La Politique Africaine de La Belgique 2013
La Politique Africaine de La Belgique 2013
La Politique Africaine de La Belgique 2013
fr 8/02/14 22:51
Nous faisons partie des pays qui ont présenté leurs excuses
aux victimes.
Guy Verhofstadt
sert de fil conducteur à l’analyse : la « diplomatie éthique » [13] mise en place par le
gouvernement de Guy Verhofstadt est-elle une parenthèse ou constitue-t-elle une
véritable césure dans la conception et la mise en pratique de la politique étrangère ?
ce qu’en pensent les familles des victimes belges, des personnes qui ont été tuées
ou violées. Ces familles-là n’ont pas touché un franc » [39]. Un hebdomadaire du
pays confirme cette incompréhension : « Le contribuable va payer une “repentance”
qui n’englobe ni les victimes belges de 1960, ni les millions de victimes indirectes
d’une décolonisation bâclée et du soutien au régime Mobutu » [40]. Comme
chacune de ces réactions le laisse entendre, la diplomatie des excuses ne va pas de
soi sur la scène intérieure. Permet-elle en revanche de favoriser la normalisation
des relations avec l’ancienne colonie ?
Les réactions ne se font pas attendre sur la scène belge, de plus en plus ébranlée
par les tensions communautaires [44] . Les questions fusent à la Chambre des
représentants. La porte-parole des Verts qualifie de « colonialistes et de
paternalistes » les propos du ministre des Affaires étrangères [45]. Le porte-parole
du Parlement wallon, José Happart, précise que la Belgique « n’a pas de leçon à
donner » à un pays ami. Selon lui, les propos de M. De Gucht trouvent leur origine
dans les frustrations des autorités portuaires d’Anvers qui n’ont pu décrocher le
contrat de rénovation des installations du port de Matadi, les Émirats arabes s’étant
vus confier cette mission. Cette remarque rappelle la toile de fond de cette crise : la
perte d’influence progressive de la Belgique en RDC. La montée en puissance de la
Chine et l’arrivée de nouveaux partenaires dans la région se matérialisent par la
signature d’impressionnants contrats prévoyant la construction d’infrastructures et
de routes en échange de livraisons de minerais comme le cuivre et le cobalt.
Si nombre de Congolais vivant en Belgique applaudissent les critiques émises par
Karel De Gucht, les considérant fondées sur le fond, une interrogation de taille
demeure : n’est-il pas contre-productif de mépriser en public et dans des termes
aussi peu diplomatiques le rythme des avancées démocratiques d’un État souverain
et ce, d’autant plus que de nouveaux partenaires se pressent au portillon de cet
État ? Quelle peut être l’efficacité d’une diplomatie de « bons points et de mauvais
points » dans un jeu où la Belgique voit désormais son leadership mis en cause ?
L’ampleur des réactions à Kinshasa est en tout cas symptomatique. Le Président
congolais, Joseph Kabila, refuse de se voir « donner des leçons » [46] et considère
cette attitude comme une « pure provocation ». Ses propos sont univoques : « Le
rapport maîtres-esclaves, c’est fini » [47]. Face à ce qu’il identifie à une forme de
« tutelle », le Président congolais rappelle que « dans ce pays, on a versé le sang, et
pour notre indépendance, et pour notre libération ». Il est, en d’autres mots,
intolérable que l’on traite son pays « comme s’il était encore une colonie » [48]. Des
gestes diplomatiques peu habituels confirment la fermeté de cette réaction. Les
autorités de Kinshasa rappellent leur ambassadeur à Bruxelles, ferment leur
consulat à Anvers et demandent à la Belgique de fermer ses consulats à Lubumbashi
et Bukavu [49].
Cette crise diplomatique provoque aussitôt la relance des critiques des partis
politiques francophones membres de la fragile coalition gouvernementale du
Premier ministre Yves Leterme. La représentante du parti écolo, Isabelle Durant,
déplore ce qu’elle appelle la « diplomatie du mépris ». Le libéral Armand De Decker
juge cette politique « automutilante ». Le Président du parti socialiste, Elio Di Rupo,
rappelle que « l’époque colonialiste caractérisée par l’unilatéralisme, le paternalisme
et l’arrogance est définitivement révolue » [50]. La réplique ne se fait pas attendre,
M. De Gucht déclarant aussitôt qu’il a l’impression que « les francophones pensent
toujours que le Congo est la dixième province belge sur laquelle on ne peut rien
dire ». « Si on considère ainsi le fait de dire que les dirigeants congolais doivent
Dans l’ouvrage intitulé Sorry States : Apologies in International Politics, Jennifer Lind
souligne l’ambivalence des excuses en politique étrangère : porteuses dans certains
cas, elles se révèlent contre-productives dans d’autres [53]. Qu’en est-il dans le
cadre de la politique africaine de la Belgique ? Entre 1999 et 2004, l’assomption
critique de l’héritage colonial semble avoir apaisé la charge affective liée au passé.
Pour Louis Michel, « la reconnaissance d’une faute » et « l’aveu » des autorités
belges devaient constituer « un premier pas vers la réparation » [54]. Qu’en ont
pensé ses interlocuteurs ? À Kigali, le pouvoir et les associations de rescapés ont
salué ces démarches comme des « actes de courage » [55]. À Kinshasa, l’écho est
identique. Alors qu’à Bruxelles, le rapport final de la commission Lumumba est
considéré comme ambigu, fruit d’un compromis à la belge « gênant parce que trop
consensuel » et finalement « vague » [56], la presse congolaise souligne le courage
et la volonté politique de la Belgique. Le Palmarès est plus qu’enthousiaste : « Cette
repentance de la Belgique mettra fin aux relations parfois bonnes, parfois tendues
qui ont caractérisé Kinshasa et Bruxelles, pour enfin partir d’un bon pied dans
l’avenir ». Le Journal du vendredi précise que le rapport de la commission « a permis
au monde entier de connaître les vérités sur l’une des pages les plus sombres de
l’histoire de la RDC » [57]. Selon Jean-Marie Vianney, ancien journaliste congolais et
porte-parole du Forum de réflexion pour l’avenir du Congo, « l’histoire
sentimentale entre Congolais et Belges, nous l’accordera : depuis les temps des
colonies, l’équipe de Guy Verhofstadt est la première qui ait osé avouer, sans
incantations ni circonlocutions, la responsabilité de son pays dans la bouteille à
encre congolaise » [58]. L’un des représentants de la famille va jusqu’à évoquer les
victimes belges de l’indépendance : « La vérité est un pansement qui n’effacera
jamais les douleurs de la perte d’un mari, d’un père, d’un frère, d’un parent, d’un
ami. Cela vaut aussi pour mes amis belges qui ont perdu un mari, un père, un frère,
un parent, un ami dans ces événements regrettables » [59].
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La politique africaine de la Belgique : entre génuflexion et injonctions - raison-publique.fr 8/02/14 22:51
Notes
[1] Bruxelles, le 8 mai 2007. Pour plus de précisions, voir le rapport du Ceges (Centre d’étude et de
documentation Guerre et Société contemporaine) commandé par le gouvernement, voir Rudi Van
Doorslaer et al. (dir.), La Belgique docile, Bruxelles, Éditions Luc Pire, 2007.
[2] Ces propos visent les excuses présentées par Patrick Janssens, bourgmestre (maire) d’Anvers, le 28
octobre 2007 à la communauté juive de Belgique pour l’attitude de l’administration et de la police de sa
ville durant la Seconde Guerre mondiale. Deux jours plus tard, au vu de l’indignation déclenchée par sa
réaction, le président du parti nationaliste N-VA (Nieuw-Vlaamse Alliantie) présente lui-même des
excuses aux représentants des milieux juifs anversois.
[3] Voir Laurent Licata & Olivier Klein, « Regards croisés sur un passé commun : anciens colonisés et
anciens coloniaux face à l’action belge au Congo », dans Margarita Sanchez-Mazas & Laurent Licata,
L’Autre. Regards psychosociaux, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2005, p. 241-277.
[4] Adam Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold : un holocauste oublié, Paris, Belfond, 1998.
Rappelons que, de 1885 à 1908, l’État indépendant du Congo (E.I.C.) est une possession personnelle du
roi Léopold II. Ce n’est qu’à partir de 1908 et, dans une grande mesure, sous la pression internationale
que le Congo devient officiellement une colonie belge. L’exploitation systématique de la main d’oeuvre
congolaise est, déjà à l’époque, l’objet d’une campagne de protestation de grande envergure.
[5] Pour Sabine Cornélis, historienne au Musée royal de l’Afrique centrale, la qualification de Léopold II
comme génocidaire faisant de son État le laboratoire des horreurs du XXe siècle paraît tout aussi
réductrice que l’héroïsation de son personnage. Cette contre-image résulte, selon elle, d’une confusion
entre spéculation sur une matière première, froide et déshumanisée quant à ses effets, et projet
génocidaire délibéré et planifié » (Louvain-la-Neuve, 17 mars 2008).
[6] Intitulé White King, Red Rubber, Black Death, le documentaire du Britannique Peter Bate est diffusé
les 1er et 8 avril 2004 sur les chaînes télévisées flamande (VRT) et francophone (RTBF) du pays.
[7] Michel Dumoulin, Léopold II, un roi génocidaire ?, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2005.
[10] Sur le plan culturel, l’exposition « Congo : le temps colonial » organisée par le Musée royal de
l’Afrique centrale de Tervueren confronte pour la première fois, en 2005, le regard de spécialistes
belges et congolais. Dans un registre plus caustique, le théâtre bruxellois de la place des Martyrs
présente la même année un spectacle inspiré du Kings Leopold’s Soliloquy écrit en 1905 par le
journaliste et pamphlétaire Mark Twain. Ajoutons enfin qu’après la condamnation de la commission
britannique pour l’égalité raciale, l’album Tintin au Congo est également mis au banc des accusés dans
le pays natal d’Hergé. Le 23 juillet 2007, un Congolais étudiant en Belgique porte plainte et réclame la
fin de la vente de l’ouvrage.
[12] Pierre Mertens, « Le pays qui ne s’aimait plus », Le Monde, 6 décembre 2007.
[13] Louis Michel, « La nouvelle politique étrangère belge entre diplomatie et éthique », Louvain-la-
Neuve, 28 septembre 2000.
[14] Voir Antoon Van Den Braembussche, « The Silence of Belgium : Taboo and Trauma in Belgian
Memory », Yale French Studies, 2002, n° 102, p. 43-46.
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[16] Jean-Luc Vellut, « La Belgique et la préparation de l’indépendance », dans Olivier Lanotte et al.
(dir.), La Belgique et l’Afrique centrale de 1960 à nos jours, Bruxelles, Grip, 2000, p. 90-91, cité par
Stéphanie Planche, « La Belgique et l’indépendance du Congo », art. cit.
[17] Elikia M ‘Bokolo, « Afrique centrale : le temps des massacres », dans Marc Ferro (dir.), Le Livre noir
du colonialisme : XVIe-XXIe siècles, de l’extermination à la repentance, Paris, Hachette littératures,
2004, p. 577.
[18] Cité par Rony Brauman & Eyal Sivan, Éloge de la désobéissance. À propos d’« un spécialiste », Adolf
Eichmann, Paris, Éditions du Pommier, 1999, p. 53.
[19] La République démocratique du Congo est l’unique ancienne colonie belge au sens strict du terme,
le Rwanda et le Burundi étant d’anciens territoires sous mandat.
[20] Voir Laurent Dumoulin, Ulysse Lumumba, Mons, Talus d’approche, 2000, p. 14.
[23] Ibid.
[24] Ibid.
[28] Ibid.
[29] Voir entre autres Michael Marrus, « Official Apologies and the Quest for Historical Justice », Journal
of Human Rights, 2007, vol. 6, p. 75-105 et Antoine Garapon, Peut-on réparer l’histoire ? Colonisation,
esclavage, Shoah, Paris, Odile Jacob, 2008.
[30] « La nouvelle politique étrangère de la Belgique », Note de Politique étrangère, 3 décembre 1999.
[35] Le financement de cette Fondation s’élève à 3 750 millions d’euros, avec une subvention annuelle
de 500 000 euros. La famille Lumumba est associée à sa gestion.
[42] La Libre Belgique, 22 octobre 2004. Quelques mois plus tard, au retour d’une autre visite au
Congo, ce sont les journalistes belges qui titrent : « Karel au Congo » (Het Laatste Nieuws et
Nieuwsblad, 18 février 2005).
[44] Sur l’imbrication des relations belgo-congolaises dans les rapports intercommunautaires belges,
voir Gauthier de Villers, « Histoire, justice et politique », dans Bogumil Jewsiewicki (dir.), « Réparations,
restitutions, réconciliations », Cahiers d’études africaines, 2004, XLIV, 173-174, p. 193-220.
[46] Ibid.
[53] Jennifer Lind, Sorry States : Apologies in International Politics, Ithaca, Cornell University Press,
2008.
[57] Journaux du 7 février 2002, cités par Philippe Raxhon, Le Débat Lumumba. Histoire d’une
expertise, Bruxelles, Labor – Espace de Libertés, 2002, p. 89.
[59] Cité par Philippe Raxhon, Le Débat Lumumba, op. cit., p. 87.
[63] « La nouvelle politique étrangère de la Belgique », Note de Politique étrangère, 3 décembre 1999.
[64] Ibid.