Morales, X. Dieu en Personnes (Épreuves)
Morales, X. Dieu en Personnes (Épreuves)
Morales, X. Dieu en Personnes (Épreuves)
Cerf, 2015.
Pruebas. No corresponde completamente con la version final
publicada.
DIEU
EN PERSONNES
Cogitatio fidei
ISBN 978-2-204-10584-2
ISSN 0587-6036
ployer pour parler du Père qui est Dieu, du Fils unique qui
est Dieu et de l’Esprit Saint qui est Dieu – Dieu trinitaire
qui se révèle dans l’histoire d’Israël et dans la personne,
précisément, de Jésus de Nazareth.
L’Introduction, sous l’apparence d’une histoire très
lacunaire du concept désigné par le mot « personne »,
présentera la double hypothèse que le reste du livre cher-
chera à valider : 1. le choix de donner au concept de
personne toute la signification relationnelle qu’il a acquise
au sein du courant philosophique dit « personnaliste » ;
2. l’emploi du concept de mission comme clef pour
sauvegarder et décrire cette signification relationnelle de
la personne. Ces deux déterminations seront empruntées
au théologien Hans Urs von Balthasar, qui sera, de ce fait,
l’auteur de référence de l’ensemble de l’ouvrage.
Ce n’est qu’à l’issue de cette introduction qu’on pourra
présenter une problématique et un plan d’ensemble qui, à
travers l’écoute de la révélation de Dieu dans l’Écriture
sainte (chapitre i) et l’élaboration d’un modèle spéculatif
régulé par le principe de l’analogie (chapitre ii), conduira
à une contemplation « à travers un miroir, en énigme »
(1 Co 13, 12) de l’inconcevable tri-personnalité de Dieu
(chapitre iii), tant il est vrai que, « pas plus qu’on ne peut
connaître la route du vent [l’effusion de l’Esprit], ni l’em-
bryon dans le ventre de la femme enceinte [l’incarnation
du Fils unique], on ne peut connaître l’œuvre de Dieu qui
fait toutes choses [la primauté absolue du Père] » (Qo 11,
5).
À LA RECONQUÊTE DU CONCEPT
DE PERSONNE EN THÉOLOGIE TRINITAIRE
Karl Barth
De fait, des voix se sont élevées, au cours du
xxe siècle, pour mettre en garde contre les déplacements
importants de sens que l’histoire de la pensée a fait subir
au concept de personne2. Dès 1932, K. Barth, considé-
rant « personne » comme un concept « pas suffisamment
net3 », lui reproche d’être devenu, dans la modernité, un
concept centré sur la « conscience de soi ». Or pour Barth,
la « personnalité », le fait d’être « une personne, un “Je”
qui existe en soi et par soi, doué d’une pensée et d’une
volonté personnelles » (p. 61), appartient à « l’essence
unique » de Dieu (p. 54), et non aux trois « personnes »
du Père, du Fils et de l’Esprit, sous peine d’insinuer « une
1. CEC, n° 252.
2. Pour une présentation plus développée des positions de Barth
et Rahner, voir E. Durand, La Périchorèse des personnes divines.
Immanence mutuelle, réciprocité et communion, Paris, Éd. du Cerf,
2005, p. 66-73, qui est plus nuancé que moi.
3. K. Barth, Dogmatique, I/1**, § 9.2, p. 58. Barth invoque les
réticences exprimées par Augustin en Trin. VII, iv, 7 – v, 10. Les
numéros de page dans le corps du texte renvoient à Dogmatique,
I/1**.
Karl Rahner
K. Barth n’est pas le seul à soupçonner le mot
« personne ». K. Rahner, de son côté, redoute lui aussi
« une sorte de tri-théisme vulgaire » :
L’expression « trois personnes en Dieu » attire le danger
presque inévitable, et qu’il est trop tard ensuite pour
conjurer à l’aide de correctifs, de se représenter en Dieu trois
consciences distinctes, trois foyers de vie spirituelle, trois
centres d’action, et ainsi de suite1.
Tertullien
La première étape de l’évolution sémantique du mot
persona part de son sens étymologique : le masque de
l’acteur, pour glisser vers le rôle joué par l’acteur, puis
désigner le « personnage auquel on attribue les paroles
de la pièce de théâtre1 ». C’est à partir de ce dernier sens
qu’émerge la méthode littéraire de l’exégèse dite prosopo-
logique, mise en évidence par C. Andresen dans un article
fondateur2. Pour reprendre les mots de M.-J. Rondeau,
l’exégèse prosopologique « consiste à s’interroger sur
l’identité des personnages mis en scène, en particulier
sur l’identité du personnage qui parle […] et corrélati-
vement, sur celle du “tu” auquel ce “je” s’adresse et qui
est susceptible de lui donner la réplique3 ». L’emploi du
lexique dramatique dans cette description de l’exégèse
prosopologique n’est pas fortuit : « Le mot, dans ce cadre,
n’est pas d’origine philosophique, mais renvoie à l’uni-
vers du théâtre (ainsi que, ce qui est plus artificiel, à celui
de la grammaire)4. » Il n’est pas étonnant que Balthasar,
qui recourt à l’analogie théâtrale pour décrire la personne
christologique, cite l’article de C. Andresen à titre de
Problématique
Cette approche de la personne christologique à partir
de la mission, dans un contexte personnaliste, doit
être distinguée des concepts théologiques classiques
auxquelles elle pourrait faire penser. On pourrait être
tenté de rapprocher la « mission » balthasarienne de la
« relation » de Thomas d’Aquin, dans la mesure où, chez
ce dernier, « la relation constitue la personne1 », ou de la
« procession », réduite, in divinis, à la relation d’origine2,
ou encore de la spécialisation du concept de « mission »
pour parler de la procession temporelle3. La « mission »
balthasarienne, en tant qu’elle répond à la question « D’où
vient-il ? », inclut en effet, comme la « procession », la
relation d’origine (a quo) ; et comme la « relation », elle
définit la personne ; enfin, comme la « mission » au sens
scolastique, elle implique un terme (ad quod) – mais, je
le répète, malgré les apparences, la « mission » baltha-
sarienne ne coïncide pas parfaitement avec la missio
scolastique. L’originalité de Balthasar réside dans le fait
d’aborder le concept de « mission » dans le contexte plus
large et plus riche de l’Écriture sainte4 et de la question
philosophique de l’identité personnelle : le concept doit
alors rendre compte, non seulement de la réalité très
déterminée qu’est la mission temporelle du Verbe (impli-
Plan
Les analyses de cette introduction n’avaient pour but
que de déflorer les thèmes qui doivent maintenant être
repris systématiquement. Si l’enjeu qui gouverne mon
travail est la reconquête du concept de personne contre les
critiques qui l’ont remis en cause au cours du xxe siècle,
en justifiant son évolution sémantique récente, cette
reconquête consiste concrètement à lui redonner toute sa
dimension relationnelle. Cette relationalité, cependant,
doit aller plus loin que la seule relation d’origine de la
théologie scolastique. Je propose de mener à bien cet enri-
chissement en recourant à l’analogie de la mission. Cette
analogie n’est pas neuve : depuis Augustin, la tradition
s’en est servie pour décrire l’économie de l’incarnation
du Verbe ; Balthasar en fait le concept fondamental de
sa christologie. Une extrapolation de la christologie à
La missive (Paul)
la fiabilité, lui qui est « fidèle à celui qui l’a fait » (He 3,
2), et l’autorité nécessaire, lui qui « est reconnu digne
d’une plus grande gloire » et d’« un plus grand honneur »
(He 3, 3), en tant que Fils de celui qui l’a envoyé.
L’idée selon laquelle Jésus est l’envoyé archétypique
se trouve aussi dans les évangiles synoptiques où le Christ
déclare :
Celui qui me reçoit, ce n’est pas moi qu’il reçoit, c’est
celui qui m’a envoyé [Mc 9, 37 et en particulier Jn 12, 44 et
13, 20].
Missions trinitaires
L’énoncé le plus concentré du salut accompli par Dieu
en Jésus-Christ sous la forme d’une intrigue de mission
se trouve chez Paul : Ga 4, 4-7 parle de deux missions, du
Fils de Dieu et de l’Esprit du Fils de Dieu, dans le temps
et le monde.
Lorsque vint la plénitude du temps, Dieu envoya
[exapesteilen] son Fils, issu-selon-le-devenir [genomenon]
d’une femme, soumis-selon-le-devenir à la Loi, afin de
délivrer ceux qui sont soumis à la Loi, afin que nous recevions
l’adoption-filiale. Or la preuve que vous êtes des fils, c’est
que Dieu a envoyé [exapesteilen] l’Esprit de son Fils dans
nos cœurs [Ga 4, 4-6a].
Excursus : le šāliah5
Il est difficile d’évoquer la figure de l’apôtre sans
parler du šāliah5 rabbinique, abondamment évoqué par
les exégètes à propos des Douze choisis par Jésus. Les
données documentaires sont facilement accessibles1. Il
faut noter, avec la prudence qui s’impose dans toute tenta-
tive d’éclairer les écrits néo-testamentaires par la docu-
mentation rabbinique, qu’aucune occurrence ne remonte
en-deçà du iie siècle après le Christ : il est donc risqué
d’extrapoler pour le judaïsme de l’époque de Jésus 2.
L’envoyé (Jean)
Catégories
Actualisation dans le cas de la mission
sémiotiques
Destinateur Mandant, expéditeur
Sujet1 opérateur Émissaire, mandataire, envoyé, missive
Manipulation Mission au sens actif (le fait d’envoyer)
Compétence Autorité/fiabilité
Performance Mission au sens passif (le fait d’être envoyé)
Sanction ?
1
Manipulation-Compétence-Performance-Sanction
décrivent les quatre phases du programme narratif selon
ce que la sémiotique appelle le « schéma narratif cano-
nique ». Au centre, les deux éléments de la Compétence et
de la Performance sont les plus proprement pragmatiques.
La Performance est l’action qu’il s’agit de décrire,
« l’action conduite par le sujet opérateur abouti[ssant] à
transformer un état2 ».
La Compétence « se constitue avec l’acquisition de
ces conditions sans lesquelles » la Performance « ne peut
être conduite3 », c’est-à-dire le pouvoir-faire et le savoir-
faire (« modalités de l’actualité »). L’acquisition de ces
modalités par le sujet opérateur peut faire l’objet d’un
programme narratif subordonné (« programme d’usage »).
La Manipulation et la Sanction font intervenir un
deuxième sujet opérateur :
La Manipulation est une performance secondaire,
dont le sujet opérateur est le destinateur de la perfor-
Application à Jn 5, 19-22
On peut présenter le premier mouvement (Jn 5, 19-22)
sous la forme d’un chiasme :
19a incompétence (propre) du Fils (« ne peut pas »)
19bc action du Père (« qui fait »)
19d action du Fils (« fait ») […]
22a inaction du Père (« ne juge personne »)
22b compétence (reçue) du Fils (« a donné le jugement au Fils »).
34a [Car] celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu.
34b Car il ne donne pas l’Esprit avec mesure.
35a Le Père aime le Fils
35b et a tout donné dans sa main.
1. DD II/2, p. 421.
2. D I, p. 9.
3. Ibid.
4. C’est-à-dire « proprement », au sens de Thomas d’Aquin,
Somme de théologie, Ia, q. 13, a. 3, par opposition à metaphorice
= « par transposition ».
5. Quand Balthasar écrit que « l’analogie entre l’action divine
et le jeu du monde n’est pas une simple métaphore, elle est fondée
dans l’être » (D I, p. 16), il faut comprendre que l’histoire du
monde, métaphoriquement désignée comme « jeu » ou « drame »
(théâtral), entretient un rapport d’analogie fondée sur l’être avec
l’événement éternel intra-trinitaire, qui peut dès lors être lui aussi
désigné métaphoriquement comme « drame » (théâtral) et non
seulement proprement comme « drame » = « acte ». La « dramatique
divine » comme discours sur Dieu en tant qu’il agit, est exposée
métaphoriquement dans la description d’un jeu scénique.
6. Voir par exemple DD II/2, p. 160 : « L’identité de la personne
de Jésus avec sa mission. »
Questions soulevées
Cependant, si le concept de mission est un concept
d’emblée satisfaisant pour décrire l’identité du Christ
dans le cadre de l’économie du salut, une triple question
se pose dès que l’on veut connaître la personne du Fils
telle qu’elle est en elle-même dans la Trinité éternelle :
1. L’identité économique de Jésus donne-t-elle accès à
son identité trinitaire ? Dans quelle mesure peut-on trans-
poser l’identité relationnelle-pragmatique de Jésus décrite
par le concept de mission dans le plan des relations trini-
taires ?
2. Et, le cas échéant, quel sens et quel contenu donner
à l’idée d’une performance à l’intérieur de la Trinité ?
Comment le concept éminemment spatial-temporel de
mission, avec les éléments de distance et de transforma-
tion, doit-il être accommodé à l’être éternel trinitaire ?
3. Enfin, le motif de la sanction, qui, déjà dans le cadre
de l’économie du salut, avait dû subir une modification par
rapport au modèle narratif, en désignant le changement de
statut, non du sujet opérateur (le Christ), mais des bénéfi-
ciaires (les hommes sauvés), devient encore plus probléma-
tique dans le cadre de la Trinité où il ne saurait y avoir de
changement de statut, puisque les trois personnes divines
ont éternellement égale dignité. Mais alors, que faire d’une
mission qui ne serait finalisée par aucun résultat ?
Telles sont les trois questions directrices du deuxième
chapitre de cette « invention d’un concept trinitaire de
mission ».
L’ANALOGIE DE LA MISSION
DANS LA TRINITÉ IMMANENTE
1. En DD I, p. 552.
2. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 43, a. 2, ad 3. Sur
ce point, Thomas converge avec Bonaventure, Breviloquium, Ia, c. 5,
§ 5.
3. DD III, p. 303 : « Un monde plein de risques ne [peut] être créé
qu’au sein de la processio du Fils (et de son prolongement comme
“mission”) » ; TL II, p. 167 : « Le prolongement vers le monde de la
réalité de sa procession. »
4. DD III, p. 303.
5. Ibid.
1. DD II/2, p. 134.
2. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 43, a. 2, resp.,
et déjà, dans le prologue à la q. 27, il annonçait qu’il allait parler
de origine sive de processione : « de l’origine, c’est-à-dire de la
procession », identifiant quasiment les deux concepts.
3. Ibid., Ia, q. 41, a. 1, ad 2.
4. Ibid., Ia, q. 43, a. 1, resp.
1. Ibid., p. 103.
2. Ibid., p. 45.
3. Ibid., p. 145, commentant T homas d ’A quin , Super
Joannem, xvi, 25, § 2150, cité p. 144. Voir encore p. 269 : « La
pleine révélation eschatologique, en laquelle le Père se laissera
voir face à face, dans l’éternel jaillissement de sa double fécondité
intratrinitaire. »
4. E. Durand, Alpha et Oméga de la vie trinitaire, p. 245.
Conclusion
Entre la forme économique de la Trinité et sa réalité
immanente subsiste « une différence (tout) autre dans
1. DD II/2, p. 126.
2. Voir p. , n.
3. Jn 5, 23.37 ; 6, 44 ; 8, 16.18 ; 12, 49 ; 14, 24.
1. DD III, p. 301.
2. DD III, p. 301.
3. Sur le thème de la kénose intra-trinitaire chez Balthasar, voir
surtout DD III, p. 299-308 et DD IV, p. 70-74. Ce thème est analysé
et critiqué par P. Ide, Une Théo-logique du don. Le don dans la
Trilogie de Hans Urs von Balthasar, (BETL 266), Louvain-Paris-
Walpole, Peeters, 2013, p. 25-160 et p. 649-657.
4. DD IV, p. 70.
5. DD IV, p. 71.
6. DD III, p. 300.
pour que l’Esprit puisse procéder sur les croyants1 (Jn 16,
7). Mais en réalité, dans ce petit programme secondaire, si
le rôle de destinateur se retirant devant celui qu’il envoie
est bien endossé par le Fils, l’opérateur devant lequel il se
retire n’est pas l’Esprit mais les croyants, munis de l’Es-
prit comme de la compétence les habilitant à représenter
le Fils, à devenir ses « apôtres ».
1. DD II/2, p. 165.
2. H. U. von Balthasar, « L’accès à Dieu », p. 53.
3. C’est seulement dans une citation de Marheineke, en DD II/2,
p. 166, qu’apparaît l’expression « la personnalité originelle de Dieu ».
4. E. Levinas, Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, La Haye,
Nijhoff, 1980, p. 21.
L’acte trinitaire
1. Ibid.
2. Hegel distingue bien entre trois formes de l’histoire divine, soit
en dehors du monde, soit dans l’homme singulier Christ, soit dans
la communauté (voir ibid., [1824], p. [121] = p. 118), mais parle de
« la nécessité » de « l’histoire de l’idée divine dans l’esprit fini »
(l’Incarnation) (dans le Manuscrit [1821], p. [29] = p. 30-31).
3. Pour une critique entreprise d’un tout autre point de vue, voir
Fr. Jullien, Du « temps ». Éléments d’une philosophie du vivre, Paris,
Grasset, 2001, p. 99-102, où Kant est appelé comme témoin de cette
persistance de la connexion entre mouvement, changement et temps.
4. Aristote, Physique, IV, chap. x, 218b18-20 : « Pour l’instant,
que nous disions “mouvement” ou “changement”, cela ne fait aucune
différence. »
1. Ibid., p. 266.
2. B. F orte , La Trinité comme histoire. Essai sur le Dieu
Chrétien, (1985), Paris, Nouvelle Cité, 1989.
3. DH 528.
4. Déjà dans Pâques. Le Mystère, Paris, Éd. du Cerf, 1981,
p. 10-11, où Balthasar note que l’emploi est « par analogie ».
5. L’idée se trouve déjà dans l’un des plus anciens livres de
Balthasar, Présence et Pensée. Essai sur la philosophie religieux
de Grégoire de Nysse, Paris, Beauchesne, 19882, p. 123 : au fil d’une
« transposition du devenir » en Dieu, nous apprenons que l’être de
Dieu « est un Sur-devenir » ; en DD II/2, p. 127, Balthasar parle
d’un être éternel qui « n’étant pas devenir, est pourtant […] (super-)
événement [(Über)-Ereignis] ». Cet « enracinement du devenir
dans l’être absolu » est développé en DD IV, p. 65-69, à lire avec
les indications de DD III, p. 300-303 sur la méthode à suivre pour
remonter de la Trinité dans l’histoire à la Trinité immanente, alliant
théologie négative et axiome d’une « condition de possibilité » de
l’économique dans l’immanent.
6. « Des expressions telles que « engendrer » ou « enfanter »,
« faire procéder » ou « spirer » expriment des actes éternels et donc un
véritable événement », mais « un événement éternel » (DD IV, p. 57).
La performance principale
À la performance principale du schéma narratif doit
correspondre une action dont le sujet opérateur est le
Fils. Il peut sembler paradoxal que ce soit la deuxième,
et non la première personne de la Trinité, dont la perfor-
mance soit au centre de l’acte trinitaire. Ce paradoxe est
néanmoins l’exact corollaire de ce que nous avons dit sur
le retrait du Père. Le Père est celui qui laisse agir le Fils
(à sa place). L’engendrement du Fils par le Père ouvre
au Fils non seulement une liberté de consentir, mais une
liberté dans le consentement. Le Fils est libre parce qu’il
consent à se laisser engendrer dans le retrait du Père.
Or, dans la Trinité, le Fils est le sujet de deux actions :
l’être-engendré et la spiration active de l’Esprit.
L’idée selon laquelle l’être-engendré du Fils par le
Père est une action à part entière est récente dans l’his-
toire de la théologie. On peut en lire les prémices chez
Boulgakov qui fait correspondre à la performance écono-
La sanction
Nous avons déjà abordé les difficultés liées à la trans-
position de la catégorie de la sanction dans l’acte trini-
taire : à la première sanction du programme économique,
par laquelle le Père, ressuscitant le Christ, lui reconnaît
Catégories
Économie du salut Vie divine
sémiotiques
Destinateur le Père Le Père
Sujet opérateur Le Fils Le Fils
Envoi dans le monde du
Manipulation Engendrement du Fils
devenir
Spiration de l’Esprit sur
Envoi de l’Esprit sur le
Compétence le Fils :
Fils (baptême)
le Père rend Fils le Fils
Adoption filiale des
hommes
Performance Naissance du Fils
par le don de l’Esprit de
filiation
I. Glorification du Fils
par le Père
et confession de sa -
seigneurie par les
Contre-
hommes Spiration de l’Esprit vers
sanction
II. Glorification du Père le Père
par le Fils Le Fils rend Père le Père
et reconnaissance de sa
paternité par les hommes
Un retour de l’envoyé ?
Le retour du Fils
À défaut d’un retour de l’Esprit, ne pourrait-on parler
d’un retour du Fils vers le Père, du moins dans l’éco-
nomie du salut ? Comme la parole de Dieu envoyée dans
le monde « retourne » (yâšûbh) vers celui qui l’a envoyée
(Is 55, 10-11), le Fils qui « était sorti de Dieu s’en va
vers [pros] Dieu » (Jn 13, 4), il « monte vers [pros] mon
Père et votre Père » (Jn 20, 17). Cependant, remarquons
tout de suite que dans ce retour, le Fils « prend avec lui »
(Jn 14, 3) l’humanité, de sorte qu’il s’agit surtout du
retour de l’humanité avec le Fils, finalité de la mission
salvifique dont les destinataires sont, non pas Dieu, mais
les hommes.
Il faudrait d’ailleurs préciser la signification de ce
« retour » économique. Il est moins un retour au Père tout
court, qu’un retour à la « maison du Père » (Jn 14, 2). Or
qu’est-ce que cette « maison du Père », sinon le déploie-
ment trinitaire en tant que les créatures y ont désormais
accès. On devrait donc parler d’une théo-finalité trinitaire,
plutôt que d’une « théo-finalité paternelle1 », de l’éco-
nomie.
Peut-on aller plus loin ? Peut-on transposer ce retour
du Fils vers le Père à l’Ascension, prémices du retour
eschatologique de la création vers son créateur, en un
retour à l’intérieur même de la Trinité immanente ?
H. U. von Balthasar, qui a consacré au thème du retour
les dernières pages de sa Trilogie2, semble d’avance s’op-
Excursus : Jn 1, 1-2 et 1, 18
On allègue parfois deux passages du prologue du
quatrième évangile, ainsi qu’un passage de la Première
Lettre de Jean (1 Jn 1, 2), en faveur d’un mouvement du
Fils vers le Père dans la Trinité immanente :
Le Verbe était auprès de Dieu […] Il était au commence-
ment auprès de Dieu [pros ton Theon] [Jn 1, 1-2].
Dieu, personne ne l’a jamais vu. Dieu unique engendré,
celui qui est dans le sein [eis ton kolpon] du Père, lui, [l’] a
expliqué [Jn 1, 18].
tant que pour une fin, quelle que soit celle d’entre elles qui serait fin
dernière, mais par une procession de nature. »
1. C’est en ce sens qu’il faut comprendre ibid., IIIa, q. 7, a. 1, ad
2 : le Fils jouit de la connaissance et de l’amour de Dieu et non du
Père, comme l’interprète E. Durand, Le Père, Alpha et Oméga de la
vie trinitaire, p. 145.
2. Somme de théologie, Ia, q. 5, a. 4, Sed contra.
3. Ibid., Ia, q. 6, a. 2.
4. Ibid., Ia, q. 19, a. 2, resp.
Conclusion
LA SIGNIFICATION ANALOGIQUE
DU CONCEPT DE PERSONNE
Univocité ?
Quid tres ? Depuis Augustin, « personne » est la
réponse à la question du mode d’exister que le Père, le
Fils et l’Esprit Saint possèdent chacun en commun :
Que sont-ils ? Trois quoi ? Car s’ils sont trois « personnes »,
alors ils possèdent en commun ce qu’est une personne. Ils
ont donc en commun ce nom d’espèce ou de genre. […]
« Personne » est un nom qui désigne un genre1.
Équivocité ?
Étant donné le radical apophatisme que R. Panikkar
revendique dans son approche du mystère trinitaire, on
ne s’étonnera pas de lire chez lui la thèse d’un sens
1. Ibid., p. 85.
2. Somme de théologie, Ia, q. 30, a. 4, resp.
3. Ibid., Ia, q. 29, a. 4.
4. Ces trois pronoms personnels recoupent exactement la fameuse
thèse de H. Mühlen, Der Heilige Geist als Person in der Trinität,
bei der Inkarnation und im Gnadenbund : Ich-Du-Wir, Münster,
Aschendorf, 51988 (1963).
<Relations <Rapport au
<Mode d’être>
intra-trinitaires> monde>
Père Je Transcendance Source de l’Être
Fils Tu Personne Être
Esprit Nous Immanence Retour à l’Être
Analogicité
Je propose de partir du tableau de Panikkar pour déter-
miner une compréhension analogique du concept de
personne apte à désigner à la fois le Père, le Fils et l’Es-
prit Saint. Ce concept repose sur les deux pôles de la
subsistance distincte et de l’inter-relation mis en évidence
dans notre introduction. Sa compréhension analogique
dépend d’un équilibre différent entre ces deux pôles,
selon que le mot désigne le Père, le Fils ou l’Esprit Saint,
de sorte qu’on répartit entre les trois personnes les trois
manières de désigner les « trois » comme hypostase,
comme personne et comme relation :
1. DD II/2, p. 414.
2. TL III, p. 134.
3. Ibidem. Voir p. 147.
1. TL III, p. 134.
2. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 37, a. 1, resp. Il
faudrait donc aussi éviter de parler de la nature divine comme de ce
que le Père donne au Fils, sinon dans l’économie de l’incarnation,
comme le fait Hilaire de Poitiers, La Trinité, IX, 54, Paris, Éd. du
Cerf, 2001, p. 126, cité par Thomas d’Aquin en Somme théologique,
Ia, q. 38, a. 1, ad 2. Voir IIIa, q. 7, a. 11, arg. 1 cité p. , n .
3. Somme de théologie, Ia, q. 37, a. 1, arg. 2.
tant que Dieu ; il n’obéit pas non plus à la Trinité, mais comme Fils
dans le Saint-Esprit au Père. » Voir la réponse nuancée de Thomas
d’Aquin, Somme de théologie, IIIa, q. 21, a. 2.
RELATIONALITÉ DE LA PERSONNE
ET SUBSTANCE
Récapitulation
Périchorèse et consubstantialité
Tel était le projet de J. Moltmann : rendre compte de
l’unicité de Dieu à partir des seules personnes, grâce
au concept de périchorèse. E. Durand a mis en lumière
l’alternative à laquelle était confronté tout recours à ce
concept de périchorèse :
La périchorèse est-elle fondée sur l’unicité de subs-
tance (position attribuée par E. Durand à K. Barth) ou
l’unicité de substance est-elle fondée sur la périchorèse
(J. Moltmann) ?
Dans le premier cas, la périchorèse est une consé-
quence de l’unicité de substance : parce que les personnes
sont consubstantielles entre elles, elles sont immanentes
Exégèse
Bernard J., « Le Saliah5 : de Moïse à Jésus Christ et de Jésus
Christ aux Apôtres », dans coll., La Vie de la Parole. De
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Préface............................................................................. 7
Introduction : À la reconquête du concept de personne
en théologie trinitaire.................................................. 11
La contestation moderne de l’emploi du concept
de personne en théologie trinitaire. ...................... 11
K. Barth....................................................................... 12
K. Rahner.................................................................... 13
La réponse de H.U. von Balthasar............................... 16
Confirmations historiques de la bipolarité
du concept de personne............................................ 19
Tertullien..................................................................... 20
Heurs et malheurs de la personne trinitaire................. 22
Conclusion : la bipolarité du concept de personne...... 28
hypothèse directrice : l’application du concept
balthasarien de personne christologique
en théologie trinitaire............................................. 29
La « mission comme concept fondamental » pour définir
la personne chez H.U. von Balthasar.......................... 30
Problématique............................................................. 33
Plan.............................................................................. 34
I. L’invention du concept de mission dans la Révélation
de Dieu. ...................................................................... 37
La missive (Paul)......................................................... 39
L’apôtre (synoptiques et Paul)..................................... 41
Une mission en incipit................................................. 41
Jésus envoie les Douze en mission.............................. 42
Jésus, premier apôtre................................................... 42
Missions trinitaires...................................................... 44
Excursus : le šāliah5..................................................... 46
L’envoyé (Jean)............................................................... 49
Sommaire et enjeu de Jn 5, 19-47 : de l’être au faire.. 50
Structure globale de Jn 5, 19-30.................................. 50
Un outil descriptif emprunté à l’analyse sémiotique
des textes..................................................................... 51
Application à Jn 5, 19-22............................................ 57
Une interprétation de Jn 3, 34-35................................ 60
Conclusion sur la mission johannique......................... 61
L’envoi dans l’Ancien Testament................................ 62
Bilan : pour un concept scripturaire de la mission...... 65
Questions soulevées.................................................... 68
II. L’analogie de la mission dans la Trinité immanente 69
Question préliminaire : de l’économie du salut
à la Trinité en soi..................................................... 70
« L’axiome fondamental » de la théologie trinitaire
selon Karl Rahner........................................................ 71
Quelle relation entre Trinité immanente et Trinité
économique ?.............................................................. 75
L’incompréhensibilité de Dieu et la personne du Père 79
Conclusion................................................................... 89
Le destinateur : « Le Père qui m’a envoyé »............... 90
Le Père, « première personne » ?................................ 91
Le Père, « personne impersonnelle » ?........................ 94
Le Père, personne en retrait......................................... 97
Le Père, « sujet absolu »............................................. 102
Le Père, personne en corrélation................................. 104
L’acte trinitaire. ........................................................... 106
Préliminaire : transposition analogique
de la performance en événement................................. 107
Le « programme narratif » trinitaire............................ 120
La manipulation et l’acquisition de la compétence. 122
La performance principale...................................... 127
La sanction.............................................................. 136
Un retour de l’envoyé ?................................................ 138
Imprimé en France
N° d’impression :
Achevé d’imprimer : septembre 2015
Dépôt légal : octobre 2015