La nanomédecine
La nanomédecine
La nanomédecine
LA NANOMÉDECINE
DE QUOI PARLE-T-ON ?
Au début du XXe siècle, le scientifique allemand dans le domaine de la santé, grâce à l'exploitation
Paul Ehrlich théorisait l'idée du "magic bullet" : des propriétés physiques, chimiques et biologiques
une "balle magique" qui serait spécifiquement des matériaux à l'échelle nanométrique.
dirigée et active contre les agents infectieux au sein
de l'organisme. Ce concept est aujourd'hui une réalité Disposer de matériaux à l'échelle du nanomètre
grâce à la vectorisation des médicaments permise permet en effet d'agir à l'intérieur de cellules et
par les nanotechnologies. La nanomédecine utilise de bénéficier de compétences totalement nouvelles,
les nanotechnologies pour développer des applications deux facteurs générateurs d'innovation.
innovantes, et plus spécifiquement des nano-objets
L'échelle de la nanomédecine
Particules virus-like
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Fiche réalisée avec l'appui du Dr Nathalie Mignet,
directrice de recherche au CNRS, présidente de la Société française de nanomédecine
Elles se révèlent très précises par leur capacité à interagir de façon ciblée • Des nano-objets portant un label fluorescent ou radioactif :
avec les tissus, les cellules, et même les molécules. A l'échelle "nano", - capables de détecter précocement des perturbations fonctionnelles ;
certaines substances ou matériaux peuvent changer de propriétés et devenir - permettant d'apporter une aide à la chirurgie guidée par l'image.
plus résistants, plus réactifs… D'autres, comme les nanocristaux, provoquent
une meilleure dissolution du principe actif que le principe actif seul. Les nanotechnologies permettront aussi de concevoir des
nanocomposés contournant les phénomènes de rejet pour les greffes
ou la médecine régénérative…
Nanomédecine
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PARTIE 2 : LES VECTEURS D'INNOVATION
LA NANOMÉDECINE
Les nanomédecines seront également très utiles dans l'imagerie, en La vectorisation peut aussi concerner un principe actif, dont les
permettant "d'allumer" une tumeur et de la rendre ainsi plus facilement visible propriétés physico-chimiques l'empêchaient jusqu'à présent d'être
par IRM. Ce qui amène d'ailleurs à une technique particulièrement administrable tel quel. Porté par le nanovecteur, le principe actif est en outre
novatrice, bien qu'encore au stade de la recherche expérimentale : la protégé par une dégradation biologique avant d'atteindre son tissu cible.
"nano-théranostique", ou la capacité à combiner au sein de la même nano-
particule administrée un médicament et un agent d'imagerie. Il peut enfin être "déclenché" ou libéré de façon progressive dans le temps :
On va être capable de soigner, tout en visualisant le parcours des pour cela, on l'associe à un nanocomposé activable sous
particules et ainsi s'assurer qu'elles atteignent bien les zones ciblées dans l'influence d'un signal (laser, rayons X, ultrasons…).
l'organisme. La théranostique permet aussi de visualiser l'accumulation de
nanoparticules puis de déclencher localement la libération du principe actif Les nanomédicaments améliorent donc le rapport bénéfices/risques
avec, par exemple, des microbulles activables sous ultrasons. des médicaments en augmentant leur efficacité et leur biodisponibilité
au niveau du tissu ou de l'organe cible, tout en réduisant les doses à
Des essais sont aussi conduits pour vectoriser des micro-ARN, administrer et le risque de toxicité.
c'est-à-dire des petites séquences de nucléotides. Autre enjeu : réussir
à cibler le tissu cérébral, en franchissant la barrière hémato-encéphalique. Potentiellement, ce type de nanomédecine pourrait concerner de
Si cette dernière est indispensable à la protection du système nerveux nombreuses maladies. C'est cependant pour le cancer qu'elle est le plus
central, elle constitue un frein au traitement de pathologies localisées avancée : 9 nanomédicaments sont déjà commercialisés à travers le
dans la boîte crânienne. Avec l'évolution des outils neurochirurgicaux, monde. Des essais cliniques sont actuellement menés pour 15 autres
l'application de nouvelles nanomédecines dans le traitement de produits, dont 5 ont atteint la phase III. Ce type de traitement offre en effet
cancers cérébraux représente un axe de recherche prometteur. deux avantages majeurs dans la lutte contre le cancer. Plus ciblé, il lèse
moins les tissus sains que les chimiothérapies et les rayonnements.
Et pénétrant au cœur des cellules tumorales, le principe actif se montre
CE QUI EST EN COURS plus efficace. Toutefois, des limites subsistent : les nanovecteurs ne
peuvent être distribués dans les tumeurs que si celles-ci sont
. L'utilisation de nanovecteurs, capables de transporter vascularisées, ce qui implique de le déterminer au préalable afin de
proposer une médecine personnalisée. De plus, le cœur nécrosé des
puis de libérer la substance active du médicament dans tumeurs ne permet pas toujours de délivrer un principe actif, cela nécessite
les cellules cibles, notamment dans le cas du cancer de combiner des thérapies pour éviter la récidive tumorale.
ou de pathologies inflammatoires, et de nano-objets,
Ces nanoparticules sont injectées dans le système sanguin du patient,
à même d'amplifier l'effet de la radiothérapie en via une perfusion par exemple. Les nanoparticules acheminent leur
préservant les tissus sains et l'amélioration du diagnostic. cargaison vers les cellules cancéreuses, ce qui évite la majorité des
effets délétères que pourrait avoir le médicament sur les tissus sains.
L'utilisation de nanovecteurs Par ailleurs, lorsqu'une substance active se présente sous la forme
d'un nanomédicament, elle est encapsulée, donc protégée contre la
La nanomédecine offre aujourd'hui des réponses aux difficultés rencontrées dégradation tout au long de son voyage dans l'organisme.
par la thérapeutique classique. Elle consiste à intégrer un principe actif
dans un vecteur (micelle, liposome, enveloppe de polymère), ou à utiliser
des nanomatériaux minéraux (nanoparticules d'or, silicium poreux…) pour
adresser spécifiquement ce médicament à un tissu cible, sans qu'il soit
distribué ailleurs dans l'organisme.
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Fiche réalisée avec l'appui de Dr Nathalie Mignet,
directrice de recherche au CNRS, présidente de la Société française de nanomédecine
La voie d'administration actuellement la plus rapportée est la voie Les autres voies de recherche
systémique, toutefois, les nanoparticules étant reconnues comme des
particules du non-soi, elles vont être prises en charge par les cellules Ajouter à la surface des nanoparticules des molécules reconnaissant
du système immunitaire pour être dégradées et éliminées par le foie. uniquement les cellules cancéreuses. Les chercheurs explorent cette piste
de nanoparticules de troisième génération, avec comme objectif
Pour remédier à ce problème, les chercheurs procèdent à une simple de cibler des cellules souches cancéreuses hautement résistantes
modification de la surface des nanoparticules, ce qui permet de les rendre à la chimiothérapie classique.
"furtives" vis-à-vis de nos défenses immunitaires. De nombreuses
stratégies visent à augmenter le temps de circulation des particules Associer aux nanomédicaments des méthodes physiques permettant
injectées par voie systémique. En effet, si l'on souhaite atteindre des d'augmenter la vitesse et la quantité de médicaments libérées au niveau
tumeurs vascularisées, le fait d'augmenter la durée de vie des particules de la tumeur. Ainsi, l'administration du médicament peut être déclenchée
dans le sang permet d'augmenter la quantité de particules accumulées à distance par l'émission d'ultrasons.
dans les tumeurs.
Des nano-objets pour amplifier l'effet de la radiothérapie
Reste cependant à en acheminer une quantité maximale jusqu'aux
cellules cancéreuses. Les chercheurs doivent cette fois-ci encore Les nanomédicaments sont aussi utilisés comme source de chaleur pour
faire preuve d'innovation dans ce domaine, car aujourd'hui, la quantité augmenter l'efficacité des traitements classiques de radiothérapie ou
accumulée dépasse rarement 5 % de la dose injectée. La majorité de la chimiothérapie. En effet, lorsque les cellules du corps sont exposées
dose est retrouvée dans le foie, ce qui limite les injections répétées à des températures supérieures à la normale, des changements se
(risque de toxicité). produisent, les rendant plus sensibles aux effets des séances de rayons
ou de l'administration d'une chimiothérapie.
L'amélioration en continu des nanovecteurs
La société française Nanobiotix a ainsi conçu une nanoparticule
La découverte d'une équipe française baptisée NanoXray, constituée d'oxyde d'hafnium. Ce composé est
menée par le professeur Patrick Couvreur capable d'émettre de nombreux électrons lorsqu'il reçoit des rayons X.
Cela provoque un échauffement et amplifie ainsi de façon
Au lieu d'encapsuler la molécule de médicament, elle a imaginé de la importante l'efficacité de la radiothérapie sur une tumeur, dans le but
relier par un lien chimique à un transporteur, le squalène, un lipide naturel de réduire la dose nécessaire de radiations.
présent dans la peau humaine, l'huile d'olive ou la graisse de baleine. Ce
lipide, couplé à une molécule médicamenteuse et placé dans l'eau, forme La société française NH TherAguiX propose également des
spontanément des nanoparticules. Une fois "squalénisé", le vecteur peut nanoparticules, à base de gadolinium cette fois, pour potentialiser l'effet
transporter jusqu'à 50 % de médicament vers la cellule ou le tissu à traiter, de la radiothérapie. Ces nanoparticules injectées par voie intraveineuse,
contre 1 à 5 % pour une capsule classique. Des tests réalisés avec un < 5 nm, et visibles par IRM, sont extrêmement prometteuses.
anticancéreux sur des modèles de tumeurs animales (cancer du pancréas, L'équipe du Dr Nathalie Mignet a également montré le potentiel
du côlon, leucémie) ont démontré une efficacité bien plus importante que pour l'imagerie de la fonction rénale de ces nanoparticules.
le médicament classique. Des tests aussi probants ont été effectués avec
une autre molécule utilisée dans le traitement des AVC. Dans les deux cas,
le taux de médicament retrouvé dans la circulation est bien plus élevé.
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L'amélioration des outils de diagnostic actuels Aujourd'hui, les propriétés des nanoparticules sont déjà
exploitées dans le cadre de l'imagerie par résonance
De nombreuses techniques d'imagerie (radiographie, IRM, scintigraphie…)
reposent sur le suivi de l'évolution de produits de contraste injectés dans magnétique (IRM), qui utilise des nanoparticules d'oxyde de
l'organisme. Les nanoparticules représentent une alternative intéressante fer pour certaines applications. Les recherches se
aux agents actuellement utilisés (fluorures organiques ou isotopes poursuivent afin d'étoffer le panel des agents disponibles
radioactifs), car elles pourraient améliorer la résolution et la spécificité
des images obtenues, tout en étant mieux tolérées par l'organisme.
et des techniques d'imagerie éligibles à ces agents.
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US Nanomedecine Characterization Laboratory, fondé par le National Cancer Institute (NCI ) pour accélérer le développement 123
de nanotraitements et de nanodiagnostics prometteurs. SANTÉ 2030