Le peuple a-t-il vraiment le pouvoir en démocratie
Le peuple a-t-il vraiment le pouvoir en démocratie
Le peuple a-t-il vraiment le pouvoir en démocratie
Dans La Ferme des animaux de George Orwell, les animaux rêvent d'une société égalitaire,
proclamant : « Tous les animaux sont égaux. » Mais à mesure que le pouvoir se concentre, cette utopie
dégénère en une nouvelle règle cynique : « Certains animaux sont plus égaux que d'autres. » Cette
allégorie met en lumière la fragilité de l’idéal démocratique face aux dérives du pouvoir.
La démocratie représentative, adoptée par des nations comme la France ou les États-Unis, repose sur
l’élection de représentants pour gouverner au nom du peuple. Ce système, qui puise ses racines dans
l'Athènes antique, vise à incarner le principe du kratos (pouvoir) exercé par le demos (peuple).
Cependant, cet idéal se heurte à des réalités complexes, telles que les décalages entre représentants et
citoyens, la montée de l’individualisme ou encore les dérives autoritaires sous des régimes
prétendument démocratiques.
Dès lors, en démocratie, le peuple (demos) possède-t-il toujours le pouvoir (kratos) ?
Nous verrons tout d’abord comment la démocratie a permis, historiquement et conceptuellement,
de rendre le pouvoir au peuple, avant d’examiner les limites et menaces auxquelles elle fait face.
Enfin, nous réfléchirons aux moyens d’y remédier afin de restaurer pleinement cet idéal.
Tout d’abord, la démocratie a été choisie comme régime politique par la France, les Etats-Unis ou
encore l’Italie dans le but de donner le pouvoir au peuple avant sous contrôle monarchique. Les rois de
France, ne faisaient pas du peuple leur préoccupation principale dû à la centralisation de leur pouvoir
et de l'isolement de la cour royale. En s'entourant d'une noblesse privilégiée et en concentrant toutes
les décisions à Versailles ou dans d'autres résidences royales, les rois se détachaient des réalités
quotidiennes des populations, surtout du Tiers État. Leurs intérêts personnels et leur désir de maintenir
l'ordre social en place, favorisant les classes supérieures, les empêchaient d’agir pour le bien-être des
plus démunis. De plus, le pouvoir royal était souvent perçu comme un pouvoir absolu, divin et
incontestable, ce qui éloignait toute forme de contre-pouvoir ou de remise en question des décisions
royales. Cette déconnexion entre les élites royales et le peuple a conduit à des frustrations croissantes,
surtout lorsque les crises économiques et sociales se multipliaient. Ainsi, la Révolution Française de
1879 a éclatée et en 1991 une Constitution pour la France est rédigée. Celle-ci, permet de donner au
peuple un rôle politique à travers l’élection de représentants par l’instauration d’un suffrage universel.
Par ailleurs, le pouvoir qui a été donné à l’ensemble de la population masculine sans distinction de
richesse n’était pas une décision prise à l’unanimité, certains comme l’Abbé Sieyès considéraient que
le vote devait être réservé aux seuls individus ayant les capacités telles que l’intelligence et un niveau
économique élevé afin d’exercer cette fonction politique. Le peuple a conservé son rôle politique
jusqu’en 1795, à partir de cette période le suffrage était devenu censitaire. Par la suite, la chute de la
Monarchie de Juillet entraine le rétablissement du suffrage universel en 1848. Une nouvelle fois, les
crises sociales causées par la concentration des pouvoirs de Napoléon III ont permis au peuple de
réclamer à nouveau son pouvoir dans le but qu’il décide lui-même par le biais des élections ce qui
devait être instauré.
Avant que la démocratie moderne soit instaurée en France et dans les autres régimes modernes,
elle est pour la première fois établie à Athènes. Le système de cette démocratie est tout autre que celui
des démocratie modernes représentatives, à Athènes les 6000 premiers citoyens arrivés à l’Ecclésia
votaient à main levée sur la colline de la Pnyx. Ils votaient les lois, contrôlaient les magistrats et
décidaient de la paix et de la guerre et ce 4 fois par mois. Par ailleurs, des magistrats, des stratèges et
des archontes étaient élus ou tirés au sort mais ils n’avaient en aucun cas un pouvoir politique
supérieur ni même égal aux citoyens qui étaient rassemblés à l’Ecclésia, ils s’occupaient seulement de
faire respecter les lois, contrôlaient la bonne application de la justice et la religion et se chargeaient de
la direction et stratégie de la guerre. Cette démocratie est donc le fruit d’une longue réflexion sur la
manière de mettre le citoyen au cœur de la vie politique et de se prémunir contre la personnalisation du
pouvoir. Le citoyen est donc au cœur du système politique, il est particulièrement actif c’est d’ailleurs
dans les faits un véritable métier qu’un simple statut.Pour des raisons en partie de la taille des Etats et
de l’abolition de l’esclavage, un système de représentation est instauré. En effet, étant l’impossibilité
de réunir la totalité des citoyens afin de voter les lois à main levée et le rôle que les citoyens doivent
assurer pour la productivité et l’économie de l’Etat, des représentants sont élus afin d’endosser le rôle
politique. C’est donc par l’intermédiaire des différentes éléctions que le peuple applique son pouvoir
démocratique. Les plus importantes sont les élections présidentielles qui se déroulent tous les 5 ans
après la fin du mandat du président en fonction, les citoyens participent également aux élections
législatives où les députés de l’Assemblée sont élus à même intervalle de 5 ans.
Les citoyens exercent leur pouvoir également par l’intermédiaire de la société civile, notamment
grâce à la liberté d’expression qui est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Cette liberté
permet aux citoyens, par le biais des médias, des associations, des ONG, des syndicats et des
mouvements sociaux, de participer activement au débat public et d'influencer les décisions politiques.
Les médias, en particulier, jouent un rôle clé en fournissant des informations critiques, en dénonçant
les abus de pouvoir et en offrant un espace pour que différentes voix puissent s’exprimer. Par exemple,
des médias libres et indépendants peuvent critiquer un gouvernement, exposer des scandales de
corruption ou de mauvaise gestion, et ainsi exercer une pression sur les autorités pour qu’elles rendent
des comptes. De plus, des associations et ONG sensibilisent la population sur des enjeux sociaux,
environnementaux ou politiques, en organisant des campagnes de mobilisation et en plaidant pour des
changements législatifs ou sociaux. En permettant aux citoyens de s’engager et de faire entendre leurs
préoccupations, ces acteurs de la société civile jouent un rôle fondamental dans la régulation du
pouvoir et garantissent que le peuple puisse réellement exercer son pouvoir, même en dehors des
élections.
La démocratie est un idéal et dans la pratique le peuple possède moins de pouvoirs. Tout d’abord,
en démocratie représentative le gouvernement n’est pas si simple à instaurer qu’il n’y parait il faudrait
dans ce gouvernement que la majorité et la minorité soit représentées. Afin que le peuple possède
réellement le pouvoir, la majorité devrait considérer que le gouvernement représente, en effet, leur
point de vue et leurs priorités. Pourtant, d’après une étude de l’Ipsos, 46% estiment cela et 16%
seulement jugent que le gouvernement apporte des résultats concrets aux citoyens. Un
chiffre « catastrophique », juge Brice Teinturier, directeur d’Ipsos. Ce décalage qui est décrit reprend
un des risques que Benjamin Constant avait exprimé durant son célèbre discours "De la liberté des
anciens comparée à celle des modernes", prononcé en 1819. En effet, il met en garde les citoyens à
propos du rôle de surveillance des mandataires qu’ils doivent endosser. C’est-à-dire qu’il est essentiel
pour eux de vérifier au bon respect des promesses pour lesquelles ces représentants ont été élu afin que
le peuple soit satisfait d’avoir joui de son pouvoir. En France, il est difficile de dire que le peuple fait
valoir son pouvoir puisque, 55 % des personnes interrogées par Ipsos se disent mécontentes (4 points
de plus par rapport à 2023) et pour 74 % d’entre elles, ce fonctionnement s’est détérioré depuis cinq
ans. Ce décalage entre citoyens et représentants est alarmant pour la démocratie représentative
puisqu’il remet en question l’appartenance du pouvoir par le peuple.
Ensuite, les sociétés modernes en contradiction avec les sociétés anciennes jouissent de libertés
individuelles. Celles-ci, nécessaires au bon fonctionnement de l’économie, comme le développe Alexis
de Tocqueville, peuvent pourtant menacer la démocratie. En effet, avec la démocratie représentative,
les individus n’ont plus à endosser un rôle politique à plein temps. Ils peuvent alors se consacrer à des
activités privées et à la recherche du bien-être et du confort grâce aux libertés individuelles qu’ils ont
acquises. En se consacrant sur leurs propres intérêts, les individus peuvent être amenés à s’éloigner
des affaires publiques et ne plus participer aux élections, la base de l’expression de leur pouvoir. Pour
les élections présidentielles de 2022, au second tour, l'enquête réalisée par Ipsos et Sopra Steria révèle
que plus des deux tiers des moins de 35 ans et au-delà, 60% des 35-59 ans et moins de 40% des 60 ans
et plus n'ont pas voté au second tour. Il est curieux de relever ces chiffres en démocratie, le pouvoir
appartenant aux citoyens on se demande comment faire si une grande partie n’exerce pas son droit de
vote. La préoccupation constante des besoins personnels des individus entraine un large isolement
social appelé « individualisme démocratique » par Alexis de Tocqueville dans son ouvrage De la
démocratie en Amérique en 1835. Alors, il dit « La démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux,
mais lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains.». Il exprime la tendance des
individus à aspirer à devenir autonomes. Cette tendance n’est pas là la base de la démocratie et elle
pourrait au fur et à mesure la menacer.
Certains régimes se revendiquent démocratiques tout en contournant les principes
fondamentaux de ce système. La Russie de Vladimir Poutine illustre bien cette dérive. Malgré des
élections organisées en apparence, celles-ci ne sont ni libres ni équitables. Le pluralisme politique est
étouffé par un culte de l'homme fort. Vladimir Poutine maintient l’illusion de la démocratie en écartant
ses opposants les plus menaçants, tels qu’Alexeï Navalny, à travers des poursuites judiciaires
controversées. Parallèlement, des candidats d’opposition "contrôlés" sont favorisés pour diviser les
contestataires. Dans ce régime, les contre-pouvoirs sont inexistants : les médias d'État soutiennent
activement le gouvernement, discréditant toute opposition. La presse indépendante est marginalisée
par des lois répressives, des intimidations ou son rachat par des proches du pouvoir. Ce contrôle
s’étend aux élections, souvent marquées par des fraudes (bourrages d’urnes, pressions sur les
électeurs), consolidant ainsi l’autorité de l'exécutif. Bien que le cas russe soit extrême, la question des
médias soulève des interrogations dans d’autres démocraties. En France, par exemple, la concentration
des groupes de presse entre les mains de quelques acteurs pose question quant à la liberté de
l’information. Cette situation, combinée à la dépendance économique des médias, pourrait entraver
leur rôle de contre-pouvoir. Ainsi, ces observations alimentent un questionnement sur l’existence réelle
de démocraties pleinement conformes à leurs idéaux, transitionnant vers une réflexion approfondie
dans la partie suivante sur les défis de l’idéal démocratique.
Afin que le peuple retrouve davantage de pouvoirs en démocratie, il est essentiel que les
représentants respectent leurs engagements et restent directement redevables à leurs électeurs. Une
solution envisagée est le mandat impératif, inspiré des idées de Jean-Jacques Rousseau, où les élus
sont tenus de suivre les instructions claires de leurs mandants, sous peine d’être révoqués. Cela
éviterait la domination d’une élite déconnectée des aspirations populaires, une critique portée
notamment par les mouvements révolutionnaires des Enragés en 1793 ou, plus récemment, par des
insurgés contemporains réclamant une démocratie plus participative. Un autre moyen d'accroître le
pouvoir citoyen est le recours au référendum d'initiative citoyenne (RIC). Ce mécanisme permet aux
citoyens de proposer et de voter directement sur des réformes ou des lois, contournant ainsi le filtre
des institutions représentatives. Par exemple, la réforme des retraites en France, imposée malgré
l’opposition de 70 % de la population, a suscité des appels à l’instauration d’un RIC pour que les
citoyens puissent se prononcer directement. En Suisse, où ce dispositif est régulièrement utilisé, il
garantit une forte implication populaire. En 2020, près de 90 % des citoyens suisses ont participé à des
votations, démontrant l’efficacité de ce modèle dans une démocratie stable et prospère. Ces outils, s’ils
étaient généralisés, offriraient une perspective prometteuse pour rapprocher les citoyens des décisions
qui les concernent, et ainsi restaurer leur confiance dans les institutions démocratiques.
Un contrôle renforcé des médias est essentiel pour garantir leur rôle de contre-pouvoir dans une
démocratie. Aujourd’hui, la possession de nombreux médias par des grands groupes industriels ou
financiers soulève des questions sur leur indépendance et leur capacité à représenter fidèlement les
intérêts de la société civile. Cette concentration fausse le jeu démocratique en réduisant le pluralisme
des idées et en rendant difficile l’émergence d’un débat public impartial. Outre les médias, les
associations jouent un rôle clé dans la société civile, comme l’a souligné Tocqueville. Ces structures
permettent de sensibiliser les citoyens et de contrebalancer les pouvoirs en place, mais leur impact est
affaibli lorsqu’elles ne peuvent s’exprimer librement face à des médias dominés par des intérêts privés.
Par ailleurs, le lobbying constitue une autre menace pour la démocratie en favorisant des élites
capables d’influencer les décisions des représentants élus. Lorsqu’il s’accompagne de pratiques
proches de la corruption, il remet en cause le principe même de la représentation, car il crée un
déséquilibre entre les citoyens et les grands groupes qui financent ces actions. Ainsi, encadrer les
médias et réguler strictement le lobbying est crucial pour éviter que des forces extérieures ne prennent
le pas sur les intérêts du peuple. Ces réformes contribueraient à rétablir une démocratie où le pouvoir
revient réellement à ses citoyens, en cohérence avec les idéaux démocratiques.
Pour que la démocratie garantisse véritablement le pouvoir au peuple, il est indispensable de
renforcer la participation citoyenne et de revaloriser son rôle dans les institutions. Outre le mandat
impératif ou les référendums d’initiative citoyenne, l’éducation civique pourrait jouer un rôle
fondamental. Former les citoyens dès leur plus jeune âge aux enjeux politiques et au fonctionnement
des institutions démocratiques leur permettrait de s'engager activement dans la vie publique, réduisant
ainsi l’abstention et l’individualisme. Par ailleurs, des innovations démocratiques, telles que les
assemblées citoyennes ou le tirage au sort pour certains mandats, pourraient compléter les mécanismes
existants. Ces dispositifs, déjà expérimentés en Islande ou en Irlande pour réviser des constitutions ou
aborder des sujets complexes comme l'avortement, favorisent une représentation plus diversifiée et
inclusive. Ils permettent également de renouer un dialogue direct entre les citoyens et les décideurs,
limitant ainsi le sentiment de déconnexion souvent reproché aux systèmes représentatifs. Enfin, une
démocratie moderne ne saurait prospérer sans une transparence accrue. Des initiatives comme l'open
data ou la publication des comptes publics renforcent la confiance en les institutions. Couplées à une
lutte rigoureuse contre la corruption et les conflits d’intérêts, elles peuvent garantir que les décisions
prises le sont dans l’intérêt du plus grand nombre, et non sous l’influence d’élites économiques ou
politiques. En réaffirmant le rôle central du citoyen et en modernisant ses pratiques, la démocratie peut
répondre aux critiques qui l’affaiblissent aujourd’hui. Ce renouveau est essentiel pour garantir que le
pouvoir demeure entre les mains de ceux auxquels il appartient légitimement : le peuple.
En conclusion, bien que la démocratie aspire à incarner le pouvoir du peuple, sa mise en œuvre
révèle des décalages persistants entre cet idéal et la réalité politique. L’histoire, des révolutions
jusqu’aux systèmes représentatifs modernes, témoigne de luttes constantes pour donner et préserver ce
pouvoir. Cependant, les dérives autoritaires, l’individualisme croissant et la déconnexion entre élus et
citoyens posent des défis majeurs à cet équilibre. Néanmoins, des solutions existent pour revitaliser la
démocratie : renforcer la participation citoyenne par des dispositifs tels que le référendum d’initiative
populaire, garantir l’indépendance des médias et promouvoir une éducation civique approfondie. C’est
en redonnant au peuple des moyens concrets d’influencer directement les décisions que la démocratie
pourra véritablement refléter la voix de ses citoyens et préserver l’idéal du kratos par le demos. Ainsi,
la démocratie continue d’évoluer, et c’est à travers les expériences et les transformations des sociétés
qu’il sera possible d’observer comment le pouvoir du peuple s’affirme ou se redéfinit au fil du temps.