La nanomédecine

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PARTIE 2 : LES VECTEURS D'INNOVATION

LA NANOMÉDECINE

DE QUOI PARLE-T-ON ?

Au début du XXe siècle, le scientifique allemand dans le domaine de la santé, grâce à l'exploitation
Paul Ehrlich théorisait l'idée du "magic bullet" : des propriétés physiques, chimiques et biologiques
une "balle magique" qui serait spécifiquement des matériaux à l'échelle nanométrique.
dirigée et active contre les agents infectieux au sein
de l'organisme. Ce concept est aujourd'hui une réalité Disposer de matériaux à l'échelle du nanomètre
grâce à la vectorisation des médicaments permise permet en effet d'agir à l'intérieur de cellules et
par les nanotechnologies. La nanomédecine utilise de bénéficier de compétences totalement nouvelles,
les nanotechnologies pour développer des applications deux facteurs générateurs d'innovation.
innovantes, et plus spécifiquement des nano-objets

L'échelle de la nanomédecine

Le nanomètre est une unité de mesure aussi petite que 1 milliardième


de mètre, soit 1/50000e de cheveu !

PÉRIMÈTRE CLASSIQUE DE LA NANOMÉDECINE

10 -1 NM 100 NM 101 NM 102 NM 103 NM 104 NM


MOLÉCULE ADN PROTÉINE RIBOSOME PORE NUCLÉAIRE MITOCHONDRIE CELLULE
D’EAU Microscope à effet tunnel Microscope à force atomique

Lithographie faisceau électronique


Photo lithographie

Particules virus-like

Dendrimères Liposomes /micelles

Nanoparticules (nanotubes, quantum dots)

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SANTÉ 2030
Fiche réalisée avec l'appui du Dr Nathalie Mignet,
directrice de recherche au CNRS, présidente de la Société française de nanomédecine

CE QUI SE PROFILE D'ICI 2030


Les applications de la nanomédecine rendront la prise en charge • Des nanovecteurs ciblés spécifiques à certains types cellulaires
des maladies plus précise et plus adaptée. pour libérer une substance active sans induire de toxicité dans d'autres
types cellulaires.

Elles se révèlent très précises par leur capacité à interagir de façon ciblée • Des nano-objets portant un label fluorescent ou radioactif :
avec les tissus, les cellules, et même les molécules. A l'échelle "nano", - capables de détecter précocement des perturbations fonctionnelles ;
certaines substances ou matériaux peuvent changer de propriétés et devenir - permettant d'apporter une aide à la chirurgie guidée par l'image.
plus résistants, plus réactifs… D'autres, comme les nanocristaux, provoquent
une meilleure dissolution du principe actif que le principe actif seul. Les nanotechnologies permettront aussi de concevoir des
nanocomposés contournant les phénomènes de rejet pour les greffes
ou la médecine régénérative…

Nanomédecine

DIAGNOSTIC DIAGNOSTIC THÉRAPEUTIQUES MÉDECINE AUTRES


IN VITRO IN VIVO RÉGÉNÉRATIVE

Nano- Nano systèmes


Capteurs Outils Imagerie Dispositifs comportement Nano de délivrance de Vaccins Biomatériaux Vaccins Théranostique
nanoanalytiques électronique actif enrobage médicaments thérapeutiques préventifs

Globalement, les nanotechnologies permettent le développement de Applications thérapeutiques


nouvelles techniques médicales de diagnostic, de thérapie et de suivi des
patients. Les développements scientifiques d'aujourd'hui en nanomédecine SYSTÈME
permettront d'apporter de nouvelles réponses technologiques et DE DÉLIVRANCE IMPLANTS ACTIFS NANOMÉDICAMENTS
d'améliorer considérablement les traitements à l'horizon 2030.
Nano-aiguilles (administration Restauration de la vision, pacemaker Echauffement de nanoparticule
Les apports de la nanomédecine d'ici 2030 et suivi de nanoparticules
traversant la barrière hémato- Prothèses auditives Photodynamique
encéphalique)
• Desnano-objets capables de leurrer le système immunitaire Prothèses du genou Chimiothérapie
pour mieux traiter certaines pathologies. Nanotubes Dispositif pour contrôle Radiothérapie
de la fonction motrice
Nanovecteurs
• Des nano-objets capables d'activer le système immunitaire afin de thérapie génique
de restaurer une réponse de l'organisme contre une pathologie.

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LA NANOMÉDECINE

Les nanomédecines seront également très utiles dans l'imagerie, en La vectorisation peut aussi concerner un principe actif, dont les
permettant "d'allumer" une tumeur et de la rendre ainsi plus facilement visible propriétés physico-chimiques l'empêchaient jusqu'à présent d'être
par IRM. Ce qui amène d'ailleurs à une technique particulièrement administrable tel quel. Porté par le nanovecteur, le principe actif est en outre
novatrice, bien qu'encore au stade de la recherche expérimentale : la protégé par une dégradation biologique avant d'atteindre son tissu cible.
"nano-théranostique", ou la capacité à combiner au sein de la même nano-
particule administrée un médicament et un agent d'imagerie. Il peut enfin être "déclenché" ou libéré de façon progressive dans le temps :
On va être capable de soigner, tout en visualisant le parcours des pour cela, on l'associe à un nanocomposé activable sous
particules et ainsi s'assurer qu'elles atteignent bien les zones ciblées dans l'influence d'un signal (laser, rayons X, ultrasons…).
l'organisme. La théranostique permet aussi de visualiser l'accumulation de
nanoparticules puis de déclencher localement la libération du principe actif Les nanomédicaments améliorent donc le rapport bénéfices/risques
avec, par exemple, des microbulles activables sous ultrasons. des médicaments en augmentant leur efficacité et leur biodisponibilité
au niveau du tissu ou de l'organe cible, tout en réduisant les doses à
Des essais sont aussi conduits pour vectoriser des micro-ARN, administrer et le risque de toxicité.
c'est-à-dire des petites séquences de nucléotides. Autre enjeu : réussir
à cibler le tissu cérébral, en franchissant la barrière hémato-encéphalique. Potentiellement, ce type de nanomédecine pourrait concerner de
Si cette dernière est indispensable à la protection du système nerveux nombreuses maladies. C'est cependant pour le cancer qu'elle est le plus
central, elle constitue un frein au traitement de pathologies localisées avancée : 9 nanomédicaments sont déjà commercialisés à travers le
dans la boîte crânienne. Avec l'évolution des outils neurochirurgicaux, monde. Des essais cliniques sont actuellement menés pour 15 autres
l'application de nouvelles nanomédecines dans le traitement de produits, dont 5 ont atteint la phase III. Ce type de traitement offre en effet
cancers cérébraux représente un axe de recherche prometteur. deux avantages majeurs dans la lutte contre le cancer. Plus ciblé, il lèse
moins les tissus sains que les chimiothérapies et les rayonnements.
Et pénétrant au cœur des cellules tumorales, le principe actif se montre
CE QUI EST EN COURS plus efficace. Toutefois, des limites subsistent : les nanovecteurs ne
peuvent être distribués dans les tumeurs que si celles-ci sont
. L'utilisation de nanovecteurs, capables de transporter vascularisées, ce qui implique de le déterminer au préalable afin de
proposer une médecine personnalisée. De plus, le cœur nécrosé des
puis de libérer la substance active du médicament dans tumeurs ne permet pas toujours de délivrer un principe actif, cela nécessite
les cellules cibles, notamment dans le cas du cancer de combiner des thérapies pour éviter la récidive tumorale.
ou de pathologies inflammatoires, et de nano-objets,
Ces nanoparticules sont injectées dans le système sanguin du patient,
à même d'amplifier l'effet de la radiothérapie en via une perfusion par exemple. Les nanoparticules acheminent leur
préservant les tissus sains et l'amélioration du diagnostic. cargaison vers les cellules cancéreuses, ce qui évite la majorité des
effets délétères que pourrait avoir le médicament sur les tissus sains.
L'utilisation de nanovecteurs Par ailleurs, lorsqu'une substance active se présente sous la forme
d'un nanomédicament, elle est encapsulée, donc protégée contre la
La nanomédecine offre aujourd'hui des réponses aux difficultés rencontrées dégradation tout au long de son voyage dans l'organisme.
par la thérapeutique classique. Elle consiste à intégrer un principe actif
dans un vecteur (micelle, liposome, enveloppe de polymère), ou à utiliser
des nanomatériaux minéraux (nanoparticules d'or, silicium poreux…) pour
adresser spécifiquement ce médicament à un tissu cible, sans qu'il soit
distribué ailleurs dans l'organisme.

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Fiche réalisée avec l'appui de Dr Nathalie Mignet,
directrice de recherche au CNRS, présidente de la Société française de nanomédecine

La voie d'administration actuellement la plus rapportée est la voie Les autres voies de recherche
systémique, toutefois, les nanoparticules étant reconnues comme des
particules du non-soi, elles vont être prises en charge par les cellules Ajouter à la surface des nanoparticules des molécules reconnaissant
du système immunitaire pour être dégradées et éliminées par le foie. uniquement les cellules cancéreuses. Les chercheurs explorent cette piste
de nanoparticules de troisième génération, avec comme objectif
Pour remédier à ce problème, les chercheurs procèdent à une simple de cibler des cellules souches cancéreuses hautement résistantes
modification de la surface des nanoparticules, ce qui permet de les rendre à la chimiothérapie classique.
"furtives" vis-à-vis de nos défenses immunitaires. De nombreuses
stratégies visent à augmenter le temps de circulation des particules Associer aux nanomédicaments des méthodes physiques permettant
injectées par voie systémique. En effet, si l'on souhaite atteindre des d'augmenter la vitesse et la quantité de médicaments libérées au niveau
tumeurs vascularisées, le fait d'augmenter la durée de vie des particules de la tumeur. Ainsi, l'administration du médicament peut être déclenchée
dans le sang permet d'augmenter la quantité de particules accumulées à distance par l'émission d'ultrasons.
dans les tumeurs.
Des nano-objets pour amplifier l'effet de la radiothérapie
Reste cependant à en acheminer une quantité maximale jusqu'aux
cellules cancéreuses. Les chercheurs doivent cette fois-ci encore Les nanomédicaments sont aussi utilisés comme source de chaleur pour
faire preuve d'innovation dans ce domaine, car aujourd'hui, la quantité augmenter l'efficacité des traitements classiques de radiothérapie ou
accumulée dépasse rarement 5 % de la dose injectée. La majorité de la chimiothérapie. En effet, lorsque les cellules du corps sont exposées
dose est retrouvée dans le foie, ce qui limite les injections répétées à des températures supérieures à la normale, des changements se
(risque de toxicité). produisent, les rendant plus sensibles aux effets des séances de rayons
ou de l'administration d'une chimiothérapie.
L'amélioration en continu des nanovecteurs
La société française Nanobiotix a ainsi conçu une nanoparticule
La découverte d'une équipe française baptisée NanoXray, constituée d'oxyde d'hafnium. Ce composé est
menée par le professeur Patrick Couvreur capable d'émettre de nombreux électrons lorsqu'il reçoit des rayons X.
Cela provoque un échauffement et amplifie ainsi de façon
Au lieu d'encapsuler la molécule de médicament, elle a imaginé de la importante l'efficacité de la radiothérapie sur une tumeur, dans le but
relier par un lien chimique à un transporteur, le squalène, un lipide naturel de réduire la dose nécessaire de radiations.
présent dans la peau humaine, l'huile d'olive ou la graisse de baleine. Ce
lipide, couplé à une molécule médicamenteuse et placé dans l'eau, forme La société française NH TherAguiX propose également des
spontanément des nanoparticules. Une fois "squalénisé", le vecteur peut nanoparticules, à base de gadolinium cette fois, pour potentialiser l'effet
transporter jusqu'à 50 % de médicament vers la cellule ou le tissu à traiter, de la radiothérapie. Ces nanoparticules injectées par voie intraveineuse,
contre 1 à 5 % pour une capsule classique. Des tests réalisés avec un < 5 nm, et visibles par IRM, sont extrêmement prometteuses.
anticancéreux sur des modèles de tumeurs animales (cancer du pancréas, L'équipe du Dr Nathalie Mignet a également montré le potentiel
du côlon, leucémie) ont démontré une efficacité bien plus importante que pour l'imagerie de la fonction rénale de ces nanoparticules.
le médicament classique. Des tests aussi probants ont été effectués avec
une autre molécule utilisée dans le traitement des AVC. Dans les deux cas,
le taux de médicament retrouvé dans la circulation est bien plus élevé.

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L'amélioration des outils de diagnostic actuels Aujourd'hui, les propriétés des nanoparticules sont déjà
exploitées dans le cadre de l'imagerie par résonance
De nombreuses techniques d'imagerie (radiographie, IRM, scintigraphie…)
reposent sur le suivi de l'évolution de produits de contraste injectés dans magnétique (IRM), qui utilise des nanoparticules d'oxyde de
l'organisme. Les nanoparticules représentent une alternative intéressante fer pour certaines applications. Les recherches se
aux agents actuellement utilisés (fluorures organiques ou isotopes poursuivent afin d'étoffer le panel des agents disponibles
radioactifs), car elles pourraient améliorer la résolution et la spécificité
des images obtenues, tout en étant mieux tolérées par l'organisme.
et des techniques d'imagerie éligibles à ces agents.

Les nanomédicaments apportent de nombreux bénéfices


Les nanomédicaments sont soumis aux mêmes contraintes réglementaires
que les médicaments classiques avant attribution d'une autorisation de mise
sur le marché (AMM), impliquant particulièrement l'évaluation du service
médical rendu et des effets indésirables éventuels.

Amélioration du ciblage de la spécificité


Amélioration des performances : sensibilité, seuil de détection, rapidité
Détection précoce de pathologie
Bénéfices Fiabilité et justesse des résultats
diagnostiques Miniaturisation des dispositifs
Stabilisation des biocomposants
Diminution de la consommation en réactifs pour les analyses (diminution des coûts)
Nouvelles technologies d’imagerie plus performantes

Amélioration de l’efficacité des médicaments


Diminution des effets secondaires et de la toxicité
Bénéfices Diminution de la quantité de molécule active à chaque reprise
thérapeutiques Ciblage des thérapies
Nouvelles approches thérapeutiques et nouveaux mécanismes d’action
Biocompatibilité accrue avec de l’ingénierie tissulaire

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Fiche réalisée avec l'appui de Dr Nathalie Mignet,
directrice de recherche au CNRS, présidente de la Société française de nanomédecine

CE QU'IL FAUT DÉPASSER


Accélérer les applications médicales des nanotechnologies digestive ou respiratoire aux nanoparticules. Malheureusement, les études
sont difficilement comparables et rarement utilisables : un réseau avec des
Le nombre de brevets déposés en France n'est pas négligeable. méthodes qualifiées serait nécessaire.
Mais, il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui, les applications médicales
des nanotechnologies sont encore peu développées globalement. Répondre au questionnement philosophique et éthique soulevé par
Les entreprises restent réticentes, mais elles font des nanos sans le dire, l'utilisation des nanotechnologies
la difficulté majeure étant la production et la caractérisation pour pouvoir
passer les réglementations de l'Agence nationale de sécurité du Manipuler et utiliser les nanomatériaux a un impact sur le vivant et
médicament et des produits de santé (ANSM). l'environnement. A mesure que ce domaine s'étoffe et que les applications
se multiplient, la société civile et les chercheurs posent la question des
La France doit se structurer dans ce domaine, disposer d'un laboratoire risques inhérents à ce nouveau domaine : les maîtrise-t-on, les contrôle-t-on
dédié, semblable au NCL américain1, avec des laboratoires reconnus pour suffisamment ? Il s'agit d'abord de risques de sécurité et de toxicité pour les
valider les nanotechnologies. Il faut s'appuyer sur les groupes existants, êtres vivants et l'environnement.
la Société française de nanomédecine, qui met en contact industriels et
chercheurs, et utiliser son tissu existant de collaborations. Mais il s'agit aussi de bouleversements sociétaux : l'usage de
nanomédicaments et de nanotechnologies risque-t-il de nous orienter
En d'autres termes, il faut construire un réseau français actif. Ces vers l'ère de l'homme augmenté, et par conséquent de profondément
chercheurs s'adressent ensuite à l'Agence nationale de la recherche (ANR), transformer la notion même de l'humanité ? C'est la raison pour laquelle
qui a financé de nombreux projets en nanotechnologies, ou à l'Europe, certaines institutions publiques nationales ou internationales préconisent,
dans le cadre de son programme dédié baptisé Nanomed. Enfin, la plupart outre l'évaluation de la sûreté des produits nanomédicaux, de définir une
des nanomédecines sont inscrites en "medical devices" pour faciliter leur éthique et une réglementation stricte autour de ces produits, si possible à
mise sur le marché, d'où la difficulté de les trouver. l'échelle mondiale.

Progresser dans le champ de la nanotoxicologie

Le développement récent des nanomatériaux en dehors du domaine


médical (cosmétique, alimentation…) avec un manque de recul et d'études
toxicologiques et épidémiologiques dans ces applications, crée un halo de
défiance sur l'ensemble des nanotechnologies dans l'opinion publique. Les
progrès en nanotoxicologie seront essentiels non seulement pour répondre
aux questions propres au domaine de la nanomédecine, mais surtout pour
appréhender les risques hors médecine des expositions par voie cutanée,

1
US Nanomedecine Characterization Laboratory, fondé par le National Cancer Institute (NCI ) pour accélérer le développement 123
de nanotraitements et de nanodiagnostics prometteurs. SANTÉ 2030

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