LA TONDUE de CHARTRES
LA TONDUE de CHARTRES
LA TONDUE de CHARTRES
La préfecture,
où ont eu lieu les
HISTOIRE DE
exécutions.
Louis Pennanec,
le gardien de
la paix en civil.
DE CHARTRES
Germaine,
la mère, tondue
comme la fille.
George
Touseau,
le père.
Monique,
9 ans. AU MATIN DE Un bébé comme rempart contre la haine. De
cette photo mythique prise par Robert Capa,
LA LIBÉRATION, symbole d’un drame national qui a fait le tour du
SIMONE VA PAYER monde, on pensait tout connaître. Simone Tou-
POUR AVOIR seau, 23 ans, vient d’être tondue dans la cour de
la préfecture et marquée au fer rouge. Ce petit
AIMÉ UN ALLEMAND qu’elle tient dans les bras est la preuve vivante
MAIS, SURTOUT, ELLE de sa « collaboration horizontale ». Femmes,
SERA INJUSTEMENT enfants, policiers, une horde de Chartrains ven-
geurs escortent dans cette marche de la honte la
ACCUSÉE D’AVOIR mère et l’enfant jusqu’à la prison. De ce nourris-
DÉNONCÉ son hirsute qui fait rire la foule tant le contraste
DES VOISINS avec sa mère est frappant, on ne savait rien.
Notre reporter a découvert qu’il s’agissait d’une
16 août 1944, rue Collin-d’Harleville, à Chartres. petite fille. Elle a été élevée par sa tante, alors que
P H O T O R O B E R T C A PA sa mère est restée incarcérée jusqu’à fin 1946.
Photo de famille dans un jardin. « En souvenir de notre activité com-
mune », dit la dédicace au dos. Elle est signée du lieutenant-colo-
nel Ebmeier, commandant de la Wehrmacht à Chartres. Les temps
qui viennent seront moins cléments : beaucoup de ces soldats et
officiers vont partir sur le front de l’Est où la bataille de Stalingrad
s’engage en juillet 1942. Simone Touseau va payer cher sa germano-
philie affichée, mais Ella Amerzin, sa copine, une Suissesse divorcée
d’un Français, s’en sortira mieux. Condamnée aux travaux forcés
pour entente avec l’ennemi, elle sera finalement acquittée : elle est
citoyenne suisse. C’était elle qui, tout en menant une vie sentimen-
tale très active, traduisait les interrogatoires des résistants français
torturés. Elle qui, sans doute, a dénoncé des voisins, à Chartres. A
103 ans, elle finit sa vie à Hanovre. Les « souris grises » ont la peau dure.
Oberstleutnant
et Feldkommandant
Ebmeier.
SI L’ÉPURATION
EST SANS PITIÉ,
LA COLLABORATION
Simone Touseau, interprète
du Bureau de placement AU GRAND JOUR
allemand, la tondue de la photo EST UN DÉSHONNEUR
de Robert Capa.
1942, boulevard Chasles, à Chartres,
devant une maison réquisitionnée pour les
officiers de la Wehrmacht.
LE BÉBÉ DE LA PHOTO DE CAPA EST contraire, elle est la seule dont le front
est brûlé à deux reprises au fer rouge.
Scannez
et découvrez les
PART AU BORD DE LA MER AVEC SON MARI. et triomphale. Elle a juste le temps de
confier son bébé à sa sœur Annette Comme
SES ENFANTS NE CONNAISSENT RIEN DE SON PASSÉ avant de partir rue des Lisses pour
être enfermée à la prison.
La photo de l’immeuble de la
la fille de Simone,
ils seraient
200 000 enfants
PA R G U I L L A U M E D E M O R A N T Caisse d’épargne le démontre : Simone de l’amour, enfants
Touseau participe incontestablement à la Libération, après avoir été tondue, juridique imparable : de la haine, dont
la collaboration. Mais il y a beaucoup Simone Touseau est emprisonnée, puis Ella ne pouvait pas la vie a été marquée
u téléphone, l’archiviste du Pas-de-Ca- huit femmes et d’enfants. Moulin, indigné, ont remplacé le jardin et les arbres, les plus grave. La rumeur l’accuse d’être une jugée, avec sa mère, Germaine. être condamnée pour par l’Histoire.
lais m’avait dit : « Allez sur eBay Alle- refuse. Emmené à la gare de la Taye, à lieux restent reconnaissables. dénonciatrice. Elle serait à l’origine d’une La justice de l’épuration est une jus- intelligence avec l’en-
magne, tapez “zweiter Weltkrieg” et 12 kilomètres de là, il est injurié, passé à Mais ces femmes en civil, qui étaient- rafle survenue à Chartres, dans le quar- tice d’exception. A Chartres, ses deux nemi, puisque depuis le 30 mai 1944 elle
“Frankreich” et vous verrez défiler tabac et enfermé quelques heures avec elles ? Des Allemandes, des Françaises ? tier de la rue de Beauvais, où elle habite instances, la cour spéciale et la chambre est l’ennemi, ayant opté pour la nationa-
toute l’armée allemande pendant les cadavres déchiquetés. En réalité, ces C’est Gérard Leray, professeur chartrain avec ses parents. Dans la nuit du 24 au civique, ont condamné 162 personnes, lité allemande. La cour de justice se dé-
l’Occupation. » Elle n’avait pas réfugiés civils ont été victimes d’un bom- d’histoire-géographie et coauteur avec 25 février 1943, cinq chefs de famille sont dont 7 à mort, et prononcé 278 peines clare incompétente, elle est relâchée.
menti. Les Allemands vident bardement de la Luftwaffe. Craignant Philippe Frétigné d’un livre sur la tondue arrêtés par le Sipo-SD, la police de sûreté d’indignité nationale, c’est-à-dire des Comment savoir si Ella Amerzin-
les greniers et vendent les photos du de céder au déshonneur sous les coups, de Chartres, qui reconnaît l’une d’elles : allemande. Accusés d’être des « ennemis interdictions de voter mais aussi d’exercer Meyer a dénoncé les cinq Chartrains et
grand-père enrôlé dans la Wehrmacht. Jean Moulin tente de se trancher la gorge. celle qui rayonne au centre de l’image, le de l’Allemagne » et d’écouter la BBC, ils nombre de professions. A partir du 16 jan- si Simone Touseau a payé à sa place ?
Sous mes yeux, des dizaines d’images de D’où sa célèbre photo avec l’écharpe qui visage poupin, vêtue d’un manteau d’hi- sont déportés à Mauthausen, en Autriche. vier 1946, tous les jugements – désormais Simone est morte en 1966, alcoolique et
Béthune, d’Arras, de Bordeaux ou d’An- cache le pansement. A l’aube, il est sauvé. ver et d’une robe à carreaux. Simone Tou- Seuls deux d’entre eux en reviendront. A moins sévères – seront rendus à Paris. dépressive, mais j’ai retrouvé Catherine,
necy témoignent de la vie quotidienne des Après cet épisode, il reprendra ses fonc- seau, la tondue de Robert Capa ! leur retour, on leur dira que c’est Simone Pour Simone, l’instruction est longue. son bébé. C’est aujourd’hui une retraitée
soldats sous l’Occupation. Et soudain, je tions et entretiendra des relations tendues Le cliché du reporter américain, Touseau, la voisine qui travaillait pour les Elle se défend : « Ce n’est pas moi ni ma qui vit au bord de la mer avec son mari.
lis « Chartres 1942 ». Mon œil est attiré par avec l’occupant. Mais Ebmeier éprouvera pris deux ans et demi après la « photo Allemands, qui les a dénoncés . Ils en res- mère qui avons dénoncé les voisins, c’est Ses enfants ne connaissent rien de son
un détail, la présence de neuf femmes en toujours du respect, de l’admiration, pour de famille » en face de la Kommandan- teront persuadés. Ella Meyer. Elle nous a déclaré un jour : passé, ignorant qu’elle figure sur une des
civil au milieu de cent soldats en uni- son courage. Quand il apprend que Jean tur, a fait le tour du monde. Une preuve L’historien Gérard Leray a reconnu “Je suis bien contente car je suis débar- photos les plus connues du monde. Enfer-
forme. Je reçois le document trois jours Moulin est révoqué par Vichy, il tente de de la cruauté des foules. Le 16 août 1944, une autre femme sur la photo venue d’Al- rassée de ces gens qui ne m’appelleront mée dans le secret, Catherine refuse de
plus tard. Il provient de la région de Zwic- s’interposer, sans succès. Alors, le 14 no- Simone Touseau, une interprète de 23 ans, lemagne de l’Est. Ella Amerzin-Meyer. plus ni espionne ni boche.”» Simone et sa parler de sa mère, dont elle dit avoir brûlé
kau, en ex-Allemagne de l’Est. vembre 1940, Ebmeier se paie le luxe de est tondue pour « collaboration horizon- Née en Suisse alémanique le 22 août 1911, mère seront libérées le 29 novembre 1946. toutes les lettres et les photos.
Le cliché a été pris dans le jardin prononcer l’éloge public de Jean Moulin : tale ». Robert Capa croise sa route quand parfaitement bilingue, elle est arrivée à L’année suivante, Simone écope de dix Reste l’autre bébé de cette histoire
d’une maison bourgeoise. C’est l’hiver, « Je vous félicite de l’énergie avec laquelle elle sort de la préfecture, le crâne rasé. Chartres à la suite de son mariage avec ans d’indignité nationale, mais le tribu- de guerre. Erika, la fille d’Ella Meyer, née
quelques feuilles jonchent le sol. Devant vous avez su défendre les intérêts de vos Elle porte dans ses bras la petite Cathe- un pilote français, le capitaine Georges nal la dispense de l’interdiction de séjour. à Chartres en 1942. Elle aussi est retraitée.
les gradés, les femmes en manteau sou- administrés et l’honneur de votre pays. » rine, née trois mois plus tôt de ses amours Meyer, héros de la Première Guerre mon- Quant à Ella Meyer, elle a depuis Elle vit dans un pavillon de la région de
rient au photographe. En arrière-plan, Dès son arrivée à Chartres, la avec le soldat allemand Erich Göz. Pen- diale, dont elle vient de divorcer. Ella col- longtemps pris la fuite. Le 15 août 1944, Hanovre, en Allemagne. Tout un après-
sous-officiers et soldats. L’instant semble Feldkommandantur s’installe boulevard dant que les troupes américaines com- lectionne les amants, qu’elle n’a pas de elle est partie pour l’Allemagne, sa fille midi, elle m’a raconté son enfance sous
joyeux, comme sur une photo de fin d’an- Chasles dans l’immeuble de la compagnie battent encore dans les rues de la ville, les mal à trouver dans son milieu profession- Erika sous le bras. Un mandat est lancé le signe du mensonge. Jamais sa mère,
née au collège. Au verso, figure une dédi- d’assurance des travailleurs français. La FTP sont partis à la chasse aux collabos. nel. Elle aussi est interprète, mais pour le contre elle et, le 28 février 1946, elle est une femme froide et distante, n’a évo-
cace signée Ebmeier. Mais le reste de maison sur la photo se trouve juste en La justice est expéditive. Onze femmes fameux Sipo-SD. Lors de la traque aux arrêtée par la sécurité militaire britan- qué son passé en France occupée. Mais
l’écriture est indéchiffrable. « C’est du face. Elle a été réquisitionnée sont tondues ce jour-là, suspectées d’avoir « terroristes », elle traduit les interroga- nique. Mais les autorités françaises n’en d’autres personnes s’en sont chargées et
Sütterlin, m’explique une germanophone, Dans les années 1970, par les forces d’occupation travaillé pour l’occupant ou d’avoir flirté, toires des résistants, parfois torturés. « La sont pas informées et, le 21 juillet 1947, Erika a peu à peu appris la vérité sur le
une ancienne écriture qui n’est plus ensei- Ella Amerzin, l’amie pour les officiers. Aujourd’hui, voire couché, avec des soldats allemands. rumeur disait qu’elle était la maîtresse du c’est par contumace que la cour de jus- Sipo-SD de Chartres et la rafle du 24 fé-
gnée depuis les années 1930. » La traduc- de Simone (2e en partant c’est une agence de la Caisse Parmi elles, deux ou trois prostituées. commandant, raconte l’un d’eux. Belle, tice de la Seine la condamne à mort et à vrier 1943 : « Après ma mort, tu découvri-
tion : « En souvenir de notre activité de la gauche) coule d’épargne. Même si un nou- Simone Touseau allaite mais ne béné- brune, mince, un joli visage et une jolie la confiscation de ses biens pour « intel- ras plein de choses », a seulement promis
commune à Chartres, Chartres 1942, Eb- des jours heureux en veau bâtiment et un parking ficie d’aucun traitement de faveur. Au silhouette, elle faisait un peu poule . Elle ligence avec l’ennemi ». C’est le moment la mère. D’ailleurs, elles sont brouillées
meier, Oberstleutnant et Feldkomman- famille à Hanovre. m’a montré généreusement ses cuisses le plus périlleux de sa vie : Ella est extra- depuis 1982. Car Ella Amerzin-Meyer
dant ». Ebmeier n’est pas un inconnu, c’est En bout de table, Erika, pendant tout l’entretien. Elle a peut-être dée d’Allemagne, transférée à Paris où est toujours en vie. Elle habite seule la
le commandant en chef de l’armée alle- sa fille née en 1942 à cherché à me déstabiliser. » elle est écrouée, le 27 septembre 1947, à la petite maison que lui a laissée son troi-
mande à Chartres à partir de sep- Chartres de ses amours L’été 1942, Simone Touseau et prison de la Roquette. Elle sera condam- sième mari. Elle a 103 ans cette semaine,
tembre 1940. C’est lui qui pose au centre, avec un Allemand. Ella Amerzin sont amies. La Française née le 29 avril 1950 par la cour de justice est sourde et presque aveugle... Mais ça,
au deuxième rang. travaille pour les Allemands depuis de la Seine aux travaux forcés à perpé- elle l’était déjà en 1942. n
Dans « Premier combat », Jean Mou- août 1941 mais, à la caserne Marceau, tuité. Un mois plus tard, le jugement est « La tondue 1944-1947 », de Philippe
lin, préfet d’Eure-et-Loir du 21 février elle est mal payée. Ella lui propose de annulé. La cour a reconnu un argument Frétigné et Gérard Leray, éd. Vendémiaire.
1939 au 2 novembre 1940, a fait le récit la remplacer pendant son congé mater-
de l’arrivée des Allemands dans sa ville, nité. A son retour, Ella deviendra inter-
et évoqué Ebmeier. Le 17 juin 1940, les of- prète pour la police et Simone gardera sa SOIRÉE ÉVÉNEMENT POUR LES 70 ANS DE LA LIBÉRATION DE PARIS
ficiers de renseignement nazis ont voulu place. Fin septembre, on les voit pousser Pour commémorer la Libération, France 3 s’associe à la mairie de Paris le 25 août dès 19 heures.
obliger le jeune préfet à signer un do- le landau d’Erika à l’ombre de la cathé- En direct depuis le parvis de l’hôtel de ville, Louis Laforge présentera un d ocumentaire de Serge de
cument accusant les tirailleurs sénéga- drale. La suite de l’histoire, c’est Gérard Sampigny, « Ils ont libéré Paris », qui revient sur cet événement majeur de notre Histoire
lais de l’armée française du massacre de Leray qui la raconte dans son livre. A grâce à des témoignages inédits. Un son et lumière sera proposé ensuite, projeté sur la façade.