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“ Lire, comprendre, interpréter des textes littéraires à

l’école ”. Butlen Max (2002) in revue Argos, n°30,


Praiques artistiques et culturelles, PP. 38-42 p.38-42.
Max Butlen

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Max Butlen. “ Lire, comprendre, interpréter des textes littéraires à l’école ”. Butlen Max (2002) in
revue Argos, n°30, Praiques artistiques et culturelles, PP. 38-42 p.38-42. : Notes de lecture et réflexions
à propos de définitions en pleine évolution. Argos. La revue des BCD et CDI, 30, pp.76, 2002, Argos.
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Lire, comprendre, interpréter des textes littéraires à l’école.
Notes de lecture et réflexions à propos de définitions en pleine évolution.

Dans la dernière livraison de la revue Le Français aujourd’hui consacrée à «L’attention aux textes »1,
Isabelle Roumat Dembele après enquête dans les manuels de français des collèges et lycées constate
qu’une certaine confusion didactique accompagne la réception des recherches relatives à la polysémie des
mots « comprendre et interpréter » Se demandant ce qu’interpréter veut dire2, elle relève qu’ici, interpréter
signifie « apprécier à sa guise », que là, le mot est employé dans le sens d’apprécier « avec la culture
générale qui convient », qu’ailleurs, interpréter se confond avec comprendre … « à moins que comprendre
ne soit déjà interpréter » ! Le lecteur de bonne volonté s’inquiète ; concerné par les nouveaux programmes
de l’enseignement primaire, il se trouble en pensant que l’heure est désormais à la pédagogie de la
compréhension et à l’ouverture de débats sur l’interprétation « dès cinq ans3 ». Des tentatives de
clarification s’imposent. Nous nous y risquons dans cet article 4.

« Lire c’est comprendre » certes mais comprendre quoi et comment ?


En lançant avec le succès que l’on sait, la formule « Lire c’est comprendre » les programmes de 1985 ont
fait basculer l’apprentissage de la lecture du côté de la formulation d’hypothèses et de leur vérification.
Une telle orientation a ouvert un boulevard pour une pédagogie de la compréhension. Elle comportait
néanmoins un risque, particulièrement au cycle 2 : le risque qu’à la suite d’ « interprétations discutables »
des instructions officielles, certains maîtres en viennent à sous-estimer l’importance du travail sur le code
pour ne se préoccuper que de la quête d’éléments semblant faire sens. Un rapport 5de l’Inspection
générale a souligné en 1995 combien de tels dangers sont réels, tout comme du reste, le piège inverse
(l’enfermement dans le code). En tout cas, si lire c’est certainement comprendre, reste à savoir quel est
l’objet de l’activité (quoi comprendre ?) et quelles sont les procédures en œuvre dans l’opération
(comment comprendre ?). Les chercheurs se sont employés à combler les vides des textes officiels en
distinguant avec une précision croissante les différentes formes de la compréhension. La maîtrise de la
langue à l’école6 puis les Programmes et instructions de 1995 sont revenus sur cette question, de même
que diverses publications de l’Observatoire national de la lecture 7.

Qu’est ce que comprendre ? La compréhension littérale est-elle première ?


La compréhension d’un texte à lire ne peut advenir sans automatisation de la reconnaissance de mots. En
principe, cette opération dite de « bas niveau » doit être acquise au terme du cycle 2, soit parce que
l’enfant est capable de reconnaître immédiatement les mots qui lui sont devenus extrêmement familiers,
soit parce qu’il a appris à les déchiffrer par identification de leurs composantes graphophonétiques.
Toutefois, contrairement à ce qu’ont pu donner à croire certains courants du cognitivisme8, la
reconnaissance automatique des mots ne saurait suffire pour garantir l’accès à la compréhension. La
capacité de décoder ne s’associe pas automatiquement 9 à des performances dans le champ de la
compréhension. Cette dernière appelle des opérations de « haut niveau ». Au-delà de la reconnaissance
des mots, l’apprenti lecteur doit apprendre à tenir les mots lus en mémoire ; il lui faut parvenir à les mettre
en relation et à combiner les informations successives en construisant un réseau (évolutif) de
significations. Cet ensemble de processus aboutit à la formation de premières représentations mentales du
contenu du texte à lire10 .
Dans ces processus, la compréhension littérale auquel parvient le lecteur précède–t-elle la compréhension
fine ou bien est-il légitime de penser que la seconde tendrait à accompagner la première ?

1
Le Français aujourd’hui n° 137.
2
dans les manuels de lycée
3
BOEN, n°1, hors série, Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, 14 février 2002.
4
Cette synthèse rend compte des travaux récents cités dans les notes.
5
Rapport de l’inspection générale, L’apprentissage de la lecture à l’école primaire, janvier 1995.
6
La maîtrise de la langue à l’école, Direction des écoles, Ministère de l’éducation nationale, CNDP, Savoir livre,
Paris, 1992
7
Les textes de 2002 intègrent ces différents apports ; ils invitent à développer des compétences précises non
seulement de compréhension mais aussi d’interprétation, tout particulièrement grâce à la lecture des textes littéraires.
8
Perfetti, 1985.
9
Martine Rémond a mis en évidence qu’il ne suffit pas d’être bon décodeur pour devenir bon compreneur ; il n’y a
pas de corrélation systématique entre le décodage et la compréhension.
10
Martine Rémond in Apprendre à comprendre l’écrit. Psycholinguistique et métacognition, en collaboration avec
François Quet. Repères n°19 ; Comprendre et interpréter les textes à l’école, numéro coordonné par Francis
Grossmann et Catherine Tauveron.

1
La compréhension fine est-elle seconde ?
Les premières représentations mentales du texte ne sont nullement figées. La compréhension littérale
s’associe à des processus de compréhension plus élaborés ; on peut aussi considérer qu’elle les déclenche.
Les relations entre les éléments évoqués par l’écrit s’approfondissent grâce à l’aptitude du lecteur à
travailler les informations comprises littéralement pour en extraire de nouvelles par déductions, par
inférences. Apprendre à lire repose sur le développement de cette capacité inférentielle que l’on a
nommée « compréhension fine ». Il s’agit d’une activité de raisonnement qui s’apprend, notamment grâce
à des échanges oraux autour de l’exploitation des erreurs qui apparaissent lors de situations problèmes de
lecture. Les conflits cognitifs qui naissent permettent de clarifier les représentations et de vérifier les
prises d’indices. Chaque élève gagne à s’entraîner à effectuer des repérages dans les cadres spatio-
temporels des récits, à s’initier aux subtilités des systèmes anaphoriques, à apprécier les fonctions et les
usages des connecteurs, à distinguer et à mettre à distance les situations énonciatives.

Vers une pédagogie de la compréhension


L’enseignement de la compréhension accorde une importance centrale à l’élaboration de connaissances
relatives aux efforts qui sont attendus de chacun dans l’appropriation du sens des textes. Ces
connaissances (dites métacognitives) se déclinent en connaissances déclaratives 11, procédurales12,
conditionnelles13. L’apprenti lecteur peut et doit apprendre à planifier sa lecture et à évaluer sa
compréhension pour l’améliorer. Pour autoriser la conquête de cet ensemble de connaissances et de
stratégies la pédagogie de la compréhension mise largement sur un partage des savoirs, sur la
confrontation des résultats et sur l’explicitation (individuelle et collective) des représentations des
lecteurs.

Vers une remise en cause de hiérarchies.


Dans les pratiques de classes, la planification institutionnelle de ces activités sur l’ensemble de la scolarité
semble avoir conduit les acteurs du système éducatif à se partager les tâches. Quelle est la répartition qui
semble dominante ? Les enseignants de cycle 1 se centrent sur la conquête de la langue orale, le
développement de la conscience phonologique et ils organisent une entrée dans la culture de l’écrit. Au
cycle 2, on travaille beaucoup la compréhension littérale tandis qu’au cycle 3, l’accent est nettement mis
sur la conquête de la compréhension fine dès lors que les évaluations CE2 /6 ème ont révélé qu’elle posait
évidemment problème. Au collège, et surtout au lycée, on s’attache à l’interprétation des textes littéraires
par la voie de l’explication puis du commentaire. Tout se passe comme si la compréhension fine
représentait un dépassement de la compréhension littérale et qu’on ne puisse aborder l’interprétation
qu’après une longue initiation aux opérations de compréhension, de bas niveau puis de haut niveau. Yves
Reuter relève que « Plus l’âge des enfants est élevé, plus le réseau scolaire est noble, plus on se rapproche
du mode d’appropriation esthétique des textes (littéraires) 14». Il remet en question l’opposition
compréhension / interprétation15 tout comme le système qui la sous-tend à savoir la série antinomique qui
en dérive et qui se structure dans les couples répétition/révélation, littéral/littéraire, réception/construction,
paraphrase/commentaire, liseur/lettré. Il conteste la progression didactique classique en avançant l’idée
que « compréhension et interprétation sont à l’œuvre dans toute lecture de tout texte »16. Catherine
Tauveron17 et l ‘équipe INRP « Didactisation de la lecture et de l’écriture littéraire » explorent résolument
cette voie tout en plaçant la lecture littéraire « à la jonction du cognitif et du culturel » et ce dès le cycle
1. Ces avancées théoriques en France et à l’étranger ont manifestement pesé sur l’écriture des derniers
programmes pour l’école18 qui, c’est une nouveauté, mettent l’accent sur la nécessité d’inviter les élèves à
participer à des « débats interprétatifs ».

11
L’élève apprend à dire ce qu’il faut faire pour lire un texte : utiliser avec profit la ponctuation, savoir segmenter un
écrit en unités significatives, peu à peu il explicite ses stratégies. Cf. Martine Rémond, op. cité.
12
Il sait comment faire pour lire, par exemple, il sait comment repérer une idée principale, comment suivre les
évolutions des personnages et les distinguer.
13
le lecteur sait pourquoi et quand faire ou ne pas faire certaines opérations, par exemple : revenir en arrière,
reformuler, aller de l’avant pour contourner provisoirement un nœud du texte, un obstacle cognitif.
14
Yves Reuter, La lecture littéraire, éléments de définition, in JL Dufays et al, Pour une lecture littéraire 2, De
Boeck, Duculot, Bruxelles, 1996. Voir aussi la revue de l’INRP, Repères, n°13, Lecture et écritures littéraires à
l’école, 1996.
15
L’une étant conçue comme l’aptitude à faire des inférences simples et l’autre étant posée comme le degré ultime et
supérieur de la compréhension. Voir à ce sujet la contribution de Daunay.
16
Yves Reuter in Comprendre et interpréter le littéraire à l’école, p 70, INRP, 2001, .
17
Elle s’appuie également sur des travaux déjà anciens, sur l’esthétique de la réception et les théories de la littérature
(Jauss, Iser…) et sur deux traditions de recherche : l’une renvoie au courant herméneutique (Paul Ricoeur), l’autre aux
travaux des sémioticiens (Umberto Eco, Rolland Barthes).
18
Mars 2002

2
Mais qu’est-ce qu’interpréter ?
Umberto Eco épingle la manie humaine qui consiste à donner une signification au moindre détail. Pour lui
ne pas interpréter est impossible, dans la vie quotidienne comme au cours de lectures. Si l’effort de
compréhension nous permet de savoir ce que disent les textes, l’attitude interprétative nous entraîne à
questionner l’écrit au-delà de ce qu’il annonce à première lecture pour élucider ce qu’il tente de nous dire
par ailleurs ou « de plus ». L‘interprétation se construit à partir d’indices que le lecteur collecte alors qu’il
enquête sur le sens global 19de l’œuvre qu’il cherche à déchiffrer. L’interprétation est spéculative, le
lecteur mise sur une hypothèse de lecture, sur une manière de comprendre les symboles, sur une façon
d’envisager les relations entre les personnages et de donner du sens à une histoire. Pour ce faire, il
s’engage en mobilisant sa sensibilité, ses connaissances, son expérience, sa culture. Il en vient à se
positionner face aux textes. Interpréter c’est construire un point de vue à partir des questions que pose
toute œuvre à chacun de ses lecteurs.
Parmi les écrits littéraires, les textes qui relèvent de la littérature de jeunesse interrogent tout
particulièrement leurs récepteurs. De quelles genres de questions peut-il s’agir ? Evoquons quelques
exemples célèbres :

Des exemples de questionnements interprétatifs.


Si « Tous les loups ne sont pas de la même sorte », et si les plus dangereux sont souvent « les plus
doucereux », sur quels types de dangers le fameux loup qui dévore grand-mère et petite fille alerte-t-il la
jeunesse tentée par la transgression ? Selon les contextes que verra-ton derrière la bête dangereuse, un
simple séducteur, un abuseur perfide, un violeur, un pédophile, un voleur, un gangster, un monstre, un
assassin, un nazi 20? Dans Le Petit Prince, que représentent, le mouton, le serpent, la rose, la planète du
Petit Prince et celle de l’allumeur de réverbères ? Dans Max et les maximonstres qu’est-ce que ce pays des
maximonstres où Max se conduit de manière épouvantable avec de terribles créatures ? A quoi ces
dernières réfèrent-elles ? Pourquoi tous ces singes dans les créations d’Antony Browne ? Pourquoi dans
un bel album de Nadja21, le chien étrange« aux yeux verts, brillant comme les pierres précieuses » est-il
bleu et pourquoi les forces obscures de la forêt et de la nuit transformées en panthère (noire) s’acharnent-
elles à l’affronter ? Dans l’œuvre de Rascal quelles significations dégager des thématiques des saisons, de
l’eau, du feu22?
Les effets et le charme de la lecture littéraire reposent très certainement pour une bonne part sur une
certaine indétermination, sur les mystères du texte, sur l’épaisseur et la richesse des symboles, sur
l’ouverture des possibles à notre rêverie. Toutes les questions n’exigent en aucune manière des réponses
absolues et immédiates. Inversement, les jeunes lecteurs n’attendent point que les maîtres les interrogent
pour se les poser et tenter d’y répondre ! Il arrive souvent qu’ils souhaitent en discuter avec ceux, adultes
ou enfants, avec lesquels ils partagent la lecture de ces textes. Tandis qu’ils exposent leur manière de lire,
le maître constate que souvent, les problèmes de compréhension rencontrés se résolvent en même temps
que se résout le problème d’interprétation. C’est que l’interprétation guide et nourrit la compréhension,
elle éclaire certains points qui n’avaient pas été saisis ou qui demeuraient mystérieux. Les deux processus
sont bien en interaction dialectique, ils s’enchaînent et se confortent tout comme s’articulent et se
confortent compréhension littérale et compréhension fine.
Le cheminement interprétatif conduit à exploiter et à expliciter les potentiels de signification des
oeuvres23. Ceux-ci sont souvent multiples. Les monstres, compagnons provisoires de Max, représentent-il
une caricature des plus agités de ses camarades ? concrétisent-ils simplement la colère et les mauvaises
pensées passagères et vengeresses d’un enfant grondé, ses pulsions éphémères en somme ? Révèlent-ils
ses obsessions et cauchemars récurrents ? Lesquels ? Au-delà, dans cette mise en images du « ça »,
certains adultes voudront-ils percevoir une confirmation et une illustration de thèses psychanalytiques sur
la « perversité polymorphe » de l’enfance ? Entre toutes les interprétations envisageables, il arrive
fréquemment qu’il ne soit pas possible de choisir. Cette « indécidabilité24 » renforce le plaisir de lire.
Ainsi peut-on voir, avec Catherine Tauveron, dans l’interprétation une sorte de « métalecture contrôlée
par des connaissances ».

19
Vincent Jouve in Comprendre et interpréter le littéraire à l’école et au-delà.
20
Voir de ce point de vue les dessins animés de Tex Avéry
21
Chien bleu, Nadja, L’école des loisirs.
22
Voir à ce propos le tout récent ouvrage dirigé par Catherine Tauveron : Lire la littérature à l’école, Hatier, février
2002.
23
La formule est d’Iser.
24
Pour reprendre le mot de Catherine Tauveron

3
Le rôle du maître dans le processus interprétatif.
Face aux interrogations des élèves, les maîtres doivent se garder de s’empresser de répondre à la place des
jeunes lecteurs. Si « toutes les interprétations ne se valent pas, toutes doivent pouvoir se dire et se
discuter »25 au sein de communautés de lecteurs. De là l’intérêt et l’importance des débats souhaités par
les nouveaux programmes. Il revient aux maîtres de favoriser le cheminement des élèves dans leurs
parcours interprétatifs mais, aux moments opportuns, il est de leur responsabilité d’étayer l’émergence des
représentations par la confrontation, par la négociation interpersonnelle mais aussi par un questionnement
d’un type nouveau (pointé précisément sur les butées des textes, les ambiguïtés, les secteurs
d’indétermination, les difficultés de compréhension et d’interprétation.) Là n’est pas la seule voie pour
favoriser l’interprétation ; elle peut aussi advenir grâce à l’utilisation d’autres procédures et techniques
favorisant l’expression (mises en voie, mises scène, mimes, marionnettes…)
« Enseigner le littéraire c’est enseigner à interpréter » résume Pierre Sève26. L’entreprise est délicate ! Les
écueils sont nombreux : une première dérive serait de confondre les programmes et les activités de l’école
avec ceux et celles des classes de français et de lettres du collège et du lycée. D’autres tentations
menacent le processus : n’accepter qu’une interprétation (par exemple celle supposée de l’auteur),
imposer la sienne ou encore, au contraire, valoriser systématiquement la prolifération des interprétations
sans retour à la lecture et sans appuis sur la réalité têtue du texte. Le maître en dernier lieu est le garant
des « droits du lecteur » mais aussi des « droits du texte ». On attend de lui qu’en situation d’opposition
entre une interprétation et un texte, il aide à cerner ce qui est acceptable et qu’il aide à réorienter ce qui ne
peut l’être. A lui de rappeler « les limites de l’interprétation » tout en accueillant avec empathie les
tentatives des élèves, tout en favorisant les prises de position A lui enfin de « nourrir les lecteurs des
références culturelles » et des informations indispensables puisque l’interprétation joue toujours sur un
réseau de lectures, d’expériences, de souvenirs, de connaissances. Comment pas exemple percevoir et
apprécier les richesses de l’album Otto27 sans un minimum de références historiques ? Comment apprécier
toutes les délicatesses des cygnes de Morpurgo28 si l’on ignore tout des grands mythes fondateurs et des
couples archétypaux de la littérature ? De ce point de vue la démarche qui consiste à présenter les textes
en réseaux29 devient déterminante. Tout texte littéraire joue sur un déjà-dit, sur un intertexte, sur des
références des allusions, des connivences dans l’ignorance desquelles le processus de compréhension est
bloqué.

Quels textes pour former un lecteur de littérature ?


La littérature n’a jamais cessé d’être présente à l’école primaire mais la pleine reconnaissance de la
formation d’un lecteur littéraire à partir de la littérature de jeunesse n’est intervenue qu’assez
tardivement30. C’est dans l’appréhension des écarts du langage, des techniques, des structures que se
distinguerait l’œuvre de fiction et que se formerait la culture littéraire des enfants. Dans cet esprit, les
nouveaux programmes accordent une importance majeure à un enseignement d’une littérature qui sollicite
avec force la participation du lecteur dans la construction du sens.
Comment caractériser davantage les textes littéraires ? Le texte littéraire cultive l’ « illusion
référentielle », il travaille sur des identifications, il vise l’adhésion des lecteurs et leur investissement
émotionnel, intellectuel, esthétique en offrant une représentation écrite et fictionnelle d’un univers qui
peut conforter les positions des uns, ou au contraire remettre en cause des systèmes de valeur, des
jugements esthétiques, moraux, éthiques. En même temps qu’il joue sur l’adhésion et le plaisir immédiat,
le texte littéraire parie sur la mise à distance et le plaisir différé. Il résiste, il offre des nœuds de résistance
aux tentatives d’appropriation par le lecteur. D’un côté, il est « réticent, c’est à dire criblé de lacunes ; de
l’autre il prolifère obligeant son lecteur à opérer un filtrage drastique pour sélectionner l’information
pertinente. La coopération du lecteur exige donc un double travail d’expansion et de filtrage ». Telle est la

25
Grossman, Tauveron, Repères n°19, p 163
26
idem
27
Otto :autobiographie d’un ours en peluche, Tomi Ungerer, Ecole des loisirs.
28
Mon cygne argenté, Michael Morpurgo, Kaléidoscope.
29
A condition que les oeuvres choisies soient regroupées en fonction de vrais problèmes de compréhension et
d’interprétation et que le réseau facilite la résolution de problèmes. Certains préfèrent parler de constellations de
textes. Les réseaux et les constellations peuvent être centrés sur un personnage, un motif, les œuvres d’un auteur, un
texte source et ses dérivés (adaptations, transpositions, pastiches, détournements), une technique d’écriture…
30
C’est encore le document intitulé « La maîtrise de la langue à l’école » (1992) qui semble franchir le pas, de la
manière la plus décidée. Par ce texte, la direction des écoles valorise le vaste réservoir des oeuvres de la littérature de
jeunesse, enfin clairement reconnue officiellement comme un outil indispensable pour construire d’une part les
connivences culturelles et la maîtrise du langage et pour, d’autre part, faire percevoir l’existence et le fonctionnement
des marques du littéraire définies comme des écarts.

4
définition donnée en première instance par Maingueneau. Là encore Catherine Tauveron et son équipe ont
creusé cette piste de recherche en distinguant les textes littéraires « réticents » qui, par leurs silences,
posent délibérément des problèmes de compréhension et les textes « proliférants », qui déclenchent des
questions d’interprétation. Il est bien entendu que la qualité littéraire du texte résulte pour beaucoup de la
présence des deux propriétés. Le texte littéraire appelle et suppose donc un lecteur actif, attentif au texte,
intelligent, imaginatif, sensible, créateur, raisonneur, un lecteur partenaire des auteurs et coopérant avec
des co-lecteurs pour se livrer volontairement à un jeu de reconnaissances et de connivences.
La lecture littéraire ainsi conçue repose et sur l’engagement individuel dans des pactes de lecture et sur
l’intérêt et le plaisir du partage avec des pairs et des médiateurs adultes. Sous l’angle des conceptions
modernes de l’interprétation et de la compréhension, le verbe lire retrouve donc plus que jamais certains
sens latins ; lire c’est choisir, c’est élire. Elire des textes aussi bien que des représentations de ces textes.
Tel est, selon nous, le pouvoir à conquérir pour chaque jeune lecteur de littérature.

Max Butlen
Article publié dans Argos N°30

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