Histoire de La Psychanalyse en Tunisie RBR
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INTRODUCTION
DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES
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lyse : formation, transmission, écoles, etc.
Il fallait alors adopter l’attitude du chercheur indépendant pour pouvoir
garantir le maximum d’objectivité et de neutralité. Or, l’objectivité dans la
collecte puis la description des faits exigent à leur tour un minimum de recul
et de distanciation par rapport aux événements et aux personnes. Là aussi, il y
a le risque de dévoiler des éléments qui n’ont jamais été écrits. L’objectivité
historique a un prix.
En Tunisie, la rareté des données écrites dans le domaine de la psychana-
lyse, l’absence de toute allusion à la psychanalyse dans les publications du
psychiatre et historien de la médecine et de la psychiatrie arabe, musulmane et
tunisienne en particulier, le Pr. Sleim Ammar (1972 a et b), font comme si, jus-
que-là, « officiellement », il n’y a pas eu de trace, d’un passage voire d’une
installation d’un psychanalyste étranger ou tunisien sur le sol tunisien. Les
publications ultérieures datant des débuts des années 1980 traitaient plutôt des
différentes formes de pratiques thérapeutiques traditionnelles.5
Plusieurs questions s’imposent. Pourquoi ce silence par rapport à la psy-
chanalyse en Tunisie, domaine « ignoré, occulté et refoulé »6 jusqu’aux années
1980 ? Pourquoi évitait-on d’en parler ouvertement et surtout officiellement
dans les sphères à la fois académiques et mondaines ? Pourquoi ce silence a-
t-il perduré pendant des décennies puisque même le seul ouvrage consacré à
L’hôpital psychiatrique Razi et son histoire (Haffani et M’hirsi, 2008) ne fait
pas la moindre allusion à la psychanalyse, comme si celle-ci n’avait pas fait
partie de l’histoire de cet hôpital ?
Face à cet état des faits, il fallait partir à la « chasse » du moindre indice
écrit et oral pour construire, plutôt reconstruire, l’histoire de la psychanalyse
en Tunisie. C’est ce qui donne à ce travail la coloration d’une « fouille archéo-
logique ». Et c’est ce qui attribue à ce projet un caractère périlleux puisqu’il se
basait au départ fondamentalement sur des données informelles.
5. Cf. l’ensemble du n°3-4 de la revue Psychiatrie francophone, (1984), qui reproduit les
textes présentés aux 3èmes Journées « Rencontres Franco-Maghrébines de Psychiatrie » tenues
à Alger les 22-23 et 24 avril 1983.
6. Témoignage du Pr Saïda Douki du 9-10-2009.
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libération – dont la plus tardive celle de l’Algérie voisine – ont fait que les
préoccupations de la population tunisienne étaient axées sur des questions
nationalistes visant à obtenir l’indépendance du pays du joug du protectorat
français installé à partir de 1881.
Ce contexte fait que le Tunisien moyen ne pouvait être concerné par cette
« idéologie » qui n’était pas répertoriée parmi les mouvements sociaux « révo-
lutionnaires » et « libérateurs » des pays colonisés.
En effet, à l’inverse des idéaux et partis politiques qui étaient à l’ordre du
jour et qui prêchaient le salut à l’échelle collective (nationalisme arabe, le
marxisme avec ses différentes tendances : léninisme, trotskisme, maoïsme, la
révolution cubaine incarnée par Fidel Castro et Che Guevara, etc.), la pensée
psychanalytique défendait (et continue à défendre) la libération à l’échelle de
l’individu. Du coup, elle ne pouvait servir les causes de l’époque. Le schéma
social de la société arabe favorisait les préoccupations axées beaucoup plus
sur les intérêts des nations, des groupes, des tribus, des clans. Voilà pourquoi
il ne pouvait y avoir de demande particulière à cette façon de voir.
De plus, les conditions économiques de l’époque ne permettaient pas à ce
Tunisien (et à la plupart des Arabes vivant dans les mêmes situations) le luxe
de faire appel à une analyse. Déjà, la psychiatrie elle-même était plutôt asilaire
en Tunisie et ce jusqu’à l’avènement de l’indépendance en 1956 (Ammar,
1972a) voire au-delà.
Ajoutons à cela la résistance culturelle, a priori arabo-musulmane, aux thè-
ses freudiennes perçues comme étant pan-sexualistes, immorales, individua-
listes et marquées par la judéité de Freud. Ainsi, l’attitude générale de la
masse, même celle des intellectuels formés en Orient (Égypte, Liban, Syrie),
ne pouvait être que négative par rapport à ce mouvement. La culture arabo-
musulmane agirait alors comme un bouclier protecteur face aux images et
mœurs occidentales, dans un contexte politique et éducatif qui trébuchait entre
« ouverture » et « authenticité », jusqu’aux années 1970.
Par rapport à ce contexte, on peut relever déjà la création de la Société
tunisienne de Psychologie dès 1953 par Azzouz Abdennebi, Mohamed
Trabelsi, psychotechniciens et Albert Memmi, philosophe et directeur du
Centre de psychologie de l’enfant. Le contexte était alors favorable à l’orien-
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gramme de limitation des naissances et de contrôle démographique, d’éman-
cipation de la femme et d’égalité entre les sexes et un souffle de laïcisation
allant jusqu’à la fermeture de l’enseignement religieux de la prestigieuse
Grande Mosquée de la Zeitouna, avec, en prime et comble de l’audace, l’or-
dre de ne pas faire le jeûne du mois de ramadan ni de sacrifier les moutons).
Cette période fondatrice et révolutionnaire, associée au Président Bourguiba,
reste entachée par le marasme de l’expérience socialiste (1960-1968).
Par ailleurs, la vague sociale (révolution) de mai 1968, qui s’est propagée
un peu partout à travers le monde, n’a pas épargné la Tunisie qui était à l’apo-
gée de son ouverture sociale et vivait la frénésie de la libération de la femme.
Tout était consommé sans la moindre modération. Cela n’allait pas être sans
conséquence notamment avec « le retour du refoulé » sous la forme du réveil
des fondamentalistes religieux à partir des années 1980.
Le contexte international restera marqué pour sa part par le même et inter-
minable conflit israélo-arabe alimenté et aggravé depuis par la Guerre du
Golfe (1990-1991), les attentats du 11 septembre 2001, l’invasion de l’Irak par
la coalition menée par les États-Unis en 2003 avec la capture puis le choix
délibéré d’exécution de Saddam Hussein le jour de « l’Aïd du sacrifice »
(30 décembre 2006), etc. La provocation était à son comble et le choc des cul-
tures et des religions est devenu de plus en plus flagrant. Il s’en est suivi un
sentiment d’infériorité et de la colère se traduisant par des attitudes extrémis-
tes oscillant entre un fanatisme religieux archaïque et un libertinage à outrance
et une méfiance générale et permanente de ce qui vient de l’Occident.
Pendant ce temps, la psychanalyse avait atteint son plein épanouissement
en France après la Deuxième Guerre Mondiale, grâce au phénomène Jacques
Lacan notamment à partir de 1953, correspondant à la première scission de la
Société Psychanalytique de Paris (SPP), première société savante psychanaly-
tique fondée dès 1926. Lacan contestait la rigidité du circuit de la formation
analytique française représenté par l’Institut relevant de la SPP. À partir de
l’année 1953, il fonde la Société Psychanalytique de France et va en être la
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Tunisiens installés à Paris pour leurs études – ne pouvaient rater ce mouve-
ment de pensée et ce courant intellectuel. Lacan répondait aux besoins contes-
tataires des intellectuels de la période, toutes catégories confondues : les cou-
rants anarchistes, athées, marxistes, de droite, de gauche, etc. Plusieurs per-
sonnes se sont fait analyser ou contrôler par ses soins et ont bien décrit du
dedans la technique psychanalytique de Lacan (dont Haddad, 2002, Geblesco,
2008). Il était surtout question d’absence de cadre strict : des rendez vous
flexibles, des séances très courtes8 – marquées notamment par la technique de
la scansion9.La séance se faisait parfois entre deux portes et répétées dans la
même journée. Ajoutons à cela, la célèbre technique de la passe introduite par
Lacan pour réglementer la transmission de la psychanalyse au sein des laca-
niens, une façon de faire très contestée par les orthodoxes de l’IPA. La
deuxième scission du mouvement lacanien opérée en 1963 puis la dernière,
celle de 1981 n’ont fait que multiplier les divisions et l’éclatement de ce mou-
vement. Ils ont fait aussi de Lacan l’analyste le plus médiatisé de France. De
telle sorte qu’il semblerait que « le paysage actuel des groupes psychanalyti-
ques s’est historiquement constitué par l’effet des regroupements allant vers
ou contre Lacan » (Didier-Weil, 2001, p. 14). C’était incontestablement la
période dorée de la psychanalyse marquée par des courants de pensée, des
débats entre des ténors appartenant en fait aux divers mouvements psychana-
lytiques (SPP, APF, kleiniens, néo-kleiniens, lacaniens, etc.).
Or, si la France était sous le charme et le pouvoir de la psychanalyse, entre
autres lacanienne, cette même période était suivie, à partir des années 1960,
par celle du développement du mouvement de l’antipsychiatrie et de l’huma-
nisation des soins dans les asiles psychiatriques, notamment en Italie autour de
Franco Basaglia.10 Ces deux composantes (psychanalyse lacanienne notam-
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Lebovici et Solnit, 1982).11 Or, il faut savoir que ces critères fondamentaux
peuvent manquer, pour une raison ou une autre, chez certains psychanalystes.
De fait, le flou qui entoure leur cursus entretient l’ambiguïté et alimente le
doute. Pour d’autres, il semble que l’appartenance à une société psychanalyti-
que étrangère demeure le garant le plus sûr de la formation et de la reconnais-
sance, et ce, indépendamment des tendances et des écoles théoriques. Face à
un vide institutionnel qui réglemente et enveloppe ces mouvements et tendan-
ces, le champ demeure libre aux uns et aux autres de s’autoproclamer psycha-
nalystes.
Une fois dessiné ce socle socio-historique, essayons dans ces conditions,
de dater et de suivre avec un maximum de certitude l’introduction de la psy-
chanalyse en Tunisie.
11. Certains de ces critères fixés initialement par l’I.P.A. (Association Psychanalytique
Internationale) ont été revus, allégés ou supprimés.
12. Témoignage de Guy Darcourt du 3 novembre 2005.
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aux côtés de Jacques Lacan. Il a également le mérite d’avoir écrit le premier
ouvrage consacré à la psychanalyse paru en France en 1914. Mais il a publié
bien d’autres ouvrages après.
Personnage contesté pour ses positions et ses distances par rapport aux
théories de Freud et pour son refus catégorique d’une analyse didactique13,
Hesnard jouissait cependant d’une grande notoriété de par le fait qu’il était
pionnier. C’était un clinicien ouvert à toutes les formes de psychothérapies et
qui essayait de les confronter à la recherche d’une éventuelle synthèse
(Darcourt, 1993). Cela lui a permis de former plusieurs psychanalystes à tra-
vers toute la France, notamment dans le Midi, où il était pendant un certain
temps, seul à exercer la psychanalyse. À la fin de sa carrière militaire, il devait
séjourner au Maroc, y faire de la clinique et y introduire la psychanalyse de
1943 à 1945 (Bennani, 1996).
Ainsi, Hesnard était en contact avec toute l’Afrique du Nord et de façon
discontinue de 1917 à 1943, soit pendant les guerres mondiales. Il était mobi-
lisé entre autres à Bizerte où il y écrivait son rapport au Centre neuro-psychia-
trique de Bizerte (Roudinesco, 1986, p 403).
C’est dans ce contexte qu’on suppose que Hesnard ait pu avoir des
contacts directs avec la population tunisienne et y repérer des différences entre
les ethnies, les nations et les races (Israélites, Arabes, Noirs, Maltais, etc.)
(Hesnard, 1947). Mais on peut se demander si, dans ces conditions, Hesnard
pouvait réellement offrir ses services en tant que psychanalyste et à qui ? Il
faut admettre qu’on ne peut, a priori, construire les fondations de la psychana-
lyse en Tunisie à partir de ce contact.
13. Personnelle, formatrice et obligatoire, selon les normes établies à partir de 1925 par
l’IPA.
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Rejetant la psychanalyse freudienne, il a cependant introduit la « psychothéra-
pie de soutien d’inspiration psychanalytique » et le « psychodrame » (Fanon,
1959). Il a emprunté la théorie du « stade du miroir » à Lacan et a introduit le
courant de la « psychothérapie institutionnelle ». Il a supprimé les grillages
protégeant les pavillons des malades chroniques. Il a introduit les activités de
« sociothérapie » notamment les fêtes, la musique, le théâtre (Bouzgarrou,
1978). Il a contribué à sa façon à préparer le terrain à la psychanalyse de par
ses positions critiques anticolonialistes et anticonformistes.
La période post-coloniale
14. Bouhdiba est notamment connu pour son célèbre ouvrage La sexualité en islam, PUF,
1975.
15. Ce diplôme allait connaître plusieurs modifications. En 1968, il a été remplacé par une
« licence des sciences de l’éducation ». En 1976-77, la psychologie revient sous forme de « maî-
trise » (Maaouia, 1978).
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APPROCHE HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX
nés, notamment les séances de contrôle qui exigeaient des déplacements mul-
tiples vers la France, une disponibilité et des moyens. Mme Mélika Zamiti fai-
sait partie de ce groupe de cliniciens. Elle a enseigné la psychopathologie au
sein de la faculté des Lettres de Tunis. Elle fut ensuite enseignante à l’Institut
Technique d’Art, d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis (ITAUT).
À la même période (67-70), Mme Lydia Torasi16 tâtonnant avec de sérieux
problèmes de santé de son fils, et n’arrivant pas à trouver des réponses à ses
questions17, a décidé de partir vers Paris à partir de 1970 18 se faire analyser par
un disciple de Jacques Lacan, rencontré lors de ses vacances à Tunis.
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Lydia Torasi est issue d’une famille d’origine italienne résidente en Tunisie
depuis trois générations. Elle est née le 28 mai 1925 à Makthar (Tunisie).
Cette autodidacte, douée d’une grande sensibilité, a vécu une démarche
qu’elle qualifie de « marginale et particulière ». Son analyse s’est faite dans le
cadre d’une « épuisante navette » avec les interruptions et les difficultés que
cela comportait. « C’était une analyse serrée, intense et stressante ». Son ana-
lyste, probablement bousculé par les étonnantes « intuitions et révélations »
de Mme Torasi par le biais de ses rêves (elle voyait des graphiques), l’envoie
chez Lacan qui, à la fois étonné et intrigué par l’intérêt précoce que portait
cette dame aux « nœuds » et « graphiques », frappé par le dessin qu’elle faisait
spontanément de « l’arbre » et par une espèce de « transparence de son incons-
cient » et son « savoir intérieur »19 l’autorisa rapidement à commencer à exer-
cer en tant qu’analyste.
La période passée autour de Lacan20 correspondait aux dix dernières
années de la vie de celui-ci avec ses intérêts pour une logique « nodale » et à
16. Mon contact avec Mme Lydia Torasi a débuté par un échange de courrier postal (22
octobre 2005), suivi d’une rencontre directe à Nice (8 novembre 2005), puis continué à travers
le téléphone et notamment par courriel régulier, ce qui a constitué une base de données consi-
dérable.
17. Dans le but d’obtenir des réponses quant à la pathologie de son fils, Lydia Torasi avait
travaillé bénévolement à l’Association de l’UTAIM (Union Tunisienne d’Aide aux Insuffisants
Mentaux) aux côtés de Dominique Tommy Martin, prêtre et psychologue clinicien, créateur
avec d’autres, de l’UTAIM en 1967. Elle a également contacté plusieurs psychiatres et ensei-
gnants de psychologie dont principalement Mme Mélika Zamiti.
18. Jalil Bennani (2007) situe à tort cela dans les années 1960 quand il écrit : « Les débuts
de la psychanalyse en Tunisie sont à situer dans les années 60 avec une psychologue psychana-
lyste italienne, Lydia Torasi ».
19. « Lacan : mais comment le savez-vous ? Continuez, continuez, c’est un TOURNANT de
la psychanalyse » (Torasi, courriel du 31 janvier 2007). « Il m’est arrivé, au cours de certains
séminaires d’avoir une idée précise quant aux questions fumeuses et enfumées qui s’y posaient
et de déposer discrètement dans la main de Lacan ma réponse brève et concise sur la question.
À quoi la question presque constante était : « Mais comment savez vous ? ». J’aurais bien été
soulagée qu’il me le dise… » (Torasi, courriel du 5 décembre 2008).
20. À titre indicatif et comparatif, Gérard Haddad a commencé son analyse avec Lacan en
septembre 1969. Elisabeth Geblesco a entamé son contrôle avec Lacan en octobre 1974.
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II » (Torasi, 1979)22. Ce texte expose l’ensemble des « mathèmes » qui seront
repris et développés dans son ouvrage qu’elle publiera en 1989. Elle cherchait
à saisir la logique du « code » à plusieurs niveaux. Elle s’intéressait aux liens
existant entre psychanalyse et génétique (code, gène, ADN, clones, etc.)23.
Lydia Torasi articulait également la linguistique (elle parlait de linguisterie
comme Lacan) avec la génétique. Cela allait encourager Lacan à s’intéresser
à la cybernétique. Malgré sa présence dans l’entourage de Lacan, elle avance :
« le discours hermétique de Lacan et plus encore des lacaniens passait tout à
fait au-dessus de ma tête ».
Par ailleurs, il est intéressant de relever le fait que les préoccupations de
Lydia Torasi ont été reprises par trois auteurs travaillant dans des champs dif-
férents : William Théaux, Ahmed Osman et Charles Pope. Torasi a entretenu
des échanges par courrier avec W. Théaux concernant un intérêt commun
porté à Akhenaton, Moïse et Œdipe.
Ainsi, c’est à Lydia Torasi qu’on doit véritablement l’introduction de la
psychanalyse en Tunisie de façon irrégulière à partir de 1975, puis de façon
stable à partir de 1980. Mais cette dame a décidé de quitter la Tunisie en octo-
bre 1984 pour choisir de s’installer dans le Midi de la France. Depuis, elle
revenait à Tunis à raison de deux fois par an pour terminer les analyses et les
contrôles qu’elle avait entamés.
Torasi travaillait dans l’informel absolu. Pourtant, plusieurs personnes
(psychologues, philosophes, psychiatres, un public de jeunes et notamment de
femmes) sont passées sur son divan du côté de la Marsa, proche banlieue de
21. « lequel est effectivement l’emblème de la Maison de Savoie, royauté déchue d’Italie »
(Torasi, courriel du 19-01-09). Peut-on y entendre également « nœud de sa voix » notamment
lorsqu’on connaît l’intérêt que portait Lacan aux objets partiels (les objets a) que sont la voix,
le regard, etc.?
22. On constate la participation, dans ce même ouvrage, de deux psychanalystes amis de la
Tunisie :
- Elisabeth Geblesco : « Essai de réflexion épistémologique à propos du concept de tabou »,
- Gérard Haddad : « Transmission et discours de M. Valdemar ».
23. « Le modérateur, après exposition de mes graphiques, avait semblé très intéressé et
m’avait demandé « si j’étais mathématicienne » et « si Lacan connaissait tout çà », ce qui
m’avait pas mal étonnée » (Torasi, courriel du 14 décembre 2008).
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APPROCHE HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX
Tunis. Mme Torasi accompagnait les uns et les autres dans leurs chemine-
ments et personnels et professionnels. Elle assurait certes les analyses person-
nelles mais également des contrôles. « Ses remarques et ses points de vue fai-
saient sentir qu’il y avait des choses vraies et qui faisaient sens dans nos
approches et nos compréhensions et qu’il y avait lieu de poursuivre ».24
Après plusieurs années d’hésitation, Torasi a fini par publier en 1989 son
ouvrage : Matrix, Modélisation psychanalytique de lois régulatrices de la
génétique cellulaire.25 « Ce livre relate de façon résumée tout ce que le rêve
m’a transmis de la connaissance inconsciente d’un système et biologique et
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psychique de l’être ».26
À part Mme Torasi, il faut signaler les « gens de passage ». La Tunisie fai-
sait alors appel aux coopérants dans le domaine de l’enseignement, de la
médecine, etc. Plusieurs personnes dont celles de nationalité française étaient
installées un peu partout à travers le territoire tunisien pour une durée
moyenne équivalente à deux ans, correspondant à la durée du service militaire.
De la sorte, il n’était pas exclu que certains de ces coopérants, cliniciens ou
pas, aient pratiqué la psychanalyse. Le statut « d’étranger » de ces intervenants
leur donnait plus de facilité pour exercer ou se présenter en tant qu’analyste.
L’année 1975 voit l’installation de Mme Samia Attia, psychiatre et chef du
service « Sfar » à l’hôpital psychiatrique Razi de 1975 à 1986, année de son
départ pour le Canada. S. Attia avait déjà entamé une analyse à Paris alors
qu’elle poursuivait ses études. Elle l’avait reprise avec Mme Lydia Torasi à
Tunis, tout comme un groupe de ses collègues psychiatres et psychologues. S.
Attia était sensible aux différentes formes thérapeutiques en dehors des chi-
miothérapies : ergothérapies, psychothérapies, animations culturelles, etc. Elle
avait fait appel à Mme Néjia Zemni, philosophe, sensible à la psychologie et
à la psychanalyse, pour animer des groupes de travail au sein de son service,
mais aussi des activités culturelles communes à plusieurs services de l’hôpital
Razi. Elle avait également fait appel à deux psychologues : Abdallah Maaouia
et Mélika Zamiti pour pratiquer le psychodrame dans son service. Ce service
fonctionnait grâce à l’apport de Claudine Louzir, psychologue qui a su
« transmettre, poursuivre, approfondir et mettre en application les rudiments
ou encore les balbutiements de la psychanalyse qui se dessinaient dans notre
travail et notre approche de la maladie mentale ».27
Mme Néjia Zemni s’était engagée également dans la psychanalyse avec
Mme Torasi. Elle s’est trouvée faire de la prise en charge psychothérapeutique
notamment avec les schizophrènes. Elle était formée sur le tas. Pendant la
même période (1975-1980), elle allait régulièrement à Paris suivre le sémi-
naire de Lacan. À partir de 1985, elle faisait des séjours réguliers à Paris
pendant deux ans pour des contrôles (Zemni, 1999). Depuis, elle a préféré
travailler dans la discrétion.
Parallèlement à ces apports, celui de la psychiatrie va marquer à son tour
l’introduction de la psychanalyse en Tunisie. Après Samia Attia (1975), on
enregistre le retour de Essedik Jeddi (1977) et notamment de Mohamed
Ghorbal (1979) et de Mohamed Béchir Halayem (1982), tous formés en
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France.
Essedik Jeddi, psychiatre physiologiste à l’origine, formé à Lyon à la psy-
chothérapie institutionnelle, la psychothérapie de groupe, au psychodrame
psychanalytique et les thérapies familiales, met en place dans le service
« Pinel » qu’il dirigeait dès 1977, et dans un souci d’innovation, des rencon-
tres pluridisciplinaires combinant notamment psychiatrie et culture. Il a
accueilli en 1979 Henri Collomb, fondateur de l’École de Dakar et de la revue
Psychopathologie africaine. Imbibé du courant de l’antipsychiatrie, il a lancé
des expériences pilotes en psychiatrie sociale, en psychiatrie institutionnelle et
en arts thérapie qui avaient bousculé toute la dynamique de l’hôpital Razi
(cf. son film La porte, 1980). On doit à Jeddi les « rencontres Ibn Sina –
Collomb » (1980 28, 1982 29, 1984 30 et 1987 31)32. Plusieurs psychanalystes ont
été invités à Tunis à l’occasion de ces rencontres dont Gisela Pankow, Anne
Schutzenberger, Pierre Fedida, Michel Demangeat, Claude Alié, Jean Paul
Abribat, Jean Paul Moreigne, Ignacio Garate, Jean Guyotat, Marguerite
Audras, etc.
Pour Jeddi, la psychanalyse, qu’elle soit individuelle ou de groupe, impli-
que nécessairement un travail de culture aussi bien pour l’analysant que pour
l’analyste. Dans ce sens, il a invité de nombreux psychanalystes pour des tra-
vaux en séminaires : Piera Aulagnier a animé en 1979 et en 1980 des séminai-
res dans son service et présenté des conférences à la faculté de médecine de
Tunis. Guyotat a participé à des réunions atelier avec l’équipe soignante du
service. Anne Ancelin Schutzenberger a animé durant quatre ans (de 1981 à
1985), des ateliers de formation au jeu de rôle et un groupe de formation au
28. Jeddi E. (Sous la direction de) Le corps en psychiatrie. Paris, Masson, 1982.
29. Jeddi E. (Sous la direction de) Psychose, famille et culture. Paris, L’Harmattan, 1985.
30. Base de la personnalité. Personnalité de base et Cultures, non publié.
31. Psychose, Langage et Sacré, non publié.
32. Ces Symposia ont fait l’objet de plusieurs critiques internationales et la revue
L’Information Psychiatrique (vol. 62, n°5, 1986, p 666) les qualifiait de lieu « d’une véritable
Internationale Psychiatrique, au-delà de, et passant par la différence des cultures, des races et
des aléas de l’histoire…, posant l’unité du genre humain ».
RIADH BEN REJEB – LA PSYCHANALYSE EN TUNISIE 53
APPROCHE HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX
psychodrame33. Gisela Pankow animait, de 1980 à 1988, une fois par an, un
séminaire avec l’ensemble de l’équipe soignante du service et présentait à cha-
que fois une conférence. C’est auprès d’elle que Jeddi a revu sa pratique en
Tunisie et c’est avec elle qu’il a retravaillé à Paris, ses propres questionne-
ments.
Au niveau théorique, Jeddi propose le concept du « facteur thermotactile »
comme facteur premier du rapport enfant-mère. Il développe aussi le concept
de « socianalyse ». Ces deux concepts figurent dans le dictionnaire du
Vocabulaire de base en Sciences Humaines d’Anne Ancelin Schutzenberger34.
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Jeddi développe l’hypothèse de l’existence d’une « chaîne d’organisateurs cul-
turels » ayant fonction d’étayage des différentes étapes du développement de la
personnalité (et des perturbations de ce développement). Son approche combi-
nant la thérapie à la culture a fait l’objet d’un article critique de R. Devisch et
de B. Vervaek (1986).35
Il faut savoir que Jeddi était épaulé dans son travail par l’apport du psycho-
logue et psychanalyste du service, Khelifa Harzallah. Armé d’une formation
lacanienne, ce psychologue a choisi de travailler dans le terrain de la psychia-
trie institutionnelle. À deux, ils ont su conduire un combat acharné contre les
représentants de la psychiatrie asilaire.
En fait, toute une période de bouillonnement culturel a marqué ces années
« contestataires » soixante dix (entre 1972 et 1978). Il y avait tout un mouve-
ment antipsychiatrique mené, à travers le quotidien La Presse de Tunisie,
contre la psychiatrie asilaire incarnée essentiellement par Sleim Ammar. Ce
mouvement était mené par un groupe de personnes : Ezzeddine Gueddiche et
Esseddik Jeddi, psychiatres, Mongi Ben Hamida, neurologue et Youssef
Seddik, philosophe et journaliste qui rédigeait et offrait à ces cliniciens la pos-
sibilité de défendre chacun à sa manière la nécessité d’une politique et d’une
pratique plus humaines pour traiter de la souffrance mentale et psychique. Des
tables rondes étaient organisées et des articles de presse rédigés contre l’usage
excessif des électrochocs et des techniques de soins jugées archaïques.
Mustapha Nasraoui, alors tout jeune psychologue, a pu écrire directement sur
les colonnes de la revue Jeune Afrique (1976) et du journal Le Monde (1977).
En guise de réaction et de résistance, Sleim Ammar invitait durant l’année uni-
versitaire 1978-1979 dans son service « Avicenne » à l’hôpital Razi un célè-
bre psychiatre et psychanalyste Henri Ellenberger, analysé par O. Pfister.
33. Séminaire qui s’est greffé sur celui qui avait été lancé par la Société tunisienne de
Psychologie dès 1978. Cf. plus loin.
34. Schutzenberger A A, Vocabulaire de base en sciences humaines. Paris, Epi, 1981.
35. Devisch R. & Vervaek B. Doors and Thresholds : Jeddi’s approach in Psychiatric
Disorders, Social Sciences and Medicine, 1986, vol. 22, pp 541-551.
54 TOPIQUE
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Ghorbal a fait l’effort de théoriser autour de « la personnalité maghrébine » à
travers de nombreuses publications et d’interventions psychanalytiques
(Ghorbal, 1977, 1980, 1981a, 1981b, 1981c, 1983). Ghorbal distingue deux
dimensions dans la personnalité arabo-musulmane : une dimension commu-
nautaire collective et une dimension individuelle intime. La première est mar-
quée par l’empreinte de l’arabité et de l’islamité (domaine de l’être). La
deuxième par le développement personnel (domaine de l’avoir). Tout accès à
l’aire individuelle doit passer par l’aire communautaire.
Ghorbal était devenu le chef de file de toute une équipe de jeunes assistants
en psychiatrie, travaillant à l’hôpital psychiatrique Razi. La mode était à l’in-
troduction de la psychopathologie dans les textes de communication et de
publication (Douki et al. 1981). Il était le premier et unique psychiatre à s’être
installé en privé dès son retour de Lyon en tant que « psychiatre-psychana-
lyste ». Il incarnait à lui seul « les belles années de la psychanalyse » en Tunisie.
Il est curieux de relever le fait qu’ayant décidé de quitter complètement la
fonction publique (l’hôpital et l’Université) pour se consacrer entièrement à
son activité de pratique privée et ses propres soins, feu le Dr Ghorbal n’ait plus
rien écrit et n’ait plus rien organisé dans ce même sens.38
Mohamed Halayem, formé à Paris, a commencé à exercer en tant que
pédopsychiatre et psychanalyste en 1982 à l’Hôpital d’Enfants de Tunis. Il y
a introduit une lecture psychanalytique à travers différentes publications trai-
tant de problématiques combinant et intéressant les psychiatres et les pédia-
tres : la dépression masquée, les psychoses de l’enfant, le bégaiement, et plus
particulièrement l’enfance abandonnée (Halayem, Sfar et al. 1983 ; Halayem,
1984a ; Halayem, 1984b ; Halayem et Haffani, 1986 ; Laarif et Halayem,
1986 ; Halayem, Hamza et al., 1986 ; Halayem, Sfar et al., 1987).
36. Internat à l’hôpital Razi : 1970-71 ; Chef de service : 1979 ; Agrégation : 1985 ; Retraite :
1989 (pour raisons de santé).
37. À l’époque, Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Tunis. Cet enseignement
est depuis assuré par d’autres enseignants, malgré les réformes successives de l’enseignement
supérieur.
38. Je consacre un texte séparé à Mohamed Ghorbal en hommage à la personne et à son
œuvre.
RIADH BEN REJEB – LA PSYCHANALYSE EN TUNISIE 55
APPROCHE HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX
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de la Tunisie (CHU Habib Thameur, actuel Hôpital Militaire de Monfleury). Son
départ à ce CHU était associé à la dissolution du groupe « Maintien ».
En septembre 1987, j’étais recruté en qualité d’Assistant psychologue et
j’ai participé à la mise en place de ce service. Parmi les multiples activités de
ce service, deux séminaires ponctuaient son fonctionnement chaque semaine :
un séminaire de psychopathologie de l’enfant et un séminaire de psychana-
lyse. Plusieurs jeunes psychologues et psychiatres suivaient avec assiduité ces
séminaires. Je citerai Salem Hamza, Raja Labbane, Hajer Karray, Houda
Hamza, Feika Bagbag, Boutheima Bellamine et bien d’autres.
La même année, Halayem fonde une Société d’Études et de Recherches
en Psychanalyse (SERP), première société de psychanalyse en Tunisie. Elle a
eu également une éphémère destinée.39
En 1989, Kamel Khalfallah est recruté Assistant de pédopsychiatrie pour
consolider l’équipe. Mais avec le changement de statut de l’institution et son
passage sous la tutelle du Ministère de la Défense, le service fut muté à l’hô-
pital Razi. À la demande de la Faculté, j’avais sollicité et obtenu ma mutation
à partir de 1990. Quant à Kamel Khalfallah, il a préféré démissionner de la
fonction publique. Il est entré depuis dans un processus morbide. Et il est mort
dans des circonstances touchantes.
Ainsi, il est bien clair qu’après le départ de Lydia Torasi, ce sont en fait
Mohamed Ghorbal et Mohamed Halayem qui occupaient magistralement le
terrain de la théorisation et de la pratique de la psychanalyse en Tunisie pen-
dant bien longtemps. Le premier s’inscrivait dans le sillon de la psychanalyse
orthodoxe, celle de l’IPA, le second s’inscrit dans celui des courants lacaniens.
Des débats entre les disciples des uns et des autres animaient les différentes
rencontres psychiatriques locales. D’autres psychiatres, de formation analyti-
que, se situaient en dehors de cette dualité. Il s’agit notamment de Slaheddine
Gallali40, dont le mérite est d’avoir su introduire et transmettre la dimension
psychanalytique en milieu psychiatrique militaire. Il s’agit également de
39. Jeu de mots qui renvoie au titre d’un texte de Freud (1915).
40. Professeur de Psychiatrie ; Médecin-Colonel ; Chef de service à l’Hôpital Militaire
Principal d’Instruction de Tunis.
56 TOPIQUE
Jouda Ben Abid41 qui a transféré son savoir et ses compétences dans le
domaine des addictions. Quelques disciples de Halayem ont choisi de travail-
ler chacun dans une direction qui lui est propre. Ainsi, Salem Hamza a décidé
de quitter la Tunisie pour s’installer en France tandis que Fadhel Mrad conti-
nue à introduire une pratique de la psychanalyse dans son service à l’hôpital
psychiatrique Razi.
En 1994, un groupe de psychiatres a fondé autour de Radhouane Mehiri à
Sfax L’Institut Arabe de Sexologie et de somato-thérapie. Mehiri a lancé auda-
cieusement une formation de sexo-analyse, somato-analyse et de somato-thé-
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rapie en collaboration notamment avec Richard Meyer.42 Cette aventure a été
de courte durée.
Pendant les années 1995, la Société Tunisienne de Psychiatrie (STP) s’était
engagée avec la Société Psychanalytique de Paris (SPP) pour assurer des
séminaires de formation et d’initiation à la psychanalyse à Tunis. Au cours de
cette courte expérience, on a vu à Tunis Paulette Letarte, Paul Denis, Paul
Israël, entre autres, venir présenter des conférences et essayer de faire des
groupes de contrôle. Cette expérience a été également vouée à l’échec.
Venons-en à l’apport de la psychologie qui a été également important. En
1978 et sous l’impulsion de la Société Tunisienne de Psychologie (STP), fut
lancée à Tunis une formation au psychodrame triadique (inspiré de Moreno,
de la gestalt et de la psychanalyse) et à la dynamique de groupe. Cette forma-
tion regroupait de nombreux psychologues et quelques psychiatres pour des
sessions organisées au rythme d’une fois par trimestre autour de Mme Anne
Ancelin Schützenberger, professeur de psychologie à l’Université de Nice,
auteur de nombreux ouvrages sur la question.43 Abdallah Maaouia, alors secré-
taire général de la STP en a fait un premier bilan rédigé en 1979 44. En 1980,
la STP s’associe avec l’Institut National des Sciences de l’Éducation pour
inviter des psychanalystes dont Colette Chiland45 et Madeleine Dreyfus46.
41. Professeur de Psychiatrie ; Chef de service du Centre « El Amal » pour la prise en charge
des conduites addictives, Complexe sanitaire de Jbel Oust, Zaghouan.
42. Auteur notamment de Reich ou Ferenczi ? Psychanalyse et somatothérapies, Marseille,
Hommes et perspectives, 1992.
43. Dont Précis de psychodrame. Paris, Éditions Universitaires, 1966 ; Nlle édition, Payot,
2001 ; Vocabulaire des techniques de groupe, Paris, Epi, 1971 ; Introduction au jeu de rôle,
Toulouse, Privat, 1975.
44. Groupe composé de psychologues, psychiatres, philosophes et d’éducateurs spécialisés :
Mélika Zamiti, Emna Ben Miled, Zeineb Naboltane, Mustapha Nasraoui, Chaker Mili Mustepha
Mahfoudh, Moncef Hajji, Mounira Chelli, Georges Galand, Moncef Srarfi, ainsi que des profes-
seurs du secondaire : Annette Krivin (français) ; Sadok Siala (mathématiques) et Rafika
Noureddine (anglais). Les motivations et les objectifs des uns et des autres étaient différents.
45. Pour présenter une conférence sur la psychologie de l’enfant et de l’adolescent.
46. Pour animer des séminaires de sensibilisation des instituteurs et pédagogues aux
concepts et notions de la psychanalyse.
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domaine de la psychosomatique lui ont permis d’accéder au statut d’universi-
taire et de produire des publications intéressantes à ce niveau (Besbès, 1989,
1995, 2000).
À partir de 1990, et avec la réforme de l’enseignement de la Maîtrise de
psychologie, Mme Besbès réussit difficilement à introduire l’enseignement de
la psychanalyse au niveau du cursus des étudiants de 2e année. Elle invite en
1994 Mahmoud Sami-Ali pour une conférence sur « l’approche psychosoma-
tique ». Elle réussit également à introduire un module d’enseignement intitulé
« connaissance de l’enfant par la psychanalyse » à partir de 2000.
D’autres psychologues ont depuis contribué à répandre le mode de pen-
sée psychanalytique dont notamment Néjia Mhalla qui, de par sa formation
supplémentaire en orthophonie et en linguistique, s’est intéressée, dans les
années 1990, à la possibilité d’utilisation de la psychanalyse avec les sujets
sourds.
Entre temps, la Tunisie réglemente des acquis majeurs en faveur de la psy-
chologie avec l’apparition du statut des psychologues (Loi n°92-73 du 3 août
1992 relative à l’exercice de la profession de psychologue de libre pratique et
le Décret n°93-687 du 5 avril 1993 portant statut du corps des psychologues
des administrations publiques).
En 1999, Mme Naziha Dridi, formée à Sainte-Anne, s’installe en privé en
tant que psychanalyste. Elle n’affiche pas d’affiliation ou d’appartenance à
une orientation théorique particulière. Ses publications reflètent son double
intérêt pour les chimiothérapies et les psychothérapies (Dridi, 1989 ; 1990 ;
1992 ; 1993 ; 1997).
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de formations et des analyses qui lui sont spécifiques en faisant inviter des
spécialistes étrangers. Et il semble que ce soit les jungiens qui aient montré le
plus de mérite à travailler avec plus de ténacité et de continuité, notamment
avec la collaboration de Mme Lidia Tarantini, psychanalyste installée à Rome
qui venait régulièrement à Tunis.
Pour ma part, ayant mis en place une Unité de Recherche en
Psychopathologie Clinique (URPC) au sein de la Faculté des Sciences
Humaines et Sociales de Tunis (depuis 1999) et convaincu par l’utilité et la
nécessité de participer à l’introduction de la psychanalyse en Tunisie par le
biais de la faculté, j’avais commencé à organiser, sous la couverture de
l’URPC, des colloques internationaux annuels. Les thématiques sont pluridis-
ciplinaires : l’éthique en psychologie50 (janvier 2001), le destin51 (janvier
2002), la dette52 (janvier 2003) ; de l’image à l’imaginaire53 (février 2004), le
rituel (février 2005), la référence (février 2006), la croyance (février 2007), la
paternité (février 2008), la scène (février 2009), le corps (février 2010). La
psychanalyse est fortement présente à ces colloques à travers la participation
d’analystes étrangers.54
Ces analystes appartiennent à des formations de base différentes (psycho-
logie, psychiatrie, philosophie), à des orientations théoriques différentes et à
50. Ben Rejeb R. (Sous la direction de), L’éthique en psychologie. Tunis, Éditions de
l’URPC, Faculté des Sciences Humaines et Sociales, 2003a.
51. Ben Rejeb R. (Sous la direction de), Le destin en psychanalyse. Paris, In-Press Éditions,
2005a.
52. Ben Rejeb R (Sous la direction de), La dette à l’origine du symptôme. Paris,
L’Harmattan, 2008.
53. Ben Rejeb R. (Sous la direction de), De l’image à l’imaginaire. Tunis, RMR et Paris,
Non lieu, 2009.
54. Colette Chiland, Gérard Haddad, Philippe Gutton, Serge Tisseron, Nicole Geblesco,
Elisabeth Geblesco, Francine Beddock, Françoise Labridy, Patrice Dubus, José Morel, Lidia
Tarantini, Kathy Saada, Catherine Cyssau, Béatrice Bachy-Duquesne, Catherine Graindorge
(ex-Eppelbaum), Gérard Decherf, Marcel Houser, Guy Darcourt, Nicole Jeammet, François
Marty, Marie Romanens, Marie-Jean Sauret, Jacques Cabassut, Mohamed Ham, Pierre Ferrari,
Giovanni Guerra, Patrice Cuynet, Houari Maïdi, Dominique Cupa, François Pommier, André
Calza, Martine Estrade, France Schott-Billmann, etc.
RIADH BEN REJEB – LA PSYCHANALYSE EN TUNISIE 59
APPROCHE HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX
des engagements académiques différents. Certains parmi eux sont en effet uni-
versitaires-chercheurs. D’autres travaillent exclusivement en privé ou dans
des cadres associatifs. J’ai voulu, de par mon cursus personnel, me situer au-
delà des clivages « classiques » entre psychologues et psychiatres et surtout
des querelles d’écoles. Le dénominateur commun à toutes ces personnes est la
psychanalyse. Lors de leur passage à Tunis, certains de ces intervenants ont
été sollicités pour présenter des conférences à la faculté sur un sujet psycha-
nalytique : la relation d’objet, le stade du miroir, la psychanalyse de l’adoles-
cent, etc. (Gérard Haddad, Philippe Gutton, Catherine Graindorge, Gérard
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Decherf, Marcel Houser, Guy Darcourt). Ces conférences étaient ouvertes à
tous. D’autres ont participé à des jurys de soutenance de mémoires de DEA
(Colette Chiland, Catherine Cyssau) ou de DESS (Patrice Dubus).
Parallèlement aux colloques annuels, j’avais pris à ma charge de réunir des
psychologues et des psychiatres travaillant dans le public et le privé, universi-
taires et non universitaires, autour d’une formation à la psychothérapie
psychanalytique, au psychodrame psychanalytique individuel (PPI) et à la
psychanalyse. Ce travail a fonctionné de 2001 jusqu’en 2004. Cette formation
était assurée par le Docteur Patrick Delaroche à raison d’une fois par mois.55
La formation s’est déroulée sous la couverture officielle de l’URPC et
donc de l’Université de Tunis. Elle s’est échelonnée sur une période de trois
ans. Il y a eu au total 24 sessions de formation comprenant 15 conférences.
Ces sessions ont démarré le premier novembre 2001 d’abord dans les locaux
de la fondation Beit-al-Hikma dont le Président n’est autre que le Professeur
Abdelwahab Bouhdiba.56 Ensuite, étant donné la proximité des sessions, les
multiples engagements des uns et des autres et afin ne pas perturber le cours
normal de l’utilisation des locaux de la faculté, il fallait travailler les après-
midi des fins de semaines, voire les soirées (durant le mois de Ramadan).
Lors de ces sessions de formation, il y avait des conférences présentées par
P. Delaroche, ouvertes et destinées au tout public. Il y avait également des
cours à l’intention des étudiants du DEA et de DESS (master professionnel)
de psychologie durant lesquels P. Delaroche faisait de la sensibilisation aux
différentes techniques psychothérapeutiques et notamment à la psychanalyse
et au psychodrame psychanalytique individuel.
Les sessions comprenaient aussi des réunions fermées de présentation de
cas cliniques, de visionnages de bandes vidéo, de jeu de psychodrame, de
contrôle. C’était le volet « clinique » qui se poursuivait par des stages à Paris
dans un service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent où est pratiqué le
55. Patrick Delaroche est pédopsychiatre et psychanalyste installé à Paris, ancien membre
de l’ex-école Freudienne de Paris fondée par Jacques Lacan. Il est membre d’Espace
Analytique, société fondée par Maud Mannoni.
56. Rappelons qu’il est l’auteur du premier texte psychanalytique tunisien.
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Mais il y avait également le volet « théorique » qui se manifestait à travers
la présentation d’exposés, la lecture de textes psychanalytiques et le travail
des concepts et notions de base. La Faculté des Sciences Humaines et Sociales
de Tunis est devenue du coup un véritable « laboratoire » de la psychanalyse
et un lieu de consultation. Des collègues (psychologues, psychiatres, chefs de
service ou autres) travaillant dans le secteur privé et public n’hésitaient pas à
nous adresser des « cas difficiles » pour explorations par le biais du PPI ou
pour avis clinique.
Parallèlement à ces sessions, l’URPC a mis en place un « groupe de lec-
ture » qui effectue principalement des séances de lecture de textes psychana-
lytiques, secondairement des séances de visionnage vidéo notamment la pro-
jection des conférences de P. Delaroche et des séances d’exposés pour présen-
ter et discuter les notions psychanalytiques par rapport à leur date d’apparition
dans l’œuvre de Freud. Le tout se déroulait et se déroule encore au cours de
« réunions du mercredi soir » à la Faculté.
Enfin, une place de choix était réservée aux cures psychanalytiques qui se
faisaient selon un rythme régulier qui convenait aux personnes concernées à
la fois à Tunis et à Paris.57
Parallèlement à tout cela, l’idée de constituer une Société savante germait
lentement. Elle trébuchait autour de son appellation et de sa composition. Une
première demande de visa a reçu une réponse négative de la part des autorités
locales. Depuis, le terrain était devenu fort propice pour faire de la récupération.
En effet, après avoir suscité diverses réactions de résistances, cette expé-
rience a fini par interpeller voire agacer des psychiatres qui n’avaient pas
réussi à mettre en place une formation psychanalytique à long terme en
Tunisie. Des démarches et des contacts ont été établis « entre psychiatres ».58
Et une équipe parallèle s’est constituée, avec l’accord de Patrick Delaroche.
57. Ces analyses se faisaient avec la même personne : P. Delaroche dispensait en même
temps les séminaires, les conférences, les contrôles, etc. Les cures continuaient à Paris pour les
personnes ayant la possibilité et l’occasion de se déplacer souvent vers la France. Il faut penser
aux multiples conséquences causées par de telles pratiques qui ne favorisent pas la séparation
des responsabilités, des statuts et des cadres.
58. Plus précisément, à partir de la 17ème session (du 13 au 15 juin 2003).
RIADH BEN REJEB – LA PSYCHANALYSE EN TUNISIE 61
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les attitudes de méfiance vis-à-vis de « la psychanalyse ». D’ailleurs, le groupe
a radicalement changé de composition depuis et sera marqué par l’instabilité.
La première leçon était en effet dure à supporter.
Mais l’URPC s’est lancé rapidement dans d’autres projets. Une coopéra-
tion pendant trois ans (2004-2006) a mis en relation trois institutions : un cen-
tre de psychiatrie infantile, la Fondation Vallée à Gentilly (d’orientation psy-
chanalytique, dont le père spirituel reste incontestablement le Professeur
Roger Misès), l’URPC et un centre d’éducation spécialisée pour enfants han-
dicapés mentaux (UTAIM59 section de Kélibia) dont j’assure la présidence60.
Ce projet vise la formation de cliniciens tunisiens dans le domaine de la psy-
chopathologie de l’enfant et de l’adolescent, des psychothérapies et de la psy-
chanalyse mais également au PPI. L’ensemble de ce projet est finement
agencé avec Patrice Dubus, responsable de l’hôpital de jour de la Fondation.
Ce projet a permis à des cliniciens de différentes spécialités (psychologie, psy-
chiatrie, psychomotricité, éducation spécialisée) d’aller dans les deux sens se
perfectionner au niveau de la pratique des différentes techniques de prise en
charge de l’enfant (cf. les différents rapports établis sur cet échange dans la
revue L’Écho de la Vallée).
Une troisième expérience a démarré en novembre 2006. Il s’agit d’un
séminaire animé par Gérard Haddad, psychiatre et psychanalyste d’origine
tunisienne qui se fait à raison de deux fois par an. Cette expérience rentre dans
le cadre des activités de l’Unité de Recherche visant à offrir aux étudiants et
cliniciens en exercice, une information différente, un autre espace de parole,
de penser et de contrôle clinique. Elle se fait exclusivement dans le cadre de
deux réunions fermées.
Enfin, une quatrième expérience vient d’être lancée par l’URPC dans le
cadre d’un accord de partenariat scientifique établi avec le Groupe
Méditerranéen de la Société Psychanalytique de Paris (SPP). Cet accord pré-
59. Union Tunisienne d’Aide aux Insuffisants Mentaux. (Cf. son site :
www.utaimkelibia.org).
60. Depuis le décès du fondateur et président de cette section, le Professeur Mongi Ben
Hamida.
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rée par Mme Myriam Boubli, Présidente du Groupe Méditerranéen de la SPP
ainsi que par Jean-Claude El Bez le vendredi 12 et samedi 13 décembre 2008.
Nicole Geblesco et Alberto Konicheckis ont ensuite assuré les séminaires de
la première année. La deuxième année est marquée par la participation de l’ac-
tuel président du GM, Jean François Daumark (novembre 2009) et d’André
Calza (avril 2010).
Entre temps, le paysage psychanalytique actuel de la Tunisie a été renforcé
et alimenté en 2007 par l’installation à Tunis de Fatma Ben Mahmoud, psy-
chologue et psychanalyste d’orientation lacanienne et le retour de Neila
Shabou, psychologue et psychanalyste qui bénéficie d’un cursus « orthodoxe »
à Paris, celui de la SPP.
En 2003-2004, on assiste à l’éclatement de la Société Tunisienne de
Psychiatrie, créée en 1980, suivie par la création d’une Association Tunisienne
de Psychiatrie d’Exercice Privé (ATPEP) et d’une Société Tunisienne de
Psychiatrie Hospitalo-Universitaire (STPHU). D’autres sociétés psychiatri-
ques vont suivre dont le « Forum bipolaire tunisien » et l’Association de
Recherche et d’Études en Santé Mentale à Sfax (AREMS). Différentes forma-
tions se sont constituées à Tunis, à l’instar de l’expérience lancée par l’URPC.
L’ATPEP a encouragé la mise en place d’un « groupe psychodrame Balint »,
expérience menée de mai 2004 à mai 2008 autour de Corinne Gal et de Hervé
Bokobza, regroupant une dizaine de praticiens (psychiatres et psychologue),
et une « Formation Spécialisée en psychothérapie » avec des psychothérapeu-
tes québécois. La Société tunisienne de Psychiatrie met en place à partir de
novembre 2008 et sous l’impulsion de son Président en exercice le Pr Essedik
Jeddi, un « Séminaire de formation de psychothérapie de groupe » animé par
des Espagnols francophones, membres d’Espace Analytique (Paris), Nicolas
Caparros et Isabel Sanfelieu, pour ne citer que ces projets.
Une fois abordé cet aspect historique, la question qui demeure centrale est
la suivante : pourquoi plus d’un siècle après la naissance de la psychanalyse,
celle-ci accuse-t-elle du retard pour se trouver une place dans le monde arabo-
musulman ?
J’avais essayé – dans les deux textes cités en introduction – de trouver cer-
RIADH BEN REJEB – LA PSYCHANALYSE EN TUNISIE 63
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Il est d’abord admis qu’on reproche souvent à la psychanalyse freudienne
le fait qu’elle attribue à la sexualité une grande importance dans l’origine des
névroses. Sa théorie perçue comme étant « pan sexuelle » est saisie de fait
comme un véritable danger public qui menace la civilisation. N’a-t-il pas
déclaré à Jung au cours de son voyage aux États Unis en 1909 : « Ils ne savent
pas que je leur amène la peste » ?
Le deuxième élément de résistance est la judéité de Freud. Dans le même
texte, il écrit : « Je peux, sous toutes réserves, soulever la question de savoir si
ma qualité de Juif, que je n’ai jamais songé à cacher, n’a pas été pour une part
dans l’antipathie générale contre la psychanalyse » (p. 133).
La troisième source de résistance que Freud ne cite pas est son athéisme
déclaré.
Ces trois éléments peuvent constituer les sources de résistances majeures à
la psychanalyse dans la sphère culturelle arabo-musulmane. Mais il y en a bien
d’autres. Nous allons essayer d’en aborder et de discuter celles les plus sou-
vent avancées dans la littérature.
Un argument soulevé par certains analystes comme étant un obstacle à la
transmission de la psychanalyse dans le monde arabe réside dans l’affirmation
selon laquelle « la psychanalyse ne peut se développer dans un univers politi-
que qui manque de démocratie ». La psychanalyse va de pair en effet avec la
liberté de la parole. On entend souvent cet alibi pour justifier l’absence de pra-
tiques psychanalytiques dans la majorité écrasante des pays arabo-musulmans.
Or, on peut en fait se demander, d’une part, si cela peut avoir une relation quel-
conque avec la présence ou l’absence de démocratie. D’autre part, faut-il rap-
peler le statut particulier et privilégié de la Tunisie qui, « seule dans les pays
du Maghreb, connaît une stabilité politique assise sur une démocratie appa-
remment saine et dont les effets rejaillissent positivement sur la vie quoti-
dienne des Tunisiens » (Mounir Chamoun, 2005) ? Et puis, si cet argument est
valable, comment peut-on justifier l’expansion des courants psychanalytiques
dans les pays de l’Amérique latine (Chili, Argentine et Brésil notamment)
alors que ces contrées sont réputées pour leur histoire marquée par la dictature
sanglante ? L’exil des psychanalystes de l’Europe, fuyant le nazisme, vers
l’Amérique du Sud, suffisait-il à y implanter la psychanalyse ? La culture
64 TOPIQUE
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D’autres auteurs vont jusqu’à affirmer que la structure de la langue arabe
est marquée par l’absence du verbe « être », d’où « absence de cogito cartésien
classique » (cf. Argument initial de la revue La célibataire, 2008, 4, p. 7 rédigé
par l’Association lacanienne internationale). À ce niveau, on oublie que la lan-
gue arabe est non pas temporelle à l’instar des langues occidentales mais
aspectuelle (accompli et inaccompli) et temporelle ayant des spécificités qui
lui sont propres. Osama Khalil répond magistralement à cette critique en appe-
lant à une meilleure connaissance de la grammaire arabe pour éviter les com-
préhensions curieuses, abusives et les traductions superficielles voire erro-
nées. Le verbe « être » (kâna) renvoie en fait au passé, mais également au pré-
sent et au futur ! Plusieurs exemples tirés du texte coranique (rédigé en langue
arabe et d’où sont puisées les règles grammaticales et syntaxiques) illustrent
cela. Dans le verset « kâna allâhu ‘alîman hakîman » (sourate IV, Les Femmes,
verset 92), signifiant au premier degré « Dieu était omniscient et sage », signi-
fie en fait que Dieu était, est et sera omniscient et sage. 61
On avance souvent l’argument du discours religieux qui, parce que totali-
taire, bloquerait toute interprétation qui viendrait en dehors de lui. On peut
distinguer à ce propos plusieurs niveaux d’analyse.
Il est vrai que la religion musulmane est présente massivement dans le dis-
cours et la pratique du citoyen de façon quotidienne. Ce discours est marqué
par le poids des notions traditionnelles de fatalité, de destin et de dette (Ben
Rejeb, 2005 ; 2007). Ce poids est si écrasant qu’on peut se demander si les
rituels musulmans ne constituent pas des substituts à la situation analytique.
J’avais déjà développé ces aspects dans mon texte « résistances à la psychana-
lyse ».
Certes, l’islam propose autant de rituels religieux qui visent à protéger les
individus de l’isolement, à les souder dans le cadre d’une communauté
[umma].62 Le Coran dit textuellement : « Fortifiez-vous du lien de Dieu, col-
61. « Dieu le savant et sage » (trad. de Kasimirski, verset 94), « Dieu est Connaissant et
Sage » (trad. de J. Berque, verset 92). On voit comment Kasimirski court-circuite le verbe
« être » tandis que Jaques Berque traduit kâna non pas par le passé mais par le présent.
62. Cf. l’importance des « prières collectives » du vendredi saint, de l’Aïd, etc.
RIADH BEN REJEB – LA PSYCHANALYSE EN TUNISIE 65
APPROCHE HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX
lectivement, ne vous divisez pas ».63 Le prophète ajoute que « La main de Dieu
est avec le groupe ». C’est ce qui a permis à certains d’affirmer la moindre
place qu’occuperaient le « Moi » et la notion de « Sujet » dans la culture arabo-
musulmane (Chebel, 2002a). C’est comme si la parole individuelle devait pas-
ser obligatoirement par celle du groupe (Ghorbal, 1983). Il s’agit certes d’un
élément important dont il faut tenir compte dans toute investigation clinique.
Par ailleurs, comment concevoir le fait que malgré la richesse économique
de certains pays arabes, notamment ceux du Golfe, on y enregistre l’absence
de département de psychologie ? La cause est à ce niveau d’ordre religieux.
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Les fondements philosophico-religieux de la personnalité arabo-musulmane
sont marqués par l’importance de la dimension nafs,64 concept polysémique
renvoyant à la fois à la psyché humaine, à l’âme (rûh)65, à la respiration, au
souffle et au sexe. La « Psychologie » est dite en langue arabe littéraire «‘ilm
an nafs » et renvoie certes à la « science de la Psyché » mais également à cet
ensemble d’objets d’étude. Qui pourrait alors oser détenir et transmettre ce
savoir sinon le théologien ? C’est ce qui explique l’expansion des formes de
thérapies « spirituelles » (rûhaniyya) à travers l’usage de versets coraniques,
de plantes et de miel. Sans oublier la place de choix qu’occupent les visiteurs
des mausolées, de saints et marabouts, et autres devins, pratiques qui ne sont
pas l’apanage des seules régions rurales. 66
Dans d’autres pays arabo-musulmans et malgré l’enseignement de la psy-
chologie dans des départements séparés et indépendants depuis une cinquan-
taine d’années, la situation est certes meilleure mais on remarque l’installation
de « thérapeute traditionnel, rûhâni », de « pratiques de soins parallèles » à
proximité d’une pharmacie, d’un médecin, etc.! Comment peut-on alors envi-
sager le recours à la pratique psychanalytique dans de telles situations ? Et
l’absence de la psychanalyse, en tant que théorie scientifique et technique thé-
rapeutique, est-elle due alors, à l’islam ? à l’arabité ? aux croyances ? ou à
d’autres facteurs socioculturels ?
Du coup, les psychanalystes ne semblent pas avoir beaucoup de travail à
faire dans ce terrain spécifique. C’est comme si les vertus de la parole rituali-
sée (religieuse mais également présente dans les thérapies traditionnelles)
répondaient plus aux souffrances des individus que la parole du psychanalyste.
On est en droit alors d’affronter cette vérité simple et évidente : la psycha-
nalyse est valable pour ceux qui en ont besoin. On ne peut l’imposer à ceux
qui ne la demandent pas.
À ce stade de la réflexion, on peut se demander si d’une part, le judaïsme
de Freud (malgré son « infidélité » déclarée et son athéisme affiché), et d’au-
tre part le poids du religieux dans le contexte arabo musulman, n’expliquent
pas en filigrane, la tolérance et le succès des courants lacaniens et jungien dans
cet univers. Tous les deux ont rompu avec la psychanalyse freudienne. Le pre-
mier a été taxé d’ « hérétique » par Freud (Freud, 1925, p. 66). Le deuxième a
été « excommunié » par l’IPA. Les deux partagent le même dénominateur
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commun, ils sont de culture chrétienne.
Soulever ce débat est certes un terrain extrêmement sensible. Il peut ren-
voyer à des attitudes inconscientes, à des sensibilités ethniques surtout par les
temps qui courent. Mais il n’empêche que c’est une question qui mérite d’être
abordée. Elle a été déjà traitée par Gérard Haddad.
Dans une étude historique fortement argumentée et intitulée « Lacan et le
judaïsme » (1996),67 G. Haddad cite entre autres, un paragraphe de Lacan dans
lequel celui-ci écrit « la religion des juifs doit être mise en question dans notre
sein »68 (sous entendu « le mouvement psychanalytique »). Haddad se demande
si l’on peut entendre cette affirmation comme une invitation à « déjudaïser » la
psychanalyse ? N’oublions pas que Lacan a comparé son sort d’exclu de l’IPA
à celui de Spinoza excommunié. Si la psychanalyse peut être considérée
comme étant une « création juive », Lacan veut-il fonder l’étape chrétienne ?
S’identifie-t-il à Jésus qui s’est démarqué du judaïsme pour fonder la
deuxième religion monothéiste ? D’ailleurs, Jésus ne l’a-t-il pas payé si cher ?
Or, pour fonder une nouvelle étape religieuse – une nouvelle génération de
psychanalyse –, il faut certes accepter « le complexe d’Œdipe » qui occupe la
place centrale dans la théorie psychanalytique freudienne. Mais il faut égale-
ment oser le dépasser69. En effet, « l’Œdipe pose problème »70 parce qu’il
constitue un arrêt dans le développement théorique avec son idéalisation du
Père. Le judaïsme a permis à Freud de découvrir la psychanalyse mais il est
en même temps son obstacle majeur. Et malgré le fait que Freud a passé sa vie
à vouloir « tuer » symboliquement des pères, avec la mise en place du com-
plexe d’Œdipe dans l’Interprétation des rêves (1900), du mythe du meurtre du
père dans Totem et Tabou (1913), jusqu’à l’élaboration de tout un arsenal théo-
67. Ce texte figure dans la 3ème édition de L’enfant illégitime (1996). Thème repris égale-
ment dans son livre Le péché originel de la psychanalyse, Paris, Seuil, 2007.
68. Lacan « Proposition d’octobre 1967 » cité in G Haddad, p 306.
69. Lacan propose en 1963 (séminaire sur l’Angoisse) le concept d’objet a : « l’objet
perdu », appelé encore « objet partiel » ou « objet pulsionnel ». Ce sont : le sein maternel, le
bâton fécal, le regard (pulsion scopique) et la voix (pulsion invoquante) ». L’objet a est la cause
du désir (G. Haddad, 1996, pp. 302-303). On peut ajouter un quatrième objet : le prépuce.
70. Lacan séminaire XVII, (1969-1970) L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p 97.
RIADH BEN REJEB – LA PSYCHANALYSE EN TUNISIE 67
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ET SI ON DÉPLAÇAIT LE DÉBAT SUR UN AUTRE PLAN ?
En fait, il faut admettre que la psychanalyse est plutôt la création d’un juif,
mais d’un juif particulier. On a tendance à oublier que Freud a vécu dans une
Vienne catholique, que son épouse Martha, fille d’un rabbin berlinois, a vécu
dans une Prusse (Berlin) protestante. Freud incarne le croisement de plusieurs
cultures. Il s’identifiait certes à l’Égyptien Moïse71, fondateur du judaïsme,
mais également à l’Allemand Goethe, l’indifférent à toute religion. Les « rêves
de Rome » illustrent parfaitement cette position plurilingue et pluriculturelle72.
Freud puisait partout. Chaque source laissait une trace sur sa découverte. Les
apports du judaïsme (religion, mystique, Talmud, etc.), de la langue sémitique
ont été fondamentaux. Ils ont permis à Freud d’être sensible à l’art de l’écoute,
à la capacité de l’interprétation des rêves, à l’accès à la symbolique des mots
d’esprit, à l’art de la métaphore, à la découverte du latent et du manifeste, etc.
Mais le romantisme allemand a également influencé la psychanalyse de même
que les tragédies grecques. Freud était capable de raisonner par rapport à plu-
sieurs sources, plusieurs plans et faisait preuve d’un esprit de synthèse remar-
quable.
À l’argument qui avance que la psychanalyse ne peut exister dans un pays
arabo-musulman, à cause de la religion musulmane, on peut se contenter de
donner l’exemple de l’Égypte. Cet exemple montre que l’introduction de la
psychanalyse dans un pays est une histoire de rencontres, de hasards et de per-
sonnes. Plusieurs témoignages montrent que l’Égypte a connu très tôt l’expé-
rience psychanalytique plus particulièrement dans les années 1930, soit avant
la Deuxième Guerre Mondiale donc bien avant l’Italie, l’Espagne et la
Belgique. Le psychanalyste Choukri Guirguiss, membre de l’Association
71. Après avoir rencontré Jung en 1907, Freud l’investit pour de nombreuses raisons : il
était de Zurich, dynamique et surtout chrétien. Freud n’a pas hésité à le sacrer « prince héritier ».
En 1909, il lui écrivait : « [...] vous serez celui qui comme Josué – si je suis Moïse –, prendra
possession de la terre promise de la psychiatrie, que je ne peux apercevoir que de loin. » (Lettre
du 17-1-1909 in Freud-Jung, 1974, I, p 271).
72. Freud S. Œuvres Complètes, Tome IV, L’interprétation du rêve. Paris, PUF, 2003, p. 233.
68 TOPIQUE
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d’élèves, il y avait Mustapha Safouan et Sami-Ali (Abdelkader, id.).
Ziwer part en France en 1945, soit à la fin de la 2 Guerre Mondiale, pour
e
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plus particulièrement dans les idéologies (religieuses et politiques).
Depuis, il a fallu attendre 1980 pour voir la fondation de la Société
Libanaise de Psychanalyse (SLP) par Mounir Chamoun, Adnan Houbballah et
Adel Akl. Feu Houballah a fondé en 2001 le Centre Arabe de Recherches
Psychanalytiques et Psychopathologiques. Plusieurs colloques ont été organi-
sés au Liban : « Fonction thérapeutique de la psychanalyse » (1999),
« Psychanalyse et modernité » (2002), « La psychanalyse dans le monde arabe
et islamique » (2005)74
Et malgré son passé psychanalytique, il a fallu attendre 2001 pour voir la
fondation de la Société Psychanalytique Marocaine (SPM) par Jalil Bennani.
La Société Psychanalytique Égyptienne n’a vu le jour qu’en 2004.
PERSPECTIVES
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arabes ont refusé de traduire et commenter les tragédies grecques. Leur argu-
ment n’était pas simplement d’ordre théologique. Il relève plutôt de ce qui est
inaccessible à leur système symbolique et à leur style littéraire et fictionnel.
Le texte coranique est extrêmement riche en histoires fondatrices, dont
l’interprétation sous l’angle psychanalytique et anthropologique ne peut être
que positive (dont Benslama, 2002 ; Ben Rejeb, 2006b, 2007 ; Youssef, 2007 ;
Seddik, 2004, 2007). La même démarche a déjà été utilisée vis-à-vis de la
Bible (dont Dolto, 1999, 2000 ; Balmary, 1986, 1993). La psychanalyse a
beaucoup à apprendre de l’islam et des spécificités des cultures arabo-musul-
manes telles l’étude des prénoms (Ben Rejeb, 1994)76 des contes (Bouhdiba,
1977 ; Ben Rejeb, 2009), de l’islam de masse,77 des thérapies traditionnelles78,
du soufisme (Nasraoui, 1992), des tournures et métaphores spécifiques à la
langue et au langage arabes, etc. C’est sur cette base qu’on peut faire avancer
la psychanalyse en proposant des solutions culturelles adéquates (Hirt, 1993 ;
Ortigues, 1973).
N’est-ce pas dans ce sens que Bouhdiba, s’inspirant des contes des Mille
et une nuits, a proposé avec beaucoup de courage de parler de « complexe de
Jawdar » à côté du « complexe d’Œdipe » ? (Bouhdiba, 1975, pp. 274-279). Ce
sociologue fut le premier à comprendre, bien avant les cliniciens, que le conte
de Jawdar le pêcheur79 correspond beaucoup à ce qui spécifie la culture magh-
rébine, voire arabo-musulmane.
75. Ibn Sîrîne M. Le Grand Livre de l’Interprétation des Rêves. Traduction, note et présen-
tation de Youssef Seddik. Beyrouth, Dar Al bouraq, 1999.
76. Cf. également mon texte : « Contes, prénoms et culture au Maghreb » dans R. Ben Rejeb
Psychopathologie transculturelle de l’enfant et de l’adolescent. Cliniques maghrébines. Paris,
In-Press, 2003b.
77. Cf. mon texte « De quelques aspects de la famille et de l’adolescence dans le Maghreb
actuel » dans Gérard Decherf, (sous la direction de), Crises familiales : violence et reconstruc-
tion. Paris, In-Press, 2005c, pp. 233-245.
78. Cf. à ce propos mon texte : « Psychothérapie et culture. À propos d’une hadhra » dans
R. Ben Rejeb Psychopathologie transculturelle de l’enfant et de l’adolescent. Cliniques magh-
rébines. Paris, In-Press, 2003b.
79. Mille et une Nuits ; 606 ème à 624 ème nuits. De nombreuses traductions françaises dont
celle d’Armel Guerne. Paris, Club français du Livre, 6 vol., 1970, vol. 4, p. 1685 sq.
RIADH BEN REJEB – LA PSYCHANALYSE EN TUNISIE 71
APPROCHE HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX
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Mais tu lui diras alors : « Reste éloignée et ôte tes vêtements. » Elle te dira :
« Mon fils, je suis ta mère. J’ai sur toi les droits que donne l’allaitement et
l’éducation. Comment veux-tu que je t’expose ma nudité. » Tu répondras :
« Enlève tous tes vêtements sinon je te tue ». Regarde alors à ta droite, tu trou-
veras un sabre accroché au mur, prends-le, dégaine-le et dis-lui : « Enlève tes
vêtements ! » Elle cherchera encore à biaiser, à implorer ; mais point de pitié.
Chaque fois qu’elle enlève un vêtement dis : « Il faut tout enlever. » Menace-
la de mort jusqu’à ce qu’elle ait ôté tous ses vêtements et apparaisse entière-
ment nue. Alors tu auras déchiffré les symboles, annulé les blocages et mis ta
personne en sécurité. »81
Et le Maghrébin de préciser : « N’aie pas peur, Jawdar, car ce n’est qu’une
ombre sans âme. » Mais Jawdar parvenu devant sa mère ne sut point oser lui
faire enlever l’ultime cache-sexe. Il était troublé par sa mère qui ne cessait en
effet de répéter : « Mon fils, tu tournes mal. Mon fils, ton cœur est de pierre.
Tu veux donc me déshonorer mon fils. Ne sais-tu point que c’est illicite
(h’arâm). » Alors Jawdar devant ce mot de h’arâm renonce à son projet et de
dire à sa mère : « Garde le cache-sexe. » Et radieuse la mère de crier : « Tu t’es
trompé ! qu’on le batte. » Et voilà Jawdar recevant une volée de bois vert et
éjecté hors du gouffre au trésor dont les portes se refermèrent aussitôt.
Le Maghrébin et Jawdar ne se tinrent néanmoins pas pour battus. Un an
plus tard Jawdar recommença les opérations magiques et réussit cette fois-ci à
dévêtir entièrement sa propre mère. « Une fois celle-ci complètement nue, elle
se transforma en une ombre sans âme » et Jawdar put s’emparer du trésor. »82
Ce récit reflète parfaitement la relation préférentielle qui existe entre l’en-
fant et sa mère dans l’univers arabo-musulman, relation marquée plus particu-
lièrement par une fusion corporelle, par un allaitement prolongé et par un état
de dépendance qui va se prolonger toute la vie (Ghorbal, 1981a, Ben Rejeb,
2001). N’est-ce pas la mère qui continue à décider, notamment dans les
régions rurales, du choix de la future épouse de son fils, qui continue à gérer
les affaires de la grande famille, qui intervient dans la vie des jeunes couples,
etc.? Qui n’a pas connu ou vécu les éternels et « chroniques » conflits entre
l’épouse et sa belle-mère ? Ne continuent-ils pas à être à l’origine de nom-
breux divorces ? (Ben Rejeb, 2005c).
Or, l’autonomie passe par un détachement qui n’est pas si aisé. « La vie est
un trésor qui ne s’acquiert que si d’abord on a su tuer en soi les ombres inani-
mées. La maturation psychologique est un attentat contre la mère. Il faut tuer
en soi l’image de la mère, la profaner, la démythifier. Tuer en soi la fausse
image de la mère, c’est se sécuriser soi-même. (…) Le respect de nos mères
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nous empêche de voler de nos propres ailes. (…) Nous sommes prisonniers
des ombres de nos mères. (…) L’image de la mère est source de blocage »
(Bouhdiba, 1975, pp. 275-276).
Bouhdiba admet « une unité fondamentale de l’Œdipe universel »
(id. p. 277) mais si Œdipe est coupable, suite au parricide et à l’inceste et se
punit, Jawdar « définit un type de comportement dénué de toute culpabilité »
puisqu’il n’a affaire qu’à de fausses apparences. L’acte de Jawdar est
« une authentique libération de soi-même et de sa propre mère ». Pour
Bouhdiba, il est « fort légitime de voir dans le complexe de Jawdar la
forme, spécifique à la culture arabo-musulmane, du complexe d’Œdipe »
(Bouhdiba, 1978, p 66).
La proposition de Bouhdiba a suscité plusieurs réactions. Mohamed
Ghorbal a adopté volontiers ce schéma en précisant que « le complexe de
Jawdar se rapproche plus du complexe d’Œdipe précoce décrit par Mélanie
Klein, en ce sens qu’il se déroule essentiellement avec la mère durant le stade
oral, que du complexe d’œdipe freudien qui reste phallique et génital »
(Ghorbal, 1981a, p. 448). Hossaïn Bendahman (1984), Abdul Adhami (1991),
Abdallah Bounfour (1995), Abdelhadi Elfakir (1995), Malek Chebel (2002b),
Anne-Marie Gans-Guinoune (2005), et bien d’autres, tous appartenant à des
champs disciplinaires différents, ont depuis essayé de réfléchir autour de ce
qui peut spécifier le mythe de Jawdar par rapport au mythe d’Œdipe. Retenons
ici le fait que le conte de Jawdar met l’accent sur le fait que l’enfant doit se
détacher de sa mère. Ce conte illustrerait le volet maternel du complexe
d’Œdipe. Il rappelle la place particulière du lien qui unit la mère à son enfant
dans l’univers maghrébin et arabo-musulman d’une façon générale. Cet uni-
vers est marqué par des liens sociaux spécifiques dont le respect des parents
et « la relation utérine » (Coran, IV, Les femmes, 1 ; 83 XVII, al isra’, 23 ; 84
83. « Respectez les entrailles qui vous ont portés » (trad. Kasimirski).
84. « Dieu a décidé de n’adorer que lui, de tenir une belle conduite envers vos père et mère,
soit que l’un d’eux ait atteint la vieillesse ou qu’ils y soient parvenus tous deux et qu’ils restent
avec vous. Garde-toi de leur marquer du mépris, de leur faire des reproches. Parle-leur avec res-
pect » (trad. Kasimirski).
RIADH BEN REJEB – LA PSYCHANALYSE EN TUNISIE 73
APPROCHE HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX
XXXI, Luqmân, 13).85 Les liens de parenté sont sacrés. Outre les liens de sang,
la société arabo-musulmane s’offre en plus les liens de lait. Du coup, la famille
s’élargit et l’interdit de l’inceste 86 également (Tillon, 1966 ; Bouhdiba, 1975 ;
Ghorbal, 1981a ; Hirt, 1993 ; Elfakir, 1995). Les liens de fraternité sont égale-
ment très forts et expliquent la fusion au niveau du groupe. La fratrie est le véri-
table lieu de socialisation de l’enfant. Le frère aîné occupe généralement un sta-
tut particulier au niveau de la famille. Il est doté des pleins pouvoirs. Mais par-
fois, c’est un autre fils qui est plus investi par le père (comme c’est le cas de
Joseph87 ou de Jawdar). Du coup, il y aurait un déplacement du fantasme du
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meurtre du père sur ce frère. Cela correspond à la version religieuse du premier
meurtre de l’humanité, Caïn qui tue son frère Abel.88 L’une des spécificités de la
culture arabo-musulmane serait de déplacer les pulsions agressives contre un
frère, représentant du père.89 C’est ce qui explique du coup, la soumission cultu-
relle quasi-totale à l’égard de l’instance paternelle et de l’autorité.
Toutefois, et indépendamment de ce réseau social, un fameux adage expli-
que que « la bénédiction divine passe par celle des parents ». Un célèbre hadith
du prophète affirme que « le paradis est sous les talons des mères ». Selon un
autre hadith, le prophète a répondu trois fois en disant « ta mère » à quelqu’un
qui lui demandait à chaque fois qui il devait respecter le plus.90 Le mot « Umma »
signifiant « Communauté » vient de « Um » (mère). Le Coran parle de « Um al
kitâb » (la Matrice du Livre, la Mère du Livre ou encore le Livre-Mère).91
85. « Nous avons recommandé à l’homme ses père et mère (sa mère le porte dans son sein
et endure peine sur peine, il n’est sevré qu’au bout de deux ans). Sois reconnaissant envers moi
et envers tes parents. Tu retourneras en ma présence » (trad. Kasimirski)
86. Coran, IV, Les Femmes, 23 : « Vous sont interdites vos mères, filles, sœurs, tantes de
père ou de mère, nièces de frère ou de sœur, mères et sœurs de lait, mères de vos épouses, pupil-
les encore dans votre giron et issues de vos femmes, si vous avez consommé l’union avec ces
dernières (au cas inverse, nulle faute à vous), et encore les épouses des fils (trad. Kasimirski :
« les filles de vos fils ») issus de vos reins, et de conjoindre deux sœurs, exception faite des situa-
tions acquises. » (trad. Jacques Berque).
87. Francine Beddock, « La promesse du rêve ; Joseph et ses frères », paru dans Trames ;
Actualité de la psychanalyse, Nice, 1991,12, p33-41.
88. Ainsi, pour les religions monothéistes, le premier meurtre n’est pas celui du père com-
mis par les fils, comme l’avance Freud, mais bien celui du frère.
89. Un célèbre adage tunisien affirme que « le poussin ne crève que les yeux de son frère ».
90. « Un homme se rendit chez le Messager de Dieu et lui dit « O Messager de Dieu, quelle
est la personne que je dois respecter le plus ? (selon une autre version : « Qui a le plus de droit
d’être en compagnie ? »). Le Prophète lui répondit : « Ta mère ». « Et ensuite ? » demanda
l’homme. « Ta mère » lui répéta le Prophète ». « Et ensuite ? » reprit l’homme. « Ta mère » lui dit
le Prophète. « Et ensuite ? » demanda l’homme. « Et puis ton père » lui répliqua le Prophète. »
91. Coran, Sourate III, La famille d’Imrân, v. 5. Kasimirski propose « la base du livre ». —
À la sourate XIII, le tonnerre, v. 39, il propose « La mère du livre ».— À la sourate XLIII, les
ornements, v. 3, il propose « L’original » avec une note « Mot à mot : la mère du livre ». — Ce
seraient « les tables gardées » auprès de Dieu (al lawh al mahfoudh), mais aussi la première sou-
rate du Coran, la Fâtiha.
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sa pérennité en maintenant son fils sous sa coupe » (Chebel, 2002b, pp. 344-
345).
La lecture du récit de Jawdar dans son intégralité montre qu’il s’agit d’une
histoire bien particulière. Il y est question de meurtre de la mère puis du subs-
titut du père (le frère). Cela laisse le champ libre à des investigations et des
élaborations théorico-cliniques vastes.
La personnalité maghrébine dispose de spécificités et de caractères qui lui
sont propres à décortiquer par une psychanalyse adéquate et adaptée. Il fau-
drait alors mettre systématiquement à l’épreuve la psychanalyse pour chaque
aire culturelle.
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78 TOPIQUE
ANNEXES
Il s’agit ici de deux lettres électroniques adressées par Lydia Torasi suite à l’envoi de
mon ouvrage Le destin en psychanalyse (Paris, In Press Éditions, 2005a). Elles traduisent
les intérêts particuliers que porte Torasi à la notion de « transmission » et reflètent bien ses
intérêts personnels quant à l’articulation de la génétique à la psychanalyse.
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De : Lydia Torasi
À: riadhbrejeb@yahoo.fr
Objet : le destin en psychanalyse
Date : Tue, 17 Jul 2007 11 :52 :25 +0200
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Il est indiscutable qu’en tant qu’êtres vivants, nés à l’espace-temps, nous nous trouvons
pris dans leurs limites qui, en retour, nous préservent et protègent notre subjectivité. Mais
supposons – dans la continuité temporelle d’un sujet – une rupture fortuite de ces limites.
Comme il arrive, par exemple, quand on a subi une excessive dilatation de la pupille et que
– de manière tout à fait insupportable – la lumière nous envahit non plus tempérée, non plus
entravée par la structure normale de l’œil, nous nous retrouvons ainsi provisoirement dans
un environnement différent, ouvert sur une différente perception du monde.
De même, je pense, pour un sujet donné, les limites espace-temps pourraient être abo-
lies (états de conscience modifiés) : logiquement, il n’existerait plus qu’un temps illimité,
présent continu derrière notre saisie subjective (naissance, durée, mort) de ses scansions.
Saisie propre à notre ex-sistance, de notre « être en dehors », de l’immobilité première
par notre venue au monde qui nous plonge dans un « avant » et un « après ».
Se situant à un niveau d’écoute de l’inconscient, l’acte psychanalytique est-il, en
quelque sorte, l’instrument de ce que j’ai appelé « grâce », par quoi s’opère la rupture et
le réajustement de ce qu’on appelle « destinée » ? Telle, en tous cas semble être la parole
quand, renouant les fils déconnectés de l’imaginaire et du réel, elle fait ressurgir de ces
deux inconnues, la réalité fondamentale du symbolique.
Et, parce qu’elle m’a beaucoup fascinée, je voudrais là conter la parabole soufie de la
parole :
« .... un jour, Aïssa (Jésus) se promène dans le désert avec ses disciples. Des malfai-
teurs l’arrêtent et lui demandent « la parole qui ressuscite ». Il répond : « je ne peux pas ;
vous n’êtes pas en mesure d’en faire usage ». Mais ils insistent et il la leur donne. Ils
reprennent leur route et rencontrent bientôt des ossements dans le désert ; ils prononcent
la parole, les ossements appartiennent à un tigre qui aussitôt les dévore.... ».
Parabole qui devrait faire réfléchir tout porteur autorisé de la parole de vie.
La naissance de l’humanité se situe-t-elle à ce moment précis où – sortant de l’em-
bourbement dans un réel obscur, courbé et pliant sous les affres et la terreur d’une Force
inconnue et hostile – sous l’effet d’une soudaine prise de conscience, d’une soudaine révé-
lation – l’homme réalise la possibilité de conjoindre dans un geste symbolique ces deux
situations, sans les dénier mais en les assumant, debout ? Il me semble que ce geste pre-
mier de toute naissance à la condition humaine ne peut être que « religieux », entendu
comme « ce qui relie » l’horizontalité et la verticalité de son être. Ce geste peut se résu-
mer tout simplement dans le fait d’élever un tertre et d’y déposer une pierre qui, dès lors,
signifiera le lieu du sacré et de l’interdit. Interdit autour duquel s’organisera la dynami-
que du désir et de ses perversions.
Quel que soit, par la suite, le devenir multiple de cette première exigence, aussitôt que
80 TOPIQUE
s’assemble un groupe, que s’organise une communauté, l’exigence d’une loi, de lois et
d’un garant, de garants de celles-ci s’impose.
Maintenant, y a-t-il dans l’homme, en dehors de toute peur, de tout fatalisme, de tout
désir de déférer à une puissance Autre la responsabilité de l’existence, inscrit dans ses
gênes , son patrimoine ADN, le savoir d’une immanence « éternelle » ? Ce qu’un certain
fatalisme définit comme « mektoub » aurait-il sa signification effective comme perma-
nente continuité ?
Si – à l’acte même où se concrétise une conception par la rencontre d’un ovule et
d’un spermatozoïde – quelque chose de cette rencontre déterminait dans l’ovule une orga-
nisation des éléments qui le constituent par la division, la différenciation, entre éléments
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soumis à la temporalité, à la finitude, constitutifs d’une durée déterminée et éléments
intemporels, porteurs d’infinitude ?
Bien, je pense que cela suffit pour maintenant. Je poursuivrai, si cela vous intéresse.
À bientôt.
L.T
À: riadhbrejeb@yahoo.fr
Objet : le destin en psychanalyse........ suite.....
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Court-circuitant les longs détours de la recherche, les « inspirés, artistes, génies, poè-
tes, mystiques, voyants », semblent traduire en direct l’existence d’un domaine, d’un lieu
qui ne se laisse saisir qu’en absence.
L. T.
Riadh Ben Rejeb – La psychanalyse en Tunisie. Approche historique et état des lieux
Riadh Ben Rejeb – Psychoanalysis in Tunisia. Historical Perspectives and the Situation
Today
Summary : This article explores the question of psychoanalysis in Tunisia from the
multiple perspective of history, practice and theory, and this within the precise socio-cul-
tural and historical context of the colonial period and immediate post-colonial years.
While conscious of the methodological limits and inherent difficulties in such an
approach, new light will however be shed on hitherto unexplored or overlooked aspects of
the history of analysis in Tunisia. After moving on to establish a picture of the situation
today, in as comprehensive a manner as possible, we will raise a number of theoretical and
clinical questions which might provide possible answers to the resistance to psychoanaly-
sis across the Arab and Muslim world.
Key-words : Psychoanalysis – Psychology – Psychiatry – History – Culture – Islam
– Tunisia.