Le Caravage

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CARAVAGE
Quand on lit les biographies du
CARAVAGE, presque toutes
s'accordent pour dire que c’était un
bagarreur. Cette réputation est due
surtout à un de ses biographes
contemporains, Giovanni Baglione
(1573-1643), ennemi déclaré de
Caravage. Baglione peignit en
imitant le Caravage et celui-ci le
ridiculisa publiquement, le traitant
Caravaggio, Jeune garçon avec
de creux et médiocre dans des Portrait de Caravage, de Ottavio Leoni,
panier de fruits, 1593-1594.
petits poèmes écrits avec d’autres 1621, Firenze
peintres du même avis !
Baglione lui voua une haine féroce et le traîna de procès en procès. C'est lui qui a véhiculé la réputation
sulfureuse qui suivra Caravage jusqu'à nos jours, en répandant une quantité de mensonges sur ses crimes et
délits, sur ses tableaux refusés, etc. Cependant des recherches historiques récentes remettent en cause le
portrait peu flatteur propagé par ces sources infondées du XVII° siècle.
N'en déplaise à Baglione, Caravage est le maître incontestable de la révolution
moderne dans la peinture : il y a un avant et un après Caravage.

Caravage s'appelle de son vrai nom Michelangelo


MERISI, il naît le 29 septembre 1571 « à
Caravaggio » village entre Milan et Bergame, lit-
on parfois encore. On sait maintenant qu’il était né
à Milan, où on a retrouvé son acte de naissance,
mais sa famille était bien de Caravaggio, et il y
vécut une partie de son enfance. Ses parents s’y
étaient mariés en janvier 1571, protégés par le
marquis de Caravaggio, futur Francesco I Sforza.
Par la suite ils se transfèrent à Milan.
Foppa, Enfant qui lit Cicéron,
Son père meurt de la peste lorsque Michelangelo a vers 1464.
Simone Peterzano, Pietà, 6 ans et sa mère lorsqu'il en a 20, en 1591. Sa mère Ci-dessous, Lotto,
vers 1573 l’avait mis en apprentissage à la cour des Sforza où Annonciation de Recanati,
il se forme au maniérisme lombard tardif pendant 4 1525
ans chez le peintre Simone Peterzano (1535-1599), élève du Titien à Venise, ce
qui expliquerait les liens de
Caravage avec le style du
Titien, de Giorgione, qu’il
admirait, et de Tintoret. À
l’influence de Peterzano, il faut
ajouter celle des peintres de la
région de Brescia, les
« précaravagesques » (Roberto
Longhi) par leur sens de la
lumière, Vincenzo Foppa
(1427-1505. Cf. ci-dessus à
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droite), Bergognone (1453-1523), Giovanni Gerolamo Savoldo (1480-1548), Lorenzo Lotto (1480-1556.
Cf ci-dessus à droite), etc. Lorsqu'il se retrouve seul, il décide de tenter sa chance à Rome, vers 1592 ou 1596
(date incertaine) et entre dans l'atelier de Giuseppe Cesari, dit le Chevalier d'Arpin (1568-1640), fils d’un
peintre et d’une fille de noble espagnol, peintre très connu de Naples et de Rome où il réalise un grand
nombre de tableaux ; il fut très méprisant pour Caravage. C’était un atelier de travail à la chaîne, ou les
apprentis doivent peindre trois têtes par jour. Le Chevalier ne lui confie que des réalisations de corbeilles de
fruits et de fleurs, genre considéré comme mineur en comparaison des portraits, et pourtant ses corbeilles de
fruits exigent autant de travail que des portraits (Cf. ci-dessus, Panier de fruits, 1597). Caravage a brisé
l’ancien cadre de la hiérarchie des « genres ».

Déjà à cette époque, il a la réputation d'un mauvais garçon, parce « qu'il porte des cheveux sur le front et des
chausses déchirées » (Voir au début son portrait posthume par Leoni).

Il est présenté au cardinal Francesco Maria Bourbon Del


Monte (1549-1627) (Ci-contre son portrait par Ottavio
Leoni) sensible à son génie, qui le fait rentrer dans sa
« famille » et le loge chez lui. En tant que membre de la
« famille », il a le droit de porter l'épée au côté. Ce cardinal
est puissant à Rome, où il exerce d’importantes fonctions
(Préfet de la Congrégation des Rites, Doyen du Collège des
cardinaux…).
Il passe à Caravage une commande prestigieuse : un cycle
sur la Vie de Saint Matthieu pour l'église Saint Louis des
Français. Cette commande va lui assurer la célébrité et la
reconnaissance dont il est avide. Il travaille vite et bien, sans
dessin préparatoire, il fait simplement des incisions dans l'épaisseur de la peinture,
avec le manche de son pinceau, pour fixer les mouvements. Il sait ce qui va plaire :
ainsi dans un même tableau, il mélange des nus à l'antique à des costumes Caravaggio,
contemporains pour rendre la scène plus accessible à tous, plus proche, tel Le martyre Madonne des
Pélerins, 1604-
de Saint Matthieu (1599) puis la Vocation de Saint Matthieu la même année, et enfin
1605.
Saint Matthieu et l'ange en 1602 (Cf. ci-dessous).

De même il prend pour modèle


De gauche à droite, Vocation de Saint
Matthieu (1600), Saint Matthieu et des paysans, des brutes
l’ange (seconde version, 1603), musclées, des prostituées. Il
Martyre de Saint Matthieu (1600). choque, il scandalise, on lui
reproche de représenter les
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Saints avec les ongles noirs et des pieds sales, inacceptable pour l'époque ! (Cf. ci-dessus à droite, La
Madonne des Pélerins, 1604-1605). Mais malgré ces critiques jalouses, le succès est là, Caravage devient la
valeur sure. Tout ce qui compte à Rome se doit d’avoir un Caravage dans ses collections, c'est un signe
extérieur de richesse. Et le Caravage gagne plus en réalisant un seul tableau qu'un médecin en une année (on
lui paye 400 écus son travail à St Louis des Français, somme importante).
Le Clair Obscur est né, et le goût de
la lumière se développe. L'idée en
serait venue au Caravage en voyant
l'intérieur du Panthéon éclairé par la
seule ouverture du plafond mettant en
valeur ce qui est important et laissant
tout le reste dans l' obscurité.
Le spectateur est happé par
l'évènement : un « flash », dirait-on de
nos jours. Ainsi la Conversion de
Saint Paul (1600-1601) et la Mise à
mort de Saint Pierre (1601) à Santa
Maria Del Popolo : on est jeté à terre
avec les deux saints (Cf. ci-contre à
droite et à gauche).

La peinture du Caravage est réaliste,


mais elle est liée aussi à une forme de pensée, une renaissance de la pensée franciscaine : comme une Bible
des pauvres. L’époque héritait d’une tendance du christianisme initiée par François de Paule (1407-1507),
fondateur des Minimes, ou par Philippe Neri (1515-1595), fondateur de l’Oratoire, qui pensaient comme
François d’Assise que les pauvres devaient avoir dans l’Église une place
centrale. Les tableaux de Caravage étaient beaucoup plus proches du petit
peuple que les toiles contemporaines surpeuplées d'angelots et de
chérubins, dans des envols d'étoffes et d'ors, remplacés seulement par le
contraste violent entre la lumière et l'ombre. La mort de la Vierge (1606)
(Cf. ci-contre) est tellement loin des représentations traditionnelles que les
calomniateurs de Caravage ont répandu le bruit que le tableau avait été
violemment refusé par les moines de
l'église du Trastevere, or c’est faux, les
Carmes déchaussés l’acceptèrent très
bien et l’exposèrent avec joie : Caravage
avait certes pris pour modèle une de ses
amies prostituées qui venait de se noyer
et d’être repêchée ; elle a le ventre
gonflé des noyés et … elle semble
enceinte ! Mais à Rome à cette époque,
les Romaines « honorables » ne
pouvaient pas jouer les modèles, et tous
les peintres faisaient comme Caravage. C'est Rubens qui achète le tableau
pour le duc de Mantoue.

Malgré le succès et ses importants protecteurs, il ne paye pas son loyer, fait
des dettes et les plaintes pour coups et blessures se succèdent, il se bagarre
à l'épée, qu'il fait porter par un enfant signe de réussite sociale. Le cardinal
Del Monte lui-même dit : « c'est un caractère extravagant ».
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Le 28 mai 1606, il blesse un de ses adversaires, celui-ci mourra d'hémorragie, c'est le début de la cavale de
Caravage, car l’homme, Ranuccio Tomassoni était un sbire (et probablement l’assassin de la prostituée amie
de Caravage) d’un autre cardinal qui n’aimait pas Del Monte. A partir de là, il va être ce fugitif attendant le
pardon du pape, c’est à partir de cette années qu’il est vraiment inquiet et déprimé : il part à Naples, en Sicile,
puis à Malte où il se met au service des Chevaliers de l'Ordre.

Sa fuite perpétuelle ne l'empêche pas d'être accueilli chaleureusement et les


commandes affluent de partout : à Naples, il peint les Sept oeuvres de
Miséricorde (1607) pour l'église du Pio Monte (Cf. ci-dessus à gauche et
l’Annexe), et la Flagellation du Christ (1607) (Cf. ci-contre) pour l’église
San Domenico. Voir ce que nous disions de ce « temps de la pauvreté » à la
fin de la première partie de notre article sur Naples au XVIIe siècle
(Rubrique « Histoire »-Naples) : en réaction contre la mentalité dominante
qui ne considérait plus le « pauvre » (« il vergognoso », l’appelait-on)
comme semblable au Christ, mais comme un être sale, bête et dangereux,
quelques congrégations dont certains Franciscains réagissent et tentent
d’aimer et d’aider les pauvres ; Caravage s’en inspire.

A Siracuse Caravage peint L'ensevelissement de Santa Lucia, à Messine


L'adoration des bergers et La résurrection de Lazare.
À Malte, le Grand maître Alof de Wignacourt (1547-1622) lui commande
son portrait (1607) et son plus grand tableau, La décollation de Saint Jean-
Baptiste (1608), il le fait chevalier de l'ordre. Mais Caravage a peur, il fuit Malte après avoir tué dans une
querelle un autre chevalier de l’Ordre de Malte et il n'a qu'une idée, revenir à Rome se mettre sous la
protection des grands de l'Eglise. Il retourne à Naples, puis en route pour Rome il est hospitalisé à Porte
Ercole où il meurt (de la malaria ?, mais aussi d’infections, paludisme, syphilis, saturnisme ?) le 18 Juillet
1610. Sa mort est consignée dans le registre de l'hôpital de Porto Ercole. Peut-être n'a-t-il pas eu le temps de
savoir que le pape lui accordait sa grâce ? C'est encore
Baglione qui laissera planer le doute d'un éventuel
assassinat sur une plage. Mais des recherches récentes
proposent d’autres hypothèses des causes de sa mort, après
exhumation de ses restes : empoisonnement par l’Ordre de
Malte avec approbation tacite du Vatican ?

Caravage n'a pas eu d'élèves puisqu'il n'avait pas d'atelier,


mais il a eu des disciples et des copieurs : tout ce qui se
passait dans une taverne lui était attribué et des centaines de
faux circulent, plus ou moins réussis. Il influence de
nombreux grands maîtres de la peinture napolitaine,
Caravaggio, Decollazione di Gian-Battista, 1608 flamande, française jusqu’à David, Géricault et Courbet.
Il laisse une postérité universelle, bien qu'on ne lui connaisse que 48 toiles… dont il faisait souvent lui-même
des copies.
Le Caravage sera oublié pendant 300 ans, et on aura beaucoup de peine à établir le catalogue de ses œuvres,
qu’il ne signa pas, sauf une.
Caravage a réalisé son autoportrait sur beaucoup de ses toiles, substitut de sa signature ?. Voyons-en
quelques-uns ci-dessous : le Bacchino malato, Petit Bacchus malade de 1593-94, le vieil homme de gauche
du Martyre de saint Matthieu, le visage de saint Matthieu dans La vocation de St Matthieu, le visage de
Goliath dans le David et Goliath de 1610. Tous expriment la même angoisse devant la maladie et la mort.
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On pourrait relever beaucoup d’autres thèmes de la peinture de Caravage : la présence d’instruments de
musique et de partitions, témoignage de sa probable sensibilité à la musique, l’insistance sur les scènes de
torture et de décapitation, témoignage d’une époque où l’Inquisition pratique la torture, ce qui dut frapper
aussi beaucoup la sensibilité exacerbée de Caravage.

Le XX° siècle va rendre à Caravage la place qui lui est due dans l'histoire de l'art :
en 1913 un Allemand effectue le classement chronologique de toutes ses
oeuvres.
En 1922, un historien italien, Roberto
Longhi, expose toutes les oeuvres côte
à côte pour bien montrer leur
« parenté ». C'est lui qui authentifie
onze autres toiles en 1927. Puis en
1929, le Christ à la Colonne trouvé à
Rouen.
La dernière en date, en 1993,
L'arrestation du Christ, a été
découverte dans un couvent en Irlande.
Il faudra attendre la fin du XIX° siècle
et les Impressionnistes pour voir une
autre révolution picturale de cette
importance. Caravaggio, David avec la tête de
Goliath, 1610.

Annie CHIKHI – Juin 2016

Vous trouverez facilement de nombreux livres sur Caravage, si vous


voulez approfondir, mais en attendant ne manquez pas la BD de Milo
Manara, Le Caravage, Tome 1, La palette et l’épée, traduction Glénat,
2015. On attend avec impatience le tome II !

Caravaggio, Martyr de S.
Matthieu, Mains de ‘homme nu
de gauche.

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