2012 L'Entreprise Frugale
2012 L'Entreprise Frugale
2012 L'Entreprise Frugale
Mireille CAMPANA
Par Mireille CAMPANA
Ingénieur général des Mines
Parmi les défis que s’est fixés l’usine du futur figure la performance durable. Sous cette appel-
lation, on trouve l’utilisation efficiente des ressources, la réduction des rejets et nuisances et
l’implantation durable dans les territoires. Cette optimisation des ressources qui concerne tant
le fonctionnement de l’usine que celui des produits et services qu’elle développe, est souvent
désignée aujourd’hui par l’expression « usine frugale » qui, alliée à l’agilité, à la numérisation et à
la robotisation, est présentée comme une nouvelle révolution industrielle. Elle succède aux trois
révolutions précédentes que furent la mécanisation (fin du XVIIIe siècle), l’électrification (la fin
XIXe) et l’automatisation (années 1970).
-La frugalité s’inspire du concept indien du Jugaad (qui L’écoconception : une démarche
se définit comme « faire mieux avec moins »). Si elle est rigoureuse, mais complexe
aujourd’hui largement évoquée en liaison avec les pré-
Plus généralement, les premières tentatives de prise en
occupations environnementales liées à l’épuisement des
compte de la préservation des ressources naturelles de
ressources naturelles et au réchauffement du climat,
la part des entreprises ont fait leur apparition (avant la
c’est Carlos Ghosn (1) qui a porté, chez Renault-Nissan,
« recherche de frugalité ») dès la fin des années 1980,
le concept d’« ingénierie frugale », au milieu des années
notamment suite aux crises pétrolières. Mais elles étaient
2000, avec la gamme Dacia.
généralement ciblées sur un secteur ou sur un type de res-
Il s’agissait alors moins de préservation de l’environne- sources et, portées généralement par des slogans chocs du
ment que de stratégie industrielle visant à prendre en type « Chassez le gaspi ! » ou « En France, on n’a pas de
compte les contraintes de fonctionnement et les marchés pétrole, mais on a des idées ! », elles faisaient davantage ap-
des usines d’Europe de l’Est, et plus généralement de pel à la bonne conscience qu’à des démarches rigoureuses.
ceux des pays émergents. Le but était de produire des Un travail très important de normalisation de l’écoconcep-
véhicules plus simples et moins coûteux, mais sans pour tion s’est alors mis en place au début des années 1990,
autant en dégrader la qualité (« faire mieux avec moins »). visant à définir des règles de référence communes et à
Même si cette stratégie a démarré avec la Logan, qui re- raisonner de manière systémique et non pas par impact
levait de l’« art d’accommoder les restes » (à savoir les environnemental séparé (déchets, pollutions, consom-
stocks de pièces détachées des véhicules précédents) mations d’énergie...). En effet, la prise en compte d’un
pour produire un véhicule qui pouvait être regardé comme seul critère peut entraîner une dégradation des autres qui
« low cost », la démarche a été couronnée de succès risque de remettre en cause le bilan environnemental glo-
et s’est bien affranchie de cette image « low cost ». La bal. Il peut être par exemple inutile de recycler certains
gamme Dacia a ainsi connu un grand succès sur les déchets si l’empreinte environnementale négative de leur
marchés occidentaux, puisqu’en 2014, le 4x4 Duster a été transport dépasse l’empreinte positive de la matière pre-
le véhicule le plus vendu par le groupe Renault. mière à extraire qui aura été épargnée.
Ces approches multicritères de la mesure des impacts
Même si les ressources, comme l’eau et l’énergie, ne
environnementaux prennent en compte non seulement
manquent pas forcément dans les pays occidentaux, le
l’empreinte environnementale directe des usines de fabri-
monde entier a pris conscience des effets négatifs de leur
cation, mais aussi celles des autres étapes du cycle de vie
consommation excessive sur le climat, et aujourd’hui,
des produits qu’elles fournissent, à savoir l’utilisation et
la frugalité théorisée par Navi Radjou sous l’expression
l’élimination finale.
d’« innovation frugale » fait donc partie de l’usine du futur.
Elle entraîne un renversement des modèles (les dirigeants
occidentaux sont invités à découvrir l’ingéniosité des pays
émergents pour pallier au manque de ressources) et un (1) https://hbr.org/2012/07/frugal-innovation-lessons-from
d’un appareil ménager est beaucoup plus conséquente Encadré 2 : Les fromageries Bel (5)
que celle qui a été nécessaire à sa fabrication. Inverse-
Avec ses fromages fabriqués en très grande série dans
ment, les panneaux solaires photovoltaïques qui sont le
le monde entier, Bel a été confronté à un problème de
symbole des énergies renouvelables sont fabriqués en
« frugalité » en eau pour l’une de ses usines du Moyen-
Chine, où le mix électrique reste largement carboné :
Orient. Dans cette usine, Bel produit du fromage à
sont également à prendre en considération le coût de leur
partir de matière laitière déjà transformée, un procé-
transport et celui de leur élimination. Notons d’ailleurs que
dé qui consomme autour de 5/6 litres d’eau par kilo.
le dernier « appel d’offres photovoltaïques », qui a été lan-
Sur place, un expert a détaillé toutes les utilisations de
cé le 24 août 2016, impose, pour la première fois, une
l’eau (du recyclage aux divers procédés), et en 18 mois
évaluation « carbone » des panneaux utilisés.
la consommation est passée de 6 à 2 litres au kilo. Le
Les critères retenus par ces approches sont regroupés au groupe a alors fait travailler ses équipes autour d’un
sein d’un panel normatif (2) très fourni : défi « sans eau » consistant à réutiliser l’eau du petit lait
à partir de technologies d’osmose inverse pour l’inté-
l la famille des normes ISO 14000 et 14040, qui définit les
grer dans le process de fabrication. Deux sites pilotes
systèmes de management environnementaux, ainsi que
ont été créés à cette fin à Sablé-sur-Sarthe et à Tanger,
les empreintes en eau (14046) et en carbone (14047) des
au Maroc (dans une zone de criticité hydrique).
produits et services,
l la famille des normes ISO 14020, qui définit les étiquettes
L’application progressive de
la démarche d’écoconception
Certains grands groupes pionniers (notamment parmi
les acteurs de l’industrie du futur) se sont lancés dans la
démarche ACV, mais en général en ne l’appliquant qu’à
quelques produits (comme chez Fives, voir l’Encadré 1) ou
Mireille CAMPANA
d’ailleurs résulter de contraintes locales, comme l’inno- (certificats d’économies d’énergie (CEE), Prêts verts...).
vation frugale pour la gamme Dacia. C’est, par exemple, Ainsi l’amidonnier Roquette Frères s’est-il allié, en Alsace,
le cas de l’usine Bel en Syrie (voir l’Encadré 2), qui était au fournisseur local d’électricité pour une co-utilisation
confrontée à un problème d’alimentation en eau. Enfin, la originale de la géothermie (voir l’Encadré 4).
démarche peut répondre au souci de s’intégrer dans un
territoire (voir l’Encadré 3), comme l’usine Ikea en Haute-
Saône. Encadré 4 : Un cas original : Roquette Frères
Mais ce dispositif rigoureux et rationnel est très complexe Même s’ils sont moins souvent évoqués que les raffi-
à appréhender, notamment pour les PME. Aussi l’AFNOR neries, la métallurgie ou la chimie, les amidonniers fi-
a-t-elle publié en février 2013 une nouvelle norme (la gurent parmi les industriels les plus énergo-intensifs.
norme XF 30-264 relative à l’écoconception) qui est auto- Leur maîtrise de la consommation d'énergie est donc
porteuse et davantage pédagogique. Cette initiative a été particulièrement cruciale. Roquette Frères et Électricité
relayée par les fédérations professionnelles et sera égale- de Strasbourg (ES) se sont donc alliés, avec l'aide de
ment soutenue par l’Agence de l’environnement et de la la Chambre de commerce locale, pour mettre en place,
maîtrise de l’énergie (l’Ademe), mais il est encore trop tôt à l’usine Roquette de Beinheim, un projet particulière-
pour pouvoir en mesurer les résultats. ment ambitieux s'appuyant à la fois sur l'exploitation
par ES de la géothermie profonde (l'Alsace est la seule
Le cas particulier de la maîtrise de région de France métropolitaine à être propice à ce
l’efficacité énergétique type de projet) et sur une chaudière biomasse appar-
tenant à l'industriel, ainsi que sur l'utilisation de la cha-
La ressource dont on cherche le plus à maîtriser la leur résiduelle de Roquette pour alimenter un réseau de
consommation est l’énergie, que ce soit au travers de dé- chaleur urbain.
marches volontaires des entreprises ou d’actions incita-
tives émanant des pouvoirs publics, et ce, tant dans les
pays industrialisés, où elle est abondante, que dans les
Pour autant, à l’image de la rénovation thermique des bâ-
pays émergents, où elle peut être rare (notamment sous
timents qui connaît un développement lent en dépit des
forme d’électricité).
diverses incitations publiques financières et fiscales, la ré-
Deux raisons à cela : d’une part, l’énergie, dans toutes alisation de ce potentiel d’efficacité énergétique dans les
ses phases, qui vont de l’extraction à la consommation, entreprises tarde à se concrétiser, en dehors de quelques
en passant par la transformation et le transport, est le pre- opérations précurseurs bien relayées.
mier émetteur de gaz à effet de serre et, d’autre part, plus
Les obstacles identifiés (notamment par les études évo-
pragmatiquement, les économies générées sont généra-
quées plus haut) sont :
lement assez directement appréhendables par le consom-
mateur, que celui-ci soit un citoyen ou une entreprise. l la complexité de la démarche (notamment pour des PME)
et le manque de sensibilisation des entreprises sur les im-
L’Ademe (6) considère que l’industrie manufacturière, qui
pacts potentiels de leurs activités sur l’environnement,
consomme environ 20 % de l’énergie totale et 30 % de
l le manque d’intérêt économique, notamment parce que
l’électricité consommées en France, pourrait à iso-pro-
les temps de retour sur investissement liés aux écono-
duction diminuer cette consommation de 20 % en adop-
mies d’énergie sont longs (ils sont supérieurs à 3 ans),
tant des mesures d’efficacité énergétique.
dans un contexte actuel de prix bas des énergies, alors
Au sein de l’Union européenne, la France a été particu- que la situation économique difficile a conduit à privilé-
lièrement leader dans l’élaboration de la norme interna- gier les investissements immédiatement rentables ;
tionale ISO 50 001 sur le système de management de l le manque de sensibilisation aux enjeux environnemen-
l’énergie. De nombreuses entreprises françaises (7) or- taux, qui se traduit notamment à travers le faible niveau
ganisées autour des fédérations professionnelles et de de la taxe carbone, ce qui n’incite pas aux économies
centres techniques ad hoc se sont positionnées tant sur d’énergie ou à l’utilisation des sources d’énergie dé-car-
l’offre d’équipements éco-efficients pour les entreprises bonées ;
que sur l’accompagnement des industriels dans une dé- l enfin, la réticence française pour la prise de risque et le
marche globale de management de l’énergie. Des établis- changement, qui vaut notamment en matière de change-
sements publics (l’Ademe, la Banque publique d’inves- ment d’équipements ou de processus industriels.
tissement (BPI), la Caisse des dépôts et consignations
(CDC), etc.) ont également participé à la mobilisation des
acteurs et à la diffusion de ces offres. Enfin, suite à des
(6) http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/ade-
études prospectives menées notamment par l’Ademe (8), me_entreprise_web.pdf
des programmes d’action publics ont été mis en place : (7) http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/
soutien à l’innovation pour développer les offres (notam- 90128_7795-savoir-faire-francais-efficacite-energetique-industrie.
pdf
ment avec le Programme des investissements d’avenir
(8) http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/
(PIA) et les pôles de compétitivité), aides à l’acquisition 86444_totaademe-eneconsultinlefficacite-energetique-dans-lindus-
d’équipements éco-efficients et au déploiement de pro- trie-verrous-et-besoins-en-rd.pdf
Fördern die gegenwärtigen Veränderungen die Von der tolerierten zur erwünschten Industrie –
Wettbewerbsfähigkeit, die für das Überleben der Einige Paradoxe über die Industrie und die Vors-
Industrie in Frankreich entscheidend ist tellungen von ihr
Philippe Varin, Präsident von Areva, Präsident des Cercle Thierry Weil, Generaldelegierter der Fabrique de l’industrie
de l’Industrie
Für ihre Neuentwicklung muss die französische Industrie
„Die Industrie ist tot, es lebe die Industrie.“ Die Tatsache, die besten Talente anziehen und als Quelle zukunftsträch-
dass die klimatischen, energetischen und nicht zuletzt tiger Chancen und nicht als Ursache von Belästigungen
die digitalen Umbrüche eine neue Verteilung der Wett- gelten. Doch unsere Vorstellungen von der Industrie sind
bewerbsvorteile zwischen den Industrieländern und den unbeständig und widersprüchlich, denn sie wird bald mit
Niedrigkostenländern und damit eine Veränderung der der Freude assoziiert, konkret zu handeln, neu zu gestal-
bestehenden Kräfteverhältnisse bewirken, ist für die fran- ten und kreativ zu sein, bald mit der Furcht vor einem nicht
zösische Industrie mit bedeutenden Vorteilen verbunden. greifbaren und sogar beunruhigenden cyber-physischen
Die technologischen, wirtschaftlichen, gesellschaftlichen Universum. Die Umrisse der Industrie sind immer ver-
und ökologischen Wandlungen, die sich gegenwärtig ab- schwommener und es wird illusorisch, sie von den Dienst-
zeichnen, haben das Potential, die unerträgliche Dyna- leistungen unterscheiden zu wollen, die sie begleiten, sie
mik der Deindustrialisierung aufzuhalten, die Frankreich möglich machen oder sie voraussetzen. Paradoxerweise ist
seit einigen Jahrzehnten so schwer trifft. Besser gesagt : in einer Gesellschaft, die „hyperindustrielle“ Züge annimmt,
dieser Wandel kann eine neue Phase der Industriali- der Produktionsvorgang immer weniger sichtbar. Noma-
sierung einleiten, die wieder Wachstumserfolge erzielt disch und konturlos erscheint sie, und doch strukturiert die
und die im Vergleich mit der Vergangenheit noch wett- Industrie weiterhin Wirtschaft, Territorien und Identitäten.
bewerbsfähiger, innovativer und attraktiver sein wird.
Die öffentlichen und privaten Akteure haben nunmehr die Die Veränderungen der Arbeitswelt : ihre Moda-
Aufgabe, den Übergang zur Industrie von morgen zu be-
litäten und ihre Zeitlichkeiten
Michel Lallement, Lise-CNRS, Cnam (Paris)
gleiten und zum Erfolg zu führen, indem sie drei entschei-
dende Strategien anwenden : die Investition in Innovati- Die Veränderungen der gegenwärtigen Arbeitswelt können
on, die interne Transformation der Unternehmen und den im Fokus von drei unterschiedlichen Zeitlichkeiten gele-
Aufbau des industriellen Europas. sen werden : der kurzfristigen, die hauptsächlich von der
digitalen Revolution betroffen ist ; der mittelfristigen, die
Eine doppelte Herausforderung für die Industrie : von den Strategien der post-tayloristischen Rekonfigu-
die neuen digitalen Nutzungsweisen und das lei ration der Arbeitsorganisation geprägt ist und schließlich
chte Geld der langfristigen, die die Pertinenz der Kategorien in Frage
François Bourdoncle, Präsident von FB&Cie und Gründer stellt, die wir mobilisieren, um die als produktiv geltenden
von Exalead Tätigkeiten zu erfassen. Berühren sich diese drei Modali-
Der Medienrummel um die „Uberisierung“ der Wirtschaft täten, die mit diesen drei Zeitlichkeiten zusammenhängen,
hat tiefe Spuren hinterlassen. Aber wie bei allen Themen, so beschleunigen sie tief greifende Wandlungen in der Ar-
die den Einflüssen einer Mode gehorchen, ist es leicht, beitsweise und in der Auffassung von Arbeit.
der Versuchung nachzugeben, dies alles als übertrieben
abzutun und zu glauben, dass die Blase bald platzen wird.
Das frugale Unternehmen
Mireille Campana, ingénieur général des Mines
Es lässt sich jedoch nicht leugnen, dass das Phänomen
überdauert und sogar an Dynamik gewinnt, und dass das Zu den Herausforderungen, denen das zukünftige Unter-
Platzen der Blasen die Konzernlenker nur stärker macht, nehmen gegenüber steht, gehört die nachhaltige Leistung.
wie es Google und Amazon nach dem Platzen der Inter- Diese setzt sich aus der effizienten Nutzung der Ressour-
netblase 2000 bewiesen, und, vor allem, dass die Inter- cen, der Reduzierung der Schadstoffausstöße und Immis-
netgiganten jetzt die physische Welt anvisieren (Transport, sionen sowie der nachhaltigen Standortpolitik zusammen.
Energie, Telekommunikation, ...), indem sie ihr digitales Diese Optimierung der Ressourcen, die sowohl die Tä-
Know how und ihre beträchtlichen Finanzkapazitäten mo- tigkeit des Unternehmens als auch dessen Produkte und
BIOGRAPHIES
BIDET-MAYER Mireille CAMPANA, normalienne, ingénieur général des
Thibaut Bidet-Mayer est titu- Mines, est membre du Conseil général de l’économie où
laire d’un master d’économie de elle occupe les fonctions de haut fonctionnaire au déve-
l’université Paris I Panthéon-Sor- loppement durable du Ministère des finances et de réfé-
bonne. Spécialisé en écono- rent énergie.
mie industrielle, il a travaillé Initialement responsable du département R&D de crypto-
logie et sécurité chez France Télécom, elle a occupé des
chez Xerfi (études sectorielles)
postes d’encadrement et d’expertise en sécurité dans
D.R avant d’intégrer La Fabrique de
plusieurs ministères. Elle a ensuite été en charge du sou-
l’industrie. Au sein de ce think
tien au développement des TIC à la DGE, notamment en
tank, il a notamment été impliqué dans les travaux traitant
matière de réseaux, contenus, sécurité et Internet ainsi
de la politique industrielle française et des questions de
que de leur diffusion dans l’industrie, la santé, la sécurité
formation. et l’éducation et du web.