DECODAGE : LES CLES POUR COMPRENDRE Pour la science, n·1138

LE JOUR OU SE
NOURRIR SERA
UN COMBAT
Le XXIème siècle est marqué par de
nouveaux modes de consommation.
Les plus osés sont passés au vegan,
d’autres sélectionnent le biologique
tandis que certains ne s’en
préoccupent guère. Il était temps de
faire le point sur la capacité de notre
terre à subvenir aux besoins de 7
milliards d’esprits affamés

Jean-Marc, 37 ans, est un modeste agriculteur du bassin lorsque près de 40% des cultures de maïs américaines
parisien. Pourtant, il a vu ses récoltes augmenter sont destinés à la création de biocarburants? Cette
considérablement ces dernières années dans le cadre de tendance devrait, d’ailleurs s’amplifier au fil des
années avec l’augmentation du prix du baril de pétrole.
politiques menées par l’Union Européenne. Aujourd’hui,
Il est d’autant plus important de se rappeler que les
ses 2 fermes ancestrales tiennent encore debout grâce à
principales personnes vivant dans ces situations de
son contrat avec une chaîne de distribution. Autour de manques chroniques, sont paradoxalement, les petits
lui, des champs à perte de vue, là où, il y a à peine 30 éleveurs et les agriculteurs qui ne peuvent s’affronter
ans se dressaient encore les fermes de ses voisins. Les aux grandes multinationales… La répartition des
voisins, eux, ils les a engloutis. ressources alimentaires apparaît donc inéquitable dans
le monde entier, de par son accessibilité, mais aussi sa
disponibilité. Comme nous pouvons d’ores et déjà
I. Un problème récurrent l’imaginer, les pays les plus pauvres d’Afrique,
d’Amérique du Sud et d’Asie sont les premières
L’exode rural est à blâmer. Depuis l’industrialisation, victimes de cette injustice causée par le monopole du
les fermiers n’ont cessé de fuir vers les villes, les Nord économique.
paysans décrochant des contrats importants sont les
seuls qui ont survécu à cette économie naissante.
Aujourd’hui, 80% de la population mondiale vit dans
une zone urbaine. Elle n’était que 2% en 1800.
Pour autant, cet exode n’apporte pas forcément le
malheur: la production agricole nationale permet de
nourrir la population française et laisse même de la
marge pour des exportations massives vers l’Europe.
Toutefois se pose la question de comment en être arrivés
là. Cette importante production est le résultat d’un long
processus qui est loin d’être beau et propre. Les animaux
sont maintenus dans des conditions inouïes pour faciliter
leur engraissement, sans parler de l’empreinte
écologique que tout cela entraîne.
II. Une répartition inéquitable
III. La question de la planète
Les dernières décennies se sont caractérisées par un fort
recul de la faim dans le monde passant de 50% en 1900 Tous ces porcs au même endroit qui pataugent dans
à 12,5% en 2010. Cependant celle-ci persiste et un leurs excréments ont un impact stupéfiant sur
rapport tout à fait dramatique, indique que depuis le l’écosystème local. Ces déjections contiennent
début du millénaire la courbe s’inverse, revenant ainsi à beaucoup de produits indésirables, comme les nitrates,
son allure initiale. Le cap d’un milliards d’affamés
engrais naturels. Ces éléments vont entrer dans le sol et
risque d’être dépassé dans les années à suivre. Que dire
être charriés par les rivières souterraines jusqu’à
à tous ceux qui vivent aujourd’hui dans la misère la plus
crasse, la plus rude, aboutir dans l’océan. Une conséquence directe est la
stupéfiante croissance des
 Nous comme
algues, avons sélectionné
l’algue vertelaencampagne des encore,
Bretagne. Pire Légumes
moches d’Intermarché réalisée en juin 2014: par principe Belle à l’extérieur, sans goût à l’intérieur, tel est le
l’agriculture moderne se fonde sur l’usage d’engrais
de marketing, les légumes ne correspondant pas à un motto de ces cultures hors-sol. En revanche,
chimiques et notamment de désherbants et autres
calibre précis car difformes, très réduits ou trop l’agriculture et l’élevage biologiques sont, quant à eux,
produits destructeurs comme les pesticides. Ces derniers
volumineux sont dans
jetés.l’océan
Ils atteignent moins réussis visuellement, mais plus savoureux. Le
finiront également et tuerontprèsdes de 40% en
poissons,
France! C’est dans ce cadre que le groupe des trois prix définira le choix de l’acheteur car les produits
sans parler des oiseaux qui iront se nourrir des fruits des
biologiques sont en moyenne 22% plus chers que des
plantations. Eux, accumuleront produits nocifs dans leurils
mousquetaires a décidé de lancer leur campagne où
promeuventdont la vente conventionnels.
organisme, une de légumes
partie sera netransmise
respectantà pasleurles
calibres indiqués, à un prix plus bas. Cette
descendance, ce qui provoquera leur mort ou la mort de campagne
s’inscrit
leur dans qui
prédateur le cadre de la exposé
sera alors lutte européenne contre le
à des pesticides. VII. Des pays plus adaptés
gaspillage.
Une agricultureStopper
mécanisée le etgaspillage est un
chimique, certes facteur
effective,
mais pour combien de temps ? Les terres s’acidifientdeet 7
déterminant pour permettre la survie de plus Prenons le cas de la France. L’agriculture française a
milliardsded’habitants.
risquent ne plus être fertiles. Par ailleurs, les deux visages: celle mécanisée, chimique, industrielle
pesticides et autres éléments chimiques que nous où l’homme n’a qu’à appuyer sur des boutons et celle,
consommons sont dérivés du pétrole, une ressource non biologique, propre et verte où tout est fait à la main le
renouvelable. Par exemple, pour produire 100 g de matin-même de l’achat. La France a fait de nombreux
fromage, il faut 140 mL de pétrole. Pire encore: plus du efforts pour promouvoir une agriculture respectueuse
double est utilisé pour cultiver quelques tomates! Non de l’environnement. Cependant, des pays en plein
seulement les terres s’appauvrissent, mais en plus les essor, comme l’Inde ou le Brésil ont une population
ressources terrestres sont consommées. instable, constamment croissante, requérant une
production agricole en hausse permanente. Pour cela, la
IV. Les cultures aujourd’hui première agriculture française est mise en place
massivement. Les conséquences sont néfastes: les
L’homme est plein de ressources: il a donc imaginé des
produits fertilisants employés sont-ils dangereux pour
moyens de production suffisants pour nourrir les sept
l’homme ? Sans mentionner le rapport avec
milliards d’individus que nous sommes. Certaines
l’environnement. Et pourtant, l’agriculture biologique
cultures ont lieu dans des serres, voire même en hors-
n’est pas une solution car dépendante des aléas du
sol, ce qui signifie que les plants n’ont jamais été au
climat et à trop faible rendement, elle ne peut subvenir
contact de la terre. Dans ce cas, elles reçoivent tout pour
aux besoins d’une population supérieure au milliard
pousser le plus vite possible et être les plus attractives.
Sinon, une méthode bien différente, celle de La révolution verte en Asie
l’agriculture biologique, consiste en un respect de
l’environnement et des animaux. Dans un milieu qui leur Les gouvernements de l’Asie ont appliqué le
est naturel et à l’air libre, tomates, salades, fraises et phénomène de la Révolution verte. Le principe est
autres mûrissent une seule fois par an, si la saison est simple: face à une population encore et toujours
favorable. Les rendements sont donc médiocres et les croissante, il faut drastiquement augmenter les
prix trop élevés pour être adoptés par une majorité. rendements agricoles. Cela s’est produit à l’aide de
trois mots d’ordre: engrais/pesticides, irrigation et
utilisation de variétés sélectionnées. Le résultat est
spectaculaire: les rendements sont excellents. En Inde,
le gouvernement a même contribué au développement
de cette technique en procurant les moyens financiers
nécessaires aux paysans pour utiliser tous les moyens
possibles pour produire plus. Les Indiens produisent
ainsi environ 134 millions de tonnes de riz annuelles.
Toutefois, les terres sont de moins en moins fertiles et
les conséquences sur l’homme de l’usage de produits
chimiques, OGM entre autres, demeurent méconnues.

VII. Le gaspillage, la bête noire de l’agriculture

À ce jour, près de 30% des produits consommables
Une culture de tomates hors-sol
sont jetés. Pourtant, ils ne sont ni périmés ni dangereux
V. Des produits comestibles… ou non pour l’Homme. De plus, dans les pays pauvres, la
même quantité est dévorée par des nuisibles. Une
Il faut toujours tenir en compte l’aspect des produits amélioration des installations amoindrirait ce chiffre
achetés. Une tomate d’un supermarché, bien ronde, bien considérablement, réduisant ainsi la faim dans le
rouge et sans taches est ce qu’il y a de plus industriel. monde! Toutefois, des campagnes contre le gaspillage
existent dans le monde.
 rythme de ce bond démographique et ainsi subvenir à
une consommation qui bondira de près de 410 %
kj fkdhgkjffghkhjkfdlkjfdhkljjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjj

(chiffres de la FAO), qui augmentera partout dans le

monde à l’exception de l’Europe.

Ceci sera d’ailleurs accompagné d’une amélioration

de la santé économique des individus, ce qui induit à
une augmentation de la demande, car non plus liée à
la subsistance, celle-ci apparaîtra comme une
nécessité pour montrer sa richesse.
Ainsi, la production devrait progresser d’à peu près
70% en ces quelques années qui nous séparent de
l’horizon 2050. Cependant, la quasi-totalité des
terres arables, des terres cultivables sont aujourd’hui
exploités voire surexploitées rendant celles-ci
Vous pouvez manger vos chips à consommer avant la parfois même stériles. Le développement du
semaine dernière ! potentiel des vastes terrains pouvant être utilisés à
nos profits et qui restent aujourd’hui affranchis de
En effet, beaucoup de produits ont des dates de toute présence humaine, serait extrêmement
péremption qui incitent au gaspillage. Selon une étude coûteux, ce qui est un frein dû à leur présence dans
du ministre de l’Agroalimentaire, sur les 30 kg jetés par la plupart des pays pauvres d’Afrique Subsaharienne
chaque Français par an, 7 sont encore emballés! De plus, et d’Amérique latine… Toutefois, si nous ne
il faut distinguer les mentions à consommer jusqu’à, réussissons à augmenter les rendements de nos terres
auquel cas l’aliment présente un risque microbiologique agricoles, demain ou après-demain, les guerres ne
une fois la date limite dépassée, mais les produits à seront plus idéologiques, ni politiques, mais dues à
consommer de préférence avant sont encore comestibles des manques de ressources.
après le jour indiqué. Les supermarchés eux-mêmes
jettent près de 40% des produits sans que ceux-ci aient
dépassé la date limite. Limiter le gaspillage, c’est pour le
développement durable!

VIII. Quid pour le futur ?

Toutes les prévisions coïncident en une triste réalité,

l’espèce humaine ne cessera ne continuer son expansion
et d’affermir sa dominance sur d’autres espèces au fil
des années… D’ici 2050, nous serons plus de 9 milliards
de bouches à nourrir, soit deux milliards de plus
qu’aujourd’hui. La production devrait ainsi suivre le
 IX. Comment éviter la disparition d’espèces Ainsi, lorsque la population dépasserait toutes les
animales et végétales?
ressources présentes nous assisterions à une crise de
subsistance dans laquelle les plus pauvres ne pourraient
Ce problème est d’autant plus important qu’il constitue
rejoindre le banquet de la nature et périraient d’une faim
une vraie plaie, une véritable entrave pour
l’environnement et la survie d’une partie de notre atroce. Le monde serait devenu trop petit pour les
biodiversité. Aujourd’hui nous le savons, certaines hommes qui auraient décidé d’en abuser sans
espèces sont en risque d’extinction en conséquence du comprendre ses limites. Une réduction de la population
réchauffement climatique et de l’activité humaine (ours serait ainsi, selon cette théorie, indispensable pour
polaire, tigre de Sumatra….). Cependant il existe un permettre à tous et à toutes de vivre dignement et de
autre problème peu cité et face auquel peu de politiques manger à leur faim.
sont appliquées. Prenons l’exemple de l’ensemble des
semences existant dans le monde. Depuis l’apparition de XI. Changer notre mode de vie et de consommation
l’agriculture industrielle, des pays comme l’Asie ou bien
les Etats-Unis ont perdu près de 90% des ressources, La principale question se pose alors, que faire?
réduisant de manière considérable toute la variété Comment devons-nous réagir face à cette situation
alimentaire, d’un patrimoine agronomique dramatique? A l’heure où les doutes ne cessent
irremplaçable. Ainsi, sous l’égide de la FAO se sont d’apparaître, il nous est nécessaire d’apporter des
créés de nombreux centres de recherche, sensés solutions et des réponses car sans celles-ci, rien dans ce
conserver un échantillon des graines de chaque espèce monde individualiste et interdépendant ne changera. La
végétale. L’une des plus imposantes se trouve panacée n’existe pas pour autant, mais il nous faut
aujourd’hui en Norvège et son importance lui vaut le mettre en avant le besoin vital de changer nos modes de
surnom de chambre forte de la fin du monde ou encore vie et par conséquent, notre consommation. Chacun se
l’arche de Noé végétale. Bien plus alarmant encore est doit aujourd’hui de changer son quotidien pour pouvoir
le problème lié à la surexploitation des stocks de accomplir nos objectifs. Premièrement, les agriculteurs
poissons dans le monde, pour lequel il n’existe aucune devraient eux-mêmes être les principaux acteurs de cette
vraie réglementation visant à protéger des espèces qui nouvelle aube en optimisant leurs terres tout en
sont parfois la base même de la chaîne alimentaire. Des réduisant le coût climatique que ceci pourrait apporter.
pays comme l’Afrique du Sud ou bien encore la Les engrais, l’eau, les pesticides devraient donc, en ce
Nouvelle-Zélande ont décidé d’appliquer une politique sens, être ajustés en fonction de l’exigence des terres et
très rigoureuse, après avoir signé des accords de l’environnement et par conséquent en leur juste
contraignants au sujet de la pêche intensive en laissant mesure.
notamment les stocks se régénérer, tout en offrant un Cependant, le reste des efforts doivent être assumés par
nouveau mode d’exploitation durable et pérenne. les citoyens que nous sommes. Il nous faut comprendre
X. Ce que disait Malthus que consommer moins, dans tous les sens du terme, ne
signifie pas perdre de l’importance, mais adopter un
comportement responsable ne compromettant pas ou
Le pasteur anglican Thomas Malthus, avait compris il y
bien moins, le monde qui nous entoure. Pourquoi ne pas
un peu plus de 200 ans, le problème que constituerait changer alors notre alimentation en mangeant
l’alimentation mondiale. Adoptant une vision purement notamment des insectes. Double avantage, la production
mercantile et théorique dans son ouvrage Essai sur le de ceux-ci est peu coûteuse (tant pour son empreinte
principe de population il explique avec deux postulats écologique que financière, par exemple, le ver farine
une vision sur l’évolution humaine tout à fait radicale. émet 20 kg de CO2 pour 1kg produit contre 170 pour
La passion entre les sexes étant selon lui nécessaire pour une portion de bœuf équivalente) et nourrit tout autant.
l’homme, aurait pour conséquence une augmentation de D’autres diront qu’il faut de suite se convertir au
la natalité et donc la population mondiale adopterait une végétarisme, soit manger uniquement des produits qui
progression géométrique (2n) au contraire de la excluent tout type de chaire animale. Nous pourrions
production agricole, qui le ferait de manière aussi appliquer les thèses de Malthus visant à réduire le
arithmétique (n+1) donc bien plus progressivement, bien nombre d’habitants de cette “petite” planète bleue, mais
ceci paraît néanmoins improbable...
plus lentement.
Ainsi, les industries agroalimentaires tout comme les
gouvernements auraient pour obligation de maîtriser la
demande de chacun d’entre nous et pourvoir aux besoins
sans cesse croissants. Une nouvelle révolution verte doit
voir le jour impliquant tous les acteurs de ce monde et
créer en ces termes un large consensus, égal et à la fois
contraignant. Cohabiter signifie partager la même
maison, mais aussi les mêmes plats….