2023_Imageducorps
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Filippo Dellanoce
Université de Picardie Jules Verne
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© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 11/02/2024 sur www.cairn.info via Université de Picardie (IP: 194.57.107.113)
Résumé L’auteur interroge la constitution du registre de l’imaginaire dans le cadre d’un cas de psychose infan-
tile, et selon la théorie de Jacques Lacan, Gisela Pankow et Marie Couvert. L’observation clinique
initiale montre que l’unité imaginaire du moi semble être problématique chez le patient et, par consé-
quent, l’assomption de la différence au niveau de la pensée résulte impossible. Le travail des consulta-
tions – qui prend la forme d’une mise en scène du monde fantasmatique de l’enfant à l’aide d’un support technique
spécifique (pions en bois avec uniquement des yeux) – amène d’abord le patient à dessiner volontairement son autopor-
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trait : il semble ainsi pouvoir conquérir la reconnaissance de la forme du corps humain. Ensuite, en mettant en scène une
histoire apportée par le patient et en masquant les pions qui représentent les personnages, on réalise une mascarade : le
patient commence à jouer non seulement avec l’imaginaire, mais aussi avec le symbolique. Enfin, suite à la représentation
d’une scène d’angoisse avec un serpent, le patient dessine spontanément son image à côté de celle d’une petite fille : la
reconnaissance de l’image unique de son corps, en tant que corps sexué, semble avoir été obtenue.
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Psychothérapies
souriant qui regarde l’autre volontiers, qui se sépare Ces premières observations me font soupçonner
facilement de sa mère et qui peut manipuler des que l’assomption de la différence au niveau de la
objets seul tout en regardant la thérapeute réguliè- pensée est problématique pour N. ; toutefois, N.
rement. Il peut solliciter l’adulte pour des échanges ; n’est pas incapable de la percevoir : il sait bien que
il chantonne et danse de façon répétitive avec des le rouge n’est pas le vert ni le bleu ; mais il est inca-
bribes de chorégraphie repérables. Une ébauche de pable de faire exister le rouge à côté du vert en même
jeu symbolique est apparue. temps, comme deux unités séparées et distinctes.
Avec l’accord des parents, il est admis au Centre Il semble devoir tout ramasser, tout énoncer, tout
d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) attraper, etc., dans le tout : il lui faut le tout ! Ce tout
en mars 2017 : il s’adresse toujours plus, il veut mon- que N. recherche pourrait à tort apparaître comme
trer un objet et il le nomme. Les mots augmentent le signe de l’existence d’une unité fondamentale au
et il est capable de tisser des liens à l’autre. En niveau de la pensée, mais trahit plutôt, selon moi et
août 2018, les soins au CATTP se poursuivent et dès le départ, une structure qui privilégie la totalité
N. commence à aborder la conflictualité psychique. en tant que sommatoire des éléments présents dans
Une candidature est envoyée à l’hôpital de jour en les séries évoquées tour à tour. Le prix à payer pour
mai 2018, qui est acceptée. l’absence de toute unité de la pensée et, aussi, pour
Sous indication de la maîtresse, une nouvelle toute distinction possible, c’est de voir le sujet par-
demande est adressée au CMP en janvier 2021 : N. lant se dissiper dans la série de ses énoncés : seule-
voit un orthophoniste depuis un an ; il est très bien ment l’énumération de tous les éléments de la série
dans les apprentissages et il est à temps plein en est concevable en tant que réponse là où le choix
CP ; il est capable de lire mais il n’arrive pas à saisir de N. est convoqué à l’expression.
le sens ; il est très bien dans les maths mais il est Les notions de totalité et d’unité renvoyaient
perdu quand il doit s’appliquer dans un problème ; aussi, selon la théorie proposée par Jacques Lacan
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il est autonome dans les tâches ; il est capable de dans le célèbre texte Le Stade du miroir, à la relation
mémoriser tout dans les détails ; il est très poli et du sujet avec l’image de son propre corps et aussi à
il ne présente aucun souci relationnel, mais l’école la constitution du moi et de ce registre psychique
estime néanmoins que le passage en CE1 pourrait appelé « imaginaire » (1982 [1953]). Selon Lacan,
le perturber et le mettre en difficulté. C’est à ce l’unité de l’image du corps est bien plus que la simple
moment que je le reçois en consultation. somme (totalité) de toutes les parties du corps appa-
raissant dans le miroir. Or, interrogé sur ses préfé-
rences, N. n’évoque que la totalité et le tout (« ce-ci,
La première consultation ce-ci, etc. »), jamais l’unité (« celui-ci »). Or, ce que je
voudrais essayer d’interroger ici, c’est justement le fait
Lors de la lecture de son dossier, je remarque un que le cas de N., s’il atteste l’existence et la recherche
trait qui capte aussitôt mon intérêt : tous ses des- d’une totalité, manque de cette unité qui ferait un, le
sins se ressemblent énormément et ils montrent un de son corps différent de celui de l’autre.
tous des personnages de fiction « collés » sur la
feuille blanche et très similaires les uns aux autres
au niveau de leur forme. Quand je demande à N. Technique du travail et mise
lequel est le personnage qu’il préfère, soit il affirme en scène de la vie fantasmatique
« tous ! », soit il commence à en énoncer la série :
« ce-ci, ce-ci et puis ce-ci » ; en outre, interrogé Avant notre travail en consultation1, la seule diffé-
directement sur l’existence d’une quelconque diffé- rence que N. semble en mesure de faire exister dans
rence entre ces personnages de fiction, N. est per- ses dessins est celle relevant de l’extérieur et du
suadé qu’il n’en existe aucune. perceptible (couleurs, combinaisons de couleurs),
plutôt que de la forme. En effet, une fois que la pre-
mière forme des personnages est dessinée, seules des
1
Les consultations se feront, pour des exigences institution-
formes homologues peuvent apparaître sur la feuille,
nelles, sur une durée convenue de treize séances, à raison
d’une séance par semaine, dans l’attente d’une prise en formes qui pourront se différencier seulement par
charge dans une unité localisée pour l’inclusion scolaire. de minimes variations qualitatives (couleurs).
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Image du corps et registre de l’imaginaire dans un cas de psychose infantile
Le jeu commence
N. commence par la mise en scène du scénario de
Figure 1. Les pions en bois pour le jeu base : un bébé va être volé pendant la nuit par un
imposteur. Le moment des réprimandes envers le
Pour le travail, j’introduis un support de jeu : il voleur arrive et mon patient ne manquera pas d’élever
s’agit de petits pions en bois qui n’ont sur leur visage la voix en tenant dans sa main un pion après l’autre,
que des yeux et qui présentent des combinaisons et puis il posera le pion du personnage « bébé volé »
variables de forme, de taille et de couleur. sur la tête de son propre représentant avant de le faire
On se servira de ce support pour mettre en parler contre l’imposteur. Un pion sur un autre2 ! Il
scène les histoires fantasmatiques que N. propo- prendra ensuite mon propre représentant/pion dans
sera à chaque séance. Une seule règle devra être ses mains pour le faire intervenir à ma place dans les
respectée : que les pions soient posés par N. sur la réprimandes. Je serai inflexible : mes mots m’appar-
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scène et qu’ils regardent dans une direction que N. tiennent et j’interviens dans le jeu seulement selon
devra indiquer. mes envies. De plus, je ne suis pas là pour « cogner la
Toutes les histoires proposées par N. ne sont que tête » de l’imposteur, mais pour parler. À cette occa-
des variations d’un scénario de base : sion, après avoir reconquis mon propre pion, je lui
ferai dire, en m’adressant à l’imposteur,
« Un imposteur vole, pendant la nuit, un bébé ; ses
parents s’en aperçoivent, accusent l’imposteur et le « qu’il n’a pas le droit de voler le bébé, et que donc
menacent. Le bébé est restitué. » il ne le volera plus ».
Voici, pour ainsi dire, la structure nucléaire des fan- Si des vols continueront d’être représentés jusqu’aux
tasmes de N. L’enfant jouera naturellement avec les dernières consultations, à la suite de cette séance,
pions en bois, et leur fera faire et dire beaucoup de mon patient dessinera pour la première fois et de
choses, des variations autour de ce scénario de base. manière spontanée sa propre image au tableau.
Chaque personnage devra être représenté sur Dans le dessin, il fera exister trois personnages aux
scène par un pion ; je propose aussi à N. qu’on entre formes et aux tailles différentes : à sa droite, il y
dans le jeu, lui et moi, en étant représentés nous aussi aura le voleur extraterrestre de grande taille ; à sa
par un pion qui sera toujours le même, notre nou- gauche, le bébé volé, de la même forme que celle du
velle image fixée sur la scène, inchangée au long voleur mais de taille plus petite et symétrique par
des séances. Nous interviendrons dans le scénario rapport au voleur ; entre les deux personnages, la
seulement en prenant dans les mains notre propre figure différente de N. lui-même. Que s’est-il passé
pion et en le faisant parler avec notre voix. N., en pendant ces quatre séances pour que N. en arrive à
tant que « metteur en scène », pourra diriger tous
les autres pions représentant les personnages de sa 2
L’acte de N. est d’une importance fondamentale parce que
vie fantasmatique. cela m’indique, une deuxième fois, que le choix du repré-
sentant n’est pas définitif pour mon patient, mais reste
Lors du choix de son propre représentant, N.
plutôt ambigu, pour ne pas dire double. La séance d’après,
choisira d’abord un petit pion, le plus petit du jeu, il hésitera encore. Qui a été volé ? Les deux représentants
avant de le changer soudainement, parce qu’il était représentent-ils deux personnages différents, ou non ?
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Psychothérapies
ce nouveau degré de différenciation ? Qu’est-ce qui et dans le temps, et ainsi une possibilité d’être
lui a permis de se distinguer, par un dessin et pour regardés dans la réalité de l’environnement ;
la première fois, des extraterrestres, tout en les gar-
• il s’est confronté aussi avec la forme unitaire de
dant à côté de sa figure ? Comment cet autoportrait
mon propre pion, correspondant de manière uni-
a-t-il pu se générer ? Parler de l’image du corps, de
voque à ma subjectivité, une autre unité stable
la forme, de la taille, de la différence, de l’unité et
qui pouvait refuser certaines dynamiques propres
de la totalité appelle d’abord une interrogation sur
à son scénario fantasmatique. Mon représentant
le registre de l’imaginaire (Soler, 2011/1 ; ibid., 2016 ;
pouvait même intervenir de manière inattendue
ibid., 2017 ; Berger et Bastos, 2010 ; Léon, 2013 ;
pour poser d’autres règles et pour exprimer son
Leguil, 2016) selon la théorie psychanalytique ori-
propre souhait. Par mon pion et mes actions, le
ginairement introduite par Jacques Lacan.
monde symbolique de la loi et du désir faisait sa
L’intervention autour du Stade du miroir (1999
rentrée sur le plateau.
[1949]) permettait à Lacan de décrire les moments
logiques de la formation du moi en tant qu’unité-Ges-
talt imaginaire soumise aux lois de la perception Ce sont peut-être ces raisons qui ont permis un
(Wertheimer, 1923). Selon Gisela Pankow, qui récu- changement des rapports entre les objets fantas-
père et développe la théorie lacanienne, il faut plus matiques et N. : mon patient, tout en restant à côté
précisément distinguer entre deux moments logiques d’eux sur le tableau, peut néanmoins s’en différen-
qui composent la dialectique du stade du miroir : cier au niveau imaginaire puisque sa propre forme
est différente de celle des monstres. C’est comme
1) dans le premier moment de la différence, l’en-
s’il était passé d’une situation initiale où tout objet
fant reconnaît, dans la glace, la forme ou Gestalt
imaginaire était équivalent à l’autre, et où la forme
propre au corps humain en tant qu’unité diffé-
de son propre corps n’avait pas une spécificité
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rente des formes des autres choses de l’environ-
propre, à une situation où la forme du corps avait
nement (« il y a une image différente ») ;
enfin retrouvé l’unicité figurative propre au corps
2) dans le second temps de l’appartenance, l’enfant humain parmi la totalité des objets. Il s’est peut-
reconnaîtra que cette forme c’est proprement être passé ce que Gisela Pankow décrit comme une
l’image spéculaire de son propre corps (« cette réunification du monde des objets fantasmatiques
image différente c’est moi ») (Pankow, 2011 (les extraterrestres, le bébé volé) originairement
[1958], p. 384). créés « sur le modèle d[u] corps dissocié » (2006
[1956/1981], p. 37). C’est comme si, pour le dire
Dans le cas de N., ces deux temps semblaient avoir autrement, par la mise en scène de l’univers fantas-
fait défaut. En outre, confronté à des unités diffé- matique et par le jeu répété, une relation réciproque
rentes et hétérogènes (les personnages de ses des- entre les parties du corps imaginaire avait pu se nouer
sins, par exemple), N. se sentait obligé soit de les en vue de leur unification, ou Gestalt unitaire. Ces
uniformiser, soit de les prendre toutes : l’unité, et objets fantasmatiques venaient alors peut-être
ainsi la possibilité de la différence, n’étaient alors remplacer des parties de la forme du corps de N. :
pas encore constituées au niveau du rapport au une fois ces parties réunifiées, la forme unitaire du
semblable (Lacan, 1981 [1955-1956]). corps de N. a pu s’unifier elle aussi. Le monde inté-
Or, dans le cadre des consultations : rieur de N., auparavant divisé en parties sans lien
entre elles, retrouve désormais une nouvelle unité
• le jeu avec les pions a d’abord obligé N. à choisir
formelle à la place de la totalité indifférenciée et
un représentant, un « 1 » unique, une forme
peut ainsi témoigner de sa nouvelle organisation
unitaire et stable dans le temps et dans l’espace,
par l’autoportrait. La forme unitaire du corps, selon
pour lui et lui seulement, différente des formes de
Lacan à la base de la formation du moi, semble
tous les autres pions apparaissant sur le plateau
ainsi s’être enfin constituée et peut désormais dési-
du jeu. Ce choix a manifesté toute sa difficulté
gner la forme humaine du corps de N.
et ambiguïté, comme nous l’avons déjà souligné ;
Cependant, les autres objets ne disparaissent pas
• il a aussi dû confier aux objets/personnages de sa après ce dessin, et parmi eux le bébé semble avoir
vie fantasmatique une forme stable dans l’espace une importance toute particulière.
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Image du corps et registre de l’imaginaire dans un cas de psychose infantile
Les deux moments de infans dans ses bras qui permet l’identification
l’identification imaginaire imaginaire, via le soutien de la perception sen-
sible. Il s’agit, pour le dire autrement, d’une
et de la constitution du moi triangulation entre la mère, le bébé dans ses
Pour pouvoir parler de ces objets fantasmatiques, de bras et l’image au miroir. L’Autre du symbolique
leur nature et de leur rapport avec N., nous devons qui nomme fait son apparition, et l’imaginaire
d’abord parcourir les moments logiques de la consti- commence ainsi à s’articuler au symbolique :
tution du registre imaginaire et du moi, moments l’image du corps propre, le corps propre matériel
qui pointent aussi la dialectique de l’identification, et le moi commencent ainsi à se nouer selon un
du narcissisme, des rapports au corps, de l’impor- rapport d’identification. J’estime que ce second
tance du regard et de la présence de l’autre. Ces temps a également été respecté pour N., mais
sept éléments s’articulent autour de la dialectique qu’il a cependant connu une variation propre à
du miroir présenté d’abord par Jacques Lacan, notre patient.
mais notre reconstruction prend d’abord comme
référence les contributions et les développements Colette Soler affirme que « the ego is a totality of the
apportés par Marie Couvert (2018). imagos assimilated by the subject […] through identifi-
cation, the subject is alienated and loses his own being »
1) Le premier moment de l’identification de N. à
(1996, p. 41). Suivant cette thèse, nous pourrions
son image spéculaire via le regard de la mère
ainsi dire que le moi, en tant qu’unité, serait aussi la
et son désir ne semble pas avoir fait défaut : le
totalité des images assimilées par identification tout
désir maternel, passant par la rencontre entre
au long de la vie biographique d’un sujet donné :
les deux regards, a existé et a pu investir le moi
c’est ça le trésor qui compose le registre imagi-
du bébé, son image et son narcissisme. Ce temps
naire de chacun. Mais pour que ce trésor puisse
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logique de structuration psychique a été, pour
se constituer, unité et totalité doivent procéder de
ainsi dire, respecté, ce qui est confirmé peut-être
manière simultanée tout au long du développement
par le fait qu’aucune détresse, aucune étrangeté
psychique du sujet, simultanéité qui est d’abord
ni aucun changement n’ait été remarqué par les
logique avant d’être chronologique. Le moi du sujet
parents de N. quand il était encore bébé. N. a
se constitue en tant qu’unité imaginaire à partir de
eu accès à un « premier imaginaire, fondateur
la première parmi toutes les identifications, celle à
de son inscription narcissique, soit de ce moi-
sa propre image spéculaire, l’image de son propre
plaisir (Lust-Ich) dont parle Freud » (Couvert,
corps (Lacan, 1999 [1949]), pour pouvoir ensuite
2018, p. 102).
assumer la totalité des autres images identificatoires
2) Selon Lacan, entre 6 et 18 mois, le bébé passe au long de sa vie biographique.
ensuite par le stade du miroir proprement dit, Comme je l’ai déjà remarqué, N. avait posé
second temps logique d’identification et d’entrée le pion représentant le petit bébé volé sur la
dans l’imaginaire : à ce moment, l’image tierce tête de son propre représentant pour accuser le
du bébé, reflétée dans un miroir extérieur, appa- voleur : les deux pions faisaient ainsi un contre le
raît et s’ajoute désormais au miroir constitué par méchant imposteur. Qui avait été volé, en vérité ?
le regard maternel. Il survient également une Quel pion représentait N. ? Rappelons-nous d’ail-
nomination de la mère envers l’image reflétée : leurs que le premier choix de N. pour son propre
c’est justement ce que Lacan ajoute, dans De nos représentant avait été, précisément, le petit pion
antécédents (1999 [1966], p. 70), à la dialectique qui représentera ensuite le bébé volé. Quand, lors
originaire du Stade du miroir qui ne concevait d’une des dernières séances, N. commence à me
pas l’intervention de la parole du grand Autre raconter que sa camarade Aurore se moque de lui,
parental, disant par exemple : « Mais oui, mais il n’accepte pas du tout qu’elle l’appelle, devant
oui, c’est toi dans le miroir, mon trésor, mon la classe, « bébé N. ! ». Ainsi, je serais plutôt jus-
bébé ! » C’est cette parole provenant du registre tifié d’avancer l’hypothèse suivante : le bébé volé
du symbolique (incarné par la mère) qui regarde n’est pas un objet quelconque parmi les objets
et qui parle à l’image du bébé au miroir avec fantasmatiques mais il est spécial, pour ainsi dire,
ce même désir originairement accordé à son car directement lié au sujet. Le « bébé » n’est ni
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Psychothérapies
comme les imposteurs extraterrestres, ni comme pas la même personne ! » dit-il. Quand je lui pro-
les parents qui apparaîtront tout au long de la mise pose le jeu du miroir, j’introduis ainsi la possibilité
en scène du scénario et de ses variations. Comme d’être devant le miroir (nous sommes l’un en face
le remarque Gisela Pankow dans son article inti- de l’autre et nous faisons les mêmes gestes spécu-
tulé « À propos de l’expérience du miroir dans la laires) tout en étant deux sujets différents : ce rire
névrose et dans la psychose » (1958), dans le cas arriverait peut-être à la place du Aha-Erlebnis, du cri
de la psychose, « à la place de l’image propre appa- jubilatoire de l’enfant qui reconnaît sa propre image
raît d’abord l’image d’un autre. Ensuite, cet autre au miroir (Lacan, 1999 [1949]).Ce rire ne renvoie
acquiert une existence autonome dissocié ». C’est plus à cette image dans la glace, mais directement
comme si le second temps de l’identification n’avait à son propre corps, à sa propre présence corporelle
pas amené le sujet N. à s’identifier à sa propre image dans l’espace et dans le temps comme différente de
au miroir, mais d’abord à l’image « bébé ». L’image celle du « psy ».
« bébé », d’ailleurs, n’est plus « une image au sens Que manque-t-il donc, d’un point de vue
d’une chose représentée, mais [une] réalité collée logique, à l’accomplissement et à l’aboutissement
au miroir » : de la dialectique du stade du miroir ? L’intervention
du Symbolique, du grand Autre qui nomme, qui
« Qu’est-ce qui reste ? Des images “collées” au pose la loi, qui statue définitivement l’unité et la
miroir qui ne sont plus des images mais des différence des images apparaissant dans le miroir :
fragments d’un contexte. Si de cette abondance « Mais oui, mais oui, c’est toi dans le miroir, mon
[d’images] nous en isolons deux, nous voyons naître trésor, mon bébé ! »
un monde entre a et a’. Ce monde est fermé, car il
ne s’ouvre plus vers l’existence [Dasein] » (Pankow,
2011 [1958], p. 382). De la parade à la mascarade
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Quel pion représente N. ? Le pion bébé ou celui qui Quand j’affirme, avec mon pion et en m’adressant à
est un peu plus grand ? Les consultations me donne- l’imposteur, qu’il « n’a pas le droit de voler le bébé,
ront plusieurs épreuves du fait que cette hésitation et que donc il ne le volera plus », ne suis-je pas en
est structurale dans le cas de N., et que le moi de train de réorganiser le fonctionnement et la vie
N. semble d’abord être identifiée au « bébé » avant indépendante des images fantasmatiques de l’uni-
qu’à sa propre image corporelle. vers imaginaire de N. en leur donnant une nou-
Notons d’ailleurs une scansion successive du tra- velle loi ?
vail : pendant la neuvième séance, nous écrivons Le registre symbolique, dans le cas de N., semble
ensemble une histoire en prenant comme protago- être subordonné au registre imaginaire : pendant la
nistes les personnages rencontrés au cours des mises séance où nous écrivons l’histoire ensemble, il faut
en scène avec les pions : une phrase chacun, l’un qu’il écrive la même phrase que moi, mais à l’in-
après l’autre. verse. Le discours semble pris lui aussi dans l’articu-
lation imaginaire du miroir : de manière symétrique
Le bébé volé et S. rencontrent N. et le psy et spéculaire, une énonciation vaut pour l’autre.
dans un parc [mon tour] Dès lors, comment récupérer une articulation entre
Le psy et N. rencontrent S. et le bébé volé ces deux registres qui permette de garantir une
dans un parc [la phrase proposée par N.] nouvelle place à la dimension symbolique (et tem-
porelle) de l’existence ?
Je fais remarquer à N. qu’il s’agit exactement de la Lacan nous donne une indication précieuse : « la
même phrase : « non, c’est à l’inverse ! » me dit‑il… mascarade […], dans le domaine humain, c’est pré-
J’interromps le travail et je lui propose autre chose : cisément de jouer au niveau, non plus imaginaire,
« C’est comme quand on est au miroir, tu sais ? mais symbolique » (2014 [1973-1974], p. 176), et
On va faire comme si on était au miroir. » On Marie Couvert rappelle que le bébé à risque de psy-
commence, l’un après l’autre, à faire le jeu du miroir chose, « s’il n’est pas en mal de parader, montrera
avec la symétrie spéculaire des gestes, l’un en face en revanche qu’il lui est impossible de faire avec la
de l’autre. N. rit beaucoup : « Et nous ne sommes mascarade » (2018, p. 104). N. n’est absolument pas
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Image du corps et registre de l’imaginaire dans un cas de psychose infantile
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capable de faire la mascarade : aucun changement La rencontre avec le serpent
n’est possible quand il s’agit de sa propre image.
Seule la parade est possible, c’est-à-dire l’exposition, Au cours de la séance suivante, N. veut utiliser de
le fait de se laisser voir, et non une dimension de la pâte à modeler pour jouer. Il veut faire un serpent
mascarade qui impliquerait la possibilité de jouer et il me demande de faire un lit. Il me raconte l’his-
avec l’image de son corps prise par le symbolique. toire : le serpent s’appelle T. ; une petite fille dort
Il se dessine tel qu’il apparaît, sa forme corporelle vaut dans le lit – il choisit le même pion du bébé volé – ;
pour lui, et le bidimensionnel et le tridimensionnel ne le serpent arrive et il attaque la petite fille qui
se différencient pas. commence à hurler de peur. Je sors ainsi le pion qui
Toujours pendant la neuvième séance, je propose me représente et j’entre dans le jeu. En m’adressant
que l’on mette en scène l’histoire écrite ensemble. au représentant de N., je dis :
Pour la mise en scène, je propose que les extrater-
« Mais N. : peut-être c’est juste un rêve, peut-être
restres ne soient pas représentés directement par
ce n’est pas vrai. Bonjour le serpent, tu ne me fais
des pions, mais plutôt par des pions masqués.
pas peur parce que tu n’es pas vrai. »
De ce fait, il y aura deux niveaux de mise
en scène : Et N. pourra me répondre, très fier : « Effectivement
tu es un faux serpent en pâte à modeler. »
1) Nos représentants (les pions) ont été mélangés
« Attends, me dit-il, tu vas le dire aussi à la
avec les représentants imaginaires des extrater-
petite fille qui s’appelle F. et qui dort dans le lit4. »
restres : à ce premier niveau de mise en scène, la
J’interviens et, toujours avec mon pion, j’affirme :
parade est possible.
« Bonjour F., ce petit serpent, c’est un faux serpent
2) Ensuite, nous avons ajouté des masques aux pions
en pâte à modeler. Tu n’as rien à craindre, et tu
qui représentent les extraterrestres : ces pions
ont ainsi pu assumer sur eux d’autres images, les
masques d’extraterrestres. Nous avons donné aux 3
Ce travail semble analogue à celui des « marionnettes thé-
représentants des extraterrestres une nouvelle rapeutiques » (Le Maléfan, 2002/1, p. 112).
représentance, en faisant ainsi une mascarade3. 4
Cf. note 4b de la page 86.
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Psychothérapies
peux retourner dormir, et moi je serai là pour te une jeune fille avec une jupe à fleurs, en figurant
dire que c’est un faux serpent en pâte à modeler. » ainsi deux corps différents et sexués ;
• ce dernier dessin semble démontrer qu’il peut
N. accueille mon intervention et, en prenant dans maintenant faire exister la forme et l’image uni-
ses mains le pion de la petite fille F., il me dit : taire de son propre corps (a) à côté de la forme
« D’accord, c’est un faux serpent, maintenant je peux et de l’image unitaire du corps d’Aurore (a’).
dormir mieux. Le serpent je l’ai découpé ! » et il fait « Pour permettre à l’enfant de réussir le passage
un grand geste de coupure avec sa main. « Coupé du monde intérieur vers le monde qui l’entoure,
coupé coupé ! » dit-il, en coupant le serpent. le corps doit être intégré comme un tout – identifi-
Les deux séances finales changeront complète- cation dans l’image », écrit Pankow (2011 [1958],
ment de nature, car le monde fantasmatique semble pp. 384, italiques ajoutées) : l’enfant doit assumer
avoir totalement disparu. Arrivé en consultation, non seulement la forme de son corps (la forme
N. commence à me parler de ce qui se passe à du corps humain qui est faite de deux bras, deux
l’école et de sa camarade Aurore qui : jambes, etc., ce que j’avais appelé la totalité),
mais surtout son image, l’image de son propre
« […] va me recopier tout le temps. Elle est à côté corps à lui, l’image qui peut appartenir à lui et à
de moi et en plus, quand je fais mon travail, elle lui seulement (ce que j’avais appelé l’unité).
me recopie, et on ne va pas recopier quelqu’un !
Je suis en train de travailler et elle me recopie. » L’espace du jeu avec les pions a permis une sorte
de réactualisation dans le présent de la dialectique
Avec les pions, je choisis de mettre en scène N., propre au stade du miroir : c’est comme si N. était
Aurore, moi-même et la maîtresse. Après quelques peut-être passé une deuxième fois par les étapes
minutes de jeu, N. prend une feuille, se dessine logiques de constitution du moi et du registre
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lui-même comme un garçon et dessine, à côté de de l’imaginaire.
lui, l’image d’une fille avec une jupe à fleurs. Deux On pourrait peut-être aussi affirmer que, par le
figures humaines, sexuellement caractérisées et jeu avec les pions et par le travail sur le registre
ainsi différentes, font leur première apparition. imaginaire, nous avons pu permettre une liaison
entre les objets imaginaires fantasmatiques et le
corps de N. En parlant de sa patiente schizophrène,
L’entrée de l’image du corps Gisela Pankow montre comment, par le travail
dans le temps analytique, « les signes » de la patiente (ses hallu-
cinations, les signes interprétés, etc.) renvoient « au
Tout le travail des consultations avec les pions et corps en tant que chose signifiée ». C’est seulement
les dessins semble avoir ainsi permis à N. : de cette manière que « le corps, qui parvient à se
• d’assumer et d’intégrer que la différence existe, saisir […] comme unité, pourrait être habité » (2006
du moins au niveau du registre de l’imaginaire ; [1956/1981], p. 54).
Lors de la séance du serpent, mon action symbo-
• qu’il peut se représenter au niveau de l’image à lique n’a pas seulement permis à N. de distinguer et
côté d’images représentant d’autres personnages ; de différencier la réalité fantasmatique de la réalité
• qu’il semble désormais capable de se dessiner lui- historique, mais aussi et surtout de garantir la pro-
même à côté du dessin de sa camarade Aurore, tection de N. et de la petite fille F. contre la menace
du serpent. La menace du serpent est en effet une
menace réelle, bien plus réelle que celle repré-
4b
Il s’agit peut-être ici d’un appel au grand Autre, celui qui sentée par les extraterrestres susceptibles d’arriver
sait, qui donne la loi et la parole, qui constitue l’ordre
du fonctionnement du monde. Je me suis longuement
pendant la nuit pour voler le bébé. La menace du
demandé s’il fallait répondre à cette demande de dire, ou serpent, comme le montre N. par son jeu, est une
bien s’il fallait que ce soit N. qui dise à la petite fille F. qu’il menace pour le corps, car le serpent peut mordre et
ne s’agit que d’un rêve. Je crois aujourd’hui que mon acte
atteindre le corps de la petite fille. Mon « acte de
de parole, à la place du grand, a permis non seulement de
réduire ses angoisses « nocturnes », mais aussi de séparer séparation », pour utiliser encore le vocabulaire de
encore plus les plans de réalité. Gisela Pankow (2006 [1956/1981], p. 68), s’est réalisé
86
Image du corps et registre de l’imaginaire dans un cas de psychose infantile
dans le temps puisqu’il s’est adressé au garçon N. moins », comme les définit Pierre Delion, propres à
d’abord, à la petite fille F. ensuite. Et grâce à ce l’autisme : « retrait relationnel, retrait communica-
« d’abord » et « ensuite », l’introduction du corps tionnel, repli sur soi » (2016/2, p. 136).
dans le temps a été possible. Je me suis adressé La notation de psychose infantile n’apparaît plus
d’abord au corps du garçon N. et je l’ai séparé de la dans les classifications internationales (DSM-IV ou
réalité fantasmatique ; je me suis adressé ensuite au CIM-10), ayant laissé la place à l’autisme infantile
corps de la petite fille F. et je l’ai elle aussi éloignée ou aux troubles du spectre autistique (Marcelli et
de la même réalité. Cohen, 2016), mais seulement dans la CFTMEA
Par ces deux actes, et grâce au travail mené pen- (Lazaratou, Mouselimi, Tsipa et Golse, 2019/1).
dant les séances, le corps de N. est devenu un corps Mon orientation psychodynamique-psychana-
unitaire imaginaire, susceptible d’être « habité » en lytique me persuade de l’importance, notamment
tant que corps de garçon, différent de celui d’une dans le cas présent, d’employer la catégorie de
petite fille : son corps sexué peut ainsi entrer dans « psychose infantile » comme différente de celle
l’histoire (p. 69), il peut être vécu comme « inscrit d’autisme. Je me limite à évoquer ici le travail de
dans une histoire (corps vécu temporel) » (p. 96). Clémence de Guibert et Laurence Beaud, selon
Mais encore, par cet acte de séparation symbolique, qui le trouble autistique serait caractérisé par un
N. peut reconnaître à la fois le serpent et la petite déficit de l’unité (appréhendée en îlots et par frag-
fille F. comme un « non-moi » (p. 74), et se vivre ments isolés), alors que la psychose infantile serait
lui-même comme « inscrit dans l’espace » (p. 96), de un trouble de l’identité, où les situations interne
manière définitive – ce que les pions avaient fait et externe sont appréhendées de manière confuse
de manière provisoire, mais nécessaire. Ce non-moi et dispersée. L’enfant psychotique explore, mais il
différent féminin, ainsi que l’entrée dans la tempo- n’identifie pas : sa perception est « qualitativement
ralité et l’histoire, sont manifestes non seulement confuse […] », et il se limite à « regrouper et frag-
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dans le dernier dessin de N. avec Aurore, mais aussi menter » (2005/2, p. 398) ; l’enfant psychotique
et surtout dans le fait que le récit du patient est, appréhende bien « les variations corporelles ou
pour la première fois, consacré à sa vie historique environnementales, mais jusqu’à un flottement
et biographique à l’école. Cet acte de séparation, identitaire qui l’envahit et le déborde, parce qu’il
qui a également engagé le serpent, s’est peut-être ne peut discriminer ce qui est pertinent et homo-
aussi révélé comme un « interdit sécurisant » qui a gène, ce qui a des rapports de similarité, dans
permis au patient de retrouver son identité imagi- ces événements internes ou externes » (p. 401).
naire. Comme le note Pankow, il s’agirait d’un acte Hélène Lazaratou et al. soulignent l’importance des
capable d’amener à un processus de sécurisation, à concepts psychodynamiques pour le diagnostic dif-
ne pas confondre avec le processus de perte, simi- férentiel entre autisme et psychose infantile, le pre-
laire esthétiquement, mais profondément différent, mier caractérisé par des identifications adhésives,
le second étant une prérogative spécifique de la la seconde par le clivage ; en outre, l’enfant psy-
névrose (p. 180). chotique a accès à l’intersubjectivité, tout en vivant
un monde interne chaotique (2019/1, p. 29). Tous
les scénarios de N., du bébé volé pendant la nuit
Conclusion au serpent, reconfirment d’ailleurs aussi la nature
de l’angoisse propre à la psychose infantile en
N. n’a jamais reçu un diagnostic d’autisme, mais tant qu’« angoisse d’intrusion » (Haag, 1985). À ce
plutôt d’« autres troubles envahissants du déve- propos, l’écoute du dernier récit de N. ne semble
loppement » (F84.8/CIM-10), correspondant au qu’une transposition dans la vie historique de la
diagnostic d’« autres psychoses précoces ou autres même dynamique de persécution qui se déployait
TED » selon la classification française des troubles dans l’espace avec le bébé volé, d’où l’intérêt de
mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) l’usage de cette catégorie nosographique de « para-
(Misès, Garret-Gloanec et Coinçon, 2010/3). N. n’a noïa infantile », récemment reproposée par (Craus
jamais manifesté les troubles du comportement « en et Golse, 2016/2).
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Psychothérapies
Abstract The author examines the constitution of the register of the imaginary in the framework of a case of
infantile psychosis, and according to the theory of J. Lacan, G. Pankow, and M. Couvert. The initial
clinical observation shows that the imaginary unity of the ego seems to be problematic in the patient
and, consequently, the assumption of difference at the level of thought is impossible. The work of the
consultations – which takes the form of staging the child’s fantasy world by means of specific technical support (wooden
pawns with eyes) – first leads the patient to voluntarily draw a self-portrait. In this way, the patient seems to be able to
gain recognition of the shape of the human body. Then, by staging a story initiated by the patient and by putting masks
on the pawns that represent the characters, we make a masquerade : the patient begins to play not only with the imagi-
nary, but also with the symbolic. Finally, following the representation of a scene of anguish with a snake, the patient
spontaneously draws his image next to that of a little girl : recognition of the unique image of his body, as a gendered
body, seems to have been obtained.
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