Comprendre La Technologie

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 19

COMPRENDRE LA TECHNOLOGIE

Pierre F. GONOD

La diversité des définitions, la polysémie du terme, le flou des différences entre "technologie et
"techniques", montrent la nécessité d'une clarification et de choix conceptuels. Ceux-ci subordonnent la
conception et la réalisation d'une Encyclopédie de la Technologie, et, en particulier, d'une Encyclopédie
finalisée pour la pédagogie de l'éducation technologique.
Ces choix conceptuels sont l'aboutissement (provisoire encore), d'un long cheminement intellectuel,
collectif et individuel commencé il y a 30 ans. A travers des itinéraires divers des concepteurs et
promoteurs du projet, soit à partir des transferts technologiques, soit à partir de la stratégie industrielle, la
conclusion convergente surgit que la butée était la compréhension de la technologie elle-même.
Cette conviction se transforma en une entreprise collective au sein du CNRS en France. Elle se traduisit
par le livre "Construire une Science des techniques1", où la technologie était prise dans son sens le plus
général de discours, de logos, de science des techniques2.

Cette conception de "la Technologie comme Science des Techniques" est résumée dans la figure annexée.
Elle a pour centre la reconnaissance de la technologie comme "construit social". Dès lors, en "amont",
cette construction est opérée par les "problèmes sociaux". La technologie est liée aux besoins de la société,
elle y répond, elle les modifie, et parfois les crée. Elle n'est pas unie à la société par des rapports
univoques, elle en fait partie. Elle est donc sous l'influence de l'intentionnel de la société, de la demande
sociale, des conflits de valeurs, des fonctions assignées à la technologie. Le système politique, par ses
mécanismes, la construction d'une infrastructure scientifique et technique, ses acteurs et ses projets, opère
le système technologique. Ses espaces de liberté sont aussi sous la dépendance de l'inintentionnel, des lois
de la nature et de la société. Car il y en a. Elles peuvent être au bénéfice de l'humanité ou produire des
effets inadvertants.
Le système technologique est partie du mega système qui le conditionne et qu'il influence. Il est en
transactions avec son environnement, dans le sens le plus large du terme. Cette interdépendance donne
naissance à des agrégations et des combinaisons multiples, à diverses logiques, de constitution, de
fonctionnement, d'utilisation, d'évolution. Le paradigme dominant est celui de la complexité. Et c'est, par
une récursivité dialectique, le recours à la modélisation de la complexité qui permet de la réduire à un
niveau compréhensible.

1
"Construire une Science des techniques", ouvrage coordonné par Jacques PERRIN, L'Interdisciplinaire, 1991, 416
pages.
2
L'idée fut lancée il y a une quinzaine d'années du Projet de l'Encyclopédie Systémique de la Technologie (EST).
Le projet, face aux défis du XXI ème siècle, était de créer un puissant instrument conceptuel et opérationnel pour
opérer l'éducation et la culture technologiques, le polytechnicisme; l'éducation professionnelle repensée dans le sens
de polyactivités, de nouvelles combinaisons pour l'acquisition des savoirs théoriques et pratiques, l'établissement de
nouvelles configurations des métiers…Ces buts divers se rattachaient à une finalité : la maîtrise sociale de la
technologie. C'est pourquoi, avec le concours du CNRS et de l'UNESCO, un colloque international fut organisé
(Mastech, 1991). La disparition de la direction des affaires scientifiques de l'UNESCO gela le projet.
Cependant l’EST a donné lieu à une expérience de prototypage avec le soutien du Ministère de l’Enseignement
Supérieur et de la Recherche (1993). La conclusion a été que le projet n’était pas un songe creux et qu’il était
faisable. Mais son ampleur en a différé la réalisation.

1
L'hypothèse de la Technologie Générale

Elle est au centre du projet EST.


Au second millénaire il est étrange de constater que le phénomène majeur de la technologie fasse l'objet
d'approches diverses. Il y a plus des points de vue qu'une modélisation véritable3 C'est pourquoi cette
modélisation a été entreprise, une hypothèse a été formulée "La technologie générale"4

La proposition partait du constat que la technologie était aujourd’hui 6 millions de mots, c’est-à-dire un
nombre comparable aux espèces végétales, d’une part, et animales, d’autre part. Or s’il existe des flores et
des faunes, malgré l’énormité des publications sur la technologie, il n’existe pas une taxinomie de celle-ci.
Il n’y a pas l’équivalent pour la technologie des taxinomies de Linné en botanique ou de Mendeleïev en
chimie. Aujourd’hui il ne s’agit pas de faire seulement une encyclopédie descriptive, comme l’a été celle
de Diderot, qui, malgré ses limitations, en dévoilant le secret des corporations, a été un élément favorisant
la Révolution française, mais une encyclopédie systémique et électronique. Dans un autre contexte et avec
d’autres moyens, le projet est dans la ligne des initiatives qui n’avaient pas abouti de la “technologie
générale” du XIXe siècle, de Beckmann en Allemagne et Christian en France. Le projet de la technologie
générale peut être assimilé à une sorte de génome de la technique.

Multidimensionnalité de la technologie, pluridisciplinarité et interdisciplinarité

La technologie a été scindée entre deux ensembles dissociés : les sciences humaines et les sciences de
l'ingénieur.

• Les sciences humaines ont étudié la technologie dans sa multidimensionnalité par des disciplines
différentes : la philosophie (ELLUL, LADRIERE, SIMONDON, HOTTOIS, HABERMAS, MITCHAM, BAREL),
l’anthropologie (LEROI-GOURHAN, HAUDRICOUT), l’économie, la sociologie, l’histoire (DAUMAS, GILLE),
la prévision, la techno linguistique, la muséologie et l’ethnologie courante, auxquelles s’ajoutent
récemment l’évaluation (“technology assessment”), et l’analyse de la complexité technologique5 (GONOD,
1982). Ces parties ne font pas un tout. L'approche pluridisciplinaire est, dans le meilleur des cas, une
justaposition sans consistance de fragments de connaissances, plus généralement ces parties s'ignorent
entre elles. Une discipline de la technologie requiert l’interdisciplinarité, et pas seulement la
multidisciplinarité. Or on sait que l’interdisciplinarité n’est possible que si un modèle minimum existe
dans la tête des participants6. Ce qui pose la question de l'interdisciplinarité, mot-problème et non mot-
solution. Et le statut de
la pluridisciplinarité, de l'interdisciplinarité, et de la transdisciplinarité dans le projet de l'Encyclopédie de
la Technologie.

Les figures suivantes illustrent le contenu multidimensionnel de la technologie et la multidisciplinarité de


son étude dans les sciences sociales.

3
DEFORGE Y. "De l'éducation technologique à la culture technique", ESF,1995.
4
GONOD P. "La technologie générale : le projet d'Encyclopédie Systémique de la Technologie", Analyse de
systèmes, volume XIV, N°4, 1988.
• "Prolégomènes à la prospective technologique", Analyse de systèmes, volume XV, N°2, 1989.
• "Problématique de la maîtrise sociale de la technologie", Analyse de systèmes, volume XVI, N°3, 1990.
5
• GONOD P. "Un outil : l’analyse de la complexité technologique", Revue d’Economie Industrielle N°20 2ème
trimestre 1982.
6
GONOD P. " Interdisciplinarité et technologie", dans Construire une science des techniques” coordonné par
Jacques Perrin, L’Interdisciplinaire, 1991.

2
MULTIDIMENSIONALITE DE LA TECHNOLOGIE

logique de fonctionnement logique d'utilisation


logique de construction logique d'évolution

valeur d'usage

valeur d'échange

MULDISCIPLINARITE DE L'ETUDE DE LA TECHNOLOGIE


dans les SCIENCES SOCIALES

anthropologie de
la technologie
ergonomie
réflexion
philosophique
prévision technologique

analyse de
la complexité économie de
technologique la technologie

technolinguistique évaluation de
la technologie

sociologie de histoire des muséologie et


la technologie techniques ethnologie courante

• Les sciences de l'ingénieur se sont développées par la voie de la spécialisation croissante et d'une
relation de plus en plus étroite avec la science. Cette spécialisation a conduit aux prodigieux progrès de la
technologie.
Ce bilan triomphal a induit le paradigme de l'ordre scientifico-technique, moteur de l'évolution de la
société. La thèse de l'internalisation de la science et de la technologie a donné lieu a des débats dans les
années 70. La thèse dominante était que le développement de la science serait de moins en moins

3
dépendant de circonstances extérieures, contingentes, relativement incontrôlables, et de plus en plus lié à
des facteurs internes d'équilibration, de perturbation, d'auto-organisation. D'où l'hypothèse que la
science, considérée dans son ensemble, aurait tendance à se constituer en un vaste système formé lui-
même de sous-systèmes en interaction, évoluant vers des formes de plus en plus complexes et de plus en
plus intégrées, et, en même temps, plus autonomes. Il en serait de même pour la technologie, où les
opérations sont de plus en plus interdépendantes et tendent à s'intégrer dans un vaste réseau opératoire.
D'où la conclusion que c'est à partir de ses possibilités internes et non à partir de situations ou de besoins
extérieurs que l'activité technique définit ses activités7. Ces thèses ont subi la double critique des
"sociologues de la science " et des épistémologues de la science". Pour les premiers, malgré les
apparences, le système scientifique, et encore plus le système technologiques, sont des ensembles ouverts
qui recoivent leurs commandes de la société. Pour les seconds l'ordre scientifico-technologique a un
envers : c'est un pseudo-ensemble en miettes, le processus de désintégration de la science amorcé dès le
XVIIe siècle n'a cessé de s'aggraver. La science unitaire éclate comme un obus dont les fragments eux-
mêmes continueraient à se dissocier sur leurs trajectoires. Il y a un désastre épistémologique entraîné par
l'inflation galopante de la spécialisation. La fragmentation de la technologie est encore plus poussée8.
Une illustration de cette fragmentation est fournie par une "table générale" des techniques de l'ingénieur9.
Les douze domaines couverts : généralités, mécanique et chaleurs, construction, électrotehnique,
électronique, informatique, génie chimiques, constantes, métallurgie, analyse chimique, mesures et
contrôle, conception produite, éclatent en 3394 items .
Dix ans plus tard le catalogue général10 présente une autre structure qui n'est pas sans signification. A
côté des domaines permanents, bien qu'actualisés, tels que les sciences fondamentales, apparaissent des
domaines privilégiés ou nouveaux , telles l'entreprise et l'environnement, et d'autres divisions des
activités : les platiques et composites, l'étude et les propriétés des métaux, la mise en forme des métaux et
la fonderie, le traitement des métaux, l'élaboration et le recyclage des métaux, le travail des matériaux et
l'assemblage, la mécanique, les machines hydrauliques et thermiques, le génie énergétique, le génie
nucléaire, la construction, l'électricité : réseaux et applications, les convertisseurs et machines
électriques, l'électronique, les télécoms, l'informatique, les constantes physico-chimiques, analyse et
caractérisation, les procédés chimiques et biochimiques : génie des procédés et agroalimentaire, mesure
et contrôle, informatique industrielle. Les 25 domaines redéfinis donnent lieu, à un niveau plus fin, à 373
sous-ensembles (contre 3394, il y a dix ans). Il ne s'agit pas en l'occurrence d'un simple dépoussiérage
éditorial, mais bien d'une nouvelle organisation des savoirs. Elle conserve ce qu'il y a d'inéliminable dans
les connaissances et spécialisations de base, mais elle va dans le sens de regroupements des savoirs et la
constitution de nouveaux ensembles scientifiques et techniques11.

Dans sa version 2000, les sciences de l'ingénieur peuvent être schématisées comme suit :

7
Caractéristique de cette thèse l'article de E.A HAEFFNER "The innovation process" Technology review, march-
april 1973
8
Sue les questions débattues à cette époque voir P.F. GONOD "Pour une planification conjointe de l'éducation et de
la technologie" Institut International de Planification de l'Education "UNESCO, 1981.
9
"Table générale" des techniques de l'ingénieur, table analytique , index alphabétique, 1989-1991.
10
"Catalogue général, Techniques de l'ingénieur 2000".
11
A ces techniques de l'ingénieur il faut ajouter celle de l'analyse de la complexité technologique dans
l'industrieélectromécanique, voir P.F. GONOD "Un outil : l'analyse de la complexité technologique" Revue
d'Economie Industrielle, N° 20, 2° trim. 1982.

4
SCIENCES DE L’INGENIEUR 1 Sciences fondamentales
2 L’entreprise industrielle
3 Environnement
4 Plastiques et Composites
MULTIDISCIPLINARITÉ DES DOMAINES DE L’INGÉNIEUR 5 Etude et propriétés des métaux
6 Mise en forme de métaux et fond
7 Traitement des métaux
1 8 Elaboration et recyclage des mé
9 Travail des métaux-Assemblage
2 3 10 Mécanique
5
11 Machines hydrauliques et therm
24 6 7 8 9 12 Génie énergétique
Lois de la nature 10 13 Génie nucléaire
14 Construction
Principes Techniques 12 11 13 15 Electricité : réseaux et appli
Economie 14
16 Convertisseurs et machines éle
15 16 17 17 Electronique
23 18 19 18 Télécoms
4 20 25
19 Informatique
20 Constantes physico-chimiques
21 22 21 Analyse et caractérisation
22 Génie des procédés
23 Agroalimentaire
24 Mesure et Contrôle
25 Informatique industrielle
ACT : analyse de la complexité
technologique
de l’ensemble électro-mécanique

De cette figure on peut distinguer des sous-ensembles :

A métaux-mécanique, constitué par les domaines 5, 6, 7, 8, 9, 10.


B machines, génie énergétique, génie nucléaire, mécanique, correspondant aux domaines 10,
11,12, 13.
C énergie, génie énergétique et électivcité, domaines 12 et 15.
D machines et génie des procédés, domaines 11, 16, 22.
E génie des procédés, connaissances et domaines associés 4, 20, 21, 22.
F électronique et domaines d'application 17, 18, 19, 25.

Des intersections apparaissent, la mécanique et le génie des procédés, notamment, appartiennent à


différents sous-ensembles. Des savoirs transversaux, tel le génie des procédés ont de plus en plus un
contenu interdisciplinaire, il repose sur deux paradigmes : la généralisation des méthodes du génie
chimique et l'approche systémique12.
Il s'agit de tendre à une meilleure intégration des sciences de l'ingénieur, et d'unir celles-ci avec les
sciences sociales. Cette union requiert la modélisation de la technologie générale.
Les figures ci-dessous symbolisent la "Nouvelle alliance de la technologie", la reconfiguration des
sciences de l'ingénieur avec le construit social, via la modélisation de la technologie.

12
Voir l'article de J. VILLERMAUX "Le génie des procédés" La Recherche 235, septembre 1991.

5
LA NOUVELLE ALLIANCE DE LA TECHNOLOGIE

LE PROJET DU NOUVEL ENSEMBLE DE LA TECHNOLOGIE

anthropologie de
la technologie
ergonomie
réflexion
1 philosophique
2 3 prévision
5 technologique
24 6 7 8 9
10 sciences de l’ingénieur économie de
14 12 11 13 U la technologie

15 16 17 sciences sociales
23 18 19 évaluation de
technolinguistique
4 20 25 la technologie
21 22

sociologie de histoire des


muséologie et
la technologie techniques ethnologie courante

LE NOUVEL ENSEMBLE DE LA TECHNOLOGIE

modélisation
reconfiguration de la
des sciences deTechnologie construit
l’ingénieur social
Générale

PFG 2000

6
Ainsi donc le projet EMET s'éclaire par ce triple défi de la modélisation de la technologie générale,
articulant son construit social et aboutissant à une reconfiguration des sciences de l'ingénieur. Mais cet
agencement est dérivé d'une conception du système technologique.

La conception du système technologique

Des pré-modélisations en apportant des éclairages successifs ont ouvert la voie à la formulation de
l'hypothèse de la Technologie Générale. La technologie a été envisagée d’un point de vue fonctionnel (ce
que l'objet fait), ontologique (ce que l'objet est), génétique (ce que l'objet devient). Ce qui a conduit à
dégager des logiques : de construction -y compris celle de la conception-, d’utilisation, d’évolution. Ces
logiques sont en interactions et l’ensemble s’articule par une logique de fonctionnement. La technologie,
comme activité, répond à des fonctions d’usage, en tant que structure ontologique, elle développe des
fonctions intrinsèques. Les fonctions concernent donc les faces externes et internes de la technologie. Le
fonctionnement est l'ensemble des interrelations et articulations entre celles-ci. L'organisation, notion à la
fois synchronique et diachronique, englobe la structure et le fonctionnement.

La technologie, on l'a dit, est une création de la société. La construction sociale, le fonctionnement,
l'utilisation, l'évolution, du système technologique impliquent, la prise en considération des acteurs
sociaux dotés de projets, de pouvoirs, de stratégies, d'objectifs, de moyens d'action, en bref d’un
ensemble “ social ”. Cet ensemble est en transaction avec la structure de la technologie elle-même,
comme réalité “ physique ”. Paradoxalement, c'est ce dernier aspect qui fait le plus défaut. Ainsi, par
exemple, il n'existe pas de taxinomie de la technologie, ni ce qui pourrait constituer une "technologie
générale".

La difficulté est conceptuelle. La compréhension de la technologie se partage entre trois acceptions


principales :
1) La technologie est un phénomène autonomisé qui façonne la société,
2) La technologie est façonnée par la société
3) La technologie est un construit social ou la technologie est conditionnante et conditionnée.

La figure suivante illustre les différences entre ces approches, et leur signification du point de vue de la
prospective technologique.

La conception retenue est donc celle d'un construit social, d'un système ouvert ouvert où est considérée
l’interface du physique et du social et que reflète la variante 1 C'est cette conception dialectique qui a
inspiré le projet de l'EST.

La barrière la plus importante entre ces conceptions se situe entre celle de la technologie comme
phénomène autonomisé et celle de la technologie comme construit social.

7
COMPRÉHENSION DE LA TECHNOLOGIE
phénomène autonomisé construit social
la technologie façonne la société la technologie façonnée par la société

univers déterministe la technologie comme système ouvert


technologie et société
forment un tissu sans
couture

• technique et société ne fon


• la technologie se développe variante1 variante 2 •non distinction d'un systèm
selon sa rationalité propre, • système comprenant des physique auto-organisé
en conséquence la société variables physiques et sociales
•non distinction variables in
• système à interfaces
devient un système technicien • non considération d'un et externes
•physique" et"social"
hypothèse d'un système sous-système physique auto- •réseau-acteurs constitué
l
physique auto-organisé organisé d'associations hétérogènes
• distinction variables internes
existence de lois physiques d'agents et facteurs matérie
de composition interne et externes considérés conjointement
• édifice technique • acteurs opérant le système
structuré technique et son environnement
socio-économique

approche prévision
• déductive et de caractère continu: approche prospective approche
extrapolations,
prévision exploratoire
approche analyse de système sociologique
théorie économique et sociale explicite ou implicite
prévision normative,explica- analyse de système construction sociale de la
tive ou corrélative technologie
possibilités de bâtir des scénarios technologiques
• synthèse démarches analyse empirique
• inductive et de caractère utilisation inconnue pour l
discontinu: analyse morpho- logique prospective

Le modèle de la technologie générale

La modélisation considère à la fois l'existence de lois de la société et de lois physiques, d’espaces de


libertés et de déterminismes, un système téléologique, finalisé par la société, et un système en partie auto-
organisé en fonction des lois de la nature. Le système téléologique étant traversé par les conflits de valeurs
au niveau des grands systèmes comme l’éducation et le travail. Pour comprendre les associations
hétérogènes constitutives des éléments en relations, humains et physiques, il faut considérer ensemble ces
deux groupes. Or, paradoxalement, comme il a été noté plus haut, malgré l'énorme documentation
accumulée c'est la partie "physique" du système technologique qui est la moins conceptualisée et dont les
connaissances sont les moins organisées. Il faut donc comprendre l’organisation intrinsèque du système
technologique.

C’est un modèle minimum qui a été testé depuis 1993 et qui a servi d’hypothèse initiale. Il articule
fonction d'usage et fonctions de service internes des artefacts, lois scientifiques, principes, propriétés,
éléments technologiques, procédés, les complexités structurelle, fonctionnelle, de fabrication et
d’utilisation, leur combinatoire dans des objets techniques, des lignées et familles, des sous-systèmes et
systèmes technologiques. Conception encore primitive, mais plus riche que les représentations partielles

8
courantes, parce qu'elle incorpore les interfaces avec l’économie, la sociologie des fonctions d’usage, de
l’échange et de l’innovation, l'histoire et la prospective.

La modélisation, que l’on appellera “ systémographie est une représentation du phénomène considéré
comme, et par, un système. La modélisation est toujours une abstraction. Ainsi la logique intrinsèque de
constitution de la technologie peut être décrit à différents niveaux d'abstraction hiérarchisés. Le niveau
inférieur de l'abstraction représente seulement le système sous sa forme physique, sa configuration
matérielle (physical forms). Le niveau immédiatement supérieur représente les procès physiques ou les
fonctions des divers composants dans un langage relatant leurs propriétés (physical functions). Au-
dessus les propriétés fonctionnelles sont représentées par des concepts plus généraux sans référence aux
procès physiques ou à l'équipement (generalised functions). Aux niveaux les plus élevés on trouve les
fonctions abstraites (abstract function) exprimant la causalité des structures et enfin les fonctions
intentionnelles (functional purpose).
En simplifiant le modèle, et dans une autre terminologie, on peut considérer la technologie comme un
édifice de formes physiques et abstraites.
Les formes physiques sont celles des objets techniques et artefacts. Des éléments techniques sont agrégés
en individus techniques qui forment des sous-systèmes et ceux-ci des systèmes techniques.
Les formes abstraites sont les niveaux des principes technologiques et des lois scientifiques.
Les propriétés et procédés technologiques sont à l'intersection de ces deux ensembles.

Dans ce modèle on distingue donc 5 niveaux : les lois scientifiques, les principes technologiques, les
éléments, les individus techniques, les sous-systèmes et le système technologique. Les propriétés et
procédés techniques sont en transaction avec les niveaux technologiques.
Principes, éléments, individus se combinent en raison de leurs compatibilités et cohérences dans des
ensembles de complexité croissante. Le passage d'un niveau à l'autre s'opère par le changement des
propriétés et l'évolution ou la mutation des procédés.
Cet édifice évoque l'image de "l'intégron". L'intégration change la qualité des choses, car une
organisation possède souvent des propriétés qui n'existaient pas au niveau inférieur.
Le modèle commence par distinguer les phénomènes, mais sans les isoler, et permet leur conjonction.

Ce modèle est un modèle organique ou anatomique, ce n’est pas un modèle fonctionnel (ou
“ behavioral ”). Il correspond à une observation empirique de la situation d’état, notamment dans
l’électromécanique. Il n’est pas sûr, et c’est un objet de recherche, qu’il soit adéquat, par exemple pour
la chimie et l’agrobiologie. C’est la conjonction des interrelations fonctionnelles avec l’environnement
sociétal, qui permettrait de passer à un modèle fonctionnel. Mais le modèle organique est la base de
celui-ci.

L'étude des "lois " physiques de composition, d'intégration, de passage d'un niveau à l'autre, des
propriétés et procédés techniques pourrait constituer, selon la suggestion d’un philosophe, un corps de
connaissances structurées : l'ingéniérologie, de contenu interdisciplinaire.
L'ingéniérologie ou technologie générale, science de la constitution et du changement de "l'arche"
technologique, engloberait notamment l'organologie, ou étude des éléments et la mécanologie, ou étude
des individus techniques.

L’hypothèse globale décrit les taxons de l’édifice technologique.

• Les lois de la nature, en premier lieu, sont examinées dans leur rapport avec la technique. Ce rapport
n’est pas univoque, la technique a souvent précédé la connaissance scientifique. La praxis technique a
souvent posé de nouveaux problèmes à la science, y compris aux mathématiques. Les distances entre
Science et Technique varient selon les activités, dans des technologies comme l’informatique il y a

9
fusion. Ce qui caractérise le progrès technologique actuel est le mouvement de transfert des
connaissances, leur algorithmisation, leur intégration dans les êtres techniques.

• Les Fonctions technologiques


Elles concernent une grande partie des activités de l'humanité et elles dérivent de ses besoins essentiels,
se nourrir, se vêtir, se loger, s'instruire, être en bonne santé, etc... Se nourrir, par exemple, nécessite un
certain nombre d'activités : cueillir, labourer, semer, fertiliser, sarcler, désherber, arroser, faucher, battre,
récolter, transporter, ensiler, conserver, transformer... Les besoins se convertissent en demandes par un
processus social complexe, celles-ci varient historiquement et géographiquement en fonction des valeurs
d'usage existantes et du niveau des aspirations de la société. Se rattachent aux couples besoins-demandes
des groupes de fonctions techniques qui se situent à divers niveaux : 1 internes à l'individu ; 2 externes
avec son environnement sociétal : couple, famille, groupes sociaux, nation ;.3 les rapports techniques
entre l'homme et la matière, avec l'objet et les moyens de travail ; 4 les rapports des groupes sociaux
entre eux et des unités de production entre elles ; 4 les rapports entre branches d'activité ; 5 les rapports
entre nations ; 6 les rapports de l'individu avec la nature. Les fonctions techniques ont fait l'objet de
nombreux travaux des ethnologues et des technolinguistes. Une synthèse serait l’élaboration d’un arbre
anthropologique.

• Les principes technologiques


Les principes techniques sont le résultat de l'expérience de pratiques millénaires qui ont le plus souvent
précédé l'explication et la codification scientifiques. Mais aujourd'hui la plupart d'entre eux se rattachent
au corpus scientifique. Ils dérivent, par exemple, des notions fondamentales de la statique : composition
des forces, conditions d'équilibre, centre de gravité, frottement, etc... de celles de la cinématique :
translation, rotation, oscillations, chute libre, jet, mécanismes, etc... de celles de la dynamique : force
centrifuge, oscillations harmoniques mécaniques et pendulaires, choc, etc...de celles de la résistance des
matériauxÊ: tension mécanique, traction, compression, force interne, flexion, cisaillement, torsion,
flambage, etc
Les principes technologiques peuvent ou non s'associer entre eux, ainsi la combinaison des principes de
l'électrostatique et de la photo-conductivité a abouti à celui de la xérographie, un "intégron" aux
propriétés nouvelles. Si l'humanité a découvert empiriquement un grand nombre des principes de son
activité technique, celle-ci s'enrichit de l'apparition d'autres principes-la supra conductivité-par exemple,
qui élargissent et complexifient le système technique. Les principes techniques se concrétisent dans des
fonctions technologiques intrinsèques et des procédés. Ils sont à la fois expression des lois de la nature et
moyen d'action sur elle.

• Les propriétés technologiques


Une propriété est une qualité, une fonction particulière qui distingue des autres choses. Fonctions,
principes et propriétés sont des catégories en connexion, et souvent le même mot les désigne. On parle de
principes ou de propriétés mécaniques, chimiques, électriques, magnétiques…Il y a des propriétés
"naturelles", qui sont des données pour l'activité humaine dès lors qu'elles sont identifiées et peuvent être
utilisées. Il y a les propriétés "créées", fruit du processus d'artificialisation qui caractérise la constitution
de la technosphère.
Pratiquement il serait utile de disposer de banques de données sur les propriétés et de structurer
l'information afin qu'elle puisse servir de matrices de découverte, ce qui implique, là aussi l'établissement
de typologies.

• Les éléments
On ne dispose pas, comme en chimie, d'une table de Mendeleïev de la classification des éléments
technologiques. C'est le niveau le plus flou de l'édifice technologique. Il ne paraît pas qu'un travail
systématique de classification a été entrepris pour l'explorer. Ces "éléments" ou "technèmes" seraient les
vecteurs insécables des technologies et constitueraient le premier étage du système technique. Il en est

10
ainsi, par exemple des triodes, des klystrons, des magnétrons. Ce serait à ce niveau que s'effectuerait le
transfert des contenus techniques. Cette thèse peut être élargie. En effet un nombre limité d'éléments
usuels apparaissent les premiers matériaux de l'édifice technologique qui s'est constitué au cours de
l'histoire.Mécanismes, dispositifs, appareillages, ce que les anglo-saxons appellent les "Key devices"
peuvent être considérés comme des éléments.Il en va ainsi pour la roue, le levier, le coin, le fil, le filet, la
corde, le nœud, la chaîne, le ressort, le palier, l'engrenage, la valve, le coin, la manivelle, le pendule, le
gyroscope, la pompe à air, le régulateur de vitesse, le roulement à bille, l'électro-aimant, la cellule
photoélectrique, les lentilles optiques et magnétiques, et, plus récemment, l'aérosol, le transistor, le
microprocesseur, le laser. Ces éléments entrent comme composants des objets techniques et sont
répandus à des millions, voire des milliards d'exemplaires.
Ces éléments ne sont pas pourtant toujours insécables, ils peuvent avoir des composants. L'élément n'est
pas l'élémentaire. Il constitue lui-même un système, comme l'atome en physique. Mais par analogie, pour
ces “éléments" technologique qu'est-ce qui correspondrait à l'ordre de masses atomiques ? Y-a-t-il une
relation entre cet ordre et les propriétés technologiques ? Y a-t-il des "périodes" ? Y a-t-il à l'intérieur des
éléments l'équivalent de l'atome hydrogène comme unité de combinaison et de valence, ou plusieurs
atomes ? Les technologies ne constituent-elles pas des sortes de groupements moléculaires dont le type
de liaison atomique peut être comparé aux différents modes d'agencement électroniques ? Simples
questions sans réponses.
Sinon que le nombre des "éléments" technologiques n'est pas fini comme en chimie, il augmente avec la
recherche scientifique et technique et la praxis. Sinon encore qu'on pressent que les éléments techniques
ont des propriétés intrinsèques de s'associer entre eux selon des valences variables, mono, pluri ou
polyvalentes. Ainsi une des propriétés essentielles des "technologies nouvelles", l'informatique
notamment, est leur grande capacité d'association par convergence, intersection ou union... Sinon enfin
que la "variété" du système technologique est plus élevée que celle du système chimique en raison du
nombre plus grand de ses éléments et, probablement, d'une plus grande flexibilité de liaison entre eux et
d'associations de technologies.
L'"organologie" serait donc l'étude du taxon des "éléments" techniques, de la concrétisation des
principes scientifiques et technologiques abstraits dans des structures physiques dotées de propriétés et
crées par des procédés.

•Les objets et individus techniques


Les objets sont une combinaison d’éléments, un mécano, une configuration organisée. Ils se différencient
selon leur fonction d’usage. Quand ils ont la même fonction d’usage et le même principe technologique,
ils constituent une “ lignée ”. Quand pour la même fonction d’usage ils ont des principes techniques
différents, ils forment une “ famille ”.
Le système des objets reste à élaborer. Il pourrait être envisagé selon divers critères. D’abord leurs
fonctions d’usage dont l’ensemble constituerait un arbre anthropologique. Ensuite leurs complexités :
fonctionnelle, structurelle, d’utilisation et de fabrication. Ces complexités ont entre elles des relations.
Les complexités structurelle et fonctionnelle croissantes s’intègrent dans l’objet pour simplifier son
utilisation. L’analyse de la complexité technique montre les relations entre les complexités structurelle et
fonctionnelle, d’une part, et celle de fabrication. L’objet technologique complexe agrège des éléments,
des composants eux-mêmes complexes, des principes technologiques compatibles.
Un autre aspect du système des objets est le caractère plus ou moins systémique de ceux-ci. Les objets
techniques, selon leur niveau, possèdent ou non un milieu associé. Un “ individu technique ” est un objet
supérieur dont le milieu associé est la condition sine qua non de son fonctionnement. En ce sens il se
rapproche des individus naturels. Ces considérations sont importantes pour penser l’avenir des objets. Ce
sont des domaines pratiquement inexplorés.

• Les procédés
La technique est faite de procédés opératoires, en principe, rigoureux, définis, transmissibles,
susceptibles d'être appliqués à nouveau dans les mêmes conditions, adaptés au genre de problèmes et de

11
phénomènes en cause. En raccourci le procédé est une manière de faire. Chaque procédé va donc être
une combinaison spécifique de mise en œuvre de principes et propriétés techniques, par des hommes
dotés d'outils, de machines, d'énergie, d'information, d'algorithmes, de règles, de programmes, selon des
séquences ou des ordres d'opérations non arbitraires.
Pour obtenir le résultat visé il peut n'y avoir qu'une seule voie, une seule manière de faire. Mais le plus
souvent il existe des alternatives. Celles-ci résultent soit de la cœxistence de plusieurs principes ou
propriétés, soit des proportions relatives de la force de travail et du capital mécanique fixe, de la part des
savoir faire non formalisés, des degrés d'algorithmisation de ceux-ci dans les machines et les logiciels,
des rapports entre le travail manuel et intellectuel, du type d'énergie, du choix des matières premières, de
la disposition des opérations, etc... Chaque procédé est une configuration organisée.
La littérature qui concerne les procédés est immense, elle constitue le fond essentiel de la littérature
technique. Cette abondance est chaotique. C'est pourquoi l'organisation de cette masse de données
représente une tâche essentielle. Il s'agit en définitive de socialiser (comme en son temps Diderot l’avait
fait pour rompre le monopole des corporations) les "manières de faire", c'est-à-dire de créer les
conditions de choix éclairés sur la manière de produire, de distribuer, de transporter, de transformer, de
conserver. Car l'information technique, si elle est transmissible, n'est pas toujours transmise. Pour
comprendre cette situation il faut analyser les formes sociales de la technologie.

Dans ce dessein, l'hypothèse globale envisage aussi la technologie selon les catégories les plus générales
de l'économie politique : la valeur d'usage et la valeur d'échange, dont les logiques sont à la base de la
constitution, du transfert, de la diffusion, de la reproduction, de l'évolution de la technologie.
L'activité des Agents sociaux génère les métamorphoses de la technologie. C'est par elle que la
technologie prend différentes formes sociales : "socialisée" (la littérature, l'éducation
technologique....),"aliénée", selon un droit de propriété (licences, know-how secret....), "capitalisée"
(incorporée dans les machines et les instruments de travail....),"incarnée", (incorporée dans la ressource
humaine, les savoir-faire....). Les formes socialisée et aliénée sont des doublets antagonistes. Les formes
capitalisée et incarnée des contradictions non antagonistes. Elles se combinent entre elles dans la mesure
ou elles ne s'excluent pas. Cette analyse des formes sociales de la technologie fournit des clés pour la
compréhension de la technologie comme marchandise et comme relation de pouvoir.

• Sous-systèmes et système technologiques


"L'arche" technologique est un édifice d'intégrons. Le "système" en est l'ensemble. Il comprend des
niveaux d'abstraction hiérarchisés (lois de la nature, principes techniques), des formes physiques
(éléments, objets, propriétés, procédés), des fonctions intentionnelles.
Les éléments s'assemblent en objets, les individus forment au niveau succédant des "collections" ou
ensembles d'individus techniques : un atelier, une usine par exemple. On peut les assimiler à des sous-
systèmes eux-mêmes inclus dans d'autres sous-systèmes et dans le système technologique résultant. Mais
la classification et l'emboîtement des gigognes technologiques ne sont pas évidents.
D'abord les frontières entre les termes de sous -système et système ne sont pas nettes. On peut dire
"système, pour tout système qui manifeste autonomie et émergence par rapport à ce qui lui est extérieur ;
sous-système, pour tout système qui manifeste subordination à l'égard d'un système dans lequel il est
intégré en partie". Ainsi le système technologique n'est manifestement pas autonome par rapport à ce qui
lui est extérieur, ce qui n'est n'exclut pas l'existence de lois de composition internes. Selon cette
définition, il constitue un sous-système comprenant lui-même des sous-systèmes. La question se pose de
la catégorisation des “ technologies génériques ”, telles la microélectronique et le laser, comme des sous-
systèmes transversaux aux autres sous-systèmes. Ensuite, les sous-systèmes technologiques peuvent ne
pas épouser les classifications des activités économiques. La relation entre le découpage du système
industriel, ses systèmes de production, et la taxonomie des technologies reste largement à établir. On
pressent que cette relation se modifie avec l'évolution des technologies et des jeux des acteurs sociaux

• Les ordres de grandeur des taxons du système technologique

12
La technologie c’est maintenant 6 millions de mots. Ce qui signifie que sa “ variété ” est du même ordre
de grandeur que celle des espèces végétales et animales. Le projet de l’EST peut alors, a priori, être
considéré comme irréalisable et mégalomane. C'est pourquoi il n'est pas inutile de fixer les idées sur les
ordres de grandeur des différents taxons d'une technologie générale.
• Les lois scientifiques sont relativement peu nombreuses. Au total les lois scientifiques principales
paraissent plus être l'ordre de 101 que de 102 .
• Les principes technologiques essentiels dérivés sont sans doute de l'ordre de 102.
• Les procédés primordiaux devraient multiplier par 10 l’ordre des principes techniques.
• Les fonctions-objectifs qui croisent des principes technologiques avec des objectifs sociaux sont peut-
être de l'ordre de 103.
•Les propriétés technologiques primaires devraient être du même ordre.

Ces hypothèses ont l'intérêt de suggérer des voies d'entrées dans la construction de l'Encyclopédie.

Les langages de description

L'hypothèse de la Technologie Générale contenait le projet de créer un langage pertinent des descriptions
et d'analyse de la technologie.

Toutes les méthodes ont créé leur propre méthode de description, il en est ainsi en mathématiques, chimie,
biologie, linguistique, sociologie par exemple13. Le langage pertinent permettant d'identifier la structure
interne de la technologie, les constituants des techniques, les niveaux de complexité des éléments et de
leurs associations, la nature de leurs modes de liaison, n'existe pas pour la technologie, en tant que
connaissance et réflexion sur la technique.

Cette méthode pertinente devrait être en accord avec la spécificité, le caractère, l'ordre de la technologie.
Mais réciproquement, c'est cette méthode de description qui permettrait de révéler cet ordre, ce caractère
et cette spécificité. L'expérience montre qu'il est fructueux de transférer et d'adapter des instruments
d'autres disciplines, au demeurant, c'est une des définitions de l'interdisciplinarité. On ne peut toutefois
décider a priori si cette méthode, analogique ou non, est pertinente. Il faudrait procéder par essais et
interactions en utilisant éventuellement des méthodes empruntées à d'autres disciplines avant d'arriver à
une évaluation et au choix d'une méthode probablement différente de celles testées. En effet comme la
technologie médiatise le monde physique, chimique, biologie, informationnel, est intégratrice et
réordinatrice, il faudrait probablement inventer ses propres concepts et instruments d'analyse. C'est dans
cet esprit qu'on pourrait envisager, dans un premier temps, de tester l'application à l'analyse de la
technologie des méthodes créées dans d'autres domaines. On pense immédiatement à l'utilisation de la
théorie des ensembles14, à celle des sousensembles flous15 , à celle des graphes de liaison16, à l'analyse
topologique qui se développe pour prévoir les propriétés chimiques17.

13
"Ordre et l'Université du vivant", ouvrage coordonné par TASSY Pascal, nouvelle encyclopédie des sciences et
des techniques, Fondation Diderot, Fayard, 1986.
14
Voir l'essai de MANOUGIAN Edward, "Towards a common language for the technologies" in Leslie
HOLLIDAY. "The intégration of technologies", Hutchinson, London, 1966.
15
ZADEH L.E., "Toward a théory of fuzzy systems", University of California, Berkeley, June, 1969.
et KAUFMANN A. "Introduction à la théorie des sous-ensembles flous", tome 2 "applications à la linguistique, à la
logique, à la sémantique", Masson ed., 1975.
16
THOMA Jean V."Introduction to Bonds graphs, and their applications" Pergamon Intern., 1975.
17
ROUVRAY Dennis H., "Predicting chemistry from topology" in Scientific american, Septembre 1986

13
On pense à l'analogie avec la linguistique suggérant l'équivalence entre les "monèmes" et les
"technèmes"18 ce qui suppose de déterminer les éléments insécables des technologies.

L'analogie avec la biologie peut amener à considérer que.la technique, comme les êtres vivants, évolue et
se complexifie par la constitution "d'intégrons" nouveaux19. Les "intégrons" sont ici les agrégats des
différentes générations technologiques. Ce sont des processeurs polyfonctionnels dont l'assemblage assure
la cohésion du système. L'analogie biologique est sans doute intéressante aussi pour la compréhension des
"essences" et "lignées techniques" ainsi que les mécanismes de régulation. Les rétroactions positives
conduisent, par exemple, à des fusions de champs entre la mécanique et l'électronique la mécatronique20.

L'analogie avec la chimie soulève, comme l'analogie biologique, le problème du classement en niveaux de
base. Il s'agit ici d'identifier des correspondances éventuelles dans l'ordre technologique avec celui de la
chimie : mélanges, combinaisons, corps purs, éléments, molécules, atomes etc ... Le mouvement de la
technologie présente un certain parallélisme avec celui de la chimie : fragmentation en unités élémentaires
et reconstitution dans de nouveaux ensembles. La science découvre des unités séparables. La technique
rend effective cette rupture du réel en éléments séparés et utilisables. Elle reprend ces éléments pour
reconstituer une nouvelle synthèse. La technique est donc simplificatrice, réductrice, opérationelle,
instrumentale et réordinatrice21. La notion de "valence" est peut-être transposable dans l'analyse du réel en
éléments séparés et utilisables. Elle reprend ces éléments pour reconstituer une nouvelle synthèse. La
technique est donc simplificatrice, réductrice, opérationelle, instrumentale et réordinatrice. La notion de
"valence" est peut-être transposable dans l'analyse de la technologie. Le nombre des liaisons qu'un atome
peut avoir avec d'autres atomes suggère des propriétés intrinsèques des techniques de s'associer entre elles
selon des valances variables, mono, pluri ou polyvalentes. Ainsi une des propriétés essentielles des
"technologies nouvelles" est leur grande capacité d'association, par par convergence, intersection ou
union. Le concept de "grappe technologie" illustre cette évolution22. La constitution de ces ensembles
polyvalents devient un des enjeux essentiels. La constitution de ces ensembles polyvalents devient un des
enjeux essentiels dans la stratégie des grandes entreprises23.

Des analogies avec les méthodes de description d'autres disciplines devraient aussi être explorées,
particulièrement celles développées par les anthropologues. La démarche consistant à étudier le processus
de fabrication des objets permet de dégager le type des rapports de la forme, de la matière et de la
fonction, de là il est possible de remonter aux éléments fondamentaux communs aux techniques de même
principe déterminés par des lois physiques. Les activités techniques constituent un réseau structuré de
relations entre les hommes et "la nature", et entre les hommes entre eux. C'est pourquoi la logique
rationnelle technique se combine sur différents plans avec la mémoire sociale qui s'exprime par les
différents modes de transmission et d'éducation et avec des constructions mentales. Il en résulte des
"chaînes opératoires" qui sont des structures sociales24.

On pressent que la technologie en tant que médiation générale entre l'homme, la société et la nature,
nécessite une méthode pertinente de description qui emprunte aux disciplines de ses constituants mais
dont le tout ne soit pas la somme des parties. Cette méthodologie est donc à établir.

18
SIMONDON Gilbert, "Du monde d'existence des cbjets techniques", Aubier Montage, 1969.
19
JACOB François "La logique du vivant, une histoire de l'hérédité", Gallimard, 1981.
20
NOGUCHI Tasuku "Technologies de pointe et stratégies industrielles au Japon", dans Travail et Société n 4, Oct.
Nov. 1983, BIT, Genève.
21
ELLUL Jacques "Le système technicien", Calmann Levy 1977.
22
GEST "Grappes technologiques", Les nouvelles stratégies d'entreprises, Mc Graw,-Hill, 1986.
23
GIGET M., Euroconsult, "Les bonzais de l'industrie japonaise", CPE Etude n 40, Paris, 1984.
24
LEROI-GOURHAN André "Le geste et la parole, La mémoire et les rythmes", Albin Michel, 1965.
GEISTDERFER Aliette, André LEROI-GOURHAN, La pensée n 258, Juil. Août, 1987.

14
Autres Recherches

Des travaux suggèrent des pistes de recherches:

• Ainsi des critères de proximité fonctionnelle permettent de définir des catégories d'objets techniques
apparemment différents mais répondant aux mêmes principes physiques et fonctions (par exemple les
armes à feu, les missiles, les lasers, les rayons X, les équipements de sondage, les robots sont au fond
destinés à projeter de l'énergie vers une cible, située à une certaine distance) La détection systématique
des "fonctions-objectifs"25pourrait constituer le premier niveau d'une taxinomie.
Il est à noter que cette approche peut être considérée comme un dépassement des tentatives des linguistes
de symboliser les unités techniques élémentaires par des verbes. Mais la prise en compte des principes
physiques éclaire les fonctions elles-mêmes. Cet éclairage pourrait peut-être permettre de donner un
second souffle aux travaux de la linguistique structurale dans ce domaine.

D'autres instruments d'observation des changements techniques ont été élaborés. Ainsi la constitution
d'arborescences technologiques sous forme de graphes orientés, est une représentation systématique de
l'éventail des solutions techniques disponibles, à un moment donné du temps, et dans le cadre d'une
industrie déterminée.
L'arborescence technologique résulte de l'application de la méthode de l'analyse morphologique.
Permettant de révéler la combinatoire des éléments constitutifs des technologies, - sa variété - elle met en
lumière les potentialités de celle-ci, et pourrait jouer le rôle de matrice de découverte. Son intérêt n'est
donc pas seulement de comprendre la logique intrinsèque d'un système technique donné mais d'en
envisager l'évolution possible . Le graphe technologique resitue le mouvement réel d'apparition et de mise
en oeuvre des procédés techniques.
Les deux instruments se complètent ainsi l'un l'autre. Ces essais sont basés sur une théorie économique des
propriétés de l'organisation et de l'évolution de l'industrie. On espère donc disposer de la conception de
l'architecture d'un système d'observation.
Cette architecture est évidemment tributaire du mode de représentation (des graphes orientés). Aussi les
premiers résultats obtenus seraient sans doute développés par le recours à des principes complémentaires
d'organisation des connaissances permettant de rendre compte à la complexité structurale des
technologies. Ainsi, celle-ci peut-être exprimée par des niveaux simples ou multiples, ces derniers peuvent
être décrits par des cartes linéaires (relations univoques), des cartes multilinéaires (types arbres
généalogiques)- des hiérarchies (types arborescences), des cycles (relations bivoques), des cartes
multiniveaux combinant les modes d'expression précédents26. Le système technologique ressort de cette
représentation à boucles multiples.
On pressent que les technologies sont constitués de systèmes élémentaires inter-reliés, eux-mêmes
décomposables, et que l'identification de leur arborescence soit un des schémas structurels de base
qu'utilise l'architecte de la complexité27. D'où l'importance de l'analyse des niveaux des arborescences, de
la nature, du nombre et de l'intensité des inter-relations, de leur organisation, du passage des descriptions
d'états aux descriptions de processus.

25
AYRES R "Empirical masures of technological change at the sectoral levels", Technological Forecasting and
social change 27, 1985.

26
WARFIELD John, "Some principles of knowledge organization", IEEE transactions cn Systems, man and
cybernetics, june, 1979.
27
Voir dans SIMON Herbert "La science des systèmes, science de l'artificiel", Le chapitre l'architecture de la
complexité, EPI 1974.

15
• L'analyse et la mesure de la complexité technologique sont aussi une dimension essentielle pour la
compréhension du système technique. Celui-ci évolue vers une complexité croissante. La complexification
résulte de l'augmentation du nombre des éléments (ce qui différencierait la technologie de la chimie et
suggérerait une analogie avec la créativité lexicale à travers les conditions de l'invention et de l'innovation
technologiques), des interactions entre eux, et, comme la technologie est un système ouvert, des relations
extrinsèques. La notion de complexité technique, qui se relie à celle de variété, si elle est facilement
compréhensive intuitivement, est pourtant difficile à définir et encore plus à mesurer. Différentes
approches sont possibles et nécessaires d'explorer. Le terrain a été peu défriché28. Il n'est pas sûr que les
niveaux de complexité technologique des différents sous-systèmes technologiques (mécaniques,
chimiques, biologiques, informationnels par exemple) puissent être mesurés de la même façon, en raison
de différences dans l'organisation de leurs inter-relations intrinsèques. Sans doute existent-ils aussi des
phénomènes de continuité et de discontinuité dans la complexification des techniques qui n'ont pas fait
l'objet d'analyses systématiques.
La conceptualisation et la mesure de niveaux technologiques croissants seraient d'une immense
importance opérationnelle pour orienter l'éducation professionnelle en fonction des contenus
technologiques qu'il est nécessaire d'assimiler pour passer d'un niveau à l'autre29, raisonner les stratégies
d'entrées et de progression des activités dans les pays en développement afin de permettre de réels effets
d'entrainement30, envisager l'évolution vers une utilisation polyvalente de niveaux technologiques
différents.

• Une autre dimension tout aussi importante serait de rechercher la méthode permettant de mesurer la
"distance" des techniques par rapport à la science. On sait que nombre de techniques existaient avant que
leurs principes scientifiques aient été établis. Peut-être que les particules élémentaires de la technologie
sont en définitive des informations. Celles-ci proviennent soit de la mémoire collective ou individuelle (les
savoir faire), soit de la science. Les technologies modernes se différencient des précédentes par leurs
charges d'informations dérivées de la science. Mais l'intensité de couplage science-technologie est
variable. La liaison est directe, par exemple, entre les mathématiques et l'électronique, elle est beaucoup
plus lâche pour d'autres techniques. Les rapports entre les savoirs formalisés et les savoir faire sont
variables selon les technologies. Il n'ont pas fait l'objet non plus d'une description systématique dont on
pressent immédiatement les implications opérationnelles.

• Enfin une recherche serait, en dérivée de l'analyse des relations des technologies, de pénétrer plus avant
dans la compréhension de l'émergence d'un nouveau système technique.
L'histoire des techniques montre qu'en général toutes les techniques sont à des degrés divers, dépendantes
les unes des autres et qu'il faut nécessairement entre elles une certaine cohérence.
Le système technologique se forme au terme d'un complexe procès social. La cohésion des forces qui
l'opèrent assure sa stabilité, les cohérences des relations entre celles-ci permettent son évolution. D'où
l'importance de clarifier les niveaux de cohérences intrinsèques et extrinsèques de la technologie.
En référence à l'hypothèse de "la théorie du système général", l'objet à modéliser - le système
technologique - serait considéré comme un processeur contenant un pôle fonctionnel (les activités), un
pôle ontologique (sa structure), un pôle génétique (son évolution).

28
Voir l'essai de mesure de la complexité des Biens d'équipement, GONOD P.F. "Un outil l'analyse de la complexité
technologique", Revue d'Economie Industrielle n 20, 2ème trimestre, 1982.
29
A signaler, les travaux pionniers effectués dans ce domaine par VIDOSSICH Franco, pour jeter un pont entre
1'analyse de la complexité technologique dans le secteur des biens déquipements et les contenus de l'éducaticn
professionnelle nécessaire.
30
Sur les effets d'entraînement, voir PERROUX François "L'effet d'entraînement : de l'analyse au repérage
quantitatif", Economie Appliquée 2, 3, 4, 1973 et HIRCHMAN Albert, "Vers une économie politique élargie",
les Editions de Minuit, 1986.

16
L'étude de la méthodologie pour comprendre "l'organisation" du système technologique (interrelations,
articulations, structure) instituerait, une correction radicale dans l'orientation des études qui sont porté
presque exclusivement sur la philosophie, la sociologie et l'économie de la technologie. Il faut comprendre
maintenant, de l'intérieur, la technologie elle-même.

Une Encyclopédie Systémique ne serait pas une nouvelle histoire des techniques31. L'analyse
prépondérante serait synchronique dans le sens où elle tenterait de décrypter la situation d'arrivée du
système technologique actuel. Bien évidemment les dimensions diachroniques n'en seraient pas exclues.
Mais c'est l'explication des configurations technologiques observées qui requièrerait une remontée dans
l'évolution passée, et non l'inverse. La dimension diachronique essentielle serait, au demeurant, dans une
seconde étape, celle de la prospective technologique. C'est dire que le pôle génétique serait peu traité dans
un premier temps. Par contre, le pôle fonctionnel ferait l'objet d'analyses plus approfondies. Ainsi qu'il a
été relaté précédemment la détection systématique des "fonctions-objectifs" pourrait constituer le premier
niveau d'une classification technologique en permettant une description d'états fondée sur les principes
technologiques et une première approche de la description description des processus.
Cette classification pourrait s'articuler avec les apports d'autres disciplines, ceux des ethnologues,
notamment.
Ainsi le rapprochement de la classification par "fonctions-objectifs"- qui incorpore les principes
technologiques - avec une classification ethnologo-linguistique, sous forme d'arbre anthropologique des
activités techniques, pourrait être intéressant en rattachant la première aux besoins humains et en donnant
le sous-bassement qui manquait à la seconde. Incidemment l'approche technologo-linguistique devrait
aboutir à un dictionnaire hiérarchisé des verbes techniques qui pourrait servir pour des comparaisons
sociétales, l'existence ou non de l'activité, le verbe qui l'exprime dans d'autres langues, permettraient pour
l'ethnologue de mieux appréhender la représentation de la technosphère dans des sociétés différentes. Une
problématique interdisciplinaire peut-être entrevue. A un autre niveau taxinomique, des arborescences
technologiques devraient permettre de représenter la variété et la complexité des sous-systèmes, leur
organisation, les potentialités de leur combinatoire - et de disposer d'une base de réflexion sur leurs
virtualités d'évolution. Des graphes technologiques rendraient opérationnelles pour la compréhension du
présent et la prospective des futurs technologiques.

Telles sont, à partir des questions soulevées par la recherche d'un langage pertinent de la technologie, les
grandes lignes des Recherches à entreprendre.

Complément à l'hypothèse de la Technologie Générale

Au cours des travaux , l'hypothèse principale a été enrichie par des apports nouveaux. Bien que dans
l'hypothèse générale la logique fonctionnelle était considérée comme essentielle, toutes les implications
n'en avaient pas été tirées. La nouvelle thèse est de définir le produit par ses fonctions32.
Tout produit intègre trois fonctions : sa forme technique - son existence repose sur un système technique ;
sa fonction de service - son utilisation répond à un besoin pratique ; et une fonction de signe - le produit
correspond à un positionnement social.
Le produit est ainsi au carrefour de ces dimensions. Sa dynamique résulte d'un triptyque intégrant
l'évolution des fonctions sociales (service et signe), celle d'un artefact physique concrétisé par une forme
technique, et le comportement des utilisateurs.

31
GILLES Bertrand "Histoire des techniques", NRF, Pléiade, Paris, 1978.
32
SEBBAR S. "Dynamique technique des produits : un cadre conceptuel évolutionniste"Analyse de Systèmes,
Vol.XXI, N°1, mars 1995.

17
Fonction sociale

Comportement Artefact physique

Le premier stade de la méthode est de définir des "formes techniques" qui déterminent les structures
techniques stabilisées du produit et permettent de suivre le déroulement des innovations du produit.
Chacune des fonctions peut faire l'objet de plusieurs solutions techniques.
Le second stade est la description des "fonctions techniques de premier rang", c'est-à-dire le premier
niveau de description de "lenvironnement interne", définissable indépendamment des mécanismes de
fonctionnement détaillés. Ces "fonctions techniques de premier rang"fixent les objectifs à atteindre. Cette
analyse ouvre la voie à la détection de la "saturation" de la solution technique, quand celle-ci ne permet
plus d'amélioration qualitative, ou l'extension de la fonction vers des fonctions plus larges. Il est donc
possible de distinguer les solutions techniques stabilisées des solutions en évolution.
Les fonctions internes de premier rang peuvent être décomposées en "fonctions internes de second rang"
qui reposent sur des principes techniques opérationnels et donnent lieu à la description du mode
d'association des éléments techniques requis. Cette décomposition peut ainsi être reproduite jusqu'à
l'atteinte des niveaux les plus bas. A ces niveaux ce sont surtout les savoir quoi et les savoir comment
faire, les savoirs pratiques qui deviennent opérationnels.

L'apport philosophique récent

L'hypothèse de la Technologie Générale a été fortement influencée par les travaux de certains
philosophes, en particulier Georges Simondon33. La philosophie définit des catégories, et c'est ce qui est le
plus important pour la compréhension de la technologie.
C'est ainsi qu'une typologie des technologies a été établie par Carl Mitcham34. Il distingue la technologe
comme objet (instruments, outils, machines), comme connaissance (maximes, règles, théories), comme
activité (fabrication, design, maintenance, utilisation), comme volonté "volition" (active, réceptive). Il
estime que cette classification permet, plus que d'autres ccadres, d'apprécier la richesse de la technologie.
Ainsi à un quelconque niveau les quatre modalités sont présentes et offrent différentes perspectives ou
entrées dans la technologie. En outre, entre les quatre modalités, il peut y avoir des possibilités pratiques
de recouvrement.
• Comme objet et comme activité (en l'absence de la technologie comme connaissance et volonté), cela
peut être , comme jeu avec un jouet ;
• Comme connaissance et comme activité (en l'absence de la technologie commeobjet et volonté) c'est le
design de voitures imaginaires comme hobby ;
• Comme activité et volonté (en l'absence de technologie comme objet et comme connaissance, dans le ses
fort), c'est la pure qualification technique ;

33
Voir réf.13
34
MITCHAM Carl "Thinking throup technology, the path between engineering and philosophy" The University of
Chicago Press, 1994. Dans ce drenier livre MITCHAM reprend mas développe la typologie qui figure dans sa
contribution "Types of technology" au livre "Research in philosophy & technology" editor Paul T. Durbin, Jai Press
Inc, volume 1, 1978. Les notes de son dernier ouvrage sont sans doute la référence la plus complète en la mtière.

18
• Comme objet, activité et volonté (en l'absence de connaissance technologique consciente), c'est la ligne
d'assemblage de la production de masse.

À partir des différents types de technologie on peut s'interroger sur les implications éthiques de l'être
humain, dont Mitcham dit "être humain s'est être technologique". Il conclut que son livre demeure non
plus qu'un commencement pout penser à travers la technologie (thinking through technology.".
Proposition qu'il complète dans les termes suivants :" Si la technologie est comprise comme une part des
relations science-technologie-société, et que la philosophie assume un rôle actif deans la culture, alors
"thinking through technology might become thinking through technology ". En quelque sorte la
technologie comme "matière à penser".

Ces considérations sont importantes pour l'éducation technologique.

Un des spécialistes européen de l'éducation technologique, le Professeur Marc J. de VRIES, se référant à


la typologie de Mitcham en tire les constats et les conséquences suivantes35 :

"Technology education not only aims at teaching specific knowledge and skills, but also at enabling pupils
to acquire a balanced overall concept of what the nature of technology is, as well as acquiring a positive,
yet critical attitude towards technology. These are of course the more long-term aims. Through all the
activities pupils go through in technology education in the course of time gradually such an overall
concept and such an attitude has to be built up. Research has shown that pupils generally speaking in
their concept of technology are very much biased towards the product dimension of technology (De Vries
1993). According to e.g. Carl Mitcham in his book "Thinking Through Technology" this is only one of the
four dimensions of technology; the other three are: technology as process (e.g. designing, making, using,
evaluating), as knowledge (the 'discipline' of technology) and as volition (or will, i.e. technology as part of
our human nature) (Mitcham 1994). These other three dimensions are only poorly represented in the
concept of technology that pupils appear to have. In technology education we should aim for changing.
Without a balanced concept of technology as a process of human decision taking pupils will not be able to
live in a technological world. Besides that we would like them to have a certain control over technology
rather that that they are controlled by technology".

Il faut donc dans une Encyclopédie Systémique de la Technologie dont la finalité est une contribution à la
maîtrise sociale de la technologie, mettre en œuvre simultanément ces quatre dimensions. C'est ce qu'on a
tenté de faire.

35
dr. Marc J. de VRIES Eindhoven University of Technology, "Teaching and Learning Basic Concepts of and in
Technology", communication poour le site EMET;

19

Vous aimerez peut-être aussi