De La Pedagogie A Madagascar PDF
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De la pédagogie à Madagascar
Samuel ANDRIAR
Université d’Antananarivo, samuel_andriar@yahoo.fr
ENTREES D’INDEX
Mots clés : pédagogie, éducation, immobilisme, politique
RESUME
Depuis son accès à l’indépendance en 1960, Madagascar a été, au plan de l’éducation, suspendue à
plusieurs modèles pédagogiques, emboitant le pas forcément à l’ancienne puissance coloniale. Après
avoir essayé de faire le tour sur l’évolution de la thématique de la question de pédagogie au plan
théorique, la présente note s’interroge sur le sens et la signification de la pensée sur l’éducation -
c’est-à-dire la pédagogie - à Madagascar ces cinquante dernières années durant lesquelles
modifications ou même renversements sont intervenus.Les analyses ont montré que, au total, en
dépit de leurs foisonnement et avancée dans le monde, elles restent de vœux pieux, ou demeurent
dans le meilleur des cas au stade de l’expérimentation à Madagascar, et, ce faisant, laissent sur les
quais l’espoir des changements souhaités, renforcent paradoxalement l’immobilisme par la pratique
de la pédagogie traditionaliste. Plusieurs raisons expliquent cela : l’aspect philosophique et politique,
la poussée de la démocratisation de l’enseignement, les aspects de la formation et de la
professionnalisation du personnel enseignant, la langue d’enseignement, et les environnements
socioéconomiques et familiaux. Pour pallier cela, quelques pistes de réflexion sur les pratiques sont
alors avancées.
ABSTRACT
Since its access to independence in1960, Madagascar was stuck to several pedagogical models, by
following the colonial step. After studying the evolution and an overall view of pedagogy from a
theoretical point, the present note wonders about the meaning of evolution and the thought on
education that is pedagogy in Madagascar these last fifty years, during which modifications or
reversals were intervened. The analysis show that, altogether, in spite of their number and
expansion, they remain as wishful thinking, or stay at best in experimental step in Madagascar,and,
in so doing, leave on the embankment the hope of desirable change, strengthen, as a contradiction,
the immobilism in practicing traditional pedagogy. Several reasons explain that: philosophical and
political aspect, the pressure of democratization of education, professional training, language
teaching and social/families environment. Some trail of reflection is suggested to compensate that
situation.
TEXTE INTEGRAL
1. Introduction
La pédagogie en général, ou tout le moins en Europe, a de tout temps suscité beaucoup de questions
de la part des gens : des esprits éclairés en la matière ou au contraire des néophytes, des détracteurs
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comme des zélateurs, dès l’Antiquité comme de nos jours. Encore faut-il s’entendre sur le sens du
mot qui connaît et continuera d’avoir une polysémie et un polymorphisme, lesquels vont en
s’amplifiant, somme toute signe qu’elle ne peut être péremptoire et qu’elle vit. Ainsi à Madagascar,
depuis ces cinquante dernières années, l’enseignement et la formation ont suivi le pas engagé dans
divers pays pour des modifications en vue du développement après l’accès à l’indépendance.
A Madagascar, déjà dans les années 60,au lendemain de l’indépendance, l’on pouvait lire sous les
plumes des critiques d’alors, comme Aimé Césaire qui dans Présence Africaine, accuse la France de
tuer la culture malgache en n’en rendant pas la langue officielle. Il en va de même de la déclaration
du Ministre de l’éducation nationale d’alors : « Nul ne craint l’impérialisme culturel français, la
compréhension avec laquelle la France encourage et aide la malgachisation culturelle nous préserve
d’une telle crainte ».Ne faisaient-ils pas de la pédagogie sans le savoir ?
Dans les années 78, l’article 3 de la loi 78-040 qui stipule que « les structures à mettre en place, le
contenu de la formation, les méthodes pédagogiques utilisées, le mode de gestion du système
obéissent aux impératifs d’édification de cette société socialiste malagasy » ne renvoie-t-il pas à la
pédagogie dans la mesure où il y a prescription de ce que l’éducation doit être et devra être menée ?
En effet, la pédagogie pourrait être définie comme réflexion sur l’éducation.
Vingt-cinq ans plus tard, les résultats de l’enquête réalisée par l’agence Capsule le 31 Juillet 2001
auprès de 420 individus dans la capitale sont révélateurs ; 77,6% des Tananariviens ne sont pas
satisfaits des infrastructures de l’enseignement ; 76%sont insatisfaits du système d’éducation, 74%
des moyens mis à la disposition des élèves, 72% du nombre d’élèves par classe, 67% du programme
scolaire et 60,5% du personnel enseignant.
Si l’avalanche de ces chiffres sont plutôt préoccupants pour les esprits éclairés en matière
d’éducation sans pour autant crier au catastrophisme qu’ils pourraient susciter chez les individus, les
autorités en charge des enseignements primaire et secondaire n’ont pas eu le triomphe modeste
après la publication des résultats des examens du BEPC 2001. Pour tout Madagascar,-celui de la
Commune Urbaine d’Antananarivo passant de 28,55% en 2000 à 59,16%- le taux moyen de réussite a
pratiquement doublé, les amenant alors à « passer une interrogation orale sur fond de hausse des
résultats aux examens » dans le traditionnel cadre de présentation des rapports d’activités
ministérielles devant l’Assemblée Nationale.
A la lumière de ces données, on comprendrait alors le sens des propos de Hameline (1985) dans sa
préface de la première édition du livre de Meirieu (1985), quand il rappelait que l’histoire de la
pédagogie est une histoire bégayante. En effet, face à ces résultats miraculeux, l’on serait plutôt
enclin à plus de circonspection que de triomphalisme d’autosatisfaction. En avançant ces réserves, ne
fait-on pas de la pédagogie ? Mutatis mutandis, tout cela ne souligne-t-il pas des changements de la
pédagogie ? La présente note se propose alors de s’interroger sur le sens de l’évolution et de mieux
saisir la signification de la réflexion sur l’éducation-c’est-à-dire la pédagogie- à Madagascar ces
cinquante dernières années durant lesquelles modifications ou même renversements sont
intervenus, et ce après avoir essayé de faire le tour sur l’évolution de la thématique la question de
pédagogie au plan théorique.
Notre hypothèse est que, en dépit d’apparents changements de surface en matière de pédagogie et
des foisonnements en la matière, le processus s’est soldé en un mimétisme stérile des modèles
occidentaux à Madagascar du fait des distorsions entre une pratique ancrée dans l’approche
traditionnaliste et une théorie prétendue d’avant-garde mais toujours privée de moyens. Ce qui, au
total, favorise l’immobilisme que l’on voudrait combattre.
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2. Etat de l’art
Si l’idée de départ paraît plutôt relever d’un mimétisme des modèles en vogue dans le système
français, dans la mesure où Madagascar a été une ancienne colonie, il reste que des spécificités
ponctuées par des évènements sociopolitiques liées à des facteurs économiques appellent à d’autres
perceptions.
En effet, les relations franco-malgaches ont, d’un côté, évolué, et de l’autre, simultanément, la
Grande île s’est ouverte à d’autres courants culturels divers dans le contexte d’une mondialisation
croissante.Cela renvoie nécessairement aux « quelques pensées sur l’éducation »de John Locke
(1882). Soulignons que cette note, en tant que telle, ne peut prétendre à l’exhaustivité. En effet, un
tel cadre ne peut permettre un tel exercice, et perdrait de sa fonction, bien qu’il faille reconnaître
que par endroits, le particulier ou même l’évènementiel ont dû être sacrifiés au profit de l’essentiel.
Aussi, inventorier tous les emplois attestés du terme pédagogie pourrait-il être vain et ce d’autant
qu’un tel exercice serait insuffisant pour mettre au clair les multiples aspects de la polysémie du
concept, devenu à la fois discipline. S’il faut reconnaître qu’il n’y a pas de pédagogie sans contenu, il
semble toutefois que le terme soit perçu et utilisé tantôt comme technique d’éducation, de la
communication des savoirs ou même des modèles de comportement, tantôt comme ayant une
fonction sociale pour se situer dans la culture, c’est-à-dire pour prendre position. Il importe alors
d’en préciser les fondements car tous les problèmes pédagogiques sont à degré différent des
problèmes politiques, desquels émanent les tentatives d’innovation s’il y a, ou plus simplement de
reconduction.
Faut-il d’abord rappeler que, maintes fois,des tentatives ont été déjà effectuées pour une
classification des pensées pédagogiques, montrant par-ci et par là, l’hétérogénéité des courants mais
également leurs liens, voire leur similitude ou même leur opposition, car ils comportent des nuances,
quand bien même, leurs principes généraux seraient les mêmes : modernes dans le discours mais
conservateurs dans la pratique, ou l’inverse. Citons à cet égard Ferdinand Buisson, Claparède,
Decroly, Freinet, Houssaye, ou encore Durkheim et tant d’autres encore.
Terme dérivé du grec apparu en 1495 pour désigner les méthodes d’éducation des enfants,
pédagogie est la réflexion concrète, théorie pratique selon Durkheim sur les conditions de possibilité
de l’éducation des enfants.
Si dans les années d’après la deuxième guerre mondiale, les courants pédagogiques étaient en
général qualifiés de moderne en raison de leur intérêt pour l’enfant, ou encore nouvelle par
opposition à une approche traditionaliste de l’éducation, on peut toutefois noter vers la fin du XXe
siècle qu’il ya un foisonnement de pédagogie.Compléments de noms et adjectifs qualificatifs divers
sont ainsi juxtaposés au terme de pédagogie, amenant plusieurs controverses dont le retentissement
est le risque d’incompréhension. Trop large ou au contraire trop précis, les sens et les définitions
proposés risquent alors de renforcer ou même d’enfermer l’opinion dans ce qu’elle considère
comme pédagogie : les méthodes d’éducation, conception bien sûre erronée qui peut induire
d’autres inepties en la matière.
Tout cela est d’abord forcément lié au statut même de la pédagogie qui, dorénavant, ne devrait être
parlée que si elle est rapportée à la pratique parce que la pédagogie étant une réflexion sur
l’éducation, l’éducation est toute activité concrète ou abstraite ordonnée à rendre quelqu’un capable
de la recherche autonome de ce qui est perçu comme son bien. Avant d’être la chose des lettrés et
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des savants, le pédagogique constitue le reflet des idées communes qu’une époque ou un groupe ont
de l’éducation. En effet, sa fonction est en définitive de permettre de parler d’éducation pour que
celle-ci se forme.
Mais les approches en matière de pédagogie se veulent, au fil des années et des idées, notamment
au plan épistémologique, toujours plus scientifique, ce qui, par ricochet, induit une sorte
d’ambivalence, où il y aurait un rapport de subordination de l’éducation aux sciences humaines. C’est
ainsi que parler de pédagogie amène indubitablement à focaliser l’attention sur trois volets
inséparables que sont l’amélioration des procédures de transmission et d’apprentissage, une
meilleure connaissance du public à éduquer, et l’analyse des attitudes et des relations générées par
l’acte pédagogique lui-même, volets qui somme toute, renvoient actuellement au domaine des
sciences de l’éducation.
L’on ne peut ainsi ne pas parler, même d’une façon sommaire, d’éducation qui est une pratique,
alors que la pédagogie est une réflexion sur celle-ci. Il faut souligner qu’éducation se définit comme
toute activité, concrète ou abstraite, ordonnée à rendre quelqu’un capable de la recherche
autonome de ce qui est perçu comme son bien. Cette précision est nécessaire dans la mesure où, par
ignorance ou par abus de langage, certains usages utilisent pédagogie pour parler des manières de
faire de l’éducation, c’est-à-dire des méthodes qui font l’objet de la didactique.
Il y en a même qui vont jusqu’à parler contradictoirement de « pédagogie des adultes » pour
désigner les méthodes d’éducation des adultes. En effet, d’un côté, déjà, le terme de pédagogie
contient la notion d’enfance, un processus en train de se faire, alors que, de l’autre, le terme adulte
renvoie à un phénomène achevé. Tout cela montre en somme que le terme même de pédagogie est
à la fois trop large et trop ambigu, si bien que son sens ne peut être intelligible que si elle est
accompagnée de compléments de noms ou autres appendices de grammaire normative.
L’on peut ainsi élaborer une classification des pédagogies, et, pour notre part, la suivante en
comporte dix, qui n’est pas forcément exhaustive et où pédagogie est utilisée par commodité. Il faut
remarquer qu’une même pédagogie peut relever d’un ou de plusieurs courants pédagogiques. Elles
peuvent comporter des nuances quand bien même leurs principes généraux seraient les mêmes. Par
ailleurs, l’énoncé d’une pédagogie par un enseignant ne reflète pas nécessairement sa pratique. En
effet, l’écart peut être notoire entre énoncé et pratique : moderne dans le discours mais
conservateur dans son action, ou l’inverse.
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Dans son ouvrage, Durand (1951) compare l’enseignement traditionaliste et la pédagogie nouvelle :
Traditionaliste Nouvelle
- centrée sur l’objet - centrée sur le sujet
-objective/collective -subjective /individuelle
-formelle -intuitive
-analytique -globale
-abstraite -concrète
-statique -dynamique
-développe le dogmatisme -développe le scepticisme
-développe le sens de l’autorité -développe le sens de la liberté
-développe la notion de transcendance-développe la notion d’immanence
et d’absolu et de relativité
-développe l’universel -développe le particulier
-développe l’essentiel -développe l’existentiel
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Cette école de pensée propose une thérapie qui permet de pallier aux nuisances de l’enseignement
traditionnel, mais aussi de soigner les troubles qu’il induit fréquemment. A termes, la visée politique
est l’émergence d’une société capable d’autogestion. En fait, elle apparaît comme un prolongement
du self governement des pédagogies précédentes, mais que prolonge de nos jours Pain (1993) avec
sa pédagogie institutionnelle d’intervention.
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L’histoire de la malgachisation de l’enseignement à Madagascar remonte en réalité au temps de la royauté en
1845, année jusqu’à laquelle tout était dispensé en Anglais après l’arrivée des missionnaires de la London
Mission Society en 1818
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Les lignes directrices de celle-ci sont soulignées par Meirieu(1985, p. 2) pour qui « elle se propose de
mettre en place des processus différenciés d’appropriation des savoirs, respectueux des identités des
élèves et de leur hétérogénéité mais se donnant comme objectif l’acquisition par tous des outils
linguistiques et conceptuels permettant de comprendre et de construire le monde ». Encore faut-il
préciser que des dérives assimilent pédagogie différenciée à celui de méthode voire de technique, de
pratique et de procédé, c’est-à-dire ce que désigne la didactique. Ainsi est- ce à bon droit
qu’Avanzini(1991,158) souligne qu’il faut distinguer entre une pédagogie de la différenciation qui a
pour objet la discussion de la pertinence de celle-ci et la didactique différenciée qui consiste en une
pluralité effective de procédures d’enseignement et de travail scolaire.
« Des études approfondies en sciences de l’éducation menées sous la direction de Legrand
(1986,1995,2005) avec des universitaires ont conduit à considérer la pédagogie différenciée comme
une variante de la pédagogie de maîtrise de Benjamin Bloom, dont l’essentiel est l’encadrement
temporel de l’apprentissage par des prises d’informations objectives avant et après son
déroulement, portant sur les données cognitives et affectives. Contrairement à la pédagogie
classique qui part des programmes a priori et prétend les enseigner de façon semblable aux élèves, la
pédagogie de maîtrise essaie de mettre ces contenus de programme à la portée des individus dont
on connaît les caractéristiques cognitives et affectives avant l’action pédagogique. C’est bien
l’analyse des caractéristiques de départ et des résultats obtenus, c’est-à-dire les connaissances mais
aussi les attitudes affectives, qui est primordiale ».
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Trois phases sont avancées pour traiter chaque situation réelle : phase interdisciplinaire
d’exploration des situations de la vie, phase disciplinaire de traitements des données, phase de
réalisation de mini-projet de développement avec la communauté.
Approche pédagogique nouvelle dirait-on ? En fait, l’APS dans ses objectifs même, peut paraître à
certains égards un exercice de compilation, car ceux-ci figurent déjà dans des concepts et principes
déjà énoncés ici et là. Ainsi en va-t-il de la construction de compétences de Perrenoud (1994), du
learning by doing de Dewey (1968,2004) qui considère le travail scolaire des élèves non pas comme
une activité d’acquisition nécessaire à la vie adulte, mais pour résoudre des problèmes de la via
concrète quotidienne individuelle et sociale, ou encore de l’éducation tout au long de la vie d dont
les sources semblent être apparues dans le vocabulaire anglophone de l’éducation vers 1920. Il en va
de même pour la construction des savoirs, savoir-faire et savoir être par le biais de multiples
réflexions et d’actions sur les situations réelles qui, somme toute, renvoient à une reformulation du
socioconstructivisme, développé par Doise et Mugny(1981) sur la base du constructivisme piagétien
auxquels ils ajoutent une dimension sociale. Il s’agit d’introduire les mécanismes de médiation par
lesquels des facteurs sociaux concourent à la construction même des processus cognitifs, ou encore
celui de Vygotsky (1985) par Schneuwly et Bronckart (1985). Pour ce dernier, dans la notion de zone
proximale de développement à tout moment, il y a le niveau de développement actuel, tel qu’on
peut l’évaluer à l’aide d’épreuves et le niveau de développement potentiel, correspondant à ce que
l’enfant est capable de faire avec l’aide d’un adulte à un certain moment et est capable de réaliser
seul ensuite. Il fait aussi une large place au facteur social dans l’apprentissage car d’une part il insiste
sur l’interaction enseignant- enseigné, et, d’autre part, l’aspect social de la communication est
rappelé à chaque occasion : comprendre la pensée des autres, leurs désirs, leurs besoins leurs
intérêts, leurs sentiments. Dès lors l’approche de Vygotsky est plus descriptive qu’explicative car, si
elle situe l’enfant dans son développement, elle n’apporte pas d’indication sur les manières de le
faire progresser.
La première phase de l’APS comprend sept heures par situation réparties en quelques étapes :
analyse de la situation réelle, analyse d’une situation similaire dans le passé, comparaison du présent
et du passé, recueil d’informations sur les nouvelles technologies ou niveau mode de pensée,
synthèse des idées principales et suggestion de solution. La seconde phase renvoie à toutes les
disciplines scolaires considérées comme outils pour améliorer la situation à problèmes, d’une durée
équitable par situations de quatre à quatre heures et demi de chaque. Les apprentissages
disciplinaires se font par petits groupes ou individuellement et le facilitateur est libre de choisir le
type d’animation qui convient le mieux. La dernière phase consiste à l’élaboration de petites
recherches ou de mini-projets comportant six heures par situation réparties en trois étapes :
préparation, réalisation et soutenance du mini-projet en relation avec la situation réelle de
développement.
La démarche est entreprise par petits groupes de six à dix apprenants, phase pendant laquelle
l’esprit de vie en communauté est le plus manifeste. L’APS paraît alors ronflante dans ses principes.
En effet, l’on peut constater qu’elle ressemble à un glissement de la PPO et de l’APC fusionnées. Elle
renvoie au total à une approche culturelle, mais aussi curriculaire de l’éducation. Faut-il rappeler en
effet que l’on peut retenir deux grands types d’approche curriculaire. Le premier-dont référence est
la PPO- est planificateur et technique avec Tyler (1949) ; en revanche, le second -dont l’APC et l’APS-
est culturel et émane des travaux de Lawton (1983) pour qui cela constitue, pour l’individu actant
social, une ouverture de l’apprenant aux autres et à la société dans sa globalité par des types
appropriés de connaissance et d’expérience. Mais apparemment, comme nouveauté pédagogique,
jusqu’à maintenant, l’APS, en dépit des formations d’enseignants semi-spécialisés, a tourné court, à
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cause des évènements socio-politiques de 2009, et, de ce fait, demeure inconnue et ignorée du
monde de l’éducation à Madagascar. Et là encore, seule demeure la méthode traditionnelle.
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objet de discerner le sens d’une pratique, la signification et l’orientation de cette pratique qui ne
peut pas être suspendue, elle est inscrite dans la dynamique des sociétés. Cette dynamique n’est pas
seulement rationnelle car met en œuvre des personnes, des valeurs. Cette pratique n’est pas
simplement l’application d’une doctrine et qui comporte tous ses aspects rationnels et- irrationnels
et requièrent la nécessité de réfléchir sur sa démarche réflexive. Il faut une critique, non pas de
condamnation mais de compréhension, d’évaluation et de jugement.
La deuxième est la position des valeurs, l’argumentation sur les valeurs. En ce sens, en éducation la
philosophie est une axiologie. La deuxième réflexion est une fonction normative, doctrinale qui relie
la conception de l’éducation à la destinée de l’homme. D’où la fonction de la philosophie par rapport
à l’éducation ;
En fait, Andriar (2007) a déjà montré que les philosophies de l’éducation perçues et analysées des
diverses lois sur l’éducation à Madagascar (1960,1962,1978,1994,2004,) amènent à constater les
mêmes impasses qui font que l’institution scolaire oscille entre plusieurs approches scolaires
dualistes sur la finalisation de l’éducation, lesquelles se soldent par les(re)formulations des mêmes
réformismes, et dont sont connues par avance les retombées négatives. Il y a tout simplement un va-
et-vient circulaire entre inexistence de finalités et de modèles didactiques, et qui nourrit
l’immobilisme et par suite, l’échec du système. Tout cela va entraîner le réformisme ou encore des
innovations apparentes car vaines tant il y a tout simplement des remous et des effervescences de
surface en dépit d’une opportunité politique qui s’était présentée.
Or, choisir une pédagogie, c’est d’abord prendre position. Ce qui montre que la pédagogie est une
fonction sociale et que, en définitive, les problèmes pédagogiques débouchent sur des problèmes
politiques et sociaux. Ainsi, de proche en proche, on en est amené à essayer d’établir le rapport entre
la pédagogie et le pouvoir.
Faut-il rappeler que l’acte pédagogique proprement dit figure parmi les actions d’influence et qu’en
ce sens, elle exerce d’une façon durable et profonde sur la personnalité d’un individu par
l’organisation et l’encadrement des personnels à l’occasion même de pédagogie de masse, dans les
systèmes religieux et au niveau des doctrines politiques pour inculquer des principes de vie, ou de
style de pensées. La différence réside surtout dans les manières d’exercer une influence
pédagogique, autrement dit à travers les pratiques et les discours tenus par l’enseignant, c’est-à-dire
celui dont on ne devrait pas douter de sa parole devenue sacrée de par les contenus culturels qu’ils
vectorisent. Il est le représentant du savoir, le porteur, le médiateur de ce legs culturel qui va être
transmis de génération en génération, de telle sorte que le point d’arrivée d’une génération coïncide
avec le départ de la précédente, et, fait que l’éducation puisse apparaître comme une sorte de
reconstitution de l’histoire de l’humanité passée.
En effet, le professeur est le symbole du savoir et des connaissances et représente l’autorité
pédagogique par excellence. Or, par rapport à l’élève, cette relation sociale dissymétrique reste un
rapport de force. Mais, en réalité, interrogeons-nous avec Snyders 1973) s’il existait une relation
pédagogique où serait complètement absente l’autorité ? En effet, il ne faut pas oublier que la
relation d’autorité, qu’elle soit selon Bourdieu et Passeron (1970) d’inspiration sociologique ou socio-
psychanalytique selon Mendel (1971,2002), n’est que le masque d’un rapport de forces de
domination ou de répression. D’où l’apparition des thèmes autour de la crise de l’autorité, ainsi que
du refus de l’arbitraire pédagogique, voire une désacralisation de l’autorité.
Cet aspect de la relation pédagogique renvoie au débat sur l’ouverture ou la fermeture de l’école à la
vie pour s’y préparer dans tous les cas. Autonomiser le sujet apprenant signifie-t-il lui permettre de
prendre des initiatives, c’est-à-dire choisir son régime de valeurs sur telle ou telle modalité, ou au
contraire, comme dans la philosophie de l’essence, faire adhérer le sujet par lui-même dans ce qui
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devrait être ? Et c’est la recherche de cette légitimité pédagogique qui agite beaucoup d’enseignants
et les amène à papillonner à travers différentes pédagogies, volant de la mutation au sauve-qui-peut
selon Avanzini (1991). En fait, les alternances politiques n’ont pas entraîné les changements
souhaités et escomptés. Cela s’accompagne à chaque fois de la stagnation des fins et des moyens,
faisant en sorte que chacun se lance dans des innovations pirouettes, pour se retrouver là d’où on
était parti. L’éducation devient alors le centre d’un débat : descriptif au plan de la sociologie et
prescriptif au plan de la pédagogie.
Cet aspect philosophique va de pair avec le développement du thème de la démocratisation dans les
projets révolutionnaires pédagogiques et éducatifs. Autrement dit, cela s’accompagne de problème
d’ordre politique. Choisir et définir des contenus et des curricula n’est pas un processus socialement
neutre car ne dépend pas des seuls éléments techniques, scientifiques et didactiques liés à la
transmission des savoirs et des connaissances. Si d’un côté on vise à la démocratisation du savoir
dans une visée de changement social progressiste, de l’autre, on vise à l’épanouissement de chacun,
à la prise de responsabilité dans la vie sociale. La politique de démocratisation va entraîner les
effectifs pléthoriques d’élèves dans les classes de sorte que la seule porte de sortie pour l’enseignant
reste la pédagogie traditionaliste.
Mais qu’est-ce que la démocratie en éducation ? Si dans son sens premier, elle repose sur les
principes de la justice, dans le domaine de l’éducation, la préparation de la démocratie de demain
passe par la démocratie à l’école. Elle serait une forme vide sans une relation pédagogique fondée
sur la liberté et l’esprit de tolérance, éléments nécessaires pour avoir des individus capables de vivre
la même humanité, de développer des attitudes et des comportements respectueux de la différence,
et d’accepter l’autre dans un ensemble hétérogène culturellement et socialement avec un esprit
d’ouverture et de partage.
Néanmoins, cela ne s’auto réalise pas. Ainsi, pour Claparède, Cousinet, Dewey et Ferrière(1997)ainsi
que tous ceux qui s’inscrivent dans le mouvement de l’Education Nouvelle, plusieurs idées occupent
une place centrale dans leurs théories éducatives :le développement, l’expérimentation sur le plan
tant matériel qu’intellectuel et social, l’ouverture à l’environnement .L’apprentissage par la
résolution de problèmes de la vie courante nécessite alors le rejet des programmes scolaires rigides,
et la notion de curriculum prend le pas sur la notion de programme
Mais s’il est patent d’affirmer qu’il est urgent de définir une politique de l’éducation, de réinventer
une stratégie et de formuler un projet, il faut surtout s’interroger sur les raisons pour lesquelles cela
ne se fait pas. Peut-être faudra-t-il pour ce faire imiter Montesquieu chez qui, en dépit de son
infirmité liée à la perte de son organe sensoriel périphérique qu’est son œil, la vision des idées
s’exalte par compensation !
De tout cela, on peut alors avancer que l’immobilisme serait l’enjeu de deux représentations des
rapports entre pédagogie et politique. Chez Avanzini (1991, p. 15), « pour le traditionnel, ce sont les
innovations introduites par les éducateurs éclairés qui, par diffusion et expansion horizontale
induiraient lentement le progrès des conditions de la vie collective ;traitant en revanche cet espoir
comme erroné ou chimérique, les théoriciens du second assurent que la révolution politique
conditionne et précède nécessairement tout changement scolaire ».Si le second suspend leur succès
et leur invention à une restructuration globale, le premier soutient que l’essor des nouveaux modèles
d’enseignement s’effectue par contagion.
Un autre élément d’explication sur lequel bute le fonctionnement des différentes pédagogies à
Madagascar résiderait aussi dans l’acception et la mise en œuvre de la formation et la
professionnalisation du personnel enseignant.
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Le modèle qui a supplanté la formation des enseignants à Madagascar reste la formation classique
traditionnelle, héritée des anciennes normales d’instituteurs, où une place importante est réservée à
l’observation de l’institution scolaire et à la pratique : c’est ce qu’on entend encore à l’ENS (Ecole
Normale Supérieure) par « stages d’observation » et « stage en immersion ou en responsabilité ».A
terme, ce processus a engendré une forme de compétition comme le dit Goguel (2006). Mais il faut
souligner que peu à peu a été introduite la formation scientifique fondée sur une étude approfondie
des disciplines de base, à quoi s’ajoute l’étude des caractéristiques du fonctionnement de l’individu
et du groupe et l’on conclut par l’étude d’un problème et de la façon pour y remédier. En fin, cela est
confronté à la réalité du terrain, pour essayer de voir une vision complémentaire entre formation
théorique et pratique ; c’est ce va-et-vient qui va améliorer la pratique effective. C’est ce que
développe également Ranovona (1983)
L’on en arrive ainsi à des formations en fonction des compétences attendues, qui se distinguent de la
formation traditionnelle par les aspects suivants :
- le critère du succès est la réussite d’actions éducatives et nonla qualité des connaissances
théoriques
- chacun se forme à l’allure qui lui convient
- la formation ne commence pas au même point pour tous, mais là où chacun est arrivé
- Il y a effort pour tenir compte des différents styles d’apprentissage.
L’on a pu ainsi constater au sein de l’INSRFP (Institut National Supérieur de la Recherche et de la
Formation Pédagogique) et de l’ENS, des pratiques de simulations d’enseignement associées à des
pratiques d’autoscopie. Les premières donnent à l’individu la possibilité d’avoir des informations sur
des situations ou sur les problèmes et offrent le double avantage de pratiquer sans devoir se rendre
sur le terrain, et porter atteinte aux apprenants par des comportements éventuellement maladroits.
En revanche, les secondes permettent de se voir et de s’entendre soi-même. Mais cette auto-
observation requiert du formateur des connaissances pédagogiques solides, mais surtout une
expérience approfondie des techniques de modifications comportementales.
Enfin, pour ce qui est du micro-enseignement, au départ, le modèle est de Skinner (1971):
- un apprentissage individualisé
- proposition d’un modèle comportemental précis
- possibilité de répétition à volonté pour imiter ce modèle
- évaluation immédiate par le professeur et les condisciples
- avancement progressif
Toutefois, la pratique de celui-ci a rapidement évolué comme le résume Brusling cité par Altet et
Britten (1983,2003) .Centrée au départ sur le professeur, la procédure a eu tendance à se centrer
davantage sur l’élève
- d’objectifs comportements indépendants des disciplines enseignées, elle s’est ouverte
davantage à des objectifs spécifiques à celles-ci
- de l’apprentissage d’habiletés simples et isolées, elle s’est orientée vers un apprentissage
d’habiletés intégratives
- d’objectifs préalablement définis, elle s’est tournée vers une participation active des
stagiaires dans la formulation des objectifs
A cela s’ajoutent le coût élevé, voire prohibitif du matériel, la difficulté de réunir des petits groupes
d’élèves au moment opportun et le temps nécessaire pour observer plusieurs fois les élèves
professeurs et qui constituent autant d’éléments négatifs pour l’expansion du micro-enseignement.
Tout cela nous amène à conclure que trouver la meilleure formule pour former les enseignants ou
mieux les aider à se former n’est ni facile ni gagné d’avance. En effet, il est difficile d’apprécier la
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valeur d’un professeur en raison de la multiplicité des critères et des jugements de valeur possible
d’où la rareté des évaluations fiables relatives aux effets des innovations relatives à la formation des
enseignants.
Ce n’est qu’à partir des années 1980, lors de la création des Ecoles Normales Niveau III, les ENS
actuelles, qu’apparaissent dans les contenus de formation, les aspects formels d’initiation à la
recherche en éducation. Là encore, bien qu’il y ait une avancée considérable par la réflexion
contemporaine sur l’approche qualitative de la recherche, l’analyse clinique et l’étude de cas sont les
démarches privilégiées. Les recours préférés sont plutôt les observations directes, les entretiens
structurés ou libres, au lieu des traits isolés, des grilles d’observations et d’épreuves standardisées
de la recherche quantitative. Mais il nous semble que, dans la réalité, il faudrait plutôt, tout au plus,
parler de recherche-action technique si le vœu est celui d’une recherche- action à la fois participation
et impliquée.
Enfin, pour reprendre le triangle pédagogique de Houssaye (1993), le processus apprendre a aussi
des impacts sur la non expansion des différentes pédagogies à Madagascar. En effet, un apprenant,
doit aller souvent contre sa conception initiale d’une chose s’il veut apprendre. Or, l’apprentissage
d’un concept n’est pas toujours évident pour lui. Il s’agit donc de (re)définir le rapport que l’élève a
avec le savoir. Pour structurer son savoir, celui-ci doit donc procéder à des déstructurations d’abord.
Mais les interventions des enseignants, sur la base d’un enseignement plus expositif que
démonstratif de par la formation qu’ils ont reçue, sont presque enfermées dans les démarches des
questions-réponses, les amenant parfois à des harcèlements pédagogiques. Pourtant, afin de
préparer une situation d’apprentissage, les questions de base sont d’après Ba h(1993) :
• Niveau de complexité : quels sont les attributs essentiels, les attributs secondaires ? Quel est
le niveau de compréhension recherché ? Pour qui ?
• Niveau de validité : Pour faire quoi ? Dans quel champ d’application ? Dans quels contextes
l’apprenant doit-il utiliser ce savoir ? Quel est le transfert recherché ?
• Niveau d’abstraction du concept : Comment ce savoir s’inscrit-il dans un réseau conceptuel ?
Comment est-il situé par rapport à d’autres concepts dans le même domaine ? Quels sont les
concepts les plus centraux dans ce réseau (concepts organisateurs) vers lesquels il faut
tendre ?
• Niveau d’interrelation : quelle est la relation entre les attributs qui définissent le concept ?
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la transmission culturelle. Les textes littéraires, l’histoire littéraire forment des modèles qui, loin des
préoccupations quotidiennes des enseignants pour écrire et parler le français, vont en fait précipiter
l’absence de la maîtrise de la langue comme un objectif en soi, voire un préalable. En effet, on est
passé à la maîtrise du discours, qui compose la grammaire en trois strates complémentaires : la
phrase, le texte, le discours, problématiques qui répondent beaucoup mieux au contexte actuel qui
requiert une dynamique communicationnelle. C’est ainsi qu’au plan pédagogique, dans les classes,
de nouvelles pratiques prennent le pas sur les schémas classiques : cours, exercices d’application,
correction par le professeur. La tendance actuelle est, bien sûr, tournée vers l’ouverture à la
formation de la personne et à l’intégration sociale. Mais ,pour les élèves professeurs actuels , la
démarche paraît encore timide, car encore dominée par les pratiques des enseignants de la
génération précédente qui ,faute de recyclage, d’actualisation des connaissances, ou même d’un
certain ras-le-bol face aux attitudes des décideurs successifs en matière d’éducation, ont du mal à
maîtriser la nécessaire dialectique entre savoir et savoir-faire,d’autant plus qu’est requis un
processus enseigner autrement, puisque les compétences ne s’enseignent pas directement.
Mais avec Dumont (1996) le problème relatif à l’enseignement du français n’est pas simplement à
caractère pédagogique, à Madagascar, comme le montre également Randriamasitiana dans ses
travaux (2005a, 2005b). En fait, le débat porte d’abord sur le statut de la langue locale. Si certains
praticiens du français lui refusent le terme langue, en dépit d’études qui en évaluent le degré de
convergence et de divergence des parlers locaux, il reste qu’aujourd’hui une distinction est faite
entre langue orale et langue écrite, mais aussi entre parlers locaux, langue nationale et langue écrite
officielle administrative. C’est dire que les choix d’une langue d’enseignement à Madagascar ont
toujours été basés sur des critères politiques. Au lieu de s’occuper des manières d’apprendre des
élèves et de psychologie génétique, les regards portaient plus sur la possibilité d’affecter l’image
colonisateur /colonisé. Aussi malgachisation à outrance et francisation sont toutes deux aveugles aux
besoins réels des élèves : il faut noter que cette oscillation relative à la prééminence d’une langue a
des sens opposés.
Si le choix du français correspond à une politique assimilatrice, à l’inverse, celui du malgache reflète
le souci de l’unité nationale, ou encore le désir des langues ethniques d’être reconnues comme la
langue merina. Mais, au-delà de ces aspects, un autre problème est que les changements intervenus
dans le passage d’une langue à une autre dans les programmes scolaires s’est fait sans référence à la
psychologie génétique ou à l’épistémologie comparative des disciplines et n’a encore fait l’objet
d’aucune expérimentation, ni pour en vanter les mérites, ni pour en dénoncer les travers. Du fait de
cette absence, la querelle entreceux qui soulignent l’importance de développer des communications
fonctionnelles et ceux qui attachent davantage d’importance à l’étymologie des termes employés,
reflète le fait qu’il n’y a pas prise en compte de la relativité sociale de l’usage du français ou du
malgache.
Le schéma le plus fréquent est alors que, les enseignants tendent d’abord à exposer en français et à
expliquer en malgache ; autrement dit, communication écrite en français et communication orale en
malgache; ce qui ralentit le raisonnement et le progrès de l’élève, d’autant plus que les enseignants
ne dominent pas la langue française et rencontrent davantage de difficultés pour identifier les pièges
linguistiques susceptibles d’amener les élèves à commettre des erreurs. Ainsi tout se passe comme si
les vertus et les vices prêtés à la malgachisation des programmes et de la langue d’enseignement
servent ainsi souvent à flatter des motivations nationalistes pour mieux dissimuler la continuation
des avantages acquis par certains groupes sociaux.
En dernier lieu, il faut souligner que la capacité à maîtriser la langue d’enseignement qu’est le
français demeure intimement liée et tributaire du poids des facteurs sociodémographiques,
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économiques et familiaux sur le système éducatif malgache. Avec une population majoritairement
rurale (8O%) et un rythme de croissance annuelle moyen de près de 3% entre 1993 et 2014,
Madagascar fait partie des pays d’Afrique de l’est où la population croit à un rythmeencore élevé. Les
statistiques du RESEN (Rapport d’Etat du Système Educatif National) montrent que le taux
d’alphabétisation des individus de 15 ans et plus est estimé à 71,6%, le taux d’analphabétisme de
28,4% touche les ménages les plus pauvres et avoisinait le double il y a trente ans. Or, c’est
précisément chez les couches sociales défavorisées au faible niveau d’instruction que les dépenses
en matière d’éducation sont les moins importantes. Selon les enquêtes ménages, les questions
financières sont apparues comme étant une des cinq premières raisons de non scolarisation et de
déscolarisation des enfants. Dans ces milieux, dans ces conditions, les questions d’ordre pédagogique
sont reléguées au second plan car dans leur représentation, cela reste classé affaire des enseignants,
renforçant ainsi le primat accordé à la pédagogie traditionaliste, et qui, au demeurant, constitue le
refuge et le repli pour beaucoup d’enseignants en mal de travail et n’ayant reçu aucune formation
pédagogique mais qui exercent dans les milieux ruraux. De tels constats amènent alors à parler, pour
reprendre Randriamasitiana (2010) d’école d’intégration à école d’exclusion. Au total, la
conséquence est la décadence généralisée des divers taux et indicateurs relatifs à l’éducation (accès,
rétention, achèvement, transition, scolarisation, efficience éducative, efficacité interne et efficacité
externe.
Les éléments soutenant l’idée des différentes pédagogies à Madagascar peuvent être reflétés à
travers le tableau suivant décrivant les méthodes pédagogiques à Madagascar de 1960 à nos jours et
qui sont en fait caractéristiques d’un période donnée.
Ce tableau montre qu’à Madagascar, les méthodes dites nouvelles englobant tout ce qui était
opposé à la traditionnelle ont pratiquement toutes été mobilisées à la suite de controverses
politiques au plan national pour des alternances politiques.
En 1972, à la chute de la 1ère République, le vent du nationalisme contre toute forme d’hégémonie
culturelle notamment néocolonialiste a soufflé sur les braises d’une malgachisation entendue
comme aspiration aux besoins réels des malgaches alors que dans la pratique, cette dernière s’est
soldée au final par l’application de méthodes d’enseignement inspirées de la simple malgachisation
de la langue d’enseignement suivie surtout de traduction littérale de termes scientifiques et
techniques, habillées pédagogiquement parlant de fonction de concrétisation.
En 1991, à la fin de la 2ème République, lasse de gargarismes idéologiques progressistes et
sociologiques de cette période, l’opinion des malgaches en matière d’éducation voulait couper court
à toute forme d’idéologie pour marquer une orientation vers un libéralisme culturel, mais peut-on
vraiment à proprement parler le faire ? Car il n’y a pas que la politique comme idéologie. Pour ce
faire, l’introduction de la PPO comme méthode pédagogique dans les écoles primaires s’est faite par
le biais de la production des manuels pédagogiques Garabola, Haivola, Rosovola, et Kingavola afin
d’éviter de se contenter des vieux manuels français. Or comme dans beaucoup d’autres pays, le
manuel reste le principal outil et support de l’enseignement/apprentissage, c’est-à-dire de référence
en matière de méthode que cela soit pour le professeur ou pour l’élève. Mais le manuel soulève
également le problème de la langue d’enseignement, car la part du malgache et du français, bien que
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langues officielles conformément à la parité qu’en ont entretenu les décideurs successifs n’est pas
toujours comprise et claire pour tout le monde : conséquence, la mise en œuvre demeure disparate.
En 2002, après les soubresauts sociopolitiques mettant fin à une décennie de ses premières années,
la 3ème République s’ouvre, en matière d’éducation vers de nouvelles méthodes ou, plus précisément,
d’approche méthodologique qu’est l’APC, dans la mesure où celle-ci retrouve à la fois philosophie et
habilités à acquérir et à maîtriser. Simultanément est introduite l’idée d’une troisième langue
officielle avec la complexification que cela entraîne au niveau même de son application pour en
prétexter l’impérieuse nécessité face à une mondialisation et une globalisation dont on peut se
contenter d’en subir les conséquences.
Enfin, en 2009, les mouvements favorables à la mise en place de la 4 ème République ont sonné le glas
du régime précédent et ont préconisé en matière d’enseignement l’APS, qui comme l’APC, est un
ensemble à la fois de principes et de pratiques basé sur le traitement de situations réelles à
problèmes. Le PIE, document établi pour la recherche de financement en la matière, en reflète alors
le piétinement dans la mise en œuvre.
Or la société malgache commence à comporter des émiettements et est en proie à des
catégorisations, à des politiques sommaires et à l’affrontement de groupes de pression qui tentent
de maîtriser l’Etat, comme des minorités assez fortes pour l’inhiber, mais trop faibles pour favoriser
les changements souhaités. De plus, les objectifs prévus-même dans le Plan intérimaire de
l’éducation tels que l’amélioration de l’environnement scolaire et de la qualification des enseignants
ainsi que des conditions d’apprentissage sont pratiquement les mêmes que ceux déjà formulés dans
l’esprit de la pédagogie traditionnaliste. De même, les enquêtes IPS (Indicateurs de Prestation de
Services) du groupe de la Banque Mondiale menées en 2016 restent toujours focalisées sur la base
de concepts de pédagogie traditionnaliste tels que la disponibilité d’intrants (infrastructures,
matériels de l’enseignant, élèves avec manuels, élèves par classe) et les résultats d’apprentissage.
Mais il faut reconnaître que ce sont toujours des indicateurs probants dans une vision classique
traditionnaliste de la planification de l’éducation.
Autrement dit, au total, l’issue de ces différentes méthodes dites nouvelles se solde par la présence
permanente de la pédagogie traditionnaliste. C’est dire que malgré les apparentes existences de
différentes pédagogies à Madagascar, en réalité, faute de pratiques pédagogiques dans leur mise en
œuvre, elles n’ont eu quasiment que de très faibles percées dans certains cas dans le système
d’enseignement malgache.
Aussi, pour éviter les égarements, les caprices et les improvisations, peut-on alors tirer profit des
expériences antérieures tâtonnées qui peuvent s’avérer porteurs et, surtout, pour les débutants,
servir de substrat, de jalon, de guide de référentiel, pour préserver des attitudes de pure séduction. Il
ne faut pas attendre dans la science du gouvernement que les conditions soient favorables c’est-à-
dire renforcer l’immobilisme dont on sait qu’il naquit un jour de l’ennui et de la routine pédagogique
nosologique des pratiques quotidiennes, si l’on ne veut pas céder à la tentation du discours
idéologiques et aux bavardages sociologiques. Il faut traduire les pratiques possibles en éducation en
général susceptibles d’être mobilisées quotidiennement, montrant par-là que l’éducation est à la fois
psychologie et philosophie en actes du commencer puisque pour le faire, il faut seulement et surtout
du courage.
4.Conclusion
L’objet de la présente note est de s’interroger sur le sens de l’évolution et de mieux saisir la
signification de la réflexion sur l’éducation -c’est-à-dire la pédagogie- à Madagascar ces cinquante
dernières années durant lesquelles modifications ou même renversements sont intervenus. Après
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avoir essayé de faire le tour sur l’évolution de la thématique de la question de pédagogie au plan
théorique, les analyses ont montré que, au total, en dépit de leurs foisonnement et avancée dans le
monde, elles demeurent au champ de l’expérimentation dans la plupart des cas à Madagascar, et,
malgré les changements souhaités, renforcent paradoxalement l’immobilisme dans la pratique de la
pédagogie traditionaliste. Plusieurs raisons expliquent cela : l’aspect philosophique, la poussée de la
démocratisation de l’enseignement, la formation et la professionnalisation du personnel enseignant,
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