A Travers Le Fouta-Diallon Et [...]Noirot Ernest Bpt6k5814104f

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A travers le Fouta-Diallon et

Le Bambouc (Soudan
occidental) / Ernest Noirot

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Noirot, Ernest (1851-1913). Auteur du texte. A travers le Fouta-
Diallon et Le Bambouc (Soudan occidental) / Ernest Noirot. 1893.

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A TRAVERS
LE F0UTA-D1ALL0N
ET LE BAMBOUC
' ISOl'DIN oOCIDIStA.l)
tfMlLK COLIN - IMPR1MKRIBJ>E LAONÏ
ERNEST NOIRÛ't^

A TRAVERS
LE

FQÛTA-DIALLON
-',,:è LE BAMBOUG
(SOUDAN OCCIOE.MAI.)

PARIS
LIBRAJRIE MARPON ET FLAMMARION
E. FLAMMARION, SUCC*
tO, RUB RACINE, PRÉS i/ODÉON

Tous droits rôïarvés.


A TRAVERS
LE FOUTA-DIALLON
ET LE HAMBOUC

INTRODUCTION"

En France, et surtout à Paris, les événements se pré-


cipitent avec une telle rapidité, que le « Fait du jour »
plonge dans l'oubli celui do la veille.
Peut-être ne se souvient-on plus qu'au mois de jan-
vier 1882, le docteur Bayol et moi amenions à Pari?
une ambassade Peûlh, envoyée par les souverains du
Fouta-Diallon, pour saluer le Président de la Répu-
blique'et l'assurer que les traités de bonne amitié et de
commerce passés avec les Français seraient respectés.
Ces envoyés sont restés un mois dans la-capitale. Pen-
dant un mois, ils ont admiré ses beautés et, de retour
~ dans Jeur pays, ils font certainement bien souvent à

•leursamis le récit de leur voyage et leur décrivent les


émerveilles .qu'ils ont vues, tant à Bordeaux et à Paris
qu'à Marseille. Ils. ont dû dire à leurs compatriotes
6 INTRODUCTION
loin d'être des* anthropophages, les Français sont
que,
aimables, bons et généreux.
J'ai eu le bonheur de faire, en compagnie du docteur
Bayol, un voyage magnifique à travers le Fouta-Diallon
et le Bambouc (Soudan occidental). Pendant six mois,
j'ai vécu au milieu des Peulhs et des Malin'kés ; j'ai
gardé un excellent souvenir de ces noirs pour qui l'hos-
pitalité est la première des vertus, et parmi lesquels je
compte de nombreux amis.
Ce que les ambassadeurs peulhs ont fait à leur re-
tour chez eux, je veux le faire ici : c'est pourquoi j'ai
écrit ce livre.

UNE AMBASSADE PEUMI AU PAYS DES FRANÇAIS '


r Avant de commencer le récit de ce voyage, je crois
nécessaire et intéressant de rappeler quel fut le résultat
immédiat de la mission confiée au docteur Bayol, en
consacrant quelques lignes aux Peulhs qui voulurent
bien nous accompagner en qualité d'envoyés officiels
des souverains de leur pays. Raconter ici quelles furent
les impressions que nos moeurs, nos habitudes, notre
Civilisation, en un mot, firent sur ces noirs, ne sera pas
inutile.
L'ambassade du Fouta-Diâllon était composée de
quatre membres : .
Modi Mahamadou-Saldou, conseiller de l'Almamy.
Ibrahim a Sory.
Modi Abdoul Bagui, porte-étendard du roi.
Alfa Médina, parent et envoyé de Modi Boubakar
Biro, général en chef de l'armée sorya.
Et Modi Ibrahlma-Sory, envoyé de Alfa Aguibou,
chef du Labé.
Modi HamadoU'Ba, Peulh vivant depuis longtemps au
Sénégal, accompagnait cette ambassade en qualité d'in-
terprète.
INTRODUCTION 7
C'est une grande marque de confiance que nous ont
donnée les Almamys lbrahlma Sory et llamadou, en se
décidant à nous faire accompagner par quelques uns de
leurs sujets, comme o'en est une plus grande encore de
la part de ceux-ci, qui n'étaient jamais sortis du Fouta,
d'avoir consenti à nous suivre. Il fallait vraiment que
nous eussions fait tomber, tache difficile à mener à bien,
le sentiment de.déflance naturel à tous les noirs.
Avec nous, ces quatre Peulhs ont parcouru la longue
route de Timboà Saint-Louis; avec nous, ils ont Ira-
.
versé le Bambouc, vaste pays qui depuis longtemps
était en hostilité avec le Fouta, et telle était la sym-
pathie que nous avions fini par leur inspirer, qu'ils
étaient les premiers à assurer aux divers chefs du Bam-
bouc que nous étions d'honnêtes gens, disant toujours
la vérité, et que nous ne voulions pas les tromper.
Leur confiance en nous ne se démentit pas lorsqu'ils
embarquèrent sur le Congo, paquebot des Messageries
maritimes, cette maison flottante, où selon leur expres-
sion pittoresque, on mangé trop ; et c'était la première
fois qu'ils voyaient la mer I
Le second jour de leur embarquement, ils avaient
,

fait connaissance avec tous les passagers; ils fréquen-


taient le salon, et Mahamadou-Saldôu, qui avait appris
je ne sais où à jouer aux dames, faisait de longues par-
ties avec les passagers; il gagnait souvent.
A notre arrivée à Bordeaux, le temps était fort doux,
et aucun de nos compagnons ne se plaignit du froid.
En débarquant, le mouvement du port, et surtout le
bruit des voilures les abasourdirent. Complètement
ahuris, ils ne prononçaient plus un mot ; mais leur
silence en disait long.
Bordeaut laissera certainement un grand souvenir
dans l'esprit des Peulhs. En cette ville, ils ont marché
de surprise en surprise. Le banquet que leur offrit la
Société de Géographie, la musique militaire, la cathé-
8 INTRODUCTION
drale, un modeste ballet qu'ils virent au théâtre, tout
les stupéfiait. Le ballet, surtout, excita si fort le"*
enthousiasme, qu'ils rappolèrent trois fois la premièt
danseuse. Les yeux de Mahamadou-Saldou pétillaient
au souvenir des entrechats de cette artiste. Longtemps
avec ses camarades, il s'entretint d'elle et tous deman-
dèrent à l'un des rédacteurs de 1A Gironde, qui écrivait
l'arabe, de leur donner, à chacun sur une carte séparée,
le nom de cette dame. — Ah I c'est que la danse est en
grand honneur dans la société noire l.
— Les hommes de Bordeaux, c'est trop bons garçons !.
disait Mahamadou-Saldou.
En chemin do fer leur surprise ne Ht que s'accroître.
Mais, plus que tout le reste, la locomotive les plorigeait
dans des étonnements sans fin. Ce fut presque de la
terreur qu'ils éprouvèrent en traversant le premier
tunnel. Quand on leur eut expliqué qu'afln d'aller plus
vito, le chemin de fer passait sous, la montagne, leur
terreur fit place & l'admiration.
Ils étaient comme éblouis de la rapidité avco laquelle
le paysage se déroulait sous leurs yeux ; cependant on
ne put jamais les convaincre qu'ils avaient, en aussi '
peu de temps, parcouru une énorme distance qui leur
aurait demandé trois semaines de route.
Un peu avant d'entrer en gare d'Étampes, nos com-
pagnons, harassés par tant d'émotions, s'assoupis-
saient. Le docteur les réveilla et, pour rendre plus pro-
fonde l'impression que leur ferait la grande ville, il
leur dit :.
— Dans quelques instants nous allons arriver à Paris,
la plus belle ville du monde I Sous peu, vous pourrez
être persuadés que nous n'avons pas menti en décri- .
vant les merveillos de notre pays. J'espère que le souve-
nir que vous garderez de Paris et de ses habitants ne
sera pas moins vivant et agréable que celui que nous
gardons de l'Almamy et des hommes du Fouta.
INTRODUCTION 9
Mahamadou-Saldou, homme d'une grande intel-
ligence, que la supériorité de son jugement avait fait
choisir pour conseiller par l'Almamy Ibrahïma, fit au
docteur une réponse pleine do sentiment et qui dénotait
en même temps une certaine somme d'observations.
A cinq heures du soir, lo train entrait en gaie.
Pendant leur séjour a Paris, les ambassadeurs ont
visité longuement ses monuments, ses théâtres et ses
promenades. La hauteur des maisons, la largeur des
rues et surtout l'étendue de la ville les stupéfiait. De la
barrière du Tiône à l'Arc-de-Triomphe,de Monlrouge à
Montmartre, celte (lie interminable de maisons et la
quantité considérable de voilures et de passants que
nous croisions étaient la cause de nombreuses excla-
mations :

Allah Gobar 1 (Dieu est grand). Beaucoup de Fran-

çais,! Beaucoup de voitures I Tu dis : Bordeaux, c'est


grande ville ; Bordeaux, c'est comme village. Paris J/i".«-
sida Alahoudou! Mahow.lou!t! (ville très grande).
Au théâtre dé la Portc-Saint-Martin, la Biche au Boh
et ses lions ; au Ghâtelet, les Mille et une Nuits et sa
chasse au tigre ; les ballets ; puis la Mascotte, les Folies-
Dramatiques et le Cirque furent pour nos voyageurs
autant de sujets de plaisir et d'étonnement. Le Cirque
surtout les amusa considérablement ; le travail des
écuyers, des clowns, des chiens savants les étonnait.
Mais ce qui fit sur eux la plus grande impression,
ce fut l'Opéra. Je ne sais s'ils ont compris quoi que
ce soit à l'ouvrage que l'on représentait — on jouait
Hamlet, — mais leur attention était captivée par la
musique. Ils ne quittaient pas du regard et la mise en
scène et les mouvements de l'orchestre. De temps à
autre je les entendais dire :
— Modjil Modjit (Bien I Bien 1)
Lorsque l'on demandait à Mahamadou-Saldou ce qu'il
avait vu de plus beau, il répondait :
10 INTRODUCTION
,
— Opéra J
Sans embarras et sans gaucherie, ils ont fait les
visites officielles. En présence de M. le ministre des
colonies, de M. le président du conseil, comme en pré-
sence de M. le Président de la République, ils n'ont pas
été intimidés.
Mais la visite qui leur fit le plus de plaisir, et la plus
impatiemment attendue* par eux, fut celle qu'ils firent
au grand chancelier de la Légion d'honneur. -
Les jours précédents, chaque fois que nous montions'
en voiture, ils demandaient si nous allions chet Faidherbe!
C'est que le nom du général jouit d'une popularité
considérable dans lé Soudan.
Aussi l'entrevue avec le grand chancelier fit-elle beau-
coup de. plaisir aux envoyés* peulhs. Sans l'avoir jamais
vu, ils avaient tellement entendu parler de lui qu'il leur
semblait revoir un ami absent depuis longtemps? Ils
s'informèrenldel'étatdesa santé, de madameFaidherbe,
comment allaient les enfants, et Mahamadou-Saldou*
dit au général :
On'sera Irop content au Fouta, parce que nous

t'avons vu I
A l'Hôtel du Louvre, où ils étaient logés, ils ont reçu
nombre de visiteurs; à chacun d'eux ils demandaient
une carte de visite.
Alfa Médina, qui écrivait l'arabe, consignait tous les
jours, dans son. journal en langue peulh, (es impres-
sions de chacun de ses compagnons pour « garder le
souvenir des Français, » 11 sera peut-être curieux de
retrouver un jour au Fouta un manuscrit portant ce
titre : « Journal d'un explorateur peuln au pays des
Français. »
Mahamadou-Saldou, qui depuis six mois qu'il était
a\ o nous avait appris suffisamment notre langue pour
se faire comprendre, essayait de faire la conversation
INTRODUCTION 11

et, tout'en causant, allait quelquefois reconduire les


visiteurs jusqu'à l'escalier.
C'était à qui nous complimenterait sur la bonne tenue
de nos noirs amis.
Pour les envoyés peulhs, tous les cavaliers, quelle
que fût l'arme' à laquelle'ils appartenaient, étaient des
spahis, et les fantassins des tirailleurs.
En voyant passer un bataillon d'infanterie, Mahama-
dou-Saldou me dit :
— Tout ça c'est les captifs du chef des Français ?
— Non, ce sont des soldats, il n'y a pas de captifs
chez nous. Tous les Français ayant vingt ans sont sol-
dats. * '
.

Oui I c'est même chose comme captifs !
Je n'ai jamais pu faire comprendre à Mahamadou-
Saldou que l'état militaire est un devoir qui incombe à
tous les citoyens et il resta persuadé que nos soldats
étaient les captifs du Président de la République.
* N'ayant
vu que le beau .côté de notre société, ces
braves gens se sont figuré que tous nous étions riches,
et,, en particulier, que nous possédions tous des che-
vaux.
Cependant, ils durent penser que tous les Français
n'étalent pas exempts de besoins. Quelle fut leur impres-
sion en voyant des malheureux venir mendier aux por-
tières de la voilure? Je ne sais. Mais, chaque fois que
le cas se présentait — et il se renouvela souvent, — ils
me disaient : Donne {'argent au monsieur. Et chacun
d'eux donnait la monnaie qu'il avait sur lui.
Les Peulhs trouvaient la vie de Paris agréable et ils
seraient bien restés davantage parmi nous. Mahama-
dou-Saldou me dit un jour :
— Je ferai les affaires du Fouta et de France. J'irai
six mois en France et toujours comme cela, seulement
je porterai Meta (sa femme préférée) avec moi.
Plusieurs négociants et fabricants de Paris se mirent
!^ griolrè; dfs"positiori
pour faire visiter leurs .établisse-'^
ments* aux envoyés peulhs. Et tel était l'intérêt qu'ils
inspiraient, que non seulement on prenait plaisir à leur
expliquer ce qu'ils voyaient, mais encore on leur faisait
des cadeaux afin qu'ils pussent montrer à leurs compa-
triotes quelques .échantillons*de l'industrie française.
Mais tout a un terme et, le 3 février, accompagnés
par le docteur Bayol, nos amis noirs prenaient le train
de Marseille, où ils allaient embarquer sur un navire
„qui devait les reconduire jusqu'à la frontière de leur
pays. En me serrant une' dernière fois la main, ils
étaient très émus. Qe Marseille, je reçus un télégramme
en langue, peulh exprimant leur reconnaissance et me
souhaitant, ainsi qu'a mu mère et à mes frères, bonne
santé et prospérité.
.
LB CAP-VERT - 13

LE CAP-VEKT

' Au mois de mars 1881, je reçus ma nomination d'at-


"
taché à la mission de Fouta-Diallon, grâce à l'obligeance
du docteur Bayol qui en avait la direction. Le docteur
; emmenait avec lui M. Billet, astronome, chargé de toute
-la partie scientifique du voyage.
Le dimanche 3 avril, nous étions complètement parés
pour le départ qui eut lieu à huit heures du soir. Les
journaux du matin annonçaient le massacre de la mis-
sion Flatters. Ma mère, mes frères et quelques amis,
venus à la gare pour me faire leurs adieux, étaient cons-
ternés. Chacun pensait à l'événement terrible, devenu
le'sujet de toutes les conversations, et craignait qu'un
sort pareil à celui de la mission Flatters ne nous fût
réservé. Enfin, jusqu'à la dernière minute, les souhaits
de bon voyage et les recommandations ne nous man-
quèrent pas.
> II ,
A*TRAVEn8 LE FOUTA-DfÀLLON .
Lo 5 avril, nous prenions passage à bord de l'Equa-
teur, paquebot des Messageries maritimes, qui devait
nous déposer à Dakar, où nous arrivions le 14 à cinq
heures du soir. *
En voyant cette terre aride où pousse une végétation
.

. rabougrie, quelques baobabs et de rares palmiers, j'é-


prouvai un sentiment de tristesse et je me demandais
quelle désolation avaient dû rencontrer les Dieppois,
lorsqu'ils longeaient cette côte d'Afrique, pour qu'ils'
aient donné lé pom de Cap-Vert à la pointe de Dakar.
A peine YÉquateur a-t-il jeté l'ancre que de tous côtés
les naturels arrivent dans leurs pirogues qui glissent
sur la mer avec une rapidité étonnante.
— Dis donc, madame jolie I Mouchié, toi camarade,
jette dix sous, ici I Ici 111 Ici 1M
La pièce n'a pas touché l'eau que, se bousculant, ren-
versant leurs pirogues, une dizaine de gaillards du plus
beau noir piquent des têtes, et la pièce de monnaie
n'est pas arrivée au fond qu'elle est déjà repêchée par
un négrillon qui la montre aux passager*.
— Belle madame, Mouchié, donne cinq francs, mot
passer,sous bateau.
Tel est l'amusement des passagers à l'escale de Dakar.
11 ne faut jeter à ces messieurs que des pièces d'argent,
la monnaie de bijlon ne les lente pas.
Quelques passagers, poui- s'amuser. de leur décon-
venue, enveloppent un sou dans du papier d'étain et le
jettent à la mer. Les bons nègres, croyant que c'est une
grosse pièce, S3 précipitent et se disputent à qui l'aura.
.Aussi, lorsque l'heureux vainqueur s'aperçoit que l'on
s'est joué de lui, il fait une grimace, souvent accompa-
gnée de grossièretés (rares mots de français qu'il con-
naisse}, tandis que ses camarades se moquent de lui et
que les passagers s'amusent de toutes ces singeries.
Dès que nous, avons mis le pied à terre, le docteur,
qui sait quelles difficultés l'on a pour trouver un loge-
f[\ » LBCAP-VBRT 15
ment à Dakar, surtout à l'arrivée des bateaux, s'em-
presse de nous retenir trois chambres à l'Hôtel de la
UaHne, tenu par M"»« Genoyer. Tout d'abord, en entrant
dans celte maison, on ne sait si c'est un bazar ou un
hôtel. C'est l'un et l'autre; on y vend de tout et fort
cher, sans excepter le logement et la nourriture. '
Dakar es,t trop connu aujourd'hui pour nécessiter une
description. C'est une ville en formation; à part les bâti-
ments de l'administration, une église et la mission, les
habitations européennes y sont peu nombreuses.
La ville indigène, composée de cases en paille, n'est
pas d'une propreté rigoureuse. .•
,
Dès le lendemain de notre arrivée, le docteur s'occu-
pait des engagements de notre personnel et j'installais
.
ma photographie, faisant gratuitement le portrait de
messieurs les noirs; les clients ne me manquaient pas.
Je visitai Gorée, celte lie rocheuse, si étroite que l'on
se demande cojnment, avec un castel qui occupe la
moitié de sa superficie, la ville peut contenir trois mille
habitants.
Ne trouvant pas à Dakar les chevaux qui nous étaient
nécessaires, nous allâmes en chercher à RuOsque. Pour
faire ce voyage, M. Billet et le docteur montaient deux
excellentes mules du train. Quant à moi, j'avais un petit
cheval du pays qui préférait de beaucoup l'écurie à la
promenade.'
Nous devions parcourir une distance de vingt-cinq
kilomètres en cheminant sur le sable de la plage. Ne
trouvant pas de son goût la brise de mer qu'il recevait
debout, mon cheval se refusait à prendre une autre allure
le
que pas et il me fut impossible de suivre mes com-
pagnons que je ne lardai pas à perdre de vue.
La nuit vint rapidement; suivant une roule qui m'é-
tait complètement inconnue et obligé par la marée
montante de traverser la brousse, je marchais avec
difficulté, manquant à- chaque inslant de me rompre le
16 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON '
,
cou dans quelque ravine. Enfin, me dirigeant sur un feu
que je prenais pour un phare, j'atteignis la ville. A quel
hôtel étiienl descendus mes amis? Je l'ignorais. A tout
hasard je me dirigeai Vers une maison très éclairée, sup.
posant que ô'élait une auberge.
J'arrive. Un grand bruit de voix confirme mon opinion.
Je hèle le docteur; un : « Ahl le voilât » poussé par
plusieurs voix m'indique que je ne me suis pas tr.ompé ;
mais on ne m'attendait plus.
A table, où se trouvent une douzaine de personnes,_rien
que des hommes, le dîner touche à sa fin; toujours per-
suadé que je suis à l'hôtel, je ne reviens de mon erreur
que lorsque le docteur me présente à mon amphitryon,
M. Yerger, agent principal des diverses factoreries de la
maison Maurel et Prom. Les autres convives sont les '
employés placé?. M>US ses ordres. Je m'excuse d'avoir
pris la maison pour une auberge ; mais M. Verger me
répond que Rufisque n'en ayant pas, l'étranger qui
vient se perdre dans ce pays est toujours sûr d'avoir
dans la factorerie bon souper et bon gtte.
Rufisque, construite au bord de la mer, est percée de
cinq grandes rues perpendiculaires à la plage et de cinq
autres transversales. Une épaisse couche de sable fln'qui
rend la marche difficile y remplace le macadam. Malheu-
reusement celte ville commerçante n'a pas de port. Les
navires sont obligés de mouiller en rade, assez loin de
la plage, et le transbordement des marchandises s'opère
à l'aide de légères embarcations ou de pirogues indi-
gènes, souvent condamnées au repos par les raz-de-
marée très fréquents sur cette côte.
Rufisque a un autre inconvénient, bien préjudiciable-
à sa population. Un marigot (marais) très large entoure
la ville; pendant la saison des pluies, ce cloaque fait dé
Rufisque une lie et devient un foyer de fièvres palu-
déennes dont les Européens souffrent beaucoup.
A Dakar, j'employai mes courts moments de loisir à
LE CAP-VBRT 17
faire quelques promenades dans les environs de la ville.
Un de mes endroits préférés était l'anse Bernard, où les
piroguiers indigènes échouent leurs embarcations. C'est
un des lieux les plus pittoresques de toute la côte. On y
voit, dans sa plus simple réalité, la vie des noirs. Us
sont là, raccommodant leurs filets de pêche cl les éta-
lant ensuite sur des perches pour les faire sécher au
soleil. D'autres, avec de grands éclats de rire et cette
gaieté naïve propre à ces grands enfants, organisent de
véritables régates et glissent sur la lame avec une rapi-
dité extrême, cherchant à se bousculer pour faire cha-
virer leurs légers canots.
Des bambins, n'ayant pour tout vêtement qu'une cor-
delette pendue au cou, au bout de laquelle se balance
un mauvais couteau, courent sur la plage, se pourchas-
sent, se faisant mille niches; tout à coup, changeant
d'idée et de direction, ils piquent une tête dans la mer.
Tout cela, sous l'oeil attentif des mamans qui jacassent
avec un bruit étourdissant, comme font les bonnes
commères de nos pays.
On regagne la falaise par les dunes de sables, où l'on
enfonce jusqu'aux genoux; ce sable, d'une finesse
presque impalpable, s'infiltre dans la chaussure, brûle
et déchire les pieds, tandis que son éblouissante blan-
cheur, encore avivée par l'éclat d'un soleil torride,
aveugle et vous contraint à fermer les yeux à tout mo-
ment.
Le paysage se transforme alors et devient d'une mor-
telle monotonie. C'est à peine si çà et là quelques pal-
miers rabougris agitent leurs feuilles longues et étroites,
qui grincent comme des lames de zinc, sous l'effort de
'a brise venant du large. Cette désolation serre le coeur
et donne à l'Européen nouvellement débarqué une triste
opinion du Sénégal. A ta vérité, ce n'est là qu'un de ses
multiples aspects et il est des coins où l'oeil rencontre
n spectacle plus agréable.
18 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
.'v^j
Au pied de ces dunes, on aperçoit un groupe d'une
trentaine dé cases. En longeant une palissade de roseaux
qui borde le> sentier et en se rapprochant de ces cases,
on entend un tic tac continu semblable à celui que font
tes métiers des tisserands.
En effet, de
ce groupe cases constitue
.
un village habité
par ces travailleurs ; village des sorciert,, disent les
nègres, car chez eux les tisserands ont Une haute répu-
tation de sorcellerie. _
Comme chez nous, c'est pendant la saison d'hiver (la
saison des pluies, dans les pays chauds) que les femmes
cardent et filent le coton, qui provient de l'intérieur. A
la belle saison, elles le donnent au tisserand qui le pré-
pare en bandelettes d'environ quinze centimètres. Une
fois teintes, ces bandelettes sont cousues les unes aux
autres et font un pagne : le jupon de ces dames.
Le métier du tisserand noir ne diffère pas sensible-
ment, dans son ensemble, du métier en usage dans nos
campagnes. R est. plus pauvre, plus rudimenlaire dans
ses parties, voilà tout. Ainsi les courroies qui mettent
les bois en mouvementsont remplacées ici par dé simples
ficelles. Mais, tel quel, il suffit largement à l'industrie
et aux besoins du pays.
LE RIO-NUNBZ 19

II

LE R10-NUNKZ

Avec une grande partie de notre caravane : Hamadou-


Ba, notre principal interprète; le shérif Mohamed-Ben-
Nachir, Marocain qui habite le Soudan depuis long-
temps et qui doit, par cela même, y faciliter nos rela-
tions; Mahamadi-Bayla, notre chef muletier; trois
chevaux et quatre mulets, le 4 mai, à cinq heures du
soir, nous embarquons à bord du Castor, aviso à roues,
mis à la disposition de la mission.
L'heure du départ arrivée, la planche est retirée, tout
le monde a répondu à l'appel.
L'aviso échange des signaux avec la frégate amirale
Pallas; il lève l'ancre et prend la direction du Sud.
•~
Six heures sonnent. Sur le point de disparaître, le
soleil enflamme les dunes de Dakar. Au milieu de la
rade, ainsi qu'une sentinelle avancée, noire comme les
allés du pays, immobile, l'élégante carène de la Pallas
20 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON

se reflète majestueusement dans les flots. Le Castor


passe à ranger le navire amiral, honneur auquel nous
ne nous attendions pas. Sur le pont de la frégate, la
musique joue une marche entraînante. De son balcon,
l'amiral Grivel, entouré de son état-major, nous sa-
lue courtoisement. Les hommes de l'équipage sont
groupés sur le bordage et dans le gréement. Des sa-
bords de leur carré, sur la dunette, les officiers agitent
leurs casquettes et nous souhaitent bon voyage.
Déjà nous sommes à plus d'un demi-mille et nous
voyons encore ces signes d'adieu. Le soleil s'enfonce
dans l'Océan, qu'il transforme en fournaise. Les deux
coups de canon réglementaires éclatent sur la,Pa/ms,
la brise apporte les accents delà Marseillaise et, lente-
ment, le pavillon est rentré, salué par notre hymne
national I
Le lendemain, à la pointe du jour, nous sommes sur
pied. La nuit a été étouffante. M. Billet est indisposé et
souffre de la fièvre.
Sur le pont, au pêle-mêle de la veille a succédé l'ordre
le plus parfait. Nos Ouolofs, si bruyants d'habitude,
sont très calmes. Pour beaucoup d'entre eux, quoique
très douce, la mer n'est pas aimable. Sur l'avant, nos
animaux amarrés baissent la tête. Le schérif Mohamed
ben Nachir et Hamadou-Ba, tous deux assis sur une
natte, prennent une tasse de thé et paraissent faire bon
ménage.
L'allure flegmatique d'Hamadou fait contraste avec
celle du vieillard, qui gesticule beaucoup. De toute
petite taille, Mohamed-ben-Nachir a la peau presque
blanche; du reste, il est Marocain.' il est velu à la mode
•le son pays ; sa tête, fine et régulière, est coiffée d'un
fez rouge qu'entoure un épais turban blanc. Il a les
pieds nus qui sont-, ainsi que ses mains, d'une finesse
remarquable.
Ce descendant du Prophète ne déteste pas la plai-
* LE RIO-NUNEZ 21
santerie. Passant près de lui, il m'invite à prendre une
tasse de thé. Il me fait traduire ses paroles par Hama-
dou-Ba : «Je serai très heureux au Fouta, c'est un beau
pays.» Puis, plaçant les deux poings sur ses pectoraux,
il me dit qu'à Timbo toutes les filles sont belles et que,
comme formes, elles ne laissent rien L désirer.
Hamadou-Ba, homme d'une assez grande taille, est
un Peulh, fils du chef de Coladé, une des provinces du
Fouta. Tout jeune, il est venu au Sénégal avec sa mère,
il a grandi au milieu des Européens ; quoique fervent
musulman, il a pris beaucoup de nos habitudes.
Devenu homme, Hamadou-Ba se fit traitant, c'est-à-
dire employé de commerce au service des maisons eu-
ropéennes, pour tenir des comptoirs sur les points les
plus éloignés de la côte.
Fortement recommandé par plusieurs négociants de
Gorée, où il habite, Hamadou-Ba a été présenté au
docteur comme un excellent homme, d'une parfaite
loyauté. Il parle médiocrement le français, mais il le
comprend très bien.
Neuf mois de voyage ensemble m'ont appris à .'e con-
naître. Malgré son attitude si tranquille, c'est un gar-
çon .violent au delà de toute mesure. Mais je suis heu-
reux de rendre hommage à ses qualités, qu'on ne
trouve que fort rarement chez les interprètes noirs.
Complètement Français de coeur, cet Africain a servi
les intérêts de notre nation avec beaucoup de dévoue-
ment.
Comme interprète de l'ambassade peulh, il est venu
avec nous en France. Sur la proposition de M. le mi-
nistre du commerce et des colonies, M. le Président de
la République a décerné à Hamadou-Ba une médaille
d'honneur de première clas?e en argent.
Une autre personnalité de notre caravane, qui ne
manque pas non plus d'originalité, c'est Mahamarfi-
Bayla, notre chef muletier. Toucouleur du Fouta-Torro,
22 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
né sur les bords du Sénégal, Mahamadi-Bayla a passé
sept ans dans le train d'artillerie de marine. Hautain,
fier, aimant plutôt à commander qu'à obéir, il a quitté
le train parce qu'on ne le faisait pas brigadier.
Le docteur le connaissait déjà, quand nous te ren-
contrâmes, flânant dans les rues de Dakar. La tenue de
ce personnage sent l'ancien militaire. Il est coiffé d'une
haute schéchia, sous laquelle passent quelques courtes
nattes de cheveux graisseux ; sa figure d'un beau noir
est d'un aspect dur et énergique ; l'oeil est légèrement
enfoncé ; deux cicatrices de balles, de chaque côté du
nez, donnent à son masque un air étrange ; quelques
poils d'une barbe très courte et très frisée ornent son
menton.
Moitié civil et moitié militaire, son costume se com-
pose d'un pantalon d'artilleur, d'un petit boubou qui
descend jusqu'à mi-cuisse et d'une redingote noire,
usée jusqu'à la corde, cadeau de quelque Européen. H
va pieds nus, une badine à la main, et se cambre de ma-
nière à ne pas perdre un pouce de sa belle taille.
Lorsque son engagement fut conclu, il demanda au
docteur, puisqu'il était chef muletier, de mettre sur ses
manches tes galons de brigadier, afin d'avoir de l'au-
torité sur ses hommes, ce qui lui fut accordé. Deux
heures après, les manches de sa redingote étaient ornées
de deux galons de laine rouge et Mahamadi-Bayla
venait demander au docteur la permission d'aller à
Rufisque pour se marier; en outre, il sollicitait une
avance de cinquante francs, afin de donner un acompte
sur la dot aux parents de sa future, désirant entrer en
ménage de suite, disait-il.
Après deux jours d'une navigation monotone, pen-
dant laquelle M. Billet ne cessa d'avoir la fièvre, le
Castor mouillait à l'entrée du Rio-Nuncz.
Le samedi 7 mai, à midi, nous levons l'ancre. Une
heure après, nous entrons dans le Rio-Nanez, qui a six
LE RIO-NUNEZ 23
milles de largeur à son embouchure. Malgré l'éloigne-
ment de ses bords, la végétation nous parait superbe.
A mesure que nous avançons, les rives se rappro-
chent, ce qui nous permet d'admirer cette verdure
éternelle. Les palétuviers forment sur les berges une
barrière épaisse, d'où émergent les palmiers, les fro-
magers, les tellis, qui reflètent leurs ramures dans
les eaux.
Sur la rive gauche s'étend le pays des Bagas, petite
république presque inconnue des Européens. Ces gens
paisibles aiment leur solitude et seraient désolés d'être
dérangés par des blancs, lis font peu d'échanges avec
les factoreries. De plus, l'inclémence de leur territoire
bas et marécageux, où la fièvre règne en permanence,
n'engage guère les négociants à y établir des comp-
toirs. La rive droite est aux Nallous.
A quatre heures, nous passons devant Victoria. Ce
petit village, assis sur la rive droite, est la première
station commerciale du fleuve. Tout au bord de l'eau,
une maisonnette blanche, couverte de tuiles rouges, se
détache sur le fond de verdure qui l'entoure.
Le pavillon français flotte sur celte habitation, qui
sert de douane. Quelques bâtiments en pierres et en
bois abritent les facteurs. De nombreux palmiers se
profilent sur le ciel.
Plus haut, nous apercevons sur la rive opposée te
village de Katounou, qui, vu du navire, paraît impor-
tant. Ses cases quadrangulaires en terre, recouvertes
d'un toit de chaume, sont spacieuses. Un fromager au
tronc colossal, quelques pirogues amarrées dans une
crique ombragée qui sert de port au village, complètent
un paysage cjiarmant.
La marée, déjà trop descendue, empêche le Castor de
remonter plus haut et nous mouillons à Kounchouk, en
face de Alicia-Faclorerie, appartenant à M. Mallat.
Les chambres du navire sont devenues inhabitables
24 A TRAVBR8 LB KQUTA-DIALLON

et nous couchons tous sur le pont. Pendant la nuit, la


rosée a été si abondante qu'au jour nous nous réveillons
tout mouillés.
Le docteur, qui a passé la nuil à la fnc'orerie, nous
annonce qu'après le déjeuner nous soi.imes invités à y
descendre prendre le café : du café du Rio-Nunez.
A l'extérieur, Alicia-Factorerie, quoique construite en
terre et recouverte en chaume, ne manque pas de ca-
chet. Un escalier de six marches, couvert par un avant-
toit, conduit à une vaste vérandah, qui fait le-tour de
l'habitation et sur laquelle s'ouvrent les appartements.
Ces derniers sont vastes et spacieux; l'air y circule li-
brement et l'épaisseur des murs et du (oit protège
convenablement des rayons du soleil.
La chambre où nous nous trouvons sert de salle à
manger et de chambre à coucher à M. Mallat. Une large
fenêtre donne sur la vérandah. Une table, quelques
chaises, un lit de fer et un petit bahut en constituent le
modeste mobilier. Une chambre, où couchent tes em-
ployés, et une vaste pièce servant de magasin complè-
tent la distribution intérieure de l'habita'tion.
En échange de boules de caoutchouc, d'arachides,
d'amandes, de palmes, de peaux de boeufs ou d'ani-
maux féroces; en un mol, en échange de tous les
produits du pays, l'indigène trouve à Alicia-Factorerie
tout ce qui est nécessaire à ses besoins et à ceux de sa
famille : armes, poudre, étoffes légères pour se vêtir ;
ambre, corail et verroterie, celle bijouterie de clinquant
du pays, que le noir achète de préférence pour l'offrir
à sa belle.
M.'Mallat nous présente un vieillard qui est accroupi
dans un coin de la case. Agé d'au moins ^quatre-vingt-
dix ans, complètement édenté, tes yeux renfoncés, ce
vieillard est coiffé d'ua chapeau haut de forme, dont le
poil a complètement disparu;, un torchon, sorte de
blouse de couleur bleue, sale, usée jusqu'à la corde,
LE RIO-NUNEZ 25
couvre son corps amaigri ; ses pieds sont chaussés de
souliers qui, jadis, furent vernis.
— Il s'appelle Matchet-Laïj (nom q'»i signifie ser-
pette), nous dit M. Mallat; chef des Nallous, il habite
ce village; de plus, c'est mon propriétaire. Vous pa-'
raissez surpris? C'est cependant.la vérité! je suis le lo-
cataire de Matchet-Laïj. Il ne faut pas que je sois en
retard pour mon terme, sans quoi il ne sortirait pas de
la maison avant d'être payé. Outre le prix convenu
pour le location, je suis tenu 4e remplacer ses sou-
liers vernis quand ils sont usés. Tel que vous le voyez,
Matchet-Laïj a les deux pieds veufs de leurs petits
orteils, et ce sont les souliers vernis qui en sont cause.
C'est par suite d'une aventure que je vais vous conter,
tout en prenant le café, si vous le voulez bien.
Dans sa jeunesse, — il y a bien longtemps I Mat
chet-Lalj était un Don Juan dont la coquetterie et la —
galanterie étaient proverbiales dans le pavs, aussi était-
il cité comme le plus grand mauvais sujet du fleuve. Un
jour qu'un traitant, établi dans son village, lui avait
fait cadeau d'une paire de souliers vernis, il se hâta de
les meltre, pressé qu'il était de faire faraud, comme
disent les noirs. Avec beaucoup de peine, il avait
chaussé un pied ; mais l'autre, jaloux de sa liberté, était
plus rébarbatif. C'était le petit orteil qui, parait-il, refu-
sait absolument d'entrer.
Tenant à être bien chaussé, il n'hésita pas, et, pre-
nant un rasoir, il abattit le petit doigt récalcitrant. La
douleur lui donna la fièvre et le força de se coucher.
Très abattu, il ne tarda pas à s'endormir; pendant son
sommeil, l'esclave favori (les Nallous ont des esclaves),
entrant dans la case, resta stupéfait en voyant qu'il
manquait un doigt à l'un des pieds de son maître,
quand l'autre était au complet. Grand amateur de la
symétrie, sans doute, et croyant remplir son devoir, ce
captif dévoué prit le rasoir et, prestement, rétablit* IV'-
26 A TRAYBRS LB FOUTA-DIALLON
quilibre. Poussant un cri, Matchet-Ulj se réveilla, mais
il était trop tard... Les deux victimes gisaient à terre.
Au bout de quelques jours les plaies se cicatrisèrent
et, à sa grande joie, Matchet-Laïj put chausser ses sou-
liers vernis.
Qu'en résulta-t-il? Je ne saisi Probablement, les sou-
liers vernis, faisant l'office de miroir, attirèrent les
beautés du pays, comme des alouettes, et c'est ce qui
fit au jeune chef cette réputation dont on garde le sou-
venir dans le Rio-Nunez... Mais tout s'use, les~soùliers
eurent le sort commun et il fallut les remplacer. Le lo-
cataire d'alors se chargea de ce soin, et, depuis, une
convention passée entre le chef de Kountchouck et son
locataire oblige ce dernier à pourvoir au remplacement
des chaussures usées.
Pendant ce récit, qui n'étonnera pas ceux qui con-
naissent les noirs, le vieux Matchet-Laïj, toujours
accroupi dans son coin, voyant de temps à autre nos
yeux se diriger sur lui, souriait malicieusement. M. Mallat
lui dit qu'il venait de nous conter l'histoire de ses chaus-
sures. Le vieux chef agita la tête, en signe d'approba-
tion, et, afin de nous convaincre, retira ses souliers
pour nous montrer les pièces à conviction.
Bon musulman, parait-il, le vieux Matchet-Laïj n'a
trouvé qu'un avantage dans le voisinage des blancs, c'est
qu'ils ont apporté des coqs, dont le chant matinal le
réveille de bonne heure pour faire Salam.
' Je n'ai jamais bu de meilleur café que celui que nous
venons de savourer. Connu sous le nom de café du Rio-
Nunez, c'est de l'intérieur qu'il est apporté à Boké et
dans les comptoirs de la rivière. 11 parait qu'au Sénégal
ce café coûte très cher et que l'on n'a pas la certitude
de l'avoir sans mélange.
Quelques pieds de vigne du Soudan poussent dans la
couç de la factorerie. M. Mallat n'a jamais essayé d'en
tirer parti.
LB RIO-NUNEt 27
f.a marée montante permettant au navire de conti-
nuer sa route, nous regagnons le bord et : machine en
avant!
Le fleuve se rétrécit de plus en plus. Toujours la
même végétation. De temps à autre, les rives déboisées
nous permettent de voir des champs fort bien cultivés.
Successivement, nous passons devant Gama-Saint-Jean,
importante factorerie située sur la rive gauche ; trois
milles plus haut, nous passons encore devant une fac-
torerie, située près du village de Canopié, résidence de
Youra, roi des Nallous. tinfln, nous mouillons devant
Bel-Air, village de la rive droite. Le tonnage de Cailor
ne lui permet pas de monter plus haut, et nous allons
être obligés de continuer notre route, soit par terre,
soil par eau, jusqu'à Boké.
Bel-Air est un petit village indigène, qui doit son im-
portance à deux grandes factoreries,construites complè-
tement eh pierre ; l'une appartientà la maison Verminck,
l'autre à la maison Blanchard. Une superbe forêt de
palmiers entoure le village.
Dans une des cases de cette station commerciale, je
vis un des plus beaux spécimens de l'art nègre, une
poupée sculptée dans un morceau d'ébène. Deux clous
de cuivre plantés au milieu de la tête remplaçaient les
yeux de celte statue et deux protubérances énormes sur
la poitrine indiquaient que l'artiste avait voulu repré-
senter une femme. Je demandai à une' superbe négresse
couleur chocolat, propriétaire de celte oeuvre d'art, de
bien vouloir me la céder; avec force gestes, elle me fit
comprendre qu'elle refusait : la statue était un fétiche!
Le lundi 9 mai, à midi, M. Billet, Hamadou-Ba, le
shérif et moi, nous nous embarquons dans un sampan
(sorte de gondole avec une cabine à l'arrière). Six vi-
goureux noirs sont au banc des rameurs. Laissant le
docteur, qui avec notre cavalerie se rendra à Boké par
•^v'-'\^'""-'-'if-iritiVli|lï'LIB' TÔÙTÀ»P!AUOW
terre, nous partons suivant notre flottille de chalands
déjà en route*.
Après cinq heures de navigation, pendant lesquelles
pos rameurs noirs, chantant on refrain monotone pour
s'exf ''»!, 'ont pas lâché les avirons, nous stoppons au
pied > i'' «olline où est assis le poste fortifié de Boké,
point ext-ême de nos possessions du Rio-Nunez, qui
marque la dernière étape de notre civilisation.
BOKÉ 29

111

BOKE

Je crois intéressant de placer ici une longue lettre


datée de Boké, adressée à mon ami le docteur Paul La-
barthe. Ecrite sur l'impression du moment, elle vaudra
mieux qu'un récit fait de souvenir. La voici :

< Poste de Boké (Rio-Nunez), 17 mai,


quatre heures du malin.
Encore quelques heures et notre mission, au complet
celte fois, quittera Boké pour l'inconnu.{Je viens de
passer cette dernière nuit à mettre en ordre mes baga-
ges et à écrire quelques lettres, que le commandaut
veut bien se charger de faire parvenir à leur adresse,
J'âîfait un agréable séjour à Boké, o'est pourquoi je te
donne les détails suivants :
Nous sommes arrivés à Boké, le 9 mai, au soir. Dès
le lendemain, chacun de nous s'est mis à la besogne,
30 A TRAVBR8 LB FOUTA-DIALLON
afin de partir avant les grandes pluies. Voulant avoir le
plus de chances possibles de succès, le docteur Bayol a
demandé à M. Marius Moustier, chef de la factorerie
Verminck, s'il voulait bien faire partie de notre mission.
M. Moustier a accepté. Nous en sommes très heureux,
car, habitant Boké depuis neuf ans, il est en rapport
aveo beaucoup d'indigènes de l'intérieur qui viennent
faire des échanges à sa factorerie.
Tu ne peux, cher ami, te faire une idée de la quan-
tité et de la diversité des marchandises nécessaires pour
un voyage semblable. Aux burnous, écharpes, coraux,
ambres, armes, que nous avons emportés de France,
il faut joindre des cotonnades tleues et blanches, des
indiennes, des verroteries, de la coutellerie, des aiguilles,
des boutons, etc;, et enfin de l'argent monnayé. Nous
avons cinq mille francs en pièces do cinq, de deux, et
de un franc, de cinquante et de vingt centimes. Ajoute
à toute cette pacotille nos bagages particuliers, la can-
tine de cuisine, les instruments d'astronomie et de
photographie, la pharmacie, nos provisions de vivres
conservés (25 caisses) et rends-toi compte du personnel
qu'il faut adjoindre à nos quatre mulets pour porter
cela.
La saison des pluies, dans laquelle nous entrons, rend
I e recrutement très difficile. Cependant nous avons tout
notre monde. Aux Ouolofs que nous avons pris à Dakar
et qui forment notre garde du corps, nous ajoutons dix
Landoumans, vingt Foulahs, quinze Kraômans/deux
interprètes : Alfa Oumarou et Master Rider, trois
guides, deux bergers chargés de conduire quatre petits
boeufs, l'envoyé du roi des Nallous : Bou-Bakar et son
domestique ; enfin, avec deux femmes qui accompagnent
leurs maris, nous formons une caravane de cent vingt
personnes, quatre chevaux et quatre mulets.
Malgré tout ce monde, nous sommes obligés de
laisser lentes, hamacs et vivres trop encombrants.
Vt f BOKÉ 31
La répétition du départ a eu lieu; je crois que cela
marchera très bien.
Pendant que ces messieurs se sont occupés de l'ins-
tallation, j'ai fait de la photographie. Malheureusement
mes efforts n'ont pas été couronnés de succès, j'ai eu
moins de chance qu'à Dakar. La forle chaleur qu'il fait
ici, 37% a détruit tous mes clichés, sauf une douzaine
que j'ai pu sauver, un jour où une pluie torrentielle
avait considérablement rafraîchi l'atmosphère.
—Je crois t'avoir dit, dans mon précédent courrier,
.
qu'un shérif, Mohamed-Ben-Nachir,devait nous accom-
pagner et faciliter notre marche dans l'intérieur. C'est
un farceur qui s'est joué de nous! Maintenant qu'il
est à Boké, il prétend qu'il est trop vieux pour nous
accompagner et qu'il ne pourrait supporter les fatigues
d'un voyage pendant la saison des pluies.
J'ai recueilli des renseignements sur les moeurs des
habitants de Boké, appelé aussi Kakandy, qui est le
centre, d'un tout petit Etal habité par les Landoumans.
Sarah, le roi de cette nation, y a établi sa résidence.
Bien que n'ayant rien d'une capitale, ce village n'en
est pas moins un point commercial important. Cons-
truit sur le versant d'une colline, au point extrême du
Hio-Nunez navigable et au confluent de ce fleuve avec
le Balafon, ruisseau très ombragé, Boké, jouissant d'un
climat relativement salubre, était tout indiqué aux né-
gociants européens, qui allaient au-devant des produc-
teurs, comme station où les transactions devaient être
avantageuses.
Il y a longtemps déjà que les blancs échangent les
productions européennes contre le caoutchouc, les
amandes de palmes,les arachides, le sésame, les peaux,
l'ivoire, le café et l'or, que les habitants de l'intérieur
apportent de très loin.
Tout n'était pas rose, pour ces négociants vivant au
milieu d'une population demi sauvage, qui ne trouvait
32 A TRAVBR8 LB FOUTÂ-OIALLON

d'avantageux dans le voisinage des blancs que les li-


queurs fortes qu'ils leur fournissaient. Souvent un né-
gociant était battu, son magasin pillé et ruiné, il
n'avait plus qu'à quitter le pays.
Ce fut pour faire cesser cet état de choses, dont plu-
sieurs de nos nationaux avaient été victimes, que le
général Faidherbe, alors gouverneur du Sénégal, songea
à élever à Boké un poste fortifié.
Aujourd'hui, Boké est devenu une résidence presque
'agréable. Au blockhauss primitif on a adjoint un pavil-
lon à un.étage, qui sert d'habitation aux officiers. Une
autre construction; n'ayant qu'un rez-de-chaussée,
abrite les sous-officiers et les soldats européens. Le
blockhuusssertde caserne aux tirailleurs indigènes céli-
bataires et deux chambres sont réservées aux étrangers
de passage.
Les cuisines, la prison, les magasins, le parc aux
bestiaux, complètent l'ensemble du fort qui est entouré
de fossés.
C'est vraiment un plaisir pour le Français qui
remonte le Rio-Nunez de voir, au dernier détour du
fleuve, flotter notre drapeau sur cette coquette maison
blanche qui domine la rivière.
Une route assez rapide, traversant un jardin très soi-
gné, planté sur le flanc de la colline, conduit à l'entrée
du fort. Au milieu de la cour, ornée d'orangers et de
citronniers, une pyramide quadrangulaire est élevée à
la mémoire du voyageur René Caillé. Deux plaques de
bronze,, scellées sur deux des faces du monument, por-
tent ces inscriptions :
« Parti de ce lieu le 19 avril 1827, René Caillé arriva
» lo 7 septembre 1828 à Tanger, après avoir passé à
» Tombouctou.
» Sous le règne de Sa Majesté Napoléon III, M. le
> marquis de Chasseloup-Laubat étant ministre de- la
» marine et des colonies, et M. le général Faidherbe,
^y ! * ' BOKÔ 33
• gouverneur du Sénégal et dépendances, ce raonu-
» ment a été élevé à la mémoire de l'illustre voyageur
«René Caillé. »
Deux pièces do quatre sur les glacis, un vieux canon
en fonte absolument hors d'usage et qui inspire cepen-
dant une vive terreur aux habitants, voilà toute l'artil-
lerie du fort.
Des glacis du poste, la vue est très belle. Eu regardant
le couchant, aussi loin que la vue peut s'étendre, on suit'
tes nombreux détours du Rio-Nunc-z qui court vers la
mer au milieu des magnificences de la végétation tou-
jours verte, toujours fleurieI Du côté de l'Est, la tue
s'étend sur le plateau du mont Saint-Jean et s'arrête
sur la forêt qui borne l'horizon.
.

Non loin du poste, dans un fouillis de bananiers et de


fromagers, on aperçoit le sommot des casas, une ving-
taine, qui forment le village habité par les tirailleurs
indigènes mariés.
Le poste et la factorerie Ycrminck sont les seuls bâti-
ments construits à l'européenne. Quelques autres fac-
toreries moins importantes, bâties sur le bord du
fleuve, sont construites soit en argile, soit en bois. De
nombreuses cases rondes, semées çà et là, sans symé-
trie, constituent le pittoresque village de Boké, que lu
connais maintenant aussi bien que moi.
Mercredi dernier, le 11 mai, nous avons eu la pre-
mière tornade. Ahl mon ami, selon l'exclamation
célèbre : que d'eau! Pendant deux heures ce fut un
vrai déluge ; la pluie tombait eu colonnes grosses comme
le petit doigt. Il parait que le moins qui puisse nous
arriver/c'est de recevoir tfne averse pareille tous les
jours pendant sopt mois. C'est engageant. Pour changer,
jeudf et vendredi nous avons eiï la pluie toute la jour-,
née. Ce n'est pas désagréable, quand l'on est abrité ; ta
température est moins pénible.
En compagnie de M. Keffer, le médecin du poste, j'ai
\.:.-:\- 3
34 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
fait quelques promenades dans les environs. J'ai été
péniblement impressionné en voyant, au milieu de la
plaine,' quelques pierres tombales à moitié enfouies
sous la terre : c'eit le cimetière des blancs.
Deux médecins, un officier, quelques négociants dor-
ment là du dernier sommeil. Mais dire sous quelle
pierre chacun repose est impossible ; pas la moindre
inscription I Ayant demandé au docteur comment les
noirs enterrent leurs morts, il me conduisit à un cime-
tière indigène. Sur le bord du chemin quelques turau-
lus chargés de pierres et d'épines, pour protéger les
cadavres contre les animaux féroce?, et c'est tout. Une
fosse à moitié défoncée laisse voir des débris de cada-
vres; cela sent bien mauvais.
Pour enterrer leurs morts, les Landoumans creusent
une fosse de deux ou trois pieds de profondeur, étalent
au fond un lit de cailloux, couchent le cadavre dessus,
puis, afin de l'isoler, posent des traverses faites de bran-
ches d'arbres tout le.long de la fos$e, et recouvrent
avec la terre sortie du trou. Il arrive que pendant la
saisondes pluies, la terre s'effondre, et parfois une par-
tie du cadavre est à découvert.
Longeant au retour un petit bois charmant, je m'en-
fonce dans les taillis à la poursuite d'un engoulevent.
J'arrive au milieu d'un-vaste berceau de verdure où la
végétation est si touffue que le soleil y pénètre à peine.
Tout autour d» la place des petits morceaux de bois
façonnés, des queues de mouton, des cornes de chèvre,
sont accrochés aux branches. Au pied d'un énorme fro-
mager, quatre tams-tams (tambourins faits d'un tronc
d'arbre creusé et recouvert d'une peau de boeuf) sont dé-
posés. * •
Surpris, j'appeHe le docteur qui me dit : « Nous
'sommes dans le bois sacré des Simos; il faut décamper
au plus vite, car si les sectateurs de cette religion nous
surprenaient, ils nous feraient un mauvais parti, s II
" " BOKé 35
.
parait même que tout profane surpris dans le bois sacré
est mis amorti.,.
Les Landoumans sont généralement fétichistes; peu
d'entre eux professent la religion musulmane. Aussi le
vin de palme, les liqueurs fortes sont en grand honneur
dans la contrée, où il n'est pas rare de rencontrer des
pochariJs.
Les Simos forment l'une des nombreuses sectes reli-
Sleuses du pays, et la plus importante. Cest une sorte
e franc-maçonnerie, dont le grand-maltre porte le
nom de la société : Simos. Il est h la fois juge et légis-
lateur. Les initiés et même les profanes ont pour lui
une grande vénération. Il habite au milieu des bois et,
quand il est appelé pour des initiations, il ne se montre
que déguisé aveo des peaux de bêtes, ou couvert de
branches d'arbre de la tête aux pieds. Il annonce sa pré-
sence par des hurlements et, seuls, les initiés peuvent
le regarder. Les profanes croient qu'ils mourraient im-
médiatement, si leurs yeux se reposaient sur te Simos.
Les initiations n'ont lieu que deux ou trois fois par an.
les candidats doivent avoir de douze à treize ans.
Les parents qui désirent faire initier leurs enfants aux
mystères du Stmos avertissent le grand chef qui, déguisé,
se rend à l'endroit indiqué, pour circoncire les nouveaux
venus. A cette occasion a lieu une grande fête, qui dure
plusieurs jours et dont les parents font tous les frais.
Les fêtes terminées, le Simos emmène ses adeptes au
milieu des bois, où ils restent de sept à huit années,
temps nécessaire à leur éducation. Ils vont presque nus,
habitent de petites huttes et vivent dans l'oisiveté la
plus complète, avec les présents faits au grand maître.
.
' Quand le Simos ou ses initiés rencontrent un homme
dans les bois, ils lui demandent le mot de passe; s'il
répond juste, ils le laissent passer; dans le cas con-
traire, ils le frappentà coup de fouetou de bâton etl'èm-
36 A TRAVBR8 LB fOUTA-DIALLON
mènent aveo eux ; s'il veut recouvrer sa liberté, il doit
payer rançon.
Les Simos ne brillent pas par la galanterie. S'ils ren-
contrent une femme profane, ils la battent tellement
que parfois mort s'ensuit.
Au bout des huit années consacrées aux études (je
n'ai pu avoir aucun renseignement sur ces fameuses
études), si les parents veulent reprendre leur enfant,
ils envoient des pagnes neufs, une ceinture garnie de
petits grelots de cuivre pour le jeune homme, et des
liqueurs fortes, du tabac, des étoffes pour le grand
chef. Le jour où a lieu la fête du retour dans la famille,
le Simos annonce par des hurlements qu'il sera visible
pour tout le monde. Ses adeptes soufflent dans des
cornes de boeuf et font un vacarme effrayant;
Tous les initiés, parés de leurs plus beaux vêtements,
vont, musique en tête, chercher le grand rm;,re au
milieu des bois ; il est amené au village en grande
pompe. Les tams-tams résonnent, les chants reten-
tissent, les battements de main éclatent ; puis, comme
aucune fête n'est complète s'il n'y a banquet, on lue
moulons, boeufs, etc. Le vin de palme coule à flots, les
liqueurs fortes circulent, on chante et tout le monde est
content.
En récompense du beau cadeau que la famille de l'a-
depte lui a fait, le grand chef donne à son élève un long
pieu en bois, où flotte un lambeau d'étoffe. Ce précieux
talisman préservera l'initié de toutes les calamités :
planté devant sa porte, il mettra en fuite les voleurs,
-guérira toutes les maladies et, quand l'adepte aura du
chagrin, il n'aura qu'à invoquer son Simos pour faire
tomber'toutes les difficultés.
Sous le rapport de la superstition, les Landoumâos
n'ont rien à nous envier et les graads-prôtres de Boké
en_tirent de gros bénéfices.
Malgré toutes ces cérémonies grotesques, je suis porté
^ 80K* 37
jr croire que celte seote est guidée par des sentiments
plus grands et plus nobles qu'on ne pourrait croire.
Je tiens de la personne qui m'a donné ces renseigne-
ments que les Captifs qui se réfugiaient chez le Simos
étaient initiés et cessaient d'être esclaves.
J'ai en l'honneur, ces jours passés, de déjeuner avec
Dinah, fils de Youra, roi des Nallous. Cet aimable
prince, que j'avais déjà entrevu à bord du Castor, est
venu faire visite au nouveau commandant, qui l'a retenu
à déjeuner. J'ai été surpris de la bonne tenue de ce
moticaud. Il joue de la serviette, du couteau et de la
fourchette comme un gentleman. Il se mouche dans un
mouchoir ! Fervent Musulman, il ne boit que de l'eau ;
par conséquent, il ne se grise pas; de plus, il a sur nous
celte grande supériorité qu'il peut manger avec ses
doigts, et proprement, ce dont je défie un blanc. Très
familière, son Altesse, en me tutoyant, me dit : —Ta
mère va bienT — Parfaitement.
Il y a deux jours, Bayol reçut un billet ainsi conçu :
« Monsieur Boucher invite monsieur le docteur. Bayol
et ses employés (sic) à assister au tam-tam qu'il donne
ce soir. »
Après dîner, nous nous rendîmes à l'invitation de ce
négociant. Déjà la fête était commencée et le bruit des
tams-lams, le chant des femmes appelaient les retarda-
taires.
M. Boucher nous fit asseoir autour d'une table char-
gée de rafraîchissements. Dans un vaste cercle formé
par la population, toujours avide de ces spectacles, un
grand feu de paille que l'on alimentait sans cesse
éclairait la scène.
À notre arrivée, la danse cessa un instant. Était-ce
l'émotion que causait à ces vierges noires la venue des
visages pâles? Non. C'était par respect pour le com-
mandant qui, dans ces pays, jouit d'un pouvoir absolu.
38 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLW V
»

Deux musiciens, si toute/ois des tambours sont des


musiciens, sont accroupis près du foyer.
Quatre jeunes filles du plus beau noir, si légèrement
vêtues que mieux vaut dire qu'elles ne te sont pas, nous
donnent l'impression de superbes statues de bronze.
Si court qu'il soit, le pittoresque costume desMan-
seuses Landoumansmérite une description.
Un madras, négligemment noué sur la tête, enve-
loppe les cheveux. Un petit masque, tressé en perles de
couleur, cache le front et .les yeux.
Des colliers de perles diverses, de coraux, de boules
d'ambre, où pendent des grigris, entourent le. cou.
Quatre à cinq colliers de perles blanches en faïence
entourent la chute des reins et retiennent un petit
tablier en perles de couleur, garni de petits grelots.
Quelques tresses de coton noir, portant à leur extré-
mité une sonnette en cuivre, sont attachées à la cein-
ture et pendent jusqu'aux genoux.
Des bracelets en argent, en fer ou en perles, selon la
fortune de la danseuse, ornent les bras et les chevilles
et complètent ce costume aussi original que succinct.
Les tambourins, les chants, les battements de main
retentissent de nouveau. Une des quatre danseuses se
détache du groupe et, abaissant son masque sur les
yeux, elle pose un genou en terre et salue les musi-
ciens. Se relevant par un mouvement brusque, la dan-
seuse rejette ses bras en arrière, agite fébrilement ses
mains, glisse lentement en parcourant le diamètre du
cercle. Ses pieds ne quittent pas le sol, un tremblement
général agite son corps; ses mains se crispent, quand
la batterie des tambourins redouble d'intensité; son
torse se déhanche, frémit, ses bras se nouent sur sa
tète-
La jeune vierge a dansé. Le corps ruisselant de sueur,
elle regagne sa placent, aussi aisément que si elle buvait
de l'eau, elle avale un grand verre* de genièvre.
- c BOKÉ * 39
La danse continue. Une autre jeune fille, aux traits
presque européens, aux formes sculpturales, entre en
scène. C'est toujoursle même pas. Suivant le conseil de
mon voisin, je pose ma coiffure sur la tête de cette dan-
seuse. Alors son pas devient vertigineux. Il parait que
c'est un grand honneur, pour une danseuse, d'être ainsi
coiffée par un homme.
La danse terminée, celle jeune personne vient à moi,
pose .un genou à terre et me rend mon chapeau. Admi-
rant celte beauté brune comme la nuit, je lui prends
la main pour la relever... '
Pouah 1 elle sent le rance ! '
La fête ne devant se terminer qu'à une heure très
avancée, nous prenons ongé de ces vierges Landou-
mans, dont la danse, pour me servir de l'appréciation
de Bayol, est pudiquement lascive.
Tu vois, cher ami, que j'ai fait un agréable séjour à
Boké. J'en aurais encore long à le conter, mais le temps
me manque et puis,dans la suite, j'aurai d'autres sujets
d'étude peut-être plus intéressants...
ï;# ^ 5; A5*ftÂV^RS;^ F$tffA-DlALTrf$H<

IV

MAUVAIS PRÉSAGE?

Le mardi 17 mai, à six heures du malin, au grand


complet, la mission est réunie dans la vaste cour delà
factorerie Yerminck.
Les mulets sont chargés, les chevaux sellés. Chacun
essaie de reconnaître sa charge.
— Cette charge est à moi. .

— Non!
— Si !
.

— Non! etc.
Cesl un tohu-bohu indescriptible.
A l'instant du départ, un essaim d'abeilles, qui s'abat
dans la cour, met le comble au désordre. La plupart de
ces noirs, douillets comme des jeunes filles, se sauvent
de tous côtés. Plusieurs, qui sont piqués, rentrent chez
eux ; impossible de les rallier et quatorze charges restent
sans porteurs.
,1> ^ .
MAUVAIS PRÉSAGES 4t
A >eP^ heures, sachant que les noirs ne sont jamais
pressés de partir et ne voulant pas compromettre le
dépari, le docteur Bayol monte à cheval et ouvre la
marche. '
Quand nous passons devant le poste, qui salue de
deux coups de canon le pavillon de la mission, le
commandant, le médecin et toute, la garnison nous
serrent une dernière fois la main.
Suivant la direction de l'Est, nous ne tardons pas à
entrer dans la forêt, que nous ne quitterons plus qu'à
de rares intervalles. Notre caravane n'a rien d'une
colonne; marchant en désordre, nous tenons une lon-
gueur de trois kilomètres.
Il est vrai que le sentier est étroit et rocheux, embar-
rassé de racines, d'arbres renversés, ce qui rend la
marche difficile. A chaque instant il faut, à l'aide de
la hache et du sabre d'abatis, élargir le chemin afin de
ermeltre aux mulets de passer.
Les Ouolofs, qui n'ont pas l'habitude de porter sur la
tête et qui habitent un pays où il n'y a que du sable,
trouvent les roches ferrugineuses peu de leur goût; ils
*murmureht et s'arrêtent à chaque instant. Les autres
porteurs, Kraomans, Landoumans et Peuhls, marchent
sans se plaindre. S'ils n'ont pas plus que le poids régle-
mentaire sur la tête, la nature du sol leur importe peu,
ils ont l'habitude des roches; aussi se moquent-ils des
Ouolofs qui font piteuse mine.
La façon de marcher de ces gens qui font métier de
porteurs, est assez curieuse. Ayant assujetti leur charge
dans une grosse corbeille, étroite et longue, faite avec
les lianes de la brousse, tenant à la main un bâton en
bambou de leur taille, la charge bien assise sur leur
tête, tes- porteurs courent pendant un quart d'heure
environ et, avisant un arbre au tronc peu élevé et four-
chu, ils y posent leur ballot en équilibre et le soutien'
nent avec leur bâton. De cette façon, lorsqu'ils »e
42 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
remettent' en route, ils n'ont besoin d'aucuq secours
pour se recharger. Tout te long du sentier, à droite ou
à gauche, on rencontre des arbres, à l'écorce usée, qui
serrent de chèvre-à-porleur.
A midi, par une chaleur de 37* centigrades, après
avoir traversé d'épais taillis, des plaines dénudées, se-
mées de pierres ferrugineuses, franchi à gué deux cours
d'eau assez larges, je rejoins le docteur, qui, arrivé depuis
une heure a la station, a fait installer le campement.
Contre notre attente, il n'y a pas la moindre trace de
village à Banlam-Koutou. C'est une clairière qui lire
son nom d'un- énorme fromager (bombax Binténier),
sur lequel le tonnerre est déjà tombé deux fois; un
petit torrenl coule au pied du binténier.
Bantam-Koulou signifie Binténier du tonnerre.
Le voyage s'annonc; mal. M. Billet,'en proie à un
violent accès de fièvre, est é.tendu à l'ombre d'un gourbi
dressera la hâte. Il prévoit qu'il ne pourra supporter les
fatigues de la route et demande .à rentrer en France.
Comme M. Billet est chargé de la partie scientifique de
la mission, ses services nous feront grand défaut. Mais
il n'y a pas à hésiter, sa forte constitution n'est pas
faite pour ces chauds climats. Son départ est décidé el
demain, avant le jour,- escorté de trois hommes, il re-
tournera à Boké (1).
Au passage d'un ruisseau, appelé Oré-Maoba, l'em-
barras de la rive opposée nous contraint à décharger les
mulets. Celui qui porte mon bagage photographique
ne peut franchir ce passage et tombe pour ne plus se
relever.

Pourtant, si ta roule nous semble pénible, pour les
(1) Deretour en France, M. Billet fut attaché, en qualité
d'astronome, à la mission du docteur Crevaux, chargée d'ex-
plorer le rio de La Plata. La mission, on le sait, fut complè-
tement massacrée par les Indiens Tobas.
F^Tv MAUVAIS PRÉSAOBS 43
ndigènes ce n'est qu'un jeu. Un homme, parti de Boké
à dix heures, est arrivé ici à midi. Il nous apporte
quelques pains-qui nous font grand plaisir, car notre
cuisine n'est pas encore installée.
Les Ouolofs,qui décidément sont de mauvais porteurs,
arrivent tous en retard : ce n'est qu'à deux heures que
les traînards rejoignent le campement.
Pour nous reposer des fatigues de cette première
marche, une. violente tornade, qui dure deux heures,
nous inonde.
Comme nous n'avons plus, de moyens de transport,
il est décidé que mon bagage de photographie retour-
nera & Boké. Les noirs de l'intérieur n'auront pas leur
portrait aussi ressemblant que nature I
Après notre frugal dîner, chacun s'installe de son
mieux pour dormir. Une couverture étendue sur la terre
humide nous sert de matelas; abritée de la pluie par
un auvent dé paille, notre chambre à coucher laisse
bien à désirer... mais en voyageI Cependant, la fatigue
eslun excellent somnifère et chacun de nous ne tarde
pas à dormir.
A quatre heures du malin, je me réveille, un peu
courbaturé. Profitant du départ de M. Billet, je le charge
de quelques lettres. Le pauvre garçon nous quitte avant
le jour; en nous,disant adieu, il pleure à chaudes
larmes.
A six heures et demie, nous levons le camp.
Parcourant un chemin encore plus mauvais que la
veille, montant, descendant, traversant, porté sur le
dos d'un noir, deux ruisseaux assez profonds, au sortir
d'une belle forêt, à onze heures et demie, j'arrive sur
un plateau dénudé.
— Pompo I me dit masler Rider, notre interprèle.
Encore une déception, pas de village. O.nbragés par
quelques arbres, trois gourbis servant de campement
aux caravanes. Voilà Pompo! On tue un boeuf pour deux
44 A TRAV8R9 t> FÔUTA-DIALLON
jours de rations. Messieurs les noirs n'ont pas besoin
dtr concours d'un bouclier pour tuer, dépecer et diviser
très proprement un iùto de bétail, quelle qu'elle soit.
En ma qu&lhè d'officier dé gamelle, je garde pour nous
filet', cervelle', foie, rognons, plu* un morceau de culotte
pour le pot-au-feu.
Jacques, notre cuisinier, nous fait un déjeuner succu-
lent. Ça manque bien un peu d'assaisonnement, mais
quand on a faiml Du reste, loin de se plaindre, mes
compagnons complimentent mossieu Jacques pour sa
bonne cuisine, et le maître d'hôtel pour son menu varié.
Notre camp a une physionomie pittoresque! Où, ce
matin, il n'y avait que trois cases délabrées, od voit
un vrai village, composé de gourbis de toutes les formes.
Les noirs sont réunis par groupes et les marmites
fument. Malheureusement, une violente tornade qui
éteint les feux vient jeter un peu de désarroi dans notre
ville passagère.
Les feux de nuit allumés, les sentinelles placées, nous
soupons, puis nous nous endormons.
Il était écrit que les débuts de notre voyage seraient
hérissés de difficultés. Le jeudi 19 mai, partant en tête
de la caravane, je n'avais pas fait trois kilomètres qu'un
envoyé de Bayol venait me prévenir de retourner au
campement. Croyant à une erreur de route, je reviens
en toute hâte, entraînant les hommes qui m'avaient
suivi. Je trouve notre camp sens dessus dessous. Brus-
quement, le docteur Bayol m'annonce que la mission est
terminée, parce que les porteurs peuhls, pleins de
mauvaise volonté, laissent à terre les charges les plus
indispensables.
— Duresto, ajoute-t-il, Moustier vient de le déclarer
lui-même, avec ces gens-là nous n'atteindrons pas Bam-
baya et nous courons le risque de manquer de vivres
en pleine brousse. J'ai donc décidé que les porteurs, la
plus grande partie des bagages, Moustier et vous, alliez
MAUVAIS: PRiSAOBS 45
retourner à Boké. Quant à moi, je continuerai le voyage
avec le strict nécessaire en hommes et en marchandises.
Malgré toute la peine que me cause cet ordre fâcheux,
jene réplique rien. En sa qualité de chef de mission, le
docteur avait une grande responsabilité; je devais donc
me soumettre à sa décision. Le coeur navré, j'allai
m'asseoir dans un coin de la case.
J'étais livré à mes regrets, quand le .
docteur me dit :
— Vous comprendrez, mon cher Noirot,le sentiment
qui me fait prendre celte décision à votre égard. Mous-
tier n'a pas confiance dans les porteurs qu'il a recrutés,
mais il n'a pas trouvé mieux. Pour lui, nous courons à
notre perte. Nous ne pouvons guère compter que sur
nos Ouolofs qui, s'ils sont braves, sont <le détestables
porteurs. Eh bien I au nom de l'amitié que j e vous porte,
au nom de votre famille, de vos amis, je ne veux pas
assumer la responsabilité de votre existence. Si je devais
rentrer en-France sans vous, les personnes qui vous
aiment me blâmeraient de vous avoir entraîné.
— Docteur, lui dis-je, c'est après de mûre? réflexions
que j'ai entrepris ce voyage. Le jour où, sur votre pro-
position, M. le ministre de la marine a décidé que j'é-
tais attaché à votre mission, j'ai fait le sacrifice de ma
vie, sachant très bien quelles étaient les difficultés d'un
pareil voyage. Pour moi, le retour est une honte et, je
vous le dis franchement, je préfère laisser ma vie dans
les brousses que de rentrer si tôt.
Parfait I je vous ai prévenu ; si vous consentez à

m'accompagner, venez. Mais, je me dégage de toute
responsabilf'é envers vous et les vôtres.
Il est donc décidé que je continuerai à suivre la
mission.
Réduisant notre personnel à trente-trois Ouolofs, dix
Landoumans, dix Kraomans, cinq Foulahs, Hamadou-
Ba, John Rider, Alfa Oumarou, Boubakar, l'envoyé de
Youra, Souléman et ses deux frères comme guides, plus
46', "
*
A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
trois femmes, nous ne gardons que les marchandises
strictement nécessaires et deux caisses «de provisions
de. bouche. **
M. Moustier retournera à Boké, avec quarante por-
teurs, nos vivres conservés et des ballots trop embar-
rassants, qui pourraient nous être envoyés plus tard.
La journée s'achève tristement. Mais, le soir, profi-
tant de la clémence du ciel, qui ne nous, envoie pas de
tornade, nos Ouolofs, en véritables sans-soucis, font
bruyamment tam-tam.
VALLÉE DU TJGUIL1NTA 47'

VALLEE DO TIGU1LINTA

Le vendredi 20 mai, de bonne heure, nous faisons


nos adieux à M. Moustier. Suivi de ses hommes, il
prend la route de Boké, et nous la direction de l'Est.
Cheminant lentement, au milieu d'un paysage uni-
forme qu'enveloppent les vapeurs.du matin, je suis
obsédé par le départ de mes deux compagnons et je
me demande quel-est l'événement désagréable qui nous
arrivera le jour prochain.
Nous avons à traverser deux fois le Tiangui-Kintao,
— Tiangui est le nom générique qui signifie ruisseau,
— la première fois, en faisant gravir à nos animaux
une côte boisée, presque à pic, de quatre-vingts mètres
de hauteur, qui borde la rive, ascension qui ne nous
demande pas moins d'une heure ; la seconde fois, à la
manière des singes, en franchissant le ruisseau, large
de dix mètres, sur un arbre qui pousse vigoureusement
en travers. Puis nous campons sur la rive droite du
^43 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
Tïguilinta, un peu en aval du point où il reçoit les eaux
'du Kintao;
Il serait intéressant de descendre le Tïguilinta, qui
n'est.autre chose que le Rio-Nupez, jusqu'à Boké.
Jamais, depuis que nous occupons ce poste, aucun
Européen n'a rémonté ce cours d'eau jusqu'à sa source.
En cet endroit, le Tïguilinta est guéable et ses rives
soni! basses, boisées ; il a de vingt à vingt-cinq mètres
de largeur et quatre-vingts centimètres de profondeur.
Le lendemain, au jour, nous quittons notre village
improvisé. A midi, sortant d'une forêt très étendue,
nous^débouchons dans la belle vallée Je Tiangui-Baga.
Le paysage a changé d'aspect, il nous donne ta sen-
sation d'une site vosgien, moins les sapins. Au milieu
d'un tapis vert entouré de montagnes assez élevées et
'boisées jusqu'au sommet, se dressent une dizaine de
cases ombragées par de fort beaux arbres. Un troupeau
d'une centaine de boeufs de grande taille paît dans les
environs.
Nous sommes au Houndé-Baga-Bi, habité par deux
familles seulement. A notre vue, le3 enfants se sauvent
en criant et les parents sont peu rassurés.
Roundé est le nom donné à toute réunion de cases
exclusivement habitées par des captifs.
Nos hommes sont très fatigués; l'un d'eux, même,
en proie à un violent accès de fièvre, est resté en
arrière; aussi, prenons-nous nos dispositions pour
camper. Voyant que nous nous établissons chez eux,
les habitants du Roundé sont saisis de panique et, nous
prenant pour des pillards, se disposent à quitter leur
hameau en emmenant avec eux leurs troupeaux. 1/
docteur les rassure, et ces pauvres gens mettent quel-
ques cases à noire disposition.
Je retourne en arrière pour exciter les traînards à
activer leur marche. Après une course de six kilo-
mètres, à pied, je rentre au campement, ressentant
f :0 A VALLÉE DU TÏGUILINTA 49
pour la première fois, depuis deux mois que je foule le
sol africain, les attaques de la fièvre. Suffoquant dans
mes vêtements, la respiration gênée, le gosier sec,
j'éprouvais un léger tremblement qui me donnait le
vertige et qui, au lieu de ralentir ma marche, me fai-
sait courir.
Hàletaul, j'arrive sur le bord du Baga et, me cou-
chant à plat-ventre, je me désaltère. Ce malaise inquiète
le docteu.'t mais, un noir m'ayant massé vigoureuse-
ment, je me trouve soulagé et, grâce à celte médication
simple, que je ne saurais trop recommander aux voya-
geurs de la zone torride, au bout d'une heure toute
trace de fièvre a disparu.
Notre case sent tellement mauvais que nous cou-
chons à la belle étoile. Enveloppé par une nuit déli-
cieuse, bien qu'un peu humide, je m'endors, songeant
que, si je possédais en France une propriété aussi
agréable que Tiangui-Baga-Bi,je serais un des heureux
de la terre.
Aujourd'hui, dimanche, réveillés de bonne heure par
la grande humidité, nous prenons congé des habitants
de Baga-Bi ; l'un d'eux veut bien nous servir de guide
jusqu'au premier village.
Quand on quitte le hameau, le sentier qui se dirige
vers le sud-est s'enfonce dans la riante vallée du Tigui-
linta. Le soleil qui se lève, tout en dorant les montagnes
environnantes, pompe la rosée et étend sur le paysage
une vapeur transparente, semblable à celles de nos
chaudes matinées d'août. Nous cheminons au milieu de
vertes pelouses el de bosquets ; nous franchissons çà et
là quelques ruisseaux limpides, dont le murmure est le
seul bruil qui anime cette solitude ; notre marche res-
semble à une promenade dans un parc immense, clos
par de vertes montagnes.
Se rétrécissant au point de ne livrer passage qu'à un
étroit ruisseau fortement encaissé, la vallée du Tïguilinta
4
50 A TRAVERS Lg FOUTA-DIALLON
est fermée par le felb-Koua (fello signifie montagne)
dont nous escaladons une des pentes rapides. Nous
atteignons le premier plateau, d'où la vue Vétmd fort
loin sur un panorama de montagnes. Nous continuons
notre ascension, au milieu de roches ferrugineuses, qu i
paraissent très ricnes en minerai, et, traversait une
belle forêt, nous atteignons le plateau supérieur, à
600 mètres d'altitude. Une vaste place déboisée est le
parc aux boeufs dji petit village de Dara-Maniaki, situé
dans les environs. Au milieu du tertre, on ti«&Ve une
corbeille en lianes, d'un mètre environ de diamètre,
contenant de l'argile mêlée à du sel et destinée aux
boeufs qui viennent lécher cette pâte. A une centaine
de mètres au-dessous de ce plateau, le Tiguilinla sort
de terre.
De nouveau, la route s'enfonce dans la forêt et dé-
bouche sur une immense plaine dénudée, couverte de
pierres grisâtres qui, reflétant les chauds rayons du
soleil de midi, rendent la marche insupportable. Ce
baowat (nom générique donné à ces plaines pierreuses)
produit cependant une herbe tendre qui pousse entre
les interstices des roches et est très recherchée par les
boeufs. Un troupeau d'au moins deux cents têtes, à
l'approche de.la caravane, se réfugie dans la forêt.
Seul, depuis plus d'une heure, traînant mon cheval
par la bride, mourant de soif et après une marche qui
est aussi pénible pour le noir que pour le blanc, j'ap-
précie davantage tous Ie3 mérites d'une source bien
fraîche, le Boundou-Manga. — Boundou signifie source
en langue peulh. — Quelques hommes de notre cara-
vane se reposent, moelleusement étendus sur le gazon.
Ayant fait boire mon pauvre cheval, qui a les pieds
abîmés par les pierres, j'imite les noirs et je m'allonge
comme eux.
!« ciel est pur, sans aucune menace d'orage. Surpris
de recevoir quelques gouttes d'eau sur la figure, j'en
V^ÏV VALLÉE DU TÏGUILINTA 51
- . .

cherche la cause. Sur les branches de l'arbre sous lequel


je suis couché vit une plante parasite, sécrétant celte
eau, qui tombe en gouttelettes. Je demande le nom de
celle, plante, qui a la forme d'un chou ; l'on me répond :
Otdê-féki (l'arbre qui pleure).
Malgré tout le plaisir que nous procure cet endroit
délicieux, il faut se remettre en route. Aussi est-ce
avec bonheur que, deux heures après, je salue Bembou,
le premier village peulh : nous sommes sortis de la
brousse! 11 est trois heures et demie ; en route depuis
cinq heures et demie du matin, nous avons parcouru
'une étape de trente-quatre kilomètres que j'ai faite en
partie à pied : je suis harassé I
Le docteur, qui m|a devancé d'une heure, a fait pré-
parer des cases pour tout le monde. Il est déjà à la
besogne. Assis à l'ombre d'un bel oranger planté
devant la mosquée, entouré d'une vingtaine de notables
(le conseil municipal), Bayol leur expose l'objet de notre
voyage et tous les avantages qu'ils pourront tirer d'une
alliance avec nous. Je le laisse et, comme la faim
aiguillonne mon estomac, je fais activer les préparatifs
du déjeuner.
Une.femme, plus aimable que jolie, pour me faire
patienter en attendant que le riz soit cuit, m'offre une
calebasse de lait caillé qui est, ma foi 1 très bon.
Ce n'est qu'à six heures que nou3 pouvons nous
mettre à table. Quand je dis <t table, c'est une figure ;
une malle nous en tient lieu et deux caisses nous
servent de sièges. Le couvert est mis au grand air ;
aussi sommes-nous entourés par toute la famille du
chef, notre hôte, qui regarde, étonnée, ces blancs man-
ger avec de petites fourches en fer.
Noire repas est.à peine terminé que la nuit arrive.
En fumant un cigare, tout en prenant le café, le docteur
me fait part des craintes qu'il avait éprouvées en
voyant, de temps à autre, des hommes armés nous
52 A TRAVBR8 LB FOUTA-DIALLON
observer à travers les brousses. Tout à coup un bruit
de voix algues nous assourdit. Je m'informe : ce sont
les enfants qui, accroupis autour d'un grand feu, une
tablette de bois à la main, assistent à l'école dirigée
par un vieux musulman.
Ainsi, voilà un petit village, comptant à peine deux
cents habitants, qui possède une école I En pourrions-
nous dire autant chez nous, où les enfants font souvent
plusieurs kilomètres pour aller en classe ?
Tout comme les petits blancs, les enfants noirs
doivent subir les leçons du maître deux fois par jour.
Si l'on ne peut pas chercher les nids à son aise, il est
vraiment inutile d'avoir la réputation de sauvages 1
Afin de donner à nos hommes un repos dont ils ont
grand besoin, nous faisons séjour. Le docteur palabre
avec les habitants et je profite du temps que durent
leurs entretiens pour visiter le village et ses envi-
rons.
Le village de Bembou est bâti dans un site agréable,
entouré de bois de tous côlés. Sa population n'excède
pas deux cents, habitants, répartis dans une quaran-
taine de cases. Chaque-propriété se compose de six à
' huit cases différentes pour le chef de famille, les
femmes, les enfants et les captifs. Bien construites en
argile, de forme circulaire, elles sont couvertes d'un
toit de chaume qui descend presque jusqu'à terre et
forme vérandah. L'intérieuren est généralement propre,
une banquette en terre sert de lit, quelques calebasses
composent tout le mobilier.
Toutes ces cases sont reliées entre elles par des allées
tortueuses et sablées qui courent à travers des jardins
fort bien entretenus. Presque devant toutes les portes,
un oranger abrite une petite terrasse sablée,_lieu de
réunions et de prières. Afin de protéger les jardins
contre les animaux, chaque propriété est entourée d'une
.
haie de purguères (épurges) qui au besoin peut servir
VALLÉE DU TÏGUILINTA 53
de rempart. Ces habitations, relativement confortables,
laissent loin derrière elles les cases informes de la po-
pulation de Dakar.
La mosquée, qui ressemble à toutes les cases, sauf
les proportions qui sont plus grandes, est construite à
l'extrémité du village. Un gros oranger, sous lequel se
tiennent tes palabres, en orne le seuil. A deux cents
mètres du village, un ruisseau torrentueux, le lanii*
Leli (boire des biches), fournit de l'excellente eau. D'après
nos renseignements, il existe des caféiers dans les en-
virons, et celle contrée, qui dépend du diwal (province)
de Timbi, se nomme Kofi.
Le vieux chef de Bembou,Modi Ilamadou, nous offre
l'hospitalité la plus large. Non seulement il s'est délogé
pour nous recevoir, mais à chaque repas il envoie de
sept à huit calebasses pleines de riz cuit, de lait caillé,
de différentes sauces, et le tout fort proprement pré-
paré; de plus, il nous fait cadeau d'un mouton.

Comparativement, notre cadeau est bien mince, car
nous donnons à ce brave homme un peu de cotonnade,
un couteau, des aiguilles et quelques perles.
Peut-on donner l'épithète de sauvages à des gens qui
pratiquent ainsi l'hospitalité?
Heureux habitants de Bembou, en parlant j'emporte
un excellent souvenir de vous! Merci de votre urbanité!
Elle me donne confiance pour l'avenir.
54 A TftAVIRS LB FOUTA-DIALLON

VI

BAMBAYA

Le 24 mai, dès le matin, nous quittons Berabou. Un


violent orage, accompagné de formidables coups de
tonnerre, a répandu une grande humidité, et de gros
nuages blancs roulant dans le cieu bleu promettent, à
courte échéance, une nouvelle tornade.
De bonne heure, nous sommes en vue de Bani-
.-
baya.
Le paysage est magnifique. Une verte plaine s'étend
sur une pente légère jusqu'à la forêt qui ldi sert de
bordure. Le sentier que nous suivons coupe cette plaine
et entre sous bois.
Sur la hauteur qui domine la forêt, les cases de la
ville se détachent sur le vert sombre du coteau où se
profilent les minces silhouettes de quelquerpalmier s.
Un nuage qui passe tamise les rayons du soleil et laisse
ce premier plan noyé dans une lumière douce, tandis
que les lointains, formés par une succession de monta-
gnes bleues, ruissellent de clartés intenses.
BAUBAYA 55
Prévenu de notre arrivée, le chef de B&mbaya, Alfa
Haraadou-Bobo, envoie à noire rencontre une députa-
lion de notables et son griot. Attirés par les chants du
griot, tes habitants, surtout les femmes, nous regardent
avec curiosité. Les enfants, effrayés par tant de monde,
se sauvent en pleurant. Guidés par le chanteur à tra-
vers un dédale de rues étroites et bordées de purguè-
res, nous arrivons à la demeure du chef.
Entouré de guerriers, nonchalamment étendu à
l'ombre d'en oranger, Alfa Hamadou-Bobo répond en
ces termes à notre compliment de bienvenue : .
— Entre. Tu es ici chez toi, dans ta maison. Ce pays
est le tien.
Et quatre grandes cases sont mises à la disposition
de notre caravane.
La case du chef, qu'il a quittée pour nous l'offrir, est
habitée par les Ouolofs commis à la garde des bagages.
Le mobilier se compose d'un lit en argile, orné d'ara-
besques en relief, et d'un hamac tressé avec des fila-
ments de plantes textiles du pays.
Nous habitons la case de la première femme, case où
se trouvent deux lits.
Sur la demande du docteur, le chef convoque les
principaux habitants de la ville pour assister au palabre
qui se tient sous l'oranger.
Notre guide, Modi Souléman, ouvre la séance par un
long discours où le mot Almamy revient à chaque ins-
tant; puis, c'est le tour de Alfa Oumarou, notre second
interprète, frère du chef de. Dambourla, province de
Foucoumba. Fervent musulman, ce jeune homme, qui
depuis longtemps est employé par les facteurs de la
côte, passe pour un érudit. Son discours semble pro-
duire de l'effet, car les assistants prononcent souvent le
mot gonga (très bien). Enfin, traduit par Hamadou-Ba,
le docteur prend la parole. Il parle longuement afin de
dissiper les craintes des indigènes.
56 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
Pendant toute la durée de ce palabre, égrenant un
chapelet aveo ostentation, agitant les lèvres comme
quelqu'un qui prie, paraissant étranger à la conversa-
tion, Alfa Ilamadou ne fait pas un mouvement. Ses
yeux seuls errent sur les objets environnants. A son
tour il prend la parole. Inquiet, il croit que notre
voyage a pour but d'écrire le pays afin d'y envoyer une
colonne pour faire la guerre.
Le docteur proteste contre ces insinuations.
Alfa Ilamadou parait convaincu et demande à quoi
les.blancs emploient le café et le caoutchouc. A l'appui
des explications nécessaires, nous lui présentons notre
provision de café ainsi que nos couvertures caoutchou-
tées, qui font l'admiration de l'assistance.
D'après Alfa Hamadou, le caoutchouc, appelé pore
par les habitants, est très commun au Fouta. Du café,
il n'y en a que dans le Bambaya et sur les rives du rio
Falala, mais en grande quantité. Alors, il nous offre
une calebasse pleine de café du pays.
Le palabre terminé, le griot chante de nouveau les
louanges do son maître; puis il nous adresse, au doc-
leur et à moi, un discours aussi bruyant que rapide
et... nous lire la barbeI Hamadou-Ba nous explique
que, seuls, les griots ont le droit de tirer la barbe aux
chefs et que c'est une grande marque de politesse.
Nous restons trois jours à Bambaya. Pendant que,
lotit entier à sa mission, mon chef de file palabre cons-
tamment, j'observe à mon aise la ville et les moeurs des
habitants. Je constate que, comme chez les blancs,
l'honnêteté et la fourberie se disputent la race noire.
Par sa simplicité, le vieux chef de Bembou peut être
comparé à un modeste maire de village. Mais Alfa Ha-
madou-Bobo a l'allure, la morgue aristocratique d'un
chef dé district. Fort proprement vêtu de deux bou-
bous, l'un blauc et l'autre bleu, la tête coiffée d'une ca-
lotte en cotonnade blanche ornée de broderies bleues,
BAMBAYA 57
portant au cou des amulettes suspendues à des cordons
de cuir. Alfa ilamadou est un homme de quarante ans
environ. Sa physionomie est énergique et dure; l'oeil est
vif, légèrement, enfoncé et inquiet, le nez estaquilin, les
lèvres épaisses.et unplumeau de barbe légèrement frisée
orne son menton. Couleur à part, cet homme a tous les
traits d'un Européen. Alfa Hamadou lit et écrit en ca-
ractères arabes.
Hamadou-Bobo ne vivrait pas longtemps au contact
des Européens sans aimer comme eux les douceurs de
toute nature qui rendent l'existence agréable. Afin de
lui montrer combien le café qu'il nous a offert est une
bonne chose, nous l'invitons à y goûter. H le trouve à
son goût et y met beaucoup de sucre. Dans l'intérêt de
notre provision, j'ai beau lui faire dire que, pour bien
coûter le café, on doit le boire pur, il s'obstine à le
préférer bien sucré. Sa qualité de musulman lui interdit
les alcools; aussi ne lui offrons-nous pas le petit verre
d'usage. Il demande alors si nous n'avons pas de
bière.
— J'en ai bu à Rio-Pongo, dit-il, c'est très bon; cela,
je peux boire, ce n'est pas du vin.
A défaut de bière, Alfa Hamadou ne manque pas une
occasion de prendre sa demi-tasse. Il guette l'heure où
nous prenons nos repas et arrive toujours au moment
opportun. Au risque de me faire honnir, j'avoue que
j'aurais préféré qu'il ne vint pas aussi souvent : en ma
qualité de chef de gamelle, j'avais à défendre nos pro-
visions et ce gourmand y faisait de telles brèches que
je dus faire disparaître le sucre de la table.
Il est des accommodements avec le ciel, notamment
avec le paradis de Mahomet. Ce zélé musulman, qui
sans cesse' égrène son chapelet, ne peut résister à l'at-
trait du fruit défendu: Un soir, pendant qu'il prend son
café avec nous, il jette rapidement un coup d'oeil autour
de lui, prend le flacon de cognac et en verse dans un
58 A TRAVBR8 LB FOUTA-DIALLON
gobelet... en y ajoutant de l'eau, disons-le bien vite!
Mais Alfa Oumarou, allongé h l'ombre de notre véran-
dah, à vu le délit et fait une grimace qui ne présage
rien de bon pour le croyant si peu observateur de ses
devoirs.
Mettant h profit la chatterie d'Alfa Hamadou, le doc-
teur ne perd pas une occasion de lui demander des
renseignements sur le pays. Mais nous avons affaire h
un chef astucieux et politique. Séduit parla quantité
de nos bagages, il se dit que toutes ces marchandises
seraient aussi bonnes pour lui que pour Almamy cl
cherche & nous persuader que notre voyage à Timbo est
inutile.
— Almamy, répète-t-il, fait la guerre dans le Foun-
nangué (pays de 1 Est), vous ne le trouverez pas à Timbo,
vous allez faire un voyage fatigant pour rien ; restez ici
un peu, laissez les cadeaux pour Almamy et je les lui
enverrai lorsqu'il sera de retour.
Aussi est-il fort contrarié quand nous lui annonçons
notre départ prochain et met-il beaucoup de lenteur à
nous procurer les vivres qui nous sont nécessaires pou?
poursuivre notre route.
Revenus de la terreur que je leur inspirais, les enfant?
du chef se sont apprivoisés et répondent à mes agace-
ries. J'en ai cinq autour de moi, trois fillettes et deuv
garçons, dont l'ainé n'a pas douze ans.
La plus jeune, la petite Ava (Eve), me témoigne sur-
tout de l'affection. C'est peut-être bien parce que, pour
compléter son costume réduit à un collier de perle;
blanches entourant ses reins, je lui ai donné deux bou
tons dorés d'uniforme que sa mère lui a passé aui
oreilles; mais c'est peut-être aussi parce que les enfani;
sont partout les mêmes : ils aiment qui les caresse e'
leur donne des jouets. Quoique un peu mendiants, en
enfants ne sont pas importuns et j'ai du plaisir à voir
leurs ébats.
BAMBAYA 59
Le jour de noire arrivée, Hamadou-Ba vint mystérieu-
sement nous avertir que pendant notre avant-dernière
marche nous l'avons échappé belle.
— J'ai, dit-il, caché derrière une tapade, entendu des
hommes parier d'une attaquation (sic) qu'ils voulaient
nous faire l'autre jour. Ils disaient que cela n'avait pas
réussi parce que nous n'avions pas couché à Dara-Ma-
gniaki où on nous aurait pris pendant la nuit. Ils disaient
aussi que c'était difficile de nous attaquer à cause de
nos fusils qui partaient sans poudre.
Peut-être Hamadou-Ba exagérait-il le danger. Si ces
coureurs de brousse avaient voulu nous attaquer, l'occa-
sion était belle. La longueur de la roule pour atteindre
Bembou avait beaucoup fatigué nos hommes; ils étaient
éparpillés sur le sentier, se reposaient souvent et, moi-
même tenant mon cheval par la bride, j'étais fréquem-
ment isolé.
Le docteur fit part de la conversation surprise par
Hamadou-Ba au chef, qui en ce moment entrait chez
nous.
— Oui, dit-il, j'ai entendu parler de cela. C'est un
enfant, fils d'Almamy Hamadou, qui s'est sauvé de chez
son père et bat la campagne pour ramasser du butin.
Puis, changeant de conversation, Alfa Hamadou nous
demande s'il nous serait agréable de recevoir la visite
des femmes.
Nous nous en passerions volontiers : il faudra faire
un cadeau à chacune d'elles, c'est la règle du cérémo-
nial noir.
— Au nombre de cinq, précédées du griot et accom-
pagnées de leur petite famille respective, mesdames
flamadou-Bobo font leur entrée et s'accroupissent à
côté dé leurs enfants.
EJlgs ne sont ni belles ni laides; très proprement
vêtues d'un pagne du pays, elles portent des bijoux à la
tête, au cou, aux bras et aux jambes. Le mari nous les
60 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
' présente par ordre, selon le rang qu'elles occupent dans
son affection.
— Fatimata, ma première femme, est soeur de Alfa
Souléman, le chef de Kanstantomi. Cest la mère de mon
petit Souléman et de Aéba.

Madame Fatimata sourit gracieusement et les deux
enfants s'approchent pour nous donner la main.
Aéba fait déjà la petite femme. Comme sa maman,
elle a un pagne; elle travaille déjà à piler le riz et soulève
un pilon deux fois plus grand qu'elle. Cette enfant de
neuf ans est très gaie et aime à faire des farces. Au
mieux avec moi, elle ne peut me regarder sans rire.
Souléman est déjà grave et réfléchi, son regard intel-
ligent est d'une grande douceur, l'ensemble de son vi-
sage est beau. Faisant déjà son apprentissage politique,
il assiste à tous les palabres.
Fatimata est la reine du logis; les bijoux ne lui font
pas défaut; six pièces de cinq francs en argent, accro-
chées aux nattes de sa chevelure, pendent de chaque
côté du visage; un collier de grosses boules d'ambre
entoure son cou; de gros bracelets d'argent ornent ses
poignets et se' chevilles. Elle porte tout ce clinquant
avec distinction.
Successivement mesdames Mariama (Marie) ATsalou,
Iaé (Jeanne) et Fatou nous sont présentées. Moins an-
ciennes, elles ont moins de bijoux que la première.
Fatou, qui humblement se tient à l'écart*, n'a pour pa-
rure que sa beauté et son sourire triste. Captive d'ori-
gine, elle est la mère de la petite Ava, la plus jolie
enfant noire que j'aie vue.
Chacune de ces dames reçoit un bijou, article de
Paris, et, toujours précédées du griot, elles prennent
congé de nous.
Si les moeurs des naturels du Fouta sont intéres-
santes à étudier, la diversité des races de notre nom-
breux personnel fournit plus d'une remarque propre à
BAMBAYA 61

faire connaître le caractère des peuples habitant le


Soudan.
Déjà, depuis notre départ de Boké, les Kraomans, les
Landoumans et les Peulhs ont eu plus d'une fois à souf-
frir de la morgue de messieurs les Ouolofs; mais, on le*
comprendra, nous fermons les yeux sur des peccadilles.
Nous comptons sur nos Ouolofs. Ces hommes que nous
entraînons loin de leur pays sont obligés de nous être
fidèles. En cas d'attaque, nous ne pourrions vraiment
avoir foi qu'en eux : n'ayant d'autre alternative que
l'esclavage sauvage ou la mort, ils se défendraient bra-
vement.
Ces Sénégambiens nous ont fait une scène dont on
n'aurait pu que rire, si elle n'avait eu pour consé-
quence de nous faire rester un jour de plus à Bam-
baya.
Ayant acheté du riz en quantité suffisante pour la
ration de trois jours, les interprètes font la distribution
à chaque groupe. Le riz n'était pas décortiqué, ce qui
provoque quelques réclamations; mais, sur l'assurance
que chacun pourrait piler son riz, les murmures sont
vite apaisés.
Lorsqu'il s'agit de préparer la pot-bouille des Ouolofs,
c'est à qui ne pilerait pas le riz. Alors, l'un d'eux,
grand diable noir comme du jais, amenant avec lui
Yoro, le domestique du docteur, qui parlait assez bien
le français, le pria de traduire sa réclamation. La voici
mot & mot :
— Tout le monde sait qu'à Dakar, je gagnais cent cin-
quante francs par mois; si je suis venu avec toi pour
quarante francs, c'est que je t'aime trop, Doctort Je
t'aime plus que mon père, plus que ma mère. Si tu dis:
lue! je tuerai; si tu dis : il faut battre! je battrai; et si
tu veux que je me tue, je me tue tout de suite. Mais
Hamadou-Ba veut que je pile mon riz nour manger.
Pour mon père, pour ma mère, je ne pilerais pas le riz;
62 A THAVBRS LB FOUTA-DIALLON
je ne veux pas le piler pour moi. Ce sont les femmes qui
pilent le riz pour les hommes; je ne suis pas une
femme. Doctor, donne quelque chose pour payer une
femme; les miennes sont à. Dakar et celles du pays ne
travaillent pas, si je ne paie pas. »
Voyant que son désespoir ne peut nous émouvoir, cet
hercule sort furieux. Après lui, U en vient un second,
puis un troisième, un quatrième, il en vient jusqu'à
onze (Tous, dans des discours plus ou moin* imagés,
déclarent qu'ils ne sont pas des femmes. Le dernier
sort encore plus furieux que les autres, quoique nous
lui ayons offert de piler [sa ration. Pour clore la scène,
Yoro nous dit :
— Quand un Ouolof a du sang dans les yeux, on le
voit : il casse tout et se fait tuer, mais piler le riz, c'est
bon pour les femmes; d'ailleurs, celifait mal aux main s
et fait pousser des durillons.
Ces derniers mots peignent bien le Ouolof, cet hi-
dalgo de la Sénégambie. Braillant, discutant sans cesse
et si bruyamment que l'on croit toujours qu'il va passer
>
aux voies de fait, gourmand, glouton môme, il est ca-
pable d'absorber en un repas la ration de trois jours.
Il trouve humiliant de porter un fardeau; il rencontre
trop de pierres dans- le chemin et cela le fatigue; il n'y
a que la gamelle qui ne le fatigue pas. Mais, avec tous
ces défauts, le Ouolof est brave et dévoué.
Le cas échéant, il s'élancerait sur l'ennemi arec la
même insouciance qu'il apporte au travail. Malgré son
mauvais caractère, en cas d'attaque, il ne tournerait
pas bride —je n'en dirais pas autant des autres mem-
bres de la caravane.
Afin de montrer au chef de Bambaya que, s'il avait
des velléités de nous attaquer, il trouverait à qui parler,
Hamadou-Ba provoque, la veille du départ, un Fahtàm,
chant de guerre où chacun vante ses exploits.
C'est dans la grande case que se tient le divertisse-
BAMBAYA 6fr
ment. Tous les hommes assis en cercle laissent le
milieu libre. Alfa Hamadou, qui assiste à la fête, est né-
gligemment étendu sur le hamac. Une lampe à huile,
grossièrement travaillée, éclaire la scène. Un de nos mu-
letiers, griot à l'occasion, qui passe son temps à chanter
les hauts faits de son chef Mahamadi-Bayla, est chargé
de hurler lo récit que chaque héros fait à rai-voix.
Hamadou-Ba entre dat.s le cercle, plante sa lance au
centre et raconte le fait d'armes suivant que me traduit
Yoro :
— J'avais neuf ans, j'étais petit domestique da M. Re-
quin, commandant du Castor (le même navire qui nous
a portés à Boké) ; nous faisions la guerre sur le Sénégal ;
dans la bataille, j'ai tué un homme. De retour à Saint-
Louis, le Bouroum-n'Dar (gouverneur du Sénégal), qui
s'appelait Laprade, m'a donné une gourde (pièce de cinq
francs en argent) pour récompense. J'étais fier parce
que j'étais encore petit et que je n'avais jamais fait la
guerre. Maintenant, si dix hommes voulaient me faire
captif, je m'écrierais : C'est moi, Hamadou-Ba, et je les
tuerais tous les dixl
Hamadou-Ba regagne sa place pendant que Dimba
Kassé chante ses louanges sur tous les tons. On ne sup-
poserait pas, en voyant ce grand flandrin, qu'une telle
ardeur belliqueuse puisse jamais remplacer son indo-
lence.
Djibril Sangomar n'Dyae, jeune garçon de vingt ans,
grand marabout érudit qui nous sert de scribe arabe,
entre en scène. Tenant la lance d'une main, se balan-
çant avec nonchalance, il dit d'une voix calme :
— Je suis jeune, je n'ai jamais fait la guerre, je n'ai
pas encore tué d'homme. Je n'ai pas peur et on verra si
j'ai les yeux rouges_: je me battrai et je tuerai les enne-
mis.
A onze heures du soir, le Fantam n'était pas terminé.'
D'une voix enrouée, Dimba Kassé continuait à hurler
64 A TRAVSR8 LB FOUTA-DULLON
les faits glorieux des assistants, de leurs pères, de leurs
, grands-pères,
etc., et surtout nous empêchait de dormir.
En remerciement du cadeau que nous lui offrons et
qui comprend un Koran richement relié, un burnous
blanc, un sabre, un bonnet rouge, des babouches de la
Guinée, du papier, des bijoux faux, un fusil, Alfa Hama-
dou, oulre le riz qu'il nous a fourni chaque jour, nous
donne un boeuf. Il ne faut pas croire que son cadeau
vaille plus que le nôtre : pour une somme de .quarante
à soixante-dix francs, valeur en marchandises, au Foula
l'on a un gros boeuf.
Bambaya est bâtie dans un site magnifique. Celte
petite ville jouit d'un climat sain et l'on y respire un
air très pur; les montagnes environnantes, les nom-
breux ruisseaux qui arrosent son territoire, son altitude
de 600 mètres, tout concourt à lui procurer une fraî-
cheur relative. Pendant la saison la plus chaude de
l'anuée, le thermomètre varie entre 23° et 30* centi-
grades; c'est une chaleur très supportable.
Les cases sont entourées de jolis jardins où poussent :
manioc, ignames, patates douces.oignons, haricots, etc.
De nombreux bananiers, papayers, citronniers, oran-
gers, procurent des ombrages odorants et des fruits déli-
cieux. Le café et le caoutchouc abondent dans la contrée,
les purguères forment toutes les tapades. De vastes pâ-
turages, où paissent de grands troupeaux de boeufs,
entourent la ville. Riz, maïs, fognié, arachides, produits
communs à l'Afrique, sont partout cultivés dans la pro-
portion nécessaire aux habitants.
Malgré son étendue et son nombre de cases, Bambaya
n'a pas plus de cinq cents habitants.
La ville de Bambaya est tout indiquée pour devenir
une florissante station coloniale. Sa situation exception-
nelle à peu de distance de la mer la fera choisir aux
colons, qui pourront y cultiver autant de terrain qu'il
leur plaira. Us' pourront, sans nul doute, y acclimater
BAMBAYA 65
la vigne, ainsi que beaucoup de légumes et de fruits
d'Europe.
Actuellement, on peut s'y rendre de Boké en cinq
jours, et de Boffa (Rio-Pongo) en quatre. Lorsque, des
roules seront établies, on correspondra facilement avec
la mer, en trois jours.
66 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON

VI

VALLÉE DU KAKRIMA

Le 27 mai, nous quittons Bambaya et, à deux heure;,


nous atteignons Kiri-Bamba, village d'esclaves, qui ne
nous fournit, pour passer la nuit, qu'une mauvaise case,
où nous sommes fort mal abrités contre une tornade,
véritable déluge que nous avons, du reste, dû subir
jusqu'à notre arrivée à Kanslantomi, ville de l'impor-
tance de Bambaya. Nous demeurons là trois jours,
pendant lesquels j'ai ressenti bs premières atteintes sé-
rieuses de la (lèvre, au point de délirer toute une nuit.
Le chef de Kanslantomi, Alfa Souléman, un érudit,
nous apprend que les Peulhs écrivent leur histoire. Il
nous présente même un manuscrit en caractères arabes,
que le docteur a fait copier par notre scribe.
Plus aimable que généreux, le chef nous offre quelques
oranges, les premières que nous mangeons.
A partir de Kanslantomi, notre voyage se continue
au milieu d'un pays montagneux semé de nombreux
' - " VALLÉE DU KAKRIMA 67
' urs'd'eau. Successivement, nous couchons au village
de Pellel, à Oré-Méro; nous franchissons au delà du
Laba, rivière assez,profonde, le fello Farlaléléma, haute
'montagne bien nommée par les naturels puisque son
nom signifie : retourne ta culotte. Au village de Boun-
dou-Dologa, qui couronne le sommet du Farlaléléma,
le tonnerre tombe presque tous tes jours, pendant la

|saison des pluies.


Nous couchons à Baguéré, pe'it village delà mon-
tagne de Nianka-Touringui, exposé aux quatre vents,
où la température relativement fraîche ne dépasse pas
26 degrés centigrades au maximum.
F Nous atteignons le Dolonki, que nous traversons sur
un pont des plus rudimenlaires : c'est un gros arbre
dépouillé de son écorce, déjà usé parle passage de plu-
sieurs générations, qu'on a jeté en travers la rivière.
Une des extrémités de cet arbre a gardé ses branches
tortueuses qui ressemblent beaucoup à un bois de cerf.
Sur la rive gauche du Dolanki, nous faisons une courte
balle pour mettre fin au seul incident comique qui a
rompu le monotonie de nos dernières marches.
.Yoro, en sa qualité de domestique du docteur, avait la
haute main sur nos bagages particuliers; il se faisait
passer pour médecin et traitait à son profil les coliques
des indigènes, en leur administrant quelques gouttes de
laudanum.
Étant lui-même indisposé, mon Yoro pense qu'avec
«me bonne ration il sera vivement débarrassé de son
malaise. Mais c'est le contraire qui arrive, et ce n'est
qu'avec peine qu'il peut atteindre Baguéré. La peur de
mourir lui fait avouer, avec force grimaces, la cause de
ion indisposition. Commission est donnée à notre infir-
mier, le jeune Mâmadou-Si, d'administrer un vomitif à
ton camarade.
Jaloux l'un de l'autre, ces deux gaillards se détestent
cordialement; aussi, ayant besoin d'eau pour préparer
68 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON '

ce vomitif, Mamadou-Si va en chercher à la source la


plus éloignée et laisse geindre le pauvre malade pen-
dant trois heures. Puis, le digne infirmier administre
consciencieusement le vomitif à forte dose et l'effet pro-
duit est des plus complets. Mamadou nous regarde d'un
air narquois et dit :
C'est très bon pour Yoro le garap (remède), il n'a

pas assez, je vas lui préparer une autre tasse. Tiens,
Yoro, boisl C'est bon, tisane, pour coliques 1 Fais pas
les gros yeux... Ahl toi qu'es médecin, lu gagnes beau-
coup argent, mais l'infirmier fait bien rendre. Autrefois,
faut pas faire le malin t
Bref, après s'être reposé le restant du jour, Yoro pou-
vait se mettre en route le lendemain malin. Ayant
encore les railleries de Mamadou-Si sur l'estomac, Yoro
se hâte de le rejoindre pendant une marche, et un
combat à coups de pied était déjà engagé, lorsque heu-
reusement j'arrive pour proléger une dame-jeanne con-
tenant encore quelques litres de cognac que Mamadou-
Si portait sur la tète et qui courait par conséquent de
grands risques.
Calmés momentanément, deux ou trois fois encore
les deux' noirs essaient de recommencer le combat.
Pour mettre un terme à leur ardeur trop compromet-
tante pour notre provision de cognac, nous décidons de
faire vider (a querelle, une fois pour toutes, et nous
faisons couper deux respectables cannes de bambou;
puis les deux adversaires sont placés face à face.
— Une, deux, trois, à volonté I
Quelques coups de trique bien appliqués calment l'hu-
meur belliqueuse des deux champions et sauvent notre
dame-jeanne de la catastrophe redoutée.
Au delà du Dolonki, le pays change d'aspect. Devenas
plus rares, les gisements ferrugineux sont remplacés
par un sol argileux obstrué de nombreux blocs de grès,
qui, rongés par les eaux, se dressent comme des menhir*.
^^l-y ; VALLÉE DU KAKRIMA 69
ï Les montagnes ballonnées que nous avons franchies
jusqu'à ce jour font place à d'autres entièrement for-
mées d'énormes roches de grè3 et de granit) entre les-
quelles de grande arbres trouvent assez de terre pour
pousser vigoureusement.
Nous traversons le Dembo-Dépellé (porte des mon-
tagnes); c'est un col resserré entre deux massifs ro-
cheux, murailles à pic de trois cents mètres de hauteur,
dont le sommet en forme de table est couvert d'une
végétation remarquable. Puis, nous débouchons dans la
belle vallée de Ouatchardé, où nous logeons dans un
village d'esclaves, bien ombragé par des orangers en
fleur;
,
Avec ses grands pâturages coupé3 par de nombreux
ruisseaux et peuplés de ruminants, Ouatchardé rappelle
un peu l'Auvergne.
En route depuis le lever du jour, après une série de
sites que ne puis me lasser d'admirer et une succession
de plateaux que nos animaux ont peine à franchir, le
lundi 6 juin, à dix heures et demie du matin, nous arri-
vons au col de Dantégué, situé à huit cents mètres d'al-
titude. Gardé par lesfellos Dantégué et Sako, montagnes
rocheuses d'une grande hauteur, le col Dantégué est la
limite de l'Irnangué (pays de l'Ouest).
Si l'ascension a été pénible, la majesté du spectacle
que nous apercevons par l'ouverture du col nous récom-
pense largement de nos fatigues. Nous n'avons rien vu
d'aussi grandiose que la vallée du Kakrima qui s'étend
à nos pieds.
A travers un tapis de verdure, le fleuve Kakrima roule
ses flots argentés; les cases du grand village de Koussi,
bâti sur la rive droite, mêlent leurs nuances dorées au
feuillage sombre des orangers; huit plans successifs de
montagnes très élevées, où les jeux de la lumière
passent des tons les plus vigoureux aux tons les plus
tendres, découpenlsur le. ciel leurs bizarres dentelures.
70 ~À TRAVBR8 LB'FOUfA-piALLON '
Pour atteindre celle merveilleuse vallée, il nous faut
suivre, sur le flanc du fello Sako, une étroite route bordée
à gauche par une muraille de trois cents mètres de hau-
teur, et à droite par un ravin boisé très profond.
Nous marchons lentement, avec précaution, nos che-
vaux et nos mulets font un véritable travail de cirque el
avancent à grand'peine.
Enfin, exténués, à bout de forces, genst el bêles, nous
faisons notre entrée dans le grand village de Koussi,
nous marchons sous des orangers couverts~de fleurs et
de fruits et nous gagnons la place de la Mosquée, où
nous faisons halte.
C'est à Koussi que, pour la première fois, nous de-
vions être en bulle aux tiraillements des deux partis
politiques du Fouta. Le chef du village est absent et l'on
nous loge chez le fils de son prédécesseur, que quelques
hommes importants du pays voudraient installer e:i
remplacement du chef actuel. Ce jeune homme, qui n'a
rien d'un ambitieux, ne peut mettre à noire disposition
qu'une case où de nombreux jours de souffrance lais-
saient passer la pluie qui commence à tomber.
Très aimable, notre jeune hôte cherche à nous faire
oublier, par toutes sortes de prévenances, le délabre-
ment du logis. Poulets, oeufs, oranges, lait, il nous offre
tout ce qu'il a, et jamais il ne nous rend visite les mains
vides. Nous nous habituons à notre abri; mais en ren-
dant des champs le chef du village déclare qu'il ne veut
pas que des étrangers, surtout des blancs, logent
ailleurs que chez lui et nous installe dans sa propre
demeure. Heureusement nous ne perdons pas au change ;
notre case est spacieuse et a surtout pour agrément
l'ombre d'un gros oranger, dont le tronc n'a pas moins
de quatre-vingts centimètres de diamètre, et qui e«t
chargé de fruits mûrs que l'on peut cueillir en levant
la main.
Nous restons trois jours à Koussi, tant pour nous ra-
f£^^f:\ \- VALLÉE DU KAKRIMA 71
Titaiiîér que pour préparer le passage du fleuve Ka-
krima. Sans le moindre temps d'arrêt, nous sommes
occupés toul le jour, mais nous n'avons pas à nous
plaindre. La beauté du paysage, l'urbanité des habi-
tants sont d'agréables compensations.-
La vallée du Kakrima est digne d'admiration. Du
seuil delà case que nous habitons, nos regards se re-
posent sur la superbe chaîne de l'Inangué, montagnes
d'une grande élévation, des flancs desquelles s'échap-
pent de splendides cascades, qui se précipitent d'une
hauteur prodigieuse.
Le jour de notre arrivée, un palabre d'une longueur
désespérante a lieu. Au nombre de trente environ, les
hommes des deux partis sont réunis sous l'oranger
devant notre case. Le docteur a de la besogne, surtout
avec les Alfiya, parti de l'Almamy Hamadou, en mino-
rité dans la réunion. Ils cherchent, à nos dépens, à faire
pièce aux Sorya, parti de l'Almamy IbraMma Sory, qui
détienl actuellement le pouvoir.
Sincèrement, cela me fait plaisir d'assister à ce tour-
noi oratoire. Ailleurs, les assistants étaient toujours de
l'avis du chef. Ici, au moins, l'autorité de ce chef est
quelquefois tenue en échec. Néanmoins, Alfaya et Sorya
me paraissent être dans Ie3 meilleurs termes.
Il n'y a pas en douter, nous avons gagné les sympa-
thies des habitants, très défiants auparavant. Sans
doute, renseignées par leurs maris, les dames de Koussi
brûlent de l'envie de voir les deux blancs, et portant
qui des oeufs, qui du lait, elles viennent en procession
nous faire visite.
Etendus sur nos couvertures, nous nous laissons
complaisamment regarder. Quelques-unes de ces ai-
mables personnes sont assez belles, mais d'une beauté
spéciale que je ne comparerai pas à celle des Euro-
péennes. Leur teint chocolat, leurs grands yeux de ve-
lours, la façon originale dont elles coiffent leurs che-
72 À TRAVERS LE FÔUTA-DÏALLOtf

veux, leurs dents blanches qu'un gracieux sourire


laisse entrevoir leur donnent une physionomie fort
agréable. Je ne sais quelle est leur impression ni quelles
sont Tes réflexions que ces dames se font entre elles,
mais à coup sûr nous ne les effrayons pas. Elles ne
craignent pas de comparer la blancheur de noire peau
à la teinte bistrée de la leur.
L'une d'elles, jolie personne de seize à dix-sept ans
qui, en souriant, laisse voir une double rangéede perles,
s'approche de moi, me prend la main, découvre mon
bras, le place près du sien, et part d'un éclat de rire
argentin. Et, tout en communiquant ses réflexions à ses
compagnes, elle' me masse délicatement les bras 1

Chaque pays a ses usages : ici le massage fait partie du


code du cérémonial.
Ces dames parties, d'autres les remplacent. Toutes
se présentent les mains pleines. J'en compte jusqu'à
vingt-deux à la fois dans noire case. Nous sommes
passés à l'état de phénomènes. Qu'importe I Notre
garde-manger, grâce à la générosité des curieuses, est
bien garni : sept poulets, trois douzaines d'oeufs frais,
voilà des ressources pour l'avenir t
Par exemple, toutes ces beautés peulhs ont un in-
convénient bien marqué: se pommadant avec du beurra
de brebis, elles laissent après elles une horrible odeui
de graisse rance.
La grande chaleur tombée, nous nous rendons au
bord du fleuve, qui coule à vingt minutes du village,
pour préparer le passage de notre caravane. Le Ka-
krima est un fleuve de soixante mètres de largeur en-
viron. Au dire des naturels, il n'a pas moins de seize à
dix-huit mètres de profondeur et, pendant les grandes
plnies, il monte encore de dix mètres au-dessus du ni-
veau actuel. Une vigoureuse végétation couvre les rives
de ce fleuve qui, s'il faut en croire un homme du pays,
serait navigable jusqu'à la mer. Il y aurait, dit-on, h
j!^;-. VALLÉE DU KAKRIMA 73
une demi-journéede marche en aval, en face du village
de Sarisenne, un barrage de roches, mais une pirogue
peut toujours passer. Un peu au-dessous de ce village,
le Kakrima se réunit au Kokoulo et forme le Kon-
gouré, ou Dubréka, qui se jette dans la mer au sud du
Rio-Pongo.
S'il en est ainsi, si l'on peut naviguer sur ce fleuve
jusqu'au point où nous sommes, c'est une excellente
voie qui faciliterait les transactions commerciales avec
ce beau pays.
' Toutes no3 dispositions
.
prises, le 9 juin, nous quit-
tons Koussi. Au moment de seller les chevaux, nous
nous apercevons que deux d'entre eux ont eu les crins
delà queue et de la crinière coupé3, et même la peau
de ces pauvres animaux est entamée. Le mien est tel-
lement massacré et a les pieds si malades que nous
sommes obligés de l'abandonner.
En tête de la caravane, j'arrive au fleuve et procède
au p issagc. Deux pirogues ont déjà fait une traversée,
quand prêtes à partir de nouveau, un des hommes qui
accompagne le docteur saute dans une embarcation, el
déclare que nous ne passerons plus avant d'avoir causé
avec lui. Cet honnête commerçant n'a pas confiance el
veut être payé d'avance. Après deux heures et demie
d'un palabre des plus irritants, nous pouvons obtenir le
passage moyennant une pièce de guinée, deux cravates,
un crayon rouge el trois feuilles de papier blanc : le
batelier nous demandait d'abord la valeur de quatre
captifs, soit au maximum huit cents francs.
A dix heures et demie, toute la caravane est enfin
sur la rive droite du Kakrima. Nous entrons dans le
Fouta proprement dit.
Après une heure de marche nous arrivons à Tiangué-
Mabo, village d'esclaves, où nous restons trois jours,
afin de pourvoir au ravitaillement qui n'a pu se faire à
Koussi. Le riz devient rare ; les habitants, ne sachant
74- A' TRAVERS" LE F^UTA'-DÏALLÔN^"^"
pas encore ce que sera la récolte, gardent leurs provi-
sions. Malgré de grandes difficultés, nous nous en pro-
curons pourtant pour quatre jours, et il était grand
temps, notre escorte ayant dû se passer de manger
pendant toute la journée.
Pour la première fois, depuis notre départ de Boké,
nous faisons flotter le pavillon français au faite de notre
case.
Décidément, nous marchons précédés d'une réputa-
tion de phénomènes : comme à Koussi, pendant notre
. séjour à Tiangué-Mab>,
nous recevons la visite de nom-
breuses femmes, qui viennent'des environs et entrent
dans notre case les mains pleines de présents.
Nos hommes se dérobent chaque jour quelque chose
et, quand te vol est découvert, s'accusent réciproque-
ment avec rage, presque constamment à faux. Un jour
que pareil fait s'est renouvelé au sujet de quelques
orangos (sorte de verroterie très eslimée des Peulhs),
nous décidons de mettre un terme à cet état de choses
préjudiciable à nos intérêts et à l'harmonie que nous
souhaitons voir régner dans notre troupe :
Nous permettons au vieil Omar, le doyen de nos
noirs, de mettre en pratique la fameuse épreuve du
feu, en vigueur dans certains pays nègres, afin de dé-
couvrir le Yoleur.
— Je vais mettre dans le feu le couteau, nous dit
Omar; quand il sera rouge, tous les hommes il lé-
chera; celui-là qu'est la langue brûlée, c'est lui qu'est
le voleur.
Chaque homme subit l'épreuve el aucun n'est brûlé;
Omar conclut que le voleur est un homme du village.
ce qui peut bien être vrai, du reste.
Mais à peine cette affaire est-elle liquidée, qu'une
autre surgit. Le Kraoman Salifou est accusé par quel-
ques-uns d'avoir mutilé nos chevaux. Appelé devant
nous, le prévenu, qui a bien la tête d'un vaurien, re-
--4C'*'-: VALLEE DU KAKRIMA 75
jette l'accusation sur le Bambara Couli Bari. En appre-
nant ce dont il est accusé, Couli-Bari entre en fureur,
veut tuer son délateur et se défend énergiquement d'un
pareil forfait.
Forcés d'agir avec énergie, nous prenons la détermi-
nation suivante :
Renouvelant les combats singuliers du moyen âge,
nous obligeons les deux hommes à se battre au sabre,
leur disant que le coupable sera certainement tué.
Couli-Bari saisit un sabre et tombe immédiatement en
garde. Mais, plus filou que brave, Salifou refuse de se
battre et cherche à se sauver : il n'en a pas le temps, le
Bambara tombe dessus à bras raccourcis et lui inflige
une correction dont il se souviendra longtemps. Si l'on
n'eût séparé les combattants, c'en était fait du Krao-
man.
— Dorénavant, dit le docleur à noire escorte, si un
homme porte une accusation sur son camarade, ils se
batlronl au sabre tous les deux et le combat ne finira
qu'avec la mort de l'un des adversaires. Réfléchissez-y
bien.
Ah! ce n'est pas toujours amusant de commander à
quatre-vingts nègres!
76 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON

VIII

TIIIERNO-MAIIADIOU

Le 12 juin, par une belle matinée, nous quittons


Tiangué-Mabo. La caravane chemine à travers une
vallée couverte de belles cultures, de bosquets touffus,
et coupée de nombreux ruisseaux poissonneux, qui ne
portent plus, comme dans l'Irnangué, le nom générique
de Tiangui, mais celui de Tiangol. Apre3 deux heures
d'une ascension pénible, nous atteignons le premier
plateau du fello Sounouma. Un bruit formidable nous
révèle, sur la gauche de la route, une cascade qui est de
toute beauté.
Les eaux du D'journdé-Dompadié, qui d'abord sortent
d'un épais bosquet planté sur l'arête de ta montagne,
se brisent sur d'énormes blocs de roches noires, puis,
rencontrant le vide, se précipitent avec un bruit formi-
dable au fond d'une gorge étroite et profonde.
De ce plateau, où gisent çà et là des blocs de granit
qui affectent les formes les plus bizarres, le point de
Fy??; THIBRNO-MAHADÏOU 77
Tue est très beau. Au sud se déroute un panorama de
montagnes très élevées qu'un ciel orageux inonde de
brillants effets de lumière. A droite de la route, se
dresse le pic de Tourna.
Toutes les dix minutes, nous traversons un torrent et
nous rencontrons des obstacles à décourager les plus
iutrépides. Au Boundou-Dompadiê (source du Dompadié),
qui sort d'un amas de roches, la route semble fermée
par une muraille. Un étroit pertuis, en forme d'escalier,
ne laisse passer qu'un homme à la fois. Ce n'est qu'a-
près trois heures d'un travail opiniâtre que nous fai-
sons franchir ce passage à notre cavalerie.
Des aboiements de chien nous font supposer à tort
l'existence d'un village. C'est une troupe de singes
cynocéphales qui fait ce tapage. Le Bambara Couli-
Bari en tue un qui a un mètre de longueur; on le dé-
pouille et les hommes s'en partagent la chair, qui fera
bonne figure dans la marmite.
Après avoir traversé le liangol Tourna, torrent assez
large, où mon passeur glisse et, m'entralnant dans sa
chute, me fait prendre un bain froid, nous arrivons
enfin aux foulassos (maisons de campagne) Wendou-lès-
Touma, où se termine cette longue étape.
Construit au pied du pic Tourna, ce petit village, dont
les cases disparaissent au milieu des plantations de
maïs, est bien nommé Wendou, mot qui signifie pays
des eaux. De nombreux ruisseaux coulent de tous côtés 1
Aussi, la température est-elle relativement fraîche et la
végétation très puissante.
En quittant Wendou, nous escaladons le pic Tourna.
Si la route est fatigante, la vue est réjouie par de nom-
breuses cultures el des fermes accrochées aux flancs
de la montagne. En quatre heures, nous atteignons le
sommet (1,300 mètres d'altitude). C'est le point le plus
élevé que nous ayons franchi jusque-là; Encore quatre
heures de marche, et nous arrivons à Bourléré, beau
78 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
,
village entouré de pâturages où paissent de grands
troupeaux de boeufs. A deux heures, le thermomètre
marque 22*. Un déluge d'eau glacée s'abat sur nous
jusqu'à cinq heures du soir ; le thermomètre descend à
lOo ; il fait froid et les Ouolofs grelottent.
Je n'exagère pas : au moins cinquante femmes nous
rendent visite pendant notre court séjour à Bourléré ;
elles entrent deux par deux et sont présentées par le
propriétaire de notre case. Je soupçonne même cet
homme de s'être fait payer et Hamadou-Ba partage
mes soupçons.
Nous emportons de Bourléré une ample provision de
victuailles. Tous les habitants assistent à notre départ.
Le pays que nous traversons esl de plus en plus cul-
tivé ; de nombreuses margas (fermes) bordent la roule.
Une grande animation règne dans les champs, car nous
sommes dans la saison des pluies. Les naturels, attirés
parla curiosité, quittent momentanément leurs travaux
el se pressent sur notre passage.
Pour la première fois, nous voyons des bembalsoutou-
roux, hauts-fourneaux qui servent à fondre le minerai
de fer. Il y a certes bien loin de ce rudimentaire appa-
reil, qui rappelle une cheminée de locomotive montée
sur une demi-sphère, à nos installations métallurgiques,
mais nos ancêtres n'étaient peut-être pas mieux outillés
que les Peulhs.
Nous suivons le bord d'un précipice, au fond duquel
coûte le Donzo, torrent qui, un peu en amont, fait une
chute de quarante mètres. Sur les bords du Donzo est
assis en amphithéâtre Diaga, un joli village qui, en ce
moment, est ravagé par la petite vérole, ce qui nous
empêche de nous y arrêter.
Après neuf heures de marche, nous franchissons une
ondulation de terrain et nous découvrons le plateau de
Timbi, dont l'étendue est si considérable que la vue ne
peut l'embrasser tout entier. Ce plateau est couvert de
^ THIBANO-MAHADÏOO 79
cultures et de nombreux foulaàsos. Du point où nous
sommes, il semble que nous admirons un jardin
immense, où, pour se garantir du soleil, on a dressé
des abris en paille. Nous ne voyons pas la ville. Toutes
ces habitations composent la banlieue; ce sont des pro-
priétés de campagne, où, pendant la saison des cultures,
résident les riches habitants de Timbi.
Le pavillon tricolore est déployé ; le sergent Bagnic,
très fier d'être porte-drapeau, ouvre la marche. Deux
hommes envoyés par Thierno-Mahadiou, leur maître,
nous guident jusqu'au foulasso Voizan, où habite en ce
moment le chef de Timbi. Dès cet instant, une foule
toujours grossissante d'hommes, de femmes et d'en-
fants nous fait escorte.
La lettre suivante, adressée comme la première à
mon. ami le docteur Labarthe, rend compte de mes
impressions mieux que je ne pourrais le faire de mé-
moire :
« Foulasso de VoizaD, banlieue de Timbi, province de
Timbi-TouoDi (Fouta-Diallon), le 9 juin isai.
Mon cher Paul,
Comme lu le vois par l'en-tête de ma lettre, nous
sommes au foulasso (maison de campagne) de Voizan.
Ne cherche pas cette localité sur une carie d'Afrique,

tu ne l'y trouverais pas. Voizan esl une résidence d'été
de Tierno-Mahadïou, chef de la province de Timbi-
Tounni, située à dix kilomètres de Timbi, ville capitale.
Nous sommes arrivés ici mardi dernier, 14 juin,
après une étape de vingt-huit kilomètres. J'aurais voulu
que tu visses notre entrée, véritable entrée triomphale.
Thierno-Mahadiou n'était pas chez lui au moment de
uolre arrivée ; mais sa mère, femme très digne, nous
installa dans la case de sa première bru.
Nous sommes à peine entrés, que notre demeure est
envahie par les naturels qui, ébahis, nous regardent
80^ A^Rïv1ii| ^^U^T^LLX>N^
comme des bêtes curieuses. On ne peut pas se retour-
ner. Tout à coup, comme par enchantement, les curieux
disparaissent. C'est le chef qui rentre.
Thierno-Mahadiou se rend aussitôt à l'endroit où se
tiennent les palabres et nous fait prévenir qu'il est à
notre disposition.
Pendant que Bayol expose rapidement le but de notre
venue au Foula, le chef parait étranger à la conversa-
tion et égrène son chapelet. Mais nous sommes habitués
à celle manière de faire et nous n'y prenons plus
garde.
Thierno-Mahadîou, chef du diwal (province) de Timbi-
Tounni, territoire aussi grand que deux de nos an-
ciennes provinces, est un homme d'environ trente-cinq
ans ; son visage, d'un noir mat, est assez régulier, mais
porte les traces de la petite vérole ; son regard est doux
et énergique; son nez est fin; ses lèvres sont un peu
épaisses, et une barbiche orne son menton. Il est vêtu
simplement d'un boubou bleu en étoffe du pays, mais
l'aspect du personnage indique un homme peu ordi-
naire.
Le palabre terminé, Thierno prend une noix de Kola
blanc, la casse en trois, nous en donne un morceau à
chacun en signe de bienvenue, partage l'autre entre
lui et ses proches et nous dit :
— Ma malien est à vous ; le Fouta, c'est la France ;
demandez tout ce dont vous avez besoin.
Puis il offre À nos hommes les fruits d'un oranger
qui. ombrage la case que nous habitons à condition de
ne pas en casser les branches, et l'audience est levée.
Dès le premier jour, Thierno nous traite en amis de
vingt ans ; il reste très tard avec nous, goûte à notre
café et accepte une invitation à déjeuner pour le lende-
main.
Thierno nous montre une grande déférence ; obsé-
quieux même, il fail apporter ses repas dans notre case
THIBRNO-MAHADÏOU 81
et là causerie dure également-jusqu'à minuit. "Nous
n'avons pas un instant à nous; quand ce n'est pas
Thierno et ses fidèles qui envahissent notre demeure,
c'est sa famille. Je ne m'en plains pas, cette famille est
vraiment charmante; deux de ses soeurs, principale-
ment, sont très aimables. Quant aux enfants, qui pul-
lulent ils sont amusants ; quelques-uns même sont
jolis.
Moins réservé avec moi qu'avec Bayol, Thierno, c'est
camarade à moi, comme disent les noirs. L'autre jour,
il me demande si je veux promener avec lui ; j'accepte
et il me conduit chez une de ses femmes qui habile une.
propriété voisine.
Madame Thierno m'offre un mouton et un papaye
(fruit du papayer, variété de palmier). Nous allons
ensuite chez une autre de ses épouses qui me donne
un poulet.
Thierno-Mahadiou est l'heureux possesseur de douze
épouses ; il a douze intérieurs el par suite douze petites
familles.
Un jour de grand Salam (dimanche des musulmans),
Thierno me propose de l'accompagner à la me -qoée de
Timbi, où il va officier. Désireux de connaître l'impor-
tance de la ville, j'accepte avec plaisir. Pour celte cir-
constance, je revêts le costume du pays, auquel j'ajoute
mes souliers et un grand chapeau par-dessus mon tur-
ban ; je prends le meilleur de nos mulets et nous nous
mettons en route. Thierno me fait admirer la beauté
des cultures qui couvrent le plateau et nous arrivons à
la ville, située à dix kilomètres de Voizan.
— Timbi I me dit Thierno ; je cherche la ville, mais
je ne vois qu'un épais rideau d'arbres touffus qui çà et
là laissent apercevoir le sommet d'une case. Nous nous
engageons dans une rue étroitement resserrée entre
deux haies vigoureuses, puis nous arrivons devant une
barrière, formée de pieux rapprochés, qui barre le che-
6
82 A TRAVERS LE FOUTA*DtALLON
min et qui ne livre passage qu'à un homme à la fois.
Thierno fait franchir cet obstacle à son cheval et, pour
ne pas se déchirer les pieds, il les relève par-dessus
l'encolure.
Thierno jette sur ma pauvre monture un regard de
compassion ; mais, à sa grande surprise, mon mulel
franchit l'obstacle. Peu à peu nous débouchons sur la
place de la Mosquée, monument qui, comparé aux
mosquées que j'ai déjà vues, présente de très grandes
dimensions. Elle n'a pas moins de vingt mètres de dia-
mètre et sa hauteur est de quinze mètres. Une palissade
•formée de pieux clôture une grande cour, où s'élève un
échafaudage sur lequel on monte par une échelle gros-
sièrement travaillée. C'est de laque le marabout appelle
les fidèles à la prière. Nous suivons enco -e pendant
quelques minutes une rue étroite et nous arrivons à la
demeure de Thierno.
Cette propriété est close par un mur en argile, re-
couvert d'un petit toit en chaume. On pénètre dans la
cour par deux tourelles, qui servent de vestibule et dont
les portes sont assez élevées pour permettre de passer à
cheval. Dans l'une de ces louielles, le forgeron de
Thierno a établi sa forge.-Elle ne tient pas beaucoup de
place. Au milieu de la cour sont bâties quelques cases
ordinaires et une maison de forme rectangulaire. Les
cases rondes servent de logement aux captifs et la mai-
son carrée est l'habitation de Thierno. Cette case, élevée
d'un étage formant grenier auquel on arrive par un
escalier en terre battue, est très bien construite. Une
vérandah de trois mètres de large fait le tour de la
maison, mais le côté seul de la façade est public et sert
de parloir ; les autres parties, fermées par deux murs,
sont réservées aux intimes.
On pénètre dans l'intérieur par deux portes basses
qui s'ouvrent sur la galerie. Un réduit très étroit,
meublé-seulement d'une banquette en terre, sert de
;5|5:'-".'' THIERNO-MAB-ADÏOU 83
chambre à coucher au maître; dans les autres parties
de la maison est logée la famille et sont placés les
magasins.
Thierno-Mahadiou me fait asseoir à côté de lui et
immédiatement les habitants viennent lui présenter
leurs hommages. Au bout d'une demi-heure, il y a
deux cents hommes sous la galerie : deux cents poi-
gnées de main et des salamalecs à n'en plus finir.
'Je suis surtout l'objet de la curiosité des visiteurs,
mon costume les intrigue; comme je semble suivre la
.

conversation, ils se figurent que je suis un Arabe, que


je parle le poulh, mais que je ne veux rien dire.
Le cortège se forme ; Thierno-Mahadiou, revêtu d'une
sorte d'étole qui lui sert à officier, et les hommes, au
nombre de trois cents, se rendent à la mosquée. Quant
à moi, je reste à la maison, mais mon domestique, qui
aurait pu me servir d'interprète, m'a fait faux bond et
je n'ai pu faire la conversation avec quelques jeunes
gens qui s'ont restés pour me tenir compagnie. Quelle
gêne pour moi, qui suis si bavard I
Cependant, la faim me fait trouver l'office bien long;
mais un homme vient me chercher el me conduit à la
mosquée. Le salam touche à sa fin. Il y a, tant dans le
temple que dans la cour, au moins quatre cents fidèles.
Tous sont des hommes libres,-et en comptant trois
femmes par homme, plus les enfants et les captifs de
case, j'estime que la population de Timbi peut être éva-
luée à trois mille ou trois mille cinq cents habitants.
De retour à la maison, il y a une séance de justice.
Quoique ne comprenant rien aux débats, je remarque
pourtant qu'un homme de loi, le greffier sans doute, et
quelques vieillards, retirés à l'écart, semblent délibérer.
A cinq heures du soir, tout est terminé et nous re-
montons à cheval, mais sans avoir déjeuné. La plupart
.

des habitants, comme nous, retournent à leurs foulasses


et la ville redevient déserte.
84 ATRAVBRS LE Foi^À-ÇlALLÔif
Afin de me montrer la beauté des cultures du pays,
Thierno me fait suivre au retour une route nouvelle. Il
fait déjà nuit, lorsque, près d'arriver à notre demeure
et sans me prévenir, Thierno lance son cheval à toute
bride et me brûle la politesse. J'arrive dix minutes
après lui ; il s'excuse de la bonne farce qu'il vient de
me faire et qui a pour but de me prouver que son che-
val est le meilleur du Fouta.
Thierno-Mahadiouest un chefqui réprime cruellement
te délit et l'offense. Presque chaque jour, depuis que
nous sommes ici, il y a eu quelque exécution.
Un jour, c'est un petit captif, enfant de neuf ans, qui
est délivré des fers, où il était depuis six jours, et qui
reçoit comme complément de sa peine quarante-cinq
coups de fouet à quatre branchés.
Le lendemain, c'est un autre captif, accusé d'avoir
volé delà poudre. Il est tenu par quatre solides gaillards
et il reçoit simultanément sur le dos et sur le ventre
une trombe de coups de fouet. Le malheureux n'était
pas coupable!
Dans l'après-midi, une femme de vingt-cinq ans,
captive en fuite depuis quatre ans, est reprise et mise
aux fers. Thierno, lai-même, enfonce les tenons de fer
qui emprisonnenl les chevilles de la patiente dans une
énorme bûché. La malheureuse, assise par terre, le
torse nu, reçoit une pluie glacée ; elle tremble, mais
parait résignée. Cependant, la nuit venue, on met la
pauvre femme à l'abri sous un vérandah. \
La séance de justice, commencée à Timbi, s'est ter-
minée ici. Un prévenu, accusé d'injures graves envers
Thierno, s'entend condamner à recevoir quatre cents
coups de corde ou à payer une forte amende. H ne
peut payer el reçoit immédiatement la terrible correc-
tion. Maintenu à plat ventre sur le sol, le dos nu, le
patient attend l'ordre du chef qui est entouré du jury.
— Avoua!
1 ':; THIBRNO-MAHADÎOU &>

Le bourreau laisse tomber le fouet à quatre branches


sur les reins du pauvre hère, qui, à chaque coup,
demande pardon à Thierno-Mahadiou.
Un pareil spectacle me révolte et, au deuxième coup,
je prie Bayol de demander la grâce du malheureux ;
mais, avec beaucoup de justesse, Bayol me répond que
nous n'avons pas à nous mêler des affaires des autres.
Ce côté féroce du caractère de Thierno a bien attiédi
la sympathie que j'avais pour lui. Pourtant il n'y a pas
si longtemps que la torture a disparu de nos codes.
-
Je ne veux pas, cher ami, te laisser sur Cette mau-
vaise impression. Yoicr, comme contraste consolant,
une idylle dont j'ai été l'un des héros et qui a failli se
terminer par un double mariage... Tu riras si tu veux,
mais, quoiqu'en voyage, on n'en a pas moins un coeur.
Je t'ai dit plus haut que les membres féminins de la
famille du chef aimaient à nous rendre visite. Parmi ce
personnel aimable, deux jeunes filles, soeurs de Thierno,
venaient plus souvent que les autres.
Maémouna, dix-sept ans, et Yoro, seize ans, sont
toutes deux belles à ravir. Leur peau couleur chocolat,
leur yeux de gazelle, leur sourire gracieux, leur voix
harmonieuse, leur distinction exquise, — et il faut
qu'une jeune fille, décolletée jusqu'à la taille et uni-
quement vêtue, d un pagne très court, ait une extrême
distinction pour que cela soit remarqué I — toutes les
qualités, en un mot, qui rendent une femme séduisante,
m'ont amené à être éperdument amoureux de ces deux
beautés noires.
J'ai bien essayé, pendant les longs instants qu'elles
passaient près de moi, de leur parler des splendeurs de
notre capitale, des tramways, du square des Bali-
gnolles, du moulin delà Galette!... Mais elles m'ont ré-
pondu par un sourire malicieux et m'ont fait com-
prendre qu'elles ne pouvaient m'écouter... qu'en
mariage seulement.
_S6 A TRAVERS LE FOUTÀ-DÎALLON

Je suis vraiment embarrassé pour donner la préfé-


rence à l'une plutôt, qu'à l'autre. Les moeurs du" pays
autorisent la polygamie... Je n'hésite pas : je déclare à
Thierno que, fortement épris de ses soeurs, je serais
flatté de devenir son beau-frère.
Thierno consent à mon bi-conjungo, sous la condition
que je demeurerai dans le pays. Cela ne fait plus mon

affaire, car je comptais bien emmener mes femmes avec
moi.
— Mais, lui dis-je, je ne puis rester dans le pays! Ici
je n'ai rien, je ne possède aucune fortune I Je n'ajoute
pas qu'en France C'est absolument la même chose, et je
poursuis:
— Comment ferais-je pour nourrir ma famille ?
— Je le donnerai une étendue de terrain aussi
grande que d'ici à Timbi, répond-il, je te donnerai des
boeufs et des captifs pour commencer les lougans (cul-
tures). Puis, nous irons ensemble à la guerre, tu gagne-
ras des esclaves et tu seras bientôt riche.
La proposition était tentante; cependantje n'acceptai
pas. Peut-être m'en repenlirai-je un jourl Je ne vis
qu'un moyen de me tirer de là, j'en usai.
— Je te remercie. Thierno, et suis heureux d'avoir ton
amitié, mais je ne puis rester ici. Les lois de mon pays
ne me permettent pas de me marier sans l'assenti-
ment de mes parents. Sitôt que j'aurai vu l'Almamy, je
retournerai à Paris, je demanderai à ma mère spn con-
sentement, je prendrai mes papiers et reviendrai près
de toi. Alors, si tes soeurs sont toujours libres, eh bien !
je les épouserai.
— Inch Allah (à la volonté de Dieu)! Comme il te plaira.
Forlon'ké (homme du pays blanc)! Si tu reviens, tu
seras le bien venu.
Qui sait, j'ai peut-être refusé le bonheur. Deux ,

femmes qui m'auraient choyéI Deux femmes qui m'au-


raient donné une nombreuse famille de petits négros...
^S<:-'--\ T«JLB»N<>-MAHAPXOU &7

pardon, de petits Noirol... Ah! ce sonj peut-être toutes


ces considérations qui font que les noirs chérissent
tant la polygamie : quand ils ont six femmes, ils sont
six fois plus aimés que s'ils n'en avaient qu'une... Heu-
reux mortels 11
Nous partons demain et, à moins d'accidents, nous
serons dans six jours à Timbo... »
$8tV " A^RÀVEÏRS^LlèF^^^ÀLlWN^

IX

A P0UC0UUBA

Le lundi 20 juin, à dix heures du matin, nous quit-


tons Voizan, accompagnés de Thierno-Mahadiou et de
ses deux chanteurs. Une foule, où dominent les femmes
et les enfants, suit le cortège jusqu'à Yongassi. Désireux
de faire notre connaissance, les habitants de ce village,
qui presque tous exercent la profession*de cordonnier,
nous prient de nous arrêter un instant. Nous leur
accordons une demi-heure. Pendant cette halte nous
avons l'occasion d'admirer un. halo solaire ; c'est le
seul phénomène de ce genre que j'aie vu dans ce
pays.
En quittant Yongassi, notre escorte se grossit de deux
cavaliers, amis de Thierno, et de tous les gamins du
village qui ont déserté l'école et trottinent à nos côtés.
Nous arrivons au tiangol Kokoulo. Cet affluent du
Kakrima, large de quatre-vingts mètres, court rapide-
ment sur un fond de roches glissantes et nous demande
;p 4-':.'t• "•'•
.-
''; A
FOUCOUMBA''f-:..''].; 89/
plus d'une heure pour le traverser à gué, avec de l'eau
jusqu'à mi-cuisse.
D'après les renseignements fournis par Thierno-
Mahadiou, le Kokoulo, après avoir franchi une gorge
étroite que nous voyons en aval, forme la chute de
Kamba-Daga et va se réunir au Kakrima, près du village
de Sarésenne. Le passage terminé, Thierno dépêche en
avant un des cavaliers, et, dès que nous arrivons en
vue de Bourou-Kadié, nous sommes reçus parle chefdu
village qui, accompagné de son tabula (tambour de
guerre), est venu à notre rencontre.
Après les compliments d'usage le cortège se remet en
marche. Si les griots, pinçant eur petite guitare, ne
mêlaient pas, leurs chants aux battements sourds du
tabala, notre marche ressemblerait fort à un enterre-
ment militaire.
Cest sous un arc de triomphe, formé par les haies de
purgoères qui bordent la rue que nous faisons notre
entrée dans le joli village de Bourou-Kadié, où les oran-
gers et les bananiers abritent chaque case des rayons
du soleil qui, lui aussi, dirail-on, veut nous faire fêle,
toute la population mâle du village est réunie dans la
cour de la mosquée, pour saluer le chef de leur diwal
(province) et les deux chefs blancs, ses hôtes.
A peine sommes-nous installés, que notre case est
envahie par une foule de curieux. Nonchalamment
assis à la turque, nous répondons à toutes les questions
et écoulons les doléances des griots deThierno, qui, ayant
élu domicile chez nous, grattent des airs nationaux sur
leurs guitares indigènes.
Nous recevons la visite d'un frère de Thierno qui vient
d'assez loin pour nous saluer. Frère de père et de mère
du chef de Timbi, c'est-à-dire frère absolu, ce beau,n»ir,
qui a la physionomie 1res douce el un véritable oeil de
gazelle, répond au nom de Omar-Sylla.
Sylla I te nom du célèbre Romain I Gomment ce nom
'90 FOOT^DiAlLLON^
A TRAVERS LB
a-t-il pu pénétrer dans un pays si éloigné et peu en
rapports avec l'Europe?
Quand nous quittons Bourou-Kadié, presque toute
-la population, Thierno en lête, nous escorte jusqu'à
l'extrémité du village. Nous serrons la main au chef du
dhcal de Timbi et nous lui faisons nos adieux comme
des hommes qui ne se retrouveront plus en présence ;
enfin, pour reconnaître les honneurs qu'il nous a pro-
digués, nous le faisons saluer par une salve de cin-
quante coups de feu. '
Quel sentiment éprouvait ce généreux noir en voyant
s'éloigner ses hôtes blancs? Je ne sais, mais cheminant
à l'arrière de la caravane, je regardai en arrière, au
premier détour du chemin, et je le vis immobile à la
même place, les regards tournés vers nous.
Successivement, nous trouvons un pays de plus en
plus cultivé, nous franchissons le liangol Koub\, torrent
important qui porte ses eaux au Kokoulo, nous défilons
devant le grand village de Brouwoil-Walarbé, nous pas-
sons le petit liangol Dianga-Leydi sur un pont naturel,
énorme roche plate, au centre de laquelle l'eau s'e3t
creusé un lit.
— C'est Dieu qui a fait ce pont, dit noire guide, il y
a cent ans; il l'a bâti en une nuit. '
Nous laissons à droite les villages de Brouwoil-Tapé,
Bomboli, el nous arrivons à l'extrémité du plateau de
Timbi, d'où nous découvrons la superbe vallée du
Thénée. »

Entourée de montagnes à crêtes continues qui lais-


sent, comme dans l'frnangué, échapper de leurs flancs
de belles cascades, cette vallée, d'une étendue immense,
est fermée au fond par les monts qui séparent le bas-
sin du Bafing (Sénégal) du bassin du Niger
Nous descendons rapidement le flanc du plateau et,
deux heures après, nous entrons dans le village de
Douria. De 27 degrés que nous avions sur le plateau,
,;
%&
A FOUCOUUBA 9!
fie thermomètre monte à trente dégrés dans la vall'e.
|fitoké, le docteur
A DourTa, nous rencontrons Itah, le courrier que, de
a s'est acquitté
envoyé à l'Almamy. Il
de Sa lâche, mais non sans flâner en route ; nous n'en
sommes pas moins heureux de le retrouver, car il
amène avec lui Mahamadou-Saldou, conseiller intime
! de l'Almamy
Ibrahima Sory, chargé de nous souhaiter
la bienvenue.
Mahamadou-Saidou, qui ne devait se séparer de
•'. nous qu'en France, nous montra dès le premier jour ce
qu'il devait être pendant les longs mois que nous avons
eu à passer ensemble. Intelligent, gai, aimable, aucun
.
de ses actes' n'a démenti la première impression qu'il
nous a faite.
-
Peut-être aurais-je personnellement à m'en plaindre,
mais je lui ai rendu la monnaie de sa pièce et je le
.tiens quitte. Pendant cette première soirée, il m'a pro-
mis spontanément que, dès notre arrivée à Timbo, il
me marierait. Plus tard, quand je lui ai rappelé cette
promesse, il m'a dit :
— Je suis trop occupé des affaires du Fouta et de la
France.
A mon tour, pendant mon séjour à Paris, lorsqu'il
m'a demandé pourquoi je lui défendais de regarder
trop souvent les demoiselles du Louvre, je lui ai ré-
pondu :
— Nous n'avons pas le temps. Je suis trop occupé des
affaires de France et du Fouta.
Deux heures après avoir quitté Douria, nous arrivons
sur les bords du Thénée, que nous traversons sur un
pont de cinquante mètres de long et dont la plate-
forme est faite avec des branches d'arbres, pont plus
praticable pour les chèvres que pour les hommes.
Jusqu'à présent, les voyageurs qui nous ont précédés
au Foula ont cru que le Thénée était la continuation de
la* Falémée. D'après les renseignements qui nous sont
92 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
fournis, le Thénée est un affluent du Bafing et n'a au-
cune ramification avec la Falémée, qui prend sa source
dans la province de Labé.
A Dambourla, où nous passons la journée, nous
sommes reçus par le chef, qui est justement le frère
aîné d'Alfa Oumar, l'un de nos interprètes.
Nous suivons la vallée, qui est très fertile; nous tra-
versons plusieurs cours d'eau, et, le 23 juin, à midi,
nous arrivons devant Foucoumba. —
Cette ville, la ville sainte du Fouta, est bâtie au
pied d'une montagne à crête dentelée qui porte le
même nom que la ville. C'est dans sa mosquée, la pre-
mière qui fut construite parles Peulhs conquérants,
que les Almamys sont sacrés rois du Fouta-Diallon. Le
chef de la ville a la faveur de poser lui-mémo le turban
sur la tête des souverains.
Comme pour Timbi, il est impossible de juger de
l'étendue de la ville, tellement est épais le rideau de
fenillage qui l'entoure. Guidés par le fils du chef jus-
qu'à la demeure qui nous est assignée, nous suivons
une rue très étroite, embarrassée de roches et si en-
caissée que nous ne voyons pas une seule case. Après
dix minutes de marche sous une voûte formée par des
haies de purguères, nous nous arrêtons devant une tou-
relle qui sert d'entrée à la propriété que nous devons
habiter. Je procède à noire installation, et, pendant ce
temps, Bayol va présenter ses respects à Alfa Manama-
dou-Foucoumba. chef de la ville. '.
Notre demeure est une dépendance du sou3-chef de
la ville; elle est de forme rectangulaire et divisée en
deux chambres s'ouvrant sur une vérandah large de
deux mèlres qui fait le tour de la case. C'est dans cette
maison que logent les Alamamys lorsqu'ils viennent à
Foucoumba pour leur couronnement.
Vers le soir, nous allons rendre visite au chel. La
propriété qu'il habile est remarquable par sa propreté
WP^-:;>;v A FOUCOUMBA 93
.et sa construction soignée. On erftre d'abord dans un
/vaste enclos bien sablé, après avoir traversé deux tou-
relles où veillent des captifs et où deux -chevaux sont
attachés; huit cases, très confortables, sont rangées sur
une seule ligne. La case du maître est un peu à l'écart,
et une clôture en roseau la sépare de celles qui servent
d'habitation aux femmes.
Alfa Mahamadou-Foucoumba est un vieillard de
soixante-dix ans au moins, qui porte des lunettes. Rien
ne se décide dans le Fouta sans qu'il soit consulté, —
c'est lui-même qui nous l'apprend. Ce chef me fait l'effet
d'être, en réalité, un rusé diplomate. En prenant congé
de Son Excellence, nous lut promettons de revenir le
lendemain, avec la boite à musique, dont on lui a dit
beaucoup de bien.
Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas, dit
un vieil adage. Le lendemain de notre arrivée, on nous
.
fait part d'un événement politique qui contrarie nos
projets. Une révolution de palais a eu lieu à Timbo :
l'Almamy Ibrahlma s'est retiré à la campagne et a fait
place à son compétiteur, l'Almamy Hamadou, qui est
entré dans la capitale.
Le docteur Bayol se rend chez le chef pour avoir des
renseignements exacts. Alfa Mahamadou lui dit que
l'Almamy Ibrahlma s'est retiré à Donhol-Fella pour
obéir aux lois du pays, mais qu'il n'en est pas moins le
chef le plus fort el qu'il ne tardera pas à rentrer dans
la capitale.
— Votre arrivée, dit-il,empêchera peut-être la guerre
d'éclater entre les deux partis, mais il faut attendre un
peu.
Bayol manifeste au chef son intention d'écrire aux
deux Aimamys, car ma commission, lui dit-il, concerne
. les deux rois du Foula. Le chef l'approuve; mais,quand
les lettres sont écrites,il fait porter immédiatement celle
qui est adressée à l'Almamy Ibrahlma, puis il déclare
94 A TRAVERS LE FOUTA-QIALLON

inutile d'expédier la'lettre pour l'Almamy Ilamadou. !.e


docteur charge alors un de nos Peulhs de porter la nvs-
sive, mais celui-ci refuse en disant qu'il ne veut pas
se faire couper le cou. La situation tend à se compîi-
quer.
Les choses en étaient là, quand un domestiquo vint
nous annoncer l'arrivée d'un blanc.
— Un blanc?
Au même instant, je vois venir à moi l'Européen an-
noncé. Il porte un pantalon à petits carreaux, une che-
miso de laine rouge, une ceinture bleue et un casque
en outre, il s'abrite sous un parasol.
— Je me nomme M. Gaboriau, dit-il; vous êtes le
docteur?
J'appelle Bayol.
Quel était ce blanc? Que venait-il faire au Fouta?
En prenant un petit verre de chartreuse, il nous mit
au courant de sa situation.
Mandataire d'un négociant de Marseille qui, depuis,
a été nommé vicomte de Sanderval par le roi de Portu-
gal, M. Gaboriau, en compagnie de deux Européens,
avait, dès le mois de mars, quitté Boulam, comptoir
portugais du Rio-Grande, devant se rendre à Timbo
d'abord, puis à Balibok, pour y installer des comptoirs.
Il ne s'est donc pas mis seul en route; mais un de ses
compagnons a été obligé de rentrer à Boulam, et un
notre, malade, est resté dans le Labê avec la plupart
des bagages. Quant à lui, avec six hommes, il a, au
prix des plus grandes fatigues, continué le voyage.
Ayant appris au village de Kébaly que des blanc:
étaient à Foucomba, il y est venu en toute hâte. Il est
surpris de ne pas voir avec nous M. Moustier, qui, selon
ce que les indigènes lui avaient dit, montait à Timbo,
avec quinze mulets chargés d'or.
M. Gaboriau voulait partir immédiatement pour
Timbo. Le docteur le mit au courant de la situation et
A FOUCOUMBA 95
l'engagea à dîner avec nous. Après s'être fait un peu
prier, il accepta, et nous quitta afin de pourvoir à son
logement.
Le docteur va voir le chef; au retour, il est tristo et
son visage exprime une grande anxiété. En peu de
mots, il v i raconte co qui s'est passé. D'un ton des
plus aim'joles, le vieux chef lui a dit que, si nous per-'
sistr»"» à vouloir passer par Timbo pour nous rendre à
»! .nhol-Fella, il est assez fort pour nous faire attaquer,
attendu qu'après avoir écrit à Almamy Ibrahïma, c'est
chez celui-ci qu'il faut aller d'abord.
Je me disposais à bien dîner, mais je suis furieux de
ce que ce vieux ronard pouvait croire qu'il nous intimi-
dait, et la colère me coupe l'appétit; ni Biyol, ni moi ne
pouvons tenir tête à M. Gaboriau, qui, s'étant rendu à
notre invitation, mange avec un appétit au-dessus de
tous les éloges.
M. Gaboriau nous dit qu'il avait envoyé demander au
chef un gîte pour !a nuit, un guide pour le lendemain ;
que ces demandes ont été bien accueillies et qu'il par-
tira à la première heure pour Timbo.
D'autre part, Mahamadou Saldou nous a assuré que
le Porlon'ké, croyant aller à Timbo, sera conduit parson
guide à Donhol-Fella. Le docteur prévient M. Gaboriau
qu'on le trompe; mais celui-ci ne tient pas compte de
l'avis, disant qu'il verra bien si on ne le conduit pas à
Timbo.
M. Gaboriau nous rend un grand service en nous don-
nant un thermomètre, afin de remplacer le dernier qui
est cassé depuis quelques jours. Il prend congé de nous,
à une heure déjà avancée. Restés seuls, nous consta-
tons avec peine que les Peulhs de notre escorte, qui
d'habitude couchent autour de nous, ont déserté et em-
mené avec eux notre petit domestique Gassimou. Maha-
madou-Saldou et Hamadou-Ba sont restés; nos Ouo-
lofs, enfermés dans leur case, dorment à poioge fermés.
96 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
La situation est évidemment difficile. A tout hasard,
nous nous couchons la porte ouverte, les armes à notre
portée; mais nous ne fermons l'oeil, ni l'un ni l'autre,
de toute la nuit.
M. Gaboriau part de bonne heure. Peu de temps après
Comba, le Satiguê (chef des esclaves) de l'Almamy Ibra-
hlma, vient, envoyé par son maître, nous dire d'ail r
d'abord à Donhol-Fella, que nous y ferons les affaires
de la France, et qu'ensuite il nous ferait conduire à
Timbo. C'était un événement que la venue de Comba,
car son maure ne l'envoie en mission que dans tes cas
absolument urgents. Alfa Oumar, notre interprète, qui
avait passé quelques jours dans sa famille, vient nous
rejoindre. Il a un long entrelien avec le chef de la ville,
qui est revenu à de meilleurs sentiments envers nous ;
ce qu'il manifeste en disant au docteur qu'il sait main-
tenant qui nous sommes. Le départ est fixé au surlen-
demain.
Voici un cas assez curieux des brusques changements
de température dans ces latitudes. Par un temps splen-
dide, à midi, le thermomètre marquait 28* ; trois quarts
d'heure après, au début d'une tornade, il descendait à
19°, et, à une heure et quart, il baissait encore jusqu'à
14*. La tornade passée, il remontait un peu, mais ne
dépassait pas 17°.
Le 28 juin, à six heures du matin, nous prenons nos
dispositions pour partir. Si nous n'avons plus rien à
craindre du chef de Foucoumba, nous avons tout à re-
douter du parti alfaya. Des bruits d'attaque circulent ;
au contraire de ce qui s'est passé dans les autres villes,
où tous les habitants et surtout les femmes assistaient
à notre départ, la place est déserte.
Après avoir tait jouer les batteries de nos mousque-
tons, nous partons en colonne serrée. Le docteur ouvre
la marche et je la ferme.
Au lieu de prendre la route de Timbo, nous nous ren-
A FOUCOUMBA 97
don! à Dôhhôl-Fella par un chemin détourné qui con-
tourne le fello Kourou. Avant de traverser un cours
d'eau, nous le faisons préalablement éclairer. — C'est
généralement aux passages des marigots que les noirs
attaquent les Européens. — Nous couchons à Kongouré
où nous sommes rejoints par trois hommes qui arrivent
de Boké et qui nous apportent deux caisses de biscuits,
moisis, hélas! plus deux litres de cognac.
Le 20 juin, nous couchons à FoulaTa, où nous per-
dons une mule et un cheval qui succombent à leurs fa-
tigues. Le 30 juin, nous traversons le Bafinp, qui devient
plus loin le Sénégal et n'a pas moins de cent vingt mè-
tres de large,et nous couchons sur sa rive droite au vil-
lage deThialéré. Enfin, le l" juillet, après six heures de
marche, nous arrivons en vue de Donhol-Fella, rési-
dence de l'Almamy lbrablma-Sory.
Pour donner plus d'éclat à notre entrée, bayol revêt
son uniforme; le pavillon est déployé et nous saluons
l'Almamy d'une décharge de mousqueterie. Mais nous
en sommes pour nos frais, l'Almamy est absentI Son
fils Sadou nous souhaite la bienvenue et nous conduit
vers la case que nous devons habiter. Elle est meublée
d'un lit européen, sans matelas ni paillasse, et d'un
autre lit en argile.
Nous déjeunons; mais on nous annonce que, ren-
trant de visiter ses lougans (cultures), l'Almamy vient
nous voir. Nous allons à sa rencontre et l'entrevue a
lieu à moitié distance de sa demeure à la nôtre. En-
touré d'un groupe de cinquante piétons et de quelques
cavaliers, tous armés, un homme déjà âgé, monté sur
un cheval noir, s'avance vers nouset nous tend la main.
C'est l'Almamy Ibrahlma-Sory, chef de la maison des
Sorya, frère et successeur do l'Almamy Oumar, qui oc-
cupe le trône du Fouta-Diallon depuis onze ans. Vêtu
de deux boubous, la tète, ceinte du turban royal que
surmonte un large chapeau de ,<p ille, ce vieillard, qui
98 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON

commande sur un territoire aussi grand que la Franco,


ne se distingue que par sa grande simplicité et le res-
pect qu'on lui porte. Sa figure, couleur chocolat, noble
et douce, est encadrée d'une barbe grise, et un sourire
aimable plisse ses lèvres.
Par sept fois, il nous répète le mot toit (entre), el il
ajoute : <

— Pour vous, le Foula o'esl la France. Que Dieu vous


conserve la santé, ainsi qu'à vos familles et à tous les
Français! ' ~ \
Puis il nous s.ire la main, et nous remettons au len-
demain la réception officielle.
Enfin, nous voilà rendus au premier terme de notie
voyageI
L'ALMAMY IDRAHÏMA-30RY 99

LALMAUY IBRAIlîl A-SORY

Le 2 juillet, de grand matin, Mahamadou-Saldou


nous prévient que l'Almamy est à notre disposition.
Bàyol se met en tenue, je revêts un costume neuf des-
tiné aux visites officielles, et.tout notre personnel fait
également des frais de toilette.
L'Almamy nous reçoit dans la case qui lui sert à la
fois de chambre à coucher et de salle d'audience.
Quoique abritant un souverain, cette case est aussi mo-
deste que la dernière du village : le lit de l'Almamy, qui
a été mis à la disposition du docteur, est remplacé par
quelques nattes étendues sur le sol; dix-sept fusils, à
pierre ou à piston, sont appuyés contre la muraille; çà
et là sont accrochés à des chevilles de bois arcs, car-
quois, sacs de voyage, couteaux, ciseaux, lunettes : ces
derniers objets sont logés dans des gatnes en cuir, rete-
nues par un cordon. Devant la couche se trouve le
foyer, où brûlent deux énormes bûches qui enfument la
casé.
100 A TRAVBR8 LE FOUTA-DIALLON
L'Almamy est nonchalamment assis sur une peau de
mouton, prè3 de la porte d'entrée; comme la veille, il
esl vêtu très simplement. Chacun, en entrant, serre h
main au souverain et échange des compliments.
Deux escabeaux nous sont offerts.
Après des salutations et des compliments de la paît
du chef des Français, du gouverneur du Sénégal, etc.,
Bayol expose à l'Almamy le but de notre voyage et lui
remet les lettres de présentation, une lettre du Tamsir
(chef de la religion musulmane à Saint-Louis), et une
de Youra. roi des Nallous. L'Almamy demande ses lu-
nettes, qui lui sont remises par un aide de camp, en
essuie les verres avec un coin de son boubou, les pose
sur son nez, lit les adresses des lettres et dit :
— On n'y voit pas clair, sortons!
Nous nous installons sur la petite terrasse qui esl
devant la case; l'Almamy s'assied sur une couverture,
nous en faisons autant, et l'assistance, au nombre de
soixante hommes environ, prend place, notre escorte
derrière nous, les Peulhs à droite et à gauche du roi.
L'Almamy, qui a l'organe très doux, lit à haute voix
toutes les lettres, et, la lecture terminée, exprime sa sa-
tisfaction par le mot gonga (très bien)! Puis il fait une
prière, répétée par toute l'assistance, afin que Dieu con-
serve nos jours et accorde ses faveurs à tous les 6O><J
hommes de France et aux musulmans de Saint-Louis.
Celte scène se passe dans une vaste cour plantée d'o-
rangers et entourée de douze cases où habite la famille
de l'Almamy. Au-dessus du toit arrondi de ces cases <"
profilent les montagnes qui ferment le paysage.
Nous prenons congé de l'Almamy, et presque foute
l'assislanco, guidée par la curiosité, nous suit jusqu'à
notre demeure. A peine sommes-nous rentrés que nous
recevons, de la part de l'Almamy, un boeuf vivant et du
riz brut pour nos hommes; des calebasses de riz cuil,
L'ALMAMY IDRAHIMA-SORV 101
du lait caillé el des sauces assaisonnées pour notre dé-
jeuner.
Pendant le reste du jour, nous recevons de nom-
breuses visites; nous ne sommes pas seuls un instant.
Pour soutenir la réputation des Français, nous avons
toujours le sourire sur les lèvres.
A la nuit, Mahamadou-Saldou et Hamadou-Ba, qui
ont eu un long entrelien avec l'Almamy, nous appren-
nent que nous lui avons fait une excellente impression.
Il trouve que nous sommes plus aimables que les An-
glais et est tout disposé à passer un traité do commerce
avec la France. En somme, c'est une bonne journée pour
nous et nous sommes dans des dispositions d'autant
plus agréables que la température n'a pas dépassé
28 degrés.
Le lendemain, dès le matin, Bayol lient, devant l'Al-
mamy et les notables, un long palabre politique, agri-
cole et commercial, qui est religieusement écouté. On
discute la teneur du traité; Bayol en fait immédiate-
ment la rédaction, notre scribe arabe le traduit et Ha-
madou-Ba va le présenter à l'Almamy. Il revient l'air
satisfait et nous dit :
— Ça y est. Après avoir lu attentivement, l'Almamy
a trouvé très bien tous les articles, et il m'a chargé
de dire qu'il envoyait un boeuf et du riz pour votre
dîner.
Nous décidons de faire immédiatement notre cadeau,
mais Mahamadou-Saldou, le grand ordonnateur, nous
prévient qu'il faut attendre la nuit pour nous rendre
chez l'Almamy. A huit heures du soir, Mahamadou-
Saldou vient nous chercher. La nuit est complètement
noire, pas une étoile ne brille ; je veux allumer la lan-
terne ; mais Mahamadou s'y oppose, disant qu'il ne
faut pas que les hommes du pays nous voient. Maha-
madou-Saldou ouvre la mar che, suivi de Bayol, qui
précède trois hommes portant le cadeau ; nous sommes
102 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
les derniers, Hamadou-Ba et moi. Il fait tellement noir
que l'on ne voit pas à dix pas; la pluie qui a.tombt'
toute la journée a laissé çà et là des flanques d'eau, où
nous pataugeons tout à notre aise. Façon bizarre d<-
présenter un cadeau à un monarque II parait que
1

c'est l'habitude dans tout le Soudan.


Sans avoir échangé une parole, nous arrivons chez
l'Almamy. Il est accroupi près du foyer fumeux et,
éclairé par une grosse chandelle de cire, il rlit des
prières. Mahamadou-Saldou s'assure que personne ne
nous observe et ferme soigneusement la porte.
Bayol débute par un speech de circonstance et dit à
l'Almamy que ce n'est pas un cadeau que lui fait ta na-
tion française, mais un simple kola. Il parle de no?
misères, insiste sur les difficultés de la route, qui nous
ont empêcher d'apporter davantage; il expose, en un
mot, tout ce que l'on peut dire, quand, donnant peu, on
veut paraître donner beaucoup. Les Anglais ont fait,
avant nous, un cadeau magnifique; il faut soutenir la
concurrence.
C'est] la deuxième fois qu il est question du kola.
Avant d'aller plus loin, quelques explications sur ce
fruit ne seront pas inutiles.
La noix de kola est le fruit du kolatier, arbuste
qui ressemble à l'oranger par la forme et par le feuil-
lage.
La noix de kola est blanche ou rouge, grosse comme
une châtaigne, avec laquelle elle a beaucoup de res-
semblance; elle possède des qualités excitantes remar-
quables. Très estimée des noirs, pour qui elle est une
friandise, elle trompe la faim, fait oublier la fatigue,
chasse le sommeil et a la propriété de faire trouver
bonnes les eaux saumâtres. De plus, les noirs lui ac-
cordent de grandes qualités fébrifuges. Quand on en
mâche la chair, ferme comme celle du marron, on
éprouve d'abord un goût d'amertume qui se change en-
L'ALMAMY IBRAHÏMA-SORY 103
suite en un goût agréable et laisse une grande fraîcheur
dans la bouche.
Le kolatier pousse surtout dans la partie de l'Afrique
occidentale, dite les rivières du Sud, au Fouta, vers les
sources du Niger; il produit indistinctement des fruits
blancs et rouges, mais le blanc est surtout recherché.
Dans le cérémonial noir, le kola joue un grand rôle.
Offrir un kola blanc à quelqu'un est la plus grande
marque de sympathie qu'on puisse lui donner.
Lorsque deux souverains noirs veulent entrer en né-
gociations, ils les font généralement précéder de l'envoi
réciproque d'un kola blanc. C'e3l pourquoi le docteur
dit à l'Almamy: ce n'est pas un cadeau, mais un
simple kola.
Sur les bord du Sénégal, où le kolatier ne vient pas,
le kola, communément appelé gourou dans toute la
Sénêgambie, est très recherché de la population el
atteint quelquefois le prix de 75 c. et I fr. la pièce.
Cela dit, revenons à l'Almamy el à nos cadeaux.
Nous débutons par la botte à musique, je la mets en
mouvement el c'est aux sons de plusieurs airs d'opé-
rette que nous développons nos trésors devant notre
royal auditeur. Articles de Paris, bijoux du pacotille,
écharpes, soieries, burnous, coutellerie, sabres, etc.,
tout lui est présenté, article par article. Pendant que,
les yeux brûlés par la fumée qui a envahi la case, je re-
monte la serinette, Bayol, ainsi que font les commis
voyageurs, fait valoir les marchandises.
Il esl onze heures quand nous prenons congé de
l'Almamy. Je n'en suis vraiment pas fâché, car l'atmo-
sphère enfumée que nous respirons depuis trois heures
est insupportable.
Dans l'après-midi du 4, Mahamadou-Saldou vient
nous annoncer que les courriers envoyés par son maître
a l'Almamy Hamadou et aux hommes importants du
104 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON

pays sont rentrés ; que tous ont accepté le traité avec la


France et qu'il sera signé le lendemain.
Enfin, nos efforts ont réussi. Il est évident que nos
causeries à travers les pays nous ont précédés près de>
grands du Fouta et qu'ils sont fixés sur nos intentions
pacifiques.
La disette affame le pays. Comment un territoire
aussi fertile que le Fouta peut-il manquer de vivres ?
On me dit que la récolle dernière n'a pas été très
bonne et, de plus, que l'armée réunie par l'Almamy
Ibrahlma dans ces parages pendant la saison sèche a
mangé une partie des provisions; il faut au moins
quinze jours pour que le mais soit mûr. Heureusement
que l'Almamy nous a envoyé du riz en quantité suffi-
sante pour faire deux rations, sans quoi nos hommes
n'auraient rien mangé. A n'importe quel prix, on ne
peut se procurer du riz ou du mais. Aussi décidons-nous
que nous renverrons à Boké les Kraomans et les Lan-
doumans qui n'ont été engagés que pour aller jusqu'à
Timbo. Cela nous fera toujours vingt-cinq bouches de
moins à nourrir.
Le 5 juillet, à huit heures du matin, nous nous ren-
dons à la case royale où l'Almamy Ibrahïraa-Sory
signe pour lui et les siens le traité, fait en triple expé-
dition et rédigé en français et en arabe. Le docteur
Bayol, Hamadou-Ba, Alfa Oumarou et moi, nous le si-
gnons également. Il ne manque plus que la signature
de l'Almamy Ilamadou, qui sera apposée dans quelques
jours."
De retour à notre domicile, nous procédons au ren-
voi des bouches inutiles. Chacun des nommes que nous
licencions reçoit un bon à toucher sur Boké pour les
appointements dus.
Jusqu'au il juillet,jour de notre départ pour Timbo,
nos journées se ressemblent à peu près toutes. Nous
allons quotidiennement, matin et soir, faire visite à
LALMAMY IBRAHÏMA-SORY 1GT*

l'Almamy, qui parait se plaire en notre société. Comme


marque de sympathie il fait planter, devant la mosquée
du village, deux orangers qui portent nos noms et qui
sont destinés à rappeler notre venue dans le pays. Nos
entreliens avec l'Almamy roulent presque toujours sur
la grandeur de la France, sur notre civilisation, notre
industrie, etc. Chaque fois que nous lui .vantons l'excel-
lence de noire outillage, de nos chemins de fer, de nos
navires, etc., il nous demande si toutes ces choses ont été
inventées par les Arabes et depuis combien de temps
nous les avons.
Le docteur donne un drapeau français à l'Almamy,
qui pour marquer sa satisfaction nous dit :
— Je vais faire écrire dessus de3 versets du Koran et
je le porterai toujours à la guerre.
Le temps que nous ne passons pas en visites est con-
sacré à en recevoir ou à prendre des notes. Malheu-
reusement, des enfants, sans doute, ont volé notre
unique thermomètre et je ne puis plus établir la tempé-
rature qu'à l'estime. Je ressens do nouveau les atteintes
de la fièvre, j'ai des accès assez violents qui durent de
trois à quatre jours et me laissent une grande courba-
ture; je conserve même des douleurs persistantes au
foie.
Un enfant de Timbo, venu à Donhol-Fella tout
exprès pour nous voir, nous donne des nouvelles de
M. Gaboriau. Il est malade, no veut recevoir personne,
et trouve difficilement à manger.
Parmi les gens de qualité qui nous honorent de leur
visite se trouvent beaucoup de parents de l'Almamy. Un
de ses frères, excellent cavalier*, nous montre que, si
les chevaux ne sont pas communs au Foula, du moins
ceux qu'il/a reçoivent des soins tout particuliers, et je
ne suis pas éloigné de croire que le dressage se pra-
tique au Fouta comme ailleurs. Pour obtenir que la
106 A TRAVBR8 LE FOUTA-DIALLON
boite à musique joue la Polka du Colonel, ce gentil-
homme peulh, qui monte un superbe cheval, lui fait
exécuter des voltes comme l'on en voit faire dans les
cirques. Subissant la pression des jambes, le cheval se
met à genoux, compte, valse, fait le beau, etc., enfin
un exercice de haute école, qui se termine par une
charge à fond de train.
La fille aînée de l'Almamy esl venue également nous
voir. Celte jeune femme, de vingt-deux ans, est mariée
à un prince Alfaya. Modi Abdoulaye. En visite chez son
père, elle a profité de l'occasion pour faire notre con-
naissance. H faut croire que l'impression que nous avons
laite sur celte princesse est excellente, car ses visites
deviennent fréquentes. Je n'en suis pas contrarié ; —
elle est charmante. La princesso Mariama (Marie) est ce
que nous appellerions une boulotte, qui, au contraire
de toutes les femmes du pays, qu'accompagne toujours
une odeur de graisse rance, exhale un parfum de musc
assez pénétrant. H n'y a qu'une chose désagréable che?.
elle, c'est qu'elle chique du tabao à priser; ce n'est pas
propre. Sa qualité de fille aînée de l'Almamy lui donne
des prérogatives que le commun des mortels se garde-
rait tien de critiquer; aussi, ne se gêne-t-elle pas
avec nous, elle s'assied volontiers sur nos lits et se
plall à comparer la blancheur de nos bras au bistre des
siens. Pour nous montrer ses talents chorégraphiques,
elle esquisse même un pas de danse d'une certaine élé-
gance. Nous lui faisons cadeau de bijoux faux, brace-
lets, épingles, colliers arabes, etc., dont j'orne moi-
même son front et sa poitrine ; ce qui ne semble point
ui déplaire, car elle se'trémousse de plaisir, et rit aux
éclats. Enfin dans sa reconnaissance, dès qu'elle apprend
que je suis malade et que je me suis retiré dans une
case inhabitée pour goûter un peu de repos, elle vient,
en compagnie d'une suivante, s'informer de l'état de ma
L'ALMAMY IBRAHÏMA-SORY 107

santé cl, pour chasser la fièvre, elle me masse elle-


même avec empressement. Les moeurs de la bonne
société peulh sont parfois bizarres ; mais, à coup sûr,
elles sont pleines de déférence et d'égards pour les
étrangers de distinction.
108 A TRAVERS LE FflUTA'DIALLOW

Xi

TIMBO

Laissant le gros de nos bagages sous la garde de


quelques hommes, le H juillet, avec Mahamadou-
Saldou et notre escorte, réduite, à trente trois-hommes,
nous parlons pour Timbo.
En une étape de vingt-quatre kilomètres, nous fran -
chissons une suite d'ondulations de terrain, de bas-
fonds inondés, de ruisseaux débordés, nous traversons
le grand village de Saréboval, et nous arrivons à Soko-
toro, résidence princièresituéeàl'ouest de Donhol-Fella,
sur la roule de Timbo.
C'est dans un charmant vallon, formé par une chaîne
de petites montagnes développées en forme d'arc, à '
une faible distance du Bafing qui en représente la
corde, que Sokotoro est bâti. Ce village frais et coquet,
où les orangers abondent, était la résidence favorite de
feu l'Almamy Oumar. Cest là que ce souverain reçut les
voyageurs français llecquart et Lambert. En arrivant,
':/ TIMBO 109
noué faisons halte sur une place entourée d'une doubla
ligne d'orangers, au milieu de laquelle est dessiné u
grand Carré, formé de pieux en bois de quarante centi-
tfrètres de hauteur. Cest sur cette place, paralt-il, que
l'Almamy Oumar rendait la justice.
Sokotoro appartient aujourd'hui à Alfa Mahamadou-'
Patô, fils atné de l'Almamy Oumar. Il est absent, mais
un noir, envoyé par lui, nous annonce que nous le ver-
rons le lendemainà Kobiiato où il surveille ses cultures.
Nous nous installons et, immédiatement, la population
du village envahit notre demeure : c'est la règle.
Nous passons la soirée en compagnie de six forge-
rons qui, dil-on, sont les plus habiles du pays. Ces
hommes qui ont appartenu à l'Almamy Oumar sont
maintenant la propriété de Mahamadou-Paté. La con-
versation roule sur les métaux, le fer et l'or ; ils] nous
racontent que le précieux métal se trouve dans les
environs, où jadis on l'a exploité, mais que les Alma-
mys ont fait combler les puits et ont interdil^de le
rechercher, parce que les habitants négligeaient leurs
cultures. Voilà une marque de haute sagesse. Entre
temps, le griot Woppa, premier chanteur de Mahama-
dou-Paté, nous régale de quelques-unes de ses.
compositions, qu'il joue sur la guitare indigène. Elles ne
manquent pas de soûl et accusent chez cet homme un
certain sens musical.
La muraille intérieure de notre case est illustrée de
dessins d'une naïveté toute primitive... On dirait
l'oeuvre d'un enfant de six ans.
Vingt minutes après avoir quitté Sokotoro, dès le
matin du 12 juillet, nous arrivons sur la rive droite du
Bafing ; nous passons ce fleuve à l'aide d'une grande pi-
rogue qui, depuis vingt ans, sert à cet usage et à
dix heures nous sommes en vue de Kobiiato.
Nous annonçons notre arrivée par une salve de cin-
quante coups de feu et, quelques minutes après, nous
110 A TRAVER8 LE FOUTA-DIALLON

sommes en présence d'Alfa Mahamadou-Paté. L'héri-


tier du trône des Sorya est entouré d'hommes armés et
de ses griots, qui chantent à tue-téte. En peu de mots,
il nous assure de son dévouement aux Français qu'il
aime beaucoup.
— J'étais enfant, dit-il,quand Hecquart est venu voir
mon père : j'ai encore la lettre qu'il lui écrivit lors de
son retour au Sénégal ; je me rappelle bien mieux Lam-
bert, j'avais alors dix-sept ans; c'était un bon garçon.
Le cheval qu'il envoya à mon père vécut douze an?, j'en
' ai conservé le harnachement.
Voilà la case que vous allez habiter, il n'y en a pas
de meilleure ici; c'est celle où couche l'Almamy, quand
il va à Timbo. Reposez-vous et tantôt nous causerons.
Effectivement, dans l'après-midi, Alfa-Mahamadou-
Paté vient avec une suite nombreuse. 11 est très content
du traité signé par son oncle et demande à y apposer sa
signature. 11 nous annonce qu'il vient de faire tuer
deux boeufs pour nos besoins et nous prie de passer la
journée du lendemain chez lui, car il a encore trois
boeufs qui nous sont destinés. Bayol objecte que l'on
nous attend à, Timbo, mais Mahamadou-Paté répond
que ce n'est pas là un obstacle et qu'il va faire prévenir
l'Almamy Mahamadou. Ordonnant à sa suite de le laisser
seul, Mahamadou reste avec nous et reçoit le cadeau
qui lui est destiné, cadeau qui parait lui faire un grand
plaisir.
Avant ta nuit, el comme Bayol est indisposé, je me
rends seul chez le prince ..qui me reçoit très amicale-
ment. C'est unjoyeux compère, amateur de grivoiseries.
Notre conversation, très décousue, roule un peu sur
tout, même sur la question religieuse, dans laquelle
nous ne sommes pas d'abord du même avis.
Je me garde bien de contrarier ses convictions.
Alfa Mahamadou-Paté est un bel homme : ses larges
épaules portent une tête expressive ; ses traits, un peu
TIMBO 111

forts, sont réguliers ; sa chevelure est nattée el il porte


un chapeau du pays par-dessus une calotte blanche.
Mahamadou-Saldou, avec le pittoresque que mettent
lesnôirsdans leurs récils, nous raconte sur Mahamadou-
Paté des épisodes qui donnent à réfléchir sur son
apparence débonnaire.

Mahamadou-Paté, me raconte Saldou, est le fils
aîné de l'Almamy Oumar et l'un des hommes les plus
riches du Foula ; c'est un bon garçon qui aime beau-
coup les pauvres. Quand son père mourut, il prit tout
son héritage, or el captifs, Sokotoro, Nénéya, Hélélya
et d'autre foulassos situés de l'autre côté de Timbo ; il
laissa cependant quelques foulassos à ses frères. Mais
ceux-ci n'étaient pas contents de Mahamadou, qui gar-*
dait tout l'or et tous les cpptifs. Modi Abdoulaye, qui est
son frère de même père et de même mère, n'osait rien
dire ; mais Ibrahlma-Sory et Boubakar-Biro, qui sont
fils d'une autre mère, n'étaient pas contents et disaient
que Mahamadou devait partager avec eux; Mahamadou
voulait tout garder et, pour n'être pas inquiété à ce
sujet, il invita Ibralma, qui était aussi un bon garçon,
à venir manger le riz avec lui.
— Ibrahlma, salamatécom !

— Malécom salam, Mahamadou 1

Tu vas bien ? Moi aussi, et ils mangèrent ensemble.


Mais Mahamadou-Paté avec donné l'ordre à ses captifs
de tuer son frère pendant qu'il mangerait. Les captifs
frappèrent Ibrahlma avec des bâtons jusqu'à ce qu'il
fûl mort. Comme Ibrahlma était grand marabout, on ne
loi coupa pas le cou, parce que le fer n'entame pas la
peau des marabouts. Quand l'Almamy Ibrahlma-Sory
apprit que Mahamadou avait fait tuer son frère, il
donna ordre de l'arrêter pour te tuer aussi; mais Maha-
madou-Paté se sauva. Alors tous les chefs du Fouta,
tous les bons hommes du pays vinrent à Timbo pour
dire à l'Almamy de pardonner à Mahamadou. Almamy
112 A TRAVBRS LÉ *OUTA-DIALLON

ne voulait pas, mais tons les chefs embrassèrent la terre


et Almamy pardonna. Mahamadou-Paté, qui s'était
.
sauvé à Labé, revint à Sokotoro et tout fut oublié.
Mais, demandai-je, Mahamadou parlagea-t-il les

captifs et l'or avec ses frères ?
Non, il a tout gardé et on n'ose rien lui dire,
— bon
parce qu'il est trop brave j et puis, c'est un garçon
que les hommes du Fouta aiment trop 1
Une autre fois encore, il a tué un homme du Labé,
qui avait trop regardé une de ses femmes. Le chef de
Labé voulait qu'on tue Mahamadou, mais Almamy a
dit qu'on ne pouvait pas tuer un homme qui avait pris
onze villages. Aussi Mahamadou-Paté ne va iamaisa

Labé, parce qu'on lui ferait son affaire.
Le foulasso de Kobiiato est contigu à deux autres
appelés Nénéya (maison de maman) et Helélya. Ces trois
résidences, d'une étendue considérable, où les cultures
sont magnifiques, attestent la grande fortune du pro-
priétaire. Mahamadou-Paté ne passe que la journée à
Kobiiato; le soir, il ta coucher à Nénéya, propriété
qu'il affectionne beaucoup.
Pendant la seconde journée que nous passons à Kobi-
iato, Bayol souffre beaucoup de la fièvre; néanmoins,
il faut recevoir les visiteurs et remplir divers devoirs
de convenance. Néné (maman) Omou, la mère de
Mahamadou-Paté, qui habile une propriété voisine,
envoie un homme de sa maison pour nous présenter
ses respects, Bayol expédie à celle reine notre servent
Bagnic et Mahamadi-Bayla pour lui rendre sa politesse.
Le jeudi 14 juillet, quoique levés de très bonne
heure, nous ne quittons Kobiiato qu'à dix heures.
Mahamadou-Paté, qui ne me semble pas matinal, s'est
fait attendre; il s'excuse, prétextant une forte migraine.
Quand on est en retard, on trouve toujours une excuse.
Avant de nous séparer, il nous fait promettre qu'au
retour nous passerons chez lui.
/ / ' TIMBO 113
Pendant que je suis la route de Timbo, Bayol s'en
écarle un peu et va faire une visite à Néné Omou; peu
après, il rejoint la caravane. Nous gravissons, parmi
chemin des-plus mauvais, le' liane du fello Hélélya.
Arrivés au col du même nom, nous admirons la belle
vallée de Timbo, qui se développe devant nous. Seule-
ment, de ce point, on ne peut juger de l'étendue de la
capitale du Fouta ; un pli de terrain la masque en
partie et on ne voit que quelques cases el la mosquée,
qui se détachent sur la masse des arbres du cimetière.
Nous descendons le revers de la montagne et nous
faisons halte à la porte delà ville. Bayol revêt son uni-
formé, nous nous formons en ordre et, comme nous
l'avons fait à Donhol-Fella, nous saluons l'Almamy
Hamadou par un feu de salve ; Dimba-Kissé chante de
toute la force de ses poumons, et nous faisons notre
entrée dans la ville. Il est midi, un soleil magnifique
—' le soleil des tropiques — déverse des flots de lumière
sur le pavillon français qui flotte en léte de notre petite
troupe.
Attirée par la fusillade, la foule se presse sur notre
passage. Nous avons la satisfaction de serrer la main
à M. Gaboriau, qui, malgré la (lèvre, est venu au-devant
de ses compatriotes.
Sous les regards curieux d'une foule silencbuîa, en'
quelques minutes nous arrivons à la demeure qui nous
est destinée.
Mahamadou-Saldou et Hamadou-Ba vont, de notre
part, saluer l'Almamy Hamadou et lui demander s'il
peut r>ous recevoir. Peu d'instants après ils reviennent
el nous annoncent que nous pouvons faire noire visite
officielle.
— Almamy Hamadou a cru, dit Hamadou-Ba, en
entendant les coups de fusil, que c'était Almamy
Ibrahlma-Sory qui venait l'attaquer et il avait fait seller
son cheval pour se sauver plus vite. Je tui ai dit : N'aie
8
114 A TRAVERS LB POUTÀ-DIALLON

pas peur, ça n'est pas pour.atttquation! La poudre a


parlé pour ton honneur!
Nous nous rendons immédiatement au palais de l'Al-
mamy.
Ce n'est qu'après avoir traversé un corps de garde,
qui s'ouvre sur la rue, et pois deux tours qui séparent
des cours où veillent des captifs, que nous arrivons à la
case royale. Ni plus ni moins luxueuse que les autres
cases, elle est très propre et n'a de remarquable que la
porte qui est ornementée d'arabesques. Un lit en bois
detcfiiékê en constilue tout l'ameublement.
L'Almamy Hamadou est Un homme de quarante ans
environ. Sa figure d'un noir mat exprime la mélancolie;
son regard, qui se porte sur moi et sur notre suite,
semble inquiet. Après les salutations d'usage, le doc-
teur lui expose le but de notre voyage, mit un palabre
sur l'utilité du traité et les avantages que les Foulahs
en retireront. L'Almamy écoute attentivement, mais ne
répond pas grand'chose. Nous lui annonçons que nous
le reverrons dans la soirée et nous prenons congé.
Somme toute, entrevue froide. D'un commun avis, nous
estimons que l'Almamy Hamadou est un peureux
qui sent très bien la supériorité de son compétiteur
Sorya.
En quittant la case royale, nous allons faire une visite
à notre compatriote, logé à côlé de nous. M. Gaboriau
a la fièvre depuis son entrée à Timbo, qui date de qua-
torze jours; il est très fatigué et â mauvaise mine. Ra-
pidement, il nous met au courant des ennuis qu'il sup-
porte depuis son arrivée.
Afin de célébrer la fête de notre nation, M. Gaboriau
nous offre un petit verre d'extrait de menlhe Ridés, la
seule boisson dont il ait encore un flacon à demi
Consommé.
Après un tepas modeste, car on nous a volé noti«
TIMBO 115
provision de viande, nous retournons chez l'Almamy,
chargés des cadeaux qui lui sont destinés.
Hamadou est surpris des richesses que nous lui don-
nons et ne peut dissimuler son content iiîent. Moins
réservé que tantôt, il nous avoue qu'il r 'à jamais vu
d'aussi belles choses. Ballant le fer pendant qu'il est
chaud, nous lui présentons le traité qu'il signe pour lui
elles siens.
A l'heure où Paris illuminé resplendit de clartés, a
l'heure où la foule se presse pour admirer le feu d'arti-
fice, le jour où la France entière célèbre la grande fête
républicaine, le jeudi 14 juillet 1881, le Fouta-Diallon
tout entier est à jamais placé sous le protectorat de la
France! et, pour me servir de l'expression pittoresque
de Mahamadou-Saldou, maintenant Français- et Fou-
lahs, c'est même père et même mère I
Pour complaire à l'Almamy Ilamadou, nous passons
la journée du 15 juillet à Timbo, mais c'est bien à
contre-coeur et par déférence pour ce monarque : notre
logement esl si misérable que nous lé quitterions sans
regrets. Toute ta nuit, nous avons été mouillés par l'a-
verse qui n'a pas cessé et, à chaque instant, il a fallu
changer nos lits de place. Non, la case des ambassa-
deurs ne brille pas par le confortable. Heureusement
que nous n'y passerons plus qu'une nuit.
Bayol a la fièvre et reste couché presque toute la
journée.
C'est dans la plaine qui s'étend devant Timbo, près
d'une source appelée BoKwfoM-Balleîa, que l'observateur
peut voir celte ville dans son ensemble. Bâtie au pied
d'one montagne à deux sommets appelés le grand el le
petit Hélélya, la capitale du Fouta s'étend de l'e" à
l'ouest et n'a guère plus d'un kilomètre de longueur.
Cette ville, que l'on nous avait décrite comme une cité
considérable, possède à peine trois cents cases et ne
compte peut-être pas mille cinq cents habitants; encore
116 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON

pour la plupart, en cette saison, sont-ils dans leurs fou-


lassos. Timbo ne peut pas s'agrandir, car n'ont droit de
cité que les fils des fondateurs.
Je rentre en ville et je parcours les deux plus grandes
1

rues ;dàns -le sens de ,1a longueur et de la largeur.


Montre en main, je mets quatorze minutes pour par-
courir la ville de l'ouest à l'est, et cinq minutes du nord
au sud. Les (palais des deux (Almamys, ceux de Moli
Diogo, de Modi Maka, la mosquée et le cimetière occu-
' pent plus d'un tiers de la superficie de la cité.
Mahamadou-Saldou, qui me sert de cicérone, me fait
visiter le ^palais de l'Almamy Ibrahlma et ses dépen-
dances. La propriété royale forme un grand polygone
irrégulier, clos par un mur en terre nue préserve de la
pluie un petit toit en chaume.
Deux entrées, l'une grande et l'autre petite, donnent
accès dans l'intérieur. La grande entrée s'ouvre sur
une place où l'on remarque la façade de trois autres
maisons de notables. Le vestibule est une case rectan-
gulaire, percée au milieu d'une porte où l'on peut
passer à cheval. A droite et à gauche, ce bâtiment est
divisé en chambres plafonnées par des bambous arlis-
tement entre-croisés, où veillent les captifs. Le toit en
chaume de ce corps de logis déborde sur la façade et
forme une vérandah de deux mètres de large, où les
oisifs se réunissent pour causer. La petite entrée est
formée simplement par une tourelle qui s'ouvre sur
une rue latérale. *

La case royale esl isolée du reste de la propriété


par une palissade en chaume, qui ne permet pas aux
étrangers de voir les dépendances. De forme circulaire,
comme toutes celles du pays, celte case ne se fait
remarquer que par sa construction très soignée ; elle
esl percée de quatre ouvertures, très basses, fermées
par des panneaux en bois de thièli (bois rouge). Un lit
très bas, fait de ce bois, esl le seul meuble qui décore
V ' TIMBO i*7
{l'intérieur. La charpente est faite de bambous choisis, si
rapprochés les uns des autres que l'on ne peut voir le
chaume de la couverture. Quant au toit, il est d'une
épaisseur remarquable et, au lieu d'être uni comme
ceux des autres cases, il est formé de paillons super-
posés.
' Douze cases ordinaires, où habite la famille, et un
grand jardin, ombrage d'orangers, de citronniers, de
papayers et de bananiers, complètent la résidence
royale de l'Almamy Ibrahlma-Sory.
L'ébénisteriepeulh mérite certainement une mention,
si l'on tient compte de ce que ces panneaux de porte
très soignés, ces lits supportés par de petites colonnes
fort bien tournées ne sont exécutés qu'à l'aide d'une
hachette.
La mosquée, aussi grande que celle de Foucoumba,
est moins ancienne. C'est la seconde qui aitété cons-
truite au Foula. Quelques orangers, dont les fruits sont
destinés aux passants, ornent la place. A côté, une
petite case en paille où on lave les cadavres sert d'en-
trée au cimetière. C'est un épais fourré où s'élèvent des
arbres de toute beauté. On n'y entre que pour les inhu-
mations el jamais on n'y coupe de bois. Sans aucune
clôture, ce champ du repos, où sans crainte les oiseaux
installent leurs nids, esl entouré par une allée qui est
bordée de plates-bandes sur lesquelles poussent les
rares fleurs du pays. En rentrant chez nous, Mahama-
dou-Saldou m'indique les deux ballons qui surplombent
Timbo et me dit :
— Tu vois? quand petit lléléya sera aussi haut que
grand lléléya, Alfaya sera aussi fort que Sorya.
Si j'en crois Mahamadou-Saldou, qui parait assez con-
naître l'histoire des Peulhs, la capitale du Fouta, avant
l'envahissement des Peulhs, était habitée par les Dia-
lon'ké (hommes du Dialo), possesseurs du sol, et s'appe-
lait Gongovie (grandes maisons). Il n'y aurait pas plus
118 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
de 127 ans que les Peulhs envahisseurs ont changé le
nom de cette ville en celui de Timbo, qui, dit-on,
signifie terme et indiquerait que tes Peulhs croyaient
limiter leurs conquêtes à cette ville, "'aucuns assurent
que Timbo serait le nom d'un rujr *u, connu seule-
ment des Almamys, où, avant ntreprendre une
guerre, ils iraient faire des ablutions ,-our que Dieu fût
propice h leurs armes.
Depuis que la ville de Timbo existe sous ce nom, elle
aurait, paraît-il, été brûlée plusieurs fois pendant des
guerres internationales et pendant les guerres civiles
des deux partis qui divisent le pays.
Le 16 juillet, nous quiltops Timbo. Bayol, toujours
souffrant, retourne à Donhol-Fella, en passant par
Sokotoro. Je me sépare de mon compagnon pour
quelques jours; avec quatre hommes et le petit Hami-
dou-Nagué pour guide, «je vais chez Modi Diogo, qui
habite à Eriko.
Mon pelil guide esl un enfant de onze ans, bien amu-
sant; très proprement vêtu de deux petits boubous, il
porte sous le bras droit un petit sac à provisions en
peau de mouton ; il esl coiffé d'un chapeau de paille
qu'il pose de côté, et en marchant il se cabre comme
un guerrier.
Je franchis, dans la direction du N.-N.-E., une suite
d'ondulations qui forment de petites vallées arrosées
par des ruisseaux et en partie couvertes de cultures.
Au-delà du tinngol Saman, affluent assez important du
Baflng, je m'élève rapidement et franchis la croupe du
fello Samau, qui a 250 mètres d'élévation au-dessus de
la vallée. Au sommet, le sentier coupe un plateau com-
plètement dénudé, puis il reprend son cours au milieu
de la brousse. —
Près d'un ruisseau qui chante sous la feuillée, mon
petit guide et les hommes de mon escorte jettent des
feuilles vertes sur un tumulus.
TIMBO 119


Jette aussi des feuilles, me dit mon domestique.
J'apprends que c'est la sépulture d'un grand chef mort
dans an combat qui a eu lieu à cette place.
La clairière se déboise de plus en plus pour faire
place aux cultures; le coup d'ceil est magnifique. Bien
au-dessous de moi, j'admire la belle vatlée où esl bâti
le grand village de Eriko, dont les nombreuses cases
éparpillées se cachent sous des orangers. Bornée au
premier plan par le fello Férelndé, la vallée suit dans
la direction du N.-O. au S.-E. le pied des pelle (pluriel
de fello) Dimbi, Talévi, Tiélivi, dont les échancrures me
laissent voir vers l'est une chaîne de montagnes située
au-delà de Donhol-Fella. Le mauvais état de la route
m'oblige à faire cette étape de quatorze kilomètres à
pied. Aux premières cases du village mon jeune guide
me demande de monter le mulet pour entrer au village:
asssi excite-t-il l'envie des gamins qui le regardent
passer.
J'apprends par quelques femmes que Modi Diogo est
absent et que je ne puis entrer sans sa permission. Au
bout d'uue demi-heure, arrive un jeune homme à che-
val, qui dit se nommer Modi Yaya (Jean) et être le fils
de Modi-Diogo. 11 m'installe immédiatement dans une
case et fail prévenir son père de mon arrivée. Vers le
soir, Modi Yaya vient me saluer de la part de son père
qui actuellement est dans un de ses lougans sur le fello
Fereindé ; il ajoute qu'il lui est recommandé de me bien
traiter et que le lendemain malin il me fera conduire
à Fereindé. Soit t
Je n'ai rien pour faire ma cuisine, car j'ai compté sur
la libéralité de mes hôtes, et je trouve que le déjeuner
se fait bien attendre. Six heures, sept heures du soir
arrivent et je suis encore à jeun. Mes hommes, qui
cependant ont grignoté des têtes de mais toute la jour-
née, sont impatients de prendre quelque chose de plus
substantiel et se plaignent d'être bien délaissés. Je leur
120 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON

' raconte des histoires de brigands et leur conseille de


faire comme moi, de dormir; j'assure que, demain, nous
déjeunerons mieux. Ils se résignent et se rattrapent en
faisant la cour aux quelques femmes qui, malgré l'heure
avancée, restent dans ma case el me regardent éton-
nées. Enfin, à neuf heures et demie, on apporte une
énorme calebasse de riz cuit, du lait caillé et du maff
(sauce faite d'oseille et de pimenf).
Les langues de mes quatre hommes caressent leurs
lèvres, pendant que des yeux ils dévorent la calebasse.
' Je me sers copieusement et leur abandonne le reste. Le
silence est complet, on n'entend plus que le bruit des
mâchoires.
Dès le malin du 17, un homme d'Erikô nous conduit
près de Modi Diogo. Après une heure d'ascension, nous
arrivons au roundé Fereindé, qui couronne le sommet de
la montagne. Je suis reçu par le riche propriétaire de
tant de domaines, qui, en signe de bienvenue, me
donne un kola.
Modi Ibrahlma Diogo est un homme qui a dépassé la
soixantaine, mais très bien conservé; sa figure est fine
el bienveillante, son regard doux et pénétrant, sa toi-
lette est soignée et simple à la fois. En un mot, Modi
Diogo a l'abord très sympathique. Ses fonctions spéciale?
en font l'homme le plus important du pays. C'est le
Diambroudyou-Maoudou Poul-Poular, c'est-à-dire le
grand porte parole du Fouta, tilre donné au président
du conseil des Anciens. Son rôle auprès des Almamys
a beaucoup d'analogie avec celui des maires du Palais
sous nos rois fainéants. C'est lui qui a pour mission de
veiller au respect de la Constitution. Du reste, sa pa-
role est toujours écoulée.
Quant à la fortune de ce puissant personnage, elle
est, parait-il, très considérable. Outre la belle vallée de
Eriko, il possède des roundé sur toutes les montagnes
du voisinage et dans plusieurs contrées du pays. Il au-
TIMBO 121
rail, dit-on, cinq mille captifs; jamais il ne manque de
riz, et, comme il est très généreux, il secourt ceux dont
les récoltes ont été mauvaises.
En politique, il appartient au parti Sorya; du reste, il
esl allié à celte famille, mais ses attaches ne l'empê-
chent pas de remplir impartialement son mandat:
lorsque l'Almamy Sorya a fini son temps d'exercice, il
lui signifie de faire place au compétiteur Atfaya.
Très honoré de ma visite, Modi Diogo m'exprime le
regret de ne pas voir le docteur.
— Enfin, dit-il, dans quelques jours, j'irai à Donhol-
Fella el je verrai votre ami. J'espère que son indisposi-
tion ne durera pas. Vous allez déjeuner, vous vous repo-
serez un peu, pendant que j'irai voir mes lougans, et
tantôt nous causerons.
Modi Diogo me fait donner des vivres; puis il monte
à cheval et part pour ses champs. Mes quatre hommes
el mon petit camarade, le jeune Hamidou Nagué, par-
tagent mon succulent déjeuner et ne tarissent pas d'é-
loges sur le généreux maître de Fereindé.
Dans l'après-midi, Modi Diogo vient, comme il a dit,
causer avec moi. Je lui expose l'objet de ma visite et il
est très sensible aux remerciements que je lui adresse
pour l'appui qu'il a donné à la conclusion du traité. Je
lui offre un petit cadeau, — il en parait satisfait, — el
le beau Koran qui en fait partie semble lui plaire par-
ticulièrement. En remerciement, il me donne un mou-
ton pour mon souper; puis il retourne aux champs jus-
qu'au soir.
La journée me parait très longue; seul dans ma case,
le va-et-vient de noire caravane me manque; bien
repus, mes hommes sont couchés sous l'oranger et ne
font pas le moindre bruit.
Un peu avant la nuit, Hamidou rsaguê, qui doit re-
tourner coucher chez sa soeur à Eriko, vient prendre
congé de moi. Le gamin ne peut se résoudre à me quit-
122 A TRAVERS LK FOUTA-DIALLON

ter; il a fortement envie de mon gilet dont les boutons


dorés lui tirent l'oeil. Je lai donne deux pièces de cin-
quante centimes et vais l'accompagner jusqu'à l'extré-
mité du plateau. Avant de nous séparer, ce pauvre en-
fant me serre les mains et fond en larmes; puis il
descend en courant le Qano de la montagne. Décidément
le climat influe beaucoup sur mon système nerveux,
car je suis ému aussi et je rentre dans ma case l'esprit
assf illi do pensées mélancoliques... El plus un brin de
tabac pour changer le cours de mes idées ! "~' '
Modi Diogo me fait souhaiter une bonne nuit, et,
bercé pir le roulement d'une violente tornade, je m'en-
dors à neuf heures du soir.
Le matin du 18 juillet.je prends congé de Modi Diogo.
11 me fait présent d'un second mouton el me témoigne
le désir de me reconduire un peu. Nous montons à
ohevai, et, descendant le flanc de la montagne, nous
prenoi ..la direction du Sud; après une demi-heure de
marche, Modi Diogo me serre la main et va surveiller
des cultures qui sont proches. Nous suivons pendant
quelque temps un plateau boisé, peuplé de singes qui
fuient à notre approche; puis le terrain s'abaisse légè-
rement et nous conduit jusqu'au bord du Saman, que
nous retrouvons. Nous gravissons le fello Gabaland,
montagne très cultivée et couverte de foulassos appar-
tenant aux riches habitants de Timbo; nous nous arrê-
tons quelques instants près d'une abondante source, le
boundou Gabaland, qui jaillit d'un amas de roches qra-
bragées par de beaux arbres; puis nous atteignons un
baowal immense qui forme le sommet de la montagne.
.
Pendant près de deux heures, nous cheminons sur cette
plaine de pierre où la marche est très pénible, mais
d'où nous pouvons admirer le beau panorama du Ba-
fing, de Sokotoro, Kobiiato, Nénéya, Hélélya, pays dont
j'ai déjà parlé. Après de nombreux détours, pour ga-
gner la vallée, nous rejoignons la route de Kobiiato, et.
TIMBO \2'S
à deux heures, nous entrons à Sokotoro, où je trouve le
docteur, retombé.malade depuis la veille.
Pendant que je déjeune, Bayol m'apprend qu'il a
expédié le traité au consul de France à Sierra-Léone,
afin que celui-ci le fasse par* nir à Paris.
Je passe le reste de la journée en compagnie d'Alfa
Mahamadou-Paté, qui manifeste beaucoup de plaisir à
me revoir.
— Si lu étais retourné à Donhol-Fella par une autre
route, dit-il, je n'aurais pas été content de toi et tu
n'aurais plus été mon camarade. Viens, nous allons
voir mon frère Modi Abdoulaye.
Et il me présente à un gros garçon qui lu' ressemble
beaucoup, mais qui parait moins aimable. Ensuite,
Mahamadou-Paté me conduit chez lui.
Mahamadou-Paté s'allonge sur une natte près du
foyer el m'invite à faire comme lui. Pour complaire à
Son Altesse, il faut que je dessine un lion, puis un élé-
phant, etc. Ensuite, elle veut absolument lutter avec
moi. Cet homme, trois fois gros comme moi, ne man-
querait pas de me tomber; aussi j'esquive la lutte, où je
perdrais mon prestige, en lui disant que les blancs ne
luttent jamais qu'au revolver. Enfin, je quitte ce vieux
camarade lorsque l'on vient me chercher pour dîner.
Pendant la veillée, un griot Bambara, qui joue fort
bien de la flûte, nous fait apprécier son talent et de vir-
tuose et de compositeur; il lire vraiment de très beaux
sons de ce morceau de bambou percé de cinq trous.
Puis, un autre individu, un captif prestidigitateur, nous
fait très adroitement quelques tours de passe-passe. Où
cet homme peut-il avoir appris la prestidigitation?
Le 19 juillet, dès le matin, nous prenons nos dispo-
sitions de départ; il tombe une pluie fine qui promet
de durer. Bayol va mieux; mais, à mon tour, j'ai la
tête lourde et je sens venir la fièvre. Mahamadou-Paté
me dit que, si j'étais désireux de me marier, il me ferait
i'H A TRAVERS LB fOUTA-DULLON
"
cadeau d'une femme, liais le moment est mal choisi et
je décline cette offre gracieuse.
Nous partons a sept heures de Sokotoro et nous arri-
vons à Donbol-Fella à midi. Pendant la route, mon
malaise s'est accentué sous l'influence des alternatives
de pluie et de soleil, et, au moment de notre arrivée, je
suis en proie à un accès si violent que je n'ai qu'un
désir, celui de me coucher.
rRAQUBKTS D'HISTOIRE PBULH ' 125

XII

MVIUSNTO D BMTOIRR PEULH

Ce chapitre, qui dépeint les habitudes, les moeurs e


les coutumes des noirs du Pouta, sera bien mieux rendit
par quelques extraits d'une lettre que j'adressai de
Donhol-Pella à l'an de mes amis, 51. Sutter Laumann :

« Donhol-Pella, 23 juillet 1881.


Cher ami,
Après un voyage d'environ deux mois à travers
..... splendide, où les termites (fourmis blanches)
un pays
.
construisent des huttes de terre qui souvent font croire
.à la présence d'un village humain, où la tornade atteint
une violence dont nos plus forts orages ne donnent
qu'une faible idée, après avoir escaladé une suite de
montagnes coupées de vallées qui rappellent tout à la
fois les Vosges,-le Jura et l'Auvergne, après avoir
franchi cent douze cours d'eau, nous arrivons à Donhol-
Pella le 1" juillet.
Le traité est signé en bonne et due forme. Pen-
...
126 A TAAYEBB LB TOUTA-DULLON
dant que nous nous reposons sur nos lau-iers, en amen-
dant une décision qui nous permette de continuer notre
voyage, la flôvre nous assiège Bayol et moi. C'était iné-
vitable. Aujourd'hui que nous ne sommes plus soutenus
par une surexcitation nerveuse et que la détente s'est
produite, nous subissons les conséquences des fatigues
et des privations.
J'ai vu Timbo, la capitale du Foula Dlalo, ainsi que
prononcent les Peulhs. Eh bien l tu pourras dire aux
prétendus historiens de l'Afrique, qui placent dans celte
mystérieuse contrée des villes considérables où grouillent
des populations très denses, tu pourras dire qu'ils n'ont
vu ce pays que dans les lunettes de l'imagination.
Timbo possède au plus cinq cents habitants et la popu-
lation des autres cités dont j'ai pu apprécier l'étendue
est très inférieure à ce qui nous était raconté par les
naturels. La population de Foucoumba, Dourla, Koussy
ou de Bambya n'excède pas cinq cents âmes.
Sur un parcours de cinq cents kilomètres, j'ai ren-
contré quatorze chevaux et un âne, mais pas le plus
petit animal féroce, pas le moindre serpent. En revanche,
j'ai vu beaucoup de fourmis de toute espèce, des cara-
vanes de singes, de grands troupeaux de boeufs, de
moutons et de chèvres.
Donhol-Fella n'est pas une ville, mais un charmant
village bâti au centre d'un paysage ravissant qui te
mettrait au mieux avec l'Afrique occidentale et détrui-
rait la mauvaise impression que le laissèrent les plaines
sablonneuses et arides du Sénégal, où, pour toute végé-
tation, il ne pousse que quelques poteaux' télégra-
phiques I
Donhol-Fella est situé sur un petit plateau flanqué
de deux marigots qui malheureusement rendent le
pays malsain. Ce n'est qu'une résidence royale, qui
appartient à l'Almamy Ibrabïma-Sory. Outre la réunion
des cases qui composent le palais, d'autres propriétés
FIU0MBNT8 D'HISTOIRE PBULH 127
groepées â l'enlour sont données en apanage aux fils
de ce souverain et à quelques notables, conseillers
intimes. Nous logeons dans uae de ces propriétés, qui
appartient à Alfa Salifou Kambaya, actuellement
envoyé en mission sur les bords du N'fer.
Les cases qui entourent la nôtre sor t habitées par les
cinq femmes de Salifou : la première femme a bien
soixante ans et la jeune n'en a pas vingt-cinq. Nous fai-
sons très bon ménage avec nos voisines, dont j'ai gagné
les bonnes grâces; la mère Kaùè (prononcer Cadet),
notamment, me témoigne beaucoup d'amitié, mais c'est
généralement chez la belle Aëçala que je passe, met
soirées.
Comme dans nos villages de France, on se réunit
dans une case pour la veillée. Groupés autour d'un feu
pétillant, les hommes, les enfants et les femmes, nos
voisines, rient, babillent, se divertissent à l'aise. Les
femmes se mettent en frais de coquetterie avec les
hommes qui leur font un brin de cour; les enfants
gambadent et se roulent de tous côtés ; les éclats de rire
retentissent à chaque instant. Parfois on raconte des
histoires. Quant & moi, lorsque vient mon tour, j'aime
mieux chanter. Quoi ? Ce qui me passe par la tête ;
mais c'est toujours & la plus grande joie de l'assistance,
dont les jeux et les rires cessent comme par enchante-
ment et qui m'écoute bouche bée. Aussi dès que, fati-
gué, je veux m'arréter, tous protestent, et crient :
« Encore I »
Presque tous les jours, je fais, seul ou en compagnie
de Bayol, une promenade sur le plateau. Mes yeux ne
se lassent pas d'admirer le panorama des vertes mon-
tagnes qui chevauchent jusqu'à l'horizon.
rEt quels noms I Ce sont, à l'est, les pelle (monts)
Dioudou-Konko, Sorokotna, Tangama; puis, au sud,
les pelle Sembrekom, Tienguel, Perndou, Couyari,
Baréma, Contât. Ceux-ci masquent le pays des Houbous
128 A TRAVERS LB rOUTA-DIALLON

(qui craint Dieu), Peulbs dissidents qui ne reconnaissent


pas l'autorité des Almamys. Bien loiu dans le sud-ouest,
j'aperçois les montagnes violettes de Eriko-Kampo j
puis je vois, à l'ouest, les pelle Timbo, Gabaland, Soko-
toro, DIela-fcoDgua et enfin, au nord, les monts Sarébo-
Tal et Bagala, qui se terminent en pente douce pour
donner passage à la route de Dinguiray, ville située
dans le nord. est.
Les champs de riz, de mais, de fognié couvrent les
.environs. Certes, c'est un bien joli site que celui où
nous nous trouvons. Que sera-t-il donc dans un avenir
lointain, bien lointain par exemple, quand on y jerra
de jolis cottages, des villages européens que relieront
de jolies routes animées par des équipages et des cava-
liers? Rêves, illusions, nue fait naître la fièvre et que
la fièvre dissipe!
Ma première impression sur les Peulhs ne .s'est pas
modifiée : tels je les ai trouvés, à mon entrée dans le
pays, tels je les vois encore. Simples, hospitaliers, mais,
hélas I peu velus. La toilette des grands de la nation,
des chefs même, est des plus modestes; on dirait, ma
foil qu'ils affectent une simplicité exagérée dans leur
mise. Des belles écharpes brodées, des burnous, des
vêtements que nous leur avons offerts, personne ne
s'est revêtu ; on les réserve pour les donner en récom-
pense aux sujets méritants.
Je me plais beaucoup au milieu de ces hommes
simples et bons. Je trouve les femmes aussi gracieuses,
aussi curieuses, aussi coquettes que chez nous, et les
enfants ont des espiègleries qui me l'appellent celles de
nos moutards.
Nous sommes surtout pourchassés par le petit Sory,
garçon de onze ans, fils de Boubakar-Biro, qui est
élevé chez son oncle l'Almaroy. Il nous a voué une
grande amitié et, quand- il n'est pas à l'école, il est
chez nous, ce qui ne l'empêche pas, h l'occasion, de se
FRAGMENTS D'fU8T0IRB PEULH 129
moquer de ses amis blancs. Je l'ai, plusieurs fois sur-
pris, avec un de ses camarades, imitant nos gestes et le
son de notre voix.
* _i El biribi-bibi! et ©ar«-6a-6a-6a / El allez donc! ils
riaient aux éclats I
L'autre jour, notre jeune espiègle, qui avait trouvé
un morceau de verre cassé, vint à nous, le carreau dans'
l'oeil el, faisant l'homme d'importance, caressant ses
favoris absents, il nous dit :
Elmémy Yesso Yesso, soldar bilibao bilibaoo ! pchu,

pchu I Inglesy l
C'était l'imitation d'un docteur anglais, qui, peu'de
temps avant nous, élait venu avec une forte escorte
chez l'Ai mamy. Je dois ajouter que Sory, qui articulait
des sons incompréhensibles, avait très bien saisi l'into-
nation anglaise. Il y a des gavroches partout I
Sans prétendre te faire un cours d'ethnographie, je
vais le donner quelques renseignements sur les gens
parmi lesquels nous vivons.
Les Pouls, Peulhs, Poulars, Foulahs, comme on vou-
dra les appeler, ne sont pas originaires du pays qu'ils
habitent. Leurs traits sont réguliers, semblables aux
nôtres, et rappellent le type abyssin ou celui des paysans
de la Haute-Egypte, d'où ils semblent venir.
Dans son Essai sur la langue poul, le général Faidherbe
dit :
« Les Pouls, qui devinrent les maîtres du Soudan
depuis leur conversion à l'islamisme, c'est-à-dire depuis
moins de deux siècles, y sont peut-être anciennement
venus de, l'Orient, amenant avec eux le boeuf à bosse
(Zébu), qui est le même que celui de la Haule-Egypto
et de la côte orientale d'Afrique. »
D'après Mahamadou-SuïJou, il y a cent quatre-vingt-
sept ans que les Peulhs se sont emparés du Fouta-Dial-
Jon, qui s'appelait, avant la conquête, Dialonka Dangou
*e( élait habité parjes Dialon'ké.
9
130 A TRAVERS LB FODTA-DIALLON

— Les Peulhs, me disait-il un jour, c'est dés blancs


comme vous ; s'ils sont noirs, c'est que le soleil les a
brûlés. Guidés par Dieu qui les aime bien, les Poulahs
sont venus du Founangut (pays.de l'Est), — où il n'y
avait plus d'herbe pour faire paître leurs troupeaux —
dans les montagnes du Fouta qui est un beau pays, où
il y a toujours de l'eau, de l'herbe et du bois.
C'étaient les Dialon'ké qui étaient les maîtres du
Fouta, mais ces hommes-là, qui buvaient du sangara
(eau-de-vie), ne faisaient jamais salam et Dieu n'était
.
pas content pour eux. C'était tout de môme de bons gar-
çons, car ils ont dit au Foulah : Reste là, fais des lougam
(cultures) et tes boeufs mangeront de la bonne herbe.
Les Peulhs, qui voyaient que le pays était bon pour
eux, sont venus nombreux et, quand ils ont été les plus
forts, ils ont dit : Il faut quo les Dialon'ké fassent la
prière comme nous. Alors ceux qui étaient chefs des
Peulhs ont dit aux chefs du Dialo : Il faut faire salam
avec nous, c'est Dieu qui l'a dit. Mais les kéfirs (infi-
dèles) ont répondu : Nous sommes chez nous et nous
ferons comme nous voudrons ; si vous n'êtes pas con-
tents, il faut quitter le pays.
Alors les Peulhs ont fait la guerre aux Dialon'ké, qui
n'avaient pas la force, et ont gagné le pays jusqu'à
Foucoumba. Ces Peulhs-là, c'étaient des Raldin'ké, des
Sidin'ké (1), c'étaient les fils de Sidi et de Raidi, qui
commandaient à Tombouctou.
Un de ces hommes-là qui était de la famille de" Sidi
s'appelait Kikala; c'était un grand marabout (homme
pieux}. Alors lés Poulars ont dit : c'est lui qui est notre
chef! et Kikala a été chef. Quand il est mort, c'est son
fils Sambigou qui l'a remplacé. Mais Sambigoù avait

(t) La finale n'ké signifie homme de » et est employée


«
par les Peulhs pour désigner les habitants d'un pays quel-
conque.
FRAGMENTS D'HISTOIRE PEULH 131
deux fils, Nohou et Malik-Si, qui étaient aussi de grands
marabouts.
Quand Sambigou est mort, ils voulaient être chefs
tous les deux, mais ça n'était pas bon. Alors les Peulhs
ont dit : Voilà Karamoko-Alfa, qui est le fils de Nohou.
Dieu l'aime trop parce qu'il est grand marabout; il
faut qu'il soit le chef du Fouta, et Karamoko-Alfa a été
le premier grand chef. Ce n'étaif pas Almamy, mais
c'était comme Almamy.
Kâramoko faisait salam toute la journée et aussi
loute la nuit. Avec les autres chefs et avec MoJi Maket
le grand-père de Modi Digo, qui était le grand porte-
parole des Peulhs, il a dit : Dieu n'est pas content parce
que les hommes ne font pas salami Alors les Peulhs
ont pris les lances et les flèches et ils ont fait la guerre
aux buveurs de sangara.
Cest Kâramoko qui commandait. Il a rencontré
Kondé Biramo qui était commandant des Kéfirs. On a
fait la bataille et Kondé Biramo, qui était le plus fort, a
gagné. 11 a pris beaucoup de captifs et a coupé le cou
au chef des Pouls. Karamoko-Alfa s'est sauvé, mais il
n'avait plus la tête solide.
Kondé Biramo a bâti un tala (forteresse) près de
Foucoumba et a dit : Maintenant c'est moi le maître,
j'ai la force, et si les Poulos ne travaillent pas bien les
lougans, je leur couperai le cou. Les Pouls n'étaient
pas contents d'être captifs et ils ont dit : Il faut tuer
Kondé Biramo.
Itodi-Maka, qui avait beaucoup de tête, a dit : Celui
qui sauvera les Peulhs, c'est Alfa Ibrahïma, fils de Ma-
lik-Si. G'étail le cousin de Kâramoko. Ibrahïma a appelé
tous les hommes et a dit : Nous allons casser le tata de
Kondé Biramo, mais il faut faire salam el Dieu nous
accordera la force. Les hommes de Alfa Ibrahïma ont
rencontré les Kéfirs au tiangol Sirakouré, près de
Timbo, ils ont fait une grande bataille et Ibrahïma qui
132 A TRAVBR8 LE FOUTA-DFALLON
avait obtenu la force a tué Kondé Biramo ainsi que sa
femme Ava Biraraa, qui commandait aussi les guerriers,
et il a coupé le cou à ceux qui ne voulaient pas (aire
salam. \
Cela.it bon pour les Peulhs, celte affaire-là, et les
Dialon'ké, qui n'avaient plus la force, ont fait salam.
Mais Ibrahïma n'était pas content, parce qu'il y avait
des hommes de Kondé Biramo qui s'étaient sauvés du
côté de Donhol-Fella; il a couru après et les a tous
tués 1
La guerre était finie et les anciens du pays étaient
trop contents pour Ibrahïma; ils ont fait te palabrr et
Modi-Maka a dit : — Ibrahïma, c'est un grand guerrier,
il faut le nommer Almamy du Fouta et puisqu'il fait
toujours la bataille quand le soleil se lève, il s'appellera
Sory (le matinal). Ibrahïma Sory a été le premier
Almamy du Fouta.
Le Foula était déjà un grand pays, et le conseil des
.
Anciens a décidé que l'Almamy aurait sa maison à
Timbo, mais qu'on le couronnerait toujours à Fou-
cou m ba, parce que c'était la première mtssida (mosquée
ou capitale) des Peulhs.
Almamy Ibrahïma a fait comme le conseil avait dit,
et il est venu rester à Timbo, qu'il avait gagné sur
Kondé Biramo et qui, dans ce temps-là, s'appelait
Gongovi (grandes maisons). Maintenant cela fait cent
vingt-sept ans que Timbo est la grande mwsida du
Fouta-Diallon.
Yoilà, cher ami, un fragment historique qui peut
servir à l'histoire des'Peulhs. J'ai suivi, autant, que
possible, la traduction faite, par noire interprète, sous
la dictée de Mahamadou-Saîdou.
D'après lui, ce sont des pasteurs nomades qui ont
constitué l'État peulh. A celte époque, le pays n'était
pas divisé en deux parties ; ce p'est que plus tard, à la
FRAGMENTS D'HISTOIRB PEULH 133
mort du premier Almamy, que celte scission se serait
produite; voici comment :
. L'Almamy Ibrahïma Sory,
que ses conquêtes avaient
fait surnommer Mahoudou (le grand), était fatigué des
lutte* qu'il avait soutenues et, sans abandonner le pou-
voir, désirait se reposer quelque temps. Il demanda
alors à son cousin Alfa Salifou, fils de Karamoko-Alfa,
s'il voulait bien gouvernera sa place, pendant qu'il irait
à la campagne pour prendre du repos. Salifou accepta
et rendit le pouvoir à son cousin, quand celui-ci rentra
dans sa capitale.
Cet accord n'avait rien de préjudiciable aux intérêts
du pays; l'Almamy céda plusieurs fois le pouvoir à Sa-
lifou, ce qui donna naissance à deux partis : les Sorya,
partisans de l'Almamy Ibrahïma Sory, et les Alfaya,
partisans d'Alfa Salifou. Quand l'Almamy Ibrahïma
mourut, laissant une descendance de cent enfants, son
fils Sadou lui succéda et voulut conserver le pouvoir
sans partage ; mais Abdoulaye Bademba, fils de Sali-
fou, prélendit aussi au titre d'Almamy. Il engagea une
guerre entre Soryas et Alfayas, où l'Almamy perdit
là vie, dans un combat qui eut lieu sous les murs de
Timbo.
' Le pays était donc divisé et sa prospérité pouvait être
compromise par ces prétendants des deux partis qui
voulaient le pouvoir absolu. Alors Modi Maka réunit le
conseil des Anciens et proposa de prendre un Almamy
dans chaque parti, lesquels régneraient alternativement
de deux en deux ans. Abdoul Gadirou, frère de Sadou,
fut nommé Almamy Sorya et Abdoulaye Bademba,
Almamy Alfaya.
Des difficultés ne tardèrent pas à s'élever de nouveau
eutre les deux souverains, une guerre s'engagea et
Abdoul Gadirou, veugeant la mort de son frère Sadou,
tua Abdoulaye Bademba, qui fut remplacé au pouvoir
par son fils Boubakir; puis, les dissensions recommen-
134 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
cèrenl et elles continuent même à l'heure actuelle.
Comme dit Mahamadou-Saldou, Alfayas et Soryas font
souvent la guerre, mais on ne se fait pas beaucoup de
mal. Les .Peulhs, qui ont de la tête, auront toujours
deux chefs, parce que, si l'un est mauvais et garde tout
pour lui, on va chez l'autre : deux Almamys, c'est bon
pour le Fouta.
Je pourrais, cher ami, te donner la liste chronolo-
gique des souverains Alfaya et Sorya qui ont gouverné
•les Peulhs, mais c'est inutile. Quand je t'aurai dit que
l'Almamy Abdoul Gadirou était le père de Ibrahïma
Sory,' l'Almamy actuel des Sorya ; que l'Almamy Bou-
bakar élait père de Hamadou, l'Almamy Alfaya, et que
Modi Maka, le chef du conseil des Anciens, était le
grand-père de Modi Ibrahïma Diogo, le président actuel,
tu te rendras compte, aussi bien que moi, qu'il n'y
a guère plus de cent quatre-vingts ans, que les Peulhs,
sous la conduite de chefs sans commandement défini,
ont envahi le Dialo, pays des Dialonké, devenu par la
fusion de ces deux races le Foula-Diallon.
Cet État, qui s'étendait de l'Océan aux rives du Niger,
ne devait pas garder longtemps son autonomie Un
Almamy Alfaya, Boubakar, donna Dinguiray et son
territoire à El lladji Omar, toucouleur ambitieux, né
sur les bords du Sénégal, qui revenait d'un pèlerinage
à la Mecque.
C'est de cette ville que ce pèlerin, qui avait une ré-
putation de saint, partit avec une armée, se grossissant
sans cesse, et ravagea le Bambouc, l'empire des Bam-
baras, et fit de Ségou, sur le Niger, la capitale des Etals
qu'il avait conquis.
Un autre événement, qui eut pour point de départ
une futilité, détacha de l'unité Peulh une.fraction de ce
peuple, qui, sous la conduite d'un grand marabout,
Modi Mamadou Dioué, se réfugia dans les montagnes,
FRAGMENTS D'HISTOIRB FEULH 135

au sud de Donhol-Fella, et forma la nation des Hou-


bous (qui craint Dieu).
Voici le fait, tel que me l'a raconté Mahamadou-
SalJou; seulement je te fais grâce de son style imagé,
C'était au commencement du règne de l'Almamy Ou-
niar. Modi Mamadou Dioué, chef de Lamina missida du
diwal de Fodé-Ihdji, revenait chez lui après avoir passé
sept ans chez un chef maure qui lui avait appris le Ko-
ran. Mamadou Dioué avait une grande réputation de
sainteté et de tous côtés on venait demander des grigris
(amulettes), qui possédaient de grandes vertus et qu'il
faisait payer très cher. L'Almamy Ibrahïma, au temps
où il n'était qu'Alfa, fit son éducation chez ce grand
marabout qui avait déjà de nombreux taliMs (élèves) et
élait très vénéré. [

Un jour, 1° fi'* du chef de Ballo et un de ses parents


allèrent installer un roundê (habitation d'esclaves) dans
un des villages bâtis sur le versant du fello Contât' et
plantèrent du manioc. Les (alibis de Mamadou Dioué,
qui en voulaient au 'propriétaire du roundé, vinrent un
soir arracher le manioc et bouleverser le lougan (cul-
ture). Le propriétaire leur demanda les motifs da leur
mauvaise action : les jeunes gens répondirent que cela
ne le regardait pas, qu'ils ne connaissaient que le ma-
rabout et que, s'il ifétait pas content, ils lui disaient...
(un mot grossier intraduisible). Une rixe s'ensuivit'et
un captif fut tué.
Le chef de Baïlo, mécontent de ce désordre, se plai-
gnit à son souverain qui dépécha deux notables à Modi
Mamadou Dioué pour essayer d'arranger l'affaire. Le
grand marabout reçut les envoyés avec beaucoup de dé-
férence, tua un boeuf pour leur déjeuner, parla de Dieu,
.
de Mahomet en termes si éloquents quo tout le monde
pleura et conclut en disant que ses (alibis et lui étaient
pour Dieu et quo l'Almamy ne le regardait pas I
De retour à Timbo, les envoyés rendirent compte
136 'A TRAVBRS LE FOUTA-DIALLON
de leur mission à l'Almamy Oumar, qui ne voulut
rien entendre ; il arma ses captifs et se mit en cam-
pagne.
Les hostilités durèrent des années. Tour à tour les
Boubous et les soldats de l'Almamy furent vainqueurs ;
mais les Houbous ne voulurent jamais se soumettre.
Modi Mamadou Dioué mourut de chagrin et fut rem-
placé par son fils Abal (le Sauvage).
Yoyanl qu'il ne pouvait réduire seul les rebelles,
l'Almamy Oumar invita son cousin Ibrahïma, l'Almamy
Alfaya, à marcher avec lui contre les troupes d'Abal.
La campagne des deux alliés ne fut pas heureuse; ils
furent vaincus et se sauvèrent chacun de son côté. Les
Houbous s'emparèrent de Timbo, d'où ils furent d'ail-
leurs bientôt chassés, après un combat sanglant.
L'Almamy Oumar, que ses guerres continuelles avec
les Houbous discréditaient près de ses concitoyens, re-
nonça à' harceler les rebelles afin de reconquérir sa po-
pularité, et, confiant le gouvernement à l'Almamy Ibra-
hïma Alfaya, il' partit convertir les infidèles du
N'Gabou, au delà du Rio-Orande.
Ibrahïma, qui avait une revanche à prendre sur les
Houbous, résolut de leur faire la guerre "et entreprit un.'
campagne funeste pour lui, car il y perdit la vie.
Je te transcris aussi fidèlement que possible le pitto-
resque récit de celte- dernière bataille, l'épopée des
Houbous, que raconte d'une si étrange façon Mahama-
dou-Saldou.
— Almamy Ibrahïma a fait Vattaquation des Hou-
bous, à côté du village de Bokelto. Les Houbous, qui
avaient beaucoup la force, ont fait la bataille deux
heures avant que le soleil se couche. Tout à coup, les
Peulhs ont gagné la peur et ils se sont sauvés, mais
l'Almamy Ibrahïma, qui voulait gagner tout de même
la bataille, ne s'est pas sauvé et il s'est assis sur le
bord du liaitgol..
FRAGMENTS D'HISTOIRE PEULH 13?
Viens I disaient les Peulhs. ;
— .

Non! je ne veux pas, je.resle ici.
'• Et. Almamy est resté. Un Houbou, qui voyait que
l'Almamy élait tout seul, est venu à côté de lui et lui a
donné un coup de sabre, puis il s'est sauvé pour chas-
ser les autres Peulhs qui couraient trop fort. Un-petit
captif a'couru chez Abal, le chef des Houbous, et lui
a dit :

L'Almamy est assis sur le bord du liangol; il ne
.bouge pas et il pleure.
Abal-vint près de l'Almamy, lui toucha la main et
lui dit: :
— Salamalecom, Almamy !

— Malecomsalam, Abal.
— Yiens avec moi dans le village.
— Non, je ne veux pas aller dans le village, je reste
ici.
— Yiens, reprit Abal, viens dans ma maison, je te
ferai soigner.
— Non, je ne veux pas aller dans ta maison, Abal, je
veux mourir ici ; fais-moi tuer.
— Comme tu voudras I
Et Abal partit dans sa maison et dit aux captifs :
Prenez des bâtons et allez tuer l'Almamy, qui est assis
sur le bord du liangol.
Alors les captifs ont tué l'Almamy avec des bâtons
parce que le sabre ne coupe pas la peau des grands
marabouts.
Mamadou, qui était le fils de l'Almamy, dit aux autres
Peulhs :Mon père ne vient pas, il faut aller le cher-
cher. Mais quand il a vu que l'Almamy était mort, il
s'est assis à côté et on l'a tué.
Ba-Palé, qui était l'autre fils de l'Almamy, est venu,
il s'est assis et on l'a tué. Et puis après, cinquante
^Peulhs qui étaient des hommes de l'Almamy sont ve-
nus et on les a tués. Pendant toul le temps qu'on tuait
138 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
.

les Peulhs, Bay, qui était le griot, chantait. Quand le


dernier Peulh a eu le cou coupé, on a tué aussi Bay et
un autre griot qui élait un toucouleur. C'étaient des
hommes trop courageux, ces Peulhs-làl... Il y avait du
sang plein le tiangol qui était tout rouge I
Pendant ce temps, l'Almamy Oumar mourait de la
fièvre à Dombi-Hadji et son frère le remplaçait sous le
nom d'Almamy Ibrablma-Sory. Depuis son avènement
au trône, il n'a pas fait la guerre aux Houbous en
mémoire de Mamadou Dioué, qui fut son instituteur, et
aussi à cause de son amitié pour Abal, son ancien con-
disciple.
Quant à Hamadou, successeur de l'Almamy Ibrahïma,
mort à Bokelto, qui occupe actuellement le pouvoir, il
n'a pas la moindre velléité belliqueuse el même, dès
qu'il entend des coups de fusil, il a bonne envie de se
sauver.
Enfin, comme dit Saïdou, la guerre avec les Houbous,
ce n'est pas bon pour le pays, parce que Foulahs et
Houbous, c'est même père et même mère.
Aujourd'hui, l'Etat peulh, dont la superficie est
presque aussi, grande que celle de la France, possède
une homogénéité peu commune. Il est régi par une
constitution qui dénote chez les Foulahs un esprit très
pratique et une grande sagesse.
Le gouvernement, qui réside à Timbo, est entre les
mains de deux Almamys, qui détiennent alternative-
ment le pouvoir de deux'en deux ans et sont assistés
d'un conseil des Anciens ; les membres de ce conseil
sont inamovibles et ont à leur tête un président égale-
ment inamovible, appelé Diambrou-diou-Mahoudou-Poul-
Poular (le grand porte-parole des Peulhs).
Quoique les deux partis soient bien divisés au Fouta,
rien ne s'y fait sans le consentement des deux Almamys
et du conseil des Anciens. L'Almamy en disponibilité,
s'il est plus âgé que celui qui règne, a même la priorité
FRAOMBNTS D'HISTOIRE PEULH 139
dans le conseil, ainsi que nous avons pu le remarquer
à propos de notre traité. L'Almamy Hamadou a laissé
faire son cousin qu'il appelle son père ; car, dit-il, plus
vieux que moi, il doit être plus ^age.
Le Fouta est divisé en treize ptovinces appelées divoals,
qui ont pour capitales : Timbo, Foucoumba, Labé,
Bourla, Kébâli, Colladé, Colëin, Koln, Timbi-Thouni,
Tîmbi-îfédina, Baïlo, Fodé-Iladji et Massi. A lui seul,
le diwal de Labé est presque aussi grand que tous les
autres. Quelques divaals se subdivisent en demi-pro-
vinces.
.
Les chefs de divcal sont nommés par les Almamys et
V ique province a deux chefs qui, ainsi que les souve-
rains, alternent au pouvoir. Les chefs de province nom-
ment à leur tour les chefs de village, qui suivent aussi
le sort de l'Almamy dont ils sont partisans.
Donc, comme l'Etat, chaque province a ses deux chefs,
assistés d'un petit conseil, et chaque village a égale-
ment deux maires, assistés par quelques notables, qui
rappellent leséchevins.
Les changements de pouvoir ne s'opèrent pas toujours
sans produire quelque agitation ; mais le calme est vi-
vement rétabli.
La capitale s'appelle Missida-Mahoudou (grande mos-
quée). Les autres villes, si elles ont une mosquée, se
nomment simplement Missida. Une résidence de cam-
pagne est un foulasso, une habitation isolée est une
margaet une agglomération d'esclaves s'appelle roundé.
L'impôt, basé sur le système de la dirae, enlève un
cinquième des récoltes. La perception se fait par l'en-
tremise des chefs, du plus petit au souverain. Un cin-
quième est également prélevé sur les héritages.
En cas de décès d'un chef de famille, ses veuves et
leurs enfants sont partagés entre les frères héritiers
du défunt.
Malgré loutes mes questions à ce sujet, je n'ai pu
140 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
savoir si ces femmes devenaient effectivement les
épouses des héritiers. Il doit cependant y avoir des
exceptions à celle règle, car la reîhe Omou, mère de
Alfa Mahamadou-Palé, héritier présomptif des Sorya,
qui devrait être là femme de son beau-frère l'Almamy
Ibrahïma, est devenue la femme de Alfa Hamadou Fou-
cou mba. Il est vrai qu'elle n'habite pas avec son second
mari : elle vit dans une propriété voisine de celle de
son fils atné.
La justice est l'apanage des chefs, assistés de quelques
notables. La cour se tient d'ordinaire à là demeure du
chef, ou devant la mosquée. Un greffier lit à haute'voii
le texte de la loi quand le prévenu est reconnu cou-
pable.
Un prévenu condamné par le conseil de son village
peut en appeler devant le chef de province, qui juge en
dernier ressort.
Les crimes politiques sont jugés par le conseil des
Anciens.*
Les peines encourues sont de un à quatre cents coups
de corde, selon \gravité du délit; de la perte d'une
main pour un vol important, et delà décapitation pour
l'assassinat.
Les huissiers, les gendarmes, les avoués, les avocats,
surtout, sont inconnus ici : il arrive cependant qu'un
homme de bonne volonté défend son camarade.
Le prévenu se rend au tribunal sur la simple invita-
lion du chef, et un voleur est rarement trois jours avant
d'être arrêté.
J'ai assisté à des corrections parle fouet, mais je n'ai
pas vu d'exécution capitale et, à vrai dire, je n'y tiens
pas; seulement Mabamadou-Saliou m'en a conté les
péripéties.
Le coupable est conduit en dehors du village, à l'en-
droit où l'on enterre les suppliciés. Plusieurs notables
assistent à l'exécution. Le patient creuse sa tombe lui-
FRAGMENTS D'HISTOIRE PBULH 141
même et se couche dedans pour s'assurer qu'elle est
assez longue; puis, il se relève, et une discussion, pour
la forme, s'engage enlre les assistants.
11 ne faut pas lai couper le cou.
-Sil


i\\nl
— Si, il l'a mérité I
Etc.
Pendant ce temps, un homme désigne d'avance se
promène autour du patient et, pendant que celui-ci suit
la conversation avec le vague espoir d'obtenir sa grâce,
d'un coup de sabre habilement donné, le bourreau lui
abat la têt,;. L'habileté dans cette opération consiste à
ne pas s'y reprendre à deux fois et à rattraper la tête
sur la pointe du sabre.
Les récidivistes sont pour ainsi dire inconnus.
Avec de l'argent on peut racheter sa peine, mais il en
faut beaucoup.
Par exemple, on n'accusera pas les habitants du Fouta
de vanter la supériorité de leur race, car depuis que
nous sommes en relations avec eux, ils n'ont cessé de
nous dire :
— Fais bien attention; le Foulah n'est pas bon, il est.
menteur et voleur I
Cependant, je dois dire que, malgré l'avertissement
qui nous a été donné par l'Almamy, aussi bien que par
le dernier de ses sujets, rien jusqu'à présent ne nous a
été dérobé, si ce n'est un thermomètre «font quelques
gamins, sans doute, auront fait un jouet.
Les chefs du pays jouissent d'un grand prestige auprès
des administrés. C'est avec un iesp et mêlé d'admiration
que les Peulhs prononcent le nom Alnvuny et, si le roi
reçoit indistinctement le dernier des car tifs et le pre-
mier de ses sujets, on ne l'aborde jamais sans s'incliner
.
profondément en lui touchant la main.
Tu vois que ce peuple cultivateur et guerrier est très
142. A TRAVERS LE FOUTÀ-DIALLON
intéressant et que, si l'on voulait établir des comparai-
sons, nous leur serions peut-être inférieurs sur plus
d'un point.
Pour clore ma lettre, quelques nouvelles sur notre
santé. Bayol va couci-couci et moi de même; nous
sommes fatigués et la fièvre nous tourmenté de temps a
autre.
Quant à nos animaux, & part un mulet à peu près
valide et un autre incapable d'aucun service,-ils sont
tous morts. 11 est vrai que nous les avons remplacés pat
deux singes et un youyou (sorte de perroquet).
Nos hommes nous causent parfois des ennuis; il faut
.
crier sans cesse et les raisonner comme des enfants. II y
a deux jours, ils voulaient faire « la révolution »,
comme ils disent; l'un d'eux a même été blessé d'un
coup der sabre à la jambe; tout cela.pour une ration
de riz. L'Almamy les a fait appeler chez lui, les a ser-
monnés et a promis qu'à la prochaine mutinerie il y
aurait distribution de coups de fouet; l'ordre a été ré-
tabli immédiatement.
Enfin, en terminant celte courte étude sur les habi-
tants du Fouta-Diallon, je dois rendre hommage à leur
urbanité et à leur hospitalité vraiment écossaise. J'en
garderai le meilleur souvenir
LE8 PEULHS CHEZ EUX 143

XIII

r.M PBULHJ CIKS eux

La rapidité avec laquelle nous avons fait la route de


Boké à Timbo ne nous a guère permis de faire d'amples
observations sur l'état social du pays. Néanmoins, pen-
dant que le docteur employait la plupart de son temps
à soutenir de3 entretiens politiques avec les hommes
importants, je me faufilais dans les intérieurs et étu-
diais de mon mieux les moeurs des Peulhs.
Dans la société peulh, l'esclavage est la plus grande
source de richesses et il y est tellement enraciné qu'il
faudra un temps considérable avant que cet état d'avi-
lissement disparaisse. Les esclaves, que l'on appelle
plus communément des captifs, sont achetés aux cara-
vanes qui viennent de l'intérieur, ou pris à la guerre.
Le captif représente une valeur courante.
Il ne faut cependant pas croire, comme nous sommes
enclins à le faire cbez nous, que les esclaves sont très
144 A TRAVERS LE FOOTÀ-DIALLON
malheureux. Au Foutu, ils sont considérés comme des
membres inférieurs delà famille et ils travaillent pour
le maître.
Les esclaves se divisent en plusieurs catégories.
Les captifs de case, qui font partie de la maison,
jouissent de toute la confiance du maître et sont sa
garde la plus fidèle. Ils sont, la plupart du temps,
mieux vêtus que le patron et /étranger les prend faci-
lement pour des personnages. -
Les captifs de lougans habitent des fermes et travail-
lent les champs sous la surveillance d'un autre captif de
confiante appelé Saligué.
Les griots, les forgerons, les bijoutiers, les cordon-
niers, les tisserands, etc., tous les hommes qui exercent
une profession quelconque sont des captifs d'ordre su-
périeur. Comme les captifs de case, ils ne peuvent être
vendus qu'en cas de faute grave; alors c'est une peine
sévère.
Outre les captifs de lougans, les riches propriétaires
ont une réserve d'esclaves qui servent aux échanges et
qu'ils donnent souvent en cadeau à leurs fidèles. C'est
pour ceux-là seulement que la condition d'esclave est
pénible, car ils, sont considérés comme des animaux.
Il existe aussi une autre classe composée d'hommes
libres et d'esclaves affranchis. Ces hommes se donnent à
un homme puissant dont ils deviennent les courtisans
et les parasites.
Toutes les belles choses qu'il a sont pour eux; il pour-
voit à leur nourriture, à leur logement et à leur entre-
lien.
Ces individus, qui rappellent les clients romains, sont
appelés batibé ihomme de).
Les Peulli3 suivent la morale du Koran. Fervents
musulmai s, mais non fanatiques, austères, ils prient
cil souvent, ne donsent ras et ne prennent que rare-
LES PEULHS CHBZ EUX 145
ment des distractions, dont les griots font du reste tous
les frais.
Trois ou quatre fois par semaine, une réunion de
savants corrige le Koran. L'Almamy est censé avoir le
livre type tel que Dieu l'a soufilé à Mohamed. Les sa-
vants du village apportent leurs livres, l'Almamy lit à
haute Yoix et les autres suivent.
Quand une sentence échappe à leur sens, ils la sup-
priment pour la remplacer par une autre plus appro-
priée à leurs besoins. Aussi le Koran a-l-il été fortement
modifié par les Peulhs.
L'instruction est très répandue au Fouta. Chaque
missida possède une école dirigée par un marabout. Les
cours ont lieu, matin et soir, autour d'un grand feu. On
n'y apprend que des versets du Koran écrits par le maître
sur une tablette de bois que possède chaque élève.
Quand un élève fait une faute, il reçoit une taloche. —
Les maîtres d'école sont partout les mêmes I
Toute l'école de DonohI-Fella, conduite par son pro-
fesseur, le grand marabout Karamoko-Mare-woine, nous
a honorés d'une visite. Je n'ai jamais rien vu de plus
pittoresque comme école en promenade.
Karamoko-Marewoine, qui est précepteur des enfants
de l'Almamy, a une atrophie complète des muscles loco-
moteurs, et ses pieds ont la forme de deux moignons.
Pour aller et venir, il se sert de ses mains et de ses
genoux qui sont garnis de chaussons de cuir. Quand il
se déplace, Karamako a une ânesse, fort bien capara-
çonnée, sur laquelle on le hisse, et, hue Cocotte il part,
1

suivi de ses élèves.


A l'arrivée des visiteurs dans notre cour, Karamoko-
Marewoine, monté sur sa bourrique, ouvre le cortège.
Une douzaine d'enfants, garçons et filles, leur alwoil
(tablette) à la main, hurlent une leçon, et Sory, tout en
lisant, tire par la longe un petit bourricot, fils de l'ànesse
10
146 A TRAVBRS LE FOUTA-DIALLON
du maître, qui ne veut pas marcher. La scène est co-
mique I
Arrivés devant notre case, un noir prend Kâramoko
dans ses bras et le dépose à terre; alors, se traînant sur
les mains et sur les genoux, celui-ci entre chez nous
pendant que les gamins restent à la porte.
Après avoir parlé de choses et d'aulres, Karamoko-
Marewoine nous donne un échantillon du savoir-faire de
ses élèves. Sur son ordre, les gamins braillenUde nou-
veau et, ce qui me surprend le plus, c'est que le maître
reconnaltcelui qui fait une faute au milieu de cette caco-
phonie.
Kâramoko nous présente son jeune fils, sur lequel il
fonde de grandes espérances. — Il est étonnant pour
son âge I
Nous félicitons chaudement l'illustre professeur de
Donhol-Fella, sur la bonne tenue et le savoir de ses
élèves, et le cortège prend congé de nous.
En politique, le Peulh est assez fin et ne conclut rien
avant de bien posséder son sujet. Défiant à l'excès, il
retourne vingt fois la question afin de s'assurer que l'on
ne veut pas le tromper.
En industrie, il fabrique le fer, prépare les cuirs, fait
des objets de poterie et tisse le coton du pays.
Les hauts fourneaux sont assez nombreux. Un peu
partout on voit en terre des cloches surmontées d'une
cheminée, qui font ressembler ces appareils à des frag-
ments de locomotive semés çà et là dans les champs.
Le minerai de fer est traité à la mode dite catalane.
Pendant la saison des pluies, on ne fait aucun travail de
ce genre; aussi je n'ai pu voir moi-même comment les
Peulhs pratiquent la métallurgie du fer. Assurément le
minerai n'est pas difficile à extraire, car on n'a qu'à se
baisser pour en ramasser. Partout on rencontre des con-
glomérats ferrugineux qui paraissent très riches en
métal.
LES PEULHS CHEZ EUX 147

Le fer est employé à la fabrication des outils et des


armes. Haches, pioches, faucilles, clefs, cadenas, fers de
flèches et de lances, couteaux, sabres, etc., tous ces
objets sont fabriqués par les forgerons du pays, dont
l'outillage est des plus simples.
La forge des Peulhs est tout ce que l'on peut rêver de
plus primitif: une paire de pinces grossières, une masse
de fer pour marteau, un soufflet fait avec deux peaux
de mouton, et c'est tout. Ce qui n'empêche par ces arti-
sans de fabriquer de3 boucles de harnais, des éperons,
des élriers, voire même des bijoux d'or et d'argent.
Les cuirs sont préparés par les soins des cordonniers
et leurs produits sont aussi beaux que les nôtres. Les
peaux de mouton surtout, teintes en différentes nuances,
servent à confectionner des sacs, des fourreaux de sabre,
des gaines de couteau, des étuis de toutes sortes assez
bien décorés. Les peaux de boeuf servent généralement à
fabriquer des semelles de sandale et les ouvrages de cuir
qui réclament plus de force.
La poterie est l'ouvrage exclusif des femmes. Elles font
des marmites, de3 pots, des cruches (dites gargoulettes)
pour recueillir l'eau, etc. Quoique fabriqués sans le se-
cours d'aucun instrument, tous ces objets sont très régu-
liers et même de forme élégante. Par exemple, la cuisson
laisse à désirer, ce qui lient probablement aux moyens
employés : on réunit les objets au centre d'un grand feu
de paille, que l'on alimente pendant deux heures envi-
ron; puis, on laisse refroidir.
Le colon est récolté, cardé et filé par les soins des
femmes; ensuite, le tisserand le lisse en bandes étroites
de vingt centimètres de largeur, sur un métier en tout
semblable à celui que l'on emploie à Dakar.
Quand les lés sont cousus côte à côte, on teint l'étoffe
en bleu indigo et en brun. Par quel procédé? C'est le
secret des femmes, qui ne le dévoilent pas, car les plus
abiles en tirent profit. Tout ce que j'ai pu voir, c'est
148 A TRAVBRS LE FOUTA-DIALLON

que les pièces d'étoffe passaient simultanément dans


plusieurs jarres énormes, puis étaient séchées pour
être replongées de nouveau dans la teinture. En tout
cas, le bleu que l'on obtient est lrè3 beau et très solide.
Les femmes font aussi des dessins sur les étoffes teintes
à l'aide de ficelles et de terres qu'elles étendent sur les
pièces d'étoffes sortant de la teinture. Probablement
cette terre reçoit une préparation qui doit absorber la
couleur, car elle laisse sur l'étoffe des dessina, en clair
En art, les Peulhs sont moins avancés. Les dessins
qui ornent les objets de cuir, les broderies des culoltes
ou des vêtements, sans être exempts de goût, ne sortent
pas de l'art primitif.
Quant à la musique, elle est l'apanage exclusif des
griots. Quelques-uns de ces chanteurs, qui rappellent les
troubadours du moyen âge, composent d'agréables mé-
lodies qu'ils jouent sur la petite guitare indigène. J'ai
noté une partie des airs que j'ai entendus.
D'où viennent ces griots? Ils sont étrangers \ la race
peulh et ne se marient qu'entre eux. Quelques-uns por-
tent sur le visage le blason de leur race: les six entailles
qui labourent la figure des Bambaras. Mais d'autres
n'ont aucune marque et la pureté de leurs traits semble
les rattacher au type abyssinien En tout cas, ils sont
issus d'une race puissante et forte; on peut même dire
qu'ils ont le monopole de l'intelligence et une élévation
de sentiments peu commune. Ce sont des réprouvés que
poursuit un mépris général ; mais on nese hasardé guère
a les mépriser tout haut; la vengeance du griot est ter-
rible.
— Griot, c'est l'homme de sang impur, disent les
Peulhs.
Les griots ne portent pas de fusil à la guerre, ils n'ont
qu'un sabre. Rarement on les tue; après avoir été la
propriété du vaincu, ils deviennent celle du vainqueur.
Les griots suivent avec ferveur, du moins en appa-
LES PEULHS CHEZ EUX 149
rence, les pratiques de la foi musulmane. Ils ne man-
quent aucune occasion de faire la prière. Biais, je ne
serais pas éloigné de croire que leur dévotion n'est
qu'un jeu.
Les griots sont des réprouvés, soit ; mais si la religion
musulmane a déclassé ces chanteurs, elle n'a pu leur
retirer leur esprit pratique; taudis que ses fervents
observateurs, toujours absorbés dans leurs prières, res-
tent dans l'ignorance la plus crasse.
Mahomet excommunia les poètes et les conteurs arabes,
parce que, sceptiques pour la plupart, ils constituaient
un obstacle pour le nouveau prophète dont ils battaient
en brèche les doctrines. Sur les griots du Soudan rejaillit
iopprobre de leurs ancêtres; mais les hommes en gé-
néral aiment à être flattés; le nègre, en particulier, est
orgueilleux et accueille avec faveur las courtisans. Les
griots ont su tirer parti de ses faiblesses; ils accablent
de louanges excessives les musulmans puissants. Ils font
remonter les grandes famillesjusqu'à Abraham, chantent
les hauts faits accomplis de père en fils par leurs maîtres
et répètent sans cesse que ceux-ci sontillustres et grands
parmi les plus grands.
Les griots prennent ainsi un ascendant considérable
sur leurs dominateurs et en tirent tout ce qu'ils veulent.
Ce qu'un seigneur peulh a de plus beau et de plus pré-
cieux, c'est pour son griot, dont il prend l'avis sur toutes
choses. Aussi les conseillers les plus intimes sont-ils re-
crutés parmi les griots.
Le griot est esclave, né d'esclave, et son fils partagera
son sort. Appartenant d'ordinaire à une famille depuis
quatre ou cinq générations, le griot se considère comme
faisant partie de la maison et est très attaché à son
maître.
On a pu voir dans la chapitre précédent les griots de
l'Almamy se faisant tuer sur le corps de leur seigneur.
H y a peu d'années,
un commandant de Boké fit fusiller
150 A TRAVBRS LB FOUTA-DIALLON

un prince foulah avec douze hommes de sa suite. Tout


le temps que dura la fusillade, le griot du prince chanta
sa gloire et celle de ses compagnons et, ne voulant plus
avoir à chanter personne, demanda à mourir aussi. Il
est facile de comprendre qu'avec un tel ascendant sur
son maître, quand un griot en veut à quelqu'un, la ven-
geance ne se fait pas attendre.
Ce qui concerne les griots peut également s'appliquer
aux forgerons et aux cordonniers qui, eux aussi, sont
étrangers à la nation. Ils appartiennent à la race des
griots, et sont des réprouvés ; comme, les griots, ces arti-
sans sont fort intelligents.
Griots, forgerons, cordonniers et tisserands ne sont
pas des hommes ordinaires, ce sont des parias d'un genre
particulier.
Feu l'Almamy Omar avait engrandeesUmeceshommes
déclassés et il en faisait sa société ordinaire.
L'Almamy Ibrahïma Sory s'entoure également des
hommes de cette caste et son cordonnier entre autres,
vieillard d'une erande finesse, fait partie de tous les
.
conseils et assiste à la correction du Koran.
Les forgerons, ai-je dit, sont très pauvrement outillés
et travaillent assis par terre; leurs pieds leur sont presque
aussi utiles que leurs mains. Les cordonniers travaillent
de la même façon et leurs principaux outils sont un
couteau, un poinçon et une planchette.
L'armement des Foulahs se compose de fusils à pierre
et h piston, d'arcs, de flèches et de lances. Il n'y à pas
très longtemps que les fusils ont fait leur apparition au
Fouta; aussi la possession d'un fusil comble-t-elle tous
les rêves d'un Peulh.
Le fusil à pierre, malgré ses imperfections, est bien
plus prisé que le fusil à piston, par suite de la difficulté
qu'ont les Peulhs de se procurer des capsules. Les fusils,
quels qu'ils soient, sont de fabrication commune. D'or-
dinaire, l'arme est bien plus meurtrière pour le tireur
LES PEULHS CHBI EUX 151
3ue pour l'ennemi, car elle éclate très souvent, incapable
e résister à la charge énorme de poudre qu'on emploie.
Le fusil simple à pierre est excessivement long et lourd ;
le fusil double a la même dimension que nos fusils de
ctnsse, et le fusil simple à percussion provient générale-
ment d'armes de guerre réformées; ce sont les meilleurs
fusils.
La flèche et la lance, quoique un peu négligées main-
tenant, sont, entre les mains des Peulhs, des armes bien
plus dangereuses que le fusil. J'ai vu des noirs qui, à
cinquante pas, plantaient coup sur coup dix flèches dans
une orangel L'arc est généralement en bambou et la
flèche est une tige de roseau surmontée d'une pointe de
fer ébarbée et empoisonnée.
Presque toujours les blessures des flèches sont mor-
telles. Je n'ai pu avoir aucun renseignement sur le poison
employé. Ce seraient, m'a-t-on assuré, les entrailles
d'un serpent, préparées d'une certaine façon, qui serrent
à empoisonner les flèches. Mais ce ne peut être là qu'un
conte.
Fusils et poudre sont achetés aux comptoirs euro-
péens.
Quand une expédition a été résolue, l'Almamy fait
battre le labala dans tout le pays. Ce tambour de
guerre, toujours accroché dans la case des chefs, est
considéré comme l'insigne de l'autorité.
Immédiatement, tous les hommes en état de porter
les armes se rendent au lieu de rendez-vous, suivis de
quelques-unes de leurs femmes et de captifs en nombre
suffisant pour porter les ustensiles de cuisine. On ne se
munit d'aucune provision de bouche ; le pays où l'on
opère doit fournir les vivres aux combattants. Mais les
parties du territoire que traverse l'armée ne sont pas
exemptes de contributions et les habitants voient sou-
vent disparaître les provisions de toute l'année.
Comme dans toute l'Afrique, les expéditions des
152 A TRAVERS LE FOUTA-DJAllON
Peulhs n'ont souvent pour cause que le désir de faire
du butin et de prendre des esclaves. Cependant, quand
ils combattent les indigènes, ils prennent pour prétexte
la conversion et quand ils bataillent contre d'autres
musulmans, ils ne les réduisent pas en esclavage ; ils se
contentent de piller et d'enlever les captifs.
L'allaquo a généralement lieu le matin et les com-
battants s'efforcent d'arriver sur un village sans fairo
aucun bruit. Ils l'entourent et tout à coup poussent de
grands cris, déchargent leurs armes, font le plus grand
vacarme possible; ils profitent de l'affolement qu'ils
produisent pour mettre tout au pillage et enlever les
femmes et les enfants.
Quand l'ennemi est sur ses gardes, les deux partis
font également le plus de bruit possible ; gesticulent,
prodiguent les menaces afin de s'effrayer mutuelle-
ment, et s'il arrive que l'un des deux, se défiant de ses
forces, bat en retraite, c'est l'instant où l'autre s'élance
à l'attaque.
Pour leurs expéditions de guerre, les Peulhs portent
un petit boubou, teint d'un couleur terreuse, qui ne
vient que jusqu'à la ceinture et qui esl garni d'amu-
lettes sur toutes les coulures. Ils se font aussi des coif-
fures en poil de chèvre pour se donner l'air plus fr.i-
rible. N'est-ce pas là l'ancien bonnet à poil des vieux
grenadiers du premier empire?
A entendre parler les Peulhs, on dirait que ce sont
des guerriers invincibles ; mais je ne les crois pas d'une
bravoure excessive. Ils sont forts quand ils attaquent
par surprise, mais lorsqu'ils combattent face à face, ils
prennent aisément la fuite, à en croire les histoires de
guerre que m'a racontées Mahamadou Saldou.
D'après certains Peulhs, ils pourraient lever une ar-
mée de trente mille hommes, d'autres disent vingt mille.
Mettons douze mille et n'en parlons plus.
Le costume des Peulhs est très simple, mais il suffit
LB8 PBULHS CHEZ EUX 153
à des gens,qui habitent un pays où il ne gèle jamais.
Pour les hommes, il se compose d'un boubou, sorte de
grande chemise bleue sans manches qui descend jus-
qu'au gras du mollet; d'une petite culotte à mille plis
qui s'arrête aux genoux, et d'une calotte en cotonnade
blanche, généralement ornée de brbderies bleues.
Ces vêtements sont coupés et cousus par les hommes.
Comme ils n'ont pas de fil, ils effilochent l'étoffe et, de
celte façon, cousent les vêlements avec du fil de même
couleur. L'étoffe qu'ils emploient de préférence est une
cotonnade fabriquée et teinte dans le pays. Ils se ser-
vent aussi de cotonnade blanche et bleue — teinte aux
Indes, — et d'indiennes de couleur, — de provenance
européenne.
Ils portent des sandales faites par leurs cordonniers,
mais ils marchent généralement pieds nus. Ils ont tou-
jours, attachés à des cordons de cuir, des sachets éga-
lement en cuir, où se .trouvent des versets du Koran ;
ce sont leurs grigris (amulettes).
Le costume des femmes est beaucoup plus simple; il
ne se compose que d'un morceau de cotonnade qui en-
toure la taille et descend jusqu'au genou. Leur coiffure
est plus compliquée. Leurs cheveux sont artistement
tressés et, quand l'édifice est monté, il ressemble à un
casque de pompier. H ne faut pas moins de deux jour-
nées de travail pour coiffer une femme.
Comme les hommes, les femmes portent aussi des
amulettes renfermées dan3 des sachets de cuir. Elles
portent, en outre, des pièces d'argent reliées en col-
liers ; des boules d'ambre, des grains de corail ou de
verroteries ornent les nattes de leur chevelure.
Les enfants sont nus jusqu'à l'âge de dix ou douze
ans, époque de la circoncision. Alors, les garçons sont
_

vêtus d'un boubou et les fillettes d'un pagne.


Les habitations du Fouta sont vastes, propres et bien
construites. De forme circulaire, elles se composent
154 A TRAVERS LB FOOTA-DIALLOH
d'un mur en terre battue de 0»W o. d'épaisseur et de-
deux à quatre mètres de hauteur. Biles sont percées
d'une ou deux ouvertures, dont les plus élevées n'ont
guère plus de 1*20, ce qui oblige à se courber pour y
passer. Les toits coniques sont faits d'une charpente en
bambou ou en bois léger, recouverte de chaume. Les
toits débordent les murailles d'un mètre environ et for-
ment vôrandah.
A l'intérieur, les cases sont peu meublées : jine ou
deux banquettes, en terre ou en bois, qui servent de
lit ; quelques calebasses et c'est tout. Généralement le
foyer se trouve' ou au milieu des cases ou devant les
lits. Dans certaines demeures, il y a deux foyers.
Chaque propriété se compose de plusieurs cases, de
six à dix environ : celle du chef de famille, celles des
femmes et des enfants et celles des captifs. Toutes ce3
habitations sont construites au milieu de jardins fort
bien entretenus et sont reliées entre elles par des allées
sablées. Presque devant chaque case, un oranger abrite
le palier où se réunissent les habitants. Une haie de pur-
guères clôfure la propriété.
Le répertoire des noms est peu varié.
Les dames s'appellent Mariama (Marie) — c'est le
nom le plus commun, — Ava (Eve), Yaè (Jeanne),
Alsata (Anne), Fatimata, Fatou, Kadé, Aéba, Omou,
Bilo, Maêmouna, etc.
Les hommes s'appellent Mahamadou, Amadou, lla-
madou, Mamédou, quatre noms qui proviennent de
Mohamed (Mahomet), Adama (Adam), Noou (Noé),
Moussa (Moïse), Issa (Jésus), D'Gibril (Gabriel), Yaya
(Jean), Malic, Omar, Comba, Salifou, Sadou, etc.
Les noms patronymiques n'existent pas ; pour dési-
gner les membres dune même famille on dit : un tel,
fils de tel.
Presque tous ces noms, on le voit, ont une origine
biblique.
LES PBOLHS CtlfcZ EUX 155
Souvent, pour distinguer les homonymes, on ajoute
au nom de chacun le nom du village, de la province où
il est né : Mamadou Foucomba, Salifou Camb'ila, Mama-
dou Cotolé, etc.
Quelle que soit l'importance du mariage, chez les
noirs, cet acte solennel se renouvelle facilement plu-
sieurs fois.
Lorsqu'un Peulh a jeté son dévolu sur une jeune
personne, il fait des ouvertures à la famille et appuie
sa demande par un présent. Si le jeune homme est
agréé, on garde le cadeau ; dans le cas contraire, on
le lui rend. Quand le mariage est décidé, les parents
de la future traitent avec le prétendant du montant de
la dot qu'il devra apporter en mariage, dot qui varie
selon la beauté de la fiancée. Néanmoins, avec une va-
leur en marchandises, on peut prétendre à une beauté
de premier choix. Une beauté ordinaire se paye cou-
ramment de trois à cinq cents francs.
Ainsi, chez les Peulhs, l'homme apporte la dot. Auss<,
quand les interprètes nous traduisent les clauses d'un
mariage, ils disent : il a acheté celle femme six boeufs,
etc. Il ne faudrait pourtant pas croire que les filles sont
vendues aux maris qui les demandent. Le noir défend
les intérêts de son enfant, voilà tout, et le prétendant
apporte une dol, qui devient le douaire de sa femme;
rien de plus logique.
Le futur n'est pas tenu de verser en entier la somme
convenue. Il peut donner un acompte et entrer en pos-
session de suite, à charge de s'acquitter plus tard. Mais
partout il y a des gens de mauvaise foi et il arrive qu'un
homme, après avoir versé un acompte, emmène sa
femme et... ne s'acquitte jamais.
Lorsqu'un mari croit avoir à se plaindre de sa femme,
il soumet le cas aux juges qui décident si, oui ou non^
ily a lieu de sévir. En ce cas, la femme rentre dans sa
famille et doit restituer le montant de la dot au mari.
156 A TRAVBR8 LE FOUTA-DIALLON
La femme, redevenue libre, peut se marier à un autre.
Si c'est le mari qui donne à la femme des sujets de
plainte fondés, elle rentre également chez son père;
mais, comme dédommagement, elle garde la dot.
Il est rare qu'un homme, même riche, prenne une se-
conde épouse avant que la première lui ait donné un
enfant, et une troisième avant que la seconde ait été
mère; et ainsi de suite. D'après la loi musulmane des
Peulhs, un homme peut légitimement se marier quatrv
fois et librement aussi souvent qu'il lui plaît.
. Le mari peut demander la séparation pour infidélité
constatée, pour fuite du domicile conjugil; cela suffit
comme chez la plupart des peuples civilisés. Mais une
femme peut demander la séparation pour un motif qui,
d'après les dames peulhs, est d'une gravité excessive.
Aux termes de la loi, un mari ne peut cohabiter avec
une de ses femmes plus de trois jours de suite sans que
les autres aient le droit de réclamer en justice. Pour la
première infraction, le mari est fortement réprimandé ;
en cas de récidive, il est condamné aune amende et en-
fin, si une femme se trouve par trop délaissée, elle peut
obtenir la séparation, avec le droit de garder la dol.
Quant à la cérémonie du mariage, elle a lieu devant
le marabout qui unit les époux. Aux dépens de ces
derniers, les parents et les amis font la noce et, le soir
venu, conduisent les nouveaux mariés dans la case nup-
tiale, au bruit de nombreux coups de feu. On leur laisse
plusieuis calebasses de nourriture; on les enferme et
les amis continuent à faire la noce jusqu'à une heure
avancée.
Il est d'usage, si des étrangers se trouvent de passage
dans un village où l'on célèbre un mariage, de leur
porter une calebasse de riz ou de mais assaisonné. Cet
usage se pratique aussi en faveur des pauvres.
Un homme peut aussi demander en mariage une de-
moiselle de l'âge le plus tendre, à condilion de donner
LB8 PEULHS ÇHBI EUX 157
des arrhes. Dès lors, la fillette est considérée comme la
femme du demandeur et doit habiler aveo son mari,
lorsqu'elle a atteint l'âge de puberté.
Pendant notre séjour à Donhol-Fella, Mahamadou-
Saldou a épousé de celte façon une jolie enfant de huit
ans, fille du cordonnier de l'Almamy. Tous les jours la
petite femme allait présenter ses respects à son mari,
puis rentrait chez son père où elle jouait avec une tête
de mais en guise de poupée. L'Almamy, malgré ses
cinquante-sept ans, a également deux jeunes femmes,
filles de deux grands chefs, ses amis.
Le père est le chef de famille et a une autorité absolue
sur ses femmes et ses enfants ; il y a toujours à sa
portée un martinet à lanières de (Cuir tressées, dont il se
sert pour assurer le calme dans soin intérieur.
Les épouses ne sont pas exemptas de corrections et
cela, se comprend : comme le plus souvent un homme
possède plusieurs femmes, si elles ite chicanent entre
elles, ce qui arrive quelquefois, il ne peut se faire en-
tendre au milieu du tapage, et le martinet est un argu-
ment sans réplique. V
Les femmes sont très respectueuses nvers le mari
et les enfants très soumis envers les part Utts.
Les familles peulhs, on le comprend, $**>3t très nom-
breuses et le père ne peut consacrer qui les instant»
très courts à chacun de ses enfants. Aussi t trouvent-ils
pour lui de la crainte plutôt que de l'affeerfon, tandis
que la mère est l'objet de toutes leurs ten Cesses. Le
Peulh ne songe & s'enrichir que pour amélioNr le sort
de sa mère.
L'amour fraternel, à moins qu'il ne s'agisse 4 'enfants
de la même mèro, n'existe pour ainsi dire pas. S vivent,
dans les familles nombreuses et surtout chez les fiches,
il s'élève des querelles fratricides qui dégénère! t ea
luttes à main armée.
Quand un Peulh a dit : C'e3t frère de même père* H
158 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
même mère, expression liés courante, il a prononce
l'expression la plus vive de l'amour fraternel. Dans
n'importe quel cas, l'aîné a le pas sur ses puînés et
cette hiérarchie est encore plus respectée chez les frères
consanguins.
Si, comme on l'a vu plus haut, les habitants du Foula
sont peu vêtus, les bonnes moeurs n'en souffrent nulle-
ment. Les femmes ne s'inquièlent guère de savoir si on
les admire; elles n'en sont pas moins très pudiques et
ne manquent pas d'habiller les enfants, dès qu'ils ont
atteint l'âge voulu : onze ans pour les garçons et neuf
ans pour les filles.
Par exemple, ce qui ne ruine jamais les familles, ce
sont les frais de layette, ce lexe réservé aux enfants
blancs. Aussitôt que la mère relève de couches, elle
campe l'enfant à cheval sur ses reins ; pour le main-
us
tenir, elle passe sous lui pièce d'étoffe qu'elle noue
au-dessus des seins et voilà tout. Elle vaque aux soins
du ménage, travaille aux champs, et la tête de l'enfant
suit tous les mouvements du corps de la mère. Quand
le bébé a soif, maman desserre un peu le pagne, fait
passer sa progéniture sous son bras et livre la bou-
teille.
Voici, d'après une de mes voisines, comment l'on
sèvre les enfanls. Je m'étonnais de la voir allaiter sa
fillette qui avait déjà trois ans; elle me dit qu'elle ne
pouvait sevrer sa fille avant le retour de son mari.
Quand Modi Salifou reviendra du Djoli- Ba (Niger),

ajoula-t-elle, il écrira un bon salam sur un petit cahit
(papier) et on le fera manger à ATçata pour que Dieu
lui donne bonheur.
Mats si Modi Salifou ne revient que dans trois

ans?
— ATçata boira sa maman encore trois ans !
La façon de porter les enfants dans le Soudan est
même la raison qui a fait attribuer par les Européens,
LES PBULHS CHEZ EUX lo9
à toutes les négresses, une forme qui n'est prs, en réa-
lité, leur forme naturelle ; jusqu'à présent, je crois qu'il
y a là une erreur, je n'ai pas vu une femme, n'ayant
pas été nourrice; qui se présentât sous ce! aspect dis-
gracieux, que l'on sait.
J'ai même vu des femmes qui, après un allaitement
prolongé, n'étaient pas déformées; mais, quand une
négresse a eu plusieurs enfants qu'elle a portés atta-
chés comme je viens de l'expliquer, leur poids finit par
produire une sensible dépression de la forme du buste.
les Européennes portent des corsets, les femmes
noires, non seulement n'en portent pas, mais elles se
compriment la poitrine avec le pagne qui supporte l'en-
fant.
La cuisine concerne exclusivement les femmes et
prend la plus grande partie de leur temps. Elles prépa-
rent les mets, du reste fort simples, avec beaucoup de
soin et de propreté. Il faut d'abord piler, pour les dé-
cortiquer, le riz, le mais ou le fognié (petite graminée
semblable au tapioca), vanner soigneusement les cé-
réales et faire cuire. J'ai remarqué que les ménagères
évitaient surtout de laisser le riz tourner en bouillie ;
elles le font crever et cuire dans une faible quantité
d'eau. Quand il est cuit, il est déposé en forme de cône
dans une calebasse et prêt à être servi.
Ou fait également aussi une sauce verte, appelée
mafi, composée de piment.et d'oseille qu'on écrase sur
une pierre plate et qu'on fait cuire avec du beurre ou
une huile extraite de l'arachide. On fait encore une
sauce composée d'arachides écrasées.
Voilà la cuisine ordinaire.
Pour les grands jours on prépare quelquefois de la
viande de boeuf, de mouton ou une poule vi piment I
Xenê Aéba, une des femmes de l'Almamy, prépare ce
mets admirablement.
160 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
Quand l'on tue un animal quelconque, la tête revient
de droit aux griots ; je ne sais pourquoi.
Le chef de famille, ses enfants mâles, s'ils ont plus de
douze ans, les hommes de sa suite et quelquefois les
captifs de confiance mangent ensemble. Chaque femme,
avec sa petite famille, mange dans sa case respective.
Il va sans dire que le maître est toujours servi le pre-
mier.
On apporto le repas, ordinairement composa de m,
de mais ou de fognié ; les sauces de mafé, d'arachides
et le lait caillé. Les calebasses sont recouvertes de pail-
lassons en pampas très bien travaillés. La calebasse de
riz est déposée au milieu de la case, les sauces sont
placées à côté.
Chaque convive s'accroupit autour de la calebasse et
un petit captif, portant de l'eau dans un vase, faille
tour de la société et la verse sur les mains des invités.
Le maître du logis découvre la calebasse où le riz bouil-
lant laisse échapper une buée qui monte vers le toit. A
l'aide du couvercle, il évente la calebasse pour refroidir
le ris, puis il prend du sel pilé qui lui est présenté, et
avec la main droite rejette le riz sur les parois du vase
de manière à y former un creux. Pendant ce temps le
voisin, à l'aide d'une baguette de bois, bat le lait caillé
afin d'écraser les caillots; puis, il verse lentement le lait
sur le riz pendant que le maître fait le mélange.
Enfin, il roule une boulette et très adroitement, sans
toucher les lèvres, la lance dans sa bouche.
Tous les invités l'imitent. Il se fait un grand silence,
rompu seulement par le bruit des mâchoires. En deux
minutes, une quantité de riz qui suffirait à vingt Euro-
péens est absorbée par cinq ou six indigènes. Le pre-
mier plat mangé, on passe au second ; c'est encore du
ris,.mais on remplace le lait caillé parle mafé.
Le repas terminé; lorsqu'il ne reste plus rien dans la
calebasse, que les affamés en grattent encore les pa-
LES PBULH8 CHEZ EUX 161
_
rois,- comme s'ils voulaient les user, le captif revient
avec son vase rempli d'eau et le passe à chaque assis-
tant qui en boit une gorgée, se rince la bouche en se
frottant les dents avec l'index droit, et se lave les mains.
Chez les dames on procède de la même façon.
Quand il y a de la viande, les morceaux sont décou-
pés et semés à travers le riz. Chacun en prend un avec
ses doigts et le déchire à belles dents.
Chez les personnes à grande fortune, les femmes ne
font que surveiller les travaux qui sont exécutés par des
captives. A tour de rôle, chaque femme fait la cuisipe
pour le mari. Chez les pauvres, là où faute de moyens
il n'y a qu'une femme, peu d'enfants et un ou deux cap-
tifs, tout le monde mange ensemble.
Assurément cette cuisine esl bien simple, mais l'Eu-
ropéen le plus délicat peut en manger hardiment; c'est
propre, beaucoup plus propre que dans certains de nos
restaurants à la mode l
Au Fouta, on n'a pas besoin d'être invité pour manger
le bien d'aulrui. Quiconque entre aux heures du repas
dans une maison, mange à la calebasse commune et
. n'est même
pas tenu de remercier quand il s'en va.
En voyage, le Peulh n'emporte jamais de provisions;
à l'heure du repas, ?l entre dans la première case venue.
Un Peulh de qualité se lève à quatre heures du matin,
fait son salam qui dure une heure, puis cause avec ses
'voisins. A huit heures, nouveau salam, déjeuner et cau-
serie. Nouvelle prière ; puis, le Peulh se couche jusqu'à
deux heures et se lève pour faire salam. Ensuite, il traite
les affaires jusqu'à quatre heures du soir. A cette heure,
il fait une prière. Au coucher du soleil, il fait encore
une prière. Il soupe à huit heures, fait une nouvelle
prière et cause jusqu'à onze heures ou minuit. Les
noirs sont généralement noctambules et aiment à
causer ou à écouter les griots jusqu'à une heure avan-
cée de la nuit, surtout quand il fait clair de lune. Les
11. •
162 A TRAVERS LB FOUTA-DIAILON
hommes, selon leur goût, prient chez eux ou à la mos-
quée ; mais les femmes ne s'y rendent jamais.
Chez nous, par politesse, quand nous entrons dans
une maison, nous retirons notre chapeau ; au Fouta,
l'on Ole sa chaussure. Jamais un Peulh, le plus souvent
chaussé de sandales, n'entre chez lui ou dans n'importe
quel intérieur, ni ne se mêle à un groupe de causeurs,
même en plein air, sans retirer sa chaussure.
Tous ces nègres ont les pieds très propres, car chaque
fois qu'ils vont prier, ils les lavent ainsi que les mains et
la figure. A cet effet, les noirs ont presque toujours
avec eux un chaudron à goulot, appelé marabout, et
qui ne sert qu'à la toilette.
L'almamy a fort bien remarqué quo lorsque nous
entrions chez lui, nous nous décoiffions. Un jour, il
nous a demandé pourquoi et nous lui avons appris que,
chez nous, c'était un acte de politesse, ce qui lui a fait
dire :
— Chaque pays fait à sa manière, les Peulhs retirent
leurs sandales.
Ainsi qu'en Europe, la mort au Fouta est l'objet d'un
cérémonial funèbre.
Quand un chef de famille meurt, — son temps est
finit disent les Peulhs — pour exprimer leur douleur,
ses femmes poussent des cris qui font croire qu'on les
roue de coups. Elles pleurent à sec, si je puis m'expri-
mer ainsi, car leurs yeux ne sont nullement mouillés.
Si un parent ou un ami entre dans la case du défunt,
les cris redoublent et le visiteur tire quelques coups de
feu en mémoire du mort.
Le cadavre séjourne très peu de temps sur le lit mor-
tuaire. Avant de l'ensevelir, on le lave soigneusement,
puis on le roule dans un pagne et, après les prières de
circonstance, on le porte au cimetière.
La fosse, creusée par les soins de la famille du dé-
funt, n'a pas plus d'un mètre de profondeur et le fond
LES FBOLHS CHEZ BOX 163
est soigneusement recouvert d'un lit de sable ferrugi-
neux. On couche le ^cadavre dans la terre, en lui tour-
nant la tête du côté de l'Orient, puis on dit encore quel-
ques prières et on dresse des petites traverses de bois,
que l'on recouvre d'une natte, afin que la terre rejetée
sur la fosse n'écrase pas le cadavre. La fosse une fois
remplie, on a soin de garnir le tunlulus de grosses
pierres et d'épines, pour que les fauves ne puissent
violer la sépulture.
Quand c'est une femme qui meurt, les choses se pas-
sent de la même façon que pour les hommes, moins les
cris de douleur.
Je ne crois pas que l'on soit obligé d'enterrer les
morts en un lieu commun. Pendant noire séjour à
Donhol-Fella, Hamadou, le fils aîné de l'Almamy, perdit
un bébé de cinq semaines. Pour l'enterrer, ou mit le
petit cadavre dans une marmite de terre que l'on en-
fouit ensuite dans le jardin.
Les Peulhs ont le culte des morts. Profaner une tombe
est un sacrilège puni par le dernier supplice et chaque
fois que des noirs en voyage passent devant un lumulus
isolé, tombe d'un voyageur enterré où il est mort, ils
jettent dessus des poignées d'herbe ou des feuilles
vertes en guise de salut.
A part les inhumations de leurs proches, les Peulhs
.
ne visitent jamais les cimetières. C'est assez tôt, disent-
Us, d'y aller quand on y est forcé.
Lorsque le chef de famille est mort pauvre, les amis
et les voisins portent à ses veuves des provisions de
bouche, appelées charités; deux ou trois jours après le
décès, les veuves et leurs enfants respectifs sont par-
tagés entre les frères, héritiers du défunt, qui doivent
es protéger. Les termes d'oncle et de tante ne sont pas
usités au Fouta ; les enfants remplacent ces deux mots
par petit père et petite mère.
Les Peulhs sont-ils susceptibles d'esprit d'à-propos ?
_
164 A TRAVERS LÉ POUTA-DIALLON '

Pour s'en assurer, il faudrait une parfaite connaissance


de la langue, mais l'anecdote suivante me fait croire,
qu'à l'occasion, ils font de l'esprit comme tout le
monde. ~

Pour remercier
_
un homme du pays qui venait de
Boké et nous apportait des lettres de M. Pauliârl,
Bayol lui donna un mouchoir qui était orné du portrait
de M. Orévy : ce Peulh regarda attentivement le por-
trait du président et dit : "
— Pour'être chef des blancs, il faut donc avoir un
baowal sur la tête ?
— Pourquoi?
— Parce que tu dis, celui-là c'est le chef des Français,
il n'a pas de cheveux, et le commandant de Boké il a
aussi gagné baowal l
Les Peulhs appellent baowal les plaines de pierres qui
couronnent le sommet des montagnes.
LE CONSEIL DES ANCIENS •
165

XIV

LE CONSEIL DES ANCIENS

Depuis le départ de notre dernier courrier, noire


existence est bien uniforme. Tout le travail de Bayol
consiste à décider l'Almamy de presser notre départ.
Mais la route du Niger est fermée, la guerre ravage ces
contrées, et l'Almamy ne veut pas nous laisser partir
de peur qu'il ne nous arrive malheur.
Nous nous rabattons alors sur Dinguiray. L'Almamy
promet d'examiner notre sujet ; quelques jours après,
il nous dit que par là encore nous ne pouvons passer,
parce que Abibou, le chef de Dinguiray, vient de faire
couper le cou au chef de Touba, un vassal D'autre
part, les Courriers revenus de Timbo ont fait savoir à
l'Almamy que le.conseil des Anciens désirait nous voir
retourner au Sénégal par le Fouta, en suivant ufte
autre route, afin de connaître « tout le monde dû
pays *.
166 A TRAVERS LE FOUTA-DJALLON
Nous entrons dans la période des ennuis, des tracas-
series. Un courrier* venu de Sierra-Leone a fait cou ri i
sur nous des bruits malveillants, assurant que les Fran-
çais ne vont explorer les contrées lointaines que pour
les prendre.
Evidemment ce ne sont que des contes faits pour
éprouver notre patience. Il n'en est pas moins vrai que,
sans cesse énervés, nous finissons par avoir sérieuse-
ment la fièvre.
__
Chez moi elle devient régulière et Bayol tombe grave-
ment malade ; malgré tous ses efforts, la fièvre le ter-
rasse et, pendant quatre jours, il est si atrocement
secoué que je crois sa dernière heure arrivée. Mes
hommes sont tristes et je sois d'autant plus affligé que,
malade des plus désagréables, le docteur repousse tous
mes soins. En revanche, il est plein de prévenances
pour les attentions des noirs.
Notre muletier, Ibrahïma Soumaré, s'est constitué
son infirmier. Il ne quitte pas la case, guette les
moindres mouvements du malade et, jour et nuit, est
sur pied au moindre signal. Je suis heureux de rendre
hommage à ce brave serviteur dont le dévouement est
au-dessus de tout éloge.
Mahamadou-Saldou est également plein d'attentions.
Sur son conseil, nous faisons du feu dans notre habita-
tion. Nous nous habituons difficilement à supporter la
fumée, mais la chaleur nous fait beaucoup de bien et,
vingt-quatre heures par jour, nous avons un feu à rôtir
un mouton.
Une femme de l'Almamy, Jiêné Aéba, qui, malgré ses
quarante-cinq ans, est la plus belle femme que j'aie vue
au Fouta et qui, paralt-il, a causé la mort de neuf ado-
rateurs, vient voir Bayol et promet de lui envoyer un
remède excellent.
Après quinze jours de souffrances, nous triomphons
tous deux de la maladie et nous entrons en conva-
LE CONSEIL DES ANCIENS 167
lescence. En sa qualité de médecin, Bayol n'emploie
aucun des remèdes du Codex et se rétablit. En ma qua-
lité de malade, je prends beaucoup de quinine et je
m'en trouve bien.
Sur le conseil d'Hamadou-Ba, nous nous mettons au
régime du lait aigre et nous en sommes très contents.
Je recommande cet aliment aux voyageurs africains.
Pendant les moments de répit que me laisse la fièvre,
je vais chez l'Almamy. Notre conversation roule souvent
sur la religion. Une de ses grandes préoccupations est
de savoir quand arrivera la fin du monde ! Un jour il
me dit :
— D'après mes calculs, la fin du monde doit arriver
dans vingt ans.
Alors un vieux griot, âgé d'au moins soixante-quinzo
ans, qui massait une jambe de l'Almamy, suspendit sa
besogne et me demanda s'il n'y aurait pas moyen,
quand on en serait là, de passer par une autre porte.
L'Almamy lui mit amicalement la main sur l'épaule et
répondit :
— Non I mon pauvre vieux, il faudra y passer comme
les camarades I
Ah I mod'jia (mauvais) I

L'altitude de ces deux hommes était du plus haut
comique.
A peu près rétabli, mais d'une maigreur effrayante,
le docteur reprend ses visites quotidiennes à l'Almamy
et insiste de nouveau pour presser notre départ. Mais
l'Almamy répète qu'il faut patienter : le temps est trop
mauvais pour voyager, les pluies continues ont telle-
ment grossi les ruisseaux que nous ne pourrions pas-
ser, et mille autres raisons.
De plus, nous sommes en plein Rhamadan, le carême
des musulmans, et il n'est pas bon de voyager au lieu
.de faire pénitence.
Tout le carême se passe sans qu'aucune décision soit
168 A TRAVERS LE FOOTA-blALl.ON
prise. L'Almamy prie beaucoup et, selon la coutume
jeûne tout le jour pour ne manger qu'au coucher du
soleil. Voyant que le docteur va retomber plus grave-
ment malade, l'Almamy ordonne de dire pour lui, à la
mosquée, des prières publiques, qui durent deux nuits.
Jamais je n'oublierai les bontés que le maître et les
habitants de Donhol-Fella ont eues pour nous, jamais
ja n'oublierai madame Mahamadou-Saîdou, celte bonne
Meta qui, tous les jours, un éblouissant sourire-sur les
lèvres, venait s'assurer que nous ne manquions de
rieû. -
'
.Salmirut, doctor; Salmina, Thierno ; Corid'jiamwali

soubaka ? (Bonjour, docteur ; bonjour, Thierno (I); com-
ment cela va-t-il ce matin ?)
— Merci, Meta, cela va mieux.
Ah ! ce ne sera rien, vous serez bientôt guéris... Je

pars, il. faut faire le déjeuner.
Charmante et excellente femme I... Son souvenir me
sera toujours cher I
Enfin, le dernier jour du carême est arrivé, les Fou-
lahs guettent la nouvelle lune, elle apparaît ; Inch
Allah ! Grâce à Dieu I le carême esl'ûni et la mosquée
retentit des prières des croyants qui remercient fe pro-
phète des noirs.
Le lendemain malin, une grande solennité réunit à
Donhol-Fella plus de.cinq cents hommes qui viennent
assister au grand Salam, chanté par l'Almarriy. La
mosquée, trop étroite, ne peut contenir tou.1 ce.monde
et la cérémonie a lieu en plein air. La face tournée
vers l'Est, les fidèles exécutent avec un ensemble parfait

(1) Thierno, litre religieux, correspondant au titre d'évoqué,


qui me fut donné par l'Almamy un jour que nom discutions
sur le Koran. Par flânerie pour leur souverain, dès lors les
Peulhs ne m'appelèrent plus que Thierno Noir, puis tradui-
sant mon nom en langue Poular, Thierno Baleidjio.
.'-' LE CONSEIL DBS ANCIENS 169
les saints à la Caba, et l'effet est des plus pittoresques
quand ces cinq cents hommes, tous vêtus de blanc, se
prosternent humblement, la face contre terre.
A peine le dernier aminé a-t-il clos le Salam que de
tous côtés des cris retentissent; ce sont les enfants
mâles qui, se bousculant, partent en troupe et vont
devant chaque demeure chanter une. prière de circon-*
slance, pour souhaiter la bonne année qui commence
et en même temps recevoir un cadeau.
Nos hommes sont de bons musulmans ; ils viennent
nous la souhaiter bonne et heureuse : naturellement il
faut donner des étrennes I
Les noirs du Sénégal, chrétiens ou musulmans, ont
ceci d'avantageux — pour eux bien entendu — c'est
qu'ils célèbrent également les fêtes.catholiques et les
fêtes du Koran. Ils nous souhaitent deux fois la bonne
année et comme chaque fois qu'un noir vous fait un
souhait, c'est pour en lirer profit, son seul regret est
que les occasions ne soient pas plus fréquentes.
Les femmes n'assistent pas aux solennités religieuses;
mais, le jour de la nouvelle année, les mères et les
grand'mères quittent momentanément leurs bijoux
pour en parer leurs fillettes. Ces demoiselles, vêtues de
leurs plus beaux atours, se font admirer, se critiquent
entre elles et finissent la journée en improvisant un
petit tamtam (bal) loin des regards curieux.
Enfin, après bien des tiraillements, bien des remises,
notre départ est fixé pour la fin du mois. La route que
nous prendrons pour retourner au Sénégal est arrêtée.
Nous passerons par Labé et les montagnes du Tamgué
pour-nous rendre à Médine. Les hommes qui doivent
accompagner Mahamadou-Saïdou sont désignés, ce
sont-: Modi Abdoul-Bagui, courrier secret et porte-
étendard de l'Almamy : Modi Mamidou, neveu de l'Al-
mamy de Melacorée, tributaire de l'Almamy Ibrahïma.
Comba le saligut nous devancera à Labé, où il pré-
170 A TRAVERS LE FOUTA-DIAIXON
viendra Alfa Aguibou, chef du Labé, pour qu'il se rende
à Tounlhourounn afin d'avoir.une entrevue avec nous ;
puis il -nous accompagnera jusqu'à notre passage de la
Gambie.
Kikala, un captif, nous devancera d'un jonr dans
chaque village où nous devrons loger et invitera les
chefs à bien nous traiter. Samba-lès-Mayo nous gui-
dera jusqu'à Médine.
Toutes ces dispositions sont prises ; mais il faut en-
core que l'Almamy nous trouve un cheval, car nous
n'avons plus qu'un mulet. Nouveaux retards.
Les Peulhs ne sont pas vifs dans leurs décisions et je
suis bien convaincu aujourd'hui que ce n'est qu'à
grands renforts de palabres que l'on peut obtenir d'eux
la moindre des choses.
Nous devions partir un lundi, le seul jour qui soit
prospère pour entreprendre un voyage. Cependant,
c'est le mardi 30 août que nous quittons Donhol-Fella.
Avec le jour nous sommes sur pied, tous nos prépa-
ratifs sont terminés et nous n'attendons plus que les
ordres de l'Almamy. A huit heures, deux grands ma-
rabouts, accompagnés de Mahamadou-Saïdou et de
quelques notables, viennent nous faire commission de lu
part de l'Almamy et, après un discours de circonstance,
nous remettent trois lettres écrites en arabe : l'une
pour le chef des Français, l'autre pour-le gouverneur du
Sénégal et le troisième pour le Tamsir. Au nom de l'Al-
mamy, Thierno Yala remel au docteur une paire de
boucles d'oreilles en or, humble cadeau du souverain
du Fouta pour le président de la République.
— Vous n'avez voulu, dit-il, ni des captifs, ni des
boeufs, ni des moulons que vous offrait l'Almamy ; c'est
tout ce qu'il peut donner au grand chef des Français ;
c'est peu, mais c'est de bon coeur.
Le cheval nous est amené ; il est de toute petite taille,
mais, en revanche, il est bien reposé et rue quand ou
LE CONSEIL DES ANCIENS 171
l'approche. Bayol, qui n'a que du mépris pour les petits
chevaux, me laisse celui-là.
L'Almamy nous fait prévenir qu'il peut nous rece-
voir; l'instant des adieux est venu. Entouré de ses
fidèles, ce brave homme, qui selon toutes probabilités
ne nous reverra jamais, fait ses dernières rtcomman-
.dations à ses envoyés ; puis, se tournant v»'M nous, dit
d'une voix émue : •

— La vie est ainsi; on connaît les hoi- .es, on les


aime... Un jour, ils parlent et on ne L-s revoit plus.
Inch Allah! (k la volonté de Dieu I)
Bayol lui promet que je reviendrai iu Foula, à moins
que je ne sois mort.
— Tu dis cela, docteur; Hecquarl, Lambert ont dit
aussi qu'ils reviendraient; on ne les a jamais revus.
Ypus allez retourner dans votre pays ; mais dite3 bien
aux bons hommes de France que les Peulhs les aiment et
que, grâce à toi,-docteur, Poulars et Français, c'est fils
de même père et de même mère.
L'Almamy demande sa grande canne garnie d'argent
et vient nous reconduire jusqu'à l'endroit où nous l'a-
vons rencontré pour la première fois. Il nous serre la
main en nous souhaitant bétêké (bon voyage) ; deux
larmes perlent au coin de ses yeux; aussi, pour échap-
per à l'émotion qui l'envahit, il reprend vivement le
chemin de sa demeure, mais non sans se retourner plu-
sieurs fois.
Nous montons à cheval et quittons définitivement
Donhol-Fella; les habitants et nos voisines nous font la
conduite jusqu'au prochain marigot.
Béléki, Doctor, bétêké Thierno I
Et nous serrons une dernière fois la main à tout le
monde.
.
Partis à midi, nous n'arrivons qu'à cinq heures du
soir à Sokotoro, où nous logeons dans notre ancienne
case.
.
172 ' A TRAVBRS LE-FOUTA-DIALLON

Le lendemain, pendant que Bayol va saluer Modi


Boubakar-Biro qui est à son domaine de Bilàlya, voisin
de Sokôtoro, je procède au passage du Bafing. Le der-
nier groupe allait passer, quand on me prévient, de la
part du docteur, d'aller le rejoindre. Je fais retourner la
caravane et me rends à Bilalya, qui n'est qu'à vingt
minutes de marche.
Bayol est déjà installé dans une case magnifique, la
plus belle et la plus spacieuse que j'aie vue au Foula.
Pour la première fois, je Irouve une habitation pourvue
d'un coin solitaire.
Immédiatement je vais présenter mes hommages à
Boubakar-Biro, qui me reçoit avec affabilité.
Modi Boubakar-Biro, fils de l'Almamy Omar,' est gé-
néral en chef de l'armée peulh pour le parti Sorya.
C'est un homme de trente-huit ans, bien bàli et d'al-
lures distinguées; son visage gravé de la petite vérole
est régulier; mais l'oeil vif et noir décèle une ardente
ambition. Boubakar-Biro est atteint d'une gale maligne
qui l'oblige à se gratter jusqu'au sang.
L'après-midi, accompagné d'une suite nombreuse,
Boubakar-Biro nous rend visite; Il sait que nous avons
été très bien reçus par son frère, MahamadourPalé, et il
ne veut pas être moins aimable ; il affecte avec nous
beaucoup de familiarité, comme pour convaincre son
entourage qu'il est, lui aussi, tout à fait camarade avec
les Français. Au grand chagrin de Bayol, il se vautre
sur le lit du docteur et lui passe les bras autour, du
cou. Etendu sur ma couverture, je m'amuse beaucoup
des répugnances de mon compagnon, qui est forcé de
.subir avec une joie apparente ces familiarités d'un
prince galeux.
Boubakai-Biro et Mahamadou-Palé se détestent;
aussi est-il très intéressant d'observer les allures de
Boubakar-Biro qui est plein de jalousie envers son
frère.
LE CONSEIL DES ANCIENS 173

Au demeurant, le général en chef de l'armée sorya


est un homme charmant, très intelligent, qui nous re-
' çoit fort bien, nous traite royalement et 'comprend à
merveille l'importance des avantages que les Foulahs
retireront de leur traité d'alliance avec les Français.
Le 2 septembre, nous quittons Bilalya. Le passage du
Bafing, dont le3 eaux, en quarante-huit heures, ont
baissé de trente centimètres, nous prend une heure.
.Nous passons devant l'habitation de Nénê Omou, à
qui nous faisons nos adieux, et, à trois heures du soir,
par une pluie battante, nous entrons à Timbo, où la
mauvaise case que nous avions habitée nous est de
nouveau réservée.
Si le logis n'est pas bon, en revanche, Modi Diogo,
qui est à si maison de ville, nous soigne de son mieux
et ne nous laisse manquer de rien. Nous lui faisons une
.visite et nous lui offrons un modeste cadeau ; il ré-
plique par un autre cadeau à Bayol ; il nous annonce
que nous resterons quatre jours à la capitale et que
nous serons reçus solennellement par le conseil'des
Anciens.
Moins défiant que lors de notre premier voyage, l'Al-
mamy Hamadou désigne deux hommes pour nous ac-
compagner en France; mais ceux-ci ne se soucient pas
de faire un aussi long voyage et l'Almamy se résigne à
charger Mahamadou-Saïdou de le représenter auprès du
chef des Français.
Le 4 septembre, nous sommes reçus en audience so-
lennelle par le Conseil des Anciens (le Sénat), qui se
tient chez l'Almamy Hamadou. La case royale est
pleine de monde ; il y a au moins deux cents hommes
assis par terre. L'Almamy Hamadou est assis au pied
de son lit, et auprès de lui Modi Diogo (le président).
Des petits sièges nous sont réservés en face de l'Almamy
et nos hommes se placent derrière nous.
P ar quelques mois brefs, Modi Ibrahïma Diogo ouvre
174 A TRAVERS I.B FOUTA-DIALLON
la séance et donne la parole à Mahamadou-Saïdou. Ce-
lui-ci, dans un discours assez long, prononcé avec volu-
bilité, où le mot Almamy revient sans cesse, expose le
but de notre voyage. Il insiste sur la valeur de notre
parole, qui ne s'est jamais démentie pendant notre sé-
jour au Fouta et sur.le bien-être que gagneront les
Peulhs avec le concours des Français, qui sont même
père et même mère, car Fouta et France c'est même chose.
Quelques autres orateurs prennent la parole-sur le
même sujet et le docteur prononce une allocution de
circonstance, par laquelle il remercie les Almamys, les
princes, Modi Diogo et les Foulahs qui nous ont si bien
traités pendant notre séjour parmi eux. Il conclut en
assurant les Peulhs que les Français seront heureux de
savoir que nous avons été si bien reçus au Fouta.et il
leur donne l'assurance que jamais la guerre n'aura
lieu entre les Foulahs et les Français, enfants de la
même famille I
Les discours terminés, Modi Diogo s'adresse à l'Al-
mamy et lui dit :
— Almamy Hamadou, aguélikê (as-tu compris)?
L'Almamy répond : Guétam (j'ai compris) l
Puis, l'Almamy s'adresse à Modi Maka, lui fait la
même demande, obtient la même réponse et ainsi de
suite. L'approbateur s'adresse toujours à un autre
membre du conseil en procédant par ancienneté jus-
qu'au plus jeune. Pendant cinq minutes, on n'entend
plus que : Aguélikê ? Guélam l
Quand chacun a donné son avis et a approuvé, l'Al-
mamy entonne une prière, que reprend en choeur toute
l'assistance. Le spectacle ne manque pas d'une certaine
grandeur et, malgré mon indifférence religieuse, je suis
ému en entendant ces deux cent cinquante voix prier
Dieu et leur Prophète de nous accorder un bon voyage,
de nous conduire sains et saufs dans notre patrie.
Le mardi 6 septembre, escortés de la plupart des no-
r' LE CONSEIL DES ANCIENS 175
tables, Modi Diogo en tête, nous quittons la capitale
du Foota-Diallon. Nous nous dirigeons vers le Nord et
nous terminons notre étape au village de Doubell, où
nous passons la nuit. Le lendemain, après une journée
que la fièvre rend très fatigante, nous atteignons Bou-
da, ville en tout semblable à Timbo, mais d'une éten-
due double, qui a l'honneur de posséder le premier
oranger planté au Fouta.
Cet arbre magnifique, dont le tronc a plus d'un
mètre dediamètre et dont les rameaux peuvent abriter
deux cents personnes, est planté devant la mosquée.
Le pied de cet oranger sert de sépulture à un grand
marabout, Thierno Yssa (Jésus), qui fut un savant vé-
néré auquel on venait demander des prières. En mé-
moire de ce saint homme, personne, pas même le sou-
verain, n'entre à cheval dans la ville. Nous nous
conformons à l'usage.
De Bouria, nous nous rendons à Porédaka (camp du
caoutchouc), ville populeuse et très étendue, où la
fièvre nous oblige à séjourner.
Enfin, le 10 septembre, après avoir subi une violente
tornade qui pendant trois heures nous trempe jusqu'aux
os, nous revoyons Foucoumba, où nous retrouvons
notre ancienne demeure.
En entrant dans la case, nous nous heurtons la tête
dans une liasse de papiers, formée par des fragments de
journaux, dont nous nous étions servis lors de notre
premier passage. Accrochée sous la vérandah, cette
liasse de papiers sert de fétiche. Comme ailleurs, au
Fouta, cela porte bonheur.
Alfa Mamadou Foucoumba ne nous reçoit plus avec
la même réserve et fait tuer un boeuf pour nous
l'offrir. Après deux jours de repos, nous partons pour
Kébaly, village bâti dans la vallée du Thénée, à peu de
distance de celle rivière. Nous entrons dans le village
en même temps que Alfa Gassimou, chef du Labé pour
176 À TRAVERS LB FOOTA-DIALLON
le parti Alfaya, qui, escorté d'une suite nombreuse, se
rend à Timbo.
Alfa Gassimou est l'homme le plus grand et le plu;
gros que j'aie jamais vu. Ce superbe chef noir a plus
de deux mètres de hauteur et, de peur d'écraser sa
monture, sans doute, marche toujours à pied. On est
surpris, en entendant parler ce colosse, de la douceur
de son organe. Nous lui offrons un cadeau, qu'il recon-
naît en nous'donnant un mouton.
Après avoir traversé presque entièrement la vallée
du Thénée, nous gravissons le fello Dioufouna, nous
atteignons le plateau de Labé, nous couchons successi-
vement à Kael et à' Binlégniel-Mahoudo'u (le grand).
Nous traversons Binlégniel-Tocossel (le petit), sans
nous y arrêter, et nous couchons à Dara-Labé. Enfin,
après une longue étape, nous arrivons le 16 septembre
à Touolhourounn, où une dCputation de notables vient
nous recevoir à l'entrée de la ville.
Nous sommes déjà à 175 kilomètres de Timbo.
SOURCBS DE LA GAMBIE ET DU RIO-ORANDE 177

XV

LES SOURCES DK LA GAMB1R ET DU RCO-GHAXDE

Tounthourounn est une ville très étendue et entourée


d'immenses pâturages. Comme le plateau de Timbi, le
'plateau de Labé, qui n'en est que la continuité, est bien
cultivé. Sur tout notre parcours, nous admirons de
belles plantations de riz et de mais.
Dès le lendemain de notre arrivée, nous dépêchons
un courrier à Alfa Aguibou, chef du Labé, qui, ainsi
que son souverain l'Almamy Ibrahïma, se repose des
soucis du pouvoir dans ses propriétés situées à trois
jours de marche dans l'Est.
En attendant son arrivée, nous sommes installés
aussi bien que possible dans une case que nous habi-
tons en commun avec une poule qui, tous les matins,
a l'amabilité de nous pondre un oeuf frais. Nous profitons
de nos loisirs pour prendre des renseignements de
toute nature sur le pays..
,
12
178 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
Cest ainsi que nous apprenons que Tounlhourounn
est une des anciennes missida du Labé; que les Peulhs
du Labé ont souvent fait la guerre aux Portugais du
Rio-Orande, qu'ils ne tiennent pas en grande amitié <Iu
reste.
Malic, le courrier que le docteur a envoyé de Boké à
Alfa Aguibou, chef du Labé,.vient nous voir. Il a passé
l'hivernage chez son père, le chef de Oré-Dimmah, v il-
Iage situé à peu de dislance, aux sources de la Gambie
et duRio-Grande.
Le 18 septembre, à midi, nous sommes agréablement
surpris par l'arrivée d'un homme, Mamadou-Boye, qui
venait de Boké, chargé de nous remettre un courrier
de France et de diriger quatre hommes portant des
provisions, laissées par nous dans ce poste.
Il va sans dire que nous accueillons avec joie ce
bienheureux courrier : il apporte des lettres et des
journaux qui, quoique partis de France le 20 mai, ne
contiennent pas moins des nouvelles fraîches... pour
nous.
Mamadou-Boye nous remet un thermomètre qui lui a
été recommandé tout particulièrement. Je pourrai donc
reprendre mes observations météorologiques. Et, pour
commencer, à cette date? 18 septembre, 3 heures du
soir, forte brise de l'Ouest. Etat du ciel : nimbus'géno-
ral. Forte pluie. Température : 21* centigrades.
Beaucoup de nos provisions sont perdues. La farine,
la moutarde ne sont plus qu'une pâte moisie. Mais,
c'est égal, il y a encore de bonnes choses, et immédia-
tement je compose un menu pour le déjeuner, dont
mon compagnon, aussi gourmand que moi, me dira
des nouvelles.
Nous invitons Hamadou-Ba à ce pelil festin. Qu?
c'est bon des oeufs au macaroni (.Quel repas délicieux!
et ce gras-doubleI et ces confituresI Ah! les confitures
avec des petits croquets, exquisI Malheureusement,
SOURCES DE LA GAMBIE ET DU RIO-GRANDE 119
privé de vin depuis Irop longtemps, il m'est impossible
de le boire pur sans une irritation désagréable.
Nous sablons le Champagne au succès de notre
voyage, à la Patrie,
.
aux Peulhs, à nos familles, à nos
amis, et à la santé de MM. Polliart et Mouslier qui
nous procurent ce plaisir charmant.
Le dinïanche 23 septembre, à huit heures du malin,
par un beau soleil, je pars pour Oré-Dîmmah, accom-
pagné de Malic et de trois de nos hommes. Nous sui-
vons une direction N.-N.-O., nous franchissons le fello
Sambari, qui domine de cent mètres" la plaine de
Toonjhourounn, puis la Dimmah sur un arbre équarri,
sans doute le premier pont de ce grand fleuve ; nous
traversons quatre ruisseaux que l'on.franchit d'un saut
et enfin nous entrons à Oré-Dimmah.
Le père de Malic, chef de ce petit village, nous reçoit
de sou mieux.
Après une heure de repos, nous nous rendons d'abord
au bçundou Comba (source duRio-Grande). En quittant
.la maison, nous prenons la direction du N.-N.-E. et,
après avoir traversé un baowal en forme de croupe
arrondie, Malic m'indique un bosquet isolé au milieu de
celte plaine de pierres, en s'écriaut :

Voilà boundou Comba.
Nous sommes à un kilomètre du village. Je vois sous
les branches, à mes pieds, une petite mare d'eau lim-
pide, de deux mètres de large sur quatre de longueur,
qui baigne le pied d'arbres vigoureux... C'est la Comba
à sa naissance.
Un petit ruisseau de cinquante centimètres de large
s'amorce à celte mare et coule d'abord vers le Nord,
puis, à cinquante, ou soixante mètres de la source, fait
un coude dans la direction du N.-N.-E. el je le perds
de vue." C'est le Rio-Grande des Portugais, la Comba
des Peulhs, ce grand fleuve qui va porter ses eaux à
l'Océan.
180 A TRAVBRS LB FOUTA-DIALLON
Après avoir examiné celle source, en avoir fait un
croquis aussi exact que possible, nous revenons sur nos
pas jusqu'aux portes du village, nous traversons la
Dimmah sur une planche jetée en travers d'un trou
d'eau limpide qui sert de fontaine aux habitants, nous
parcourons environ cinq cents mètres dans la direction
O.-N.-O., et nous arrivons devant un bosquet d'arbres
planté au bas d'un baoïcal ; nous entrons dans le tailii*
et Malic, m'indiquant un amas de roches ferrugineuses,
s'écrie encore :
— Voilà boundou Dimmah.
Au centre de cet amas de grosses pierres brunes,
suinte un mince filet d'eau qui remplit successivement
deux petites cuvettes de pierre, d'où il déborde pour
former une petite cascade de trois mètres de hauteur.
Du pied de la cascade, le Dimmah coule entre deux
berges élevées, se dirige vers le Nord pendant deux cents
mètres, puis, suivant la déclivité du terrain, coule au
N.-E.
D'après les renseignements de Malic, pendant les
grandes eaux, au mois d'août, le Dimmah'jaillit du
sommet de l'amas de pierres, au pied du baowal. Mais,
à l'endroit où l'eau sort actuellement, la source ne tarit
jamais.
Comme la Comba, la Dimmah est ombragée d'arbres
vigoureux, dont les branches entrelacées livrent diffi-
cilement passage à la lumière. Je fais un croquis du
boundou Dimmah et nous rentrons au village.
Je demande à Malic pourquoi quelques petits ruis-
seaux qui se jettent dans la Dimmah au village même
ne- sont pas la source de celte rivière aussi bien que
l'endroit qu'il vient de m'indiquer : il répond que ce;
ruisseaux ne coulent pas pendant la saison sèche.
Si mes instruments sont exacts, les sources de la
Gambie et du Rio-Grande, qui sont à mille cinq cents
mètres de distance l'une de l'autre, sont à environ mille
80URCES DB LA GAMBIE BT DtJ RIO-ORANDB 181
mette* d'altitude et dix kilomètres N.-N.-0. de Toun-
thourounn.
Il me semble que la Gambie, qui, pour se jeter à la
mer, fait deux fois plus de chemin que le Rio-Grande,
emprunte une partie de ses eaux au réservoir de la
source Comba. Alimentée par un réservoir propre, la
Gambie reçoit six ruisseaux qui prennent naissance sur
le baowalComba. On peut donc, sans crainte de se trom-
per, dire' que la Dimmah (Gambie) et la Comba (Rio-
Grande) ont la même origine.
Le petit village qui avoisine ces deux sources ne s'ap-
pelle Oré-Dimmah que parce qu'il est plus près de la
Dimmah. Oré signifie télé.
En entrant chez mon amphitryon, je trouve le déjeu-
ner prêt. Une calebasse de couscous de maïs, du lait
aigre et du lail doux en font tous les frais. C'est simple,
frugal, mais appétissant et offert de bon coeur.
Mais l'heure s'avance, le ciel se couvre de gros nuages,
il est temps de songer au retour. La plupart des habi-
tants me font la conduite jusqu'au pont que j'ai traversé
en venant.
Le ciel s'obscurcit de plus en plus et je désespère
d'arriver à Tounthourounn avant l'orage. En effet, à
peine sommes-nous dans la broussaille qu'un vent d'Est
violent fait gémir les avbres et les tord comme des brins
d'herbe. Un arbre gros comme un homme est même
abattu. La pluie tombe avec violence.
Mes noirs, y compris la femme de l'un d'eux, quittent
leurs effets, en font un paquet sur lequel ils s'asseyent
et reçoivent ainsi la pluie. Je continue à marcher quand
même; un éclair, suivi d'une détonation formidable,
abat une énorme branche d'un fromager planté à qua-
rante mètres devant moi; mon cheval prend peur et
s'arrête brusquement, tète basse, en tremblant comme
une feuille.
Nous restons ainsi vingt-cinq minutes à recevoir un
182 A TRAVBRS LB FÔUTA-DIALLON
déluge d'eau qui, malgré mon imperméable, me mouille
jusqu'aux os. Puis, la pluie et le vent s'arrêtent, le soleil
reparaît et accroche un diamant à chaque brin d'herbe.
Nous continuons noire roule et, avant de descendre
-
dans la plaine de Tounihourounn, je puis admirer cet
immense plateau du Labé, parsemé de petites montagnes
que les feux du,soleil couchant colorent des tons les
plus variés.
Le 26 septembre, dans l'après-midi, le bruit-de coups
de feu t'rés dans le village nous fit croire à l'arrivée du
chef du Labé.
C'était une fausse alerte et il s'agissait simplement
d'un mariage.
Dans la plaine qui entoure la ville, une grande
affiuênce d'hommes et de femmes, parés de leurs plus
beaux atours, se trouvait réunie en deux camps; à
droite les femmes et à gauche les hommes. Les jeunes
gens tiraient des coups de fusil en l'honneur des nou-
veaux époux.
Ceux-ci sont cachés dans les environs, chacun de son
celé. Les jeunes hommes vont chercher le marié qui
tout d'abord fait de la résistance, puis consent à suivre
le cortège. Les jeunes filles en font autant pour la ma-
riée. Séparément, les'deux cortèges se rendent près du
marabout, chargé des mariages, qui bénit l'union des
époux ; puis, les deux cortèges se réunissent et se ren-
dent à l'habitation de l'époux où on laisse le mari et la
femme avec une ample provision.de victuailles. Pour
terminer la cérémonie, l'assistance va chez les parents
des jeunes mariés et continue la noce à leurs dépens.
Dans l'après-midi du 27, Alfa Aguibou fait son entrée
dans sa bonne ville de Tounihourounn. H est escorté
d'une suite nombreuse, de cinq épouses, de quatre griots
dont deux femmes, et de Comba le saliguéde l'Almamy.
Comme son cheval est malade et qu'il n'a pu s'en pro-
curer un autre, il est monté sur un âne. Du reste, l'ar-
ftÉOURCBS DE LA GAMBIE BT DU RIO-GRANDB 183

rivée de. ce chef redouté ne fait pas grand bruit; il


s'installe chez le chef de la ville, qui met ses meilleurs
appartements à sa disposition.
Alfa Aguibou est un homme de taijle moyenne, un peu
ventru, à l'air bon garçon; sa large face complètement
rasée rappelle les moines de Frappa.
.Nous lui faisons une visite qu'il nous rend presque
-.immédiatement et, la nuit
venue, nous lui offrons un
cadeau assez important. - -
Ce chef puissant est en relations constantes avec notre
comptoir de Boké. Il y a donc tout intérêt à le bien
traiter, car, s'il le voulait, en dépit de son souverain,
l'Almamy Ibrahïma, il pourrait fermer aux blancs les
roules qui conduisent de Boké à Timbo.
Le docteur débute par l'allocution d'usage. Mais,
Aguibou, estimant que les beaux discours sont les plus
courts, répond qu'il est parfaitement au courant de la
question. Nous présentons alors nos présents. Les étoffes,
les perles d'ambre de gros calibre le laissent froid. Il
est habitué à recevoir de beaux cadeaux lorsqu'il va à
Boulam. Mais la vue d'une superbe filière de corail, qui
nous coûtait bien douze cents francs, lui éclaire la phy-
sionomie et il ne peut s'empêcher de dire qu'il n'a
jamais rien vu d'aussi beau.
Mahamadou-SalJou, qui assiste à la petite fête, ouvre
des yeux énormes et semble se dire : Eh quoil ces blancs
qui n'ont cessé de crier misère, après avoir tant donné,
ont encore de si belles choses? C'est trop beau pour un
chef subalterne; c'est bon pour l'Almamy I
C'est heureusement le dernier cadeau important que
nous ayons à faire. Mais il faut nous rendre nous-mêmes
celle justice, nous avons administré nos ressources avec
beaucoup d'économie. Depuis noire entrée dans le
Fouta, nous avons donné chaque jour, nous avons fait
d'importants cadeaux, et il nous reste en caisse de quoi
Ï84 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
nourrir notre suite, faire quelques présents aux chefs
du Bambouc et arriver au terme du voyage.
Un voyageur, en Afrique, doit savoir dissimuler ses
richesses.pour ne pas tenter la cupidité des nègres, di-
viser ses présents afin de faire beaucoup d'heureux, et
faire valoir ses marchandises.
-
Après quelques arrangements d'ordre purement poli-
tique, il est décidé que nous passerons par le Bambouc
pour nous rendre à Médine, et que Aguibou enverra
deux hommes, dont l'un viendra en France, tandis que
l'autre s'arrêtera au Sénégal.
Notre départ est fixé au Ie' octobre; nous employons
le temps qui nous reste à écrire un long courrier que
Malic portera à Boké.
C'est égal, je crois que,- si j'avais vécu seolemen t
quinze jours ajrec Alfa Aguibou, nous serions devenus
une paire d'amis.
Avant de quitter Tounihourounn,je ne crois pas inutile
de parler de mes cures. Pour les noirs, tous les blancs
doivent être médecins. Aussi quand un blanc est parmi
eux, ont-ils toute sorte de maux. Pour un rien, ils con-
sultent le médecin et, quelle que soit la maladie, il faut
donner un médicament.
.
_Le médicament, tout est là I Sans lui, pas de médeci n.'
"[On comprendra aisément que Bayol, en sa qualité de
docteur, ait été souvent agacé par des gens qui venaient
exposer des cas impossibles. C'est alors qu'il me dit :
Débrouillez-vous avec eux et donnez-leur ce qu'ils vou-
dront. Je me débrouillais et j'y prenais même plaisir.
Dans notre pharmacie, nous avions en assez grande
quantité du bicarbonate de soude. Afin d'alléger la
caisse, j'ordonnais ce médicament pour tous les cas pos-
sibles.
Un vieillard avait des rhumatismes et voulait absolu -
ment un remède. Je le palpe, l'ausculte et lui fais la près -
cription suivante :
SOURCES DE LA OAMDIB ET DU RIO-GRANDB 185-
Frictions et massage, matin et soir; se tenir chaude-
ment; coucher près du feu; une pincée de bicarbonate
dans un litre d'eau et en boire un verre tous les malins,
à jeun, jusqu'à extinction du flacon...
J'ai guéri cet hommel Du moins, il l'a cru, car il m'a
remercié chaudement, a déclaré que mon remède était
excellent et m'a prié de lui en laisser une petite provi-
sion.
Je cite ce cas pour mémoire, mais j'en ai bien d'au-
tres, et combien de succès I
Le bicarbonate de soude est un remède précieux, que
l'on ne saurait trop employer.
Pendant notre séjour à Tounthourounn, la tempéra-
ture n'a pas dépassé 25° et encore elle n'a atteint ce
chiffre qu'un seul jour; le plus souvent elle s'est main-
tenue de 22° à 23°.
Tous les jours, nous avons eu au moins une tornade
et quelquefois deux, accompagnées de venls violents.
Ces tornades fréquentes indiquent la fin de la saison
des pluies, et nous n'en sommes pas fâchés.
186 A TRAVERS Lfi FÔUTA-DIALLON

XVI

LE TAMGUÉ ET Lfi KIOCOLO

Le samedi 1er octobre, à neuf heures du malin, nous


quittons Tounlhouroun. Notre caravane est augmentée
de dix personnes, dix bouches inutiles. Comba le saligué
(chef des captifs) a besoin de sept captifs pour porter
son bagage et celui de sa femme jusqu'à la Gambie, où
il doit nous quitter.
- A deux kilomètres de Tounihourounn, nous traver-
sons la Dimmah qui a déjà six mètres de largeur, et
après une courte étape nous couchons à Toltou.
Nous allons par monts et par vaux, et nous arrivons
aufoulasso Béli, puis à Bandeya. A mi-chemin de ces
deux localités, nous passons devant le tombeau de Alfa
Omar Laguité, érigé au pied du foulasso Laguité. Un
cercle de qualre mètres de diamètre, formé par des pieux
d'un mètre de hauteur, sous un gros arbre touffu, tel
est le monument consacré à ce marabout vénéré.
En arrivant à Bandeya, ville habitée en majorité par
-^^^l'fts' LB TANGUÉ ET LE NIOCOLO 187
des Alfaya, nous restons près de deux heures dans la
cour de la mosquée, où nous attendons qu'on nous ait
trouvé un logement. La présence des envoyés de l'Al-
mamy Sorya nous vaut celle tracasserie. Enfin, grâce
au talent oratoire de Mahamadou-Saïdou, nous obte-
nons une case à peu près convenable.
A peu de dislaqce de Bandeya, nous atteignons le
baowal du même nom, qui sert de limite à l'Irlabé, sub-
division de la province de Labé. Au sortir d'un bouquet
de bois, nous n'avons plus devant nous qu'un immense
plateau couvert d'herbes jaunies d'un mètre de hauteur.
Ces herbes aux tons chauds et variés, qui ondulent
sous la brise, nous donnent l'impression de l'Océan.
Nos hommes marchant en file indienne sont cachés
jusqu'à la ceinture et se détachent en vigueur sur le
ciel chargé de gros nuages blancs. Effet bizarre, sensa-
tion étrangeI Pendant les deux heures que nous met-
tons à traverser celle vaste plaine, nous éprouvons la
même impression. Ensuite apparaît le sommet d'une
montagne, qui semble un Ilot perdu dans une mer
jaune aux reflets dorés, puis deux, puis trois sommets,
enfin une'chatne entière : la chaîne du Tamgué.
A l'extrémité du baowal, nous admirons la magni-
fique vallée de^Orélily, vasle lapis vert coupé de nom-
breux cours d'eau, où sont disséminés les villages de
Orélity, Sarafina, Boumi, Donhiel, etc. Le fond de ce
tableau grandiose est formé par la chaîne des monts
qui entourent le Soudou-Ma!i, le pic le plus élevé du
Foula.
Pendant notre marche à travers la vallée nous sommes
suivis-par une foule qui grossit à mesure que nous
avançons, el, lorsque nous arrivons au lerme de l'étape,
à Donhiel, nous avons une escorte d'au moins cinq cents
naturels, dont deux cents gamins.
En quittant Donhiel, nous escaladons les premiers
contreforts du Tamgué, où nous franchissons onze tor-
188 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
rents qui se précipitent à travers d'énormes roches
pour gagner les ombrages d'une épaisse forêt, composée
en partie d'énormes baobabs et de karités farbres à
beurre). Après une marche de trente-huit kilomètres,
mouillés jusqu'aux os par une forte tornade que nous
recevons au moment d'atteindre le but, nous arrivons h
Kounda, petit village perché comme un nid d'aigle au
sommet d'un pic qui domine les vallées secondaires de
la Gambie. . ..—
À neuf heures du soir, nous prenons le premier repas
delà journée, et quel repasI Du riz et de l'eauI La
moitié de notre escorte n'est pas arrivée. Surpris par
la nuit, les retardataires ont couché au milieu de la
brousse, n'osant pas se risquer, dans l'obscurité, à tra-
vers des torrents rapides qui bondissent du haut des
rochers, d'une hauteur de plus de cinquante mètres.
Au delà de Kounda, nous suivons la ligne de faite du
bassin de la Gambie et, après une étape de vingt kilo-
mètres, nous arrivons à Dara-Tamgué, village bâti dans
un site délicieux.
Après Dara, nous cheminons pendant plus de deux
heures entre deux murailles de roches, où nous avons
pour toute distraction les aboiements des singes cyno-
céphales qui abondent dans ces montagnes.
Au col de Ouarnani, notre vue embrasse de nouveau
un grand espace. Au-dessous de nous se trouve le petit
village de Ouarnani, qu'un brouillard intense couvre
en ce moment, et le guide nous indique au delà de la
vallée étroite et boisée un village bâti sur un sommet
élevé, où nous terminerons notre marche.
Nous descendons au fond de cette vallée, où nous
traversons trois torrents rapides dont les eaux sont
tris froides; nous escaladons ensuite une pente raide et
boisée et à midi nous atteignons Bogoma, petit village
bâti sur une étroite plate-forme, à 1,400 mètres d'alti-
tude, au pied du pio Bogoma.
f ;" LE TAUGUé 8T LB NIOCOLO 189
De Bogoma, point culminant de notre route de retour,
le. panorama est vraiment grandiose. J'ai vu les Yosges
et le Jura, j'ai admiré les montagnes d'Auvergne et les
' glaciers des Alpes.
Mais la vue de ces montagnes aux formes bizarres, et
de ces villages qui, bâtis sur les mamelons les moins
élevés, chauffent leurs toits de paille au soleil tropical,
me fait éprouver un.sentiment que je n'ai pas ressenti
ailleurs et que je renonce à décrire... Véritablement, je
ne m'en sens pas capable 1
En Sortant de Bogoma, nous descendons le versant
du Tamgué. Quelle route, bon Dieu I Nos pauvres mon-
tures sont soumises à de rudes épreuves. Et c'est, nous
' dit-on, la meilleure route pour gagner la Gambie;
l'autre est impraticable pour les «animaux, attendu
qu'à un endroit du chemin on est obligé de descendre
par une longue échelle.
Nous arrivons à Paré, village où fleurissent les der-
niers orangers du Fouta. Comba le satiguê nous déclare
qu'il n'ira pas plus loin et qu'il retourne à Timbo. Il
n'explique pas la cause de celte détermination ; mais je
suppose qu'il s'agit d'une rivalité entre ce chef de cap-
tifs et Mahamadou-Faidou, car tous deux veulent com-
mander la roule! Madame Comba pleure à chaudes
larmes : elle perd une filière d'ambre que le docteur
devait lui donner dès que nous serions à la Gambie.
Nous descendons toujours. Ce n'est plus un sentier
que nous suivons, mais un escalier. Nous dessellons
nos deux animaux, qui ont bien de la peine à franchir
ce mauvais pas. Au pied de ce passage, la chaleur est
suffocante. A deux heures, le thermomètre marque 38".
Enfin, après une fatigante étape qui n'a pas duré
moins de dix heures, nous arrivons à Médina-Kanta.
Celte ville qui n'appartient plus au Fouta propre-
ment dit, mais au Niocolo, province asservie par les
Peulhs, a un tout autre aspect que celles que nous
190 A TRAVERS LB FOUTA-DIÂLLON

avons visitées jusqu'ici. Les rues sont larges et bordées


par.des clôtures en treillage. Les maisons, quoique cir-
culaires, ne sont plus les mêmes que dans le haut pays;
les intérieurs sont moins confortables et le sommet des
toits porte quatre bâtons servant de perchoir aux hi-
rondelles, qui doivent porter bonheur au foyer.
Les habitants ne ressemblent pas aux naturels du
Fouta, ni aux monlagoards-du Tamgué; leur peau est
plus noire et leur type rappelle celui des Ouolofs du
Sénégal. Cest l'opinion du docteur qui, dans son pre-
mier voyage, a visité les populations Malin'kè.
ï Nous recevons la visite d'un personnage étrange, se
disant shérif, natif de Bagdad! Cet homme, qui me
fait l'effet d'un farceur, est coiffé d'une haute, calotte
rouge, dite schéchla, entourée d'un turban blanc qui
passe sous le menton. Ce saint homme, établi dans la
ville depuis quelque femps, prêche le Koran et tient
école. Il parait que les gris-gris qu'il confectionne sont
payés très cher et lui rapportent beaucoup.
J'ai été grandement surpris, en arrivant sur la rivière
Kanla.qui coule à cinq minutes de la ville, d'y voir un
pont suspendu où l'on arrive par deux plans inclinés.
Il_n'y a aucune comparaison à établir entre celte pas •
serelle et les vrais ponts que l'on voit sur nos rivières ;
mais tel qu'il est, cet ouvrage d'art répond aux besoins
des habitants et peut porter six à huit hommes chargés.
Ce pont, qui-n'a pas moins de vingt mètres de lon-
gueur, est suspendu par de fortes lianes accrochées
aux arbres des deux rives, qui soutiennent des traverses
en bambous sur lesquelles sont fixées de grossières
nattes.
La campagne qui entoure Médina-Kanta produit
beaucoup de rogniers (variété de palmiers) dont les
troncs s'élèvent jusqu'à une hauteur de trente mè-
tres.
Le 13 octobre, nous arrivons à Kondouma; c'est
LE TAMOUÉ ET LB NIOCOLO 191
>

le pays de Samba-lès-Mado, notre guide officiel jusqu'à


Médiué; sur sa prière et sur celle de son frère, le chef
do village, nous y séjournons.
Ce village n'a de remarquable que ses grandes plan-
tations de coton.
En parlant de Kondouma, nous descendons encore
une pedte mauvaise et rapide, mais c'est la dernière,
nous en avons fini avec la montagne. Nous sommes
dans la vallée de la Gambie, à deux cents mètres d'al-
titude seulement. La chaleur est étouffante.
Nous atteignons la Gambie que cous longeons pen-
dant quelque temps. Ce fleuve n'a pas moins de cinq
cents mètres de largeur; il doit être peu profond, car de
ses eaux boueuses émergent de nombreux rochers.
En lin endroit de ce désert, Mahamadou-Saïdou
, m'indique,
sur le sol composé de dalles ferrugineuses,
deux empreintes et me dit :
— Voici le pied du chasseur peulh, et voici le pied
du boeuf I Là passèrent le premier homme et le premier
boeuf qui vinrent au Foula. Dieu n'a pas effacé les
(races de leurs pieds, parce qu'il aime trop les Poulars
qui sont de bons marabouts.
Nous faisons ainsi une étape de 38 kilomètres, la plu-
part du temps au milieu d'herbes sèches de deux mè-
tres de haut, et au coucher du soleil nous arrivons au
village d'Ilato.
Ici, nous sommes en pays de connaissance. Quelques
habitants ont gardé le souvenir du passage des deux
voyageurs français Hecquart et Lambert. Peut-être qu'à
l'époque où ils passèrent à Halo, ce village était floris-
sant. Aujourd'hui, ce n'est plus qu'une ruine. Quelques
cases et des pans de fortifications à moitié détruites
.indiquent qu'Halo a eu à soutenir un siège. Effective-
ment, nous apprenons qu'il y a trois ans, il a été ruiné
complètement par des bandes venues du Dentillia.
Nous y rencontrons le chef d'une caravane de dioula*
192 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON •

(colporteurs) venant du Sénégal, qui nous plonge dans


la plus grande consternation. Il nous apprend que h
fièvre jaune a ravagé Saint-Louis et que le Bourouu-
K'Dar (nom indigène du gouverneur du Sénégal), k>
regretté M. de Lanneau, est mort.!
Après uno courte étape, nous arrivons à Kédougoi:-
Tata, le premier village que nous voyons muni d'un toi<i
(fortification). },
Garantis par leurs montagnes faciles à défendre, les
habitants du Foula-Diallon n'ont nullement besoin
d'entourer leuis villagesd'une enceinte fortifiée. Maislts
villages du Niocolo, lâtis au milieu de vastes plaines
dans lo voisinage des Malin'ké idolâtres, ont besoin de
garder leurs cases et leurs bestiaux par une mu-
raille,
La ceinture de Kédougou nest pas complète; seule,
la demeure du chef, bâtie au centre, est défendue par
douze tourelles reliées par une haute muraille en forme
de paravent déplié*
Deux portes seulement donnent accès dans l'enceinte,
où çà et là sont bâties les cases du chef Fodé-Uama-
dou. Celles-ci sont également reliées par une muraille,
de la hauteur d'un homme, percée de meurtrières qui
permettraient, si le Ma était pris, de se défendre en-
core et obligerait l'ennemi à faire le siège de chaque
maison. Trois puits abondants donneraient de l'eau
aux assiégés.
Kédougou-Tata est le rempart du Fouta. Attaqué par
les populations de la rive droite dé la Gambie, il don-
nerait l'alarme à tout le pays. Le cas échéant, les ha-
bitants abandonneraient leurs cases et, enfermant bes-
tiaux el butin dans le château du chef, organiseraient la
résistance.
Vu de la grande place qui l'entoure, le tata de Kédou-
gou ressemble absolument aux manoirs comme l'on en
voit encore quelques-uns dans nos provinces de France.
LE TAMGUE ET LE NIOCOLO" 193
Les toits en chaume des tourelles ainsi que ceux de
toutes les cases du village se terminent par quatre per-
choirs pour les hirondelles.
Les habitants de Kédougou sont musulmans, mais
senlent un peu lo roussi. Loin des regards austères de
l'Almamy, les filles do Kédougou sont souvent au tam*
tam. A peine la nuit est-elle venue que les tambourins
résonnent, les battements do mains éclatent, les chants
retentissent et le bal commence. En voilà jusqu'à mi-
nuit.
Privé do ces fêles depuis mon départ de Boké, c'est
avec joie que j'entends ces manifestations du plaisir. Je
laisse le docteur, qui esl blasé sur ces réjouissances, et
je vais faire mon homme d'importance sur l'esplanade.
Une place m'est offerte près du grand feu de paille
qui éclqire le bal et ces demoiselles dansent, — poui
moi l
Oumarou, l'envoyé d'Alfa Aguibou, ne nous avait pas
dit qu'il possédait des talents multiples comme musi-
cien et comme danseur. Au grand plaisir des assistante
ce beau gaiçon danse le pas du sabre, et j'avoue qui;
mérile son succès.
Oumarou plante son sabre nu au centre du cerck
formé par la foule et invite les musiciens à battre une
cadence précipitée. Il danse un pas allégorique el s'a-
vance jusqu'au sabre qu'il saisit de sa main droite. Se
pieds suivent le rylhmo du tambour et, dans un pas-
savant, touchent à peine le sol, tandis que la lame du
sabre tournoie autour de sa tête, de son corps el de ses
jambes.
Les mouvements do l'homme et du sabre sont telle-
ment rapides que l'on ne dislingue plus qu'une forme •

vague tourbillonnant dans un nuage de poussière. Ou-


marou danse environ deux minutes et s'arrête tout et;
nage. Il y a de quoi l
Je suis couché depuis longtemps déjà et les batte-
13
194 A TRAVLRB LB FOUTA-DIALLON

ments des tam-tam durent encore. Ces nègres, quand


ils s'amusent, font durer le plaisir autant que possible.
Codontjo ne me serais jamais douté, c'est quel»
moindre partie de mon individu eût des propriétés de
porte-veine. Cependant, pour lo beau sexe de Kédou-
gou, j'ai quelque valeur comme fétiche I Jacques, notre
cuisinier, qui m'a coupé les cheveux aussi ras que pos-
sible, en a vendu quelques mèches à deux dames de la
ville pour la somme de vingt noix de kola. Au prix où
est ce fruil, tant estimé des noirs, cela représente au
moins vingt francs I
La Gambie coule à un kilomètre environ de Kédou-
gou-Tata. C'est un beau fleuve de Irois cents mètres «!•>
largeur, dont les deux rives sont couvertes de planta-
tions de mil.
Le 19 octobre, après une marche de quatre heures à
travers un pays absolument plat, nous arrivons à Silla-
Kouda, limite extrême du Fouta-Diallon.
Ce village, au centre duquel se dresse un unique
palmier où les colibris accrochent leurs nids, est en-
touré d'une double muraille de terre en mauva.-i état
du reste ; elle est flanquée de tourelles qui servent de
postes et commandent chaque route.
Le chef du village, apprenant que nous avons l'inten-
tion de traverser le Bambouc pour nous rendre à Mé-
dine, cherche h nous en dissuader.
— Ce pays, dit-il, est habité par des sauvage?, qui
boivent du dolo (eau-de-vic do mil) et attaquent toutes
les caravanes.
Devant notre refus de changer notre itinéraire, ce
brave noir insiste pour que nous restions un jour de
plus chez lui, afin, dit-il, de lui donner le temps de
trouver des guides et pour que nous portions bonheur
à sa maison.
Lorsque la grande chaleur est tombée, nous allons
reconnaître la Gambie, qui coule près du village. A cet
LE TAMGUÉ ET LE NIOCOLO 195
endroit, une lie assez grande la divise en deux bras et
l'un d'eux est obstrué par un barrage de roches. Les
eaux ont déjà baissé de quatre mètres et là où trois se-
maines auparavant l'eau recouvrait les berges, des
tiges do mil commencent à se montrer.
Sans doute, c'est l'heure propice pour le bain et pour
la pêche; la berge est couverte de femmes se baignant
à côté d'hommes et d'enfants qui, les pieds dans l'eau,
lancent leurs lignes dans la rivière. Je n'exagère pas en
disant qu'il y a deux cents personnes. Notre venue effa-
rouche bien un peu ces dames et les gamins qui se
sauvent ; mais, voyant que nous ne mangeons per-
sonne, tout ce monde se rassure et reprend ses occu-
pations.
Les karitis (arbres à beurre) abondent dans les envi-
rons de Silla-Konda.
L'arbre à beurre, sheu, appelé karilê par les Peulhs,
est un arbre assez grand ; ses feuilles sont de petite
dimension, un peu rudes et ramassées en bouquet ; le
tronc de l'arbre est lugucux et, si on l'incise, il en dé-
coule une liqueur blanchâtre. Le fruit est rond, de la
grosseur d'un abricot ; une -mince pellicule grise re-
couvre une chair blanche un peu rosée et très ferme.
Celle chair onctueuse, qui 1 appelle le goût du foin fané,
recouvrée son tour un noyau assez gros, très dura
casser, qui contient une amande à goût de noisette
dont les noirs sont très friands.
On obtient le beurre en mettant la chair qui recouvre
le noyau dans l'eau bouillante ; la graisse surnage et on
la recueille dans des vases où on la laisse refroidir.
Les naturels du Bambouc font leur cuisine en grande
partie avec le beurre de karité ; ils l'emploient aussi
contre les douleurs articulaires et s'en frottent les
jambes lorsqu'ils ont de grandes courses à faire. Le
beurre végéial peut être également employé pour l'é- '
clairage.
196 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
Lorsque BruÔ était directeur de la Compagnie de
Galam, ce beurre végétal lui fut présenté par des nat'i-
rels du Bambouc. Depuis cette époque, on appelle pi is
communément le beurre de karite beurre de gainai,
mais il est encore plus connu sous le nom de batoule.
L'arbre a beurre est très commun dans le Bambouc.
D'après les récits de plusieurs explorateurs, on en
rencontre des forêts immenses dans la contrée qri s>
pare le Sénégal du Niger.
Comme le beurre de vache et la ciro sont hors de
prix, nous achetons quelques pains de beurre végétal
pour cuisiner et nous éclairer au besoin. Malgré l'abon-
dance de ce beurre, on nouslo vend excessivement ch.i.
Sous prétexte que nous sommes blancs, nous devo.s
payer beaucoup : on se croirait aux bains de mer!
Je recommanderais bien ce beurre végétal h la con-
sommation, mais je crains que les gourmets n'y pren-
nent pas goût. Quand il est frais, il est inodore; mais
quand il est un peu avancé, alil... Eh bien, c'est h
seule graisse dans laquelle nous faisons sauter dechélifs
poulets.
Le chef du village nous présente trois chasseurs d'-'-
lérhants qui nous guideront à travers les solitudes lu
Bambouc. Le départ est fixé au lendemain el nous pas-
sons notre dernière nuit sur le territoire du Foula-
Diallon où, commo chez les montagnards écossais.
l'hospitalité se donne et ne se vend jamaisl
MAMAKONO 197

XV11

MAVAK0NO

Le 21 octobre, à 7 heures du malin, nous quilloiu


Silla-Konda et, pendant une heure, nous marchons au
milieu d'une plantation de karités (arbres & beurre),
avant de trouver un endroit propice pour opérer le pas-
sage du fleuve. Une longue pirogue passe les hommes
et les marchandises : le cheval et le mulet traversent
péniblement à la nage. "
A dix heures nous sommes sur la rive droite de la
.
Gambie et nous entrons, pour plusioursjours, dans une
contrée exclusivement habitée par les fauves elles élé-
phants. Nous avons pour quatre jours de vivres.
Le pays que nous traversons ne ressemble en rien
lu Fouta. La plaine immense est couverte d'herbes
sèches, luutes de trois et quatre mètres: à peine
quelques rares ruisseaux et une chaleur de 38°.
A trois heures, après une marche fatigante, nous
établissons notre campement à l'ombre d'un bois de
198 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
bambous, sur le bord d'un ruisseau servant d'abreuvoir
aux fauves de la forêt. En une heure, les abris sont
installés, les feux allumés et les hamacs accrochés aux
arbres.
Avec le jour, nous levons lo camp et comme le mul< t
•lu docteur est blessé, hors de service, jo me vois forv
d'abandonner mon cheval à mon compagnon, d'aller t
pied par conséquent.
Si nous no rencontrons pas d'animaux fôroco3, nous
trouvons des Iracos nombreuses de leur passage.
Sur lo bord d'un ruisseau, quatre grands trous, dan>
la vase fraîche, témoignent du passage récent d'un élé-
phant. Tout lo long de la roule, nous croisons des bouges
où ces colosses ont pris leurs ébats et lo terrain est tel-
lement défoncé par leurs pieds énormos, quo notre
marche en souffre beaucoup.
Cependant, avec cette chaleur, la marche au travers
d'herbes sèches, deux fois plus hautes que moi, m'est
extrêmement pénible. Aussi, à midi, après une courte
halte, je suis pris d'un violent accès de fièvre, qui me
donne le vertige el me fait courir comme un fou. Je ne
m'arrête qu'exténué (et ce n est qu'une demi-heure
après que je suit en état de'continuer ma route.
Le docteur a pris une assez grande avance sur moi.
Il dépêche à ma recherche lo Bambara Couli-Bari qui,
de son mieux, me fait comprendre « qu'en avant des
hommes veulent nous attaquer » et il se lamente parce
qu'il n'a plus de poudre. Je presse lo pas et je rejoins lo
docteur, que je trouve debout, appuyé sur son mousque-
ton, au milieu de vingt et un noirs assis par lerre et
armés jusqu'aux dents.
— Ouvrons l'oeil! me dit-il, peut-être d'autres hommes
sont-ils cachés dans les hautes herbes.
J'échange un salut .avec ces messieurs qui n'étaient
autres que des guerriers du sentier en quête de bu Un
facile à voler.
MAMAKONO 199
Le chef dit carrément qu'il voulait les bagages pour
les porter à son frèro, le roi du Bêlédougou. Bayol, mon-
trant les paquets, et faisant jouer la batterie do son
mousqueton, lui répondit :

Voilà mes marchandises, prends-les si tu veux,
mais voici nos fusils, et la poudre parlerai Nou3 allons
à Mamakono, chez ton frère ; il est plus simple do nous
couduire là où, sans danger pour toi, tu pourras prendre
mes bagages.
Cet argument parait convaincre les pillards. Ils nous
engagent à camper el nous conduisent sur un plateau
dénudé où l'on établit le bivouac.
Contre leur habiludo, nos hommes font bonne garde :
les sentinelles ne dorment pas.
Sans nul doute, ces maraudeurs ont été intimidés par
notre altitude. S'ils avaient su qu'il ne nous restait que
vingt coups pour chacun de nos sept fusils Gras et que
nous n'avions plus une once do poudre pour charger
trente fusils ordinaires, ils eussent certainement été
plus arroga.its.
Dès l'aube nous prenons nos dispositions de départ.
Les Malin'ké nous assurent qu'avant le coucher du so-
leil, nous atteindrons Mamakono. Jamais je n'ai fait
une étape aussi pénible. A cheval, le docteur va plus
vite que moi. Je ne le rejoins qu'à huit heures du soir
et j'arrive couvert de vase jusqu'à la ceinture. Deux
fois pendant cette marche, le noir qui me portait pour
me faire traverser les bourbiers vaseux m'a laissé tom-
ber dans la boue. La nuit venue, guidé par un habile
chasseur qui retrouva les pistes avec ses pieds, j'ai tra-
versé un marais couvert d'ajoncs où toute trace de sen-
tier disparaît et où l'on enfonce jusqu'aux genoux.
Obligé par la nuit d'arrêter sa marche avant d'avoir
atteiut le village, le docteur a établi son camp sur le
bord d'un marigot, au-dessus duquel voltigent par cen-
taines de splendides lucioles.
200 A TRAVBRS LB FOUTA-DIALLON
J'arrive dono exlér.uê, avec quarante-cinq kilomètre*
dans les jambes; à deux heures, le thermomètre mar-
quait 39°.
Aussi, sans me préoccuper du cuisinier qui me dit
que le déjeuner est prêt, je m'endors profondément.
Le 24 octobre, au réveil, nous sommes aussi mouillés
par la rosée que s'il avait plu toute la nuit. Après une
marche de cinq kilomètres, nous arrivons à Mamakono,
capitalo du Bêlédougou, pays habité par les Malin'ké.
Le farouche chef des coureurs de brousse, Ka'za, qui
nous a devancés la veille, a changé on notre faveur au
point d'intriguer auprès de son frère, pour nous loger
chez lui.
11 met sa meilleure case à notre disposition ; elle est
bien petite par exemple. Sa première femme est pleine
d'attentions pour nous; elle va chercher de l'eau, veille
à ce qu'il ne nous manque rien... En un mot, Kaza est
devenu notre ami.
Pour la première fois depuis que nous sommes en
voyage, j'ai avec mon compagnon une chicane. Chicane
d'autant plus inutile en réalité qu'il s'agit simplement
d'une natte en paille I
Mais ce soleil de feu, la chaleur étouffante de ces ré-
gions, les fatigues, les privations aigrissent le caractère
et l'instant arrive où l'on perd sa placidité. Pour de la
paiile, pour un peu de nourriture, pour une futilité
quelconque, les meilleures relations sont compromises.
Heureusement, la bonne harmonie ne larda pas à re-
paraître.
Contre l'usage du pays, Kié-Kié-Mahadi, roi de Ma-
makono, nous fait visite le piemier. Après les premiers
compliments, tout en fumant une pipe à. deux four-
neaux, Kié-Kié nous assure qu'il a grand plaisir à nous
voir, car depuis longtemps il désire entrer en relations
avec les blancs du Sénégal.
— Les marchands ne viennent jamais chez nous.
MAMAKONO 201
dit-il, nous sommes perdus dans ce pays. Il y a plus
de trente ans que nous n'avons mangé du sel. Je sais
qui tu es. Les hommes du Fouta qui t'accompagnent
m'ont dit quo lu ne mentais jamais et que tu avais fait
le voyage pour le bien des Peulhs. Reste quelques jours
avec nous, repose-toi, tu ne manqueras de rien; nous
causerons ensemble des affaires du pays.
Effectivement, nous ne manquons de rien. Plusieurs
habitants nous apportent des mets tout préparés el la
femme dévouée de notre hôte pousse la complaisance
jusqu'à aller chercher du sable aurifère, afin que nous
constations sa richesse.
Le lendemain de notre arrivée, hA-Kié-Maludi nous
invite à assister au grand tam-tam qu'il donne en notre
honneur. A quatre heures, nous nous rendons à la fêle
qui-se tient sur la Place du Chdteau. Nous arrivons,
suivis de nos hommes en armes, et Kié-Kié-Mahadi,
assis sur une natte et fumant sa pipe, nous invite h
prendre place à ses côtés.
Toute la jeunesse bronzée de la ville est au bal; d'un
côté, alignée comme de3 militaires, les jeunes filles
chantent et marquent la mesure en battant des mains.
Au pied d'un magnifique fromager, couvrant toute la
place de ses branches touffues, est placé l'orchestre qui
se compose de cinq tambours, grands et petits, pour
produire des sons différents, d'une cloche de fer et d'un
lam-lam énor_me,5'soutenu par) quatre pieds. Quel ta-
page I Les habitants do la [ville sont massés derrière
lesjmusiciens.
Une jeune fille, puis deux, puis trois, esquissent un
pas de danse qui n'est pas dépourvu de grâce et vien-
nent nous saluer en posant un genou à terre. Nous
donnons à chacune d'elles quelques perles en verre qui
lés remplissent de joie.
Kaza, l'incomparable Kaza, qui, avec son frère Sané-
Oulé (or rouge), a courtisé la dive bouteille, se pré-
902 A TRAVERS LB FOUTA-DLALLON
sente, l'oeil allumé, la calotte jaune d'or posée en cas-
seur d'assiettes, exubérant de gaieté. H danse aussitôt
un pas — le pas des chefs — en jonglant avec un fusil.
Noire compagnon Oumarou fait le beau auprès des
jeunes Mamakonoises et les étonne avec sa danse du
sabrel
Kié-Kié-Mahadi, enchanté de noire présent, signe ui.
traité permettant aux Français de s'établir dans le Bê-
lédougou et d'y exploiter l'or. L'éloquence de Maha-
madou-Saïdou fait une excellente impression sur co>
gens qui, avant de devenir nos amis, voulaient nous
attaquer.
Je profite de notre séjour prolongé pour aller à Sô-
koto, village dépendant de la principauté de Kié-Kié-
Mahadi el distant de cinq kilomètres. Entouré de lou-
gans (cultures), de toute beauté, il est habité par des
Malin'ké et aussi pat des Toucouleurs qui paient tribut
aux premiers.
J'achète pour trois francs, argent, une jarre de dot"
(eau-de-vie de mil), d'une contenance de cinq litres en-
viron. C'est une bonne liqueur qui grise vite. Kaza, sa-
chant que nous avons du dolo, vient à tout instant de-
mander s'il n'y a pas moyen de boire un verre. Quand j'ap-
prouve, son oeil d'alcoolique s'illumine el avec amour il
porte la bienheureuse liqueur à sa bouche. Kaza est
toujours « entre deux vins. »
Sans ressembler en rien aux riches montagnes du
Fouta, les environs de Mamakono sont très fertiles. De
forts beaux arbres, baobabs, fromagers, rahlts (bois de
teinture), faux gommiers, ombragent la campagne. Les
récoltes sont magnifiques et vont bientôt être rentrées;
aussi chacun est-il très occupé. De tous les côtés, on
entend dans les champs des bruits de calebasses cas-
sées, mises en mouvement par une ficelle, et les cris
poussés par les gardiens de cultures qui, du haut de
MAMAKONO 503
leurs échafaudages, lancent de3 pierres aux oiseaux
pour les empêcher de picorer les grains.
Les produits cultivés sont le gros et le petit mil, le riz
qui est magnifique, les arachides, le colon e'. le tabac.
On récolte aussi des oignons, des haricots, des patates,
des ignames, des melons d'eau et certains petits tuber-
cules, d'une forme semblable à celle de la pomme de
terre dite de Hollande, dont le goût est exquis. Enfin,
les feuilles du rahtt donnent une teinture vieil or, qui
sert à teindre tous les vêtements du pays.
Divisée en deux parties, la haute et la basse ville,
Mamakono (ventre de ma mère) est entourée d'une
double muraille avec tourelles et casemat ;. C'est la ré-
sidence de Kié-Kié-Mahadi, roi du Bêlédougou (pays de
pierres). Cinq de ses frères, des oncles, quelques cou-
sins habitent également la ville ; c'est à peu près les
seuls hommes libres ; le reste des habitants, que l'on
peut évaluer à cinq cents, sont esclaves. Chuoun des
notables possède un talu (demeure fortifiée) personnel.
Entre la haute et la basse villo, se dresse le tala re-
doutable de feu Diali Souléman. C'est un véritable chà-
teau-fort qui sans artillerie serait difficile à prendre,
mais qui tombe quelque peu en ruines. Le fils de Sou-
léman, grand amateur de dolo, néglige les soins néces-
saires à la conservation de la demeure paternelle.
Le tata de Kié-Kié-Mahadi est bâti dans le haut de la
ville; tourelles, murs rentrants, casemates, rien n'y
manque. Une vaste place, ombragée par.un fromager
gigantesque, comprise au centre de3 constructions, sert
d'esplanade et là se tiennent les tams-tams.
La plupart des cases de la villo basse, bâties sur pi-
lotis à quarante centimètres du sol, sont de très petite
dimension. Nous sommes loin des confortables cases du
Fouta.
J'ai emporté un excellent souvenir des Peulhs, mais
les Malin'ké me sont plus sympathiques encore. Ils ne
201 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
professent aucune religion, ne se livrent à aucune pra-
ique de dévotion ; ce sont des gens très gais, qui con-
sacrent le plus clair de leur journée à la danse. Presque
tout le temps de notre séjour à Mamakono, il y a tam-
tam le matin, l'après-midi et le soir.
Des musiciens ambulants courent les maisons el
chantent en s'accompagnant sur une sorte de harpe à
seize cordes faites avec un boyau, et appelée Kora. Cet
instrument curieux rend do fort beaux sons ; il se com-
pose d'un long manche monté sur une calebasse recou-
verte d'une, peau de mouton, qui forme table d'harmo-
nie et soutient un chevalet où passent les cordes.
J'ai offert cinquante francs d'un instrument de ce
genre à un chanteur qui m'a répondu :
— Je ne vends pas ma nourrice I
La dive bouteille est en grand honneur à Mamakono,
chacun la fête et notre ami Kaza est un de ses plus fer-
vents adorateurs. Heureusement il aie dolo très gai.
Pour cimenter son alliance avec les Français, Kié-
Kié-Mahadi nous fait accompagner par son jeune frère,
Sambo, jusqu'à Médine, afin de saluer le commandant
de la place.
Outre ses ressources agricoles, le Bêlédougou, qui
comprend quatre villages, y compris Mamakono, recèle
des richesses autrement estimées des Européens. C'est
une mine d'or 1 Tous les ruisseaux charrient des pail-
lettes du précieux métal. On le trouve également sous
forme de pépites dans les blocs de quartz, épars un
peu partout.
Très sensés, les Malin'ké ne s'occupent de la recherche
de l'or que quand '.es cultures sont terminées. Après la
moisson, vers là fin de novembre, les habitants des
villages se rendent à un même endroit d'exploitation et
y installent des gourbis.
D'après Kaza, dA qui je liens ces détails, avant de
rechercher l'or, on tue un bouc rouge et une poule
MAMAKONO 205
.
blanche. On en mange la moitié et on jette l'autre çà
et là pour que le diable n'inquiète pas les travailleurs.
Celle cérémonie terminée, on procède à la recherche de
l'or. C'est le plus souvent les bords des ruisseaux qui
sont exploités, et ce sont les femmes qui font le travail.
Ce travail est. dos plus simples. On met de la terre
dans une calebasse que l'on remplit d'eau; puis, en
imprimant d'une main un mouvement de rotation à la
calebasse, de l'autre on agite la terre pour la laver. On
rejette d'abord la terro commune et les cailloux : on
remplit de nouveau, et on opère ainsi jusqu'à ce qu'il
n'y ait plus au fond du vase qu'un peu de sable noir
ferrugineux. Alors on imprime à la calebasse un balan-
cement qui retient l'or sur la paroi, tandis que le sable
ferrugineux tombe au fond. On jette le résidu et, à
l'aide d'une coquille semblable à celle des moules, on
ramasse les paillettes, que l'on renferme soigneusement
dans des petites cornes do biche.
La récolte par battée est minime et il se perd autant
d'or qu'il en est ramassé. Mais l'opération va très vite
et ne dute pas une minute. J'ai vu une battée qui a
produit plus d'un gramme d'or.
Toujours d'après Kaza, les roches sont également
cassées et un jour, paralt-it, on trouva dans l'unod'elle?
une pépite d'or grosse comme un oeuf de poule. Mais les
noirs chérissent l'hyperbole et je n'accorde pas grand
crédit à cette histoire.
La récolte de l'or ne dure que six semaines au plus
et chaque individu en ramasse pour une somme de deux
mille à deux mille cinq cents francs.
Alors les caravanes se forment et vont en Gambie
chercher de la poudre, des alcools, des étoffes et surtout
du sel, dont les habitants de Mamakono sont absolu-
ment privés.
206 A TRAVERS LB
FOUTA-DIALLON*
.

XV11I

LE PAYS DE LOR

Accompagnés par les souhaits de la population de


Mamakono et munis des recommandations de Kié-Kié-
Mahadi pour son frère Sambo, nous quittons la capitale
du Bêlédougou le 31 octobre.
Kaza nous faitla conduite jusqu'àune grande distance
de la ville et, en nous quittant, il est ému. Encore un
peu, il pleurerait. ;
Après une étape de quarante-deux kilomètres à tra-
vers un pays plat, boisé et coupé de quelques ruisseaux,
j'arrive à sept heures du soir sur le bord du Diali-Kobé,
cours d'eau rapide de quarante mètres de largeur qui
baigne les jardins du village de Marogou et dont les
eaux miroitent sous un clair de lune magnifique. Un
homme laissé par le .docteur, pour guetter mon arrivée,
mcpiend sur ses épaules et, entrant dans l'eau jusqu'à
la ceinture, va me déposer sur la rive opposée.
LE PAY8 DE L'OR 207
-


Marogou, dont le nom signifie pays du riz, est un
village de six à septcenls habitants,tousMalin'ké. C'est
la capitale d'une petite république, appelée le Sirimana.
De belles cultures de riz couvrent les environs et de
grands boeufs pâturent autour du village.
L'or y est aussi commun qu'à Mamokono et le Diali-
Kobé, qui porte ses eaux à la Falémée, en charrie des
paillettes.
Ce village n'a pas de tata général, mais plusieurs
propriétés sont entourées de hautes murailles en terre.
Là jeunesse y est très gaie ; tous les soirs il y a tam-
tam. Le /ils du chef, Mahka, jeune homme de dix-sept
ans, est )o boute-en-train de toutes les fêtes. Il se mul-
tiplie, il fait la cour à toutes les jeunes filles, qu'il
cherche à captiver par l'élégance affectée de son cos-
tume... C'est un gommeux. Il danse, bat du tam-tam,
joue du koru et dirige les musiciens. 11 est le chef de la
fanfare de Marogou.
Les habitants ont de belles coquilles qui servent à
ramasser le sable d'or qu'ils trouvent en grande quan-
tité dans le Diali-Kobé. On nous rapporte, prises dans
ce ruisseau, des moules vivantes, aux coquilles nacrées,
qui ont de huit à dix centimètres de longueur.
Après trois jours de négociations, le chef, Moury-
Moussa, son frère, Salomon Moussa el son fils, Mahka,
signent avec nous un traité par lequel le pays est ouvert
aux Français et placé sous notre protectorat.
Pendant notre séjour, la température a varié entre 3i
et 26 degrés.
Nous quittons Marogou, le 3 novembre, le jour de la
Tabasquie, grande fête musulmane. Pour complaire à
notre escorte, nous faisons halte sur le bord d'un ruis-
seau. Les croyants font de grandes ablutions, se rangent
en triple ligne, la face tournée du côté de l'Orient, et
Gibril Sangomar N'Dyaie entonne le grand Salam.
Quelques-uns de nos hommes, sceptiques en matière
208
.
' A.TRAVERS LE FOUTA-DIALLON '
religieuse, -regardent leurs camarades d'un air gogue-
nard et l'un d'eux même me dit : « Tout ça, c'est des
bêtises.»
' A'onze heures, nous atteignons la rive gauche de h
<

r>lémée, magnifique rivière de cent cinquante mètres


de largeur, le plus grand affluent du fleuve Sénégal.
Cinq petites pirogues servent au passage, qui est ter-
miné à une heure, et, bientôt, après, nous arrivons à
Ouéséba, village bâti sur le bord de la rivière. -
Mahadi Tambo, chef de Guéséba, e3t très heureux de
nous recevoir : il espère que nous engagerons les mar-
chands blancs à porter du sel dans son pays. En re-
vanche, il leur donnera de l'or ; on en trouve partout
dans les environs.
Les abords de Guéséba sont couverts de belles plan-
talions de riz, de maïs, de mil el d'arachides.
La Falémée, très large devant le village, est obstruée
par quelques roches qui ne gênent pourtant pas la navi-
gation des pirogues.
Nous rencontrons à Guéséba Une troupe d'artiste?
ambulants, des griots, composée de deux hommes,
trois femmes et deux enfants. Ces musiciens vont de
village en village et chantent les louanges des grands,
en échange de.quelques cadeaux.
Nous finissons de souper, lorsque tout à coup lès tam-¬
tams résonnent el les femmes font entendre une sorte
de mélopée triste et lente, qui appelle la jeunesse à la
danse.
Les griots, sous la conduite de Dyaly-Siréman, pro-
filent de la présence du chef parmi nous pour nou-
donner un concert. Nous ne comprenons rien à leurs
paroles, bien entendu, mais les habitants semblent
émerveillés des chants de la troupe. Le son des gui-
tares attire l'attention des danseurs et la place du tam-
tam est bientôt déserte.
Dyali-Siréman s'accompagne sur le kora et chante un
LE PAYS DÉ L'OR 209
sofo, puis les femmes, d'une voix sonore entremêlée de
cris, reprennent en choeur. Nous tenons ^évidemment
une large place dans ces récits chantés. A chaque instant
le mot Ti&aoo (chef blanc) revient sur les lèvres des
chanteurs. A onze heurets du soir, cette fête de famille
dure encore et, encouragés par nos libéralités, les
griots se proposent de nous suivre le lendemain.
Le 4 novembre, nous arrivons à Farenkounda.
La guerre a ravagé la contrée, Farenkounda n'est plus
qu'une ruine. Çà et là quelques pans de mur, à moitié
cachés par les hautes herbes, attestent que ce village a
été important. A voir nos hommes étendus au pied de
ces ruines, on pourrait croire que nous venons de
donner l'assaut et que nous campons sur la position
conquise.
La présence de Sambo parmi notre escorte jette la
consternation chez les rares habitants du village. Le
chef, un vieillard aveugle, fait observer au docteur que
des hommes qui ont avec eux un sauvage tel que Sambo,
ne peuvent être animés de bonnes intentions.

L'année dernière, dit-il, Farenkounda était un
grand village ; de belles récoltes couvraient les envi-
rons. Ce gros figuier, maintenant isolé, abritait nos
danses tous les jours. Aujourd'hui on pleure I J'étais un
chef respecté et aimé de tous ; aujourd'hui, jo n'ai plus
que quelques enfants pour m'aider à passer les jours
que j'ai encore à vivre, car depuis longtemps déjà mes
yeux ne voient plus le soleil.
Qui donc a jeté la désolation dans mon village? Qui
donc a brûlé les lougans, cassé le .tala, égorgé tout le
monde ? Les hommes du Bêlédougou! Les frères de
Sambo !
Un matin, avant que le soleil eût éclairé la cam-
pagne, ils sont venus pMler, brûler et, comme des
tigres, ils ont emporté nos enfants ! Tu me dis que tu
ne viens ici que pour le bien de ton pays; je pourrais
14
210 A TR.WBR8 LE FOUTA-DIALLON '
te croire ; mais, en voyant avec loi un sauvage comme
Sambo, permets-moi d'en douter.
Longuement, le docteur combat les appréhensions
du vieillard, le rassure sur nos intentions et termine
en disant:
Sois tranquille, vieillard J tant que les enfants

seront les amis des Français, ni les hommes du Bêlé-
dougou, ni d'autres, ne leur feront la guerre.
Le lendemain, Salouma, le vieux chef, complètement
édifié à notre égard, place le pays de Kama sous notre
protectorat. Ses fils, émerveillés du présent que nous
faisons à leur père, envoient chercher de l'argile auri-
fère, qui est lavée devant nous. La battée est d'une ri-
chesse extrême. Je me fais conduire à l'endroit où cette
terre a été prise et j'en remplis une caisse en fer ; il y
en a vingt-cinq kilogrammes.
Les divers échantillons de minerai aurifère que nous
avons recueillis dans le Bambouc, ont été remis à
l'École des mines. L'analyse a donné des résultats sur-
prenants.
Lorsque nous arrivons en vue de Kérékoto, des
femmes et des enfants qui travaillent dans les champs
se sauvent en poussant de grands cris et vont donner
l'alarme au village. Tous les hommes, armés jusqu'aux
dents, viennent*à notre rencontre et, craignant une
attaque, font mine de nous barrer le .passage. Mais la
vue do deux visages blancs les rassure. Nous parle-
mentons et ces farouches guerriers nous prient d'at-
tendre, avant de pénétrer dans le la'.a, que le chef soit
prévenu. Une demi-heure après, nous entrons dans le
village, précédés des griots qui chantent pendant que
Dvali Siréman joue sur son kora une marche brillante.
Ce premier jour, nous soupons d'une excellente fri-
ture de petits poissons qui nous semble d'autant
meilleure que c'est la première fois que nous en man-
geons.
LE" PAYS DE L'OR 211
Mais le tam-tam commence. Toutes les beautés de la
ville, en toilettes aussi brillantes que possible, y
assistent. Deux jeuue3 filles dansent avec une grâce
parfaite un pa's de deux rappelant le boléro; leurs
petits pieds touchent à peine li sol et s'agitent, impri-
mant au torse des mouvements charmants. Leurs
mouvements deviennent de plus en plus rapides, l'or-
chestre' précipite sa cadence, les danseuses détachent
les écharpes qui garnissent leur poitrine et les agitent
au-dessus de leur tête en prenant des poses gracieuses.
Leur torse de bronze, brillant de sueur, reflète la
flamme d'un grand feu de paille, dont la lumière donne
encore plus de relief à leurs formes, qui sont d'une re-
marquable pureté.
A Kérékoto, nous faisons la rencontre d'un marchand
noir qui arrive de Médine avec un âne et deux hommes
chargés de sel qu'il vient échanger contre de l'or. En
une après-midi, cet honnête commerçant, qui se con-
tente d'un bénéfice de mille pour cent, a terminé son
opération commerciale. Nous lui proposons de louer
son âne pour aller jusqu'à Médine. Il y consent pour le
prix de vingt francs, dix francs en pièces de cinquante
centimes et dix francs représentés par un morceau de
corail. Nous convenons qife le bourricot sera déposé au
poste de Médine et je prends immédiatement possession
de celte nouvelle monture qui doit m'aiJer à faire,
sans trop de fatigue, le reste de la route.
Kérékoto, capitale du district de Kofé, a une popula-
tion de mille habitanls'el est entourée de hautes mu-
railles en terre. Cette petite ville n'est pas très éloignée
de la Falémée et ses habitants, qui ont beaucoup de
goût pour la pêche, vont y chercher le poisson néces-
saire à leurs besoins. Partout, dans la ville, on voit des
engins de pêche, filets, nasses, en tout semblables aux
nôtres, qui sèchent au soleil.
Le chef de Kérékoto provoque un palabre, où assistent
212 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON
les chefs des villages de Sa juridiction, et on conclut un
traité qui ouvre le pays de Kofé à notre commerce.
En quittant Kérékoto, je fais vraiment bonne figure,
monté sur mon petit âne qui, sans le secours du bâton,
marche d'un pas régulier. Nous couchons à Kounsiline,
village de Niatiaga, où l'on cultive beaucoup le tabac.
Nous recevons l'hospitalité chez un brave noir qui se
trouve dans les champs au moment de notre arrivée.
Lorsqu'il rentre chez lui et voit sa cour envahie pâf une
troupe d'hommes étrangers, il manifeste un grand con-
tentement et vient chaleureusement nous serrer la
main, pendant que ses petits enfants grimpent sur ses
épaules pour l'embrasser. Kadè-Mahadi doit être un
homme heureux, l'affection dont il ?st entouré l'indique
suffisamment. Ce brave homme, toujours le sourire sur
les lèvres, met tout sens dessus dessous pour nous rece-
voir. Toutes ses femmes sont occupées à surveiller les
marmites où cuit la nourriture de notre suite.
Un griot, habitant d'un village où nous avons passé
en venant à Kounsiline, vient réclamer contre nos
hommes qui, dit-il, lui ont dérobé six pipes en terre
inachevées et deux ébaùchoirs en fer. Nous faisons une
enquête et nous retrouvons les objets volés entre les
mains de Jacques, notre cuisihier, et de son ami Soulé-
man. Ces pipes étaient aussi élégantes de forme que
celles qu'on appelle pipes du Levant et les ébaùchoirs
étaient en tout semblables à ceux dont se servent les
modeleurs.
Nous n'avons volé, .
dit Jacques ; les pipes
— pas
étaient toutes seules sur le bord du marigot : Souléman
et moi, nous avons profité l
En quittant Kounsiline, nous avons, pour la première
fois, à souffrir du vent d'Est ; ce vent chaud, particulier
à l'Afrique, qui dessèche tout et qui, en deux jours,
dépouille les arbres de leurs feuilles.
Nous atteignons le village de Bourokonet, dont le
LE PAYS DE L'OR 213
chef insiste pour quo nous n'allions pas plus loin ; nous
cédons à ses désirs, mais nous ne tardons pas à le re-
gretter.
Non seulement, ce chef ne nous offre pas même un
verre d'eau, mais, le lendemain, à l'instant du départ,
on nous vole un filtre à charbon, des ustensiles de cui-
sine et quelques objets appartenant à nos hommes. Le
docteur se fâche et déclare au chef que, si le soir même
les objets volés ne nous sont pas rapportés à Sadlola,
où nous allons, nous retournerons sur nos pas pour
brûler son village et ses cultures. Le chef, tremblant
comme une feuille, s'excuse de son mieux et promet
d'employer tous ses efforts pour nous faire rendre les
objets dérobés.
'Nous quittons immédiatement le tata et, après une
demi-heure de marche à travers de fort belles cultures
de mil, nous arrivons à Sadîola, capitale du pays de
Niatidgu.
Le vol dont nous avions été victimes à Bouroukonet
était déjà connu des habitants de Sadîola qui ont une
peur atroce de nous voir arriver en ennemis.
-r- Bourokonet déshonore le pays et gale la route que
vous avez faite,'nous dit le chef de Sadîola; si les
hommes du village ne rendent pas ce qu'ils ont pris,
nous vous aiderons à les battre, mais il ne faut pas se
presser I
Chez le forgeron où nous logeons, nous sommes
l'objet de toutes sortes de prévenances. On craint tou-
jours do nous voir brûler les récoltes. Les palabres ne
cessent pas. Nos hommes sont enchantés de la perspec-
tive d'attaquer le village et disent aux habitants :
— Nous allons faire parler la poudre pour les gens
de Bouroukonet I
Mais le soir, quelques-uns des objets votés sont
apportés et l'on promet les autres pour le lendemain.
Effectivement, le lendemain, le chef de Bouroukonet
214 A TRAVBRS LE FOUTA-DIALLON

et douze notables du village viennent demander pardon


et rapportent le restant du larcin, moins un couteau
que l'on n'a pu retrouver.
Les habitants de Bouroukonet embrassenl la terre en
signe de soumission et le docteur accorde le pardon.
Le chef de Sadîola insiste pour que nous passions
avec lui un traité qui mette le Niatiaga sous le protec-
torat de la France, et ouvre ce pays à l'extraction et au
commerce de l'or. Le traité est rédigé et signé; Un
traité semblable est signé aussi avec le chef du petit
Sirimana.
Nous quittons Sadîola. A mi-chemin de ce Village, à
Farabakouta, nous visitons les mines d'or de Sadîola.
Sept puits d'environ six mètres de profondeur sont
reliés entre eux par des galeries souterraines ; des
piliers de bois soutiennent les terres pour éviter les
éboulements. Je descends dans les puits, à l'aide d'esca-
liers ménagés dans les parois, où l'on remarque très
bien les différentes couches d'argile tachetée de rose et
de blanc, ou d'argile couleur d'ocre. Dans la terre
extraite pendant la précédente exploitation, on re-
marque une substance crayeuse, semblable à du plâtre.
Tout proche de la mine, un puits, creusé dans u\e
roche ferrugineuse, produit l'eau nécessaire au lavage
du minerai.
D'après les renseignements fournis par les indigènes,
tous les territoires de Sadîola,.de Farabakouta el, de
Sirimana sont très riches en minerai aurifère.
Aprè3 une heure de marche, nous gravissons la pente
abrupte de la chaîne de Tambaoura, montagnes d'envi-
ron deux cents mètres de hauteur au-dessus du Siri-
mana. De ces sommets, nous voyons les plaines du
Bambouc, qui s'étendent, aussi loin que le regard peut
atteindre et dont la monotonie n'est rompue que par
quelques mamelons.
Nous marchons toute la journée sur un sol jonché de
LE PAY8 DE L'OR 215
roches el de broussailles, d'où émergent quelques
arbres énormes. A cinq heures du soir, nous bivaquons
au bord d'une mare, qui sert d'abreuvoir aux fauves,
seuls habitants" de celte solitude.
Pendant la nuit la fraîcheur est telle, que nous nous
groupons autour d'un feu pétilant. Le thermomètre
marque 13°, à cinq heures du malin. Au jour, nous
levons le camp. A midi, nous avons une chaleur de 3'6°.
La fièvre, qui semblait m'avoir abandonné, fait sa
réapparition el je subis un violent accès qui dure deux
-heures.*
Nous passons entre deux rochers de grès veinés de
rose, que leurs formes font ressembler à des sphinx. A
la nuit, nous campons près d'un marécage, où les san-
gliers ont tellement barboté que l'eau n'en est plus
potable.
Pendant celte dernière nuit passée dans les grandes
solitudes de l'Afrique, j'ai pu me convaincre une fois de
plus que, pris isolément, les nègres sont des poltrons.
Avant la nuit, un homme en quête d'eau potable avait
découvert une mare d'eau claire, perdue au milieu d'un
effondrement de rochers, à une faible dislance de notre
bivac. Chaque groupe avait fait sa provision pour la
nuit, mais les nègres ont une soif constante ; la provi-
sion est épuisée et aucun de ces messieurs ne veut en
aller chercher.
.En vain, j'ordonne à l'homme qui a trouvé la mare
d'aller quérir de l'eau pour la consommation, il répond
qu'il fait trop noir. Je lui propose de l'accompagner,
alors plusieurs hommes, complètement rassurés par la
présence d'un blanc, viennent avec moi, portant, pour
éclairer la marche, des tisons enflammés. Nous suivons
le lit desséché d'un torrent obstrué par de grosses
roches noires, parmi lesquelles poussent des arbres
tordus el rabougris, dont les formes étranges sont ren-
dues plus étranges encore par l'obscurité. En revenant
216 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON

au camp, des imprudents jettent leurs tisons à demi


éteints sur les herbes sèches et, une heuro après, nous
sommes enserrés dans un cercle de feu qui dure jus-
qu'au jour.
Enfin, à l'aube, nous commençons l'étape qui doit
terminer notre voyage. Le soleil fait scintiller les gout-
telettes de rosée accrochées à chaque brin d'herbe.
Nous suivons un sentier qui court sur le flanc de la
montagne, et d'où le coup d'oeil est magnifique. A nos
pieds s'étend la vallée du Sénégal à travers laquelle le
fleuve se déroule sans fin. Au delà, les montagnes de
Koniakary, profilent leurs formes noyées dans la brume
du matin.
A mesure que nous descendons, le paysage se dérobe
et, quand nous sommes dans la vallée, notre vue est
bornée par une végétation composée de hautes herbes
desséchées d'où s'élancent, çà et là, les squelettes d'ar-
bres dénudés, sur lesquels les merles caquettent avec
bruit.
Au delà d'un pli de terrain se montrent les premières
(races de civilisation européenne; le fil du télégraphe,
servant de perchoir à des oiseaux magnifiques, est sou-
tenu par des poteaux grossiers, qu'on a coupés dans la
brousse,
Enfin, le fort de Médine, dominant les cases de la
ville, se montre à notre vue. HélasI le pavillon jaune,
le pavillon de la quarantaine, a pris la place des cou-
leurs nationales et flotte au-dessus du poste.
Je ne sais quel sentiment s'empare de moi. Tout au
contraire du plaisir que je devrais ressentir en songeant
que bientôt je reverrai ma famille et mes amis, je suis
envahi par une grande tristesse et, jetant un regard eu
arrière, je regrette presque de voir si tôt se terminer
ce voyage qui cependant a été si pénible.
La misère, les fatigues, les privations que l'on}sup-
porte au milieu de populations simples, où l'hospitalité
LE PAYS DE L'OR 217
est la première des vertus, ne sont rien auprès de.s tri-
bulations de la vie civilisée.
Quant à nos hommes, ils sont ravis de voir la fin de
leurs fatigues; ils sont enchantés à l'idée que, le lende-
main, ils n'auront pas une charge pesante à porter sur
la tête, pendant les longues étapes quotidiennes. Ils
pensent qu'un bateau nous conduira bientôt à Saint-
Louis et ils expriment leur joie en brûlant les dernières
charges de poudre de la mission.
Le jeudi, 17 novembre, à midi, six moi3 après notre
départ de Boké, jour pour jour, nous entrons dans le
poste de Médine, au nombre de 66 hommes, dont deux
blancs, plus un mulet hors de service, un cheval dans le
même état et un âne qui a vaillamment gagné le prix de
sa location. M. le capitaine Combes, commandant de Mé-
dine, nous reçoit avec la plus franche cordialité et nous
fait immédiatement asseoir devant UQ excellent déjeu-
ner qui nous attend.
218 A TRAVERS LE FOUTA-DIALLON

Xl\

LE ROI DAMAS

Médine, qui hier encore était le point extrême de nos


possessions dans le Soudan, esl trop connu pour qu'il
soit nécessaire d'en faire une description. Il y a quelque
vingt ans qu'un homme d'une énergie peu commune,
l'illustre Paul Holl, commandant civil de Médine, à la
tête d'une poignée de braves, défendit héroïquement
celte place contre les forces considérables du prophète
toucouleur Héladji Omar.
Disons cependant, qu'à l'époque où nous ,nous
sommes trouvés à Médine, le commerce de cette station
réalisait des bénéfices considérables. Ainsi, une boite
d'allumettes de dix centimes se vendait cinquante cen-
times et un paqueide bougies coûtait cinq francs.
A notre arrivée, les officiers du poste s'informent de
nos besoins et M. Caltier a l'obligeance de remplir nos
poches de tabac et de cigares.
11 nous fallait arriver en un lieu civilisé pour voir le
LE ROI DAMAS 219
seul animal féroce que j'aie rencontré durant mon
voyage. Une jeune lionne, répondant au doux nom de
Louise, est attachée au pied d'un gros aibre qui om-
brage la cour du poste. Le commandant Combes, son
maître, m'invite k la caresser et je le fais sans danger
aucun, car celte lionne est douce comme une brebis.
Le docteur reçoit, de la part du colonel Borgnis-
Desbordes, commandant supérieur des travaux des
Kayes, un télégramme l'invitant à déjeuner pour le
lendemain. Je reçois également une invitation de
MM. Archinard el de Gasquet, capitaines d'artillerie. Le
18 novembre, au matin, nous partons pour Kayes, sta-
tion située sur le fleuve, à quatorze kilomètres en aval
de Médine. A dix heures, nous sommes auprès du co-
lonel Borgnis-Desbordes. Si courte que soit l'entrevue,
je la trouve encore trop longue tant j'ai hâte de voir
•mon excellent ami, le docteur Edouard Dupouy. •
Le docteur Dupouy, médecin de la co'onne Borgnis-
Desbordes, a fait les dernières campagnes du haut
Niger. Médecin du fort de Kita pendant l'année 1782, on
' luimétéorologie
doit des travaux intéressants sur le pays. Il a établi
la et la topographie médicale du Soudan.'
Il a créé un sanatorium sur le massif de Kita, où les
Européens peuvent rétablir leur santé compromise par
le climat. Cet établissement sanitaire a déjà donné
d'excellents -ésultals.
Par.une «. olion dont je les remercie, MM. Archi-
nard et de Gi. uet ont invité Dupouy à déjeuner. C'est
lui qui me prés», 'c à nos hôles. Le déjeuner est très
gai, je bavarde beaucoup et ces messieurs doivent
s'apercevoir à mon appétit qu'il y a longtemps que je
'n'ai fait un aussi bon repas.
Kayes n'est, en réalité, qu'un chantier de chemin de
fer en formation. Dix jours auparavant, une petile
armée composée de militaires et de civils, la plupart
échappés à la fièvre jaune, pâles, défaits, s'était
220 A TRAVBRB IB.FOUTA-DIALLON '
abattue sur ce point du fleuve, où il n'y avait rie:,
qu'un'petit groupe de cases. Déjà des habitations eu
terre çt des abris en toile sont construits, soldats el ou-
vriers peuvent s'abriter des rayons du soleil. Tel e-t
l'aspect de Kayes, le 18 novembre 1881.
Lorsque nous rentrons à Médine, nous apprenons la
mort de notre tirailleur Dimba-Eliman qui vient <ie
succomber des suites d'un érysipèle.
Le 19 au matin, nous enlerrons ce bravo soldat qui
comptait dix-huit ans de service dans les tirailleurs sé-
négalais et qui venait de mourir en touchant au port,
sans avoir pu embrasser sa femme et ses enfants. En
route, il s'était constitué notre gardien le plus Adèle ; il
couchait en travers de notre porte et poussait même le
dévouement jusqu'à nous accompagner quand, dans la
brousse, nous aimions à nous écarter du sentier.
— Pauvre Dimba I
En ra'entendant pousser celte exclamation, le fervent
Gibril Sangomar N'Dyaie s'écrie ;
— Nonl Dimba n'est pas pauvre! Il est fini. Ça
regarde pas nous! C'est Dieu qui est le maître !
Puissant fatalisme, cher à la race noire, qui fait de
quelques-uns des héros méprisant la mort, et des au-
tres des esclaves pleins de résignation.
Nous retournons à Kayes avec noire personnel le
22 novembre, et nous prenons la route de Bakel. Le
soir, nous couchons à Diakandiapé, grand village bâti
sur la rive gauche du Sénégal, où nous recevons l'hos-
pitalité chez un noir qui parle très bien le français. Eh
bien! après ce court séjour au milieu des blancs, nous
sommes heureux de reprendre l'existence passée. A
vivre isolé, on devient sauvage. Nous goûtons de nou-
veau cette indépendance absolue que nous aimons. Je
sens par moi-même les raisons pour lesquelles les ex-
plorateurs, malgré les fatigues et la misère, ne deman-
dent qu'à explorer sans cesse. J'éprouve ce désir et je
LB ROI DAMA8 221
que dorénavant il me sera pénible de vivre d'une
seoS
: autre existence.
Le 23 novembre, nous arrivons au village le Gore,
: résidence de Damas, dernier souverain Bambat a de la
famille des Massassis.
.
Damas était roi du Kaarla, puissant Etat situé sur
la rive gauche du Niger, quand le conquérant toucou-
leur Hadji-Omar l'a vaincu et s'est emparé de son ter-
ritoire.
Damas s'est réfugié, avec sa famille, sous la protec-
tion du gouvernement français, qui lui a donné un
territoire sur la rive gauche du Sénégal. Par deux fois,
le docteur Bayol, membre de la mission Galliéni, a
.visité ce monarque. C'est un ami pour ces Bambaras.
.

Aussi est-ce en amis que l'on nous reçoit et Damas nous


invite à rester un jour chez lui, afin de nous offrir un
taih-tam digne de nous.
Lorsque nous présentons nos respects à Damas, il
est assis sur une peau de lion, au milieu de quelques
membres de sa famille. Sa longue barbe blanche, ses
vêtements flottants, sa coiffure, calotte à deux pointes
ressemblant à un chapeau d'évêque, tout lui donne une
sidgulière dignité. Deux de ses petits enfants sont assis
devant lui. On le prendrait pour un patriarche des
lemps antiques, sans la pipe emmanchée au bout d'un
. long
tuyau qui ne quitte pas ses lèvres.
A ma grande surprise, les femmes assistent au
; palabre et prennent pari aux débats ; les attentions des
Bambaras pour le beau sexe me donnent d'eux une
fi excellente opinion.
Ou reste les Bambaras sonl gens de goût et tiennent
* la musique en grande estime. A la cour de Damas il y
;

| Vûrr conservatoire de musique. Deux professeurs sont


f chargés d'apprendre à jouer de la flûte, l'instrument
cher à cette race, aux jeunes gens qui embrassent la
{carrière musicale.
2J2 A TRAVERS LE FÛUTA-DIALLON •

Les Bambaras se distinguent des autres noirs par (rois


entailles parallèles qui sillonnentchaque joue depuis le
coin de l'oeil, jusqu'à la commissure des lèvres. Chez les
membres, do la famille royale, ces entailles se prolon-
gent jusque sous le menton où elles se rejoignent.
Elles résultent d'une opération pratiquée sur les enfants
eh bas âge, garçons ou filles, pour les habituer à souf-
frir.
La plupart des Bambaras sont athées. Si on leur
parle de Dieu, ils répondent qu'ils ne l'ont jamais vu et
ajoutent que la mort ne laisse rien derrière elle : on
enterre le cadavre, les vers le mangent et c'est fini.
* A la cour de Damas, une grande joie était réservée à
un homme de notre escorte. J'ai déjà parlé d'un Bam-
bara répondant au nom de Couli-Bari ; cet homme nous
avait été chaudement recommandé et s'était montré
très dévoué. Nous étions loin de supposer que nous
avions pour portefaix un prince, un vrai prince, issu
d'une grande famille royale. Couli-Bari était tout
_
simplement le neveu du roi Damas.
Dans son jeune âge, Couli-Bari avait été enlevé dans
une razzia faite par des Maures et emmené en captivité.
Il grandit dans l'esclavage et changea souvent de maître.
H vint à Rufisque à la suito d'un négociant maure, à
qui il faussa compagnie. Il était redevenu homme libre
depuis plusieurs apnées, quand il fit avec nous le
voyage du Foula. •»
A Gorè, ses cicatrices caractéristiques le font recon-
naître pour un prince Bambara. On le questionne,
mais il a oublié sa laogue maternelle et doit se servir
d'un interprète pour répondre. Sa surprise est immens;
en apprenant que Damas est son oncle ; il demande
immédiatement où est» sa mère; oh lui répond qu'elle
est morte ; mais on lui présente une jolie jeune fille en
disant : voilà ta soeur ! Complètement abasourdis par
un tel événement, ces deux jeunes gens se rogardent
' LB ROI DAMAS 223
•ans mot dire et de grosses larmes coulent sur leurs
joues.
« Embrasse-la! » dis-je à Couli-Bari; mais chez les
noirs on ne s'embrasse pas devant le monde et, se re-
gardant toujours, ils se contentent de pleurer.
-
Au pays des noirs, le coucher du soleil précède de
<
quelques instants seulement l'heure du plaisir. Les der-
t niers rayons de l'aslre du jour viennent à peine de dis-
paraître et déjà les tambourins et les trompes appellent
r les habitants à la fêle que Damas donne en notre hon-
neur. La nuit est splendide, des milliers d'étoiles scin-
1 tillent dans le paysage et les hautes murailles du tata
fi se profilent avec vigueur sur le ciel.
IU Un grand cercle formé par les habitants, tous assis
~
par terre, occupe le milieu de la place, devant le t dît
' royal. Damas s'est adossé contre la muraille de sa
maison et, accroupi sur une peau de lion, il fume sa
pipe et joue avec ses petits enfants.
Deux bougies de cire, longues de quatre-vingts centi-
mètres et grosses comme le pouce, sont allumées à
côté du monarque.
Les femmes de Damas sont assises à sa droite et
deux petits sièges nous sont réservés à sa gauche. En
> face du roi, à l'extrémité du cercle, se tient l'orcheslre,


composé de cinq tambours de différentes dimensions,
' d-j six trompes faites avec la corne du koba, de trois
;
flûtes et de deux petites guitares.
Damas articule une phrase qui signifie sans doute :
.
que la fête commence! et les instruments jouent l'ou-
;v; verture.
; v
Le docteur m'a souvent vanté les tams-tams bam-
' baras ; dans le Bambouc, j'ai assisté à ces danses plus
|. ou moins sauvages qu'exécutaient les femmes mal'inké ;
F mais nulle part je n'ai vu rien de semblable au ttm-tatn
7 que Damas nous offre. Ce ne sont plus des pas incohé-
rents comme da.m? le Bambouc ;c'esl un véritable baUet,
224 A TRAVERS LE FÔUTA-DIALLON
coupé en plusieurs parties : tragédie mimée et savam-
ment interprétée par de vrais artistes.
Le ror Damas a donc donné l'ordre de commencer.
Deux femmes voilées, accompagnées d'un joueur de
flûte, se détachant du groupe des musiciens, viennent
courtoisement saluer le roi, et retournent à leur place.
Puis, pendant que les tambourins battent une marche
lente, que les cornes lancent des notes mélancoliques,
les deux femmes Voilées entonnent une mélopée triste
et rythmée ; ensuite, précédées du joueur de flûte qui
soutient leur chant, elles font lentement el à pas déme-
surés le tour du cercle. Quand la phrase chant.ee est
achevée, la flûte joue une courte ritournelle puis re-
prend avec les chanteuses. Tout le temps que dure
cette scène, les assistants battent des mains pour mar-
quer la mesure.
On m'explique que ces femmes chantent la gloire des
vieux Massassis et excitent les jeunes guerriers à com-
battre les Toucouleurs, à les exterminer et à reprendre
possession du sol où dorment leurs pères. C'est le pré-
lude.
Cette scène est suivie d'une partie de trompe avec
accompagnement de tambourins ; puis un homme assis
à nos côtés se lève, saisit un fusil, salue le roi et entre
en scène. Alors un des assistants vient lui prendre sou
arme, par trois fois la lève en l'air et la lui rend. Celte
figure indique que c'est un fils de roi qui va danser.
Ce prince mime une scène tragique ; ses gestes sont
nobles, amples et gracieux. Le guerrier s'adresse à un
ennemi invisible ; il semble implorer le ciel pour en
obtenir la victoire et, avec des gestes menaçants, pro-
voquer un adversaire imaginaire. Le lutte s'engage, il
tient l'ennemi au bout de son long fusil... et le tue !

Enfin, l'acteur danse un pas plus majestueux encore


que les précédents et retourne à sa place.
Un intermède d'orchestre précède alors un griot qui
> LB ROI DAMAS 225
vient saluer-le mail». Le mouvement de l'orchestre, les
battements de mains se précipitent el l'artiste, un mime
comique, danse le pas de la victoire et de la joie qui
en résulte. Ce sontjtantôt des poses pleines d'orgueil,
tantôt des pirouettes, tantôt des sauts pleins de gaieté.
-Enfin, tournant obliquement sur lui-même, le danseur
valse comme une toupie d'Allemagne et ses pieds re-
tombent sur le sol avec une assurance parfaite. Il re-
gagne sa place et de nouveau les deux femmes voilées,
cette fois précédées de deux flûtistes, chantent des
stances.
L'ennemi est vaincu et exterminé, les rois Massassis
ont reconquis leur trône !
La fête se-termine par des intermèdes de danse et de
musique el ne prend fin que lorsque les, chandelles
s'éteignent.
Nous quittons Gorè le lendemain et le 28 novembre,
nous arrivons à Bakel, au grand plaisir de notre per-
sonnel qui voit enfin se terminer les longues marches
des jours précédents.
On ne peut jamais contenter tout le monde : pendant
que nos Ouolofs étaient heureux de parcourir la route
argileuse qui sépare Kayes de BakeI;JAbdoul-Bagui, un
des envoyés peulhs, depuis son enfance habitué à cou-
rir dans les montagnes du Fouta, nous disait :
Je suis trop fatigué, ici on ne peut pas marcher,

il n'y a pas de pierres I
Maigre les instances de M. Laude, le commandant du
cercle de Bakel, qui désirerait nous garder-quelques
jours, les eaux baissant rapidement, le 27 novembre
nous montons à bord du Médite où le capitaine,
M. Blanchard, te second M. Ordonneau et le mécanicien
sont, avec nous, les seuls Européens qui se trouvent à
bord. A peine sommes-nous en route qu'à un raille et
demi, en aval de Bakel, le navire s'échoue sur un banc
de sable. Les eaux sont déjà très basses.
16 *
226 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
Pendant dix-huit heures, le capitaine, le second et le
mécanicien travaillent quatre fois comme l'équipage,
exclusivement composé de noirs, et le lendemain matin
nous continuons notre route. Mais, six milles plus bas,
le Médine s'échoue de nouveau et, cette fois, pendant
trente-cinq heures.
Le navire dégagé, nous pouvons, malgré les obstacles
qui restent à franchir, descendre le Sénégal.
Nous voyons par centaines des caïmans énormes se
chauffer au soleil. Des bataillons innombrables d'oi-
seaux magnifiques évoluent dans les airs aveo un en-
semble parfait. Nous passons devant le fort de Malam,
devant la tour de Saldô et, le dimanche 4 décembre, à
l'heure du déjeuner, nous arrivons à Podor où le com-
mandant M. Carlhoux el le docteur, M. Léné, nous
invitent gracieusement à leur table.
Nous fûmes douloureusement impressionnés ce
jour-là.
- Abdoul-Bosco, le
jeune berger de Podor, était un
petit bonhomme bossu devant et derrière d'un naturel
très gai. Jl était le camarade de la garnison du poste ;
aussi, grâce aux libéralités des militaires, il portait un
costume cocasse, composé de la culotte indigène, d'une
vareuse de tirailleur et d'un képi d'artilleur.
Lors de notre arrivée au poste, Abdoul-Bosco sifflo-
tant entre ses dents" conduisait paître un Iroupeau et
M. Léné nous le présenta comme un chasseur de ser-
pents émérite.
Après déjeuner, nous retournions à bord et M. Léné
nous accompagnait, lorsque nous vîmes accourir le ber-
ger tenant à ses deux mains un serpent trigonocéphale.
Il ne pouvait plus parler; il avait été mordu aux lèvres.
Le conduire au poste, lui prodiguer les soins néces-
saires fut l'affaire d'un instant, mais tout était inutile,
les lèvres d'Abdoul étaient déjà plus grosses que le
pouce, sa tête avait doublé de volume et après uue
LB ROI DAMAS 227
heure d'agonie ce petit bossu, rendu plus difforme
encore par sa tête monstrueuse, luttant énergiquement
contre la mort, se leva d'un bond et retomba en pous-
sant le dernier soupir.
Les officiers de l'escadron de spahis cantonné h
Richard-Toi1 nous adressent à Podor, par le télégraphe,
une invitation à dtner pour le lendemain, 5 décembre.
Quoique partis dès le matin, nous ne pouvons nous
rendre à celte invitation. Un accident survenu à la ma-
chine du remorqueur nous oblige à mouiller à vingt
milles en amont de Richard-Toi I, près d'une immense
plaine, inondée quelques jours auparavant ; aussi le
nombre des moustiques qui bourdonnent à nos oreilles
est-il incalculable. Jamais je n'ai autant souffert des
piqûres de ces méchants insectes ; nous ne pouvons
dormir et nous passons la nuit à causer ou à nous
gratter simultanément.
Dès la pointe du jour, nous sommes en état de conti-
nuer notre route et, à dix heures, nous arrivons en vue
de Richard-Toll. Le Médine siffle et, peu d'instants
après, une embarcation, portant à l'arrière le fanion
des spahis, descend le cours de la Tawoué pour venir
se ranger le long du bord. Combien nous sommes heu-
reux d'embrasser MM. Dupré, Burq et Rouy, gais com-
pagnons de traversée dont nous avions peur d'apprendre
la mort, causée par la fièvre jaune.
Un quart d'heure après, nous débarquons devant le
château.
Nous sommes reçus d'une façon splendide ; nous
restons à table pendant quatre heures... et quel dé-
jeuner 11
On fait aux envoyés peulhs les honneurs de RicharJ-
Toîl et de son magnifique parc, où, grâce au voisinage
de la Tawoué et du Sénégal, la végétation est toujours
verte. Malheureusement ce beau séjour, inondé une
partie de l'année, n'est pas très salubre.
228 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
Comme il n'est si bonne société qui ne se sépare,
nous regagnons le Médine àonzo heures dû soir. On lève
l'ancre immédiatement et, le lendemain, 7 décembre,
à onze heures du matin, nous sommes en rade de
Saint-Louis.
La ville est triste ; on y voit peu d'Européens. Saint-
Louis est en quarantaine.
Le 20 nous allions à Dakar pour prendre le courrier
de France qui nous ramènera à Bordeaux, où nous de-
vions arriver le 4 janvier 1882.
LA"D'AN'8B E.T LA MU8IQUB Atf SQyDAN 229

XX

LA DAXSB ET LA UUSIQUK AU SOUDAN

On a vu au courant de ce récit combien les noirs du


Soudan chérissent la musique et (a danse.
K Dès le coucher du soleil, toute l'Afrique. danse... »
ditGolbefy.
Cela est absolument exact. Quelques peuplades
même, comme les Malin'ké du Bambouc, n'attendent
pas que l'astre du jour ait disparu derrière l'horizon
pour prendre leurs.ébats chorégraphiques; à l'ombre
des gigantesques fromagers, il y a bal le matin et
l'après-midi.
Chez les noirs musulmans, la danse n'est pratiquée
3ne par les dames et les griots, tandis, qu'au contraire,
ans çeriaines tribus fétichistes, depuis les princes jus-
qu'au dernier des captifs, tout le monde peut y prendre
part.
Nousafoûs vu, dans les différentes contrées où nous
sommes passés, les jeunes filles parées de leur mieux,
230 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON '

se réunir le soir et entourer les tambourinaires nègres.


Nous avons vu d'abord lés jeunes vierges Landoumans
danser toute une nuit au rythme des tam-tams. Puis,
au Foula, plus rien, pas la moindre réjouissance. En
vain chaque jour j'espérais qu'au village prochain on se
divertirait un peu. Non! l'austérité religieuse des Fou-
lahs condamne la danse comme chose inventée par le
diable pour pervertir la jeunesse. La prohibition des
marabouts s'étend même à certains instruments de
«musique. Un griot qui jouerait du kora (harpe man-
dingue) ou du balafon (sorte de xylophone) serait puni
de mort.
Au Fouta, le calme du soir n'est troublé que par les
YOÏX aiguës des enfanls qui, rangés autour d'un grand
feu, assistent à l'école, ou bieu par les appels du mm-
Jtelin — Allah Cobar lai allaht — lorsque l'heure de la
prière du soir a sonné.
Point de réunions bruyantes; on vit chez soi, en
famille, où l'on écoute les récits d'un conteur dont les
gestes expressifs provoquent, dans l'auditoire, tantôt la
terreur, tantôt le rire. Si l'on fait de la musique, c'est
presque exclusivement dans la*case des Porton'ké
(hommes du pays blanc).
Souvent les réunions étaient nombreuses dans noire
demeure. Les griots s'y donnaient rendez-vous et les
moins timides de nos voisins, sachant que nous accueil-
lions tout le monde aveo bonté, profitaient de l'occa-
sion pour venir entendre un peu de musique natio-
nale.
En quittant les hauts plateaux du Fouta, lorsque l'on
entre dans le Niocolo, dernière annexion des Peulhs,
l'on est déjà à cinq cents kilomètres de la capitale,
bien loin de l'oeil des gouvernants; aussi les danses
réapparaissent. Quoique fervent musulman, le chef de
Kédougou-Tata n'oserait pas interdire absolument le
plaisir, car il aurait contre lui tous ses administrés,
LA DANSE ET LA MUSIQUE AU SOUDAN 231
qui, peut-être, appelleraient à eux les gaies populations
de la rive droite de la Gambie.
Les jeunes filles de Mamakono'ne se privent pas du
bonheur de danser. Au moindre appel du tambour, elles
accourent sur la grande place et le bal commence pour
ne se terminer que fort tard.
Dans le Bambouc, il n'est pas un village, si petit
qu'il soit, où l'on ne fasse tam-tam. Pas de restrictions,
le plaisir est complet. Plus il y a de tambourins, de
cloches en fer, plus le bal est brillant et toute la jeu-
nesse est à son poste.
Les filles, rangées comme des militaires sur deux et
trois files, battent des mains et chantent pour marquer
la mesure aux danseuses, tandis que les jeunes hommes
circulent dans la foule, font la cour aux belles, et que
les vieillards, accroupis près du foyer qui éclaire la fête,
regardent avec passion les ébats de cette jeunesse.
Prises dans leur ensemble, les danses, chez les diffé-
rentes races de la côte occidentale d'Afrique, se res-
semblent beaucoup. En général, c'est plutôt un trem-
blement du corps tout entier qu'un pas proprement dit.
H semble que les jeunes négresses s'appliquent à re-
muer les jambes le moins possible, et l'habileté pour
la danseuse consiste à parcourir le diamètre du cercle
formé par les spectateurs, en glissant sur le sol par de
nombreuses saccades.
Cependant, dans certains villages, j'ai vu des femmes
danser un pas tout différent de ceux qui sont générale-
ment pratiqués. A voir l'enthousiasme qu'elles exci-
taient, les ovations dont elles étaient l'objet, il élait à
supposer que ces femmes devaient être des sujets d'élite
qui rompaient avec les traditions. Tantôt c'étaient deux
jeûnes filles aux formes élégantes qui, la tête haute, le
torse rejeté en arrière, le jarret tendu, tout en faisant
tournoyer des écharpes qu'elles tenaient de chaque
main, dansaient un pas savant où les pieds, suivant le
232 A TRAVBR8 LBIFOUTA-DIALLON

rythme précipitô.des tambours, touchaient alternative-


ment le sol delà pointe et du talon. D'autres fois, une,
deux,* trois jeunes filles, entraient dans le cercle en
tournant sur un mouvement de valse rapide dont le pas
élait aussi régulier que le nôtre.
Quant au pas dit « danse des chefs » el exclusive-
ment dansé par des guerriers, c'esl plutôt une fantasia
à pied qu'une danse proprement dite. Le danseur salue,
jongle avec ses armes, fait le simulacre de tirer de
l'arc, de lancer la sagaie ou de meilre en joue un en-
nemi imaginaire.
En général, les noirs qui pratiquent le métier des
armes sont élégants de formes et empreints d'une cer-
taine distinction. Le pas des chefs.s'en ressent et ne
manque pas de grâce.
De toutes les danses en honneur dans la Sénégambh?,
la plus curieuse, celle qui surprend le plus les Euro-
péens est sans contredit Yadamalice foubine, celte.danse
si chère aux Ouolofs de Saint-Louis.
La première fois que l'on voit ce pas, les moins pu-
ritains en sont presque scandalisés. Et puis, est-ce le
milieu dans lequel on se trouve qui en est cause? pro-
gressivement, à mesure que le pas se déroule, le pre-
mier mouvement de surprise disparaît, et on se prend
à admirer les poses plastiques des danseurs.
Les tambours exécutent un roulement précipité ;*les
femmes qui composent le premier rang du cercle,
qù lquesunes portant un enfant à cheval sur leurs
reins, battent vigoureusement des mains, portent la
fêle en avant, et, riboulant des yeux où brille le
plaisir, ouvrant la bouche et montrant deux rangées de
dents magnifiques, elles excitent les danseurs de la
voix en répétant toutes en mesure :
A la damalice Foubinet a ta damalice Foubine.'!
Je l'ai déjà dit, la musique est réservée exclusivement
aux griots. Cependant nous avons vu le fils da'chef de
S ' LA DANSB BT LA MUSIQUE AU SOUDAN 233
Marogou, malgré sa haute naissance,- battre du tam-
tam, jouer du kora, danser, se. faire l'organisateur de
toutes les fêtes; mais c'est une exception.
.
La musique exerce un ascendant aussi grand que la
danse sur la généralité des noirs. Dès qu'un griot pince
les cordes de sa guitare, il est immédiatement entouré
d'une foule silencieuse et attentive. Seulement, les mu-
siciens nègres ne font pas de.l'art pour l'art, mais bien
' pour exploiter le public. Avant d'être artiste, le griot
est courtisan et hâbleur : selon le prix qu'on y met, il
vous attribue les qualités les plus exquises. En cela,
du reste, les griots noirs ont beaucoup d'imitateurs
parmi la race blanche.
Entait de musique, le3 nègres semblent rechercher
surtout le bruit : aussi'tiennent-ils le tambour appelé
tam-tam en grand honneur. Cet instrument, qui varie
de formes et de dimensions à l'infini, se compose le
plus communément d'un tronc d'arbre creusé el recou-
vert d'une peau de boeuf soigneusement tendue et fixée
à Ja paroi extérieure du tambour soit par des lanières
en cuir, soit par des chevilles en bois.
Chez les Peulhs, dans toute l'étendue du Fouta-DiaJ-
lon, l& tam-tam a une forme unique. H se compose d'une
demi-sphère creuse, en bois de fromager, qui atteint
jusqu'à un mètre de diamètre, laquelle est recouverte
d'une peau de boeuf fortement tendue à l'aide de lanières
qui viennent toutes se serrer au pôle de la demi-sphère.
Ce tam-tam se nomme tabala (tambour de guerre), il
n'en existe qu'un par village; il est toujours accroché
dans la case du chef et semble être l'insigne du com-
mandement. En marche, ce tambour, dont on ne peut
battre que sur un ordre spécial, est porté par deux
hommes, tandis qu'un troisième frappe dessus à l'aide
de deux boules en caoutchouc attachées aux extrémités
d'une corde en cuir de boeuf. Dans l'armée peulh, por-
234 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON'
teurs et batteurs de tabala sont des fonctionnaires au
même titre que le portç-étendard, - "

Très sonore, le tabala s'entend à de grandes dislances


à douze ou quinze kilomètres. Lorsque le souverain

f ait battre le tabala pour la guerre, de village en village,
son appel ne tarde pas à se faire entendre jusqu'aux
frontières du pays el les guerriers font leurs préparatifs
de départ. - .
Comme notre tambour, le tabala a différentes batte-
ries. L'appel aux armes, la charge, la marche des guer-
riers, la marche du souverain ou d'un haut fonction-
naire, etc. De plus, il y a une batterie spéciale pour
appeler les habitants d'un village aux travaux des
champs et pour annoncer la mort de quelqu'un, qu'on
apprend par trois coups également distancés
On voit encore le tabala accroché dans la case des
chefs du Niocolo. Mais au delà de la Gambie, dans le
Bambouc et sur les bords du Sénégal, on n'en voit plus
du tout : il est remplacé par les tam-tams, qui servent
communément pour la guerre et pour le plaisir. Les
uns sont formés d'un tronc d'arbre grossièrement tra-
vaillé de quarante centimètres de diamètre et desoixante
de longueur, dont les deux extrémités sont garnies de
peaux rattachées entre elles par des cordes pour les
tendre à volonté.
Les autres se composent simplement d'un tronc d'ar-
bre creusé, monté sur trois pieds, débité en plein bois
et recouvert d'une peau fixée par des chevilles. Il y en a
aussi qui ont la forme d'un mortier à piler; d'autres
ressemblent à une batte à beurre. On voit encore de
petits tambourins qui n'ont pas plus de quinze centi-
mètres de diamètre et vingt-cinq de longueur, dont les
extrémités sont plus larges que le milieu et dont les
deux peaux sont reliées par des cordes en boyau.
On porte ces tambours sous le bras; en exerçant une
^r>'; " LA DANSE ET LA MUSIQUE AU SOUDAN 235
:

pression sur les cordes, on tend plus ou moius les peaux


et l'on obtient des sons différents.
*
Enfin, dans les orchestres nègres,les tam-jYwjj tiennent
la première place et, à Saint-Louis, fréquemment, pour
exciter les noirs employés à décharger les navires, deux
ou trois griots battent du tam-tam pendant tout le temps
que dure le déchargement.
-
Ensuite, les instruments de musique les plus usités
dans le Soudan occidental sont la petite guitare, le bala-
fon, le kora et la flûte des Bambaras.
La guitare indigène que oes Peulhs appellent kodowo-
gaoulo (musique de griot) est en usage dans toute la
Sénégambie. Cet instrument, qui ressemble beaucoup
' plus, comme forme, à une mandoline qu'à une guitare,
se compose :
1° D'un corps sonore creusé dans un seul morceau de
bois léger de quarante centimètres de longueur, dix de
largeur, six de profondeur, qui ressemble à la coque
d'un petit bateau d'enfant;
2° D'un manche fait avec une branche d'arbre, de
deux centimètres de diamètre sur soixante-dix de lon-
- gueur, qui ne dépasse le corps sonore que de quarante
centimètres seulement. La partie du manche enfermée
dans le corps sonore porte à son extrémité un chevalet
destiné à maintenir les cordes;
3o D'une peau de mouton fortement tendue, fixée à la
paroi extérieure du corps sonore par des chevilles, qui
lient lieu de table d'harmonie. Une ouverture prati-
quée dans cette peau laisse passer le chevalet.
On monte le kodouo avec quatre cordes en crins de
cheval tressés, fixées au manche par des attaches en
Cuir. Deux de ces corJes vont presque jusqu'à l'extré-
mité du manche et sont touchées comme celles du vio-
lon ; ce sont les cordes chanteuses ; les deux autres plus
courtes dépassent de 1res peu la table d'harmonie et ne
s ervent qu'à l'accompagnement ; elles ne rendent qu'un
236 VA TRAVERS LB. FOUTA-DMLLON. ' V
son. Pour compléter le kodouxr, on fixe à l'extrémité du
manche une petite plaque en fer très mince, garnie
d'anneaux-qui, lorsqu'on pince les cordes, rendent un
son métallique. '
Je ne crois pas qu'il existe de règles pour accorder
cette guitare, chacun l'accorde à sa façon. J'ai eu beau-
coup de ces instruments entre les mains, je n'en ai pas
trouvé deux dans le même ton. Du reste, il est très rare
de rencontrer deux guitares exactement pareilles : le
ipanche est plus long ou plus court, le corps sonore suit
les m/mes proportions et par cela même les cordes
varient également de longueur.
Pour pincer du kodowo, le griot lient son instrument
à peu près comme nos guitaristes tiennent le leur. Les
quatre doigts de la main gauche touchent les cordes
longues ; le médium de la main droite, armé d'un mor-
ceau de corne, gratte les cordes, pendant que lei autres
doigts frappent sur la table d'harmonie et produisent
comme un battement de tambour.
Le balafon ressemble beaucoup au xylophone; seule-
ment les lames de bois qui produisent les sons, au lieu
d'être montées sur des rouleaux de paille, sont posées
sur des gourdes de différentes grosseurs afin de pro-
duire des sons plus forts. Les balafons ne sont pas tou-
jours d'égales dimensions; ils varient de une à deux
octaves. Lestâmes de bois rendent assez bien les sons
de la gamme, et avec un peu de bonne volonté on y
trouve même deux demi-tons. "
Comme le xylophone, le balafon se joue avec deux
baguettes de bois, et,*pour faire plus de bruit, le musi-
cien a les mains armées d'une manique semblable à
celle des cordonniers, dont la partie supérieure est re-
couverte d'une plaque en fer garnie d'anneaux.
Certains griots jouent du balafon avec une grande
habileté; il est surtout en usage chez les Nallous, les
Sousous et les Landoumans; mais il est proscrit chez les
^T*',L LA DANSE ET LA MUSIQUE AU SOUDAN 237
Peulh?, comme un instrument de musique réprouvé
par Dieu. Au Fouta, il est interdit d'en jouer sous peine
de mort
Le kora (harpe mandfngue) est formé d'une demi-
calebasse d'assez grandes dimensions — vingt-cinq à
trente centimètres de diamètre — recouverte d'une
peau de mouton fortement tendue et surmontée-d'un
manche, légèrement recourbé en avant, d'un mètre de
longueur el terminé par une plaque métallique. Un
chevalet, qui diffère de longueur selon le nombre de
cordes que contient l'instrument, est fixé au centre de
la table d'harmonie.
Une ouverture de dix centimètres carrés est pratiquée
sur le côté de la calebasse. Le kora se monte avec six,
huit, dix, douze ou seize cordes'en boyau. Ces cordes,
loutes d'inégales longueurs, ne produisent qu'un son et
sont fixées au manche par des attaches en cuir qui
tiennent* lieu de clefs.
Pour jouer du Kora, le musicien porte I instrument à
la hauteur de l'estomac et le maintient avec les pouces
et les petits doigts, tandis que les autres pincent les
cordes. Il n'existe pas plus de règle pour son accord
que pour celui de la guitare. Le kora rend des sons
nourris e} très agréables. Les Peulhs en interdisent
l'usage.
La flûte des Bambaras est très simple, un bambou
de quarante centimètres de long, fermé aux deux extré-
mités et percé de cinq .trous ; c'est tout. Elle produit
des* sons aussi beaux, aussi harmonieux que ceux de
noire flûte. Les griots Bambaras tirent un grand parti
de cet instrument. Pour eux, jouer de la flûte est un art
auquel on dresse des jeunes gens.
Outre les Instruments précités, les nègres ont aussi la"
trompe Ouassoulou, sorte de cornet à bouquin, des
cloches en fer de différentes grosseurs, et des casta-
gnettes formées de deux fruits séchés el vidés, dans les-
238 A TRAVERS LB F0UTA-D1ALL0N %

quels on enferme quelques cailloux reliés ensemble par


une courte ficelle.
Au risque de taire rire, je dirai qu'à l'aide d'instru-
ments semblables, les nègres sont susceptibles de faire
de la musique harmonieuse. L'étranger est surpris, en
entendant les phrases musicales des griots, du rapport
qu'elles ont' avec notre musique. Il est vrai qu'il fau t
tenir compte de l'exagération que l'on apporte en ap-
préciait tout ce qui est nouveau et ce que d'avance on
est convenu de trouver extraordinaire.
filais, précisément à cause de ce sentiment, la sur-
prise est d'autant plus grande qu'il semble que l'on a
toujours entendu les airs des musiciens nègres. Dé-
pouillé de l'accompagnement parfois trop discordant
qui lui donne un caractère barbare, tel air semble
avoir été détaché d'une gigue anglaise, tandis que tel
autre rappelle un refrain de vaudeville.
Il faut, cependant, faire une exception pour les
phrases lentes et monotones que chantent les jeunes
filles, en accompagnant les danseuses, et pour les airs
jdués sur la flûte bambara. Ici, on retrouve le côté
sauvage de, la musique, la mélopée inspirée par la vie
patriarcale des noirs. Généralement, ces phrases mu-
sicales se répètent à l'infini et sont jouées ou chantées
sur un mouvement lent et empreint d'un caractère
triste.
Au Fouta, dans le Bambouc, lorsque dans l'espoir
d'obtenir quelques cadeaux les griots nous régalaient
d'un peu de musique, j'ai été surpris plus d'une fois de la
ressemblance de leurs airs avec les nôtres et je pensais
que ces chanteurs avaient dû habiter les côtes où ils
avaient retenu à leur façon quelques fragments de mu-
sique européenne. Mais non, aucun de ces griots n'a-
vait été chez les blancs de Saint-Louis. Malgré mon
élonnement, j'allais en conclure que la musique nègre
tf?r\'' :"' 1À DANSE ET LA MUSIQUE AU SOUDAN 239
-et la musique française ont quelque parenté, lorsqu'on
^arrivant à Médine, je revins de mon erreur.
,i Médine possède un griot, de quelque talent, qu'une
/infirmité a fait surnommer Tortillard. Ce nègre, qui
connaissait le docteur, vint nous faire visite el nous fit
* entendre des chants nouveaux que lui avaient appris
i les officiers européens du poste. C'étaient de3 refrains
de troupiers : En avant la rigolade... La cantinière a djes
souliers, etc., et des sonneries militaires qu'il jouait, en
les dénaturant quelque peu, sur la guitare indigène.
• — Ce soir, je vais à Kayes pour faire de la musique
*
adx Marocains, nous dit-il; je joue Nigovsse, les Maro-
~ cains aiment bien
ca, ils disent crue c'est même mu-
sique qu'au Maroc.
g Et il nous chante, dans un français impossible et en
pinç&nt de la guitare, un air où effectivement on pou-
vait reconnaître le refrain breton Ann'fni gooz.
Dès lors mon opinion a été faite et je crois que les
orjrues de barbarie, les boites à musique, offertes en
présent par les voyageurs a"X habitants de l'intérieur,
sont pour beaucoup dans le développement de l'art mu-
sical chez les nègres.
Nous avons laissé au Fouta deux boites à musique de
grande dimension qui jouaient plusieurs refrains d'o-
pérettes, entre autres la Polka du Colonel, chantée par
madame Judic dans la Femme à papa, qui eut tant de
succès chez les habitants du Foula. Il n'y aurait rien de
surprenant à ce que, du cylindre de la boite à musique,
l'air de M. Hervé passât sur la guitare des griots et que
les Européens, explorant un jour le bassin du Niger,
entendissent le refrain connu de la Polka du Colonel
.
appelée par les noirs Lamdo poulhiou amdé (la danse du
chef à cheval).
240 iA A TRÂVBRS LB iFOUTA^DIALtON'

CONCLUSION

Le Foula-Diallon est compris entre le 9° el le 13° 30"


de latitude nord et le 16« et le ti° de longitude ouest.
Pour les Foulahs, le Foula s'étend jusqu'à la mer,
en réalité il n'en est pas ainsi. Les populations Landou-
mans, Soussous, Nallous, etc., qui habitent le littoral,
paient un tribut aux Peulhs, il est vrai, mais leur terri-
toire est bien à eux.
Grâce a son altitude élevée,le Foula jouit d'un climat
' tempéré et relativement très sain. Les observations
thermométriques n'ont jamais indiqué plus de 30° cen-
ligrades et le plus souvent le thermomètre se mainte-
. nait entre 20° et 28°. C'est donc
une chaleur très sup-
portable et les Européens peuvent vivre dans ces sites
magnifiques sans courir les dangers quo l'on rencontre
au Sénégal et dans le voisinage do la côte.
Les fleuves Sénégal, NigeruGambie, Rio-Grande, Ka-
krima, Falémée et tant d'autres moins importants
prennent tous leur source sur les hauts plateaux du
Fouta, Un nombre considérable de petits cours d'eau,
affluents des grandes artères, arrosent le pays et sont
If; CONCLUSION - ' 241
les. causes de sa végétation vivacê et de sa grande fer-
tilité.
L'hivernage, ou plutôt la saison des pluies, dure sept
mois.
La flore est plus riche en arbres de haute futaie
.
qu'en plantes herbacées. On rencontre très peu de fleurs
des champs, mais de hautes herbes à grosses tiges re-
couvrent les parties de terrain non cultivées.
Les forêts produisent beaucoup d'essences de bois
propres à l'ameublement et à la construction.
Les principaux arbres du pays sont le kail-cédral
fkaya senegalensis), le fromager (bombax caiba), le timmé,
ie.lhéli, arbre dont l'écorce est un poison violent; le
boulémi, le tamarinier, dont le fruit a des qualités mé-
dicinales; le karité, arbre à beurre (bassia parki),le
baobab (andansonia digitata), le houle, dont le fruit en
forme de cosse de haricot contient une farine jaune
très nourrissante : le tchiêké, variété d'acacia, etc.
Le caoutchouc y est très abondant. Toutes les variétés
de palmiers sont représentées. Les orangers, les citron-
niers, les bananiers, les papayers sont des arbres de
luxe que l'on ne rencontre pas à l'état sauvage. De nom-
breux arbres fruitiers sauvages poussent dan3 la brousse.
Quant aux caféiers, on n'en trouve que dans le Bam-
baya et sur le Fatala, ce qui pourrait faire supposer
que cet arbuste a été importé par des Européens qui
avaient établi des plantations à une faible distance de
la côle. Par malheur, les indigènes n'en prennent pas
un grand soin. Les purguères (épurges), dont la graine
oléagineuse est si recherchée, entourent toutes les pro-
priétés. Enfin, la vigne se trouve partout ; mais les
Peulhs, qui appellent celle plante poudé liolli (graine
d'oiseaux), n'en tirent aucun parti.
La vigne du Soudan est une espèce de vigne tubercu-
leuse. La racine est vivace, mais les sarments meurent
annuellement et se détachent de la racine au ras du
18
242 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON
sol. Sur le même sarment on peut voir des feuilles al-
ternes et opposées, assez semblables à celles de notre
vigne. Les grappes de raisins acquièrent différentesgros-
seurs et peuvent atteindre le poids de 500 grammes ;
les grains sont noirs, de forme allongée et ont une
pulpe très épaisse, le goût en est un peu amer, les pé-
pins sont très gros. Les antilopes et les oiseaux sont,
paralt-il, très friands de ces grains de raisin el en font
qne grande consommation. -
Les produits cultivés sont : le riz; le fognié, petite
graminée, ressemblant au tapioca, qui constitue un
excellent aliment; les arachides, le sésame, etc. Mais à
part les arachides qui sont l'objet d'une grande culture
en vue de l'exportation, les autres produits ne sont
guère cultivés que pour le3 besoins du pays.
On y trouve également des patates, des oignons (so-
blés), des haricots (niébés), du manioc, etc.
Sans avoir de grandes connaissances agricoles, il est
facile de se rendre compte que bien des produits des
régions tempérées s'acclimateraient au Fouta.
La faune comprend d.s lions, des léopards, des cha-
cals, des hyènes, beaucoup de singes. On y trouve aussi
des oiseaux magnifiques, des perdrix, des pintades et
der lièvres. En revanche, ce qu'il y a de fourmis de
toutes espèces et de toutes dimensions, est effrayant.
On pourrait croire que toutes les fourmis de la création
se sont donné rendez-vous dans ces pays. Cependant la
culture doit les détruire, car si on rencontre fréquem-
ment dans la brousse des amas de terre ressemblant à
des huttes, ouvrages des termites, ou fourmis blanches ;
dans les terrains cultivés on n'en voit pas du tout.
Presque tout le commerce des rivières du Sud et de
Sierra-Leone se fait avec le Foula ou par le Foula ; il
porte principalement sur le caoutchouc, les amandes
de palmes,Je gingembre, le kola, le coton, le café, les
arachides, le sésame; tes peaux brutes de boeuf, de
;.' CONCLUSION 243
panthère, de singe noir; les défenses d'éléphants, la
cire et enfin l'or. Tous ces produits sont apportés par
les caravanes qui viennent quelquefois de" très loin.
Certaines'même venant du Ouassoulou, pays situé sur
la rive droite du Niger, accaparent l'or du Bourré et
apportent tous ces produits, surtout l'ivoire et l'or, aux
comptoirs européens où elles les échangent contre des
produits de notre fabrication et du sel.
Il est aisé de voir par ce qui précède que tous ces
produits du sol pourraient être plus importants. Les
arbres à caoutchouc, les caféiers, cultivés, soignés* par
des Européens, se multiplieraient à l'infii i et devien-
draient une grande source de richesses, les troupeaux
de boeufs considérables déjà s'accroîtraient encore. La
culture du tabac donnerait d'excellents résultats. On
se rend parfaitement compte du développement que ce
pays peut atteindre avec l'aide du commerce et de la
colonisation.
Le Fouta-Diallon est donc merveilleusement placé
pour devenir une florissante colonie, où l'excédent de
nos forces pourra s'épancher librement. Les colons qui
iraient peupler ce pays, non seulement y trouveraient
le nécessaire, mais même le superflu. Avec du courage,
du travail el de l'énergie, les déshérités de la vieille
Europe pourraient se créer des ressources multiples en
cultivant les fertiles terres du Fouta.
Malheureusement, la population du Fouta-Diallon est
d'une faible densité. En cherchant bien, on n'y trouve-
rail pas un million d'habitants, et ce territoire est grand
comme la Fiance.
Des sentiers relient les villages les uns aux autres el
suffisent aux besoins des habitants; mais, si les Fou-
lahs se servenl un jour d'outils aratoires et de chariots,
les moyens de communication s'agrandiront, se multi-
plieront, des roules convenables seront créées.
Un traité lie !e Fouta-Diallon à la France ; il autorise
244 A TRAVBRS LB FOUTA-DIALLON

nos concitoyens à y établir desi comptoirs et à cultiver


le sol. Pourtant il ne faudrait pas pour cela conclure
que nous n/avons qu'à nous y installer tranquillement
comme nous irions le faire dans quelque coin perdu
d'un département français.
On l'a vu au courant de ce livre, le Peulh est sociable,
hospitalier, d'un commerce facile avec les blancs ; mais,
comme tous les peuples primitifs, il est défiant à l'excès,
et, par défiance, il pourrait quelquefois se livrer à des
tracasseries fort gênantes. Il sera donc nécessaire, le
jour'où nos nationaux iront s'installer au Fouta, que
notre gouvernement se fasse officiellement représenter,
près de la cour de Timbo, par un commissaire chargé
de régler les différends qui pourraient survenir entre les
colons et les naturels. A cette condition, étant donné
le caractère des Peulhs, on peut se porter garant du
succès.

Le Bambouc, autrefois grand pays homogène, est au-


jourd'hui morcelé en petits Etats indépendants. S'il
n'offre pas les mêmes conditions de salubrité que le
Fouta-Diallon, ce n'en est pas moins un pays d'avenir.
Le Bambouc n'est ni plus ni moins sain que le haut
Sénégal. Lorsque la voie ferrée qui doit relier le Séhé-
gal au Niger sera construite, si l'on tente des essais de
colonisation dans celle contrée, il n'y a point de raison
pour que l'on n'exploite pas le Bambouc.
Ce pays recèle des produits agricoles en quantité : riz,
mil, mais, fogné, coton, arachiJes, tabac, bois de tein-
ture, etc., etc. De plus, l'or y est très abondant et de-
viendra l'objet d'une grande exploitation. Sans trop
s'avancer on peut dire que, de la Gambie à la chaîne
du Tambaoura, dans tout le bassin de la Falémée, en
"245
^ CONCLUSION
-* quelque endroit du sol que l'on pratique des fouilles,
"*' on y trouvera de l'or.
Tous les explorateurs qui, depuis Compagnon jus-
,qu'à-nos jours,
se sont succédé au Bambouc, nous ont
représenté ce pays comme le plus malsain que l'on
puisse habiter. Il y a là beaucoup d'exagération.
Le Bambouc est un pays généralement plat; çà et là
quelques mamelons de peu de hauteur rompent seuls
la monotonie du paysage. Une unique chaîne de monta-
gnes arides sépare ce pays de nos possessions du Séné-,
gai. C'est la chaîne du Tambaoura, plateau de [deux
cents à deux cent cinquante mètres de relief au-dessus
du fleuve et qui a environ soixante-dix kilomètres de
largeur.
H sera donc très facile de Bakel, de Kayes, de Mé-
dine ou de Bafoulabé de se rendre au Bambouc. Au
pied de la chaîne du Tambaoura, on trouve les mines
d'or de Sirimana et de Sadiola. La création de roules
-
carrossables n'offrirait aucune difficulté, puisque le sol
est le plus souvent plat. Mais en tout cas, le Bambouc
est desservi par une voie, naturelle d'une importance
capitale : je veux parler de la rivière Falémée.
La Falémée, ou Faléma, le plus grand affluent du
Sénégal, prend sa source au Fouta-Diallon sur le pla-
teau du Labé. Elle arrose le Bambouc qu'elle sépare du
Boundou el se jette dans le Ûeuve Sénégal à vingt
kilomètres en amont de Bakel. Elle n'est pas navi-
gable toute l'année pour les navires à vapeur; mais
pendant la saison des hautes eaux, les avisos de la
station de Saint-Louis remontent jusqu'à Sénoudébou.
En 1859, le Griffon, aviso à roues, remonta même
jusqu'à Farabana. Au delà de ce point, cette rivière est
pour ainsi dire inconnue.
A Guéséba, où nous avons traversé la Falémée, elle
n'a pas moins de cent cinquante mètres de largeur et
elle est »rès profonde. Il est vrai que quelques roches
246 *' À TRAVERS'LB FOUTA-DIALLON'
. '.
se.montrent au milieu du fleuve, en face du village
même, mais pas. de façon à empêcher la navigation.
Guéséba, Farenkounda, Kérékoto sont des points où
l'orest trèï commun; déplus, il est facile de se rendre,
même actuellement, à l'aide dé chariots, de ces points
aux villages de l'intérieur. Il est donc très important
de savoir si la Fajémée estpraticable pour de3 chalands
de faible tirant d'eau, car la question des transports
serait résolue.] "
Comme celle du Fouta-Diallon, la population* du
Bambouc est très clairsemée;les guerres et les négriers
en sdht les causes. II serait à souhaiter, afin de rétablir
le calme dans ce pays, que tous ces Etals intimes fus-
sent placés sous notre protectorat ; ils ne pourraient
plus se nuire. Faire la fédération du Bambouc, lui
rendre son autonomie serait une oeuvre humanitaire.
Avec les Malin'ké du Bambouc, nous n'avons pas à
nous heurter contre le faâatisme musulman. Ils sont
ou fétichistes ou indifférents en matière religieuse et,
pour ces raisons, ils seront moins rebelles que les
croyants à l'influence de notre civilisation.
Un seul blanc, énergique, sévère même, mais d'une
grande justice, entouré seulement d'une garde de
vingt-cinq noirs, pour relever son prestige, et sûr d'être
appuyé en cas de danger grave, pourrait maintenir la
concorde entre tous ces seigneurs féodaux qui devien-
draient les vassaux ue la France, et l'abolition de l'es-
clavage ferait un pas de plus.
Il ne faut pas nou3 le dissimuler, l'esclavage est le
plus grand obstacle à noire marche en avant. Les pires
ennemis des explorateurs sont les négriers de toutes
couleurs et les prêcheurs de guerre sainte. Les uns et
les autres spéculent sur la chair humaine, ils savent
que nous ne roulons pas d'esclaves, ils feront toujours
leur possible pour nous empêcher de pénétrer dans
l'intérieur : leur grenier à esclaves.
;#::.- CONCLUSION 247
7 L'oeuvre de l'abolition de l'esclavage trouvera dans
le commerce et l'agriculture ses plus grands moyens
d'action.
Les négociants assez audacieux pour porter leurs
produits au milieu de ces peuplades pliées sous le joug
de potentats cruels, non seulement y réaliseront de
grands bénéfices, mais feront encore oeuvre d'humanité
et auront plus travaillé pour tuer l'esclavage que
toutes les théories et les décrets émis jusqu'à ce jour.
Lorsque les naturels du- Soudan, au lieu d'acheter
près des courtiers noirs ou maures les produits qu'ils
échangent exclusivement contre desesclaves, trouveront'
et le sel qui leur coûte si cher et les autres productions
en échange seulement de ce que leur donne le sol, ils
travailleront davantage pour satisfaire à leurs be-
soins et, dès qu'ils auront compris qu'avec une char-
rue et une paire de boeufs, deux hommes peuvent faire
l'ouvrage de cinquante, l'esclavage mourra de lui-
même.
Sans préconiser un système pour réduire cette ques-*
tion toujours pendante, je suis en droit de croire que,
mieux que tout autre peuple de l'Europe, nous pou-
vons contribuer à l'abolition de l'esclavage. Nous
sommes tolérants, notre caractère plaît aux noirs,
-nous respectons les usages, les coutumes et les con-
victions religieuses. Parfois, il nous arrive bien de
châtier, mais c'est pour faire respecter notre autorité
et malgré cela les noirs ont de la sympathie pour nous.
Reprenant l'innovation du général Faidherbe, avec
les écoles, nous élèverons les sentiments des noirs.
Sans arrière-pensée, ils viendront s'asseoir autour d'un
maître qui leur enseignera à parler français. Tout en
développant l'intelligence des fétichistes, nou3 nous ef-
forcerons, à l'aide de l'instruction, d'apaiser les rigueurs
de l'Islamisme. Enfin, sous notre protection, ces pays
248 A TRAVERS LB FOUTA-DIALLON '
fertiles se repeupleront et notre commerce trouvera là
un grand débouché.
Eu vivant avec les noirs, j'ai appris à les connaître;
j'ai pu apprécier leurs bonnes qualités, malheureuse-
•mont enveloppées de coutumes barbares mais qui dis-
paraîtront peu à peu. Je suis donc persuadé que le
noir est un être facile à développer, susceptible d'un
grand dévouement, et que l'action du blanc exercera
sur lui une influence salutaire. Le tout est do savoir s'y
prendre.

FIN
TABLE DES CHAPITRES

INTRODUCTION 5
I. — Le Cap-Vert 13
II. — Le Rio-Nunei 1»
III.
IV.
- Mauvais
Boké
présages
W
40

V. — Vallée du TiguiUnta V>
YI. — Bambaya 51
VII. — Vallée du Kakrima <»
' VIII. — Thiemo-Mahadïou 7«
IX. — A Foucoumba 83
X. — L'Almamy Ibrahïma-Sory' 99
XI. — Timbo 103
Xtl. — Fragments d'histoire peulh it$
XIII. — Les Peulhs chei eux H3
~:
XIV. — Le conseil des Anciens
. . .......
XV. — Les sources de la Gambie et du Rio-Grande
[ XVI.
1*5
177
— Le Taoïgué et le NMocolo 186
XVII. — Bîamakono 197
XVIII. — Le pays de l'or «oa
XIX. — Le roi Damas *i8
| XX. — Là danse et la musique au Soudan ?î9
CONCLUSION- <JO
. .

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II. . Vogage* de Gullite,;
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51. CAMILLE FLAMMARTON. . . Rire*iMU*.
5t. MADAME 4. MICHELET. . . Mémoires tune Enfant.
53. THÉOPHILE GAUTIER . . . Artter. — Fort au».
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55. IVAN TOURGUENEFF. . . Récits tu* Chasseur.
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,.MAURICE jOGAi{o(lait-ïarà). L'Enfoui de la Ft-lle.
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M. GASTON D'HAILLY. ...
. Histoire* amèricainet (illiutreei}.
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8. IVAN TOURGUENEFF. . . Prtmier Amour.
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II. GUY OE /iAÛPASSANT. Hitloire tune Fille de Ferme.
I. LOUIS BOUSSENARO. . . . . Aux Antipodet.
3. PROSPER VIALON L'Homme t* Ckien mue!.
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14». CUÊRU-GINISTY
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Le* Railaa*oui*et.
150. AURÉLIEN SCHOLL Pelnet de cwur.
151. CAMILLE FLAMMARION- L'Emplie* du Krokatoa.
453. ALEXANDRE OUMAS. . . La Mureul* de BriatUUtn.
153. o. COURTELINE . . . Mtdtlon, Mergot et C".
131. CATULLE MENDÊS Pierre le Ytridique, roman.
155. -CH. DESLVS Let Butte* Ch'umont.
156. AD. BELOT j.n
157. GASTON O'HAILLY
DAUTIN. . Le Secret terrible.
Le Prix tu* Sourire.
158. MAXIME OU CAMP Mèmoiret tu* Suicide*.. -
IJ9. RENÉ MAIZEROV La Deniiro Croisade.
160. POUCHKINE Doubrorstg.
161. HENRI MURGER Le Roman du Capucin.
163. LUCIEN BIART. BcuitO Yatutet.
163. BENJAMIN CONSTANT. ..Adotph'.
16S. MAOAME LOUIS FIGUIER.. Let Fiancé* de la Cardiok.
165. ARMAND SILVESTRE. . Mai**-
.
. . Madame Laremon.
166. VAST-RICOUARD
167. ALEXIS BOUVIER.
168. JULES GROS
169. ALFRED DELVAU
..... Ltt Péutret.
Un Valcan data let Glace*
Du Pont dct Artt au Pont de KeJ
.170. VICTOR MEUNICP L'Esprit tl le Coeur des Bftet.
171. ADOLPHE BELOT.
173. NIKOLAI GOGOL
li
..... Les PioCO*
Veillée* de tCtraiue.
173. JULES MARY V* Mariage de confiance.
174. LÉON TOLSTOÏ *.La Sonate è Kreulter.
175. . Lettres choisies de Madame de Sèrign:
176. -FEROINANO DE LESSEPS, Let Origines du Canal de Sue*.
177. LÉON GOZLAN . Le Capitaine Maubert.
178. CH. D'ARCIS. La Correctionnelle pour rire.
179. ERNEST OAUDET Le Crime de Jean Malorg.
180. ARMAND SILVESTRE. HfX de Moi. '
. . . - .
181. EMILE ZOLA. .' Mui'i'MFfrat. "
1C3. PAUL MARG'JcRITTC. . L* Confetti** pvtfkUOU.
183 PIERRE ZACCONE . . . Seulti
184. BEAUTfVET La Maîtresse de Maxru
185. L'Ile rêrol(ée. -
EOOUARO LOCKROY. •.
186. ALEXIS BOUVIER . , Let Petilet Blauchitsoitci
187. ARSÈNE HOUSSAYE Julia.
188. ALEXANORE POTHEY. La Fite de Saint-Ignace.
18». ADOLPHE BELOT . . . Le Parricide.
190. EUGÈNE CHAVcTTE.
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931. ALEXANDRE DUMAS, Les Borgia.


Sri. BERTOL-GRAIVIL, Dans un Joli Monde (Les deux criminels}.
fO. BERTOL-GRAIVIL. Yenge ou Meurs (Us deux criminels).
991. ALFRED Bo.NSERCE.vr, Monsieur Thérèse.
9i5. CHARLES DESLTS, L'Aveugle de Bagnolet. -:.
9*6. GEORGE DE PETREBRCXB,Jean Bernard. -^Js
«7. OSCAR MÉTÊMER, Mjrrha-Maria. . .

Î29. 0. CODRTELI.SE, Les Facéties de Jean de la Batte.


849. h. BOUSSEXARD, Chasseurs Canadiens.
930. YVES GVTOT, Un Fou.
«31. ALEXANDRE DUMAS, Marie Stu*rt. %
939 TAXCRÈUR MARTEL. La Parpalllotte (Moeurs de protlnc*).'*
933. THÊO-CRITT, Le Régiment où l'on s'amuse. :.
. fel- CATULLE MEXDÈS, Isoline. . .
Î35. AURED DELYAU,-Les Cocottes de mon Grand-pire.
836. JEAN REIBRACH, La Femme & Ppuilloi. .,:
937. GEORGBSTJOCRTEUXB,Boubouroche. ~.
938. DANTE, L'Enfer.
939. EDOUARD MOSTAOXE, La Bohème camelotte.
940. CHARLES DICKENS. La Terre de Tom Tiddler. I2
.941. FRAXCJS BSSE et FBRNA.\D. DELISLK, La Comtesse Dynà-;
-' mite. \f.
-
,
tt3. .ERXBST NOIROT, A Travers le Fouta-Diâllon et le"
.Bàmbouo.-' , *. *

113. ICLES MAST, Le Boucher de Meu6\on-. m


,,.
941. PIERRE DELCOORT, Le Secret du.^ag> $l^ûtraçtlâ1:kâ
.

945." ISMAEL HCCHER, La Belle MadaJm^âoX'ji .-"^•/<;'.«S

•.. Ea jolie reliure spéciaJe à h eoÛeetiôïj^&tMe 11


(EIVOI FIAICO COITIE 1AI0AT OU TlMBE]
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riais. — ne. MARK* ET FLAMMARKM, RVI RAÇEO,!

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