Accompagner le changement dans le champ de la santé-2015

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sciences Collection dirigée par

Marie-Ange Coudray

du soin

Accompagner le changement
dans le champ de la santé

Coordonné par
Michèle Saint-Jean
Nadia Péoc’h
Bruno Bastiani

Bruno Bastiani, Isabelle Brault, Bernard Calmettes, Dolène Catherine,


Christine Ceaux , Lionel Dany, Christophe Debout, Marine Do, Anne-Marie Doré,
Louise Lafortune, Hélène Lefebvre, Ghyslaine Lopez, Christine Merienne,
Vincent Minville, Nadia Péoc’h, Odette Roy, Michèle Saint-Jean,
Fabienne Sintes, Ingrid Verscheure
Éditions De Boeck-Estem
DE BOECK DIFFUSION
4, rue de la Michodière, 75002 Paris
Tél : 01 72 36 41 60
Fax : 01 72 36 41 70
info@estem.fr

@
www.estem.fr

ISBN : 978-2-84371-795-6
© 2015, De Boeck Supérieur S.A.
Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur, ou de ses ayants droit ou
ayants cause, est illicite (loi du 11 mars 1957, alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque
procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
PRÉSENTATION
DE LA COLLECTION

« Sciences du soin »
Ouverte à toute personne voulant faire part de ses recherches, ses réflexions et ses
convictions, cette collection a comme ambition la mise en valeur et l’enrichissement
des concepts et des savoirs dans le domaine du « soin ».
Sont accueillis ici les auteurs qui s’interrogent sur les présupposés, les normes, les
modalités, les principes et les effets du « soigner » ou du « prendre soin » de l’autre,
dans sa dimension personnelle et sur son cheminement de vie « accidenté ».
Les professionnels du « soin » sont à l’écoute de personnes en quête de leur santé,
leurs compétences relèvent de métiers variés et leurs activités portent à la fois sur
des opérations mentales de diagnostic ou de décision et des opérations manuelles et/
ou verbales de thérapie. Ils sont placés en relation directe avec un « client-patient »,
un « malade », voire un « bénéficiaire », sa famille, ses proches. Leur rôle premier
consiste à comprendre ce que dit la personne, ce qu’elle souhaite, la manière dont
elle envisage la persistance de son « être » au travers son état de santé fragilisé
momentanément ou définitivement. La relation de « soin » qui s’opère entre le
« soignant » et le « soigné », qu’elle se nomme accompagnement, éducation, thérapie
ou encore plus simplement « présence », transforme alors les acteurs qui vivent une
expérience singulière et dense.
Le soin est cet « objet » qui se détache bien peu de son « sujet » et qu’il est pourtant
nécessaire d’éclairer de regards multiples afin de mieux l’appréhender. Qu’est-ce
que « la prise en soin » de l’humain par un humain ? Comment cela « se fait-il » ?
Prendre soin, donner du soin, recevoir du soin et le transformer en soi, tous ces
mouvements de l’être méritent l’exposition des travaux ou des résultats de recherches
réalisés à ces effets.
Une science se construit en rendant lisible son objet, c’est à dire en montrant combien
les connaissances diverses sont à cet endroit travaillées, croisées, multipliées, révisées
pour servir l’émergence de nouveaux savoirs. Les sciences de l’éducation sont nées
dans un mouvement similaire, les sciences du soin sont sur la bonne voie.
Cette collection souhaite mettre à disposition les travaux autour du soin restés dans
l’ombre faute d’être partagés, afin que les professionnels y puisent des ressources
pour leur quotidien. Relier réflexion et pratique, revenir sur l’expérience pour
en comprendre le sens et retrouver de l’énergie, voilà bien des effets, en sus de la
participation voulue à l’élaboration d’une science à naître, que nous ambitionnons
en poursuivant cette collection.
Marie-Ange COUDRAY

Présentation de la collection – « Sciences du soin » l III


LA DIRECTRICE DE COLLECTION

Marie-Ange Coudray a été infirmière, cadre de santé, formatrice en Institut de cadres


de santé, puis directrice des soins dans un établissement de la région parisienne,
directrice d’Institut de formation de cadres de santé et enfin conseillère pédago-
gique au ministère chargé de la santé. Dans ce dernier poste, elle a été chargée de
l’élaboration et de la mise en place de la réforme de la formation des paramédicaux,
notamment des infirmiers et ergothérapeutes.
Intéressée par l’écriture des soignants, elle a longtemps travaillé comme rédacteur
en chef adjointe à la revue « Soins cadres » et a écrit elle-même de nombreux articles
professionnels et deux ouvrages.

IV l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


La collection sciences du soin
Dirigée par Marie-Ange Coudray

Cet ouvrage vise à com-


La réforme des études infir-
prendre pourquoi les
mières est-elle une oppor-
professionnels de santé
tunité pour l’émergence
sont amenés à négliger
de la discipline dans
la dimension la plus im-
le champ scientifique ?
portante du soin aux
L’auteur propose ici une
malades chroniques, à
réponse qui éclairera la
savoir la sollicitude pour
réflexion des formateurs et
la personne malade et le
infirmiers.
soin qui lui est délivré.

128 p. • 16,50 € 152 p. • 19 €

Cet ouvrage s’adresse


Destiné aux profession-
aux infirmières qui s’inter-
nels de la thérapie et aux
rogent de plus en plus sur
praticiens de la relation
leur profession. Il s’agit
d’aide et d’accompagne-
de présenter un nouveau
ment, cet ouvrage a pour
« métier », celui de clini-
but de faire connaître une
cien, à travers des situa-
méthode psychothérapeu-
tions cliniques vécues,
tique par l’imagerie men-
analysées et commentées
tale et le rêve éveillé.
de façon détaillée.

148 p. • 19,50 €
128 p. • 19,50 €

L’expérience des groupes Enfin, le premier modèle


de parole relatée ici illustre conceptuel en science
de manière exemplaire la infirmière de l’Europe
nature du lien entre soignant francophone publié dans
et soigné, à l’intérieur son intégralité ! À la lecture
duquel chaque partenaire de ce livre, on comprend
est une personne. Cet mieux pourquoi aujourd’hui,
ouvrage est destiné aux les infirmières doivent
soignants en cancérologie recevoir leur formation de
pédiatrique. base à l’université.

128 p. • 19 € 232 p. • 19 €
La collection sciences du soin
Dirigée par Marie-Ange Coudray

P. Svandra propose ici


un regard sur le soin, une
Cet ouvrage aborde à tra-
réponse essentielle à la
vers différents exemples la
vulnérabilité d’autrui. Mais
nature, les effets et l’intérêt
quelle est la place du soin
de l’implication dans les
aujourd’hui, dans nos
soins, notamment en santé
sociétés où les organisations
mentale.
sanitaires sont malades de
leur gestion ?

Voici une méthode psy-


chothérapeutique origi-
P. Abel analyse la posture nale pour aider le patient
éthique du cadre de santé à sortir de la crise. Il est
sous l’angle du questionne- destiné à tous les profes-
ment identitaire (soin-mana- sionnels de la relation
gement), mais également d’aide désirant utiliser
l’histoire du métier et la une logique de pensée,
culture soignante. opposée au sens com-
mun, comme instrument
de soin.

Cherchant à dépasser H. Cochet est kinésithé-


les discours convenus, les rapeuthe et non-voyant.
auteurs de cet ouvrage Il propose un essai sur la
proposent une analyse compréhension humaine
critique de la bientraitance : de l’autre, la rencontre
elle éclaire le lecteur sur clinique, via « l’étude du
les enjeux éthiques et les Regard ». Formateurs, soi-
conséquences pratiques de gnants, accompagnants,
la diffusion de cette notion trouveront ici méditations
ambiguë. et travail sur eux-mêmes.
LES AUTEURS

Bruno Bastiani
Doctorant en sciences de l’éducation, sous la direction de Bernard Calmettes et
Vincent Minville, à l’université Toulouse-Jean Jaurès. Titulaire du master 2 en
sciences de l’éducation « Encadrement des services de santé ». Ses travaux de thèse
portent sur la simulation haute fidélité en anesthésie-réanimation.

Isabelle Brault
Professeure adjointe à la faculté des sciences infirmières à l’université de Montréal,
titulaire d’un doctorat en sciences infirmières.

Bernard Calmettes
Maître de conférences (HDR) en sciences de l’éducation et membre de l’unité mixte
de recherche « Éducation, formation, travail, savoirs » de l’université Toulouse-
Jean Jaurès.

Dolène Catherine
Psychologue et titulaire du master 2 en sciences de l’éducation « Encadrement des
services de santé », université Toulouse-Jean Jaurès.

Christine Ceaux
Directeur des soins, coordonnatrice générale des soins, Centre hospitalier univer-
sitaire (CHU) de Toulouse.

Lionel Dany
Maître de conférences (HDR) en psychologie sociale à l’université d’Aix-Marseille.
Il est responsable d’un master de psychologie sociale de la santé et membre du
laboratoire de psychologie sociale (LPS, EA 849), ainsi que du Service d’oncologie
médicale, du CHU de la Timone (Marseille).

Christophe Debout
Infirmier (PhD), directeur du département des sciences infirmières et paramédicales,
EHESP, Rennes-Sorbonne Paris-Cité, et membre de la chaire santé de Sciences-
Po/IDS-UMR Inserm 1145.

Marine Do
Doctorante en sciences de l’éducation, sous la direction de Bernard Fraysse et de
Michèle Saint-Jean, UMR EFTS : entrée thématique « Conduite et accompagnement
du changement », université de Toulouse-Jean Jaurès. Cadre de santé formateur,
ses travaux de thèse portent sur les tuteurs dans le champ de la santé.

Les auteurs l VII


Anne-Marie Doré
Infirmière, directrice des soins, conseillère chargée des professions paramédicales
au sein de la Fédération hospitalière de France.

Louise Lafortune
PhD et professeure associée au département des sciences de l’éducation de l’univer-
sité du Québec, Trois-Rivières, consultante dans les domaines de l’éducation et de
la santé, particulièrement pour l’accompagnement d’un changement, l’élaboration
de référentiels de compétences, de formation et d’évaluation.

Hélène Lefebvre
Professeure titulaire, faculté des sciences infirmières, université de Montréal. Cher-
cheur au Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation (CRIR).

Ghyslaine Lopez
Cadre supérieur de santé, hôpital de Carcassonne. Titulaire du master 2 en sciences
de l’éducation, spécialité « Responsable d’évaluation, de formation et d’encadrement
professionnel », université Paul Valéry, Montpellier 3.

Christine Merienne
Cadre supérieur de santé, Direction des soins – CH de Montauban. Doctorante en
philosophie pratique sous la direction d’Éric Fiat, université de Paris-Est, École
doctorale OMI (organisations, marchés, institutions). Titulaire d’un DEA en didac-
tique et sciences de l’éducation obtenu à l’université de Nantes.

Vincent Minville
Professeur des universités et praticien hospitalier. Chef du pôle « Blocs opératoires »,
département d’Anesthésie et de réanimation du Centre hospitalier et universitaire de
Toulouse, hôpital Rangueil, et membre du Laboratoire de modélisation de l’agression
tissulaire et de la nociception (MATN, EA 4564) de l’université Toulouse-III-Paul
Sabatier.

Nadia Péoc’h
Docteur en sciences de l’éducation, cadre supérieur de santé, chargée de la promotion
de la recherche infirmière et paramédicale, Direction des soins, CHU de Toulouse
et chercheur associé de l’unité mixte de recherche « Éducation, formation, travail,
savoirs » de l’université Toulouse-Jean Jaurès.

Odette Roy
Infirmière, titulaire d’une maîtrise en sciences infirmières, d’une maîtrise en admi-
nistration publique et d’un doctorat en sciences de l’éducation, leadership majeur
dans le développement et le transfert des pratiques alliant clinique et recherche.
Adjointe à la Direction des soins infirmiers de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont
et directrice du Centre d’excellence en soins infirmiers.

VIII l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Michèle Saint-Jean
Docteur en sciences de l’éducation et psychologue clinicienne. Maître de conférences
en sciences de l’éducation à l’université Toulouse-Jean Jaurès et membre de l’unité
mixte de recherche « Éducation, formation, travail, savoirs ». Co-responsable avec
Nadia Péoc’h du master « Encadrement des services de santé ».

Fabienne Sintes
Cadre supérieur de santé, pôle « Femme-parents-enfant », CH de Montauban.
Titulaire du master 2 en sciences de l’éducation « Encadrement des services de
santé » de l’université Toulouse-Jean Jaurès.

Ingrid Verscheure
Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Toulouse-Jean Jaurès
et membre de l’unité mixte de recherche « Éducation, formation, travail, savoirs ».

Les auteurs l IX
SOMMAIRE

RÉFLEXION INTRODUCTIVE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Partie 1 — Changement et enjeux politiques : prévention,


innovation et sécurité du patient

CHAPITRE 1 - Prévention entre continuité et changements :


réflexions psychosociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2. Prévention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.1. Un objet complexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.2. Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2.3. Prévention contemporaine : lieu de tension entre l’individuel et le collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12
3. Quelques défis associés à la prévention contemporaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
3.1. Défi réflexif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
3.2. Défi créatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
3.3. Défi évaluatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17
3.4. Défi éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
4. Pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

CHAPITRE 2 - Accompagner la prévention des risques psychosociaux


chez les cadres de santé : un vecteur de changement
et de construction de sens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
2. Des risques psychosociaux dans le champ de la santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
3. Cadres de santé à l’hôpital public : une posture « entre-deux » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
4. Une recherche inscrite dans une démarche de prévention des risques psychosociaux . . . . . . . . . 27
4.1. Stress et RPS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
4.2. Évaluation et RPS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
4.3. Représentations professionnelles et prévention des RPS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
5. La démarche d’enquête sur le terrain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
5.1. Déroulement de la recherche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
5.2. Analyse et interprétation des données de terrain recueillies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
6. Des pistes de réflexion pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

CHAPITRE 3 - Une innovation pour accompagner le changement


dans les pratiques infirmières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2. Pratique fondée sur les résultats probants et les déterminants de succès
de son implantation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.1. Pratique fondée sur les résultats probants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

Sommaire l XI
2.2. Repères conceptuels : définition des concepts de transfert et d’échange
de connaissances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
3. Projet de recherche : une innovation clinique infirmière en oncologie, pour un meilleur
continuum de soins et de services pour les patients atteints de cancer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
3.1. Analyse approfondie des étapes d’implantation du Portail interactif d’échanges
de savoirs à partir de la science de l’implantation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3.2. Analyses des facilitateurs et des obstacles à l’implantation à l’aide du Consolidated
Framework for Implementation Research (CFIR) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
3.3. Analyses des processus d’échange et de partage de connaissances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
3.4. Analyses des effets de l’utilisation du Portail interactif d’échanges de savoirs. . . . . . . . . . . . . . . . 45
4. Bilan des travaux réalisés à ce jour dans le cadre du projet de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
5. Contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

CHAPITRE 4 - L’expérience du simulateur en formation : le cas d’un bloc opératoire


virtuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
2. Approche historique de la simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
2.1. Simulation dans le milieu industriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
2.2. Simulation dans le milieu médical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
3. Simulation en anesthésie-réanimation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
4. Les représentations professionnelles comme référence conceptuelle pour l’étude
des entretiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
4.1. Ancrage théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
4.2. Enquête auprès d’internes en anesthésie-réanimation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
4.3. Analyse catégorielle des entretiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
4.4. Utilisation d’un logiciel d’analyse lexicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
4.5. Du croisement des deux analyses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
5. Pour conclure provisoirement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

CHAPITRE 5 - Construction du référentiel de compétences non techniques en bloc


opératoire : étape préliminaire à l’élaboration d’un serious game . . . . . . . . . 65
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
2. Contexte de la réflexion sur la construction du référentiel de compétences
non techniques : la prévention et la gestion des risques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3. Problématique et démarche de recherche du projet du serious game 3DVOR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4. Cadrage théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.1. Présentation des serious games . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2. Conduite et accompagnement du changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
4.3. Didactique professionnelle et simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
4.4. Interactions entre les acteurs pour le développement des compétences
collectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
5. Premiers résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
5.1. Construction du référentiel de compétences non techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
5.2. Élaboration des scénarios . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
6. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

XII l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Partie 2 — Changement et professionnalisation : nouveaux référentiels,
nouvelles postures professionnelles, nouveaux territoires professionnels

CHAPITRE 6 - Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière :


entre intention et exigence sociale ................................................................ 81
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
2. État de la question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
2.1. Contexte d’universitarisation de la formation infirmière : un dispositif de formation/
professionnalisation aux logiques prescriptives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
2.2. Problématisation et question de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
3. Enquête empirique : terrain, méthodologie et recueil de données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
4. Présentation des résultats les plus significatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
4.1. Classe 1 (22 UCE, χ2 moyen 11,05) – Les attentistes désengagés, « des professionnels
de santé flottants » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
4.2. Classe 2 (48 UCE, χ2 moyen 17,25) – Les volontaristes motivés, « des professionnels
de santé en devenir » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
4.3. Classe 3 (34 UCE, χ2 moyen 15,03) – Les pragmatiques efficients, « des professionnels
de santé techniciens ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
4.4. Classe 4 (41 UCE, χ2 moyen 7,03) – Les talentueux singuliers, « des professionnels
de santé accomplis » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
5. Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
5.1. Action : agir, c’est transformer et se transformer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
5.2. Des relations/formation/emploi et de la valeur d’un diplôme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
6. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

CHAPITRE 7 - Fonction de tuteur : continuité, transformation ou mutation


du processus de professionnalisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
2. Le changement : une notion polysémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
2.1. Changement dirigé et changement effectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
2.2. Changement effectif : une question d’appropriation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
2.3. Aspect structurel du changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
3. Contexte et problématisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
3.1. Réforme infirmière : une nouvelle logique de professionnalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
3.2. Augmenter la légitimité d’un territoire d’exercice professionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
3.3. Construction des compétences professionnelles en situation de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
3.4. Rôle du tuteur dans un dispositif alternant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
4. Repères méthodologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
5. Présentation des principaux résultats de l’enquête empirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
6. Quelques commentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
6.1. Liens entre informations et changement de pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
6.2. Réflexivité pour un changement durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
6.3. Temporalité et changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
6.4. Accompagnement du changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

Sommaire l XIII
CHAPITRE 8 - Des principes d’accompagnement-formation pour la mise en œuvre
de changements dans le domaine de la santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
2. Sens de la démarche « réflexive-interactive » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
3. Avoir une perspective réflexive-interactive. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
4. Passer des impressions à l’analyse tout en augmentant le degré de réflexivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
4.1. Impressions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
4.2. Description . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
4.3. Explication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
4.4. Analyse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
5. Viser à « faire faire » au lieu de faire, à « faire dire » au lieu de dire, à « faire construire »
au lieu de construire pour l’autre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
6. Assurer une écoute sans préjugés ou idées préconçues, ou jugements de valeur. . . . . . . . . . . . . . . . 118
7. Tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive
et professionnelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
8. Associer la recherche à un projet de formation-accompagnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
9. Donner une place à la pratique réflexive dans la formation-accompagnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
9.1. Réfléchir sur sa pratique et cheminer vers son analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
9.2. S’assurer d’un passage à l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
9.3. Faire cheminer vers la modélisation de sa pratique en évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
10. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124

CHAPITRE 9 - Pratiques avancées : des représentations professionnelles


aux repères pour accompagner le changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
2. De la genèse de l’anesthésie-réanimation à une évolution des territoires professionnels . . . . 128
3. Processus de problématisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
3.1. Des éléments empiriques… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
3.2. … aux éclairages conceptuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
4. Le protocole de recherche : une double visée compréhensive et praxéologique . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
5. Traitement et interprétation des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
5.1. Interprétation du discours recueilli en technique standard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
5.2. Interprétation du discours recueilli en technique de substitution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
5.3. Interprétation du discours des macroacteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
6. Propos conclusifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

CHAPITRE 10 - Introduction de la pratique avancée en soins : vers un modèle


français ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
2. Contexte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
3. Objectif du projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
4. Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
5. Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
5.1. Clarification terminologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
5.2. Stratégies mises en œuvre à l’étranger face à des défis de santé publique
similaires à ceux de la France. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153

XIV l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


6. Stratégie opérationnelle visant à introduire des métiers intermédiaires en France
à partir des métiers socles paramédicaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
6.1. Législation/réglementation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
6.2. Qualification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
6.3. Régulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
6.4. Rémunération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
6.5. Accompagnement du changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
7. Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158

CHAPITRE 11 - Dynamique identitaire et légitimité du positionnement du cadre


soignant de pôle dans le contexte des mutations du champ
de la santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
2. Un contexte législatif évolutif : la nouvelle gouvernance entraîne des changements
de mode de management . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
2.1. Du modèle bureaucratique à l’organisation polaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
2.2. Évolution de la fonction cadre de santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
3. Le système des activités professionnelles du cadre soignant de pôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
4. Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
5. Protocole de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
6. Présentation des résultats et analyse des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
6.1. Représentations sociales et professionnelles de la fonction de cadre soignant
de pôle (entre valeurs, croyances et opinions) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
6.2. Relations interprofessionnelles : le pôle, lieu de construction identitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
6.3. Identité professionnelle et compétences plurifonctionnelles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
6.4. Cadre soignant de pôle : un avenir incertain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
6.5. Management transversal et évolution des pratiques managériales : la nécessaire
collaboration interprofessionnelle (modification des lignes hiérarchiques,
stratégie du pôle, logiques différentes) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
7. Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
7.1. Un rôle à jouer pour s’adapter au changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
7.2. Être soi, un rôle à construire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173

CONCLUSION GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

1. Différentes approches du changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177


2. Le changement comme vecteur des transformations représentationnelles en contexte . . . . 178
3. Le changement de pratiques, de l’apport non négligeable de la tradition aux sources
des données probantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
4. Changements pédagogiques vers l’acquisition de nouvelles connaissances
et compétences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
5. Changement et accompagnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182

Sommaire l XV
RÉFLEXION INTRODUCTIVE
Michèle Saint-Jean, Nadia Péoc’h

1. Un contexte en mouvance
Le champ de la santé, dans son ensemble, connaît de profondes mutations (réformes,
innovations, universitarisation des métiers, place du patient, pratiques avancées,
etc.). Ces mutations sont portées par de nouvelles lois, différentes innovations et des
projets issus de nombreux rapports d’experts. Elles se concrétisent à tous les niveaux :
• la formation initiale (nouveaux référentiels, universitarisation des formations
paramédicales, nouveau rôle des tuteurs de stage, etc.) et continue (hôpital virtuel
de la simulation, serious game, etc.) ;
• la mise en place de protocoles de coopération, de projets de pratiques avancées
qui permettent un up-grade des compétences des professionnels de santé para-
médicaux sur des champs d’exercice comme la gestion de parcours complexes de
soins dans différentes disciplines (masters de pratiques avancées en gérontologie,
oncologie, santé mentale, etc.) mais aussi de projets de création de professions dites
intermédiaires qui posent la question du statut de ces professionnels ;
• le développement de la prévention et de l’éducation thérapeutique, comme lors de
l’élaboration des plans centrés sur l’amélioration de la qualité de vie des personnes
atteintes de maladies chroniques ;
• l’évaluation des pratiques professionnelles ;
• le développement professionnel continu ;
• l’évolution de la législation et des pratiques en termes de risques psychosociaux.

Ce constat nous a amenés à organiser, en juin 2014, à l’université Toulouse-Jean


Jaurès, lors des Journées internationales de l’unité mixte de recherche « Éducation,
formation, travail, savoirs » (UMR EFTS), un symposium intitulé « Du changement
dans le champ de la santé : formations virtuelles, pratiques avancées, prévention
des risques psychosociaux, éducation thérapeutique ».
Les discussions entre les conférenciers invités (issus du champ universitaire et du
champ de la santé : médecins, infirmiers, cadres de santé) et les auditeurs ont donné
lieu à cette production. Le présent ouvrage a l’originalité de traiter des questions
s’inscrivant dans une actualité sociale en lien notamment avec les orientations de la
future loi de santé. De plus, il s’intéresse à l’accompagnement de ces changements
à partir du regard de praticiens et de chercheurs dont les références théoriques
diverses se situent selon le cas en sciences de l’éducation, en sciences infirmières, en
psychologie sociale ou en médecine. Les apports empiriques et théoriques proposés
favorisent à la fois le repérage des enjeux et le déploiement d’une réflexion sur
l’accompagnement de ces changements.

Réflexion introductive l 1
2. Accompagner le changement : des visées
scientifiques et praxéologiques
Le champ de l’accompagnement a été particulièrement investi dans les recherches
en sciences de l’éducation depuis les années 1990-1995, avec notamment les travaux
d’Ardoino (2000), Le Bouedec (2002), Saint-Jean (2002), Paul (2004), Vial et al. (2007)
et Lafortune (2008). En revanche, concernant plus précisément l’accompagnement
du changement, si nous constatons qu’il a fait l’objet de nombreux travaux dans
différentes disciplines – en psychologie depuis Lewin (1947) mais aussi en sciences
de gestion avec Autissier et Moutot (2003 ; 2010), et Charpentier (2004) ; en mana-
gement avec Johnson (2011) et en sociologie avec Alter (2000) et Bernoux (2004 ;
2010) – nous notons que cette thématique est relativement émergente, notamment
en sciences de l’éducation, avec Baluteau (2003) et Bedin (2013) en France, et avec
Lafortune (2001 ; 2008 ; 2009) au Canada.
Dans l’ensemble des travaux cités supra, nous remarquons que l’accompagnement
du changement est susceptible d’interroger différents objets, en particulier dans le
champ de la santé :
• le type de recherche pour accompagner le changement avec des démarches impli-
quant les acteurs de terrain comme la recherche-intervention, la recherche-action,
etc., dans une visée praxéologique ;
• la place des pratiques mises en jeu sur le chemin du changement : observation,
orientation, impulsion, conception ;
• le rôle de l’acteur de terrain, collectif ou individuel, dans l’accompagnement du
changement ;
• la prégnance des dispositifs de formation, d’évaluation des pratiques comme cadre
de pensée, cadre d’intelligibilité ou cadre d’émancipation pour le changement ;
• le poids des organisations avec des changements à géométrie variable (subis,
planifiés, induits, prescrits, orientés, construits, adaptatifs, etc.).
Par ailleurs, la littérature scientifique met en évidence la posture du chercheur
(Marcel et Péoc’h, 2013), les stratégies et de multiples formes d’accompagnement
du changement : supervision, conseil, expertise, etc. Ces formes sont pensées en
fonction des finalités attendues, relatives à la continuité (prédominance du passé)/
discontinuité (retrait, rupture avec le passé) du changement, ce qui revient à situer
le changement dans son rapport à la situation antérieure (Baluteau, 2003 ; Saint-
Jean et Seddaoui, 2013).
Ce lien entre accompagnement et changement n’est pas un effet de mode. C’est une
réponse à la multiplication des réformes, à l’acuité des exigences face aux crises de
toutes sortes (économiques, sociales, politiques, etc.) que traverse notre époque.
Du point de vue individuel, c’est « s’intéresser aux ressources psychosociales qui
permettront aux salariés de penser, de reconstituer et de formaliser leurs expériences,
conditions essentielles pour les dépasser » (Saint-Jean, 2013). C’est ainsi « être centré
sur la personne » (Saint-Jean, 2002), ce qui constitue un renversement de posture par
rapport au fait de mettre la personne au centre d’un dispositif préexistant, créé a priori.
Cependant, l’individuel rejoint nécessairement le collectif, car « tout changement
doit s’accompagner d’un changement de culture et il ne peut y avoir de changement

2 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


culturel sans changement réel et pérenne des comportements individuels, d’où la
nécessité d’impliquer les acteurs de terrain » (Saint-Jean et Péoc’h, 2014a). Penser à
plusieurs est également un processus générateur d’altérité ; « l’altérité » est ici entendue
dans la perspective de Lévinas (1974), ce que représente l’Autre, ce qu’il dit, ce qu’il
écoute du sujet, ce qu’il lui renvoie, le fait « naître ». Cette relation affecte le sujet au
sens où la présence d’autrui lui rappelle qu’il n’est pas le premier (autrui le précède)
et l’oblige à assumer ce qu’il est, à être responsable » (Saint-Jean et Péoc’h, 2014b).

3. Point de vue de praticiens et de chercheurs


Cet ouvrage présente le point de vue de praticiens et de chercheurs, et propose de
faire un état de la recherche et des enjeux dans ce champ professionnel. Il s’organise
en deux parties.
La première partie lie le changement aux enjeux politiques, notamment en termes
de prévention, d’éducation thérapeutique, d’innovations et de sécurité du patient.
La contribution de Lionel Dany présente une réflexion sur la prévention contemporaine
qui interroge différents défis qu’elle engendre : défis réflexif, créatif, évaluatif, éthique.
La recherche menée sur la prévention des risques psychosociaux chez les cadres
de santé par Michèle Saint-Jean et Dolène Catherine renvoie aux apports de la
recherche-intervention en termes d’implication des acteurs et au caractère formateur
de ce type de démarche.
Hélène Lefebvre, Isabelle Brault et Odette Roy proposent un dispositif de soutien
permettant aux infirmières de contribuer de manière signifiante au système de
santé et visant à faire évoluer les pratiques infirmières classiques vers une pratique
professionnelle fondée sur les résultats probants de la recherche, et ainsi à améliorer
la qualité des soins.
Bruno Bastiani, Vincent Minville et Bernard Calmettes donnent à voir les premiers
résultats d’une recherche engagée sur la simulation en anesthésie-réanimation. Cette
démarche pédagogique novatrice, visant à développer les compétences non tech-
niques et importée du milieu industriel, peut néanmoins être améliorée au niveau
de la phase de débriefing, à partir du point de vue des acteurs qui en bénéficient.
Ingrid Verscheure travaille également sur l’évolution de la formation en anesthésie-
réanimation et présente l’avancée d’un projet de serious game intitulé 3DVOR (3D
Virtual Operating Room). L’enjeu de ce support est de faciliter l’acquisition de compé-
tences, que jusque-là seule la pratique effective rendait accessible.
La seconde partie s’intéresse au lien entre changement et professionnalisation,
considérant les nouveaux référentiels de formation, les nouvelles postures profes-
sionnelles et les nouveaux territoires professionnels.
À ce propos, Nadia Péoc’h et Christine Ceaux mènent une réflexion sur le contexte
d’universitarisation de la formation infirmière et son impact sur le terrain profes-
sionnel par l’intermédiaire d’une recherche visant à identifier les leviers et/ou les

Réflexion introductive l 3
freins dans l’acquisition des compétences, et à évaluer le processus de profession-
nalisation des infirmiers nouvellement diplômés.
Dans cette continuité, les travaux de Marine Do sur l’évolution de la fonction de
tuteur de terrain apportent un éclairage intéressant à la nouvelle place que ces
professionnels doivent occuper dans le processus de professionnalisation. L’auteure
montre que, pour changer sa pratique, l’acteur doit renégocier ses représentations,
refaire sa place, reconfigurer son identité professionnelle.
Les apports de Louise Lafortune permettent un regard critique sur la façon d’accom-
pagner la mise en œuvre de changements orientés, en particulier l’introduction
de la pratique réflexive-interactive qui interroge la place de la formation dans ce
processus aussi bien pour les formés que pour les formateurs.
La contribution de Bruno Bastiani, Nadia Péoc’h, Ghyslaine Lopez et Vincent
Minville montre en quoi identifier les représentations professionnelles des praticiens
de l’anesthésie-réanimation (médecins et infirmiers anesthésistes) sur un projet de
reconnaissance de pratiques avancées est primordial pour identifier les freins et
facilitateurs, et ainsi ouvrir une concertation ne niant pas l’individuel au profit de
l’organisationnel.
À la suite de cela, Christophe Debout et Anne-Marie Doré s’interrogent sur
l’introduction des pratiques avancées en soins, de façon générale, en posant les
jalons d’un modèle français à partir des travaux menés par un groupe de travail.
La contribution de Fabienne Sintes et Christine Mérienne conclut cet ouvrage par
la question de la construction de l’identité professionnelle des cadres soignants de
pôle et son impact sur les pratiques managériales de collaboration dans le contexte
de profondes mutations que connaît le champ de la santé.

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4 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


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Réflexion introductive l 5
Partie 1
Changement et enjeux
politiques : prévention,
innovation et sécurité
du patient
CHAPITRE 1
Prévention entre
continuité et changements :
réflexions psychosociales
Lionel Dany

1. Introduction
La prévention constitue un champ de réflexion particulièrement fécond pour les
acteurs de la santé publique mais aussi pour la psychologie sociale. La prévention
constitue un objet complexe qui tient, d’une part, à la complexité du « projet préventif »
(objectifs, modalités d’élaboration et de mise en œuvre), d’autre part, au façonne-
ment sociétal de ce projet préventif traversé par des attentes, des valeurs, voire des
conflits de perspectives au sein de la société. Face au constat de cette complexité,
ce chapitre visera à participer à une démarche réflexive et critique en présentant :
• les définitions associées à la prévention tout en soulignant son enjeu social ;
• une réflexion sur le fait que la prévention peut être appréhendée comme un lieu
de « tension » entre l’individuel et le collectif ;
• quatre défis auxquels la prévention contemporaine est confrontée (défis réflexif,
créatif, évaluatif et éthique).
Les réflexions développées dans ce chapitre visent à ouvrir des perspectives vers un
nouveau paradigme de la prévention en nous appuyant notamment sur les apports
d’une psychologie sociale critique.

2. Prévention
2.1. Un objet complexe
La prévention occupe une place de choix du fait de son histoire, de son inscription de
plus en plus marquée dans nos sociétés contemporaines et des attentes qu’elle génère,
voire les « espoirs » qu’elle fait naître. En France, si l’on se réfère à la « feuille de
route » associée à la Stratégie nationale de santé présentée dernièrement1, elle sera

1. www.social-sante.gouv.fr/strategie-nationale-de-sante,2869/.

Chapitre 1 – Prévention entre continuité et changements : réflexions psychosociales l 9


en mesure d’occuper une place de plus en plus importante dans les années à venir.
Parler de prévention constitue un exercice délicat tant celle-ci renvoie, d’une part,
à la complexité du « projet préventif » (ses objectifs, ses modalités), d’autre part,
au cadre socioculturel qui façonne les attentes et valeurs associées à ce projet. Les
objets de la prévention sont à la fois multiples, complexes et relèvent de situations de
mise en œuvre qui comportent des enjeux différents (par exemple, l’intervention en
amont de la survenue de pathologies ou d’accidents auprès d’une population large et
« indifférenciée », l’intervention en « aval » auprès d’une personne présentant une
pathologie diagnostiquée). Elle inclut à la fois la communication sociale à grande
échelle, les interventions ciblées auprès de populations et les modalités de la relation
thérapeutique. Les acteurs de la prévention sont nombreux. Ils disposent de statuts
divers et de compétences différentes. Leurs modalités d’action sont le plus souvent
envisagées dans une perspective pluridisciplinaire et/ou complémentaire.
Ainsi, fort du constat de la complexité de cet objet, nous ne prétendons pas, dans
ce chapitre, à l’exhaustivité. Notre objectif consiste plutôt au développement d’une
démarche réflexive et critique, à un questionnement nécessaire pour faire « bouger »
les lignes sur un sujet qui revêt une importance majeure pour les différents acteurs de
la santé publique et pour la population dans son ensemble. Par ailleurs, ne pouvant
prétendre à traiter l’ensemble des dimensions que recouvre la prévention, nous
avons opéré le choix de proposer une réflexion portant sur la prévention primaire
(voir ci-après) en illustrant notre propos à l’aide d’exemples issus, le plus souvent,
du champ des conduites liées aux « drogues1 ». Cette centration sur ces éléments
ne limite pas strictement la transversalité des réflexions proposées.

2.2. Définitions
Dans son acception la plus large, la prévention renvoie à la mise en œuvre de
mesures qui visent à préserver une situation donnée. Dans le champ de la santé, la
prévention renverra plus spécifiquement à l’ensemble des mesures visant à éviter
ou à réduire le nombre et la gravité des maladies ou des accidents. On distingue
traditionnellement la prévention à partir de la classification proposée par Caplan
(1964) qui la catégorise en prévention primaire, secondaire et tertiaire. La prévention
primaire comprend tous les actes destinés à diminuer l’apparition (l’incidence) d’une
maladie dans une population. Elle vise donc à réduire le risque d’apparition de cas
nouveaux. La prévention primaire relève davantage d’un modèle comportemental
(Kaplan, 2000). Cette catégorie renvoie de façon usuelle à la définition même de
la prévention. La prévention secondaire comprend tous les actes destinés à diminuer
1. Nous utilisons le terme générique de « drogue » ou « drogues ». Pour autant, cette terminologie n’a
pas de valeur scientifique spécifique et constitue en elle-même une évaluation tant elle est le fruit d’une
construction sociale. Dans son usage courant, elle ne permet de saisir, le plus souvent, qu’une certaine
catégorie de substances : les substances illicites et/ou les substances considérées comme « dangereuses »
ou illicites (Peretti-Watel, 2005). L’utilisation de ce terme a donc pour effet de construire un objet
qui porte une connotation péjorative, dépréciative, voire polémique. Toutefois, le pluriel prend acte
de la diversité des produits, de leurs effets et des problèmes qu’ils sont susceptibles de générer, voire
de leur statut légal. De plus, dans l’espace social, l’utilisation de ce terme rend l’analyse psychosociale
particulièrement féconde car elle donne accès à des logiques sous-jacentes (individuelles et sociales) qui
déterminent les positions des individus et des groupes à l’égard non pas seulement de la drogue mais
des drogues (Dany, 2008).

10 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


le taux de cas (la prévalence) d’une pathologie dans une population, à en réduire la
durée d’évolution. La prévention tertiaire comprend tous les actes destinés à diminuer
les conséquences négatives (par exemple incapacités chroniques, récidives, invalidités
fonctionnelles) d’une pathologie existant au niveau de la population. Par la suite,
d’autres classifications ont été proposées. Par exemple, Gordon (1983) distingue les
types de prévention en fonction des publics cibles. Il distingue ainsi la prévention
universelle (population entière), la prévention sélective (centrée sur les individus à risque
élevé) et la prévention indiquée (ciblée sur les individus à haut risque).
Plus récemment, Romano et Hage (2000) ont proposé un certain nombre de critères
associés aux interventions préventives. Ces interventions visent à :
• arrêter un problème avant qu’il n’apparaisse ;
• retarder l’apparition d’un problème comportemental ;
• réduire l’impact d’un problème comportemental existant ;
• renforcer la connaissance ; les attitudes et les comportements qui promeuvent un
bien-être émotionnel et physique ;
• soutenir les politiques institutionnelles, communautaires et gouvernementales
qui promeuvent le bien-être physique et émotionnel.
Dans le champ de la santé mentale, Conyne (2004) suggère que la prévention est
un but pour la vie de tous les jours et les acteurs concernés, par lequel les indi-
vidus deviennent autonomes pour interagir de façon effective et appropriée avec
une variété de niveaux de systèmes (micro, méso, exo et macro)1 et paramètres
(individu, famille, école, communauté, travail). La mise en œuvre de la prévention
vise la réduction de l’occurrence des nouveaux cas d’un problème, mais aussi leur
durée et leur sévérité, et peut promouvoir le renforcement du fonctionnement des
individus. Ces définitions récentes, tout en reprenant les caractéristiques « tradi-
tionnelles » de la prévention (voir la prévention comme moyen d’empêcher ou de
réduire l’impact d’un problème), mettent l’accent sur sa nécessaire mise en œuvre à
l’échelle du « système » (institutions, communautés, société) et sur son rôle sur le
développement individuel et collectif (la promotion du bien-être).
La prévention s’est inscrite massivement dans l’espace social à la suite de la « tran-
sition épidémiologique » (Peretti-Watel et Moatti, 2009) marquée par le recul de la
mortalité et de la transformation des causes de décès, mais aussi par l’augmentation
des pathologies chroniques et dégénératives. Cette transition a pour conséquence
une centration de la prévention sur les « conduites à risque ». La centration sur les
« comportements à risque » n’est pas neutre et dresse les contours du « principe
de prévention ». Pour Peretti-Watel et Moatti (2009), le principe de prévention
contemporain renvoie à la situation suivante : « l’épidémiologie établit de simples
relations statistiques entre des conduites individuelles et des problèmes de santé […]
la prévention s’empare ensuite des conduites pour inciter les individus à y renoncer,
en considérant ces derniers comme entrepreneurs de leur propre santé – tout à la

1. Micro (caractéristiques, états, compétences, habiletés, déficits d’un individu) ; meso (milieu de vie
immédiat, systèmes et personnes fréquentés par l’individu) ; exo (caractéristiques de l’environnement
externe qui influencent l’individu ou les groupes) ; macro (environnements économique, politique,
médiatique, avec lesquels l’individu n’a pas d’interactions directes, mais aussi croyances, valeurs, idéo-
logies de la communauté).

Chapitre 1 – Prévention entre continuité et changements : réflexions psychosociales l 11


fois autonomes, calculateurs, aptes à se projeter dans le futur et fortement attachés
à leur santé » (p. 24).
Au-delà de son articulation aux savoirs produits par l’épidémiologie, une autre
composante fondamentale est associée à la prévention : son caractère idéologique.
En effet, pour de nombreux auteurs, « l’acte préventif » – en tant que pratique
socialement définie, légitimée, régulée et mise en œuvre – n’est pas neutre. Pour
Robert (2005), par exemple, l’évolution du concept de prévention est « indissociable
de celle des valeurs de la société, et, en particulier, des tabous religieux, de la place
que cette société réserve à l’individu, des découvertes scientifiques et médicales, de
la situation épidémiologique et de l’économie en général » (p. 19). Pour d’autres,
elle « est une entreprise morale, vouée au culte de la santé et fondée sur la notion
de risque, qui elle-même a une dimension idéologique forte » (Peretti-Watel et
Moatti, 2009, p. 83). Cette composante idéologique de la prévention n’est pas
sans conséquence sur la façon dont celle-ci est à la fois pensée et mise en œuvre.
Elle est, à ce titre, en mesure de générer des tensions entre « l’individuel » et le
« collectif ».

2.3. Prévention contemporaine : lieu de tension


entre l’individuel et le collectif
Dans une perspective psychosociale d’analyse des comportements de santé et des
conduites à risque (Apostolidis et Dany, 2012 ; Dany, 2013), on peut poser que :
• les comportements de santé et les comportements dits « à risque » comportent
de façon intrinsèque des enjeux psychosociaux ;
• ces comportements ne sont pas atomisés, ils sont liés socialement dans le sens où une
certaine logique psychosociale préside et participe à leur articulation potentielle ;
• un ensemble de régulations psychosociales influencent les choix opérés par les
individus et la « rationalisation » de ces choix ;
• le risque est une construction sociale (Lupton, 1999) qui organise le champ du
travail sociocognitif des individus et des groupes ;
• les normes sociales contribuent, en tant qu’élément constitutif et constituant, à
cette construction sociale du risque ;
• la dimension identitaire est prépondérante dans la négociation du risque .
1

Ces différents points d’analyse visent à dresser les contours d’un projet d’intelligi-
bilité des mécanismes liés à la négociation du risque par les individus et les groupes
sociaux (cf. encadré ci-après).

1. La négociation du risque rend compte des dynamiques interpersonnelles et psychosociales en jeu dans
la construction du risque. Les individus « négocient » le rapport qu’ils entretiennent avec le compor-
tement à risque considéré afin de concilier responsabilité personnelle, identité sociale et contrôle de la
situation. La prévention contemporaine a participé de façon importante à cette « conscience de soi », les
différentes campagnes de prévention invitant les récepteurs potentiels à se « subjectiver » (Berlivet, 2004).

12 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


La construction sociale du « bien fumer » chez les consommateurs de cannabis
La construction sociale du « bien fumer » chez les consommateurs de cannabis interroge de
façon consubstantielle, d’une part, la question de l’établissement et du maintien des normes
de consommation de cette substance, d’autre part le travail d’édification et de légitimation
des consommations considérées à risque et leur corolaire, les consommations non risquées,
voire normales. Nous avons réalisé une étude qualitative (Delepau et al., 2012), par entretiens
de recherche, afin d’étudier la norme du « fumer » (ou du « bien fumer »), en dégageant les
critères de définition du normal, de l’excès, du « mal fumer », et de façon concomitante afin
d’explorer la construction du « risque cannabis ».
L’analyse de contenu des entretiens suggère que plusieurs rationalités coexistent pour penser
le risque. Les consommateurs puisent dans le savoir scientifique concernant les risques mais
aussi dans des connaissances profanes présentes dans le groupe de pairs. Ils se basent sur
des construits et des significations « déjà là » pour interpréter les risques et leur attribuer un
sens (Apostolidis et Dany, 2012). Ces construits leur permettent de circonscrire les risques liés
à leurs pratiques et de se situer parmi ces risques. Les consommateurs interrogés jugent les
risques sanitaires comme étant les plus fréquents et les plus graves. Inscrire les risques dans
le champ de la santé renvoie à une certaine temporalité car ce n’est pas un risque immédiat
mais diffus et cela pose l’hypothèse d’une normalisation de la pratique.
Le « bien fumer » se retrouve chez tous les consommateurs mais il est plus élaboré et plus impor-
tant chez les consommateurs réguliers. Ceux-ci doivent protéger leur identité en défendant
leurs pratiques et en écartant les individus qui ne seraient pas respectueux de ces règles (Lo
Monaco et al., 2011). Les consommateurs, à travers leur élaboration psychosociale du « bien
fumer », maintiennent une identité sociale et individuelle positive. Cette élaboration s’appuie
sur un travail de circonscription et de définition des usages dits « normaux » au regard des
pratiques déviantes et des autres substances psychoactives qui font figure de point de référence.
L’usage de cannabis recouvre des pratiques, des valeurs collectives et des limites socialement
établies. Comme pour le « bien boire », respecter les normes transmises au travers du « bien
fumer » conduit à un équilibre personnel qui se pense au regard de l’harmonie sociale (Ancel
et Gaussot, 1998). Les normes de consommation permettent, d’une certaine manière, de
maintenir une « tension entre l’impératif de la cohésion sociale et l’affirmation à disposer de
soi » (Kokoreff, 2010, p. 12). La construction du « bien fumer » et du « risque cannabis » traduit
un lien dynamique entre le sujet (individuel et collectif) et l’objet. Cette construction s’élabore
dans et par des faits d’inscription et de participation sociales.
L’analyse des stratégies sociocognitives de neutralisation des risques liés au cannabis (Peretti-
Watel, 2003) constitue un enjeu intéressant de connaissance, mais aussi un enjeu important
pour la prévention. Ces enquêtes socio-représentationnelles permettent de repérer et d’ana-
lyser certains raisonnements concernant la définition du « devenir drogué au cannabis » qui
puisent dans les « biologies » et les psychologies naïves façonnant les modes de vie et de
socialisation entre pairs (Becker, 1985). Dans ces raisonnements, la dangerosité de la subs-
tance (par exemple la dépendance, les conséquences sanitaires et sociales) et la perception
du consommateur comme un drogué se construisent de manière conditionnelle en fonction
des modes et des contextes d’usage (occasionnel/quotidien, seul/en groupe) qui renvoient
à la relation supposée entre l’usager et la substance (Dany, 2008). Ainsi, de façon analogue
avec ce qui a déjà été mis en évidence au sujet de l’alcool dans la société française, le « bien
fumer » apparaît comme une norme de conduite à laquelle déroge celui qui fume trop et/ou
seul, passant ainsi du statut de quelqu’un de convivial à celui de drogué potentiel.

Chapitre 1 – Prévention entre continuité et changements : réflexions psychosociales l 13


L’analyse du traitement sociétal du risque montre que nous sommes confrontés à
une « privatisation du risque » (Peretti-Watel et Moatti, 2009) qui met l’accent sur
les conduites individuelles et la responsabilité personnelle. Le « paradigme épidé-
miologique » (Peretti-Watel, 2004) contribue de façon importante au travail de
légitimation de cette perspective. Il nous semble qu’aborder ces conduites sous un
angle strictement « individuel » peut poser question tant celles-ci sont marquées
par des formes de régulation sociale.
Cinq aspects a minima permettent d’envisager cette composante sociale des conduites
individuelles :
• ces conduites sont pour partie le fruit d’un apprentissage social (socialisation,
habitus, normes) ;
• elles sont très largement mises en œuvre en présence d’autrui ;
• elles participent à la régulation des rapports sociaux avec autrui (sociabilité,
participation sociale) ;
• elles participent à la construction identitaire (inscription sociale) ;
• elles font l’objet d’évaluations, d’interprétations, de régulations par le sujet (et
les groupes sociaux) qui les met en œuvre (ou non), et cet ensemble d’évaluations
passe par une grille de lecture qui comporte une dimension sociale.
La tension entre l’« individuel » et le « collectif » se manifeste donc de façon compo-
site. En résumé, elle s’exprime en premier lieu dans la construction sociale du risque
qui rend compte des processus éminemment sociaux de cette construction (c’est-à-
dire les contextes sociaux et culturels comme cadres dans lesquels les risques sont
produits, le « risque » comme valeur où figurent des choix sociaux) et de processus
individuels de (re)définition des risques en lien avec des enjeux identitaires. Cette
tension s’exprime également dans la confrontation de logiques explicatives des
conduites à risque, qui reposent sur la prégnance de la responsabilité individuelle
ou sur la dimension sociale de ces conduites.
Le paradigme préventif a besoin de se questionner sur lui-même et de se nourrir
de ses propres « contradictions » et « impasses ». Il peut être intéressant de ques-
tionner ce paradigme en pointant certains défis1, non exclusifs les uns des autres,
que la prévention contemporaine pourrait être amenée à relever.

3. Quelques défis associés à la prévention


contemporaine
Nous avons identifié quatre défis qui nous semblent constituer autant de points de
réflexion et de travail pour les acteurs de la prévention : un défi réflexif (comment
penser l’objet et le sujet de la prévention ?), un défi créatif (comment mettre en
œuvre la prévention ?), un défi évaluatif (comment évaluer la prévention ?) et un
défi éthique (comment mettre en œuvre la prévention dans le respect de chacun ?).
Nous ne donnerons pas de solution définitive quant aux réponses à apporter à ces

1. Bien entendu, cette liste ne saurait être exhaustive.

14 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


défis. Nous dresserons les contours d’une réflexion qui se veut porteuse d’enjeux
théoriques, méthodologiques et éthiques.

3.1. Défi réflexif


Ce type de défi concerne la manière dont l’objet (le comportement) et le sujet
(en tant que « cible ») même de la prévention peuvent être pensés, la façon dont
ils peuvent être analysés. Plusieurs théories ont été développées au cours de ces
dernières décennies, avec pour objectif d’expliquer les comportements de santé : le
Health Belief Model (Rosenstock, 1974), la théorie de la motivation à se protéger
(Rogers, 1983), la théorie de l’action raisonnée (Ajzen et Fishbein, 1980), la théorie
du comportement planifié (Ajzen, 1991) ou encore le modèle des médiateurs de
la santé (Rutter et Quine, 2000). Le point commun de tous ces modèles est de
considérer les comportements de santé comme des comportements sociaux conçus
schématiquement comme étant fonction des attitudes et des croyances des individus
et des groupes par rapport à des objets ou des situations (Sarafino, 1990).
Malgré leur intérêt pour la recherche et le développement de la connaissance, force
est de constater que les bilans de ces modèles sont mitigés (Armitage et Conner,
2001, Floyd et al., 2000)1. Par ailleurs, leurs conceptions ambiguës et réductrices
ont fait l’objet de critiques (Apostolidis et Dany, 2012 ; Morin, 2001 ; Ogden, 2008)
portant sur les problèmes conceptuels de ces construits (par exemple le sens de la
causalité, la redondance entre construits), les aspects méthodologiques (notamment
la puissance statistique, la transversalité des mesures), les problèmes de prédiction
(comme le défaut de prédiction de l’intention comportementale, la difficulté à prédire
le comportement). Les modèles de rationalité ou de calcul des risques inhérents à
ces modèles, qui privilégient (volontairement ou non) les processus opérant à un
niveau intra-individuel, ont tendance à réduire la complexité des mécanismes en jeu
et à restreindre l’espace de la plurirationalité qui opère dans les situations sociales.
Il nous faut (re)programmer notre « logiciel de compréhension » des conduites à
risque et des comportements de santé en envisageant le rôle de cette plurirationalité
chez les individus. En d’autres termes, il nous faut prendre en compte la coexistence
de rationalités multiples et parfois contradictoires2. Il nous faut également garder
à l’esprit que l’expression « rationalités multiples » ne peut être confondue avec le
« raisonnable », ce dernier terme traduisant des valeurs et des normes sociales. Les
individus construisent, légitiment, évaluent les risques et leurs comportements de
santé comme des faits associés à leur inscription et à leur participation sociales
(Apostolidis et Dany, 2012). Ce constat engendre deux questions essentielles qui
peuvent accompagner toute réflexion sur l’action préventive : à partir de quelle place
sociale l’individu est-il amené à évaluer ses comportements de santé et ce qui est
risqué ? À partir de quelles relations entretenues avec les autres, l’individu construit-il
les risques et ce qu’il est bon de faire pour préserver sa santé ? Il s’agit là d’un défi
intellectuel pour penser et mettre en œuvre la prévention. Un véritable projet de

1. Plus précisément, ces méta-analyses montrent par exemple que certains modèles théoriques (par
exemple la théorie du comportement planifié, la théorie de la motivation à se protéger) ne permettent
d’expliquer que de façon « modérée » les intentions comportementales et les comportements.
2. Qui constituent, à bien des titres, le « prix » de notre humanité.

Chapitre 1 – Prévention entre continuité et changements : réflexions psychosociales l 15


société dans le sens où il impose une définition de ce qui est et fait société. Dans un
certain sens, ce projet vise à resocialiser les conduites à risque et les comportements
« nuisibles » à la santé.
À titre illustratif, nous avons montré dans deux études, l’une portant sur le cannabis
(Dany et Abric, 2007) et l’autre sur la cocaïne (Dany et al., sous presse), que la
connaissance perçue déclarée par les individus vis-à-vis de ces deux substances était
corrélée avec leurs pratiques1 et leur degré d’implication2 vis-à-vis de ces substances.
Ce type de résultats questionne de façon intéressante un des objectifs de la préven-
tion qui est l’augmentation du niveau de connaissance des individus par rapport aux
substances consommées et leurs effets potentiels. En effet, ces travaux pointent le
fait que ce sont les individus les plus « proches » de ces substances qui déclarent
le niveau de connaissance perçue le plus élevé3. Il n’est d’ailleurs pas paradoxal de
pointer cette situation car l’expérimentation des substances et le développement des
pratiques augmentent la probabilité de développer a minima un savoir expérientiel
(par exemple modalités et techniques liées à l’usage, effets des substances, cadre
légal, etc.) qui peut se traduire en un savoir « expert » par confrontation au savoir
scientifique existant.

3.2. Défi créatif


Ce défi concerne plus particulièrement la manière dont la prévention peut être mise
en œuvre. La réalisation effective des actions de prévention répond à une double
contrainte qui porte sur la demande sociale en termes de prévention et sur les
conditions de réalisation des actions de prévention. La demande sociale concerne le
contexte socio-institutionnel qui délimite les « territoires » de la prévention (prio-
rités, acteurs mobilisés, publics cibles, etc.). Les conditions de réalisation renvoient
plus spécifiquement aux possibilités concrètes qui permettront le déroulement des
actions (moyens financiers, cadre d’intervention, modalités d’intervention, etc.).
Les acteurs de la prévention sont le plus souvent soumis à ce double système de
contrainte qui inscrit la réalisation des actions dans un contexte de précarité et de
dépendance. Ce contexte n’est pas particulièrement favorable à « la prise de risque »
par les acteurs de la prévention4.
Or, selon nous, une véritable politique de développement de la prévention devrait
permettre l’innovation et la créativité en matière d’actions de prévention. En ce
domaine, la créativité nécessite un dépassement des cadres attendus de l’intervention,

1. Dans les deux cas, il s’agissait de mesures portant sur la consommation de la substance étudiée et les
consommations d’autres produits psychoactifs (par exemple alcool, tabac, expérimentation de substances
illicites autres).
2. L’implication peut s’apparenter au niveau auquel l’individu peut « avoir rapport à », « se sentir concerné
par l’objet » ou encore son positionnement sur un axe « observateurs »/« acteurs » vis-à-vis de l’objet.
3. La mise en œuvre de comportements potentiellement « nocifs » pour la santé comme la consommation
de psychotropes n’est pas, en effet, contradictoire avec la présence d’un niveau de connaissance élevé
(ou perçu comme tel) ou d’une reconnaissance de la dangerosité (par exemple, composante addictive du
produit) chez les individus et les groupes sociaux (notamment Jenks, 1992 ; Klee, 1998).
4. Notre propos ne doit pas laisser penser que tous les acteurs de la prévention seraient contraints de
façon équivalente, ou qu’aucun ne pourrait développer des actions innovantes. Il s’agit davantage de
pointer certaines limites structurelles à la mise en œuvre des actions d’un point de vue plus général.

16 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


tels que certaines valeurs ont tendance à les définir. L’actualité récente illustre parfai-
tement l’écart que l’on peut observer entre nécessité sociale des actions préventives
(nécessité qui peut faire l’objet de consensus aux niveaux institutionnel ou déci-
sionnel) et acceptation sociale de ces mêmes actions de prévention (par exemple les
événements récents autour de la « théorie du genre » et de l’éducation sexuelle à
l’école ; les débats autour des salles de consommation de drogue à moindre risque
communément nommées « salles de shoot »1). Une politique volontariste en termes
de réduction des risques2 permettrait également de dépasser les enjeux moraux qui
ne doivent pas se substituer aux enjeux de santé publique.
Le défi créatif pourrait s’appuyer sur une posture combinant différents présupposés,
par exemple :
• exclure le risque zéro (qui n’est qu’un leurre) sans « banaliser » les pratiques à
risque et sans participer à une hiérarchisation a priori des « risques » ;
• contribuer à une démarche d’analyse compréhensive et contextuelle du (des)
risque(s) ;
• participer à un projet de santé publique global qui vise la réduction des consé-
quences associées aux prises de substances ;
• privilégier le point de vue des acteurs (publics, professionnels, experts) sans les
mettre en concurrence mais en envisageant l’articulation nécessaire de ces diffé-
rents savoirs ;
• contribuer à mettre en évidence les « ressorts » (systèmes et processus de légi-
timation) qui opèrent dans la construction du débat social sur les risques en
développant une démarche critique ;
• contribuer à rendre les individus acteurs de leur santé en s’appuyant sur leur
ressources propres, en prenant en compte le rôle des contraintes bio-psycho-
sociales auxquelles ils sont confrontés et en privilégiant une approche qui donne
toute son importance à la subjectivité des individus.

3.3. Défi évaluatif


L’évaluation doit être au cœur de la prévention, une évaluation formative et non
pas une évaluation punitive. Autrement dit, une évaluation qui tolère l’absence de
résultats afin de favoriser l’expérimentation et la prise de « risque » de la part des
acteurs de la prévention. Dans le champ de la prévention, nous sommes « condamnés »
à innover (voir 3.2. Défi créatif) pour permettre à la fois un renouvellement des
modalités d’action et une adaptation de ces modalités d’action.
Ce défi évaluatif porte également sur le nécessaire développement de recherches
d’envergure dans le contexte français afin d’étudier les programmes de prévention
existants, à la fois pour en évaluer les effets potentiels mais aussi pour caractériser
les critères d’efficience associés à ces programmes (Cuijpers, 2002). Le développe-
ment de telles recherches permettrait de pallier le problème d’adaptation culturelle

1. Cette dernière dénomination témoigne déjà en soi du problème tel qu’il peut être posé pour s’opposer
à ce dispositif.
2. La réduction des risques vise à minimiser les risques encourus par la réalisation d’un comportement
considéré « à risque » (par exemple, réduction des risques liés à l’usage d’une substance par la prévention
du passage à l’injection ou la prévention du risque infectieux par l’accès à du matériel stérile).

Chapitre 1 – Prévention entre continuité et changements : réflexions psychosociales l 17


posé par la transposition des programmes existants qui sont, pour la plupart, nord-
américains (Cuijpers, 2002 ; Rooney et Murray, 1996)1.
Bien que nécessaire, la mesure et l’évaluation ne peuvent et ne doivent pas se substi-
tuer à une approche globale qui vise à garantir la réflexivité nécessaire à l’activité des
professionnels de la prévention, car l’utilisation d’outils de mesure nous confronte
à l’illusion d’une certaine « transparence » :
• transparence des faits qui tend vers une circonscription d’un phénomène tenu pour
conforme à une réalité représentée ;
• transparence des liens qui donnent sens aux situations et événements (explicitation
de l’expérience des individus par la mise en relation d’un ensemble de construits
entre eux) ;
• transparence des causes sous-jacentes aux observations réalisées en ayant recours
à des hypothèses qui s’appuient en partie sur la modélisation des concepts en
construits opérationnels pour la mesure.
Ce défi évaluatif pourra également être mené à bien en développant la formation à
un niveau général (les divers acteurs qui sont en mesure d’intervenir dans le champ
de la prévention, quel qu’en soit le statut) mais aussi à un haut niveau de spéciali-
sation (master et doctorat) afin de disposer d’experts aux niveaux local et national
qui constitueront autant d’acteurs avertis.

3.4. Défi éthique


La prévention, quelle que soit son intention, est en mesure de stigmatiser les individus
et les groupes sociaux. En pointant les comportements nocifs ou non appropriés,
nous pointons (sans le vouloir parfois) des individus et/ou des groupes qui, de fait, se
trouvent étiquetés comme étant à risque ou déviants. De l’évaluation des facteurs de
risque à la désignation des populations à risque, il n’y a qu’un pas qui peut conduire
à la stigmatisation des groupes concernés. Plus précisément, les conduites à risque
constituent un outil de classification et un prétexte à l’étiquetage (Peretti-Watel,
2000) dans le sens où celui qui s’éloigne de la norme devient un « risque » (charge,
coût, menace). Le risque devient alors synonyme d’anormalité, d’inadaptation, et
permet d’étiqueter les groupes à risque2.
Par ailleurs, « Les notions de “comportement à risque” et de “groupes à risque” n’ont
pas la même acception dès lors que les individus affirment leur préférence pour une
société d’individus qui en appelle à la responsabilité de chacun de ses membres ou
pour une communauté qui valorise la conformité sociale » (Calvez, 2005, p. 40).
Ces enjeux ne sont pas sans conséquence, car l’individu stigmatisé ou celui qui se
trouve au cœur des processus d’influence sociale visant à modifier ses comporte-
ments ou attitudes ne reste pas « sans rien faire » face à ces tentatives. Ainsi, comme
le montrent de nombreux travaux (Dany et Apostolidis, 2002 ; Falomir et Mugny,
2004), « les plus exposés aux risques développent des stratégies actives d’atténuation
de la menace, qui se traduisent par un traitement défensif de l’information » (Morin,

1. Ce constat limite également les enseignements des méta-analyses réalisées dans le domaine.
2. Par exemple, « Fumer ne concerne plus ce que l’on fait mais dénonce ce que l’on est » (Pigeard de
Gurbert, 2011, p. 102).

18 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


2010, p. 211). En ce sens, il est indispensable d’anticiper le caractère potentiellement
conflictuel de la situation de prévention et l’impact que celle-ci est en mesure d’avoir
sur les individus et les groupes sociaux. Le projet préventif ne pourrait se réaliser
au détriment de ces derniers sans que son fondement éthique en soit questionné.
Un autre point essentiel concerne la prise en compte des inégalités sociales. Il
faut fortement investir ce champ des inégalités sociales de santé qui constitue un
« terreau » sur lequel nous devons envisager les actions de prévention. La précarité
constitue en soi un obstacle important à la mise en œuvre de la prévention. La santé,
sous sa forme du « gouvernement de soi » (Foucault, 1976), est rarement une priorité
(une compétence diraient certains) lorsque l’on est en situation de précarité. Être
acteur nécessite d’être en capacité d’agir et en possibilité de penser l’action comme
possible, adéquate et nécessaire. Or, les contraintes structurelles qui s’imposent à
l’action (pensée et agie) sont en mesure de remettre en cause le projet préventif.

4. Pour conclure
Ce rapide tour d’horizon sélectif montre à quel point la prévention constitue un
phénomène complexe qui traverse tous les espaces de la société. Il nous faut non
seulement pointer le caractère « complexe » des phénomènes associés à la prévention
mais aussi, d’une certaine manière, revendiquer la complexité de ces phénomènes
pour se défendre de toute tendance à la simplification des problèmes posés. Cette
simplification s’accompagne, le plus souvent, de la promotion d’orientations tracées
par des valeurs ou idéologies, et non par l’expertise. Réduire cette complexité au
détriment de la compréhension conduirait, selon nous, à une impasse.
Beaucoup d’acteurs de terrain sont impliqués dans la mise en œuvre des actions de
prévention et disposent d’un savoir expérientiel utile au développement de nouvelles
stratégies préventives. La mobilisation de ces acteurs comme la valorisation de
l’action préventive constituent des axes essentiels à développer. La prévention, entre
continuité et changements, doit nous permettre de construire un nouveau para-
digme de la prévention en nous appuyant sur les expériences et savoirs disponibles,
en suscitant l’innovation auprès des acteurs de la prévention (et de la réduction des
risques) et en garantissant une démarche réflexive critique.

À retenir
Le risque est une construction sociale (Lupton, 1999).
La prévention génère des tensions entre « l’individuel » et le « collectif » (Apostolidis et
Dany, 2012).
La prévention est en mesure de stigmatiser les individus et les groupes sociaux (Peretti-
Watel et Moatti, 2009).

Chapitre 1 – Prévention entre continuité et changements : réflexions psychosociales l 19


Questions de discussion
La prise de risque doit-elle être envisagée comme un comportement irrationnel ?
Pourquoi parler de tension entre l’individuel et le collectif lorsque l’on évoque la
prévention ?
En quoi l’analyse des représentations du risque peut nous aider à changer de paradigme
préventif ?

Lectures pour aller plus loin


Un ensemble de travaux montre comment les consommateurs de tabac résistent aux
messages de prévention : Falomir et Mugny (2004).
Une présentation sur la construction sociale du risque et de ses enjeux : Lupton (1999).
Une réflexion critique pertinente sur les enjeux contemporains de la prévention et de ses
limites : Peretti-Watel et Moatti (2009).

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20 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


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Chapitre 1 – Prévention entre continuité et changements : réflexions psychosociales l 21


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22 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


CHAPITRE 2
Accompagner la prévention
des risques psychosociaux
chez les cadres de santé :
un vecteur de changement
et de construction de sens
Michèle Saint-Jean, Dolène Catherine

1. Introduction
L’objectif de cette contribution est de rendre compte d’une recherche qui constitue
la première étape d’une démarche de prévention s’intéressant à la place du cadre
de santé et son exposition aux risques psychosociaux (RPS) au sein d’un hôpital
public français.
Les organisations de travail sont en profonde mutation depuis plusieurs décennies,
et plus particulièrement ces dernières années avec l’impact de la crise économique
et financière. Tous les secteurs d’activité, privés ou publics, sont touchés par les
réorganisations, notamment le secteur de la santé et l’hôpital public. Ces boulever-
sements organisationnels sont légitimés par le plan hôpital 20071 et la loi portant
réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST)
(2009)2 qui sont ainsi résumés par Guéguen (2012) : « La loi est un projet de […]
réorganisation globale du système de soins, en traitant prioritairement les ques-
tions de la lutte contre les déserts médicaux, du décloisonnement entre les soins
ambulatoires, les soins hospitaliers et le secteur médicosocial, de la performance

1. Plan de modernisation de l’hôpital annoncé en conseil des ministres le 20 novembre 2002 à la suite
du rapport Piquemal faisant état de mauvaises conditions de travail, d’une évolution de la démographie
médicale, de nouvelles attentes des patients, de nouvelles pathologies, etc.
2. La loi a pour objectif de réorganiser et de moderniser l’ensemble du système de santé. Elle comprend
quatre titres consacrés respectivement à l’hôpital, à la répartition des médecins et à l’accès aux soins de
villes, aux mesures de santé publique et à la prévention, et enfin à la création des agences régionales de
santé (ARS) chargées de coordonner dans un cadre territorial l’ensemble des politiques de santé (hôpital,
médecine de ville, santé publique et prévention).

Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 23
des hôpitaux, de l’attractivité des métiers de la santé, de la santé des jeunes et, d’une
manière générale, de la coordination du système de santé. »
Cette réorganisation impulsée par les politiques de santé au sein des territoires fran-
çais, pour répondre aux besoins des patients, engage les institutions, les structures,
à s’adapter à d’importants changements au niveau organisationnel et au niveau de
leurs pratiques, ce qui a un impact sur l’ensemble des acteurs de la santé.
Parallèlement, les établissements sont soumis aux exigences de la certification,
procédure d’évaluation externe, réalisée par des professionnels mandatés par la
Haute autorité de santé (HAS).
Ce contexte favorise l’émergence de notions, telles que performance et efficience,
situées à l’opposé de valeurs historiques telles que celle résumée dans la phrase « la
santé n’a pas de prix ».
L’organisation, les pratiques et les valeurs ainsi bousculées sont susceptibles de
générer des risques psychosociaux chez les agents hospitaliers.

2. Des risques psychosociaux dans le champ


de la santé
Les risques psychosociaux (RPS) sont aujourd’hui reconnus comme un véritable
problème de santé publique. Ils font l’objet d’une attention particulière des pouvoirs
publics et des partenaires sociaux. Différentes enquêtes sont régulièrement prati-
quées comme l’Enquête sur les conditions de travail (ECT) menée par la Direction
de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), l’enquête
Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer) menée
conjointement par la Dares et la Direction générale du travail. Ces enquêtes, portant
sur un grand nombre de salariés, confirment la présence de RPS dans le monde du
travail en général et la nécessité de les prévenir.
En 2009, à la suite d’une vague de suicides dans les entreprises françaises, le ministre
du Travail Xavier Darcos met en place des mesures permettant de clarifier la ques-
tion des RPS et initie « un plan d’action d’urgence au travail pour mobiliser les
employeurs du secteur privé et public sur la prévention des risques psychosociaux
dans les entreprises », afin que « dans notre société, le travail soit synonyme de
bien-être et non plus de souffrance ».
Ni l’employeur, ni le salarié, ne porte seul la responsabilité de la souffrance au travail.
Cependant, le rôle de l’employeur consiste à identifier ce qui, dans l’environnement
de travail, contribuerait à générer des troubles individuels ou collectifs, ou encore à
aggraver l’état de santé de ses salariés. Une précision s’avère ici nécessaire, il convient
de différencier « risque » et « trouble » psychosocial :
• la notion de risque « doit s’entendre comme la probabilité d’apparition de troubles
tant individuels que collectifs ayant pour origine l’environnement professionnel »
(Brun et al., 2007, p. 2). Cette notion « comprend deux éléments : d’une part, il y
a la probabilité qu’un événement engendre des conséquences négatives et, d’autre

24 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


part, il y a la sévérité de ces conséquences. [...] Le risque fait donc référence au lien
entre l’exposition aux dangers du travail et les préjudices que cette exposition est
susceptible d’engendrer » (Brun et al., 2007, cité dans le rapport final du 11 avril
2011 du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, p. 23) ;
• le trouble « peut être caractérisé par l’apparition chez une ou plusieurs personnes
de signes plus ou moins perceptibles qui, faute d’attention, peuvent progressive-
ment s’aggraver jusqu’à devenir pathologiques » (ibid., p. 2).
La responsabilité de l’employeur est clairement affirmée dans le sens d’une prévention
des risques. En effet, depuis 2006, l’article L. 230-2 du Code du travail indique que
« le chef d’établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et
protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l’établissement, y compris
les travailleurs temporaires ». Cet article sera revu et spécifié en 2012 de la manière
suivante : « planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la
technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales
et l’influence des facteurs ambiants [...]1 ». Nous pouvons ainsi constater que la
prévention est au cœur des préoccupations : il y a obligation d’éviter dans la mesure
du possible le trouble avéré.
Dans la fonction publique, l’amélioration des conditions de travail et la prévention
des RPS sont passées par différentes étapes2 avant d’aboutir à l’accord sur les risques
psychosociaux signé le 22 octobre 20133. Son application conduira à la mise en
œuvre, pour chaque employeur public, d’un plan d’évaluation et de prévention des
RPS d’ici à 2015.
Cet accord s’appuie sur la définition des RPS émise par Gollac et de Bodier (2011)4
à la suite des travaux menés avec un groupe d’experts : « Les RPS sont des risques
pour la santé mentale, physique ou sociale, engendrés par les conditions d’emploi
et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonc-
tionnement mental. »
Dans cet accord, les employeurs publics s’engagent à mener des politiques contri-
buant à supprimer ou, à défaut, à réduire les tensions au travail et les exigences
émotionnelles qui pèsent sur les salariés, à redonner plus d’autonomie et de marge

1. Article L. 4121-2, 7°, du Code du travail.


2. L’accord de 2009 sur la définition d’un « plan d’action national de lutte » décliné localement pour
engager un dialogue social ; le plan santé au travail 2010-2014 élaboré en concertation avec les parte-
naires sociaux au sein du Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT), qui prévoit
comme objectif prioritaire le « développement des actions de prévention des risques professionnels, en
particulier des risques psychosociaux » ; le programme national d’action contre le suicide (2011-2014) ;
le souhait de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) de mobiliser tous les acteurs concernés
par la prévention des risques psychosociaux et le développement du bien-être au travail. La circulaire
de la DGOS du 22 mai 2012 fixe une série d’axes et d’actions qui portent sur « le développement d’une
culture de prévention des risques professionnels dans les établissements », ou encore sur « la prévention
des risques psychosociaux et le développement du bien-être au travail ».
3. Le 22 octobre 2013, un accord sur la prévention des risques psychosociaux dans la fonction publique
a été signé par les représentants des organisations syndicales, des employeurs publics et Marylise
Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique.
4. À la suite des travaux du Collège d’expertise (2009), Gollac, M., Bodier, M. (dir.) (2011), Mesurer les
facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser, Dares, ministère du Travail et de l’Emploi,
http://travailemploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf.

Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 25
de manœuvre aux salariés, et notamment aux cadres, cités à plusieurs reprises dans
cet accord, qui feront l’objet d’une attention particulière. La mesure 6 de cet accord
précise ceci : « une attention toute particulière doit être apportée au rôle de l’enca-
drement […] de par leur place et leur rôle dans les services, les encadrants peuvent
participer à la prévention des risques psychosociaux, ils peuvent aussi eux-mêmes
y être exposés. La prévention des RPS doit conduire à une réflexion sur les rôles,
la place, les moyens et l’accompagnement de l’encadrement. »
Pour faciliter l’identification des RPS, l’accord propose de s’appuyer sur les six grandes
familles de risques à caractère psychosocial élaborées par le collège d’expertise (ibid.) :
• les exigences et l’intensité du travail ;
• les exigences émotionnelles ;
• le manque d’autonomie et de marge de manœuvre ;
• la mauvaise qualité des rapports sociaux et des relations de travail ;
• les conflits de valeur ;
• l’insécurité de la situation de travail.

Le premier objectif de cet accord est de réaliser un diagnostic des RPS présenté
au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de les
intégrer au même titre que les autres types de risque au document unique afin qu’ils
soient gérés et évalués comme tout risque professionnel.

3. Cadres de santé à l’hôpital public : une posture


« entre-deux »
La fonction de cadre de santé à l’hôpital1 peut prendre trois formes : cadre de santé
formateur2, cadre de santé expert3 ou cadre de santé en unités fonctionnelles et
services, appelés également cadre de santé de proximité. C’est à cette dernière forme
que la recherche menée s’intéresse. Une catégorie intermédiaire existe également,
ce sont les « faisant-fonction de cadre4 ».
Si tous les cadres de santé, ou dits de proximité, sont initialement des soignants,
aujourd’hui leurs missions relèvent principalement de la gestion et du management.
Dans un univers très hiérarchisé comme l’hôpital, les cadres de santé constituent le
pivot du système et leurs missions sont en prise directe avec différents interlocuteurs :
l’équipe soignante, les médecins, les patients et leurs familles, mais également la
direction des soins et les services administratifs, logistiques et techniques. En effet,
depuis la loi no 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière, les cadres de
1. Les cadres de santé ont des origines professionnelles relevant de différents métiers paramédicaux
(infirmiers, pédicures-podologues, masseurs-kinésithérapeutes, psychomotriciens, manipulateurs d’élec-
troradiologie médicale, etc.). Singly (2009, p. 26) précise que les cadres de santé sont à plus de 85 % des
cadres infirmiers, ce qui représente près de 61 % de l’ensemble des cadres hospitaliers.
2. Leurs missions se situent au sein des instituts de formation et écoles préparant aux métiers paramédicaux.
3. Leurs missions sont transversales, c’est-à-dire communes à plusieurs services au sein desquels ils
sont chargés d’un projet.
4. Il s’agit de professionnels de santé assurant la fonction et les missions de cadre de santé d’une unité
ou dans un institut de formation sans en avoir le grade et le statut. Cette spécificité est répandue dans
le milieu hospitalier en raison d’une pénurie de cadres de santé.

26 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


santé sont associés à la gestion des services de soins, leur métier ayant lui aussi évolué
au gré des exigences réglementaires. La création en 2007 de pôles d’activité visant
à améliorer l’organisation des hôpitaux a également bouleversé leurs repères. Leurs
pratiques ont été modifiées : ils ne font plus de soins et se définissent aujourd’hui
comme des managers de proximité organisant les soins et encadrant l’activité des
services. Véritables interfaces entre la direction de l’hôpital et les équipes, les cadres
de santé sont en première ligne pour gérer les changements et les contraintes insti-
tutionnelles. Par leur rôle clé dans la conduite effective de ces changements, par les
attentes fortes et parfois contradictoires qui pèsent sur eux, ils sont confrontés à la
gestion de situations difficiles et peuvent être exposés aux RPS. Ainsi, la confron-
tation à des logiques différentes des cadres, celle de manager, celle de soignant et
celle de conduite du changement dans leur service, peut contribuer à l’émergence de
risques liés aux conflits de valeurs, à la tension dans les rapports sociaux ou encore
aux exigences du travail en termes de pression temporelle ou de volume de travail.
Si le cadre de santé a une activité plurielle, le contrôle en est la dimension prin-
cipale (suivi d’indicateurs, procédures, protocoles, traçabilité, etc.). Cette posture
de contrôle, d’évaluation de l’organisation et des pratiques, omniprésente, n’est pas
toujours facile à tenir face aux équipes. La difficulté repose aussi sur le fait que cette
« fonction de cadre intermédiaire [dans le champ de la santé] s’est créée autour d’une
logique de métier de base et non sur une réelle compétence à diriger, à décider »
(Reinhardt, 2012). Le cadre de santé apparaît ainsi comme un acteur du changement,
avec des activités de régulation, de coordination, d’harmonisation, de supervision
et de contrôle dans un univers hospitalier en mutation constante. Les cadres « sont
de ce fait des traducteurs, à la fois autonomes et fortement contraints » (ibid.). Cette
posture d’entre-deux est potentiellement facteur de RPS dans cette profession.

4. Une recherche inscrite dans une démarche


de prévention des risques psychosociaux
Bien que la plupart des études portent sur les RPS chez les employés, la souffrance
au travail n’est le monopole d’aucune catégorie socioprofessionnelle. Les cadres de
santé sont, en effet, également soumis à des facteurs de risques importants pouvant
avoir des répercussions sur leur santé. Notre réflexion de départ s’articule autour de
ce constat et repose sur l’hypothèse que les cadres, notamment les cadres de santé
de la fonction publique hospitalière, sont aujourd’hui fortement exposés aux RPS
de façon spécifique du fait de la multitude des missions relevant de leur rôle d’enca-
drant, de leur positionnement intermédiaire dans la hiérarchie, de leurs conditions
de travail et des contraintes institutionnelles.
L’intention de la recherche menée est double. Il s’agit de recueillir des données
qualitatives relatives à la santé au travail de cadres afin de participer à la construc-
tion d’un plan de prévention pour cette population mais également d’associer les
cadres de santé à la démarche dans une visée formative. En effet, les cadres auront
à mettre ce type de travail en œuvre à leur tour pour évaluer et prévenir les RPS
dans leurs équipes.

Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 27
4.1. Stress et RPS
Si les RPS sont au centre de toutes les réflexions, ils sont encore insuffisamment
définis scientifiquement pour être appréhendés comme un concept. Nous avons
choisi de nous appuyer sur les concepts de stress, d’évaluation et de représentations
professionnelles comme base théorique dans cette recherche.
En effet, un certain consensus se dégage pour regrouper les RPS sous le concept de
stress. En 1989, Aubert et Pages introduisent la notion de « stress professionnel »
qu’ils définissent comme une perturbation de l’individu pouvant être liée au contenu,
au contexte de travail, à sa place dans l’organisation. Pour Aubert (1999), certains
stresseurs renvoient notamment au management par l’urgence comme l’impératif
d’« hyperréactivité immédiate », sommant de répondre tout de suite aux exigences
de la situation et de l’institution. De son côté, Karasek (1990) repère deux grands
axes selon les conditions de travail, « la charge de travail (faible ou forte) et la marge
de manœuvre de l’individu (faible ou forte) ».
Selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, « un état de
stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des
contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres
ressources pour faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des
ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement
de nature psychologique. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la
productivité de la personne qui y est soumise ». Le stress au travail peut entraîner
différents types de symptômes : physiques, émotionnels, cognitifs, comportementaux.
Il est source de désorganisation dans les établissements avec une augmentation de
l’absentéisme et du turn-over, d’accidents du travail, de démotivation, d’une dégra-
dation de la productivité, d’une augmentation des erreurs, d’une dégradation du
climat social et de l’ambiance de travail. C’est pourquoi la prévention de ce stress
et des risques psychosociaux est importante autant sur un plan humain que sur le
plan de la qualité du fonctionnement des établissements.

4.2. Évaluation et RPS


Concernant l’évaluation, nous avons privilégié l’évaluation-conseil fondée sur le
principe du « tenir conseil » développé par Lhotellier, qui permet de « délibérer pour
agir », c’est-à-dire d’associer les acteurs pour dégager du sens et des perspectives avec
eux. L’évaluation des facteurs de risque implique un dialogue ouvert avec les cadres
de santé pour repérer les risques qui les concernent. Par ailleurs, tout changement
doit s’accompagner d’un changement de culture et il ne peut y avoir de changement
culturel sans changement réel et pérenne des comportements individuels, d’où la
nécessité d’impliquer les acteurs de terrain (Saint-Jean, 2014, p. 32).

4.3. Représentations professionnelles et prévention des RPS


Le cadre conceptuel des représentations professionnelles nous a permis d’ana-
lyser la parole des cadres de santé. Les représentations, qu’elles soient sociales ou

28 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


professionnelles, se construisent en contexte, elles donnent à voir le rapport au monde
qu’entretient le sujet à partir de ce qu’il est intrinsèquement et de ce qu’il vit. Une
représentation professionnelle n’est pas seulement une image, c’est plus complexe.
Chaque personne regarde une situation à partir de ce qu’elle est, de la manière dont
elle fonctionne. « Le caisson de décompression sociale n’existe pas, chacun arrive
avec des bagages » (Dany, 2014)1 . Le vécu de la situation est un regard subjectif
car préalablement passé au filtre de son histoire de vie, de ses relations à autrui, de
son statut social, de ses croyances, de ses valeurs, etc.
Les représentations professionnelles sont liées au travail ou à la fonction exercée
(Guimelli et Jacobi, 1990). « Les rapports de travail structurent les interactions et ont
pour conséquence la construction d’un système de représentations professionnelles »
(Lorenzi-Cioldi, 1991). Pour Piaser (1999)2, les représentations professionnelles
sont des représentations sociales spécifiques afférentes aux rôles et aux contextes
professionnels.
Les sujets de cette recherche étant exclusivement des cadres de santé, évoluant sur
le même territoire professionnel (les hôpitaux de Toulouse), les représentations
professionnelles nous ont paru plus appropriées que les représentations sociales.
À partir de cette première réflexion, la question qui a animé cette recherche a été
celle-ci : comment faire de l’évaluation une approche au service de l’hôpital dans le
cadre d’un processus de prévention des RPS chez les cadres de la fonction publique
hospitalière ?

5. La démarche d’enquête sur le terrain


5.1. Déroulement de la recherche
La recherche s’est déroulée en deux temps, un premier temps d’entretiens collectifs
avec les cadres de différents pôles et un second temps d’entretiens individuels sur
la base du volontariat.
Les entretiens collectifs regroupaient les cadres de santé d’un même pôle, sans la
présence du cadre supérieur de santé. L’intention était, d’une part, de présenter les
grandes lignes de l’accord-cadre relatif à la prévention des RPS dans la fonction
publique hospitalière avec la définition des principes généraux (établir un diagnostic
sur un mode participatif afin d’élaborer des recommandations, inscription dans
une politique globale d’établissement en collaboration avec le CHSCT) ; d’autre
part, de présenter plus spécifiquement l’objectif relatif à l’encadrement, c’est-à-dire
élaborer des recommandations et des pistes d’action en termes d’amélioration des
conditions de travail de l’encadrement, au regard des cinq axes identifiés, permettant

1. Conférence « L’approche psychosociale des situations de santé et de maladie », université Toulouse-2,


26 février 2014.
2. Thèse de doctorat, « Représentations professionnelles à l’école. Particularités selon le statut : ensei-
gnant, inspecteur », soutenue à l’université Toulouse-2-Le Mirail sous la direction de Michel Bataille.

Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 29
de conforter le rôle, la place et les moyens de l’encadrement. Les cinq axes suivants
ont été débattus avec 32 cadres issus des trois pôles :
• évaluation des marges de manœuvre pour optimiser l’efficacité de la cohésion
de l’équipe ;
• possibilité de formalisation et de communication au niveau supérieur des difficultés
des équipes à appliquer les décisions ;
• mises à disposition de moyens d’accompagnement pour les cadres et les agents
en difficulté ;
• formation initiale et continue relative au dialogue sur le travail, à l’animation du
collectif ;
• création d’un espace d’échanges de pratiques professionnelles des encadrants.

Après ces entretiens collectifs, les cadres qui le souhaitaient ont repris contact
pour un entretien individuel et confidentiel. Quatorze entretiens individuels ont
été réalisés, qui visaient à approfondir les données recueillies en entretien collectif,
la trame d’entretien étant fondée sur les six grandes familles de risque à caractère
psychosocial élaborées par le collège d’expertise (voir infra).
In fine, une restitution de la recherche est prévue afin de rendre compte globalement
des résultats et d’ouvrir un débat avec les cadres des pôles ayant participé.
La démarche mise en œuvre a pour intention d’accompagner le changement dans la
mesure où les cadres sont partie prenante de la recherche à trois niveaux (entretiens
collectifs, entretiens individuels, débat autour des résultats) et construisent ainsi
des connaissances et une expérience collectives qui leur permettront ensuite de
décliner cette démarche participative auprès de leurs équipes.

5.2. Analyse et interprétation des données de terrain recueillies


Le traitement des données s’est fait de deux manières, une analyse de contenu
catégorielle (Bardin, 2007), fondée sur les cinq axes présents dans l’accord-cadre
pour les entretiens collectifs, et une analyse à l’aide du logiciel d’analyse textuelle
Iramuteq©1 (Interface de R pour les analyses multidimensionnelles de textes et de
questionnaires) pour l’important corpus que constituent les 14 entretiens.

5.2.1. Entretiens collectifs


Axe 1 – Évaluation des marges de manœuvre pour optimiser l’efficacité de
la cohésion d’équipe
Nous sommes en présence d’indicateurs de rapports sociaux formalisés « des réunions
de service », « des groupes de travail », mais les acteurs pensent que « cela reste
insuffisant pour travailler ensemble sur des projets ». Les cadres de santé soulignent
qu’ils ont peu de marges de manœuvre pour optimiser l’efficacité de la cohésion
d’équipe pour plusieurs raisons.

1. Ce logiciel, en libre accès, a été créé par Pierre Ratinaud, maître de conférences en sciences de l’édu-
cation à l’université Toulouse-2. Il met en évidence des mondes lexicaux différents au sein d’un texte
ou d’un ensemble de textes, en produisant notamment des classes de discours.

30 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Des raisons organisationnelles
Il n’y a pas de temps prévu dans le planning des équipes pour donner des informa-
tions et construire des projets ensemble. C’est perçu négativement, d’autant plus
qu’« il n’y a pas de temps informels » et « les moments de convivialité sont difficiles
à trouver car les équipes sont trop éclatées ».
Les cadres de santé peuvent manager des équipes jusqu’à 40 ou 50 agents : « la
cohésion est compliquée sur de grosses équipes ». Ils expriment un manque de
visibilité de ce qui se passe dans les services et ne sont interpellés que lorsqu’il
y a des dysfonctionnements. Ils ont un regret « quand les choses fonctionnent,
on ne nous ne le dit pas ». « Le cadre, c’est quelqu’un qui règle les problèmes »
mais, selon les cadres de santé, « le métier de cadre n’est pas seulement de gérer
les problèmes ».
Un clivage existe entre les équipes de jour et les équipes de nuit. Les cadres de santé
établissent les plannings pour les équipes de nuit qui sont sous leurs responsabilités
mais les équipes de nuit sont prises en charge par les cadres de santé de nuit, qui
eux-mêmes relèvent d’un autre pôle d’encadrement.
On constate un manque de stabilité dans les équipes qui sont très mobiles (turn-
over). Il n’y a pas de lieu réservé pour l’encadrement, qui permettrait à ce dernier de
se retrouver pour échanger, « pour favoriser les échanges entre collègues », « pour
échanger et prendre des décisions sur certaines situations », « pour échanger un
point de vue ou faire une analyse de pratiques ».

Des raisons liées aux relations sociales


La marge de manœuvre dans les équipes est entravée par « le poids des médecins »,
qui ont tendance à « s’immiscer dans une équipe ».
Une autonomie réduite par le manque de moyens avec aussi parfois le sentiment
d’être sous tutelle.
On constate un manque de confiance au sein de la hiérarchie.
Un « profil mosaïque » est noté : les cadres sont sollicités pour plusieurs missions.
Certains personnels ont un autre cadre de santé, ce qui génère des différences de
traitement et des problèmes d’équité.
Nous constatons ici plusieurs risques potentiels liés à l’organisation, aux exigences
du travail et à la pression temporelle. En termes de soutien social, les cadres de
santé ont du mal à travailler en faveur de la cohésion d’équipe ; ils ont également
des difficultés à anticiper les situations délicates par manque de présence et d’infor-
mations. Compte tenu de la taille des équipes, ce manque de visibilité les amène
à n’être appelés qu’en cas de dysfonctionnement. Ils sont soumis à des tensions de
posture avec les médecins et ont globalement le sentiment, en termes de valeurs,
de ne pas faire un travail de qualité.

Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 31
Axe 2 – Possibilité de formalisation et de communication au niveau supérieur
des difficultés des équipes à appliquer les décisions
Si les cadres de santé soulignent des réunions et une disponibilité du cadre supé-
rieur de santé, en termes d’informations ils émettent des difficultés à communiquer
avec la strate au-dessus du cadre supérieur de santé. Les informations qu’ils veulent
transmettre sont traitées, filtrées et relayées par leur cadre supérieur. Les cadres de
santé vivent cela comme un manque de considération et de reconnaissance.
Par ailleurs, ils considèrent qu’il y a trop d’informations qui constituent à la fois des
ordres et des contrordres, ce qui génère des erreurs, une perte de temps pour les
rattraper mais aussi une perte de crédibilité. Les cadres disent également recevoir
des injonctions contradictoires par rapport à certains paramètres comme le climat
social. L’institution génère selon eux une surcharge de travail et une perte de sens
de leur activité.
Les cadres considèrent n’avoir aucune étape pour souffler, être noyés sous les mails.
Ils pensent qu’un certain nombre de choses pourraient être traitées par d’autres
services (ressources humaines, service administratif). Les cadres de santé ont
également le sentiment de perdre leur « cœur de métier, c’est-à-dire être auprès
des équipes et des patients ».
Ici, les cadres de santé signifient des relations avec la hiérarchie qui les expose à des
risques, avec un cloisonnement se traduisant pour eux par un manque de reconnais-
sance, des dysfonctionnements informationnels qui portent atteinte à leur leadership
auprès des agents et une charge de travail exponentielle.

Axe 3 – Mise à disposition des moyens d’accompagnement pour les cadres


et les agents en difficulté
Pour ce qui les concerne, les cadres de santé éprouvent un sentiment d’isolement,
un manque de soutien, et réaffirment une méfiance vis-à-vis de leur hiérarchie. La
direction, « par un jeu de décisions et de contre-décisions », décrédibilise le cadre
de santé dans son action auprès de ses équipes. L’application des décisions n’est pas
toujours suivie par la direction, ce qui les met en difficulté, et la direction ne les
reconnaît pas. Ils évoquent un fossé en termes de valeurs, la direction ayant une
vision gestionnaire et les cadres de santé une vision soignante. Ils font référence
à l’importance de la solidarité informelle entre pairs et au besoin d’échanger avec
d’autres cadres de santé sur les difficultés qu’ils vivent. Pour pallier le sentiment de
solitude, ils pensent néanmoins que « les nouveaux cadres devraient être accompa-
gnés à leur arrivée, tuteurés dans leur prise de poste ».
Les syndicats sont perçus comme de véritables adversaires, pas du tout comme des
partenaires. Ils se sentent invectivés par les syndicats, « disqualifiés dans leurs actions
auprès des équipes alors qu’ils ne sont pas les décisionnaires ». Ils ont le sentiment
d’une remise en question du travail du cadre par les syndicats et par le CHSCT.
« Le cadre de santé est considéré comme l’ennemi à abattre » par les syndicats et
« leur rôle, c’est de monter les équipes contre les cadres ». Il y a « beaucoup d’impo-
litesse et d’irrespect chez les partenaires sociaux » qui ne sont « pas d’accord avec
les actions mises en place » par le cadre de santé.

32 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Les cadres remarquent également que certaines mesures mises en place par la
médecine du travail pour quelques agents peuvent être défavorables à la cohésion
des équipes. Ils considèrent que c’est le manque d’articulation entre la médecine du
travail et les cadres qui est à interroger.
Nous pouvons constater, dans les propos des cadres, des conflits de valeurs qui
signifient une souffrance éthique. En termes de rapports sociaux, si les pairs se
soutiennent, la hiérarchie et d’autres instances (syndicats, CHSCT, etc.) contribuent
à augmenter leurs difficultés avec dans certains cas une forme de violence.

Axe 4 - Formation initiale et continue relative au dialogue sur le travail, à


l’animation du collectif
En matière de formation, le « parcours managérial est une formation aidante ».
Cependant, la formation au « dialogue social » est absente en formation initiale
mais existe en formation continue. Le plan de formation répertorie un grand
nombre de formations qui ne répondent pas toujours aux besoins et aux demandes
des cadres de santé.
Les « faisant fonction de cadre » sont confrontés aux changements auxquels ils ne
sont pas préparés et souhaitent bénéficier du tutorat qui existe en formation initiale.
Sur cet axe, les cadres demandent implicitement un soutien par la formation et le
développement de formations spécifiquement liées à leurs difficultés.

Axe 5 – Création d’un espace d’échanges de pratiques professionnelles des


encadrants
Les cadres sont favorables à la mise en place d’une analyse des pratiques régulières
pour répondre à leurs besoins comme une ressource face à certaines difficultés.
Cependant, ils évoquent « une contrainte de temps » qui se rapporte au nombre
important de réunions qu’ils ont déjà.
Pour autant, la création d’un espace de parole doit être étudiée davantage dans
l’optique de les aider dans leurs missions. En revanche, ils demandent que cette
analyse des pratiques soit faite « par une personne extérieure au CHU ». Nous
voyons ici resurgir une certaine défiance vis-à-vis de la hiérarchie.

5.2.2. Entretiens individuels


L’analyse des entretiens, avec le logiciel Iramuteq©, a fait émerger quatre classes
de discours.

Classe 1 – Des valeurs soignantes malmenées


Cette classe de discours représente 17,56 % du corpus. Le discours est porté par
des cadres ou des « faisant fonction » qui sont au CHU depuis plus de 15 ans
mais dans ces fonctions depuis peu (moins d’un an), et qui travaillent 10 heures
ou plus par jour.
Les valeurs soignantes sont au premier plan avec les termes « soignant », « soin »,
« soigner », « patients », « humain », ou encore « je suis restée sur mes valeurs

Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 33
soignantes humaines ». Ces valeurs sont mises à mal par les contraintes de l’activité
de cadre qui ne sont pas uniquement tournées vers ce « cœur de métier ». En effet, la
« gestion » du temps, des équipes, des finances sont sources de difficultés et donnent
l’impression au cadre d’être le « pompier » de service, dont le rôle principal est de
régler les problèmes. Les dysfonctionnements non résolus sont systématiquement de
la « faute » du cadre. Le côté « administratif » de la fonction les éloigne du patient,
heurte leur sensibilité de soignant et prend du temps au détriment des projets.
Le « contexte » hospitalier a changé mais les rapports avec les patients et leurs
familles ont aussi changé et sont parfois « agressifs ». Les « priorités » (financières)
de la direction ne sont pas les priorités des cadres qui considèrent que leurs missions
devraient être centrées sur le patient, et parlant de leurs équipes, ils précisent que
leur rôle est d’« essayer de les motiver pour optimiser la prise en charge du patient
et maintenir le patient au cœur du métier ».
Ces cadres se disent « motivés » malgré tout car leur rôle « social » est pour eux
essentiel. Cependant, les équipes deviennent difficiles à motiver compte tenu des
changements en cours. Le climat « social » est sensible et les relations « sociales »
globalement plus complexes.
Plusieurs éléments peuvent être vecteurs de risques psychosociaux : des difficultés à
maintenir les valeurs soignantes et les priorités qui vont avec, des relations sociales
complexifiées par un large spectre de missions.

Classe 2 – Exigences de la fonction de cadre


Cette classe de discours représente 22,55 % du corpus. Le discours est porté par
des cadres en fonction depuis six à dix ans et présents neuf heures par jour environ.
Le discours est principalement axé sur la « place » et le « rôle » du cadre qui est
sans cesse sollicité par le cadre « sup » (téléphone, mails, SMS), par les collègues,
par l’institution en général : « les mails, c’est non-stop, c’est un bombardage
permanent ».
Les « missions » se multiplient et demandent à ce qu’on y consacre beaucoup de
temps, y compris le soir et le week-end à la maison. Les cadres disent par exemple :
« d’une mission au départ qui vous est confiée, vous vous retrouvez peut-être un an
après avec sensiblement le double de missions, après je ne sais pas si à un moment
donné on peut dire stop ».
Les aspects « négatifs » de la fonction sont nombreux, notamment les injonctions
permanentes venant de la direction ou encore la nécessité de « tirer » de tous les
côtés, en raison du manque de personnel, pour que l’activité se fasse (enlever des jours
de réductions de temps de travail, des repos, etc). Une certaine « insatisfaction »
est perceptible, avec le sentiment de ne pas aller au bout des choses.
C’est une fonction qui demande de l’énergie car il faut initier et maintenir une
« dynamique » dans les équipes alors que le « climat » social est dégradé, alors qu’il
faut faire face à la prégnance des « difficultés » personnelles des agents et en même
temps savoir « lâcher » un peu pour mettre les gens en confiance, pour minorer les
tensions mais aussi « réajuster » sans cesse et parfois « travailler » à la marge pour

34 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


que les choses se fassent. Cependant, il faut penser et travailler en « collectif » en
permanence, c’est-à-dire avoir un regard global sur la situation.
L’« impression » qui domine est que cette fonction consiste à être toujours débordé,
critiqué, jugé en permanence par la hiérarchie et par les équipes, alors que le cadre
est sans cesse en train d’« essayer » de protéger son équipe, de proposer des choses,
de raccrocher les changements aux valeurs des agents.
Nous pouvons remarquer plusieurs risques majeurs : celui du débordement de la
fonction sur la vie personnelle (lien avec le cadre supérieur de santé, travail amené
à la maison), une charge de travail qui donne le sentiment d’un travail sans fin
et d’un travail inachevé, un déploiement d’énergie constant associé à une faible
reconnaissance.

Classe 3 – Ambivalence de la hiérarchie


Cette classe de discours représente 26,27 % du corpus. Le discours est principale-
ment porté par des anciens, cadres de santé dans la fonction depuis plus de 15 ans,
très présents sur le terrain, avec une amplitude de travail moyenne de 11 heures
effectives par jour.
Nous notons un lien fort à la « hiérarchie » plutôt positif, avec une grande « marge
de manœuvre », l’impression d’être « apprécié ». Cependant, si la « hiérarchie »
constitue un soutien pour faire bouger les choses, la contrepartie est la nécessité
de « rendre compte » à tout moment, de s’adapter aux « exigences » de l’institution
et des médecins, ce qui finalement amène un « sentiment » de trahison vis-à-vis
des équipes quand, par exemple, les formations demandées ne sont pas prises en
compte, ou lorsqu’on se rend compte que le souci de rentabilité nous occupe de plus
en plus, que le cadre est là pour exécuter.
Ici, le risque est le ratio bénéfice/risque de la relation entretenue avec la hiérarchie.
La prise de conscience d’être utilisé par une hiérarchie qui se donne un visage
bienveillant peut être difficile à gérer pour les cadres.

Classe 4 – Dysfonctionnements organisationnels


Cette classe de discours représente 33,62 % du corpus. Le discours émane plutôt de
femmes, âgées de 46 à 55 ans, qui travaillent entre 10 et 12 heures par jour.
Le discours est centré sur les difficultés que génère l’organisation, par exemple de
nouvelles notes de service à prendre en compte « tous les jours » et un « bombar-
dage » permanent de « mails ».
Faire le « planning » mais surtout le « gérer » absorbe beaucoup de temps et
d’énergie avec l’absentéisme de « dernier » moment qui oblige à rappeler des gens
en « repos » et de fait produit des tensions ; de plus, les arrêts « maladie » ne sont
pas totalement remplacés.
L’organisation mange beaucoup de temps, ce qui génère l’obligation de réaliser
une amplitude « horaire » de travail importante et demande par conséquent des
aménagements de la vie personnelle. Ensuite, le cadre « rentre » fatigué, ne peut
plus rien faire à la maison.

Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 35
Par ailleurs, le cadre de santé ressent la nécessité de prendre connaissance de certaines
choses durant son repos de « week-end » ou pendant les « vacances » pour ne pas
être submergé dès l’arrivée tant les informations et les dysfonctionnements sont
pléthores.
Ici encore, le risque de difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle est
bien présent. Les difficultés liées à l’organisation surchargent le travail et impactent
les relations sociales dans l’équipe.

6. Des pistes de réflexion pour conclure


La fonction publique a ainsi défini les RPS : « ce qui fait qu’un risque pour la santé
au travail est psychosocial, ce n’est pas sa manifestation, mais son origine : les risques
psychosociaux seront définis comme les risques pour la santé mentale, physique et
sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et
relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental1 ». Nous voyons
immédiatement que ce point de vue met au premier plan les conditions de travail,
les facteurs organisationnels et relationnels qui peuvent potentiellement avoir des
effets sur la santé. Cependant, cet intérêt pour les conditions de travail relève aussi de
préoccupations économiques « préjudiciables pour la santé des agents, ce qui serait
en soi largement suffisant pour les prévenir ; les RPS le sont également en termes
économiques pour la collectivité et les employeurs […] le Bureau international du
travail (BIT) estime que le coût du stress dans les pays industrialisés s’élève entre
3 et 4 % du PIB2. En 2010, cette estimation correspondrait pour la France à une
fourchette de 58 à 77 milliards d’euros »3.
Néanmoins, la démarche initiée par l’institution et les chercheurs constitue un débat
novateur, s’agissant des cadres dans le champ de la santé de la fonction publique,
vecteur de changement et de construction de l’expérience, et ce pour différentes
raisons.
Cette démarche a la particularité de viser à la fois une sensibilisation aux RPS, une
action formative et une intention de prévention.
En effet, les entretiens collectifs auront permis d’apporter aux cadres de santé des
connaissances et des éléments de réglementation sur la problématique des RPS, mais
aussi d’ouvrir un débat par périmètre (un service), reconnaissant ainsi la spécificité
de chaque contexte professionnel sur les RPS potentiels.
Les entretiens individuels auront permis aux cadres de santé de trouver un lieu de
parole respectant l’anonymat et la confidentialité, et ainsi de comprendre la nécessité
et tout l’enjeu d’une intervention externe.
Ce diagnostic concerté a permis de faire émerger les principaux indicateurs de RPS
et a permis aux cadres de santé, en participant à l’évaluation de leurs propres risques

1. Direction générale de la fonction publique.


2. Produit intérieur brut qui reflète l’activité économique d’un pays.
3. Direction générale de la fonction publique.

36 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


professionnels, d’appréhender une démarche qu’ils devront mettre en place pour
les agents placés sous leur responsabilité. En effet, conformément à l’accord-cadre
de 2013, ils devront d’ici 2015 participer à l’élaboration du plan d’évaluation et de
prévention des RPS attendu pour chaque employeur public.
Pour Huxley, « l’expérience n’est pas ce qui arrive à l’individu, c’est ce que fait
l’individu de ce qui lui arrive » (Saint-Jean, 2013, p. 106). Dans le cas des RPS,
le sujet peut prendre plusieurs directions parmi lesquelles nous trouvons la plus
radicale, celle du trouble avéré par une somatisation liée à la souffrance vécue au
travail. Une direction proactive est possible, elle consiste à anticiper et à s’appuyer
sur les ressources psychosociales, c’est-à-dire « le potentiel de distanciation et
d’émancipation du collectif » (ibid., p. 107) qui permet de « débattre des différentes
perceptions du travail bien fait pour que ce sujet devienne un objet de conflit positif »
(Clot, 2010). En effet, les conflits de valeurs associés à une charge importante de
travail aboutissent à ce que Clot nomme « le travail empêché ». Ainsi, l’agent ne
peut pas réaliser son travail au sens de « travail bien fait ». Cependant, « l’une
des voies de professionnalisation proposée par Wittorski (2007) – la réflexion sur
l’action – constitue un enjeu à la fois de compréhension de l’action et de construc-
tion des savoirs d’expérience. Créer les conditions d’une investigation collective
des situations et du vécu peut alors faciliter la coconstruction de l’expérience par la
mise en débats de l’activité » (Saint-Jean, 2013, p. 107), en proposant à l’acteur de
se distancier de lui-même. C’est dans l’altérité que cette possibilité de distanciation
peut apparaître, « l’altérité est ici entendue dans la perspective de Lévinas (1974), ce
que représente l’Autre, ce qu’il dit, ce qu’il écoute du sujet, ce qu’il lui renvoie le fait
« naître », cette relation affecte le sujet au sens où la présence d’autrui lui rappelle
qu’il n’est pas le premier (autrui le précède) et l’oblige à assumer ce qu’il est, à être
responsable » (Saint-Jean et al., 2014).

À retenir
La démarche de prévention porte sur les cadres de santé alors que la majorité des études
porte sur les agents.
La démarche de recherche associe les acteurs de terrain et vise trois objectifs : une sensi-
bilisation aux RPS, une action formative et une intention de prévention.

Questions de discussion
La fonction de cadre de santé, au carrefour d’une logique gestionnaire et d’une logique
de soin, n’est-elle pas intrinsèquement porteuse de risques psychosociaux ?
D’autres raisons que les conditions de travail, les facteurs organisationnels et relationnels,
ne seraient-elles pas à l’œuvre dans la montée en puissance de la souffrance au travail
dans notre société ?

Lectures pour aller plus loin


Clot, Y. (2010) et Saint-Jean, M. (2013).

Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 37
Bibliographie
Aubert N. (1999). « Le management par l’urgence ». In : Brunstein (dir.), L’Homme
à l’échine pliée. Paris : Desclée de Brouwer.
Aubert, N., Pages, M. (1989). Le Stress professionnel. Paris : Klincksieck.
Bardin, L. (2007). L’Analyse de contenu. Paris : PUF, coll. « Quadrige ».
Brun, J.P., Biron, C., Ivers, H. (2007). Démarche stratégique de prévention des problèmes
de santé mentale au travail. Rapport R-514 de l’IRSST.
Clot, Y. (2010). Le Travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux. Paris :
La Découverte.
Guéguen, J.Y. (2012). « Bilan des politiques sociales, perspectives de l’action sociale ».
L’année de l’action sociale, pp. 117-127.
Guimelli, C., Jacobi, D. (1990). « Pratiques nouvelles et transformations des repré-
sentations sociales ». Revue internationale de psychologie sociale, 3, pp. 307-334.
Karasek, R.A. (1990). “Lower health risk with increased job control among white
collar workers”. Journal of Organizational Behaviour, 21, 1, pp. 3-14.
Lévinas, E. (1974). Autrement qu’être ou au-delà de l’essence. Paris, LGF, Le Livre de
poche, coll. « Biblio-essais ».
Lhottelier, A. (2001). Tenir conseil. Délibérer pour agir. Paris : Séli Arslan.
Lorenzi-Cioldi, F. (1991). « Pluralité d’ancrage des représentations professionnelles
chez des éducateurs en formation et des praticiens ». Revue internationale de psycho-
logie sociale, 4, 3/4, pp. 357-379.
Reinhardt, S. (2012). Entre activités, parcours et formation des cadres de santé, quel
processus de construction des compétences ? Thèse de doctorat en sociologie.
Saint-Jean, M. (2013). « S’appuyer sur l’expérience collective pour anticiper les
risques psychosociaux ». Éducation permanente, 197, 4, pp. 103-111.
Saint-Jean, M., Péoc’h, N. (2014). « L’accompagnement de la professionnalisation : si
tout se jouait avant l’action ? » In : Charlier, E., Wittorski, R., Boucena, S. L’Accom-
pagnement et l’analyse des pratiques professionnelles comme vecteur de professionnalisation.
Toulouse : Octarès Éditions.
Saint-Jean, M., et al. (2014). « La recherche-intervention comme accompagnement
du changement. Le cas d’une formation de formateurs ». Les dossiers des sciences de
l’éducation, 31, pp. 31-48.
Wittorski, R. (2007). Professionnalisation et développement professionnel. Paris : L’Har-
mattan.

38 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


CHAPITRE 3
Une innovation pour
accompagner le changement
dans les pratiques infirmières
Hélène Lefebvre, Isabelle Brault, Odette Roy

1. Introduction
La littérature scientifique foisonne de recherches infirmières produisant un savoir
scientifique déterminant. La recherche infirmière s’inscrit plus que jamais dans le
mouvement de la pratique fondée sur les résultats probants (Estabrooks et al., 2003 ;
Loiselle et Profetto-McGrath, 2007, Pépin et al., 2010). Le mouvement evidence-based
nursing (EBN) fait la promotion de pratiques infirmières fondées sur les évidences
scientifiques qui, rompant avec la prise de décisions cliniques basées essentiellement
sur la tradition, l’intuition et les savoirs expérientiels, vise à y associer les meilleurs
résultats de recherche pour le renouvellement des pratiques cliniques (Loiselle et
Profetto-McGrath, 2007 ; Pépin et al., 2010). Ces avancées ont des impacts positifs
significatifs sur la prestation et la qualité des soins offerts aux patients et à leurs
familles. Il demeure pourtant que les savoirs scientifiques sont encore sous-utilisés
dans les pratiques cliniques. Le transfert des connaissances (TC) doit s’appuyer sur
de solides stratégies, efficaces, efficientes et sécuritaires, qui amèneront les milieux
cliniques à incorporer dans leurs modes opératoires le recours aux meilleures pratiques
infirmières fondées sur des évidences scientifiques (Adams et Titler, 2010 ; Gurzick
et Kesten, 2010 ; Purdy et Melwak, 2009).
Cet article a pour but de présenter une stratégie de TC et d’échange des connais-
sances entre chercheurs, infirmières et professionnels de la santé et patients, mise
en place par le Réseau infirmier un partenaire de soins (RIUPS) de l’université de
Montréal (Québec) afin d’accompagner les changements de pratiques cliniques des
infirmières. Nous décrirons la manière dont la dissémination des résultats probants
prend forme actuellement dans le cadre d’un projet de recherche intitulé « Une
innovation clinique infirmière en oncologie : pour un meilleur continuum de soins
et de services pour les patients atteints de cancer ».

Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 39
2. Pratique fondée sur les résultats probants
et les déterminants de succès
de son implantation
2.1. Pratique fondée sur les résultats probants
La pratique fondée sur les résultats probants consiste en l’application systématique des
meilleures données scientifiques pour aider à la prise de décision et l’action en contexte
clinique, administratif ou stratégique. Elle combine l’expertise clinique individuelle
et les meilleures preuves provenant de recension systématique des écrits. En sciences
infirmières, il est souvent question des meilleures pratiques cliniques, c’est-à-dire
de pratiques éclairées par les résultats probants pour atteindre de meilleurs résultats
cliniques auprès des patients et de leurs familles. Les pratiques cliniques fondées sur
les résultats probants sont considérées comme un bon moyen d’améliorer la qualité
des soins offerts aux patients (Grol, 2001 ; Wyer, 2007), à condition toutefois que ces
résultats soient effectivement utilisés, appliqués et intégrés aux pratiques courantes.
Un certain nombre de déterminants du succès de l’utilisation des connaissances
et des changements de pratiques sont, à ce titre, documentés dans les écrits. Ces
déterminants concernent autant les pratiques que le développement d’une culture
organisationnelle et d’une organisation du travail favorables au TC (par exemple
libérer du temps pour que les infirmières analysent les données probantes, créer
des postes de gestionnaires de connaissances1) (Dopson et al., 2010 ; Estabrooks et
al., 2005 ; Fixsen et al., 2005 ; Pipe et al., 2008). S’y ajoute la participation des infir-
mières cliniciennes au développement et à l’implantation des guides de pratiques et
des nouvelles connaissances en santé. Cela permet de s’assurer que le changement
proposé aura du sens et qu’il répondra à un besoin ou à un problème vécu afin
d’avoir un impact positif auprès des patients et de leur famille. La mise en place
d’apprentissages collaboratifs et d’échange de savoirs à travers des interactions entre
collègues et professionnels est aussi considérée comme un élément clé (Beyer et
Trice, 1982 ; Dopson et al., 2010 ; Fixsen et al., 2005). Les infirmières doivent en
revanche être outillées pour ce faire (Chummun et Tiran, 2008 ; Dopson et al., 2010,
Estabrooks et al., 2005) et, à cet égard, le recours à des infirmières leaders, issues
des milieux cliniques, valorisant et facilitant l’utilisation des données probantes
dans les pratiques, est reconnu comme une stratégie prometteuse (Beyer et Trice,
1982 ; Boaz et al., 2011 ; Chummun et Tiran, 2008 ; Dopson et al., 2010 ; Fixsen et
al., 2005 ; Prior et al., 2008 ; Pépin et al., 2010). Enfin, l’utilisation des connaissances
et les changements de pratiques mettent en jeu des processus complexes et non
linéaires, qui supposent l’implication de différents groupes de professionnels et qui
doivent être valorisés par les gestionnaires. Les acteurs clés du changement doivent
ainsi pouvoir compter sur un soutien organisationnel favorisant l’accès aux données
de la recherche, privilégiant l’émergence d’interactions entre les professionnels et
favorisant les échanges et les apprentissages. Les technologies de l’information sont
considérées dans ce sens comme des outils facilitant à la fois les interactions entre

1. Le gestionnaire de connaissances est la personne qui accompagne les équipes cliniques dans la docu-
mentation des résultats probants. Elle assure le knowledge management.

40 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


les professionnels et l’accès rapide aux meilleures pratiques cliniques (Pépin et al.,
2010 ; Pipe et al., 2008).

2.2. Repères conceptuels : définition des concepts de transfert


et d’échange de connaissances
L’implantation des pratiques fondées sur les résultats probants nécessite la mise en
œuvre de stratégies efficaces, variées et adaptées aux préoccupations des milieux
cliniques afin de transférer les connaissances dans l’action (Grol, 2001 ; Grol et
Buchan, 2006 ; Prior et al., 2008 ; Ward et al., 2009). Or, différents concepts ont
vu le jour pour rendre compte d’une variété de stratégies permettant ce transfert.
L’un d’entre eux, particulièrement adopté par la communauté scientifique, est celui
du transfert des connaissances. Concept englobant, le TC fait appel à un ensemble
d’activités ou de dispositifs favorisant la diffusion, l’adoption et l’appropriation des
meilleures connaissances aux fins d’une utilisation dans les pratiques (INSPQ, 2009).
Il vise à rendre accessible des connaissances scientifiques à des utilisateurs potentiels,
afin d’en faciliter l’utilisation, et engage la transmission de savoirs, d’expériences,
d’opinions et de questions dans le but d’établir l’état des connaissances et de définir les
problèmes à résoudre. Il suppose, entre autres, de faire la synthèse des connaissances
(scientifiques) et des savoirs (cliniques) afin de rendre compte de ce qui est connu
en relation avec un problème donné (Graham et al., 2006). Le TC peut prendre
de multiples formes. Il peut s’appuyer sur des approches linéaires, de résolution de
problèmes, ou encore être de type interactif. Les approches linéaires font appel à
un processus unidirectionnel de communication des résultats de recherche entre
producteurs de connaissances et utilisateurs, et s’appuient sur la prémisse selon
laquelle les utilisateurs seront nécessairement intéressés par la nouvelle connais-
sance et la mettront en application. Les utilisateurs y tiennent un rôle passif. Les
approches de résolution de problèmes se réfèrent à l’idée selon laquelle la produc-
tion de connaissances se réalise à partir des besoins exprimés par les utilisateurs
qui sont à la recherche de solutions à un problème. Ces approches s’appuient sur la
prémisse selon laquelle le TC sera nécessairement facilité du fait que la génération
de connaissances découle des préoccupations des utilisateurs. La science y tient un
rôle utilitaire. Les approches dites interactives supposent, pour leur part, des allers
et retours entre producteurs et utilisateurs potentiels des connaissances. Tant les
utilisateurs que les chercheurs y jouent un rôle actif et contribuent à une ou plusieurs
étapes du TC (par exemple formulation du problème, validation et diffusion des
résultats). Ces approches misent sur les interactions continues entre les différents
acteurs concernés afin de réduire l’écart entre la recherche et la pratique, condition
essentielle de succès. Les possibilités d’échange y sont centrales (INSPQ, 2009), d’où
un autre concept essentiel et complémentaire au TC, celui d’échange des connais-
sances. Au même titre que le TC, l’échange des connaissances est fortement utilisé
par la communauté scientifique et fait porter le regard sur le processus en action
lors du TC. Ce processus est dynamique et interactif. Il implique une participation
active de l’ensemble des acteurs concernés dans toutes les étapes d’implantation de la
nouvelle connaissance. Il met en action des partenaires, chercheurs et utilisateurs,
lesquels peuvent être tout autant un praticien, un gestionnaire, un décideur, un
patient et sa famille (Graham et al., 2006).

Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 41
3. Projet de recherche : une innovation clinique
infirmière en oncologie, pour un meilleur
continuum de soins et de services pour
les patients atteints de cancer
Le RIUPS de l’université de Montréal (Québec) a développé ce projet de recherche
afin d’accompagner les changements de pratiques cliniques des infirmières. Il s’est
construit autour des concepts de transfert et d’échange des connaissances.
Le projet de recherche a reçu un financement des Instituts de recherche en santé
du Canada (IRSC), en partenariat avec le ministère de la Santé et des services
sociaux du Québec et du Fonds de recherche en santé du Québec (MSSS/FRQS),
de la Fondation recherche & développement en santé (FR&D) lors de l’été 2013.
Il vise à favoriser le TC et l’échange des connaissances entre les professionnels de
la santé et autres acteurs clés de milieux cliniques et les patients, et s’appuie, pour
ce faire, sur le développement d’un Portail interactif d’échanges de savoirs (PES).
Le PES est un portail informatique interdisciplinaire qui vise à réunir chercheurs,
infirmières, médecins et autres professionnels, gestionnaires et décideurs, patients/
proches dans un nouvel espace pour partager les savoirs scientifiques et expérientiels,
et améliorer les soins. Animé par des équipes d’infirmières leaders dans six milieux
cliniques participants, il veut agir en tant que levier pour faciliter la circulation de
l’information entre les partenaires de soins et la coordination des soins et des services
aux patients, et ainsi soutenir l’implantation et l’appropriation des meilleures pratiques
cliniques dans le contexte des transitions vécues par les patients tout au long du
continuum de soins. La thématique de la planification de congé1 en oncologie a été
retenue en tant que premier projet de recherche clinique du RIUPS afin de mettre
à l’épreuve ces stratégies pour animer les résultats de recherche en milieu clinique.
Elle fait référence à l’ensemble des activités cliniques et organisationnelles mises en
place pour améliorer la transition des patients entre les différents dispensateurs de
santé et dans la communauté, dont, par exemple, entre deux unités de soins, entre un
centre hospitalier ultraspécialisé et centre hospitalier régional, ou encore de la sortie
du centre hospitalier vers le domicile. Elle a été privilégiée parce qu’elle constitue un
enjeu majeur du continuum de soins pour améliorer la qualité de soins offerts aux
patients (Allaudeen et al., 2011 ; Comité consultatif concernant les hospitalisations
évitables, 2011 ; Naylor et al., 1999 ; Nekhlyudov et Schnipper, 2012).
Le projet de recherche comporte deux phases :
• une phase préparatoire visant le déploiement de l’infrastructure informatique du
PES et son implantation dans les six milieux participants ;
• une phase exploratoire consistant à faire l’analyse en profondeur du déploiement,
de l’implantation et de l’utilisation du PES dans les six milieux, et à faire l’analyse
des effets du PES, animée par des équipes d’infirmières leaders dans les milieux,
sur l’implantation et l’appropriation des meilleures pratiques cliniques chez les

1. La planification de congé est au Québec ce qui est nommé en Europe la planification de sortie du
patient de l’hôpital.

42 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


infirmières et professionnels de la santé, et sur l’expérience de santé des patients
et de leurs familles.
Le volet recherche du projet est mis en œuvre simultanément pour le développement
et l’implantation de l’infrastructure du PES. Les analyses s’y réaliseront autour de
quatre grands axes.

3.1. Analyse approfondie des étapes d’implantation du Portail


interactif d’échanges de savoirs à partir de la science
de l’implantation
Plusieurs modèles d’implantation ont progressivement vu le jour, ayant donné
une impulsion à l’utilisation des données de recherche et guidé la planification et
l’implantation des évidences scientifiques. Ces modèles, qui ont considérablement
évolué, se préoccupent désormais de rendre compte de la complexité du contexte
dans lequel se déploie une innovation, portant une attention aux interconnexions,
aux relations et interactions multiples qui se manifestent au sein d’une organisa-
tion comme autant de facteurs pour appréhender l’implantation (Greenhalgh et al.,
2004 ; Newhouse et White, 2010). Cependant, les études d’implantation ont le plus
souvent produit des résultats partiels, se limitant à la phase d’exploration préalable à
l’implantation, ou encore à son implantation initiale (Fixsen et al., 2005). Le modèle
d’implantation multiniveaux, Implementation Science ( figure 1), développé par Fixsen
et al. (2005) à partir d’une revue extensive des écrits, est intéressant à cet égard. Il
s’attache non seulement aux étapes exploratoires et initiales de l’implantation, mais
aussi à celles suivant son adoption.

CADRE DE RÉFÉRENCE
STAGE OF IMPLEMENTATION PROCESS (Fixsen et al., 2005)

Exploration and Adoption

Programm installation

Initial implementation

Full operation

Substainability

Figure 1 – Le modèle d’implantation multiniveaux

Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 43
Le modèle comporte cinq grandes étapes : l’étape d’exploration et d’adoption a pour
but de s’assurer de la correspondance entre les besoins du milieu visé par le chan-
gement ou l’innovation proposée, les besoins du projet d’implantation lui-même et
les ressources disponibles. Un maximum d’informations est recueilli, à cette étape,
de façon à bien comprendre le contexte local dans lequel se déroule l’implantation.
Des discussions ont lieu avec l’ensemble des parties prenantes du changement afin de
les amener à s’investir dans le processus et un examen attentif est porté à l’ensemble
des options disponibles dans le milieu pour assurer une implantation efficace. Un
projet d’implantation est défini, guidé par des buts à atteindre, un plan détaillé et
des échéanciers. La faisabilité du projet de changement est démontrée. Cette étape
est préparatoire à celle de l’installation de l’implantation, laquelle vise à obtenir des
consensus, l’aval et des soutiens au niveau politique, financier et des ressources
humaines. Des discussions ont lieu avec les parties prenantes des milieux afin d’assurer
la mise à disponibilité du financement et des ressources humaines nécessaires. Des
modifications sont apportées au projet en fonction de nouvelles informations obte-
nues. C’est à cette étape que sont établis des mécanismes qui permettront d’évaluer
le rendement de l’implantation et sa performance. L’étape de l’implantation initiale
peut être amorcée. L’innovation est mise à l’essai à petite échelle au sein de l’orga-
nisation. Des formations sont offertes au préalable. Des coaches sont identifiés et
des équipes de travail formées et soutenues par les coaches. Des ajustements sont
effectués en fonction des données nouvelles. Suit l’étape de l’implantation effective.
Celle-ci suppose l’application à grande échelle de l’innovation par l’ensemble des
acteurs concernés dans l’organisation, de même qu’au niveau de ses politiques et
de ses procédures. À cette étape, l’innovation est complètement opérationnelle et
devient peu à peu une pratique acceptée. En dernier lieu, les leaders et les décideurs
de l’organisation sont amenés à mettre en place des mécanismes de pérennisation
pour assurer la viabilité à long terme de l’implantation. Ces mécanismes feront partie
intégrante de la culture de l’organisation, des politiques de l’établissement et des
protocoles cliniques.

3.2. Analyses des facilitateurs et des obstacles à l’implantation


à l’aide du Consolidated Framework for Implementation
Research (CFIR)
Certains estiment que près des deux tiers des efforts organisationnels pour implanter
des changements sont voués à un échec en raison d’obstacles à l’implantation.
Ceux-ci peuvent survenir à différents niveaux : patients, équipe de professionnels
ou dispensateurs de soins, ou encore au niveau de l’organisation, d’où l’importance
de s’assurer de la présence de mécanismes de facilitation (Stetler et al., 2006). Le
CIRF développé par Damschroder et al. (2009) est retenu pour permettre de cerner
les différents facilitateurs et obstacles du déploiement et de l’implantation du PES,
et ce à partir de cinq principaux domaines :
• les caractéristiques de l’intervention (sources de l’intervention, forces et qualités
des évidences, adaptabilité, complexité) ;
• le cadre interne (caractéristiques structurelles de l’organisation, réseaux et commu-
nications, culture, tensions de changement, compatibilité, buts et rétroactions,
engagement de leadership, accès aux informations et aux connaissances) ;

44 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


• le cadre externe (pressions des pairs, politiques et renforcements externes) ;
• les caractéristiques des individus impliqués (connaissances, croyances, antécédents
professionnels, expériences, expertises) ;
• et le processus d’implantation (planification, stratégies pour rejoindre les individus
ou groupes concernés, suivis des progrès de l’implantation, exécution).

3.3. Analyses des processus d’échange et de partage


de connaissances
Un troisième axe des analyses permettra de cerner la manière dont le TC et l’échange
de connaissances se déroulent dans chaque milieu, cela à partir d’un cadre concep-
tuel développé par Ward et al. (2009) à partir d’une revue extensive des écrits. Les
chercheurs ont répertorié 28 modèles permettant d’expliquer le processus de TC à
partir desquels ils ont tiré cinq dimensions centrales :
• l’identification du problème (par exemple cycle de résolution de problèmes) et sa
communication (par exemple communication des besoins ; besoins identifiés et
communiqués à travers différents canaux) ;
• l’analyse du contexte ;
• le développement des connaissances et leur sélection (synthèses de connaissances,
adaptations, compatibilité avec les croyances, les normes, les connaissances
précédentes) ;
• les activités/interventions d’échange de connaissances (utilisation d’infirmières
leaders, lieux d’échange, possibilités d’interactions) ;
• l’utilisation des connaissances (suivis, évaluation des impacts).

Pour ces trois premiers axes, les données analysées proviennent d’entrevues semi-
dirigées auprès des utilisateurs et des patients, de la documentation écrite en lien
avec l’opérationnalisation et la promotion du PES par les équipes d’infirmières
leaders et de l’observation de réunions d’équipes de travail.

3.4. Analyses des effets de l’utilisation du Portail interactif


d’échanges de savoirs
Un quatrième axe s’intéresse à l’analyse des effets du PES. Ces analyses sont essentiel-
lement puisées des entrevues semi-dirigées. Celles-ci ont lieu à différents moments
de la réalisation de la recherche et se destinent à l’ensemble des utilisateurs du PES,
de même qu’aux patients et à leurs familles. Chez les professionnels, gestionnaires
et autres acteurs clés du projet, l’entrevue a comme but de dresser le portrait de
l’implantation du PES, de son utilisation et de ses impacts sur l’appropriation et
la transformation des pratiques en planification de congé en oncologie. Chez les
patients et leurs familles, l’entrevue vise à explorer les effets du PES sur la gestion
des symptômes, les consultations subséquentes aux services de santé, l’autoprise
en charge des patients lors du retour à domicile.

Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 45
4. Bilan des travaux réalisés à ce jour
dans le cadre du projet de recherche
Actuellement, les deux premières étapes d’implantation proposées par Fixsen et al.
(2005) sont déjà bien amorcées alors qu’un travail préalable avait été effectué pour
la préparation de la demande de financement (formation d’un comité de suivi des
orientations du projet, d’un comité de pilotage composé d’utilisateurs désignés
représentant les six milieux cliniques participants et des patients). Des rencontres
ont récemment eu lieu avec les milieux cliniques participants. Lors de ces réunions,
l’équipe de recherche a fait la présentation du projet, de son déroulement, et les parti-
cipants ont eu l’occasion de réaffirmer leur engagement au projet. Les utilisateurs
de connaissances désignés pour chaque milieu ont alors été invités à mettre en place
dans leur propre milieu une équipe de professionnels qui participera activement au
projet, le choix de ces professionnels s’appuyant sur différents critères (par exemple
des expertises ou expériences en oncologie, un intérêt pour les technologies ou pour
le TC). Ces équipes sont maintenant formées et ont pour mandat de recenser les
pratiques existantes dans leur propre milieu en lien avec les transitions tout au long
du continuum de soins (planification de congé) et de recueillir de la documentation
pertinente (incluant la littérature grise). Chaque équipe partagera ensuite le fruit
de son travail dans le cadre d’une rencontre intersites. Le comité de pilotage du
projet se réunit, pour sa part, sur une base régulière et apporte les modifications
nécessaires au fur et à mesure du déroulement du projet. Certaines démarches ont
également été entreprises pour intégrer des représentants des patients au sein des
différentes instances du projet. Ces patients partenaires joueront un rôle clé en
permettant d’y intégrer leurs savoirs et leurs propres expériences. Enfin, le PES
est en construction et permettra d’offrir des possibilités d’interactions rapides et
faciles pour les utilisateurs.
Enfin, la consultation des travaux de Lafortune (2009) nous amène à réfléchir
sur les compétences que nous avons ciblées pour le choix de nos utilisateurs de
connaissances. Ceux-ci sont les personnes qui ont le mandat d’accompagner les
équipes cliniques dans leur discussion, le choix des stratégies à mettre en place
pour favoriser leur changement de pratique et les guider dans l’utilisation du PES.
Cet aspect fera l’objet d’une réflexion des chercheurs afin d’inclure des éléments
d’évaluation sur l’accompagnement du changement des pratiques cliniques dans
le cadre de ce projet.

5. Contributions
Cette recherche contribuera à favoriser les apprentissages par les interactions entre
les professionnels, les patients, leurs proches, les chercheurs et les décideurs, et
facilitera le partage d’innovations cliniques pour une meilleure qualité de soins. Elle
devrait permettre de réduire l’utilisation de services non nécessaires ainsi que les
coûts de santé. Les décideurs politiques participants contribueront, de leur côté, à

46 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


faire évoluer les politiques de santé en s’appuyant sur les résultats probants produits
et pourront influencer les décisions au sein des organisations de soins. Durant
le déroulement du projet de recherche, la participation active de tous les acteurs
concernés (professionnels, gestionnaires, patients partenaires, décideurs, chercheurs,
etc.) fera en sorte de modifier les pratiques cliniques, de faire évoluer les politiques
en matière de planification de congés en oncologie et d’améliorer l’enseignement
destiné aux étudiants. Le PES sera bientôt accessible à tous les pays francophones.

À retenir
1. Les déterminants du succès de l’utilisation des connaissances et des changements de
pratiques sont :
a. le développement d’une culture organisationnelle ;
b. la mise en place d’une organisation du travail favorable au TC ;
c. un changement proposé qui doit avoir du sens pour les infirmières ;
d. un changement proposé qui doit répondre à un besoin ou un problème vécu et
avoir un impact positif auprès des patients et de leur famille ;
e. la mise en place d’espaces d’échange collaboratif entre collègues ;
f. des infirmières leaders du milieu clinique pour valoriser et faciliter l’utilisation des
données probantes dans les pratiques cliniques.
2. Le transfert des connaissances fait appel à un ensemble d’activités ou de dispositifs
favorisant la diffusion, l’adoption et l’appropriation des meilleures connaissances aux
fins d’une utilisation dans les pratiques. L’échange des connaissances est un processus
dynamique et interactif. Il implique une participation active de l’ensemble des acteurs
concernés dans toutes les étapes d’implantation de la nouvelle connaissance.
3. Stages d’implementation process :
a. exploration et adoption de l’innovation ;
b. installation de l’innovation ;
c. implantation initiale ;
d. implantation complète ;
e. pérennité.

Questions de discussion
Quels seraient les éléments de distinction entre le transfert des connaissances et l’échange
des connaissances ?
Comment ces distinctions se traduisent-elles dans les stratégies d’échange de connais-
sances ?
Dans votre environnement, de quelle façon se traduit le transfert des connaissances ? Que
pourriez-vous faire pour initier une activité de transfert des connaissances autre que de
la formation continue traditionnelle ?

Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 47
Lectures pour aller plus loin
Le modèle de l’Institut national de santé publique (INSPQ, 2009) est très utilisé car facile
à comprendre et simple d’application.
Le modèle de la science de l’implantation est l’un des rares modèles permettant de guider
le clinicien dans l’implantation d’un changement de pratique ou d’une innovation clinique
jusqu’à la pérennisation par l’organisation (Fixsen et al., 2005).
C’est dans l’action que les savoirs prennent forme : www.inesss.qc.ca/activites/transfert-
de-connaissances.html

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50 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


CHAPITRE 4
L’expérience du simulateur
en formation : le cas d’un bloc
opératoire virtuel
Bruno Bastiani, Vincent Minville, Bernard Calmettes

1. Introduction
Cette contribution vise à rendre compte de la première étape, exploratoire, d’une
recherche menée en vue de densifier, d’optimiser l’approche pédagogique mise
en œuvre dans le cadre de la formation des internes et des infirmiers anesthé-
sistes, par la simulation. L’analyse de 15 entretiens réalisés avec des personnes
formées nous permet d’envisager des pistes de réflexion allant dans ce sens.
Les enjeux de la simulation sont à la fois une préoccupation affirmée pour la
valeur du patient (« jamais la première fois sur le patient ») et une responsa-
bilité accrue du milieu médical et de l’institution hospitalière. En effet, nous
pouvons considérer, à la suite de Chiniara et Pellerin (2014), que « la simulation
[est] comme un impératif éthique, surtout lorsque son utilisation est possible
pour l’apprentissage initial de gestes invasifs » (p. 380). Cependant, l’objectif
de la simulation est d’aller plus loin qu’une formation pratique classique ; elle
vise également la prise de conscience des compétences non techniques par les
personnes formées. Ces compétences non techniques sont constitutives, comme
les compétences techniques, d’un acte réussi ; elles renvoient à la communica-
tion, au leadership, aux émotions, au stress, à la conscience de la situation qui
méritent d’être travaillées « dans une ambiance de sécurité psychologique »
(ibid., p. 380). Pour cela, le débriefing constitue un élément fondamental du
dispositif, comme le signalent de nombreuses productions scientifiques. À la
suite de nos premiers résultats, nous faisons émerger des points d’amélioration
du processus de débriefing comme la prise en compte du stress et des émotions
que génère la gestion de situations critiques.

Chapitre 4 – L’expérience du simulateur en formation : le cas d’un bloc opératoire virtuel l 51


2. Approche historique de la simulation
2.1. Simulation dans le milieu industriel
« L’aéronautique est considérée comme le berceau de la simulation professionnelle
à grande échelle » (HAS, 2012, p. 16). En effet, le premier « entraîneur » de vol
nommé le « tonneau Antoinette » a été développé en France dès 1909. Il compor-
tait un poste de pilotage et servait principalement à répéter les manœuvres et les
procédures de base pour la conduite. Les simulateurs de vol analogiques des années
1970-1980, puis numériques à l’heure actuelle, ont été progressivement complexifiés.
Ils sont notamment composés de dispositifs d’entrée des données, du modèle de vol
et de dispositifs de restitution de l’environnement.
Des recherches ont été menées dans ce champ professionnel pour analyser différentes
données sur les attitudes et les interactions des individus et des équipages relativement
à la sécurité (forces et faiblesses). Ces attitudes peuvent ensuite être travaillées en
formation. Elles concernent par exemple la définition des ressources de l’équipage,
l’analyse des erreurs, le travail en équipe, les effets du stress et de la fatigue.
Ainsi, depuis la fin des années 1980, des entraînements relatifs aux facteurs humains
ont été élaborés, notamment sous deux formes de formation qui sont aujourd’hui
obligatoires et réglementaires :
• le CRM (crew-ressource management) basé sur des jeux de rôles et des saynètes à
analyser ;
• le LOFT (line oriented flight training) basé sur des scénarios complexes impliquant
par exemple le contrôle aérien et les incidents possibles.
On retrouve également la simulation dans l’exploitation de centrales nucléaires qui
demande une maîtrise forte concernant le pilotage mais aussi la maintenance, que
la situation soit normale ou accidentelle. Des simulateurs pleine échelle (répliques
exactes des matériels et des conditions de travail, à l’échelle 1) y ont été élaborés
pour entraîner une équipe à conduire une paire de réacteurs nucléaires en fonction
de la demande, pour produire l’énergie électrique à partir de l’énergie nucléaire en
maintenant la sûreté des installations. Les mises en situation simulées et les débrie-
fings s’appuient sur les travaux de Pastré (1999) et Pastré et al. (2006).

2.2. Simulation dans le milieu médical


La simulation dans le domaine médical n’est pas nouvelle. Les raisons de son déve-
loppement sont liées d’un point de vue professionnel, d’une part, aux nécessités de
formation des professionnels (construction de pratiques) et, d’autre part, aux questions
éthiques soulevées par la formation réalisée antérieurement sur des patients sains.
Le développement de la simulation est bien sûr aussi à mettre en relation avec les
évolutions techniques importantes dans les domaines de la micro-électro-technique
et de l’informatique.
Aux États-Unis, le premier médecin à avoir utilisé la simulation en anesthésie-
réanimation dans les années 1950 (Peter Safar, professeur d’anesthésie-réanimation)

52 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


s’appuie sur des volontaires humains, qu’il anesthésie et intube, afin d’affiner certaines
pratiques. Il collabore ensuite, dans les années 1960, avec d’autres scientifiques et
un fabricant de jouet pour développer un mannequin d’entraînement à la réanima-
tion cardiopulmonaire, Resusci Anne. Pendant la même période, un mannequin
contrôlé par ordinateur, le Sim One, est mis au point. Cette version inspirera les
actuels mannequins haute fidélité. Nous rappelons ici que la « fidélité » correspond
au niveau de réalisme de la situation qui est reproduite, avec le maximum de vrai-
semblance. On distingue habituellement les termes « haute » ou « basse » fidélité1.
C’est à cette époque également que sera conçu, par le Dr Gordon (fondateur et
directeur du Gordon Center for Research in Medical Education, Miami, Floride),
un mannequin dédié à la cardiologie. Gordon avait découvert le simulateur de vol
dans le cadre de ses missions dans l’aéronautique – il devait déclarer « aptes au vol »
les pilotes ayant souffert de problèmes cardiaques – et il avait décidé d’appliquer
cette mise en situation pédagogique à la formation des étudiants en médecine. En
1967, il conçoit ainsi le mannequin Harvey pour simuler des pathologies cardiaques
et offrir aux étudiants des occasions d’apprentissage efficace sans avoir recours à de
vrais patients. À partir des années 1980, les progrès de l’informatique ouvrent de
nouvelles voies à la simulation médicale avec notamment deux avancées importantes
aux États-Unis, la mise au point du logiciel GasMan en 1984 qui vise à simuler les
échanges pharmacologiques de différents produits en anesthésie et le Comprehensive
Anesthesia Simulation Environment développé par le Dr Gaba et son équipe en 1986.
L’objectif de ces simulations est alors centré sur les aspects matériels mais surtout
sur le facteur humain dans la gestion des ressources de crises (ou gestion de crise) en
anesthésie. Pour les Dr Helmreich et Schäfer (1994), les facteurs humains ont ici un
rôle décisif. En effet, les attitudes des professionnels de santé, les structures organi-
sationnelles et les paramètres culturels de travail déterminent la communication, la
résolution de conflit et la distribution de charge de travail dans et entre les équipes.
Ces médecins élaborent une formation nommée non-technical skills training (formation
aux compétences non techniques) centrée sur les facteurs humains, notamment la
répartition des rôles de chacun des intervenants, le leadership, la communication,
le soutien, l’optimisation des ressources humaines.
Par ailleurs, la réflexion sur l’éthique de la simulation médicale conduit, en 1999,
aux États-Unis, à la publication d’un rapport2 intitulé « To Err is Human » (l’erreur
est humaine). Le rapport rendu en France par les Dr Granry et Moll (HAS, 2012)3,
à la demande de la Haute Autorité de santé, résume l’enjeu éthique de la simulation
par la formule « jamais la première fois sur le patient ».
La prise de conscience de l’importance du facteur humain dans les erreurs médicales
contribue alors au développement de la simulation comme un des moyens de lutter
contre ces erreurs et leurs conséquences.

1. Pour la haute fidélité, on retrouve également dans la littérature scientifique les termes full mission,
pleine échelle.
2. « To Err Is Human : Building A Safer Health System », http://iom.edu/Reports/1999/To-Err-Is-
Human-Building-A-Safer-Health-System.aspx.
3. Rapport de mission, « L’état de l’art (national et international) en matière de pratiques de simulation
dans le domaine de la santé ».

Chapitre 4 – L’expérience du simulateur en formation : le cas d’un bloc opératoire virtuel l 53


Aujourd’hui, dans leur majorité, les CHU français sont équipés de centres de
simulation pour différentes spécialités médicales et paramédicales. La formation
est principalement pensée, comme ce fut le cas dans les décennies antérieures, sous
la forme de situation critique associée à un risque vital dans le but de développer
des compétences non techniques, comportementales, liées à la prise de décision
rapide et stratégique, à l’organisation et à la communication dans l’équipe. Les
simulateurs sont des répliques réalistes d’êtres humains (adulte, enfant, nourrisson).
Leur programmation permet la reproduction de caractéristiques physiologiques et
pathologiques d’un patient réagissant à des interventions médicales.

3. Simulation en anesthésie-réanimation
Même si l’anesthésie n’apporte quasiment aucun bénéfice thérapeutique par elle-
même et si les accidents d’anesthésie sont rares, leur éventuelle gravité les rend
redoutables. C’est pourquoi la simulation a été fortement développée dans le domaine
de l’anesthésie.
La recherche exploratoire que nous présentons a été réalisée, d’un point de vue
empirique, dans un centre de simulation conçu et mis en place grâce à un partenariat
entre une université et un pôle d’anesthésie-réanimation (le département d’anes-
thésie-réanimation de l’université Toulouse-3 et le pôle anesthésie-réanimation
des Hôpitaux de Toulouse). Ce partenariat a conduit à l’acquisition en 2009 d’un
simulateur d’anesthésie haute fidélité.
Depuis 2010, une formation à la « gestion de situations critiques en anesthésie » a
été mise en œuvre avec ce simulateur. Cette formation présente deux originalités.
D’une part, elle met en situation de formation une équipe constituée d’un interne
en anesthésie-réanimation (médecin formé) et un infirmier anesthésiste diplômé
d’État (IADE). En effet, comme le souligne la Société française d’anesthésie et de
réanimation (Sfar), « les fonctions du médecin anesthésiste-réanimateur (MAR) et
de l’IADE s’inscrivent en complémentarité et non en substitution de l’une à l’autre ».
D’autre part, les équipes de formateurs sont également constituées par un MAR
et un IADE ; tous deux sont en exercice à l’hôpital. Ces professionnels formateurs
ont un temps dédié à la formation mais ce travail ne constitue pas l’essentiel de
leurs pratiques. Ils sont principalement sur le terrain auprès des patients. On peut
considérer que cet élément contribue à renforcer les liens entre réalité de terrain
et formation, et ainsi tend à réduire le décalage parfois souligné dans la formation
entre terrain et école.
Les simulations, mises en œuvre dans une réplique de bloc opératoire, sont élabo-
rées à base de scénarios de situations critiques pour le patient (ici représenté par
un mannequin commandé par un ordinateur). La formation est animée par une
équipe de supervision constituée d’un MAR et de deux IADE expérimentés (il
est entendu par « expérimentés » des IADE ayant plusieurs années d’expérience
dans des services différents et reconnus comme légitimes par leurs pairs et par les
MAR) (tableau 1).

54 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Tableau 1 – Contexte matériel et socioprofessionnel

Contexte
Contexte matériel Fonctions
socioprofessionnel
Superviseurs de la formation Équipe formée d’un MAR et de
deux IADE expérimentés
Détermination du scénario Formateurs Équipe formée d’un MAR et d’un
parmi une trentaine de scénarios IADE en exercice dans l’hôpital
possibles (nombre évolutif)
Simulateur de patient et de bloc. Interne formé Équipe constituée d’un interne
Scénario inconnu au départ à former et d’un IADE

La formation comporte plusieurs étapes :


• un briefing qui permet de préciser le déroulement de la simulation, de présenter
le mannequin et l’organisation du bloc opératoire, de mettre en confiance les
étudiants, de faire un essai de laryngoscope ;
• une situation simulée qui commence par l’examen de la fiche « patient » (carac-
téristiques du patient, type d’intervention, etc.) et qui se poursuit par la mise en
œuvre d’un scénario ;
• le débriefing ou rétroaction sur les situations vécues, qui est basé sur le principe
d’échanges réflexifs et constructifs.
Le débriefing, ou rétroaction encadrée, vise à analyser la performance des personnes
formées et à définir des axes d’amélioration de pratiques. Les connaissances, les
aptitudes, les attitudes et les ressentis sont ainsi analysés. On peut considérer que le
débriefing « ne [porte pas] uniquement sur les résultats (outcomes) de la simulation,
mais surtout sur la qualité des processus (process) et des comportements qui y ont
mené. Autrement dit, [cette situation] s’intéresse davantage à la question “pourquoi
tel résultat est-il survenu ?” plutôt qu’à la question “quel résultat est survenu ?” »
(Chiniara et Pellerin, 2014, p. 376). La réussite ou l’échec de la simulation constitue
une rétroaction « naturelle », mais elle nécessite des approfondissements visant
la compréhension des événements. C’est donc une rétroaction augmentée qui est
élaborée dans le cadre d’un débriefing conduit par un ou des formateurs.
Cette étape de réflexivité est considérée, par les superviseurs de formation, comme
ayant autant d’importance que l’élaboration des scénarios et le pilotage des manne-
quins. C’est, selon eux, le point nodal de la formation, ce qui est également souligné
dans la littérature scientifique. Chianara et Pellerin (2014, p. 376) notent, dans
une méta-analyse portant sur 109 articles abordant ce sujet, que le débriefing doit
vraiment être conçu comme une étape essentielle de la formation.
Notre recherche a été mise en place afin de rendre compte et éventuellement de
proposer des améliorations à cette phase de débriefing qui est donc jugée fonda-
mentale par les experts.
C’est le concept de représentation professionnelle qui nous a semblé le plus opérant
pour rendre compte des discours des personnes formées lors de notre enquête.

Chapitre 4 – L’expérience du simulateur en formation : le cas d’un bloc opératoire virtuel l 55


4. Les représentations professionnelles comme
référence conceptuelle pour l’étude
des entretiens
4.1. Ancrage théorique
Pour Moscovici (1961), le concept de représentations sociales, issu du cadre théo-
rique de la psychologie sociale, permet d’interroger le fonctionnement de la société.
Il définit deux processus générateurs de représentations sociales fonctionnant en
interaction : l’objectivation et l’ancrage.
Le processus d’objectivation renvoie à la transformation d’éléments théoriques
abstraits en contenus figuratifs concrets. L’objectivation procède selon trois étapes :
• la sélection d’informations sur l’objet en retenant et rejetant (défalcation) certains
éléments ;
• l’élaboration du « schéma figuratif » relatif à l’objet passant par une condensation
des éléments d’informations retenus et le gommage des « aspérités » ;
• la naturalisation qui permet d’effacer l’abstraction au profit de données concrètes
utilisables dans une réalité de sens commun.
Le processus d’ancrage rend compte de l’impact d’un cadre de référence social sur
la représentation. L’ancrage a plusieurs fonctions :
• il donne du sens à l’objet en référence aux valeurs et idées auxquelles adhère le
groupe ;
• il constitue un système d’interprétation des événements et des conduites, et régule
ainsi les relations sociales ;
• il s’enracine dans des systèmes de pensée déjà présents (le « déjà-là pensé » de
Jodelet) et permet de modifier une représentation.
En s’inspirant du cadre des représentations sociales, Gilly (1989) considère que les
représentations « professionnelles » sont des représentations sociales afférentes aux
rôles professionnels. Guimelli et Jacobi (1990), quant à eux, les définissent comme
des représentations liées au travail ou liées à la fonction exercée.
C’est dans l’équipe dirigée par Bataille (équipe REPERE ou Représentations et
engagements professionnels, leurs évolutions : recherches, expertises, de 1987 à
2010), qu’est construite la notion de représentation professionnelle telle que nous
allons l’utiliser. Cette notion est impulsée par les travaux de Lorenzi-Cioldi (1991)
et de Monteil (1993).
Lorenzi-Cioldi note d’abord que « les rapports de travail structurent les interactions
et ont pour conséquence la construction d’un système de représentations profes-
sionnelles » (1991, p. 359).
Monteil s’interroge ensuite : « Saisies à travers la variété des réponses dont les
personnes se montrent capables, à propos de situations ou d’objets comparables, les
différences interindividuelles aussi bien qu’intra-individuelles ne seraient-elles pas
les produits actualisés d’un “travail d’implicitation” accompli par le sujet à l’occasion
de ses rapports aux choses et aux autres dans l’environnement social ? » (1993, p. 94).

56 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Piaser définit alors les représentations professionnelles comme « des représenta-
tions portant sur des objets appartenant à un milieu professionnel spécifique. Ces
dernières sont partagées par les membres de la profession considérée et constituent
un processus composite grâce auquel les individus évoluent en situation profession-
nelle : opinions, attitudes, prises de position, savoirs, etc. » (1999, p. 18).
Nous présentons maintenant les résultats de la première phase de la recherche,
exploratoire, menée à partir de l’analyse d’observations filmées des trois phases de
la formation et de l’analyse de 15 entretiens réalisés auprès de formés.

4.2. Enquête auprès d’internes en anesthésie-réanimation


Nous avons réalisé 15 entretiens exploratoires semi-directifs ouverts1 avec des internes
en anesthésie-réanimation. Ces entretiens ont une visée qualitative, compréhensive.
Il s’agit in fine de déterminer des critères permettant de caractériser le vécu, le
ressenti de la formation, et de prendre en compte les remarques et les propositions
que peuvent faire les personnes formées. L’entretien est donc mené de manière
semi-directive avec des questions à large spectre, par exemple : « que pensez-vous
de la simulation ? » ou encore « comment avez-vous vécu le débriefing ? ». Les
résultats de ces entretiens participent ainsi à la constitution d’éléments d’analyse
du processus de formation, permettant à terme d’envisager la phase expérimentale
de la recherche. Ils complètent en ce sens d’autres études de données, notamment
les entretiens avec les formateurs et les responsables de la formation.
Les entretiens ont été menés en février et en mars 2014 avec des personnes formées
ayant bénéficié d’au moins une simulation dans les 12 derniers mois. Dans la mesure
où nous sommes ici dans une phase exploratoire, nous ne considérons pas que ces
variables influent sur la recension des caractéristiques que nous cherchons à constituer.
Les discours font l’objet de deux analyses dans une visée de complétude et de mise
en perspective croisée : une analyse catégorielle systématique réalisée directement
par les chercheurs et une analyse lexicale par logiciel. L’utilisation de deux méthodes
permet certainement de réduire les difficultés techniques de chacune d’elles : subjec-
tivité des chercheurs pour l’une, poids des mots et perte contextuelle pour l’autre.
Nous notons ci-après entre guillemets les extraits des discours des personnes formées
lors des entretiens. Celles-ci sont référencées par un numéro entre parenthèses
correspondant au numéro du locuteur.

4.3. Analyse catégorielle des entretiens


Une analyse catégorielle des entretiens (Bardin, 2007) a permis de relever une
centration des discours sur cinq objets : le stress, le briefing, la simulation, le
leadership et le débriefing.
Le stress est un objet de discours important. Tous en parlent, ils le vivent de façon
forte mais le perçoivent différemment. Pour les uns, le stress est lié au réalisme

1. C’est-à-dire avec un questionnement dirigé vers la simulation mais sous forme de questions ouvertes
avec plus de relances/reformulations, pour approfondir des points, que de questions.

Chapitre 4 – L’expérience du simulateur en formation : le cas d’un bloc opératoire virtuel l 57


de la situation : « c’était réel, c’est pour ça que les émotions, le stress, étaient là
effectivement » (E1) ; les autres craignent l’erreur ou l’incapacité à résoudre la
situation : « le stress de me planter » (E7), le « stress d’arriver à résoudre le cas »
(E6), « l’angoisse des moments où on se pose des questions : qu’est-ce qu’on peut
faire ? Est-ce qu’on a oublié des choses ? » (E5). Certains sont stressés à l’avance
par le scénario nécessairement critique qu’ils vont devoir résoudre : « on est encore
plus en stress que d’habitude car on sait qu’il va y avoir une catastrophe » (E7). Il
y a ceux qui anticipent la catastrophe qui peut arriver réellement, qui s’inquiètent
de leur capacité à faire face à la situation ici simulée mais pouvant leur incomber
demain et qu’ils ne maîtrisent pas : « le stress de la réalité, le truc qui va arriver
demain sur la table » (E13).
Le stress apparaît donc comme une composante importante à étudier, il ne génère
pas la même chose chez chacun, une prise de conscience de ce qu’il peut produire
apparaît nécessaire (syndrome dysexécutif1, biais de fixation2, biais de confirma-
tion3, formes d’évitement4, etc.), « dans une situation de stress on peut faire tout et
n’importe quoi » (E4), « le stress fait que j’ai mis une demi-heure à intuber un mec
qui était facile à intuber » (E15).
Faut-il alors faire baisser le stress dans la simulation ? Cela poserait aussi la question
de son exploitation pour l’acquisition de compétences non techniques.
Nous pouvons relever que l’accoutumance à la situation (les personnes formées qui
passent pour la seconde ou troisième fois, ou encore celles qui étaient observateurs
dans un premier temps) diminue l’implication et le stress : « je n’étais pas superim-
pliqué ni trop stressé parce que je suis passé en deuxième » (E9).
Comme régulateur du stress, le briefing est évoqué car il permet de limiter le stress
avant la simulation par une familiarisation avec le matériel, les lieux, le mannequin
et les objectifs de la simulation : « ce n’est pas une évaluation » (E10), « pas là pour
être jugés ou critiqués » (E13), etc. Certains souhaiteraient ce briefing plus étoffé :
« il faudrait plus pousser le briefing, ça pourrait nous permettre de nous mettre en
situation avec moins de stress » (E5).
La simulation correspond à une immersion forte et rapide, avec au départ une
appréhension du regard des autres (les formateurs et les internes observateurs),
une « peur du regard des autres, des superviseurs » (E11), mais cette peur est vite
oubliée car le cas est rapidement personnifié, la responsabilité ressentie : « il faut que
j’arrive à aider mon patient » (E15). La simulation est favorablement appréciée : « ça
permet de se connaître soi-même, d’améliorer ses points faibles (E5). Cependant,
en termes de responsabilité, les personnes formées soulignent que « les situations
vraiment catastrophiques incombent rarement uniquement aux anesthésistes, il

1. Signes d’aboulie (incapacité à prendre une décision, difficultés à communiquer), de stéréotypie (répé-
tition verbale ou motrice), enfermement dans une situation (confusion, incapacité à avancer).
2. Focalisation sur un ou des points, en occultant les autres.
3. Fixation sur la recherche d’informations qui confirment l’hypothèse privilégiée.
4. L’erreur de communication silencieuse, par exemple, ou syndrome d’Abilène, qui consiste à enté-
riner des décisions parce que les acteurs ne se sont pas exprimés alors qu’en fait aucun des participants
ne soutenait la proposition initiale. La pensée de groupe (group think) ou poursuite irrationnelle de
consensus en priorité.

58 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


faudrait faire des simulations d’équipe avec les chirurgiens, les infirmiers de bloc
opératoire diplômés d’État (IBODE)1, etc. » (E8).
Le positionnement ou leadership est également une préoccupation des personnes
formées, notamment en ce qui concerne son affirmation, la manière de s’exprimer :
« la communication d’équipe, c’est important, c’est établir un leadership dans la
gestion de crise » (E15). Mais ce peut être difficile, en raison de l’instabilité des
équipes mises en place, même s’il y a une permanence théorique de l’interdépendance
entre les acteurs. Ce point implique des efforts constants en termes de communi-
cation. Les relations des novices et des experts ou la relation de confiance peuvent
également poser question : « j’étais très timide » (E4).
Les personnes formées soulignent l’importance du débriefing qui a été vécu de
manière variée. Elles évoquent :
• une difficulté à énoncer les émotions que provoque la simulation : « [le débriefing]
ne m’a pas forcément aidé à verbaliser mon ressenti, mon stress, mes émotions »
(E12) ; « le débriefing ne m’a pas du tout permis de parler de mes émotions » (E8) ;
• des objectifs à clarifier : « le type de débriefing n’est pas précisé » (E1) ; « les
objectifs du débriefing ? Est-ce un temps de formation, de remise à niveau ? Ou
bien il est là pour travailler sur [le fait] de communiquer ? » (E1), « c’était trop
axé sur les compétences techniques » (E8) ;
• des critiques et des propositions à prendre en compte : « moi je ne suis pas
psychologue, mais je pense qu’un débriefing ça s’improvise pas, ça peut être super
dangereux » (E8), « le débriefing ? j’ai eu un peu de mal, j’ai beaucoup ruminé
pendant longtemps » (E8), « peut-être qu’il pourrait y avoir des débriefings
individuels » (E8), « ce serait bien de faire des débriefings en situations vécues
réellement » (E2) ;
• des échanges pour dédramatiser le vécu et apprendre : « on a tellement de choses
à dire, il faut évacuer » (E14), « le débriefing permet de dédramatiser, ça souligne
les situations d’urgence qu’il faut améliorer et les choses positives qu’il faut conti-
nuer à faire » (E2), « ça permet de se connaître soi-même, d’améliorer ses points
faibles » (E5), « j’étais flou au niveau du diagnostic, j’ai pu en parler au débriefing
parce que ça m’a provoqué du stress » (E3), « le débriefing est un avis extérieur qui
permet de pointer du doigt certaines choses » (E13), « le débriefing, ce sont des
critiques constructives » (E14), « on est dans l’action donc on ne voit pas forcément
et on a du mal à s’autoévaluer » (E13), « ces échanges qui font grandir » (E14).

4.4. Utilisation d’un logiciel d’analyse lexicale


Une analyse de contenu logicielle2 a produit trois classes de discours3 réparties
sur l’analyse factorielle des correspondances (AFC). Le facteur 1 rend compte de
58,45 % de l’inertie totale et il oppose les classes 2 et 3 à la classe 1. Ce premier
facteur organise les points de vue allant de l’étape nodale que constitue le débriefing
à la simulation en général.

1. Infirmier de bloc opératoire diplômé d’État.


2. Par le logiciel Iramuteq©.
3. Avec 84,43 % du corpus pris en compte, 206 segments classés sur 244.

Chapitre 4 – L’expérience du simulateur en formation : le cas d’un bloc opératoire virtuel l 59


Le facteur 2, qui rend compte de 41,55 % de l’inertie totale, oppose les classes 1 et 2
au sud à la classe 3 au nord. Ce deuxième facteur structure l’espace représentationnel
en distinguant les aspects positifs de la simulation et le point de vigilance à travailler.

À son point faible

Classe 3
Le stress, une difficulté à gérer

Facteur 1 : Des spécifictés de la simulation À son aspect novateur

Classe 1
La simulation comme moyen pédagogique
Classe 2
Le débriefing, un temps d’échange formateur

Facteur 2 : Des apports de la simulation

Figure 2 – Analyse factorielle des correspondances des représentations professionnelles


de la simulation du point de vue des apprenants

Classe 1 – La simulation comme moyen pédagogique


Cette classe est la plus importante ; elle concentre en effet 40,78 % d’items de
discours. Elle est plutôt centrée sur les « scénarios », jugés « pédagogiques »,
présentant des cas rares et « difficiles », et sur le caractère réaliste de la simulation
qui fait « oublier » le regard des autres ; il s’agit d’un cas fictif, avec une entrée
dans le « jeu » rapide et le sentiment d’être face à un « vrai patient ». Le travail
en simulation permet d’apprendre à « communiquer ». C’est aussi une excellente
« idée » pour « commencer » la formation et pour se mettre dans des situations de
crise afin d’acquérir un certain « nombre » de réflexes, avec néanmoins la crainte
de « tomber » sur un cas très difficile à résoudre.

Classe 2 – Le débriefing, un temps d’échange formateur


Dans cette classe, qui représente 31,07 % du discours, les discours des personnes
formées sont centrés sur le « débriefing » et son aspect « formateur ». Les personnes
évoquent la « critique » constructive et tout l’intérêt d’un regard « extérieur » dans
l’apprentissage à la gestion d’une « équipe » en se testant dans une « situation »
qui présente des « difficultés ». Le débriefing permet de percevoir des éléments
de la situation qui n’ont pas été forcément « ressentis » ou « réalisés » pendant la
simulation. Le débriefing correspond à un partage d’« expérience[s] », important

60 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


en raison du décalage et de la complémentarité entre les points de vue de ceux qui
sont dans l’« action » et de ceux qui sont en position d’« observation ».

Classe 3 – Le stress, une difficulté à gérer


Cette classe constitue 28,16 % du discours, elle est principalement axée sur le
« stress » et les façons possibles de le minorer ou de le maîtriser. La densification
du « briefing » est un « moyen » évoqué. En effet, un briefing plus long pourrait
« donner » la possibilité de gérer son stress de manière à se « préparer » à la simula-
tion et de « s’immerger » plus facilement dans la situation. Le stress apparaît comme
un « problème », « compliqué » à gérer, bien que les formateurs « rappellent »
que les personnes formées ne sont pas là pour être évaluées et que c’est un lieu
où « l’erreur » est possible. Pour autant, cela n’empêche pas l’autoévaluation et la
crainte de la réalité à venir. Il est question d’« émotions » fortes qu’il est nécessaire
de « pouvoir verbaliser » car le stress est plus important que « d’habitude ».

4.5. Du croisement des deux analyses


Les analyses systématiques et l’analyse lexicale par logiciel présentent des points
communs : l’accent mis sur l’importance du stress (classe 3) et la discussion sur le
débriefing (classe 2). Ces rapprochements confortent en ce sens nos perspectives
de recherche tout en leur donnant quelques éléments plus précis. Grâce à l’analyse
systématique, nous relevons notamment des formes de stress (réalisme de la situation
simulée, crainte de l’erreur, projection sur le travail réel face à une situation diffi-
cile et un patient humain, comportements inappropriés que le stress peut générer).
La classe 1 permet d’évoquer l’intérêt général pédagogique de cette formation
professionnelle. Nous en retrouvons des échos dans l’analyse systématique autour
des thèmes du briefing, de la simulation et du leadership, encore une fois avec un
grain plus fin dans l’analyse systématique qui fait émerger les attentes des personnes
formées (difficultés à énoncer ses émotions, des objectifs à clarifier, etc.).

5. Pour conclure provisoirement


La simulation constitue un véritable enjeu pour la préparation à la gestion des
risques en situation. Ce processus d’innovation (Alter, 2000), dont la première
étape fut l’invention d’un mannequin haute fidélité, a été poursuivi in situ par une
modification profonde des modules de formation.
D’abord, l’apprentissage des gestes n’est plus réalisé sur les patients, ce qui va dans
le sens d’un renversement des valeurs : « jamais la première fois sur le patient ». La
simulation répond ainsi à un « impératif éthique » dans la mesure où « l’appren-
tissage initial [comporte des] gestes invasifs [et peut présenter] des risques pour le
patient » (Chiniara et Pellerin, 2014, p. 375).
Ensuite, la formation avec le simulateur permet de dépasser une approche seulement
technique des actes professionnels et d’aborder le développement de compétences
non techniques en situations critiques. Une méta-analyse récente a montré non

Chapitre 4 – L’expérience du simulateur en formation : le cas d’un bloc opératoire virtuel l 61


seulement que la simulation améliore le comportement des étudiants et des profes-
sionnels de la santé dans leur milieu de travail, en termes de qualité et de durée, mais
elle a aussi un impact favorable, conséquemment, sur le devenir des patients (Cook
et al., 2011, cités par Chiniara et Pellerin, 2014, p. 375). Une autre étude montre
que la formation par simulation contribue de façon durable à une diminution des
erreurs d’administration de médicaments aux soins intensifs (Ford et al., 2010, cités
par Chiniara et Pellerin, 2014, p. 375).
Enfin, l’erreur en formation par simulation est non seulement possible et acceptée,
mais elle est en plus source d’apprentissage, grâce à la simulation elle-même et
grâce au débriefing.
Ce nouveau paradigme de formation nécessite la création d’un climat de confiance
entre formateurs et formés ; d’une certaine manière, il transforme donc le métier
de formateur. Un débriefing de qualité (ou rétroaction encadrée) apparaît essentiel
pour répondre, d’une part, à la charge émotive que génère la simulation haute fidélité
et, d’autre part, pour repérer des axes d’amélioration techniques ou non techniques.
L’analyse des entretiens nous a montré que la constitution des groupes, l’ordre de
passage, la progressivité du contenu des simulations sont des points qui peuvent
encore faire l’objet de réflexions de manière à ce que la formation soit mieux adaptée
aux niveaux et aux besoins des formés, dans une approche progressive, de manière
à limiter un « désordre cognitif néfaste à l’apprentissage » (HAS, 2012, p. 23).
Les représentations professionnelles des internes, ainsi reconnues car portant sur
des objets professionnels partagés, notamment la simulation en général, le stress et
le débriefing en particulier, nous donnent des pistes de travail différentes. Notre
travail ayant pour objectif principal d’optimiser le débriefing, il apparaît que ces
représentations professionnelles renvoient aussi à des changements à envisager
dans les pratiques des formateurs. En effet, si nous nous appuyons sur les deux
dimensions définies par Moscovici (1961) – ancrage et objectivation – compte tenu
du fait que les représentations professionnelles sont des représentations sociales
spécifiques, nous constatons qu’en termes d’ancrage ou de cadre de référence un
travail serait probablement à mener sur le processus de débriefing pour amener les
formateurs à solliciter d’autres références théoriques (sciences humaines et sociales)
en raison de la place majeure qu’occupent les émotions et le stress dans les propos
des apprenants. Ce constat renvoie à un changement de posture et de ressources, au
traitement d’éléments non techniques plus difficiles à travailler, difficultés liées à des
appréhensions différentes de la situation par les personnes formées et à la nécessité
de singulariser les débriefings en fonction des apprenants présents. Changer de
registre pédagogique peut ainsi constituer une rupture avec les pratiques actuelles,
un dépassement de la permanence du système dans son rapport continuité/discon-
tinuité et toucher aux fondements de la pratique (ancrage).
En termes d’objectivation, la traduction opérationnelle de la rupture à opérer passera
probablement par une centration sur les apprenants, avec la nécessité de clarifier les
objectifs et le processus de débriefing, par la construction de scénarios adaptés car,
si le droit à l’erreur est admis dans une simulation comme source d’apprentissage,
l’erreur peut également densifier le stress et générer un trauma.

62 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Cette étude, rappelons-le, exploratoire, nous conduit donc à poursuivre dans le sens
d’un approfondissement à la fois sur les débriefings et l’approche réflexive qui peut
y être liée, sur le rôle fonctionnel des émotions (dont le stress) pendant l’activité de
simulation et sur la conception des scénarios de formation.

À retenir
La simulation haute fidélité représente des enjeux éthiques et pédagogiques.
Le débriefing de compétences non techniques relève de ressources théoriques inscrites
en sciences sociales et humaines.
La centration sur les apprenants est incontournable.

Questions de discussion
Comment accompagner le changement de paradigme pédagogique des formateurs ?
Faut-il maintenir le stress lié à la simulation pour l’analyser, au risque de générer un stress
post-traumatique qui peut impacter la pratique professionnelle ?
Quel processus de débriefing permettrait de s’adapter à la singularité des personnes
formées ?

Lectures pour aller plus loin


Trois lectures permettent une réflexion à la fois sur des modalités de conception de la
formation, sur le champ de la santé et sur l’accompagnement du changement : Bedin
(2013), Boet et al. (2013) et Pastré (2011).

Bibliographie
Alter, N. (2000). L’Innovation ordinaire. Paris : PUF.
Bardin, L. (2007). L’Analyse de contenu. Paris : PUF.
Bedin, V. (2013). Conduite et accompagnement du changement. Contribution des sciences
de l’éducation. Paris : L’Harmattan.
Boet, S., Granry, J.-C., Savoldelli, G. (2013). La Simulation en santé. De la théorie à
la pratique. Paris : Springer.
Chiniara, G., Pellerin, H. (2014). « Simulation et gestion d’une situation de crise ».
In : Fourcade, O., Geeraerts, T., Minville, V., Kamran, S. (éd.). Traité d’anesthésie
et de réanimation. 4e édition. Paris : Lavoisier.
Cook, D.-A., Hatala, R., Brydges, R., Zendejas, B., Szostck, J.H., Wang, A-T., et
al. (2011). “Technology-enhanced simulation for health professions éducation : a
systemic review and meta-analysis”. JAMA, 306, pp. 978-988.

Chapitre 4 – L’expérience du simulateur en formation : le cas d’un bloc opératoire virtuel l 63


Ford, D.-G., Seybert, A.-L., Smithburger, P.-L., Kobulinsky, L.-R., Samosky, J.-T.,
Kane-Gill, S.-L. (2010). “Impact of simulation-based learning on medication error
rates in critically ill patients”. Intensive Care Med., 36, pp. 1526-1531.
Gilly, M. (1989). Les Représentations sociales. Paris : PUF.
Guimelli, C., Jacobi, D. (1990). « Pratiques nouvelles et transformation des repré-
sentations sociales ». Revue internationale de psychologie sociale, 3, 3, pp. 307-334.
Haute Autorité de santé (HAS) (2012). Rapport de mission. « État de l’art (national
et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé.
Dans le cadre du développement professionnel continu (DPC) et de la prévention
des risques associés aux soins » (Dr Granry et Dr Moll), janvier.
Helmreich, R.-L., Schaefer, H.-G. (1994). “Team performance in the operating room”.
In : Bogner, M. (éd.). Human error in medicine. Hillsdale, NJ : Laurence Erlbaum.
Lorenzi-Cioldi, F. (1991). « Pluralité d’ancrage des représentations professionnelles
chez des éducateurs en formation et des praticiens ». Revue internationale de psycho-
logie sociale, 4, 3/4, pp. 357-379.
Monteil, J.-M. (1993). Soi et le contexte : constructions autobiographiques, insertions
sociales, performances cognitives. Paris : Armand Colin.
Moscovici, S. (1961). La Psychanalyse : son image et son public. Paris : PUF.
Pastré, P. (1999). « Travail et compétences : un point de vue de didacticien ».
Formation emploi, 67, pp. 109-125.
Pastré, P. (2011). La didactique professionnelle. Approche anthropologique du développement
chez les adultes. Paris : PUF.
Pastré, P., Mayen, P., Vergnaud, G. (2006). « La didactique professionnelle ». Revue
française de pédagogie, 154, pp. 145-198.
Piaser, A. (1999). « Représentations professionnelles à l’école. Particularités selon
le statut : enseignant, inspecteur ». Thèse de doctorat, sous la direction de Michel
Bataille. Toulouse : université Toulouse-2-Le Mirail.

64 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


CHAPITRE 5
Construction du référentiel de
compétences non techniques
en bloc opératoire : étape
préliminaire à l’élaboration
d’un serious game
Ingrid Verscheure

1. Introduction
Nous nous intéressons ici à la formation des professionnels de santé du bloc opéra-
toire relative à la prévention et la gestion des risques, par l’intermédiaire d’un serious
game intitulé 3DVOR (3D Virtual Operating Room1). Les serious games sont des jeux
fondés sur des modèles simples mais dynamiques reproduisant divers aspects de la
réalité. Ils sont la combinaison d’un jeu vidéo et de scénarios pédagogiques pour
enseigner et faire apprendre des savoir-faire pratiques. L’introduction de nouvelles
technologies permettant des apprentissages par simulation constitue une piste de
solutions aux problèmes de la formation médicale (voir le chapitre 4, de Bastiani,
Minville et Calmettes). Ainsi, un des enjeux de cet apprentissage est de faire acquérir
des compétences qui permettront de s’adapter à des situations nouvelles et complexes,
que seule la pratique rendait jusqu’ici accessibles.
Dans ce chapitre, nous rendons compte de la construction d’un référentiel de
compétences non techniques des différents professionnels du bloc opératoire et de
l’élaboration des scénarios pédagogiques. La méthodologie est qualitative : observa-
tion en situation réelle d’interventions chirurgicales et entretiens avec les différents
professionnels. Les compétences non techniques identifiées sont ensuite intégrées
dans les scénarios qui visent à développer les capacités de prévention et de gestion
des risques en bloc opératoire. Il n’existe pour l’heure aucun référentiel disponible
concernant les compétences non techniques nécessaires à un développement collectif
du bloc opératoire. L’impact du serious game sur le processus d’enseignement/

1. http://3dvor.univ-jfc.fr/fr/accueil.

Chapitre 5 – Construction du référentiel de compétences non techniques en bloc opératoire l 65


apprentissage ne peut être quantifié à ce jour. Cependant, il nous semble primordial
de présenter ici l’étape préliminaire à la constitution de ce serious game.

2. Contexte de la réflexion sur la construction


du référentiel de compétences non techniques :
la prévention et la gestion des risques
Différents rapports et études réalisés ces dernières années indiquent qu’il est néces-
saire d’améliorer la gestion des risques dans les hôpitaux, et notamment dans les
blocs opératoires (HAS, 2012). De nombreuses études ont analysé différents types
d’erreurs et ont montré que sur 108 événements indésirables, un défaut de communi-
cation interprofessionnelle était la première cause d’erreur (ce qui représente plus de
20 % des cas) (HAS, 2012). Selon l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation
en Santé (ANAES, 2003), le risque est une situation non souhaitée ayant des consé-
quences négatives résultant de la survenue d’un ou de plusieurs événements porteurs
de risques, dont l’occurrence est incertaine. Ainsi, pour assurer des soins de qualité
en toute sécurité, les risques encourus doivent être bien identifiés et anticipés afin
de minimiser la survenue d’accidents. Le bloc opératoire, de par son organisation
complexe et la précision des interventions s’y déroulant, est une structure à haut risque.
S’appuyant sur diverses constatations, la HAS a établi une checklist (en s’inspirant des
méthodes de l’aéronautique) qui est obligatoire depuis janvier 2010. L’objectif de la
checklist du bloc opératoire est de valider collectivement le fait que les procédures
ont bien été appliquées dans le but de concourir à la diminution des événements
indésirables graves. L’introduction de cette checklist participe d’une volonté politique
de modifier les pratiques des professionnels du bloc opératoire. Cet outil de partage
d’information contribue aux évolutions d’organisation et de comportement, dont le
but est d’accroître la culture sécuritaire au bloc opératoire (HAS, 2012).
En imposant la checklist, les autorités de santé ont induit l’instauration d’une culture
différente, et ses caractéristiques souhaitent répondre aux besoins actuels de sécuri-
sation des soins. C’est dans ce cadre-là que l’équipe pluridisciplinaire Serious Game
Research Network (SGRN)1 a obtenu un contrat de recherche2 pour l’élaboration
d’un serious game concernant la prévention et la gestion des risques en bloc opéra-
toire (Lelardeux et al., 2012a ; 2012b). Sur le plan de la formation, l’ambition est de
proposer des scénarios pédagogiques intégrant les compétences non techniques,

1. L’équipe pluridisciplinaire Serious Game Research Network (SGRN) est constituée de neuf labo-
ratoires, avec 40 enseignants-chercheurs. Pour ce qui concerne ce chapitre, ont plus particulièrement
participé : David Panzoli, maître de conférences, IRIT, université Jean-François-Champollion-Albi ;
Catherine Pons-Lelardeux, SGRN, université Jean-François-Champollion-Albi ; Vincent Lubrano,
INSERM U 825, pôle neurosciences et neurochirurgie, CHU de Toulouse ; Vincent Minville, Labo-
ratoire de modélisation de l’agression tissulaire et de la nociception (MATN), UPS (EA 4564), CHU
de Toulouse ; Thomas Rodsphon, knowledge manager, CHU de Toulouse.
2. Déposé dans le cadre du douzième appel à candidatures, retenu pour un financement par le Fonds
unique interministériel (FUI) d’appui aux projets de recherche et développement (2012). Appel gagné
par KTM Advance (leader de la formation professionnelle numérique), les Hôpitaux de Toulouse et le
Serious Game Research Lab (SGRL) de l’université Champollion.

66 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


pour former le « collectif bloc opératoire » à reconnaître et agir face aux différents
événements indésirables évitables. Ces derniers se définissent comme des événements
indésirables qui ne seraient pas survenus si les soins avaient été conformes à la prise
en charge considérée comme satisfaisante au moment de la survenue de l’événement
indésirable (par exemple l’administration des produits de santé). L’hypothèse retenue
par les porteurs du contrat de recherche 3DVOR est que le respect de la checklist et
la compréhension des objectifs de celle-ci vont concourir à la prévention des risques.

3. Problématique et démarche de recherche


du projet du serious game 3DVOR
L’équipe pluridisciplinaire du Serious Game Research Network s’est engagée
dans l’élaboration d’une plateforme de simulation 3D sur internet pour former
collectivement les professionnels du bloc opératoire à la prévention et la gestion
des événements indésirables graves. Cette plateforme est intitulée 3DVOR (3D
Virtual Operating Room) (Lelardeux et al., 2012b). L’ambition est de former à la
prévention et la gestion des risques, en faisant jouer ensemble et simultanément les
différents professionnels de santé du bloc opératoire. Ces derniers peuvent être de
plusieurs sortes (humains, toxiques, biologiques, environnementaux, techniques,
liés à l’utilisation de produits chimiques) et avoir à terme un impact sur la santé
du patient. Le projet se concentre en particulier sur les risques humains puisqu’il
vise à améliorer la communication et développer les compétences non techniques
du « collectif bloc opératoire » : chirurgiens, médecins anesthésistes-réanimateurs
(MAR), infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (IBODE) et infirmiers anes-
thésistes diplômés d’État (IADE).

4. Cadrage théorique
Nous présentons l’analyse des pratiques du « collectif bloc opératoire » dans une
perspective d’accompagnement du changement, reliant le cadre de la didactique des
savoirs professionnels et l’apprentissage par simulation, mais nous présentons tout
d’abord succinctement les serious games.

4.1. Présentation des serious games


Selon Sauvé et Kaufman (2010), les jeux de simulation, auxquels appartiennent les
serious games, sont un outil pertinent pour participer au changement de la formation
des futurs professionnels du bloc opératoire. Ils se situent au carrefour de plusieurs
domaines (jeux, enseignement, technologies de l’information et de la communication
pour l’enseignement [TICE]) et permettent d’enseigner et d’apprendre tout en s’amu-
sant, au travers d’applications informatiques. Cependant, l’absence de consensus sur la
définition des serious games est souvent soulignée dans la littérature (Sauvé et Kaufman,
2010). En effet, plusieurs définitions possibles sont proposées, insistant tour à tour sur

Chapitre 5 – Construction du référentiel de compétences non techniques en bloc opératoire l 67


différentes facettes du serious game : son aspect ludique, l’importance de l’apprentissage,
un outil cognitif destiné à stimuler le joueur dans son apprentissage, un développement
informatique spécifique (Galaup et Lelardeux, 2012). Les auteurs s’accordent pour
dire que la vocation d’un serious game est d’inviter l’utilisateur (la personne formée) à
interagir avec une application informatique dont l’objectif est de combiner des aspects
d’enseignement, d’apprentissage, de communication, avec des ressorts ludiques et des
technologies issues du jeu vidéo, et s’opère par la mise en relation d’un scénario utilitaire
avec un scénario ludique. Les serious games sont des jeux fondés sur des modèles simples
mais dynamiques reproduisant divers aspects de la réalité. Ils sont la combinaison d’un
jeu vidéo et de scénarios pédagogiques (Sauvé et Kaufman, 2010).
En amont du serious game, les concepteurs doivent repérer les compétences (ici
non techniques) qu’il faudra développer pour valider les apprentissages. Dans leur
ouvrage, Sauvé et Kaufman (2010) s’accordent pour dire que le contenu d’un jeu
doit fournir non seulement les conditions d’une acquisition de compétences, mais
aussi les raisons et l’utilité de cette acquisition. Ainsi, les compétences à valider
dans les scénarios pédagogiques doivent proposer suffisamment de possibilités et
d’ouvertures afin que le contenu soit aussi complet que possible pour éviter le survol
d’une thématique (Sauvé et Kaufman, 2010), ce qui nécessite la coopération entre
les concepteurs du jeu et les spécialistes de l’éducation et la formation.
Un des avantages de l’apprentissage par le serious game est que ce dernier permet
de se mettre en situation. Le serious game donne la possibilité de contextualiser
les enseignements théoriques grâce à des exemples concrets, ce qui fait d’une
certaine manière vivre à l’apprenant des situations de terrain. Un autre avantage,
non négligeable, surtout dans les métiers à haute technicité, comme le sont ceux
de la santé, est celui du droit à l’erreur (HAS, 2012). Dans le serious game, on peut
recommencer sans fin parce qu’il n’y a pas de culpabilité à échouer, en ayant la
possibilité d’apprendre de ses propres erreurs ou par la médiation d’un formateur,
tout en étant un jeu de compétition où il ne suffit plus de gagner mais d’atteindre
un meilleur score à la fin du jeu.
Ces nouvelles façons d’apprendre et d’enseigner ne seront pas abordées ici alors même
qu’elles sont un outil pour accompagner le changement des pratiques, objectif visé par
l’instauration de la checklist. Nous nous situons en amont de la phase de constitution du
jeu, celle du repérage des compétences non techniques mobilisées par les profession-
nels du bloc opératoire en situation. Leur repérage, leur intégration et leur évaluation
dans le serious game participent également de la visée du changement des pratiques et
constituent une nouvelle façon de penser l’accompagnement du changement.

4.2. Conduite et accompagnement du changement


Selon Bedin (2013), le développement peut être vu, dans certaines conditions,
comme une des dimensions du changement. Lorsqu’il est souhaité et non subi, il
devient intrinsèquement éducatif. Dans ce cadre, l’essence de la formation consiste
« à conduire et accompagner des sujets en situation de changement personnel,
organisationnel ou sociétal » (Bedin, 2013, p. 19). L’accompagnement dans le
champ de la formation professionnelle relève d’une logique produite par la nécessité
nouvelle d’une transformation de la fonction de formateur. Il devient une aide à la

68 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


construction par l’apprenant du sens de ce que ce dernier a entrepris tant sur le plan
de l’action que sur celui de la réflexion. Pour le formateur, cette posture d’aide à
la construction des savoirs est complexe, dans la mesure où, investi d’une fonction
d’accompagnement, il est impliqué comme interlocuteur dans une dimension rela-
tionnelle singulière, avec ses aléas (Bedin, 2013 ; Saint-Jean et Lafortune, 2014).
De nombreux dispositifs comprenant des formes d’accompagnement sont liés à
l’évolution des parcours professionnels et personnels.
Dans 3DVOR, l’accompagnement de l’apprenant est un élément important. D’une
part, l’étudiant reçoit des informations en temps réel délivrées par le jeu grâce à
l’intelligence artificielle ; d’autre part, un formateur est présent pendant la phase
de jeu, voit les actions des joueurs et propose un débriefing à la fin de la séance.
Dans ce cadre, la transformation du processus d’enseignement-apprentissage via un
serious game paraît être heuristique, mais elle ne saurait se faire sans une réflexion
dense sur les savoirs en jeux et les compétences à développer chez le « collectif bloc
opératoire ».

4.3. Didactique professionnelle et simulation


Actuellement, des difficultés d’enseignement sont inhérentes à la formation initiale
médicale, par exemple en chirurgie. Vadcard (2013) montre que l’apprentissage
pratique se déroule pour la majorité en salle d’opération, sur le mode du compagnon-
nage. Celui-ci requiert la présence d’un médecin expert qui supervise et assiste la
pratique d’un chirurgien apprenant. L’acquisition d’une pratique efficace nécessite
que l’apprenant soit le plus souvent possible confronté plusieurs fois aux mêmes classes
de situation. Cette répétition fréquente des mises en situation permet au chirurgien
apprenant de se familiariser avec les nombreuses variations de paramètres possibles
au sein d’une même catégorie d’opération chirurgicale et d’acquérir progressivement
l’autonomie nécessaire à la réalisation complète d’une intervention.
Cette constitution de l’expérience exige deux éléments : d’une part des actes opéra-
toires répétitifs au sein d’une même catégorie d’intervention, d’autre part du temps
pour construire un mouvement d’automatisation des conduites (rapidité, fiabilité)
et un mouvement de réélaboration de la conduite à un niveau supérieur (prise de
conscience, autoréflexion sur sa pratique, etc.) (Vadcard, 2013). Or, le parcours
d’apprentissage par tutorat d’un chirurgien apprenant dans un domaine donné ne
rencontre pas souvent les mêmes catégories d’intervention. L’efficacité opératoire
dans une catégorie d’intervention donnée nécessite des mises en situation multiples
permettant des acquisitions de connaissances et de compétences pour faire face à des
situations-problèmes qui sont par essence variées et variables (âge du patient, usure
générale, type d’accident, caractéristiques spécifiques des lésions, etc.) (Vadcard, 2013).
L’enjeu de l’apprentissage via un serious game est donc de faire acquérir des compé-
tences qui permettront de faire face ou de s’adapter à des situations nouvelles
(Pastré, 2002 ; Pastré et al., 2006). Dans le cadre du projet de simulation en bloc
opératoire pour former les individus à travailler collectivement sur la prévention et
la gestion des risques, il a semblé pertinent de se situer dans le cadre des simulations
en formation (Sauvé et Kaufman, 2010) qui offrent des environnements simplifiés

Chapitre 5 – Construction du référentiel de compétences non techniques en bloc opératoire l 69


de la réalité afin de permettre à son utilisateur de réaliser un apprentissage sans
les risques inhérents à certaines situations réelles, ce qui semble essentiel pour les
professions médicales.
L’introduction d’outils informatiques pour des apprentissages par simulation semble
constituer une piste de solutions à ce problème, à condition qu’elle s’accompagne
d’une réflexion solide au niveau didactique et pédagogique (Becerril-Ortega et al.,
2009 ; Vadcard, 2013) en matière de conduite et d’accompagnement du changement.
Dans la phase d’élaboration dont nous rendons compte ici, nous nous sommes
placés dans une perspective de didactique professionnelle (Pastré et al., 2006). Cette
première étape vise l’extraction d’un corpus de savoirs de référence, par le biais
d’une analyse du travail réel, afin de créer des dispositifs de formation permettant
le développement de compétences professionnelles à travers le changement des
pratiques en situation et en formation.
Le cadre de la didactique professionnelle nous a semblé pertinent dans une perspec-
tive stratégique d’amélioration des pratiques professionnelles en milieu médical et
de changement des pratiques d’enseignement. Ce cadre permet de confronter tâche
prescrite et tâche effective, et de mettre ainsi en évidence les écarts par rapport à la
pratique de référence : il ouvre un espace pour une pratique réflexive (comment le
professionnel se situe-t-il par rapport au standard ?) et pour une confrontation avec
la pratique de ses pairs (comment le professionnel se situe-t-il par rapport aux autres
professionnels de sa communauté ?). Le simulateur, en tant qu’objet, est conçu comme
un instrument et va servir de support à une activité qui possède une double face. La
face « activité productive » : le joueur/apprenant y exécute une tâche, même si c’est
de façon simulée. Comme le souligne Luengo et al. (2006), il s’agit d’une activité de
transformation du réel (matérielle ou symbolique). La face « activité constructive » :
le joueur/apprenant apprend par l’action lors de l’exécution de la tâche. La situation est
fictive, l’activité productive est un simulacre mais l’activité constructive d’apprentissage
est bien réelle. En s’appuyant sur l’existant (Samurçay et Rabardel, 2004 ; Samurçay
et Rogalski, 1998), dans cette dimension constructive, l’individu produit et acquiert
de nouvelles connaissances et compétences (c’est-à-dire de nouvelles ressources), et
se transforme lui-même grâce à une visualisation des actions à faire ou ne pas faire.

4.4. Interactions entre les acteurs pour le développement


des compétences collectives
Notre cadre d’analyse liant didactique professionnelle et apprentissage par simulation
permet d’extraire les compétences des différents professionnels. Les compétences
ont un caractère à la fois collectif, situé, et ont des liens étroits avec les conditions
de travail et la nature des tâches à effectuer (Bronckart, 2009). Les compétences
sont situées dans le cours même de l’action et sont de l’ordre des processus/actions/
tâches, plutôt que des ressources ou savoirs déjà présents. Ce processus implique
la mobilisation des ressources propres, mais celle-ci n’est qu’un aspect secondaire
d’un mécanisme plus global consistant à réorganiser en permanence trois types de
rapports (Bronckart, 2009) :
• celui de l’acteur à sa situation d’action, qui évolue en fonction des contraintes se
manifestant dans la réalisation même de sa tâche ;

70 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


• le rapport de l’acteur aux « autres », en tant que sources d’évaluation de l’activité
en cours ;
• et le rapport de l’acteur à lui-même, qui évolue en fonction des évaluations sociales
dont il est l’objet.
Dans cette perspective, dès lors qu’il est admis que les connaissances et les savoir-
faire se construisent dans l’action, ces ressources devraient conserver des traces des
situations d’action dans le cadre desquelles elles ont été construites. Le processus
de compétence aurait trait alors à la capacité, dans une nouvelle situation d’action,
de retrouver et d’exploiter ces traces praxéologiques que les ressources conservent
des situations antérieures qui les ont engendrées (Bronckart, 2009).
En effet, on peut former les professionnels aux savoirs théoriques et à l’analyse
de leurs pratiques, mais ce sont les professionnels mêmes, et eux seuls, qui sont
susceptibles de se transformer, en réalimentant les processus de compétence dans le
cours de leur activité propre (Bronckart, 2009). Comme le souligne Hirtt (2009), les
objectifs de formation n’y sont plus de l’ordre de contenus à transférer mais plutôt
d’une capacité d’action à atteindre par l’apprenant. Une compétence ne se réduit
ni à des savoirs, ni à des savoir-faire ou des comportements. Ceux-ci ne sont que
des ressources que l’apprenant ne doit d’ailleurs pas forcément posséder mais qu’il
doit être capable de mobiliser d’une façon ou d’une autre, en vue de la réalisation
d’une tâche particulière. Le serious game a pour volonté de faire jouer simultané-
ment et ensemble différents professionnels du bloc opératoire, afin de construire
une compétence collective des professionnels du bloc opératoire par la simulation.
L’ambition du projet 3DVOR est de développer des compétences pour le « collectif
au bloc opératoire », qui émerge de la coopération et de la synergie existante entre les
compétences individuelles. La compétence collective est un processus dynamique de
synergie de compétences individuelles, aboutissant à un résultat supérieur à la simple
addition de compétences individuelles (Le Boterf, 2001). Grace à cette synergie, il
y a bien une valeur ajoutée au travail et non une simple somme de tâches de travail.
L’émergence de la coopération s’effectue lorsque les individus communiquent effi-
cacement en utilisant un langage commun et lorsqu’ils partagent des informations
dans les relations de confiance réciproque (Le Boterf, 2001). Ainsi, la complémen-
tarité des compétences aboutit à une compétence collective où les compétences de
chaque acteur sont liées aux compétences des autres acteurs de la chaîne. Ce n’est
que dans la mesure où chaque individu trouvera des compétences complémentaires
aux siennes qu’il pourra pleinement mettre en œuvre ces dernières. Si les auteurs
et les praticiens valorisent la compétence individuelle, la compétence collective
résultant d’une coopération est très difficilement constatée et mesurée. Le serious
game semble être un outil permettant la mesure de ces compétences individuelles
et de ces compétences collectives, notamment dans l’acquisition d’une expérience
collaborative de prévention et de gestion des risques.
Afin de développer les compétences collectives des professionnels du bloc opératoire
à la prévention et la gestion des risques, la démarche de construction du référentiel
de compétences non techniques et des scénarios pédagogiques du serious game a été
une phase primordiale pour s’assurer de la qualité des apprentissages proposés dans
le jeu. Nous en rendons compte ci-après.

Chapitre 5 – Construction du référentiel de compétences non techniques en bloc opératoire l 71


5. Premiers résultats
Dans le cadre de ce projet planifié sur trois ans, le premier prototype du serious
game est en cours de réalisation. Nous sommes actuellement en mesure d’exposer
la démarche d’identification des compétences non techniques qu’il s’agit de déve-
lopper chez les professionnels du bloc opératoire et l’élaboration de scénarios,
en lien avec des objectifs pédagogiques (Galaup et al., 2010 ; Verscheure et al.,
2013 ; 2014).

5.1. Construction du référentiel de compétences non techniques


Afin de produire des scénarios heuristiques pour former de futurs professionnels
du bloc opératoire à la prévention et la gestion des risques, il est apparu pertinent
de construire tout d’abord un référentiel de compétences non techniques commun
aux différents professionnels du bloc opératoire, sur la base d’une étude bibliogra-
phique et d’entretiens menés avec des professionnels/formateurs (Verscheure et al.,
2013). Dans chaque spécialité médicale et paramédicale il existe des référentiels de
compétences non techniques, par exemple travail en équipe, communication entre
professionnels, etc. (HAS, 2012), mais il n’existe pas de référentiel de compétences
non techniques commun à toutes les professions du bloc opératoire : chirurgie
(CHIR), MAR, IADE et IBODE.
Nous avons donc construit ce référentiel en nous basant sur les référentiels de
spécialités médicales et paramédicales, les observations en situations réelles et sur des
entretiens menés avec les différents professionnels du bloc opératoire (Verscheure
et al., 2013).
Concernant le collectif bloc opératoire, nous avons repéré six compétences non
techniques :
• la conscience de la situation ;
• la gestion/organisation de la tâche ;
• le travail d’équipe ;
• la maîtrise des émotions ;
• le leadership ;
• la prise de décision.

Cependant, comme nous l’avons dit plus haut, l’objectif du serious game, par la
validation des compétences non techniques du référentiel commun, est de déve-
lopper une compétence collective chez les professionnels du bloc opératoire. Cette
compétence collective serait la combinaison des compétences individuelles et de
leur intégration synergique dans le système dynamique et complexe du « collectif
bloc opératoire ». Ainsi, les compétences sont un ensemble de savoirs, savoir-faire et
comportements tirés de l’expérience, nécessaires à l’exercice d’un métier, alors que
la capacité désigne le fait d’être capable, d’avoir une aptitude pour quelque chose.
Pour le dire simplement, les compétences sont des capacités acquises et légitimes
dans le domaine professionnel.

72 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Dans le cas du référentiel de compétences non techniques pour le « collectif bloc
opératoire », pour ce qui concerne par exemple la compétence « maîtrise des
émotions », trois capacités à mobiliser en situation ont été repérées :
• être capable de faire face à l’inattendu sans perdre son sang-froid ;
• être capable de contrôler ses émotions ;
• être capable de gérer le stress.

Ces capacités ont été soumises à l’approbation des différents professionnels du


bloc opératoire. Ces derniers ont validé le fait qu’elles se combinent pour chaque
compétence. Par exemple, « être capable de faire face à l’inattendu sans perdre son
sang-froid » a été choisi par plus de la moitié de chaque professionnel (CHIR, MAR,
IBODE, IADE) du bloc opératoire (n = 40).
Une fois validées, les compétences du référentiel ont été mobilisées spécifiquement
dans les scénarios pédagogiques en lien avec des objectifs d’apprentissage pour la
prévention et la gestion des risques.
Dans un second temps, l’équipe pluridisciplinaire du SGRN a élaboré des scéna-
rios pédagogiques, en repérant les compétences sous-jacentes pour chacun d’entre
eux. Ces compétences seront évaluées automatiquement par le serious game, grâce à
une programmation fine et complexe qui tiendra compte des mauvaises réactions
connues et de l’évolution/enchaînement des actions, en lien avec l’évolution de la
santé du patient.

5.2. Élaboration des scénarios


Les entretiens menés avec les professionnels du bloc opératoire (CHIR, MAR,
IBODE, IADE) et l’observation d’interventions chirurgicales montrent que 20 %
des événements évitables qui arrivent régulièrement au bloc opératoire sont liés
à une mauvaise communication (Verscheure et al., 2013 ; 2014). Selon eux, cinq
événements assez fréquents seraient liés à des défauts de communication entre les
professionnels du bloc opératoire :
• l’erreur de patient ;
• l’erreur de côté ;
• l’oubli de compresse ;
• les problèmes liés à l’antibioprophylaxie ;
• les fautes d’asepsie.

Dans le serious game, pour développer une compétence, on va restreindre les situations
dans lesquelles l’apprenant sera appelé à exercer la compétence. Ainsi, sont propo-
sées des mises en situation virtuelles proches de situations professionnelles réelles
référencées, ciblant la gestion/prévention de risques et d’événements porteurs de
risques. Le serious game fournit à l’équipe qui joue et au formateur des informations
adaptées aux erreurs commises afin de suivre et d’évaluer les acquisitions.
La construction des scénarios pédagogiques est basée sur les entretiens menés avec
les différents professionnels du bloc opératoire qui s’accordaient pour dire que la
pratique de bloc opératoire ne devait plus être une juxtaposition de pratiques indi-
viduelles, mais que cela devait tendre vers une pratique collective et la construction
d’une compétence collective chez les professionnels du bloc opératoire.

Chapitre 5 – Construction du référentiel de compétences non techniques en bloc opératoire l 73


Tous les scénarios de 3DVOR sont structurés en trois étapes (et reliés aux objectifs
pédagogiques dans lesquels sont repérables les compétences à faire travailler) et
portent sur un des cinq événements indésirables listés plus haut, par l’intermédiaire
de déclenchement d’événements porteurs de risques ciblés.
La première étape est une phase où l’interface présente le contexte initial, passe les
consignes et donne l’objectif à atteindre (phase de briefing).
Par exemple, le premier scénario se rapporte à l’un des premiers items de la checklist
(qui est aussi un des cinq événements fréquents rapportés par les professionnels du
bloc opératoire lors des entretiens) qui est de s’assurer que c’est le « bon » patient
qui va être opéré. Plusieurs anomalies sont présentes dans le jeu, par exemple patient
confus, bracelet illisible, dossier patient et fiche d’anesthésie incomplète (pas de
latéralité précisée). Le scénario n’est pas connu par les joueurs/apprenants ; et ces
anomalies ne sont pas pointées à l’équipe. Cela a pour objectif « d’obliger » les
joueurs/apprenants à faire les vérifications nécessaires pour éviter l’erreur de patient.
La deuxième étape est celle de la mise en situation où les apprenants doivent jouer,
communiquer et décider collectivement pour résoudre ensemble un ou plusieurs
problèmes.
Il s’agit ainsi de faire effectuer en parallèle différentes actions aux différents profes-
sionnels en lien avec celles qu’ils effectuent chaque jour, mais en essayant de forcer
la transmission d’information et la communication pertinente puisque les joueurs
ne pourront gagner au jeu que si toutes les étapes ont bien été remplies et validées.
L’obligation de renseigner ces éléments dans l’interface du serious game permet de
vérifier si les contrôles nécessaires ont été effectués. En outre, les joueurs doivent
transmettre les informations pertinentes au responsable de la checklist qui va pouvoir
valider ou non le fait qu’il s’agit du « bon » patient.
La troisième étape, essentielle pour le processus d’enseignement-apprentissage, est
la phase de débriefing individuelle et collective, accompagnée par le formateur.
Cette phase est très importante pour qu’il y ait accompagnement et vérification
de l’apprentissage (voir le chapitre de Bastiani, Minville et Calmettes dans cet
ouvrage). Plusieurs recherches attestent du fait que la présence d’un médiateur et
celle du formateur renforcent les apprentissages potentiels autour des serious games
(Alvarez et al., 2007).
Une fois la partie terminée, un long temps de débriefing est prévu. Il y a d’abord
une autoévaluation des joueurs, puis un débriefing collectif entre les joueurs et le
formateur. Tout au long du jeu, ce dernier a accès en temps réel à toutes les actions
réalisées par les joueurs/apprenants et pourra donc à la fin du jeu « débriefer »
sur ce qu’il a repéré (en s’appuyant sur son expérience, et en fonction du plan de
débriefing qui a été construit en parallèle de chaque scénario).
Pour rendre possible les conditions d’un réel apprentissage et d’un changement des
pratiques des professionnels du bloc opératoire, ces trois étapes doivent absolument
être pensées en amont et en parallèle de la construction du jeu lui-même ; et cela
ne semble possible que si l’on joue sur la formation des collectifs (Broussal, 2013 ;
Verscheure et al., 2013).

74 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


6. Conclusion
L’objectif de ce serious game est d’aider à créer les conditions d’une pratique plus
collective et d’accompagner les conditions d’une éventuelle transformation des
acteurs, tant au niveau des formateurs qu’au niveau des apprenants. En effet, ce
projet permet aux partenaires praticiens hospitaliers de transformer leurs pratiques
car il est lié à la problématique de l’enseignement de leur discipline.
Le serious game que nous contribuons à élaborer, à partir du repérage des compétences
non techniques et de l’élaboration des scénarios pédagogiques dont nous avons fait
état dans ce chapitre, offre un terrain d’application des connaissances sans problème
de risque d’erreur, ni de déontologie. Il peut ainsi constituer une étape intermédiaire
entre les enseignements formels et les situations de compagnonnage, et permettre
une pragmatisation des concepts théoriques et prescriptifs de l’action avant leur mise
en situation réelle. En outre, les professionnels médicaux et paramédicaux sont à la
fois experts et formateurs. Ces deux aspects de leur métier peuvent bénéficier de la
mise en place d’une méthodologie d’analyse de leurs pratiques du point de vue de
l’action et de sa validation. Mieux comprendre leur geste pour mieux le transmettre et
mieux analyser le déroulement d’une opération en vue d’une évaluation constructive
confrontant les expertises de différents pairs représentent une démarche féconde et
novatrice d’accompagnement du changement, pour les accompagnés comme pour
les accompagnateurs.

À retenir
Le serious game 3DVOR a pour ambition de former les différents professionnels de santé
du bloc opératoire, en les faisant jouer ensemble et simultanément, à la prévention et à
la gestion des risques.
En préalable, il y a nécessité de construire un référentiel de compétences non techniques
commun aux différents professionnels du bloc opératoire.
Les scénarios pédagogiques sont constitués de trois étapes essentielles : la phase de
briefing, le jeu et la phase de débriefing, essentielle pour vérifier les apprentissages.

Questions de discussion
Comment valider la construction d’une compétence collective par un collectif et quel
accompagnement prévoir pour le changement des pratiques du collectif ?
Concernant l’accompagnement de l’apprentissage, plusieurs questions se posent à propos
du serious game, notamment : permet-il une étincelle de conscience ou une prise de
conscience qui ferait changer la pratique ?

Lectures pour aller plus loin


Pour une revue de question très complète qui ouvre différentes perspectives pour la
formation par la simulation, et notamment les serious games : Sauvé et Kaufman (2010).

Chapitre 5 – Construction du référentiel de compétences non techniques en bloc opératoire l 75


Bibliographie
Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) (2003). Principes
méthodologiques pour la gestion des risques en établissement de santé, janvier, p.12.
Alvarez, J., Rampnoux, O., Jessel, J.-P., Methel, G. (2007). “Serious Game : just
a question of posture ?” In : Artificial Societies for Ambient Intelligence, AISB
(ASAMi), Artificial and Ambient Intelligence convention. Newcastle : University of
Newcastle, pp. 420-426.
Becerril Ortega, R., Calmettes, B. Fraysse, B., Lagarrigue, P. (2009). « Des références
pour des pratiques de formation. Étude d’une situation de formation technologique
supérieure initiale ». Activités 6, 1, pp. 29-48, www.activites.org/v6n1/v6n1.pdf.
Bedin, V. (dir.) (2013). La Conduite et l’accompagnement du changement en éducation et
formation. Paris : L’Harmattan.
Bronckart, J.P. (2009). « La notion de compétences est-elle pertinente en éduca-
tion ? » Revue L’école démocratique, 17 novembre.
Broussal, D. (2013). « Les changements en éducation-formation : omniprésence,
finalité et accompagnement ». In : Bedin, V. (dir.), La Conduite et accompagnement
du changement, contribution des sciences de l’éducation. Paris : L’Harmattan, pp. 37-51.
Galaup, M, Viallet, F., Amans Passaga, C. (2010). « Conception d’un jeu sérieux
en génie mécanique : identification des compétences et des savoirs à enseigner. »
Séminaire Doctorants Ardist. Paris, Palais de la découverte, 26 novembre.
Galaup, M., Lelardeux, C. (2012). « Sur les traces des savoirs étudiés dans Mecage-
nius, un serious game en génie mécanique ». Septièmes journées scientifiques de
l’ARDiST. Bordeaux, 14-16 mars.
Haute Autorité de santé (HAS) (2012). « Rapport de mission. État de l’art (national
et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé ».
Dans le cadre du développement professionnel continu (DPC) et de la prévention
des risques associés aux soins (Dr Granry et Dr Moll), janvier.
Hirtt, N. (2009). « L’approche par compétences : une mystification pédagogique ».
Revue L’école démocratique, 39, septembre.
Le Boterf, G. (2001). Ingénierie et évaluation des compétences. 3e édition. Paris : Éditions
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Lelardeux, C., Panzoli, D., Alvarez, J., Lagarrigue, P., Galaup, M. (2012a). « Serious
game et simulateurs dans le domaine de la santé ». SEGAMED, Nice, 6-7 octobre.
Lelardeux, C., Panzoli, D., Rodsphon, T., Cegarra, J., Galaup, M., Lagarrigue, P.,
Sanchez, S., Sanza, C., Duthen, Y., Lubrano, V., Minville, V. (2012b). « 3D Virtual
Operating Room : un learning game pour former les professionnels à la prévention
et à la gestion des risques ». SEGAMED, Nice, 6-7 octobre.
Luengo, V., Dubois, M., Vadcard, L. et Tonetti, J. (2006). Le projet TCAN TELEOS :
Technology enhanced Learning in orthopaedic surgery. http://hal.archives-ouvertes.
fr/hal00593058

76 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Pastré, P. (2002). « L’analyse du travail en didactique professionnelle ». Revue fran-
çaise de pédagogie, 138, pp. 9-17.
Pastré P., Mayen P, Vergnaud G. (2006). « La didactique professionnelle ». Revue
française de pédagogie. Recherches en éducation, 154, mars, p. 145-198.
Saint-Jean, M., Lafortune, L. (2014). « L’accompagnement du changement en
formation ». Les dossiers de sciences de l’éducation, 31, mars.
Samurçay, R., Pastré, P. (2004). « Modèles pour l’analyse de l’activité et des compé-
tences : propositions ». In : Samurçay, R., Pastré, P. (dir.). Recherches en didactique
professionnelle. Toulouse : Octarès Éditions, pp. 163-180.
Samurcay, R., Rogalski, J. (1998). « Exploitation didactique des situations de simu-
lation ». Le travail humain, 61, 4, pp. 333-359.
Sauvé, L., Kaufman D. (éd.) (2010). Jeux et simulations éducatifs : études de cas et leçons
apprises. Québec : Presses de l’université du Québec.
Vadcard, L. (2013). « Étude didactique de la dialectique du travail et de la formation
au bloc opératoire ». Éducation et didactique, 7, 1, pp. 117-146.
Verscheure, I., Lelardeux, C., Rodsphon, T., Minville, V., Lubrano, V. (2013). « 3D
Virtual Operating Room : un outil pour accompagner le changement des pratiques
dans la gestion des risques en bloc opératoire ». Colloque AREF, Montpellier,
France, 27-30 août.
Verscheure, I., Pons-Lelardeux, C., Lubrano, V. (2014). « Intérêt des serious games
pour la formation des professionnels de santé ». Conférence Management CHU
Toulouse « La pratique simulée. Un enjeu pour les formations en santé », 9 avril.

Chapitre 5 – Construction du référentiel de compétences non techniques en bloc opératoire l 77


Partie 2
Changement
et professionnalisation :
nouveaux référentiels,
nouvelles postures
professionnelles, nouveaux
territoires professionnels
CHAPITRE 6
Professionnalisation des
infirmiers dans l’organisation
hospitalière : entre intention
et exigence sociale
Nadia Péoc’h, Christine Ceaux

1. Introduction
« Grandir n’advient que si l’humain est en relation avec un autre semblable ; il se
perd s’il n’a pas un autre humain pour l’accompagner. Ce qu’il y a de plus puissant
dans la guérison pour un homme, c’est un autre homme. Ce qui vaut pour guérir
vaut-il pour instruire ? » (Cifali, 1994, p. 257).
Dans le champ du travail tout comme dans le champ de la formation paramédicale, la
thématique de la professionnalisation rencontre un vif succès. Les raisons fréquem-
ment avancées soulignent la nécessité d’articuler les objectifs d’apprentissage dans les
trois domaines taxonomiques du savoir (cognitif, affectif et sensorimoteur) avec les
situations professionnelles prévalentes apprenantes rencontrées en situation de travail
réel, d’articuler plus étroitement dans une alternance intégrative travail et formation1,
de développer des expertises multiples, voire d’« upgrader » les infirmiers dans les
pratiques avancées, et ce dans des contextes d’activités qui changent de façon quasi
permanente. Le 19 juin 1999, les États membres de l’Union européenne ont signé la
déclaration de Bologne. Le processus de Bologne est une réponse conforme au traité
de Maastricht qui spécifie qu’un espace européen de l’enseignement doit être créé. Les
deux principaux objectifs du processus de Bologne sont d’homogénéiser les parcours
de formation en Europe, sur la base du système LMD (licence, master et doctorat) et
de favoriser les coopérations entre établissements de formation et universités. Régi
par l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État infirmier, le référentiel de
formation infirmière a concrétisé l’entrée dans ce processus. La recherche présentée
ici, dans sa visée praxéologique et compréhensive, tente de répondre à l’hypothèse

1. Voir à ce sujet le référentiel de formation infirmière qui pose l’alternance intégrative comme un
enjeu pédagogique fondamental fondé sur l’articulation réelle de savoirs scientifiques et techniques et
de savoirs pratiques, pour une socialisation et une construction identitaire professionnelle progressive
de l’apprenant.

Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 81
selon laquelle le référentiel de formation infirmier 2009 aurait eu un impact sur le
processus de professionnalisation des nouveaux infirmiers diplômés d’État (IDE).
Tout en nous référant à la définition de Wittorski (2007, p. 147), « une intention
sociale (côté organisation) finalisée par la quête d’une évolution des personnes au
travail mais aussi un jeu identitaire ou une transaction entre “mise en reconnaissance
de soi” […] et une reconnaissance effective par l’environnement […] », nous ques-
tionnons la problématique de la professionnalisation des infirmiers nouvellement
diplômés, dans cette mise en tension entre l’agir professionnel et le développement
professionnel d’un praticien dans des activités essentiellement adressées à autrui.
Au-delà des situations de travail, l’itinéraire personnalisé de professionnalisation
d’un praticien s’inscrit dans les trois dimensions d’une triangulation qui conjugue
situation, activité et apprentissage.

2. État de la question
Au préalable, nous allons expliciter ici le cadre institutionnel de la formation
infirmière.

2.1. Contexte d’universitarisation de la formation infirmière :


un dispositif de formation/professionnalisation aux
logiques prescriptives
La mise en place des accords de Bologne relatifs à la réforme dite LMD fait entrer
progressivement les formations paramédicales inscrites dans le Code de la santé
publique dans un système d’universitarisation dont la finalité est de donner, au-delà
du diplôme professionnel, une valence universitaire aux étudiants. L’université est
devenue un acteur incontournable du dispositif puisque c’est dans un partenariat
coconstruit avec les instituts de formation que s’organisent les enseignements de
chaque formation ayant fait l’objet d’une réingénierie. Quatre instituts de formation
sont entrés dans le dispositif LMD (les Instituts de formation en soins infirmiers,
les Instituts de formation des manipulateurs en électroradiologie médicale, en
pédicurie podologie, et les écoles de formation des infirmiers anesthésistes depuis
2012).
Cependant, pour obtenir des valences universitaires admissibles par les univer-
sités, la réingénierie en cours a réduit de manière considérable les enseignements
dits « professionnels » au profit des enseignements académiques « théoriques et
fondamentaux ». En juillet 2012, 92 % des candidats (ayant suivi le référentiel de
formation de 2009) ont été admis au diplôme d’État d’infirmier et reconnus au
niveau de licence. Malgré ces résultats encourageants, quelques voix dissonantes
émanant des cadres de santé de proximité et de leur hiérarchie, des établissements
hospitaliers également, mettent en avant la difficulté rencontrée par les nouveaux
infirmiers à occuper un poste à la sortie des écoles en termes d’allongement des
périodes d’adaptation à l’emploi et de formation pour renforcer les apprentissages
pratiques.

82 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Ce constat empirique est mis en évidence par l’étude menée par la DGOS (Direction
générale de l’offre de soins). En effet, à l’issue de la première promotion (juillet 2012),
la DGOS a organisé une phase d’évaluation de la mise en œuvre du programme
issu de la réforme de 2009 auprès des parties prenantes : directeurs d’instituts de
formation en soins infirmiers et leurs équipes, étudiants, universités partenaires,
agences régionales de santé (ARS), conseils régionaux, Directions régionales de la
jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), organisations syndicales et
fédérations d’employeurs. Les retours sont nombreux. L’analyse permet de dégager
les points forts et les évolutions positives, les difficultés rencontrées et les points à
améliorer, ainsi que les propositions et souhaits d’évolution. Cette première évalua-
tion porte entres autres sur le partenariat avec les universités, le contenu des unités
d’enseignements, les modalités pédagogiques, les stages, etc.
Mais le discours ambiant persiste. La professionnalisation est jugée insuffisante
par les acteurs sur le terrain, au sein des unités de soins. Les nouveaux diplômés
seraient « moins » performants, « moins » professionnels, « moins » compétents.
Cette affirmation du « moins » renvoie à la dynamique de la rêverie de l’eau dont
parle Bachelard (1942). Dans l’eau, le sujet observe un reflet, sorte d’idéal du réel.
D’une situation observée, l’imagination créatrice le conduit à l’idéal. À l’inverse,
l’évocation de la nostalgie en tant qu’imagination reproductrice (« et si c’était mieux
avant le nouveau programme ») renvoie à une image présente, sorte de situation
observée passéiste et fantasmée indispensable pour penser une réalité sociale nouvelle.
Comme pour le reflet bachelardien, nous considérons qu’il est indispensable pour
comprendre les discours ambiants portés sur la professionnalisation d’accéder aux
images symboliques reproductrices.

2.2. Problématisation et question de recherche


L’activité infirmière est essentiellement une pratique, pour ne pas dire un « art »
soignant. La question centrale de notre étude est celle de l’acquisition et du déve-
loppement par les infirmiers nouvellement diplômés des savoirs et des compétences
mis en tension dans les activités de soins, et ainsi la mise en évidence des premiers
éléments de la professionnalisation.
Le terme de professionnalisation est apparu à partir des années 1970-1980 en
France dans des espaces et à des époques différentes, pour accompagner l’idée de
rendre plus flexibles les individus, alors que se met en place un mouvement de
décentralisation du pouvoir politique et que la société est portée par de nouvelles
valeurs telles l’autonomie, l’efficacité, la responsabilité de l’individu qui doit devenir
lui-même, l’acteur de sa vie professionnelle. Outre le souhait affirmé d’accom-
pagner les sujets dans leur développement de compétences, tout en augmentant
l’efficacité de l’acte de formation, Wittorski (2007) définit la professionnalisation
comme un processus de construction et d’acquisition de savoirs professionnels,
qui implique une mise en mouvement et une dynamique de transformation et
de développement des individus par l’action. « La professionnalisation “met en
scène” des acquis personnels ou collectifs tels les savoirs, les connaissances, les
capacités et les compétences. Bien plus, nous pourrions dire qu’elle réside dans le
jeu de la construction et/ou de l’acquisition de ces éléments qui permettront au

Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 83
final de dire de quelqu’un qu’il est professionnel, c’est-à-dire qu’il est doté de la
professionnalité de l’ensemble des connaissances, des savoirs, des capacités et des
compétences caractérisant sa profession » (p. 28). L’auteur distingue trois sens
différents au terme « professionnalisation », qu’il met en rapport avec trois types
d’enjeux distincts.

2.2.1. Professionnalisation-profession
Il s’agit de la professionnalisation comme constitution des professions en tant que
constitution d’un groupe social autonome. À l’inverse du système anglo-saxon, la
profession ne repose pas tant sur le modèle de la profession libérale mais davantage
sur celui du modèle des corps d’État, hiérarchisés, légitimés, « dont l’enjeu est la
conquête d’une meilleure place dans une hiérarchie étatique élitaire » (Wittorski,
2007, p. 28) ou sur le modèle de la constitution de communautés de pairs construisant
leurs propres règles (modèle des confréries). L’enjeu pour les individus est alors la
reconnaissance de leurs capacités en vue d’accéder à une meilleure place dans une
hiérarchie étatique.

2.2.2. Professionnalisation-efficacité du travail


Il s’agit de la professionnalisation comme « mise en mouvement » des individus
dans des contextes de travail flexibles. L’usage du vocable apparaît dans les milieux
du travail dans lesquels les marchés sont confrontés à la concurrence. L’enjeu est
de viser la flexibilité du travail et l’efficacité au travail, et de « favoriser une évolu-
tion continue des compétences » (Wittorski, 2007, p. 28). La professionnalisation
des salariés est entendue en tant qu’intention organisationnelle d’accompagner la
flexibilité du travail (en termes de modification continue des compétences en lien
avec l’évolution des situations de travail).

2.2.3. Professionnalisation-formation
Il s’agit de la professionnalisation comme « fabrication d’un professionnel par la
formation et dans un même temps quête d’une légitimité plus grande des offres
et pratiques de formation ». Ainsi, cette conception de la professionnalisation
repose sur une tentative d’articulation plus étroite entre l’acte de travail et l’acte de
formation. C’est la visée même des programmes de formation qui prône l’alternance
intégrative. « On constate une articulation plus étroite entre l’acte de travail et
l’acte de formation. Il s’agit d’intégrer dans un même mouvement l’action au travail,
l’analyse de la pratique professionnelle et l’expérimentation de nouvelles façons de
travailler » (Wittorski, 2007, p. 28).
Les travaux de Wittorski (2007) posent la formation et le travail comme moyens
soutenant le processus de professionnalisation. Nous retenons ainsi que la profes-
sionnalisation se définit comme un « processus de construction des connaissances,
savoirs et identités reconnus comme faisant partie de la profession choisie » (p. 3).
Dans le cas présent, nous avons choisi de réaliser la lecture, l’analyse et l’interpré-
tation du processus de professionnalisation des infirmiers nouvellement diplômés
(juillet 2012) lors de leur prise de fonction. Cette première insertion en tant que

84 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


professionnel de santé au sein d’une institution hospitalière peut revêtir alors les
critères de situations porteuses d’apprentissages et de qualifications.

3. Enquête empirique : terrain, méthodologie


et recueil de données
Notre travail empirique s’appuie sur une enquête réalisée auprès de 100 infirmiers
diplômés d’État en juillet 2012 (référentiel de formation de 2009) recrutés au sein des
Hôpitaux universitaires de Toulouse pendant une période d’inclusion s’échelonnant
du 1er août au 30 novembre 2012. L’échantillon se répartit sur une proportion de
85 femmes et de 15 hommes. L’exploitation de notre problématique de recherche
(comprendre les développements de la professionnalité des infirmiers dans le cadre
de leur première insertion dans un établissement hospitalier) nous a conduits à
formuler un objectif nécessitant une mise à l’épreuve de l’empirie. L’évaluation du
processus de professionnalisation des infirmiers nouvellement diplômés (promotion
juillet 2012) est réalisée par l’analyse qualitative des évaluations de compétences
formalisées par des cadres de santé sur une période d’inclusion de six mois, selon
trois temps distincts.
Le recueil des données s’est fait à l’aide du livret d’appréciation d’un agent contractuel
en contrat à durée déterminée. Les variables personnelles et contextuelles contenues
dans le livret d’appréciation telles que l’identité, l’âge, le secteur de soins et le pôle
clinique d’appartenance ont été rendues anonymes. Le matériel discursif littéral des
évaluations écrites par les cadres de santé dans ce livret d’appréciation a bénéficié
d’un traitement des données textuelles à l’aide du logiciel Alceste©1. L’objectif est de
quantifier un texte afin d’en extraire les structures signifiantes les plus importantes
et de dégager ainsi l’information essentielle contenue dans le recueil. Dans la lignée
des travaux de Benzecri (1973 ; 1982), Reinert a démontré que ces structures sont
étroitement liées à la distribution des mots dans un texte et que cette distribution se
fait rarement au hasard. L’hypothèse développée dans ce logiciel d’analyse lexicale
automatique des données textuelles (questions ouvertes, œuvres littéraires, pièces
de théâtre, articles de revues, essais, entretiens compréhensifs, récits de vie, etc.)
consiste à considérer les lois de distribution du vocabulaire dans les énoncés d’un
corpus comme une trace linguistique d’un travail cognitif de reconstruction d’un
objet par un individu (Reinert, 1990 ; 1997). En complément de l’analyse Alceste©,
nous avons procédé à une analyse de contenu (Bardin, 2007) dans une approche
qualitative descriptive et herméneutique (tableau 2).

1. Alceste : initialement, ce terme est l’acronyme d’analyse lexicale par contexte d’un ensemble de segment
de texte. Il s’agit d’un logiciel développé par Max Reinert en 1992 (pour sa version 2.0) de l’université de
Toulouse-Le-Mirail. L’auteur définit aujourd’hui Alceste© comme l’analyse des lexèmes co-occurrents
dans les énoncés simplifiés d’un texte.

Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 85
Tableau 2 – Recrutement au sein des pôles cliniques de l’échantillon (total n = 100)

Échantillon/pôle
Période inclusion
Intitulé des pôles cliniques IDE Féminin IDE Masculin
1er août-30 novembre
2012
Anesthésie/réanimation 5 3 2

Cardiovasculaire et métabolique 5 4 1

Céphalique et odontologique 1 1

Hôpital des enfants 0

Digestif 10 10

Gériatrie 2 2

Institut locomoteur 6 6

Médecine d'urgences 10 5 5

Neurosciences 19 17 2

Psychiatrie 10 7 3

Spécialités médicales 5 5
Urologie, néphrologie, dialyse, 17 17
chirurgie plastique, chirurgie
générale et gynécologique
Voies respiratoires 0

Santé, société, réadaptation 0

Blocs opératoires 10 8 2

File active échantillon total 100 85 15

4. Présentation des résultats les plus significatifs


L’analyse Alceste© a fait apparaître quatre classes lexicales distinctes. Tout le
discours écrit recueilli des évaluations a été traité (ce qui représente un taux
satisfaisant de 78 %). Nous avons procédé à une classification hiérarchique descen-
dante (CHD) pour laquelle nous avons considéré les χ2 (khi carré) qui nous ont
paru les plus représentatifs de chaque classe au regard du χ2 moyen de la classe
analysée (tableau 3).

86 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Tableau 3 – Traits lexicaux typiques par classe issus de l’analyse Alceste©

Variable
illustrative
Classe % UCE* Traits lexicaux typiques par classe**
associée
à la classe
Classe 1 15 % Difficulté, contrôle, geste, rapide, organisation, adaptation, *T1 *T3
spécialité, activité, réalisation, exécution, initiative
Classe 2 33 % Disponible, amélioration, potentiel, équipe, compétence, ren-
forcement, quotidien, connaissances, lien, esprit, respectueux,
solidaire
Classe 3 23 % Perfectionnement, pratique, protocole, procédure, mode opé-
ratoire, soins, technique, expérience, unité, confrontation

Classe 4 28 % Habileté, acquérir, efficience, discernement, connaissance, *T1 *T6


proche, savoir-être, solide, acquisition, apprentissage, singulier
* Les UCE (unités de contexte élémentaires) sont les partitions du corpus.
** Pour chaque classe, les traits lexicaux sont notés au regard de la valeur de leur χ2 d’association
supérieure à la valeur du χ2 moyen de la classe.

4.1. Classe 1 (22 UCE, χ2 moyen 11,05) – Les attentistes


désengagés, « des professionnels de santé flottants »
C’est la notion de difficulté qui observe un χ2 d’adhésion à la classe le plus élevé
(χ2 = 36, 37). Les difficultés dans l’organisation (χ2 = 16,09) de l’activité (χ2 = 14,35)
ainsi que l’adaptation (χ2 = 15,75) au secteur d’activité et à la spécialité (χ2 = 27,71)
renforcent les résultats sur la difficulté des nouveaux diplômés à réaliser « dans les
délais fixés et avec habileté et rapidité » les tâches prescrites dans le cadre de leur
activité, mais également à réaliser techniquement un soin. La gestion (χ2 = 27,03)
des priorités (χ2 = 15,88) sont les deux éléments phares de cette classe de discours.
L’analyse des évaluations à trois mois montre la nécessaire obligation pour l’infir-
mier de développer la compétence essentielle de savoir « hiérarchiser les priorités »,
c’est-à-dire cette capacité cognitive à juger du degré d’urgence d’un événement
imprévu et de la nécessité de l’intégrer immédiatement dans le flux d’activité. Cette
classe de discours montre que la première insertion en tant que nouveau diplômé
est une vraie rupture, pas tant en termes d’apprentissage (il y a toujours beaucoup
à apprendre) qu’en termes de responsabilités. Des efforts (χ2 = 14,11) sont à fournir
(χ2 = 18,88) dans l’organisation de l’activité, la gestion de l’activité, l’appréhension
des priorités, la réalisation du geste.
Voici quelques propos illustratifs :
• « ne doit pas hésiter à aller vers les professionnels, à demander. Pas de progression
notable. Manque d’implication. Ne tient pas compte des remarques de ses pairs
pour progresser. Attentiste. N’intègre pas les conseils. Absence de remise en
question » (propos illustratif no 1) ;
• « des difficultés à réaliser un geste technique. Manque d’habiletés, d’esprit d’initia-
tives, de rapidité. Élément passable. Les connaissances ne sont pas acquises. Doit

Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 87
acquérir plus de rapidité dans l’exécution des soins. Doit prendre plus d’initiative
et prendre des décisions » (propos illustratif no 2).
Dès la prise de fonction, le sujet épistémique de cette classe de discours présente
des insuffisances dans les trois domaines taxonomiques du savoir, savoir-être et
savoir-faire. Les compétences visées sont acquises à un niveau de pratique partielle,
nécessitant une aide externe et un accompagnement casuistique. Au terme des six
mois de leur prise de fonctions, ces professionnels de santé se sentent en insécurité.
Leurs pratiques professionnelles se limitent en l’application d’actes déconnectés du
contexte et la mise en œuvre aveugle des tâches de manière standardisée. Ils s’inter-
rogent sur leur orientation professionnelle et expriment leurs difficultés entre le
« métier idéalisé » et le « métier réalisé ». Ils sont qualifiés de « flottants, parfois
apathiques, avec une défaillance d’engagement » par l’encadrement. Ils occupent un
emploi qui ne correspondrait pas à leurs aspirations. À la fois attentistes et désen-
gagés, ils envisagent de quitter et d’abandonner la profession, et de se réorienter.

4.2. Classe 2 (48 UCE, χ2 moyen 17,25) – Les volontaristes


motivés, « des professionnels de santé en devenir »
La disponibilité (χ2 = 27,71) et le bon esprit (χ2 = 10,12) d’équipe sont les deux notions
présentes au sein de cette classe. Ces deux attitudes professionnelles renforcent l’exis-
tence d’un socle de savoirs professionnels dans le domaine psychoaffectif inhérent à
la profession infirmière. Plus que des attitudes professionnelles, ce sont les qualités
du sujet (respectueux [χ2 = 8,47] ; solidaire [χ2 = 8,36]) qui sont convoquées comme
faisant partie intégrante de la mission première de l’infirmier. Les compétences
acquises au cours de ces premiers six mois touchent aux figures du métier symbolique
de soignant et de l’interaction humaine. Nous pourrions le présenter ainsi : faire
des valeurs et qualités personnelles qui orientent la pratique en début de carrière
(altruisme, respect, solidarité, don de soi, générosité) une valeur surajoutée à la rela-
tion aux autres (les personnes soignées, les familles, les pairs) mais non une finalité.
En inscrivant le savoir de la relation à l’autre dans une doxa professionnelle des
métiers de l’humain, il y a dans le regard porté par les cadres de santé une analyse
du processus de professionnalisation des infirmiers soumise à la part indicible et
indiscutable des compétences personnelles du sujet et d’un savoir professionnel
emblématique des professions soignantes. Les attitudes personnelles renvoient
ainsi le plus souvent à des dimensions psychoaffectives qui ne nécessiteraient pas
d’apprentissage autrement qu’un apprentissage expérientiel.
Le potentiel (χ2 = 21,33) d’évolution ainsi que le renforcement (χ2 = 11,38) des
connaissances et des compétences (χ2 = 16,2) sont mis en exergue également. Dans
cette classe de discours, le sujet épistémique évoque les déterminants de la qualité
de l’intégration de l’infirmier au sein de l’unité à la fois fondée sur les encoura-
gements à poursuivre les efforts dans la voie de la progression (mise en lien des
connaissances ; connaître la spécialité) tout en consolidant les apprentissages,
mais aussi sur la reconnaissance d’une juste adaptation à l’activité et aux situations
professionnalisantes. La distinction opérée dans l’évaluation relève ainsi de deux
registres : le faire et le connaître.

88 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Voici quelques propos illustratifs :
• « infirmier curieux, volontaire, respectueux. Fait preuve de disponibilité pour
apprendre. Doit parfaire ses connaissances pour faire des liens notamment dans
le registre de la prise en charge globale du patient » (propos illustratif no 1) ;
• « N. est impliquée et motivée pour apprendre. Doit apprendre à gérer ses priorités.
Fait preuve de bonne volonté pour s’inscrire dans la dynamique de l’équipe. À trois
mois de la prise de fonction, commence à s’adapter à l’unité de soins. L’acquisition
spécifique des connaissances est en cours » (propos illustratif no 2).
Le sujet épistémique de cette classe de discours a acquis les connaissances néces-
saires pour comprendre les besoins de santé de la personne soignée et de leurs
proches. Ces professionnels de santé ont un rythme d’apprentissage plus lent pour
appréhender l’approche systémique de l’unité de soins, pour s’adapter au milieu de
travail, pour articuler et faire le lien entre les connaissances acquises, les aptitudes
et les aptitudes professionnelles. Ils sont qualifiés de volontaires, de soigneux, de
curieux, de motivés. Ils ont besoin d’être accompagnés pour discerner avec justesse
la signification des aspects caractéristiques des situations qu’ils rencontrent en
termes « d’aide à la décision et à la priorisation ». Ce sont des professionnels de
santé en devenir.

4.3. Classe 3 (34 UCE, χ2 moyen 15,03) – Les pragmatiques


efficients, « des professionnels de santé techniciens »
Le discours recueilli s’appuie sur l’acte prescrit et la primauté du geste technique.
Le réalisme et le caractère professionnel des termes utilisés rendent compte de la
dimension techniciste de la prise en charge du patient. Il s’agit pour les sujets types
de cette classe de discours, de mettre en œuvre des moyens permettant de respecter
les protocoles (χ2 = 16,36), les procédures (χ2 = 19,05) et les modes opératoires (χ2 =
14,55). Cette approche clinique s’entend par le respect des bonnes pratiques profes-
sionnelles. Les professionnels de santé de cette classe de discours se tiennent de facto
assez proches du discours de la classe 4.
La confrontation (χ2 = 18,14) aux situations cliniques et l’expérience (χ2 = 24,02)
acquise lors du stage préprofessionnel de 10 semaines sont des termes qui acceptent
un fort taux d’adhésion de χ2 à la classe du discours. Plus concrètement, au sein de
l’institution hospitalière, le caractère polysémique attaché à la notion d’expérience
soit comme « acquisition », « construction » ou « maîtrise » de compétences relève
ici du rapport différencié au temps passé en amont dans l’unité de soins (le stage
préprofessionnel) et la temporalité du sujet. Pour Pastré (2005, p. 232), apprendre
s’inscrit dans le propre de l’expérience en tant que dimension complexe qui crée
de l’ipséité à partir de la mêmeté. Le sujet se construit en se confrontant au réel.
L’apprentissage s’opère dans le cours d’une activité. L’expérience ipse est la capacité
qu’a le sujet de tirer parti de ce qu’il a vécu.
Voici quelques propos illustratifs :
• « respect des protocoles de service, s’adapte aux exigences et difficultés du service.
Bonnes aptitudes pratiques. Respecte les règles d’hygiène et les protocoles de
soins. Excellent relationnel et connaissances acquises » (propos illustratif no 1) ;

Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 89
• « bonne dextérité dans les soins techniques, a la volonté de se perfectionner.
Toujours à réaliser de nouveaux soins pour acquérir et perfectionner sa pratique.
Pansements divers, ôter des fils, des agrafes, poser des perfusions, prise de sang,
préparation des injections. Motivée, intéressée et en quête de perfectionnement »
(propos illustratif no 2).
Dès leur prise de fonction, le sujet épistémique de cette classe de discours présente
des compétences visées acquises à un niveau de pratique courante. Ces profession-
nels de santé sont qualifiés de « professionnels efficients prometteurs » avec un
fort potentiel d’évolution. Ce sont les « étoiles montantes ». Ils ont bénéficié en
préambule de leur prise de fonctions d’un stage préprofessionnel dans l’unité de
soins où ils exercent. Ce temps d’apprentissage dans un espace temporel connu leur
a permis dans la multiplicité des situations des soins rencontrées (exposition plurielle
sur une discipline limitée) et dans la durée (10 semaines de stage) d’intégrer des
notions telles que l’organisation et les règles de travail en amont de leur première
immersion. Ils sont capables d’expliciter leur raisonnement clinique et leur prise
de décision, et sont efficaces dès le premier mois comme les talentueux singuliers.
Centrés sur le respect des protocoles de soins, sur la technicité du geste à réaliser
et les règles de l’art infirmier, ce professionnel de santé est un technicien.

4.4. Classe 4 (41 UCE, χ2 moyen 7,03) – Les talentueux


singuliers, « des professionnels de santé accomplis »
L’acquisition (χ2 = 17,71) des connaissances (χ2 = 14,12) et des habiletés (χ2 = 20,11)
sont les notions qui acceptent un fort taux d’adhésion de χ2 à la classe du discours.
Les apprentissages (χ2 = 12,30) sont qualifiés de solides (χ2 = 9,45) et d’experts
(χ2 = 11,45). S’agissant des apprentissages développés dans les situations de travail
pendant une période de six mois, l’analyse du contenu discursif littéral des apprécia-
tions réalisées par l’encadrement montre une incorporation croissante des compé-
tences, soit par imprégnation, soit par l’action. L’utilisation des notions comme
l’efficience (χ2 = 16,08), le discernement (χ2 = 15,03), la solidité des connaissances
(χ2 = 14,12) reflète des indications laissant supposer que le temps et l’expérience, au
même titre que les pratiques professionnelles dont les infirmiers sont capable de
« prendre conscience », participent à l’incorporation maillé d’un savoir expérientiel
et d’un savoir en cours d’acquisition.
Voici quelques propos illustratifs :
• « infirmier attentif, hors norme. Dès sa prise de fonction, G. s’est inscrit dans
l’équipe en favorisant un bon climat. Très disponible, à l’écoute. Capable d’iden-
tifier les situations » (propos illustratif no 1) ;
• « connaissances et savoirs techniques maîtrisés. Parfaite maîtrise du poste dès le
premier mois. Élément exceptionnel. Complétement autonome » (propos illus-
tratif no 2).
Dès leur prise de fonctions, ces professionnels de santé présentent des compétences
visées acquises à un niveau de maîtrise. Ils sont qualifiés de « professionnels singu-
liers, rares, uniques, hors norme, florissants » pour reprendre la sémantique utilisée
par l’encadrement. Leur conception du travail est basée sur « la passion, voire la

90 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


vocation ». Ils sont soucieux d’une éthique professionnelle. Ils ont une représentation
positive d’eux-mêmes. Ils valorisent (dès leur premier mois de prise de fonction) le
travail dans sa dimension extrinsèque (climat de travail positif et solidarités affir-
mées) et dans sa dimension intrinsèque (toutes les tâches et activités faisant appel à
un raisonnement intellectuel sont investies). Ils possèdent une logique d’insertion
professionnelle forte. Ces professionnels de santé sont capables de travailler en
autonomie, dans une situation complexe. Il ne s’agit pas de simples exécutants, mais
de professionnels de santé accomplis.
Une synthèse de la classification est présentée dans la figure 3.

Classe 1
Les attentistes
désengagés
22 u.c.e

Classe 2
Les volontaristes
motivés
48 u.c.e

Classe 3
Les pragmatiques
efficients Corpus Analysé
34 u.c.e 145 u.c.e

Classe 4
Les talentueux
singuliers
41 u.c.e

Figure 3 – Synthèse de la classification hiérarchique descendante

5. Discussion
Nous identifierons un certain nombre de points de discussion et de réflexion en
matière de recherche sur la professionnalisation et l’accompagnement du changement.

5.1. Action : agir, c’est transformer et se transformer


En situation d’immersion socioprofessionnelle, le propre de la découverte, c’est l’action
du sujet apprenant. L’action met le sujet en rapport avec le monde qui l’entoure,
à la fois l’objet (un acte de soin), l’environnement (une situation de soin dans une
unité de soins) et autrui (les pairs, les étudiants, les professionnels de santé). Le
suivi de la prise de fonctions de ces infirmiers sur une période de six mois montre
que l’itinéraire de professionnalisation (Le Boterf, 2007) est une mise en forme

Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 91
du sujet dont on peut discerner trois facteurs : son histoire, sa socialisation et son
autoformation (soi), l’interaction avec les autres et l’hétéroformation (les autres), les
situations professionnelles rencontrées et l’écoformation (situations apprenantes).
L’infirmier nouvellement diplômé est un sujet apprenant (compétences ; interaction
à l’objet ; moyens ; organisation ; partenaire ; relations aux autres) qui agit (actions)
et se transforme (transformations). La notion de compétence se lie alors à celle de
professionnalité dans une articulation entre le pouvoir/vouloir et savoir-agir (Le
boterf, 2007). Les apprentissages sont d’ordre cognitif, social et affectif. L’action
devient formatrice et porteuse de sens (« les savoirs combinatoires »). En s’appuyant
sur les travaux de Schön (1983), Dreyfus et Dreyfus (1986) et Benner (1984) posent
les cinq stades successifs de l’acquisition et du développement d’une compétence en
situation de travail : novice ; débutant ; compétent ; performant ; expert. Selon ces
auteurs, c’est au terme de deux années de prise de fonctions qu’un jeune diplômé
est considéré comme compétent. On apprend de soi-même, des autres et de l’ins-
titution, en s’imprégnant de la « culture » du groupe professionnel dans l’exercice
concret de l’activité (Bourdoncle, 2000).

5.2. Des relations/formation/emploi et de la valeur


d’un diplôme
Former des étudiants en soins infirmiers consiste-t-il à préparer les étudiants à
l’obtention du diplôme d’État et de la valence universitaire sous la forme d’un niveau
licence et/ou à préparer à l’exercice d’un métier, à savoir la clinique infirmière ? Le
débat reste ouvert. L’obtention d’un diplôme professionnel serait en quelque sorte
assimilable « à un permis d’exercer ». Il constitue pour un employeur public ou privé
une assurance garantie sur la qualité et la qualification d’une « force de travail ». Or,
la situation de travail n’est pas formatrice du seul fait de la présence d’un infirmier
novice apprenant. Elle doit mettre de côté sa logique de production et de résultat
pour devenir une situation constructive d’apprentissage, et ce pendant un temps
donné, déterminé par un niveau d’acquisitions mesurées. « Il s’agit d’apprendre dans
et par l’organisation, de sortir d’une logique stricte de qualification, pour aller vers
la gestion des compétences » (Bubien et Bourrel, 2014, p. 22).
Les finalités de la formation infirmière ont pour objet de professionnaliser l’étudiant,
de l’amener « à devenir un praticien autonome, responsable et réflexif ». En évoquant
le temps du compagnonnage apparu dès le Moyen Âge « ou l’apprentissage auprès d’un
maître où le “tour de France” permettait d’acquérir savoirs et capacités techniques
par le travail guidé, par l’apprentissage de façons de faire » (Hédoux, 1996, p. 100),
il ne serait pas alors utopique de revenir à la supervision clinique dans son intention
pédagogique première ; à savoir, dans le respect des règles éthiques, accompagner le
praticien à développer et maintenir ses compétences, et à surmonter ses difficultés,
et ce pour garantir une prise en charge optimale des usagers des soins. Ce temps
dédié a un coût. Il engage en responsabilité les choix politiques et stratégiques d’une
institution en termes de compétitivité, et ce pour tendre vers la transférabilité des
savoirs, le développement des compétences individuelles et collectives.
L’alternance intégrative, par la mise en stage, par le maillage des savoirs autour
du raisonnement clinique et de l’analyse des situations, par le retour réflexif en

92 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Institut de formation en soins infirmiers de l’analyse des situations complexes de
soins interpellantes, permet, dans le cadre de cette ingénierie, des espaces de socia-
lisation professionnelle. Il n’en demeure pas moins que l’exercice des compétences
professionnelles est contextualisé (un hôpital ; une unité de soins ; une équipe
soignante, une situation clinique singulière, etc.) alors que les savoirs théoriques,
techniques, procéduraux proposés en institut de formation relèvent et visent une
certaine « universalité » (Charlot, 1990). Les finalités de la formation infirmière
ont pour objet de professionnaliser l’étudiant, de l’amener « à devenir un praticien
autonome, responsable et réflexif ». Dans le cadre de notre étude, la socialisation
professionnelle de l’infirmier nouvellement diplômé s’est poursuivie dans et par
l’exercice en responsabilité, par une incorporation croissante des compétences soit
par imprégnation, soit par l’action, dans une logique d’intégration/assimilation, et
ce dans des contextes singuliers et en situation réelle de travail. L’étude conjointe
du couple individu et situation est essentielle pour comprendre le développement
professionnel des personnes. Tout sujet construit des invariants opératoires dans
sa confrontation aux situations professionnelles (Pastré, 1999). Cette ouverture à la
réflexion est essentielle et préférable à l’accumulation des injonctions pédagogiques
normatives et prescriptives qui, en énonçant les « ce qu’il faut faire » en termes
de pédagogie socioconstructiviste et les « comment faire » en termes de retour
réflexif sur les pratiques d’un étudiant qui n’est pas un praticien (mais un praticien
en devenir), laissent totalement échapper le sens social et éthique (« le bon sens »)
de toute formation professionnelle.

6. Conclusion
« C’était mieux avant. Combien de fois cela s’impose à moi comme une évidence,
en toutes sortes de circonstances. […]. Quand, au lycée, nous nous levions, mes
camarades et moi, au moment où notre professeur pénétrait dans la classe et que
nous attendions sagement qu’il nous autorise à nous asseoir. […]. Quand le facteur
ne s’appelait pas “préposé”, l’instituteur, “professeur des écoles”, les hommes et les
femmes de ménage, “techniciens de surface”. […]. Quand le mot révolution était
porteur d’espoir » (Jean-Bertrand Pontalis, Avant).
Dans le champ du soin et de la santé, la professionnalisation ne doit pas être regardée
par la seule lunette du « et si c’était mieux avant ». Cette rhétorique éprouvée et
cette évocation passéiste ne sont pas transposables. Pour le Dictionnaire de l’Académie
française (1932-1935), le mot « changement » désigne « l’action de changer » ou le
« résultat de cette action ». Guy (2013) opère une distinction en replaçant le terme
de changement dans des foyers de signification entre l’échange, le déplacement, la
transformation, la conversion. L’auteur explique que ce n’est pas tant le changement
des choses qui est un objet de recherche en soi, mais bien la modification des relations
entre un sujet (ou groupe professionnel) et son environnement. Notre étude, hic et
nunc, pose comme point de départ le processus de professionnalisation des infirmiers
nouvellement diplômés comme une intention et une exigence sociale de formation.
Or, si le changement s’opère, il s’opère dans la transformation, le « passage d’un état
à un autre » (Guy, 2013) des représentations professionnelles des différents acteurs.

Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 93
Depuis 2009, le référentiel de formation infirmière confirme le modèle d’une alter-
nance intégrative entre les Instituts de formation en soins infirmiers et les unités
de soins. L’hôpital est une réelle organisation apprenante au service des étudiants
et des professionnels de santé. Toute construction d’une formation professionnelle
doit se réaliser par le regard contributif des différents acteurs impliqués (institut
de formation versus employeur) au risque de faire l’impasse sur les relations entre
emploi et formation et ce qui en découle pour la valeur « professionnelle » d’un
diplôme professionnel. On peut ainsi concevoir cette proposition de changement
dans l’accompagnement d’un changement de paradigme et de conception d’une
représentation de « l’école dans l’hôpital » (modèle de l’alternance juxtaposée) à celui
de « l’hôpital-école » (modèle de l’alternance intégrée). La question de la construc-
tion ou du changement de cognition est centrale. Elle porte en elle la nécessaire
réflexion conjointe sur les transactions interprofessionnelles et sur les interopéra-
tions, voire les contributions mutuelles, des professionnels issus de trois systèmes
d’activité : l’université, l’hôpital et les instituts de formation paramédicaux. Cet
accompagnement au changement constitue un atout majeur. C’est en coconstruisant
et en confrontant les regards croisés des différents acteurs sur la plus-value de la
formation initiale des professionnels paramédicaux que la réponse aux besoins et
aux attentes des usagers de soins et de leurs proches deviendra efficiente en termes
de prestations de soins de qualité et d’enseignement.

À retenir
Pris dans sa finalité humaine, le processus de professionnalisation concerne l’infirmier
qui se forme et apprend son métier.
Les marques visibles de cette professionnalisation sont l’action du sujet apprenant avec le
monde qui l’entoure, à la fois l’objet (un acte de soin), l’environnement (une situation de
soins dans une unité de soins) et autrui (les pairs, les étudiants, les professionnels de santé).
Au-delà des apprentissages des savoirs techniques, procéduraux et attitudinaux, de la
construction de l’identité ou de la socialisation individuelle, le processus de profession-
nalisation permet à l’infirmier nouvellement diplômé d’entrer dans un espace social où
la complexité des situations rencontrées et la rencontre avec les pairs – dans la mise en
confrontation des différents points de vue – sont garantes de la construction de compé-
tences collectives autant qu’individuelles.

Questions de discussion
Comment conduire et/ou accompagner le changement de paradigme ou de conception
d’une représentation de « l’école dans l’hôpital » (modèle de l’alternance juxtaposée) vers
celui de « l’hôpital-école » (modèle de l’alternance intégrée) ?
Quels enjeux sous-tendent la professionnalisation des professions paramédicales et quelles
finalités dans la visée sociologique (caractéristiques d’une profession), pédagogique
(caractère opératoire d’une formation), individuelle et collective (processus de dévelop-
pement professionnel et interactionnisme avec le groupe) promeut-elle lorsqu’elle est
considérée dans son rapport à la formation initiale et continue, au travail et à l’emploi ?

94 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Lectures pour aller plus loin
Afin de permettre aux lecteurs de se repérer dans les théories et concepts se rapportant
à la professionnalisation, nous leur proposons de parcourir l’ouvrage et la contribution
suivante : Jorro (2014) et Clénet et al. (2012).

Bibliographie
Bachelard, G. (1942). L’eau et les Rêves. Essai sur l’imagination de la matière*. Paris :
José Corti .
Bardin, L. (2007). L’Analyse de contenu, Paris, PUF (1re édition, 1991).
Benner, P. (1984). “From Novice to Expert : Excellence and Power in Clinical
Nursing Practice”. Prentice Hall : New-Jersey.
Benzecri, J.-P. (1973). L’Analyse des données. Paris : Dunod, tomes 1 et 2.
Benzecri, J.-P. (1982). Histoire et préhistoire de l’analyse des données. Paris : Dunod.
Bourdoncle, R. (2000). « Autour des mots. Professionnalisation, formes et dispo-
sitifs ». Recherche et formation, Paris : INRP, 35, pp. 117-132.
Bubien, Y., Bourrel, P. (2014). « Hôpital-école, une alliance entre instituts de forma-
tion et unités de soins ». Soins cadres, 23/91, pp. 21-24.
Charlot, B. (1990). « Enseigner, former : logique des discours constitués et logiques
des pratiques ». Recherche et formation, Paris : INRP, 8, pp. 5-17.
Cifali, M. (1994). Le Lien éducatif : contre-jour psychanalytique. Paris : PUF, coll.
« Éducation et formation ».
Clénet, J., Poisson, D. (2012). « La complexité : un champ conceptuel fécond pour
des recherches sur la professionnalisation dans les métiers de l’humain ». In : Clénet,
J., Maubant, P., Poisson, D. (dir.), Formations et professionnalisations à l’épreuve de la
complexité. Paris : L’Harmattan.
Dreyfus, H. L., Dreyfus, S.E. (1986). “Mind over Machine, the Power of Human
Intuition and Expertise in the Era of Computer”. New York : The free Press.
Guy, D. (2013). « Clarification terminologique, mise en contexte et fictions du chan-
gement ». In : Bedin, V. (éd.). Conduite et accompagnement du changement. Contribution
des sciences de l’éducation. Paris : L’Harmattan, pp. 107-123.
Hédoux, J. (1996). Se former à la pédagogie. Guide méthodologique en formation. Paris :
Éditions Lamarre.
Jorro, A. (éd.). (2014). Dictionnaire des concepts de la professionnalisation. Paris : De Boeck.
Le Boterf, G. (2007). Professionnaliser, le modèle de la navigation professionnelle. Paris :
Éditions d’organisation.

Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 95
Pastré, P. (1999). « La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspec-
tives ». Education permanente, 139, pp. 13-35.
Pastré, P. (2005). « Genèse et identité ». In : Rabardel, P., Pastré, P. (dir.). Modèles
du sujet pour la conception. Dialectiques activités développement. Toulouse : Octarès
Éditions, pp. 231-260.
Pontalis, J.-B. (2012). Avant. Paris : Gallimard, coll. « Blanche ».
Reinert, M. (1990). « Alceste, une méthode d’analyse des données textuelles. Appli-
cation au texte Aurélia de Gérard de Nerval. » Bulletin de méthodologie sociologique,
26, pp. 25-54.
Reinert, M. (1997). « Les “mondes lexicaux” des six numéros de la revue Le surréalisme
au service de la révolution ». Cahiers du centre de recherche sur le surréalisme (Mélusine),
Lausanne : Éditions l’Âge d’Homme, pp. 270-302.
Reinert, M. (1999). « Quelques interrogations à propos de « l’objet » d’une analyse
de discours de type statistique et de la réponse Alceste ». Langage et société, 90.
Schön, D.A. (1983). The Reflective Practionner. New York : Basic Books.
Wittorski, R. (2007). Professionnalisation et développement professionnel. Paris : L’Har-
mattan, coll. « Action & Savoir ».

96 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


CHAPITRE 7
Fonction de tuteur :
continuité, transformation
ou mutation du processus
de professionnalisation
Marine Do

1. Introduction
Les dynamiques de changement perceptibles dans le monde du travail comme dans
celui de la formation conduisent à des transformations profondes des pratiques
professionnelles, voire une mutation des métiers. La modification régulière
des frontières professionnelles entre médecins et professionnels paramédicaux
en est un exemple. Elle a conduit à une succession de réformes des dispositifs
de formation initiaux pour s’adapter aux nouveaux besoins de compétences. Ce
chapitre vise à la compréhension des phénomènes liés au processus de transfor-
mation du groupe professionnel infirmier dans cette évolution du système de
santé français. Il se propose de rendre compte des pratiques de professionnalisa-
tion émergentes et de la manière dont les infirmiers, engagés dans une fonction
inédite de tuteurs, se sont saisis des nouvelles logiques de formation pour modi-
fier leurs pratiques d’encadrement. Nous clarifions d’abord les statuts et types
de changements définis par différents auteurs en psychologie et en sciences de
l’éducation. Nous précisons ensuite les nouvelles logiques prescrites pour montrer
les changements auxquels sont confrontés les acteurs de terrain dans la mise en
œuvre de la réforme infirmière. Nous présentons le dispositif de recherche ayant
permis de caractériser les formes de changement liées aux transformations des
pratiques tutorales observées. Dans une visée praxéologique, nous proposons
une discussion à partir des résultats d’enquête. Pour finir, nous initierons une
réflexion sur des axes possibles d’accompagnement des tuteurs, pour les aider
à mieux appréhender et à mettre en œuvre les logiques de professionnalisation
constitutives des mutations annoncées.

Chapitre 7 – Fonction de tuteur : continuité, transformation ou mutation du processus de professionnalisation l 97


2. Le changement : une notion polysémique
2.1. Changement dirigé et changement effectif
Il ne suffit pas d’imposer le changement pour qu’il soit effectif. Baluteau (2003)
parle de « changement dirigé » pour désigner le changement sous l’angle politique
du réformateur. Le rôle des acteurs ne doit cependant pas être sous-estimé dans
le changement réel émergeant d’une situation de réforme, à condition de leur en
donner les moyens et de ne pas brider leurs initiatives. Ainsi, nous pouvons avancer
l’idée que le changement prescrit ne serait pas le changement effectif, les acteurs
étant désignés comme « les véritables moteurs du changement » (Baluteau, 2003, p.
84). L’approche située du changement, issue des travaux d’Orlikowski (1996), pointe
également la dimension contextuelle du changement et les interactions entre les
acteurs et leur environnement. Dans ce même ordre d’idée, Tilman et Ouali (2001)
précisent que la traduction des objectifs d’une réforme en pratiques concrètes est
laissée à l’initiative des acteurs de terrain qui peuvent être en difficulté pour saisir sans
aide la finalité du changement. Ceux-ci peuvent penser le changement uniquement
à travers une rationalité locale pour donner sens à leur environnement. Ainsi, le
changement prescrit reste difficile à réaliser seul pour une intégration progressive de
sa dynamique dans les pratiques professionnelles : « il suppose un accompagnement
pour aider à comprendre le changement lui-même et sa dimension prescriptive »
(Lafortune, 2006, p. 13). Il existe en effet une différence fondamentale entre une
posture d’adhésion à de nouvelles règles sans compréhension de leur fondement et
une posture de remise en question des représentations antérieures pour l’émergence
d’une nouvelle réalité (Abernot et Eymery, 2013).

2.2. Changement effectif : une question d’appropriation


Une réforme perturbe la façon dont les personnes appréhendent leurs rôles et va
induire un changement par une remise en question des façons de penser et de faire.
C’est un processus d’apprentissage qui passe par ce que Piaget (1968) appelle la
« rééquilibration majorante ». Il est caractérisé par le passage d’une représentation
ancienne, remise en cause, à une autre représentation. L’apparition de nouvelles
pratiques sociales s’opère ainsi par un processus qui passe par ce qu’Alter (2000)
nomme l’appropriation. Ce phénomène donne sens et efficacité et permet à ces
pratiques de se transformer en pratiques durables. Cet auteur définit ainsi le
concept de forme comme « des configurations cristallisées » qui vont consister « à
établir de manière durable, prévisible et connue pour tous des pratiques de travail,
des relations de travail ou des modalités de jugement sur l’activité » (p. 156). Ce
sont les acteurs qui font le choix « de se transformer et de transformer les règles,
les usages ou les projets de leur milieu social » (ibid., p. 177). Ils ont cependant
des rythmes d’apprentissage différents au sein d’une même organisation. Cela
explique qu’il puisse y avoir coexistence d’une diversité de formes de pratiques
professionnelles dans une même temporalité, avec des logiques et des dynamiques
structurelles différentes. Pour analyser le changement, ces éléments témoignent de
la nécessité de regarder ensemble ces deux faces d’une même réalité, à la fois dans

98 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


le caractère durable des figures du passé, mais aussi sur les éléments d’inflexion, de
rupture avec la permanence d’une forme. Le phénomène de transition apparaît alors
comme indissociable de celui de changement (Simon, 2004), mais il s’en distingue
par l’intériorité du processus par lequel les personnes, dans leur recherche de sens,
puisent dans leurs ressources individuelles multiples, pour dépasser les incertitudes
et peurs engendrées par le processus de changement. C’est dans cette perspective
que le changement peut être considéré comme un processus d’apprentissage par
les acteurs, de nouvelles manières d’agir et de coopérer (Fraysse et al., 2011). Ce
processus peut rester inopérant en l’absence de modification adéquate des habitudes
de travail et des relations entre les acteurs concernés par ce changement. Comme
le souligne De Terssac (2003), pour changer sa pratique, l’acteur doit renégocier
ses représentations, refaire sa place, reconfigurer son identité professionnelle. Le
changement des pratiques ne peut ainsi s’envisager qu’à travers le travail du sujet
lui-même. C’est une des conditions de changement durable des pratiques profes-
sionnelles proposées par Louise Lafortune dans cet ouvrage, avec sa démarche
« réflexive-interactive » et les principes d’accompagnement-formation visant des
changements orientés.

2.3. Aspect structurel du changement


Les travaux de l’école de Palo Alto apportent des éléments fondamentaux dans la
compréhension du changement. Deux types de changements ont été identifiés par
Watzlawick et al. (1975), l’un renvoyant à un état d’équilibre du système et l’autre
à une notion de rupture de celui-ci. À partir de cette conception, des travaux plus
récents1 considèrent le changement davantage dans un rapport de continuité/
discontinuité dans lequel les modifications des logiques observées permettent
de déterminer des types de changement différents dans les pratiques. Certains
auteurs (Baluteau, 2003 ; Saint-Jean et Seddaoui, 2013) reprennent cette idée de
stabilité pour définir une première forme de changement. Ce changement renvoie
à un maintien du système, mettant en jeu des changements sans modification de la
logique de la configuration structurale des formes. La continuité d’une figure est
maintenue et vise davantage l’approfondissement de celle-ci et le perfectionnement
de son fonctionnement. De nouvelles pratiques peuvent apparaître sans modifier la
logique de la configuration en place. Le changement prendra une deuxième forme
lorsqu’il renvoie à une notion de rupture avec des modifications d’ordre structurel
du système de pratiques en place. Ce changement est vu alors comme une nécessité
ou une évidence de ce que des transformations sont à introduire impérativement
pour faire face à une situation de crise. Cela implique un saut de logique et repré-
sente une discontinuité. Ainsi, pour qu’un tel type de changement s’opère, il est
nécessaire qu’il y ait l’acceptation de changer l’angle d’interprétation d’une réalité.
Baluteau (2003) est un des premiers auteurs à parler de niveaux de changement, y
conférant une notion de hiérarchisation à travers l’idée de valeur, de degré d’inten-

1. L’unité mixte de recherche « Éducation, formation, travail, savoirs » initie régulièrement des travaux
sur la thématique de la conduite et de l’accompagnement du changement. Cette équipe a produit un
ouvrage collectif paru en 2013 (voir bibliographie), donnant lieu à une approche multiréférencée de la
question du changement. Notre réflexion s’appuie en partie sur les conceptions du changement étayées
par les différents auteurs de cet ouvrage.

Chapitre 7 – Fonction de tuteur : continuité, transformation ou mutation du processus de professionnalisation l 99


sité1 que comporte la signification du terme niveau. Contrairement à cet auteur,
nous pensons que le changement de type « stabilité » n’est pas obligatoirement un
changement de niveau inférieur par rapport au changement « discontinuité ». Ce
sont les logiques structurelles du changement qui sont différentes. C’est pour cette
raison que nous parlerons davantage de niveau de logique structurelle pour un type
de changement donné et non pas de niveau de changement. Certains auteurs (Saint-
Jean et Seddaoui, 2013) introduisent un troisième type de changement, d’aspect
multidimensionnel, lieu d’interactions et de coproductions qui vont témoigner d’une
mutation. C’est un changement de paradigme nécessitant un processus dynamique
d’appropriation des nouvelles logiques structurelles par les acteurs pour permettre
l’émergence d’une nouvelle forme cristallisée de pratiques, acceptée de la majorité
des acteurs parce que coconstruite par et avec l’ensemble de ces acteurs. Ces diffé-
rents types de logiques structurelles du changement et les difficultés que peuvent
rencontrer les acteurs de terrain dans leur appropriation nous confortent dans l’idée
qu’un accompagnement adapté aux besoins des personnes puisse être nécessaire
pour favoriser une dynamique orientée du changement. Nous nous appuyons pour
cela sur les travaux menés dans le cadre des pratiques simulées. Plusieurs auteurs
(Rudolph et al., 2006) identifient ainsi des axes de facilitation qui doivent permettre
d’explorer et d’expliciter les raisonnements mis en œuvre afin de les valider ou de
les déconstruire pour mieux les reconstruire.

3. Contexte et problématisation
3.1. Réforme infirmière : une nouvelle logique
de professionnalisation
Les notions de compétence et d’étudiant-acteur, impulsées par la réforme infir-
mière, représentent des éléments de changement paradigmatiques, avec des logiques
nouvelles d’apprentissage. Nous partons de l’idée que ces nouveautés vont impacter
le processus de professionnalisation et solliciter l’engagement des acteurs dans la
transformation de leurs pratiques. Cela peut constituer une rupture dans la culture
professionnelle, avec un tournant décisif dans le type de professionnel futur attendu,
ce qui peut conduire à une mutation du professionnel infirmier.

3.2. Augmenter la légitimité d’un territoire d’exercice


professionnel

Le travail et le statut de la profession infirmière se sont transformés au fur et à


mesure des progrès des techniques médicales, augmentant régulièrement le niveau de
compétence et de responsabilité des infirmiers. Ce groupe professionnel rencontre
cependant des difficultés à dépasser sa fonction d’auxiliaire médicale, avec une place
prépondérante accordée à la mise en œuvre et la surveillance des prescriptions médi-
cales. Les compétences de raisonnement clinique, siège de l’autonomie de pensée

1. Selon le Dictionnaire historique de la langue française (Rey, 2006).

100 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


du professionnel infirmier, sont peu repérables dans les écrits professionnels, ce
qui renforce par défaut la valorisation de l’expertise technicienne de l’infirmière.
Si le contexte de soins actuel vient légitimer le besoin en nouvelles compétences
infirmières, la compréhension de cette logique, portée par la réforme du programme
de formation infirmière, semble difficilement accessible aux professionnels actuel-
lement en activité dans les unités de soins généraux. L’autonomie de pensée néces-
saire pour la reconnaissance d’un territoire d’exercice passe par un processus de
structuration autour de savoirs professionnels spécifiques, dont chaque infirmier
doit avoir conscience. En effet, les savoirs à la fois professionnels et disciplinaires
jouent un rôle dans la construction et le statut reconnu du professionnel : « Pour
se faire reconnaître la légitimité d’exercer, dans un champ spécifique d’activité, un
groupe professionnel doit la conquérir » (Dubar et al., 2011, p. 143). À la suite de la
réforme de la formation infirmière, nous avançons qu’une certaine temporalité est
nécessaire pour permettre l’appropriation des nouvelles logiques de professionna-
lisation et pour comprendre le modèle et les compétences du professionnel attendu.
Cela renvoie à la notion de transition de Simon (2004), cité supra, mais également
à la question de l’accompagnement de ces professionnels dans ces transformations.

3.3. Construction des compétences professionnelles


en situation de travail

Face à l’évolution continuelle des techniques, « l’adaptation de la formation aux


besoins réels des futurs professionnels est le véritable enjeu du développement des
compétences » (Leplay, 2011, p. 28). Comme le souligne Wittorski (2011, p. 7), la
professionnalisation s’inscrit dans une conception moins « adéquationniste » que
« transversaliste », avec un rapport très fort entre formation et « employabilité
permanente ». La professionnalisation va alors viser à développer des compétences
transversales transférables, « décrites comme génériques et mobilisables dans
diverses situations professionnelles » (ibid., p. 9), conférant un aspect de durabilité
des compétences des professionnels. Cela demande de s’éloigner de la conception
fonctionnaliste de la profession qui postulait que l’exercice d’une profession exigeait
« la maîtrise de savoirs et de principes théoriques, seuls capables de guider le prati-
cien dans leur application à des cas individuels » (Bourdoncle, 1994, p. 145). Accéder
à la logique de construction de compétences en situation de travail peut être une
démarche difficile pour les tuteurs. Cela interroge les capacités de ces derniers à
mettre en œuvre de nouvelles pratiques de professionnalisation des étudiants dans
des logiques d’apprentissage différentes. Mais pour pouvoir identifier des modalités
adaptées d’accompagnement du changement, il convient de considérer le décalage
entre les logiques prescrites et les moyens alloués pour amener les acteurs à s’en
saisir. En référence à Leplat (2008), nous retiendrons que la connaissance de règles
prescrites ne suffit pas à définir le contrôle d’une activité, celle-ci étant caracté-
risée par un processus de transformations constantes et dépendantes des buts que
l’opérateur a redéfinis à partir des prescriptions et de ses objectifs. Lafortune (2008)
pointe la nécessité d’accompagner les acteurs dans ce processus dynamique de prise
de conscience de l’essence même des attendus prescrits. L’efficacité du dispositif de
formation par compétence repose sur l’engagement des tuteurs dans un processus

Chapitre 7 – Fonction de tuteur : continuité, transformation ou mutation du processus de professionnalisation l 101


de changement de leurs pratiques tutorales et la compréhension de celles-ci. Cela
requiert l’idée qu’apprendre de son activité nécessite un accompagnement pour être
source de professionnalisation (Lafortune, 2008). La question du rôle du tuteur dans
le parcours de professionnalisation des étudiants infirmiers se pose alors comme
principe organisateur dans ce dispositif alternant reconfiguré.

3.4. Rôle du tuteur dans un dispositif alternant

En termes de changement, cette formation insiste sur la notion d’étudiant-acteur


pour favoriser la dynamique de construction des compétences en situation. Cela
renvoie à l’action autonome du sujet qui souhaite se former. L’action de formation
que le tuteur doit mettre en place vise la construction de compétences par l’apprenant
lui-même qui, par l’analyse réflexive sur sa pratique, doit mieux comprendre la place
de l’acquisition des actes et activités au regard de chaque compétence. Comme le
souligne Clénet (2006, p 116), « ce rôle est davantage celui d’un accompagnateur
qui, à travers les relations complexes d’un mouvement de quelqu’un vers l’autre,
vise la construction de sa nouvelle identité sociale et professionnelle ». Pour aider
à cette prise d’autonomie, le dispositif de professionnalisation doit créer la situation
de formation afin de « favoriser les conditions pour aider l’apprenant à mobiliser
ses propres ressources pour s’approprier le pouvoir sur sa formation » (ibid., p. 116).
Cela montre que le rôle de tuteur ne peut s’improviser et nécessite des compétences
à la fois pédagogiques dans l’accompagnement des étudiants mais aussi profession-
nelles dans l’expertise à gérer les situations de travail pour en repérer le caractère
apprenant. Nous voyons ici émerger un paradoxe dans la notion même de tuteur.
Selon le Dictionnaire historique de la langue française (Rey, 2006), tuteur vient du latin
tutor, tutrix, désignant un protecteur. En horticulture, le tuteur désigne une perche
soutenant un jeune arbre. Cette signification comporte l’idée de soutien nécessaire
pour aider le nouveau dans son parcours de professionnalisation et non pas celle
d’accompagnement. Ainsi, la fonction pédagogique de l’encadrant du stagiaire,
prescrite par le référentiel de formation, est mixte. Elle fait référence à la notion
de tuteur dans le soutien que peut avoir celui-ci auprès du novice dans l’apprentis-
sage des gestes du métier. Elle comporte une autre dimension formative, axée sur
l’accompagnement dans la démarche réflexive et métacognitive pour amener les
étudiants à se situer dans leur processus de professionnalisation et de formation. Si
ces deux fonctions peuvent être complémentaires, elles ne relèvent cependant pas du
même registre de compétence. Cela questionne le sens même du terme « tuteur »
utilisé dans le référentiel de formation infirmière.

4. Repères méthodologiques
Il nous a paru approprié de tenter de rendre compte en temps réel des processus
complexes de transformation des pratiques tutorales. En nous appuyant sur les
travaux de Musca (2006), nous avons choisi une approche mixte avec une étude
synchronique permettant d’étudier différentes caractéristiques des pratiques tuto-
rales observées à un moment donné, alliée à une analyse diachronique s’attachant

102 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


alors à saisir la dynamique du processus dans le temps. L’enquête exploratoire par
observations participantes a permis de recueillir des visions contrastées des pratiques
tutorales et d’identifier des éléments susceptibles d’interférer dans l’émergence de
nouvelles pratiques. Notre étude empirique s’est déroulée ensuite en deux temps
distincts, dans deux centres hospitaliers de même dimension. Nous reprenons les
différents temps et modalités de notre étude dans le tableau 4, avec les différentes
caractéristiques des structures enquêtées.

Tableau 4 – Temps et modalités de l’enquête

Premier temps de l’étude : Deuxième temps de l’étude : Troisième temps de l’étude :


observations en phase dans le centre hospitalier A dans le centre hospitalier B
exploratoire – tuteurs non formés – tuteurs formés
Deux ans et demi après le début Trois ans et demi après le début Quatre ans et demi après le
de la réforme de la réforme début de la réforme
Durée : six mois (de février à juil- Durée : quatre mois (de janvier Durée : quatre mois (de janvier
let 2012) à avril 2013) à avril 2014)
Par observations participantes Par entretiens semi-directifs col- Par entretiens semi-directifs col-
« à couvert1 » lectifs et individuels auprès de lectifs et individuels auprès de
tuteurs/infirmiers de proximité, tuteurs et infirmiers de proximité,
Les éléments observés ont guidé
de cadres de santé et de nou- cadres de santé, nouveaux diplô-
les questionnements des entre-
veaux diplômés. Particularité : més. Particularité : la fonction
tiens semi-directifs afin d’identi-
la fonction de tuteur n’est pas de tuteur est distincte de celle
fier les éléments qui ont amené
différenciée de celle de profes- de professionnel de proximité
du changement dans les pra-
sionnel de proximité2
tiques de professionnalisation
des étudiants infirmiers
Dans différentes unités de soins Dans des unités de court et de Dans des unités de court et de
et structures dans lesquelles les long séjour d’un centre hospita- long séjour (d’un centre hospi-
étudiants infirmiers sont en stage lier adossé à un institut de for- talier non adossé à un institut
mation ; les étudiants en stage de formation). Les étudiants en
sont issus du même centre de stage sont issus de quatre insti-
formation tuts différents
Avant les premières prises de Après les premières prises de Deux populations de nouveaux
fonctions des nouveaux diplô- fonctions des nouveaux diplô- diplômés – ceux qui exercent
més més. Ces professionnels sont depuis un an et demi et ceux qui
en poste depuis trois à six mois exercent depuis six mois

1. Cette forme d’observation participante est une méthode utilisée en sociologie, dans des lieux
d’enquête difficile d’accès. Elle permet d’observer « à couvert », c'est-à-dire en observant un groupe
sans que celui-ci ne soit prévenu de cette posture. Elle réclame un positionnement éthique de la part
du chercheur.
2. Les infirmiers encadrant au quotidien les étudiants ont été ainsi nommés dans le référentiel de
formation pour les distinguer de la fonction de tuteur, qui a une mission pédagogique spécifique auprès
des étudiants.

Chapitre 7 – Fonction de tuteur : continuité, transformation ou mutation du processus de professionnalisation l 103


Nous avons fait le choix de l’analyse lexicale automatisée du logiciel Iramuteq©
pour une lecture plus affinée grâce à une classification hiérarchique descendante et
une analyse factorielle des classes de discours1. Notre étude a cherché à cerner les
pratiques tutorales mises en œuvre par les tuteurs. Nous éclairerons notre analyse
par des propos illustratifs issus des différentes classes des corpus2. L’approche
synchronique de notre étude nous permet de caractériser la relation tutorale et le
processus de professionnalisation observés à un temps T. Par l’approche diachro-
nique, nous tenterons de clarifier la dynamique de changement perçue.

5. Présentation des principaux résultats


de l’enquête empirique
Pour apporter une compréhension des transformations dans le temps, nous avons
fait le choix de présenter les résultats significatifs aux tableaux 5 et 6.
Tableau 5 – Formes de pratiques tutorales identifiées aux différents temps de l’étude

Observations participantes Dans le centre hospitalier A : Dans le centre hospitalier B :


en phase exploratoire entretiens auprès entretiens auprès
de tuteurs non formés de tuteurs formés
Un rôle de tuteur mal identifié Pour les infirmiers : Pour les tuteurs et cadres :
avec un encadrement des étu- – le rôle de tuteur est comparé à – le rôle de tuteur est bien dis-
diants distribué à l’ensemble l’ancien terme de référent3 tinct de celui de professionnels
de l’équipe – pas de distinction avec le rôle de proximité
Formes de tutorat différentes des professionnels de proximité – les compétences profes-
selon les unités de soins obser- Pour les cadres qui ont reçu une sionnelles du référentiel sont
vés : information sur la réforme) : connues et les tuteurs savent à
– le rôle du tuteur est plus clair : quelles activités de soins elles
font référence
les caractéristiques du lieu de « questionner les étudiants, c’est
stage peuvent être un facteur la base de cette nouvelle forma- Pour les professionnels de proxi-
dans la forme de tutorat mise tion, mais les infirmières n’ont mité :
en place pas le temps » (extrait corpus – manque de connaissances des
cadre) éléments de la réforme. N’ont
pas eu d’informations sur la
réforme.
– les compétences ne sont pas
connues, ni les modalités d’éva-
luation

1. Nous ne pourrons pas produire ici la totalité des résultats de l’analyse de la deuxième phase de notre
étude en cours. Nous reprendrons néanmoins des propos récurrents issus d’une première analyse des
corpus.
2. Nous avons regroupé les classes de thématique similaires afin d’analyser transversalement les diffé-
rents corpus.
3. Le terme de « référent » était utilisé dans l’ancien programme pour désigner l’infirmier identifié
comme personne ressource pour l’étudiant.

104 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Observations participantes Dans le centre hospitalier A : Dans le centre hospitalier B :
en phase exploratoire entretiens auprès entretiens auprès
de tuteurs non formés de tuteurs formés
Nous voyons ici une évolution dans la compréhension des éléments de la réforme. Plus les acteurs
ont reçu des informations sur la réforme, plus ils sont à même de comprendre certains principes
prescrits.
Repérage de pratique tutorales Émergence du binôme tuteur/ Émergence d’une fonction péda-
balbutiantes – quelques formes tuteuré : besoin d’avoir « vu » gogique d’accompagnement de
de binôme tuteur/tuteuré : le l’étudiant travailler pour évaluer l’étudiant dans son parcours de
binôme semble être une forme sa compétence professionnalisation
de pratique tutorale permet- Prise de conscience de la res- Temps réguliers d’évaluation for-
tant de suivre la progression de ponsabilité du tuteur dans la mative pour réajuster le projet
l’étudiant formation des novices d’apprentissage
Apparition d’un double binôme Les tuteurs travaillent en colla-
pour diminuer « la pression » sur boration avec les professionnels
une seule personne de proximité
« L’encadrement est partagé, il Ils ont élaboré des outils de suivi
ne repose plus sur un seul soi- de l’étudiant
gnant » (extrait corpus tuteurs) Pour les professionnels de proxi-
mité :
– fonction de soutien dans l’ap-
prentissage des gestes tech-
niques
– logique de professionnalisa-
tion inchangée
– « je n’ai pas changé ma manière
de faire, j’encadre comme avant,
je lui montre le soin, je le laisse
faire et quand je vois qu’il se
débrouille, je lui confie des soins
à faire seul » (extrait des corpus
professionnels de proximité)
Le binôme est la forme la plus répandue dans les pratiques tutorales ; il est basé sur une logique
de professionnalisation centrée sur l’apprentissage des gestes du métier. Dès lors que les infirmiers
sont formés, ils s’inscrivent davantage dans une démarche d’accompagnement, avec un regard sur
la progression et la réflexion de l’étudiant. Le rôle réel de tuteur est réalisé par les professionnels
de proximité qui « soutiennent » les novices dans l’apprentissage des gestes du métier.

Chapitre 7 – Fonction de tuteur : continuité, transformation ou mutation du processus de professionnalisation l 105


Tableau 6. Évolution de la posture du tuteur aux différents temps de l’étude

Observations participantes Dans le centre hospitalier A : Dans le centre hospitalier B :


en phase exploratoire entretiens auprès entretiens auprès
de tuteurs non formés de tuteurs formés
Des temps de dialogue sponta- Rôle d’évaluateur du tuteur : Activité pédagogique du tuteur
nés tuteur/tuteuré sont identifiés – « c’est celui qui a été désigné nécessitant des qualités : la
par les acteurs comme des temps pour remplir le portfolio » (cor- patience, l’expertise du métier,
d’apprentissage pus tuteurs) des capacités d’analyse
Mais aussi : Attente forte de l’ensemble
– soutien dans l’apprentissage des infirmiers d’un niveau de
Certains tuteurs, informés sur les
des soins techniques connaissances avec des évalua-
attendus de la réforme, semblent
– exigences de connaissances sur tions de connaissances écrites,
plus à même de proposer une
les traitements et pathologies réalisées en début et fin de stage
nouvelle logique d’encadrement
Les nouveaux diplômés ont une Les tuteurs s’appuient sur les
approche de démarche réflexive résultats de ces évaluations pour
avec les étudiants : demander aux étudiants de faire
– « ce que j’attends d’un étudiant, des recherches ciblées sur des
c’est qu’il comprenne ce qu’il pathologies ou des traitements
fait et pourquoi il le fait. Alors spécifiques
je l’amène à se questionner et à
Prise de conscience de la res-
faire des recherches » (extrait des
ponsabilité du tuteur dans la
corpus des nouveaux diplômés)
formation des étudiants : « de
voir leur manque de technique
et de réflexion clinique, cela a été
un élément déclencheur d’une
prise de conscience plus grande
de leur rôle dans la formation de
leurs pairs » (extrait corpus cadre)
Lien possible entre la manière Les éléments nouveaux de for- Changement dans la posture
dont les tuteurs se saisissent des mation sont appréhendés à de tuteur dès lors qu’ils ont eu
éléments de la réforme et le fait travers les explications des étu- la formation : « depuis la forma-
que ces tuteurs aient reçu ou non diants et l’évaluation des compé- tion, j’ai mieux compris ce rôle
une information sur les attendus tences de l’étudiant ; cela amène d’accompagnement dans la pro-
de la réforme des questionnements de la part gression de l’étudiant dans son
des infirmiers apprentissage (extrait des corpus
des tuteurs)
La notion de formation (que ce soit la formation des nouveaux diplômés ou la formation au tutorat)
apparaît comme un facteur de changement de pratique : les logiques de professionnalisation de ces
acteurs se sont modifiées par rapport à celles des infirmiers non formés pour lesquelles on ne note
pas de transformation. Les interactions avec les étudiants (obligation de valider des compétences,
remplissages du portfolio) semblent aussi favoriser un questionnement, source de changement.

106 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Observations participantes Dans le centre hospitalier A : Dans le centre hospitalier B :
en phase exploratoire entretiens auprès entretiens auprès
de tuteurs non formés de tuteurs formés
Le soutien de l’institution dans Les infirmiers ne sont pas tous La démarche de formation au
cette démarche apparaît comme volontaires pour être tuteurs. tutorat est soutenue par la direc-
fondamental dans la dynamique La plupart le font par obliga- tion des soins.
de tutorat instaurée tion. C’est le cadre qui désigne Les tuteurs sont volontaires et
le tuteur. Pas de formation au reconnus dans leur fonction au
tutorat débutée sein de leur équipe : « l’équipe
s’appuie beaucoup sur le tuteur
car elle sait que c’est lui qui en
a la responsabilité » (extrait cor-
pus cadres)
Les notions d’engagement et de soutien de l’institution apparaissent comme déterminantes dans
le processus de changement.

6. Quelques commentaires
La notion de changement « situé » apparaît primordiale au regard de la place
qu’occupent les interactions avec l’environnement dans le processus dynamique du
changement. Le soutien apporté aux acteurs de terrain par l’institution, les moyens
mis en œuvre pour diffuser l’information concernant les prescriptions, les politiques
de formation et d’accompagnement sont autant de facteurs pouvant jouer un rôle
dans l’appropriation de nouvelles logiques.

6.1. Liens entre informations et changement de pratique


Une première logique de changement se concrétise dans cette étape incontournable
que sont la diffusion et la qualité de l’information sur les nouvelles modalités de
formation, pour enclencher un processus de questionnements, source de change-
ment. Cependant, quand le niveau de compréhension d’une situation est faible, les
acteurs sont davantage soumis à une plus grande directivité (Rudolph et al., 2006)
et ne modifient pas en profondeur leurs pratiques. Les acteurs construisent leurs
pratiques à partir de la compréhension qu’ils ont des éléments d’information. À travers
le binôme tuteur/tuteuré, les tuteurs de la structure A ont développé une forme de
pratique tutorale qui marque bien un tournant dans leurs pratiques d’encadrement
antérieures. Elle émane de la nécessité que mettent en avant ces tuteurs, d’avoir vu
l’étudiant en situation pour pouvoir évaluer ses compétences. Mais les tuteurs n’ont
pas remis en question en profondeur leurs pratiques d’encadrement antérieures
pour engendrer un réel changement de logique. Ils s’appuient sur leurs représenta-
tions de l’apprentissage et de l’évaluation, en référence à leur propre formation. Ils
attendent que les étudiants aient des connaissances théoriques et pratiques, et restent
sur un mode applicationniste des savoirs. Nous pouvons voir, comme le souligne
Lafortune (2008), qu’une personne peut être en faveur du changement mais tentera

Chapitre 7 – Fonction de tuteur : continuité, transformation ou mutation du processus de professionnalisation l 107


prioritairement « de préserver un certain équilibre entre les pratiques antérieures
et celles qui respectent les fondements du changement » (p. 2). Il ne peut y avoir
de saut de logique et nous assistons alors à une stabilité du système de pratiques.

6.2. Réflexivité pour un changement durable


Dans la structure B, nous assistons davantage à une cohabitation de différentes formes
de pratiques tutorales. Les tuteurs formés se sont appropriés certaines logiques de la
réforme, notamment celle de l’étudiant-acteur et de parcours de professionnalisation
mettant l’étudiant dans une posture d’apprenant. Le saut de logique a pu se faire
par les connaissances reçues sur la réforme lors de la formation mais aussi par la
confrontation avec les manques de certains nouveaux diplômés dans les mois qui ont
suivi la prise de fonctions. Ce sont des éléments qui ont pu amener à une réflexivité
sur leurs propres pratiques de professionnalisation. Une logique différente émerge
avec la structuration d’une nouvelle figure de la relation tutorale. Nous pouvons
caractériser cela de changement de type 2, en référence aux auteurs cités supra, car il
y a un saut de logique par rapport à la posture des tuteurs. Ceux-ci s’inscrivent dans
une démarche d’accompagnement de la professionnalisation et ont su se distancer
du rôle de soutien dans l’apprentissage des gestes du métier qu’ils estiment être du
rôle des professionnels de proximité. Nous voyons ici toute l’ambivalence du terme
de tuteur qui finalement désigne ici plutôt le rôle des professionnels de proximité.

6.3. Temporalité et changement


Le niveau réel de logique de changement des pratiques tutorales de la structure
B nous interroge. Nous sommes face à des transformations de pratiques avec des
formes de logiques nouvelles mais avec, en toile de fond, des représentations très
ancrées de pratiques anciennes. Les tuteurs restent dans une logique de contenu et
confondent le questionnement d’une démarche réflexive avec le questionnement
soutenant la réflexion de mise en lien de connaissances théoriques. Nous pouvons
avancer que les acteurs ont besoin de procéder par étapes et par cristallisation de
formes de pratiques tutorales pouvant encore se transformer. Nous sommes dans
une spirale du changement, avec des sauts de logique qui ne peuvent se faire que
par phases d’appropriation et d’équilibration, mais aussi par de nouvelles étapes de
prise de conscience de sens de ces pratiques. Nous pensons que le changement du
niveau de logique annonçant une mutation des pratiques tutorales ne pourra se voir
que dans une temporalité plus grande.

6.4. Accompagnement du changement


En raison du manque de compréhension des logiques de la pratique réflexive et du
maintien dans une approche applicationniste et de contenu, la construction des
compétences des nouveaux infirmiers peut être entravée et limiter, voire diminuer,
la professionnalité future des infirmiers issus de cette réforme, comme l’évoquent
les travaux de Nadia Péoc’h (voir le chapitre présenté dans cet ouvrage). L’idée
d’accompagnement devient un véritable enjeu en termes de professionnalisation

108 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


pour soutenir les acteurs dans cette dynamique de changement. Une première
forme d’accompagnement, incontournable, peut se situer dans la communication
d’une information claire pour favoriser le changement de pratiques professionnelles.
Une deuxième forme d’accompagnement peut s’apparenter à un accompagnement-
formation comme celui proposé par Louise Lafortune (voir le chapitre dans cet
ouvrage), permettant de soutenir ces phases d’appropriations successives par une
démarche réflexive-interactive

À retenir
Le changement de logique est nécessaire pour un changement de pratiques profession-
nelles durables :
− les acteurs de terrain sont les véritables constructeurs des pratiques nouvelles, en
interactions avec leur environnement ;
− le changement est un processus d’appropriation qui passe par l’information et néces-
site une prise de conscience du sens de sa pratique et du changement auquel l’acteur
accepte d’adhérer ;
− le changement peut être de plusieurs types, suivant la forme de logique structurelle
initiée ;
− un acteur a besoin d’être d’accompagné dans le changement pour prendre conscience
de la logique structurelle de son système de pratiques.
Deux formes d’accompagnement pour changer existent :
− une diffusion claire et fiable des informations aux acteurs sur les éléments prescriptifs ;
− un accompagnement dans le sens à donner aux pratiques nouvelles qui émergent.

Questions de discussion
Les organisations de soins actuelles sont-elles prêtes à accepter l’émergence d’un nouveau
corps de métier représenté par le tuteur de stage ?
Le rôle paradoxal du tuteur dans cette fonction pédagogique d’accompagnement dans
la professionnalisation des novices peut-il constituer un frein au développement de
pratiques durables ?

Lectures pour aller plus loin


Pour mieux comprendre les phénomènes liés au changement en formation, se référer à
Bedin (2013), et à Saint-Jean et Lafortune (2014).

Bibliographie
Abernot, Y., Eymery, C. (2013). « Le changement en éducation et formation : un
mot à la mode, une réalité socioéducative, une préoccupation scientifique ? » In :
Conduite et accompagnement du changement. Contribution des sciences de l’éducation.
Paris : L’Harmattan, pp. 53-67.

Chapitre 7 – Fonction de tuteur : continuité, transformation ou mutation du processus de professionnalisation l 109


Alter, N. (2000). L’Innovation ordinaire. Paris : PUF, coll. « Quadrige ».
Baluteau, F. (2003). École et changement, une sociologie constructiviste du changement.
Paris : L’Harmattan.
Bedin, V. (2013). Conduite et accompagnement du changement : contribution des sciences
de l’éducation. Paris : L’Harmattan
Bourdoncle, R. (1994). L’Université et les professions : un itinéraire de recherche sociolo-
gique. Paris : L’Harmattan.
Clénet, C. (2006). L’accompagnement de l’autoformation expérientielle. In : Bézille, H.,
Courtois, B., Penser la relation expérience-formation, Chronique sociale, pp. 113-127.
De Terssac, G. (2003). « Travail d’organisation et travail de régulation ». In : La
Théorie de la régulation sociale de Jean Daniel Reynaud, Paris : La Découverte, pp.
121-134.
Dubar, C., Tripier, P., Boussard, V. (2011), Sociologie des professions, Paris : Armand
Colin.
Fraysse, B., Becerril, R., Murillo, A. (2011). In : Maubant, P., Clénet, J., Poisson, D.,
Débat sur la professionnalisation des enseignants : les apports de la formation des adultes,
Canada : Presses de l’université du Québec, pp. 89-107.
Kunégel, P. (2011). Les Maîtres d’apprentissage : analyse des pratiques tutorales en situation
de travail. Paris : L’Harmattan.
Lafortune, L. (2006). « Leadership pédagogique dans le context d’un renouveau :
compétences et programme de formation ». Le point en administration scolaire, 8(3),
pp. 10-14.
Lafortune, L. (2008). Un modèle d’accompagnement d’un changement pour un leadership
novateur. Québec : Presses de l’université du Québec.
Leplat, J. (2008). Repères pour l’analyse de l’activité en ergonomie. Paris : PUF.
Leplay, E. (2011). « La professionnalisation, entre compétences et savoirs profes-
sionnels : un exemple en travail social ». Éducation permanente, 188, pp. 67-82.
Muscat, G. (2006). « Une stratégie de recherche processuelle : l’étude longitudinale
de cas enchâssés ». Management, 9, pp. 153-176.
Piaget, J. (1968). La naissance de l’Intelligence chez l’enfant. Paris et Neuchâtel : Dela-
chaux et Niestlé.
Rey, (2006) Dictionnaire historique de la langue française. Paris : Le Robert.
Rudolph, J., Simon, R., Dufresne, R., Raemer, D. (2006). “There’s no such thing as
« nonjudgmental » debriefing : a theory and method for debriefing with good judgment”.
Simulation in Healthcare, 1, pp. 49-55.
Saint-Jean, M., Lafortune, L. (2014). « L’accompagnement du changement en
formation ». Les dossiers des sciences de l’éducation, 31.

110 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Saint-Jean, M., Seddaoui, F. (2013). « Le concept de développement en question dans
l’approche des différents niveaux de changement ». In : Conduite et accompagnement du
changement. Contribution des sciences de l’éducation. Paris : L’Harmattan, pp. 181-194.
Simon, L. (2004). « Accompagner le changement en éducation : analyse d’une
pratique de recherche-formation ». In : Pelletier, G., Accompagner les réformes et les
innovations en éducations, Paris : L’Harmattan, pp. 237-268.
Tilman, F. Ouali, N. (2001). Piloter un établissement scolaire. Bruxelles : De Boeck.
Watzlawick, P., Weakland, J., Fisch, R. (1975). Changements : paradoxes et psychothé-
rapie. Paris : Le Seuil.
Wittorski, R. (2011). « Les rapports entre professionnalisation et formation ».
Éducation permanente, 188, pp. 5-9.

Chapitre 7 – Fonction de tuteur : continuité, transformation ou mutation du processus de professionnalisation l 111


CHAPITRE 8
Des principes
d’accompagnement-formation
pour la mise en œuvre de
changements dans le domaine
de la santé1
Louise Lafortune

1. Introduction
La situation de la formation dans les domaines de l’éducation et de la santé exige
le développement de compétences professionnelles pour les personnes formatrices
et celles qui sont en formation. Considérant un certain manque de formation pour
accompagner la mise en action de telles compétences, les milieux de pratique se
mobilisent pour améliorer leurs compétences pédagogiques. Dans le cadre d’un
projet d’accompagnement-formation, des milieux de formation (Hautes Écoles de
Belgique) ont mis en œuvre des structures organisationnelles pour favoriser des
actions concertées en sciences de la santé, particulièrement en soins infirmiers et
dans le secteur paramédical. Il s’agit de se former dans une démarche réflexive. Des
actions de quatre institutions de formation ressort un modèle d’accompagnement-
formation (Lafortune et al., 2012a) se déclinant selon les caractéristiques des milieux.
La structure de ce modèle comporte 17 principes dont sept sont présentés ici :
• avoir une perspective réflexive-interactive (Lafortune et al., 2008b) ;
• passer des impressions à l’analyse (Altet, 2002 ; Champy-Remoussenard, 2003 ;
Périer, 2009 ; Lafortune et al., 2012b) ;
• viser à « faire faire » au lieu de faire, à « faire dire » au lieu de dire, à « faire
construire » au lieu de construire pour l’autre ;
• assurer une écoute sans préjugés ou idées préconçues ou jugements de valeur ;
• tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive et profes-
sionnelle ;
• associer la recherche à un projet de formation-accompagnement ;

1. Ce texte comprend plusieurs extraits adaptés de Lafortune et al. (2012b).

Chapitre 8 – Des principes d’accompagnement-formation pour la mise en œuvre de changements l 113


• donner une place à la pratique réflexive dans la formation-accompagnement
(Donnay et Charlier, 2006 ; Lafortune et al., 2008a ; 2008b ; Perrenoud, 2003).

2. Sens de la démarche « réflexive-interactive »


La démarche réflexive-interactive dans les domaines des sciences de l’éducation et de
la santé est un processus de mise à distance sur ses apprentissages (métacognition), ses
pratiques professionnelles (pratique réflexive), ses jugements clinique, professionnel,
critique et éthique, qui suppose réflexion et interaction, prise de décision, analyse
et synthèse. Elle contribue au développement de compétences professionnelles et
s’exerce dans tous les types de cours dans le domaine de la santé : théoriques ou
conceptuels, pratiques, stages et de synthèse. Elle comporte cinq composantes (voir
Lafortune et al., 2012a, pour plus d’explications) :
• prise en compte de tous les moments de l’action : avant l’action (planification,
anticipation), au début de l’action (introduction, entrée en communication),
pendant l’action (agir et se regarder agir), à la fin de l’action (finalisation d’un
apprentissage ou d’une tâche), après l’action (retour sur l’action, ajustements
envisagés pour une autre fois) ;
• problème ou problématique à cerner, à prendre en considération, à analyser, à
résoudre ;
• réflexion pour prendre du temps, pour observer (auto-observer), pour évaluer
(autoévaluer) ;
• réflexion individuelle et collective pour une mise à distance (faire et se regarder
faire) et un regard critique (le sien et celui des autres) ;
• moyens à se donner pour garder des traces de la démarche, des actions posées
pour un meilleur retour sur les actions.
Cette démarche réflexive-interactive est mise en action sur la base de principes, dont
sept sont présentés ici. L’association réflexion-interaction (avec un trait d’union)
suppose qu’une réflexion peut se faire seule mais qu’elle risque peu de mener à des
changements majeurs. Elle bénéficie de confrontations avec les idées des autres dans
le cadre de discussions suscitant des remises en question en fonction des orientations
des changements à mettre en œuvre.

3. Avoir une perspective réflexive-interactive


Dans les débuts de mon travail pour rendre plus réflexives-interactives les approches
pédagogiques utilisées, j’utilisais davantage les termes « métacognition » et « socio-
constructivisme ». Tout en étant des termes associés aux fondements des réformes
actuelles en éducation et en formation dans différents domaines comme celui de
la santé, ils n’étaient pas toujours bien acceptés. C’est dommage à dire mais, avec
le temps, j’ai pensé qu’il valait mieux que ces fondements soient mis en place dans
leur sens profond et que les termes utilisés n’étaient pas importants. C’est alors que
j’ai commencé à associer les termes « réflexif-interactif » pour remplacer ceux de

114 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


« métacognition-socioconstructivisme ». Pour moi, il est important ici de dire que
ce sont des associations que je fais et qui ne reflètent pas nécessairement ce que tous
les auteurs et auteures pensent.
Avoir une perspective réflexive-interactive consiste à mettre en place une approche
pédagogique où les personnes apprenantes sont régulièrement placées en situation de
réflexion sur leurs pratiques pédagogiques et professionnelles (pratique réflexive) et
sur leur processus d’apprentissage (métacognition) (Lafortune et Deaudelin, 2001).
Cela signifie également qu’elles sont aussi mises en interaction avec d’autres, collè-
gues ou pairs, afin de structurer leurs apprentissages par des remises en question,
des confrontations, des discussions et des interrogations, c’est-à-dire en vivant des
conflits sociocognitifs qui se veulent être un état de déséquilibre cognitif provoqué
par des interactions sociales afin de remettre en question certaines conceptions ou
apprentissages (Lafortune et Deaudelin, 2001).
Dans l’action, cela ne veut pas dire qu’il ne peut y avoir de cours sous la forme
d’exposés, mais le cours magistral ne répond pas à cette perspective. Il s’agit plutôt
de le remplacer par des exposés réflexifs-interactifs. Cela veut également dire qu’un
cours qui débute par une activation de connaissances antérieures se poursuit par
des liens à faire régulièrement entre la théorie et les idées apportées par le groupe.
Cela se concrétise par le fait de questionner, d’interagir, de réfléchir, de rétroagir,
en visant à faire émerger la théorie ou les concepts tout en favorisant les échanges,
la confrontation des idées et la communication réflexive-interactive. Les prises de
conscience sont suscitées par le questionnement, les moments de réflexion, l’interac-
tion, la rétroaction et la coconstruction, et incitent à progresser dans l’apprentissage
et à passer à des actions qui démontrent sa progression.
L’intégration de cette perspective réflexive-interactive ne peut se limiter à faire
compléter une fiche réflexive1. C’est l’ensemble de la formation qui mérite d’être
pensée selon cette optique. Il s’agit donc d’avoir des activités réflexives préparées,
mais aussi d’intégrer des moments de réflexion de manière spontanée selon ce qui
se passe en formation. Aussi, il est important d’utiliser le contenu des documents
complétés ou des moments de réflexion pour faire des liens avec l’ensemble des
contenus théoriques et de la formation. Enfin, cette perspective réflexive-interactive
s’insère dans tous les types de cours et ne se limite pas aux activités d’intégration
professionnelle ou les stages.

4. Passer des impressions à l’analyse tout


en augmentant le degré de réflexivité
Passer des impressions à l’analyse tout en augmentant le degré de réflexivité est
un principe qui rejoint autant les cours théoriques que ceux reliés à la pratique.
Trop souvent, lors de rencontres individuelles ou de petits groupes, il est demandé
1. L’expression « fiche réflexive » est utilisée pour signifier un document d’animation pédagogique qui
exige d’écrire ses idées à partir de questions réflexives, d’un tableau à compléter, de phrases à compléter,
d’un questionnaire, d’énoncés à prioriser, d’expressions demandant le sens de concepts, d’activation de
connaissances antérieures, etc.

Chapitre 8 – Des principes d’accompagnement-formation pour la mise en œuvre de changements l 115


« comment cela s’est-il passé en stage ? » et les réponses sont brèves et superficielles.
Elles comportent très souvent des impressions comme « cela s’est bien passé » ou
« ça a bien été » ou « tout le monde a aimé cela » ou « il y a eu une grande satis-
faction ». Et quand viennent les questions « pourquoi », « quelles sont les causes
de ce succès ? », il est difficile pour les personnes apprenantes de répondre. De
plus, dans plusieurs référentiels de compétences récents en sciences infirmières,
par exemple, la question de l’analyse revient souvent. Pour devenir un être compé-
tent, il est primordial de savoir analyser, mais que veut dire « analyser ». L’analyse
est une habileté de pensée complexe et elle s’apprend. Elle est également mise en
relation avec la synthèse. Dans le travail d’accompagnement-formation d’équipes
dans le domaine de la santé, une grille nommée IDEA (impressions ; description ;
explication ; analyse) s’est affinée en cours d’action. Cette grille a été transposée à
la formation dans le domaine de la santé, plus spécifiquement en soins infirmiers.
La voici plus en détails.

4.1. Impressions
Les impressions ont un rôle dans le processus réflexif tout en considérant qu’il est
nécessaire de les dépasser et de pouvoir les revoir ou les soumettre au regard des
autres. Si elles sont associées à des intuitions superficielles, elles peuvent mener
à des préjugés, idées préconçues, jugements de valeur. Elles servent de base aux
autres étapes de la grille qui exigent un approfondissement de la réflexion. Les
impressions sont généralement associées aux perceptions, interprétations rapides
ou jugements hâtifs qui sont parfois justes et parfois assez différents de ce qui se
passe, se fait ou se dit.

4.2. Description
La description paraît souvent facile lorsqu’elle est demandée. Cependant, décrire une
situation pour qu’une autre personne sache ce qui s’est effectivement passé n’est pas
aussi simple qu’il n’y paraît. Ce qu’une personne a réalisé lui paraît souvent évident,
mais pour celle qui écoute et tente de se représenter ce qui s’est passé, cela n’apparaît
pas toujours aussi clair. Trop souvent une description est parsemée d’impressions
tout en sachant que ces dernières aident à la description. Les descriptions sont
généralement associées aux énumérations, aux présentations, aux identifications.
Elles exigent des habiletés d’observation et d’auto-observation.

4.3. Explication
Les explications aident à comprendre pourquoi il y a eu un tel choix fait dans une
circonstance particulière. Elles exigent d’avoir en tête la situation, d’avoir pu la décrire.
De plus, les explications données ne peuvent être superficielles, elles comportent
des éclaircissements, des justifications solides qui aident à comprendre ce qui s’est
passé, la façon dont les apprentissages se sont réalisés, les raisons des ajustements
ou les explicitations des actions choisies. Des explications résulte la compréhension,
car cela unifie les causes et les effets.

116 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


4.4. Analyse
L’analyse est « une opération qui consiste à décomposer, concrètement ou en
pensée, un tout (objet, phénomène, communication, etc.) en ses éléments constitu-
tifs en cherchant à établir la hiérarchie et les rapports existant entre ces éléments »
(Legendre, 2005, p.60). Elle consiste à examiner une situation, un concept, une action,
en dégageant leurs éléments essentiels afin de comprendre les liens, les manifesta-
tions, les causes, les conséquences, les difficultés, les réussites, afin de pouvoir se
donner un schéma de l’ensemble (partir du tout et le décomposer). Ici, l’analyse est
grandement associée à l’analyse de sa pratique qui consiste à examiner ses actions
(interventions, approches, stratégies, formations, etc.), ses compétences, habiletés,
connaissances, attitudes, valeurs, pour comprendre les liens, les manifestations, les
causes, les conséquences, les difficultés, les réussites, et de pouvoir se donner une
représentation de sa pratique dans une visée de cohérence (Lafortune et al., 2008a ;
2008b). L’analyse vise la modélisation (Altet, 2002), la conceptualisation de l’action
(Champy-Remoussenard, 2003) et la capacité de dégager les ressources nécessaires
et disponibles (Périer, 2009). Les analyses sont généralement associées aux mises en
relation, aux comparaisons, aux observations et auto-observations, aux évaluations
et autoévaluations, et même aux descriptions, explications et argumentations.

5. Viser à « faire faire » au lieu de faire, à « faire


dire » au lieu de dire, à « faire construire »
au lieu de construire pour l’autre
Le présent principe qui consiste à viser à « faire faire » au lieu de faire, à « faire
dire » au lieu de dire, à « faire construire » au lieu de construire pour l’autre vient de
la constatation que plusieurs personnes accompagnatrices-formatrices-enseignantes
(PAFE1) ont tendance à « dire comment faire », à transmettre des connaissances ou à
donner des conseils. Pourtant, plusieurs se rendent bien compte que « dire quoi faire
ou comment faire » ne donne pas les résultats voulus. Et cela n’est pas surprenant
car, dans une perspective socioconstructiviste, il est entendu que chaque personne
structure ses connaissances, habiletés ou attitudes selon où elle est dans son appren-
tissage. Il importe donc de tenir compte de ce fondement de l’apprentissage. Aussi,
par exemple, « donner des conseils » se fait à partir de sa propre expérience et non
pas de celle de la personne apprenante. Il est important de mener cette dernière à
« penser aux conseils qu’elle se donnerait », à ceux qu’elle pourrait mettre en action.
Il est vrai que, dans l’action, plusieurs ont tendance à penser qu’il est plus rapide de
faire ou de dire. À court terme, cela apparaît juste mais, à long terme, ce n’est pas
très valable. Considérer la valeur des fondements du socioconstructivisme, c’est
accepter que l’apprentissage prenne du temps, mais une fois qu’il y a intégration et
compréhension de ces apprentissages, c’est pour longtemps. Cependant, même si,
généralement, faire faire est préférable à dire quoi faire, faire dire est préférable à

1. L’expression PAFE signifie que toutes personnes en situation de formation ou d’accompagnement


sont visées par les principes énoncés dans le présent texte.

Chapitre 8 – Des principes d’accompagnement-formation pour la mise en œuvre de changements l 117


dire. Utiliser son jugement est toutefois nécessaire pour choisir quoi faire faire, de
quelle façon et pendant combien de temps.

6. Assurer une écoute sans préjugés ou idées


préconçues, ou jugements de valeur
Il est certain qu’écouter une personne parler de son expérience de stage ou de la
façon dont elle étudie mène à une certaine évaluation, interprétation ou perception
du résultat de l’apprentissage. C’est humain d’écouter et de se demander « est-ce
que je le ferais de la même façon ? » ou « comment puis-je l’aider pour que cela
se déroule mieux une prochaine fois ? ». Cependant, cette écoute devrait se faire
pour tenter d’aider l’autre personne à mieux travailler ou à mieux apprendre, en
fonction de son processus d’apprentissage et non pas en fonction de « comment je
pense que l’autre devrait le faire ? ». Cette dernière façon de penser finit par donner
l’impression que des jugements de valeur sont portés, ce qui freine la verbalisation
des pensées ou actions des personnes accompagnées ou apprenantes.
Lorsqu’il y a intervention auprès de groupes de collègues ou d’étudiantes et d’étu-
diants, il est rare de s’interroger sur ce qui influence l’intervention ou l’accompa-
gnement, les façons de faire, les attitudes, les comportements. Dans la perspective
de l’utilisation de moyens réflexifs-interactifs, de moyens qui font réfléchir autant
la personne intervenante qu’apprenante, qui les mettent en interaction, il devient
important de discuter de ce qui peut avoir une influence sur ses actions. Les questions
suivantes servent d’amorce à la réflexion collective avec des collègues du domaine de
la santé : « comment agissez-vous lorsque vous pensez qu’une personne apprenante
a des difficultés ? » ; « comment agissez-vous lorsque vous pensez qu’une personne
apprenante a des facilités ? ». Ces questions se transposent assez facilement auprès
de stagiaires : « comment réagissez-vous lorsqu’un patient refuse un traitement ? » ;
« comment réagissez-vous lorsque vous pensez avoir bien fait et que des reproches
vous sont adressés ? ».
Il est intéressant et même important de réfléchir collectivement aux réponses possibles
à ces deux questions ou de réfléchir à ses propres réponses avant de regarder les
réponses fournies par les membres d’un groupe ou des étudiants et étudiantes. Même
si toutes les actions sont réalisées pour aider les personnes apprenantes, mais sans
s’en rendre compte, elles peuvent nuire à des personnes qui comprennent les diffé-
rences d’agissement et croient que la confiance en leur réussite n’est pas présente ou
qu’ils ne font pas face à des défis à la mesure de leurs capacités. Dans une expérience
réalisée auprès de personnes formatrices à l’éducation des adultes, il est ressorti que
pour aider des adultes que l’on croit en difficulté, les moyens choisis sont plutôt du
type « aider à faire » et que les moyens pour aider des personnes que l’on pense très
capable de réussir sont du type « considérer comme des personnes aidantes pour
les autres ». Dans la perspective d’une pratique réflexive, cela se concrétise par une
réflexion sur les stéréotypes et les préjugés que l’on véhicule ou que d’autres perpé-
tuent. Comment contrer ses propres préjugés ; comment agir lorsque des collègues

118 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


perpétuent des stéréotypes. En ce sens, il est nécessaire d’éviter la catégorisation,
l’étiquetage, la généralisation.

7. Tenir compte de la dimension affective dans


une perspective cognitive et professionnelle
La prise en compte de la dimension affective dans la formation-accompagnement
vers la démarche réflexive et le développement de compétences est nécessaire pour
comprendre les réactions affectives qui émergent en situation de changement, surtout
si ce dernier suscite des déséquilibres cognitifs et des remises en question qui peuvent
être fondamentales. Dans une relation professionnelle, particulièrement dans le
domaine de la santé, la prise en compte de la dimension affective est abordée dans
une perspective cognitive. Cela signifie comprendre ce qui se passe dans l’action,
en évitant de se laisser envahir par les réactions affectives qui émergent, exercer
une certaine mise à distance afin de réagir en faisant des choix éclairés qui gardent
une continuité et une cohérence à l’ensemble de la démarche. Cette perspective
suppose une connaissance de soi en situation émotionnelle intense, une anticipation
des réactions affectives lors de la préparation d’une intervention et une prévision
d’ajustements possibles dans l’action.
Comprendre les réactions affectives implique autant la dimension cognitive qu’affec-
tive. C’est une expertise qui se développe en situation tout en y alliant la théorie.
La compréhension des réactions affectives en action et la reconnaissance des
manifestations (les siennes et celles des autres) permettent de mieux comprendre
les résistances des personnes qui sont accompagnées et de réguler son action en
conséquence (Lafortune et Lepage, 2007).
La PAFE joue alors différents rôles qui l’amènent à agir, à observer ce qu’elle fait,
à réguler dans l’action, à modeler son action, à susciter des prises de conscience de
ce qu’elle fait et à montrer des façons de transposer ce modelage dans les actions
des personnes apprenantes. La mise en action de ces rôles influence les actions
pédagogiques. Une analyse des interventions réalisées dans un projet de forma-
tion-accompagnement (Lafortune et al., 2004) fait ressortir trois niveaux (pour plus
d’explications, voir Lafortune et al., 2005) liés à la prise en compte de la dimension
affective : la présence affective ; le modelage affectif et l’instrumentation affective.
Ces trois niveaux s’expliquent comme suit :
• présence affective : tenir compte de la dimension affective auprès des personnes en
formation, pour intervenir dans le paramédical, par exemple. Ce premier niveau
fait référence aux interventions qui font en sorte que la dimension affective de ces
personnes est prise en compte directement. Cela se traduit par le fait de s’ajuster
immédiatement lorsque des découragements ou des plaisirs sont observés ;
• modelage affectif : montrer que l’on tient compte de la dimension affective. Ce
deuxième niveau fait référence à une mise à distance effectuée dans l’action afin
que les personnes apprenantes prennent conscience que la dimension affective est
prise en compte et pour que ces personnes puissent mieux en tenir compte dans
leurs actions professionnelles (par exemple dans l’enseignement ou en stage). Dans

Chapitre 8 – Des principes d’accompagnement-formation pour la mise en œuvre de changements l 119


la formation-accompagnement, cela veut dire montrer que l’on est en train de
s’ajuster dans l’action compte tenu des perceptions des interactions qui ont cours
dans le groupe. C’est une sorte de verbalisation de ses actions pour les expliquer,
les rendre conscientes aux personnes en formation ;
• instrumentation affective : donner des idées pour tenir compte de la dimension
affective dans des actions ultérieures. Ce troisième niveau fait référence à des idées
d’intervention fournies dans l’action en faisant des liens avec ce qui est réalisé dans
l’immédiateté. Par exemple, donner des moyens de s’ajuster dans l’action lorsque
des situations difficiles se présentent ou des ouvertures à partager. C’est en quelque
sorte fournir des moyens de tenir compte de la dimension affective en s’assurant
que ces derniers ont du sens et sont rattachés à ce qui s’est passé ou se passe.
Tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive et profession-
nelle suppose d’exposer la situation, de la décrire, de reconnaître les composantes de
la dimension affective en cause, de pouvoir énoncer les causes et les conséquences
de ce qui se déroule ou s’est déroulé dans l’action. Bien reconnaître ce qui se passe
mène à se donner des moyens de prendre en compte les réactions affectives qui
émergent et à pouvoir tirer profit de l’expérience afin d’adapter les solutions à d’autres
contextes en fonction de ses propres réactions affectives, de celles des autres et de
celles qui émergent de l’interaction. Tenir compte de la dimension affective dans
une perspective cognitive suppose une compréhension de l’ensemble de la situation
afin d’exercer une mise à distance qui permet d’agir de façon adéquate pour favoriser
l’apprentissage ou le changement (Lafortune et al., 2012b).

8. Associer la recherche à un projet de formation-


accompagnement
De façon générale, les personnes en formation ne saisissent pas toujours la perti-
nence ni l’utilité d’intégrer un volet « recherche » à une démarche de formation-
accompagnement, dans le domaine de la santé par exemple. Il peut parfois être
difficile de comprendre l’effet dynamique exercé par la recherche dans le déve-
loppement et l’évolution professionnelle de personnes engagées dans ce genre de
démarche. En revanche, en examinant le rôle de la recherche, on se rend compte
à quel point celle-ci peut exercer une influence déterminante dans l’accompagne-
ment d’un changement majeur. Dans l’action et avec le temps, les résultats d’une
collecte et d’une analyse de données, recueillies auprès de plusieurs personnes qui
participent activement à la formation, contribuent à la construction d’une vision
partagée du changement puisqu’ils sont en quelque sorte la mémoire de la démarche
qui témoigne des échanges, de la réflexion et du cheminement de l’ensemble des
personnes engagées dans cette démarche. De plus, la recherche aide les PAFE et
les personnes en formation à confronter leurs perceptions, croyances, ou encore à
les conforter et à assurer ainsi un cheminement vers une autonomie intellectuelle.
En ce sens, le volet recherche ne peut se résumer à la passation de questionnaires
dont les résultats sont compilés, analysés et interprétés par une équipe de recherche
universitaire avec peu de retour auprès des personnes et groupes participants. Dans

120 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


un projet de formation-accompagnement, la recherche exige une concertation afin
que les partenaires de la santé collaborent autant aux ajustements des instruments
de collecte de données qu’à l’interprétation des résultats.
Dans le cadre de l’alliance entre accompagnement, formation et recherche, cette
dernière contribue :
• à garantir rigueur et souplesse dans la formation-accompagnement, et, d’une
certaine façon, à des ajustements à des réalités évolutives des différentes équipes
ou milieux ;
• à s’adapter et à cheminer grâce à l’ouverture est aux interactions entre des diverses
personnes et partenaires ;
• à conserver les traces de la démarche afin de témoigner des expériences réalisées
par des individus et des groupes. La documentation de ces traces permet le déve-
loppement de matériel d’accompagnement. En considérant l’expérience vécue, ce
matériel fournit des explications de ce qui s’est passé dans l’action, une analyse
des réactions, des précautions à prendre lors d’une prochaine expérience, des
idées d’ajustements, etc. ;
• à favoriser aussi l’émergence et l’explication de conditions incitant la mise en
œuvre d’un projet et de ses orientations ;
• à l’élaboration de moyens d’interventions à diffuser pour en faire profiter un plus
grand nombre, surtout s’il y a innovation.

9. Donner une place à la pratique réflexive dans


la formation-accompagnement
L’importance de donner une place à la pratique réflexive dans des formations
professionnalisantes autant en éducation qu’en santé est de plus en plus reconnue.
Cela signifie qu’un changement pédagogique et professionnel est lié à un renou-
vellement de pratiques et qu’il suppose une pratique réflexive qui ne peut toutefois
être imposée. Cette pratique réflexive peut graduellement être mise en action. Le
degré d’engagement peut varier d’un individu à l’autre, d’un groupe à l’autre. Dans
des expériences que j’ai réalisées, j’ai constaté qu’il n’est pas possible ou même néces-
saire que la profondeur de l’engagement soit de la même intensité pour toutes les
personnes en formation. Avec une amorce de pratique réflexive, des changements
dans les pratiques peuvent être perçus. Cependant, l’utilisation de divers moyens
aide à découvrir les apports d’une pratique réflexive soutenue. Ce principe s’adresse
donc principalement aux PAFE qui s’engagent dans une pratique réflexive pour
amener les personnes en formation à le faire. Deux niveaux sont donc à considérer :
« être dans une démarche réflexive » et « amener d’autres à être dans une démarche
réflexive »; et cela s’apprend.
Pour changer les pratiques, il est nécessaire de s’engager dans une réflexion et une
analyse de celles-ci. Cette pratique réflexive favorise une mise à distance et un regard
critique sur son propre fonctionnement, mais aussi une analyse tant individuelle
que collective des actions et décisions prises en cours d’action. Le regard critique
suppose des prises de conscience de ses cohérences et incohérences, de ses pensées

Chapitre 8 – Des principes d’accompagnement-formation pour la mise en œuvre de changements l 121


et actions, de ses croyances et pratiques. La pratique réflexive comporte trois
composantes : une composante de réflexion et d’analyse de sa pratique, une autre
liée au passage à l’action et, enfin, une dernière faisant référence à la construction
de son modèle de pratique en évolution (voir également Lafortune et Deaudelin,
2001 ; Lafortune et al., 2008b).

9.1. Réfléchir sur sa pratique et cheminer vers son analyse


Réfléchir sur sa pratique professionnelle se réalise par des moments où les personnes
en formation se posent des questions sur ce qu’elles font tout en ayant à répondre
à des questions réflexives sur leur processus d’apprentissage ou le renouvellement
de leurs pratiques professionnelles. Pour mener à un changement, cette réflexion
exige une analyse autant individuelle que collective où il y a nécessité d’expliquer et
de justifier les choix de pratiques et d’actions. On en est alors à un niveau d’appro-
fondissement des pratiques, mais aussi d’acceptation que celles-ci ne répondent pas
nécessairement aux exigences de la formation ou du milieu de travail. Cela explique
que la condition minimale consiste à réfléchir sur sa pratique, mais que l’analyse de
sa pratique est un processus complexe et évolutif.

9.2. S’assurer d’un passage à l’action


Une des composantes de la pratique réflexive suppose un passage à l’action, c’est-à-
dire tenter des expériences qui reflètent ce qui ressort des réflexions et analyses des
pratiques. Sans ce passage à l’action, il ne peut y avoir de réflexions et de discussions
à propos des modifications dans les pratiques, des réussites et des difficultés afin
de faire des ajustements pour d’autres situations. Un tel passage à l’action est suivi
de partages d’expériences pour des interactions et rétroactions. La création d’un
climat de respect mutuel est essentielle pour que la démarche se poursuive au-delà
des rencontres initiées par les PAFE, pour qu’il y ait le développement d’une auto-
nomie des personnes apprenantes qui décident d’elles-mêmes de se rencontrer afin
de poursuivre les échanges. Un tel dispositif exige des conditions particulières,
dans un hôpital par exemple.

9.3. Faire cheminer vers la modélisation de sa pratique


en évolution
La modélisation de sa pratique en évolution n’est pas en soi une exigence au renou-
vellement des pratiques professionnelles. Cependant, il est nécessaire de garder
à l’esprit qu’il est très utile d’aider à cheminer vers cette modélisation. Cela veut
dire que les PAFE peuvent elles-mêmes présenter leur modèle de pratique, rendre
explicite ce qui les anime dans leur façon de procéder et ce qui leur fait apprécier
les échanges de stratégies, le regard critique des autres et la connaissance de ce qui
anime les pratiques des autres. Elles montrent alors un degré de conceptualisation
et aident les personnes en formation à structurer leur pensée. Même si toutes les
personnes accompagnées ne présentent pas explicitement leur modèle de pratique,

122 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


certaines peuvent y arriver en cours de démarche de formation-accompagnement
et en aider d’autres à poser certaines bases de leur propre modèle.

10. Conclusion
Le présent chapitre fait ressortir des principes à intégrer à l’accompagnement-formation
d’un changement associé au développement de compétences professionnelles dans le
domaine de la santé. Ces principes s’inscrivent dans une perspective socioconstruc-
tiviste qui exige de favoriser le processus de structuration des connaissances et de
développement de compétences. Aucune recette ne peut remplacer une intention
de réflexion-interaction qui traverse l’ensemble de l’accompagnement-formation.
De plus, un tel accompagnement exige du temps, des actions entre les rencontres
et des retours sur les actions. Dans le projet à la source de ce texte, au moment des
publications (Lafortune et al., 2012a ; 2012b), le projet en était à sa quatrième année
de réalisation.
Des défis se sont présentés au groupe, par exemple le fait de passer d’expérimen-
tations à des pratiques intégrées. Il a été possible de constater que dans le début
de la mise en œuvre d’un changement, le renouvellement des pratiques passe par
des expérimentations. Avec le temps, ces expériences mènent à des pratiques qui
deviennent la norme. Mais, comme le reste, cela exige du temps, ce qui demande
de rappeler pourquoi le changement a été mis en place : former des professionnels
de la santé réflexifs et compétents.
Aussi, une des conditions favorisant la mise en œuvre d’un changement a été de
mettre en place des projets structurants qui donnent une cohérence à la démarche
et la structurent. Ces projets ont intérêt à devenir la norme mais aussi à être repro-
duits dans divers secteurs. Des échanges entre les institutions de ces projets, des
dispositifs de mise en place et les résultats de ces projets aident à assurer qu’il y en
ait d’autres adaptés à diverses situations et contextes.
Vers la fin de la démarche, il peut devenir important de revoir l’ensemble de ce qui
a été élaboré pour assurer une cohérence entre les compétences à développer, les
moyens préconisés dans tous les cours pour les développer ainsi que les moyens
choisis pour évaluer les processus, mais aussi les résultats. L’élaboration collective
de familles de situations est une voie à privilégier pour relever ce défi.

À retenir
L’accompagnement-formation exige le développement de deux postures : celle de la
personne qui accompagne engagée dans une démarche réflexive en cohérence avec
celle demandée aux personnes en formation.
La réflexion et l’interaction sont intimement liées pour favoriser des changements de
pratiques. Cette association exige un travail collectif pour susciter des remises en question.
Une démarche réflexive-interactive de changement est complète si une recherche y est
associée afin de garder des traces et de pouvoir revenir sur le chemin parcouru.

Chapitre 8 – Des principes d’accompagnement-formation pour la mise en œuvre de changements l 123


Questions de discussion
Que faites-vous pour faire en sorte que les personnes accompagnées ou en formation
soient actives sur le plan cognitif ? Qu’elles s’expriment au lieu de se faire dire, qu’elles
agissent plutôt que de se faire dire comment agir ?
Si vous aviez à fournir cinq caractéristiques qui expliciteraient votre pratique profession-
nelle, qu’elles seraient-elles ? Fournir un énoncé de chacune de ces caractéristiques avec
un exemple qui explicite cette caractéristique.
Dans vos actions professionnelles, comment tenez-vous compte de la dimension affective
dans une perspective cognitive et professionnelle ?

Lectures pour aller plus loin


Lafortune et al. (2012) : ce livre comprenant 17 principes fournit plus de détails sur les sept
principes énoncés dans le texte.
Saint-Jean et Lafortune (2014) : ce livre propose plusieurs textes, principalement des
recherches, associés à l’accompagnement du changement.
Morisse et Lafortune (2014) : ce livre ouvre des perspectives sur l’accompagnement d’un
changement en proposant une orientation où l’écriture assure un suivi du changement
et des possibilités de réflexion sur l’évolution du changement.

Bibliographie
Altet, M. (2002). « Une démarche de recherche sur la pratique enseignante : l’analyse
plurielle ». Revue française de pédagogie, 138, pp. 85-93.
Champy-Remoussenard, P. (2003). « Conditions et modalités de mise en mots du
travail réel : dans un dispositif de formation destiné aux professionnels du secteur
éducatif. » Perspective documentaire en éducation. L’écriture entre recherche et formation,
58. Paris : INRP, pp. 33-40.
Lafortune, L., Cyr, S., Massé, B., Milot, G., Benoît, K. (2004). Travailler en équipe
cycle. Entre collègues d’une école. Québec : Presses de l’université du Québec.
Lafortune, L., Saint-Pierre, L., Martin, D. (2005). « Compétence émotionnelle
dans l’accompagnement ». In : Lafortune, L., Daniel, M.-F., Doudin, P.-A., Pons,
F., Albanese, O. Pédagogie et psychologie des émotoins : vers la compétence émotionnelle.
Québec : Presses de l’université du Québec, pp. 87-117.
Lafortune, L., Lepage, C., Persechino, F. (2008a). Compétences professionnelles pour
l’accompagnement d’un changement. Un référentiel. Québec : Presses de l’université
du Québec.
Lafortune, L., Lepage, C., Persechino, F., Bélanger, K. (2008b). Un modèle d’accom-
pagnement professionnel d’un changement. Pour un leadership novateur. Québec : Presses
de l’université du Québec.

124 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Lafortune, L., Dury, C., Coopman-Mahieu, C., Bonte, C., Droulez, C., Morisse,
M., Napoli, A. (2012a). Une démarche réflexive en santé. Un accompagnement socio-
constructiviste. Québec : Presses de l’université du Québec.
Lafortune, L., Dury, C., Coopman-Mahieu, C., Bonte, C., Droulez, C., Morisse,
M., Napoli, A. (2012b). Des stratégies réflexives interactives pour le développement de
compétences. La formation en éducation et en santé. Québec : Presses de l’université
du Québec.
Lafortune, L., Deaudelin, C. (2001). Accompagnement socioconstructiviste. Pour
s’approprier une réforme en éducation. Québec : Presses de l’université du Québec.
Lafortune, L., Lepage, C. (2007). « Une expérience d’accompagnement socio-
constructiviste d’un changement en éducation ». In : Lafortune, L., Ettayebi, M.,
Jonnaert, P., Observer les réformes en éducation. Québec : Presses de l’université du
Québec, pp. 33-52.
Legendre, R. (2005). Dictionnaire actuel de l’éducation. 3e édition. Montréal, Paris :
Éditions Guérin.
Morisse, M., Lafortune, L. (dir.) (2014). L’Écriture réflexive. Objet de recherche et de
professionnalisation. Québec : Presses de l’université du Québec.
Périer, P. (2009). « De l’effacement institutionnel à l’engagement des acteurs. Les
professeurs du secondaire entre autonomie et épreuves subjectives ». Éducation et
sociétés, 23, pp. 27-40.
Perrenoud, P. (2003). Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant.
2e édition. Paris : ESF Éditeur.
Saint-Jean, M., Lafortune, L. (éd.) (2014). « L’accompagnement du changement en
formation ». Les dossiers des sciences de l’éducation, 31.

Chapitre 8 – Des principes d’accompagnement-formation pour la mise en œuvre de changements l 125


CHAPITRE 9
Pratiques avancées :
des représentations
professionnelles aux repères
pour accompagner
le changement
Bruno Bastiani, Nadia Péoc’h, Ghyslaine Lopez, Vincent Minville

1. Introduction
Cette contribution vise à rendre compte d’une recherche menée en 2013, dont les
données empiriques sont issues de 20 entretiens réalisés auprès de médecins anes-
thésistes-réanimateurs (MAR) et d’infirmiers anesthésistes diplômés d’État (IADE)
quant à leur champ d’exercice propre. L’échantillon est constitué de professionnels
français exerçant dans le bloc opératoire d’un hôpital public de la région Midi-Pyré-
nées (France). Il s’agissait de recueillir les représentations professionnelles de ces
personnes concernant le projet de mise en place des pratiques avancées en France,
notamment à la suite de la mission confiée à L. Hénart, Y. Berland et D. Cadet qui
a donné lieu en 2011 à un rapport relatif « aux métiers en santé de niveau intermé-
diaire » (Hénart et al., 2011) comme adaptation aux évolutions démographiques et
autres problématiques de terrain. L’intention était de mettre en place, dans quelques
domaines prioritaires du soin, des compétences qui sont exercées par un médecin
comme des activités de diagnostic, de consultation, de prescription. Ces activités
relèvent de pratiques avancées et nécessiteront l’acquisition de compétences déro-
gatoires mais également la construction d’une expertise dans le domaine infirmier.
Il faut ainsi entendre par pratiques avancées un transfert d’activités et d’actes de
soins, d’une profession à une autre. Cette réflexion a donné lieu à la définition
consensuelle suivante du Conseil international des infirmiers, adoptée en 2008 :
« Une infirmière de pratique avancée est une infirmière diplômée d’État ou certi-
fiée qui a acquis les connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises
de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à
la pratique avancée de son métier, pratique avancée dont les caractéristiques sont
déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer. » Pour

Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 127
Hamric et al. (2013), ce sont les niveaux d’intervention, la complexité des situations
gérées, l’autonomie et la responsabilité qui distingueront les pratiques avancées de
la pratique infirmière actuelle. Cependant, si les aspects formation et réglementaires
sont pensés, il nous a paru intéressant de voir au niveau des acteurs de terrain quels
freins et facilitateurs pourraient être à l’œuvre dans la perspective d’une mise en
place de pratiques avancées dans le champ de l’anesthésie-réanimation.

2. De la genèse de l’anesthésie-réanimation
à une évolution des territoires professionnels
À l’origine, l’anesthésie n’était ni une discipline médicale, ni une pratique infir-
mière spécialisée, mais plutôt une activité au service de la chirurgie. C’est à partir
de 1947 que les médecins et les infirmiers anesthésistes, en France, reçoivent les
mêmes enseignements à la faculté de médecine de Paris pour se spécialiser en une
année. En 1964, les médecins-anesthésistes obtiennent leur indépendance vis-à-
vis des chirurgiens grâce à la création de départements d’anesthésie. En 1967, le
professeur Baumann demande à l’Académie de médecine la suppression du corps
des infirmiers anesthésistes. Le ministère s’oppose à cette demande et met en
œuvre un nouveau programme des études de ces professionnels en 1971. En 1981,
à l’occasion du décret de réforme de l’exercice infirmier, les médecins demandent la
suppression de l’anesthésie générale des actes infirmiers. Cette demande ne sera pas
suivie d’effet, les médecins ne contesteront plus l’existence de ce corps professionnel
mais ils vont s’attacher à réduire l’acte d’anesthésie générale chez les infirmiers. Ces
positions contrastées, autour des prérogatives de chacun, qui se sont jouées durant
plusieurs années, font des pratiques avancées un objet de recherche « sensible » dans
un bloc opératoire. Plusieurs étapes institutionnelles et sociétales ont contribué à
l’émergence des pratiques avancées. Elles sont introduites par l’article 51 de la loi
HPST du 21 juillet 2009 qui pose le principe de « protocoles de coopération »
entre les professionnels de santé. Cette évolution serait sous-tendue par différents
points relevés par Péoc’h et Saint-Jean (2012, p. 313) : « diminution démographique
de certaines spécialités médicales, disparités régionales en termes d’offre de soins,
vieillissement de la population et son corollaire d’augmentation des pathologies chro-
niques, différentes alternatives à l’hospitalisation, etc. ». Nous pouvons y ajouter les
innovations médicales et technologiques qui entraînent l’évolution des compétences
et des pratiques. L’article 51 s’appuie entre autres sur les travaux menés, à la demande
de l’État, par le professeur Berland (2002 ; 2003 ; 2006). Le rapport de 2003 met en
exergue les bénéfices que pourrait apporter le principe de « pratiques avancées ». Il
s’agirait ici d’une adaptation franco-française de la réflexion et des pratiques déjà en
place dans de nombreux autres pays, et notamment en Amérique du Nord, berceau
des pratiques avancées. Il est important de préciser qu’il existe une particularité
française que n’ont pas rencontrée les autres pays. En effet, la totalité des pays,
qui ont mis en place les pratiques avancées, considérait déjà la fonction infirmière
comme faisant partie de la fonction médicale. En France, le livre III du Code de
la santé publique définit les professions de santé selon trois grandes catégories : les
professions médicales, les professions de la pharmacie, les professions d’auxiliaires

128 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


médicaux. Seules les sages-femmes sont responsables de leurs diagnostics et de leurs
prescriptions. Les infirmiers anesthésistes font partie de l’une des trois spécialités
infirmières reconnues mais restent des auxiliaires médicaux. Le rapport Berland (2003)
souligne que « les besoins en anesthésie sont importants dans une société tournée
vers le tout sécuritaire. Ces besoins concernent les activités de soins (l’évaluation
préopératoire, le suivi peropératoire et postopératoire immédiat) mais également
les activités de conseil dans différents comités : CLIN [comité de lutte contre les
infections nosocomiales], sécurité transfusionnelle, douleur, etc. ». Il souligne par
ailleurs que les MAR subiront une diminution de l’ordre de 35 % d’ici à 2020. Il
pose ainsi la question de « savoir si les […] IADE pourraient se voir transférer une
partie des compétences des MAR ». Différentes expérimentations ont été lancées et
évaluées en France (Berland, 2006 ; Poutout, 2008), elles apparaissent concluantes.

3. Processus de problématisation
3.1. Des éléments empiriques…
Dans un premier temps, nous avons examiné de près les différents rapports évoqués
supra, la loi HPST et plus particulièrement son article 51, ainsi que le rapport Hénart
de 2011 sur les métiers en santé de niveau intermédiaire.
Dans un second temps, nous avons réalisé trois entretiens exploratoires (1 MAR
et 2 IADE), non directifs, centrés sur la thématique des pratiques avancées dans
un bloc opératoire à Toulouse. Ces entretiens font ressortir trois éléments forts :
la présence effective de pratiques avancées non formalisées, liées à la relation de
confiance établie entre le MAR et l’IADE ou encore issues de la nécessité d’un
travail conjoint compte tenu du manque de MAR. Ces pratiques posent inévita-
blement la question des responsabilités. Par ailleurs, ces professionnels regrettent
l’époque où les équipes étaient constantes, ce qui favorisait les rapports de confiance.
Aujourd’hui, la gestion des ressources humaines amène un turn-over important
dans les équipes. Ces entretiens font également émerger une représentation, forte
dans l’esprit des IADE, relative à un sentiment de dévalorisation généré par une
hiérarchie drastique (hiérarchie qui s’ancre dans la culture médicale : « l’infirmier
au service du médecin »). Dans ce sens, les pratiques avancées porteraient le risque
de produire « des petits médecins », ce qui contribuerait à renforcer l’ancrage
d’une hiérarchisation forte. Face à la possibilité de pratiques avancées légiférées,
les infirmiers entendus sont en demande d’une reconnaissance de leurs compé-
tences, d’une valorisation de leurs pratiques mais également d’une compensation
financière qu’engagerait ce changement de responsabilité et de statut. Nous avons
renforcé ces entretiens exploratoires par l’analyse d’une enquête menée en 20121, à
l’initiative de la Coordination nationale infirmière (CNI) et du Syndicat national
des infirmiers anesthésistes (SNIA), sur plus de 350 infirmiers dont 210 étaient des
IADE. Cette enquête porte sur l’évolution de l’activité des infirmiers salariés en

1. Étude MIPS/AIAS en partenariat avec la CNI et le SNIA (2012). Résultats de l’enquête sur l’évolution
de l’activité des infirmiers salariés, glissement de tâches et transfert de compétences.

Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 129
termes de glissement des tâches et de transfert de compétences. L’enquête montre
que 40 infirmiers considèrent qu’ils effectuent des tâches qui ne correspondent
pas au décret de compétences les concernant et citent comme principaux actes
non conformes relevant de l’anesthésie : induction sans la présence du médecin,
rachianesthésie, sortie des patients de la salle de surveillance postintervention-
nelle (SSPI) sans validation du médecin, pose de voies centrales. Les répondants
précisent aussi que ces actes sont majoritairement faits dans des cas d’urgence et
en situation d’effectifs réduits, notamment la nuit. Parmi les 40 professionnels
réalisant des gestes non prévus dans leur périmètre d’intervention, 29 signalent
des délégations non formalisées alors que 9 seulement indiquent la présence d’un
protocole de service écrit et validé. En revanche, seuls 18 ont reçu une formation
en rapport avec les actes précités. Cependant, nous pensons que dans les « pratiques
avancées » s’opère un saut qualitatif car si le protocole de coopération décrit, struc-
ture et prend quasiment la forme d’une prescription, les pratiques avancées, elles,
relèvent de l’action dans une situation concrète qui nécessite des choix raisonnés
au regard de sa singularité. Péoc’h et Saint-Jean (2012, p. 316) renforce cette idée
et émettent l’hypothèse selon laquelle « il existerait ainsi par essence une dicho-
tomie entre l’activité prescrite (protocole) et l’activité soignante, un agir soignant
qui admet l’émancipation sociale et l’autonomie du professionnel de santé comme
la pratique avancée ». Un changement de paradigme s’imposerait pour passer de
la pratique prescrite par un protocole à la praxis et s’autoriser ainsi une posture
d’auteur dans les pratiques avancées.

3.2. … aux éclairages conceptuels


Nous avons choisi de nous appuyer sur les concepts de représentations profes-
sionnelles (Piaser, 1999), de changement, avec ses deux niveaux (Watzlawick et
al., 1975), et sur la posture d’accompagnement du changement (Lafortune, 2008).
Différents chercheurs ont contribué à l’émergence des représentations profes-
sionnelles en soulignant la particularité du statut des sujets et de leur contexte
interactionnel, qui sont professionnels. Gilly (1980), notamment, considère qu’il
s’agit de « représentations sociales afférentes aux rôles professionnels » ; Guimelli et
Jacobi (1990) considèrent qu’elles sont effectivement relatives à la fonction exercée.
Pour Lorenzi-Cioldi (1991), « les rapports de travail structurent les interactions
et ont pour conséquences la construction d’un système de représentations profes-
sionnelles ». Bataille et al. (1997) poursuivront ces travaux et confirmeront que les
représentations professionnelles « sont élaborées dans l’action et l’interaction profes-
sionnelles, qui les contextualisent, par des acteurs dont elles fondent les identités
professionnelles correspondant à des groupes du champ professionnel considéré,
en rapport avec des objets saillants pour eux dans ce champ ». Piaser (1999), après
une analyse des représentations sociales conceptualisées par Moscovici (1961) et une
étude empirique dans le champ de l’éducation, montrera que ces représentations
sociales spécifiques ne sont « ni savoir scientifique, ni savoir de sens commun,
[…] et constituent un processus composite grâce auquel les individus évoluent en
situation professionnelle : opinions, attitudes, prises de position, savoirs ». Consi-
dérant que les sujets de cette recherche étaient uniquement des professionnels de
santé (MAR et IADE) intervenant dans un contexte restreint (bloc opératoire), les

130 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


représentations professionnelles sont apparues pertinentes pour analyser le point
de vue de ces soignants sur le changement contenu dans la loi HPST. Watzlawick
et al. (1975) évoquent deux types de changement : un changement de type 1 pour
lequel le cadre initial reste inchangé, où seuls des réaménagements sont entrepris ;
un changement de type 2 qui modifie le cadre, la norme. Le système ne pouvant
pas engendrer lui-même les conditions de son changement, ce changement de
type 2 viendrait de l’extérieur. Nous pouvons ici nous demander si la mise en
place des pratiques avancées constituerait alors un changement/développement
(type 1 ou homéostasie) comme il s’agirait d’une reconfiguration des professions
à l’intérieur du même cadre. Ou bien si cela renverrait au changement/rupture
(type 2 ou reconfiguration) compte tenu d’une intervention « extérieure », celle
du législateur avec la loi HPST et son article 51, et d’une crise du système liée à
différents paramètres environnementaux : diminution démographique de certaines
spécialités médicales, disparités régionales en termes d’offre de soins, vieillissement
de la population et son corollaire d’augmentation des pathologies chroniques, diffé-
rentes alternatives à l’hospitalisation, etc. Le niveau de changement est important.
Cependant, un autre élément l’est également, c’est la manière dont le changement
sera conduit ou accompagné. Orlikowski (1996) parle de « changement situé »
(situated change), c’est-à-dire un changement lié aux pratiques quotidiennes et
continues des membres d’une organisation donnant aux acteurs le rôle d’agents du
changement. Ce que propose cet auteur n’est pas totalement satisfaisant dans notre
cas car il ne s’agit pas de pratiques quotidiennes, au sens simpliste du terme, mais
de posture, de positionnement nouveau pour les deux corps professionnels et de
compétences nouvelles pour les infirmiers. Mais l’intérêt de cette approche est de
restituer l’analyse de ce changement à la fois organisationnel et culturel aux acteurs
pour qu’ils participent à la mise en place des actions d’accompagnement. Quinn
(1999) distingue deux principaux types de changement : le changement épisodique
(episodic) qui serait radical (niveau 2) et le changement continu (continuous) qui
est une forme de régulation faite par les acteurs répondant aux contingences de
l’activité, également ici agents du changement. Pour Cros (2004), le changement
ne se décrète pas, il fait partie d’un processus fondé sur des valeurs, des buts, des
finalités, qui nécessite que les acteurs en soient parties prenantes. Lafortune (2008)
propose le concept de « changement orienté », qui nous semble faire une synthèse
intéressante des travaux précédents. Il est constitué pour partie de prescriptions
mais demande que soient créées des conditions d’échange facilitant la confrontation
de représentations. L’idée est de permettre d’élaborer une vision partagée du projet
de changement. Ce type de changement peut tout à fait s’entendre dans le cadre
de la mise en place des pratiques avancées. À la suite de l’exploration du contexte
institutionnel, des éléments de terrain recueillis et de la revue de lecture, nous
avons formalisé la question de recherche suivante : quelles sont les représentations
professionnelles des pratiques avancées chez les infirmiers et les médecins anes-
thésistes et en quoi l’étude différentielle de ces représentations explicite les pistes
envisageables d’accompagnement du changement ?

Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 131
4. Le protocole de recherche : une double visée
compréhensive et praxéologique
Pour approcher les représentations professionnelles des pratiques avancées et
proposer des repères pour accompagner ce changement, nous avons choisi une
démarche de recherche compréhensive à visée praxéologique1, avec pour outil de
recueil de données des entretiens.
Cependant, le choix d’interroger les pratiques avancées dans un bloc opératoire n’est
pas simple car cette enquête s’inscrit dans une histoire singulière qui lie les MAR
et les IADE s’agissant de leur champ d’exercice propre. Ces positions contrastées,
autour des prérogatives de chacun, qui se sont jouées durant plusieurs années,
pourraient constituer un obstacle à la recherche, obstacle lié notamment au fait
que les pratiques avancées sont susceptibles de représenter un objet de recherche
« sensible » par rapport au territoire d’exercice de chaque corps professionnel.
C’est pourquoi nous avons fait le choix d’utiliser, dans une partie de l’entretien,
la technique de substitution qui peut permettre de faire émerger la zone muette
des représentations. Guimelli et Deschamps (2000, p. 54) définissent la notion de
« zone muette » des représentations sociales comme des « cognitions, qui, tout
en étant disponibles, ne seraient pas exprimées par les sujets dans les conditions
normales de production ». En effet, dans une situation standard, les sujets vont
choisir des mots socialement acceptables alors que, dans une situation de substi-
tution, ils peuvent choisir des mots « socialement non désirables car leur degré
d’implication serait moindre » (ibid.). Selon Apostolidis (2003), la zone muette
serait constituée d’éléments ne répondant pas à la désirabilité sociale alors qu’en
contexte de substitution il y aurait réduction de la pression normative. Nous avons
réalisé des entretiens semi-directifs à deux niveaux, avec trois types de profession-
nels : au niveau décisionnel et stratégique, il s’agit de trois personnes susceptibles
d’impulser la mise en place des pratiques avancées ; au niveau opérationnel, nous
avons mené 17 entretiens avec huit médecins et neuf professionnels paramédicaux,
dans lesquels nous avons introduit quatre questions en technique de substitution2.
Nous avons fondé la construction de la grille d’entretien pour le niveau opérationnel
sur les composantes des concepts convoqués et en tenant compte de l’analyse des
entretiens exploratoires (tableau 7).

1. Cette recherche tend à donner des éléments de compréhension de la situation aux acteurs de la
recherche et aux acteurs de terrain. Ces éléments, non exhaustifs, pourront être mis au service de
l’accompagnement du changement. Il ne s’agit pas d’une recherche purement praxéologique car
« la praxéologie est une démarche construite (visée, méthode, processus) d’autonomisation et de
conscientisation de l’agir (à tous les niveaux d’interaction sociale) dans son histoire, dans ses pratiques
quotidiennes, dans ses processus de changement et dans ses conséquences […] il s’agit bien d’une
activation des connaissances produites » (Lhotellier et St-Arnaud, 1994, p. 95). Les auteurs concluent
en précisant que « la praxéologie se fait dans l’action et par l’action » (ibid., p. 107), notre objectif est
plus modestement de comprendre la situation sur un territoire restreint (un bloc opératoire) en vue
de produire des repères pour l’action.
2. Par exemple : Selon vous, quels avantages et inconvénients avanceront vos collègues sur les pratiques
avancées ?

132 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Tableau 7 – Matrice de conception du guide d’entretien

Dimensions des
Concept représentations Indicateurs/
Objectifs
Auteur et année sociales (selon critères
Moscovici)
Représentations Ancrage Connaissance et Repérer :
professionnelles système d’inter- – le niveau d’information sur les pra-
(représentations prétation tiques avancées
sociales spécifiques – la manière dont le professionnel
à une profession ; définit les pratiques avancées
Piaser, 1999) Système de réfé- Repérer :
rence, valeurs – les valeurs et les croyances des pro-
fessionnels sur les pratiques avancées
– des médecins à propos des IADE (y
compris zone muette)
– des IADE à propos des médecins (y
compris zone muette)
– des éléments sur la profession de
médecin anesthésiste
– éléments sur la profession d’infir-
mier anesthésiste
Objectivation Informations rete- Identifier les éléments retenus dans le
nues processus de filtrage des informations
sur les pratiques avancées : points
positifs et négatifs
Données concrètes Faire émerger la manière dont le pro-
utilisables pour l’ex- fessionnel anticipe les pratiques avan-
plication de la réa- cées (y compris zone muette)
lité professionnelle

5. Traitement et interprétation des données


Pour le traitement des données, nous avons choisi de nous appuyer sur l’analyse
phénoménologique interprétative (IPA) proposée par Smith (1995), reprise par
Apostolidis (2003).

5.1. Interprétation du discours recueilli en technique standard


Il est à noter que, lors du traitement global des données, il est apparu que la quasi-
totalité des interviewés connaissaient la loi HPST mais pas les pratiques avancées.
Nous les avons informés comme le prévoyait le protocole de recherche. À la suite
du codage axial de chaque entretien (selon Smith), sept catégories ont émergé, que
nous allons examiner une à une à partir des tableaux de synthèse qui suivent.

Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 133
5.1.1. Rationalisation des soins
Tableau 8 – Rationalisation des soins

Médecins (5) Professionnels paramédicaux (6)


Faire face à la demande Logique économique
Logique économique Baisse qualité des soins
Médecine à deux vitesses Démographie médicale
« Production de soins » Changement imposé
Dévalorisation profession et qualité des soins
Numerus clausus/faible attrait de la profession
Phase transitoire
Changement transitoire versus pérenne

Nous constatons des représentations professionnelles convergentes dans les deux


corps professionnels, notamment sur la logique économique qui est selon eux la
raison principale du projet de mise en place des pratiques avancées, avec un indica-
teur fort repéré : la baisse de la démographie médicale. Une préoccupation relative
à la qualité des soins émerge également : les médecins ont des craintes fortes et
l’exprime par une « médecine à deux vitesses », « on attend de nous que nous soyons
des “producteurs de soins” », « 8 à 10 abeilles1 pour 1 médecin ». Les deux corps
professionnels font le parallèle avec « le modèle industriel de l’usine ».
Mais les avis divergent sur la question du changement. Selon les médecins,
c’est une phase transitoire liée à la démographie médicale alors que pour les
professionnels paramédicaux, c’est un changement pérenne qui sera imposé. Ces
derniers expriment ce changement en termes d’évolution subie (type 1) et non de
transformation (type 2).

5.1.2. Évolution des techniques, des pratiques et des professions


Tableau 9 – Évolution des techniques, des pratiques et des professions

Médecins (3) Professionnels paramédicaux (6)


Évolution à plusieurs niveaux : Opportunité d’évolution :
– technique – vers de nouveaux métiers
– organisationnel – développement professionnel
– des pathologies – inéluctable
– du préopératoire – relation de soin
Enthousiasme et inquiétude
Évolution technique versus opportunité professionnelle

1. Abeille renvoyant aux infirmiers anesthésistes.

134 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Trois médecins sur huit s’expriment principalement en termes d’évolution des tech-
niques et des pratiques liées à l’innovation, « la profession va être de plus en plus
technique », avec « des anesthésies beaucoup moins longues […] moins faciles […]
adaptées à des gestes courts où les gens vont rentrer rapidement à la maison », et en
termes de pathologies qui se complexifient avec le vieillissement de la population.
Six sur neuf des professionnels paramédicaux expriment clairement une opportu-
nité d’évolution de leur profession vers de nouveaux métiers et un développement
professionnel, « aller doucement vers le médical ». Ils pensent pouvoir densifier
leurs compétences professionnelles avec de nouvelles missions – « s’il y a moins de
médecins, la population d’IADE va progresser vers plus d’actes » – et soulignent un
relationnel avec les patients plus présents dans leurs pratiques que dans celles des
médecins : « les médecins, ça va vite, c’est un peu partout et nulle part, alors que
l’infirmière se posera plus de questions, sera plus à l’écoute du patient parce qu’elle
est dans le registre du soin depuis un bon moment ». Mais si, dans certains propos,
l’enthousiasme transparaît : « je vais adorer parce que ça va me permettre d’aller
au-delà de ce que je fais aujourd’hui », d’autres sont habités par des inquiétudes
quant à leurs responsabilités et à leurs compétences : « faire un boulot qui n’était
pas le mien au départ, ça peut avoir des conséquences dramatiques ».
Du côté des médecins, nous avons des représentations professionnelles des pratiques
avancées plutôt liées à l’innovation et à l’impact sur les patients, du côté des profes-
sionnels paramédicaux, c’est le véritable vecteur d’évolution professionnelle que
constitueraient les pratiques avancées qui sont au premier plan.

5.1.3. Limites du territoire de chaque corps professionnel


Tableau 10 – Limite du territoire de chaque corps professionnel

Médecins (7) Professionnels paramédicaux (8)


Lutte Lutte
Effritement du pouvoir médical Légitimité
Garder la hiérarchie Dérives possibles
Déléguer
Limite des compétences
Réflexion médicale
Réflexion médicale versus geste technique

En termes d’ancrage, nous constatons la résurgence d’une lutte qui a opposé les deux
corps professionnels lors de leur création, réveillée par l’éventualité d’une nouvelle
distribution du territoire de chacun. Nous constatons également un niveau posi-
tionnel (Doise, 1986) très affirmé chez les médecins qui revendiquent la hiérarchie,
« il faut garder l’ordre hiérarchique comme il est », et la réflexion médicale pour
stopper l’effritement du pouvoir médical selon eux déjà entamé par un pouvoir
administratif fort. Les médecins font une différence entre le geste technique, qui
pourrait être confié – « refaire des loco régionales ou des rachis, ça n’est rien de
plus que faire une intubation, ça ne me choquerait pas que ça revienne, il y a pas

Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 135
tellement de limites aux gestes sauf un frein corporatiste » – et la réflexion médicale
qui doit accompagner tout geste – « je ne peux pas faire confiance à quelqu’un qui
n’aura pas le prérequis intellectuel ». Ces propos vont dans le sens de l’article 51 de
la loi HPST, les médecins semblent d’accord sur un transfert de compétences dans
le domaine sensorimoteur (aptitude, dextérité à faire le geste) tout en conservant
la compétence cognitive (le sens de l’acte, sa compréhension et la connaissance).
Le changement inquiète les professionnels paramédicaux, même s’ils l’envisagent
comme une évolution de leur profession. Ils craignent un manque de légitimité, ce
qui renvoie aux niveaux interindividuel (groupe à groupe) et positionnel (hiérarchie
médicale) chez Doise (1986), et des dérives qui pourraient être liées à un excès de
délégation, « les médecins vont déléguer trop de choses, ça va brouiller les pistes,
faire un mélange des genres, ça va compliquer les choses ». Pour faciliter les choses,
ils comptent sur une répartition claire des prérogatives de chacun – « ça me semble
tout à fait organisable avec des fonctions bien définies pour chacun » –, d’où la
nécessité de délimiter le champ d’exercice et de le formaliser par le profil de poste
et le périmètre du contour du métier (référentiel métier).

5.1.4. Transferts envisagés


Tableau 11 – Transferts envisagés

Médecins (6) Professionnels paramédicaux (7)


Habiletés pratiques Gestes techniques
Geste encadré Gestes encadrés
Absence de réflexion médicale sur le geste Améliorer le fonctionnement
Non-reconnaissance des compétences Nouvelles techniques
Peur des conséquences Pratiques officieuses
Limites des compétences Autres pistes que le geste
Inquiétudes
Nouvelle organisation
Limitation aux gestes techniques

Les représentations professionnelles principales, dans les deux corps professionnels,


des gestes techniques encadrés correspondent à une vision « praticopratique », sous
différentes formes, ce qui témoigne d’une méconnaissance de ce que se proposent
d’être les pratiques avancées avec une formation accompagnée d’un up-grade et
d’un rôle autonome reconnu à la fois dans le raisonnement clinique et la prise de
décision. Les médecins parlent de gestes avec une absence de réflexion médicale :
« certains actes que l’on fait et qui n’ont pas forcément d’exigences d’un point de
vue médical […] sont délégués à des professions de type infirmier ». Ils parlent de
gestes encadrés : « les IADE pourraient intervenir dans une partie technique où
il y a juste besoin de notre présence et de notre accompagnement », « elles [les
IADE] pourraient démarrer l’induction quand l’anesthésiste est dans l’autre salle
et les voies centrales ». Mais il est question aussi de gestes délégués par facilité :
« c’est bien d’avoir des petites mains », « les pratiques avancées, c’est un terme plutôt

136 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


valorisant […] c’est peut-être le plus “chiant” que l’on va déléguer aux autres ». Les
professionnels paramédicaux évoquent dans ce sens les nouvelles techniques qui
peuvent accompagner et faciliter les gestes (échographie). Ils proposent des pistes
de transfert de compétences : « consultation de préanesthésie la veille, ASA 1 ou 2
[physical status score], si un médecin les a vus en consultation un mois avant comme
prévu, pour les patients légers ». Ils aimeraient ne pas être cantonnés à des gestes
fortement encadrés et dont ils ne percevraient pas les tenants et les aboutissants :
« qu’on me dise tu piques là, t’enfonces là, mais ce n’est pas satisfaisant de faire du
geste pour du geste, ça ne sert à rien, si ce n’est pour votre ego qui gonfle un peu
à ce moment-là ». Ils évoquent également des pratiques officieuses à légitimer et
d’autres pistes que les gestes comme des consultations préopératoires. Les deux
corps professionnels craignent une nouvelle organisation, avec un médecin pour
plusieurs professionnels paramédicaux, ce qui amplifierait des situations stressantes
déjà existantes.

5.1.5. Responsabilité des actes


Tableau 12 – Responsabilité des actes

Médecins (7) Professionnels paramédicaux (6)


Supervision des actes Pratiques officieuses et responsabilité
Pas de responsabilités partagées Encadrement législatif
Seuls responsables Extension des responsabilités (pour et contre)
Se protéger : procédures et assurances
Crainte de ne pas être consultés
Garder la main versus redistribution des responsabilités

Les représentations professionnelles des médecins montrent qu’ils ne veulent pas


partager les responsabilités. Ils veulent superviser et être seuls responsables des actes,
« la responsabilité du médecin est directe, qu’il fasse le geste ou pas, c’est lui qui
est responsable », « le médecin reste le médecin s’il délègue certains actes tout en
étant présent et en gardant la responsabilité ». Les médecins raisonnent en termes
de « délégation de tâches encadrées » et non en termes de « pratiques avancées »
qui renvoient à une logique d’autonomie. Dans les représentations professionnelles
des personnels paramédicaux, nous constatons qu’ils soulignent la nécessité d’un
encadrement législatif aussi bien concernant des pratiques officieuses actuelles –
« dans certains services, les IADE posent des voies centrales, des rachis anesthésie,
[…] le problème c’est que ce n’est pas encadré », « on vous fait régulièrement le coup
du “tu es capable, j’ai confiance en toi” et à la fin tu te retrouves dans des situations
un peu chaudes » – que des pratiques à venir. Certains sont pour, « si ça permet
de donner un cadre à des irrégularités ou du moins des situations qui ne sont pas
vraiment légales, pourquoi pas », d’autres contre l’extension de responsabilités,
ils veulent être protégés par des procédures et des assurances. Ils craignent parti-
culièrement de ne pas être consultés pour ce changement important – « je pense
qu’il y aura plus de responsabilités, ils vont y arriver, ce sera mis en place, on nous
demandera pas notre avis » – qui relève selon Watzlawick et al. (1975) du niveau 1

Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 137
car la structure ne change pas, ce sont seulement les prérogatives et les pratiques
de chacun qui évoluent.

5.1.6. Formation/qualification
Tableau 13 – Formation/qualification

Médecins (3) Professionnels paramédicaux (7)


Formation pour les professionnels paramédicaux Grande demande de formation
Si formation, pas seulement les gestes Dérives
Formations partagées Obligation de pratiques avancées
Peur d’un plan de formation pas suivi Opposition médecins
Idée de formation uniquement centrée sur les professionnels paramédicaux

Les médecins envisagent le versant formation principalement pour les professionnels


paramédicaux. Ils envisagent la possibilité de partager avec eux certaines parties de
leur propre formation (comme cela se fait sur le simulateur d’anesthésie) afin qu’ils
ne se limitent pas à l’apprentissage d’un geste : « faudra former les gens autant sur les
conséquences possibles de l’acte que sur l’acte lui-même ». Ils craignent cependant
que les plans de formation ne suivent pas. Les professionnels paramédicaux sont en
grande demande de formation, ils s’inquiètent comme les médecins de la réalisa-
tion d’actes sans formation préalable. Leur crainte d’une opposition des médecins
demeure et renforce ce sentiment de manque de qualification : « pour l’instant, ce
qu’on entend dire, c’est que les médecins y sont opposés parce qu’ils voient d’un
mauvais œil que leur travail soit fait par des moins qualifiés qu’eux ».

5.1.7. Reconnaissance/rémunération
Tableau 14 – Reconnaissance/rémunération

Médecins (0) Professionnels paramédicaux (7)


Aucun discours Reconnaissance
Compensation
Nouvelle identité
Reconnaissance des compétences par la rémunération

Les médecins, sans surprise, ne s’expriment pas du tout dans cette catégorie. En
revanche, tous les professionnels paramédicaux s’expriment pour signifier que les
pratiques avancées constituent une forme de reconnaissance de leurs compétences
– « ça peut être bien si derrière il y a la volonté de reconnaître les gens dans leur
métier » – et qu’une rémunération adaptée irait également dans ce sens en compen-
sation des nouvelles responsabilités – « si on augmente en compétences, il faut que
nos salaires évoluent ». Cela témoignerait d’une nouvelle identité, porteuse de
reconnaissance des compétences.

138 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


5.2. Interprétation du discours recueilli en technique
de substitution

Il est intéressant de voir que, s’agissant des éléments qui apparaissent dans la zone
muette, deux parties se distinguent. L’une est en cohérence avec les éléments
recueillis dans le contexte standard et l’autre laisse entrevoir des éléments contrastés
et de nouvelles catégories de discours. Nous présentons ici les éléments contrastés
constitués, à la suite du codage axial de chaque entretien, en quatre catégories que
nous allons accompagner de propos illustratifs (tableau 15).
Tableau 15 – Propos illustratifs issus des données recueillies en technique de substitution

Propos illustratifs des profession-


Propos illustratifs médecins
nels paramédicaux
Délégation de « Il y a les éternels fainéants qui sont très « Il y a des médecins qui font confiance
confort contents de déléguer mais ce sont les mais c’est pour se délester du travail »
mêmes qui ne sont pas au bloc opéra-
toire pendant l’intervention »
« Pour d’autres, ça va les arranger que les
petites mains fassent le travail »
Professionnels « Il y en a qui font pas plus qu’un IADE « Certains vont trouver une satisfaction
desservant la et moins bien qu’un IADE » personnelle à jouer au petit médecin »
situation « Ceux qui aiment le métier, qui se consi- « Il y a des cow-boys chez les IADE qui
dèrent comme médecin, seront contre aimeraient porter une blouse blanche,
les pratiques avancées » avoir un stéthoscope autour du cou. Il
y en a ici qui ont une très haute estime
d’eux »
Attrait financier « Ils seront contents de le faire pour
l’argent »
Refus des res- « Les infirmiers vont dire qu’ils n’ont pas « Il y a des gens qui n’ont pas envie d’évo-
ponsabilités et forcément envie d’avoir plus de respon- luer »
résistance au sabilités » « Il y a des gens qui préfèrent rester
changement « Il n’y a aucune prise d’autonomie par comme ils sont »
les infirmiers, positivement ou pas »
« Déjà on nous a sortis des services, puis
on va nous sortir des blocs »

La délégation de confort qui vise les médecins, que l’on aurait pu imaginer comme
issue seulement des propos des professionnels paramédicaux, se retrouve dans les
propos des deux corps professionnels. Elle se présente en des termes particulièrement
négatifs (« éternels fainéants ») et dévalorisant pour les IADE (« petites mains »).
Les IADE renforcent cela en parlant de la « confiance » comme un faux argument
de délégation. Des éléments clairement négatifs, dans les deux corps profession-
nels, occupent la catégorie « professionnels desservant la situation », mais sous des
angles différents. Les médecins craignent que l’attitude et les pratiques de certains

Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 139
de leurs collègues soient des facteurs favorisant l’émergence des pratiques avancées
dans le champ de l’anesthésie.

5.3. Interprétation du discours des macroacteurs


Nous notons que différents termes sont utilisés pour parler de la modification des
pratiques, mais avec des portées différentes : glissement de tâches, délégation de
tâches et pratiques avancées. L’un des interviewés signale : « il faut qu’on soit bien
au clair avec ce qu’on appelle les pratiques avancées, c’est une terminologie, même
au niveau des professionnels, qui n’est pas très au clair, il y a des fondamentaux à
identifier ». Actuellement, les IADE occupent un corps de métier intermédiaire,
ils ont le statut d’infirmiers spécialisés en anesthésie-réanimation, ils ont un rôle
propre identifié mais sont sous la responsabilité d’un médecin-anesthésiste. Il est
envisageable que ce statut d’infirmier spécialisé glisse vers un statut de profession
médicale intermédiaire, avec des responsabilités comme la gestion de la douleur, avec
par exemple des infirmiers anesthésistes urgentistes. Cependant, la mise en place
ou non des pratiques avancées repose sur des interrogations : « Si l’on pense que
l’on est dans un système figé […] pas besoin de développer des pratiques avancées
[…] si par contre on pense que plus la société évolue et plus on demande à chacun
des corps de métier d’être plus performant dans certains domaines […] soit on crée
de nouveaux métiers, soit on crée des professions intermédiaires. » Avec ce constat,
il doit y avoir des développements de pratiques avancées pour faire face à « des
activités médicales qui nécessitent de grosses aptitudes techniques […] il n’est pas
forcément facile pour le médecin d’être expert dans la pratique de gestes techniques
sur l’ensemble de son champ de compétence médical ». Mais, également, pour que
les médecins anesthésistes réanimateurs continuent à faire progresser les prises en
charge, « pas besoin qu’elles [les IADE] évoluent si les médecins-anesthésistes conti-
nuent eux à avoir le champ d’activité qu’ils ont actuellement […] que les médecins se
recentrent sur des tâches nouvelles au service du patient ». En effet, la délégation à
des IADE « a permis aux MAR de se consacrer à faire progresser la sécurité et la
qualité, sinon on pratiquerait encore maintenant le même type d’anesthésie qu’il y a
20 ans ». Si le transfert de compétences est envisagé positivement en anesthésie, un
point de la loi HPST est néanmoins souligné comme pouvant potentiellement poser
question. Cette loi propose dans son article 51 des « protocoles de coopération »
qui pourraient être considérés comme une amorce des pratiques avancées. Si nous
prenons l’exemple de « l’aptitude à la rue1 », l’inquiétude se situe au niveau de la
généralisation de cet acte. En effet, des infirmiers qui sont dans un cadre universitaire
(CHU), avec les compétences locales médicales et paramédicales que permet une
grosse structure, ont une qualité et une sécurité dans l’accomplissement des actes
que l’on ne retrouvera pas forcément dans toutes les structures. « La Haute Autorité
de santé peut étendre un protocole de coopération à tout le territoire national. » Il
serait important d’attirer l’attention du législateur sur ce point. Nous notons une
distinction faite entre un « protocole de coopération » qui permettrait un retour en
arrière si la démographie médicale redevenait cohérente par rapport à la population
et des « pratiques avancées » qui seraient un réel up-grade de compétences. Cet
1. Après une intervention en ambulatoire, un médecin signe la sortie au regard de critères qui sont listés
et référencés par les sociétés savantes.

140 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


up-grade légiféré ferait l’objet d’un référentiel de compétences validé par diplôme,
se situant en dehors de toute logique démographique et organisationnelle. Des
projets de diplômes en pratiques avancées sont en cours de réflexion dans la région
Midi-Pyrénées. Cependant, il reste notable une différence de vision que peuvent
avoir des professionnels de santé versus des universitaires. Les premiers sont posi-
tionnés sur une réflexion praticopratique et les seconds ont du mal à ancrer leurs
propositions dans la réalité des pratiques : « les projets de pratiques avancées en
lien avec les professionnels de santé ne sont que dans la pratique, presque dans le
courant béhavioriste, apprendre une pratique […] ce qui serait intéressant, c’est que
chaque métier y trouve son compte si on veut parler d’expertise », « j’ai vu des projets
universitaires qui étaient très bien faits, […] très bien ficelés, mais ma question qui
fâchait c’était : pour quelle opérationnalité ? ». Ces remarques attirent l’attention
sur une vigilance nécessaire relative à la prise en compte d’un terrain sur lequel il
est essentiel de comprendre la pratique et sa raison d’être pour permettre l’exper-
tise : « ne pas perdre le sens des choses, c’est ce qui permettra la qualité des soins ».

6. Propos conclusifs
Nous notons des représentations professionnelles communes chez les médecins et
les professionnels paramédicaux. Tous deux évoquent notamment une logique et un
contexte économiques qui poussent le système administratif à chercher des modes
de rationalisation des soins pouvant modifier la qualité de la prise en charge des
patients et des soins. Ils craignent que les changements s’instaurent sans concer-
tation et restent une décision purement organisationnelle et administrative. Nous
constatons également des représentations professionnelles différentielles concernant
l’avenir des pratiques avancées. Là où les médecins voient une situation transitoire
permettant de remettre à niveau la démographie de leur profession, les personnels
paramédicaux perçoivent une opportunité d’évolution professionnelle pérenne.
Mais, pour différentes raisons et sur différents points, chacun perçoit l’autre corps
professionnel comme un frein potentiel et une opposition latente. La zone muette
des représentations professionnelles met en évidence la crainte de délégations de
confort, des critiques sévères à l’égard des collègues, des résistances au changement
en termes de responsabilité. Ces éléments mettent en évidence les freins à lever pour
accompagner le changement, notamment avec une connaissance plus fine de ce que
recouvrent, en termes de transferts de compétences et de responsabilités, les pratiques
avancées. L’idée est de faire prendre conscience des opportunités offertes par ces
reconfigurations professionnelles pour chaque corps professionnel. L’argument relatif
à la baisse de la démographie médicale est souvent avancé pour justifier l’évolution
vers les pratiques avancées. Il serait cependant intéressant d’interroger les réalités
de terrain pour mettre en évidence la plus-value de ces collaborations, pour chaque
corps professionnel, en termes d’organisation, d’efficience et de développement
professionnel. Par ailleurs, une vision optimiste du changement est incarnée par le
point de vue des macroacteurs, certainement due à leur connaissance affinée du sujet
qui favorise l’anticipation et la prospective. À partir de ces résultats, les premiers pas
d’un accompagnement vers le changement pourraient s’envisager en deux temps :

Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 141
− un temps de communication, pour clarifier la distinction entre les différentes formes
de transferts (glissement de tâches, protocole de coopération, pratiques avancées)
et établir un langage commun qui permettrait de penser plusieurs préoccupations
émises par les professionnels, et notamment la question de la responsabilité (« il faut
qu’il y ait un texte réglementaire qui décrive bien ce qui est transféré »). Ce serait
également une phase de sensibilisation des professionnels aux évolutions possibles au
regard des recommandations issues des différentes missions et des expérimentations
menées en France, qui ont donné des résultats globalement positifs. Ce serait une
possibilité de lever des a priori défavorables – « les pratiques avancées, c’est faire de
la médecine low-cost », « plus ça va, plus on aboutit à une fragmentation de la prise
en charge » – et de montrer tout l’intérêt pour le patient. Cela pourrait s’appuyer
sur les pratiques avancées existantes au niveau international ;
− un temps de réflexion afin d’ouvrir une concertation entre les deux corps profes-
sionnels, avec une prise en considération de l’état des lieux de chaque profession
et des différentes réticences qui pourraient émerger – « faute de médecins, on se
trouve à former des infirmiers, presque des concurrents à moindre coût », « on
va déléguer des gestes à des personnes qui vont devenir des espèces d’ouvriers
spécialisés », « de corps professionnel à corps professionnel, chacun défend ses inté-
rêts ». En effet, des limites et une légitimité sont à trouver – « déléguer, oui, mais
il faut connaître les limites », « que ce soit en accord avec les médecins, que notre
rôle ne soit pas contesté ». Il s’agirait ainsi d’amener chaque corps professionnel à
réfléchir aux possibilités de dépassement de ces réticences, non pour aller vers un
consensus, qui pourrait être vécu comme des choix de sacrifices, mais plus dans le
sens d’un dissensus car s’ouvrent « davantage de possibles dans un conflit que dans
un consensus » (Pacific, 2011).

À retenir
Les points de vue sont contrastés selon la place occupée par le sujet dans le système.
Il y a une nécessité de concertation autour des représentations de chaque corps profes-
sionnel et d’implication des acteurs de terrain dans le processus de changement.

Questions de discussion
Quelles pratiques existantes peuvent constituer des repères pour penser le changement ?
Quelle dynamique de changement mettre en place pour dépasser les conflits liés aux
territoires professionnels ?
Comment impliquer les acteurs de terrain dans un changement quand ils n’en sont pas
les auteurs ?

Lectures pour aller plus loin


L’évolution des professions constitue un changement qui renvoie aux valeurs, à l’identité
professionnelle. Cela mérite ainsi d’être pensé avec les acteurs concernés : Bedin (2013),
Saint-Jean et Lafortune (2014), et Péoc’h et Saint-Jean (2012).

142 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Bibliographie
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Watzlawick, P., et al. (1975). Changements. Paradoxes et psychothérapie. Paris : Le Seuil.

144 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


CHAPITRE 10
Introduction de la pratique
avancée en soins : vers
un modèle français ?
Christophe Debout, Anne-Marie Doré

1. Introduction
Maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande de soins représente un défi permanent
pour la plupart des États. Les composantes de l’équation sont nombreuses et très
évolutives : caractéristiques démographiques et épidémiologiques de la population,
géographie, nature du système de santé en place, orientations politiques et réformes,
structuration et démographie des professions de santé, situation de l’économie natio-
nale, etc. La mondialisation et la crise économique ne font qu’accroître ces difficultés.
Si la recherche de qualité et de sécurité des soins a toujours guidé les professionnels
de santé ainsi que les structures sanitaires et médicosociales, de nouvelles exigences
ont fait leur apparition dans le domaine de la santé : performance, efficience, etc.
Chaque pays, en fonction de ses spécificités, adopte des stratégies afin d’y répondre.
À l’instar de nombre de pays occidentaux, la France éprouve une difficulté croissante
à maintenir une offre de soins adaptée aux besoins et aux attentes de sa population.
Ces difficultés sont liées à l’augmentation croissante de l’incidence des maladies
chroniques, couplée à un phénomène de pénurie qui touche les professions de santé,
notamment les médecins. Bien que l’organisation du système de santé ait connu
ces dernières années de profondes réformes (reconfiguration de la gouvernance
des établissements de santé, virage ambulatoire, etc.), ces mesures n’apportent
pas de solution à cette pénurie. De plus, les études prospectives réalisées laissent
présager que cette situation précaire devrait s’amplifier dans les années à venir si
aucune mesure adaptée n’est prise. En effet, ce phénomène se trouve aggravé par
une répartition inadéquate des professionnels sur le territoire national.
Dans ce contexte, le transfert d’activités entre professionnels de santé a été iden-
tifié comme une stratégie prometteuse au regard des résultats favorables obtenus à
l’étranger. Toutefois, cette stratégie modifie la structuration des professions jusqu’alors
marquée en France par un monopole affirmé de la profession médicale dans le
domaine de la santé. Engager de tels changements requiert une analyse préalable
approfondie et documentée permettant de concevoir une stratégie d’introduction

Chapitre 10 – Introduction de la pratique avancée en soins : vers un modèle français ? l 145


adaptée au contexte français, incluant un dispositif d’évaluation des résultats
imputables à ce projet. C’est cette démarche qu’a souhaité engager la Fédération
hospitalière de France (FHF) en 2012 en réunissant un groupe d’experts dans le but
de concevoir un modèle opérationnel d’introduction de métiers intermédiaires à
partir des métiers socles paramédicaux. Il s’agissait de réaliser la synthèse des savoirs
disponibles dans ce domaine afin d’éclairer les prises de décisions politiques. Outre
les résultats positifs escomptés pour les patients et pour le système de santé, cette
approche permet également d’offrir aux professionnels paramédicaux de nouvelles
perspectives de carrière ainsi qu’une meilleure reconnaissance de la contribution
spécifique qu’ils apportent.

2. Contexte
Dans un rapport paru en 2011, le ministère de la Santé soulignait que « l’état de
santé des Français apparaît globalement bon » en dépit d’inégalités observables
en termes de mortalité (Danet et al., 2011). Cette situation reste toutefois fragile.
Notre société contemporaine doit faire face aux conséquences du vieillissement de
la population ainsi qu’à l’augmentation de l’incidence des maladies chroniques. Ces
dernières touchent désormais 15 millions de personnes, soit 20 % de la population
française (ministère de la Santé, 2007). Le cancer, le diabète, l’hypertension artérielle
ou encore les maladies cardiovasculaires s’introduisent ainsi dans le quotidien d’un
nombre sans cesse croissant de personnes. L’allongement de la durée de vie contribue
à l’augmentation de la plupart de ces maladies. Le caractère évolutif de ces maladies
entraîne une détérioration progressive de la qualité de vie des patients, l’installation
d’une invalidité et la survenue de complications graves, voire même fatales.
Face à ces constats, les politiques publiques incitent les professionnels à proposer un
accompagnement adapté aux patients atteints de pathologies chroniques, à développer
l’éducation thérapeutique des patients, à imaginer de nouveaux modes de prise en
charge et à renforcer la prévention de ces affections. Un plan quadriennal pour
l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques a
été lancé dès 2007 dans ce but (ministère de la Santé, 2007). La mesure no 7 de ce
plan prévoit de « reconnaître de nouveaux acteurs de prévention », et notamment
le « développement des nouveaux métiers autour de l’éducation du patient et de la
coordination » ainsi que la « modification des décrets de compétences permettant
la réalisation d’actes de prévention et d’éducation du patient par des professionnels
de santé formés » (ministère de la santé, 2007).
Plus récemment, la Haute Autorité de santé a souligné la nécessité de proposer
aux malades atteints de maladies chroniques un parcours personnalisé constitué
de l’enchaînement d’interventions pertinentes, dispensées par des professionnels
compétents, dans l’environnement le plus adapté (HAS, 2012).
Réunir ces éléments n’est toutefois pas chose aisée dans le contexte actuel de la
santé marqué par la complexité. Celle-ci est plurifactorielle. Les thérapeutiques
et techniques de soins tendent à se complexifier. Les parcours de soins exigent des
modes de prise en charge diversifiés. Ces derniers impliquent pour le patient l’accès

146 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


à des structures multiples et nécessitent la contribution de différents professionnels.
Il en résulte un besoin croissant d’activités de coordination permettant de garantir
la cohérence et la fluidité de ces parcours.
Les situations personnelles des patients tendent également à se complexifier. Les
comportements de santé se modifient tout comme le niveau d’implication des patients
dans la conception et la mise en œuvre de leur projet de soins. Le patient est encou-
ragé à être un « consommateur de soins averti ». Le caractère multiculturel de la
société s’accompagne d’une diversification des attentes et des besoins de santé de la
population. Ces changements imposent aux soignants d’acquérir une compétence
culturelle afin de prendre en compte de façon plus adéquate les stratégies d’adap-
tation à la maladie développées par les patients dans la négociation des contrats de
soins (éducation thérapeutique, modalités de suivi, etc.).
Les difficultés socioéconomiques que traverse notre société génèrent des situations
de précarité qui impactent la santé des personnes. En milieu rural comme urbain,
il existe une insuffisance des réseaux de soutien qui menace le maintien à domicile
des personnes isolées. On constate par voie de conséquence un recours massif aux
urgences hospitalières pour des motifs ne relevant pas de ce type de structure.
En outre, la situation économique actuelle a obligé les organisations de santé à se
reconfigurer et à mettre en avant les notions d’efficience et de performance, adressant
de nouvelles injonctions aux professionnels de santé (Tabuteau, 2013).
Par ailleurs, la situation « perfectible » de la démographie médicale en France
rend difficile la planification sanitaire (Attal-Toubert et Vanderschelden, 2009).
Les déserts médicaux ne cessent de se multiplier. Sur le territoire français, on note
sept régions à forte densité médicale pour 10 régions à faible densité. Ainsi, par
exemple, la densité des médecins en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA)
s’élève à 415 pour 100 000 habitants, alors qu’elle n’atteint que 239 en Picardie. Un
déséquilibre est également observable entre les médecins généralistes et les médecins
spécialistes. De plus, certains modes d’exercice et certaines disciplines médicales
semblent avoir perdu leur attractivité.
Une baisse continue de l’effectif médical a été observée depuis les années 2000 et
devrait se poursuivre jusqu’en 2020. Les projections de l’évolution de la population
médicale réalisées montrent qu’il faudra attendre au-delà de l’année 2030 pour
retrouver l’effectif de 2006. On observe plus de sorties de médecins que d’entrée
en exercice, ce phénomène devrait se poursuivre jusqu’en 2020 (Conseil national
de l’Ordre des médecins, 2011). En outre, on constate un développement croissant
de l’exercice médical à temps partiel.
Si on s’intéresse à la situation des professionnels paramédicaux, on constate une
grande diversité tant entre les professions qu’entre les régions au sein d’une même
profession. Ainsi, alors que la densité des infirmiers s’élève à 855 pour 100 000
habitants en France métropolitaine, elle varie de 696 (région Centre) à 1 105
(Limousin). Les statistiques montrent par ailleurs une densité plus importante
d’infirmiers dans les régions du sud, de l’ouest et de l’est, alors qu’on déplore une
faible densité dans le nord, en Île-de-France, dans le Centre et les départements
d’outre-mer–territoires d’outre-mer (DOM-TOM) (Barlet et Cavillon, 2011). Une

Chapitre 10 – Introduction de la pratique avancée en soins : vers un modèle français ? l 147


modification récente de la convention des infirmiers libéraux avec l’assurance maladie,
en encadrant leur liberté d’installation, devrait à terme réduire ces écarts. Pour les
masseurs-kinésithérapeutes, si la densité est de 113 pour 100 000 habitants en France
métropolitaine, on constate des valeurs extrêmes comprises entre 71 (Picardie) et
163 (Languedoc-Roussillon) (Matharan et Micheau, 2009). Cette profession se
caractérise par une forte proportion de professionnels exerçant en libéral (78 % du
groupe professionnel). Quant aux manipulateurs en électroradiologie, leur densité
moyenne s’élève à 46 pour 100 000 habitants, avec des valeurs extrêmes comprises
entre 38 (Corse, Pays-de-Loire) et 60 (Alsace, PACA).
Si la répartition des professionnels paramédicaux est très inégale sur le territoire,
ce groupe connaît un taux de croissance des effectifs important, bien que très hété-
rogène d’une profession à l’autre.
Ces données démographiques laissent présager une baisse constante de l’offre de
soins dans les années à venir alors que l’on va assister à une augmentation de la
population assortie d’une demande de soins accrue. L’offre de soins ainsi que l’accès
aux soins se trouvent donc gravement menacés.
Cette situation préoccupante a rendu nécessaire l’adoption de mesures correctives.
Le développement de l’expertise de chaque professionnel doit être favorisé afin qu’il
puisse investir pleinement le champ de compétences qui lui est dévolu. Des rééqui-
librages doivent également être réalisés entre les régions. Mais une redéfinition des
contours des professions s’impose également afin de mieux prendre en compte les
besoins des territoires.
Dès les débuts des années 2000, le rapport « Coopération des professions de santé :
le transfert de tâches et de compétences » (Berland, 2003) pointait ces risques et
proposait des recommandations incitant à opérer un transfert d’activités du champ
médical vers le champ paramédical. Des expérimentations ont ensuite été réalisées
afin d’évaluer la faisabilité et l’acceptabilité de ces transferts. En 2007, la Haute
Autorité de Santé a formulé des recommandations dans le but de fixer un cadre à
ces évolutions, tant en matière de législation, de formation, que d’incidence médi-
coéconomique (HAS, 2007). C’est au cours de cette même année que le champ de
compétence des opticiens lunetiers et des orthoptistes a été élargi afin de pallier la
pénurie d’ophtalmologistes.
La loi HPST votée en 2009 (ministère de la Santé, 2009) a introduit la notion
de « coopération entre professionnels de santé » dans le but de relever ces défis
de santé publique. Toutefois, après quatre ans de recul, ce dispositif montre ses
limites et présente un certain nombre d’éléments que l’on peut considérer comme
des freins à son développement, complexifiant son utilisation par les profession-
nels : la rédaction des protocoles très chronophage, des rédacteurs de protocoles
devant posséder des compétences multiples. Le processus d’instruction, imposant
de fréquentes navettes entre les rédacteurs et la HAS, s’étale souvent sur un temps
très long. Si ce dispositif semble adapté au transfert d’activités techniques, il reste
cependant peu adapté lorsqu’il s’agit de transférer des segments de prise en charge
(consultations de suivi de patients porteurs de maladies chroniques stabilisées).
En outre, on constate que ces protocoles ont une portée très locale, peu d’équipes
adhèrent aux protocoles validés.

148 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Le rapport Hénart-Berland-Cadet, publié en février 2010, avait pour ambition de
dépasser ces difficultés en introduisant des « métiers intermédiaires en santé » au sein
du système de santé français (Hénart et al., 2011). Ces recommandations s’appuyaient
sur des études réalisées à partir d’expériences étrangères ayant démontré que la mise
en place de « métiers intermédiaires en santé » apportait de réels bénéfices tant en
matière de prise en charge des patients, pour le système de santé en lui-même, qu’en
matière de démographie des professions de santé. Toutefois, les recommandations
formulées dans ce rapport n’ont pas été suivies immédiatement de réflexions visant
à les mettre en œuvre et ainsi créer ces « métiers intermédiaires en santé ». Pendant
ce temps, le déséquilibre entre l’offre et la demande en soins s’accentue.
Face aux enjeux de santé publique soulevés par cette situation, il devenait donc de
plus en plus urgent de concevoir et de mettre en œuvre un plan d’actions visant à
garantir l’égalité d’accès aux soins pour la population et d’assurer la pérennité de
notre système de santé.
En 2011, la FHF avait alerté le ministère de la Santé sur les risques inhérents à l’inertie
observée dans la mise en œuvre du dispositif de coopération entre professionnels de
santé qu’elle considère comme pouvant être une des réponses à ces problématiques.
Dans sa plateforme 2012-2017, « Le service public de santé, une ambition pour la
France », la FHF considérait que le développement de métiers intermédiaires en
santé devait être une priorité (Fédération hospitalière de France, 2012).
C’est pourquoi la FHF a lancé en 2012 une initiative dans le but d’impulser cette
dynamique.

3. Objectif du projet
Le projet piloté par la FHF avait pour objectif de concevoir un cadre de référence
national destiné à favoriser l’introduction de la pratique avancée en France à partir
des métiers paramédicaux socles dans le but de mieux répondre aux besoins de santé
et aux attentes de la population.

4. Méthodologie
Un groupe d’experts multiprofessionnel (infirmiers, médecins, directeurs, opérateurs
de formation, etc.) a été constitué sous la houlette de la FHF en 2012.
Ce groupe a retenu une méthodologie de travail comprenant cinq phases. Les
trois premières phases ont nécessité la réalisation d’une recherche bibliographique
extensive dans les bases de données de recherche Pubmed, CINAHL et l’APN Data
Base développée par la chaire de pratique avancée en soins infirmiers de l’université
McMaster au Canada. L’analyse critique des références sélectionnées a permis de
mener à bien les phases initiales de la méthodologie :
• une clarification des termes employés dans ce domaine a été réalisée ;

Chapitre 10 – Introduction de la pratique avancée en soins : vers un modèle français ? l 149


• un bilan des stratégies mises en œuvre à l’étranger dans le but de répondre à des
défis de santé publique similaires a été effectué ;
• un repérage national des besoins prioritaires de la population en matière de santé
a été effectué.
Au vu de ces résultats, les deux dernières phases du projet ont pu être menées :
− les caractéristiques d’un métier intermédiaire en santé ont pu être dégagées ;
− une stratégie opérationnelle d’introduction de métiers intermédiaires en santé a
été développée afin de mieux répondre aux besoins prioritaires de la population en
matière de santé.

5. Résultats
Dans un premier temps, les termes couramment utilisés dans ce domaine seront
clarifiés. Les stratégies utilisées à l’étranger pour maintenir l’offre de soins seront
identifiées. Ces éléments permettront d’exposer les grandes lignes du modèle retenu
par le groupe de travail en réponse aux besoins et attentes identifiés en France.

5.1. Clarification terminologique


Une forte polysémie est identifiable en France dans les discussions relatives aux
métiers intermédiaires. Ce phénomène est à l’origine d’une grande confusion. Une
clarification terminologique préalable était nécessaire afin de définir les termes les
plus communément employés. Les termes de métier socle, de coopération entre
professionnels de santé, de métier intermédiaire, de nouveau métier et de pratique
avancée seront successivement abordés.

5.1.1. Métier socle


La notion de métier socle fait référence à la famille professionnelle à laquelle appar-
tient un soignant qui aspire à intégrer une spécialité ou un métier nouvellement
créé. On peut citer quelques métiers socles : les manipulateurs d’électroradiologie,
les masseurs-kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, les infirmiers, etc. Le soignant
a été préparé en formation initiale à exercer ce métier socle. Il a pu, en fonction de
son parcours, acquérir une expérience et développer une expertise dans son champ
d’activité.

5.1.2. Coopération entre professionnels de santé


L’article 51 de la loi HPST du 21 juillet 2009 définit la coopération entre profes-
sionnels de santé comme suit : « par dérogation aux conditions légales d’exercice, les
professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de
coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes
de soins, ou de réorganiser leur mode d’intervention auprès du patient » (ministère
de la Santé, 2009).

150 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


La démarche de coopération est initiée par des professionnels de santé qui constatent,
dans leur environnement de travail, que l’organisation imposée par le Code de santé
publique nécessite d’être adaptée afin de mieux répondre aux besoins identifiés. Elle
se concrétise par la rédaction d’un protocole autorisé par le directeur de l’ARS après
avis conforme de la HAS. Les activités dérogatoires définies dans le protocole sont
nominatives, elles ne concernent que le professionnel qui les exerce. Si le protocole
peut être de portée nationale, l’activité est, elle, en revanche, toujours associée au
professionnel délégué.

5.1.3. Métier intermédiaire


La notion de métier intermédiaire a été introduite dans le rapport relatif aux métiers
en santé de niveau intermédiaire (Hénart et al., 2011). Les propositions de ce rapport
mettent en avant la nécessité de créer des métiers dans le champ de la santé, à partir
des métiers socles, au regard de l’évolution des besoins et des caractéristiques de
l’offre de soins. Cette proposition émane du constat qu’il existe en France, dans le
domaine de la santé, un écart important entre d’une part la profession médicale,
formée au terme de nombreuses années d’études, et d’autre part les professions
paramédicales dont la formation dure trois ou quatre années. L’énoncé de « métier
intermédiaire » semble avoir été choisi en référence, d’un côté, au nombre d’années
d’études nécessaires à l’acquisition des compétences requises pour exercer les acti-
vités dévolues à ces métiers à créer et, de l’autre, au regard de la nature des activités
attendues. La création d’un métier intermédiaire représente une évolution dans la
gamme des métiers qu’offre une profession.

5.1.4. Nouveau métier


La notion de nouveau métier fait référence à un ensemble de missions et d’activités
dévolues à une fonction créée de toute pièce. L’accès à ce nouveau métier n’implique
pas obligatoirement pour le candidat d’être issu d’un métier socle. Pour illustrer
cette notion de nouveau métier, on peut citer notamment la fonction de conseiller
en génétique ou encore celle d’administrateur de réseau en imagerie médicale.

5.1.5. Pratique avancée en soins infirmiers


Le Conseil international des infirmiers a validé une définition internationale de la
pratique avancée en soins infirmiers : « Une infirmière qui exerce en pratique avancée
est une infirmière diplômée qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-
faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences
cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession. Les caractéristiques
de cette pratique avancée sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière
sera autorisée à exercer. Une formation de niveau master est recommandée » (ICN
INP/APN Network, s.d.).
La pratique avancée en soins infirmiers est essentiellement centrée sur l’activité
clinique. Cette pratique est qualifiée d’« avancée » car elle requiert un haut niveau
de maîtrise et le développement d’une expertise. Ce type de pratique fait partie
intégrante de la discipline infirmière dont elle partage les valeurs, les cadres de
référence théorique ainsi que le cœur de métier.

Chapitre 10 – Introduction de la pratique avancée en soins : vers un modèle français ? l 151


Les auteurs de référence dans ce domaine (Hamric et al., 2009) identifient deux
fonctions infirmières sous le terme faîtière d’infirmière de pratique avancée :
l’infirmière spécialiste clinique et l’infirmière praticienne ( figure 4). L’infirmière
spécialiste clinique intervient auprès des patients et de leurs proches, mais également
auprès de soignants moins expérimentés. Elle mène ses activités dans le champ de
compétences octroyées aux infirmières par la législation. Le niveau de maîtrise
élevé dont elle fait preuve dans la réalisation des activités infirmières ainsi que son
expertise en soins lui permettent d’aborder des situations complexes.
L’infirmière praticienne, quant à elle, possède dans la législation un champ de compé-
tences plus large que celui des infirmières généralistes. À ses activités infirmières,
elle intègre des activités de diagnostic de pathologies, de prescription d’examens
paracliniques ou de médicaments, ou encore d’orientation du patient dans le système
de santé. Ces activités supplémentaires sont parfois qualifiées de « dérogatoires ».

Pratique avancée
en soins infirmiers
Infirmière Infirmière
spécialiste clinique praticienne

Haut niveau de maîtrise


des compétences infirmières
Champ de compétences élargi :
Compétences spécifiques diagnostic, prescription
dans le développement professionnel et orientation
des soignants, l’amélioration de la qualité
et de la sécurité des soins

Figure 4 – La pratique avancée en soins infirmiers : un concept, deux fonctions

L’expertise infirmière développée à partir du cœur de métier représente le déno-


minateur commun de ces deux fonctions.
L’exercice de ces fonctions articule cinq rôles :
• pratique clinique directe ;
• consultation et conseil ;
• formation ;
• leadership et collaboration ;
• recherche et partage de connaissances.

152 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Au terme de cette clarification terminologique, on constate une forte proximité
entre le concept de métier intermédiaire et celui de pratique avancée. Identifions
maintenant, au niveau international, les stratégies de mise en œuvre de ces fonctions
innovantes ainsi que les enseignements dégagés au terme de leur introduction.

5.2. Stratégies mises en œuvre à l’étranger face à des défis


de santé publique similaires à ceux de la France
Si le concept de pratique avancée en soins infirmiers peut paraître nouveau en
France, on constate qu’au niveau international il est apparu il y a plus de soixante ans
aux États-Unis et qu’il connaît depuis une expansion constante au niveau mondial,
comme le monde l’étude de Pulcini et al. (2010). Initialement distinctes, les fonctions
d’infirmière spécialiste clinique et d’infirmière praticienne ont été regroupées dans
les années 1990 sous l’appellation faîtière de pratique avancée en soins infirmiers.
Schober a exploré le processus d’introduction du concept de pratique avancée dans
différents environnements nationaux (Schober et International Council of Nurses,
2006). La pratique avancée procède souvent de la conjonction de plusieurs facteurs :
un accroissement des besoins de la population en soins de santé, une pénurie médicale
ou une répartition inadéquate de l’offre de soins médicaux, une volonté du groupe
professionnel infirmier d’apporter sa contribution au maintien de l’offre de soins.
Elle s’inscrit souvent dans un contexte sanitaire économiquement contraint.
Pour maintenir l’offre de soins, nombre de pays préfèrent avoir recours au concept de
pratique avancée en soins infirmiers plutôt que de créer de toute pièce de nouveaux
métiers ne s’appuyant pas sur une qualification infirmière préalable (par exemple
les assistants médicaux).
L’introduction de la pratique avancée en soins infirmiers dans un environnement
national marque souvent un changement important des pratiques sociales en matière
de santé à l’origine de réactions tant chez les médecins que chez les infirmières,
ou encore chez les patients. Même si les variations nationales sont observables,
l’orientation générale tend à rechercher la collaboration et la complémentarité entre
médecins et infirmières de pratique avancée dans une posture respectueuse des
domaines de compétences dévolus à chaque professionnel de santé. Un constat peut
être dégagé de l’analyse de ces différentes études : le concept de pratique avancée
en soins infirmiers doit conserver une grande plasticité afin de faciliter le processus
de transposition nationale.
Face à l’essor mondial de la pratique avancée, le Conseil international des infir-
mières a jugé utile, à la fin des années 1990, de mettre en place un réseau dédié :
le Réseau international de pratique avancée en soins infirmiers (INP/APNN). Ce
réseau a pour objectifs de repérer la diffusion du concept de par le monde mais
aussi d’œuvrer afin d’harmoniser les pratiques, la formation, l’encadrement, la
recherche et la régulation dans ce domaine (ICN INP/APN Network, s.d.). À ce
jour, le réseau a validé :
• une définition de la pratique avancée en soins infirmiers ;
• un référentiel international de compétences ;

Chapitre 10 – Introduction de la pratique avancée en soins : vers un modèle français ? l 153


• des indicateurs d’évaluation spécifiques permettant d’attribuer l’imputabilité des
résultats de soins aux infirmières de pratique avancée ;
• des recommandations dans le champ de la formation des infirmières de pratique
avancée (prérequis, formation de type master, accréditation des programmes,
qualification des infirmiers enseignants, alternance formation théorique/stages
cliniques, etc.) ;
• des recommandations dans le champ de la régulation des infirmières de pratique
avancée (protection du titre, législation encadrant la pratique, maintien des
compétences, certification périodique, etc.).
En outre, l’impact de la pratique avancée en soins infirmiers sur la santé des patients,
et plus largement sur la performance du système de santé, a été étudié dans de
nombreux travaux de recherche. La chaire de recherche en pratique avancée en
soins infirmiers de l’université McMaster a réalisé une recension très exhaustive
de ces travaux. Les résultats de ces études montrent globalement une qualité du
service rendu par ces infirmières tant en termes de résultats cliniques qu’en matière
de satisfaction des patients. Les études montrent également la satisfaction des infir-
mières de pratique avancée dans l’exercice de leur fonction.
De cette recension de la littérature, il ressort quatre points clés permettant, à un
niveau national, d’obtenir un impact positif de la fonction d’infirmière de pratique
avancée :
• la fonction doit avoir été définie (même largement) dans les textes législatifs et
protection du titre ;
• une formation qualifiante de type master doit construire les compétences requises ;
• une régulation de l’exercice de ces infirmières doit être mise en place afin de
protéger la population de toute pratique déviante ;
• un accompagnement des différentes parties prenantes doit être mis en place lors
de l’introduction de la fonction d’infirmière de pratique avancée.
Ces différents éléments ont permis au groupe de travail de concevoir une stratégie
opérationnelle visant à introduire en France des métiers intermédiaires, inspirés du
concept de pratique avancée, à partir des métiers socles paramédicaux.

6. Stratégie opérationnelle visant à introduire


des métiers intermédiaires en France à partir
des métiers socles paramédicaux
Le groupe d’experts a identifié une grande proximité dans les caractéristiques de la
pratique avancée dans la littérature internationale et dans celles des métiers inter-
médiaires exposées dans le rapport Hénart-Berland-Cadet (Hénart et al., 2011). Il
recommande l’introduction nationale de la pratique avancée plutôt que de multiplier
les protocoles de coopération de portée très locale.
Le cadre de référence international développé dans le domaine de la pratique
avancée en soins infirmiers par le Conseil international des infirmières a été adapté

154 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


au contexte français. Sa portée a été étendue afin d’intégrer les autres professions
paramédicales.
Les points clés identifiés par la chaire de pratique avancée de l’université de McMaster1
ont été retenus par le groupe afin de structurer un modèle français reposant sur
cinq piliers ( figure 5) : réglementation, qualification, régulation, rémunération et
accompagnement du changement.

Législation
Réglementation

Accompagnement
du Qualification
changement
Modèle
français

Rémunération Régulation

Figure 5 – Modèle des cinq piliers

Chacun de ces axes a ensuite été décliné de manière opérationnelle.

6.1. Législation/réglementation
L’article 51 de la loi HPST (ministère de la Santé, 2009) a marqué une évolution
dans la reconnaissance officielle de ce type de pratique. Il faut aller plus loin et
dépasser les limites identifiées de ce dispositif.
La réglementation encadrant la pratique avancée est indispensable pour assurer la
protection du public et des professionnels. Elle est un gage de qualité et de recon-
naissance de ce type d’exercice au sein du système de santé.

1. http://apntoolkit.mcmaster.ca/index.php?option=com_content&view=article&id=245&Itemid=28
(consulté en mars 2014).

Chapitre 10 – Introduction de la pratique avancée en soins : vers un modèle français ? l 155


6.2. Qualification
Le développement des compétences attendues des professionnels paramédicaux
en pratique avancée nécessite impérativement de s’effectuer dans le cadre d’un
programme structuré conduisant à l’obtention d’une qualification de niveau master.
Ce programme prend pour assise les compétences déjà développées dans la formation
initiale préparant à l’exercice du métier socle.
Une approche par compétences sera retenue. Les dispositifs s’adossent sur les réfé-
rentiels des métiers socles validés. Une certification des programmes de formation
conduisant à la qualification sera requise.

6.3. Régulation
L’exercice en pratique avancée majore l’autonomie et la responsabilité des profes-
sionnels concernés. Ces derniers doivent donc atteindre et maintenir un seuil de
compétences défini, qui doit être évalué par un dispositif de régulation spécifique.
Le modèle de régulation adopté devra réunir plusieurs caractéristiques :
− le titre de « professionnel paramédical de pratique avancée » devra être protégé,
permettant à la population d’être assurée du niveau de compétence d’un profes-
sionnel qui porte ce titre ;
− une certification individuelle (enregistrement) devra être réalisée au regard de
conditions spécifiques nécessaires à l’attribution du titre protégé ;
− une recertification au regard de conditions spécifiques devra être envisagée pour
conserver ce titre : pratique clinique, formations suivies, conférences, etc. ;
− un dispositif de suivi des professionnels devra être en place ;
− un cadre normatif (normes de bonnes pratiques) et déontologique sera disponible ;
− un dispositif disciplinaire spécifique sera prévu.
Le caractère hétérogène des dispositifs de régulation des professions paramédicales
actuels constituera une difficulté à dépasser.

6.4. Rémunération
La rémunération des professionnels paramédicaux en pratique avancée dépendra du
mode d’exercice (public/privé/libéral). Elle devra prendre en compte les spécificités
liées à l’exercice en pratique avancée inscrites dans un dispositif réglementaire. Elle
devra donc se démarquer de la rémunération des professionnels exerçant le métier
socle.

6.5. Accompagnement du changement


L’accompagnement de la mise en œuvre de la pratique avancée implique une inté-
gration dans les projets du territoire/de l’institution en fonction des besoins de la
population, ainsi que des actions de communication spécifiques adressées à des
publics ciblés :

156 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


• les patients : information, consentement, choix du professionnel de santé, béné-
fices attendus ;
• les décideurs politiques : nature du concept, plus-value escomptée ;
• les responsables administratifs : nature de l’activité, positionnement, plus-value ;
• les instances institutionnelles ;
• le corps médical : nature de l’activité, relations fonctionnelles ;
• les professionnels du secteur sanitaire, social et médicosocial : nature de l’activité ;
• les tutelles/financeurs : nature de l’activité, indicateurs spécifiques, évaluation ;
• les professionnels paramédicaux : nature de l’activité, relations fonctionnelles,
plus-value ;
• l’encadrement paramédical : nature de l’activité, reconnaissance des compétences,
évaluation, relations hiérarchiques/fonctionnelles ;
• les professionnels paramédicaux en pratique avancée : accompagnement dans
la prise de poste, positionnement hiérarchique et fonctionnel, développement
professionnel ;
• les opérateurs de formation : caractéristiques du concept.

7. Perspectives
La FHF, en diffusant les recommandations émanant du groupe de travail, attendait
un engagement des pouvoirs publics dans cette démarche, permettant d’instaurer
la pratique avancée dans notre système de santé.
Le modèle national retenu par le groupe de travail piloté par la FHF offre aux
décideurs politiques l’opportunité d’adopter une démarche d’evidence-based policy1
maximisant les chances d’obtenir les bénéfices attendus : accès aux soins, qualité des
soins, satisfaction des patients, satisfaction des soignants, efficience à moyen terme.
Cette plateforme a été présentée aux parties prenantes impliquées dans ces décisions.
Des évolutions sont intervenues depuis la diffusion de cette prise de position, laissant
parfois à penser que certaines recommandations ont été entendues.
En 2013, dans son discours de lancement de la Stratégie nationale de santé, la
ministre de la Santé évoquait la pratique avancée (ministère des Affaires sociales
et de la Santé, 2013).
Quelques mois plus tard, l’une des mesures du plan cancer 3 rendu public début
2014 prévoit d’introduire la fonction d’infirmier clinicien spécialisé en cancérologie
(ministère des Affaires sociales et de la Santé, 2014). Les caractéristiques de cette
fonction reprennent partiellement certains éléments du modèle : métier socle infir-
mier exigé, formation de niveau master requise, attribution d’activités dérogatoires,
modèle économique spécifique.
Toutefois, les modalités pratiques de mise en œuvre de ces orientations restent
encore à développer dans les mois à venir.

1. Réglementation fondée sur les données probantes.

Chapitre 10 – Introduction de la pratique avancée en soins : vers un modèle français ? l 157


À retenir
La pratique avancée est une stratégie qui a montré son intérêt pour faire face aux défis
actuels de santé publique.
La pratique avancée a fait l’objet de nombre de publications et d’études depuis qu’elle
est apparue il y a plus de 60 ans aux États-Unis.
En France, les décideurs politiques ne peuvent ignorer les données probantes qui montrent
les bénéfices associés à l’introduction de la pratique avancée en soins infirmiers.

Questions de discussion
Quel est l’intérêt d’introduire la pratique avancée à partir des métiers socles plutôt que
de créer de nouveaux métiers ex nihilo ?
Quels sont les éléments qui permettent de qualifier une pratique infirmière d’« avancée » ?

Lectures pour aller plus loin


L’ouvrage de référence en matière de pratique avancée en soins infirmiers : Hamric et al.
(2009).
Pour des réflexions relatives à la diffusion mondiale du concept de pratiques avancées
en soins infirmiers ainsi qu’au processus d’introduction de ce type de fonctions au sein
d’un système de santé : Schober et International Council of Nurses (2006).

Bibliographie
Attal-Toubert, K., Vanderschelden, M. (2009). « La démographie médicale à l’horizon
2030 : de nouvelles projections nationales et régionales ». DREES.
Barlet, M., Cavillon, M. (2011). « La profession d’infirmière : situation démogra-
phique et trajectoires professionnelles ». DREES.
Berland, Y. (2003). Mission « Coopération des professions de santé : le transfert de
tâches et de compétences ». Rapport d’étape.
Conseil national de l’Ordre des médecins (2011). « Atlas national 2011 », www.
conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/Atlas2011.pdf.
Danet, S., Cocagne, N., Fourcade, A. (2011). « L’état de santé de la population en
France ». DREES.
Fédération hospitalière de France (2012). « Le service public de santé, une ambition
pour la France 2012-2017 ».
Hamric, A.B., Spross, J.A., Hanson, C.M. (2009). Advanced practice nursing : an
integrative approach. St. Louis, Mo. : Saunders/Elsevier.

158 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Haute Autorité de santé (2007). « Délégation, transferts, nouveaux métiers... comment
favoriser des formes nouvelles de coopération entre professionnels de santé ? »
Haute Autorité de santé (HAS). (2012). « Promouvoir les parcours de soins personnalisés
pour les maladies chroniques », www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1247611/fr/promou-
voir-les-parcours-de-soins-personnalises-pour-les-malades-chroniques?xtmc=&xtcr=9.
Hénart, L., Berland, Y., Cadet, D. (2011). « Rapport relatif aux métiers en santé de
niveau intermédiaire », www.sante.gouv.fr/rapport-relatif-aux-metiers-en-sante-
de-niveau-intermediaire-professionnels-d-aujourd-hui-et-nouveaux-metiers-des-
pistes-pour-avancer.html
ICN INP/APN Network. (s.d.). “AANP Definition and characteristics of the role”,
http://international.aanp.org/DefinitionAndCharacteristicsOfTheRole.htm.
Matharan, J., Micheau, J., Rigal, E. (2009). Le métier de masseur-kinésithérapeute.
Rapport d’étude pour l’Observatoire national de la démographie des professions
de santé (ONDPS) Paris.
Ministère de la Santé (2007). « Pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes
atteintes de maladies chroniques ». Plan 2007/2011. 15 mesures.
Ministère de la Santé (2009). Loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients,
à la santé et aux territoires (HPST), www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.
jsp?numJO=0&dateJO=20090722&numTexte=1&pageDebut=12184&pageFin=12244.
Ministère des Affaires sociales et de la santé (2013). Stratégie nationale de santé,
www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/SNS-version-courte.pdf.
Ministère des Affaires sociales et de la santé (2014). Plan Cancer 2014-2019, http://
issuu.com/ministere-sante/docs/2014-02-03_plan_cancer?e=2487729/6600366#search.
Pulcini, J., Jelic, M., Gul, R., Loke, A.Y. (2010). “An international survey on advanced
practice nursing education, practice, and regulation”. Journal of Nursing Scholarship :
An Official Publication of Sigma Theta Tau International Honor Society of Nursing/Sigma
Theta Tau, 42, 1), pp. 31-39. doi:10.1111/j.1547-5069.2009.01322.x.
Schober, M., International Council of Nurses (2006). International Council of Nurses :
advanced nursing practice. Oxford, UK ; Malden, MA : Blackwell Pub.
Tabuteau, D. (2013). « Les pouvoirs de la santé : la complexité d’un système en quête
de régulation ». Les tribunes de la santé, 41.

Chapitre 10 – Introduction de la pratique avancée en soins : vers un modèle français ? l 159


CHAPITRE 11
Dynamique identitaire et
légitimité du positionnement
du cadre soignant de pôle
dans le contexte
des mutations du champ
de la santé
Fabienne Sintes, Christine Merienne

1. Introduction
L’hôpital connaît des changements tant économiques, organisationnels, sociolo-
giques, culturels que techniques, contraignant les établissements à se transformer.
La complexité des structures impose aux acteurs, et notamment aux cadres supé-
rieurs de santé, de s’adapter continuellement. Cette remise en question des modes de
fonctionnement induit une incertitude quant à l’évolution du système des activités
professionnelles des cadres soignants de pôles qui se questionnent sur leurs perspectives
d’existence au sein de ce système. Les représentations des rôles professionnels sont
modifiées, les pratiques professionnelles bousculées. Dans cette nouvelle dynamique,
des identités évolutives émergent, s’affirment et se construisent. La collaboration
interprofessionnelle semble se dessiner comme une approche managériale indiquée
face aux schémas classiques d’organisation du travail.
C’est autour de cette problématique que nous avons conduit une étude de terrain,
dans le cadre d’une recherche universitaire, afin de questionner la construction
identitaire du cadre supérieur de santé (CSS) ayant un rôle de cadre soignant de
pôle (CSP).
La discussion, centrée sur la personnalité professionnelle appliquée au cadre soignant
de pôle, vise à esquisser un espace où situer son rôle pour s’adapter au changement
et se positionner dans l’organisation hospitalière.

Chapitre 11 – Dynamique identitaire et légitimité du positionnement du cadre soignant de pôle l 161


2. Un contexte législatif évolutif : la nouvelle
gouvernance entraîne des changements
de mode de management
L’ordonnance du 2 mai 2005 constitue une première réforme de la gouvernance
des établissements publics de santé. Elle prévoit la mise en place des pôles avec un
exécutif de pôle. La création des pôles d’activité a pour but d’améliorer le service
rendu au patient grâce à une organisation médicale et de soins décloisonnée, ainsi
qu’une complémentarité des moyens et des ressources. Cette réforme mentionne
l’efficience, la performance, le recentrage décisionnel au plus près du terrain, les
délégations de gestion et la contractualisation, une approche plus transversale et
participative du système hospitalier. Elle instaure une nouvelle tarification à l’activité
qui privilégie les recettes sur les dépenses, les résultats sur les moyens. Il s’agit de
responsabiliser les équipes soignantes en les initiant à la gestion médicoéconomique.
La loi HPST est venue conforter cette nouvelle organisation en reconnaissant le
pôle comme seule structure interne obligatoire. Elle « le consacre comme support
de l’organisation interne de l’hôpital, lieu de déclinaison de la stratégie médicale et
nouvel espace de management ».
En une dizaine d’années, l’hôpital public a perdu progressivement ses repères, à
l’instar de très nombreux professionnels qui y travaillent. Les réformes se sont
succédé à un rythme accéléré. La dernière réforme, dite loi HPST, a été instaurée
sans que la réforme précédente de gouvernance, lancée en 2005, soit totalement
mise en place et évaluée. Aujourd’hui, une perte de confiance affecte l’ensemble du
secteur hospitalier.

2.1. Du modèle bureaucratique à l’organisation polaire


Comme pour bon nombre d’entreprises, efficience et performance sont les maîtres
mots qui régissent l’hôpital aujourd’hui. De nouvelles perspectives managériales se
profilent aux dépens de la bureaucratie. Le modèle organisationnel de type bureau-
cratique montre aujourd’hui ses limites du fait de sa rigidité. La gestion publique est
passée d’une culture de moyens à une culture de résultats. Ainsi, le découpage des
hôpitaux par pôle d’activité permet de passer d’une structure pyramidale, avec un
centre décisionnel éloigné des activités, à une structure dont le centre de décision est
au plus près des personnes concernées, sur la base du principe de subsidiarité, c’est-
à-dire que les décisions sont prises par les professionnels concernés. Cependant, de
nombreux auteurs ont souligné le caractère inabouti de ces réformes qui conduisent le
plus souvent à la coexistence de mécanismes bureaucratiques classiques (centralisation
des décisions, formalisme des procédures d’évaluation) avec des éléments d’innovation.
La nouvelle gouvernance a pour enjeu de rapprocher la décision du centre opéra-
tionnel au sens où il est défini par Mintzberg, c’est-à-dire au niveau des médecins
chefs de pôles ou plutôt au niveau du trinôme de pôle (chef de pôle, cadre soignant
de pôle, cadre administratif) pour les associer avec l’équipe de direction au pilotage
de l’établissement, dans une vision stratégique et durable. Ce mode de pilotage

162 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


introduit donc de multiples changements dans une institution où la logique tradi-
tionnelle est plutôt de type binaire : médicale d’un côté, administrative de l’autre.

2.2. Évolution de la fonction cadre de santé


L’évolution et les mutations de notre système de santé, le contexte économique, les
réformes hospitalières successives obligent à un repositionnement quasi permanent
de la fonction cadre. D’un modèle d’encadrement autoritaire avec la surveillante
(jusque dans les années 1950) à un modèle professionnel avec le cadre infirmier
(jusqu’en 1995), le nouveau modèle vers lequel s’oriente aujourd’hui le cadre de santé
est gestionnaire et managérial.
La mise en place des pôles hospitaliers s’est accompagnée de la création d’un nouveau
métier, cadre soignant de pôle, dont les fonctions recoupent celles du cadre supérieur
de santé. Ainsi, il voit ses fonctions se développer dans des missions stratégiques de
coordination, de gestion de projet et de communication.

3. Le système des activités professionnelles


du cadre soignant de pôle
Le modèle théorique du système des activités professionnelles, développé par
Bataille et al. (1997), est un espace où les représentations professionnelles fondent
les identités et les pratiques d’un groupe professionnel selon un contexte spécifique.
Ce système renvoie à un ensemble d’éléments qui interagissent entre eux et avec
le milieu extérieur. Il correspond à un agencement ordonné des pratiques, des
représentations et des identités professionnelles, permettant à une personne de
s’adapter aux contraintes de l’organisation et de s’autoréguler sous la pression des
acteurs collectifs.
Selon Blin (1997), le système de représentations situe le rapport d’un individu à sa
pratique. C’est la grille de lecture qui lui permet de donner un sens aux activités
qu’il effectue et à son environnement. Les représentations sont liées à la pratique
quotidienne qu’elles orientent, auxquelles elles donnent un sens, et à partir de
laquelle elles peuvent être modifiées.
Ce modèle systémique, compris comme un référent théorique et non comme un
modèle d’action, tente de décrire, d’expliquer et de comprendre les relations qui les
unissent selon Blin (1997) :
• les conditions réelles d’exercice des activités : contexte ;
• l’émergence de groupes se construisant leurs propres règles : identités ;
• les styles d’intervention propres à chaque groupe : pratiques ;
• les savoirs impliqués partagés dans les groupes : représentations.

Dubar (2000) évoque le rôle des représentations sociales dans la dynamique du


développement identitaire. « Les représentations sociales véhiculent des modèles
sociaux d’identité qui constituent des cadres de référence servant à catégoriser les
autres et soi-même au sein de divers champs sociaux. » Le processus de construction

Chapitre 11 – Dynamique identitaire et légitimité du positionnement du cadre soignant de pôle l 163


identitaire est fluctuant et dynamique, « un résultat à la fois stable et provisoire,
individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers
processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent
les institutions » (Dubar, 2000). Le cadre soignant de pôle, comme tout individu,
construit son identité dans une dynamique naviguant entre continuité, cohérence,
unicité, diversité, action et estime de soi, mais il doit faire face à des oppositions
structurantes. Selon Jodelet et Moscovici, cités par Blin (1997), « les pratiques sont
des systèmes d’action socialement structurés et institués en relation avec des rôles »,
à partir de quoi il propose la définition suivante : « Les pratiques professionnelles
sont des systèmes complexes d’actions et de communication socialement investis et
soumis simultanément à des enjeux socialement et historiquement déterminés et à
l’incertitude propres aux interactions entre des individus participant aux activités
d’un même contexte (organisation et institution) professionnel. »
Nous allons envisager les pratiques professionnelles du point de vue du management
transversal et de la collaboration. En effet, la culture hiérarchique des organisations
verticales se heurte aux nécessités des organisations horizontales et à la culture du
décloisonnement pour mobiliser les équipes sur des objectifs souples, réactifs et
convergents.
Un management qui intègre la transversalité vise à favoriser les échanges et l’inter-
disciplinarité afin d’associer les compétences et d’orienter les efforts vers un objectif
précis, et ainsi gagner en efficacité, voire en efficience.
Selon D’amour (1997), l’action de tout groupe professionnel est caractérisée par la
complexité, la diversité et l’indétermination. La collaboration interprofessionnelle
doit donc être conçue comme le fruit d’une construction sociale à l’intérieur d’un
cadre organisationnel plus ou moins formalisé. Cette structuration d’une action
collective de partenaires en situation d’interdépendance « résulte d’un processus
d’interaction entre les acteurs, des acteurs avec la structure organisationnelle et de
ces deux éléments, avec des structures englobantes ».
Dans une analyse conceptuelle, D’amour et al. (2005) définissent la collaboration
sur la base de quatre concepts : partage, partenariat, interdépendance et pouvoir.

4. Problématique
La succession rapide des réformes a un impact certain sur la fonction de CSS qui
se traduit bien souvent par une perte de repères, voire même une crise identitaire.
Le CSP, qui est le plus souvent CSS, doit construire un nouveau métier dans un
contexte très mouvant. Depuis la loi HPST, le pilotage des pôles est défini entre
le chef de pôle et ses « collaborateurs ». Le cadre supérieur de santé, qui était en
position d’assistant de pôle avant cette dernière loi, s’interroge encore plus sur son
positionnement, ses missions et ses perspectives d’avenir, même si la plupart des
hôpitaux ont fait le choix de conserver le triumvirat1. Le cadre réglementaire ne
propose qu’une définition substantielle de son rôle, ce qui explique en partie comment

1. Il est composé du médecin chef de pôle, du cadre soignant de pôle et du cadre administratif de pôle.

164 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


cette fonction a dû s’ajuster aux évolutions culturelles profondes des organisations
hospitalières sans avoir la possibilité de construire une culture professionnelle propre.
De plus, l’évolution de la conception managériale de l’hôpital vers la responsabilisation
des acteurs et la déconcentration des droits décisionnels impacte le management
des CSP. Les lignes hiérarchiques se modifient. La persistance d’un management
pyramidal, de type uniquement hiérarchique, semble désormais vouée à l’échec.
De nouvelles pratiques managériales, basées sur la transversalité, émergent avec
l’organisation polaire. Ainsi, tous les pouvoirs établis sont bouleversés et un nouveau
mode de pensée et de responsabilité apparaît pour le CSS. En ce sens, il semble
nécessaire de développer et d’adopter une attitude de collaboration et de coopération
afin d’obtenir à terme une culture de pôle. Mais ces changements questionnent les
pouvoirs en place, le jeu des acteurs, leur zone d’autonomie. Ils interpellent aussi
les compétences en présence et invitent à les faire évoluer. Cette rupture avec les
habitudes peut être vécue comme déstabilisante.
Historiquement, l’identité professionnelle est le résultat d’un processus collectif
inscrit dans les relations communautaires basées sur les niveaux de qualification.
Mais les modèles ont éclaté, se sont diversifiés sous l’effet des changements sociétaux
et de l’évolution des nouvelles formes d’implication au travail. Les représentations
professionnelles sont des représentations sociales spécifiques (Piaser, 1999) qui ont
une fonction de socialisation et d’insertion professionnelle, qui impliquent une
fonction identitaire et sont fortement ancrées dans le contexte professionnel dont
elles dépendent, ici l’organisation polaire. Le modèle des compétences, en constante
évolution, qui tend à supplanter celui de la qualification acquise une fois pour toute,
fragilise la construction d’une identité professionnelle affirmée. Cela entraîne un
processus identitaire comportant des phases diverses, des conversions de forme et
des constructions de projets liés à la personne. Les identités professionnelles se
construisent ainsi tout au long de la vie.

5. Protocole de recherche
Nous avons adopté une technique d’enquête qualitative à visée compréhensive.
L’échantillon est constitué de quatre catégories socioprofessionnelles que nous
retrouvons dans l’armature du pôle. Celui-ci comprend : le chef de pôle, le cadre
soignant de pôle, le cadre administratif de pôle ainsi que le directeur délégué
de pôle. L’enquête a été réalisée sur deux centres hospitaliers généraux de taille
similaire. Nous avons fait le choix de rencontrer trois personnes par catégorie
professionnelle : huit personnes sur le site 1 et quatre personnes sur le site 2. Le
nombre limité d’entretiens et leur réalisation sur deux sites hospitaliers ne peuvent
permettre une généralisation des résultats. Nous avons réalisé le recueil de données
à l’aide d’entretiens semi-directifs ouverts. Le guide d’entretien se déclinait autour
de trois axes qui visaient à explorer :
• les représentations professionnelles ;
• l’identité professionnelle ;
• les pratiques professionnelles.

Chapitre 11 – Dynamique identitaire et légitimité du positionnement du cadre soignant de pôle l 165


Les données ont été traitées manuellement à partir de l’analyse phénoménologique
interprétative (Smith, 1995 ; Apostolidis, 2006) et de l’analyse de contenu catégo-
rielle (Bardin, 2007).

6. Présentation des résultats et analyse


des données
Nous avons ainsi déterminé cinq catégories.

6.1. Représentations sociales et professionnelles de la fonction


de cadre soignant de pôle (entre valeurs, croyances
et opinions)
À partir de la méthode Abric (1996), nous avons demandé au sujet de produire les
trois premiers mots lui venant à l’esprit à partir du mot inducteur cadre soignant de
pôle, puis de sélectionner celui qui lui semblait le plus représentatif et de l’expliciter.
Nous avons regroupé en cinq thèmes l’ensemble des mots cités :
• la collaboration/articulation/coordination/alliance avec le chef de pôle, dans
10 entretiens. Un CSP nous a dit : « le plus pertinent par rapport à la fonction,
je dirais [que c’est] la collaboration avec le chef de pôle » ;
• la dimension stratégique/projet de pôle/validation, dans huit entretiens. Un chef
de pôle ajoute : « c’est la vision stratégique du pôle, ce positionnement central, à
la fois de relai et de proposition dans le développement des projets » ;
• le management des équipes/leader/promotion/pilier des soins/fédérateur, dans
sept entretiens. Un CSP souligne : « alors, je dirais leader, parce que dans la
situation actuelle, il faut vraiment que le CSP soit celui qui entraîne l’ensemble
du groupe derrière lui » ;
• la responsabilité de la qualité des soins, dans six entretiens ;
• la notion de gestion/budget, dans cinq entretiens.

Nous constatons que les personnes interviewées, quelle que soit leur catégorie
professionnelle, ont une vision assez proche et complémentaire de la fonction
de cadre soignant de pôle. Il n’existe pourtant pas de référentiel établi à ce jour
concernant cette fonction. Il s’agit d’un métier émergent. Avec la mise en place de
la nouvelle gouvernance à l’hôpital, les représentations des différents professionnels
impliqués dans l’organisation polaire amènent à penser que le CSP, en participant
au pilotage et à la gestion du pôle, en manageant et animant les équipes de cadres de
proximité et au-delà les équipes soignantes, dans ce contexte où la collaboration et
la transversalité sont les pierres angulaires, se voit conférer un rôle plus stratégique.
Dans les associations de mots proposées, nous remarquons que le cadre soignant
de pôle est souvent rattaché à son métier d’origine, en tant que responsable de la
qualité des soins de par son expertise, mais aussi dans le management des équipes
soignantes. Ces représentations évoluent, en lien avec le contexte, avec l’introduction
des notions de stratégie, de gestion budgétaire et de forte collaboration au sein du

166 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


pôle. Ainsi, les représentations se transforment, c’est-à-dire qu’elles sont inscrites
dans un processus de construction, (impliquant une dynamique sociale continue)
qui permet aux individus de modifier leur point de vue et de faire évoluer leurs
représentations, à travers leurs échanges communicationnels.

6.2. Relations interprofessionnelles : le pôle, lieu


de construction identitaire
L’identité professionnelle du CSP ne se définit pas par un sentiment d’appartenance
au groupe socioprofessionnel ou de distanciation vis-à-vis de ce dernier.
Les professionnels s’identifient à partir de leur propre expérience, mais aussi grâce
au modèle institutionnel construit à partir des relations qu’ils établissent au sein
même de leur organisation de travail, à savoir le pôle.
Ce constat permet d’identifier un risque de « balkanisation » lié à l’organisation en
pôles. Ce concept, par son ancrage dans l’histoire, a l’avantage d’identifier claire-
ment les effets négatifs de l’émiettement et de l’atomisation des territoires, dont la
conséquence la plus sérieuse est la multiplication des conflits. Chaque pôle se voit
comme une identité à part, unique, isolée, alors qu’en fait chaque pôle est partie
prenante d’un établissement.

6.3. Identité professionnelle et compétences plurifonctionnelles


Pour les CSP, l’aspect gestionnaire représente une véritable réévaluation de leurs
responsabilités, une clarification de leur mission et une nouvelle implication dans
l’hôpital par le biais des pôles. Ils font part aussi « d’une marge de manœuvre non
négligeable ».
Si tous les CSP ne parlent pas de nouveau métier, tous sont d’accord pour évoquer
une approche plus large du système et une gestion de plusieurs services avec des
responsabilités nouvelles, notamment en termes de gestion, assisté en cela par le
cadre administratif de pôle (CAP)1.
La valeur ajoutée des CSP semble se situer autour de quatre compétences clés :
l’expertise de terrain, la collaboration managériale, la gestion des activités et
l’accompagnement des équipes sur les valeurs, la prise en compte de l’acteur. Les
réponses exprimées montrent plusieurs champs de compétences. Tous les CSP, dans
leurs propos, évoquent un sentiment d’appartenance certain à la culture soignante
et aux valeurs professionnelles portées par celle-ci. Aujourd’hui, la connaissance
du soin est associée à la notion d’efficience. Le CSP, par son expertise soignante et
managériale de cadre de santé, devient capable, en plus de l’évaluation de la qualité
des soins, de proposer des organisations en lien avec les exigences budgétaires. Ce
rôle d’expert peut permettre de lutter contre les zones d’incertitude et, de ce fait,
lui assurer un certain pouvoir dans le pôle.
Cette fonction s’exerçant dans un contexte nouveau et se fondant sur des jeux de
pouvoir singuliers, repérables, donne l’opportunité au cadre soignant de pôle de

1. Lire partout : cadre administratif de pôle.

Chapitre 11 – Dynamique identitaire et légitimité du positionnement du cadre soignant de pôle l 167


développer de nouveaux talents stratégiques. Il s’agit de changer de positionnement,
au sens du sociologue Alter (2005). À l’hôpital, ce sont les cadres soignants de pôle
qui sont les « pionniers » parce qu’il y a création d’une nouvelle fonction, une
innovation qu’ils doivent s’approprier.
Tous s’accordent sur la nécessaire formation universitaire des CSP de type master.
La formation est génératrice d’identité pour soi en rapport avec la trajectoire
personnelle du CSP. Cette identité biographique correspond à la manière dont le
CSP se voit dans son parcours de vie. La formation génère aussi de l’identité pour
autrui, en envisageant comment le CSP se situe dans le système qu’est l’hôpital et
par rapport à l’image que les autres professionnels renvoient.
Toutefois, l’obtention d’un master ne donne pas une clé magique, il peut générer
de la réflexion et de la prise de distance, mais il ne règle pas tout.

6.4. Cadre soignant de pôle : un avenir incertain


Les CSP évoquent leur incertitude quant à l’avenir de cette fonction. Avec la loi
du 21 juillet 2009, le praticien chef de pôle n’est plus obligatoirement assisté par
un cadre soignant et un cadre administratif. Le principe d’une assistance par
deux collaborateurs, sans être exclu, n’est plus la règle. Dans le discours des CSP,
la projection de la fonction dans les cinq ans à venir reste floue compte tenu de
l’absence de définition réglementaire par les tutelles et du projet portant sur « le
pacte de confiance à l’hôpital1 ».

6.5. Management transversal et évolution des pratiques


managériales : la nécessaire collaboration
interprofessionnelle (modification des lignes
hiérarchiques, stratégie du pôle, logiques différentes)
Nous remarquons, au travers des propos discursifs des CSP, des CAP et des chefs
de pôle, une certaine méfiance envers les directions fonctionnelles.
Les changements au niveau du management sont exprimés en termes de « moins
d’informations uniquement descendantes », « plus de négociations », avec l’apparition
des notions de construction et de partage. Nous avons assisté ces dernières années
à la modification des lignes hiérarchiques. La proximité initiale avec la direction
des soins a évolué au fur et à mesure vers une nouvelle proximité avec le chef de
pôle, le CAP et le directeur délégué de pôle (DDP).
Ainsi, le CSP a une double appartenance. D’une part, il est l’un des acteurs straté-
giques du pôle, au sein du trio ou quatuor managérial. D’autre part, il est membre
de la direction des soins au sein de laquelle il participe à la mise en œuvre de la
politique institutionnelle et notamment du projet de soins. Cette dualité est à la fois
source de tiraillements et de contradictions, mais apporte toutefois une nouvelle
dimension à la fonction.

1. Couty, E. (2013). « Le pacte de confiance pour l’hôpital », rapport, ministère des Affaires sociales
et de la Santé.

168 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Cependant, dans la plupart des propos discursifs, la nécessité de « cohérence institu-
tionnelle » est évoquée. Celle-ci pourrait être considérée comme un fonctionnement
harmonieux des différents groupes professionnels qui composent l’hôpital, avec des
interactions solidaires entre eux. Cela nécessite la mise en place d’un mode de fonc-
tionnement qui établisse un lien entre les différents pôles. C’est alors qu’intervient
le concept de management par la transversalité.
De la même façon, toutes les personnes interviewées soutiennent le fait que « la
collaboration est indispensable à l’efficience ». Nous pouvons toutefois nous
demander si tous les acteurs interrogés envisagent et pratiquent la collaboration
de la même façon avec tous les interlocuteurs. La collaboration, telle que définie
dans le cadre conceptuel, vise à réduire la compétition improductive qui limite la
communication entre professionnels et crée des clans. Elle prône le travail en équipes
pluridisciplinaires car elle favorise le partage des connaissances et des expertises.
Elle favorise la communication en surmontant les frontières structurelles pour
faciliter les échanges et atteindre des objectifs communs. Au sein des pôles, nous
émettons l’hypothèse qu’au niveau du triumvirat elle est effective. Pour le reste de
l’institution, nous avancerons qu’elle est en timide construction. Cependant, nous
retrouvons dans toutes les interviews cette notion de transformation des pratiques
managériales. Ainsi, comme le souligne Bedin (2013) : « Vouloir le changement
n’induit pas nécessairement l’enclenchement de ce processus et des modalités
d’action sont à inventer pour combler la distance entre une volonté initiale, voire
une prescription, et les réalités de terrain. »

7. Discussion
L’identité du CSP pose un problème de définition dans la perception de son
activité quotidienne. Cette fonction questionne la légitimité de sa place dans
l’organisation hospitalière, d’autant que son statut peut apparaître problématique
par sa production immatérielle difficile à mesurer dans son activité quotidienne.
Effectivement, l’essentiel de l’activité du cadre soignant de pôle s’articule autour
d’actions de communication comme il a été précisé en référence à Jodelet et Mosco-
vici, cités par Blin (1997) : « les pratiques sont des systèmes d’action socialement
structurés et institués en relation avec des rôles ». Concrètement, les actions de
communication du CSP s’actualisent dans ses prises de positions, seuls éléments
visibles, repérés par ses interlocuteurs comme indicateurs de son efficacité et de
son efficience. Notre propos ici est d’analyser le processus qui permet au CSP de
produire un positionnement qui soit la marque personnelle de son action et qui
reflète fidèlement son identité, traduction de sa personnalité professionnelle. Il
nous a donc semblé pertinent de questionner cette idée de rôles joués ou à jouer
en tant que perspective stratégique managériale visant à s’adapter au changement.
L’acteur CSP à un rôle à jouer dans l’organisation hospitalière qui s’élabore à partir
de son identité et de sa personnalité professionnelle incarnées dans ses actions de
communication.

Chapitre 11 – Dynamique identitaire et légitimité du positionnement du cadre soignant de pôle l 169


7.1. Un rôle à jouer pour s’adapter au changement
Le terme de rôle est utilisé pour énoncer et prescrire un ensemble d’actes qui relèvent
des compétences liées à la fonction. Son utilisation prédispose à une inscription
personnelle de l’acteur dans sa fonction. Dès le xixe siècle, il est employé au figuré
dans le sens de fonction sociale, profession selon Rocheblave-Spenlé (1969). La loi
prescrit et codifie le(s) rôle(s) des professionnels en termes d’actes à accomplir, mais
elle ne codifie pas la stratégie.
Ainsi, l’acteur utilise de façon personnelle le produit de ses connaissances en fonction
du degré de développement de valeurs professionnelles qu’il a la liberté de hiérar-
chiser en fonction de ce qu’il est. C’est sa marge de liberté. Selon Crozier (1997),
au sein d’une organisation, « l’homme ne peut être considéré seulement comme
une main […] ni même non plus seulement comme une main et un cœur […] il est
aussi et avant tout une tête, c’est-à-dire une liberté, ou en termes plus concrets un
agent autonome qui est capable de calcul, de manipulation, et qui s’adapte et invente
en fonction des circonstances et des mouvements de ses partenaires ». Le rôle que
l’acteur joue au sein d’une organisation peut permettre d’investir cette zone de
liberté. Rocheblave-Spenlé (1969) propose une définition du rôle à plusieurs niveaux.
« Au niveau du groupe, le rôle constitue un modèle de conduite prescrit pour toutes
les personnes occupant un même statut. Le rôle se définit alors par le consensus et
exprime des normes et valeurs culturelles.
Au niveau intersubjectif, le rôle figure des conduites ou des modèles de conduites
réciproques dans des processus d’interaction, répondant aux expectations d’autrui
et relatifs à des situations déterminées.
Au niveau de la personnalité, le rôle représente une attitude envers autrui, une
habitude sociale de l’individu, et entretient des rapports étroits avec la personnalité
profonde le soi. »
En situation réelle, les limites ne sont pas aussi tranchées. Cette approche offre
l’avantage de prendre en compte le point de vue de l’acteur et du groupe dans une
perspective où les logiques sociale et psychologique cohabitent et s’enrichissent
mutuellement. Elle permet également d’envisager la notion de compétence dans son
rapport aux normes et aux valeurs au regard de la fonction liée au rôle de chacun
dans une organisation ; enfin, elle laisse entrevoir les liens étroits entretenus avec
l’identité de l’acteur, la personnalité et le soi.
La personnalité, précise Mead, cité par Rocheblave-Spenlé (1969), se construit par
de nombreuses prises de rôles parmi lesquelles il distingue les « moi » correspondant
au côté statique et prévisible de la conduite, auxquels il oppose les « je », aspect
dynamique, original, et imprévisible de la personnalité qui apparaît dans les libres
choix de l’individu. Il représente l’aspect de la personnalité auquel s’identifie le sujet.
Il introduit un élément historique dans la conduite.
Moreno (1965), inspiré par Bergson et le courant vitaliste, affirme qu’il existe des
actes qui ne découlent pas de quelque antécédent, mais qui jaillissent de façon impré-
visible, ces actes libres expriment la personnalité totale de celui qui les accomplit

170 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


et maintiennent ouvert le monde naturel, la société. Ce jaillissement est nommé
« l’élan vital », il est source de spontanéité.
La spontanéité est un mélange d’intensité dramatique et d’authenticité. Elle ne
peut être apprise, elle est inventrice et ne cherche pas d’effet. Elle est génératrice
de créativité et permet à l’individu de s’adapter à un monde en changement rapide
tout en donnant énergie et unité au moi. Ainsi, toujours selon Moreno (1965), le
rôle traduit « la manière d’être réel et perceptible que prend le moi, la manière
d’être et d’agir que l’individu assume au moment précis où il réagit à une situation
donnée, dans laquelle d’autres personnes ou objets sont engagés. Le rôle dépend
donc de la « manière d’être au monde » d’un individu, de sa situation et de la
position prise par lui dans un groupe donné ou une situation donnée, et de leurs
relations réciproques ».
Cette approche centrée sur l’individu positionne le rôle dans le rapport à la personnalité
de l’acteur en situation. Elle permet d’envisager comment celui-ci agit et réagit, mais
aussi, du point de vue du groupe et au niveau intersubjectif, comment il interagit.
C’est donc à la notion de « créativité » dans le jeu au sens où créer signifie s’adapter
et s’ajuster aux éléments extérieurs du monde et non pas se soumettre complaisam-
ment à la réalité extérieure (Anzieu, 1958) que l’on devrait donner la possibilité
pour l’acteur CSP soumis aux prescriptions institutionnelles de devenir auteur de
soi dans l’action ; c’est-à-dire un être humain vivant qui va « créer » en s’ajustant,
en s’adaptant au contexte, utilisant son « élan vital », lui-même libérateur puisqu’il
génère de « la spontanéité » pour réagir en inventant et non pas seulement agir en
se conformant, c’est-à-dire en agissant comme.
Le rôle à jouer permet donc au CSP d’investir une « marge de liberté » générée par
la notion même de rôle, il fournit à l’individu les moyens d’être selon Crozier (1997)
une « liberté », en d’autres termes un « agent autonome », capable de « s’adapter,
d’inventer en fonction des circonstances et des mouvements de ses partenaires ».
Le rôle semble donc un concept opératoire dans une stratégie de réponse et d’adap-
tation au changement. Pourtant, être soi ne va pas de soi.

7.2. Être soi, un rôle à construire


Le rôle à jouer ressemble parfois à un mime où seul l’aspect du moi statique et
prévisible de la conduite s’exprime. C’est alors une stratégie contre-productive pour
générer une conduite autonome et assumée. Ferry (1994), à propos du Self, le soi,
précise : « J’agis exactement comme mon père, il n’imitait personne, moi non plus. »
Le déni proclamé de la « mimesis1 » permet de préciser que l’auto est hétéro avant
même que de se manifester. L’autonome « agit exactement comme ». Le paradoxe
de cette affirmation « être soi », c’est ne faire comme personne, « être soi », c’est
faire comme quelqu’un d’autre. Ce discours est aux prises avec le « même » et
l’« autre ». L’autonome se façonne donc par et grâce au modèle, dans une recherche
de singularité générée par la nécessité de s’adapter au contexte, nécessité de survie.
Tap (1979) développe l’idée qu’il n’y a pas d’identité sans différence, précisant que le

1. Imitation.

Chapitre 11 – Dynamique identitaire et légitimité du positionnement du cadre soignant de pôle l 171


sujet est un être social, en interaction avec le milieu. Ces deux phrases contiennent
toute la problématique de l’identité de l’individu en tant que membre d’un groupe.
Il aborde l’aspect épistémologique des structurations de l’identité. Il distingue le
sujet psychologique qui se décline selon les axes biologique, affectif, cognitif et
social, et le milieu qui se décompose en sujets, objets, institutions. L’ensemble de
ces éléments sont en interaction et interrelation dans une dialectique infinie où
tantôt l’identité s’actualise potentialisant la différence, tantôt la différence s’actualise
potentialisant l’identité.
Les deux logiques sous-jacentes sont celles de l’équivalence et de l’antagonisme.
L’identité personnelle concerne le sentiment d’identité, c’est-à-dire le fait que
l’individu se perçoit comme étant le même, reste identique à lui-même, dans le
temps ; en d’autres termes, le système de représentations par lequel le soi se spécifie
et se singularise. Mon identité, c’est donc ce qui me rend semblable à moi-même et
différent des autres, c’est ce par quoi je me sens exister en tant que personne et en
tant que personnage social ayant rôles et fonctions (Tap, 1979).
L’identité personnelle se compose de plusieurs facettes :
• une dimension temporelle de la connaissance de soi à partir du sentiment de
continuité ;
• un sentiment d’unité et de cohérence relativement à l’histoire personnelle.

C’est aussi un système d’identités multiples nées de la diversité qui comprend mon
nom, mes racines, mes droits, mes devoirs, mes positions, mes rôles. L’identité
personnelle suppose : séparation, autonomie et affirmation. Elle se constitue
dans la différenciation cognitive et dans l’opposition affective. Elle se renforce
dans le sentiment d’originalité, s’enracine dans l’action, s’institue comme valeur
et par des valeurs : être cause, être quelqu’un qui compte pour autrui et pour soi-
même, conduisant soit au processus de changement, soit à la notion de reproduc-
tion relativement à l’identification à un modèle (Tap, 1979). Le soi, en tant que
contenant englobant tout (Winnicott, 1971), permet à l’individu de lutter contre
la dispersion d’éléments dissociés et compartimentés dans la structuration de son
identité personnelle. Il permet à l’individu de ressentir une certaine unité. C’est ce
que Mead appelle le soi ou le Self et qui correspond à la personnalité (Rocheblave-
Spenlé, 1969), un processus social qui explique comment le sujet se construit grâce
à sa capacité à intérioriser dans la prise de rôle l’attitude d’autrui. Le soi introduit
la notion de personnalité contiguë à celle d’identité personnelle en liaison avec
les conduites réelles, avec la personnalité en tant que fonction de coordination
et de hiérarchisation des conduites selon les exigences de l’action et des relations
interpersonnelles et sociales. Cette instance de la personnalité professionnelle
constitue un espace potentiel à investir de façon stratégique pour le CSP dans
son activité de communication afin d’inscrire son positionnement négocié à la
croisée du politique et de l’opérationnel. Cet espace lui permet de s’affirmer, de
construire des alliances et ainsi d’acquérir un statut de partenaire coresponsable
et codécisionnaire au sein du pôle.

172 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


À retenir
La mise en place des pôles d’activité dans le cadre de la loi HPST interpelle le CSP car elle
impose une reconstruction identitaire et un repositionnement professionnel. Elle oriente
vers de nouvelles pratiques managériales et nécessite le rééquilibrage stratégique des
rôles en collaboration.

Questions de discussion
Quel avenir professionnel pour le CSP ?
Quel(s) niveau(x) de qualification(s) viser pour quelle(s) compétence(s) ?
Quel(s) défi(s) à relever ?
Quel(s) bénéfice(s) pour l’usager des soins ?

Lectures pour aller plus loin


Toniutti (2010).
Saint-Jean et Péoc’h (sous presse).

Bibliographie
Abric, J.-C. (1996). Psychologie de la communication : théories et méthodes. Paris : Armand
Colin, coll. « Cursus psychologie ».
Agence nationale d’appui à la performance (2010). « La loi HPST à l’hôpital : les clés
pour comprendre », novembre, www.carnetsdesante.fr/_Chauvancy-Marie-Claire.
Alter, N. (2005). L’Innovation ordinaire. Paris : PUF.
Anzieu, D. (1958). Le Psychodrame analytique chez l’enfant et l’adolescent. Paris : PUF.
Apostolidis, T. (2006). « Représentations sociales et triangulation : une application
en psychologie sociale de la santé ». Psicologia : Teoria e Pesquisa, 22/2, pp. 211-226.
Bardin, L. (2007). L’analyse de contenu. Paris : PUF.
Bataille, M., et al. (1997). « Représentations sociales, représentations profession-
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Bedin, V. (2013). La Conduite et l’accompagnement du changement. Contribution des
sciences de l’éducation. Paris : L’Harmattan.
Blin, J.-F. (1997). Représentation, pratiques et identités professionnelles. Paris : L’Harmattan.
Chauvancy, M.-C. (2008). « Cadres de santé : une crise identitaire ». Carnets de santé.

Chapitre 11 – Dynamique identitaire et légitimité du positionnement du cadre soignant de pôle l 173


Chauvancy, M.-C. (2009). « Les pôles d’activité, une chance pour l’encadrement ? »
Carnets de santé.
Chauvancy, M.-C. (2012). « Pôles d’activités hospitaliers : une décision encore sous
tutelle ». Carnets de santé.
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174 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


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Chapitre 11 – Dynamique identitaire et légitimité du positionnement du cadre soignant de pôle l 175


CONCLUSION GÉNÉRALE
Nadia Péoc’h, Bruno Bastiani

1. Différentes approches du changement


Nous allons conclure autour des différentes contributions de cet ouvrage. Toute
générale qu’elle soit, cette conclusion reprend les points de similitude et les questions
soulevées autour des apports empiriques et théoriques des différents contributeurs
à propos de l’accompagnement du changement dans le champ de la santé. Elle clôt,
ici et maintenant, du moins provisoirement, la réflexion portée à partir du regard
de praticiens et de chercheurs dont les références théoriques diverses se situent,
selon le cas, en sciences de l’éducation, en sciences infirmières, en psychologie
sociale ou en médecine.
Le changement dans le champ de la santé se conjugue dans des rapports complexes,
entre une histoire sociale fortement marquée par une idéologie repérée par la
prédominance d’une approche curative du soin et la contemporanéité d’un contexte
contraint économiquement, qui positionne notre système de santé face à trois défis
majeurs : le vieillissement (en 2040, 10 millions de Français auront plus de 75 ans),
l’augmentation des maladies chroniques, la mobilisation de l’innovation au service
de la qualité et de l’efficacité de la médecine.
Le lecteur découvrira quatre approches distinctes et complémentaires, non exclusives
les unes des autres. Ce cadre d’analyse permet de revenir sur les contributions qui
ont le plus approfondi les focales identifiées. Tour à tour, les chapitres de cet ouvrage
illustrent les interrelations, les articulations possibles, les controverses envisagées :
• changement et contexte : une première focale met l’accent sur le caractère social et
sociétal du changement, et dès lors sa dimension contextuelle dans le champ de la
santé. Le changement est alors appréhendé comme vecteur des transformations
représentationnelles dans un champ fortement dominé par la médecine curative ;
• changement et modèles : une deuxième focale accorde une place centrale au modèle
d’implantation multiniveaux (Implementation Science développé par Fixsen et al.,
2005). Il s’agit d’un modèle susceptible de favoriser l’impulsion pour l’utilisation
des données probantes de recherche par les professionnels de santé qui guide la
planification et l’implantation des évidences scientifiques, le déploiement d’une
innovation sur le terrain du soin ;
• changement et pédagogie : la troisième focale introduit le rapport à la temporalité
sur un continuum ancien-nouveau et définit le changement dans le champ de la
pédagogie, avec notamment l’acquisition des compétences « up-gradées » pour les
professionnels de santé (notion de pratiques avancées) et l’utilisation de nouvelles
méthodes pédagogiques (serious game, simulation) ;

Conclusion générale l 177


• changement et accompagnement : cette quatrième focale s’intéresse au processus de
changement, notamment aux formes d’accompagnement tenant compte du temps
d’appropriation nécessaire, relatives aux logiques de changement, par le sujet.
Il s’agit de s’interroger sur les représentations et la capacité du sujet à s’engager
vers un changement.

2. Le changement comme vecteur


des transformations représentationnelles
en contexte
Le premier point notable à relever concerne la façon dont on procède au change-
ment si on ne prend pas en compte ce qui circule idéologiquement dans un champ
quel qu’il soit.
L’hôpital, de par sa tradition séculaire, est un lieu où l’on soigne et où l’on guérit. L’enjeu
contemporain des soins est d’allier ainsi le cure (traiter) et le care (prendre soin), et non
de privilégier l’un ou l’autre. Les propositions du rapport de Claire Compagnon (14
février 2014) placent les enjeux de la représentation des usagers dans une vision plus large
de la démocratie sanitaire en soulignant la nécessité d’une authentique coconstruction
des politiques de santé, associant les usagers. Ainsi, il y est question par exemple de
positionner les représentants des usagers dans des lieux de décision (recommandation 2)
et de favoriser le travail en commun entre usagers et soignants au plus près du malade
(recommandation 4). Ce dernier rapport tend à rendre la personne soignée « acteur
et auteur » du processus de décision concernant sa prise en charge. Les expressions
véhiculées telles que « malade sachant », « patient expert », « patient formateur »,
« patient sentinelle » questionnent aujourd’hui les pratiques de prise en charge. C’est
toute la révolution paradigmatique et idéologique, non résolue aujourd’hui, autour du
clivage des thêmata d’une pensée professionnelle (en tant que point de vue universel ou
doxa dominante au sens bourdieusien) qui doit faire l’objet d’un accompagnement d’un
changement de paradigme et de conception d’une représentation dans ses inscriptions
cognitives : personne soignée objet de soins versus personne soignée sujet de soins,
prise en charge biomédicale versus prise en charge bio-psycho-sociale, vision du soin
centrée sur l’organe et la maladie versus vision centrée sur la personne soignée et son
histoire de vie (affective, sociale et émotionnelle).
Ce changement orienté ou « imposé » (future loi de santé) et l’évolution sociétale
(place du patient) impliquent un changement de représentations chez les profes-
sionnels visant un détachement du poids de l’histoire qui constitue les fondements
de la pensée professionnelle soignante et son système de valeurs, pour se détacher
également de l’impact encore prégnant de la hiérarchie médicale. Il s’agit presque
d’un « rite de passage », passer du rôle prescrit à l’émancipation socioprofession-
nelle. Alors, comment le changement peut-il réellement être impulsé sans la prise
en compte de ce qui circule idéologiquement dans le champ de la santé ? Quelle
place donnée aux représentations des professionnels dans le processus de change-
ment si ce n’est en recourant à une troisième voie possible. Pour Ludmerer (2005),
le patient n’est pas objet de soin et de sa guérison, mais bien sujet de sa restauration.

178 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


L’auteur, dans son ouvrage Time to heal (temps de soigner) revient sur ce changement
de paradigme et sur ce basculement où la relation de soin est envisagée comme un
processus de soin situé impliquant des personnes en situation ; to heal (soigner) vise
alors l’émancipation du malade.
La question posée relative au couple « idéologie et changement » prend toute sa
dimension également dans le chapitre, proposé par Lionel Dany, qui renvoie à la
prévention comme construction sociale, au carrefour de l’individuel et du collectif.
La prévention peut dans certains cas, dans une volonté de simplification, s’appuyer
plus sur des idéologies que sur l’expertise.
La contribution de Michèle Saint-Jean et Dolène Catherine, rendant compte de
l’existence potentielle de risques psychosociaux chez les cadres de santé, propose
un nouveau point de vue sur ces professionnels entre vulnérabilité et responsabilité.
Cette prise de conscience de la vulnérabilité des cadres de santé, se concrétisant
par la mise en place d’une prévention des risques psychosociaux par les institutions,
témoigne a minima d’un changement représentationnel.

3. Le changement de pratiques, de l’apport


non négligeable de la tradition aux sources
des données probantes
Un autre point notable à soulever fait écho à la contribution présentant le modèle
d’implantation multiniveaux, développé par Fixsen et al. (2005), issu de la science
de l’implantation (Lefebvre, Brault et Roy). Ce modèle, appliqué à la mise en place
d’un Portail d’échanges de savoirs (PES), est tout à fait intéressant parce qu’il associe
ses six étapes (exploration et adoption, installation de l’implantation, l’implanta-
tion initiale, l’implantation effective, la viabilité à long terme de l’implantation)
au Consolidated Framework for Implementation Research (CFIR), développé par
Damschroder et al. (2009), pour cerner les différents facilitateurs et obstacles du
déploiement à partir de cinq principaux domaines.
Dans le domaine de l’épistémologie, la question de la connaissance pose d’inévitables
interrogations : qu’est-ce que la connaissance ? Comment l’acquiert-on ? Comment
se construit-elle ? Quel est son socle ?
Depuis les travaux de Carper (1978), il est admis que le soin infirmier a puisé sa
source de savoir dans quatre savoirs distincts et complémentaires :
• le savoir personnel, caractérisé par un mode de savoir personnel, subjectif et
existentiel, lié à l’intériorité du sujet et à l’actualisation de soi ;
• le savoir esthétique ou l’art infirmier, caractérisé par la connaissance issue de
l’expérience subjective et la créativité du soin infirmier ;
• le savoir éthique ou savoir moral, caractérisé par la compréhension des diverses
orientations philosophiques du soin juste, bon ou désirable. Ce savoir repose sur
les obligations morales du sujet au regard des principes et des codes éthiques ;
• le savoir scientifique, caractérisé par la connaissance obtenue à travers la démarche
scientifique.

Conclusion générale l 179


Or, parmi les autres sources d’acquisition des connaissances, Péoc’h et Ceaux (2012)
rappellent l’apport non négligeable de la tradition, de l’autorité, des tâtonnements,
de l’expérience professionnelle, de l’intuition et du sens commun :
• qui interroge les croyances et les tendances passées (la tradition) ;
• qui respecte la figure symbolique des aînés, reconnus pour leurs compétences
dans la transmission orale de la tradition (l’autorité) ;
• qui se méfie (au sens de la vigilance critique) de cette forme de connaissance
immédiate indépendante de la raison, articulée sur des « prénotions » et des
« préjugés » (l’intuition et le sens commun) ;
• in fine, qui convoque l’apprentissage pas essais et erreurs dans l’explicitation d’un
problème (le tâtonnement).
Le modèle d’implantation est alors un modèle susceptible de favoriser l’impulsion à
l’utilisation des données probantes de recherche (evidence-based practice ; evidence-based
nursing) par les professionnels de santé dans leurs pratiques cliniques, en rompant
avec la prise de décisions cliniques basées sur la tradition, l’autorité, les tâtonnements,
l’expérience professionnelle, l’intuition et le sens commun. En tant qu’outil d’aide à
l’accompagnement au changement, ce modèle d’implantation favorise l’utilisation
consciencieuse, rigoureuse et explicite des meilleures données disponibles (les résultats
probants) pour aider (ici les infirmiers) à prendre la meilleure décision concernant
les soins à prodiguer à une personne soignée. En tenant compte et en recourant
aux résultats probants, ces professionnels de santé font preuve de responsabilité
professionnelle et éthique envers les personnes qu’ils soignent.
Cependant, la reconfiguration de la gouvernance dans les institutions hospitalières
entraîne un repositionnement des cadres supérieurs de pôle qui ne disposent pas
nécessairement d’un accompagnement dans ce sens. Comme le montrent Fabienne
Sintès et Christine Mérienne dans leur contribution, la reconstruction identitaire
imposée par ce repositionnement est alors à puiser dans les propres ressources de
ces cadres.

4. Changements pédagogiques vers l’acquisition


de nouvelles connaissances et compétences
Inscrit dans une trilogie réforme, rupture et changement, le changement est ici
entrevu dans son rapport à la temporalité, à ce qui bouge dans l’actualité sociale
et aux questions vives suscitées. Dans l’exposé des motifs de la future loi de santé
(premier semestre 2015), et notamment dans son titre III – Innover pour garantir
le système de santé et dans le chapitre II – Innover pour préparer les métiers de
demain, Marisol Touraine (ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits
des femmes) revient sur la notion de création de la fonction d’infirmier clinicien à
même d’assurer des pratiques avancées. L’article 30 définit cette notion de pratique
avancée. « Il s’agit, à partir du métier socle, de permettre un élargissement du
champ des compétences vers, par exemple, la formulation d’un diagnostic, la réali-
sation d’une analyse clinique, l’établissement de prescription ou l’accomplissement
d’activité d’orientation ou de prévention. » Deux contributions dans cet ouvrage

180 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


portent sur les professions paramédicales à pratiques avancées (Bastiani, Péoc’h,
Lopez et Vincent Minville ; Debout et Doré). Ce changement serait majeur pour les
professionnels paramédicaux qui passeraient d’un rôle fortement prescrit – malgré
le décret de compétence de 2002 leur conférant un rôle propre – à un statut de
l’ordre de la mission, avec une autonomie avancée dans le raisonnement clinique.
Dans le contexte posé de l’évolution des métiers, la pratique avancée en tant que
concept se discerne comme une praxis, reposant sur trois attributs formalisés : une
structuration des rôles en pratique infirmière avancée ; un socle de savoirs stabilisés
en formation initiale (pratiques généralistes) et un niveau de compétence qualifié
d’expert ; un maintien des compétences reconnues et une recertification tout au
long de la vie professionnelle. Cela fait référence à la formation continue tout au
long de la vie, notamment à l’article 59 de la loi HPST qui « […] a pour objectifs
l’évaluation des pratiques professionnelles, le perfectionnement des connaissances,
l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que la prise en compte
des priorités de santé publique et de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé ».
La pratique avancée s’entend dans l’extension de savoirs experts dans les domaines
de la clinique, du management, de la formation et de la recherche. Au niveau juri-
dique et réglementaire, la pratique avancée pose la question d’un changement de
paradigme de la définition de l’exercice infirmier et des professions paramédicales,
à savoir : comment réussir le changement d’une vision du soin en termes de listes
d’actes à accomplir (poiesis) en une vision du soin innovante en termes de missions
dans un champ d’activité dédié (praxis) ? Le changement est ainsi questionné dans
le maintien ou non des décrets d’actes et vers cette évolution dans une approche
plus ouverte de « mission » en lien avec les approches par compétences.
Par ailleurs, de nouveaux dispositifs de formation comme les serious game (Verscheure)
et la simulation (Bastiani, Minville et Calmettes) visent l’acquisition de compé-
tences non techniques dans le domaine taxonomique du savoir psychoaffectif, à
savoir les compétences sociales et relationnelles, et remettent ainsi en question
les modes d’apprentissage mais également les compétences des professionnels de
santé devenus formateurs. Il s’agit en effet d’un changement à divers niveaux :
changement de posture, changement de ressources et changement de références
théoriques. C’est le passage de la technique pure, notamment dans le débriefing ou
les rétroactions qui accompagnent ces dispositifs. Ces séances d’explicitation, de
feed-back pédagogique a posteriori, reviennent dans une approche réflexive sur les
éléments fondamentaux de l’apprentissage. L’action et l’activité en simulation ou à
l’aide du serious game sont ainsi analysées et deviennent formatrices et porteuse de
sens dans une référence affichée et explicite au constructivisme (Vergnaud, 1999),
à la didactique professionnelle (Pastré, 2005) et à la psychologie du travail (Clot,
1999). Les références aux sciences humaines et sociales sont premières, la place
de la parole du formateur est seconde pour favoriser l’émergence d’une réflexion
chez l’apprenant. Ces éléments questionnent la formation du formateur et sa légi-
timité s’il n’a pas été formé. Il s’agit là d’accompagner le changement de registre
pédagogique pour les formateurs.

Conclusion générale l 181


5. Changement et accompagnement
Peut-on considérer le processus de changement comme un invariant ou comme
une singularité du sujet ?
Considérer la possibilité d’une invariance serait évidemment réducteur et pourrait nous
amener à construire une méthodologie de changement universelle mais probablement
bien peu opérante. En revanche, considérer que le processus de changement peut être
singulier engage à penser toute la complexité de l’accompagnement de ce processus.
Nous pouvons ainsi nous interroger sur la relation entre type de changement et
type d’accompagnement, comme le fait Marine Do dans sa contribution relative aux
pratiques tutorales. Cela reviendrait à dire que différentes formes d’accompagne-
ment sont envisageables en tenant compte du niveau d’appropriation des logiques
de changement par le sujet : savoir où le sujet en est de ses représentations, de sa
capacité réflexive sur le changement, de son aptitude à s’engager dans un changement.
Adapter l’accompagnement consisterait peut être ainsi à nier le collectif au profit du
sujet. Cependant, le sujet a la nécessité de s’inscrire dans le collectif, ce qui rend la
question de l’accompagnement du processus de changement éminemment complexe.

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182 l ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ


Composition, mise en pages : Patrick Leleux PAO

Achevé d’imprimer en février 2015


par l’imprimerie WILCO
N° d’édition : 15010
Dépôt légal : février 2015

Imprimé en Belgique

BAC_CHASAN.indd 184 26/01/15 14:14

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