expositions
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c a r n e t s c u lt u r e l s • 97
de l’éclat brûlant des toiles dans l’esprit de celui qui les voit. Mais qui les
voit ainsi ? Et comment montrer en même temps la peinture et la parole
foudroyée qu’elle a provoquée ?
Un peu de scénographie, un accrochage dont les sections sont intro-
duites par des extraits de Van Gogh, Le suicidé de la société. Les mots sont
là, sur les murs. Dans une petite salle obscure, l’image en haute définition
de Champ de blé aux corbeaux, qui était encore considéré en 1947 comme le
dernier tableau de Van Gogh et qui bouleversait Artaud, est projeté sur un
écran car le musée d’Amsterdam n’a pas voulu le prêter. Une voix forte de
comédien, Alain Cuny, déclame. Le jeudi, jour de nocturne, un acteur vient
en chair et en os. Les tableaux restent impavides. Lire, entendre, voir, est-ce
possible en même temps ? Comment ne pas se dire que cette rencontre Van
Gogh / Artaud dans les salles d’un musée n’est qu’une occasion d’organiser
une exposition à succès ? Pourtant la rencontre a eu lieu.
En décembre 1946, Antonin Artaud a quitté depuis quelques mois
l’hôpital psychiatrique de Rodez où il était interné. Il vit à Ivry dans la
banlieue parisienne. Le galeriste Pierre Loeb l’incite à écrire un texte sur
Vincent Van Gogh. Artaud n’en fait rien. Il s’occupe de la publication
de ses œuvres chez Gallimard. Le 13 janvier 1947, il est sur la scène du
théâtre du Vieux-Colombier pour prononcer une conférence devant le
Paris culturel au complet ; il ne dira pas un mot. Une exposition Van
Gogh va bientôt ouvrir à l’Orangerie des Tuileries. Pierre Loeb y voit
une occasion de relancer l’écrivain. Il lui envoie les extraits d’un livre de
François-Joachim Beer parus dans le journal Arts. Beer est psychiatre et
essaie de dresser un diagnostic clinique de Van Gogh et de son œuvre.
Antonin Artaud entre dans une colère noire et commence à jeter ses mots.
Il a déjà écrit sur des peintres. Il connaît peu Van Gogh. Mais le
dimanche 2 février, il est à l’Orangerie et traverse l’exposition au pas de
course. Peu après, avec l’appui de Pierre Loeb, il signe un contrat avec un
éditeur. Son livre paraît quelques mois plus tard, couronné par le Prix
Sainte-Beuve. Sa mort survient le 4 mars 1948. De celle de Van Gogh, il
dit : « Si Van Gogh n’était pas mort à 37 ans je n’en appellerais pas à la
Grande Pleureuse pour me dire de quels suprêmes chefs-d’œuvre la pein-
ture eût été enrichie, car je ne peux pas, après les Corbeaux, me résoudre
à croire que Van Gogh eût peint un tableau de plus. Je pense qu’il est mort
à 37 ans parce qu’il était, hélas, arrivé au bout de sa funèbre et révoltante
histoire de garrotté d’un mauvais esprit. »
Car Antonin Artaud accuse. Les psychiatres, dont il a fait l’expérience,
les médecins et surtout le docteur Gachet qui s’est occupé de Van Gogh
à Auvers-sur-Oise, qui l’a envoyé peindre dans les champs le jour où il
s’est suicidé, « et qui fut la cause directe, efficace et suffisante de sa mort ».
Artaud dénonce un complot contre l’être, contre l’art.
Bien sûr, c’est Artaud se regardant dans le miroir d’une mort et d’une
œuvre. Mais ce n’est pas que ça. C’est l’acmé d’une vision de l’art et de
l’artiste – née au XIXe siècle – par celui qui l’a vécue au plus profond de lui.
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