’im-portants problèmes de justice
distributive ou de droits individuels et d’équité » dont l’impact est difficile à mesurer (ROSE-
ACKERMAN, « Étude d’impact et analyse coûts-avantages : qu’impliquent-elles pour
l’élaboration des politiques publiques et les réformes législatives ? », RFAP 2011/4, p. 787 s.).
B - Initiative des assemblées : propositions de lois
93. Proposition de loi. Contrôle de la recevabilité. - Les propositions de loi sont déposées sur le
bureau de l’Assemblée nationale à laquelle son (le parlementaire) ou ses auteurs (un groupe de
parlementaires) appartiennent. Elles échappent au contrôle préventif du Conseil d’État, ainsi
qu’au contrôle politique du conseil des ministres. En revanche, elles font l’objet d’un double
examen de recevabilité avant d’être réparties entre les commissions pour instruction. Il s’agit
du contrôle de l’irrecevabilité financière et du contrôle de l’irrecevabilité constitutionnelle. Tout
d’abord, un contrôle de l’irrecevabilité financière en application de l’article 40 de la
Constitution qui dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du
Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une
diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
Dans les deux assemblées, il revient au président de la commission des finances de jouer un
rôle majeur pour apprécier cette irrecevabilité. Ensuite la proposition de loi peut faire l’objet
d’un contrôle constitutionnel, plus rare, en vertu de l’article 41 de la Constitution, lequel énonce
que « s’il apparaît au cours de la procédure législative qu’une proposition ou un amendement
n’est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38,
le gouvernement ou le président de l’assemblée saisie peut opposer l’irrecevabilité ». Ce
contrôle est un contrôle du respect de son domaine de compétence par le législateur. Avant la
réforme du 23 juillet 2008, seul le gouvernement pouvait opposer l’irrecevabilité aux fins de
freiner les empiétements du législateur sur le domaine réglementaire. Depuis la révision
constitutionnelle de 2008, qui a attribué ce droit aux présidents des assemblées, l’objectif de ce
texte est de veiller à la qualité de la loi et d’empêcher que ne s’y trouvent des dispositions de
nature réglementaire. Cette réforme a également introduit une innovation majeure par
l’article 39, alinéa 5, de la Constitution permettant au président d’une assemblée de soumettre
pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée
par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose. Enfin, il existe des
matières qui échappent à l’initiative parlementaire. Ce sont, en effet, des projets de loi de
finances qui sont prévus par l’article 47 de la Constitution, des projets de loi de financement de
la Sécurité sociale, en application de l’article 47-1 et des projets de loi de programmation
définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques qui sont définis par l’article 70
de la Constitution.
C - Examen en commission
94. Étude par les commissions. - Après avoir enregistré le texte du projet ou de la proposition,
l’assemblée en confie l’étude à une commission permanente ou à une commission spéciale,
spécialement créée à cet effet sur demande du gouvernement et des assemblées (Const.,
art. 43) ; le rapport entre la majorité et l’opposition étant respecté au sein des commissions. Il
s’agit des huit commissions permanentes à l’Assemblée nationale depuis la réforme
constitutionnelle de 2008, ou des sept commissions permanentes sénatoriales. Un rapporteur
désigné par les membres de la commission est chargé de procéder à des auditions, de préparer
des amendements, de résumer les débats, d’indiquer la position de la commission, enfin de
présenter ses conclusions devant l’assemblée, en séance publique (les rapports, sources
précieuses d’informations pour l’interprétation des textes, sont publiés par les éditions du
Journal officiel). L’article 44 de la Constitution prévoit que le droit d’amendement s’exerce en
séance ou en commission et qu’après l’ouverture des débats, le gouvernement peut s’opposer à
l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission. L’une
des innovations majeures de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a été de prévoir que
le texte débattu en séance est nécessairement celui qui est issu des travaux de la commission.
Alors que les travaux en commission étaient jadis tenus pour négligeables, cette réforme
garantit la restauration des droits du Parlement pour les projets de lois comme pour les
propositions de lois, sa réappropriation de la procédure législative, l’élargissement du débat, la
défense par le gouvernement de son projet dès le travail en commission, la collaboration du
gouvernement et du Parlement, un gain de temps pour le Parlement en séance, enfin une
discussion en séance sur les problèmes de fond. De l’autre côté, elle ne présente pas de danger
pour l’exécutif puisque la majorité soutiendra le gouvernement et évitera la dénaturation des
intentions de l’exécutif. De surcroît, le gouvernement conserve à sa disposition le vote bloqué
(art. 44, al. 3) et l’article 49, alinéa 3 (POULET-GIBOT LECLERC, « La loi revisitée », LPA
n° 247, 11 déc. 2009, p. 3. – DUPRAT, « La présence du gouvernement en commission, une
disposition peu débattue du projet de loi organique relatif à la procédure législative », LPA
6 mars 2009, p. 6, n° 47. – CARTIER-MOLIN, La portée du nouveau rôle législatif des
commissions parlementaires [commentaire des deux premiers alinéas de l’article 2 de la
Constitution], RD publ. 2010. 1399. – BAGHESTANI, « À propos de la loi organique n° 2009-
403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution », LPA
n° 127, 26 juin 2009, p. 6).
D - Inscription à l’ordre du jour, délibération d’un projet de loi ou d’une proposition de loi et
vote
95. Inscription à l’ordre du jour. - Après le passage en commission, le texte doit être inscrit à
l’ordre du jour de l’assemblée saisie pour être dès lors discuté (Const., art. 48). Cette inscription
est fixée par la Conférence des présidents dans laquelle le gouvernement est représenté par le
mi-nistre chargé des relations avec le Parlement. La dernière réforme constitutionnelle a
renforcé les droits de l’opposition. L’article 4 de la Constitution dispose que « la loi garantit les
expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements
politiques à la vie démocratique de la Nation ». Quant à l’art 51-1 de la Constitution, il permet
aux règlements des assemblées de reconnaître « des droits spécifiques aux groupes d’opposition
de l’assemblée intéressés ainsi qu’aux groupes minoritaires ». Un auteur remarque que
« l’institutionnalisation de l’opposition parlementaire est alors perçue comme un moyen de
rééquilibrer les institutions » ; elle est utilisée contre la dérive du fait majoritaire (JOUVE, « Les
droits de l’opposition à la suite de la révision constitutionnelle de 2008 : atténuation ou
renforcement de la démocratie majoritaire ? », RD publ. 2014. 445 s.). Depuis la dernière
révision constitutionnelle, le temps est donc désormais partagé entre le gouvernement et les
assemblées : deux semaines sont réservées au gouvernement ; les deux autres étant réservées
aux textes retenus par les assemblées qui sont libres de décider l’examen d’un projet de loi si
elles le souhaitent. Quant à l’opposition et aux groupes minoritaires, une séance par mois, est
réservée à l’initiative de leurs groupes parlementaires. De même, une semaine sur quatre est
réservée par priorité au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques
publiques (POULET-GIBOT LECLERC, « La loi revisitée », LPA n° 247, 11 déc. 2009, p. 3 s.
– JOUVE, « Les droits de l’opposition à la suite de la révision constitutionnelle de 2008 :
atténuation ou renforcement de la démocratie majoritaire ? », RD publ. 2014. 445 s.). Pourtant,
malgré la dernière réforme constitutionnelle, le gouvernement continue de contrôler étroitement
l’ordre du jour.
96. Délibération d’un projet de loi ou d’une proposition de loi. Droit d’amendement. - Depuis
la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et dans le but de revaloriser le rôle du Parlement,
l’article 42, alinéa 1er, prévoit que « la discussion des projets et des propositions de loi porte,
en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l’article 43 ou, à défaut,
sur le texte dont l’assemblée a été saisie ». Par exception, cela ne concerne pas les textes qui
engagent directement la politique du gouvernement, comme les lois de finances, de financement
de la Sécurité sociale et les projets de révision constitutionnelle pour lesquels la discussion en
séance porte sur le texte présenté par le gouvernement. L’article 42 de la Constitution est la
disposition « la plus essentielle concernant le redressement du Parlement » ; il « contient aussi
en lui des potentialités de déstabilisation de l’exécutif » et consacre l’« abandon d’un
parlementarisme excessif et amplifié par le fait majoritaire ». Néanmoins, « le dispositif de
l’article 42 de la Constitution tiendra ses promesses, si et seulement si, les parlementaires de la
majorité restent relativement disciplinés » ; tandis qu’est remarquable « l’incapacité des élus et
responsables politiques à s’autodiscipliner, à discuter, à dialoguer, à rechercher en permanence
des compromis sans rien renier de leurs engagements politiques » (JAN, Les débats des projets
à partir du texte de la commission : disposition innovante… sous condition ou risque d’un
nouveau déséquilibre ?, LPA n° 254, 19 déc. 2008, p. 68 s.). Il faut également respecter les
délais propres à empêcher toute précipitation : en première lecture, la discussion en séance ne
peut intervenir devant la première assemblée qu’à l’expiration d’un délai de six semaines après
le dépôt du projet ou de la proposition de loi et devant la seconde assemblée, la discussion ne
peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de quatre semaines à compter de sa transmission
(art. 42, al. 5). Le vote a lieu en séance publique, après une discussion publique comprenant
trois phases. Il y a tout d’abord une discussion d’ensemble portant sur les motifs et l’opportunité
du projet ou de la proposition (présentation du texte par le gouvernement, par le rapporteur des
travaux menés en commission et par le président de la commission). Ensuite, sont examinées
les motions de procédure, comme l’exception d’irrecevabilité pour inconstitutionnalité (au
Sénat), la motion de rejet préalable (prévue par le règlement de l’Assemblée nationale pour
faire reconnaître que le texte est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou
de faire décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer), la question préalable (au Sénat et portant sur
l’inopportunité du texte) et le renvoi à la commission. Enfin, la discussion du texte, article par
article, peut avoir lieu, ainsi que celle des amendements, c’est-à-dire des modifications
proposées par le gouvernement, par la commission ou par des parlementaires. Toutefois, le droit
d’amendement n’est pas absolu ; le Conseil constitutionnel interdisant les « cavaliers logis-
statifs », c’est-à-dire des amendements dépourvus de tout lien avec l’objet du texte soumis au
vote du Parlement (Décis. du 19 juin 2001, n° 2001-445 DC). Le Conseil constitutionnel a
rappelé en 2006 que le droit d’amendement doit pouvoir s’exercer librement sous réserve de ne
pas être dé pourvu de tout lien avec l’objet du texte, mettant ainsi en relief le « respect des
exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » (Décis. du 19 janv. 2006, n° 2005-
532 DC). Issu de la révision de 2008, l’article 45 dispose désormais que « tout amendement est
recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé
ou transmis » (POU-LET-GIBOT LECLERC, « La loi revisitée », LPA n° 247, 11 déc. 2009, p.
3 s.). Dans sa décision du 4 août 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que « sans préjudice de
l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors
qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » ; que « cette disposition
veille à assurer la cohérence d’une loi, sa conformité à son objet, dans l’ensemble de ses
dispositions et, in fine, sa lisibilité par le citoyen, à qui elle s’adresse avant tout » ; que « le droit
d’amendement que la Constitution confère aux parlementaires et au gouvernement est mis en
œuvre dans les conditions et sous les réserves prévues par ses articles 40, 41, 44, 45, 47 et 47-
1 ; […] qu’il résulte de la combinaison (de ces) dispositions […] que le droit d’amendement,
qui appartient aux membres du Parlement et au gouvernement doit pouvoir s’exercer
pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune
des deux assemblées ; qu’il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect
des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité
ainsi que par la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l’objet
du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » (CHALTIEL, « La loi relative
à l’hôpital et aux patients devant le juge constitutionnel : l’occasion de préciser la procédure
législative [À propos de la décision du Conseil constitutionnel du 4 août 2011] », LPA n° 253,
21 déc. 2011, p. 7. – CAMBY, « La prohibition des cavaliers législatifs : une règle
constitutionnelle [Cons. const. 4 août 2011] », LPA n° 255, 23 déc. 2011, p. 9). Enfin, pour
empêcher l’obstruction parlementaire, lutter contre le dépôt massif des amendements et
structurer le dé-bat en séance en le concentrant sur les grands enjeux politiques, le règlement
de l’Assemblée na-tonale a introduit en 2009 (art. 49 et 55) les règles du temps législatif
programmé, portant sur la durée maximale des débats programmée par la Conférence des
présidents et sur la répartition du temps entre groupes qui l’utilisent librement (KOUOMOU
SIMO, « Le temps législatif programmé à l’Assemblée nationale », RD publ. 2013. 889. – J.-
E. GICQUEL, « La loi et la procédure parlementaire », RFDA 2013. 927).
97. Exigence de clarté et de sincérité des débats. - D’une façon générale, les débats
parlementaires sont soumis à une exigence de clarté et de sincérité des débats qui a été consacrée
par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 avril 2005 relative à la loi pour l’avenir de
l’école et fondée sur l’article 6 de la Déclaration de 1789 et l’article 3 de la Constitution
(BRUNESSEN, « L’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Étude sur un
concept régulateur de la procédure législative sous la Ve République », RD publ. 2011. 431).
Le Conseil constitutionnel cherche à imposer « les conditions d’un débat de qualité, éclairé » et
une base constitutionnelle permettant « d’écarter tout artifice de nature à altérer l’échange des
idées ». Cette exigence qui porte sur la formation de « l’expression de la volonté générale »
concourt ainsi au perfectionnement de la procédure législative et au contrôle du bon
déroulement de la procédure. Elle a été utilisée aux fins de réguler le droit d’amendement, pour
interdire les cavaliers législatifs. Elle permet aussi de contrôler le délai de dépôt et l’examen
des amendements en commission, le délai de dépôt et l’examen des amendements en séance –
c’est-à-dire l’organisation des débats (BRUNESSEN, article préc., RD publ. 2011. 431). Enfin,
l’exigence de clarté et de sincérité des débats est utilisée pour la protection des droits de
l’opposition : « La meilleure protection des droits de l’opposition réside dans cette exigence
constitutionnelle » (notamment contre vote bloqué dévoyé. – JOUVE, « Les droits de
l’opposition à la suite de la révision constitutionnelle de 2008 : atténuation ou renforcement de
la démocratie majoritaire ? », RD publ. 2014. 445 s.). Pourtant, dans la pratique, « l’étude des
débats parlementaires à l’occasion de lois à forte connotation politique démontre que la révision
constitutionnelle a échoué à responsabiliser l’opposition et à garantir un débat serein » ; « le
droit parlementaire touche ici ses limites face à la pratique politique et parlementaire » (JOUVE,
article préc., RD publ. 2014. 445 s.).
98. Vote. - Le texte amendé est ensuite passé au vote ; d’abord chaque article et ensuite
l’ensemble du texte. Il doit être adopté à la majorité des suffrages exprimés ; le vote étant
personnel (Const., art. 27). Le vote symbolise aussi la fin de la première lecture. Mais il existe
des moyens d’orienter les votes. Le gouvernement dispose, en effet, de certains pouvoirs de
contrainte : le vote bloqué et la motion de censure. Le vote bloqué, prévu par l’article 44,
alinéa 3, de la Constitution, consiste pour le gouvernement à demander à l’Assemblée saisie de
se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les
amendements proposés ou acceptés par le gouvernement. Ce dispositif a été utilisé aux époques
où le gouvernement ne disposait pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Quant à
la motion de censure, elle est prévue par l’article 49, alinéa 3. Il s’agit de la possibilité pour le
Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, d’engager la responsabilité du
gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet ou d’une proposition de loi.
Dans ce cas, le projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure est déposée
dans les vingt-quatre heures qui suivent, laquelle doit être signée par un dixième au moins des
membres de l’Assemblée nationale. Les députés ont donc le choix entre accepter le texte ou
renverser le gouvernement en votant une motion de censure. Dans la pratique, l’article 49,
alinéa 3, a été dévoyé et utilisé non pas pour soumettre la majorité rétive mais pour abréger les
débats lorsque l’opposition les fait durer ; une pratique que devrait rendre plus rare l’institution
du temps législatif programmé (KOUOMOU SIMO, « Le temps législatif programmé à
l’Assemblée nationale », RD publ. 2013. 889).
99. La navette. - Le texte ayant été voté par une assemblée, il est alors transmis à l’autre
assemblée où il fera l’objet d’une discussion à l’expiration d’un délai de quatre semaines à
compter de la transmission et d’un second vote, sauf recours à la procédure accélérée prévue à
l’article 45, alinéa 2, de la Constitution (Const., art. 42, al. 3 et 4). En cas de désaccord de la
seconde assemblée, le texte revient devant la première : c’est ce qu’on appelle « la navette »,
qui durera jusqu’à ce que les deux assemblées se mettent d’accord sur le même texte, à la virgule
près. Mais le Premier ministre peut y mettre fin, après deux lectures par chaque assemblée ou
même après une seule lecture en cas de procédure accélérée (qui a remplacé depuis 2008
l’ancienne procédure d’urgence) en provoquant la réunion d’une commission mixte paritaire
composée de sept députés et de sept sénateurs désignés par leurs collègues pour tenter
d’élaborer un texte commun. Les deux présidents agissant conjointement peuvent également
provoquer la réunion de cette commission pour les propositions de lois. Le texte proposé par la
commission mixte paritaire peut alors être voté par chacune des assemblées. Si le texte commun
ne recueille pas l’adhésion des deux assemblées, le gouvernement peut, après une nouvelle
lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer
définitivement, celle-ci pouvant dans ce cas reprendre soit le texte élaboré par la commission
mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs amendements
votés par le Sénat (Const., art. 45, al. 4). Il s’agit de la procédure du « dernier mot », laquelle a
été fréquemment utilisée lorsque le Sénat était dans l’opposition, notamment entre 1981 et
1986.
100. La procédure accélérée. - La procédure accélérée, qui remplace depuis 2008 l’ancienne
procédure d’urgence, est prévue par les articles 45 et 46 de la Constitution : le chef du
gouvernement peut convoquer et obtenir la réunion d’une commission mixte paritaire au terme
d’une seule lecture s’il engage la procédure accélérée à la seule condition que les conférences
des présidents des deux assemblées parlementaires n’y fassent pas obstacle conjointement. Il
s’agit donc d’une prérogative gouvernementale permettant « au gouvernement de forcer le
pouvoir législatif à une célérité toute particulière dans l’adoption des lois », d’éviter le blocage
parlementaire, de rationaliser le travail législatif, de contraindre le processus législatif (FUCHS,
« La procédure législative d’urgence », RD publ. 2009. 761 s.). La procédure d’urgence était
critiquée pour commettre des atteintes aux droits du Parlement et à la bonne élaboration de la
loi, des restrictions au droit d’amendement, particulièrement pour la deuxième chambre saisie,
pour avoir des conséquences néfastes sur l’intelligibilité de la loi, pour être abusivement mise
en œuvre (FUCHS, « La procédure législative d’urgence », RD publ. 2009. 761 s.). Si la
révision de 2008 était censée « mettre fin à l’abus gouvernemental en la matière et participer au
redressement de la qualité de la loi », force est de constater que l’objectif n’a pas été atteint, que
l’usage de la procédure accélérée demeure abusif : près de 80 % des textes, hors lois de
ratification de convention internationale, sont adoptés à la suite de la procédure accélérée dont
le délai d’examen de la loi est de 90 jours au lieu de 246 (JAN, « La procédure accélérée : bilan
de deux ans de mise en œuvre », LPA n° 35, 18 févr. 2011, p. 6 s.).
Un arrêté des Consuls, du 24 thermidor an VIII, a chargé le ministre de la justice de nous réunir
chez lui pour « comparer l’ordre suivi dans la rédaction des projets de code civil publiés jusqu’à
ce jour, déterminer le plan qu’il nous paraîtrait le plus convenable d’adopter, et discuter ensuite
les principales bases de la législation en matière civile ».
Cet arrêté est conforme au vœu manifesté par toutes nos assemblées nationales et législatives.
Nos conférences sont terminées.
Nous sommes comptables à la patrie et au Gouvernement, de l’idée que nous nous sommes
formés de notre importante mission, et de la manière dont nous avons cru devoir la remplir.
La France, ainsi que les autres grands États de l’Europe, s’est successivement agrandie par la
conquête et par la réunion libre de différents peuples.
Les peuples conquis et les peuples demeurés libres ont toujours stipulé, dans leurs capitulations,
et dans leurs traités, le maintien de leur législation civile. L’expérience prouve que les hommes
changent plus facilement de domination que de lois.
De là cette prodigieuse diversité de coutumes que l’on rencontrait dans le même empire : on
eût dit que la France n’était qu’une société de sociétés. La patrie était commune ; et les États,
particuliers et distincts : le territoire était un ; et les nations diverses.
Des magistrats recommandables avaient, plus d’une fois, conçu le projet d’établir une
législation uniforme. L’uniformité est un genre de perfection qui, selon le mot d’un auteur
célèbre, saisit quelquefois les grands esprits, et frappe infailliblement les petits.
Mais comment donner les mêmes lois à des hommes qui, quoique soumis au même
gouvernement, ne vivaient pas sous le même climat, et avaient des habitudes si différentes ?
Comment ex-tirper des coutumes auxquelles on était attaché comme à des privilèges, et que
l’on regardait comme autant de barrières contre les volontés mobiles d’un pouvoir arbitraire ?
On eût craint d’affaiblir, ou même de détruire, par des mesures violentes, les liens communs de
l’autorité et de l’obéissance.
Tout à coup une grande révolution s’opère. On attaque tous les abus ; on interroge toutes les
institutions. À la simple voix d’un orateur, les établissements, en apparence des plus inébran-
lables, s’écroulent ; ils n’avaient plus de racine dans les mœurs ni dans l’opinion. Ces succès
encouragent ; et bientôt la prudence qui tolérait tout, fait place au désir de tout détruire.
Alors on revient aux idées d’uniformité dans la législation, parce qu’on entrevoit la possibilité
de les réaliser.
Mais un bon code civil pouvait-il naître au milieu des crises politiques qui agitaient la France ?
Toute révolution est une conquête. Fait-on des lois dans le passage de l’ancien gouvernement
au nouveau ? Par la seule force des choses, ces lois sont nécessairement hostiles, partiales,
éversives. On est emporté par le besoin de rompre toutes les habitudes, d’affaiblir tous les
liens, d’écarter tous les mécontents. On ne s’occupe plus des relations privées des hommes entre
eux : on ne voit que l’objet politique et général ; on cherche des confédérés plutôt que des
concitoyens. Tout devient droit public.
Si l’on fixe son attention sur les lois civiles, c’est moins pour les rendre plus sages ou plus
justes, que pour les rendre plus favorables à ceux auxquels il importe de faire goûter le régime
qu’il s’agit d’établir. On renverse le pouvoir des pères, parce que les enfants se prêtent
davantage aux nouveautés. L’autorité maritale n’est pas respectée, parce que c’est par une plus
grande liberté donnée aux femmes, que l’on parvient à introduire de nouvelles formes et un
nouveau ton dans le commerce de la vie. On a besoin de bouleverser tout le système des
successions, parce qu’il est expédient de préparer un nouvel ordre de citoyens par un nouvel
ordre de propriétaires. À chaque instant, les changements naissent des changements ; et les
circonstances, des circonstances. Les institutions se succèdent avec rapidité, sans qu’on puisse
se fixer à aucune ; et l’esprit révolutionnaire se glisse dans toutes. Nous appelons esprit
révolutionnaire, le désir exalté de sacrifier violemment tous les droits à un but politique, et de
ne plus admettre d’autre considération que celle d’un mystérieux et variable intérêt d’État.
Ce n’est pas dans un tel moment que l’on peut se promettre de régler les choses et les hommes,
avec cette sagesse qui préside aux établissements durables, et d’après les principes de cette
équité naturelle dont les législateurs humains ne doivent être que les respectueux interprètes.
Aujourd’hui la France respire ; et la constitution, qui garantit son repos, lui permet de penser à
sa prospérité.
De bonnes lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir ; elles
sont la source des mœurs, la palladium de la propriété, et la garantie de toute paix publique et
particulière : elles le maintiennent ; elles modèrent la puissance, et contribuent à la faire
respecter, comme si elle était la justice même. Elles atteignent chaque individu, elles se mêlent
aux principales actions de sa vie, elles le suivent partout ; elles sont souvent l’unique morale du
peuple, et toujours elles font partie de sa liberté : enfin, elles consolent chaque citoyen des
sacrifices que la loi politique lui commande pour la cité, en le protégeant, quand il le faut, dans
sa personne et dans ses biens, comme s’il était, lui seul, la cité tout entière. Aussi, la rédaction
du Code civil a d’abord fixé la sollicitude du héros que la nation a établi son premier magistrat,
qui anime tout par son génie, et qui croira toujours avoir à travailler pour sa gloire, tant qu’il
lui restera quelque chose à faire pour notre bonheur.
Mais quelle tâche que la rédaction d’une législation civile pour un grand peuple ! L’ouvrage se-
rait au-dessus des forces humaines, s’il s’agissait de donner à ce peuple une institution
absolument nouvelle, et si, oubliant qu’il occupe le premier rang parmi les nations policées, on
dédaignait de profiter de l’expérience du passé, et de cette tradition de bon sens, de règles et de
maximes, qui est parvenue jusqu’à nous, et qui forme l’esprit des siècles.
Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de
raison. Le législateur exerce moins une autorité qu’un sacerdoce. Il ne doit point perdre de vue
que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; qu’elles doivent être
adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites ; qu’il
faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s’il est possible, dans une
institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il
ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ; qu’il faut
laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu’en corrigeant un abus, il faut encore voir les
dangers de la correction même, qu’il serait absurde de se livrer à des idées absolues de
perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d’une bonté relative ; qu’au lieu de
changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs
de les aimer ; que l’histoire nous offre à peine la promulgation de deux ou droit bonnes lois
dans l’espace de plusieurs siècles ; qu’enfin, il n’appartient de proposer des changements, qu’à
ceux qui sont assez heureusement nés pour pénétrer, d’un coup de génie, et par une sorte
d’illumination soudaine, toute la constitution d’un État.
Le consul Cambacérès publia, il y a quelques années, un Projet de code dans lequel les matières
se trouvent classées avec autant de précision que de méthode. Ce magistrat, aussi sage
qu’éclairé, ne nous eût rien laissé à faire, s’il eût pu donner un libre essor à ses lumières et à ses
principes, et si des circonstances impérieuses et passagères n’eussent érigé en axiomes de droit,
des erreurs qu’il ne partageait pas.
Après le 18 brumaire, une commission composée d’hommes que le vœu national a placés dans
diverses autorités constituées, fut établie pour achever un ouvrage déjà trop souvent repris et
abandonné. Les utiles travaux de cette commission ont dirigé et abrégé les nôtres.
Tout simplifier, est une opération sur laquelle on a besoin de s’entendre. Tout prévoir, est un
but qu’il est impossible d’atteindre.
Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compromettraient
la certitude et la majesté de la législation. Mais un grand État comme la France, qui est à la fois
agricole et commerçant, qui renferme tant de professions différentes, et qui offre tant de genres
divers d’industrie, ne saurait comporter des lois aussi simples que celles d’une société pauvre
ou plus réduite.
Les lois des Douze Tables sont sans cesse proposées pour modèle : mais peut-on comparer les
institutions d’un peuple naissant, avec celles d’un peuple parvenu au plus haut degré de richesse
et de civilisation ? Rome, née pour la grandeur, et destinées, pour ainsi dire, à être la ville
éternelle, tardera-t-elle à reconnaître l’insuffisance de ses premières lois ? Les changements
survenus insensiblement dans ses mœurs, n’en produisirent-ils pas dans sa législation ? ne
commença-t-on pas bientôt à distinguer le droit écrit du droit non écrit ? ne vit-on pas naître
successivement les sénatus-consulte, les plébiscites, les édits des préteurs, les ordonnances des
consuls, les règlements des jurisconsultes, les pragmatiques-sanctions, les rescrits, les édits, les
novelles des empereurs ? L’histoire de la législation de Rome est, à peu près, celle de la
législation de tous les peuples.
Dans tous les États despotiques, où le prince est propriétaire de tout le territoire, où tout le
commerce se fait au nom du chef de l’État et à son profit, où les particuliers n’ont ni liberté, ni
volonté, ni propriété, il y a plus de juges et de bourreaux que de lois ; mais partout où les
citoyens ont des biens à conserver et à défendre ; partout où ils ont des droits politiques et civils ;
partout où l’honneur est compté pour quelque chose, il faut nécessairement un certain
nombre de lois pour faire face à tout. Les diverses espèces de biens, les divers genres
d’industrie, les diverses situations de la vie humaine, demandent des règles différentes. La
sollicitude du législateur est obligée de se proportionner à la multiplicité et à l’importance des
objets sur lesquels il faut statuer. De là, dans les Codes des nations policées, cette prévoyance
scrupuleuse qui multiplie les cas particuliers, et semble faire un art de la raison même.
Nous n’avons donc pas cru devoir simplifier les lois, au point de laisser les citoyens sans règle
et sans garantie sur leurs plus grands intérêts.
Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout
prévoir. Qui pourrait penser que ce sont ceux mêmes auxquels un code paraît toujours trop
volumineux, qui osent prescrire impérieusement au législateur, la terrible tâche de ne rien
abandonner à la décision du juge ?
Quoi que l’on fasse, les lois positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l’usage de la
raison naturelle dans les affaires de la vie. Les besoins de la société sont si variés, la
communication des hommes est si active, leurs intérêts sont si multipliés, et leurs rapports si
étendus, qu’il est impossible au législateur de pourvoir à tout.
Dans les matières mêmes qui fixent particulièrement son attention, il est une foule de détails
qui lui échappent, ou qui sont trop contentieux et trop mobiles pour pouvoir devenir l’objet d’un
texte de loi.
Un code, quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé, que mille questions
inattendues viennent s’offrir aux magistrats. Car les lois une fois rédigées demeurent telles
qu’elles ont été écrites. Les hommes, au contraire, ne se reposent jamais ; ils agissent toujours :
et ce mouvement, qui ne s’arrête pas, et dont les effets sont diversement modifiés par les
circonstances, produit, à chaque instant, quelque combinaison nouvelle, quelque nouveau fait,
quelque résultat nouveau.
L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit : d’établir des
principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent
naître sur chaque matière.
De là, chez toutes les nations policées, on voit toujours se former, à côté du sanctuaire des lois,
et sous la surveillance du législateur, un dépôt de maximes, de décisions et de doctrine qui
s’épure journellement par la pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s’accroît sans
cesse de toutes les connaissances acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai
supplément de la législation.
On fait à ceux qui professent la jurisprudence le reproche d’avoir multiplié les subtilités, les
compilations et les commentaires et les commentaires. Ce reproche peut être fondé. Mais dans
quel art, dans quelle science ne s’est-on pas exposé à le mériter ? Doit-on accuser une classe
particulière d’hommes, de ce qui n’est qu’une maladie générale de l’esprit humain ? Il est des
temps où l’on est condamné à l’ignorance, parce qu’on manque de livres ; il en est d’autres où
il est difficile de s’instruire, parce qu’on en a trop.
Il serait, sans doute, désirable que toutes les matières pussent être réglées par des lois.
Mais à défaut de texte précis sur chaque matière, un usage ancien, constant et bien établi, une
suite non interrompue de décisions semblables, une opinion ou une maxime reçue, tiennent lieu
de loi. Quand on n’est dirigé par rien de ce qui est établi ou connu, quand il s’agit d’un fait
absolument nouveau, on remonte aux principes du droit naturel. Car, si la prévoyance des
législateurs est limitée, la nature est infinie ; elle s’applique à tout ce qui peut intéresser les
hommes.
Tout cela suppose des compilations, des recueils, des traités, de nombreux volumes de
recherches et de dissertations.
Le peuple, dit-on, ne peut, dans ce dédale, démêler ce qu’il doit éviter ou ce qu’il doit faire pour
avoir la sûreté de ses possessions et de ses droits.
Mais le code, même le plus simple, serait-il à la portée de toutes les classes de la société ? Les
passions ne seraient-elles pas perpétuellement occupées à en détourner le vrai sens ? Ne faut-il
pas une certaine expérience pour faire une sage application des lois ? Quelle est d’ailleurs la na-
tion à laquelle des lois simples et en petit nombre aient longtemps suffi ?
Ce serait donc une erreur de penser qu’il pût exister un corps de lois qui eût d’avance pourvu à
tous les cas possibles, et qui cependant fut à la portée du moindre citoyen.
Dans l’état de nos sociétés, il est trop heureux que la jurisprudence forme une science qui puisse
fixer le talent, flatter l’amour-propre et réveiller l’émulation. Une classe entière d’hommes se
voue dès lors à cette science, et cette classe, consacrée à l’étude des lois, offre des conseils et
des défenseurs aux citoyens qui ne pourraient se diriger et se défendre eux- mêmes, et devient
comme le séminaire de la magistrature.
Il est trop heureux qu’il y ait des recueils, et une tradition suivie d’usages, de maximes et de
règles, pour que l’on soit, en quelque sorte, nécessité à juger aujourd’hui, comme on a jugé hier,
et qu’il n’y ait d’autres variations dans les jugements publics, que celles qui sont amenées par
le progrès des lumières et par la force des circonstances.
De quelque côté que le regard se porte, l’on constate une assez grande concordance des attitudes
des juristes au sujet de la définition de la loi. Tous, ou presque tous, en retiennent plus ou moins,
bien au-delà des querelles d’école, deux acceptions : ou bien l’on insiste sur une analyse
formelle — la loi étant l’acte accompli par le Parlement dans les formes législatives, quel que
soit son contenu —, ou bien l’on préfère une vision matérielle, qui porte à considérer que la loi
est une règle générale, qu’elle est donc abstraite et permanente : cette perspective est
habituellement retenue dans les traités, manuels ou précis de droit civil. Dans son ensemble, la
pensée juridique s’accommode de ces deux définitions. Il suffit de préciser, selon les
circonstances, celle qui lui sert de référence ou de modèle.
Ces comportements semblent pourtant bien peu soucieux de formules plus prestigieuses,
résultant de définitions hautement officielles. Plus précisément, de l’article 6 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen, du 26 août 1789, à laquelle il est renvoyé par le préambule
de la Constitution du 4 octobre 1958. Il y est notamment disposé que « la loi est l’expression de
la volonté générale ». Pourquoi cette apparente et relative indifférence ? On discerne deux
réponses possibles : parce que, pour beaucoup, il s’agirait là d’une relation avec autre chose,
donc avec quelque chose qui serait extérieur à une définition ; ou bien, plutôt, parce que la loi
a cessé d’exprimer, ou exprime moins que par le passé, la volonté générale, si tant est qu’elle
lui ait, à une époque donnée, servi de mode d’expression.
Reste à savoir, dans la seconde voie, si cet éventuel recul n’est pas le signe d’une crise assez
profonde, qui affecte non seulement les origines de la loi, mais aussi ses caractères et son
contenu.
En disant cela, on ne fait bien entendu que répéter une observation banale, confirmée par une
convergence impressionnante des opinions : la loi n’est plus ce qu’elle était. Nostalgique ou
non, la formule date, mais dure. Elle est maintenant ancienne et vénérable. A l’époque où l’on
subissait trop l’effet de l’usure des codes napoléoniens, Gény l’avait dégagée ; il avait, dans le
contexte de la fin du siècle dernier, montré le déclin, sinon de l’exégèse, du moins d’une certaine
exégèse et, dans cette voie, décrit et expliqué un recul de la loi. Puis d’autres analyses ont
amplifié la remise en cause du légalisme. Le vieillissement de la règle législative ne parut pas
le phénomène principal ; après tout, si la loi est vieillie, il suffit de la changer. Mais c’est
justement ce qui a pu faire problème, car, à mesure que l’on prit conscience des besoins
d’adaptation de la règle de manière de plus en plus pressante et générale, on a constaté que la
signification de la loi changeait profondément dans une société contemporaine. A ce sujet les
descriptions de Ripert ou de Burdeau restent d’actualité.
La persistance des définitions classiques, malgré toutes les transformations de la loi, ne suffit
pus à expliquer le présent propos. Il s’y ajoute d’autres données : le fait qu’aux signes anciens
de l’évolution s’en sont joints de nouveaux ; l’élargissement des approches scientifiques du
phénomène, sous l’influence d’un essor de sociologie juridique ; la prise de conscience plus
nette des recherches qu’imposent aujourd’hui les secousses subies par la loi quant à ses origines,
ses caractères et son contenu.
I
Aux sources du phénomène juridique principal – la règle –, la volonté générale relie, dans la
tradition révolutionnaire, l’individu et la nation : la loi est l’expression de la volonté générale.
Peut-être n’est-ce là qu’un mythe parmi d’autres – loi révélée, volonté des ancêtres, législateur
étranger1,… – mais la croyance qui s’y est attachée est, de toute façon, restée longtemps assez
forte. Or un double recul s’est manifesté à notre époque, affectant à la fois la généralité et la
volonté. […]
La technicité altère la loi, telle qu’on la concevait il y a deux siècles. Autrefois, rédiger une
déclaration des droits, cela supposait des qualités éminentes dans la pensée et dans le style ; et
il en était de même des lois. Mais les assemblées parlementaires étaient peuplées de juristes ; et
ceux-ci savaient écrire la règle de droit, qui était restée simple, accessible. Aujourd’hui, c’est
autre chose. Outre le recul progressif des juristes qui s’est manifesté dans le monde politique,
l’accroissement de la technicité a restreint le cercle de ceux qui sont aptes à formuler des règles
juridiques. Plus qu’un « fait majoritaire », cet état de choses explique un phénomène de recul
1
G. BURDEAU, art. A.P.D., 1939, p. 25
du rôle du parlement dans la confection des lois, que l’on constate aussi dans d’autres
démocraties.
Corrélativement s’est manifestée l’importance croissante de la bureaucratie dans la genèse des
règles législatives. Le fait était relevé dans les dernières décennies de la IIIe République ; la
tendance s’est maintenue et même renforcée par la suite. Diverses raisons expliquent ce courant,
notamment une meilleure qualité de préparation des textes. Actuellement, le courant législatif
est surtout alimenté par des projets de loi gouvernementaux, plus que par des propositions de
loi émanant de parlementaires. Qu’il y ait, de cela, une explication tenant à un certain
effacement du rôle du Parlement sur la Ve République, que l’on puisse, par exemple, tirer en ce
sens argument du caractère prioritaire de l’ordre du jour fixé par le gouvernement, ce n’est
guère contestable. Mais l’imperfection technique des propositions de loi n’en est pas moins
certaine, tant et si bien que leurs auteurs ne les déposent, la plupart du temps, que pour
« accrocher le grelot », afin d’appeler l’attention, de provoquer les réactions et de déclencher,
autant que possible, un processus de réforme. Le pouvoir d’amendement, reconnu aux
parlementaires, n’échappe d’ailleurs pas à l’influence des bureaux ; il permet souvent de faire
aboutir, sous le couvert des représentants du peuple, des textes d’experts préparés dans les
ministères.
Le rôle exercé par l’expert, derrière le bureaucrate, se relie à une autre source d’influence : la
spécialité. Dans les administrations centrales, les avis des spécialistes recueillis au sein
d’innombrables commissions, comités ou « groupes de travail », etc. prennent une importance
grandissante. Et i en va de même à l’Assemblée nationale ou au Sénat : tel député, tel sénateur,
s’il attache une suffisante importance à une idée de réforme, estime de plus en plus nécessaire
de s’entourer de l’avis de sages ou de savants et provoque à son tour la constitution de centres
de réflexion. Qu’il en ait ou non conscience, le développement de cette attitude contribue à
expliquer le recul de la générale de la loi. L’essor de la spécialité prolonge le mouvement
lorsqu’il s’agit spécialement de la « mise en forme » de texte de leur « toilette » comment on dit
parfois chez les initiés. Ces diverses données, sur la pente des autonomies ou des
particularismes, favoris en processus d’éclatement du droit commun2, déjà encouragé par une
autre tendance.
Au recul de la généralité s’est, en effet, ajouté un recul du volontarisme : sous l’influence d’un
double courant, le « législateur juridique » a cessé de pouvoir exprimer aussi facilement que par
le passé une volonté générale.
D’une part, groupe de pression, exprimant les intérêts de catégories sociales ou professionnelles
déterminées – commerce, agriculteurs, salariés,… –, ont limité beaucoup plus que
précédemment les choix législatifs. Il y a une revanche des particularismes contre le
généralisme, des pluralismes contre le monisme. Ces réactions prennent, selon les cas, une
allure offensive ou défensive : tiens des avantages au profit de catégories socioprofessionnelles
déterminées (commerçants, fermé, etc.) ou de groupes de dimension moindre, mais
suffisamment agissants (avocat, syndics de faillite, etc.) ; on parvient à échapper à l’application
d’une réforme générale, dans son principe, on obtenant la survivance d’un système ayant perdu
sa justification (bouilleurs de cru, avoués près des cours d’appel, etc.).
D’autre part, la législation s’est inclinée davantage devant les données que le révèle l’analyse
de la réalité. Il y a eu, en ce sens, une revanche du fait sur le droit, portant celui-ci à s’aligner
davantage sur celui-là, notamment en matière pénale.
II
2
V. R. GASSIN, « Lois spéciales et doit commun », D. 1961, chr. P. 91 et s.
De la métamorphose évoquée, on peut dégager une constatation, qui paraît essentielle et, à
nouveau, d’ordre comparatif, du moins dans son temps. Dans la tradition révolutionnaire, l’idée
de loi est reliée à la raison, en ce sens que la loi, c’est la raison humaine traduite, interprétée ou
manifestée par la volonté générale. A travers la loi, la raison enseigne, organise, condamne. Son
prestige et son empire sont tels que l’observation des faits est négligeable, ou singulièrement
négligée. L’exemple des sciences physiques est impressionnant, mais, si l’inspiration qui en
résulte est reconnue ou affirmée, il ne s’ensuit une soumission docile. Cette attitude est d’autant
plus explicable que la volonté générale qui assure la force obligatoire de la règle législative,
c’est la volonté d’un certain être divin.
Dans cette perspective, les caractères traditionnels se dégagent et s’expliquent. La loi présente,
tout d’abord, un caractère (assez) immuable. Sinon dans son essence, du moins dans sa nature,
il y a un élément fondamental d’immutabilité dès lors que la législation est adaptée. En outre,
les deux considérations n’étant pas indépendantes, la loi présente un caractère abstrait, car
l’abstraction est une des conditions de sa durée.
L’idéologie de l’époque s’ordonne autour de ces caractères. Elle tend à éviter que les lois soient
trop subtiles et trop nombreuses. Il est vain de vouloir tout prévoir. Il faut s’en tenir
principalement aux idées générales, car c’est la seule manière de maintenir un contact étroit et
harmonieux entre la loi et le droit. La fonction du législateur ne consiste pas, en effet, à
gouverner les hommes. Voilà pourquoi la loi est apolitique et générale tant par son objet que
par son domaine. Sa généralité complète le portrait révolutionnaire.
L’évolution, maintes fois rappelée et souvent déplorée, a ébranlé ces assises de la loi. Portant
atteinte à ses caractères, elle en a diminué le prestige traditionnel. La loi est, de nos jours,
désacralisée et déstabilisée. Désacralisée, parce qu’une meilleure connaissance de sa formation
et fatalement, une certaine disparition du mystère de sa genèse, ont encouragé les interventions
de toutes sortes. On a mieux vu comment se faisaient vraiment les lois, ce qui a éveillé les
appétits, facilité les démarches des groupes de pression, d’impression ou d’expression, et
influencé les rédacteurs des textes dans un sens qui pouvait, fort souvent, être fort éloigné des
conceptions les plus élémentaires du droit et de la justice.
III
Le contenu de la loi appelle probablement moins de remarques que ses origines ou ses
caractères. Disons d’emblée qu’il rejaillit sur elle d’une double manière : quant à la relativité et
quant à la normativité de la loi.
[…]
Qu’il s’agisse des origines, des caractères ou du contenu de la loi, on peut, en conclu-sion,
discerner des concordances – pression croissante du politique sur le juridique, recul grandissant
du prestige de la loi – ainsi que des contradictions. Mais l’éventail élargi des sources du droit
laisse subsister la primauté de la loi dans les esprits. Ainsi encore, l’attrait que celle-ci suscite
contribue à expliquer le désir accru d’une participation de tous à son élaboration. Ces deux
constatations se relient à l’existence de pluralismes, tant de la règle que des sujets de celle-ci,
qui s’interrogent d’ailleurs sur la portée inquiétante des discriminations et des cloisonnements
et sur la place de la règle juridique par rapport aux autres normes régissant la vie des hommes
en société. Aujourd’hui plus qu’hier, on peut dire que « le règne de la loi, dont les philosophes
du XVIIIe siècle se firent les prophètes et dont 1791 devait connaître l’avènement, est l’histoire
d’une grande espérance déçue »3.
3
G. BURDEAU, art. préc. A.P.D., 1939, p. 30
Document 4 : Vœux du Président du Conseil constitutionnel au Président de la
République du 3 janvier 2005, P. Mazeaud
(…)
Comme cet article 17-I de la loi sur la protection des données personnelles qui modifie un article
du « code des postes et télécommunications » abrogé par une loi dont l’encre était encore fraîche
au Journal officiel en juillet 2004, loi qui d’ailleurs rebaptise en « code des postes et
communications électroniques » notre ancien code des postes et télécommunications. Une
remarque en passant : le législateur ne devrait pas modifier sans raison sérieuse la terminologie
qui est la base de législations entières. Cela se paie toujours en termes d’insécurité juridique…
* Autre symptôme frappant de mauvaise santé législative : la loi qui tâtonne, hésite,
bafouille, revient à bref intervalle sur le même sujet dans un sens ou dans un autre, selon les
réactions ré-elles ou supposées de la société. Ainsi, le même jour, le Parlement ratifie un code
et habilite le Gouvernement à en abroger deux articles : je veux parler de l’affaire du droit de
timbre devant les tribunaux administratifs. Autre exemple de bégaiement de la loi : les relations
budgétaires entre l’État et les collectivités territoriales. Pas une année sans modification ou
réforme de la « dotation globale de fonctionnement » ou de la « dotation globale
d’équipement ».
Avec les meilleures raisons du monde, par souci d’équité ou nécessité de compensation sans
doute, mais aussi pour corriger les distractions passées et les effets pervers, nous avons construit
une tuyauterie inextricable, planté au cours des années une jungle de ratios. Hoquet législatif
encore, de caractère plus anecdotique : l’affaire des paquets de cigarettes. L’article 1er de la loi
du 31 juillet 2003 « visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes » a interdit
« la vente, la distribution ou l’offre à titre gratuit de paquets de moins de dix-neuf cigarettes ».
Le choix du nombre dix-neuf n’était pas arbitraire, puisqu’il correspondait fidèlement à une
recommandation du Conseil de l’Union européenne de 2002, qui invitait les États membres à
interdire la vente des cigarettes « à l’unité ou en paquets de moins de 19 unités ». Pourtant, un
amendement à la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2005 porte ce nombre de 19 à
20, au motif que certains industriels ont mis à la vente des paquets contenant exactement
19 cigarettes. Fort bien, mais ce comportement, si choquant qu’il puisse paraître, était prévisible
depuis le dé-but. Pourquoi alors ne pas avoir fixé d’emblée le nombre minimal de cigarettes à
20 en 2003 ? Pourquoi ce bégaiement de la loi qui a conduit, en l’espèce, à introduire un
« cavalier » dans la loi de financement de la Sécurité sociale ? Sans du tout me prononcer sur
leur bien-fondé, pourquoi légiférer à répétition sur des allégements temporaires de la fiscalité
des donations entre vifs ? N’est-ce pas compromettre la lisibilité d’un dispositif que l’on veut
pourtant incitatif ?
- soit, à l’inverse, pour le resserrer ou l’étoffer, ayant le sentiment de n’être pas entendu.
Dans les deux cas, le remords ne trouve-t-il pas sa source dans l’impréparation des dispositions
initiales ?
Certes, la sanction des « incompétences négatives » et, depuis 1999, l’objectif de valeur
constitutionnelle d’« accessibilité » et d’« intelligibilité » de la loi, permettent déjà de lutter, sur
un terrain constitutionnel, contre le défaut de clarté et d’intelligibilité de la loi. Nous l’avons
maintenant jugé à plusieurs reprises : la loi doit être précise et claire, ce qui ne veut pas dire
encombrée de détails. Le législateur doit donc adopter des dispositions compréhensibles et des
formules non équivoques, afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire
à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire. Il ne saurait reporter sur des autorités
administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été
confiée par la Constitution qu’à la loi. Sont donc contraires à la Constitution les dispositions
dont l’impact sur l’ordonnancement juridique est incertain. C’est au législateur de déterminer
le champ d’application et la portée de la loi. Il ne peut se défausser sur les autorités
administratives et juridictionnelles appelées à intervenir par la suite. Ainsi, le Conseil a censuré
en 2004 une disposition de loi qui ren-voyait à une loi ultérieure pour son application. Le renvoi
à une loi ultérieure est parfois nécessaire pour des raisons de coordination juridique (par
exemple entre loi ordinaire et loi de finances). En revanche, il ne peut être utilisé de façon
dilatoire, surtout dans des matières touchant aux libertés publiques. Le législateur ne peut faire
mine de régler un problème tout en le différant. En posant un principe général, en termes qui
étaient au demeurant vagues et ambigus en l’espèce, et en renvoyant à des lois futures le soin
d’apporter tous les éclaircissements, le législateur a fait en quelque sorte de la loi future une
« loi d’application » de la loi présente (comme il y a des décrets d’application). Ce faisant (ou
plutôt ne faisant pas), le législateur est resté en deçà de sa compétence.
* J’en viens maintenant à une dérive de la loi contre laquelle, je l’avoue, je ne peux retenir
une sorte de colère sacrée : les dispositions non normatives, si bien appelées « neutrons
législatifs » par mon ami et maître Jean Foyer.
Le président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, n’est pas en reste, puisque lui aussi,
en juin 2004, fustigeait la multiplication des lois déclaratives, qui contribuent à l’encombrement
de l’ordre du jour des assemblées. Le vice-président du Conseil d’État a porté un jugement
identique en 2001 dans un article qui a connu un certain retentissement. Cette prise de position
a été injustement critiquée, car, en rendant publique son appréciation, Renaud Denoix de Saint
Marc était parfaitement dans son rôle. Tous trois ont raison.
La loi n’est pas faite pour affirmer des évidences, émettre des vœux ou dessiner l’état idéal du
monde (en espérant sans doute le transformer par la seule grâce du verbe législatif ?). La loi ne
doit pas être un rite incantatoire. Elle est faite pour fixer des obligations et ouvrir des droits. En
allant au-delà, elle se discrédite.
Mais, pour s’en tenir au rôle qui est le sien, tout son rôle et rien que son rôle, le législateur doit :
Or, je le dis solennellement, tel n’est pas toujours le cas aujourd’hui, tant s’en faut. La
dégénérescence de la loi en instrument de la politique spectacle, la loi d’affichage, nous en
avons eu des illustrations récentes, et pas seulement dans des amendements parlementaires, pas
seulement dans des propositions de loi adoptées au creux propice de niches parlementaires…
qu’on peut douter de son utilisation future ; et qu’elle ne semble placée dans un projet de loi
que pour signifier à l’opinion que les pouvoirs publics prennent en charge un problème qui la
trouble ?
Comment ne pas avoir l’impression, parfois, que l’on veut une « grande loi » sur tel sujet
majeur, avant d’avoir une idée bien définie de son contenu ? Et que, lorsqu’elle est finalement
promulguée, la « grande loi » est devenue un catalogue de mesures utiles certes, mais
hétéroclites et très en retrait de l’exaltant dessein premier ?
En considérant que la loi devait être non seulement précise mais également « revêtue d’une
portée normative, le Conseil constitutionnel a manifesté sa volonté de lutter contre cette
évolution délétère.
» La loi est l’expression de la volonté générale », énonce l’article 6 de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen de 1789. Il faut en tirer les conséquences. Ces conséquences, les
voici :
Sous réserve des dispositions particulières prévues par la Constitution (je pense aux « lois de
programme » en matière économique et sociale, ou aux annexes des lois de finances ou de
financement de la sécurité sociale), la loi a pour vocation d’énoncer des règles. Jusqu’à présent,
le Conseil s’est abstenu de censurer les dispositions non normatives, considérant que,
dépourvues d’effets juridiques, elles ne pouvaient être utilement arguées d’inconstitutionnalité.
De fait, les dispositions non normatives ne créent pas, en apparence du moins, de difficultés
aussi graves que les dispositions dont la portée normative est incertaine. Elles semblent se
fondre dans un « bruit législatif », sans conséquence fâcheuse du point de vue de la sécurité
juridique ou de la séparation des pouvoirs. Cette jurisprudence a été critiquée comme trop
compréhensive à l’égard de la « loi bavarde », à l’égard d’un droit qualifié de « mou », voire de
« gazeux ».
Cette critique était juste et nous l’avons entendue. Un universitaire, par ailleurs commentateur
avisé de nos décisions, le professeur Bertrand Mathieu, a dénoncé en ces termes les formules
législatives non normatives :
« Non seulement elles affaiblissent la portée des lois en général, mais encore elles contribuent
à écarter les problèmes sans les résoudre. Le verbe remplace l’action, le problème est censé être
résolu, car on a gravé son intention de le résoudre dans le marbre de la loi. C’est en fait à un
subterfuge, à un trompe-l’œil que l’on a recours. La confiance des citoyens dans la loi ne peut
qu’en être gravement affectée. C’est alors le juge qui crée le droit, indépendamment des
bavardages et des transparences de la loi. »
Tout est dit. Cette façon d’amollir la loi de considérations générales et de vœux pieux est un
phénomène moderne.
J’ai fait procéder à un recensement exhaustif de la centaine d’occurrences du mot « loi » figurant
dans nos textes de rang constitutionnel. Ce recensement fait apparaître que la loi est le sujet de
verbes ayant tous un contenu « décisoire » (détermine, fixe, ordonne, régit, réglemente, autorise,
défend, exclut, etc.). La seule exception (d’ailleurs symptomatique) figure au dernier alinéa de
l’article 3 de la Constitution, issu de la révision du 8 juillet 1999, aux termes duquel : « La loi
favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives ».
Le Conseil constitutionnel est donc prêt à censurer désormais les « neutrons législatifs ».
* On peut bien sûr ironiser sur une politique jurisprudentielle soucieuse à ce degré de la
qualité de la législation. N’est-ce pas là réduire le rôle du Conseil constitutionnel à des tâches
un peu subalternes ? Pour trois raisons au moins, cette ironie n’est pas de mise. En premier lieu,
il va de soi que notre Conseil conservera la « hauteur de vue » indispensable en pareille matière.
En deuxième lieu, le souci de veiller à la bonne législation ne dispense nullement notre collège
d’assurer ses missions les plus fondamentales :
de gardien des libertés publiques et des grands principes substantiels inscrits dans la
Constitution ;
et de régulateur du bon fonctionnement des pouvoirs publics. Mais surtout, il faut comprendre
que la qualité de la législation n’est pas une simple question technique. Sa dégradation est un
mal profond qui peut porter atteinte aux fondements mêmes de l’État de droit.
« Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite », pouvait-on lire
en 1991 dans un rapport du Conseil d’État. Ne prêtons pas à notre tour une oreille distraite à
cet avertissement. La règle commune que constitue la loi doit rester une règle.
(…)
Document 5 : Cons. const., 21 avril 2005, Loi d’orientation et de programme pour l’avenir
de l’école
12. Considérant que ce rapport annexé fixe des objectifs à l’action de l’Etat dans le domaine
de l’enseignement des premier et second degrés ; que, si les engagements qui y figurent ne sont
pas revêtus de la portée normative qui s’attache à la loi, ses dispositions sont de celles qui
peuvent trouver leur place dans la catégorie des lois de programme à caractère économique ou
social prévues par l’avant-dernier alinéa de l’article 34 de la Constitution ; que, dans cette
mesure, elles pouvaient être approuvées par le législateur ; que le grief tiré du défaut de portée
normative ne peut donc être utilement soulevé à l’encontre de l’ensemble du rapport approuvé
par l’article 12 de la loi déférée ; 13. Considérant, néanmoins, que, s’il était loisible au
Gouvernement d’associer le Parlement à la politique qu’il entend mettre en œuvre dans le
domaine de l’éducation par une loi de programme plutôt qu’en faisant usage des prérogatives
qui lui sont reconnues par les premier et dernier alinéas de l’article 49 de la Constitution, il
devait, dès lors, respecter la procédure prévue à cet effet ;
14. Considérant, en l’espèce, que, dès le dépôt du projet dont est issue la loi déférée sur le
bureau de la première assemblée saisie, le rapport annexé à celle-ci se rattachait à la catégorie
des lois de programme ; qu’en effet, bien qu’ayant fait l’objet de nombreux amendements
parlementaires au cours de son examen, il a toujours eu pour objet de faire approuver par le
Parlement des dispositions dénuées d’effet juridique, mais fixant des objectifs qualitatifs et
quantitatifs à l’action de l’Etat en matière éducative ; que, dès lors, en vertu de l’article 70 de
la Constitution, il aurait dû être soumis pour avis au Conseil économique et social ; que
l’omission de cette formalité substantielle a entaché la régularité de la procédure mise en œuvre
pour son approbation ;
15. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’article 12 de la loi déférée, qui
approuve le rapport annexé, est contraire à la Constitution ; . En ce qui concerne les autres
dispositions sans portée normative :
17. Considérant que ces dispositions sont manifestement dépourvues de toute portée
normative ; que, dès lors, le II de l’article 7 de la loi déférée est contraire à la Constitution ;
DÉCIDE : Article premier.- Sont déclarés contraires à la Constitution le II de l’article 7 ainsi
que l’article 12 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école. (...).
Sur le moyen relevé d’office, pris de la violation de la loi du 21 mai 2001 ; Vu la loi du 21 mai
2001 ;
Attendu que si la loi du 21 mai 2001 tend à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en
tant que crime contre l’humanité, une telle disposition législative, ayant pour seul objet de
reconnaître une infraction de cette nature, ne saurait être revêtue de la portée normative attachée
à la loi et caractériser l’un des éléments constitutifs du délit d’apologie ;
Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X… a été renvoyé
devant le tribunal correctionnel des chefs d’apologie de crime contre l’humanité et de
provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale, sur le fondement des
dispositions des articles 1er de la loi du 21 mai 2001 et 24, alinéas 5 et 8, de la loi du 29 juillet
1881, à raison des propos suivants, diffusés le 6 février 2009 au cours d’une émission de
télévision de la chaîne Canal Plus Antilles et sur le site internet Megavideo.com : « Les
historiens exagèrent un petit peu les problèmes. Ils parlent des mauvais côtés de l’esclavage,
mais il y a les bons côtés aussi. C’est là où je ne suis pas d’accord avec eux. Il y a des colons
qui étaient très humains avec leurs esclaves, qui les ont affranchis, qui leur donnaient la
possibilité d’avoir un métier », et « Quand je vois des familles métissées, enfin blancs et noirs,
les enfants sortent de couleurs différentes, il n’y a pas d’harmonie. Il y en a qui sortent avec des
cheveux comme moi, il y en a d’autres qui sortent avec des cheveux crépus, dans la même
famille avec des couleurs de peau différentes, moi je ne trouve pas ça bien. On a voulu préserver
la race » ; que le tribunal correctionnel a retenu à l’encontre de M. X… le seul délit d’apologie
de crime contre l’humanité à raison des premiers propos poursuivis, le relaxant pour le surplus ;
Attendu que, sur les recours du prévenu, du ministère public et de l’association SOS Racisme,
partie civile, la cour d’appel, statuant par motifs propres et adoptés, a confirmé le jugement
entrepris sur la culpabilité ;
Mais attendu qu’en décidant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-
dessus rappelé ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; que, n’impliquant pas qu’il soit à nouveau
statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de
l’organisation judiciaire ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les moyens de cassation proposés :
CASSE et ANNULE, en ses dispositions relatives au délit d’apologie de crime contre
l’humanité, l’arrêt susvisé de la Cour d’appel de Fort-de France, en date du 30 juin 2011, toutes
autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi
Cet article a été publié dans le cadre du dossier « Le nouveau discours contractuel » de la
Revue des contrats.
1. Le choix de l’ordonnance
Document 8 : Catherine Thibierge, Le droit souple, Réflexion sur les textures du droit,
RTD Civ. 2003 p.599 (extrait)
Le contexte. Un premier intérêt de pareille réflexion serait de mieux situer le droit souple (5)
dans le contexte socioculturel de nos sociétés occidentales. Et ce, à deux points de vue : en
premier lieu, la métamorphose du rapport à l’autorité et de l’expression de l’autorité en général :
à une autorité - des parents (6), des enseignants, du chef d’entreprise, des pouvoirs publics…-,
jadis fortement caractérisée par la soumission et la contrainte, s’est en partie substituée une
autorité soucieuse de légitimer son action, ouverte au dialogue, et en quête de l’adhésion de ses
destinataires (7). Cette évolution se perçoit non seulement dans les sciences humaines et
sociales, comme en sciences de l’éducation, dans la sociologie du travail ou dans celle des
religions, mais aussi au quotidien, dans la « gestion de l’espace public » : ainsi par exemple,
dans les jardins parisiens a-t-on vu disparaître les panneaux « pelouse interdite », au profit de la
mention « pelouse au repos » assortie de la précision « la qualité des espaces verts est l’affaire
de tous » (8). C’est un changement général d’état d’esprit auquel le droit ne pouvait longtemps
rester indifférent. En second lieu, les années 80 ont vu se généraliser certains concepts, tels que
ceux de flexibilité et de complexité. La sociologie et l’économie organisationnelles ont étudié
l’exigence de flexibilité, déclinée dans la production, dans le temps de travail, ou en matière
d’emploi. Quant à la complexité, elle a fait l’objet, à partir de cette période, d’une
systématisation théorique sans précédent (9). En outre une mutation sémantique a également
été observée, dans le reflux des termes comme « interdit », « discipline », ou « obéissance »
(10). Le vocabulaire de la contrainte serait en recul.
Dans ce tableau général, le contexte juridique n’a pas échappé à de profondes transformations
en quelques années : à en croire de substantielles études, nous entrons dans une ère juridique
nouvelle, celle de l’avènement d’un droit dit postmoderne (11), caractérisé par la
complexification croissante des modes de réglementation-régulation des conduites, et d’un droit
en voie de mondialisation (12), cherchant les clés de l’harmonisation des spécificités culturelles.
En soulignant la complexité du droit et ses paradoxes intrinsèques, les premières mises en
lumière du « Flexible droit » (13) et du « Flou du droit » (14) ont préparé les juristes à un
changement désormais rendu encore plus nécessaire par la mutation des rapports économiques
et sociaux, dans tous les ordres, international, communautaire et interne. Ces recherches
pionnières ont à la fois souligné et accentué l’adaptabilité et la flexibilité du droit tout en
révélant ses frontières, internes et externes, plus poreuses et donc plus ouvertes (15).
Plus le droit contemporain mute et se complexifie et plus le rôle de la doctrine devient à la fois
plus ardu et vital pour l’éclairer et l’ordonner : un appel à de puissantes synthèses, nées de la
coordination des efforts doctrinaux, est lancé dont certains travaux de ce début de siècle
montrent la voie (16). La crise du modèle pyramidal et hiérarchique d’engendrement du droit,
associé aux valeurs d’obéissance et de stabilité, fait place à une plus grande flexibilité normative
caractérisée par des valeurs de souplesse, de créativité et de pluralisme (17).
La problématique. La question première posée par ces instruments de « droit » mou paraît
fondamentale : font-ils partie du droit ? Est-ce le cas, par exemple, des recommandations,
qu’elles émanent d’une organisation internationale, d’un organe communautaire, ou d’une
autorité administrative indépendante ?
Les manuels les classent parmi les sources de la branche dont ils traitent, sources du droit
international, communautaire ou interne, où elles participent largement du renouvellement des
sources du droit (18), et certains auteurs n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer qu’elles en sont une
composante non négligeable (19). Une composante du droit ? Irait-on pour autant jusqu’à dire
une « règle de droit » ? Une véritable règle juridique s’entend. Difficile de l’affirmer faute, a
priori, d’une normativité susceptible de lier ses destinataires.
Alors, du droit, mais pas une règle de droit ? Le droit serait-il fait d’autres choses que de règles ?
Mais qu’est-ce alors si ce ne sont pas des règles ? Et pis encore si ce n’est pas du droit ? Qu’est-
ce donc pour tenir cette place désormais non négligeable dans les enseignements des juristes,
dans les manuels, dans les pratiques et la vie du droit ? Et plus généralement que sont ces
instruments dits « mous » parfois avec quelque mépris… Le droit mou ne serait pas du vrai
droit. Il lui manquerait la vigueur, la force qui caractérise le juridique dans nos esprits. Car
enfin, n’a-t-on pas répété à l’envi que le droit est par nature contraignant, sanctionné ? Que la
règle de droit ne s’entendrait qu’obligatoire. A défaut, il conviendrait de la rejeter hors des
frontières du droit véritable.
Le paradigme. La notion de droit souple vient interroger l’idée même que les juristes, et pas
seulement eux, se font du droit. Elle nous oblige à éprouver la solidité de convictions aussi
établies qu’apparemment évidentes selon lesquelles
- le droit est un ensemble de règles,
- les règles sont nécessairement obligatoires et contraignantes,
- et la contrainte est le critère du droit.
Toutes ces affirmations qui, à force de répétition, plus que de démonstration, ont fini par devenir
des « vérités juridiques ».
Le jeu en vaut-il la chandelle ? Ne vaut-il pas mieux laisser tranquillement indéterminée la
nature des recommandations, déclarations, chartes et autres avis ? Le pari de cette réflexion sur
le droit souple, c’est au contraire qu’il est capital d’interroger nos conceptions du droit à la
lumière de ces instruments nouveaux que leur multiplication ne permet plus d’ignorer sur un
plan théorique.
Ce « changement de paradigme » sur le droit, certains internationalistes l’ont déjà effectué, et
de plus en plus d’auteurs de droit interne s’y montrent ouverts (20). Il ne s’agit pas moins que
d’élargir la vision que nous en avons : d’un droit nécessairement dur et contraignant, conçu
comme un ordre de contrainte, qui condamne l’idée même d’un droit souple à un non-sens, une
impossibilité radicale, à la conception d’un droit à textures multiples, plus ou moins dur, plus
ou moins normatif, au sein duquel la notion de droit souple apparaisse comme une évidence,
reflet d’une réalité juridique en attente de consécration théorique (21).
La tâche paraît immense et palpitante tant ses intérêts s’avèrent à sa mesure : la mener à bien
permettrait d’introduire dans la théorie générale du droit une notion de droit souple, qui soit à
la fois
- une notion synthétique, propre à mettre en cohérence les faits, en l’occurrence l’ampleur
du phénomène de la soft Law, et la conception du droit ;
- une notion juridiquement transversale, apte à créer du lien entre les divers ordres
juridiques, international, communautaire et interne,
- une notion mettant l’accent sur la genèse du droit, sur le droit en devenir,
- une notion constituant une interface à la fois entre les valeurs et le droit dur, et entre le
phénomène social du droit et le droit lui-même,
- une notion qui contribue à relier le droit à l’évolution sociale et aux autres sciences
humaines,
- une notion qui participe du souci d’harmonisation des droits européen et international.
Et si les écueils paraissent nombreux, presque infranchissables, ne vaut-il pas d’essayer encore
et de continuer ainsi la tâche entreprise par quelques auteurs, encore minoritaires mais en
nombre croissant, pour apporter une pierre supplémentaire à la compréhension des différentes
textures du droit ; et de se demander si ce qui est souple peut être du droit ou bien si celui-ci ne
peut se conjuguer qu’avec fermeté, solidité, raideur, rigidité et inflexibilité ?
Simples opinions pour les uns, véritables sources pour les autres, les instruments de droit souple
font-il partie du droit ? Mille obstacles surgissent d’emblée à cette idée. Mais si, une fois levés,
s’ouvrait, ne serait-ce que la possibilité que ce droit souple participe bien du droit, alors une
foule de questions se presseraient en cascade : qu’est-ce exactement que le droit souple ? Quels
rapports entretient-il avec le droit dur ? Celui qu’on a tendance à assimiler au seul droit existant.
Comment peut-il s’intégrer dans la théorie générale du droit ? Peut-on concevoir une « règle »
de droit souple ? Pour répondre, il faudrait remonter à la définition de la règle, à sa fonction, à
sa nature. Est-elle nécessairement un ordre, comme l’a écrit Kelsen ? Peut-on concevoir un droit
souple au sein du droit ? Dans quelle mesure ? A quelles conditions, selon quels critères ? Cela
est-il compatible avec les fonctions du droit ? Qu’adviendrait-il alors des frontières du droit ? A
tirer sur le fil du droit souple, c’est toutes les textures du droit et tout le droit qui viennent.
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