Théorie Des Noeuds (1)
Théorie Des Noeuds (1)
Théorie Des Noeuds (1)
Introduction et Polynôme de
Jones
3 Mouvements de Reidemeister 9
6 Le polynôme de Jones 22
6.1 Construction du polynôme de Jones par le crochet de Kauffman . . . . . . . . 22
6.2 Propriétés du polynôme de Jones et applications . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
7 Homologie de Khovanov 26
7.1 Définition des espaces gradués . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
7.2 Définition de la différentielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
1 Introduction
1.1 Approche intuitive
La théorie des noeuds est une théorie mathématique qui est une branche de la topologie et a
pour avantage de s’inspirer du réel. Il s’agit en effet de l’étude des noeuds comme on l’entend
couramment. Pour que le concept soit mieux définit et puisse être utilisé, dans cette théorie
après avoir réalisé notre noeud sur une corde, on prend les deux bouts et on les colle, de
sorte que le noeud ne puisse plus se défaire de manière triviale. Les grands axes de cette
théorie consistent en les questions suivantes : Quand est-ce que deux noeuds sont en réalité
les mêmes ? C’est-à-dire en les manipulant dans l’espace arriver à passer de l’un à l’autre. Et
quand est-ce qu’un noeud est en réalité le non-noeud, c’est-à-dire un simple cercle.
Pour arriver à répondre à ces questions un grand aspect pratique de la théorie consiste à
créer des invariants de noeuds. Cela consiste à associer à chaque noeud une quantité (booléen,
matrice, polynôme...) de sorte que si deux noeuds sont les mêmes alors on leurs associe la
même quantité. En pratique c’est plutôt la contraposée de cette proposition qui est utilisée,
c’est-à-dire que si deux noeuds n’ont pas la même quantité alors ces noeuds sont différents.
Le but de ce rapport est d’établir plusieurs invariants de noeuds dont celui qui tiendra un rôle
principal ici, à savoir le polynôme de Jones.
Définition 1.2. Une isotopie ambiante entre deux noeuds K et K ′ est une application
continue
h : [0, 1] × R3 → R3
(t, x) → ht (x)
Remarque 1.1. Il est important de noter le fait que ht est un homéomorphisme de R3 et non
simplement du noeud. En effet cette définition permet de prendre en compte "l’air" qu’il y a
entre les brins du noeud. Si ce n’était pas le cas en serrant assez fort le noeud, ce dernier serait
1
de plus en plus petit puis finirait par disparaître, et tout ça de manière continue ! C’est une
chose que l’on veut éviter.
Remarque 1.2. On définit les noeuds par le biais d’une application mais en réalité dans la suite,
on confond cette application avec son image dans R3 .
Remarque 1.3. L’isotopie ambiante est la transformation qui permet de dire que deux noeuds
sont les mêmes, on dit alors qu’ils sont équivalents. Si l’isotopie ambiante ne respecte pas
l’orientation on dit que les deux noeuds sont semblables.
Exemple 1.1. Le noeud de trèfle droit et gauche sont évidemment semblables grâce à une
symétrie plane mais sont-ils équivalents ?
L’équivalence de deux noeuds est évidemment une relation d’équivalence et dans la suite ce
que nous appelerons "noeud" correspond en réalité à la classe d’équivalence de ce dernier.
Définition 1.3. On appelle noeud polygonal une ligne polygonal simple fermée dans R3 .
Remarque 1.4. Il est légitime de se demander si cette définition des noeuds, qui nous le verrons
par la suite est beaucoup plus maniable pour savoir si deux noeuds sont les mêmes, est équi-
valente à la définition donnée précedemment. C’est souvent le cas sauf pour certains noeuds
appelés noeuds sauvages mais dont nous ne nous soucierons pas ici. Leur étude est aujour-
d’hui encore très mal comprise. Ainsi la suite de ce document porte sur les noeuds appelés
polygonaux mais que nous nommerons simplement noeud dans la suite.
2
Le noeud ci-dessus est constitué d’une infinité de noeuds de trèfle. On peut montrer que ce
noeud est bien continue est qu’il est en effet fermé. Le point qui semble à première vu poser
problème est appelé un point singulier. On peut alors se poser la question de savoir si les
noeuds sauvages sont une exception et si ils sont courants ou non. Malheureusement pour
nous, J. Milnor a montré que en un sens, presque tout les noeuds sont sauvages.
Il semblerait en revanche qu’avec une légère condition de régularité on puisse retouver des
noeuds apprivoisés. C’est le résultat suivant qui nous l’affirme.
Démonstration. Considérons K un noeud dans R3 donné comme l’image d’une fonction dif-
férentiable périodique à valeurs vectorielles p(s) = (x(s), y(s), z(s)) de longueur d’arc s dont
la dérivée p′ (s) = (x′ (s), y ′ (s), z ′ (s)) existe et est continue pour tout s. La période l est la
longueur de K
Si p1 et p2 sont deux vecteurs de R3 l’angle entre eux est donné par :
p1 · p2
< (p1 , p2 ) = cos−1 .
∥p1 ∥∥p2∥
Considérons trois réels s0 , s1 , s2 qui satisfont s0 ≤ s1 < s2
De Z s2 Z s2 Z s2
p′ (u)du = p′ (s0 )du + (p′ (u) − p′ (s0 ))du
s1 s1 s1
s’ensuit
p(s2 ) − p(s1 ) = (s2 − s1 )(p′ (s0 ) + Q), (1)
où
1 Z s2 ′
Q= (p (u) − p′ (s0 ))du.
s1 − s2 s1
Puisque la paramétrisation est faite par rapport à la longueur de l’arc
On a,
|1 − ∥Q∥| ≤ ∥p′ (s0 ) + Q∥ ≤ 1 + ∥Q∥,
et donc,
∥p′ (s0 ) + Q∥ = 1 + q
pour un nombre q qui satisfait |q| ≤ ∥Q∥. Finalement,
Choisissons un ϵ ≤ 21 . Puisque la dérivée p′ (s) est continue et est même uniformément continue,
il existe δ > 0 tel que si |s − s′ | < δ alors ∥p′ (s) − p′ (s′ )∥ < ϵ. En conséquence, on impose la
restriction s2 − s0 < δ.
S’ensuit Z s2
(s2 − s1 )∥Q∥ = ∥ (p′ (u) − p′ (s0 ))du∥ ≤ (s2 − s1 )ϵ,
s1
et
|q| ≤ ∥Q∥ ≤ ϵ. (3)
En divisant (1) par (2), on obtient
p(s2 ) − p(s1 )
= p′ (s0 ) + P, (4)
∥p(s2 ) − p(s1 )∥
3
où
Q − qp′ (s0 )
P = .
1+q
Puisque q ≥ −ϵ ≥ − 21 , nous avons 1
1+q
≤ 2. Donc,
Nous pouvons donner deux conclusions des équations du paragraphe précédent. La première
est un corollaire immédiat de (2) et (3), qui est
La deuxième conclusion qui est l’élément principal pour prouver le caractère apprivoisé de K
est
Lemme 1.6. Pour tout angle α > 0, il existe δ > 0 de sorte que pour tout s, s′ , u , u′
dans un intervalle de longueur δ et tels que s < s′ et u < u′ ,
s0 = min{s, s′ , u, u′ },
s’ensuit
p(s′ ) − p(s)
= p′ (s0 ) + P, ∥P ∥ ≤ 4ϵ,
∥p(s′ ) − p(s)∥
p(u′ ) − p(u)
= p′ (s0 ) + P ′ , ∥P ′ ∥ ≤ 4ϵ.
∥p(u′ ) − p(u)∥
Donc,
p(s′ ) − p(s) p(u′ ) − p(u)
· = 1 + q̄,
∥p(s′ ) − p(s)∥ ∥p(u′ ) − p(u)∥
où
q̄ = p′ (s0 ) · (P + P ′ ) + P · P ′ .
En conséquence,
|q̄| ≤ ∥P ∥ + ∥P ′ ∥ + ∥P ∥∥P ′ ∥ ≤ 8ϵ + 16ϵ2 ,
qui peut être rendu arbitrairement petit. Finalement, cos < (p(s′ ) − p(s), p(u′ ) − p(u)) peut
être rendu arbitrairement proche de 1, et le lemme en découlle.
Nous allons nous pencher sur l’argument principal pour dire que K est apprivoisé. On prend
deux points p, p′ ∈ K, arc(p, p′ ) est l’arc de longueur la plus courte entre eux le long de K.
Noter que si |s − s′ | ≤ l/2, où l est la longueur total du noeud, alors arc(p(s), p(s′ )) = |s − s′ |.
On considère la fonction f : K × K → R définie par
∥p − p′ ∥/arc(p, p′ ), p ̸= p′ ,
(
f (p, p ) =
′
1, p = p′ .
4
On a montré que le rapport entre la longueur de la corde et la longueur de l’arc se rapproche de
1 lorsque ce dernier se rapproche de 0. Par conséquence, f est continue. Puisqu’elle est positive
et que son domaine est compact, elle atteint un minimum positif m. Alors,
∥p − p′ ∥ ≥ m arc(p, p′ ), p, p′ ∈ K. (6)
Nous prenons maintenant un angle positif α0 < π/4 tel que tan(α0 ) < m/2. Pour cet angle
α0 , on choisit un δ en accord avec le lemme précedent. Soit n un entier naturel assez grand
pour que l/n < δ/2, et des réels {si }∞ i=−∞ tels que si+1 − si = l/n. Notons que p(si ) = p(sj )
si et seulement si i ≡ j (mod n), donc l’ensemble {p(si )}∞ i=−∞ représente exactement n points
du noeud. Pour chaque si , on forme le double cône Ci , d’angle de sommet α0 dont l’axe est la
corde joignant p(si ) et p(si+1 (voir figure).
Propriété 1.7. Des cônes adjacents s’intersectent uniquement en leur sommet commun.
Démonstration. Puisque si+2 − si = (si+2 − si+ ) + (si+1 − si ) < δ il s’ensuit que l’angle aigu
entre les axes des cônes Ci et Ci+1 est plus petit que α0 qui est à son tour plus petit que π/4.
L’angle du sommet du cône est α0 . Ainsi, il n’y a aucune chance d’intersection à part en le
sommet.
Démonstration. On a
Propriété 1.9. Pour chaque section perpendiculaire D d’un cône Ci , il y existe un unique
s dans l’intervalle [si , si+1 ] tel que p(s) ∈ D.
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Propriété 1.10. Deux cônes non adjacents sont disjoints.
Démonstration. Supposons le contraire, i.e., on suppose qu’il existe des cônes non adjacents
Ci et Cj et un point p dans leur intersection (voir figure). Soit p(s) le point avec si ≤ s ≤ si+1
dans le plan qui contient p et qui est normal à l’axe de Ci . On considère le point analogue pour
Cj qui est p(s′ ). Alors, !
l
∥p(s) − p∥ ≤ tan(α0 ),
n
et la même inegalité s’obtient pour p(s′ ). Puisque Ci et Cj ne sont pas adjacent le long de K,
nous savons que nl ≤ arc(p(s), p(s′ )). Ainsi,
∥p(s) − p(s′ )∥ ≤ 2 arc(p(s), p(s′ )) tan(α0 ) < m arc(p(s), p(s′ )).
Cela contredit (6), et la proposition est prouvée.
La preuve que K est apprivoisé est presque finie. Il suffit simplement de vérifier que, pour
chaque double cone Ci , il existe un homéomorphisme hi de Ci sur lui-même qui est l’indentité
sur la frontière et qui applique K ∩ Ci sur l’axe. Grâce à 1.8 et 1.9, la construction d’une telle
application n’est pas dure. On considère arbitrairement un disque fermé D de centre p0 . On
inclut la possibilité que D soit dégénéré, soit D = {p0 }. Pour chaque point intérieur p de D,
une application gD,p : D → D est définie en faisant correspondre tout rayon joignant p à un
point q sur la circonférence de D linéairement sur le rayon joignant p0 à q tel que p → p0 et
q → q, (voir figure).
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C’est évident que gD,p est un homéomorphisme de D sur lui-même qui laisse sa circonférence
fixée et applique p sur p0 . De plus, gD,p (p′ ) est simultanément continue en p et p′ .
Retournons au double cône, on considère un point p ∈ Ci . Soit p(s) l’intersection du noeud K
avec le plan contenant p et normal à l’axe de Ci . Ce plan intersecte Ci en un disque (dégénéré
dans les deux points extrêmes) que nous notons Ds . L’homéomorphisme désiré hi est définie
par
hi (p) = gDs ,p(s) (p).
L’existence et l’unicité de p(s) comme un point intérieur de Ds est une conséquence de 1.9 et
de la preuve de 1.8. La dernière étape est l’extension de hi en une seule application h de R3
sur lui-même qui est définie par
si p ∈
( S
p, / i Ci ,
h(p) =
hi (p), si p ∈ Ci .
Un tel h définie bien un homéomorphisme grâce à 1.7 et 1.10 et prouve aussi que les ho-
méomorphismes hi sont l’identité sur la frontière des cônes. On conclut que le noeud K est
apprivoisé.
Définition 2.1. Si K est un noeud orienté alors le noeud d’orientation opposée noté −K
est appelé l’envers de K.
r : R3 → R3
(x, y, z) → (−x, −y, −z).
Remarque 2.1. Le noeud miroir est simplement le noeud obtenu en inversant tous les croise-
ments du noeud.
Définition 2.3. On dit qu’un noeud K est un noeud miroir si il est équivalent à K ∗ .
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Figure 4 – Le noeud de huit est un noeud miroir
Remarque 2.2. Comme on peut le remarquer dans le début du document, le noeud de trèfle
droit et gauche sont miroir l’un de l’autre et on leur donne des noms différents. On peut donc
penser que ces deux noeuds sont différents. C’est en effet ce que nous montrerons dans la suite.
2.2 Entrelacs
Définition 2.4. Un entrelacs est une union disjointe de noeuds. Chaque noeud est appelé
composante de l’entrelacs. Le nombre de composante d’un entrelac est appelé multiplicité
de l’entrelacs.
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Figure 7 – Anneaux de Borromée
Définition 2.5. Une projection de noeud est dite régulière si a aucun moment trois points
ne sont projetés sur le même point et aucun sommet ne coïncide avec aucun autre point
du noeud. De plus si on indique sur la projection quel brin passe en dessous de l’autre on
appelle le résultat obtenu un diagramme de noeud.
La question cruciale est de savoir si il est toujours possible de trouver une projection régulière
pour un noeud. La réponse est oui et c’est le sens du théorème qui va suivre, mais on ne donnera
pas de démonstration de ce dernier car cela n’apporte pas beaucoup à notre étude.
Théorème 2.6. L’ensemble des projections régulières d’un noeud est un ouvert dense.
On peut voir une projection comme si on regardait l’ombre du noeud sur un mur que l’on
éclaire avec une lampe. Ce théorème signifie que lorsqu’on a une projection régulière on peut
déplacer un peu la lampe dans toute les directions et la projection restera régulière et que si
on a une projection non régulière alors on peut effectuer un déplacement aussi petit que l’on
veut dans une direction bien choisie et la projection deviendra régulière.
3 Mouvements de Reidemeister
On peut se demander dorénavant si le fait d’avoir projeter les noeuds sur un plan permet de
simplifier le problème de savoir si deux noeuds sont équivalents.
Définition 3.1. Soit N un noeud, a et b deux sommets consécutifs de N . Les deux opé-
rations suivantes sont appelées des isotopies élémentaires :
1. Soit p un point de R3 choisi de telle sorte que le triangle apb ne rencontre N qu’en l’arête
ab. On définit un autre noeud N ′ en remplaçant l’arête ab par ap ∪ pb. Notons que cette
opération est permise même si le triangle apb est dégénéré, pourvu que p appartienne à
l’arête ab.
2. C’est l’opération inverse de la précédente. Soient a,b et c trois sommets consécutifs du
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noeud N tels que le triangle abc ne recontre N qu’en ab ∪ bc. On remplace la réunion ab ∪ bc
par ac.
Définition 3.2. Deux noeuds sont dits isotopes s’ils se déduisent l’un de l’autre par une
suite finie d’isotopies élémentaires.
Théorème 3.3. Deux noeuds sont équivalents si et seulement si ils sont isotopes.
Remarque 3.1. Autrement dit, ce théorème dit que deux noeuds sont les mêmes si et seulement
si on peut passer de l’un à l’autre avec les deux transformations que l’on vient d’énoncer plus
haut.
Pour l’instant on ne s’est toujours pas servi des diagrammes de noeuds, car les isotopies élé-
mentaires ont encore lieu dans l’espace.
Mais cela a permit à Reidemeister d’introduire les trois mouvements suivants sur les dia-
grammes des noeuds appelés mouvements de Reidemeister :
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Figure 9 – Les trois mouvements de Reidemeister
Théorème 3.4. Deux noeuds sont isotopes si et seulement si on peut passer de l’un à
l’autre par une suite finie de mouvements de Reidemeister.
Remarque 3.2. Il existe plusieurs preuves de ce théorème dont une très géométrique que l’on
peut retrouver dans [MAN04] qui consiste à réussir à refaire les isotopies élémentaires à l’aide
des mouvements de Reidemeister.
Il y a dans ce même ouvrage une section dédiée à l’indépendance des mouvements de Reide-
meister montrant que chacun des trois mouvements est essentiel.
On a cette fois une vraie avancée car alors deux noeuds sont équivalents si et seulement si on
peut passer d’un diagramme à l’autre par une suite finie de mouvements.
Remarque 3.3. Même si cela représente une avancée en terme de facilité de manipulation des
noeuds, ça ne permet pas en pratique de décider si deux noeuds sont équivalents ou non. En
effet on ne sait pas quels mouvements effectuer et si les deux noeuds sont différents alors un
algorithme qui essaye des mouvements aléatoirement ne finirait jamais.
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Figure 10 – Les deux cas de figures de croisements
Le croisement de gauche est appelé croisement de type positif et l’autre négatif. Pour chaque
croisement positif on associe le nombre (+1) et (-1) pour les négatifs. On somme ces nombres
pour tous les croisements où A passe au-dessus de B et on obtient le coefficient d’entrelace-
ment.
L’ordre d’un noeud est évidemment un invariant de noeud car il considère toutes les projections
régulières de ce dernier. On a donc que l’ordre du noeud ne dépend pas du diagramme du noeud
considéré au départ.
Remarque 4.2. Dans la pratique on ne sait pas trouver avec un diagramme de noeud l’ordre
du noeud, sauf pour des cas bien particuliers. On pourra par exemple penser aux noeuds dits
alternés et aux conjectures de Tait. Mais dans la pratique l’ordre d’un noeud ne permet donc
pas de distinguer deux noeuds. En revanche grâce à ce dernier on peut tenter une classification
des noeuds en leur donnant leur ordre pour numéro puis un autre numéro en indice.
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Figure 11 – Table des noeuds premiers à 7 croisements ou moins
4.3 Tricolorabilité
Voici l’exemple d’un invariant simple et connu depuis longtemps. Il s’avère en réalité que cet
invariant de noeuds est en lien avec d’autres, en particulier le polynôme d’Alexander qui le
contient.
Le principe de cet invariant est de compter les manières de colorier un noeud ou plutôt un
diagramme de noeud avec 3 couleurs différentes. Or ce coloriage suit des règles bien précises.
Définition 4.3. La méthode des 3-coloriages de Fox consiste à passer avec un pinceau sur
le diagramme en suivant les règles suivantes :
1) On ne peut changer de couleur que lors d’un croisement par en-dessous, donc pas le
long d’une ligne.
2) À chaque croisement on doit, soit voir les trois couleurs, soit une seule couleur.
(voir figure)
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Figure 12 – Règles de coloriage pour les croisements
14
Remarque 4.4. Soit D1 le diagramme du noeud trivial et D2 celui du noeud de trèfle. On
voit donc que F3 (D1 ) = 3 et que F3 (D2 ) = 9. De part le caractère invariant du nombre de
3-coloriage on peut donc affirmer que le noeud de trèfle et le noeud trivial sont différents, ou
autrement dit, le noeud de trèfle ne se dénoue pas.
On peut voir en revanche qu’il n’y a pas de notion d’orientation dans cet invariant. Il est donc
incapable de nous renseigner pour savoir si un noeud est miroir ou non.
Néanmoins, grâce à cet invariant on peut prouver qu’il existe une infinité de noeuds deux
à deux non-équivalents. Cela utilise l’opération de composition et propose surtout une jolie
preuve.
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On va s’intéresser aux croisements du milieu et aux manières de le colorier.
On voit déjà que les deux extrémités de la partie verticale doivent être de la même couleur car
reliées par l’extérieur par le noeud trivial. Admettons que l’on impose la couleur rouge à cette
partie, alors les 3 seuls coloriages possibles sont les suivants :
On remarque que à chaque fois les lignes horizontales sont de la même couleur. Et si on regarde
l’inverse, en fixant d’abord la couleur des lignes horizontales, on voit qu’il y a aussi 3 coloriages
possibles pour U :
On note F3∗ (K1 #K2 ) le nombre de 3-coloriages ayant la même couleur sur les deux branches
où l’on effectue la composition. On obtient
et comme
F3 (K1 #K2 ⊔ U ) = 3 F3 (K1 #K2 )
On a
F3∗ (K1 #K2 ) = F3 (K1 #K2 )
On voit que les coloriages valides de la somme connexe ont forcément les deux branches où
l’on fait la somme de la même couleur.
Cela induit plusieurs choses :
• Les coloriages de la somme connexe induisent des coloriages valides pour chacun des deux
noeuds si on les re-séparent car les deux brins seront de la même couleur.
• Les coloriages induits sur chacun des noeuds de cette manière auront la même couleur à
l’endroit où l’on réalise la composition.
• Si K1 et K2 possèdent chacun un coloriage avec la même couleur au niveau de l’endroit où
l’on souhaite réaliser la composition alors cela entraîne un coloriage valide pour K1 #K2 .
Il suffit donc de se demander : lorsque l’on impose un coloriage de K1 combien avons-nous de
coloriages possibles pour K2 pour que la composition ait un coloriage valide.
Remarquons que si on prend un point d’un noeud K et que l’on regarde tous les coloriages tels
16
que ce point soit en rouge, on note ce nombre de coloriage Fr (K), alors on a Fr (K) = 13 F3 (K).
C’est en effet à cause du rôle symétrique que jouent les couleurs, car on a évidemment :
et
F3 (K) = Fr (K) + fb (K) + Fv (K).
Finalement, quand on impose un coloriage pour K1 on a 31 F3 (K) coloriages possibles pour K2 ,
d’où
1 1
F3 (K1 #K2 ) = F3 (K1 ) × ( F3 (K2 )) = F3 (K1 ) × F3 (K2 ).
3 3
Théorème 4.7. La famille des (T #n )n∈N est donc une famille infinie de noeuds deux à
deux non-équivalents.
Théorème 4.8. Tout noeud est le bord d’une surface compacte orientable contenue dans
R3 .
Définition 4.10. Parmi les surfaces associées à un noeud N , il en existe une de genre
minimum, c’est ce qu’on appelle le genre du noeud, on le note g(N ).
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Propriété 4.11. Seul le noeud trivial a pour genre 0.
3. Ces cercles bordent des disques qui peuvent être compris dans des plans différents.
4. On relie ces disques entre eux par des "bandes tordues" de façon à reconstituer les croisements
de D.
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5. On vient d’obtenir une surface de Seifert de notre noeud.
Propriété 5.2. La composition est bien définie, i.e., elle ne dépend pas de l’endroit où
l’on attache les deux noeuds.
La démonstration de cette propriété se base sur la même idée que celle de la proposition
suivante :
19
Figure 18 – Commutativité de la composition
Propriété 5.3. La composition est commutative, i.e., K1 #K2 et K2 #K1 sont équivalents.
Définition 5.4. On définit aussi de manière plus simple la somme déconnectée de deux
noeuds qui consiste à considérer leur union disjointe.
Théorème 5.5. Soit K1 un noeud non trivial, alors pour tout noeud K2 , le noeud K1 #K2
est non trivial.
Démonstration. Supposons que K1 est non trivial mais que K1 #K2 l’est. Considérons la sé-
quence de noeuds suivante
Avec à chaque fois le premier noeud qui est contenu dans la boule de rayon 1, le deuxième dans
la boule de rayon 1/2, le troisième dans la boule de rayon 1/4 et ainsi de suite. On peut donc
mettre cette série infinie dans un intervalle fini, (voir figure). On obtient ainsi un noeud, que
l’on notera a, qui est possiblement sauvage. Puisque K1 #K2 est trivial, le noeud a est trivial
lui aussi. D’un autre côté on peut aussi écrire a de la manière suivante :
Or la concaténation est commutative donc K2 #K1 est lui aussi trivial. Finalement le noeud
trivial a est équivalent à K1 qui est non trivial. Contradiction.
Figure 19 – Le noeud a
20
Remarque 5.1. Cette preuve peut sembler étrange, on a l’impression de retrouver ces tours de
passe-passe qui espèrent montrer que 1 = 0 en considérant la suite 1 − 1 + 1 − 1 + 1..., mais le
fait de mettre les noeuds dans des "boîtes" de plus en plus petites lui donne un cadre tout à
fait rigoureux et nous autorise à faire les opérations faites plus haut.
Remarque 5.2. Une autre preuve plus simple existe et concerne la propriété d’additivité du
genre. En effet le noeud trivial a pour genre 0 et g(K1 #K2 ) = g(K1 ) + g(K2 ) = 0, or le genre
est positif donc g(K1 ) = g(K2 ) = 0 et seul le noeud trivial a pour genre 0, donc K1 et K2 sont
le noeud trivial.
Propriété 5.6. Le genre est additif, i.e., pour tout noeuds K1 , K2 on a l’égalité g(K1 ) +
g(K2 ) = g(K1 #K2 ).
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Remarque 5.3. On vient de prouver par le théorème précédent que à part le noeud trivial,
aucun noeud n’a d’inverse pour la composition.
Définition 5.7. Un noeud K est dit premier si pour tout noeud L, M tels que K = L#M ,
un des noeuds L ou M est trivial. Les autres noeuds sont dits composés.
Définition 5.8. Soient des noeuds K, L et M tels que K = L#M , on dit alors que L et
M divise K.
Corollaire 5.10. Tout noeud peut-être exprimé comme somme de noeuds premiers.
Remarque 5.4. Ce corollaire est évident grâce à l’additivité du genre, qui lorsque que l’on dé-
compose notre noeud est une suite décroissante minorée. L’existence d’une telle décomposition
est donc claire, et on peut se poser la question de savoir si elle est unique à l’ordre des facteurs
près. La réponse est oui, mais la preuve de l’unicité est beaucoup moins évidente.
On a aussi un lemme qui ressemble fortement au lemme d’Euclide :
Lemme 5.11. Soient L et M des noeuds et K un noeud premier qui divise L#M . Alors
K divise L ou K divise M .
Démonstration. Considérons un noeud L#M ainsi qu’un certain plan p, qui l’intersecte en
deux points et sépare L de M . Puisque L#M est divisible par K, il existe une 2-sphère S 2 qui
intersecte le noeud L#M en deux points et contient le noeud K.
Si cette sphère n’intersecte pas p, le problème est résolu. Sinon, la sphère S 2 intersecte le plan
au niveau de certaines courbes simples (cercles). Si chacun de ces cercles n’est pas lié à L#M ,
ils peuvent être supprimés par une simple déformation. Dans le cas restant, ils peuvent aussi
être enlevés par une déformation de la sphère à cause de la primitivité de K (puisque le noeud
est premier, au moins une partie de la sphère contient le noeud trivial). Ainsi, si la somme
connectée L#M est divisible par K, alors soit L soit M est divisible par K.
6 Le polynôme de Jones
6.1 Construction du polynôme de Jones par le crochet de Kauffman
Pour construire un nouvel invariant nous allons tout d’abord nous munir d’un noeud L non-
orienté qui a n croisements. Chaque croisement peut-être lissé de deux manière différentes.
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Figure 21 – Les deux manières de lisser un croisement
On cherche une fonction en trois variables a, b et c qui vérifie les propriétés suivantes
Avec L, L′ LA et LB des noeuds qui coïncident sauf dans les cercles comme sur la figure. ⃝
repésente le noeud trivial. On va essayer de trouver des conditions sur a, b et c pour obtenir
un polynôme invariant par les mouvements de Reidemeister ce qui prouvera que l’on a bien
créé un invariant.
Commençons par le deuxième mouvement. En utilisant 7 et 8 on obtient
Soit
Cela implique donc que ab = 1 et a2 + b2 + abc = 0. On pose donc b = a−1 et c = −a2 − a−2
De plus on a que l’invariance sous Ω2 implique l’invariance sous Ω3 . En effet on a
et
23
De plus en appliquant deux fois Ω2 on obtient
Théorème 6.1. Il existe une unique fonction sur les classes isotopiques des noeuds à
valeurs dans Z[a, a−1 ] qui satisfasse les relations 7, 8, 9 et qui soit invariante par Ω2 et
Ω3 .
Définition 6.2. L’état d’un croisement correspond à l’une des deux possibilités de lisser ce
dernier. L’état d’un diagramme correspond à la donnée d’un état pour chaque croisement.
24
Pour se faire, à chaque croisement on associe un nombre ±1 de la manière suivante.
On remarque que pour définir ces nombres on a besoin d’une orientation sur le diagramme. On
note w(L) la somme de tous ces nombres pour un diagramme donné, on l’appelle le nombre
d’entortillement. Il est facile de voir que ce nombre est invariant sous Ω2 et Ω3 mais pas sous
Ω1 où il diffère de ±1, ce qui compense exactement notre variabilité sous Ω1 par le crochet de
Kauffman. Nous pouvons donc ainsi définir un polynôme invariant comme suit :
Le polynôme de Kauffman satisfait des relations appelées skein relations, obtenues simplement
en manipulant les différentes propriétés.
Remarque 6.1. Il est à ce moment légitime de se demander pourquoi ne pas s’être arrêté au
polynôme de Kauffman. On a l’impression que le polynôme de Jones n’apporte rien de plus
que le précédent et pourtant c’est celui-là qui est le plus retenu dans la culture mathématique.
En réalité il s’agit juste d’une manière de construire le polynôme de Jones introduite par
Kauffman quelques années après que Jones ait construit son polynôme. À l’origine Jones a
construit ce polynôme en passant par la théorie des tresses. Il a pour cela utilisé en particulier
le théorème d’Alexander qui dit que tout noeud peut être représenté comme clôture d’une
tresse.
Lorsque Jones a découvert ce polynôme, il pensait en fait avoir retrouvé d’une manière différente
le polynôme d’Alexander. Il s’est donc empressé de calculer le polynôme associé aux noeuds
de trèfle droit et gauche et s’est rendu compte qu’ils étaient différents ce qui n’est pas le cas
du polynôme d’Alexander car il ne distingue jamais un noeud de son noeud miroir.
25
6.2 Propriétés du polynôme de Jones et applications
Le polynôme de Jones est un invariant assez puissant. Il dépend de l’orientation du noeud.
Lorsque l’on dispose du polynôme de Jones d’un noeud, pour avoir le polynôme de son envers
il suffit d’effectuer le changement de variable q → q −1 .
Remarque 6.2. Le polynôme de Jones n’est pas un invariant complet comme nous le montre
l’exemple suivant
Remarque 6.3. On peut se poser la question de savoir si le polynôme de Jones repère le noeud
trivial, c’est-à-dire si un noeud a un polynôme égal à 1 est-ce que cela implique que le noeud
soit trivial. C’est une question encore ouverte aujourd’hui.
7 Homologie de Khovanov
Nous allons maintenant essayer de construire une généralisation du polynôme de Jones. Cela va
consister à remplacer les polynômes par des espaces vectoriels gradués et de constuire ensuite
un complexe de chaînes. En revanche ce complexe ne sera pas un invariant de noeud mais c’est
son homologie qui le sera.
26
Définition 7.1. Soit W = m Wm un espace vectoriel gradué avec pour composantes
L
qdimW := q m dimWm .
X
Durant toute la section on pose V := V− ⊕V+ un espace vectoriel gradué où v± sont les éléments
de la base de V .
Exemple 7.1. Soit l’espace vectoriel V . Alors V = V−1 ⊕V1 et sa dimension graduée est qdimV =
q −1 + q.
On voit donc que la dimension graduée fournit un polynôme. Or nous aurons besoin de pou-
voir décaler les degrés par la suite. Nous introduisons donc un opérateur sur les espaces vecto-
riels.
Définition 7.2. Soit ·{l} l’opération de changement de degré d’un espace vectoriel gradué.
Si W = m Wm est un espace vectoriel gradué, on pose W {l}m := Wm−l . Nous avons que
L
qdimW {l} = q l qdimW . On dit alors qu’un élément de Wm est un élément de degré m.
Remarque 7.1. Le degré d’un tenseur est la somme des degrés de chacun des éléments.
On définit aussi le décalage dans les complexes de chaînes comme suit :
Définition 7.3. Soit ·[s] le décalage d’un complexe de chaînes. C’est-à-dire que si C̄ est
un complexe de chaînes ... → C̄ r → C̄ r+1 → ... et si C = C̄[s], alors on a que C r = C̄ r−s .
Remarque 7.2. Dans cette définition il faut aussi faire le décalage des différentielles du complexe
de chaînes.
Par définition d’un complexe de chaînes on a que d2 = 0 (en oubliant les indices). Nous
avons donc que Imdr+1 ⊆ Kerdr . On parle de suite exacte lorsque Imdr+1 = Kerdr , ∀r ∈ N.
L’homologie s’intéresse aux éléments du noyau qui ne sont pas dans l’image, on mesure en
quelque sorte l’inexactitude du complexe de chaînes.
Définition 7.4. Le n-ième groupe d’homologie associé à un complexe de chaînes (C) est
H n := Kerdn /Imdn+1 où dr : C r → C r−1 .
Définition 7.5. On appelle résolution d’un croisement les deux opérations suivantes.
L’opération 0-lisse et 1-lisse définies comme sur la figure. On parle de résolution d’un
diagramme L un nouveau diagramme où chaque croisement a été résolu. On appelle poids
27
d’une résolution α, noté |α|, le nombre d’opérations 1-lisse utilisées pour résoudre le noeud.
Nous donnons maintenant un ordre sur les n croisements d’un diagramme, on peut associer à
chaque résolution une suite de 0 et de 1 de longueur n de telle sorte que le i-ième terme de la
suite corresponde à la manière dont a été résolu le i-ème croisement. On peut donc considérer
tous les n-tuplets {0, 1}n qui sont au nombre de 2n , ce qui est aussi le nombre de sommet d’un
n-cube. Nous allons donc construire un cube avec pour sommet les résolutions de l’entrelacs.
Pour savoir quelles résolutions nous allons relier dans notre n-cube nous mettons un ordre
partiel grâce au poids. Nous relions deux résolutions si leur différence de poids est de 1.
Ensuite à chaque sommet on associe l’espace Vα (L) := V ⊗k {r} où k est le nombre de cercles
restants à la fin de la résolution α et r = |α|. Le r-ième espace vectoriel de la suite est donc
JLKr := |α|=r Vα (L). En posant JLK := r JLKr , on définit C(L) := JLK[−n− ]{n+ − 2n}.
L L
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Figure 26 – Résolution du noeud de trèfle
Définition 7.6. La caractéristique d’Euler graduée d’un complexe de chaînes est la somme
alternée des dimensions graduées de ses groupes d’homologie.
Remarque 7.3. Si la différentielle est de degré 0 et que les espaces vectoriels sont de dimensions
finies alors on peut vérifier que la caractéristique d’Euler correspond à la somme alternée des
dimensions graduées des espaces du complexe de chaînes.
Si l’on oublie pour le moment que notre complexe de chaîne en cours de construction n’a pas
encore de différentielle on a le théorème suivant :
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Théorème 7.7. La caractéristique d’Euler graduée de C(L) est le polynôme de Jones non
normalisé de L.
Démonstration. La preuve ne sera pas donnée ici, on pourra la trouver dans [BAR02] qui
reconstruit le polynôme de Jones à l’aide du cube de résolution. Il faut ensuite étudier les
effets des décalages d’indices introduits plus haut et l’on retrouve bien le polynôme de Jones.
En revanche la preuve repose sur le fait que la différentielle (encore non construite pour le
moment) est de degré 0 et que les espaces vectoriels sont de dimensions finies.
v+ → v+ ⊗ v− + v− ⊗ v+
(
∆ :=
v− → v− ⊗ v−
Définition 7.9. Le cube avec les différetielles partielles dξ le long des arêtes allant dans
le sens de l’augmentation des coordonnées est dit commutative (resp. anticommutative) si
chaque face de cube 2-dimensionnel est un diagramme commutatif (resp. anticommutatif).
Nous pouvons donc dorénavant passer d’une arête à l’autre. Et de plus au vu des propriétés
de m et ∆ nous pouvons vérifier que les faces du cube sont commutatives.
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Figure 28 – Les opérateurs m et ∆ associés aux arêtes dans la construciton du complexe du
noeud de trèfle
dr := (−1)ξ dξ .
X
|ξ|=r
Il faut encore expliquer le signe (−1)ξ . Nous voulons en effet que d2 = 0, pour cela il suffit que
toutes les faces du cube soient anti-commutatives. P Or pour le moment elles sont commutatives.
On vérifie aisément que en posant (−1) := (−1) i<j ξi cela va fonctionner (où j est le rang
ξ
de ∗). Sur la figure 29 on a indiqué les arêtes portant le signe -1 par des petits cercles au bout
des flèches. La différentielle ainsi construite est bien de degré 0, car ∆ et m sont de degré −1
mais lorsque suit une arrête on réalise une opération 1-lisse ce qui dans la définiton de notre
complexe l’avait décalé de 1. Ceci valide le théorème 7.7.
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Figure 29 – Construction des différentielles pour le noeud de trèfle
Définition 7.11. Soit H r (L) le r-ième groupe d’homologie de C(L). On appelle Kh(L)
le polynôme gradué de Poincaré du complexe C(L) en la variable t défini par :
Théorème 7.12. Les dimensions graduées des groupes d’homologie sont des invariants
de noeuds et donc Kh(L) est un polynôme en les variables t et q qui est un invariant de
noeud. Si on l’évalue en t = −1, on retrouve le polynôme de Jones.
La preuve de ce théorème ne sera pas donnée ici, on pourra se rapporter à [BAR02]. Elle
consiste de la même manière que pour la preuve de l’invariance du polynôme de Jones à
regarder l’invariance sous les différents mouvements de Reidemeister. C’est une preuve longue
qui fait intervenir des outils plus élaborés sur les complexes de chaînes.
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On peut maintenant se demander si l’on a construit un invariant plus ou moins fort que le
polynôme de Jones. Existe-t-il des noeuds qui ont le même polynôme de Jones mais avec des
polynômes de Poincaré différents ? La réponse est oui, nous avons construit un invariant plus
puissant. Dans un vocabulaire plus savant, nous avons en réalité réalisé une catégorification du
polynôme de Jones.
Exemple 7.3. Voici l’exemple de deux noeuds avec le même polynôme de Jones mais avec des
polynômes de Poincaré différents :
Kh(10132 ) = q −15 t−7 +q −11 +t−6 +q −11 t−5 +(q −7 +q −9 )t−4 +(q 5 +q −9 )t−3 +2q −5 t−2 +q −1 t−1 +q −1 +q −3 .
On voit donc que ces deux noeuds sont différents, or si on pose t = −1 pour retrouver les
polynômes de Jones, on voit que
On avait évoqué la question de savoir si le polynôme de Jones peut repérer le noeud trivial qui
est encore une question ouverte aujourd’hui. La même question se posait pour l’homologie de
Khovanov au début des années 2000. C’est en 2010 que Kronheimer et Mrowka ont réussi à
répondre à cette question en prouvant que l’homologie de Khovanov était en effet un détecteur
du noeud trivial.
Références
[MAN04] Vassily Manturov, Knot Theory, Chapman & Hall, 2004.
[LIC97] W.B. Raymond Lickorish, An introduction to knot theory, Springer, 1997.
[DIM10] Jean-Yves Le Dimet, Noeuds & Tresses : une introduction mathématiques, Vuibert,
2010.
[CF63] Richard H. Crowell et Ralph H. Fox, Introduction to knot theory, Springer-Verlag, 1963.
[SOS99] Alexei Sossinsky, noeuds : genèse d’une théorie mathématique, Seuil, 1999.
[JAC10] Annie Jacques, Théorie des noeuds : les invariants polynomiaux, mémoire université
de Laval, 2010.
[BAR02] Dror Bar-Natan, On Khovanov’s categorification of the Jones polynomial, 2002.
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[LIV96] Charles Livingston, Knot theory, The mathematical association of america, 1996.
[GQ20] Thibault Godin et Hoel Queffelec, Une fammile infinie de noeuds, Images Des Mathé-
matiques CNRS, 2020.
[SCO13] Maxime Scott, Homologie de Khovanov : de la définition à la résolution de la conjec-
ture de Milnor, mémoire université du Québec à Montréal, 2013.
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