Accompagner le changement dans le champ de la santé-2015
Accompagner le changement dans le champ de la santé-2015
Accompagner le changement dans le champ de la santé-2015
Marie-Ange Coudray
du soin
Accompagner le changement
dans le champ de la santé
Coordonné par
Michèle Saint-Jean
Nadia Péoc’h
Bruno Bastiani
@
www.estem.fr
ISBN : 978-2-84371-795-6
© 2015, De Boeck Supérieur S.A.
Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur, ou de ses ayants droit ou
ayants cause, est illicite (loi du 11 mars 1957, alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque
procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
PRÉSENTATION
DE LA COLLECTION
« Sciences du soin »
Ouverte à toute personne voulant faire part de ses recherches, ses réflexions et ses
convictions, cette collection a comme ambition la mise en valeur et l’enrichissement
des concepts et des savoirs dans le domaine du « soin ».
Sont accueillis ici les auteurs qui s’interrogent sur les présupposés, les normes, les
modalités, les principes et les effets du « soigner » ou du « prendre soin » de l’autre,
dans sa dimension personnelle et sur son cheminement de vie « accidenté ».
Les professionnels du « soin » sont à l’écoute de personnes en quête de leur santé,
leurs compétences relèvent de métiers variés et leurs activités portent à la fois sur
des opérations mentales de diagnostic ou de décision et des opérations manuelles et/
ou verbales de thérapie. Ils sont placés en relation directe avec un « client-patient »,
un « malade », voire un « bénéficiaire », sa famille, ses proches. Leur rôle premier
consiste à comprendre ce que dit la personne, ce qu’elle souhaite, la manière dont
elle envisage la persistance de son « être » au travers son état de santé fragilisé
momentanément ou définitivement. La relation de « soin » qui s’opère entre le
« soignant » et le « soigné », qu’elle se nomme accompagnement, éducation, thérapie
ou encore plus simplement « présence », transforme alors les acteurs qui vivent une
expérience singulière et dense.
Le soin est cet « objet » qui se détache bien peu de son « sujet » et qu’il est pourtant
nécessaire d’éclairer de regards multiples afin de mieux l’appréhender. Qu’est-ce
que « la prise en soin » de l’humain par un humain ? Comment cela « se fait-il » ?
Prendre soin, donner du soin, recevoir du soin et le transformer en soi, tous ces
mouvements de l’être méritent l’exposition des travaux ou des résultats de recherches
réalisés à ces effets.
Une science se construit en rendant lisible son objet, c’est à dire en montrant combien
les connaissances diverses sont à cet endroit travaillées, croisées, multipliées, révisées
pour servir l’émergence de nouveaux savoirs. Les sciences de l’éducation sont nées
dans un mouvement similaire, les sciences du soin sont sur la bonne voie.
Cette collection souhaite mettre à disposition les travaux autour du soin restés dans
l’ombre faute d’être partagés, afin que les professionnels y puisent des ressources
pour leur quotidien. Relier réflexion et pratique, revenir sur l’expérience pour
en comprendre le sens et retrouver de l’énergie, voilà bien des effets, en sus de la
participation voulue à l’élaboration d’une science à naître, que nous ambitionnons
en poursuivant cette collection.
Marie-Ange COUDRAY
148 p. • 19,50 €
128 p. • 19,50 €
128 p. • 19 € 232 p. • 19 €
La collection sciences du soin
Dirigée par Marie-Ange Coudray
Bruno Bastiani
Doctorant en sciences de l’éducation, sous la direction de Bernard Calmettes et
Vincent Minville, à l’université Toulouse-Jean Jaurès. Titulaire du master 2 en
sciences de l’éducation « Encadrement des services de santé ». Ses travaux de thèse
portent sur la simulation haute fidélité en anesthésie-réanimation.
Isabelle Brault
Professeure adjointe à la faculté des sciences infirmières à l’université de Montréal,
titulaire d’un doctorat en sciences infirmières.
Bernard Calmettes
Maître de conférences (HDR) en sciences de l’éducation et membre de l’unité mixte
de recherche « Éducation, formation, travail, savoirs » de l’université Toulouse-
Jean Jaurès.
Dolène Catherine
Psychologue et titulaire du master 2 en sciences de l’éducation « Encadrement des
services de santé », université Toulouse-Jean Jaurès.
Christine Ceaux
Directeur des soins, coordonnatrice générale des soins, Centre hospitalier univer-
sitaire (CHU) de Toulouse.
Lionel Dany
Maître de conférences (HDR) en psychologie sociale à l’université d’Aix-Marseille.
Il est responsable d’un master de psychologie sociale de la santé et membre du
laboratoire de psychologie sociale (LPS, EA 849), ainsi que du Service d’oncologie
médicale, du CHU de la Timone (Marseille).
Christophe Debout
Infirmier (PhD), directeur du département des sciences infirmières et paramédicales,
EHESP, Rennes-Sorbonne Paris-Cité, et membre de la chaire santé de Sciences-
Po/IDS-UMR Inserm 1145.
Marine Do
Doctorante en sciences de l’éducation, sous la direction de Bernard Fraysse et de
Michèle Saint-Jean, UMR EFTS : entrée thématique « Conduite et accompagnement
du changement », université de Toulouse-Jean Jaurès. Cadre de santé formateur,
ses travaux de thèse portent sur les tuteurs dans le champ de la santé.
Louise Lafortune
PhD et professeure associée au département des sciences de l’éducation de l’univer-
sité du Québec, Trois-Rivières, consultante dans les domaines de l’éducation et de
la santé, particulièrement pour l’accompagnement d’un changement, l’élaboration
de référentiels de compétences, de formation et d’évaluation.
Hélène Lefebvre
Professeure titulaire, faculté des sciences infirmières, université de Montréal. Cher-
cheur au Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation (CRIR).
Ghyslaine Lopez
Cadre supérieur de santé, hôpital de Carcassonne. Titulaire du master 2 en sciences
de l’éducation, spécialité « Responsable d’évaluation, de formation et d’encadrement
professionnel », université Paul Valéry, Montpellier 3.
Christine Merienne
Cadre supérieur de santé, Direction des soins – CH de Montauban. Doctorante en
philosophie pratique sous la direction d’Éric Fiat, université de Paris-Est, École
doctorale OMI (organisations, marchés, institutions). Titulaire d’un DEA en didac-
tique et sciences de l’éducation obtenu à l’université de Nantes.
Vincent Minville
Professeur des universités et praticien hospitalier. Chef du pôle « Blocs opératoires »,
département d’Anesthésie et de réanimation du Centre hospitalier et universitaire de
Toulouse, hôpital Rangueil, et membre du Laboratoire de modélisation de l’agression
tissulaire et de la nociception (MATN, EA 4564) de l’université Toulouse-III-Paul
Sabatier.
Nadia Péoc’h
Docteur en sciences de l’éducation, cadre supérieur de santé, chargée de la promotion
de la recherche infirmière et paramédicale, Direction des soins, CHU de Toulouse
et chercheur associé de l’unité mixte de recherche « Éducation, formation, travail,
savoirs » de l’université Toulouse-Jean Jaurès.
Odette Roy
Infirmière, titulaire d’une maîtrise en sciences infirmières, d’une maîtrise en admi-
nistration publique et d’un doctorat en sciences de l’éducation, leadership majeur
dans le développement et le transfert des pratiques alliant clinique et recherche.
Adjointe à la Direction des soins infirmiers de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont
et directrice du Centre d’excellence en soins infirmiers.
Fabienne Sintes
Cadre supérieur de santé, pôle « Femme-parents-enfant », CH de Montauban.
Titulaire du master 2 en sciences de l’éducation « Encadrement des services de
santé » de l’université Toulouse-Jean Jaurès.
Ingrid Verscheure
Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Toulouse-Jean Jaurès
et membre de l’unité mixte de recherche « Éducation, formation, travail, savoirs ».
Les auteurs l IX
SOMMAIRE
RÉFLEXION INTRODUCTIVE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Sommaire l XI
2.2. Repères conceptuels : définition des concepts de transfert et d’échange
de connaissances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
3. Projet de recherche : une innovation clinique infirmière en oncologie, pour un meilleur
continuum de soins et de services pour les patients atteints de cancer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
3.1. Analyse approfondie des étapes d’implantation du Portail interactif d’échanges
de savoirs à partir de la science de l’implantation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3.2. Analyses des facilitateurs et des obstacles à l’implantation à l’aide du Consolidated
Framework for Implementation Research (CFIR) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
3.3. Analyses des processus d’échange et de partage de connaissances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
3.4. Analyses des effets de l’utilisation du Portail interactif d’échanges de savoirs. . . . . . . . . . . . . . . . 45
4. Bilan des travaux réalisés à ce jour dans le cadre du projet de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
5. Contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
Sommaire l XIII
CHAPITRE 8 - Des principes d’accompagnement-formation pour la mise en œuvre
de changements dans le domaine de la santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
2. Sens de la démarche « réflexive-interactive » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
3. Avoir une perspective réflexive-interactive. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
4. Passer des impressions à l’analyse tout en augmentant le degré de réflexivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
4.1. Impressions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
4.2. Description . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
4.3. Explication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
4.4. Analyse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
5. Viser à « faire faire » au lieu de faire, à « faire dire » au lieu de dire, à « faire construire »
au lieu de construire pour l’autre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
6. Assurer une écoute sans préjugés ou idées préconçues, ou jugements de valeur. . . . . . . . . . . . . . . . 118
7. Tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive
et professionnelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
8. Associer la recherche à un projet de formation-accompagnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
9. Donner une place à la pratique réflexive dans la formation-accompagnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
9.1. Réfléchir sur sa pratique et cheminer vers son analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
9.2. S’assurer d’un passage à l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
9.3. Faire cheminer vers la modélisation de sa pratique en évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
10. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
2. De la genèse de l’anesthésie-réanimation à une évolution des territoires professionnels . . . . 128
3. Processus de problématisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
3.1. Des éléments empiriques… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
3.2. … aux éclairages conceptuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
4. Le protocole de recherche : une double visée compréhensive et praxéologique . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
5. Traitement et interprétation des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
5.1. Interprétation du discours recueilli en technique standard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
5.2. Interprétation du discours recueilli en technique de substitution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
5.3. Interprétation du discours des macroacteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
6. Propos conclusifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
Sommaire l XV
RÉFLEXION INTRODUCTIVE
Michèle Saint-Jean, Nadia Péoc’h
1. Un contexte en mouvance
Le champ de la santé, dans son ensemble, connaît de profondes mutations (réformes,
innovations, universitarisation des métiers, place du patient, pratiques avancées,
etc.). Ces mutations sont portées par de nouvelles lois, différentes innovations et des
projets issus de nombreux rapports d’experts. Elles se concrétisent à tous les niveaux :
• la formation initiale (nouveaux référentiels, universitarisation des formations
paramédicales, nouveau rôle des tuteurs de stage, etc.) et continue (hôpital virtuel
de la simulation, serious game, etc.) ;
• la mise en place de protocoles de coopération, de projets de pratiques avancées
qui permettent un up-grade des compétences des professionnels de santé para-
médicaux sur des champs d’exercice comme la gestion de parcours complexes de
soins dans différentes disciplines (masters de pratiques avancées en gérontologie,
oncologie, santé mentale, etc.) mais aussi de projets de création de professions dites
intermédiaires qui posent la question du statut de ces professionnels ;
• le développement de la prévention et de l’éducation thérapeutique, comme lors de
l’élaboration des plans centrés sur l’amélioration de la qualité de vie des personnes
atteintes de maladies chroniques ;
• l’évaluation des pratiques professionnelles ;
• le développement professionnel continu ;
• l’évolution de la législation et des pratiques en termes de risques psychosociaux.
Réflexion introductive l 1
2. Accompagner le changement : des visées
scientifiques et praxéologiques
Le champ de l’accompagnement a été particulièrement investi dans les recherches
en sciences de l’éducation depuis les années 1990-1995, avec notamment les travaux
d’Ardoino (2000), Le Bouedec (2002), Saint-Jean (2002), Paul (2004), Vial et al. (2007)
et Lafortune (2008). En revanche, concernant plus précisément l’accompagnement
du changement, si nous constatons qu’il a fait l’objet de nombreux travaux dans
différentes disciplines – en psychologie depuis Lewin (1947) mais aussi en sciences
de gestion avec Autissier et Moutot (2003 ; 2010), et Charpentier (2004) ; en mana-
gement avec Johnson (2011) et en sociologie avec Alter (2000) et Bernoux (2004 ;
2010) – nous notons que cette thématique est relativement émergente, notamment
en sciences de l’éducation, avec Baluteau (2003) et Bedin (2013) en France, et avec
Lafortune (2001 ; 2008 ; 2009) au Canada.
Dans l’ensemble des travaux cités supra, nous remarquons que l’accompagnement
du changement est susceptible d’interroger différents objets, en particulier dans le
champ de la santé :
• le type de recherche pour accompagner le changement avec des démarches impli-
quant les acteurs de terrain comme la recherche-intervention, la recherche-action,
etc., dans une visée praxéologique ;
• la place des pratiques mises en jeu sur le chemin du changement : observation,
orientation, impulsion, conception ;
• le rôle de l’acteur de terrain, collectif ou individuel, dans l’accompagnement du
changement ;
• la prégnance des dispositifs de formation, d’évaluation des pratiques comme cadre
de pensée, cadre d’intelligibilité ou cadre d’émancipation pour le changement ;
• le poids des organisations avec des changements à géométrie variable (subis,
planifiés, induits, prescrits, orientés, construits, adaptatifs, etc.).
Par ailleurs, la littérature scientifique met en évidence la posture du chercheur
(Marcel et Péoc’h, 2013), les stratégies et de multiples formes d’accompagnement
du changement : supervision, conseil, expertise, etc. Ces formes sont pensées en
fonction des finalités attendues, relatives à la continuité (prédominance du passé)/
discontinuité (retrait, rupture avec le passé) du changement, ce qui revient à situer
le changement dans son rapport à la situation antérieure (Baluteau, 2003 ; Saint-
Jean et Seddaoui, 2013).
Ce lien entre accompagnement et changement n’est pas un effet de mode. C’est une
réponse à la multiplication des réformes, à l’acuité des exigences face aux crises de
toutes sortes (économiques, sociales, politiques, etc.) que traverse notre époque.
Du point de vue individuel, c’est « s’intéresser aux ressources psychosociales qui
permettront aux salariés de penser, de reconstituer et de formaliser leurs expériences,
conditions essentielles pour les dépasser » (Saint-Jean, 2013). C’est ainsi « être centré
sur la personne » (Saint-Jean, 2002), ce qui constitue un renversement de posture par
rapport au fait de mettre la personne au centre d’un dispositif préexistant, créé a priori.
Cependant, l’individuel rejoint nécessairement le collectif, car « tout changement
doit s’accompagner d’un changement de culture et il ne peut y avoir de changement
Réflexion introductive l 3
freins dans l’acquisition des compétences, et à évaluer le processus de profession-
nalisation des infirmiers nouvellement diplômés.
Dans cette continuité, les travaux de Marine Do sur l’évolution de la fonction de
tuteur de terrain apportent un éclairage intéressant à la nouvelle place que ces
professionnels doivent occuper dans le processus de professionnalisation. L’auteure
montre que, pour changer sa pratique, l’acteur doit renégocier ses représentations,
refaire sa place, reconfigurer son identité professionnelle.
Les apports de Louise Lafortune permettent un regard critique sur la façon d’accom-
pagner la mise en œuvre de changements orientés, en particulier l’introduction
de la pratique réflexive-interactive qui interroge la place de la formation dans ce
processus aussi bien pour les formés que pour les formateurs.
La contribution de Bruno Bastiani, Nadia Péoc’h, Ghyslaine Lopez et Vincent
Minville montre en quoi identifier les représentations professionnelles des praticiens
de l’anesthésie-réanimation (médecins et infirmiers anesthésistes) sur un projet de
reconnaissance de pratiques avancées est primordial pour identifier les freins et
facilitateurs, et ainsi ouvrir une concertation ne niant pas l’individuel au profit de
l’organisationnel.
À la suite de cela, Christophe Debout et Anne-Marie Doré s’interrogent sur
l’introduction des pratiques avancées en soins, de façon générale, en posant les
jalons d’un modèle français à partir des travaux menés par un groupe de travail.
La contribution de Fabienne Sintes et Christine Mérienne conclut cet ouvrage par
la question de la construction de l’identité professionnelle des cadres soignants de
pôle et son impact sur les pratiques managériales de collaboration dans le contexte
de profondes mutations que connaît le champ de la santé.
Bibliographie
Alter, N. (2000). L’Innovation ordinaire. Paris : PUF.
Ardoino, J. (2000). « De l’accompagnement en tant que paradigme. » Pratiques de
formation/Analyse, 40, 5-19.
Autissier, D., Moutot, J.M. (2003). Pratiques de la conduite du changement. Comment
passer du discours à l’action ? Paris : Dunod.
Autissier, D., Moutot, JM. (2010). Méthode et conduite du changement. Paris : Dunod.
Baluteau, F. (2003). École et changement, une sociologie constructiviste du changement.
Paris : L’Harmattan.
Bedin, V. (éd.) (2013). Conduite et accompagnement du changement. Contribution des
sciences de l’éducation. Paris : L’Harmattan.
Bernoux, P. (2010). Sociologie du changement dans les entreprises et les organisations.
Paris : Le Seuil.
Charpentier, P. (2004). Les formes du mangement : la gestion du changement dans les
organisations. Paris : Le Seuil.
Réflexion introductive l 5
Partie 1
Changement et enjeux
politiques : prévention,
innovation et sécurité
du patient
CHAPITRE 1
Prévention entre
continuité et changements :
réflexions psychosociales
Lionel Dany
1. Introduction
La prévention constitue un champ de réflexion particulièrement fécond pour les
acteurs de la santé publique mais aussi pour la psychologie sociale. La prévention
constitue un objet complexe qui tient, d’une part, à la complexité du « projet préventif »
(objectifs, modalités d’élaboration et de mise en œuvre), d’autre part, au façonne-
ment sociétal de ce projet préventif traversé par des attentes, des valeurs, voire des
conflits de perspectives au sein de la société. Face au constat de cette complexité,
ce chapitre visera à participer à une démarche réflexive et critique en présentant :
• les définitions associées à la prévention tout en soulignant son enjeu social ;
• une réflexion sur le fait que la prévention peut être appréhendée comme un lieu
de « tension » entre l’individuel et le collectif ;
• quatre défis auxquels la prévention contemporaine est confrontée (défis réflexif,
créatif, évaluatif et éthique).
Les réflexions développées dans ce chapitre visent à ouvrir des perspectives vers un
nouveau paradigme de la prévention en nous appuyant notamment sur les apports
d’une psychologie sociale critique.
2. Prévention
2.1. Un objet complexe
La prévention occupe une place de choix du fait de son histoire, de son inscription de
plus en plus marquée dans nos sociétés contemporaines et des attentes qu’elle génère,
voire les « espoirs » qu’elle fait naître. En France, si l’on se réfère à la « feuille de
route » associée à la Stratégie nationale de santé présentée dernièrement1, elle sera
1. www.social-sante.gouv.fr/strategie-nationale-de-sante,2869/.
2.2. Définitions
Dans son acception la plus large, la prévention renvoie à la mise en œuvre de
mesures qui visent à préserver une situation donnée. Dans le champ de la santé, la
prévention renverra plus spécifiquement à l’ensemble des mesures visant à éviter
ou à réduire le nombre et la gravité des maladies ou des accidents. On distingue
traditionnellement la prévention à partir de la classification proposée par Caplan
(1964) qui la catégorise en prévention primaire, secondaire et tertiaire. La prévention
primaire comprend tous les actes destinés à diminuer l’apparition (l’incidence) d’une
maladie dans une population. Elle vise donc à réduire le risque d’apparition de cas
nouveaux. La prévention primaire relève davantage d’un modèle comportemental
(Kaplan, 2000). Cette catégorie renvoie de façon usuelle à la définition même de
la prévention. La prévention secondaire comprend tous les actes destinés à diminuer
1. Nous utilisons le terme générique de « drogue » ou « drogues ». Pour autant, cette terminologie n’a
pas de valeur scientifique spécifique et constitue en elle-même une évaluation tant elle est le fruit d’une
construction sociale. Dans son usage courant, elle ne permet de saisir, le plus souvent, qu’une certaine
catégorie de substances : les substances illicites et/ou les substances considérées comme « dangereuses »
ou illicites (Peretti-Watel, 2005). L’utilisation de ce terme a donc pour effet de construire un objet
qui porte une connotation péjorative, dépréciative, voire polémique. Toutefois, le pluriel prend acte
de la diversité des produits, de leurs effets et des problèmes qu’ils sont susceptibles de générer, voire
de leur statut légal. De plus, dans l’espace social, l’utilisation de ce terme rend l’analyse psychosociale
particulièrement féconde car elle donne accès à des logiques sous-jacentes (individuelles et sociales) qui
déterminent les positions des individus et des groupes à l’égard non pas seulement de la drogue mais
des drogues (Dany, 2008).
1. Micro (caractéristiques, états, compétences, habiletés, déficits d’un individu) ; meso (milieu de vie
immédiat, systèmes et personnes fréquentés par l’individu) ; exo (caractéristiques de l’environnement
externe qui influencent l’individu ou les groupes) ; macro (environnements économique, politique,
médiatique, avec lesquels l’individu n’a pas d’interactions directes, mais aussi croyances, valeurs, idéo-
logies de la communauté).
Ces différents points d’analyse visent à dresser les contours d’un projet d’intelligi-
bilité des mécanismes liés à la négociation du risque par les individus et les groupes
sociaux (cf. encadré ci-après).
1. La négociation du risque rend compte des dynamiques interpersonnelles et psychosociales en jeu dans
la construction du risque. Les individus « négocient » le rapport qu’ils entretiennent avec le compor-
tement à risque considéré afin de concilier responsabilité personnelle, identité sociale et contrôle de la
situation. La prévention contemporaine a participé de façon importante à cette « conscience de soi », les
différentes campagnes de prévention invitant les récepteurs potentiels à se « subjectiver » (Berlivet, 2004).
1. Plus précisément, ces méta-analyses montrent par exemple que certains modèles théoriques (par
exemple la théorie du comportement planifié, la théorie de la motivation à se protéger) ne permettent
d’expliquer que de façon « modérée » les intentions comportementales et les comportements.
2. Qui constituent, à bien des titres, le « prix » de notre humanité.
1. Dans les deux cas, il s’agissait de mesures portant sur la consommation de la substance étudiée et les
consommations d’autres produits psychoactifs (par exemple alcool, tabac, expérimentation de substances
illicites autres).
2. L’implication peut s’apparenter au niveau auquel l’individu peut « avoir rapport à », « se sentir concerné
par l’objet » ou encore son positionnement sur un axe « observateurs »/« acteurs » vis-à-vis de l’objet.
3. La mise en œuvre de comportements potentiellement « nocifs » pour la santé comme la consommation
de psychotropes n’est pas, en effet, contradictoire avec la présence d’un niveau de connaissance élevé
(ou perçu comme tel) ou d’une reconnaissance de la dangerosité (par exemple, composante addictive du
produit) chez les individus et les groupes sociaux (notamment Jenks, 1992 ; Klee, 1998).
4. Notre propos ne doit pas laisser penser que tous les acteurs de la prévention seraient contraints de
façon équivalente, ou qu’aucun ne pourrait développer des actions innovantes. Il s’agit davantage de
pointer certaines limites structurelles à la mise en œuvre des actions d’un point de vue plus général.
1. Cette dernière dénomination témoigne déjà en soi du problème tel qu’il peut être posé pour s’opposer
à ce dispositif.
2. La réduction des risques vise à minimiser les risques encourus par la réalisation d’un comportement
considéré « à risque » (par exemple, réduction des risques liés à l’usage d’une substance par la prévention
du passage à l’injection ou la prévention du risque infectieux par l’accès à du matériel stérile).
1. Ce constat limite également les enseignements des méta-analyses réalisées dans le domaine.
2. Par exemple, « Fumer ne concerne plus ce que l’on fait mais dénonce ce que l’on est » (Pigeard de
Gurbert, 2011, p. 102).
4. Pour conclure
Ce rapide tour d’horizon sélectif montre à quel point la prévention constitue un
phénomène complexe qui traverse tous les espaces de la société. Il nous faut non
seulement pointer le caractère « complexe » des phénomènes associés à la prévention
mais aussi, d’une certaine manière, revendiquer la complexité de ces phénomènes
pour se défendre de toute tendance à la simplification des problèmes posés. Cette
simplification s’accompagne, le plus souvent, de la promotion d’orientations tracées
par des valeurs ou idéologies, et non par l’expertise. Réduire cette complexité au
détriment de la compréhension conduirait, selon nous, à une impasse.
Beaucoup d’acteurs de terrain sont impliqués dans la mise en œuvre des actions de
prévention et disposent d’un savoir expérientiel utile au développement de nouvelles
stratégies préventives. La mobilisation de ces acteurs comme la valorisation de
l’action préventive constituent des axes essentiels à développer. La prévention, entre
continuité et changements, doit nous permettre de construire un nouveau para-
digme de la prévention en nous appuyant sur les expériences et savoirs disponibles,
en suscitant l’innovation auprès des acteurs de la prévention (et de la réduction des
risques) et en garantissant une démarche réflexive critique.
À retenir
Le risque est une construction sociale (Lupton, 1999).
La prévention génère des tensions entre « l’individuel » et le « collectif » (Apostolidis et
Dany, 2012).
La prévention est en mesure de stigmatiser les individus et les groupes sociaux (Peretti-
Watel et Moatti, 2009).
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1. Introduction
L’objectif de cette contribution est de rendre compte d’une recherche qui constitue
la première étape d’une démarche de prévention s’intéressant à la place du cadre
de santé et son exposition aux risques psychosociaux (RPS) au sein d’un hôpital
public français.
Les organisations de travail sont en profonde mutation depuis plusieurs décennies,
et plus particulièrement ces dernières années avec l’impact de la crise économique
et financière. Tous les secteurs d’activité, privés ou publics, sont touchés par les
réorganisations, notamment le secteur de la santé et l’hôpital public. Ces boulever-
sements organisationnels sont légitimés par le plan hôpital 20071 et la loi portant
réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST)
(2009)2 qui sont ainsi résumés par Guéguen (2012) : « La loi est un projet de […]
réorganisation globale du système de soins, en traitant prioritairement les ques-
tions de la lutte contre les déserts médicaux, du décloisonnement entre les soins
ambulatoires, les soins hospitaliers et le secteur médicosocial, de la performance
1. Plan de modernisation de l’hôpital annoncé en conseil des ministres le 20 novembre 2002 à la suite
du rapport Piquemal faisant état de mauvaises conditions de travail, d’une évolution de la démographie
médicale, de nouvelles attentes des patients, de nouvelles pathologies, etc.
2. La loi a pour objectif de réorganiser et de moderniser l’ensemble du système de santé. Elle comprend
quatre titres consacrés respectivement à l’hôpital, à la répartition des médecins et à l’accès aux soins de
villes, aux mesures de santé publique et à la prévention, et enfin à la création des agences régionales de
santé (ARS) chargées de coordonner dans un cadre territorial l’ensemble des politiques de santé (hôpital,
médecine de ville, santé publique et prévention).
Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 23
des hôpitaux, de l’attractivité des métiers de la santé, de la santé des jeunes et, d’une
manière générale, de la coordination du système de santé. »
Cette réorganisation impulsée par les politiques de santé au sein des territoires fran-
çais, pour répondre aux besoins des patients, engage les institutions, les structures,
à s’adapter à d’importants changements au niveau organisationnel et au niveau de
leurs pratiques, ce qui a un impact sur l’ensemble des acteurs de la santé.
Parallèlement, les établissements sont soumis aux exigences de la certification,
procédure d’évaluation externe, réalisée par des professionnels mandatés par la
Haute autorité de santé (HAS).
Ce contexte favorise l’émergence de notions, telles que performance et efficience,
situées à l’opposé de valeurs historiques telles que celle résumée dans la phrase « la
santé n’a pas de prix ».
L’organisation, les pratiques et les valeurs ainsi bousculées sont susceptibles de
générer des risques psychosociaux chez les agents hospitaliers.
Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 25
de manœuvre aux salariés, et notamment aux cadres, cités à plusieurs reprises dans
cet accord, qui feront l’objet d’une attention particulière. La mesure 6 de cet accord
précise ceci : « une attention toute particulière doit être apportée au rôle de l’enca-
drement […] de par leur place et leur rôle dans les services, les encadrants peuvent
participer à la prévention des risques psychosociaux, ils peuvent aussi eux-mêmes
y être exposés. La prévention des RPS doit conduire à une réflexion sur les rôles,
la place, les moyens et l’accompagnement de l’encadrement. »
Pour faciliter l’identification des RPS, l’accord propose de s’appuyer sur les six grandes
familles de risques à caractère psychosocial élaborées par le collège d’expertise (ibid.) :
• les exigences et l’intensité du travail ;
• les exigences émotionnelles ;
• le manque d’autonomie et de marge de manœuvre ;
• la mauvaise qualité des rapports sociaux et des relations de travail ;
• les conflits de valeur ;
• l’insécurité de la situation de travail.
Le premier objectif de cet accord est de réaliser un diagnostic des RPS présenté
au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de les
intégrer au même titre que les autres types de risque au document unique afin qu’ils
soient gérés et évalués comme tout risque professionnel.
Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 27
4.1. Stress et RPS
Si les RPS sont au centre de toutes les réflexions, ils sont encore insuffisamment
définis scientifiquement pour être appréhendés comme un concept. Nous avons
choisi de nous appuyer sur les concepts de stress, d’évaluation et de représentations
professionnelles comme base théorique dans cette recherche.
En effet, un certain consensus se dégage pour regrouper les RPS sous le concept de
stress. En 1989, Aubert et Pages introduisent la notion de « stress professionnel »
qu’ils définissent comme une perturbation de l’individu pouvant être liée au contenu,
au contexte de travail, à sa place dans l’organisation. Pour Aubert (1999), certains
stresseurs renvoient notamment au management par l’urgence comme l’impératif
d’« hyperréactivité immédiate », sommant de répondre tout de suite aux exigences
de la situation et de l’institution. De son côté, Karasek (1990) repère deux grands
axes selon les conditions de travail, « la charge de travail (faible ou forte) et la marge
de manœuvre de l’individu (faible ou forte) ».
Selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, « un état de
stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des
contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres
ressources pour faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des
ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement
de nature psychologique. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la
productivité de la personne qui y est soumise ». Le stress au travail peut entraîner
différents types de symptômes : physiques, émotionnels, cognitifs, comportementaux.
Il est source de désorganisation dans les établissements avec une augmentation de
l’absentéisme et du turn-over, d’accidents du travail, de démotivation, d’une dégra-
dation de la productivité, d’une augmentation des erreurs, d’une dégradation du
climat social et de l’ambiance de travail. C’est pourquoi la prévention de ce stress
et des risques psychosociaux est importante autant sur un plan humain que sur le
plan de la qualité du fonctionnement des établissements.
Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 29
de conforter le rôle, la place et les moyens de l’encadrement. Les cinq axes suivants
ont été débattus avec 32 cadres issus des trois pôles :
• évaluation des marges de manœuvre pour optimiser l’efficacité de la cohésion
de l’équipe ;
• possibilité de formalisation et de communication au niveau supérieur des difficultés
des équipes à appliquer les décisions ;
• mises à disposition de moyens d’accompagnement pour les cadres et les agents
en difficulté ;
• formation initiale et continue relative au dialogue sur le travail, à l’animation du
collectif ;
• création d’un espace d’échanges de pratiques professionnelles des encadrants.
Après ces entretiens collectifs, les cadres qui le souhaitaient ont repris contact
pour un entretien individuel et confidentiel. Quatorze entretiens individuels ont
été réalisés, qui visaient à approfondir les données recueillies en entretien collectif,
la trame d’entretien étant fondée sur les six grandes familles de risque à caractère
psychosocial élaborées par le collège d’expertise (voir infra).
In fine, une restitution de la recherche est prévue afin de rendre compte globalement
des résultats et d’ouvrir un débat avec les cadres des pôles ayant participé.
La démarche mise en œuvre a pour intention d’accompagner le changement dans la
mesure où les cadres sont partie prenante de la recherche à trois niveaux (entretiens
collectifs, entretiens individuels, débat autour des résultats) et construisent ainsi
des connaissances et une expérience collectives qui leur permettront ensuite de
décliner cette démarche participative auprès de leurs équipes.
1. Ce logiciel, en libre accès, a été créé par Pierre Ratinaud, maître de conférences en sciences de l’édu-
cation à l’université Toulouse-2. Il met en évidence des mondes lexicaux différents au sein d’un texte
ou d’un ensemble de textes, en produisant notamment des classes de discours.
Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 31
Axe 2 – Possibilité de formalisation et de communication au niveau supérieur
des difficultés des équipes à appliquer les décisions
Si les cadres de santé soulignent des réunions et une disponibilité du cadre supé-
rieur de santé, en termes d’informations ils émettent des difficultés à communiquer
avec la strate au-dessus du cadre supérieur de santé. Les informations qu’ils veulent
transmettre sont traitées, filtrées et relayées par leur cadre supérieur. Les cadres de
santé vivent cela comme un manque de considération et de reconnaissance.
Par ailleurs, ils considèrent qu’il y a trop d’informations qui constituent à la fois des
ordres et des contrordres, ce qui génère des erreurs, une perte de temps pour les
rattraper mais aussi une perte de crédibilité. Les cadres disent également recevoir
des injonctions contradictoires par rapport à certains paramètres comme le climat
social. L’institution génère selon eux une surcharge de travail et une perte de sens
de leur activité.
Les cadres considèrent n’avoir aucune étape pour souffler, être noyés sous les mails.
Ils pensent qu’un certain nombre de choses pourraient être traitées par d’autres
services (ressources humaines, service administratif). Les cadres de santé ont
également le sentiment de perdre leur « cœur de métier, c’est-à-dire être auprès
des équipes et des patients ».
Ici, les cadres de santé signifient des relations avec la hiérarchie qui les expose à des
risques, avec un cloisonnement se traduisant pour eux par un manque de reconnais-
sance, des dysfonctionnements informationnels qui portent atteinte à leur leadership
auprès des agents et une charge de travail exponentielle.
Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 33
soignantes humaines ». Ces valeurs sont mises à mal par les contraintes de l’activité
de cadre qui ne sont pas uniquement tournées vers ce « cœur de métier ». En effet, la
« gestion » du temps, des équipes, des finances sont sources de difficultés et donnent
l’impression au cadre d’être le « pompier » de service, dont le rôle principal est de
régler les problèmes. Les dysfonctionnements non résolus sont systématiquement de
la « faute » du cadre. Le côté « administratif » de la fonction les éloigne du patient,
heurte leur sensibilité de soignant et prend du temps au détriment des projets.
Le « contexte » hospitalier a changé mais les rapports avec les patients et leurs
familles ont aussi changé et sont parfois « agressifs ». Les « priorités » (financières)
de la direction ne sont pas les priorités des cadres qui considèrent que leurs missions
devraient être centrées sur le patient, et parlant de leurs équipes, ils précisent que
leur rôle est d’« essayer de les motiver pour optimiser la prise en charge du patient
et maintenir le patient au cœur du métier ».
Ces cadres se disent « motivés » malgré tout car leur rôle « social » est pour eux
essentiel. Cependant, les équipes deviennent difficiles à motiver compte tenu des
changements en cours. Le climat « social » est sensible et les relations « sociales »
globalement plus complexes.
Plusieurs éléments peuvent être vecteurs de risques psychosociaux : des difficultés à
maintenir les valeurs soignantes et les priorités qui vont avec, des relations sociales
complexifiées par un large spectre de missions.
Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 35
Par ailleurs, le cadre de santé ressent la nécessité de prendre connaissance de certaines
choses durant son repos de « week-end » ou pendant les « vacances » pour ne pas
être submergé dès l’arrivée tant les informations et les dysfonctionnements sont
pléthores.
Ici encore, le risque de difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle est
bien présent. Les difficultés liées à l’organisation surchargent le travail et impactent
les relations sociales dans l’équipe.
À retenir
La démarche de prévention porte sur les cadres de santé alors que la majorité des études
porte sur les agents.
La démarche de recherche associe les acteurs de terrain et vise trois objectifs : une sensi-
bilisation aux RPS, une action formative et une intention de prévention.
Questions de discussion
La fonction de cadre de santé, au carrefour d’une logique gestionnaire et d’une logique
de soin, n’est-elle pas intrinsèquement porteuse de risques psychosociaux ?
D’autres raisons que les conditions de travail, les facteurs organisationnels et relationnels,
ne seraient-elles pas à l’œuvre dans la montée en puissance de la souffrance au travail
dans notre société ?
Chapitre 2 – Accompagner la prévention des risques psychosociaux chez les cadres de santé l 37
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1. Introduction
La littérature scientifique foisonne de recherches infirmières produisant un savoir
scientifique déterminant. La recherche infirmière s’inscrit plus que jamais dans le
mouvement de la pratique fondée sur les résultats probants (Estabrooks et al., 2003 ;
Loiselle et Profetto-McGrath, 2007, Pépin et al., 2010). Le mouvement evidence-based
nursing (EBN) fait la promotion de pratiques infirmières fondées sur les évidences
scientifiques qui, rompant avec la prise de décisions cliniques basées essentiellement
sur la tradition, l’intuition et les savoirs expérientiels, vise à y associer les meilleurs
résultats de recherche pour le renouvellement des pratiques cliniques (Loiselle et
Profetto-McGrath, 2007 ; Pépin et al., 2010). Ces avancées ont des impacts positifs
significatifs sur la prestation et la qualité des soins offerts aux patients et à leurs
familles. Il demeure pourtant que les savoirs scientifiques sont encore sous-utilisés
dans les pratiques cliniques. Le transfert des connaissances (TC) doit s’appuyer sur
de solides stratégies, efficaces, efficientes et sécuritaires, qui amèneront les milieux
cliniques à incorporer dans leurs modes opératoires le recours aux meilleures pratiques
infirmières fondées sur des évidences scientifiques (Adams et Titler, 2010 ; Gurzick
et Kesten, 2010 ; Purdy et Melwak, 2009).
Cet article a pour but de présenter une stratégie de TC et d’échange des connais-
sances entre chercheurs, infirmières et professionnels de la santé et patients, mise
en place par le Réseau infirmier un partenaire de soins (RIUPS) de l’université de
Montréal (Québec) afin d’accompagner les changements de pratiques cliniques des
infirmières. Nous décrirons la manière dont la dissémination des résultats probants
prend forme actuellement dans le cadre d’un projet de recherche intitulé « Une
innovation clinique infirmière en oncologie : pour un meilleur continuum de soins
et de services pour les patients atteints de cancer ».
Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 39
2. Pratique fondée sur les résultats probants
et les déterminants de succès
de son implantation
2.1. Pratique fondée sur les résultats probants
La pratique fondée sur les résultats probants consiste en l’application systématique des
meilleures données scientifiques pour aider à la prise de décision et l’action en contexte
clinique, administratif ou stratégique. Elle combine l’expertise clinique individuelle
et les meilleures preuves provenant de recension systématique des écrits. En sciences
infirmières, il est souvent question des meilleures pratiques cliniques, c’est-à-dire
de pratiques éclairées par les résultats probants pour atteindre de meilleurs résultats
cliniques auprès des patients et de leurs familles. Les pratiques cliniques fondées sur
les résultats probants sont considérées comme un bon moyen d’améliorer la qualité
des soins offerts aux patients (Grol, 2001 ; Wyer, 2007), à condition toutefois que ces
résultats soient effectivement utilisés, appliqués et intégrés aux pratiques courantes.
Un certain nombre de déterminants du succès de l’utilisation des connaissances
et des changements de pratiques sont, à ce titre, documentés dans les écrits. Ces
déterminants concernent autant les pratiques que le développement d’une culture
organisationnelle et d’une organisation du travail favorables au TC (par exemple
libérer du temps pour que les infirmières analysent les données probantes, créer
des postes de gestionnaires de connaissances1) (Dopson et al., 2010 ; Estabrooks et
al., 2005 ; Fixsen et al., 2005 ; Pipe et al., 2008). S’y ajoute la participation des infir-
mières cliniciennes au développement et à l’implantation des guides de pratiques et
des nouvelles connaissances en santé. Cela permet de s’assurer que le changement
proposé aura du sens et qu’il répondra à un besoin ou à un problème vécu afin
d’avoir un impact positif auprès des patients et de leur famille. La mise en place
d’apprentissages collaboratifs et d’échange de savoirs à travers des interactions entre
collègues et professionnels est aussi considérée comme un élément clé (Beyer et
Trice, 1982 ; Dopson et al., 2010 ; Fixsen et al., 2005). Les infirmières doivent en
revanche être outillées pour ce faire (Chummun et Tiran, 2008 ; Dopson et al., 2010,
Estabrooks et al., 2005) et, à cet égard, le recours à des infirmières leaders, issues
des milieux cliniques, valorisant et facilitant l’utilisation des données probantes
dans les pratiques, est reconnu comme une stratégie prometteuse (Beyer et Trice,
1982 ; Boaz et al., 2011 ; Chummun et Tiran, 2008 ; Dopson et al., 2010 ; Fixsen et
al., 2005 ; Prior et al., 2008 ; Pépin et al., 2010). Enfin, l’utilisation des connaissances
et les changements de pratiques mettent en jeu des processus complexes et non
linéaires, qui supposent l’implication de différents groupes de professionnels et qui
doivent être valorisés par les gestionnaires. Les acteurs clés du changement doivent
ainsi pouvoir compter sur un soutien organisationnel favorisant l’accès aux données
de la recherche, privilégiant l’émergence d’interactions entre les professionnels et
favorisant les échanges et les apprentissages. Les technologies de l’information sont
considérées dans ce sens comme des outils facilitant à la fois les interactions entre
1. Le gestionnaire de connaissances est la personne qui accompagne les équipes cliniques dans la docu-
mentation des résultats probants. Elle assure le knowledge management.
Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 41
3. Projet de recherche : une innovation clinique
infirmière en oncologie, pour un meilleur
continuum de soins et de services pour
les patients atteints de cancer
Le RIUPS de l’université de Montréal (Québec) a développé ce projet de recherche
afin d’accompagner les changements de pratiques cliniques des infirmières. Il s’est
construit autour des concepts de transfert et d’échange des connaissances.
Le projet de recherche a reçu un financement des Instituts de recherche en santé
du Canada (IRSC), en partenariat avec le ministère de la Santé et des services
sociaux du Québec et du Fonds de recherche en santé du Québec (MSSS/FRQS),
de la Fondation recherche & développement en santé (FR&D) lors de l’été 2013.
Il vise à favoriser le TC et l’échange des connaissances entre les professionnels de
la santé et autres acteurs clés de milieux cliniques et les patients, et s’appuie, pour
ce faire, sur le développement d’un Portail interactif d’échanges de savoirs (PES).
Le PES est un portail informatique interdisciplinaire qui vise à réunir chercheurs,
infirmières, médecins et autres professionnels, gestionnaires et décideurs, patients/
proches dans un nouvel espace pour partager les savoirs scientifiques et expérientiels,
et améliorer les soins. Animé par des équipes d’infirmières leaders dans six milieux
cliniques participants, il veut agir en tant que levier pour faciliter la circulation de
l’information entre les partenaires de soins et la coordination des soins et des services
aux patients, et ainsi soutenir l’implantation et l’appropriation des meilleures pratiques
cliniques dans le contexte des transitions vécues par les patients tout au long du
continuum de soins. La thématique de la planification de congé1 en oncologie a été
retenue en tant que premier projet de recherche clinique du RIUPS afin de mettre
à l’épreuve ces stratégies pour animer les résultats de recherche en milieu clinique.
Elle fait référence à l’ensemble des activités cliniques et organisationnelles mises en
place pour améliorer la transition des patients entre les différents dispensateurs de
santé et dans la communauté, dont, par exemple, entre deux unités de soins, entre un
centre hospitalier ultraspécialisé et centre hospitalier régional, ou encore de la sortie
du centre hospitalier vers le domicile. Elle a été privilégiée parce qu’elle constitue un
enjeu majeur du continuum de soins pour améliorer la qualité de soins offerts aux
patients (Allaudeen et al., 2011 ; Comité consultatif concernant les hospitalisations
évitables, 2011 ; Naylor et al., 1999 ; Nekhlyudov et Schnipper, 2012).
Le projet de recherche comporte deux phases :
• une phase préparatoire visant le déploiement de l’infrastructure informatique du
PES et son implantation dans les six milieux participants ;
• une phase exploratoire consistant à faire l’analyse en profondeur du déploiement,
de l’implantation et de l’utilisation du PES dans les six milieux, et à faire l’analyse
des effets du PES, animée par des équipes d’infirmières leaders dans les milieux,
sur l’implantation et l’appropriation des meilleures pratiques cliniques chez les
1. La planification de congé est au Québec ce qui est nommé en Europe la planification de sortie du
patient de l’hôpital.
CADRE DE RÉFÉRENCE
STAGE OF IMPLEMENTATION PROCESS (Fixsen et al., 2005)
Programm installation
Initial implementation
Full operation
Substainability
Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 43
Le modèle comporte cinq grandes étapes : l’étape d’exploration et d’adoption a pour
but de s’assurer de la correspondance entre les besoins du milieu visé par le chan-
gement ou l’innovation proposée, les besoins du projet d’implantation lui-même et
les ressources disponibles. Un maximum d’informations est recueilli, à cette étape,
de façon à bien comprendre le contexte local dans lequel se déroule l’implantation.
Des discussions ont lieu avec l’ensemble des parties prenantes du changement afin de
les amener à s’investir dans le processus et un examen attentif est porté à l’ensemble
des options disponibles dans le milieu pour assurer une implantation efficace. Un
projet d’implantation est défini, guidé par des buts à atteindre, un plan détaillé et
des échéanciers. La faisabilité du projet de changement est démontrée. Cette étape
est préparatoire à celle de l’installation de l’implantation, laquelle vise à obtenir des
consensus, l’aval et des soutiens au niveau politique, financier et des ressources
humaines. Des discussions ont lieu avec les parties prenantes des milieux afin d’assurer
la mise à disponibilité du financement et des ressources humaines nécessaires. Des
modifications sont apportées au projet en fonction de nouvelles informations obte-
nues. C’est à cette étape que sont établis des mécanismes qui permettront d’évaluer
le rendement de l’implantation et sa performance. L’étape de l’implantation initiale
peut être amorcée. L’innovation est mise à l’essai à petite échelle au sein de l’orga-
nisation. Des formations sont offertes au préalable. Des coaches sont identifiés et
des équipes de travail formées et soutenues par les coaches. Des ajustements sont
effectués en fonction des données nouvelles. Suit l’étape de l’implantation effective.
Celle-ci suppose l’application à grande échelle de l’innovation par l’ensemble des
acteurs concernés dans l’organisation, de même qu’au niveau de ses politiques et
de ses procédures. À cette étape, l’innovation est complètement opérationnelle et
devient peu à peu une pratique acceptée. En dernier lieu, les leaders et les décideurs
de l’organisation sont amenés à mettre en place des mécanismes de pérennisation
pour assurer la viabilité à long terme de l’implantation. Ces mécanismes feront partie
intégrante de la culture de l’organisation, des politiques de l’établissement et des
protocoles cliniques.
Pour ces trois premiers axes, les données analysées proviennent d’entrevues semi-
dirigées auprès des utilisateurs et des patients, de la documentation écrite en lien
avec l’opérationnalisation et la promotion du PES par les équipes d’infirmières
leaders et de l’observation de réunions d’équipes de travail.
Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 45
4. Bilan des travaux réalisés à ce jour
dans le cadre du projet de recherche
Actuellement, les deux premières étapes d’implantation proposées par Fixsen et al.
(2005) sont déjà bien amorcées alors qu’un travail préalable avait été effectué pour
la préparation de la demande de financement (formation d’un comité de suivi des
orientations du projet, d’un comité de pilotage composé d’utilisateurs désignés
représentant les six milieux cliniques participants et des patients). Des rencontres
ont récemment eu lieu avec les milieux cliniques participants. Lors de ces réunions,
l’équipe de recherche a fait la présentation du projet, de son déroulement, et les parti-
cipants ont eu l’occasion de réaffirmer leur engagement au projet. Les utilisateurs
de connaissances désignés pour chaque milieu ont alors été invités à mettre en place
dans leur propre milieu une équipe de professionnels qui participera activement au
projet, le choix de ces professionnels s’appuyant sur différents critères (par exemple
des expertises ou expériences en oncologie, un intérêt pour les technologies ou pour
le TC). Ces équipes sont maintenant formées et ont pour mandat de recenser les
pratiques existantes dans leur propre milieu en lien avec les transitions tout au long
du continuum de soins (planification de congé) et de recueillir de la documentation
pertinente (incluant la littérature grise). Chaque équipe partagera ensuite le fruit
de son travail dans le cadre d’une rencontre intersites. Le comité de pilotage du
projet se réunit, pour sa part, sur une base régulière et apporte les modifications
nécessaires au fur et à mesure du déroulement du projet. Certaines démarches ont
également été entreprises pour intégrer des représentants des patients au sein des
différentes instances du projet. Ces patients partenaires joueront un rôle clé en
permettant d’y intégrer leurs savoirs et leurs propres expériences. Enfin, le PES
est en construction et permettra d’offrir des possibilités d’interactions rapides et
faciles pour les utilisateurs.
Enfin, la consultation des travaux de Lafortune (2009) nous amène à réfléchir
sur les compétences que nous avons ciblées pour le choix de nos utilisateurs de
connaissances. Ceux-ci sont les personnes qui ont le mandat d’accompagner les
équipes cliniques dans leur discussion, le choix des stratégies à mettre en place
pour favoriser leur changement de pratique et les guider dans l’utilisation du PES.
Cet aspect fera l’objet d’une réflexion des chercheurs afin d’inclure des éléments
d’évaluation sur l’accompagnement du changement des pratiques cliniques dans
le cadre de ce projet.
5. Contributions
Cette recherche contribuera à favoriser les apprentissages par les interactions entre
les professionnels, les patients, leurs proches, les chercheurs et les décideurs, et
facilitera le partage d’innovations cliniques pour une meilleure qualité de soins. Elle
devrait permettre de réduire l’utilisation de services non nécessaires ainsi que les
coûts de santé. Les décideurs politiques participants contribueront, de leur côté, à
À retenir
1. Les déterminants du succès de l’utilisation des connaissances et des changements de
pratiques sont :
a. le développement d’une culture organisationnelle ;
b. la mise en place d’une organisation du travail favorable au TC ;
c. un changement proposé qui doit avoir du sens pour les infirmières ;
d. un changement proposé qui doit répondre à un besoin ou un problème vécu et
avoir un impact positif auprès des patients et de leur famille ;
e. la mise en place d’espaces d’échange collaboratif entre collègues ;
f. des infirmières leaders du milieu clinique pour valoriser et faciliter l’utilisation des
données probantes dans les pratiques cliniques.
2. Le transfert des connaissances fait appel à un ensemble d’activités ou de dispositifs
favorisant la diffusion, l’adoption et l’appropriation des meilleures connaissances aux
fins d’une utilisation dans les pratiques. L’échange des connaissances est un processus
dynamique et interactif. Il implique une participation active de l’ensemble des acteurs
concernés dans toutes les étapes d’implantation de la nouvelle connaissance.
3. Stages d’implementation process :
a. exploration et adoption de l’innovation ;
b. installation de l’innovation ;
c. implantation initiale ;
d. implantation complète ;
e. pérennité.
Questions de discussion
Quels seraient les éléments de distinction entre le transfert des connaissances et l’échange
des connaissances ?
Comment ces distinctions se traduisent-elles dans les stratégies d’échange de connais-
sances ?
Dans votre environnement, de quelle façon se traduit le transfert des connaissances ? Que
pourriez-vous faire pour initier une activité de transfert des connaissances autre que de
la formation continue traditionnelle ?
Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 47
Lectures pour aller plus loin
Le modèle de l’Institut national de santé publique (INSPQ, 2009) est très utilisé car facile
à comprendre et simple d’application.
Le modèle de la science de l’implantation est l’un des rares modèles permettant de guider
le clinicien dans l’implantation d’un changement de pratique ou d’une innovation clinique
jusqu’à la pérennisation par l’organisation (Fixsen et al., 2005).
C’est dans l’action que les savoirs prennent forme : www.inesss.qc.ca/activites/transfert-
de-connaissances.html
Bibliographie
Adams, S., Titler, M.G. (2010). “Building a Learning Collaborative”. Worldviews on
Evidence-Based Nursing, 7, 3, pp. 165-173.
Allaudeen, N., et al. (2011). “Redefining readmission risk factors for general medicine
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Beyer, J.M., Trice, H.M. (1982). “The Utilization Process : A Conceptual Framework
and Synthesis of Empirical Findings”. Administrative Science Quarterly, 27, 4,
pp. 591-622.
Boaz, A., et al. (2011). “Effective Implementation of Research into Practice : An
Overview of Systematic Reviews of the Health Literature”. BMC Research Notes,
4, 212, pp. 1-8.
Chummun, H., Tiran, D. (2008). “Increasing Research Evidence in Practice: A Possible
Role for the Consultant Nurse”. Journal of Nursing Management, 16, pp. 327-333.
Comité consultatif concernant les hospitalisations évitables (2011). Améliorer le
continuum de soins, Toronto : ministère de la Santé et des Soins de longue durée.
Damschroder, L.J., et al. (2009). “Fostering Implementation of health services
research findings into practice: a consolided framework for advancing implemen-
tation science”. Implementation Science, 4, 50, pp. 1-15.
Dopson, S., et al. (2010). “No magic targets ! Changing clinical practice to become
more evidence based”. Health Care Manage Rev, 35, 1, pp. 2-12.
Estabrooks, C.A., et al. (2003). “The Internet and Access of Evidence: How are
Nurses Positioned?” Journal of Advanced Nursing, 42, 1, pp. 73-81.
Estabrooks, C.A., et al. (2005). “Sources of Practice Knowledge Among Nurses”.
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Fixsen, D.L., et al. (2005). Implementation Research: A Synthesis of the Literature.
Tampa Florida : University of South Florid, http://nirn.fpg.unc.edu/sites/nirn.fpg.
unc.edu/files/resources/NIRN-MonographFull-01-2005.pdf.
Chapitre 3 – Une innovation pour accompagner le changement dans les pratiques infirmières l 49
Ward, V., et al. (2009). “Developing a framework for transferring knowledge into
action : a thematic analysis of the literature”. Journal of Health Services Research &
Policy, 14, 3, pp. 156-164.
Wyer, P.C. (2007). “Responsiveness to Change : A Quality Indicator for Assessment
of Knowledge Translation Systems”. Academic Emergency Medicine, 14, 11, pp. 928-931.
1. Introduction
Cette contribution vise à rendre compte de la première étape, exploratoire, d’une
recherche menée en vue de densifier, d’optimiser l’approche pédagogique mise
en œuvre dans le cadre de la formation des internes et des infirmiers anesthé-
sistes, par la simulation. L’analyse de 15 entretiens réalisés avec des personnes
formées nous permet d’envisager des pistes de réflexion allant dans ce sens.
Les enjeux de la simulation sont à la fois une préoccupation affirmée pour la
valeur du patient (« jamais la première fois sur le patient ») et une responsa-
bilité accrue du milieu médical et de l’institution hospitalière. En effet, nous
pouvons considérer, à la suite de Chiniara et Pellerin (2014), que « la simulation
[est] comme un impératif éthique, surtout lorsque son utilisation est possible
pour l’apprentissage initial de gestes invasifs » (p. 380). Cependant, l’objectif
de la simulation est d’aller plus loin qu’une formation pratique classique ; elle
vise également la prise de conscience des compétences non techniques par les
personnes formées. Ces compétences non techniques sont constitutives, comme
les compétences techniques, d’un acte réussi ; elles renvoient à la communica-
tion, au leadership, aux émotions, au stress, à la conscience de la situation qui
méritent d’être travaillées « dans une ambiance de sécurité psychologique »
(ibid., p. 380). Pour cela, le débriefing constitue un élément fondamental du
dispositif, comme le signalent de nombreuses productions scientifiques. À la
suite de nos premiers résultats, nous faisons émerger des points d’amélioration
du processus de débriefing comme la prise en compte du stress et des émotions
que génère la gestion de situations critiques.
1. Pour la haute fidélité, on retrouve également dans la littérature scientifique les termes full mission,
pleine échelle.
2. « To Err Is Human : Building A Safer Health System », http://iom.edu/Reports/1999/To-Err-Is-
Human-Building-A-Safer-Health-System.aspx.
3. Rapport de mission, « L’état de l’art (national et international) en matière de pratiques de simulation
dans le domaine de la santé ».
3. Simulation en anesthésie-réanimation
Même si l’anesthésie n’apporte quasiment aucun bénéfice thérapeutique par elle-
même et si les accidents d’anesthésie sont rares, leur éventuelle gravité les rend
redoutables. C’est pourquoi la simulation a été fortement développée dans le domaine
de l’anesthésie.
La recherche exploratoire que nous présentons a été réalisée, d’un point de vue
empirique, dans un centre de simulation conçu et mis en place grâce à un partenariat
entre une université et un pôle d’anesthésie-réanimation (le département d’anes-
thésie-réanimation de l’université Toulouse-3 et le pôle anesthésie-réanimation
des Hôpitaux de Toulouse). Ce partenariat a conduit à l’acquisition en 2009 d’un
simulateur d’anesthésie haute fidélité.
Depuis 2010, une formation à la « gestion de situations critiques en anesthésie » a
été mise en œuvre avec ce simulateur. Cette formation présente deux originalités.
D’une part, elle met en situation de formation une équipe constituée d’un interne
en anesthésie-réanimation (médecin formé) et un infirmier anesthésiste diplômé
d’État (IADE). En effet, comme le souligne la Société française d’anesthésie et de
réanimation (Sfar), « les fonctions du médecin anesthésiste-réanimateur (MAR) et
de l’IADE s’inscrivent en complémentarité et non en substitution de l’une à l’autre ».
D’autre part, les équipes de formateurs sont également constituées par un MAR
et un IADE ; tous deux sont en exercice à l’hôpital. Ces professionnels formateurs
ont un temps dédié à la formation mais ce travail ne constitue pas l’essentiel de
leurs pratiques. Ils sont principalement sur le terrain auprès des patients. On peut
considérer que cet élément contribue à renforcer les liens entre réalité de terrain
et formation, et ainsi tend à réduire le décalage parfois souligné dans la formation
entre terrain et école.
Les simulations, mises en œuvre dans une réplique de bloc opératoire, sont élabo-
rées à base de scénarios de situations critiques pour le patient (ici représenté par
un mannequin commandé par un ordinateur). La formation est animée par une
équipe de supervision constituée d’un MAR et de deux IADE expérimentés (il
est entendu par « expérimentés » des IADE ayant plusieurs années d’expérience
dans des services différents et reconnus comme légitimes par leurs pairs et par les
MAR) (tableau 1).
Contexte
Contexte matériel Fonctions
socioprofessionnel
Superviseurs de la formation Équipe formée d’un MAR et de
deux IADE expérimentés
Détermination du scénario Formateurs Équipe formée d’un MAR et d’un
parmi une trentaine de scénarios IADE en exercice dans l’hôpital
possibles (nombre évolutif)
Simulateur de patient et de bloc. Interne formé Équipe constituée d’un interne
Scénario inconnu au départ à former et d’un IADE
1. C’est-à-dire avec un questionnement dirigé vers la simulation mais sous forme de questions ouvertes
avec plus de relances/reformulations, pour approfondir des points, que de questions.
1. Signes d’aboulie (incapacité à prendre une décision, difficultés à communiquer), de stéréotypie (répé-
tition verbale ou motrice), enfermement dans une situation (confusion, incapacité à avancer).
2. Focalisation sur un ou des points, en occultant les autres.
3. Fixation sur la recherche d’informations qui confirment l’hypothèse privilégiée.
4. L’erreur de communication silencieuse, par exemple, ou syndrome d’Abilène, qui consiste à enté-
riner des décisions parce que les acteurs ne se sont pas exprimés alors qu’en fait aucun des participants
ne soutenait la proposition initiale. La pensée de groupe (group think) ou poursuite irrationnelle de
consensus en priorité.
Classe 3
Le stress, une difficulté à gérer
Classe 1
La simulation comme moyen pédagogique
Classe 2
Le débriefing, un temps d’échange formateur
À retenir
La simulation haute fidélité représente des enjeux éthiques et pédagogiques.
Le débriefing de compétences non techniques relève de ressources théoriques inscrites
en sciences sociales et humaines.
La centration sur les apprenants est incontournable.
Questions de discussion
Comment accompagner le changement de paradigme pédagogique des formateurs ?
Faut-il maintenir le stress lié à la simulation pour l’analyser, au risque de générer un stress
post-traumatique qui peut impacter la pratique professionnelle ?
Quel processus de débriefing permettrait de s’adapter à la singularité des personnes
formées ?
Bibliographie
Alter, N. (2000). L’Innovation ordinaire. Paris : PUF.
Bardin, L. (2007). L’Analyse de contenu. Paris : PUF.
Bedin, V. (2013). Conduite et accompagnement du changement. Contribution des sciences
de l’éducation. Paris : L’Harmattan.
Boet, S., Granry, J.-C., Savoldelli, G. (2013). La Simulation en santé. De la théorie à
la pratique. Paris : Springer.
Chiniara, G., Pellerin, H. (2014). « Simulation et gestion d’une situation de crise ».
In : Fourcade, O., Geeraerts, T., Minville, V., Kamran, S. (éd.). Traité d’anesthésie
et de réanimation. 4e édition. Paris : Lavoisier.
Cook, D.-A., Hatala, R., Brydges, R., Zendejas, B., Szostck, J.H., Wang, A-T., et
al. (2011). “Technology-enhanced simulation for health professions éducation : a
systemic review and meta-analysis”. JAMA, 306, pp. 978-988.
1. Introduction
Nous nous intéressons ici à la formation des professionnels de santé du bloc opéra-
toire relative à la prévention et la gestion des risques, par l’intermédiaire d’un serious
game intitulé 3DVOR (3D Virtual Operating Room1). Les serious games sont des jeux
fondés sur des modèles simples mais dynamiques reproduisant divers aspects de la
réalité. Ils sont la combinaison d’un jeu vidéo et de scénarios pédagogiques pour
enseigner et faire apprendre des savoir-faire pratiques. L’introduction de nouvelles
technologies permettant des apprentissages par simulation constitue une piste de
solutions aux problèmes de la formation médicale (voir le chapitre 4, de Bastiani,
Minville et Calmettes). Ainsi, un des enjeux de cet apprentissage est de faire acquérir
des compétences qui permettront de s’adapter à des situations nouvelles et complexes,
que seule la pratique rendait jusqu’ici accessibles.
Dans ce chapitre, nous rendons compte de la construction d’un référentiel de
compétences non techniques des différents professionnels du bloc opératoire et de
l’élaboration des scénarios pédagogiques. La méthodologie est qualitative : observa-
tion en situation réelle d’interventions chirurgicales et entretiens avec les différents
professionnels. Les compétences non techniques identifiées sont ensuite intégrées
dans les scénarios qui visent à développer les capacités de prévention et de gestion
des risques en bloc opératoire. Il n’existe pour l’heure aucun référentiel disponible
concernant les compétences non techniques nécessaires à un développement collectif
du bloc opératoire. L’impact du serious game sur le processus d’enseignement/
1. http://3dvor.univ-jfc.fr/fr/accueil.
1. L’équipe pluridisciplinaire Serious Game Research Network (SGRN) est constituée de neuf labo-
ratoires, avec 40 enseignants-chercheurs. Pour ce qui concerne ce chapitre, ont plus particulièrement
participé : David Panzoli, maître de conférences, IRIT, université Jean-François-Champollion-Albi ;
Catherine Pons-Lelardeux, SGRN, université Jean-François-Champollion-Albi ; Vincent Lubrano,
INSERM U 825, pôle neurosciences et neurochirurgie, CHU de Toulouse ; Vincent Minville, Labo-
ratoire de modélisation de l’agression tissulaire et de la nociception (MATN), UPS (EA 4564), CHU
de Toulouse ; Thomas Rodsphon, knowledge manager, CHU de Toulouse.
2. Déposé dans le cadre du douzième appel à candidatures, retenu pour un financement par le Fonds
unique interministériel (FUI) d’appui aux projets de recherche et développement (2012). Appel gagné
par KTM Advance (leader de la formation professionnelle numérique), les Hôpitaux de Toulouse et le
Serious Game Research Lab (SGRL) de l’université Champollion.
4. Cadrage théorique
Nous présentons l’analyse des pratiques du « collectif bloc opératoire » dans une
perspective d’accompagnement du changement, reliant le cadre de la didactique des
savoirs professionnels et l’apprentissage par simulation, mais nous présentons tout
d’abord succinctement les serious games.
Cependant, comme nous l’avons dit plus haut, l’objectif du serious game, par la
validation des compétences non techniques du référentiel commun, est de déve-
lopper une compétence collective chez les professionnels du bloc opératoire. Cette
compétence collective serait la combinaison des compétences individuelles et de
leur intégration synergique dans le système dynamique et complexe du « collectif
bloc opératoire ». Ainsi, les compétences sont un ensemble de savoirs, savoir-faire et
comportements tirés de l’expérience, nécessaires à l’exercice d’un métier, alors que
la capacité désigne le fait d’être capable, d’avoir une aptitude pour quelque chose.
Pour le dire simplement, les compétences sont des capacités acquises et légitimes
dans le domaine professionnel.
Dans le serious game, pour développer une compétence, on va restreindre les situations
dans lesquelles l’apprenant sera appelé à exercer la compétence. Ainsi, sont propo-
sées des mises en situation virtuelles proches de situations professionnelles réelles
référencées, ciblant la gestion/prévention de risques et d’événements porteurs de
risques. Le serious game fournit à l’équipe qui joue et au formateur des informations
adaptées aux erreurs commises afin de suivre et d’évaluer les acquisitions.
La construction des scénarios pédagogiques est basée sur les entretiens menés avec
les différents professionnels du bloc opératoire qui s’accordaient pour dire que la
pratique de bloc opératoire ne devait plus être une juxtaposition de pratiques indi-
viduelles, mais que cela devait tendre vers une pratique collective et la construction
d’une compétence collective chez les professionnels du bloc opératoire.
À retenir
Le serious game 3DVOR a pour ambition de former les différents professionnels de santé
du bloc opératoire, en les faisant jouer ensemble et simultanément, à la prévention et à
la gestion des risques.
En préalable, il y a nécessité de construire un référentiel de compétences non techniques
commun aux différents professionnels du bloc opératoire.
Les scénarios pédagogiques sont constitués de trois étapes essentielles : la phase de
briefing, le jeu et la phase de débriefing, essentielle pour vérifier les apprentissages.
Questions de discussion
Comment valider la construction d’une compétence collective par un collectif et quel
accompagnement prévoir pour le changement des pratiques du collectif ?
Concernant l’accompagnement de l’apprentissage, plusieurs questions se posent à propos
du serious game, notamment : permet-il une étincelle de conscience ou une prise de
conscience qui ferait changer la pratique ?
1. Introduction
« Grandir n’advient que si l’humain est en relation avec un autre semblable ; il se
perd s’il n’a pas un autre humain pour l’accompagner. Ce qu’il y a de plus puissant
dans la guérison pour un homme, c’est un autre homme. Ce qui vaut pour guérir
vaut-il pour instruire ? » (Cifali, 1994, p. 257).
Dans le champ du travail tout comme dans le champ de la formation paramédicale, la
thématique de la professionnalisation rencontre un vif succès. Les raisons fréquem-
ment avancées soulignent la nécessité d’articuler les objectifs d’apprentissage dans les
trois domaines taxonomiques du savoir (cognitif, affectif et sensorimoteur) avec les
situations professionnelles prévalentes apprenantes rencontrées en situation de travail
réel, d’articuler plus étroitement dans une alternance intégrative travail et formation1,
de développer des expertises multiples, voire d’« upgrader » les infirmiers dans les
pratiques avancées, et ce dans des contextes d’activités qui changent de façon quasi
permanente. Le 19 juin 1999, les États membres de l’Union européenne ont signé la
déclaration de Bologne. Le processus de Bologne est une réponse conforme au traité
de Maastricht qui spécifie qu’un espace européen de l’enseignement doit être créé. Les
deux principaux objectifs du processus de Bologne sont d’homogénéiser les parcours
de formation en Europe, sur la base du système LMD (licence, master et doctorat) et
de favoriser les coopérations entre établissements de formation et universités. Régi
par l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État infirmier, le référentiel de
formation infirmière a concrétisé l’entrée dans ce processus. La recherche présentée
ici, dans sa visée praxéologique et compréhensive, tente de répondre à l’hypothèse
1. Voir à ce sujet le référentiel de formation infirmière qui pose l’alternance intégrative comme un
enjeu pédagogique fondamental fondé sur l’articulation réelle de savoirs scientifiques et techniques et
de savoirs pratiques, pour une socialisation et une construction identitaire professionnelle progressive
de l’apprenant.
Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 81
selon laquelle le référentiel de formation infirmier 2009 aurait eu un impact sur le
processus de professionnalisation des nouveaux infirmiers diplômés d’État (IDE).
Tout en nous référant à la définition de Wittorski (2007, p. 147), « une intention
sociale (côté organisation) finalisée par la quête d’une évolution des personnes au
travail mais aussi un jeu identitaire ou une transaction entre “mise en reconnaissance
de soi” […] et une reconnaissance effective par l’environnement […] », nous ques-
tionnons la problématique de la professionnalisation des infirmiers nouvellement
diplômés, dans cette mise en tension entre l’agir professionnel et le développement
professionnel d’un praticien dans des activités essentiellement adressées à autrui.
Au-delà des situations de travail, l’itinéraire personnalisé de professionnalisation
d’un praticien s’inscrit dans les trois dimensions d’une triangulation qui conjugue
situation, activité et apprentissage.
2. État de la question
Au préalable, nous allons expliciter ici le cadre institutionnel de la formation
infirmière.
Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 83
final de dire de quelqu’un qu’il est professionnel, c’est-à-dire qu’il est doté de la
professionnalité de l’ensemble des connaissances, des savoirs, des capacités et des
compétences caractérisant sa profession » (p. 28). L’auteur distingue trois sens
différents au terme « professionnalisation », qu’il met en rapport avec trois types
d’enjeux distincts.
2.2.1. Professionnalisation-profession
Il s’agit de la professionnalisation comme constitution des professions en tant que
constitution d’un groupe social autonome. À l’inverse du système anglo-saxon, la
profession ne repose pas tant sur le modèle de la profession libérale mais davantage
sur celui du modèle des corps d’État, hiérarchisés, légitimés, « dont l’enjeu est la
conquête d’une meilleure place dans une hiérarchie étatique élitaire » (Wittorski,
2007, p. 28) ou sur le modèle de la constitution de communautés de pairs construisant
leurs propres règles (modèle des confréries). L’enjeu pour les individus est alors la
reconnaissance de leurs capacités en vue d’accéder à une meilleure place dans une
hiérarchie étatique.
2.2.3. Professionnalisation-formation
Il s’agit de la professionnalisation comme « fabrication d’un professionnel par la
formation et dans un même temps quête d’une légitimité plus grande des offres
et pratiques de formation ». Ainsi, cette conception de la professionnalisation
repose sur une tentative d’articulation plus étroite entre l’acte de travail et l’acte de
formation. C’est la visée même des programmes de formation qui prône l’alternance
intégrative. « On constate une articulation plus étroite entre l’acte de travail et
l’acte de formation. Il s’agit d’intégrer dans un même mouvement l’action au travail,
l’analyse de la pratique professionnelle et l’expérimentation de nouvelles façons de
travailler » (Wittorski, 2007, p. 28).
Les travaux de Wittorski (2007) posent la formation et le travail comme moyens
soutenant le processus de professionnalisation. Nous retenons ainsi que la profes-
sionnalisation se définit comme un « processus de construction des connaissances,
savoirs et identités reconnus comme faisant partie de la profession choisie » (p. 3).
Dans le cas présent, nous avons choisi de réaliser la lecture, l’analyse et l’interpré-
tation du processus de professionnalisation des infirmiers nouvellement diplômés
(juillet 2012) lors de leur prise de fonction. Cette première insertion en tant que
1. Alceste : initialement, ce terme est l’acronyme d’analyse lexicale par contexte d’un ensemble de segment
de texte. Il s’agit d’un logiciel développé par Max Reinert en 1992 (pour sa version 2.0) de l’université de
Toulouse-Le-Mirail. L’auteur définit aujourd’hui Alceste© comme l’analyse des lexèmes co-occurrents
dans les énoncés simplifiés d’un texte.
Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 85
Tableau 2 – Recrutement au sein des pôles cliniques de l’échantillon (total n = 100)
Échantillon/pôle
Période inclusion
Intitulé des pôles cliniques IDE Féminin IDE Masculin
1er août-30 novembre
2012
Anesthésie/réanimation 5 3 2
Cardiovasculaire et métabolique 5 4 1
Céphalique et odontologique 1 1
Digestif 10 10
Gériatrie 2 2
Institut locomoteur 6 6
Médecine d'urgences 10 5 5
Neurosciences 19 17 2
Psychiatrie 10 7 3
Spécialités médicales 5 5
Urologie, néphrologie, dialyse, 17 17
chirurgie plastique, chirurgie
générale et gynécologique
Voies respiratoires 0
Blocs opératoires 10 8 2
Variable
illustrative
Classe % UCE* Traits lexicaux typiques par classe**
associée
à la classe
Classe 1 15 % Difficulté, contrôle, geste, rapide, organisation, adaptation, *T1 *T3
spécialité, activité, réalisation, exécution, initiative
Classe 2 33 % Disponible, amélioration, potentiel, équipe, compétence, ren-
forcement, quotidien, connaissances, lien, esprit, respectueux,
solidaire
Classe 3 23 % Perfectionnement, pratique, protocole, procédure, mode opé-
ratoire, soins, technique, expérience, unité, confrontation
Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 87
acquérir plus de rapidité dans l’exécution des soins. Doit prendre plus d’initiative
et prendre des décisions » (propos illustratif no 2).
Dès la prise de fonction, le sujet épistémique de cette classe de discours présente
des insuffisances dans les trois domaines taxonomiques du savoir, savoir-être et
savoir-faire. Les compétences visées sont acquises à un niveau de pratique partielle,
nécessitant une aide externe et un accompagnement casuistique. Au terme des six
mois de leur prise de fonctions, ces professionnels de santé se sentent en insécurité.
Leurs pratiques professionnelles se limitent en l’application d’actes déconnectés du
contexte et la mise en œuvre aveugle des tâches de manière standardisée. Ils s’inter-
rogent sur leur orientation professionnelle et expriment leurs difficultés entre le
« métier idéalisé » et le « métier réalisé ». Ils sont qualifiés de « flottants, parfois
apathiques, avec une défaillance d’engagement » par l’encadrement. Ils occupent un
emploi qui ne correspondrait pas à leurs aspirations. À la fois attentistes et désen-
gagés, ils envisagent de quitter et d’abandonner la profession, et de se réorienter.
Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 89
• « bonne dextérité dans les soins techniques, a la volonté de se perfectionner.
Toujours à réaliser de nouveaux soins pour acquérir et perfectionner sa pratique.
Pansements divers, ôter des fils, des agrafes, poser des perfusions, prise de sang,
préparation des injections. Motivée, intéressée et en quête de perfectionnement »
(propos illustratif no 2).
Dès leur prise de fonction, le sujet épistémique de cette classe de discours présente
des compétences visées acquises à un niveau de pratique courante. Ces profession-
nels de santé sont qualifiés de « professionnels efficients prometteurs » avec un
fort potentiel d’évolution. Ce sont les « étoiles montantes ». Ils ont bénéficié en
préambule de leur prise de fonctions d’un stage préprofessionnel dans l’unité de
soins où ils exercent. Ce temps d’apprentissage dans un espace temporel connu leur
a permis dans la multiplicité des situations des soins rencontrées (exposition plurielle
sur une discipline limitée) et dans la durée (10 semaines de stage) d’intégrer des
notions telles que l’organisation et les règles de travail en amont de leur première
immersion. Ils sont capables d’expliciter leur raisonnement clinique et leur prise
de décision, et sont efficaces dès le premier mois comme les talentueux singuliers.
Centrés sur le respect des protocoles de soins, sur la technicité du geste à réaliser
et les règles de l’art infirmier, ce professionnel de santé est un technicien.
Classe 1
Les attentistes
désengagés
22 u.c.e
Classe 2
Les volontaristes
motivés
48 u.c.e
Classe 3
Les pragmatiques
efficients Corpus Analysé
34 u.c.e 145 u.c.e
Classe 4
Les talentueux
singuliers
41 u.c.e
5. Discussion
Nous identifierons un certain nombre de points de discussion et de réflexion en
matière de recherche sur la professionnalisation et l’accompagnement du changement.
Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 91
du sujet dont on peut discerner trois facteurs : son histoire, sa socialisation et son
autoformation (soi), l’interaction avec les autres et l’hétéroformation (les autres), les
situations professionnelles rencontrées et l’écoformation (situations apprenantes).
L’infirmier nouvellement diplômé est un sujet apprenant (compétences ; interaction
à l’objet ; moyens ; organisation ; partenaire ; relations aux autres) qui agit (actions)
et se transforme (transformations). La notion de compétence se lie alors à celle de
professionnalité dans une articulation entre le pouvoir/vouloir et savoir-agir (Le
boterf, 2007). Les apprentissages sont d’ordre cognitif, social et affectif. L’action
devient formatrice et porteuse de sens (« les savoirs combinatoires »). En s’appuyant
sur les travaux de Schön (1983), Dreyfus et Dreyfus (1986) et Benner (1984) posent
les cinq stades successifs de l’acquisition et du développement d’une compétence en
situation de travail : novice ; débutant ; compétent ; performant ; expert. Selon ces
auteurs, c’est au terme de deux années de prise de fonctions qu’un jeune diplômé
est considéré comme compétent. On apprend de soi-même, des autres et de l’ins-
titution, en s’imprégnant de la « culture » du groupe professionnel dans l’exercice
concret de l’activité (Bourdoncle, 2000).
6. Conclusion
« C’était mieux avant. Combien de fois cela s’impose à moi comme une évidence,
en toutes sortes de circonstances. […]. Quand, au lycée, nous nous levions, mes
camarades et moi, au moment où notre professeur pénétrait dans la classe et que
nous attendions sagement qu’il nous autorise à nous asseoir. […]. Quand le facteur
ne s’appelait pas “préposé”, l’instituteur, “professeur des écoles”, les hommes et les
femmes de ménage, “techniciens de surface”. […]. Quand le mot révolution était
porteur d’espoir » (Jean-Bertrand Pontalis, Avant).
Dans le champ du soin et de la santé, la professionnalisation ne doit pas être regardée
par la seule lunette du « et si c’était mieux avant ». Cette rhétorique éprouvée et
cette évocation passéiste ne sont pas transposables. Pour le Dictionnaire de l’Académie
française (1932-1935), le mot « changement » désigne « l’action de changer » ou le
« résultat de cette action ». Guy (2013) opère une distinction en replaçant le terme
de changement dans des foyers de signification entre l’échange, le déplacement, la
transformation, la conversion. L’auteur explique que ce n’est pas tant le changement
des choses qui est un objet de recherche en soi, mais bien la modification des relations
entre un sujet (ou groupe professionnel) et son environnement. Notre étude, hic et
nunc, pose comme point de départ le processus de professionnalisation des infirmiers
nouvellement diplômés comme une intention et une exigence sociale de formation.
Or, si le changement s’opère, il s’opère dans la transformation, le « passage d’un état
à un autre » (Guy, 2013) des représentations professionnelles des différents acteurs.
Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 93
Depuis 2009, le référentiel de formation infirmière confirme le modèle d’une alter-
nance intégrative entre les Instituts de formation en soins infirmiers et les unités
de soins. L’hôpital est une réelle organisation apprenante au service des étudiants
et des professionnels de santé. Toute construction d’une formation professionnelle
doit se réaliser par le regard contributif des différents acteurs impliqués (institut
de formation versus employeur) au risque de faire l’impasse sur les relations entre
emploi et formation et ce qui en découle pour la valeur « professionnelle » d’un
diplôme professionnel. On peut ainsi concevoir cette proposition de changement
dans l’accompagnement d’un changement de paradigme et de conception d’une
représentation de « l’école dans l’hôpital » (modèle de l’alternance juxtaposée) à celui
de « l’hôpital-école » (modèle de l’alternance intégrée). La question de la construc-
tion ou du changement de cognition est centrale. Elle porte en elle la nécessaire
réflexion conjointe sur les transactions interprofessionnelles et sur les interopéra-
tions, voire les contributions mutuelles, des professionnels issus de trois systèmes
d’activité : l’université, l’hôpital et les instituts de formation paramédicaux. Cet
accompagnement au changement constitue un atout majeur. C’est en coconstruisant
et en confrontant les regards croisés des différents acteurs sur la plus-value de la
formation initiale des professionnels paramédicaux que la réponse aux besoins et
aux attentes des usagers de soins et de leurs proches deviendra efficiente en termes
de prestations de soins de qualité et d’enseignement.
À retenir
Pris dans sa finalité humaine, le processus de professionnalisation concerne l’infirmier
qui se forme et apprend son métier.
Les marques visibles de cette professionnalisation sont l’action du sujet apprenant avec le
monde qui l’entoure, à la fois l’objet (un acte de soin), l’environnement (une situation de
soins dans une unité de soins) et autrui (les pairs, les étudiants, les professionnels de santé).
Au-delà des apprentissages des savoirs techniques, procéduraux et attitudinaux, de la
construction de l’identité ou de la socialisation individuelle, le processus de profession-
nalisation permet à l’infirmier nouvellement diplômé d’entrer dans un espace social où
la complexité des situations rencontrées et la rencontre avec les pairs – dans la mise en
confrontation des différents points de vue – sont garantes de la construction de compé-
tences collectives autant qu’individuelles.
Questions de discussion
Comment conduire et/ou accompagner le changement de paradigme ou de conception
d’une représentation de « l’école dans l’hôpital » (modèle de l’alternance juxtaposée) vers
celui de « l’hôpital-école » (modèle de l’alternance intégrée) ?
Quels enjeux sous-tendent la professionnalisation des professions paramédicales et quelles
finalités dans la visée sociologique (caractéristiques d’une profession), pédagogique
(caractère opératoire d’une formation), individuelle et collective (processus de dévelop-
pement professionnel et interactionnisme avec le groupe) promeut-elle lorsqu’elle est
considérée dans son rapport à la formation initiale et continue, au travail et à l’emploi ?
Bibliographie
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Chapitre 6 – Professionnalisation des infirmiers dans l’organisation hospitalière : entre intention et exigence sociale l 95
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1. Introduction
Les dynamiques de changement perceptibles dans le monde du travail comme dans
celui de la formation conduisent à des transformations profondes des pratiques
professionnelles, voire une mutation des métiers. La modification régulière
des frontières professionnelles entre médecins et professionnels paramédicaux
en est un exemple. Elle a conduit à une succession de réformes des dispositifs
de formation initiaux pour s’adapter aux nouveaux besoins de compétences. Ce
chapitre vise à la compréhension des phénomènes liés au processus de transfor-
mation du groupe professionnel infirmier dans cette évolution du système de
santé français. Il se propose de rendre compte des pratiques de professionnalisa-
tion émergentes et de la manière dont les infirmiers, engagés dans une fonction
inédite de tuteurs, se sont saisis des nouvelles logiques de formation pour modi-
fier leurs pratiques d’encadrement. Nous clarifions d’abord les statuts et types
de changements définis par différents auteurs en psychologie et en sciences de
l’éducation. Nous précisons ensuite les nouvelles logiques prescrites pour montrer
les changements auxquels sont confrontés les acteurs de terrain dans la mise en
œuvre de la réforme infirmière. Nous présentons le dispositif de recherche ayant
permis de caractériser les formes de changement liées aux transformations des
pratiques tutorales observées. Dans une visée praxéologique, nous proposons
une discussion à partir des résultats d’enquête. Pour finir, nous initierons une
réflexion sur des axes possibles d’accompagnement des tuteurs, pour les aider
à mieux appréhender et à mettre en œuvre les logiques de professionnalisation
constitutives des mutations annoncées.
1. L’unité mixte de recherche « Éducation, formation, travail, savoirs » initie régulièrement des travaux
sur la thématique de la conduite et de l’accompagnement du changement. Cette équipe a produit un
ouvrage collectif paru en 2013 (voir bibliographie), donnant lieu à une approche multiréférencée de la
question du changement. Notre réflexion s’appuie en partie sur les conceptions du changement étayées
par les différents auteurs de cet ouvrage.
3. Contexte et problématisation
3.1. Réforme infirmière : une nouvelle logique
de professionnalisation
Les notions de compétence et d’étudiant-acteur, impulsées par la réforme infir-
mière, représentent des éléments de changement paradigmatiques, avec des logiques
nouvelles d’apprentissage. Nous partons de l’idée que ces nouveautés vont impacter
le processus de professionnalisation et solliciter l’engagement des acteurs dans la
transformation de leurs pratiques. Cela peut constituer une rupture dans la culture
professionnelle, avec un tournant décisif dans le type de professionnel futur attendu,
ce qui peut conduire à une mutation du professionnel infirmier.
4. Repères méthodologiques
Il nous a paru approprié de tenter de rendre compte en temps réel des processus
complexes de transformation des pratiques tutorales. En nous appuyant sur les
travaux de Musca (2006), nous avons choisi une approche mixte avec une étude
synchronique permettant d’étudier différentes caractéristiques des pratiques tuto-
rales observées à un moment donné, alliée à une analyse diachronique s’attachant
1. Cette forme d’observation participante est une méthode utilisée en sociologie, dans des lieux
d’enquête difficile d’accès. Elle permet d’observer « à couvert », c'est-à-dire en observant un groupe
sans que celui-ci ne soit prévenu de cette posture. Elle réclame un positionnement éthique de la part
du chercheur.
2. Les infirmiers encadrant au quotidien les étudiants ont été ainsi nommés dans le référentiel de
formation pour les distinguer de la fonction de tuteur, qui a une mission pédagogique spécifique auprès
des étudiants.
1. Nous ne pourrons pas produire ici la totalité des résultats de l’analyse de la deuxième phase de notre
étude en cours. Nous reprendrons néanmoins des propos récurrents issus d’une première analyse des
corpus.
2. Nous avons regroupé les classes de thématique similaires afin d’analyser transversalement les diffé-
rents corpus.
3. Le terme de « référent » était utilisé dans l’ancien programme pour désigner l’infirmier identifié
comme personne ressource pour l’étudiant.
6. Quelques commentaires
La notion de changement « situé » apparaît primordiale au regard de la place
qu’occupent les interactions avec l’environnement dans le processus dynamique du
changement. Le soutien apporté aux acteurs de terrain par l’institution, les moyens
mis en œuvre pour diffuser l’information concernant les prescriptions, les politiques
de formation et d’accompagnement sont autant de facteurs pouvant jouer un rôle
dans l’appropriation de nouvelles logiques.
À retenir
Le changement de logique est nécessaire pour un changement de pratiques profession-
nelles durables :
− les acteurs de terrain sont les véritables constructeurs des pratiques nouvelles, en
interactions avec leur environnement ;
− le changement est un processus d’appropriation qui passe par l’information et néces-
site une prise de conscience du sens de sa pratique et du changement auquel l’acteur
accepte d’adhérer ;
− le changement peut être de plusieurs types, suivant la forme de logique structurelle
initiée ;
− un acteur a besoin d’être d’accompagné dans le changement pour prendre conscience
de la logique structurelle de son système de pratiques.
Deux formes d’accompagnement pour changer existent :
− une diffusion claire et fiable des informations aux acteurs sur les éléments prescriptifs ;
− un accompagnement dans le sens à donner aux pratiques nouvelles qui émergent.
Questions de discussion
Les organisations de soins actuelles sont-elles prêtes à accepter l’émergence d’un nouveau
corps de métier représenté par le tuteur de stage ?
Le rôle paradoxal du tuteur dans cette fonction pédagogique d’accompagnement dans
la professionnalisation des novices peut-il constituer un frein au développement de
pratiques durables ?
Bibliographie
Abernot, Y., Eymery, C. (2013). « Le changement en éducation et formation : un
mot à la mode, une réalité socioéducative, une préoccupation scientifique ? » In :
Conduite et accompagnement du changement. Contribution des sciences de l’éducation.
Paris : L’Harmattan, pp. 53-67.
1. Introduction
La situation de la formation dans les domaines de l’éducation et de la santé exige
le développement de compétences professionnelles pour les personnes formatrices
et celles qui sont en formation. Considérant un certain manque de formation pour
accompagner la mise en action de telles compétences, les milieux de pratique se
mobilisent pour améliorer leurs compétences pédagogiques. Dans le cadre d’un
projet d’accompagnement-formation, des milieux de formation (Hautes Écoles de
Belgique) ont mis en œuvre des structures organisationnelles pour favoriser des
actions concertées en sciences de la santé, particulièrement en soins infirmiers et
dans le secteur paramédical. Il s’agit de se former dans une démarche réflexive. Des
actions de quatre institutions de formation ressort un modèle d’accompagnement-
formation (Lafortune et al., 2012a) se déclinant selon les caractéristiques des milieux.
La structure de ce modèle comporte 17 principes dont sept sont présentés ici :
• avoir une perspective réflexive-interactive (Lafortune et al., 2008b) ;
• passer des impressions à l’analyse (Altet, 2002 ; Champy-Remoussenard, 2003 ;
Périer, 2009 ; Lafortune et al., 2012b) ;
• viser à « faire faire » au lieu de faire, à « faire dire » au lieu de dire, à « faire
construire » au lieu de construire pour l’autre ;
• assurer une écoute sans préjugés ou idées préconçues ou jugements de valeur ;
• tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive et profes-
sionnelle ;
• associer la recherche à un projet de formation-accompagnement ;
4.1. Impressions
Les impressions ont un rôle dans le processus réflexif tout en considérant qu’il est
nécessaire de les dépasser et de pouvoir les revoir ou les soumettre au regard des
autres. Si elles sont associées à des intuitions superficielles, elles peuvent mener
à des préjugés, idées préconçues, jugements de valeur. Elles servent de base aux
autres étapes de la grille qui exigent un approfondissement de la réflexion. Les
impressions sont généralement associées aux perceptions, interprétations rapides
ou jugements hâtifs qui sont parfois justes et parfois assez différents de ce qui se
passe, se fait ou se dit.
4.2. Description
La description paraît souvent facile lorsqu’elle est demandée. Cependant, décrire une
situation pour qu’une autre personne sache ce qui s’est effectivement passé n’est pas
aussi simple qu’il n’y paraît. Ce qu’une personne a réalisé lui paraît souvent évident,
mais pour celle qui écoute et tente de se représenter ce qui s’est passé, cela n’apparaît
pas toujours aussi clair. Trop souvent une description est parsemée d’impressions
tout en sachant que ces dernières aident à la description. Les descriptions sont
généralement associées aux énumérations, aux présentations, aux identifications.
Elles exigent des habiletés d’observation et d’auto-observation.
4.3. Explication
Les explications aident à comprendre pourquoi il y a eu un tel choix fait dans une
circonstance particulière. Elles exigent d’avoir en tête la situation, d’avoir pu la décrire.
De plus, les explications données ne peuvent être superficielles, elles comportent
des éclaircissements, des justifications solides qui aident à comprendre ce qui s’est
passé, la façon dont les apprentissages se sont réalisés, les raisons des ajustements
ou les explicitations des actions choisies. Des explications résulte la compréhension,
car cela unifie les causes et les effets.
10. Conclusion
Le présent chapitre fait ressortir des principes à intégrer à l’accompagnement-formation
d’un changement associé au développement de compétences professionnelles dans le
domaine de la santé. Ces principes s’inscrivent dans une perspective socioconstruc-
tiviste qui exige de favoriser le processus de structuration des connaissances et de
développement de compétences. Aucune recette ne peut remplacer une intention
de réflexion-interaction qui traverse l’ensemble de l’accompagnement-formation.
De plus, un tel accompagnement exige du temps, des actions entre les rencontres
et des retours sur les actions. Dans le projet à la source de ce texte, au moment des
publications (Lafortune et al., 2012a ; 2012b), le projet en était à sa quatrième année
de réalisation.
Des défis se sont présentés au groupe, par exemple le fait de passer d’expérimen-
tations à des pratiques intégrées. Il a été possible de constater que dans le début
de la mise en œuvre d’un changement, le renouvellement des pratiques passe par
des expérimentations. Avec le temps, ces expériences mènent à des pratiques qui
deviennent la norme. Mais, comme le reste, cela exige du temps, ce qui demande
de rappeler pourquoi le changement a été mis en place : former des professionnels
de la santé réflexifs et compétents.
Aussi, une des conditions favorisant la mise en œuvre d’un changement a été de
mettre en place des projets structurants qui donnent une cohérence à la démarche
et la structurent. Ces projets ont intérêt à devenir la norme mais aussi à être repro-
duits dans divers secteurs. Des échanges entre les institutions de ces projets, des
dispositifs de mise en place et les résultats de ces projets aident à assurer qu’il y en
ait d’autres adaptés à diverses situations et contextes.
Vers la fin de la démarche, il peut devenir important de revoir l’ensemble de ce qui
a été élaboré pour assurer une cohérence entre les compétences à développer, les
moyens préconisés dans tous les cours pour les développer ainsi que les moyens
choisis pour évaluer les processus, mais aussi les résultats. L’élaboration collective
de familles de situations est une voie à privilégier pour relever ce défi.
À retenir
L’accompagnement-formation exige le développement de deux postures : celle de la
personne qui accompagne engagée dans une démarche réflexive en cohérence avec
celle demandée aux personnes en formation.
La réflexion et l’interaction sont intimement liées pour favoriser des changements de
pratiques. Cette association exige un travail collectif pour susciter des remises en question.
Une démarche réflexive-interactive de changement est complète si une recherche y est
associée afin de garder des traces et de pouvoir revenir sur le chemin parcouru.
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de l’université du Québec.
1. Introduction
Cette contribution vise à rendre compte d’une recherche menée en 2013, dont les
données empiriques sont issues de 20 entretiens réalisés auprès de médecins anes-
thésistes-réanimateurs (MAR) et d’infirmiers anesthésistes diplômés d’État (IADE)
quant à leur champ d’exercice propre. L’échantillon est constitué de professionnels
français exerçant dans le bloc opératoire d’un hôpital public de la région Midi-Pyré-
nées (France). Il s’agissait de recueillir les représentations professionnelles de ces
personnes concernant le projet de mise en place des pratiques avancées en France,
notamment à la suite de la mission confiée à L. Hénart, Y. Berland et D. Cadet qui
a donné lieu en 2011 à un rapport relatif « aux métiers en santé de niveau intermé-
diaire » (Hénart et al., 2011) comme adaptation aux évolutions démographiques et
autres problématiques de terrain. L’intention était de mettre en place, dans quelques
domaines prioritaires du soin, des compétences qui sont exercées par un médecin
comme des activités de diagnostic, de consultation, de prescription. Ces activités
relèvent de pratiques avancées et nécessiteront l’acquisition de compétences déro-
gatoires mais également la construction d’une expertise dans le domaine infirmier.
Il faut ainsi entendre par pratiques avancées un transfert d’activités et d’actes de
soins, d’une profession à une autre. Cette réflexion a donné lieu à la définition
consensuelle suivante du Conseil international des infirmiers, adoptée en 2008 :
« Une infirmière de pratique avancée est une infirmière diplômée d’État ou certi-
fiée qui a acquis les connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises
de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à
la pratique avancée de son métier, pratique avancée dont les caractéristiques sont
déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer. » Pour
Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 127
Hamric et al. (2013), ce sont les niveaux d’intervention, la complexité des situations
gérées, l’autonomie et la responsabilité qui distingueront les pratiques avancées de
la pratique infirmière actuelle. Cependant, si les aspects formation et réglementaires
sont pensés, il nous a paru intéressant de voir au niveau des acteurs de terrain quels
freins et facilitateurs pourraient être à l’œuvre dans la perspective d’une mise en
place de pratiques avancées dans le champ de l’anesthésie-réanimation.
2. De la genèse de l’anesthésie-réanimation
à une évolution des territoires professionnels
À l’origine, l’anesthésie n’était ni une discipline médicale, ni une pratique infir-
mière spécialisée, mais plutôt une activité au service de la chirurgie. C’est à partir
de 1947 que les médecins et les infirmiers anesthésistes, en France, reçoivent les
mêmes enseignements à la faculté de médecine de Paris pour se spécialiser en une
année. En 1964, les médecins-anesthésistes obtiennent leur indépendance vis-à-
vis des chirurgiens grâce à la création de départements d’anesthésie. En 1967, le
professeur Baumann demande à l’Académie de médecine la suppression du corps
des infirmiers anesthésistes. Le ministère s’oppose à cette demande et met en
œuvre un nouveau programme des études de ces professionnels en 1971. En 1981,
à l’occasion du décret de réforme de l’exercice infirmier, les médecins demandent la
suppression de l’anesthésie générale des actes infirmiers. Cette demande ne sera pas
suivie d’effet, les médecins ne contesteront plus l’existence de ce corps professionnel
mais ils vont s’attacher à réduire l’acte d’anesthésie générale chez les infirmiers. Ces
positions contrastées, autour des prérogatives de chacun, qui se sont jouées durant
plusieurs années, font des pratiques avancées un objet de recherche « sensible » dans
un bloc opératoire. Plusieurs étapes institutionnelles et sociétales ont contribué à
l’émergence des pratiques avancées. Elles sont introduites par l’article 51 de la loi
HPST du 21 juillet 2009 qui pose le principe de « protocoles de coopération »
entre les professionnels de santé. Cette évolution serait sous-tendue par différents
points relevés par Péoc’h et Saint-Jean (2012, p. 313) : « diminution démographique
de certaines spécialités médicales, disparités régionales en termes d’offre de soins,
vieillissement de la population et son corollaire d’augmentation des pathologies chro-
niques, différentes alternatives à l’hospitalisation, etc. ». Nous pouvons y ajouter les
innovations médicales et technologiques qui entraînent l’évolution des compétences
et des pratiques. L’article 51 s’appuie entre autres sur les travaux menés, à la demande
de l’État, par le professeur Berland (2002 ; 2003 ; 2006). Le rapport de 2003 met en
exergue les bénéfices que pourrait apporter le principe de « pratiques avancées ». Il
s’agirait ici d’une adaptation franco-française de la réflexion et des pratiques déjà en
place dans de nombreux autres pays, et notamment en Amérique du Nord, berceau
des pratiques avancées. Il est important de préciser qu’il existe une particularité
française que n’ont pas rencontrée les autres pays. En effet, la totalité des pays,
qui ont mis en place les pratiques avancées, considérait déjà la fonction infirmière
comme faisant partie de la fonction médicale. En France, le livre III du Code de
la santé publique définit les professions de santé selon trois grandes catégories : les
professions médicales, les professions de la pharmacie, les professions d’auxiliaires
3. Processus de problématisation
3.1. Des éléments empiriques…
Dans un premier temps, nous avons examiné de près les différents rapports évoqués
supra, la loi HPST et plus particulièrement son article 51, ainsi que le rapport Hénart
de 2011 sur les métiers en santé de niveau intermédiaire.
Dans un second temps, nous avons réalisé trois entretiens exploratoires (1 MAR
et 2 IADE), non directifs, centrés sur la thématique des pratiques avancées dans
un bloc opératoire à Toulouse. Ces entretiens font ressortir trois éléments forts :
la présence effective de pratiques avancées non formalisées, liées à la relation de
confiance établie entre le MAR et l’IADE ou encore issues de la nécessité d’un
travail conjoint compte tenu du manque de MAR. Ces pratiques posent inévita-
blement la question des responsabilités. Par ailleurs, ces professionnels regrettent
l’époque où les équipes étaient constantes, ce qui favorisait les rapports de confiance.
Aujourd’hui, la gestion des ressources humaines amène un turn-over important
dans les équipes. Ces entretiens font également émerger une représentation, forte
dans l’esprit des IADE, relative à un sentiment de dévalorisation généré par une
hiérarchie drastique (hiérarchie qui s’ancre dans la culture médicale : « l’infirmier
au service du médecin »). Dans ce sens, les pratiques avancées porteraient le risque
de produire « des petits médecins », ce qui contribuerait à renforcer l’ancrage
d’une hiérarchisation forte. Face à la possibilité de pratiques avancées légiférées,
les infirmiers entendus sont en demande d’une reconnaissance de leurs compé-
tences, d’une valorisation de leurs pratiques mais également d’une compensation
financière qu’engagerait ce changement de responsabilité et de statut. Nous avons
renforcé ces entretiens exploratoires par l’analyse d’une enquête menée en 20121, à
l’initiative de la Coordination nationale infirmière (CNI) et du Syndicat national
des infirmiers anesthésistes (SNIA), sur plus de 350 infirmiers dont 210 étaient des
IADE. Cette enquête porte sur l’évolution de l’activité des infirmiers salariés en
1. Étude MIPS/AIAS en partenariat avec la CNI et le SNIA (2012). Résultats de l’enquête sur l’évolution
de l’activité des infirmiers salariés, glissement de tâches et transfert de compétences.
Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 129
termes de glissement des tâches et de transfert de compétences. L’enquête montre
que 40 infirmiers considèrent qu’ils effectuent des tâches qui ne correspondent
pas au décret de compétences les concernant et citent comme principaux actes
non conformes relevant de l’anesthésie : induction sans la présence du médecin,
rachianesthésie, sortie des patients de la salle de surveillance postintervention-
nelle (SSPI) sans validation du médecin, pose de voies centrales. Les répondants
précisent aussi que ces actes sont majoritairement faits dans des cas d’urgence et
en situation d’effectifs réduits, notamment la nuit. Parmi les 40 professionnels
réalisant des gestes non prévus dans leur périmètre d’intervention, 29 signalent
des délégations non formalisées alors que 9 seulement indiquent la présence d’un
protocole de service écrit et validé. En revanche, seuls 18 ont reçu une formation
en rapport avec les actes précités. Cependant, nous pensons que dans les « pratiques
avancées » s’opère un saut qualitatif car si le protocole de coopération décrit, struc-
ture et prend quasiment la forme d’une prescription, les pratiques avancées, elles,
relèvent de l’action dans une situation concrète qui nécessite des choix raisonnés
au regard de sa singularité. Péoc’h et Saint-Jean (2012, p. 316) renforce cette idée
et émettent l’hypothèse selon laquelle « il existerait ainsi par essence une dicho-
tomie entre l’activité prescrite (protocole) et l’activité soignante, un agir soignant
qui admet l’émancipation sociale et l’autonomie du professionnel de santé comme
la pratique avancée ». Un changement de paradigme s’imposerait pour passer de
la pratique prescrite par un protocole à la praxis et s’autoriser ainsi une posture
d’auteur dans les pratiques avancées.
Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 131
4. Le protocole de recherche : une double visée
compréhensive et praxéologique
Pour approcher les représentations professionnelles des pratiques avancées et
proposer des repères pour accompagner ce changement, nous avons choisi une
démarche de recherche compréhensive à visée praxéologique1, avec pour outil de
recueil de données des entretiens.
Cependant, le choix d’interroger les pratiques avancées dans un bloc opératoire n’est
pas simple car cette enquête s’inscrit dans une histoire singulière qui lie les MAR
et les IADE s’agissant de leur champ d’exercice propre. Ces positions contrastées,
autour des prérogatives de chacun, qui se sont jouées durant plusieurs années,
pourraient constituer un obstacle à la recherche, obstacle lié notamment au fait
que les pratiques avancées sont susceptibles de représenter un objet de recherche
« sensible » par rapport au territoire d’exercice de chaque corps professionnel.
C’est pourquoi nous avons fait le choix d’utiliser, dans une partie de l’entretien,
la technique de substitution qui peut permettre de faire émerger la zone muette
des représentations. Guimelli et Deschamps (2000, p. 54) définissent la notion de
« zone muette » des représentations sociales comme des « cognitions, qui, tout
en étant disponibles, ne seraient pas exprimées par les sujets dans les conditions
normales de production ». En effet, dans une situation standard, les sujets vont
choisir des mots socialement acceptables alors que, dans une situation de substi-
tution, ils peuvent choisir des mots « socialement non désirables car leur degré
d’implication serait moindre » (ibid.). Selon Apostolidis (2003), la zone muette
serait constituée d’éléments ne répondant pas à la désirabilité sociale alors qu’en
contexte de substitution il y aurait réduction de la pression normative. Nous avons
réalisé des entretiens semi-directifs à deux niveaux, avec trois types de profession-
nels : au niveau décisionnel et stratégique, il s’agit de trois personnes susceptibles
d’impulser la mise en place des pratiques avancées ; au niveau opérationnel, nous
avons mené 17 entretiens avec huit médecins et neuf professionnels paramédicaux,
dans lesquels nous avons introduit quatre questions en technique de substitution2.
Nous avons fondé la construction de la grille d’entretien pour le niveau opérationnel
sur les composantes des concepts convoqués et en tenant compte de l’analyse des
entretiens exploratoires (tableau 7).
1. Cette recherche tend à donner des éléments de compréhension de la situation aux acteurs de la
recherche et aux acteurs de terrain. Ces éléments, non exhaustifs, pourront être mis au service de
l’accompagnement du changement. Il ne s’agit pas d’une recherche purement praxéologique car
« la praxéologie est une démarche construite (visée, méthode, processus) d’autonomisation et de
conscientisation de l’agir (à tous les niveaux d’interaction sociale) dans son histoire, dans ses pratiques
quotidiennes, dans ses processus de changement et dans ses conséquences […] il s’agit bien d’une
activation des connaissances produites » (Lhotellier et St-Arnaud, 1994, p. 95). Les auteurs concluent
en précisant que « la praxéologie se fait dans l’action et par l’action » (ibid., p. 107), notre objectif est
plus modestement de comprendre la situation sur un territoire restreint (un bloc opératoire) en vue
de produire des repères pour l’action.
2. Par exemple : Selon vous, quels avantages et inconvénients avanceront vos collègues sur les pratiques
avancées ?
Dimensions des
Concept représentations Indicateurs/
Objectifs
Auteur et année sociales (selon critères
Moscovici)
Représentations Ancrage Connaissance et Repérer :
professionnelles système d’inter- – le niveau d’information sur les pra-
(représentations prétation tiques avancées
sociales spécifiques – la manière dont le professionnel
à une profession ; définit les pratiques avancées
Piaser, 1999) Système de réfé- Repérer :
rence, valeurs – les valeurs et les croyances des pro-
fessionnels sur les pratiques avancées
– des médecins à propos des IADE (y
compris zone muette)
– des IADE à propos des médecins (y
compris zone muette)
– des éléments sur la profession de
médecin anesthésiste
– éléments sur la profession d’infir-
mier anesthésiste
Objectivation Informations rete- Identifier les éléments retenus dans le
nues processus de filtrage des informations
sur les pratiques avancées : points
positifs et négatifs
Données concrètes Faire émerger la manière dont le pro-
utilisables pour l’ex- fessionnel anticipe les pratiques avan-
plication de la réa- cées (y compris zone muette)
lité professionnelle
Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 133
5.1.1. Rationalisation des soins
Tableau 8 – Rationalisation des soins
En termes d’ancrage, nous constatons la résurgence d’une lutte qui a opposé les deux
corps professionnels lors de leur création, réveillée par l’éventualité d’une nouvelle
distribution du territoire de chacun. Nous constatons également un niveau posi-
tionnel (Doise, 1986) très affirmé chez les médecins qui revendiquent la hiérarchie,
« il faut garder l’ordre hiérarchique comme il est », et la réflexion médicale pour
stopper l’effritement du pouvoir médical selon eux déjà entamé par un pouvoir
administratif fort. Les médecins font une différence entre le geste technique, qui
pourrait être confié – « refaire des loco régionales ou des rachis, ça n’est rien de
plus que faire une intubation, ça ne me choquerait pas que ça revienne, il y a pas
Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 135
tellement de limites aux gestes sauf un frein corporatiste » – et la réflexion médicale
qui doit accompagner tout geste – « je ne peux pas faire confiance à quelqu’un qui
n’aura pas le prérequis intellectuel ». Ces propos vont dans le sens de l’article 51 de
la loi HPST, les médecins semblent d’accord sur un transfert de compétences dans
le domaine sensorimoteur (aptitude, dextérité à faire le geste) tout en conservant
la compétence cognitive (le sens de l’acte, sa compréhension et la connaissance).
Le changement inquiète les professionnels paramédicaux, même s’ils l’envisagent
comme une évolution de leur profession. Ils craignent un manque de légitimité, ce
qui renvoie aux niveaux interindividuel (groupe à groupe) et positionnel (hiérarchie
médicale) chez Doise (1986), et des dérives qui pourraient être liées à un excès de
délégation, « les médecins vont déléguer trop de choses, ça va brouiller les pistes,
faire un mélange des genres, ça va compliquer les choses ». Pour faciliter les choses,
ils comptent sur une répartition claire des prérogatives de chacun – « ça me semble
tout à fait organisable avec des fonctions bien définies pour chacun » –, d’où la
nécessité de délimiter le champ d’exercice et de le formaliser par le profil de poste
et le périmètre du contour du métier (référentiel métier).
Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 137
car la structure ne change pas, ce sont seulement les prérogatives et les pratiques
de chacun qui évoluent.
5.1.6. Formation/qualification
Tableau 13 – Formation/qualification
5.1.7. Reconnaissance/rémunération
Tableau 14 – Reconnaissance/rémunération
Les médecins, sans surprise, ne s’expriment pas du tout dans cette catégorie. En
revanche, tous les professionnels paramédicaux s’expriment pour signifier que les
pratiques avancées constituent une forme de reconnaissance de leurs compétences
– « ça peut être bien si derrière il y a la volonté de reconnaître les gens dans leur
métier » – et qu’une rémunération adaptée irait également dans ce sens en compen-
sation des nouvelles responsabilités – « si on augmente en compétences, il faut que
nos salaires évoluent ». Cela témoignerait d’une nouvelle identité, porteuse de
reconnaissance des compétences.
Il est intéressant de voir que, s’agissant des éléments qui apparaissent dans la zone
muette, deux parties se distinguent. L’une est en cohérence avec les éléments
recueillis dans le contexte standard et l’autre laisse entrevoir des éléments contrastés
et de nouvelles catégories de discours. Nous présentons ici les éléments contrastés
constitués, à la suite du codage axial de chaque entretien, en quatre catégories que
nous allons accompagner de propos illustratifs (tableau 15).
Tableau 15 – Propos illustratifs issus des données recueillies en technique de substitution
La délégation de confort qui vise les médecins, que l’on aurait pu imaginer comme
issue seulement des propos des professionnels paramédicaux, se retrouve dans les
propos des deux corps professionnels. Elle se présente en des termes particulièrement
négatifs (« éternels fainéants ») et dévalorisant pour les IADE (« petites mains »).
Les IADE renforcent cela en parlant de la « confiance » comme un faux argument
de délégation. Des éléments clairement négatifs, dans les deux corps profession-
nels, occupent la catégorie « professionnels desservant la situation », mais sous des
angles différents. Les médecins craignent que l’attitude et les pratiques de certains
Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 139
de leurs collègues soient des facteurs favorisant l’émergence des pratiques avancées
dans le champ de l’anesthésie.
6. Propos conclusifs
Nous notons des représentations professionnelles communes chez les médecins et
les professionnels paramédicaux. Tous deux évoquent notamment une logique et un
contexte économiques qui poussent le système administratif à chercher des modes
de rationalisation des soins pouvant modifier la qualité de la prise en charge des
patients et des soins. Ils craignent que les changements s’instaurent sans concer-
tation et restent une décision purement organisationnelle et administrative. Nous
constatons également des représentations professionnelles différentielles concernant
l’avenir des pratiques avancées. Là où les médecins voient une situation transitoire
permettant de remettre à niveau la démographie de leur profession, les personnels
paramédicaux perçoivent une opportunité d’évolution professionnelle pérenne.
Mais, pour différentes raisons et sur différents points, chacun perçoit l’autre corps
professionnel comme un frein potentiel et une opposition latente. La zone muette
des représentations professionnelles met en évidence la crainte de délégations de
confort, des critiques sévères à l’égard des collègues, des résistances au changement
en termes de responsabilité. Ces éléments mettent en évidence les freins à lever pour
accompagner le changement, notamment avec une connaissance plus fine de ce que
recouvrent, en termes de transferts de compétences et de responsabilités, les pratiques
avancées. L’idée est de faire prendre conscience des opportunités offertes par ces
reconfigurations professionnelles pour chaque corps professionnel. L’argument relatif
à la baisse de la démographie médicale est souvent avancé pour justifier l’évolution
vers les pratiques avancées. Il serait cependant intéressant d’interroger les réalités
de terrain pour mettre en évidence la plus-value de ces collaborations, pour chaque
corps professionnel, en termes d’organisation, d’efficience et de développement
professionnel. Par ailleurs, une vision optimiste du changement est incarnée par le
point de vue des macroacteurs, certainement due à leur connaissance affinée du sujet
qui favorise l’anticipation et la prospective. À partir de ces résultats, les premiers pas
d’un accompagnement vers le changement pourraient s’envisager en deux temps :
Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 141
− un temps de communication, pour clarifier la distinction entre les différentes formes
de transferts (glissement de tâches, protocole de coopération, pratiques avancées)
et établir un langage commun qui permettrait de penser plusieurs préoccupations
émises par les professionnels, et notamment la question de la responsabilité (« il faut
qu’il y ait un texte réglementaire qui décrive bien ce qui est transféré »). Ce serait
également une phase de sensibilisation des professionnels aux évolutions possibles au
regard des recommandations issues des différentes missions et des expérimentations
menées en France, qui ont donné des résultats globalement positifs. Ce serait une
possibilité de lever des a priori défavorables – « les pratiques avancées, c’est faire de
la médecine low-cost », « plus ça va, plus on aboutit à une fragmentation de la prise
en charge » – et de montrer tout l’intérêt pour le patient. Cela pourrait s’appuyer
sur les pratiques avancées existantes au niveau international ;
− un temps de réflexion afin d’ouvrir une concertation entre les deux corps profes-
sionnels, avec une prise en considération de l’état des lieux de chaque profession
et des différentes réticences qui pourraient émerger – « faute de médecins, on se
trouve à former des infirmiers, presque des concurrents à moindre coût », « on
va déléguer des gestes à des personnes qui vont devenir des espèces d’ouvriers
spécialisés », « de corps professionnel à corps professionnel, chacun défend ses inté-
rêts ». En effet, des limites et une légitimité sont à trouver – « déléguer, oui, mais
il faut connaître les limites », « que ce soit en accord avec les médecins, que notre
rôle ne soit pas contesté ». Il s’agirait ainsi d’amener chaque corps professionnel à
réfléchir aux possibilités de dépassement de ces réticences, non pour aller vers un
consensus, qui pourrait être vécu comme des choix de sacrifices, mais plus dans le
sens d’un dissensus car s’ouvrent « davantage de possibles dans un conflit que dans
un consensus » (Pacific, 2011).
À retenir
Les points de vue sont contrastés selon la place occupée par le sujet dans le système.
Il y a une nécessité de concertation autour des représentations de chaque corps profes-
sionnel et d’implication des acteurs de terrain dans le processus de changement.
Questions de discussion
Quelles pratiques existantes peuvent constituer des repères pour penser le changement ?
Quelle dynamique de changement mettre en place pour dépasser les conflits liés aux
territoires professionnels ?
Comment impliquer les acteurs de terrain dans un changement quand ils n’en sont pas
les auteurs ?
Chapitre 9 – Pratiques avancées : des représentations professionnelles aux repères pour accompagner le changement l 143
Moscovici, S. (1961). La Psychanalyse : son image et son public. Paris : PUF.
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Watzlawick, P., et al. (1975). Changements. Paradoxes et psychothérapie. Paris : Le Seuil.
1. Introduction
Maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande de soins représente un défi permanent
pour la plupart des États. Les composantes de l’équation sont nombreuses et très
évolutives : caractéristiques démographiques et épidémiologiques de la population,
géographie, nature du système de santé en place, orientations politiques et réformes,
structuration et démographie des professions de santé, situation de l’économie natio-
nale, etc. La mondialisation et la crise économique ne font qu’accroître ces difficultés.
Si la recherche de qualité et de sécurité des soins a toujours guidé les professionnels
de santé ainsi que les structures sanitaires et médicosociales, de nouvelles exigences
ont fait leur apparition dans le domaine de la santé : performance, efficience, etc.
Chaque pays, en fonction de ses spécificités, adopte des stratégies afin d’y répondre.
À l’instar de nombre de pays occidentaux, la France éprouve une difficulté croissante
à maintenir une offre de soins adaptée aux besoins et aux attentes de sa population.
Ces difficultés sont liées à l’augmentation croissante de l’incidence des maladies
chroniques, couplée à un phénomène de pénurie qui touche les professions de santé,
notamment les médecins. Bien que l’organisation du système de santé ait connu
ces dernières années de profondes réformes (reconfiguration de la gouvernance
des établissements de santé, virage ambulatoire, etc.), ces mesures n’apportent
pas de solution à cette pénurie. De plus, les études prospectives réalisées laissent
présager que cette situation précaire devrait s’amplifier dans les années à venir si
aucune mesure adaptée n’est prise. En effet, ce phénomène se trouve aggravé par
une répartition inadéquate des professionnels sur le territoire national.
Dans ce contexte, le transfert d’activités entre professionnels de santé a été iden-
tifié comme une stratégie prometteuse au regard des résultats favorables obtenus à
l’étranger. Toutefois, cette stratégie modifie la structuration des professions jusqu’alors
marquée en France par un monopole affirmé de la profession médicale dans le
domaine de la santé. Engager de tels changements requiert une analyse préalable
approfondie et documentée permettant de concevoir une stratégie d’introduction
2. Contexte
Dans un rapport paru en 2011, le ministère de la Santé soulignait que « l’état de
santé des Français apparaît globalement bon » en dépit d’inégalités observables
en termes de mortalité (Danet et al., 2011). Cette situation reste toutefois fragile.
Notre société contemporaine doit faire face aux conséquences du vieillissement de
la population ainsi qu’à l’augmentation de l’incidence des maladies chroniques. Ces
dernières touchent désormais 15 millions de personnes, soit 20 % de la population
française (ministère de la Santé, 2007). Le cancer, le diabète, l’hypertension artérielle
ou encore les maladies cardiovasculaires s’introduisent ainsi dans le quotidien d’un
nombre sans cesse croissant de personnes. L’allongement de la durée de vie contribue
à l’augmentation de la plupart de ces maladies. Le caractère évolutif de ces maladies
entraîne une détérioration progressive de la qualité de vie des patients, l’installation
d’une invalidité et la survenue de complications graves, voire même fatales.
Face à ces constats, les politiques publiques incitent les professionnels à proposer un
accompagnement adapté aux patients atteints de pathologies chroniques, à développer
l’éducation thérapeutique des patients, à imaginer de nouveaux modes de prise en
charge et à renforcer la prévention de ces affections. Un plan quadriennal pour
l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques a
été lancé dès 2007 dans ce but (ministère de la Santé, 2007). La mesure no 7 de ce
plan prévoit de « reconnaître de nouveaux acteurs de prévention », et notamment
le « développement des nouveaux métiers autour de l’éducation du patient et de la
coordination » ainsi que la « modification des décrets de compétences permettant
la réalisation d’actes de prévention et d’éducation du patient par des professionnels
de santé formés » (ministère de la santé, 2007).
Plus récemment, la Haute Autorité de santé a souligné la nécessité de proposer
aux malades atteints de maladies chroniques un parcours personnalisé constitué
de l’enchaînement d’interventions pertinentes, dispensées par des professionnels
compétents, dans l’environnement le plus adapté (HAS, 2012).
Réunir ces éléments n’est toutefois pas chose aisée dans le contexte actuel de la
santé marqué par la complexité. Celle-ci est plurifactorielle. Les thérapeutiques
et techniques de soins tendent à se complexifier. Les parcours de soins exigent des
modes de prise en charge diversifiés. Ces derniers impliquent pour le patient l’accès
3. Objectif du projet
Le projet piloté par la FHF avait pour objectif de concevoir un cadre de référence
national destiné à favoriser l’introduction de la pratique avancée en France à partir
des métiers paramédicaux socles dans le but de mieux répondre aux besoins de santé
et aux attentes de la population.
4. Méthodologie
Un groupe d’experts multiprofessionnel (infirmiers, médecins, directeurs, opérateurs
de formation, etc.) a été constitué sous la houlette de la FHF en 2012.
Ce groupe a retenu une méthodologie de travail comprenant cinq phases. Les
trois premières phases ont nécessité la réalisation d’une recherche bibliographique
extensive dans les bases de données de recherche Pubmed, CINAHL et l’APN Data
Base développée par la chaire de pratique avancée en soins infirmiers de l’université
McMaster au Canada. L’analyse critique des références sélectionnées a permis de
mener à bien les phases initiales de la méthodologie :
• une clarification des termes employés dans ce domaine a été réalisée ;
5. Résultats
Dans un premier temps, les termes couramment utilisés dans ce domaine seront
clarifiés. Les stratégies utilisées à l’étranger pour maintenir l’offre de soins seront
identifiées. Ces éléments permettront d’exposer les grandes lignes du modèle retenu
par le groupe de travail en réponse aux besoins et attentes identifiés en France.
Pratique avancée
en soins infirmiers
Infirmière Infirmière
spécialiste clinique praticienne
Législation
Réglementation
Accompagnement
du Qualification
changement
Modèle
français
Rémunération Régulation
6.1. Législation/réglementation
L’article 51 de la loi HPST (ministère de la Santé, 2009) a marqué une évolution
dans la reconnaissance officielle de ce type de pratique. Il faut aller plus loin et
dépasser les limites identifiées de ce dispositif.
La réglementation encadrant la pratique avancée est indispensable pour assurer la
protection du public et des professionnels. Elle est un gage de qualité et de recon-
naissance de ce type d’exercice au sein du système de santé.
1. http://apntoolkit.mcmaster.ca/index.php?option=com_content&view=article&id=245&Itemid=28
(consulté en mars 2014).
6.3. Régulation
L’exercice en pratique avancée majore l’autonomie et la responsabilité des profes-
sionnels concernés. Ces derniers doivent donc atteindre et maintenir un seuil de
compétences défini, qui doit être évalué par un dispositif de régulation spécifique.
Le modèle de régulation adopté devra réunir plusieurs caractéristiques :
− le titre de « professionnel paramédical de pratique avancée » devra être protégé,
permettant à la population d’être assurée du niveau de compétence d’un profes-
sionnel qui porte ce titre ;
− une certification individuelle (enregistrement) devra être réalisée au regard de
conditions spécifiques nécessaires à l’attribution du titre protégé ;
− une recertification au regard de conditions spécifiques devra être envisagée pour
conserver ce titre : pratique clinique, formations suivies, conférences, etc. ;
− un dispositif de suivi des professionnels devra être en place ;
− un cadre normatif (normes de bonnes pratiques) et déontologique sera disponible ;
− un dispositif disciplinaire spécifique sera prévu.
Le caractère hétérogène des dispositifs de régulation des professions paramédicales
actuels constituera une difficulté à dépasser.
6.4. Rémunération
La rémunération des professionnels paramédicaux en pratique avancée dépendra du
mode d’exercice (public/privé/libéral). Elle devra prendre en compte les spécificités
liées à l’exercice en pratique avancée inscrites dans un dispositif réglementaire. Elle
devra donc se démarquer de la rémunération des professionnels exerçant le métier
socle.
7. Perspectives
La FHF, en diffusant les recommandations émanant du groupe de travail, attendait
un engagement des pouvoirs publics dans cette démarche, permettant d’instaurer
la pratique avancée dans notre système de santé.
Le modèle national retenu par le groupe de travail piloté par la FHF offre aux
décideurs politiques l’opportunité d’adopter une démarche d’evidence-based policy1
maximisant les chances d’obtenir les bénéfices attendus : accès aux soins, qualité des
soins, satisfaction des patients, satisfaction des soignants, efficience à moyen terme.
Cette plateforme a été présentée aux parties prenantes impliquées dans ces décisions.
Des évolutions sont intervenues depuis la diffusion de cette prise de position, laissant
parfois à penser que certaines recommandations ont été entendues.
En 2013, dans son discours de lancement de la Stratégie nationale de santé, la
ministre de la Santé évoquait la pratique avancée (ministère des Affaires sociales
et de la Santé, 2013).
Quelques mois plus tard, l’une des mesures du plan cancer 3 rendu public début
2014 prévoit d’introduire la fonction d’infirmier clinicien spécialisé en cancérologie
(ministère des Affaires sociales et de la Santé, 2014). Les caractéristiques de cette
fonction reprennent partiellement certains éléments du modèle : métier socle infir-
mier exigé, formation de niveau master requise, attribution d’activités dérogatoires,
modèle économique spécifique.
Toutefois, les modalités pratiques de mise en œuvre de ces orientations restent
encore à développer dans les mois à venir.
Questions de discussion
Quel est l’intérêt d’introduire la pratique avancée à partir des métiers socles plutôt que
de créer de nouveaux métiers ex nihilo ?
Quels sont les éléments qui permettent de qualifier une pratique infirmière d’« avancée » ?
Bibliographie
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1. Introduction
L’hôpital connaît des changements tant économiques, organisationnels, sociolo-
giques, culturels que techniques, contraignant les établissements à se transformer.
La complexité des structures impose aux acteurs, et notamment aux cadres supé-
rieurs de santé, de s’adapter continuellement. Cette remise en question des modes de
fonctionnement induit une incertitude quant à l’évolution du système des activités
professionnelles des cadres soignants de pôles qui se questionnent sur leurs perspectives
d’existence au sein de ce système. Les représentations des rôles professionnels sont
modifiées, les pratiques professionnelles bousculées. Dans cette nouvelle dynamique,
des identités évolutives émergent, s’affirment et se construisent. La collaboration
interprofessionnelle semble se dessiner comme une approche managériale indiquée
face aux schémas classiques d’organisation du travail.
C’est autour de cette problématique que nous avons conduit une étude de terrain,
dans le cadre d’une recherche universitaire, afin de questionner la construction
identitaire du cadre supérieur de santé (CSS) ayant un rôle de cadre soignant de
pôle (CSP).
La discussion, centrée sur la personnalité professionnelle appliquée au cadre soignant
de pôle, vise à esquisser un espace où situer son rôle pour s’adapter au changement
et se positionner dans l’organisation hospitalière.
4. Problématique
La succession rapide des réformes a un impact certain sur la fonction de CSS qui
se traduit bien souvent par une perte de repères, voire même une crise identitaire.
Le CSP, qui est le plus souvent CSS, doit construire un nouveau métier dans un
contexte très mouvant. Depuis la loi HPST, le pilotage des pôles est défini entre
le chef de pôle et ses « collaborateurs ». Le cadre supérieur de santé, qui était en
position d’assistant de pôle avant cette dernière loi, s’interroge encore plus sur son
positionnement, ses missions et ses perspectives d’avenir, même si la plupart des
hôpitaux ont fait le choix de conserver le triumvirat1. Le cadre réglementaire ne
propose qu’une définition substantielle de son rôle, ce qui explique en partie comment
1. Il est composé du médecin chef de pôle, du cadre soignant de pôle et du cadre administratif de pôle.
5. Protocole de recherche
Nous avons adopté une technique d’enquête qualitative à visée compréhensive.
L’échantillon est constitué de quatre catégories socioprofessionnelles que nous
retrouvons dans l’armature du pôle. Celui-ci comprend : le chef de pôle, le cadre
soignant de pôle, le cadre administratif de pôle ainsi que le directeur délégué
de pôle. L’enquête a été réalisée sur deux centres hospitaliers généraux de taille
similaire. Nous avons fait le choix de rencontrer trois personnes par catégorie
professionnelle : huit personnes sur le site 1 et quatre personnes sur le site 2. Le
nombre limité d’entretiens et leur réalisation sur deux sites hospitaliers ne peuvent
permettre une généralisation des résultats. Nous avons réalisé le recueil de données
à l’aide d’entretiens semi-directifs ouverts. Le guide d’entretien se déclinait autour
de trois axes qui visaient à explorer :
• les représentations professionnelles ;
• l’identité professionnelle ;
• les pratiques professionnelles.
Nous constatons que les personnes interviewées, quelle que soit leur catégorie
professionnelle, ont une vision assez proche et complémentaire de la fonction
de cadre soignant de pôle. Il n’existe pourtant pas de référentiel établi à ce jour
concernant cette fonction. Il s’agit d’un métier émergent. Avec la mise en place de
la nouvelle gouvernance à l’hôpital, les représentations des différents professionnels
impliqués dans l’organisation polaire amènent à penser que le CSP, en participant
au pilotage et à la gestion du pôle, en manageant et animant les équipes de cadres de
proximité et au-delà les équipes soignantes, dans ce contexte où la collaboration et
la transversalité sont les pierres angulaires, se voit conférer un rôle plus stratégique.
Dans les associations de mots proposées, nous remarquons que le cadre soignant
de pôle est souvent rattaché à son métier d’origine, en tant que responsable de la
qualité des soins de par son expertise, mais aussi dans le management des équipes
soignantes. Ces représentations évoluent, en lien avec le contexte, avec l’introduction
des notions de stratégie, de gestion budgétaire et de forte collaboration au sein du
1. Couty, E. (2013). « Le pacte de confiance pour l’hôpital », rapport, ministère des Affaires sociales
et de la Santé.
7. Discussion
L’identité du CSP pose un problème de définition dans la perception de son
activité quotidienne. Cette fonction questionne la légitimité de sa place dans
l’organisation hospitalière, d’autant que son statut peut apparaître problématique
par sa production immatérielle difficile à mesurer dans son activité quotidienne.
Effectivement, l’essentiel de l’activité du cadre soignant de pôle s’articule autour
d’actions de communication comme il a été précisé en référence à Jodelet et Mosco-
vici, cités par Blin (1997) : « les pratiques sont des systèmes d’action socialement
structurés et institués en relation avec des rôles ». Concrètement, les actions de
communication du CSP s’actualisent dans ses prises de positions, seuls éléments
visibles, repérés par ses interlocuteurs comme indicateurs de son efficacité et de
son efficience. Notre propos ici est d’analyser le processus qui permet au CSP de
produire un positionnement qui soit la marque personnelle de son action et qui
reflète fidèlement son identité, traduction de sa personnalité professionnelle. Il
nous a donc semblé pertinent de questionner cette idée de rôles joués ou à jouer
en tant que perspective stratégique managériale visant à s’adapter au changement.
L’acteur CSP à un rôle à jouer dans l’organisation hospitalière qui s’élabore à partir
de son identité et de sa personnalité professionnelle incarnées dans ses actions de
communication.
1. Imitation.
C’est aussi un système d’identités multiples nées de la diversité qui comprend mon
nom, mes racines, mes droits, mes devoirs, mes positions, mes rôles. L’identité
personnelle suppose : séparation, autonomie et affirmation. Elle se constitue
dans la différenciation cognitive et dans l’opposition affective. Elle se renforce
dans le sentiment d’originalité, s’enracine dans l’action, s’institue comme valeur
et par des valeurs : être cause, être quelqu’un qui compte pour autrui et pour soi-
même, conduisant soit au processus de changement, soit à la notion de reproduc-
tion relativement à l’identification à un modèle (Tap, 1979). Le soi, en tant que
contenant englobant tout (Winnicott, 1971), permet à l’individu de lutter contre
la dispersion d’éléments dissociés et compartimentés dans la structuration de son
identité personnelle. Il permet à l’individu de ressentir une certaine unité. C’est ce
que Mead appelle le soi ou le Self et qui correspond à la personnalité (Rocheblave-
Spenlé, 1969), un processus social qui explique comment le sujet se construit grâce
à sa capacité à intérioriser dans la prise de rôle l’attitude d’autrui. Le soi introduit
la notion de personnalité contiguë à celle d’identité personnelle en liaison avec
les conduites réelles, avec la personnalité en tant que fonction de coordination
et de hiérarchisation des conduites selon les exigences de l’action et des relations
interpersonnelles et sociales. Cette instance de la personnalité professionnelle
constitue un espace potentiel à investir de façon stratégique pour le CSP dans
son activité de communication afin d’inscrire son positionnement négocié à la
croisée du politique et de l’opérationnel. Cet espace lui permet de s’affirmer, de
construire des alliances et ainsi d’acquérir un statut de partenaire coresponsable
et codécisionnaire au sein du pôle.
Questions de discussion
Quel avenir professionnel pour le CSP ?
Quel(s) niveau(x) de qualification(s) viser pour quelle(s) compétence(s) ?
Quel(s) défi(s) à relever ?
Quel(s) bénéfice(s) pour l’usager des soins ?
Bibliographie
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