9782070364503

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Henri Wesseling

Les empires
coloniaux
européens
1815-1919
Traduit du néerlandais
par Patrick Grilli

Gallimard
Ouvrage publié avec le soutien de la Fondation
pour la production et la traduction
de la littérature néerlandaise.

L'édition d'origine de cet ouvrage a paru à Harlow, traduit


du néerlandais, chez Pearson Education Limited, sous le titre
The European Colonial Empires 1815-1919 en 2004.
Toutefois, cette histoire n'incluait pas l'histoire de l'Empire
britannique. Cette dernière a été intégrée à l'édition néerlan-
daise de l'ouvrage publiée aux Éditions Bert Bakker, à Amster-
dam, sous le titre Europa's koloniale eeuw. De koloniale rijken
in de negentiende eeuw, 1815-1919 (2003). C'est cette édition
qui a été traduite en français.

© Pearson Education Limited, 2004.


© Éditions Gallimard, 2009, pour l'édition en langue française.
Professeur d'histoire contemporaine et fondateur de l'Ins-
titut pour l'histoire de l'expansion européenne à l'univer-
sité de Leyde, Henri Wesseling, qui a été chercheur à l'École
pratique des Hautes Études aux côtés de Henri Brunschwig
et à l'Institute for Advanced Study de Princeton, a publié
de nombreux ouvrages sur la colonisation en Afrique et
en Asie. Il est membre de l'Académie royale néerlandaise,
de l'Académie royale belge des sciences d'outre-mer et de
l'Academia Europaea.
Préface à l'édition française

« Toute histoire est une histoire contemporaine »,


affirme le philosophe Benedetto Croce, pour qui
chaque historien aborde le passé en posant des ques-
tions et selon des points de vue qui lui sont contem-
porains. Dans son livre Napoleon : For and Against,
l'historien néerlandais Pieter Geyl écrit semblable-
ment que l'histoire est un débat qui jamais ne se clôt1.
La chose est devenue une évidence, chez les histo-
riens du moins. Rien ne l'illustre mieux que les ou-
vrages sur la Révolution française ou sur les causes
de la Première Guerre mondiale : les interprétations
historiques en varient au cours des époques. Cela
vaut aussi et dans une large mesure pour l'histoire
coloniale.
En 1933, Gabriel Hanotaux – il fut ministre des
Colonies et des Affaires étrangères dans les années
1890 et rédigea au cours des années 1930 une his-
toire des colonies françaises – affirme : « En occupant
Alger la France remplissait la mission que la Pro-
vidence et l'Histoire lui avait confiée. Et ce fut de
nouveau une de ces belles aventures à la française :
l'attirance de l'inconnu, la joie du risque, du sacrifice,
le déploiement du courage individuel, le désintéres-
sement dans le dévouement, l'élan de la création
généreuse et éducatrice. Conquête généreuse : pas
un marchand2 ! » On ne saurait mieux exprimer le
point de vue colonial sur cette histoire. De même, ce
point de vue fut exprimé trente ans plus tard dans le
discours que Baudouin, le roi des Belges, prononça
le 30 juin 1960, date où l'ancien Congo belge obtint
son indépendance : « L'indépendance du Congo cons-
titue l'aboutissement de l'œuvre conçue par le génie
du roi Léopold II, entreprise par Lui avec un cou-
rage tenace et continuée avec persévérance par la
Belgique. (...) Pendant 80 ans, la Belgique a envoyé
sur votre sol les meilleurs de ses fils. (...) En ce moment
historique, notre pensée à tous doit se tourner vers
les pionniers de l'émancipation africaine et vers ceux
qui, après eux, ont fait du Congo ce qu'il est au-
jourd'hui. Ils méritent à la fois, notre admiration
et votre reconnaissance, car ce sont eux qui, consa-
crant tous leurs efforts et même leur vie à un grand
idéal, vous ont apporté la paix et ont enrichi votre
patrimoine moral et matériel3. »
Un tout autre point de vue sur le passé colonial se
fit entendre dans le discours que prononça ensuite le
premier Premier ministre de la République du Congo,
Patrice Lumumba : « Nous avons connu que la loi
n'était jamais la même selon qu'il s'agissait d'un
Blanc ou d'un Noir : accommodante pour les uns,
cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons
connu qu'il y avait dans les villes des maisons magni-
fiques pour les Blancs et des paillotes croulantes pour
les Noirs, qu'un Noir n'était admis ni dans les cinémas,
ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits eu-
ropéens ; qu'un Noir voyageait à même la coque des
péniches, aux pieds du Blanc dans sa cabine de luxe.
Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de
nos frères, les cachots où furent brutalement jetés
ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime
d'une justice d'oppression et d'exploitation (applau-
dissements). Tout cela, mes frères, nous en avons pro-
fondément souffert. Mais tout cela aussi est désormais
fini4. »
On pourrait simplement mettre ces deux discours
en parallèle et les considérer comme des perceptions
coloniale et anticoloniale d'un même passé, ce qu'ils
constituent en effet. Mais il y a plus, car dans les
années cinquante le même Patrice Lumumba avait
exprimé des opinions fort différentes et exposé une
tout autre manière de percevoir les rapports colo-
niaux : « À ceux qui ne veulent voir dans la coloni-
sation que le mauvais côté des choses, nous les prions
de faire une balance entre le bien réalisé et le mal
pour voir ce qui l'emporte. La délivrance de cette
traite odieuse que pratiquaient de sanguinaires Arabes
et leurs alliés – ces malandrins dépourvus de tout
sentiment humain qui ravageaient le pays, à qui la
devons-nous ? (...) Par un idéalisme humanitaire très
sincère, la Belgique nous vint en aide et, avec l'aide
de vigoureux combattants indigènes, elle parvint à
chasser l'ennemi, à enrayer la maladie, à nous ins-
truire, à faire disparaître de nos murs des usages peu
humains, à nous rendre notre dignité humaine, à faire
de nous des hommes libres, heureux, rigoureux, des
civilisés. (...) Tout homme réellement humain et rai-
sonnable doit témoigner de la reconnaissance et
s'incliner avec respect devant l'œuvre grandiose réa-
lisée dans ce pays au prix d'incalculables sacrifices
matériels et humains . « Tout comme Lumumba, nul
5

historien ou homme politique belge ne ferait aujour-


d'hui le même bilan idyllique de l'action de Léopold II
que celui que le roi belge dressa en 1960.
Ce qui vaut pour la France et pour la Belgique
vaut aussi pour la Hollande. Le gouverneur général
des Indes néerlandaises, le général J.B. van Heutsz,
fut en son temps glorifié en tant que grand militaire
et héros colonial. On érigea en son honneur un im-
pressionnant monument à Amsterdam. Cependant
ce monument ne porte plus aujourd'hui le nom de
van Heutsz, il a été rebaptisé « Monument des Indes
néerlandaises, 1596-1949 » et le buste du général van
Heutsz a disparu.
De tout cela, que conclure sinon que c'est moins la
différence entre la position du colonisateur et celle
du colonisé qui détermine la façon de considérer le
passé que les changements que subit l'esprit du
temps. Cela ne veut pas dire pour autant que l'his-
toire, pour reprendre le mot célèbre de Fontenelle,
ne soit qu'une « fable convenue » et que chaque point
de vue en vaille un autre. L'histoire repose sur des
faits, à tel point que les premiers historiens positi-
vistes souhaitaient disparaître de leurs œuvres pour
ne laisser parler que les faits. Mais les faits ne sau-
raient parler. En revanche, ils possèdent un pouvoir
de contradiction. L'idée que l'activité de Léopold II
à la tête de l'État libre du Congo fut une bénédiction
pour l'humanité ne peut plus se défendre. Les faits
rendent une telle interprétation impossible. À cet
égard, force est de constater que la science histo-
rique a progressé.
Les idées actuelles sur le colonialisme montrent
assez combien l'esprit du temps s'est modifié. Il reste
très peu de chose de la foi inébranlable dans la
vocation de l'Occident, dans les bienfaits que le colo-
nialisme a apportés aux peuples de couleur et la
reconnaissance qu'ils lui en doivent. Nous exerçons
une critique plus sévère envers nous-mêmes. Le motif
principal de l'intérêt personnel a supplanté celui du
dévouement apostolique. Domine le sentiment de
culpabilité devant les bénéfices obtenus grâce à l'ex-
ploitation des colonies.
Les différences entre les évaluations coloniales et
postcoloniales sont par conséquent très grandes.
Cependant une analogie subsiste : que l'on considère
le colonialisme comme porteur de civilisation ou
comme une forme d'abus et la cause des problèmes
au sein des anciennes colonies, dans les deux cas
chacun part du principe que l'influence du colonia-
lisme a été considérable. On pourrait parler d'une
école maximaliste. Néanmoins il existe également,
notamment dans l'historiographie asiatique, une école
minimaliste qui estime que l'influence de l'expansion
occidentale sur les civilisations asiatiques séculaires
est extrêmement réduite. Ces civilisations présen-
taient une plus grande stabilité et étaient plus im-
pénétrables qu'on l'avait imaginé. « Un château de
sable », c'est ainsi qu'on a pu résumer un jour le
résultat de plusieurs siècles de colonialisme néer-
landais en Indonésie. Nul historien ne défend encore
la thèse que les peuples d'outre-mer ne furent que
les victimes apathiques des maîtres coloniaux. On
souligne aujourd'hui fortement combien les puis-
sances coloniales européennes, au plus fort de l'âge
d'or du colonialisme, restèrent dépendantes de la
collaboration des peuples colonisés.
Cela ne signifie pas pour autant que l'expansion
européenne prise dans son ensemble ait été un phé-
nomène marginal. Au contraire, elle n'a pas édifié
un « château de sable » mais elle a laissé des traces
indélébiles. La profondeur de ces traces et l'impor-
tance de leurs conséquences ne pourront être mesu-
rées qu'au prix de recherches comparatives sérieuses.
L'histoire coloniale se heurte ici à un problème
d'importance : si le colonialisme fut un phénomène
mondial, il fut exercé par des pays aux méthodes
et aux traditions très variées. Seule une approche
comparative des diverses puissances coloniales peut
parvenir à mettre au jour les ressemblances et les
différences entre celles-ci et par conséquent à com-
prendre le colonialisme lui-même. C'est cette approche
qui sous-tend ce livre.

Le premier enseignement de l'approche compa-


rative est bien qu'au XIX siècle, si nombre de pays
e

européens possédèrent alors des colonies, parler


d'empires coloniaux dans tous les cas est peut-être
un peu excessif. En 1815, il ne restait déjà plus
grand-chose de l'empire mondial espagnol naguère
si grandiose et en 1914 il n'en subsistait presque plus
rien. Après la perte du Brésil, les possessions portu-
gaises furent limitées principalement à l'Afrique.
Elles étaient relativement vastes mais ne revêtaient
pas un très grand intérêt. L'Allemagne et, dans une
mesure encore plus importante, l'Italie connurent une
situation similaire. L'empire colonial de la Belgique
ne se composait que d'une seule colonie, si immense
fût-elle comparée à la petite métropole.
S'agissant des Pays-Bas, en revanche, on peut par-
ler à bon droit d'empire colonial. Les possessions
coloniales néerlandaises s'étendaient toujours – ce
serait du moins le cas jusqu'en 1872 – sur trois
continents ; toutefois les Indes néerlandaises étaient
de loin la plus importante de ces possessions, voire
en réalité la seule colonie vraiment importante. Au
cours de ce siècle, la France se dota d'un nouvel
empire colonial qui, avec ses dix millions de kilo-
mètres carrés, peut prétendre légitimement au titre
d'imperium. L'Empire russe s'étendait sur une super-
ficie bien plus vaste encore mais la question demeure
de savoir jusqu'à quel point, dans son cas, l'expression
« empire colonial » est pertinente. Le seul véritable
empire colonial à l'échelle mondiale était l'Empire
britannique.
Beaucoup de ces empires ne virent le jour qu'au
XIX
e
siècle. Le Congo belge avait son origine dans
l'État indépendant du Congo fondé par le roi des
Belges Léopold II et qui avait été reconnu par la
communauté internationale en 1884-1885. Durant
ces mêmes années se constituèrent les empires colo-
niaux allemand et italien. Les colonies françaises
furent, elles aussi, acquises en grande partie au cours
des années 1880 et suivantes. En cette fin de XIX siècle,
e

des pays non européens tels que le Japon et les États-


Unis participaient également à la compétition colo-
niale. Ainsi prit fin le monopole colonial de l'Europe.
Aussi le XIX siècle peut-il être appelé avec juste rai-
e

son le « siècle colonial de l'Europe », même si les


empires coloniaux européens n'atteignirent leur plus
grande envergure qu'au XX siècle avec le partage
e

des reliquats de l'empire ottoman lors de la confé-


rence de la paix de 1918-1919. Hormis l'annexion de
l'Éthiopie par l'Italie mussolinienne en 1936, plus
aucune mutation territoriale majeure ne surviendrait
après 1918-1919.
Je traite de la conquête, de l'occupation, de l'orga-
nisation et de l'exploitation des colonies européennes,
ainsi que des sociétés qui s'y formèrent. L'étude
des empires coloniaux européens doit restituer les
grandes différences entre les possessions coloniales
européennes à presque tout point de vue. Leur super-
ficie était éminemment variable puisqu'il n'y avait
rien de commun entre Saba, île caraïbe minuscule,
et l'immense colonie du Congo belge. Il en allait de
même de leur population dans la mesure où s'il y
avait des régions désertiques quasi inhabitées, il y
avait également des îles d'une densité de population
extrême comme Bali et Java. Il existait en outre de
très profondes disparités entre elles sur les plans
culturel, religieux et linguistique et en ce qui concer-
nait leur niveau de développement. Seul leur climat
n'était pas très différent car il s'agissait presque tou-
jours, à l'exception des colonies d'implantation bri-
tanniques comme le Canada et l'Australie, de régions
tropicales ou subtropicales.
Je n'examinerai pas en profondeur les implanta-
tions britanniques. En un certain sens, elles furent
pourtant des véritables colonies au sens premier du
terme, c'est-à-dire des peuplements. Elles étaient liées
à la métropole par la langue et la culture. En outre,
elles se dotèrent très tôt de plusieurs formes d'auto-
nomie. L'élément de la domination étrangère, si essen-
tiel à la relation coloniale, fait donc défaut dans leur
cas. C'est la raison pour laquelle ces colonies sortent
en grande partie du cadre de ce présent ouvrage qui
s'attachera seulement à décrire leur genèse.
Les peuples et les régions traités ici n'ont quasi-
ment pour seul point commun que le fait d'avoir été,
sous une forme ou une autre, pendant une courte ou
une longue période, sous administration européenne.
Cet aspect, l'aspect colonial, doit dès lors occuper
une place centrale dans mon propos. Quiconque
s'intéresse à l'histoire intérieure de ces régions doit
plutôt se tourner vers les nombreux ouvrages, volu-
mineux et sérieux, consacrés à l'histoire de l'Asie, de
l'Afrique et des Caraïbes – ou de parties de ces
régions –, qui ont paru au cours des vingt à trente
dernières années. Cette histoire intérieure ne sera
évoquée ici que comme toile de fond du récit.
Abstraction faite du cas britannique, il n'est pas
habituel de considérer tout le XIX siècle comme un
e

siècle impérial. Il est plutôt d'usage d'établir une


distinction entre, d'une part, une première période
non coloniale et, d'autre part, la période de l'impé-
rialisme moderne qui correspond grosso modo aux
années 1870-1914. J'aborderai plus en détail au cha-
pitre III la question de la justesse de cette distinction
et la signification du concept d'impérialisme. Toute-
fois, la subdivision en chapitres du présent ouvrage
montre déjà qu'aux yeux de son auteur cette périodi-
sation est bien pertinente.
Il est en effet difficile de nier que, même après le
long débat historiographique consacré à cette ques-
tion depuis les années 1960, la période 1870-1914 ne
puisse être considérée comme une période particu-
lière. Un certain nombre de développements néan-
moins doivent être considérés dans la perspective
temporelle plus longue du XIX siècle. Voilà pourquoi
e

ce livre commence, après une introduction évoquant


les origines (de 1492 à 1815) par un long chapitre
consacré à tout le siècle où sont abordés des thèmes
généraux tels que les évolutions dans les domaines
de la démographie, de l'économie, de l'administra-
tion et des idées. Le chapitre II traite ensuite de la
première moitié du XIX siècle, jusqu'à 1870, puis est
e

abordée l'ère de l'impérialisme moderne. Le dernier


chapitre, enfin, analyse les aspects coloniaux de la
Première Guerre mondiale et du traité de Versailles.
Je traite des colonies d'un grand nombre de pays
européens qui ont tous une histoire et une historio-
graphie qui leur sont propres. Ces colonies se situaient
sur trois continents (Asie, Afrique et Amérique) qui
ont également une histoire et une historiographie
spécifiques et qui diffèrent beaucoup l'une à l'autre.
Un tel ouvrage ne repose évidemment pas – ou à
titre tout à fait exceptionnel – sur une étude person-
nelle des sources. Il est fondé sur le travail titanesque
accompli avant comme après la décolonisation par
quantité d'historiens européens mais aussi asia-
tiques, africains et américains.
Il est inévitable que l'auteur d'un livre comme
celui-ci soit plus familiarisé avec certains pays et
certaines régions qu'avec d'autres. Pour ma part, je
me suis surtout occupé, au cours de ces vingt-cinq
dernières années, des aspects généraux de l'expan-
sion européenne et, plus particulièrement, de l'impé-
rialisme moderne. Le sujet avec lequel je suis le plus
familiarisé est l'impérialisme européen en Afrique ;
je lui ai consacré une étude approfondie et publiée
dans cette même collection : Le Partage de l'Afrique,
1880-1914. Ce sujet est également abordé dans le
présent ouvrage, quoique beaucoup plus succinc-
tement, et les passages y ayant trait sont évidemment
inspirés, pour une part importante, de cette étude.
Qu'il me soit permis de remercier mes collègues
Wim van den Doel, Piet Emmer, John Kleinen, Dirk
Kolff, Leo van Maris, Herman Obdeijn et Robert
Ross pour leurs observations et corrections. Je porte
bien sûr l'entière responsabilité des erreurs éven-
tuelles qui entacheraient ce livre.

HENRI WESSELING

Leyde, 2009.
CARTES
Les possessions européennes dans les Caraïbes au XIX
e
siècle
L'Océanie
L'empire colonial britannique
L'Afrique vers 1914
INTRODUCTION

L'expansion de l'Europe, 1492-1815

La découverte de l'Amérique, et celle d'un


passage aux Indes par le cap de Bonne-Espé-
rance sont les deux plus grands et plus impor-
tants événements advenus dans l'histoire du
monde.
ADAM SMITH, Recherches sur la nature
et les causes de la richesse des nations.

LE COMMENCEMENT

L'expansion de l'Europe commence à la fin du


XV
e
siècle. Christophe Colomb « découvre » alors l'Amé-
rique en 1492 et Vasco de Gama parvient en Asie
en 1498. Aujourd'hui, nous mettons l'expression « la
découverte de l'Amérique » entre guillemets, non pas
tant parce que l'Amérique avait déjà été explorée
antérieurement par des Européens – des marins
groenlandais originaires de Norvège peu avant l'an
1000 – que parce que l'idée d'une « découverte » de
l'Amérique par l'Europe ne nous agrée plus. Ce mot
suggère en effet que l'Amérique n'existait pas avant
d'être « découverte » par l'Europe et que l'histoire
de cette région du monde ne commença vraiment
qu'alors. Il n'en est rien. Aujourd'hui, les historiens
sont plus conscients qu'autrefois de l'importance de
l'époque précolombienne – notion qui est d'ailleurs
elle-même européocentriste – et des effets néfastes
que la « découverte » et la conquête subséquente de
l'Amérique ont produits sur les premiers habitants
de ce continent. L'on ne dira jamais assez, cependant,
combien cet événement fut crucial et 1492 demeure
l'année la plus importante de l'histoire de l'expan-
sion européenne.
Les explorations européennes durant les années
1490 n'étaient pas impromptues. Elles avaient été
précédées d'autres expéditions. Les Portugais avaient
déjà exploré les côtes d'Afrique occidentale, accostant
aux Açores dès 1431. Dans le cadre de leur Recon-
quista séculaire, du refoulement des occupants arabes
de la Péninsule, les Espagnols s'étaient emparés de
territoires en Afrique du Nord. Ces présides espa-
gnols, Ceuta et Melilla, étaient les premières im-
plantations européennes en Afrique depuis l'Empire
romain et ce sont les seules qui existent encore au-
jourd'hui. Mais ces événements paraissent mineurs
en regard des répercussions qu'eurent les expédi-
tions de Christophe Colomb et Vasco de Gama.
Il ne viendrait également à l'idée de personne de
soutenir que Vasco de Gama découvre l'Asie en 1498.
Son expédition revêt une importance exceptionnelle
dans la mesure où elle ouvre une nouvelle voie d'accès,
maritime, vers l'Asie avec laquelle l'Europe entre-
tenait déjà des relations depuis des temps immé-
moriaux. Les guerres qui opposèrent les Perses et les
Grecs au Ve siècle av. J.-C. en témoignent. En 362
avant notre ère, Alexandre le Grand amena ses troupes
jusqu'à l'Indus. Depuis lors, l'Europe et l'Asie ne
cessèrent jamais de rester en contact. L'itinéraire
terrestre vers l'Extrême-Orient, la fameuse route de
la soie, en fut l'illustration la plus connue. Il n'en
demeure pas moins qu'en contournant le cap de
Bonne-Espérance et en poursuivant sa route vers
l'Asie Vasco de Gama accomplit une action qui revê-
tira une importance immense pour l'Europe aussi
bien que pour l'Asie. L'historien indien K.M. Panikkar
parle avec raison de « la période Vasco de Gama
dans l'histoire de l'Asie1 ». L'expansion européenne
en Asie, commencée modestement par des contacts
commerciaux, aboutira finalement à l'hégémonie
coloniale de l'Europe dans presque toute l'Asie du
Sud et du Sud-Est. En 1914, des centaines de millions
d'Asiatiques en Inde, en Indonésie, en Indochine et
ailleurs seront assujettis au pouvoir européen.
L'expansion européenne n'était pas un cas unique
dans l'histoire mondiale. Les Assyriens et les Romains
avaient fondé bien plus tôt de vastes empires. L'ex-
pansion arabe n'avait pas été moins spectaculaire.
Au VII siècle, les disciples du Prophète avaient essaimé
e

sur les côtes de la Méditerranée, soumis l'Afrique


du Nord puis gagné l'Europe. Leur invasion n'était
arrêtée qu'en 732, lors de la bataille de Poitiers. Il
faudrait attendre plus de sept cents ans avant qu'ils
ne fussent chassés de la presqu'île Ibérique. La chute
du califat de Grenade, qui marqua la fin de la Recon-
quista, eut lieu en 1492, la même année, donc, que la
découverte de l'Amérique.
À l'expansion arabe avait succédé l'expansion otto-
mane. L'empire ottoman ou plutôt l'empire des Os-
manlis, doit son nom à son fondateur, Osman I , qui
er

fonda au XIII siècle un État indépendant en lisière


e

de l'empire byzantin. L'expansion turque s'orienta


essentiellement vers l'ouest et atteignit son apogée
en 1453 avec la conquête de Constantinople. Ainsi
furent jetées les bases du grand empire ottoman qui
finirait par s'étendre, en Europe, jusqu'à Vienne et,
en Afrique du Nord, jusqu'au Maroc. L'expansion de
cet empire au Moyen-Orient eut lieu principalement
sous Sélim I (1512-1520). La gloire ottomane fut à
er

son zénith sous son successeur, Soliman le Magnifique


(1520-1566), dont le prestige vint de ses conquêtes,
de ses qualités militaires et de ses talents d'admi-
nistrateur et de législateur. Constantinople comptait
alors une population que l'on estime entre 600 000
et 750 000 habitants, ce qui en faisait de loin la plus
grande ville d'Europe et l'une des plus grandes villes
du monde.
L'avènement et l'essor de l'empire ottoman ad-
viennent au XVIe siècle, alors que s'amorce l'expansion
européenne mais que s'achève une autre expansion :
celle de la Chine. En 1368, la dynastie Ming était
arrivée au pouvoir à la suite de l'effondrement gra-
duel du pouvoir mongol dans le sud de la Chine. Des
rivalités qui en résultèrent entre les chefs rebelles,
Zhu Yuanzhang, le fondateur de la dynastie Ming,
sortit vainqueur. La capitale fut d'abord établie à
Nankin mais, en 1409, la cour se transporta à Pékin
qui devint la capitale officielle en 1421.
La Chine, pays très vaste, était très peuplée. Les
données démographiques ne sont pas d'une parfaite
fiabilité mais, selon le recensement officiel de 1393,
la Chine comptait alors soixante millions d'habi-
tants ; toutefois, la plupart des experts estiment que
le chiffre réel de la population était beaucoup plus
élevé. Sous la dynastie Ming, ce chiffre fit plus que
doubler. L'extension des terres agraires et l'introduc-
tion de nouvelles variétés de riz firent croître nette-
ment la production agricole. Les grandes villes comme
Nankin, Pékin et, plus tard, Canton étaient d'une taille
supérieure aux capitales européennes. Outre l'agri-
culture, l'activité de l'industrie de la soie et du coton
était considérable. Le commerce était surtout floris-
sant dans les provinces côtières du Sud. Le niveau
de la science et de la technique était plus élevé qu'en
Europe. Parmi les inventions et les innovations chi-
noises, figurent au premier chef le papier, la poudre
à canon, la presse à imprimer et la boussole.
La navigation chinoise prospérait. Les navires et
les procédés de navigation chinois n'avaient rien à
envier à ceux de l'Ancien Continent. Au contraire, la
jonque – mot portugais dérivé du terme javanais
signifiant « navire », ajong – était un excellent voilier.
Les cargos chinois jaugeaient 1 500 tonneaux et
davantage ; leur capacité dépassait donc de loin celle
des cargos européens. Des centaines de bateaux
naviguaient sur les fleuves de Chine et le long de ses
côtes continentales. Au début du XV siècle, les Chi-
e

nois entreprirent pas moins de sept grandes expédi-


tions dans l'océan Indien et l'archipel indonésien.
La première flotte qui s'aventura dans une telle expé-
dition sous la direction de l'amiral Tcheng Ho en 1405
se composait de 317 bâtiments qui avaient à leur
bord 28 000 hommes. Les jonques chinoises explo-
rèrent de grandes parties de l'Asie. Quand Vasco de
Gama contourna vers l'est le cap de Bonne-Espé-
rance, les Chinois avaient déjà découvert les côtes de
l'Afrique orientale d'où ils avaient ramené une girafe
pour leur empereur. Mais ces activités maritimes
firent long feu. La Chine était et demeurerait une
puissance terrestre qui veillait en priorité à sécu-
riser ses frontières. Toutes ces expéditions coûteuses
avaient en outre grevé lourdement le Trésor public et
une lutte d'influence s'était engagée entre les manda-
rins, qui répugnaient au commerce, et les eunuques
qui avaient organisé ces odyssées navales. Aussi
l'empereur décida-t-il de mettre un terme à l'aventure
de l'outre-mer. La construction navale fut interdite
et, à partir de 1551, prendre le large avec un bateau
de plus d'un mât fut passible de sanctions. C'est ainsi
qu'au moment précis où l'expansion européenne
s'amorça la China cessa ses activités d'outre-mer.
Plusieurs facteurs expliquent les différences entre
l'expansion de l'Europe et celle de la Chine. D'abord
leurs motivations n'étaient pas les mêmes : la ferveur
religieuse et la cupidité qui poussèrent les Européens
à faire route vers les pays d'outre-mer, ainsi que la
curiosité européenne, faisaient défaut dans le cas de
la Chine. De surcroît les Chinois n'avaient aucune
raison d'aller en Europe. Les Européens convoi-
taient les trésors de l'Orient tels que les produits de
luxe et les épices, que les Chinois, pour leur part,
avaient à portée de main.
Mais il est une différence tenue pour essentielle
par les historiens : l'Europe, contrairement à la Chine,
n'avait pas un seul souverain. Certes, il y avait un
empereur, celui du Saint Empire romain germa-
nique, mais son pouvoir impérial était en fait très
limité. Élu par les princes-électeurs allemands et
sacré empereur par le pape, l'empereur, depuis 1438,
avait toujours été issu de la maison d'Autriche. À la
suite de divers héritages, Charles Quint (1500-1558)
cumula la fonction de souverain autrichien, et donc
aussi celle d'empereur allemand, et de souverain
de quelques autres territoires encore, avec celle de
roi d'Espagne. Grâce aux découvertes de Christophe
Colomb et aux conquêtes des conquistadors, il régna
également sur l'Amérique. Son empire était le plus
grand qui eût jamais existé et aussi le premier où
le soleil ne se couchait jamais. Toutefois, le pouvoir
qu'exerçait l'empereur sur les régions qu'il ne gou-
vernait pas directement était plus symbolique que
réel et, après l'abdication de Charles Quint en 1555,
l'empire des Habsbourg fut divisé. Il se scinda en
une branche autrichienne et une branche espagnole
dont les intérêts dynastiques n'étaient plus communs.
Semblablement, les rois de France fondèrent eux aussi
une monarchie puissante et s'opposèrent avec succès
au pouvoir des Habsbourg. Les Pays-Bas se révol-
tèrent en 1568 et accédèrent de fait à l'indépendance
vers 1600. L'Angleterre fut unifiée sous les Tudor.
L'Italie se composait de républiques et de cités indé-
pendantes ainsi que d'un État pontifical, d'autres
parties de la péninsule étant assujetties à l'influence
de la France, de l'Espagne ou de l'Autriche. Bref,
l'Europe se transforma en une série d'États indépen-
dants et rivaux qui s'équilibraient plus ou moins.
Cet équilibre du pouvoir – qui au demeurant ne
fut jamais stable – aboutit assurément à cette inter-
minable série de guerres qui demeure emblématique
de l'histoire moderne de l'Europe mais également, à
la différence de ce qui se passa en Chine, à l'impossi-
bilité pour aucun empereur ni souverain d'arrêter
d'un trait de plume l'expansion européenne. Chaque
pays était maître chez lui et nombreux furent ceux
qui jouèrent un rôle dans le long processus de l'ex-
pansion européenne à la suite des premières expédi-
tions. Au cours des premières années, le centre de
gravité de l'Europe se situait encore dans la région
où il s'était fixé depuis que le mot « Europe » avait fait
son apparition, c'est-à-dire dans le bassin méditerra-
néen. Vasco de Gama était un Portugais et Christophe
Colomb était un Génois au service de la couronne
espagnole, et ce furent l'Espagne et le Portugal qui
prirent l'initiative. Ils jouèrent tous deux un rôle
majeur et spectaculaire, quoique différent. En effet,
après avoir découvert l'Amérique et accosté en Asie
dans les années 1490, les Européens furent devant
un dilemme crucial que Fernand Braudel a bien
résumé : soit l'Europe tirait tout profit de la décou-
verte de Christophe Colomb et jouait l'Amérique,
soit elle décidait de tirer tout profit de la découverte
de la liaison maritime continue par le cap de Bonne-
Espérance, et mettait l'Asie en coupe réglée2.
L'Europe fit les deux mais en appliquant un
système bien particulier de division du travail. Ce fut
surtout l'Espagne, qui comptait alors quelque 7,5 mil-
lions d'habitants, qui peupla et colonisa le Nouveau
Monde. Le petit Portugal, qui ne comptait pas beau-
coup plus d'un million d'habitants, ne disposait pas
du potentiel démographique requis à cet effet. Les
Portugais s'orientèrent essentiellement vers le négoce
avec l'Asie où ils tissèrent un formidable réseau
commercial. En 1494, cette répartition fut entérinée
par le traité de Tordesillas qui divisa le monde en
une sphère d'influence espagnole et une sphère d'in-
fluence portugaise, la frontière entre les deux étant
la « ligne de marcation » formée par le méridien tracé
du pôle aux îles du Cap-Vert : tout territoire découvert
à l'ouest du Cap-Vert, au-delà de 370 lieues, serait
sous domination espagnole. Ainsi, dans l'hémisphère
occidental, le Brésil, ou du moins sa pointe est, fut-il
inclus de justesse dans la sphère d'influence portu-
gaise, le reste étant dévolu à l'Espagne.

e
LE XVII SIÈCLE

Les trésors du Nouveau Monde, l'or et l'argent,


que l'Espagne expédiait par bateau en Europe, susci-
taient la jalousie des Néerlandais qui étaient en
guerre avec ce pays. En 1628, l'amiral néerlandais
Piet Heyn captura la flotte de l'or espagnol, haut fait
qui fut commémoré jusqu'au cœur du XX siècle dans
e

une chanson entonnée dans toutes les écoles des


Pays-Bas. Les Néerlandais enviaient aussi le mono-
pole très lucratif que le Portugal détenait sur le
commerce des épices. Aussi mirent-ils sur pied des
expéditions en Asie. En 1596, une flotille emmenée
par Keyser et de Houtman accosta en rade de
Bantam (l'ancienne Banten). Cet événement marque
le début de trois siècles et demi de présence néerlan-
daise dans l'archipel indonésien. En 1602, les Compa-
gnies néerlandaises d'Orient furent regroupées au
sein d'une entreprise de plus grande taille, la Com-
pagnie néerlandaise des Indes orientales (la VOC),
première multinationale de l'histoire ainsi que la
plus grande puissance d'Asie. La VOC était financée
par des actions émises à la Bourse d'Amsterdam et
gérée par un conseil d'administration de dix-sept
membres connu sous le nom de Conseil des Dix-Sept.
Les États Généraux néerlandais lui attribuèrent le
monopole du commerce en Asie et, en échange, elle
devait y assumer défense et justice. En 1621, fut
fondée également une Compagnie des Indes occi-
dentales (la WIC) dotée pour la zone atlantique d'une
charte comparable.
Le système des compagnies présentait l'avantage
de ne pas faire supporter les frais de gestion à l'État
mais aux négociants, qui faisaient les bénéfices. En
Angleterre, diverses entreprises commerciales d'outre-
mer avaient déjà été créées dans les années 1560
et, en 1600, une East India Company (EIC) y vit
également le jour, dont le quartier général fut établi,
en 1648, à l'East India House, non loin des ports et
des docks de Londres. En 1657, cette entreprise
reçut une charte qui fit d'elle une société de capitaux.
Ses activités étaient essentiellement concentrées sur
l'Inde et la Chine.
Les Français entreprirent des expéditions vers
l'Asie aux environs de 1600 et la Compagnie des
Indes orientales reçut une charte royale. Cependant
cette entreprise fut un fiasco puisqu'elle cessa ses
activités dès 1609. En 1642, fut fondée la Compagnie
de l'Orient qui ne prit jamais son essor non plus et il
fallut attendre l'entrée en fonctions de Colbert en
qualité d'intendant des finances en 1661 pour que
commence une nouvelle ère. Le « colbertisme » devint
le synonyme d'interventionnisme de l'État dans le
commerce et l'économie. À l'initiative de Colbert,
deux compagnies furent fondées en 1664, sur le mo-
dèle néerlandais : une nouvelle Compagnie des Indes
orientales et une Compagnie des Indes occidentales.
La couronne de France fournit un apport considé-
rable à leur capital. Mais ces entreprises firent, elles
aussi, long feu et, à la fin du XVIIe siècle, elles ne
jouaient déjà presque plus aucun rôle.
Des compagnies ayant vocation à faire le commerce
en Asie furent aussi mises sur pied dans d'autres pays
avec des ambitions et une dimension plus modestes.
C'est ainsi qu'au Danemark fut fondée, en 1616, une
Compagnie des Indes orientales au sein de laquelle
des marins néerlandais jouèrent un rôle central. Elle
fut réorganisée plusieurs fois et rencontra un certain
succès. À Ostende, ville qui faisait alors partie des
Pays-Bas autrichiens, la Compagnie générale des
Indes fut créée au début du XVIIIe siècle. Dans l'empire
allemand, le Brandebourg s'activa dans le domaine
du commerce d'outre-mer et sous le Grand Électeur
Frédéric-Guillaume y furent échafaudés des projets
coloniaux qui aboutirent en 1682 à l'avènement de
la Compagnie afrobrandebourgeoise. Celle-ci fut
toutefois un échec et périclita définitivement en 1721.
L'essor des compagnies néerlandaises, anglaises,
françaises et autres s'inscrit dans le grand processus
historique mondial qui s'accomplit au cours du
XVI
e
siècle, à savoir le déplacement du centre de
gravité économique et politique de l'Europe, de la
Méditerranée vers la mer du Nord et l'océan Atlan-
tique. Au XVIIIe siècle, ce processus aboutit à l'hégé-
monie mondiale de l'Angleterre mais, au XVII siècle,
e

rien ne laissait prévoir une telle évolution. À cette


époque-là, en effet, l'entreprise la plus puissante était
la VOC. Elle avait chassé les Portugais de l'archipel
indonésien, s'était emparée du centre de production
des épices, les Moluques, et avait contraint ses habi-
tants à lui fournir des produits d'exportation. Dans
ce contexte, il n'était pas rare qu'elle eût recours à
des méthodes brutales. L'extermination de la popu-
lation de Banda en fut l'illustration la plus sinis-
trement célèbre.
Du reste, la VOC ne se cantonna nullement à l'ar-
chipel indonésien. Elle avait des comptoirs sur les
deux côtes de l'Inde (Malabar et Coromandel), au
Bengale, en Birmanie, en Malaisie, en Indochine et
au Siam, ainsi qu'en Perse et à Surat. Elle régna
quelque temps sur Formose (Taïwan). Elle possédait
aussi une factorerie au Japon : située sur l'île artifi-
cielle de Dejima dans la baie de Nagasaki, elle fut
le seul établissement qui resta ouvert après que le
Japon, en 1640, se fut fermé au commerce occidental
et demeura donc pendant plus de deux cents ans (de
1640 à 1854) le seul endroit où le Japon put entrer
en relation avec l'Occident.
La VOC fonda également une base de ravitaille-
ment pour ses navires au cap de Bonne-Espérance.
Cet établissement donnerait naissance à la colonie du
Cap et jetterait du même coup les bases de la future
domination de l'Afrique du Sud par les Blancs.
Pour ce qui regardait les Pays-Bas, la côte occi-
dentale de l'Afrique relevait de la charte de l'autre
compagnie, la WIC. La WIC n'acquit jamais la noto-
riété de sa sœur aînée et plus puissante, la VOC.
Cependant, son importance ne fut pas négligeable.
Elle aussi combattit les Portugais – dans le Nouveau
Monde – avec succès. De 1630 à 1661, elle les chassa
du Brésil. Elle commerça également en Amérique
du Nord et l'un de ses exploits les plus légendaires
fut, outre la capture de la flotte de l'or espagnol,
l'achat de l'île de Manhattan aux Indiens pour la
somme dérisoire de soixante dollars. Elle perdit toute-
fois cette possession lors de la Paix de Breda conclue
avec l'Angleterre en 1667. En échange, les Pays-Bas
obtinrent le Surinam. À partir de cette date, la pré-
sence néerlandaise dans l'hémisphère occidental se
limita aux Caraïbes.
Les Caraïbes comptent parmi les régions les plus
colonisées du monde. L'Angleterre y posséda des
colonies, de même que l'Espagne, évidemment, la
France, les Pays-Bas et le Danemark. Toutes les îles
de la mer des Caraïbes passèrent d'une manière ou
d'une autre sous administration européenne. Mais
la présence européenne dans cette région alla bien
au-delà d'une simple administration. Toute la société
changea de caractère. Les Caraïbes furent organisées
pour la production de cultures tropicales lucratives,
et avant tout celle de sucre mais aussi celle de tabac,
de café et d'autres denrées encore. Le biotope s'en
trouva modifié. Flore et faune furent importées.
La population autochtone fut décimée. À l'époque
de Christophe Colomb, ces îles comptaient d'après
les estimations entre 400 000 et un million d'habi-
tants. Cent cinquante ans plus tard, il ne subsistait
plus que quelques milliers d'indigènes. Les Européens,
aménageant les plantations, importèrent de la main-
d'œuvre esclave : au total quelque 5 millions d'Afri-
cains. C'est ainsi que se constitua une société très
métissée, tant du point de vue ethnique que culturel,
et dont l'économie se fondait sur le triangle commer-
cial atlantique : des navires européens partaient de
l'Ancien Continent pour gagner l'Afrique occidentale
où ils troquaient contre des marchandises des esclaves
qu'ils transportaient ensuite en Amérique (au Brésil,
aux Caraïbes, dans le sud de l'Amérique du Nord),
d'où ils repartaient pour l'Europe avec les produits
des plantations. Le trafic atlantique des esclaves
débuta au XVI siècle et atteignit son apogée aux XVII
e e

et XVIII siècles. Ensuite s'engagea le combat anti-


e

esclavagiste mais il fallut attendre le milieu du


XIX siècle pour qu'il y soit mis fin définitivement.
e

Les relations commerciales que l'Europe entretint


avec l'Asie furent de nature différente, quoiqu'il fût
question là aussi, d'une certaine façon, d'un triangle,
en l'occurrence celui formé par l'Amérique, l'Europe
et l'Asie. C'était la convoitise des denrées asiatiques
– les épices, en particulier le poivre, le textile, la
soie et autres produits de luxe –, qui avait poussé
les Européens à aller en Asie. Conrad remarque dans
Lord Jim que l'engouement pour le poivre semblait
brûler comme le feu de l'amour dans la poitrine des
aventuriers hollandais et anglais.
Mais pour commercer encore faut-il avoir soi-
même quelque chose à offrir ; or l'Europe à cette
époque ne produisait pas de marchandises qui puissent
satisfaire une demande en Asie. Aussi fallait-il les
acheter, ce que permit justement l'exploitation du
Nouveau Monde : les mines d'or et d'argent d'Amé-
rique fournirent aux Européens les métaux précieux
avec lesquels ils achetèrent les denrées asiatiques.
La formule anglaise « bullions for goods » (des lingots
pour des denrées) résume parfaitement le fonction-
nement de ce système commercial qui exista jusqu'au
XIX siècle. Les navires européens regagnaient l'Europe
e
avec une cargaison de produits asiatiques mais à
l'aller leurs soutes étaient généralement vides.
Au demeurant, ce trafic intercontinental n'était
qu'un aspect de l'activité des compagnies. En effet,
elles déployaient des activités tout aussi importantes
à l'intérieur même du continent asiatique où elles
assurèrent une part considérable des échanges com-
merciaux interasiatiques. Portugais et Néerlandais
étaient les plus entreprenants, mais les Français, pas
en reste, jetèrent surtout leur dévolu sur les côtes
indiennes où se forma un embryon d'Inde française
qui n'aurait toutefois qu'une brève existence. La com-
pagnie anglaise (l'EIC) finit par devenir l'acteur le
plus important, d'abord en Inde puis dans toute
l'Asie. La VOC néerlandaise fut reléguée au second
plan. Vers 1750, la suprématie anglaise était déjà
manifeste et elle le sera définitivement au terme de
la guerre de Sept Ans.

e
LE XVIII SIÈCLE

La guerre de Sept Ans (1756-1763) fut lourde


de conséquences non seulement pour l'Europe, mais
aussi pour l'outre-mer. Elle mit fin au premier
empire colonial français. Les Anglais vainquirent les
Français en Inde et au Canada. C'en fut ainsi ter-
miné, du moins provisoirement, du rôle de la France
en Asie. Elle conserva quelques comptoirs en Inde
(entre autres à Pondichéry) mais sans plus aucun
poids politique. Cette guerre donna également une
tournure décisive à l'évolution des rapports de force
dans le Nouveau Monde. Là aussi, la France avait
perdu son influence. L'Amérique située au nord du
Rio Grande deviendrait essentiellement une région
anglophone et dominée par la culture anglaise avec
une minorité française au Québec, vestige de temps
révolus. Au sud se constituerait un continent hispa-
nophone, le Brésil lusophone étant l'exception, unique
mais importante, à la règle.
L'expansion coloniale dans l'hémisphère occidental
revêtit une importance durable. Une nouvelle Europe
d'outre-mer, un nouveau monde y virent le jour. En
témoignent les noms des colonies (Nouvelle-Espagne,
Nouveaux-Pays-Bas, Nouvelle-Écosse, Nouvelle-
Angleterre, Nouvelle-France) et des villes (Nouvelle-
Amsterdam, Nouvelle-Orléans, Nouvelle York). En
Asie, un tel processus n'eut pas lieu car aucune colonie
européenne importante n'y fut implantée quoique
des Européens s'y installassent de façon permanente.
En effet, tous les employés des compagnies ne retour-
naient pas dans leur patrie, non seulement parce que
beaucoup périssaient en route ou outre-mer, mais
aussi parce que d'autres préféraient rester en Asie.
Dans certaines villes et régions, les mariages et
d'autres types d'unions sexuelles entre Européens et
Asiatiques donnèrent naissance à des sociétés mixtes.
Batavia en fut un bon exemple.
Cependant, il n'y eut pas en Asie de véritable colonie
comme en Amérique. Les raisons en sont diverses :
la distance entre l'Europe et l'Amérique était infé-
rieure à celle entre l'Europe et l'Asie ; la différence
de climat eut une plus grande importance : pour les
Européens, l'Asie était une zone d'habitat peu appro-
priée alors que, si le climat et le cadre de vie des
Caraïbes ne se prêtaient guère plus à l'immigration
européenne, en revanche, les conditions en Amérique
du Nord étaient favorables.
Par ailleurs la densité de population était bien
moindre en Amérique qu'en Asie. La forte mortalité
parmi la population indigène, essentiellement à la
suite de l'importation en Amérique de maladies euro-
péennes, réduisit encore cette population qui passa
de 50 à 60 millions à l'époque de Christophe Colomb
à environ 10 millions vers 1650. Les pertes démo-
graphiques en Amérique du Nord et dans de grandes
parties de l'Amérique du Sud sont évaluées entre 80
et 90 %. L'Australie et la Nouvelle-Zélande connaî-
tront plus tard un dépeuplement similaire. Aussi
l'Amérique pouvait-elle et devait-elle être repeuplée.
Le développement des colonies requérait de la main-
d'œuvre. Outre des colons volontaires, qui arrivaient
par leurs propres moyens, il y avait des travailleurs
sous contrat qui, en échange de leur traversée, ven-
daient leur force de travail pendant un certain temps.
C'est ainsi que se constituèrent dans les colonies
nord-américaines de nouvelles sociétés qui avaient
un caractère, une identité et des intérêts propres
mais qui étaient liées étroitement à l'Europe par des
liens de filiation, de langue, de religion, de culture,
de valeurs et d'usages. Cela se vérifiera en 1776,
lorsque les colons américains se révolteront contre
la domination britannique et gagneront leur indé-
pendance à l'issue d'une guerre de sept ans. Mais
après 1783, création des États-Unis d'Amérique,
ceux-ci demeureront étroitement liés à l'Angleterre
pour laquelle ils seront d'un plus grand intérêt éco-
nomique. En effet, c'est précisément à cette époque
que l'Angleterre vit sa révolution industrielle.
La machine à vapeur de Watt, la machine à filer le
coton d'Arkwright et le métier à tisser mécanique
de Cartwright entraînent de gigantesques gains de
productivité. Conjuguée à une marine marchande et
à une flotte de guerre puissantes, cette supériorité
industrielle constitue la base de l'hégémonie mon-
diale de l'Angleterre et, partant, de la Pax Britannica
qui caractérise la plus grande partie du XVIIIe siècle
et quasi tout le XIX .
e

Lors des grands remous qui ébranlent le continent


européen durant les années qui suivent la Révolution
française de 1789 et qui prennent fin avec la défaite
définitive de Napoléon à Waterloo en 1815, cette
hégémonie mondiale est confirmée et scellée. Au cours
de ces années-là, l'Angleterre occupe les possessions
coloniales de la France et de ses alliés, dont les Pays-
Bas. Après Trafalgar, la flotte britannique domine les
mers du globe, sans qu'aucune rivale lui dispute cette
suprématie. La France ni ses alliés ne sont en mesure
de reconquérir leurs colonies. Dans ces circonstances,
les habitants des colonies espagnoles et portugaises
d'Amérique du Sud suivent l'exemple indépendan-
tiste de Washington et de Jefferson.
La décolonisation de l'Amérique latine ressemble
à celle qui se produira un siècle et demi plus tard en
Asie. De nouvelles classes sociales autochtones voient
le jour et s'opposent à l'élite coloniale, sous l'influence
des idées modernes mais aussi de l'exemple des États-
Unis et plus tard du Japon, qui prendra avec succès
son destin en main.
La résistance commence en 1808, lorsque Napoléon
place son frère Joseph sur le trône d'Espagne, et elle
se poursuit lorsqu'il s'avère, au lendemain de la Res-
tauration, qu'à l'instar des autres Bourbons en France
le roi d'Espagne n'a rien appris ni rien oublié, refu-
sant toute concession aux colons. Conformément au
principe consacré au Congrès de Vienne, les souve-
rains européens auraient dû prêter main-forte aux
Bourbons d'Espagne dans leurs tentatives de recon-
quête des possessions d'outre-mer. Le tsar de Russie
y est favorable, mais la perspective n'enthousiasme
pas les Anglais et, sans le soutien de ce qui était alors
la seule grande puissance maritime au monde, une
intervention est exclue. Les anciennes colonies reste-
ront donc indépendantes et, hormis quelques terri-
toires, l'Espagne a perdu définitivement son empire
mondial. Le Portugal, de même, a perdu sa plus
importante possession coloniale, le Brésil. Les États-
Unis apportent leur soutien à l'accession à l'indé-
pendance de leurs voisins du sud par la déclaration
Monroe de 1823.
En 1815, s'achève donc la première phase de l'ex-
pansion européenne, au bilan contrasté. En Amérique,
tout a déjà été consommé : exploration et exploitation,
colonisation et décolonisation. Un monde nouveau
est né qui est politiquement indépendant de l'Europe
et dont l'avenir sera dans une large mesure tribu-
taire des États-Unis. En Asie, les bases d'une nouvelle
ère dans les relations séculaires que ce continent
entretenait avec l'Europe ont été établies. Si, jusque-
là, c'était l'Europe qui accusait un retard sur l'Asie
et qui n'offrait aux Asiatiques que peu de denrées, il
en irait autrement au lendemain de la révolution
industrielle. L'Angleterre et, plus tard, le reste de l'Eu-
rope fourniront dorénavant des produits industriels,
d'abord essentiellement des produits textiles, que les
produits asiatiques traditionnels ne pourront concur-
rencer du point de vue des coûts de production.
La révolution industrielle du XVIIIe siècle jette les
bases de nouveaux rapports de force en Asie. La supé-
riorité technique européenne ne se limite pas, en effet,
à la production textile. L'industrie européenne se dé-
veloppe dans d'autres domaines. Machines à vapeur,
bateaux à vapeur et armes à feu deviennent des ins-
truments majeurs dans le contexte de l'avènement de
nouveaux équilibres entre les puissances. En outre,
les gouvernements européens manifestent désormais
de l'intérêt pour l'exercice du pouvoir colonial.
L'époque du mercantilisme et des compagnies mono-
polistiques étant révolue, les négociants vont pouvoir
déployer leurs activités en toute liberté sous l'égide
des gouvernements européens.
Durant les trois siècles qui s'étaient écoulés entre
1492 et 1815 et qui avaient vu un nouveau monde
naître en Amérique et l'Europe s'implanter durable-
ment dans de grandes parties de l'Asie, l'expansion
européenne avait quasi ignoré l'Afrique. La seule
colonie, modeste, qui y avait vu le jour était la colonie
néerlandaise au Cap. Pour le reste, les activités euro-
péennes en Afrique s'étaient principalement limitées
à la côte occidentale où la traite des esclaves avait
été la plus importante occupation. Des factoreries et
des forts européens avaient été fondés sur la côte de
Guinée et ailleurs en Afrique occidentale. Sur la côte
orientale, il y avait une poignée d'établissements por-
tugais au Mozambique. Cependant, toutes ces pos-
sessions étaient petites et limitées à la côte. Pour les
Européens, l'intérieur des terres était en grande partie
un monde inconnu. Seuls quelques voyageurs avaient
pénétré dans certaines de ses parties. La situation va
drastiquement s'inverser au cours du XIX siècle, le
e

siècle colonial de l'Europe.


CHAPITRE I

Évolutions à long terme, 1815-1919

Depuis le XV siècle, l'expansion européenne, pro-


e

cessus complexe, fit de l'économie européenne une


économie mondiale et elle propagea idées, religions,
convictions et idéologies propres à ce continent,
ainsi que l'exercice politique et militaire du pouvoir
par des États européens sur de vastes parties du
monde. Mais au premier chef l'expansion européenne
fut une expansion humaine, rendue possible par la
croissance démographique constante de l'Europe au
sens absolu aussi bien que relatif du terme.
On ne saurait saisir le siècle colonial sans prendre
en considération ce phénomène démographique.

LES HOMMES

Le développement de la population
européenne

L'expansion européenne débuta à la fin du XVe siècle,


après que l'Europe se fut remise de la « mort noire »,
la peste qui, vers le milieu du XIV siècle, avait laminé
e

un tiers de sa population et peut-être même davan-


tage. Cette reprise démographique ne s'arrêterait plus.
La part de l'Europe dans la population mondiale, qui,
au milieu du XVII siècle, n'était encore que de 18,3 %,
e

atteindra 24,9 % en 1900. Cette croissance constitue la


toile de fond de cinq siècles d'expansion européenne.
Ce processus de croissance, au sens absolu du
terme, se poursuit encore au XX siècle mais commence
e

alors à décroître au sens relatif. Pour deux raisons :


d'une part, après le taux de mortalité, ce fut au tour
du taux de natalité de baisser, entraînant un affais-
sement de la croissance démographique ; d'autre part,
dans les colonies, le taux de mortalité baissa graduel-
lement alors que le taux de natalité y demeurait encore
provisoirement élevé.
Une part considérable de la population européenne
quitta le continent pour l'outre-mer. C'est ainsi qu'en
Amérique du Nord naquit une « nouvelle Europe »
qui resterait étroitement liée à l'Ancien Continent.
Au XX siècle, on parlerait alors du monde occidental
e

et, le cas échéant, du monde atlantique. Le tableau


ci-dessous montre la croissance démographique de
ce monde occidental (tableau 1).

Tableau 1. Chiffres de la population


(en millions)

1750 1850 1900


Europe 140 266 401
Amérique du Nord 1 26 81
Total « Occident » 141 292 482
Reste du monde 585 877 1 120
Total monde 726 1 169 1 602
Part de l'Europe dans la population mondiale

1750 1850 1900


19,3 % 22,7 % 25 %

Part de « l'Occident » dans la population mondiale

1750 1850 1900


19,4 % 24,9 % 30 %

Peu avant le tournant du siècle, un ralentissement


de la croissance démographique, causé par une baisse
du taux de natalité, s'amorça. Cette évolution com-
mença en France dans les années 1870-1880 et elle
se poursuivit en Grande-Bretagne dans les années
1890 ainsi qu'en Allemagne à partir des années 1900.
Les graphiques suivants montrent respectivement
l'évolution de la population européenne (figure 1)
et la part de l'Europe dans la population mondiale
(figure 2).
On attribue généralement la décrue de la natalité
à un meilleur contrôle des naissances, à l'augmen-
tation générale de la prospérité, à l'expansion de
l'urbanisation et aux structures familiales propres à
un nouveau mode de vie marqué par une certaine
individualisation. À cette époque se dessinent égale-
ment différents profils démographiques nationaux.
C'est ainsi qu'au XIX siècle la population russe connaît
e

la croissance relativement la plus grande, devant


l'Allemagne et la Grande-Bretagne. La France, qui,
exception faite de la Russie, avait été pendant des
siècles le pays le plus peuplé d'Europe, connaît un
fort ralentissement de sa croissance démographique
avant que celle-ci ne s'arrête (figure 3).
Figure 1. Croissance démographique en Europe
(en millions), 400 av. J.-C.-1800 apr. J.-C.
Source : Dirk J. van de Kaa (dir.), Europe an Populations : Unity in Diversity,
Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1999, p. 10.

Figure 2. Part de l'Europe dans la population mondiale


(en pour cent), 400 av. J.-C.-2150 apr. J.-C.
Source : Dirk J. van de Kaa (dir.), European Populations : Unity in Diversity,
Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1999, p. 21.
Figure 3. Croissance démographique dans les principaux
États européens (en millions), 1800-2050.
Source : Dirk J. van de Kaa (dir.), European Populations : Unity in Diversity,
Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1999, p. 18.

Mouvements migratoires

L'expansion de l'Europe s'accompagna de mouve-


ments migratoires intercontinentaux très importants.
Avant 1800, il s'agit essentiellement de deux grands
flux migratoires, tous deux orientés vers le Nouveau
Monde. Entre 1500 et 1800, environ deux millions
de personnes quittèrent l'Europe. Pendant la seule
période 1500-1650, près d'un demi-million d'Espa-
gnols gagnèrent l'Amérique espagnole. De 1500 à
1800, plus d'un million de Portugais quittent leur
pays. Les autres migrants provenaient principalement
des îles britanniques et avaient souvent le statut de
travailleurs sous contrat. Entre 1630 et 1820, plus de
750 000 personnes quittèrent les îles britanniques
pour gagner les colonies d'Amérique et des Caraïbes,
tandis que pendant la même période quelque
250 000 Européens partirent pour les autres pos-
sessions des Indes occidentales. Le second mouve-
ment migratoire, beaucoup plus important, fut la
traite négrière, transport forcé par bateau de près
de douze millions d'Africains, provenant principa-
lement d'Afrique occidentale, vers les plantations
d'Amérique et des Caraïbes.
L'émigration fut donc un processus qui couvrit
plusieurs siècles. Au cours de la période 1840-1940,
toutefois, il connut une croissance exponentielle,
soixante millions d'émigrants quittant l'Europe. Du-
rant ce « siècle d'or de l'émigration », les flux migra-
toires furent essentiellement orientés vers l'Amérique
du Nord (États-Unis : 35 millions ; Canada : 5 millions)
et l'Amérique du Sud (au total 14 millions dont
6,5 millions vers l'Argentine et 4,5 millions vers le
Brésil). Avec, au total, 45 millions de personnes, le
Nouveau Monde absorba trois quarts de l'immigra-
tion. Avec 7 à 8 millions, l'Asie russe fut une autre
zone importante de colonisation, tout comme l'Aus-
tralie et la Nouvelle-Zélande (qui accueillirent en-
semble 4 millions d'émigrants).
À cette époque, les émigrants étaient essentielle-
ment et au premier chef originaires des îles britan-
niques. L'Allemagne fournit beaucoup d'émigrants
entre 1850 et 1890 mais, ensuite, la croissance de
l'industrie allemande et la demande grandissante de
main-d'œuvre firent chuter l'émigration (qui passa
de 1,3 million dans les années 1880 à 500 000 dans
les années 1890 et à 250 000 au cours de la première
décennie du XX siècle). En revanche, l'émigration
e
italienne augmenta constamment pour culminer dans
les années 1900-1910. Au cours de ces dix années, plus
de 3,5 millions d'Italiens quittèrent leur pays. Aux
yeux de nombreux nationalistes, cet exode de citoyens
italiens constituait un argument important en faveur
de la colonisation italienne. Le tableau 2 présente
une vue d'ensemble de l'émigration européenne.
Ces flux migratoires à grande échelle furent rendus
possibles par une forte baisse du prix des transports.
L'essor du bateau à vapeur engendra l'organisation
de liaisons régulières qui facilitèrent la traversée, de
même que l'aménagement de chemins de fer simpli-
fia le voyage vers les villes portuaires et entre le lieu
d'arrivée et les nouvelles résidences.
L'aide fournie par des membres de la famille déjà
installés dans les pays d'immigration et la croissance
de la prospérité en Europe réduisirent conjointement
les coûts des voyages et stimulèrent en conséquence
le processus.
L'émigration avait également, pour une part, son
origine dans les crises qui secouèrent l'Europe. Les
pogroms en Europe de l'Est, la persécution des in-
surgés après les révolutions réprimées de 1848 en
Pologne et en Hongrie, la fameuse famine irlan-
daise des années 1840 et la crise agraire italienne
des années 1870 en sont les exemples les plus connus.
Autant que les facteurs qui poussaient les émigrants
à partir, d'autres facteurs les attiraient vers l'outre-
mer : l'espoir de meilleures conditions de vie offertes
outre-mer, notamment grâce aux conditions d'obten-
tion de terres agricoles. La croyance au « rêve amé-
ricain » synthétisait ces grandes espérances.
À côté de l'émigration européenne vers l'Amérique
du Nord, l'expansion coloniale au XIX siècle mit
e

en branle deux flux d'émigration nouveaux et ma-


jeurs, quoique d'importance plus modeste. Il y avait
Tableau 2. L'émigration européenne (en milliers d'émigrants), 1851-1910.

1851-1860 1861-1870 1871-1880 1881-1890 1891-1900 1901-1910 Total


Total (dont
2 170 2 810 3 240 7790 6 770 11 270 34 050
émigrants : )
Britanniques 1 310 1 570 1 850 3 260 2 150 3 150 13 290 (39 %)
Italiens 5 27 168 992 1 580 3 610 6 382 (18,7 %)
Allemands 671 779 626 1 340 527 274 4 217 (12,4 %)
de la péninsule
48 86 144 757 1 060 1 410 3 505 (10,3 %)
ibérique
Source : Yvan-Georges Paillard, Expansion occidentale et dépendance mondiale, Paris, Armand Colin, 1994, p. 166.
d'abord les émigrants qui trouvèrent à s'employer
dans les nouvelles colonies, le plus souvent dans le
service administratif colonial et l'armée coloniale, la
mission, l'enseignement et les services de santé, et
évidemment les exploitations agricoles et minières,
la navigation, les ports et les chemins de fer colo-
niaux, etc. Toutefois, la plupart de ces émigrants ne
restèrent pas dans leurs colonies, mais retournèrent
dans leur pays une fois leur tâche accomplie. La
seconde émigration coloniale est celle des colons au
sens strict, c'est-à-dire ceux qui s'établirent dura-
blement dans les colonies et y fondèrent par exemple
des entreprises agricoles. Parmi les exemples typiques
de ces colonies de peuplement l'on peut citer l'Afrique
du Sud, l'Algérie, le Kenya, la Rhodésie et, à une
échelle plus modeste, l'Afrique du Sud-Ouest alle-
mande et l'Angola. En France, l'émigration coloniale
s'orienta dans une mesure prépondérante vers l'Al-
gérie. En 1914, 700 000 Français vivaient dans les
colonies dont 500 000 en Algérie. Au Maroc étaient
implantés quelque 25 000 Français, un peu plus de
la moitié de la population européenne de l'empire
chérifien. En Tunisie, la présence française se chiffrait
à plus de 45 000 ressortissants, ce qui représentait
moins d'un tiers du total de la population euro-
péenne. En Indochine, vivaient près de 25 000 Fran-
çais. L'émigration des Allemands et des Italiens vers
leurs colonies respectives fut négligeable.
D'un volume nettement plus considérable furent
les flux de main-d'œuvre en provenance d'Asie et
d'Afrique que généra au XIX siècle le colonialisme
e

européen. Ces flux concernèrent au total cinq à six


millions de personnes. La moitié d'entre eux étaient
des esclaves car, même après son abolition offi-
cielle, l'esclavage se poursuivit encore longtemps au
XIX
e
siècle. Entre 100 000 et 200 000 Africains
partirent en outre pour le Nouveau Monde en tant
qu'émigrants « volontaires » du travail bien que ce
mot « volontaire » ne soit sans doute pas l'adjectif
approprié. Beaucoup plus nombreuse que ce dernier
groupe fut la main-d'œuvre asiatique qui fut recrutée
et liée par des contrats pour compenser la pénurie
de main-d'œuvre dans les colonies de plantations des
Caraïbes après l'abolition de l'esclavage. Au total,
quelque 1,6 million de travailleurs indiens sous contrat
quittèrent le pays. 450 000 d'entre eux s'en allèrent
dans les colonies britanniques des Indes occiden-
tales, 80 000 partirent pour les Caraïbes françaises
et 30 000 gagnèrent le Surinam. Les autres rejoi-
gnirent des colonies dans l'océan Indien (les îles
Maurice : 455 000 ; La Réunion : 75 000), l'Afrique
de l'Est et du Sud (respectivement 40 000 et 160 000)
et l'océan Pacifique (les îles Fidji : 60 000). Environ
300 000 Chinois gagnèrent également ces régions.
De nombreux Chinois partirent aussi pour les Indes
néerlandaises. Entre 1876 et 1901, 86 000 Chinois
s'installèrent à Sumatra.

Villes coloniales

Les Européens qui émigrèrent le firent généra-


lement pour des raisons économiques. Une de leurs
activités importantes était évidemment le commerce.
En effet, dès les premiers moments de l'expansion
européenne en Asie, son objectif avait été l'acqui-
sition de produits indisponibles en Europe. Il s'agissait
surtout de produits agricoles tels que les épices, le
thé, etc. Ultérieurement, les colons européens se lan-
cèrent aussi dans la production de « cash crops »
(denrées lucratives) tropicales, ce qui donna nais-
sance à l'agriculture coloniale. Le deuxième objectif
de l'expansion fut l'exploitation des richesses natu-
relles comme l'or et l'argent. Les colons européens
assumèrent également la production de ces richesses,
ce qui donna naissance à l'exploitation minière colo-
niale. Une troisième forme de colonisation fut la
colonisation au sens classique du terme, c'est-à-dire
le départ d'émigrants qui voulaient refaire leur vie à
l'étranger.
C'est ainsi que l'émigration des Européens a conduit
à l'avènement de villes coloniales. Le caractère de
ces villes dépendait des activités exercées par les
colons. Les agriculteurs n'eurent d'abord pas besoin
de villes quoique des communautés urbaines vissent
le jour dans les colonies espagnoles d'Amérique cen-
trale. L'industrie minière, en revanche, nécessitait
de grands nombres de travailleurs et, de ce fait, elle
aboutit à une urbanisation dans les endroits souvent
situés à l'écart où on trouvait les minerais et alentour.
Toutefois, la plupart des villes coloniales s'amé-
nagèrent autour des centres d'activité des grandes
entreprises commerciales. Par conséquent, les villes
coloniales étaient souvent des villes portuaires et
quelques-unes des grandes métropoles actuelles
d'Asie, telles que Djakarta et Calcutta, sont nées et
se sont développées comme des centres d'activité
des Compagnies des Indes néerlandaises et anglaises
(VOC et EIC). Dans ces villes prirent aussi graduel-
lement leur essor d'autres secteurs liés au négoce
tels que le secteur bancaire et celui des assurances.
Certaines villes se virent attribuer une fonction
administrative au service des autorités coloniales.
Dans un stade ultérieur, certaines villes déployèrent
aussi des activités industrielles. L'essor des villes
coloniales eut heu au XIX siècle. Djakarta demeura la
e

grande métropole indonésienne. En Inde, outre Cal-


cutta, Bombay et New Delhi prirent de l'importance,
l'une après l'ouverture du canal de Suez, l'autre en
tant que centre administratif. En Afrique, Alger et
Johannesburg se muèrent en métropoles coloniales.
Les villes françaises de Dakar au Sénégal et de Braz-
zaville au Congo français comptaient une forte popu-
lation française (environ 10 % du total) qui était
principalement employée dans l'administration et le
commerce. Saint-Louis, également au Sénégal, fut
rénovée de fond en comble par Faidherbe comme
Paris le fut par Haussmann.
Les établissements européens étaient souvent asso-
ciés à des centres urbains existants. Les structures
étaient diverses avec, aux deux extrêmes de l'arc,
soit la conservation et l'extension de l'ancienne ville,
soit la destruction pour faire place à de nouvelles
constructions. Mais généralement on optait pour des
solutions intermédiaires. Celles-ci étaient différentes
de nature. Tantôt les constructions existantes étaient
intégrées à un nouvel aménagement urbain ou bien
étendues, tantôt une nouvelle ville était édifiée aux
côtés de la ville existante mais à une certaine distance
(New Delhi). Dans certaines villes telles qu'Alger,
aucune limite nette ne séparait d'abord les zones
autochtones des zones blanches. Mais lorsque la
population algéroise connut une croissance constante
et que dans ses murs il n'y eut plus de place pour les
Français, ceux-ci construisirent à côté d'Alger une
nouvelle ville française, la « Cité nouvelle ».
Plus tard, il y eut dans la plupart des cas une ligne
de démarcation physique. L'argument souvent avancé
pour la justifier était qu'il était nécessaire pour des
raisons d'hygiène de séparer les villes ou parties de
ville européennes et autochtones. Aussi, la crainte
des maladies et des contaminations conduisait, là
où cela était possible, à l'aménagement d'une zone
tampon sanitaire. Si surprenant que cela puisse
paraître, c'est un médecin africain qui, en 1893 à
Accra, émit pour la première fois l'idée qu'une ségré-
gation raciale s'imposait dans les villes. La ville de
Dakar fut en proie à la panique lorsque la peste, qui
avait éclaté en 1894 à Hongkong, atteignit la ville
à l'issue d'un long voyage. Quarantaine, isolement,
incinération et désinfection furent les premiers re-
mèdes, mais finalement la population africaine fut
évacuée et un nouveau quartier de la ville fut amé-
nagé à son intention. En règle générale, les diverses
catégories de la population avaient leurs propres
quartiers aux délimitations claires.

Sociétés coloniales

La société coloniale était une société d'hommes. Il


en irait ainsi pour les colonies de peuplement et les
comptoirs commerciaux de l'Ancien Régime aussi
bien que pour les sociétés coloniales à une époque
ultérieure. Pour les colons, trouver des femmes était
et resterait une difficulté. En revanche, la fertilité
matrimoniale était très élevée. Dans les colonies,
presque toutes les femmes se mariaient et elles convo-
laient dès leur plus jeune âge. Au XVIIIe siècle dans le
Canada français, chaque femme avait en moyenne
plus de huit enfants. L'émigration vers l'Amérique
du Nord s'effectuait souvent par le biais de contrats
qualifiés d'« indentured labour ». Or du personnel de
maison féminin était quelquefois associé à ce travail
sous contrat. Et des navires transportant des orphe-
lines étaient envoyés dans le Nouveau Monde. Bu-
geaud, le commandant français qui au XIX siècle e

voulut transformer l'Algérie en véritable colonie fran-


çaise et, sur le modèle de la Rome classique, la colo-
niser avec de vrais « coloni », d'anciens soldats, donc,
rechercherait une solution comparable. « Le gros
problème, écrivit-il dans son Mémoire de 1837, c'est
de trouver des femmes pour nos soldats colons. Il
me semble que les orphelinats et les maisons d'arrêt
pourraient y remédier1. »
En Asie, il en alla autrement. La solution habituelle
y était le concubinage. Les femmes européennes y
étaient rares. Cette réalité n'était pas sérieusement
déplorée. Au contraire, les voluptés sexuelles de
l'Orient étaient un des attraits de la vie outre-mer. Il
y avait un très vif engouement des hommes euro-
péens pour le monde raffiné, libertin et sensuel de
l'Orient. Ils rêvaient tout d'abord du Proche-Orient
et en particulier de l'empire ottoman et de ses sultans
et harems. Ces délices encouraient quelquefois la
réprobation. Abraham Kuyper, leader du parti pro-
testant et futur Premier ministre néerlandais, se
félicitait que l'islam ait dressé un barrage « contre
la prédilection autochtone en Asie pour les orgies
sexuelles2 ». Mais le sentiment général était de la
séduction mêlée de jalousie. Les textes arabes et
indiens traitant de sexualité et d'aphrodisiaques
étaient traduits et lus. Par ailleurs, des mises en garde
contre les périls de l'Orient étaient souvent lancées :
le climat chaud accroissait la libido et détournait
l'attention de choses plus utiles. La polygamie était
condamnée en Europe, ce qui, au Proche-Orient,
était considéré comme une forme d'hypocrisie. On
raconte que lorsque le Premier ministre anglais de
l'époque, Lord Palmerston, réprimanda un jour un
pacha au sujet de la polygamie, celui-ci lui répondit :
« Ah ! milord ! nous ferons comme vous, nous présen-
terons l'une et nous cacherons les autres3. » Plus tard,
Henri Wesseling
Les empires
coloniaux européens
1815-1919
Traduit du néerlandais par Patrick Grilli

« En occupant Alger, la France remplissait la mission que la Providence


et l'Histoire lui avaient confiée : l'attirance de l'inconnu, la joie du sacri-
fice, le désintéressement dans le dévouement », écrit en 1933 Gabriel
Hanotaux, ancien ministre des Colonies.
« Nous avons connu que la loi n'était jamais la même selon qu'il s'agissait
d'un blanc ou d'un noir : accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine
pour les autres. Tout cela, mes frères, est désormais fini ! » s'exclame
Patrice Lumumba, premier Premier ministre de la République du Congo.
Les évaluations coloniales et postcoloniales s'opposent. Cependant, c'est
moins la différence entre la position du colonisateur et celle du colonisé
qui détermine la façon de considérer le passé que les changements subis
par l'esprit du temps. Ainsi il ne reste rien, ou presque, de la foi inébran-
lable dans la vocation de l'Occident, dans les bienfaits du colonialisme
pour les peuples soumis et la reconnaissance qu'ils lui doivent. Domine
le sentiment de culpabilité devant les bénéfices tirés de l'exploitation
des colonies.
Le colonialisme, un phénomène mondial qui a laissé des traces indélé-
biles, fut exercé par des pays européens aux méthodes et aux traditions
très variées. Seule l'approche comparative, déployée par Henri Wesseling,
mettant au jour les ressemblances et les différences, permet de com-
prendre l'unité du phénomène.
Les empires
coloniaux européens
Henri Wesseling
Couverture : Officier Britannique
avec un groupe d’employés indiens,
vers 1900-1930. Royal Society for Asian
Affairs, Londres.
Photo © Bridgeman Images (détail).

Cette édition électronique du livre


Les empires coloniaux européens de Henri Wesseling
a été réalisée le 10 mars 2022
par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782070364503 - Numéro d’édition : 361127).
Code Sodis : N48525 – ISBN : 9782072410802
Numéro d’édition : 441087.

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