LEnseignement de Khety Ou Satire Des Met

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L’Enseignement de Khéty

ou Satire des Métiers

Bernard MATHIEU
Université Montpellier 3 Paul-Valéry
CNRS – UMR 5140
« Archéologie des Sociétés Méditerranéennes »
[© B. Mathieu, mise à jour juillet 2020]

La dernière étude complète en date de l’Enseignement de Khéty, due à St. Jäger,


recense neuf papyrus 1, trois tablettes 2 et plus de deux cents soixante quinze ostraca 3.
C’est assez dire la notoriété dont jouissait ce classique de la littérature dans les milieux
lettrés de l’Égypte ancienne, jusqu’aux époques tardives, puisqu’un papyrus de Basse
Époque en fournit une copie, associée à l’Enseignement d’Amenemhat 4, et qu’une stèle
ptolémaïque y fait encore référence 5. La très grande majorité des sources, thébaines,
datent de l’époque ramesside, l’essentiel étant constitué d’ostraca hiératiques, provenant
du village des artisans de Deir al-Médîna, dispersés aujourd’hui dans différentes
collections publiques et privées. Mais tout laisse à penser que l’Enseignement de Khéty a
été conçu au début de la XIIe dynastie, plus précisément sous le règne d’Amenemhat Ier.
Rappelons ici que Khéty fils de Douaouf, auteur supposé de cette composition, n’était
pas considéré explicitement par les Égyptiens comme l’auteur du « Grand Hymne au
Nil », contrairement à ce que transmet parfois une littérature égyptologique 6. Que ce
dernier texte soit attribuable au Nouvel Empire n’est donc pas un obstacle à une datation
de la rédaction de l’Enseignement de Khéty du Moyen Empire.
Les jugements des commentateurs d’aujourd’hui sont souvent particulièrement
sévères à l’égard des copistes ramessides, qui auraient parfois rivalisé d’ignorance dans
leur interprétation du texte : « les cancres y font étalage d’une médiocrité si désarmante,
si consternante, si affligeante qu’elle finit presque par susciter la compassion du
philologue, après avoir provoqué son irritation » 7. On préfèrera ne pas trop accuser les
scribes qui, s’ils le pouvaient, se riraient bien, sans doute, de nos propres errements.

Comme d’autres œuvres sapientiales classiques – Enseignement de Kaïrsou,


Enseignement d’un homme à son fils, etc. –, l’Enseignement de Khéty comprend deux
parties principales. Ce n’est qu’à la première partie, constituée de dix-huit stances, que
peut véritablement s’appliquer la désignation usuelle de Satire des Métiers. On y trouve

1
. P. Amherst XIV (= P. Pierpont Morgan) ; P. Anastasi VII (= P. BM EA 10222, r° 1, 1 - 7, 6) ; P. Berlin
ÄM 15738f r° ; P. Berlin ÄM 15738 g r° ; P. BM EA 10775 e v° ; P. BM EA 10775 f v° ; P. Chester
Beatty XIX (= P. BM EA 10699, r° 6, 7 - 7, 2) ; P. Sallier II (= P. BM EA 10182, r° 3, 9 - 11, 5) ;
P. Turin CG 54017.
2
. T. Louvre AE/N 693 ; T. Louvre E 8424 ; T. Asasif Reg. 222 ; ajouter T. UCL 59420 ; T. UCL 59421
bis.
3
. Auxquels il faut ajouter aujourd’hui sept pièces conservées au musée du Louvre : O. Louvre E 32896,
E 32906, E 32930, E 32998, E 33014, E 33020, E 33040.
4
. J.Fr. QUACK, ZÄS 130, 2003, p. 182-185.
5
. H. BRUNNER, LÄ III, 1980, col. 978 ; voir aussi P. KAPLONY, GöttMisz 204, 2005, p. 57-77.
6
. Voir la mise au point de St. QUIRKE, Egyptian Literature 1800 B.C., 2004, p. 32.
7
. P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2e éd., 2010, p. 240.
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

développé, de manière généralement humoristique 8, le thème de l’opposition entre le


métier de scribe, présenté comme seul estimable et gratifiant, et toutes les autres
professions, physiquement harrassantes, dégradantes et, du moins peut-on le déduire,
intellectuellement stériles. La profession de soldat, absente à ce stade, fera son apparition
dans les compositions ramessides.
La liste des métiers ainsi décrits, dans l’ordre d’apparition, est la suivante : le
sculpteur, le fondeur de métal ou orfèvre, le forgeron, l’artisan-menuisier, le tailleur de
pierres, le barbier, le cueilleur de roseaux, le potier, le maçon, le charpentier, le jardinier,
le cultivateur, le tisserand, le fabricant de flèches, le courrier, le charbonnier, le
cordonnier, le blanchisseur, l’oiseleur, et le pêcheur 9. J’ai montré ailleurs que les
professions retenues étaient présentées en fonction d’un classement décroissant, selon un
procédé de composition littéraire qui concourt au propos principal de l’œuvre :
encourager le jeune garçon à choisir le bon métier 10. Il n’est pas indifférent que les deux
dernières professions citées (oiseleur, pêcheur) évoquent les temps les plus reculés,
conçus comme originels, des « chasseurs-cueilleurs », et se situent à l’opposé exact de la
culture scribale dont Khéty, en bon porte-parole de l’idéologie officielle du début du
Moyen Empire, se fait dans son Enseignement le turiféraire paternaliste. On remarquera
que c’est un point de vue en apparence très différent qui s’exprime dans le texte des
Plaisirs de la pêche et de la chasse, dont l’auteur célèbre au contraire les attraits de la vie
rurale.
Après une transition, où Khéty rappelle à son fils l’utilité d’embrasser la profession
de scribe pour mener une existence heureuse ici-bas et s’assurer une postérité éternelle,
la seconde partie de l’œuvre s’apparente davantage aux sagesses contemporaines que sont
l’Enseignement de Ptahhotep ou l’Enseignement de Kaïrsou (Enseignement loyaliste). Il

8
. Sur le goût de la satire et l’humour dans les textes et les représentations de l’Égypte ancienne, voir en
part. B. VAN DE WALLE, L’humour dans la littérature et dans l’art de l’ancienne Égypte, 1969 ;
W. GUGLIELMI, Reden, Rufe und Lieder auf altägyptischen Darstellungen der Landwirtschaft,
viehzucht, des Disch und Vogelfangs vom Mittleren Reich bis zur Spätzeit, 1973 ; id., dans Wort und
Bild, 1979, p. 181-200 ; id., GöttMisz 36, 1979, p. 69-85 ; D.P. SILVERMAN, dans Egypt’s golden age:
the art of living in the New Kingdom 1558-1085 BC, Boston, 1982, p. 277-281 ; E.S. MELTZER, dans
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Chr.J. EYRE, dans Literatur und Politik im pharaonischen und ptolemäischen Ägypten, BiEtud 127,
1999, p. 235-252 ; L.D. MORENZ, SAK 27, 1999, p. 261-269 ; P. HOULIHAN, Wit and humour in ancient
Egypt, Londres, 2001 ; D. SWEENEY, Correspondence and Dialogue. Pragmatic Factors in Late
Ramesside Letter-Writing, 2001, p. 35 ; S. CURTO, La satire nell’antico Egitto, Turin, 2006 ;
P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2e éd., 2010, p. 492, n. 3 ; G. BURKARD, dans Religion
und Literatur im Alten Ägypten, ASAW, 2011, p. 65-78 ; N. LAZARIDIS, dans The Encyclopedia of
Ancient History, 2013, p. 3338-3341 ; L.D. MORENZ, Kleine Archäologie des ägyptischen Humors. Ein
kulturgeschichtlicher Testschnitt, BÄB 3, 2013.
9
. Sculpteur (qsty), fondeur de métal ou orfèvre (nby), forgeron (ḥmty), artisan-menuisier (ḥmww), tailleur
de pierres (msw ʿȝ.wt), barbier (ẖʿqw), cueilleur de roseaux (bṯyw), potier (j.qdw-nḏs.t), maçon (j.qdw-
jnbw), charpentier (mḏḥ), jardinier (kȝry), cultivateur (ʿḥwty), tisserand (qnwy), fabricant de flèches (jry-
ʿḥȝ.w), courrier (sḫḫty), charbonnier (stnw), cordonnier (ṯbw), blanchisseur (rḫty), oiseleur (wḥʿw
ȝpd.w), pêcheur (wḥʿw rm.w).
10
. B. MATHIEU, GRAFMA Newsletter 3-4, 2001, p. 65-73.

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s’agit d’adopter une attitude mesurée en toutes circonstances ; prestige, promotion sociale
et sérénité sont à ce prix.
L’auteur de l’Enseignement de Khéty a particulièrement soigné la qualité formelle
de son œuvre. La description des métiers se fait au moyen de brèves stances organisées
en « distiques heptamétriques » 11 : deux distiques pour la stance du cordonnier, trois pour
la stance du sculpteur, fondeur et forgeron, ainsi que celles du menuisier, du tailleur de
pierres, du barbier, du cueilleur de roseaux, du charpentier, du charbonnier, de l’oiseleur,
quatre pour les stances du tisserand, du fabricant de flèches, du courrier, cinq pour les
stances du maçon, du jardinier et du pêcheur, six pour les stances du potier et du
cultivateur, jusqu’à sept distiques, soit quatorze vers, pour la stance du blanchisseur. Les
portraits atteignent parfois un réalisme saisissant :

« Mais j’ai vu le forgeron à son labeur,


à la gueule de sa fournaise :
ses doigts sont crevassés comme la peau des crocodiles »,
et il sent plus mauvais que l’œuf ou le poisson. » (4, 7-8)

« Le cueilleur de roseaux descend le fleuve vers les marécages


pour s’y procurer (de quoi faire) des flèches.
Il a travaillé au-delà de ses forces,
et les moustiques l’ont massacré ;
les mouches des sables l’ont charcuté de même,
et le sort veut qu’il reste balafré. » (5, 5-6)

Le charbonnier, ses doigts sont décomposés,


leur odeur est celle des cadavres.
Ses yeux brûlent sous l’effet de l’épaisse fumée,
et il ne peut se débarrasser de sa puanteur.
Il passe la journée à couper du roseau
et il a ses vêtements en horreur. (7, 9 - 8, 1)

Notons enfin que le motif de la confrontation du travailleur manuel et du


professionnel de l’écriture se trouve être également développé dans les écrits bibliques
(Qo 38, 24-34) 12. Ce n’est pas le lieu d’argumenter ici sur une possible filiation entre la
Satire, ou plutôt les diverses compositions néo-égyptiennes et tardives qui en dérivent, et
le texte de l’Ecclésiastique (ou Siracide), appartenant au genre des Sagesses, qui fut
composé en hébreu, en Égypte, par un certain Jésus fils de Sirach au IIe s. avant notre ère,

11
. Voir l’« Introduction à la métrique égyptienne », dans P. GRANDET, B. MATHIEU, Cours d’égyptien
hiéroglyphique, Paris, (2003) 2011p. 655-665 ; B. MATHIEU, BSFE 201, 2019, p. 29-43, en part . p. 37-
39.
12
. Cf. P. HUMBERT, Recherches sur les sources égyptiennes de la littérature sapientiale d’Israël, Mémoires
de l’univ. de Neuchâtel VII, 1929, p. 125 sqq. ; St. JÄGER, Altägyptische Berufstypologien, 2004, p. 305-
317.

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et traduit en grec en 132 avant J.-C., sous Ptolémée VII Évergète II. Mais, outre le fait
que cet exemple d’influence culturelle de l’Égypte pharaonique sur le corpus biblique est
loin de constituer un cas isolé 13, on ne peut qu’être frappé par les analogies tant
structurelles que thématiques susceptibles d’être établies entre les deux traditions
littéraires.
Ainsi, les quatre professions citées par l’Ecclésiastique (cultivateur, sculpteur,
forgeron, potier) apparaissent – presque dans cet ordre – dans la Satire ; les deux textes
insistent sur la pénibilité du travail à la nuit tombée ; enfin, des expressions-refrains (Il
mettra son cœur à…, Ses veilles serviront à… Il en est ainsi de…) rappellent beaucoup
celles de la Satire :

« La sagesse du scribe s’acquiert aux heures de loisir et celui qui est libre d’affaires
devient sage.
Comment deviendrait-il sage, celui qui tient la charrue, dont toute la gloire est de
brandir l’aiguillon, qui mène des bœufs et ne les quitte pas au travail, et qui ne parle
que de bétail ? Son cœur est occupé des sillons qu’il trace et ses veilles se passent
à engraisser des génisses. Pareillement tous les ouvriers et gens de métier qui
travaillent jour et nuit, ceux qui font profession de graver des sceaux et qui
s’efforcent d’en varier le dessin ; ils ont à cœur de bien reproduire le modèle et
veillent pour achever leur ouvrage. Pareillement le forgeron assis près de l’enclume
il considère le fer brut ; la vapeur du feu lui ronge la chair, dans la chaleur du four
il se démène ; le bruit du marteau l’assourdit, il a les yeux rivés sur son modèle ; il
met tout son cœur à bien faire son travail et il passe ses veilles à le parfaire.
Pareillement le potier, assis à son travail, de ses pieds faisant aller son tour, sans
cesse préoccupé de son ouvrage, tous ses gestes sont comptés ; de son bras il pétrit
l’argile, de ses pieds il la contraint ; il met son cœur à bien appliquer le vernis et
pendant ses veilles il nettoie le foyer.
Tous ces gens ont mis leur confiance en leurs mains et chacun est habile dans son
métier. Sans eux nulle cité ne pourrait se construire, on ne pourrait ni s’installer ni
voyager. Mais on ne les rencontre pas au conseil du peuple et à l’assemblée ils n’ont
pas un rang élevé. Ils n’occupent pas le siège du juge et ne méditent pas sur la loi.
Ils ne brillent ni par leur culture ni par leur jugement, on ne les rencontre pas parmi
les faiseurs de maximes. Mais ils assurent une création éternelle, et leur prière a
pour objet les affaires de leur métier. »

13
. Parmi la bibliographie pléthorique traitant de ce sujet, voir notamment : P.S. ASH, David, Solomon and
Egypt: a reassessment, JSOT Suppl. Ser. 297, 1999 ; M.V. FOX, The Song of Songs and the Ancient
Egyptian Love Songs, 1985 ; K.A. KITCHEN, Ancient Orient and Old Testament, 1966, p. 57-60 ;
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Indications bibliographiques

Éditions

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Vogels im ägyptischen Cheti XIIIa? », SAK 33, 2005, p. 57-63.
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suivi d’une traduction française).
G. VERLY, « Khety or the Satire of Trades, mud and experimental archaeology. The use of mud as
protection by metallurgists in Pharaonic Egypt », GöttMisz 252, 2017, p. 135-144.
P. VERNUS, « Literary exploitation of a craftman's device: the sandal-maker biting leather (Teaching of
Chety, pSallier VIII, 12). When philology, iconography and archaeology overlap » dans G. Miniaci,
W. Grajetzki (éd.), The World of Middle Kingdom Egypt (2000-1550 BC) II, MKS 2, 2016, p. 249-255.
W. WESTENDORF, « Eine Formel des Totenbuches als Schreibfehler in der Lehre des (Dua)Cheti »,
GöttMisz 5, 1973, p. 43-45.
K. WIDMAIER, « Die Lehre des Cheti und ihre Kontexte. Zu Berufen und Berufsbildern im Neuen Reich »,
dans G. Moers et al. (éd.), Dating Egyptian Literary Texts 1, LingAeg, StudMon 11, 2013, p. 483-557.

—7—
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Intitulé 14

« (3, 9) Début de l’enseignement qu’a dispensé un passager de cabine 15 nommé


Khéty, fils de Douaouf 16, à son fils nommé Pépy 17, tandis qu’il remontait le fleuve
(4, 1) vers la Résidence pour le mettre à l’école des écritures, parmi les enfants des
grands et de l’élite de la Résidence 18.

Exorde

Il lui dit alors :


(4, 2) “Moi qui ai vu ceux que l’on bat, tu ne dois te préoccuper que des écrits :
observe donc, et épargne-toi les labeurs ! 19
Car il n’est rien au-dessus des écrits,
c’est un bateau d’approvisionnement sur l’eau 20 !

Lis (4, 3) donc la fin de Kémyt


et tu y trouveras ce distique 21 :
“Le scribe, quelle que soit sa fonction à la Résidence,
il ne peut y être malheureux.” 22

14
. La numérotation se réfère au P. Sallier II.
15
. C’est-à-dire un personnage important ; cf. G. POSENER, Littérature et politique dans l’Égypte de la XIIe
dynastie1969, p. 6-7 ; A.R. SCHULMAN, BES 1, 1979, p. 29-40. D’autres copistes ont réinterprété,
fautivement : « un homme de Tjarou (= Silè, dans le delta oriental) ».
16
. Cf. G. POSENER, dans Livre du Centaire, MIFAO 104, 1980, p. 55-59. Le nom du père est lu par certains
« Doua-khéty ».
17
. L’onomastique est peut-être délibérément choisie : « Pépy » représenterait la tradition de l’Ancien
Empire, et « Khéty » évoquerait la Première Période intermédiaire.
18
. La Résidence est vraisemblablement El-Licht, à une trentaine de kilomètres au sud de Memphis, capitale
administrative du Moyen Empire à partir de la XIIe dynastie ; on peut donc supposer que Khéty et son
fils remontent le Nil depuis Memphis. Ce trajet du Nord au Sud n’est sans doute pas indifférent : il
pourrait évoquer une sorte de pélerinage aux sources, vers les fondements de la culture pharaonique, en
même temps qu’une promesse de promotion sociale (« parmi les enfants des grands et de l’élite de la
Résidence »). Mais ce voyage dynamique (contre le courant), est aussi une métaphore de l’effort
qu’implique la pratique de la maât, souffle du vent-droit (mȝʿw).
19
. O. Genève 12551, 4. Autre version : dgȝ~n=j nḥmw ḥr bȝkw=f, j’ai observé celui qui est accaparé par
son labeur. La leçon (fautive ?) dgȝ~n=j peut s’expliquer par le mȝ~n=j précédent.
20
. Le métier de scribe apporte autant de bienfaits qu’un bateau d’approvisionnement (mj.t ; cf. Wb II, 41,
12) ; il permet aussi d’avancer dans la vie. Ainsi se justifient les circonstances servant de cadre à la
délivrance de l’enseignement : tandis qu’il remontait le fleuve.
21
. Sens technique de ṯs ; cf. B. MATHIEU, La poésie amoureuse de l’Égypte ancienne, BiEtud 115, (1996)
2008, p. 136-138.
22
. C’est effectivement une citation du dernier distique de Kémyt, XVII.

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B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

(4, 4) Il exerce son talent pour autrui,


sans que nul ne le surpasse en satisfaction 23.
Je n’ai pas vu de profession comparable
à laquelle puisse s’appliquer ce distique 24.

(4, 5) Je veux te faire aimer l’écriture plus que ta propre mère,


et que sa perfection pénètre en toi 25.
C’est vraiment le plus grand de tous les métiers,
il n’a pas son pareil au monde !

(4, 6) À peine aura-t-il commencé à prospérer, encore enfant,


qu’on le salue ;
on l’envoie accomplir des missions
avant même qu’il revienne se vêtir du pagne 26 !

Stance du sculpteur, fondeur et forgeron

Je ne vois (4, 7) pas de sculpteur en mission 27,


le fondeur, on ne l’envoie pas 28.
Mais j’ai vu le forgeron à son labeur 29,
à la gueule de sa fournaise :

23
. Malgré G. POSENER, L’Enseignement loyaliste, 1976, p. 35 (« (Le scribe) exerce son intelligence au
bénéfice d’autrui ; (celui-ci) ne s’en trouve-t-il pas satisfait ? »). Interprétation différente pour
J.E. HOCH, JSSEA XXI-XXII, 1991-1992, p. 89, n. d. Je suis celle de P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte
pharaonique, 2e éd., 2010, p. 256, n. 13.
24
. Le distique de Kémyt cité plus haut.
25
. « Aimer plus que sa propre mère » peut être considérée comme une expression consacrée, avec le sens
logique de « plus que tout ». Sur le sarcophage de Téti, les dieux déclarent à la déesse Nout, fille de
Chou : jw jt=ṯ Šw rḫ(=w) mrr=ṯ Ttj r mw.t=ṯ Tfnw.t, Ton père Chou sait que tu aimes Téti plus que ta
propre mère Tefnout (§ 5d [TP 7]). Rapprocher, dans l’Enseignement pour Gemnikaï, 1, 11-12 : jmȝ n=f
kȝhs r mw.t=f, Se montre charmant envers lui celui qui est arrogant envers sa propre mère.
26
. Cf. Kémyt, VII : sd=f sw m dȝjw n(y) jr~n=j j(ȝ)dw mȝn=f Ḫnty, puisse-t-il s’habiller du pagne que j’ai
confectionné. Jeune homme, il reverra le Palais (?) ; cf. aussi I. HARARI, ASAE 56, 1959, p. 139 sqq. et
pl. 2 ; E. STAEHELIN, ZÄS 96, 1970, p. 125-139. Noter la structure en chiasme dans ces deux derniers
distiques.
27
. Litt. « je ne peux voir de sculpteur en mission ». Ce vers rappelle l’Enseignement de Kaïrsou, § 10 : n
hȝb~n=tw mȝj m wpw.t, on n’envoie pas le lion (= le chef) en mission (il faut donc entretenir de
nombreux serviteurs). Le nom de métier se lit qsty plutôt que gnwty ; cf. D. MEEKS, Journal of the
Economic and Social History of the Orient XXX, 1987, p. 328-333, n. 3 ; D. FRANKE, M. Marée (éd.),
Egyptian Stelae in the British Museum from the 13th to 17th Dynasties I/1. Descriptions, London, 2013,
p. 110, n. 21.
28
. En lisant bw (=n) hȝb~n=tw=f.
29
. Sur bȝk, « service », « labeur », « travail assujetti », opposé à kȝ.t, « œuvre », « ouvrage, « travail
créatif », cf. K.A. KOTHAY, dans L’organisation du travail en Égypte ancienne et en Mésopotamie,
BiEtud 151, 2010, p. 155-170.

—9—
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

(4, 8) ses doigts sont crevassés comme la peau des crocodiles 30,
et il sent plus mauvais que l’œuf ou le poisson 31.

Stance de l’artisan-menuisier 32

L’artisan quel qu’il soit maniant 33 l’herminette,


(4, 9) il est plus las encore que n’est le laboureur :
car sa terre est de bois, car sa houe est de cuivre,
et la nuit seulement viendra l’en délivrer !
Il aura travaillé au-delà (5, 1) de ses forces 34,
et la nuit seulement viendra l’en retirer !

Stance du tailleur de pierres

Le tailleur de pierres grave avec le ciseau


toute sorte de pierres dures.
Lorsqu’il a terminé (5, 2) d’accomplir sa tâche,
ses bras sont anéantis de lassitude 35,
et lorsqu’il s’assied, au coucher du soleil 36,
ses genoux et son échine (5, 3) sont ployés !

Stance du barbier

Le barbier rase encore au bout de la soirée,


il donne de son affûteur (?), il donne (5, 4) de son bras 37,
il se porte de ruelle en ruelle
pour chercher qui raser 38.

30
. Ou « comme des excréments de crocodile » (P. Vernus).
31
. Ou « que le frai de poisson ». Rapprocher, dans le Dialogue d’un homme avec son ba, 89-90 : Vois, mon
nom serait odieux à cause de toi, plus que l’odeur de la prise d’un silure un jour de pêche, quand le ciel
est brûlant !
32
. Voir L. CARITOUX, GRAFMA Newsletter 3-4 (1999-2000), 2001, p. 31-46 ; G.P. KILLEN, Égypte.
Afrique & Orient 3, 1996, p. 2-7.
33
. Sur cet emploi technique du verbe ṯȝj, comparer par exemple ṯȝy-mḏȝ.t, « le sculpteur », litt. « celui qui
manie le ciseau », ṯȝy-ȝbw, « le marqueur de bétail », litt. « celui qui manie le fer à marquer », etc.
Rapprocher aussi, dans la « Grande Stèle de Gîza » d’Amenhotep II, l. 12-13 : jwty wrd=f ḫft ṯȝy=f
wsrw, infatigable lorsqu’il maniait la rame.
34
. Litt. « Il aura fait au-delà de ce que ses bras peuvent faire » ; vers repris en 5, 5-6.
35
. Meilleur que ʿ.wy=fy ȝq=w wrd=w sw, ses bras sont anéantis et il est las (P. Sallier II).
36
. Litt. « à l’entrée de Rê » (dans l’horizon occidental). L’interprétation de J.E. HOCH, JSSEA XXI-XXII,
1991-1992, p. 90 et n. l, est aussi envisageable (« He sits down to his daily bread »).
37
. Le terme ʿmʿm.t pourrait désigner le cuir d’affûtage utilisé par les barbiers (voir le déterminatif de
l’O. DeM 1503, 2). Cf. J. VANDIER, BiOr VI, 1949, p. 15 : dd=f sw m dmj.t ḥr qʿḥ.t, il se porte de ville
en district ; J.E. HOCH, JSSEA XXI-XXII, 1991-1992, p. 90-91 : « He takes his kit, putting it on his
shoulder ».
38
. Il manque ici une unité accentuelle.

— 10 —
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Il agite ses bras pour se remplir le ventre


(5, 5) comme l’abeille qui ne mange qu’à proportion de son travail 39.

Stance du cueilleur de roseaux

Le cueilleur de roseaux descend le fleuve vers les marécages


pour s’y procurer (de quoi faire) des flèches 40.
(5, 6) Il a travaillé au-delà de ses forces 41,
et les moustiques l’ont massacré ;
les mouches des sables l’ont charcuté de même,
et le sort veut qu’il reste balafré 42.

Stance du potier

(5, 7) Le potier est tout couvert de terre


bien que son existence soit parmi les vivants 43 ;
les déchets le souillent 44 plus qu’un porc
jusqu’à ce qu’il soit cuit (5, 8) sous ses poteries 45.
Sa vêture 46 est raide à cause de la boue,
et son ceinturon 47 est en lambeaux ;
l’air ne pénètre dans son nez,
qu’une fois qu’il est sorti de son four (5, 9) sain et sauf.
C’est de ses pieds qu’il pilonne,
et il est son propre mortier 48 ;

39
. Rapprocher Ens. de Hordjédef IV, 5 : [wnmw] n=f jr=f m ʿ.wy=fy, on n’a de nourriture que ce qu’on
produit de ses mains. Sur l’image de l’abeille au travail, cf. P. Brooklyn 47.218.135 IV, 3 (« celui qui
travaille comme une abeille ») ; R. JASNOW, A Late Period Hieratic Wisdom Text (P. Brooklyn
47.218.135), SAOC 52, 1992, p. 77 ; B. VAN DE WALLE, AOB V, 1988, p. 147-151 ; J. WINAND,
ChronEg LXXIII/145, 1998, p. 49. Voir aussi P. Salt 825, II, 5 et Ph. DERCHAIN, Le P. Salt 825 (B.M.
10051). Rituel pour la conservation de la vie en Égypte, 1964, p. 137. Noter que l’hiéroglyphe de
l’abeille (L2) peut se lire kȝ.t, « travail », en ptolémaïque.
40
. Jeu de mots possible avec swn.w, « souffrances ». Sur l’utilisation du roseau (Phragmites Sp.) pour la
fabrication de flèches, voir A.C WESTERN, W. MCLEOD, JEA 81, 1995, p. 86 (40) et p. 88.
41
. Stiche repris de 4, 9 - 5, 1.
42
. On notera que smȝ, sfṯ et wḏʿ sont trois termes de boucherie !
43
. Il est une sorte d’enterré vivant.
44
. Rapprocher le substantif ḫmʿ.w, « immondices », « décombres » : D. MEEKS, AnLex 78.3021. Sur le
statut du porc dans l’Égypte ancienne, voir désormais Y. VOLOKHINE, Le porc dans l’Égypte ancienne.
Mythe et histoire à l’origine des interdits alimentaires, 2014.
45
. Sur ps.t > fs.t, « cuire », cf. P. VERNUS, dans Form und Mass, ÄAT 12, 1987, p. 450-455.
46
. Il faut distinguer ḥbs.t, « vêture », de ḥbs.w, « vêtements ».
47
. La traduction du mot ʿȝgsw / ʿgsw n’est pas tout à fait assurée (D. MEEKS, BiOr LIV/1-2, 1997, col. 39,
n° 102), mais il s’agit vraisemblablement d’une bande de cuir.
48
. Litt. « le mortier est lui-même ».

— 11 —
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

triturées sont les cours de chaque maison,


battues, celles des places 49.

Stance du maçon

(6, 1) Et je vais te parler tout autant du maçon :


car douloureuse est l’épreuve qu’il éprouve 50.
Il doit rester dehors, en plein vent 51,
à maçonner (6, 2) sans même un pagne 52.
Son ceinturon 53 n’est qu’un tissu 54 pour l’échine,
avec une corde pour son postérieur 55.
Ses bras sont couverts de terre à manier l’outil (?),
et tous ses calculs sont emmêlés 56.
(6, 3) Quand il mange le pain avec ses doigts,
il les lave en même temps !

Stance du charpentier

Quelle misère pour le charpentier qui menuise un plafond


pour couvrir le bâti d’une pièce 57
— une pièce (6, 4) de dix coudées sur six coudées !
Un mois est passé après l’installation des poutres
et le nouage des liens 58
quand tout son ouvrage est accompli.

49
. B. VAN DE WALLE, ChronEg XXIV/48, 1949, p. 253 : « La salle de toute maison est barbouillée et (son)
sol est défoncé ». L’interprétation de P. Vernus est séduisante : « Autant est usée la cour de chaque
demeure, autant est battue son aire de travail » (op. cit., p. 245).
50
. En restituant mḥr(=w) < dp.t > dp(w).t=f. Sur les sens métaphoriques de dp, « goûter », dp.t, « goût »,
cf. Mémoires de Sinouhé, B 23.
51
. Cf. sbj.t, « vent contraire » (Wb IV, 89, 1). Peut-être un jeu sur sb.t, « saleté » (Wb III, 432, 14-15) ; sbw,
« crasse » (CD, 219 ; copte CIB). P. Vernus (Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2e éd., 2010, p. 257,
n. 31) mentionne aussi le vocable sbḥw / sḥbw, et le Discours du scribe Sisobek, ci 1 (J. BARNS, Five
Ramesseum Papyri, 1956, p. 9, pl. 4.
52
. La nudité, dans ce contexte, est l’indice d’une condition sociale inférieure. Sur la représentation
anthropologique de la nudité, voir notamment O. GOELET, Source. Notes in the History of Art 12/2,
1993, p. 20-31 ; J. ASHER-GREVE, D. SWEENEY, dans Images and Gender: Contributions to the
Hermeneutics of Reading Ancient Art, OBO 220, 2006, p. 125-176.
53
. Voir ci-dessus, Stance du potier, et note.
54
. Lire sšnw ; cf. P. SEIBERT, Die Charakteristik, ÄgAbh 17, 1967, p. 147. Le mot suivant est jȝ.t, « dos »,
« échine ».
55
. B. VAN DE WALLE, ChronEg XXIV/48, 1949, p. 253 : « qui laisse son postérieur à découvert ».
56
. Ou « mêlée à toute sorte d’ordures » (P. VERNUS, op. cit., p. 246).
57
. La version du P. Amherst XIV semble la meilleure. Le terme nʿ.t, « bâti », pourrait être lié à nʿy.t,
« pieu », « piquet » (Wb II, 207, 17-19 ; D. MEEKS, AnLex 77.2006, 78.1993). C’est en effet sur des
« poteaux » (terme technique) que se pose une charpente.
58
. Il existe un mot sš signifiant « corde (de halage) » : D. MEEKS, AnLex 78.3818. Peut-être a-t-on affaire
ici à un verbe ssš, « encorder », « nouer au moyen de cordes ».

— 12 —
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

(6, 5) Mais les provisions qui devraient être dispensées chez lui,
nul ne les dispense à ses enfants.

Stance du jardinier

Le jardinier porte l’eau avec la palanche 59


et chacune de ses épaules (6, 6) est usée ;
une grosse masse 60 est sur sa nuque,
qui fait (un bourrelet) de graisse.
Il passe l’aube à inonder 61 (6, 7) les légumes,
il passe le soir à s’occuper des plantes.
À peine a-t-il passé la mi-journée
que son corps est au plus mal ;
le moment du repos : il se nomme la mort 62,
c’est le plus usant (6, 8) de tous les métiers !

Stance du cultivateur

Le cultivateur crie plus fort qu’une pintade 63,


sa voix est plus forte que celle d’une corneille (?) 64.
Ses doigts ne sont que boursouflures
(6, 9) sous l’effet de toutes sortes d’enflures 65.
Il est plus las encore que (s’il était) dans la zone des marécages,
car il se retrouvera (7, 1) en lambeaux.

59
. Sur les palanches ou balanciers (mȝwḏ.w) et leurs représentations à l’Ancien Empire, voir notamment
A. VARILLE, Inscriptions concernant l’architecte Amenhotep fils de Hapou, BiEtud 44, 1968, p. 76-79 ;
D. MEEKS, AnLex 77.1610 ; P. VERNUS, dans Études sur l’Ancien Empire et la nécropole de Saqqâra
dédiées à J.-Ph. Lauer, OrMonsp IX/2, 1997, p. 437-443 ; S. DELVAUX, Les modes de transport
terrestre en Égypte de l’Ancien au Nouvel Empire, thèse de l’université Paul Valéry, Montpellier, 2016.
60
. Plutôt que « lipome ». Il s’agit d’une bursite de contact par frottement ; je remercie Simon Delvaux pour
cette précision. C’est ce qu’on remarque, précisément, sur la représentation d’un jardinier dans la tombe
d’Ipouy (TT 217, temp. Ramsès II) ; cf. N. DE G. DAVIES, Two Ramesside Tombs at Thebes, Londres,
1927, pl. XXVIII-XXIX.
61
. Jwḥ ; et non simplement « arroser », qui serait en égyptien ntf.
62
. C’est l’interprétation la plus simple, qui ne semble pas avoir été proposée jusqu’ici. Une version sans
doute postérieure est donnée par d’autres sources : ḫm~n mw.t=f rn=f, « sa mère a oublié son nom »,
« sa propre mère ne le reconnaît plus ».
63
. Numida ptilorhyncha Lichtenstein ou Numida meleagris L. ; cf. N.M. DAVIES, JEA 26, 1940, p. 79-81
et pl. 14-15 ; L. KEIMER, ASAE 38, 1938, p. 253-263, pl. XXXIII et p. 689-690 ; P. HOULIHAN, The
Birds of Ancient Egypt, 1986, p. 82-83 ; J.-M. LAMBLARD, L’oiseau nègre. L’aventure des pintades
dionysiaques, 2003 ; N. BEAUX, BIFAO 104, 2004, p. 21-38. Il y a un jeu, ici, sur nḥ et nḥḥ,
« éternellement ». Sur le cri de la pintade (criaillerie ou cacabement) : « il ressemble à celui de la poule,
mais il est plus sonore et extrêmement perçant. Je ne lui ai entendu pousser ce cri que le matin »
(Fr. Hasselquist, 1750, cité par J.-M. LAMBLARD, op. cit., p. 143).
64
. La suggestion de St. BOJOWALD, SAK 33, 2005, p. 57-63 (« Taube ») n’est pas convaincante.
65
. Terme médical (stnw.w) ; cf. D. MEEKS, AnLex 79.2862.

— 13 —
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Son bien-être (oudja), c’est le bien-être de qui est la proie du fauve 66,
la douleur de l’hippopotame lui est infligée.
Les haout sont là, comme troisième (menace) 67,
quand il sort, parvenant à l’orée (?) ;
(7, 2) et quand il parvient chez lui, diminué et grillé 68,
la marche l’a rompu 69.

Stance du tisserand

Le tisserand, à l’intérieur de l’atelier 70,


il est plus mal (7, 3) qu’une femme (en travail) 71 :
les genoux remontés jusques à la poitrine 72,
il est incapable de reprendre son souffle.
S’il gaspille un jour sans tisser,
on le bat de cinquante lanières ;
(7, 4) et il doit donner un pourboire (âqou) aux portiers
pour pouvoir sortir à la clarté du jour.

66
. Sorte de dicton. Voir W. WESTENDORF, GöttMisz 5, 1973, p. 43-45 ; H.-W. FISCHER-ELFERT, Orientalia
61, 1992, p. 354-372.
67
. Animal non identifié. Que le texte original soit ḥṯ.wt, « hyènes », est peu probable. Sur cet animal, voir
notamment I. REGEN, Égypte. Afrique & Orient 68, 2012, p. 53-62.
68
. En lisant ʿnd=w ȝšr=w. La version m mšrw, « le soir », semble être une lectio facilior, à écarter.
69
. Litt. « l’a atteint (comme une cible) ».
70
. Sur l’atelier (nȝy.t) où Isis et Nephthys tissent le linceul d’Osiris, voir par exemple TS 608 (cf.
N. GUILHOU, Cultural Heritage of Egypt and Christian Orient 5, 2010, p. 55-67) ; P. BM EA 10059 r°
10, 10 (Th. BARDINET, Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, 1995, p. 490 ; Chr. LEITZ,
Magical and Medical Papyri of the New Kingdom, HPBM VII, 1999, p. 72 et pl. 35) : Isis sortit de
l’intérieur de l’atelier de tissage au moment où elle déliait son fil (en disant) : “Viens avec moi, ma
sœur Nephthys” ; Stèle Metternich (A. KLASENS, A Magical Statue Base (Socle Behague) in the
Museum of Antiquities at Leiden, OMRO 33, 1952, p. 67-68) : je suis Isis, sortie de l’atelier de tissage,
où mon frère Seth me plaça
71
. Comparaison similaire dans la stèle Turin CG 50058, l. 5-6 : jw=j ḥms=kw ḥr db(ȝ).t mj tȝ jwr(.t) jw=j
ḥr ʿš n ṯȝw nn jw=f n=j, moi qui étais assis sur la brique comme la parturiente, à réclamer de l’air sans
qu’il ne me parvînt ; cf. KRI III, 772, 16 ; M. TOSI, A. ROCCATI, Stele e altre epigrafi di Deir el Medina,
1972, p. 94-96 et 286 ; A.G. MCDOWELL, Village Life in Ancient Egypt. Laundry Lists and Love Songs,
1999, p. 98 (n° 71). On pourrait rapprocher aussi la description du jeune Horus mordu par Baba dans le
P. Genève MAH 15274, r° 5, 1-2 : ḥr=f m mn.t ms.yt ḥȝty=f (ḥr) bȝẖȝ jr.t=f gnn(=w), son visage était
celui d’une femme en couche, le cœur battant et l’œil défaillant ; cf. A. MASSART, MDAIK 15, 1957,
pl. XXXI.
72
. Le composé r(ȝ)-n(y)-jb ne désigne pas l’«estomac (mnḏr) mais la « poitrine », le « thorax », la « cage
thoracique », car r(ȝ) ne signifie pas ici « entrée », mais « cavité ». Jb ne désigne le cœur que dans les
mots composés anatomiques : r(ȝ)-jb, « thorax », ḥt.t-jb, « trachée », litt. « tuyau du cœur » (cf. le signe
nfr), s.t-jb, endroit de la poitrine où l’on sent les battements, etc.

— 14 —
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Stance du fabricant de flèches

Le fabricant de flèches, il est totalement épuisé 73


en montant (7, 5) vers le désert.
Beaucoup est ce qu’il doit donner à son ânesse
en contre-partie du travail qu’elle fournit pour cette affaire.
Beaucoup est ce qu’il doit donner aux campagnards
qui le mettent sur la (bonne) route.
(7, 6) Et quand il parvient chez lui, le soir,
la marche l’a rompu 74.

Stance du courrier

Le courrier 75 ne part pour une contrée étrangère


qu’après avoir légué ses biens (7, 7) à ses enfants.
Par crainte des fauves comme des Araméens 76,
il ne reprend ses esprits qu’à son retour en Égypte.
Mais quand il revient (7, 8) chez lui, diminué,
la marche l’a rompu 77 ;
que sa maison soit de toile ou de brique,
il ne rentrera pas heureux.

Stance du charbonnier

(7, 9) Le charbonnier 78, ses doigts sont décomposés 79,


leur odeur est celle des cadavres.
Ses yeux brûlent sous l’effet de l’épaisse fumée,
(8, 1) et il ne peut se débarrasser de sa puanteur 80.

73
. La lecture de la tablette Louvre 693, fn(=w), « épuisé » (Wb I, 576, 10-12) est meilleure que celle du
P. Sallier II, sfnd=f, « il s’irrite » (causatif de fnḏ ; Wb I, 578, 4 ; D. MEEKS, AnLex, 77.1553).
74
. Distique presque identique au distique final de la stance du cultivateur.
75
. Pour sḫḫty, voir M. VALLOGGIA, Recherche sur les messagers (wpwtyw) dans les sources égyptiennes
profanes, 1976, p. 234-235.
76
. Cf. G. POSENER, Littérature et politique dans l’Égypte de la XIIe dynastie, 1969, p. 109. Rapprocher,
dans l’Enseignement d’Amenemhat 3, 2-3 : jw qnb~n=j mȝj.w jn~n=j msḥ.w dȝ{r}j~n=j Wȝwȝy.w
jn~n=j Mḏȝy.w d~n=j jry Sty.w šm.t ṯsm.w, J’ai dompté les fauves et capturé les crocodiles, j’ai vaincu
les hommes de Ouaouat et capturé les Médjaou, j’ai obligé les Asiatiques à marcher comme des lévriers.
77
. Distique repris de la stance du cultivateur et de la stance du fabricant de flèches.
78
. Ou le «chauffeur », qui charge le foyer avec du charbon de bois (ḏʿbw) ; il y a jeu de mots entre ce dernier
terme, suggéré par le métier, et ḏbʿ.w, « doigts ».
79
. Litt. « putréfiés » (ḥwȝ=w).
80
. Pour stnw, rapprocher peut-être Wb IV, 343, 4 = N. de G. DAVIES, The Rock Tombs of El Amarna V,
1908, pl. IV = M. SANDMAN, Texts from the Time of Akhenaten, BiAeg VIII, 1938, p. 63, 3.

— 15 —
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Il passe la journée à couper du roseau


et il a ses vêtements en horreur 81.

Stance du cordonnier 82

Le cordonnier, il est au plus mal,


chargé de son nécessaire (8, 2) à huile 83.
Son bien-être (oudja), c’est le bien-être des cadavres 84,
et ce qu’il se met sous la dent, ce sont ses cuirs.

Stance du blanchisseur 85

Le blanchisseur lave sur la rive


(8, 3) avec pour voisin le Crocodile.
“Sors, père, des eaux furieuses 86 !”,
disent son fils et sa fille.
Est-ce un métier dont on est (8, 4) satisfait,
quand il est plus usant que tout autre métier ?
Il frotte ce qui est maculé de crasse,
et il n’est pas une partie de lui qui soit propre ;
il se plonge (8, 5) dans le linge des femmes,
pour se retrouver dans leurs menstrues 87.
Ce qui le fait pleurer, c’est de passer le jour à porter le battoir 88,
tandis que sa pierre va chercher la souillure (?) 89.

81
. Litt. « c’est son abomination que ses vêtements ». En jouant sur les assonances (ḥbs.w / ḥs.w), l’écrivain
parodie les textes funéraires : bw.t N pw ḥs.w, « c’est l’abomination de N que les excréments » (par ex.
Pyr. § 718a [TP 409]). Pour des raisons phonétiques, le pluriel ḥ(b)s.w, « vêtements », devait avoir une
prononciation très proche de celle de ḥsw : voir B. MATHIEU, avec la collab. de J. ROMION, GöttMisz
219, 2008, p. 65-72.
82
. Cf. P. VERNUS, dans Middle Kingdom Studies 2, p. 249-255. Sur la profession de cordonnier ou
« sandalier », cf. A.V. VELDMEIJER, Tutankhamun’s Footwear. Studies of Ancient Egyptian Footwear,
2011, p. 200-203.
83
. Comme dans la stance du cultivateur, il y a un jeu, ici, sur nḥḥ et nḥḥ, « éternellement ». Il s’agit
certainement de l’huile (de lin) dont les cordonniers enduisaient leur fil (« ligneul »).
84
. Les cadavres des animaux dont il doit utiliser la peau ; cf. P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte pharaonique,
2e éd., 2010, p. 259, n. 58. Mais on peut lire aussi mẖȝw.w (?).
85
. Voir notamment J.J. JANSSEN, R.M. JANSSEN, Archiv Orientální 70, 2002, p. 1-12 ; B. MATHIEU, dans
L’apport de l’Égypte à l’histoire des techniques, BiEtud 142, 2006, p. 155-167.
86
. Ȝdw ; jeu de mots sur ȝd, « crocodile », litt. « l’agressif ».
87
. L’auteur joue sur le mot ḥsmn, qui peut signifier les « menstrues » ou le « natron » (carbonate de sodium
et bicarbonate de sodium), à la fois détergent des blanchisseurs et produit utilisé pour la momification ;
le contact avec ḥsmn fait donc du foulon un marginal (« sur la berge »), situé entre le pur et l’impur,
entre la nature et la culture, entre entre la vie et la mort.
88
. Le terme mqn.t est dérivé du radical qn, « battre ». Un écho étymologique de l’ouverture de
l’Enseignement : « Moi qui ai vu ceux que l’on bat (qnqn.w) ».
89
. En lisant (jw) jn jnr=f tȝ[…].

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B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Il lui est dit : “De la lessive 90 ! (8, 6) Présente-toi à moi !


Que les rives soient aplaties grâce à toi !”

Stance de l’oiseleur

L’oiseleur, il est totalement épuisé


à guetter les habitants du ciel 91.
(8, 7) Si passe un vol de gibier 92 devant lui,
il ne sait dire que : “Ah si j’avais un filet !”
Mais le dieu ne permet pas que cela lui échoit
en se montrant dédaigneux de son sort.

Stance du pêcheur

(8, 8) Je vais te parler tout autant du (métier de) pêcheur :


il est plus épuisant que tous les autres métiers :
n’est-ce pas dans le fleuve que se situe son labeur,
mêlé (8, 9) à la compagnie 93 des crocodiles ?
Quand lui échoit la somme de ce qu’on lui compte,
il n’a plus qu’à se lamenter 94.
Il est même incapable de dire : “Les crocodiles (9, 1) sont là”,
car la crainte qu’il éprouve l’a aveuglé 95.
Et s’il sort des eaux furieuses 96,
alors il tombe comme (frappé) par le pouvoir (baou) 97 du dieu.

90
. Lire šȝm : Wb IV, 411, 4.
91
. Le recours à cette périphrase empruntée aux Textes des Pyramides (§ 292b [TP 254]) permet d’éviter la
répétition de ȝpd.w, « oiseaux », et d’obtenir une unité accentuelle supplémentaire (metri causa).
92
. Lire ẖnmw : Wb III, 381, 14. Voir A.M. MOUSSA, H. ALTENMÜLLER, Das Grab des Nianchchnum und
Chnumhotep, ArchVer 21, 1977, p. 60, 150, pl. 5, 75 et Abb. 6 ; Y. HARPUR, P. SCREMIN, The Chapel
of Niakhkhnum & Khnumhotep. Scene Details, 2010, p. 16 (16) : ḥsb ẖnmw m pḥ.w mm ḏ.t, décimer le
gibier dans les confins marécageux et parmi les fourrés.
93
. La préposition ḥnʿ, comme souvent, sert de cheville métrique.
94
. Litt. « il se retrouve dans les lamentations ».
95
. L’auteur fait malicieusement allusion au thème du crocodile qui frappe aveuglément lors du passage du
gué. Plusieurs tombeaux de l’Ancien Empire reproduisent sur leurs parois ce dialogue codifié entre les
bouviers : j nr-jḥ(.w) pw ʿnḫ ḥr=k r šy pw nt(y) ḥr mw tm jww nw n šy pw jw=f m šp-tp. ʿnḫ ḥr=k wr.t.
(wȝḥ) ʿ=k ḥr mw nrw pw. jw msḥ pw gr(=w) ẖr sp.t (?) n(y).t wḏb. wḏȝ jb=k r=f, – Ô, bouvier, prends
garde à cet aquatique qui glisse sur l’eau, que ceux-là ne viennent pas à cet aquatique, lui qui est
aveugle ! Prends bien garde ! – (Tends) ton bras sur l’eau, bouvier ! Ce crocodile est silencieux au
bord (?) de la rive. Affronte-le avec courage ! Voir notamment R.K. RITNER, The Mechanics of Ancient
Egyptian Magical Practice, SAOC 54, 1993, p. 227-229 ; S. ULJAS, GöttMisz 226, 2010, p. 101-107.
96
. Voir ci-dessus, Stance du blanchisseur, et note.
97
. En lisant ḫr=f mj (ḫr=w m) bȝw nṯr. Le distique est d’interprétation difficile. Sur le baou comme
manifestation du pouvoir (colère) des dieux, voir J.F. BORGHOUTS, dans Gleanings from Deir el-
Medineh, 1982, p. 1-70, en part. p. 41 et 70.

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B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Transition

Vois, il n’est pas de métier où l’on n’ait pas de contrôleur


(9, 2) excepté celui de scribe ; c’est lui le contrôleur !

Eh bien si tu apprends le métier de scribe, ce te sera meilleur


que les métiers que j’ai cités devant toi :
vois, chacun (9, 3) est plus misérable que l’autre !
Un cultivateur ne peut dire à personne :
”Protège-moi donc !”
Vois, je le dis 98 en remontant le fleuve vers (9, 4) la Résidence,
vois, je le fais à ton attention !
Une journée d’école t’est plus utile
que l’éternité néheh venant de l’extraction des carrières 99.
Je t’y conduis (9, 5) pour te faire apprendre,
et que tu préfères expulser la rébellion.

Seconde partie

Je veux te dire aussi d’autres paroles


pour t’enseigner des connaissances.

Ne te tiens pas à l’endroit où l’on se bat,


(9, 6) n’approche pas de celui qui vocifère 100.
Si l’on prend des briques, cours,
car on ne connaît pas de frein 101 à l’échauffé (?).
Tu témoigneras auprès des juges,
(9, 7) c’est en s’accordant un délai qu’on doit répliquer.

Si tu marches derrière des notables,


approche-toi et éloigne-toi selon le bon usage 102.

98
. Litt. « je fais cela ».
99
. L’instruction est plus utile, pour le souvenir qu’on laissera à la postérité, que les monuments funéraires
construits en pierre, « en travail d’éternité ». Première attestation du thème développé dans
l’Enseignement du P. Chester Beatty IV v° 3, 4-5 : ȝḫ(=w) šfdw r pr qd(w) r ḥw.t ḥr Jmn.t, Un livre est
plus utile que de bâtir une maison, qu’une chapelle à l’Occident. La formulation relève du genre de la
« comparaison paradoxale » ; voir par exemple, dans un chant d’amour ramesside (P. Harris 500 r° 1,
5-6) : ȝḫ(=w) hrw n ḥp.t=j […] r ḥfn.w (ȝ)ḥ.t, un jour à m’enlacer est plus utile que cent mille terres.
100
. Litt. « qui fait du vacarme » ; cf. D. MEEKS, AnLex 77.3791.
101
. En considérant bw-ḫsf (O. DeM 1013) comme un composé abstrait.
102
. Rapprocher, dans l’Enseignement de Ptahhotep, 8, 4-5 : jw Rr.yt r tp-ḥsb sḫrw nb ḫft ḫȝy,
L’Antichambre est régie par un règlement, chaque avis est conforme à une étiquette.

— 18 —
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Si (9, 8) tu pénètres chez un maître de maison, chez lui 103,


fléchis les bras devant toi.
Tu dois t’asseoir, la main sur la bouche 104,
ne réclame rien (9, 9) en sa présence.
Agis comme il t’aura dit,
et garde-toi de t’installer 105 à la table.

S’il y a de la pondération en toi, grand sera ton prestige (chéfyt) ;


ne prononce pas (10, 1) les mots qu’il faut dissimuler.
— L’homme discret se fabrique un bouclier 106.
Ne prononce pas de mots violents
quand tu es assis avec un provocateur.

(10, 2) Si tu sors de l’école


une fois qu’on t’a annoncé midi 107,
ne va pas te traîner 108 dans la cour,
mais discute de la fin du travail (10, 3) qui est le tien.

Si un notable t’envoie en mission,


parle comme il a parlé.
– N’en enlève rien, n’y ajoute rien 109.
La fougue cause la négligence,
(10, 4) alors qu’il n’est rien à blâmer chez un homme constant.
Celui qui est achevé dans toutes ses dispositions naturelles (qédou),
il n’est rien qui lui soit caché,
et nul ne peut être plus haut que lui, quelle que soit sa fonction.

Ne dis pas de mensonge (10, 5) de ta bouche :


c’est le désir des notables 110.
Une fois que des biens sont échus grâce à ton action,
rassemble ce qui a été placé devant tes yeux 111.

103
. Cheville métrique.
104
. Même vers dans l’Enseignement d’un homme à son fils, § 16, 6.
105
. Sur ce sens de ṯs, voir D. MEEKS, AnLex 78.4716.
106
. Sans doute un proverbe.
107
. L’heure de la pause, comme le précise P. Vernus, en citant la Lettre à un incompétent, ou Lettre satirique
de Hori, 17, 1-2 : Aussi précis soit leur jugement, leur volonté est insuffisante pour en venir à bout avant
la venue de midi, et tu devras donner une pause à la troupe pour qu’ils prennent leur repas.
108
. Litt. « aller et venir ».
109
. Rapprocher, dans l’Enseignement de Ptahhotep, 7, 3 : Si tu es un homme de confiance qu’un grand
envoie à un (autre) grand, fais preuve d’une parfaite mesure quand il t’envoie et remplis pour lui la
mission comme il le demande.
110
. « c’est l’abomination des notables » (bw.t pw ny.t sr.w) est sans doute la lectio facilior.
111
. Litt. « devant ton nez ». La traduction de ce distique est hypothétique.

— 19 —
B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Ne te préoccupe pas du provocateur,


(10, 6) il est vil d’écouter ses passions.
Si l’on a besoin de se rassasier de trois pains,
on avale deux mesures de bière :
le ventre ne finira pas (10, 7) de se battre pour lui-même 112.
Si un autre veut se rassasier, ne reste pas,
garde-toi de t’installer à la table.

Vois, il est bon que tu sois souvent envoyé (en mission)


et que tu entendes (10, 8) les paroles des notables !
Ainsi te comporteras-tu comme les enfants de bonne famille,
en suivant leur conduite.
C’est à l’écoute (10, 9) qu’on reconnaît le scribe,
l’écoute engendre la sérénité 113.
Bats-toi pour le discours qui se rapporte à cela,
et hâte ton pas quand tu avances,
sans (11, 1) dévoiler tes pensées.
Prends comme associé celui qui est plus âgé que toi,
mais lie-toi d’amitié avec un homme de ta génération 114.

Épilogue

Vois, je t’ai placé sur le chemin (11, 2) du dieu,


car c’est la Rénénet du scribe qui est sur son épaule,
(dès) le jour de sa mise au monde 115 !
Et quand il parvient au Portail,
c’est le tribunal (qenbet) qui lui a apporté le soutien 116 !

112
. Si l’on mange plus que de raison, on entre dans la logique de l’excès. Cette nouvelle interprétation rend
compte, grammaticalement, des versions conservées.
113
. Cf. L. COULON, Égypte. Afrique & Orient 26, 2002, p. 14. Sur ce thème de l’écoute, voir surtout la
deuxième section de l’Enseignement de Ptahhotep.
114
. On doit profiter de l’expérience des aînés, mais sans oublier le respect qui leur est dû.
115
. Sur cette conception d’une « prédestination professionnelle », voir P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte
pharaonique, 2e éd., 2010, p. 262-263, n. 100. Sur Rénénet, déesse de la destinée, voir en part.
Ph. COLLOMBERT, BSEG 27, 2005-2007, p. 21-32.
116
. En restituant jr(w) n=f rmn. Sur les différents sens de ʿrr.t / ʿrry.t, « Portail », voir K. KONRAD,
Architektur und Theologie. Pharaonische Tempelterminologie unter Berücksichtigtung
königsideologiescher Aspekte, KSGFH 5, 2006, p. 219-224. Le « Portail » en question n’est pas ici le
siège de l’administration censée régler les litiges, à l’entrée du Palais, comme cela a été compris
jusqu’ici par tous les commentateurs. On attendrait plutôt, dans ce cas, « le Grand Portail » (ʿrry.t / ʿrw.t
ʿȝ.t ; cf. par exemple la stèle de Rédoui-Khnoum (temp. Antef II), l. 5 (Caire CG 20543, l. 5 ;
R. LANDGRÁFOVÁ, It is My Good Name that You Should Remember. Egyptian Biographical Texts on
Middle Kingdom Stelae, 2011, p. 74-78 [n° 26].
Il s’agit en réalité d’une évocation du « Portail d’Osiris », lieu du jugement dernier. À l’heure de sa
mort, le scribe aura le soutien de la population, soutien nécessaire pour sa « justification ». La tradition
d’un jugement du défunt par un tribunal humain (qnb.t), lors des funérailles, parallèle à sa comparution

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B. Mathieu, L’Enseignement de Khéty ou Satire des Métiers, 2020

Vois, (11, 3) il n’est pas de scribe privé de quoi manger,


ni des biens du Domaine royal (v. i. s.) !
C’est la Meskhénet 117 qui détermine le scribe
et qui le présente au tribunal (qenbet).
Rends grâce au dieu pour ton père et ta mère
qui te placent sur le chemin des vivants !
Vois, cela a été porté à ton attention
et à (celle des) enfants de tes enfants !” »

devant le tribunal d’Osiris, est rapportée en détail par Diodore de Sicile (I, 92, 4) : « lorsque la galiote
(baris) a été mise à l’eau dans le lac, avant que le coffre contenant le mort n’y soit déposé, la loi donne
licence à qui veut de l’accuser. Ainsi, si quelqu’un surgit qui le blâme et démontre qu’il a mené une
mauvaise vie, les juges font connaître leur avis à tout le monde et le corps est exclu de la sépulture
habituelle ; mais si le plaignant paraît ne pas porter d’accusation justifiée, il encourt de fortes amendes »
(M. CASEVITZ, Diodore de Sicile. Naissance des dieux et des hommes, Introd., trad. et notes, 2000,
p. 110-111). Rapprocher, dans l’Enseignement pour Mérykarê, E 54 = 5, 8 : qsn pw srḫy m sȝȝ(w), C’est
pénible, quand le dénonciateur est un sage ; E 139 = 12, 9 : jḥ pḥ=k wj nn srḫy=k, alors tu me rejoindras
sans personne pour te dénoncer. Sur cette question, voir désormais E. OREAL, dans Aere perennius.
Mélanges égyptologiques en l’honneur de P. Vernus, OLA 242, 2016, p. 493-512.
117
. Déesse de la naissance ; cf. les contes du Papyrus Westcar.

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