Textes On ne badine pas avec l’amour (1)

Télécharger au format docx, pdf ou txt
Télécharger au format docx, pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 6

Séquence n°2 : Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle – Alfred de Musset, On ne ba-

dine pas avec l’amour, 1834

Lecture linéaire n°5 : Musset, On ne badine pas avec l’amour, 1834. Acte I scène 1
Scène d’exposition

Une place devant le château


Maître Blazius, Dame Peluche et le Chœur

Le Chœur1
Doucement bercé sur sa mule fringante, messer2 Blazius s'avance dans les
bluets3 fleuris, vêtu de neuf, l'écritoire4 au côté. Comme un poupon sur l'oreiller, il se
ballotte5 sur son ventre rebondi, et les yeux à demi fermés, il marmotte un Pater nos-
ter6 dans son triple menton. Salut, maître Blazius ; vous arrivez au temps
de la vendange, pareil à une amphore7 antique.

Maître Blazius
Que ceux qui veulent apprendre une nouvelle d'importance, m'apportent ici première-
ment un verre de vin frais.
Le Chœur
Voilà notre plus grande écuelle8 ; buvez, maître Blazius, le vin est bon ; vous parlerez
après.

Maître Blazius
Vous saurez, mes enfants, que le jeune Perdican, fils de notre seigneur, vient d'at-
teindre à sa majorité, et qu'il est reçu docteur9 à Paris. Il revient aujourd'hui même au
château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries, qu'on ne
sait que lui répondre les trois quarts du temps. Toute sa gracieuse personne est un
livre d'or ; il ne voit pas un brin d'herbe à terre, qu'il ne vous dise comment cela s'ap-
pelle en latin ; et quand il fait du vent ou qu'il pleut, il vous dit tout clairement pour-
quoi. Vous ouvririez des yeux grands comme la porte que voilà, de le voir dérouler
un des parchemins qu'il a coloriés d'encres de toutes couleurs, de ses propres mains
et sans en rien dire à personne. Enfin, c'est un diamant fin des pieds à la tête, et voi -
là ce que je viens annoncer à M. le Baron.

1. Le chœur : groupe de personnages présent sur scène dans les tragiques antiques et commentant l'action. Il s'agit ici de pay-
sans.
2. Messer : monseigneur (mot à connotation ironique).
3. Bluets : bleuets, plantes à fleurs bleues.
4. Écritoire : nécessaire contenant ce qu'il faut pour écrire. Il peut s'agir d'une petite boîte contenant une plume et un encrier,
ou un porte-documents, un portefeuille écritoire avec plume et encrier.
5. Se ballotte : est secoué.
6. Pater noster : premiers mots d'une prière chrétienne en latin (« notre père »).
7. Amphore : vase antique possédant deux anses.
Séquence n°2 : Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle – Alfred de Musset, On ne ba-
dine pas avec l’amour, 1834

8. Écuelle : assiette creuse.


9. Docteur : titulaire d'un doctorat, le diplôme le plus élevé
Séquence n°2 : Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle – Alfred de Musset, On ne ba-
dine pas avec l’amour, 1834

Lecture linéaire n°6 : Acte II scène 2, Le monologue de Bridaine, La salle à


manger. – On met le couvert.

Entre Maître Bridaine

MAÎTRE BRIDAINE. - Cela est certain, on lui donnera encore aujourd’hui la place
d’honneur. Cette chaise que j’ai occupée si longtemps à la droite du baron sera la
proie du gouverneur. Ô malheureux que je suis ! Un âne bâté 1, un ivrogne sans pu-
deur, me relègue au bas bout de la table ! Le majordome lui versera le premier verre
de Malaga2, et lorsque les plats arriveront à moi, ils seront à moitié froids, et les
meilleurs morceaux déjà avalés ; il ne restera plus autour des perdreaux ni choux ni
carottes. Ô sainte Église catholique! Qu’on lui ait donné cette place hier, cela se
concevait ; il venait d’arriver ; c’était la première fois, depuis nombre d’années, qu’il
s’asseyait à cette table. Dieu ! comme il dévorait ! Non, rien ne me restera que des
os et des pattes de poulet. Je ne souffrirai pas cet affront. Adieu, vénérable fauteuil
où je me suis renversé tant de fois gorgé de mets succulents ! Adieu bouteilles ca-
chetées3, fumet sans pareil de venaisons 4 cuites à point ! Adieu, table splendide,
noble salle à manger, je ne dirai plus le bénédicité 5 ! Je retourne à ma cure6 ; on ne
me verra pas confondu parmi la foule des convives, et j’aime mieux, comme César,
être le premier au village que le second dans Rome.

(Il sort.)

1. Ane bâté : au sens propre, âne harnaché ; au sens figuré, personne stupide.
2. Malaga : vin liquoreux de la région de Malaga en Espagne.
3. Bouteilles cachetées : les bouteilles de très bon vin destinés à vieillir étaient scellées par un cachet de cire.
4. Venaisons : pièces de grand gibier.
5. Bénédicité : du latin benedicte (« bénissez »)
6. Cure : résidence d’un curé ; charge ecclésiastique, fonction de curé.
Séquence n°2 : Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle – Alfred de Musset, On ne ba-
dine pas avec l’amour, 1834

Lecture linéaire n°7 : Acte III scène 2, La lettre de Camille

Déçue par Perdican, Camille semble confortée dans sa vocation religieuse et confie ses projets à une de ses amies de couvent,
dans une lettre qui tombe entre les mains du jeune homme.

Sortent maître Blazius et dame Peluche

Perdican, seul. — Que ce soit un crime d’ouvrir une lettre, je le sais trop bien pour le
faire. Que peut dire Camille à cette sœur ? Suis-je donc amoureux ? Quel empire2 a
donc pris sur moi cette singulière fille, pour que les trois mots écrits sur cette adresse
me fassent trembler la main ? Cela est singulier ; Blazius, en se débattant avec
dame Pluche, a fait sauter le cachet2. Est-ce un crime de rompre le pli3 ? Bon, je n’y
changerai rien. Il ouvre la lettre et lit.

« Je pars aujourd’hui, ma chère, et tout est arrivé comme je l’avais prévu.


C’est une terrible chose ; mais ce pauvre jeune homme a le poignard dans
le cœur, il ne se consolera pas de m’avoir perdue. Cependant j’ai fait tout
au monde pour le dégoûter de moi. Dieu me pardonnera de l’avoir réduit
au désespoir par mon refus. Hélas ! ma chère, que pouvais-je y faire ?
Priez pour moi ; nous nous reverrons demain, et pour toujours. Toute à
vous du meilleur de mon âme. Camille. »

Est-il possible ? Camille écrit cela ? C’est de moi qu’elle parle ainsi ? Moi au déses-
poir de son refus ? Eh ! bon Dieu ! si cela était vrai, on le verrait bien ; quelle honte
peut-il y avoir à aimer ? Elle a fait tout au monde pour me dégoûter, dit-elle, et j’ai le
poignard dans le cœur ? Quel intérêt peut-elle avoir à inventer un roman pareil ?
Cette pensée que j’avais cette nuit, est-elle donc vraie ? Ô femmes ! Cette pauvre
Camille a peut-être une grande piété 4 ; c’est de bon cœur qu’elle se donne à Dieu,
mais elle a résolu et décrété qu’elle me laisserait au désespoir. Cela était convenu
entre les bonnes amies, avant de partir du couvent. On a décidé que Camille allait
revoir son cousin, qu’on le lui voudrait faire épouser, qu’elle refuserait, et que le cou-
sin serait désolé. Cela est si intéressant, une jeune fille qui fait à Dieu le sacrifice du
bonheur d’un cousin ! Non, non, Camille, je ne t’aime pas ; je ne suis pas au déses-
poir. Je n’ai pas le poignard dans le cœur, et je te le prouverai. Oui, tu sauras que
j’en aime une autre, avant que de partir d’ici. Holà ! brave homme ! Entre un paysan.
Allez au château, dites à la cuisine qu’on envoie un valet porter à Mlle Camille le
billet que voici.

Il écrit.

Le Paysan — Oui, monseigneur.

Il sort.

Perdican — Maintenant, à l’autre. Ah ! je suis au désespoir ! […]

1.Empire : pouvoir, force


2.Cachet : cire qui porte l’empreinte d’un cachet (matière dure gravée avec laquelle on imprime une marque).
3.Pli : autrefois, les lettres étaient de simples feuilles pliées de manière à leur donner la forme d’une enveloppe, et que l’on
fermait à l’aide d’un cachet de cire.
4.Piété : attachement fervent à Dieu et aux devoirs religieux.
Séquence n°2 : Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle – Alfred de Musset, On ne ba-
dine pas avec l’amour, 1834

Lecture linéaire n°8 : Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, 1897, Acte III
scène 7, Le balcon de Roxane

Le personnage éponyme est amoureux de Roxane, qui, elle, aime Christian. Sachant que son amour pour Roxane est sans es-
poir, Cyrano accepte d'aider Christian, dont la précédente déclaration s'est soldée par un échec : si Christian est beau, il a peu
d'esprit, à l'inverse de Cyrano. Les deux hommes se retrouvent la nuit sous le balcon de Roxane.

Roxane, entrouvrant sa fenêtre. – Qui donc m'appelle ?

Christian. – Moi.

Roxane. – Qui, moi ?

Christian. – Christian.

Roxane, avec dédain. – C'est vous ?

Christian. – Je voudrais vous parler.

Cyrano, sous le balcon, à Christian. – Bien. Bien. Presque à voix basse.

Roxane. – Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en !

Christian. – De grâce !...

Roxane. – Non ! Vous ne m'aimez plus !

Christian, à qui Cyrano souffle ses mots. – M'accuser, – justes dieux ! –


De n'aimer plus... quand... j'aime plus !

Roxane, qui allait refermer sa fenêtre, s'arrêtant. – Tiens, mais c'est mieux !

Christian, même jeu. – L'amour grandit bercé dans mon âme inquiète...
Que ce... cruel marmot prit pour... barcelonnette 1 !

Roxane, s'avançant sur le balcon. – C'est mieux ! – Mais, puisqu'il est cruel, vous
fûtes sot
De ne pas, cet amour, l'étouffer au berceau !

Christian, même jeu. – Aussi l'ai-je tenté, mais... tentative nulle :


Ce... nouveau-né, Madame, est un petit... Hercule.

Roxane. – C'est mieux !

Christian, même jeu. – De sorte qu'il... strangula comme rien...


Les deux serpents... Orgueil et... Doute.

Roxane, s'accoudant au balcon. – Ah ! c'est très bien.


– Mais pourquoi parlez-vous de façon peu hâtive ?
Auriez-vous donc la goutte2 à l'imaginative ?
Séquence n°2 : Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle – Alfred de Musset, On ne ba-
dine pas avec l’amour, 1834

Cyrano, tirant Christian sous le balcon et se glissant à sa place. – Chut ! Cela devient
trop difficile !...

Roxane. – Aujourd'hui...
Vos mots sont hésitants. Pourquoi ?

Cyrano, parlant à mi-voix, comme Christian. – C'est qu'il fait nuit,


Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent votre oreille.

Roxane. – Les miens n'éprouvent pas difficulté pareille.

Cyrano. – Ils trouvent tout de suite ? oh ! cela va de soi,


Puisque c'est dans mon cœur, eux, que je les reçoi3 ;
Or, moi, j'ai le cœur grand, vous, l'oreille petite.
D'ailleurs vos mots à vous descendent : ils vont vite.
Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps !

Roxane. – Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants.

Cyrano. – De cette gymnastique, ils ont pris l'habitude !

Roxane. – Je vous parle, en effet, d'une vraie altitude !

Cyrano. – Certe, et vous me tueriez si de cette hauteur


Vous me laissiez tomber un mot dur sur le cœur !

Roxane, avec un mouvement. – Je descends.

Cyrano, vivement. – Non !

Roxane, lui montrant le banc qui est sous le balcon. – Grimpez sur le banc, alors,
vite !

Cyrano, reculant avec effroi dans la nuit. – Non !

Roxane. – Comment... non ?

Cyrano, que l'émotion gagne de plus en plus. – Laissez un peu que l'on
profite...
De cette occasion qui s'offre... de pouvoir
Se parler doucement, sans se voir. [...]

1. Barcelonnette : petit berceau.


2. Goutte : maladie inflammatoire des articulations.
3. Reçoi : l'absence de -s final s'explique par la rime pour l'œil avec « soi » au vers 20.

Vous aimerez peut-être aussi