ThP - Cours - Acquisition et développement du langage
ThP - Cours - Acquisition et développement du langage
ThP - Cours - Acquisition et développement du langage
Thierry PONCHON
Maître de conférences HDR en sciences du langage
Université de Reims Champagne Ardenne – ESPE
CNRS EA 4509 STIH, Université Paris-Sorbonne
Université Tourgueniev d’Orel (Russie)
thierry.ponchon@univ-reims.fr
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
0. Introduction
• Les recherches systématiques sur les processus d’acquisition du langage chez
l’enfant sont encore récentes. Certes, les acquisitions les plus importantes se font au
cours des premières années, néanmoins il faut attendre l’adolescence pour que la langue
soit totalement maîtrisée. C’est dire que pour vraiment comprendre la manière dont
s’établit la communication chez un élève de dernière année de cycle III, on doit être en
mesure de situer cette communication dans un ensemble. Cela suppose une bonne
connaissance de l’évolution du système linguistique permettant de pallier de nombreuses
difficultés d’apprentissage rencontrées par certains élèves.
• Il convient de considérer le langage comme la « capacité observée chez tous les
hommes d’exprimer une pensée et de communiquer au moyen d’un système de signes
qui peuvent être vocaux, graphiques et/ou kinésiques ». De fait, la communication est
nécessaire et fondamentale. En effet, elle justifie en partie l’existence du langage et
contribue au développement de l’enfant ; développement intellectuel (raisonnement,
cognition) et affectif. En fait, « parler, c’est beaucoup plus que simplement parler ». Par
ailleurs, non seulement la stimulation s’avère nécessaire pour parler1, mais l’imitation
1 V. par ex. « l’enfant sauvage », qui isolé tout jeune de tout milieu humain, ne s’exprima que lorsqu’il
fut “socialement” stimulé. De même, beaucoup de retards de langage sont dûs à l’insuffisance d’échanges
avec l’entourage : certaines mères, croyant que l’acquisition du langage est naturel, ne parlent pas
suffisamment à leur bébé pour l’aider à parler.
Par ailleurs, lors d’un Colloque du CAFOC et de l’IUFM de Reims, A. Bentolila a montré combien la
« carence langagière » était liée a un sentiment ressenti par l’enfant de déficit du médiateur linguistique.
Partant de ses propos, il semble possible de construire une figure mettant en avant ce que l’on peut nommer
un « seuil catastrophique » de la maîtrise du langage ; reprenant en cela le concept de la théorie des
catastrophes de R. Thom (Paraboles et catastrophes, Paris, Flammarion, 1983, ch. II, pp. 59-113). Cette
figure met en place deux mouvements partant de la prime enfance pour aboutir à la prime adolescence. Le
premier vecteur représente le médiateur humain (l’enseignant étant un médiateur privilégié) dont
l’accompagnement langagier va en s’amenuisant au cours de la vie (et au fil de la scolarité), le second
symbolise l’acquisition du langage par l’enfant jusqu’à sa maîtrise :
connivence
+ (in præsentia)
distance +
(in absentia) maîtrise
seuil
– –
catastrophique
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On partira enfin du postulat que la parole a une structure sensori-motrice qui s’édifie
dès la première année dans les émissions vocales (cris, gazouillis), qui sont les prémices
constitutives du langage ; même si pour H. Wallon, le langage, relevant de la fonction
symbolique, n’apparaît qu’en deuxième année avec l’imitation différée et les jeux du
« faire semblant », qui traduisent, selon lui, l’événement de la capacité de symbolisation.
• On peut dès lors admettre que l’acquisition et le développement du langage sont
soumis à trois sortes de détermination. (1) Le fonctionnement des organes cérébraux,
sensoriels (audition) et phonatoires nécessaires à sa réalisation. (2) La relation de l'enfant
avec son entourage. Cette relation est affective : l'enfant doit découvrir la possibilité de
communiquer avec son entourage et recevoir de cette communication des satisfactions
avant de s'intéresser au langage ; ce qui montre l’importance de la richesse linguistique
du milieu social. (3) L’organisation même de la langue, c’est-à-dire les lois linguistiques.
Par ailleurs, comparativement aux autres systèmes de communication naturelle comme la
mimique, la gestuelle, le langage se caractérise par une double articulation :
l’articulation des sons du langage (phonèmes) entre eux (niveau phonologique) et
l’articulation des mots entre eux à l'intérieur de la phrase (niveau grammatical). Outre
ces deux aspects, la langue comporte un aspect lexical : l'apprentissage et l'usage des
mots (niveau sémantique).
Ainsi, si dans le cadre de l’acquisition du langage, la médiation est trop rapidement interrompue ou
ressentie comme telle par l’enfant, apparaît une plus grande probabilité d’échec dans la maîtrise du langage
(compréhension et emploi). Cependant, il est difficile de situer exactement le “seuil catastrophique”. Il
semblerait qu’il se soit déplacé au-delà de la deuxième année du cycle II, à moins que la mise en place des
cycles n’ait fait que révéler ce problème de manière plus aiguë. En effet, auparavant les élèves inaptes à
maîtriser le langage redoublaient, puis étaient peu ou prou exclus du système scolaire. Actuellement, l’école
fait face à une réalité qui la contraint à traiter ce problème majeur aussi bien en aval (école pré-élémentaire)
qu’en amont (jusqu’en seconde !).
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1. Théories d’acquisition
Il existe plusieurs théories concernant l’acquisition du langage chez l’enfant. On
peut en fait les regrouper en deux grands courants fondés sur deux postulats
fondamentaux : l’inné et l’acquis. On voit ainsi resurgir logiquement des concepts clés
déjà évoqués en théorie linguistique à propos de la nature même du langage.
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On s’aperçoit que, selon G.A. Miller, l’enfant apprend sa langue par les renforcements
positifs ou négatifs que lui prodigue son entourage. Si l’on admet cette démarche
théorique, l’enfant affinera son système au moyen d’un protocole que l’on retrouve
notamment – toute proportion gardée – en didactique des sciences : l’essai-erreur.
Ainsi, pour les béhavioristes, les capacités linguistiques de l’être humain sont donc
surtout le résultat d’un dressage3.
« Il est tout simplement faux de dire que l’enfant ne peut apprendre la langue que
grâce à un « soin méticuleux » des adultes qui modèlent son répertoire verbal par un
renforcement différentiel méticuleux, bien que ce « soin » soit souvent de rigueur dans
les familles universitaires. On a souvent remarqué que le jeune enfant de parents
immigrants peut apprendre une seconde langue dans une rue au contact des autres
enfants avec une rapidité surprenante et qu’il peut la parler couramment et sans la
moindre faute, alors que les subtilités qui deviennent chez lui une seconde nature
peuvent échapper à ses parents en dépit d’une motivation très forte et d’une pratique
ininterrompue. L’enfant peut acquérir une grande partie de son vocabulaire et de son
« intuition » des structures de phrases, en regardant la télévision, en lisant, en
écoutant les adultes, etc. Même le très jeune enfant qui n’a pas encore acquis un
répertoire minimal lui permettant de former des énoncés nouveaux, peut spontané-
ment imiter un mot, en un essai précoce et sans intervention de la part de ses
parents. » 4
Par ailleurs, la notion même de renforcement de la réponse reste très floue du point
de vue psycholinguistique. En effet, on peut raisonnablement se demander à quel
moment apparaît le renforcement positif. Si l’enfant demande, par exemple, [o], [ba] ou
[bwa], pour avoir un verre d’eau, sa demande a toutes les chances d’être comprise par
l’adulte, surtout si l’enfant accompagne sa production verbale d’un geste dirigé vers le
verre d’eau, le robinet ou la bouteille. Dans le cas où l’adulte accepterait de satisfaire le
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désir de l’enfant en lui donnant à boire, on peut alors parler d’un renforcement positif.
Mais, dans la mesure où la demande est comprise et le besoin satisfait, comment
expliquer alors que le système de l’enfant continue à se développer pour aboutir
quelques années plus tard à des énoncés complexes (comme : « Est-ce que tu me donnes
de l’eau ? » ou « Peux-tu me donner (de l’eau) à boire ? »).
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Sans interférer pour autant sur la construction grammaticale implicite de l’enfant (du
moins avant l’apprentissage de la lecture), il lui permet d’accélérer son processus de
systématisation.
Un élève de 4 ans et 2 mois visite un zoo avec sa classe maternelle. La classe s’arrête devant les
porcs-épics qu’il n’avait jamais vus auparavant et dont il ignorait même l’existence.
[iz~⊃pl~εdpiksyldo] « I zont plein dʼpiques suʼl dos. »
L’enseignant répond :
« Ce sont des porcs-épics. Ils ont plein de piquants sur le dos. Regarde. Ils vont voir le
gardien qui leur apporte à manger. »
L’enfant reste un instant à regarder le repas des porcs-épics. Puis il dit :
[setusalpatεR][if~⊃t~⊃bedeply∫] « Cʼest tout salʼpaʼterre. I font tomber des pluches. »
L’enfant est fasciné par la scène. Quelques minutes après, il ajoute :
[lepti p…Rtepik seply3ãtiklegRo] « Les pʼtits portépics cʼest plus gentil quʼles gros. »
De retour à l’école, il s’adresse à une dame de service et dit (un peu à brûle-pourpoint) :
[lekat p…Rtepik izavεmã3e] « Les quatʼportépics i zʼavaient mangé. »
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Ce simple exemple montre que l’enfant n’imite pas simplement et purement l’adulte. En
effet, bien que l’enfant entende régulièrement son entourage adulte prononcer [fopabwaR],
[ifopabwaR], [ilfopabwaR], [iln∂fopabwaR] (« Il ne faut pas boire. »), il commence néanmoins
par dire [pafobuve] (« *Pas faut buver. »). Il réorganise donc les données de son
expérience en fonction de son propre système.
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Lego®, …, et ne plus apparaître pendant longtemps, sans pour autant avoir disparu de la
7 Ce problème est à rapprocher des “différentes mémoires” telles qu’elles sont développées plus
particuliè-rement en psychologie cognitive.
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Si environ une heure après, l’enfant est convié à dessiner ce qu’il a vu, il n’est pas
rare de voir apparaître chez des 5 / 7 ans des bouteilles droites avec l’eau à la
verticale, des bouteilles remplies entièrement d’eau, voire des bouteilles renversées
avec l’eau suspendue en haut ; soit8 :
Ce qui est sûr c’est que d’une part, jamais ne figure la ligne horizontale, d’autre part,
les enfants sont sincèrement persuadés d’avoir reproduit ce qui leur a été montré.
Enfin, ils ne jugent en rien ces positions irréalistes.
8 Il est évident que la réalité des productions des enfants est moins nette. Les dessins – plus maladroits
(?) – sont plus arrondis. Ils sont très souvent en diagonale, plus rarement à l’horizontal ou à la verticale.
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Un enfant d’environ 5 ans et demi s’amuse avec des figurines représentant des
animaux de la ferme (vaches, moutons, chèvres) :
[japl~εdva∫isi][if~⊃taktakavεksaleva∫][tj~εotak] « Y’a plein d’vaches ici. I font ‘tac, tac’ avec
ça les vaches. Tiens. Oh ! tac ! »
S’ensuit un dialogue entre l’élève et l’enseignant :
– « Avec quoi font-elles ‘tac, tac’ ? »
– « Avec ça. » (L’enfant montre les cornes.)
– « Qu’est-ce que c’est ? »
– [b~εselek⊃Rn d∂le va∫tj~ε] [iz~⊃degRosk⊃Rnk⊃msaleva∫] « Ben …, c’est les cornes de les
– « Elles ont des grosses cornes. Les cornes des vaches sont grosses. Mais les cornes
féminin de 6e personne (‘elles’), substitut de ‘les vaches’ (« Voui. A z’ont des grosses
cornes. E font comme ça … »). On peut admettre que dans son système, l’opposition
masculin / féminin existe pour ces pronoms en fonction sujet. Cependant, cette
distinction ne semble pas être employée encore systématiquement, dans la mesure où
une forme neutre, morphologiquement masculine, est reprise par la suite (« I sont plus
p’tites les cornes de les p’tites chèvres. »). Cette distinction est donc en cours
d’intégration. Ce qui signifie bien que l’enfant est en train de construire son système, en
vue d’une adéquation globale ultérieure au système effectif du langage ou d’une
(re)correction progressive dudit système. La seconde donnée fournie par l’enseignant (i.e.
la contraction de la forme * de + les (préposition + déterminant article défini pluriel) en
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des) n’est reprise à aucun moment par l’enfant9. Cet exemple montre qu’il faut admettre
qu’à son stade d’évolution du langage cet enfant n’a pas encore remarqué que l’énoncé
de l’enseignant différait du sien, et/ou, se situant exclusivement dans la sphère du sens,
il n’a pas su concevoir que son dit puisse différer du message apporté.
Le second exemple corrobore les remarques précédentes. Il n’est pas une classe de
cycle II dans laquelle l’enseignant n’ait pas à rectifier plusieurs fois durant l’année le
traditionnel *faisez ou *disez. Et malgré toute l’attention qu’il va faire apporter à sa
rectification, malgré toute sa patience à répéter sans relâche les formes idoines, il ne
pourra que constater à son grand dam que réapparaissent toujours *faisez et *disez10 .
Tandis qu’il souhaite s’absenter un instant pour assouvir un besoin naturel qui va le
soulager, un enfant de 8 ans s’adresse ainsi à ses camarades dans la cour de
récréation :
– [ f∂ze gafam~⊃sak] « Faisez gaffe à mon sac. »
Ayant parfaitement bien compris le message, ceux-ci s’apprêtent à veiller sur ses
affaires le temps nécessaire. L’enseignant de surveillance surprend les propos – un
enseignant est toujours attentif par nature – et les « orrige » en accentuant sur le
verbe :
– « FAITES attention à mon sac. »
Et l’enfant de répondre, comme pour acquiescer, mais en regardant ses camarades :
– [welega] [ f∂ze gaf] « Ouais les gars, faisez gaffe. »
9 Il convient de remarquer que l’intégration de la préposition est une difficulté et ne se fait que
relativement tardivement (souvent fin de cycle II, début cycle III).
10 Pour ce dernier, l’emploi est tout de même moins fréquent. Mais cela est dû plus vraisemblablement à
la fréquence réelle du verbe qu’à une quelconque meilleure aptitude à le systématiser (→ v. tableau des
fréquences des verbes dans Cours “Didactique de la conjugaison”). D’ailleurs, il n’y aurait alors aucune
logique à considérer qu’un enfant serait apte à assimiler une structure systématique pour un verbe plutôt
qu’un autre.
11 Toute langue doit être considérée comme un système de systèmes (F. de Saussure) (G. Guillaume parle
plus volontiers de micro-systèmes) toujours en évolution, selon un principe correspondant de mieux en
mieux à la Loi d’économie (principe d’efficacité du langage). C’est ce qui expliquerait – mais d’autres
phénomènes plus complexes interviennent aussi – pourquoi nous sommes passés d’une langue à six cas
(latin) à une langue sans cas (français depuis la fin du XVe siècle), en passant par une langue à deux cas sujet
et régime (ancien français). On pourrait aussi donner des exemples pour le français contemporain :
généralisation “forcée” du verbe ‘avoir’ comme auxiliaire temporel, emploi de plus en plus fréquent du verbe
‘aller’ comme auxiliaire pour l’expression du futur (cf. ‘shall’ et ‘will’ en anglais ou ‘werden’ en allemand)
jusqu’à son intégration dans les tableaux de conjugaison de certains manuels scolaires, invariabilité du
participe passé employé avec l’auxiliaire ‘avoir’, emploi quasi constant du subjonctif après ‘après que’, …
Pour ‘faire’ et ‘dire’, on se rappellera le principe saussurien de la “quatrième proportionnelle” non
respectée :
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cette fréquence en système12 . En cela, on se doit de considérer (la production de) cette
forme comme une erreur (et non comme une « faute »)13 , et donc, sinon l’encourager,
du moins en montrer toute « l’intelligence ».
12 Il reste néanmoins que la forme en -tes n’est pas du seul apanage des verbes ‘faire’ et ‘dire’. Il faut
leur adjoindre le verbe ‘être’, qui inciterait à moduler ces propos. Toutefois il est bien rare d’entendre ou de
voir écrit la forme *étez, peut-être simplement parce que les désinences de ce verbe à l’indicatif présent sont
toutes très atypiques, que sa fréquence d’emploi est très importante ainsi que sa polysémie et qu’il est
systématiquement appris en priorité dès le CE.1. (Ces arguments peuvent toutefois être discutables.)
13 → v., pour le statut de l’erreur, évaluation de l’orthographe, dans Cours “Didactique de l’orthographe :
Évaluation – Dictée(s)”.
14 → v., pour le principe transformationnel de la transformation passive, –[Passivation]→, dans Cours
“Linguistique générale : GGT.”.
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Néanmoins, ces phrases-là montrent bien que les enfants concernés n’ont pas été
capables de reproduire spontanément l’énoncé initial, et qu’en somme, l’enfant ramène
les phrases de l’adulte à son propre système15. On peut donc affirmer que l’imitation
d’un modèle ne joue pas un rôle primordial dans l’acquisition du langage.
4. Conséquences pédagogiques
L’affirmation précédente entraîne des conséquences indéniables pour la pédagogie
de la langue maternelle. En effet, il est désormais certain que considérer le langage
comme le résultat d’un dressage ou d’un système d’habitudes ne peut conduire
l’enseignant (et certains parents) qu’à vouloir à tout prix renvoyer constamment la «
bonne phrase » à l’enfant, alors même qu’il ne peut et ne sait la réutiliser, sous prétexte
qu’il serait dangereux, ou tout le moins dommageable, de laisser s’établir ou perdurer un
parler « bébé »16 . On omet trop souvent que l’enfant entend les adultes, même quand
ceux-ci ne s’adressent pas à lui. Dès lors, il faut s’interroger sur cette propension qu’a
l’enseignant (et le parent) à vouloir faire adhérer le langage de l’enfant à celui de l’adulte
; d’autant plus qu’elle apparaît a priori comme louable, puisqu’elle part d’une bonne
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– restructuration syntaxique des propos tenus par l’enfant. Dans ce cas, l’adulte renvoie
une phrase plus complète, en reprenant les différents termes utilisés par l’enfant et
en lui fournissant un modèle grammaticalement plus élaboré. Il s’agit ici
d’interventions touchant l’axe syntagmatique de la phrase, mais aussi les types
énonciatifs de la phrase18 .
Toujours face à la même phrase :
[titytyR] « Tit’tuture. »
La réponse de l’adulte sera plutôt du genre :
« Ah oui, c’est bien ta petite voiture. »
Il semble donc que l’intensité et la variété des communications adultes-enfants
soient le facteur le plus important. Si l’on reprend un des exemples donnés au début (§
1.3., celui des « porcs-épics »), et que l’on examine attentivement la réponse apportée
par l’enseignant, on verra sans conteste combien celui-ci a su prendre en compte ces
facteurs. En effet, pour permettre à l’enfant d’utiliser sans hésitation le nouveau
substantif (« porcs-épics ») et de le réemployer dans d’autres syntagmes nominaux,
l’intervention de l’enseignant affecte toutes les dominantes. Ainsi, par rapport à
l’assertion de l’enfant : [iz~Épl~edpiksyldo], l’enseignant reformule (dominante
phonologique), restructure (dominante morpho-syntaxique), enrichit (dominante lexicale)
et [complète] (dominante énonciative) :
« Ce sont des porcs-épics. Ils ont plein de piquants sur le dos. [Regarde. ] [Ils vont voir le
18 Les réponses de cette sorte sont souvent fournies aux élèves du CP. par des enseignants désireux de
les aider à “faire des phrases”.
19 Une analyse plus fine permettrait de voir davantage encore.
20 Il est évident que cette prise de conscience, si elle est nécessairement réfléchie et explicite au début,
devient spontanée et implicite au cours des années d’enseignement, mais doit toujours demeurer clairement
explicable.
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néanmoins de connaître grosso modo la façon dont se déroule cette progression. Il est
important de prendre en compte la relativité qui existe dans la chronologie d’acquisition.
fermeture de la bouche)22 . Ces cris / pleurs sont plus particulièrement produits dans des
états de malaise et de souffrance. Naturellement le parent cherche à en supprimer la
cause et, par là, en donne une signification ; de sorte qu’il transforme le cri ou les pleurs
21 C’est dire qu’il faut se garder de la tentation de “classer” les enfants dans des catégories telles que “à
l’heure”, “en avance” ou “en retard”. D’une part, parce que ces classifications ont été remises en question par
la psychologie (tout particulièrement depuis le développement de la psychologie cognitive), d’autre part,
parce qu’elles sont encore moins efficaces et utilisables en psycholinguistique, pour ce qui est de
l’acquisition de la langue maternelle. Ainsi donc, tous les points de repère qui vont être donnés ne
concernent que la manière dont évolue le système, l’ordre selon lequel s’effectue l’acquisition. (Tous les
enfants n’apprennent pas à marcher au même moment, cependant tous y parviennent. Et la maîtrise de cette
activité motrice leur permet ensuite de courir, sauter, etc. Personne n’a encore vu un enfant se mettre à
courir avant de savoir marcher, quoi qu’en dise l’aphorisme.) En somme, il faut conserver en l’esprit que si
l’ordre d’acquisition est le même pour tous, chacun reste maître de sa progression et progresse à son propre
rythme. Ce qui renvient à réaffirmer que si l’enseignant doit connaître les grandes étapes de l’acquisition de
la langue maternelle, il doit aussi respecter le développement individuel de chaque enfant.
22 Ces formes sont persistantes jusque chez l’adulte, avec néanmoins une modification du timbre qui
apparaît au cours de l’enfance et à la puberté (masculine notamment).
23 Par ailleurs, la “parole” du parent (ainsi que les regards, les mimiques, les sourires, …) devient vite
pour le bébé un système de signaux : l’enfant se calme en l’entendant et en distingue vite les différentes
intonations. (Étant donné que l’enfant à cet âge ne vit que dans la sphère maternelle, en symbiose, il est
naturel qu’ici c’est essentiellement la mère qui est concernée. Mais je défends l’idée que la parole du père a
son importance.)
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signal
en “exosmose” communication
(tourné vers l'alter)
raisonnées arbitraires
signe
• vers l’âge de 9 mois, la production des consonnes s’est très enrichie. Quasiment
toutes les consonnes sont produites, de même que de nombreux groupes
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consonantiques. Il en va de même pour les voyelles, sans pour autant atteindre le degré
de diversité des consonnes.
• à 1 an, le système commun se caractérise par une maîtrise générale des labiales
et des vélaires : [?], [h], [p], [b], [d], [g], [m], [j], [w], auxquelles s’ajoutent deux autres
consonnes parmi les suivantes : [n], [ñ], [t], [k], [l], [v]. L’enfant est ainsi prêt à articuler la
plupart des phonèmes, à l’exception cependant de la région des sifflantes. Par ailleurs,
l’enfant maîtrise globalement le système des voyelles, hormis le cas des voyelles
centrales fermées [ø], [∂] et ouvertes arrières [⊃].
Il est impossible dès lors de présenter les choses comme le fit R. Jakobson25 ,
quand il considéra le babillage comme le jeu de l’enfant qui émet toutes les articulations
possibles, une infinité de sons, et le passage au phonème comme une brusque réduction
du stock desdits sons émis, structurée par des lois absolument fixes de développement
du système phonologique. On peut se représenter l’hypothèse aujourd’hui erronée de R.
Jakobson :
24 J. Piaget, La formation du symbole chez l’enfant, Paris-Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1945.
25 V. Langage enfantin et aphasie et Les lois phonétiques du langage enfantin …
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babillage phonème
α ω
Cette conception est essentiellement erronée du fait que le babillage de l’enfant ne com-
porte pas tous les sons possibles, c’est-à-dire qu’il serait faux de considérer le
gazouillement comme pouvant exprimer une quantité de sons étrangers même au
langage des parents, voire tous les sons de toutes les langues les plus variées. En fait, il
convient de classer les sons – du point de vue du développement phonologique de
l’enfant – en trois groupes :
– ceux qui appartiennent au système phonologique du français ;
– ceux qui ne se trouvent que dans d’autres langues (leß ou le ch allemand, la jota,
des groupes comme [n͡g] africain, [x] arabe, [k͡t] grec, [ʃƫʄ] [ʧj] russe, les clicks des
buchmen, …) ;
– ceux qui ne sont pas utilisés dans les systèmes linguistiques (comme les trilles,
…).
En ce qui concerne le babil, il apparaît plus vraisemblable de considérer que :
– ses formes prédominantes, à ses origines, sont constituées par des sons
physiologi-quement déterminés, à savoir, consonnes arrières ou labiales, plus
souvent constrictives, et voyelles centrales ;
– son développement se caractérise par des successions alternées de consonnes et
de voyelles ; forme dominante du système phonologique de l’enfant.
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âge mots
± 10 mois 1
± 18 mois 20
± 20 mois 100
± 24 mois 300
± 36 mois 1000
1000
900
800
700
600
500
mots
400
300
200
100
0
± 10 mois ± 18 mois ± 20 mois ± 24 mois ± 36 mois
Le brusque accroissement qui apparaît à partir de ± 20 mois peut être la marque d’une
étape maturationnelle. Cependant on ne sait pas si elle concerne une subite amélioration
des coordi-nations auditivo-vocales, permettant ainsi à l'enfant de discerner et de
reproduire un nombre croissant de mots et/ou une capacité cognitive sousjacente,
26 À l'appui de cette dernière hypothèse, qui n'entre d'ailleurs pas en conflit avec la première, on
remarque que c'est aussi au même moment que l'enfant assiège l'adulte de questions relatives à l'identité des
objets.
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Une estimation quantitative du vocabulaire à ce stade est loin d’être suffisante. Elle ne
donne qu'une image lacunaire du développement verbal. En effet, si les unités identifiées
comme des mots chez l'enfant peuvent être rapprochées d'unités existant dans le
langage de l'adulte, tant sur le plan du signifiant que sur celui du signifié, elles en
diffèrent pourtant par leurs caractéristiques et leur statut :
– La forme phonique n’est le plus souvent qu’une approximation du signitiant
adulte, parce que le système phonologique n'est pas encore entièrement mis en
place.
– Le référent ne recouvre pas toujours le signifié adulte. La sur-inclusion et la sous-
inclusion sémantiques sont des phénomènes fréquents. Ainsi ‘papa’ peut aussi bien
désigner le père que toute personne adulte masculine (sur-inclusion), alors que
‘bébé’ peut représenter parfois un enfant que l’énonciateur considère comme plus
petit, mais désigne plus généralement une poupée (sous-inclusion).
– Le signifiant comme le signifié sont instables : [lolo] peut signifier aussi bien ‘lait’
que ‘eau’. Pour parler d’une voiture, un enfant peut très bien dire, à quelques
secondes d’inter-valle, [tyty], [toto], [vrum], … Sous l'étiquette d'un signifant
déterminé, l'enfant catégorise les objets en fonction de leurs propriétés affectives,
fonctionnelles et perceptives. La signification des unités apparaît donc comme
floue27. Il en résulte que le mot n'est interprétable que grâce au contexte
situationnel dans lequel il est émis (Vigotsky, 1934 ; Luria, 1975).
– Les unités ne sont pas catégorisées grammaticalement : l’étiquetage en substantifs,
verbes, adjectifs, …, ne se fait que par référence à leur statut dans la langue de
l'adulte. Dans celle de l'enfant, un mot renvoie plus à une situation qu’à un objet ou
une action.
– Chaque mot est utilisé seul, d'où le terme holophrase employé pour ces énoncés.
Pendant cette période, l’enfant n’utilise que des unités isolées : c’est la période
holophrastique où le système est constitué par ce que l’on nomme des mots-
phrases.
Cependant cette étiquette pose problème. Certains auteurs soutiennent que les
holophrases sont des phrases effectives, exprimant des relations syntaxiques ou
sémantiques comparables à celles de l'adulte (Greentield et Smith, 1976 ; Rodgon et
al., 1977). Ainsi, quand un enfant dit [t>2E] « train », chaque fois qu'un train s'arrête,
son énoncé impliquerait une relation de sujet à verbe ; de même, quand il prononce
[papa], en regardant le pantalon de son père, on considérera que son énoncé
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
27 D'autant que certains emplois, privilégiés à certaines périodes, peuvent disparaître totalement du
lexique de l'enfant pendant plusieurs semaines.
28 L’enfant dirait plus volontiers ‘parti’ dans un contexte situationnel où l'événement le plus notable
serait le départ du chat et plus volontiers ‘chat’ s'il avait au préalable assisté à l'éloignement de divers autres
êtres ou objets.
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
29 Il n’ y a pas, à ma connaissance, d’ouvrages récents disponibles d’abord aisé, même si les recherches
en psycholinguistique génétique font florès sur ce sujet. (Les études les plus symptomatiques émanent de
psycho-linguistes étrangers. Elles concernent donc plutôt l’anglo-américain (avec Brown et Fraser) ou le
russe (avec Gvozdev).) Il est possible de se reporter néanmoins à un article de M. Coyaud, “Le problème des
grammaires du langage enfantin”, La Linguistique, 1967–2.
30 Ainsi, lorsque l’on veut analyser les productions de l'enfant, il ne suffit pas de relever les séquences
corres-pondant aux unités significatives de la langue adulte, il faut être aussi attentif à l'intonation, aux
répétitions, aux marques d'hésitation, aux unités vides de sens ; tous phénomènes non linguistiques
(mimiques, gestes ou attitudes) qui ont chez l'enfant une fonction communicative que le langage ne peut
encore exercer.
31 Sachs et Truswell (1978) ont soumis à des enfants dont le langage ne comportait encore que des
holophrases, des impératives composées d'un verbe et d'un objet. Le matériel linguistique était établi en
sorte que chaque verbe fût associé à deux objets différents et chaque objet à deux verbes, en sorte aussi que
les actions à exécuter fussent plus ou moins habituelles. Les sujets devaient ainsi “embrasser le canard”,
“embrasser la voiture”, “frapper le canard”, “frapper la voiture”. Sur les 12 enfants étudiés, 10 réagirent
correctement à au moins un ensemble de 4 phrases contrastées, et 11 d'entre eux répondirent adéquatement
à au moins un ordre peu habituel, tel que “Embrasse la voiture.” ou “Chatouille la bouteille.”. Ces résultats
attestent clairement une avance de la compré-hension sur la production : le décodage des phrases
présentées s'appuie bien, chez la plupart des enfants examinés, sur une analyse des deux segments qui la
composent.
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
elles ont été – et parfois sont encore – au fonde-ment théorique de nombreux travaux
d’analyse32 :
– Style télégraphique (Brown et Fraser, 1963) : les phrases à deux mots, comme les
constructions qui les suivent, ne font pas de place aux marques grammaticales.
Dans ce cas, il n’y a pas d'inflexion (désinences temporelles pour le verbe, marques
du genre et du nombre pour le nom et l'adjectit), et les mots fonctionnels (articles,
prépositions, pronoms, par exemple) y sont rares. Les énoncés de ce stade ne
32 Il convient ici de prendre en compte le fait que beaucoup d’ouvrages dont disposent les bibliothèques
des Instituts font référence, parce qu’ils datent un peu, au second type d’analyse (la grammaire à pivots) ;
analyse aujourd’hui dépassée. Par ailleurs, certains linguistes, trop éloignés peut-être de la
psycholinguistique et/ou de la psychologie génétique et cognitive, fondent encore leurs études de cas sur les
principes de la grammaire à pivots.
33 Cependant, certains mots fonctionnels peuvent quelquefois apparaître dès la phrase à deux mots.
L'utilisation ou la non-utilisation de ces mots dépendrait de leur fréquence, de leur saillance et/ou de
certaines relations sémantiques. Bien que ce problème très complexe mériterait d’être plus amplement
détaillé, on considérera ces emplois comme exceptionnels et négligeables, dans le cadre de cette approche
de l’acquisition du langage chez l’enfant.
34 → v. postulats et démarche dans Cours “Linguistique générale : Grammaire distributionnelle”.
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[[p’ati][tyty(R)]] peut aussi bien vouloir dire, selon le contexte dans lequel il se
trouve, « Papa vient de partir en voiture. » que « La voiture de papa est partie. »
ou encore « Il n’y a plus de voiture devant la porte. » ; une analyse en grammaire
à pivots n’y voit que P + O.
– Interprétation « riche » : l'approche formelle des grammaires à pivots est délaissée
actuellement au profit de l’interprétation. Cette analyse-ci permet, en effet, de
rendre compte des phrases à deux mots, mais aussi des étapes ultérieures du
développement. C’est donc plutôt cette analyse qu’il faut privilégier. Différentes
grilles ont été proposées, que l’on peut catégoriser en syntaxiques (Bloom, 1970) et
sémantiques (Brown, 1973 ; Braine, 1976 ; F. François, 1977).
Si on se situe dans une perspective syntaxique, un énoncé ambigu comme
[[mama][sosEt]] sera traité comme comportant un déterminant, [sosEt], et un
déterminé, [mama], dans le cas où l’énoncé signifiera « Ce sont les chaussettes de
mets tes chaussettes. » ou « Maman, mets-moi mes chaussettes. »35 . D’un point de
vue sémantique, la première occurrence de [[mama][sosEt]] se situe dans le groupe
35 Est considérée aussi comme syntaxique la démarche qui analyse les énoncés enfantins en termes de
noms, verbes, adjectifs, etc.
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Il est possible, dans cette perspective, de délimiter huit relations pour les phrases à
agent-action agent-objet
entité-locatif entité-attribut
action-objet action-locatif
possesseur-possession démonstratif-entité
S’il est donc désormais plus probant que les énoncés où l'enfant associe deux mots
soient envisagés sous l’angle de l’interprétation « riche » sémantique, il reste à
déterminer s’il existe un ordre dans lequel les catégories repérées émergent38 . Toutes
les études qui ont porté sur cette problématique (Brown, 1973 ; Wells, 1974 ; …) ont
montré une grande stabilité générale dans l'ordre d'émergence des premières relations
36 D’autres grilles, plus complexes, existent. Pour information ,voici celle de Bloom (1975) :
37 Cependant, certains ne postulent l’existence d'une catégorie sémantique donnée chez l'enfant que s'il
adopte toujours pour les mots de cette catégorie une position fixe dans la combinaison (Braine, 1976) ; ce
qui a tendance a reporter cette phase vers 24 à 36 mois.
38 On n’évoquera pas ici le problème de l’universalité des catégories repérées qui renvoie notamment à
l’innéisme chomskyen. (→ v., pour cette notion, introduction et GGT., dans Cours “Linguistique générale”.) Il
faut aussi se rappeler l’aphorisme de Popper (1934) : on ne peut prouver que les hypothèses à caractère
général soient vraies, on peut seulement prouver qu’elles sont fausses.
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confirme que l'apprentissage du langage n'emprunte pas toujours le même itinéraire, que
l'enfant constitue peu à peu, de façon autonome et individuel, son stock de relations
syntaxiques associées à des relations sémantiques, que la variété de celles-ci et le «
libre-arbitre » de l’enfant (influencé par l’environnemental) expliquent la diversité des
cheminements. Par ailleurs, l’interprétation des énoncés enfantins par son entourage
contribue sans aucun doute au maintien, à la modification ou à l'abandon par l'enfant de
certains mécanismes linguistiques. En somme, il existe bien un ordre d’émergence, mais
qui peut être relativisé.
Lorsque l’on se situe dans le cadre de l’interprétation « riche » sémantique, on ne se
trouve pas loin du cognitif. On a déjà précisé que les phrases à deux mots apparaissaient
précisément vers 18 mois, stade culminant pour Piaget de la période sensori-motrice. II
serait étonnant que l'acquisition du langage et le développement cognitif se fassent de
manière tout à fait indépendante. Cependant, on ne peut pas assimiler purement et
simplement relations sémantiques et relations cognitives. En effet, si une phrase comme
« chat miaule », du point de vue linguistique, peut aussi bien être catégorisée dans la
rubrique agent + action, qu'analyser comme une séquence agent animé + action
dépourvue de patient ou animal agent + production spécifique de l'agent, rien, en
revanche, ne permet de décider laquelle de ces relations fonctionne au niveau cognitif
chez l'enfant. Il s’avère dès lors difficile d'englober le modèle linguistique dans un
ensemble théorique plus vaste.
Il reste que les grammaires interprétatives sont étroitement dépendantes de
l'interprétation que fait l'adulte des énoncés produits par l'enfant. D'une part, les
catégories proposées sont celles de l'adulte, et peut-être pas celles de l'enfant :
Si l’on demande à des adultes « Avec quoi mangez-vous ? », généralement les réponses sont
catégorisables en instruments (« – Avec ma bouche. », « – Avec une fourchette. ») ; celles
mentionnant l'objet de l'action (« – Avec du pain. ») sont rares. À la même question, les enfants
répondent plus souvent par un terme relatif à la nourriture que par un mot désignant un couvert. Les
rapports de fréquence sont inversés. On est bien en présence, chez l'enfant, de catégories qui ne
recouvrent pas celles de l'adulte.
Par ailleurs, la catégorisation est effectuée par l'adulte et risque de comporter une large
part d'arbitraire. La grammaire proposée alors pour rendre compte du langage enfantin
peut n’être qu’une grammaire des interprétations fournies par l'adulte (Sourdot, 1977) :
Ainsi, la relation exprimée par l'enfant, lorsqu’il énonce « Parti, papa. », peut être décrite comme
une relation d'action à agent (« Papa s'en est allé. »), de lieu à entité (« Papa est ailleurs qu'ici.
39 Seul Braine (1976) a observé des différences considérables d'un enfant à l'autre ; différences dues
essentiel-lement à des divergences dans les critères choisis. (v. note précédente.)
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») ou de négation à entité (« Il y a absence de Papa. »). Sur quoi fonder le classement de la phrase
dans une catégorie plutôt qu'une autre ?
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
On peut alors constater que chez cet enfant – mais l’observation vaut globalement
pour tous – l’accord en nombre est (presque) totalement appliqué, autant pour le
déterminant article que pour l’adjectif qualificatif. En revanche, l’accord en genre est
moins sûr. Par ailleurs, si l’accord du déterminant se fait de façon généralement
correcte (dans 5 syntagmes sur 6), celui de l’adjectif qualificatif est beaucoup moins
constant (dans 3 syntagmes sur 6 seulement). Le système se met donc bien en place
peu à peu. Éventuellement, on peut expliquer les erreurs de cet enfant par le fait qu’il
ne reconnaît pas le genre des substantifs ‘poupée’, ‘mains’ et ‘poule’ ; cependant, ils
appartiennent à un lexique basique.
∏
6.1.2. Emploi de l’article
Pendant toute une période, l’emploi de l’article n’est pas systématique. Beaucoup d’enfants de trois
ans l’omettent au début40. On relève fréquemment des phrases du genre : [d⊃nãk⊃Rjo] « Donne
encorʼieau. » (‘Donne-moi encore de l’eau.’), [[bεlt’itpusεt][t’if’εRamwa]] « Belle tite poussette, tit f’ère à
moi. » (‘C’est la belle petite poussette de mon petit frère.’). Rapidement ensuite l’article prend des formes
phoniques très diverses. Sa présence peut n’être parfois indiquée que par une sorte de temps d’arrêt avant le
nom ou par l’articulation assez indistincte, souvent un [n], [a] ou [e] : [[jepamesã][as’j~ε]] « Y’est pas
messant a s’ien. » (‘Il n’est pas méchant le chien.’). Il ne s’agit pas pour autant d’une difficulté de
prononciation gênant l’enfant, mais bien d’une utilisation incomplètement établie du déterminant.
40 Si globalement l’apparition de un se fait à partir de 30 mois et celle de des entre 40 et 50 mois, il faut
atten-dre l’âge de 5 / 6 ans pour constater un emploi correct de tous les déterminants articles.
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
Pour preuve, on peut comparer ces deux énoncés, produits par le même enfant à quelques instants
d’intervalle :
[[jepamesã][as’j~ε] « Yʼest pas messant a sʼien. » (‘Il n’est pas méchant le chien.’)
[[jepabεl][adamla] « Yʼest pas belle a dame là » (‘Elle n’est pas belle la dame là.’)
Ils permettent de voir que le [la] du second énoncé, dont la fonction n’est pas déterminative mais
adverbiale, est parfaitement prononcé, au contraire des déterminants qui n’ont qu’une forme
phonique réduite [a].
Général Général
Particulier
LE UN
Aux deux extrêmes se situent les emplois de l’article à valeur de ‘tout / tous’ (« Lʼhomme est mortel. » «
Un chat est un félin. »), le point de divergence représente la valeur d’unité (« le », dans « Le cheval entra.
» (Il a déjà été nommé, on le connaît donc, il n’y en a qu’un.), « un » au sens de ‘un seul’ (cf. anglais « one
», allemand « eins »). Par opposition à « un », au sens de ‘n’importe lequel’ (cf. anglais « a », allemand « ein
»). Le contexte et le pré-texte ont ici tout particulièrement leur importance en français, puisque dans une
phrase comme « Je veux un stylo. », « un » peut avoir l’une ou l’autre valeur, suivant que l’on veut dire «
Donnez-moi un stylo et un seul. » ou « Pourvu que jʼai un stylo, nʼimporte lequel. »)43 D’une manière
succincte, on peut figurer ces emplois par des « saisies » sur le tenseur précédent44 :
41 → v., pour la différence entre syntagme nominal (SN) et groupe nominal (GN), GGT.-TSÉ., dans Cours
“Linguistique générale”.
42 → v., pour les codages, Grammaire distributionnelle et GGT., dans Cours “Linguistique générale”.
43 Dans le premier cas, cependant, l’intonation sera plus accentuée, voire accompagnée d’un geste. Par
ailleurs, la marque de pluralité ne présente pas un cas particulier, mais un trait spécifique, commun à une
majorité de langues, qui extériorise certaines valeurs et s’inscrit dans ce tenseur. (Certaines langues ont
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
LE UN
Qu’en est-il de l’enfant face à ce système de l’article ? De simples expériences permettent de montrer que
certaines saisies ne sont pas encore définies comme telles chez certains enfants, ou que les valeurs sont bien
perçues, mais qu’elles sont conçues comme étant l’axe de détermi-nation sur lequel peuvent alterner, plus ou
moins indifféremment, les articles « le » et « un » :
Des enfants de GS. de maternelle sont interrogés dans une situation ludique avec des figurines
animales. Dans un premier temps, l’enseignant fait décrire à l’enfant ce qu’il y a sur la table :
« Il y a des chèvres, des cochons, une vache, des moutons. »
Ensuite, l’enseignant prend trois figurines représentant des moutons parmi les six se trouvant sur le «
pré » et les met dans la « ferme ». Il demande alors à l’enfant ce qu’il reste dans le « pré » :
– « Les moutons. »
– « Et dans la ferme, qu’est-ce qu’il y a ? »
– « Les moutons. »
Après un lapse de temps assez bref de réflexion, l’enfant ajoute :
« Les moutons sont partis mais pas tous. »
Cet exemple (pouvant s’inscrire dans le cadre d’une évaluation diagnostique ou formative) renforce bien
l’idée que l’utilisation adéquate de certaines formes linguistiques n’est pas indépendante du développement
cognitif de l’enfant.
même (eu) un duel (sanskrit, grec ancien, hongrois, …). C’est la pluralité de deux, qui se réalise sous la
forme “les” en français, comme dans “les yeux, …”, sous le forme Ø en anglais, comme dans “trousers, …”. Il
existe même des langues ayant ou ayant eu un triel (sanskrit, hongrois, …). C’est la pluralité de trois ;
pluralité qui n’a pas été conçue psychiquement dans les langues romanes.)
44 V., pour un étude plus détaillée, G. Guillaume, Le problème de l’article …, Paris, Nizet et, d’un abord
plus facile, O. Soutet, “Syntaxe du français”, Que-sais-je ?, PUF.
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Par ailleurs, les enfants ont tendance à aligner toutes les formes sur des formes régulières. En effet, la
conjugaison en français est rendue difficile du fait des nombreuses formes irrégulières du système ; ce qui
pousse parfois l’enseignant à parler alors d’ « exceptions »46. L’enfant construit pendant très longtemps
toutes les formes verbales sur le modèle des verbes du premier ou deuxième (plus rarement) groupe47.
L’enseignant remarque aisément qu’un grand nombre de formes utilisées de façon isolée par le très jeune
enfant sont souvent plus conformes que celles qu’il produit par la suite. On voit apparaître alors des formes
comme « *boivons, *prendu, *morder, … ». Cet état ne doit pas désappointer, car il ne s’agit en aucun de
régression, bien au contraire. Comme le soulignait déjà G. Guillaume en 1927 dans Le problème de l’article
…, c’est « lʼindice du début des construc-tions personnelles [et] cʼest seulement alors que
commence, au point de vue psychologique, la véritable conjugaison. »
45 Il convient de se rappeler que ce “temps” est morphologiquement construit sur un auxiliaire au présent
(“J’ai marché.”). L’enfant ne sort donc pas d’une certaine manière du présent. Il ne conçoit la passé qu’étant
nécessairement en relation étroite avec son présent.
46 Mais les exceptions sont si nombreuses qu’il s’avère pédagogiquement et étymologiquement
exagéréd’user de ce terme. Il est préférable d’employer les termes de “particularité(s)” ou “cas particulier(s)”
(littéralement : “forme(s) ne s’inscrivant pas dans la logique du système morphologique verbal”).
47 C’est d’ailleurs une tendance généralisée en français populaire et un des facteurs d’évolution de la
langue. (On retrouve le même phénomène en anglais et en anglo-américain par exemple, où la forme
régulière du prétérit -ed est de plus en plus employée pour des verbes à flexion irrégulière comme *I
learned. qui se substitue à I learnt. et où la forme (périphrastique) du futur a “évolué” de façon spectaculaire
en 30 ans, passant de I shall + V / you will + V, à I will + V / you will + V, puis de nos jours à I’ll + V / you’ll
+ V.)
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
Ainsi, peut-on encore noter, vers l’âge de 4 ans, âge où généralement les enfants commencent à
manipuler le futur, des formes analogiques de troisième personne sur le modèle « marcher / marchera
»:
« Il sʼen allʼra. » (‘Il s’en ira.’)
« Il doʼrra. » (‘Il dormira.’)
« Il sortra pas. » (‘Il ne sortira pas.’)
Certaines formes peuvent même perdurer jusqu’à 6 ans, sur le même modèle-type :
« Il sʼen allʼra. » (‘Il s’en ira.’)
« Il mourira. » (‘Il mourra.’)
ou plus rarement à partir de formes analogiques de première personne construites plutôt sur le
modèle « finir / finirai » :
« Je la tenirai. » (‘Je la tiendrai.’)
La conséquence pédagogique qui découle de ce constat est alors de moins axer le travail d’apprentissage sur
des récitations de formes verbales – ce qui ne veut pas dire pour autant de l’abandonner totalement – et de
plus centrer l’enfant sur la construction du système et l’emploi, c’est-à-dire les valeurs, des temps dans le
discours48.
6.3.1. Accords
L’accord entre la désinence et la personne du pronom et l’accord en genre (et parfois en nombre) avec
son référent, généralement substantival, dont il est le substitut ne s’établissent que peu à peu chez l’enfant49.
Ces problèmes se rencontrent jusque vers l’âge de 7 ans.
Voici un petit dialogue surpris entre une enfant de 2 ans et demi et son grand-père. Alors qu’elle joue
à pousser une balancelle, la petite fille tombe sur les fesses. Elle se précipite alors auprès de son
grand-père, en criant :
– [emal] « E mal. » (‘J’ai mal.’)
– C’est la fesse droite ou la fesse gauche ?
Elle montre précisément la fesse gauche, la plus éloignée du regard du grand-père :
– [is∂lγila] « I celui-là. » (‘C’est celle-là.’)
Il n’est pas rare , par ailleurs, de relever jusque vers 4 / 5 ans les formes suivantes :
« Je fera. »
« Je boira. »
« Jʼécrira tout seul. »
48 → v., (de la magnificence du) système morphologique des temps simples et composés, dans Cours
“Didac-tique de la conjugaison”.
49 On rencontre là aussi des formes de français parlé adulte qui omettent ces accords, voire des “fossiles
dialectaux” comme “*Il chantont bien.” en Champagne (St. Martin d’Ablois, près Épernay, vers 1970).
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
Tandis que vers 5 / 6 ans (parfois 7 ans), des formes plurielles comme « ils », « ceux » peuvent être
employées comme des collectifs neutres, alors qu’au singulier la distinction est effective et semble être
définitivement acquise plus tôt :
« Maguy et Chris, où quʼi sont ? » (GS., pendant le « petit train »)
« Sʼki sont froides tes mains. » (6e, en récréation)
« Je mets les miennes avec ceux de Johan. » (GS., séq. d’Arts Plastiques)
cf.
« Elle est froide, lʼio (lʼeau). » (début de MS.)
« La maîtresse, elle est partie au téléphone. » (MS., réponse à un enseignant)
« Pourquoi que ma feuille, elle est pas avec celle de Magali ? » (GS., question à la maîtresse)
50 Il s’agit ici de la deuxième phase du “psyché”. Si l’on met un enfant face à un miroir, il considère dans
un premier temps, que celui qu’il voit est une personne étrangère et désigne l’image soit au moyen d’un
syntagme nominal (“le t’it garçon / la t’ite fille”), soit au moyen d’un pronom de troisième personne (“il /
elle”). Dans un deuxième temps, il reconnaît l’image comme identique à lui, il l’identifie comme étant lui-
même sans pour autant pouvoir s’y substituer. Il reste en quelque sorte extérieur, le miroir fait écran. Il
utilise donc son prénom pour ce qu’il considère être lui. Ce n’est que dans une troisième phase que l’enfant
change son point de vue. La focalisation se fait alors de lui vers sa propre image que renvoie le miroir. Il a
accédé alors au stade du je, du locuteur. Les stades de l’énonciateur, du narrateur et de l’auteur peuvent
alors se mettre en place, mais ils ne seseront effectifs que bien plus tard (début de Collège, parfois même
après). Ce n’est qu’au Lycée, à travers les textes autobiographiques et poétiques notamment que les
problèmes énonciatifs complexes pourront être définitivement assis (v. les célèbres “Je est un autre.” de A.
Rimbaud et “Ceci n’est pas une pipe.” de R. Magritte.).
51 Habituellement, cette forme se trouve en fonction complément indirect. Cet emploi enfantin
s’apparente vraisemblablement à des emplois adultes (fréquents) dans des énoncés à modalité d’énonciation
emphatique du genre : “Moi, je ne passe pas. / Moi, passer par ici ? Jamais.”
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
À cette même époque, l’enfant commence à introduire un semblant de pronom personnel il / elle, mais
celui-ci a toujours une fonction de sujet, se présente sous la forme phonétique [i] et est toujours
accompagné du thème lexical (sujet sémantique ou « réel ») en antéposition ou postposition. En fait, il
semble bien que l’enfant conçoive d’abord ce pronom comme un pronom « personnel » sujet de
rappel :
[itu’nmul~εmãmã] « I tourne moulin, manman. » (‘Il tourne le moulin, maman.’)52
À partir de ± 3 ans, on voit apparaître dans les énoncés la construction prénom + il / elle :
[e3ãtij(j)aja] « Est zenti(lle) Yaya. » (‘Elle est gentille, Clélia.’)
[ebwatut’sœlais] « E boit toutʼ seule Aïs. » (‘Elle boit toute seule, Alaïs.’)
Cependant, on trouve chez les mêmes enfants des phrases construites avec prénom + il / elle et des
phrases avec je :
[laikaemãz] « Laïka [la chienne], elle mange. » (‘Laïka est en train de manger.’)
[zetubyl∂tete] « Zʼai tout bu le tété. » (‘J’ai bu tout le biberon.’)
Enfin, quand le pronom personnel se trouve en position de complément, ou qu’il s’agit du pronom en
emploi réfléchi, la forme tonique précédente (‘moi’) est souvent employée à la place du pronom
personnel atone (‘me’) :
[pas’atujemwa] « Pas satouiller moi. » (‘Ne me chatouille pas.’)
[ij~ε∫ytemwa] « Iyen chuter moi. » (Guilhem me dit « chut ». / Guilhem dit de me taire.’)
[s∂lavmwa] « Se lave moi. » (‘Je me lave.’)
L’apparition du je se fait donc globalement vers l’âge de 3 ans. On admet généralement que l’emploi de je
se construit par opposition au tu, au moment de ce que nomme H. Wallon la « crise d’opposition ». Dire « je
», c’est prendre conscience de soi en tant qu’individu distinct des autres, en tant que partie intégrante mais
exceptionnelle du monde. L’apparition du je est tardive. Plusieurs phénomènes sont la cause du fait que
l’enfant mette du temps à les enregistrer, à en saisir la valeur de référentialité. D’abord, l’enfant n’entend pas
fréquemment des pronoms. Non seulement, l’emploi d’une forme pronominale est phonétiquement difficile
à percevoir, mais en plus, l’adulte a tendance à lui adresser la parole en usant de l’impératif, mode du
discours apronominal. Par ailleurs, les pronoms personnels font partie d’une catégorie gramma-ticale
hétérogène : alors que 3 ne pallie qu’une disconvenance stylistique (et revêt donc d’un point de vue
linguistique un caractère facultatif), 1 et 2 pallient une inaptitude du substantif ; or, tant que l’enfant ne
conçoit pas cette inaptitude, il n’éprouve pas la nécessité d’employer ces pronoms substituts. Enfin, nous
l’avons vu dans les exemples précédents, l’enfant utilise au départ des formes prédicatives, c’est-à-dire des
52 [i], forme phonétique rudimentaire du pronom personnel ‘il’, constitue un élément grammatical du
prédicat ou rhème (R) “Il tourne”. “Moulin” est le thème du propos (Q) et en représente la dominante lexicale.
D’un autre point de vue, “moulin” est le sujet sémantique (improprement nommé sujet réel ou logique) et “il”
est le sujet syntaxique (improprement nommé apparent ou grammatical). On s’aperçoit donc que,
contrairement aux idées générativistes (→ v., pour la phrase neutre, GGT., dans Cours “Linguistique
générale” et § 5.6.5.), chez de nombreux enfants, la phrase de base (neutre ?) est une phrase thématisée :
“Le chien, mon père, il l’a mordu.”
Q1 + Q2
Q + R
dominante dominante
lexicale grammaticale
Ce constat amène à penser que paradoxalement, d’un point de vue pédagogique, il s’avère nécessaire de
familiariser l’enfant à la phrase type (neutre) : SVO.
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
formes qui ne quittent pas le plan spatial (plan nominal)53, comme moi, toi, …, qu’il joint à des substantifs
allocutaires :
présence absence
MOI HORS-MOI
Niveau I
(spatial) moi toi lui / elle
Niveau II
(temporel) JE TU IL / ELLE
interlocution délocution
Grâce à ce tableau-ci, on se rend bien compte que les formes que l’enfant emploie avant 3 ans (« moi » et/ou
son prénom en tant que locuteur, « papa », « maman » et/ou le prénom des parents, du maître, etc. en tant
qu’allocutaire) se définissent dans l’espace (niveau I). Les substantifs (*prénom du locuteur, « papa », «
maman », *prénom du maître) sont dans la langue des personnes appartenant à la délocution (3), mais en
discours, *prénom du locuteur devient locuteur et « papa », « maman », *prénom du maître, des allocutaires.
Il constituent l’interlocution54. La chronologie d’acquisition et d’emploi se fait généralement ainsi :
53 Le psychologue R. Zazzo considère que moi, en tant que pronom personnel, ne quitte pas le plan
nominal, c’est-à-dire le plan de l’espace, et fonctionne comme un substantif. Sa conception est somme toute
très proche de celle du linguiste G. Guillaume.
54 Ce phénomène s’appelle un “shifting” : ces termes changent de personne en entrant dans le circuit
inter-locutif et, dans la mesure où l’enfant ne maîtrise pas encore le système de la personne et des pronoms,
il a recours aux substantifs équivalents connus de lui.
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
présence absence
(à la conversation) (de la conversation)
personnes de l'interlocution personnes de la délocution
JE TU IL / ELLE
*loc. JE
moi
1 *dél. IL
lui
3
axe chronologique
d'acquisition
*all. TU
toi
et d'emploi
2
En résumé, on peut dire qu’avant que ne s’établisse le rapport entre le substantif et le pronom
référentiel, apparaît une succession d’étapes. L’enfant part du hors-moi parce qu’il s’impose massivement à
sa perception. Le futur je est d’abord un autre, un être extérieur au moi, un délocuté, non encore
psychiquement construit. C’est pourquoi, il emploie avant tout son prénom pour s’auto désigner. Par la suite,
il commence à se désigner par « moi ». Linguis-tiquement, moi est le « nom » de je. Pour que soit acquise la
notion de première personne, il faut que l’enfant prenne conscience du temps, « lieu dans lequel il inscrira
l’image de son corps, sa finitude spatiale » (R. Zazzo). En somme, l’emploi de moi correspond au sentiment
qu’a l’enfant de son identité corporelle. En dernier lieu apparaît le je, lorsqu’à sa conscience de soi dans
l’espace vient s’ajouter la conscience d’exister dans le temps. C’est la prise de conscience de l’actuel, du
présent d’actualité ou d’énonciation. Ainsi, le point de départ de l’enfant est plus vraisemblablement la
personne délocutée. Pour la construction de sa propre personne, il prend appui sur son expérience de la
troisième personne (v. rôles et personnages joués, inventés, animés, …). C’est dire que l’enfant édifie sa per-
sonne en jouant des rôles, en fabriquant et animant des personnages, comme le confirme R. Zazzo : «
L’image de soi exige, pour se former, une image d’autrui qui lui soit contrastée, qui soit différente. » Mais,
dans le système des pronoms personnels de l’enfant de 3 ans, les pronoms pluriels (nous, vous, ils / elles)
sont tous absents de son registre55. Le fait que son langage soit nynégocentrique permet d’en expliquer
aisément les raisons. Enfin, dans la mesure où la notion d’espace préexiste à celle de temps dans l’esprit de
l’enfant, dans l’ordre d’acquisition du langage, logiquement, la « personne d’espace » précède la « personne
de temps ».
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L’observation des énoncés produits spontanément par l’enfant ne permet pas toujours de savoir si les
fonctions grammaticales des temps et des modes sont effectivement assimilées. On remarque simplement
que le présent d’énonciation s’acquiert rapidement après un emploi, parfois assez long, d’un infinitif
(structurellement atemporel) considéré par l’enfant comme la marque d’un présent large (présent à valeur de
passé récent et de futur proche, v. certains exemples donnés ci-dessus). Viennent ensuite, semble-t-il, le
passé composé et le futur (« synthé-tique », ‘marchera’). L’emploi spontané et répété des autres temps de
l’indicatif (d’abord simples, puis composés)56 ne se produit que plus tard, grâce notamment à des travaux
d’observation et de structuration faits en classe, surtout à partir de la seconde année de cycle II. Quant à
l’emploi du présent du subjonctif, qui apparaît plus ou moins à la même période, il ne se fait que par réfé-
rence au présent de l’indicatif ; ce qui est somme toute à peu près conforme historiquement à sa construction
morphologique. Pour être plus précis, il est presque sûr que l’enfant de Maternelle comme d’Élémentaire ne
saisit pas encore la notion de virtuel qui carac-térise l’emploi de ce mode, pas plus que la différence entre
actuel et virtuel. Cognitivement, il ne sait se situer et situer ses énoncés (et ceux de ses interlocuteurs) que
par rapport à l’actualité de parole.
Il n’est donc pas impossible d’entendre dans la bouche d’un enfant des énoncés dont le caractère du
temps employé est inadéquat avec la réalité qu’il veut décrire. J’ai pu relever, chez un enfant de plus
de 3 ans, dans une classe de PS. à Troyes, le matin d’un jeudi du mois de mars (mois de la fête
foraine) :
« Ze mʼen allʼra au manèze, hier. » (‘Hier, je suis allé à la foire faire des tours de manège.’)
et lors d’une converstion avec un enfant de 4 ans et demi :
« Mémé, elle a donné à moi un poisson demain. » (‘Mémé me donnera un poisson demain.’)
6.4. La préposition ∏
7. Relations spatio-temporelles
Il est facile de constater que les prépositions comme ‘dans’, ‘avant / après’, ‘dessous / dessus’, ‘devant
/ derrière’, … ne sont correctement employées qu’après que l’enfant a maîtrisé les notions correspondantes.
Tant qu’un enfant n’est pas en mesure de faire la distinction entre ‘passé – présent – futur’, il est illusoire de
prétendre lui faire apprendre les termes indiquant les relations temporelles corrspondantes. La plupart des
enfants, jusque vers la fin de la troisième année, partagent l’axe temporel entre ‘ce qui existe’ (actuel) et ‘ce
qui n’existe pas dans l’instant de l’énonciation’ (virtuel). C’est durant la Maternelle que s’élabore l’axe
temporel tripartite qui sera achevé structurellement que vers la fin de la 5e, première année du cycle central
du Collège, au mieux. Dans une deuxième phase, l’enfant conçoit le potentiel existentiel du futur (d’où,
peut-être, sa faculté de construire morphologiquement ce temps assez rapidement, à moins que ce ne soit
l’inverse), mais n’élabore l’axe, d’un point de vue psychique, que par rapport au présent, c’est-à-dire à lui-
même en tant qu’énonciateur unique de référence. Le temps psycho-logique est encore scindé entre le virtuel
(ce qui est hors du présent) et l’actuel (le strict présent d’énonciation). La notion de passé existe, mais reste
floue. On peut considérer qu’il en prend vraiment conscience, quand il saisit les liens généalogiques (d’où
l’importance des séquences pédagogiques ayant cet objectif d’acquisition). Enfin, dans une troisième phase,
56 Il convient d’inclure dans l’indicatif, ce que l’on nomme habituellement par tradition et facilité
pédagogique, le “mode conditionnel”. (→ v., pour ce “problème”, (de la magnificence du) système
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fondamentale mais complexe, donc (très) tardive, l’enfant va scinder le temps psychique et le temps morpho-
syntaxique. Le premier sera marqué par l’opposition ‘actuel-existant’ / ‘virtuel-pouvant exister’, par une
orientation Futur (α) → Présent → Passé (ω) et par une image du Présent comme étant du futur devenant
passé en permanence et en instantané. La conception de futurs potentiels se résolvant en un seul futur effectif
à l’instant présent, de même que celle de passés (le passé événementiel effectif et celui ou ceux retenu(s) par
déformation du temps du souvenir) ne se feront que bien plus tard57. Enfin, la prise de conscience d’un
temps morpho-syntaxique différent du temps psychique sera effective lorsque l’enfant aura saisi combien la
terminologie adoptée est inappropriée et conventionnelle (le ‘passé composé’ est en fait un présent composé
en lien avec lui, le ‘participe passé’ n’exprime pas du passé mais de l’accompli, …). Ici aussi, on voit
combien il est important d’aborder l’expression du temps sous l’angle de la morphologie verbale, de sa
systématique, et sous l’angle de ses valeurs en langue et de ses emplois en discours. L’ensemble de cette
analyse rapide peut se schématiser ainsi :
Virtuel
Actuel
1
Présent
Inexistant Inexistant
Existant
Virtuel
Actuel
2 Passé Futur
Présent
Actuel Virtuel
ω α
3 Passé(s) Futurs
Présent
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Mais dans les problèmes liés aux relations spatio-temporelles, l’axe temporel n’est pas seulement en
jeu, il y a aussi l’emploi de certains adverbes. En fait, dans le discours de l’enfant les deux éléments sont
conjoints. C’est lors de la première phase, qui se situe généralement pendant la scolarité maternelle,
qu’apparaissent le plus sur ce point les discordances avec le langage adulte. Si au temps présent, en tant
essentiellement qu’expression de l’existant, se rencontrent fréquemment des adverbes comme ‘aujourd’hui’,
‘maintenant’ ; en revanche, certains adverbes, comme ‘hier’ ou ‘demain’, peuvent être employés à la fois
avec des verbes au passé et au futur. Cette inadéquation se rencontre surtout en début de Maternelle, jusque
vers l’âge de 4 ans. Il n’est donc pas exclu d’entendre alors des phrases du genre : [[ilfeRadodobebe]
[bebedãl∂lijεR]] « Il faira dodo bébé, bébé dans le lit hier. » (‘Le bébé fera dodo dans le lit demain.’)
Cela s’explique aisément par le fait que l’enfant ne se représente le temps que comme une oppo-sition entre
présent-existant-actuel et non-présent-inexistant-virtuel (v. tab. ci-dessus, phase 1).
58 → v., pour les types et formes de phrases, modalités d’énonciation, dans Cours “Didactique de la
Grammaire”.
59 Depuis quelque temps cependant, des linguistes mettent en doute les séparations traditionnelles entre
les 4 types et les 5 x 2 formes de phrases. Ils considèrent 2 types de phrases : les types obligatoires
(‘déclaratif’, ‘interro-gatif’et ‘jussif’– ie. impératif ou injonctif) et un type superfétatoire – ie. facultatif ou
supplémentaire (‘exclamatif’). De plus, ils ne se sont plus d’accord sur les catégories à retenir pour les
formes : beaucoup n’envisagent que les oppositions ‘affirmatif / négatif’, ‘actif / passif’et ‘neutre /
emphatique’. C’est cette position qui est défendue dans la dernière grammaire scolaire de R. Tomassone,
ainsi que dans le Cours “Didactique de la Grammaire”
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Toutes les expériences menées depuis les années soixante confirment cet ordre de mémorisation qui laisse
entendre que l’être humain encode en mémoire quelque chose de beaucoup plus abstrait que des
groupements de mots. Il semble qu’il y ait un encodage identique pour les phra-ses ‘Décl. / Aff.’, avec une
note ‘Pas.’ losque la phrase est à la voix passive ; ce qui donne :
« La tempête arrache lʼarbre. » + Pas. → « Lʼarbre est arraché par la tempête. »60
Cela confirme l’existence d’une phrase neutre ou noyau (telle qu’elle a été définie par la GGT.) et justifie le
fait qu’une phrase comportant deux, voire trois, transformations soit psycho-logiquement plus difficile
qu’une simple phrase déclarative affirmative active. Dès lors, il est donc nécessaire que l’enseignant tienne
compte, dans sa pédagogie, de cet ordre d’acquisition qui suit l’ordre des difficultés des transformations. Les
IO. sont d’ailleurs là pour le lui rappeler.
8.1.2. Subordination
Le passage des énoncés simples à la subordination présente, pour l’enfant, des difficultés d’ordre
cognitif et linguistique. On constate que toutes les phrases complexes n’apparaissent pas en même temps61.
La complexité syntaxique des énoncés enfantins se caractérise par l’usage qu’ils font de certains
‘introducteurs de complexité’.
On relève en Maternelle essentiellement les introducteurs suivants :
- extracteurs : présentatif (singulier) + pronom relatif sujet ou objet direct (+ V)
‘c’est Ssmq. qui / que + V …’ (« C’est Pierre qui vient. »)
‘voilà Ssmq. qui / que + V …’ (« Voilà Pierre qui vient. »)
N thématisé + pronom personnel de rappel (+ V)
‘Ssmq. , Ssxq. + V …’ (« Pierre, il vient. »)
- ‘il y a … qui / que …’
- ‘il faut que …’
- ‘qui’ (relatif)
- ‘que’ (conjonctif)
- ‘quand / lorsque’
- ‘parce que’, …
Mais on repère aussi cette complexité par la ‘profondeur’ de la phrase, c’est-à-dire le nombre de niveaux
hiérarchisés contenus dans l’énoncé. L’enfant, avant 4 ans, a tendance à utiliser des phrases simples
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multiples juxtaposées, puis coordonnées ou connectées par ‘et’, ‘puis’, ‘alors’, … Après 4 ans, le
pourcentage des phrases complexes à subordination s’élève sensiblement.
On peut ainsi déjà relever en MS. de Maternelle des phrases à deux niveaux hiérar-chisés et en GS.
des phrases à trois niveaux hiérarchisés, comme :
- [[zepamimesãdal]« Zé pas mis mes sandales,
[paskiplø]] pasquʼi pleut. »
(‘Je n’ai pas mis mes sandales parce qu’il pleut.’)
- [[mwazmesad∂⊃R] « Moi zʼmets ça dehors,
[pask∂zmelatab’d∂⊃R] pasque zʼmets la tabʼ dehors,
[puRk∂tul’m~⊃d’mãz(∂)d∂⊃R]] pour que tout lʼmondʼ manze dehors. »
(‘Moi, je mets ça dehors, parce que je mets la table dehors, pour que tout le monde mange dehors.’)
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En effet, un enfant de moins de 8 ans a des difficultés à décrire une action en se centrant sur le patient sans
pour autant exclure l’actant. Il ne parvient à décrire la situation qu’en indiquant le résultat de l’action sur le
patient (« Il est poussé. »). Il lui faut un temps de maturité (ou maturation) cognitive pour dépasser le stade
de la description où seule l’action est évoquée et où actant et patient sont indifférenciés.
Ces remarques et analyses permettent bien d’éclairer l’enseignant sur les moyens utilisés par l’enfant
dans son processus de décodage. L’exemple de la passivation confirme ainsi qu’une structure grammaticale
s’installe progressivement et que deux phrases de complexité syntaxique analogue ne sont pas comprises à la
même époque et ne peuvent pas être produites en même temps. Ainsi, dans le cas du passif, la gradation des
difficultés est due à la nature de la situation exprimée par le verbe. Dès lors, dire qu’un enfant sait ou ne sait
pas produire telle transfor-mation n’a guère de sens ni d’intérêt, si l’on ne se situe pas par rapport au
développement cognitif d’icelui.
8.3. Relatives
parle de phrase ‘intermédiaire’, quand la permutation donne une phrase impro-bable mais non inacceptable
sémantiquement, comme : (5) “Le garçon lave le chien.” → (5’) “?Le chien lave le garçon.”.
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Il en va de même pour les relatives. Le maniement de ces propositions ne présente pas le même degré
de difficultés selon qu’il s’agit d’une relative à pronom sujet (‘qui’) et d’une relative à pronom objet (‘que’).
Il semble établi (d’après F. Platone) que le système de la relative en ‘qui’ est acquis dès l’âge de 3-4
ans, alors que les mécanismes de la relative en ‘que’ mettent beaucoup plus de temps à s’installer. En effet,
les opérations à effectuer pour passer de deux phrases simples à une phrase complexe à subordination
relative ne sont pas les mêmes selon que le pronom se référe au sujet ou à l’objet de la première phrase.
Dans la transformation relative en ‘qui’, l’ordre des mots reste inchangé ; il n’y a que le remplacement d’un
syntagme par le pronom substitut :
Dans le cas de la relative en ‘que’, l’opération est beaucoup plus complexe, dans la mesure où l’ordre des
mots n’est pas conservé :
Il se peut même qu’il y ait, dans l’usage, antéposition du verbe de la subordonnée : P3’ « Je veux le
camion quʼa Marie. » ; ce qui, bien évidemment ne fait qu’accroître la difficulté de compré-hension et de
production. Cependant, dès 3-4 ans, l’enfant commence à percevoir l’existence de la relative en ‘que’.
Néanmoins, la totalité du système n’est vraiment maîtrisée qu’au cours du cycle II.
64 Le principe sous jacent fonctionne ± sous la forme implicite ‘… / cause → conséquence / cause →
conséquence / …’ ; la conséquence devenant une cause entraînant une conséquence, etc.
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65 Ce bon usage des oppositions temporelles est lié aussi à la maîtrise de la morphologie verbale.
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• 3–Vers ± 6/7 ans. À ce stade, on remarque que l’enfant respecte scrupuleusement l’ordre αω. Mais il y a
une nette évolution par rapport à la phase 1, car l’enfant veut signifier la liaison temporelle entre α et
ω. Il utilise des moyens linguistiques multiples, mais il ne les maîtrise pas totalement. C’est pourquoi,
les énoncés sont encore très confus : phrases tronquées, hésitations sur les temps verbaux, sur l’ordre
des mots, sur les connecteurs adéquats. Cependant, cette confusion est l’indice d’une nette évolution
du système. En effet, dans les productions de l’enfant, on trouve alors à la fois des formes appartenant
à la phase précédente et des éléments annonçant l’étape suivante66.
• 4–Vers ± 7/8 ans. C’est le niveau où la description du réel ne pose plus de difficultés pour l’enfant. Il est
devenu conscient du problème, comme dans la phase 3, mais il possède maintenant tous (ou presque)
les moyens de le résoudre : il sait désormais parfaitement bien différencier la chronologie des actions
successives, l’ordre des énoncés et l’ordre des événements. Il a atteint la phase correspondant à celle
de la conservation opératoire dans la théorie piagétienne.
66 Comme on peut s’en rendre compte, l’enfant de CP. se trouve être en cours d’élaboration du système.
De ce fait, il ne faut surtout pas se borner à faire produire des énoncés réducteurs du genre sujet-verbe-
objet, sous prétexte qu’il ne sait pas encore énoncer correctement des phrases complexes.
67 Cette remarque a des conséquences majeures dans le cadre de la didactique et de la pédagogique
générales. Deux ‘écoles’ s’opposent sur ce point : soit l’on considère que l’on ne peut enseigner que ce que
l’on maîtrise parfaitement au préalable (“théorie universitaire”), soit que l’on n’acquiert la parfaite maîtrise
d’un objet d’ensei-gnement qu’en l’enseignant (“théorie normalienne”). Comme pour tout, les conceptions
exclusives sont trop extrêmes. D’une part, s’il est évident que ne rien connaître sur un point à enseigner ne
peut être envisageable, en existe-t-il seulement un qui n’ait jamais été abordé ? Il y a toujours un point de
référence, une grammaire implicite, qui d’ailleurs peut poser problème parce que cela risque d’engluer dans
une pédagogie désuette. D’autre part, qui peut prétendre avoir la maîtrise globale d’une notion ? Tout le
monde sait que plus on apprend et plus on a de choses à apprendre. (Selon le concept philosophique
platonicien, plus on sait et moins on sait.) Certes, très bien maîtriser une notion ne peut que procurer une
aisance pédagogique et permettre d’opter pour la démarche d’acqui-sition appropriée ; mais la prise de
conscience d’une carence ou d’une approximation dans un savoir savant, pendant la préparation et/ou
l’exécution d’une séquence, amène indubitablement à se remettre en cause et à améliorer son savoir et,
conséquentiellement, sa pratique enseignante.
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FoaD – LILA : Acquisition & développement du langage chez l’enfant.
Pensée
notion
Langue
Langage +
Discours
Ainsi, la plupart des psycholinguistes pensent aujourd’hui que la formation d’un concept et
l’acquisition des moyens verbaux nécessaires à son expression sont étroitement liés. En effet, un enfant ne
pourra faire la différence entre « Tous les livres doivent être rangés dans la bibliothèque. » et «
Certains (ou plusieurs) livres ne sont pas rangés. » tant qu’il n’aura pas acquis, au niveau cognitif, la
notion d’inclusion d’une classe dans une sous-classe. C’est dire qu’il faut surtout avoir constamment à
l’esprit que l’acquisition et le développement du langage appartiennent a priori à l’enfant, c’est-à-dire que le
rythme de l’enfant doit toujours être pris en compte avant toute considération d’âge. Ce sera à l’enseignant
de gérer au mieux ce développement du langage par des actions pédagogiques conformes à la maturité
cognitive et linguistique de l’enfant, en vue de l’écarter de l’échec scolaire et d’en faire un citoyen.
© Th. Ponchon
URCA-ESPE
COMPLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
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