PATTEFrancois_53242300_2024

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"En quoi la gamification soutient-elle les

mécanismes d'apprentissages productifs?"

Patte, François

ABSTRACT

Duolingo : Est-ce un jeu vidéo? Est-ce une app éducative? Est-ce un lieu de socialisation ou un phénomène
pop culture? La gamification soutient-elle des mécanismes d'apprentissage productifs ou n'est-elle que le
"chocolat" qui recouvre le "brocoli" de l'apprentissage (Laurel, Crisp, & Lunenfeld, 2001) ? Cette figure de
style crée une image mentale pour tout un chacun, ce que ne font pas les termes de gamification, serious
gaming, mobile-assisted language learning . Je vous propose donc de démystifier ces appellations afin de
mieux les appréhender pour la suite de ce récit. Duolingo est une interface « gamifiée » c’est-à-dire qu’elle
utilise les ressorts ludiques du jeu (vidéo) pour motiver l’apprenant qui oublie le caractère « sérieux » de
ces tâches. Les questions sous-jacentes à cette « gamification » de l’apprentissage sont : Le recours au
jeu constitue-il une contribution efficace dans une démarche éducative ? En quoi le numérique change t’il
la transmission des savoirs ? Quid de la durabilité de ses savoirs ? Par le biais d’une ethnographie virtuelle
des utilisateurs francophones de Duolingo, j’apporterai des précisions aux questions de recherches déjà
menées par Mitchell Short et al.(2023). L’interface gamifiée de Duolingo présente un savoir-faire technique
sans pareil selon ma grille d’analyse. Elle permet de prendre confiance en soi, de passer le temps de
manière « intelligente », d’apprendre les rudiments de langues méconnues pour ainsi continuer à les faire
vivre face aux langues institutionnalisées par l...

CITE THIS VERSION

Patte, François. En quoi la gamification soutient-elle les mécanismes d'apprentissages productifs?. Faculté
des sciences économiques, sociales, politiques et de la communication Saint-Louis, Université catholique
de Louvain, 2024. Prom. : Servais, Olivier. http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:45873

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Available at: http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:45873 [Downloaded 2025/01/16 at 11:51:23 ]


En quoi la gamification soutient-elle des
mécanismes d'apprentissage productifs?

Efficacité et incohérences des jeux dits « sérieux » à travers une étude de cas

Duolingo

Mémoire réalisé par PATTE François sous la direction de Servais Olivier

pour l’obtention du grade de Master en Stratégie de la communication et Culture numérique

Année académique 2023-2024

Institut Supérieur de Formation Sociale et de Communication - ISFSC


Université Catholique de Louvain - Site de Saint-Louis – Bruxelles
« On ne fait pas boire un cheval qui n'a pas soif » Célestin Freinet (date inconnue)

« Si les gens ne pensent pas qu’ils peuvent produire les résultats qu’ils désirent par
leurs actions, ils ont peu de raisons pour agir ou persévérer en face des difficultés
» Bandura, A. (1997). Self-efficacy

« Learning is the drug » Koster, R. (2005)

« La connaissance est le produit de l’interaction entre la personne et le milieu,


milieu au sens social et culturel, pas seulement physique. »( Vygotsky, 1934 traduit
par Beatriz Caballero, 20221).

1
- en français dans le texte - Beatriz Caballero, 2022. Les 7 plus belles phrases de Vygotsky. Nospensees.fr.
Consulté le 12/05/2024 sur https://nospensees.fr/7-plus-belles-phrases-de-vygotsky
MERCI
à Delphine, Émilie, Bénédicte, Kathy, Firat, Suzie, Margaux, Louis,
Laura, Maria, Josée et Morgane d’avoir participé à cette grande
aventure qui nous a lié depuis Octobre.

..................................................... .
à Audrey, Maman, Lionel, Olivier de m’avoir relu et apporté votre aide dans ce travail énorme
qui m’a pris tant de temps mais qui m’a apporté tant.

à Olivier Servais de m’avoir aiguillé vers Duolingo lorsque j’étais perdu dans les brumes
d’une problématique qui n’en était pas vraiment une !
Table des matières
1. Contents

1. PRÉLUDE AUX LUDÈMES ........................................................................... 3

Pourquoi une ethnographie d’une app d’apprentissage ciblée sur les francophones .............................. 3

1.1. Cadre théorique ............................................................................................................................................. 4


1.1.1 Serious gaming – les jeux dits « sérieux » ................................................................................................5
1.1.2 La gamification des apprentissages...........................................................................................................5
1.1.3 L'apprentissage des langues assistées par téléphone portable ......................................................6
1.1.4 Les profs remplacés par des jeux sur mobiles ? ....................................................................................6

1.2. Cadre méthodologique ................................................................................................................................ 7


1.2.1. Pourquoi une démarche empirique qualitative ? ..............................................................................7
1.2.2. Pour quoi une démarche empirique qualitative ? .............................................................................8
1.2.3. Question de recherche ............................................................................................................................ 10
1.2.4. Sous-questions de recherche ............................................................................................................... 10
1.2.5. Hypothèses ................................................................................................................................................. 11

1.3. Description de mon échantillon ............................................................................................................... 11

1.4. Articulation de mon récit ........................................................................................................................... 13

2. DUOLINGO FACE AUX LUDÈMES ............................................................. 14

2.0. LES LUDÈMES DE KOSTER ...................................................................... 16

2.1. PRÉPARATION ....................................................................................... 17

2.2. UN SENS DE L’ESPACE .......................................................................... 20


2.2.1. Un Design émotionnel ............................................................................................................................ 20
2.2.2. Un Storytelling attachant ...................................................................................................................... 23

2.3. UN MÉCANISME DE BASE SOLIDE ........................................................ 27


2.3.1. Ne perds pas ta série ! ............................................................................................................................ 27
2.3.1.1. Perception n°1 : Le sentiment de compétence ............................................................................... 31
2.3.1.2. Perception n°2 : La valeur de l’activité .............................................................................................. 32
2.3.1.3. Perception n°3 : La contrôlabilité ........................................................................................................ 32
2.3.2. Ne perds pas ta série !! (bis repetita) ................................................................................................. 35
2.3.3. Avatarisation de l’identité numérique ............................................................................................... 36
2.3.4. Tisser des relations dans un univers virtuel .................................................................................... 37
2.3.5. Maslow, Walter and Co. ........................................................................................................................ 41
2.4. C'EST L'ACTE DE RÉSOUDRE DES ÉNIGMES QUI REND LES JEUX
AMUSANTS. ................................................................................................... 46
2.4.1. Complémentarité des apprentissages .............................................................................................. 50
2.4.2. Le FUN, c’est contextuel ........................................................................................................................ 52

2.5. DES CONNAISSANCES ÉVOLUTIVES POUR RÉSOUDRE DES


PROBLÈMES ÉVOLUTIFS ............................................................................... 55
2.5.1. Emotions – Inside Out ............................................................................................................................. 56
2.5.2. Super intéressant-super utilisé-super individuel .......................................................................... 60
2.5.3. « La ligue diamant, c'est des fadas ! »................................................................................................ 61
2.5.4. Changements dans l’interface ............................................................................................................. 67
2.5.5. Autres changements dans l’interface ................................................................................................ 70
2.5.6. Socialisation des utilisateurs ................................................................................................................ 72
2.5.7. Comment tisser des relations dans un univers virtuel inconnu qui ne fournit aucune
fonction d’interaction ou de communication? .................................................................................................... 73

2.6. LES MÉCANISMES DE JEU SONT ÉVOLUTIF EUX AUSSI ..................... 80

2.7. (POINTS BONUS) ................................................................................... 81

3. ÉBAUCHE DE CONCLUSION .....................................................................84


3.1. Thèmes qui sont ressortis de l’étude de terrain ................................................................................. 84
3.2. Bien mais pas top ! ........................................................................................................................................ 85
3.3. Pour aller plus loin ........................................................................................................................................ 90
3.4. Analyse réflexive ........................................................................................................................................... 91

4. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ........................................................... 1


4.1. Articles :...............................................................................................................................................................1
4.2. Ouvrages centraux...........................................................................................................................................2
4.3. Ouvrages théoriques .......................................................................................................................................2
4.4. Ouvrages méthodologiques : .......................................................................................................................3

5. ANNEXES .................................................................................................... 1
-1-

Executive Summary
Duolingo est une entreprise, créée en 2011, dont la mission est de « permettre à tous de
bénéficier d'une expérience d'apprentissage personnalisée grâce à la technologie ».2
L’expérience qu’elle propose est celle de l’apprentissage des langues par le jeu(vidéo).
Ainsi, au moment d’écrire ces lignes, il est possible de prendre des cours dans 39 langues
différentes pour les anglophones et dans 6 langues différentes pour les francophones.

Duolingo est un « pure player » soit une entreprise 100% digitale qui n’offre d’autres
produits que ses applications mobiles. Leur modèle économique est un mix entre la
publicité in apps et celui de l’abonnement payant qui offre les vies et défis illimités ainsi que
l’accès à d’autres fonctionnalités telles que les entrainements personnalisés d’écoute et de
prononciation.

Dix ans de succès phénoménal après leur création, ils réussissent leur entrée en bourse leur
apportant 377 millions de dollars d’argent frais. Cela permet à Luis von Ahn – son
fondateur – d’entrevoir l’avenir dans les « ligues majeures »3 en agrandissant l’offre vers des
matières telles que les mathématiques et la lecture. Selon le Vif/Weekend, le nombre
d’utilisateurs global de Duolingo est de 500 millions en 2023, soit 6.25% de la population
mondiale4 avec 21,4 millions d’utilisateurs actifs lors du dernier trimestre de 20235.

Duolingo est une interface « gamifiée » c’est-à-dire qu’elle utilise les ressorts ludiques du
jeu (vidéo) pour motiver l’apprenant qui oublie le caractère « sérieux » de ces tâches. Les
questions sous-jacentes à cette « gamification » de l’apprentissage sont : Le recours au jeu
constitue-il une contribution efficace dans une démarche éducative ? En quoi le numérique
change-t-il la transmission des savoirs ? Quid de la durabilité de ces savoirs ?

Duolingo est l’application d’apprentissage des langues la plus connue et utilisée au


monde(Huynh, Zuo, & Iida, 2016, 2018 cité par Shortt et al., 2023). Elle se base sur les
neurosciences, les artefacts de gamification et le design émotionnel. La continuation d’une
‘série’ de jours consécutifs d’utilisation en est le cœur. On y trouve aussi des éléments de
compétition tels que les classements entre joueurs via les points accumulés, les défis
chronométrés, les tournois ; des éléments de storytelling tels que l’utilisation d’un avatar,

2
Duolingo. A propos. Consulté le 03/11/23 sur https://www.duolingo.com/info
3
Alexandre Plancher. Duolingo valorisée à plus de 4 milliards de dollars après son entrée en bourse. Siècle
Digital. [en ligne] Écrit le 03/08/2021, Consulté le 03/11/23 sur https://siecledigital.fr/2021/08/03/duolingo-
valorisee-a-plus-de-4-milliards-de-dollars-apres-son-entree-en-bourse
4
Kathleen Wuyard. « Au secours, je suis accro à Duolingo »: quand l’apprentissage d’une langue devient une
addiction . Weekend / Le Vif. [en ligne] Écrit le 17/05/2023, Consulté le 03/11/23 sur
https://weekend.levif.be/societe/psycho/pathologies/accro-duolingo-apprentissage-devient-addiction/
5 Statista. Number of daily active Duolingo users worldwide from 3rd quarter 2020 to 2nd quarter 2023.
Consulté le 03/11/23 sur https://www.statista.com/statistics/1309604/duolingo-quarterly-dau/
-2-

des personnages attachants aux histoires banalement drôles ; des éléments de collections
tels que des gemmes, des badges.

Par le biais d’une ethnographie virtuelle des utilisateurs francophones de Duolingo,


j’apporterai des précisions aux questions de recherche déjà menées par Mitchell Short et
al.(2023). Leurs revues de la littérature - exclusivement anglophones- montra que les
méthodes quantitatives étaient à l’honneur dans 80% des cas. Il serait donc intéressant de
laisser s’exprimer plus longuement des joueurs à travers des entretiens semi-dirigés
individuels et en groupes pour ainsi mettre en lumière les us et coutumes de Duolingo de
manière plus qualitative. Au total, onze personnes ont participé à mon étude. Je me suis
joint à eux pendant 6 mois lors d’une observation participante.

Les ludèmes6 de Raph Koster m’ont aidé à structurer mon récit. Son livre « A theory of fun »
de 2005 a été ‘un game changer’ pour l’industrie des jeux vidéo mais aussi pour la
communauté scientifique. Il y présentait 6 éléments de grammaire structurels que tout jeu
vidéo doit avoir pour être considéré comme un bon jeux vidéo.

Ma recherche a commencé en Octobre 2023 pour se clôturer en mars 2024. Sur les
quatorze personnes contactées actives sur Duolingo, cinq ont arrêtées complètement avant
Décembre. Les neuf autres sont toujours « joueurs »/«apprenants ».

L’interface gamifiée de Duolingo présente un savoir-faire technique sans pareil selon ma


grille d’analyse. Elle permet de prendre confiance en soi, de passer le temps de manière
« intelligente », d’apprendre les rudiments de langues méconnues pour ainsi continuer à les
faire vivre face aux langues institutionnalisées par l’école et l’état public.

Selon ma recherche, Duolingo est un outil de qualité pour apprendre une langue étrangère
– du moins dans ses débuts - en complément d’autres méthodes d’apprentissages - et pour
certains types de joueurs, bien que certaines décisions stratégiques mises en place au fil des
années m’ont interpellé comme la suppression de toutes possibilités de socialisations entre
utilisateurs.

6
Vocable polysémique - du latin ludus (« jeu ») assemblé avec le suffixe -ème, sur le modèle des
termes de linguistique structuraliste tels que phonème, graphème, morphème - apparenté à
beaucoup de gens selon Damien Hansen(2022). Chez Koster, Ludème correspond aussi bien à l’unité
minimale d’une mécanique de jeu qu’aux interactions dynamiques entre le joueur et le jeu et/ou entre
les joueurs du jeu. Enfin, c’est mon opinion d’aujourd’hui 02 mai 2024 de ce que j’ai compris à travers
la lecture de son œuvre originale anglaise et de l’article de Damien Hansen.
-3-

1.
1. Prélude aux ludèmes

Prélude aux Ludèmes


Pourquoi une ethnographie d’une app
d’apprentissage ciblée sur les francophones
• Après une 1ère expérience épanouissante d’enseignant à temps partiel dans le
supérieur, il m’apparaissait certain que c’était MA voie à suivre #thisistheway. Pour être
subsidiable par l’état, un diplôme universitaire est requis. Ce mémoire est le réceptacle
de mes savoirs acquis aussi bien en termes de contenu que de méthodologie.
• Une revue de la littérature scientifique conclut que 80% des articles publiés utilisent des
méthodes quantitatives pour étudier Duolingo. Une approche plus qualitative via une
ethnographie virtuelle des joueurs/utilisateurs francophones apporte de l’originalité à ce
travail de recherche personnel. Il pourra ainsi apporter sa pierre à l‘édifice aux savoirs
connu d’aujourd’hui.
• Adolescent, à l’âge de 16-17ans, je rêvais de devenir journaliste pour le magazine
« Joystick », cela ne s’est pas réalisé car c’était en France et que j’adore trop la Belgique
pour la quitter … Cette anecdote pittoresque sur ma période post-boutonneuse me sert
à vous dire que j’étais déjà amoureux des jeux (vidéo), de l’informatique et du
merveilleux métier d’écrivain.

Figure 1: Nostalgie des années 90


-4-

1.1. Cadre théorique


La gamification soutient-elle des mécanismes d'apprentissage productifs ou n'est-elle que
le "chocolat" qui recouvre le "brocoli" de l'apprentissage (Laurel, 2001) ? Cette figure de
style crée une image mentale pour tout un chacun, ce que ne font pas les termes de
gamification, serious gaming, mobile-assisted language learning . Je vous propose donc de
démystifier ces appellations afin de mieux les appréhender pour la suite de ce récit.

Ce mémoire s’intègre dans les sciences du jeu dont Caillois à « jeter les fondements d’une
sociologie à partir des jeux » (Caillois, 1958, p. 109). Par la suite, les recherches en langue
anglaise ont scindé le mot « jeu » en deux : d’un côté, les « game studies » mettant en
exergue l’objet, l’instrument du jeu (vidéo). De l’autre côté, les « play studies » s’intéressant
à l’expérience humaine qui découle du jeu.

Jesper Juul est un des auteurs importants des « game studies » car il a apporté une structure
définissant le jeu comme ceci :

« Le jeu est un système formel fondé sur des règles dont les résultats sont variables
et quantifiables pour lequel des valeurs différentes sont attachées, à chacun des
résultats possibles dans lequel le joueur fait un effort en vue d’influencer le résultat.
Et enfin, où les conséquences de l’activité sont optionnelles et négociables. » (Juul,
2005 cité par Triclot, 2017, p.21-22).

Cette définition mécanique/structuraliste convient parfaitement à Raph Koster dont nous


reparlerons tout au long de la partie 2.

Jacques Henriot, pour sa part, s’est penché sur le côté humain évanescent et indéfinissable
du jeu. Le jeu du caillou7 est la parfaite illustration de sa maxime : « le jeu n’est-il rien
d’autre que ce que fait le joueur quand il joue ? » (Henriot, 1969 cité par Triclot, 2017, p.27).
Mathieu Triclot, philosophe des jeux vidéo, reformule cette phrase comme ceci « peut-on
définir le jeu comme objet doté de propriétés stables, indépendamment des expériences
subjectives qu’il engendre ? »(Ibid).

Ce même Mathieu rapproche Koster de Caillois dans les six critères répondant aux principes
de la théorie du fun. Pour Caillois,« le jeu est une activité libre, séparée, incertaine,
improductive, réglée par des conventions et fictive »(Caillois, 1958 cité par Triclot, 2017,
p.54). Il est vrai que jouer sous la contrainte, est-ce que c’est fun ? Si on sait tout à l’avance,
est-ce que c’est fun ? Le jeu doit s’effectuer dans un temps et un lieu propre qui lui est dédié
et emporté le joueur dans une réalité autre que la vie ordinaire. Un jeu doit être improductif
– au sens de production de richesse, d’apport dans la vie réel. Qu’advient-il donc lorsque
l’activité « jeu » quitte ces six critères ?

7
Moooordduuuu ! https://www.facebook.com/watch/?v=234884540772752
-5-

1.1.1 Serious gaming – les jeux dits « sérieux »

C’est là que les choses se corsent : En alliant ces 2 termes antinomiques que sont le « jeu »
et le « sérieux » - d’une activité d’apprentissage et donc de production de richesse – l’activité
jeu se retrouve en déséquilibre voire se brise. L’espace potentiellement éducatif des jeux
par leur dimension de second degré est très réduit car il peut s’actualiser de façons bien
différentes selon la nature de l’expérience vécue par les acteurs sociaux (G. Brougère,
2002).

Les auteurs suivants annoncent que les jeux sérieux favorisent la motivation des
apprenants, soutiennent l’apprentissage par essai et par erreur, permettent de différencier
les rythmes d’apprentissage ou de stimuler les interactions pédagogiques entre apprenants
(Djaouti, 2016). Zhonggen (2019), quant à lui, affirme des avantages tels que l’amélioration
des compétences cognitives, l’augmentation du sentiment de plaisir et l’engagement plus
long dans les activités d’apprentissage. Des livres ont été édités avec pour titre « Serious
Game : Révolution Pédagogique » (Lavergne Boudier V., Dambach Y., 2010) ou « Serious
Games. Games that educate, train and inform » (Michael D., Chen S., 2005).

Ces recherches ont attisé l’appétit de tout un pan de l’économie des médias numériques. En
2019, « le marché mondial des serious games représentait 3,5 milliards de dollars en 2018,
et devrait représenter 17 milliards en 2023 »8

1.1.2 La gamification des apprentissages

« La gamification, c'est l'utilisation de la conception de jeu dans des contextes autres que
ceux des jeux » (Deterding, 2015). Elle se « manifeste principalement dans des applications
d'auto optimisation » de nos performances physiques telles que Fitbit ou d’amélioration de
nos connaissances métiers telles que vitalsignsgames9.

Toujours selon Deterding(2015), cela « promet de traduire les aspects engageants des jeux
dans d'autres domaines de la vie afin de créer des expériences positives et de susciter les
comportements souhaités.». A lire cette phrase, nous pouvons tout de suite annoncer que «
des relents comportementalistes » (H. Silva, 2013) voire des « mécaniques pavloviennes »
(M. Triclot, 2011, p. 234) sont à l’œuvre ici, ce qui correspond à la critique majeure de cette
technique. D’autant plus qu’elle est insidieuse car l’utilisateur ne se rend pas compte qu’il
est en train de jouer (Wu, 2011 cité par Silva, 2013).

8
Blandine Masselin, 2019. Les entreprises du secteur des serious games en France. Blog
SeriousGamer.fr. Publié le 05 mai 2019. A lire sur https://seriousgamer.fr/entreprises-secteur-des-
serious-games-en-france/
9
https://www.vitalsignsgames.com/
-6-

La gamification et le serious gaming ont en commun l’utilisation des artefacts virtuels


infusés au fur et à mesure de l’avancement dans le jeu. Ceux-ci sont rassemblés sous le
terme de game design : tel que le tryptique PBL (Point – Badges - Learderboard) ; tel qu’un
storytelling amenant le joueur dans un « périple du héros » (Chistopher Vogler, 1992) ; telle
que la montée en niveau et l’acquisition de points d’expérience ; telle que la création d’un
avatar (K. Kapp, 2012). Ces éléments purement factuels « impliquent des techniques ou des
dispositifs simples, reproductibles et éprouvés : on peut purifier, embellir, falsifier, terrifier,
etc. » (Bogost, 2011).

1.1.3 L'apprentissage des langues assistées par


téléphone portable

Une application gamifiée d'apprentissage des langues assisté par téléphone portable ne
nécessite pas que l'apprenant soit lié à un lieu géographique particulier (Wu et al., 2012
cité par Shortt et al., 2023). Ce qui permet d’apprendre une langue étrangère en dehors du
cadre scolaire d’autant plus que l'apprentissage des langues est une activité difficile,
stressante et anxiogène (Akbari, 2015 ; Iaremenko, 2017 ; Rafek, Ramli, Iksan, Harith, &
Abas, 2014 cité par Shortt et al., 2023). Cela prend du temps, nécessite de la persévérance;
sans motivation adéquate, les apprenants sont susceptibles d'abandonner (Han, 2015 ;
Turan & Akdag-Cimen, 2019 cité par Shortt et al., 2023). Les éléments de type jeu peuvent
accroître la précision et la confiance en soi dans la langue (Castañeda & Cho, 2016 cité par
Shortt et al., 2023). Ils ont un effet positif sur le comportement, l'engagement et la
motivation des étudiants (Huang & Soman, 2013 ainsi que Dehganzadeh ; 2020 cité par
Shortt et al., 2023).

1.1.4 Les profs remplacés par des jeux sur


mobiles ?

Le « mythe de l’apprentissage ludique » (Amadieu et Tricot, 2014, p. 20) annonçant monts


et merveilles quant à sa capacité à faire mieux que l’apprentissage scolaire classique n’a
pas été établi comme l’annonce Michel Lavigne dans son approche critique de l’emploi
contemporain de la notion de jeu au travers de ses manifestations numériques à vocation
non-distractives. Il y cite plusieurs auteurs notamment Alain Lieury et Sonia Lorant dont
« les résultats [de leurs études] brillent par leur nullité » (M. Lavigne, 2018, p.242). Citant
Fenouillet allant dans le même sens :

« Hays [HAYS 05] en se basant sur 48 études empiriques estime que les résultats
sont trop fragmentaires pour tirer une conclusion claire quant à leur capacité à
-7-

susciter l’apprentissage. Randel et ses collaborateurs [RANDEL & AL. 92] en se


basant sur 67 études montrent que, pour plus de la moitié d’entre-elles, il n’y a pas
d’augmentation significative des acquisitions en comparaison avec l’enseignement
du même contenu en face à face pédagogique. Vogel et ses collaborateurs [VOGEL
& AL. 06] montrent que le même enseignement prodigué par didacticiel ou de
manière ludo-éducatif donne des performances comparables. » (Fenouillet, 2009,
p.49)

Michel Lavigne annonce « un avantage en faveur des serious games, mais cet effet positif
est lié à la situation d’apprentissage actif. Cet avantage disparaît dès lors que l’on compare
le serious game avec toute autre méthode d’apprentissage actif. » (M. Lavigne, 2018,
p.243). La question que Lavigne ressort de ces quelques lignes est : En quoi l’apprentissage
actif sauve t’il les activités numériques à vocation non-distractives ?

Les méthodes de pédagogies actives, mettant l’étudiant acteur de sa formation, « seraient


plus propices au développement d’une motivation intrinsèque » (Harter, 1981, cités par
Forner et Simonot, 2001), a contrario de la pédagogie « contrôlante »( Solomon et Kendall,
1976 , cités par Forner et Simonot, 2001) qui développe une motivation extrinsèque. Or, les
études de Deci et Ryan (1985, 2002) ont prouvé que c’est bien la motivation intrinsèque qui
doit être au centre des pratiques pédagogiques, qu’elles soient gamifiées ou non. D’ailleurs
cette approche centrée-utilisateur n’est pas sans rappeler la maxime d’Henriot « Pas de jeu
sans jouer ; pas de jouer sans joueur » (Henriot, 1989, p. 108).

1.2. Cadre méthodologique

1.2.1. Pourquoi une démarche empirique


qualitative ?

Mitchell Shortt, Shantanu Tilak, Irina Kuznetcova, Bethany Martens & Babatunde Akinkuolie
ont réalisé une revue des publications sur Duolingo de 2012 à 2020. Ils y font mention que
80% des études ont utilisé des statistiques descriptives et des comparaisons de moyennes
pour analyser les données. Comme il a été démontré souvent, les statistiques descriptives
sont très limitées et sont généralement plus propices à résumer les données qu'à faire des
déductions (Creswell & Poth, 2016 cité par Mitchell Shortt, 2023). Ceci, combiné aux
méthodes d'échantillonnage non probabilistes qui prévalent et à l'absence de contrôle des
variables démographiques et contextuelles, suggère que la majorité des études sur
Duolingo pourraient ne pas représenter fidèlement les populations cibles, toujours selon les
auteurs de cette revue de la littérature.
-8-

Une étude plus qualitative de facteurs socio-démographiques tels que le sexe, l'âge, les
connaissances préalables, la première langue, la connaissance d'autres langues, les
compétences technologiques, permettra de combler les biais inhérents aux études
quantitatives précédentes car les différences individuelles peuvent avoir un impact
différentiel sur les processus d'apprentissage et les résultats (Skehan, 2014 cité par
Mitchell Shortt, 2023).

Les apprenants d'âges différents traitent la langue et abordent l'apprentissage des langues
différemment (Chen, 2014 cité par Mitchell Shortt, 2023) ; de même, les attitudes à l'égard
de la technologie et son utilisation varient selon les groupes d'âge (Charness & Boot, 2009
cité par Mitchell Shortt, 2023); les stratégies d'étude des langues peuvent également
différer en fonction du sexe (Liyanage & Bartlett, 2012 cité par Mitchell Shortt, 2023). Les
expériences linguistiques passées et les schémas des apprenants façonnent l'expérience
d'apprentissage individuelle (Hinkel, 2016 cité par Mitchell Shortt, 2023), et l'auto-efficacité
technologique prédit l'engagement des apprenants dans les technologies d'apprentissage
mobile et les résultats de l'apprentissage mobile (Menekse, Anwar, & Purzer, 2018 cité par
Mitchell Shortt, 2023).

1.2.2. Pour quoi une démarche empirique


qualitative ?

Sébastien Genvo constate : « en cherchant des attributs tenus pour constitutifs du jeu nous
avons davantage révélé des perceptions différentes du jeu, culturellement construites à
travers le temps et l’espace. » (Genvo, S. ,2009 p.186). En effet, le jeu est d’abord activité, il
nécessite une interprétation par le joueur. Son activité peut être observée. À cette fin,
Sébastien Genvo conseille la mobilisation de la méthode ethno-méthodologique. Initiée par
Harold Garfinkel (2007), l’ethnométhodologie est un courant sociologique qui invite à
décrire la réalité sociale au travers des pratiques des individus. Mettant l’accent sur la
démarche compréhensive, elle accorde une place essentielle à l’approche qualitative. Elle
suppose que la description du réel peut s’appuyer sur la parole des acteurs engagés dans
leurs pratiques. « Le langage ordinaire dit la réalité sociale, la décrit et la constitue en même
temps » Alain Coulon (2002, p. 4). Il s’agit donc d’observer les pratiques, d’examiner
l’utilisation du langage dans son contexte (indexicalité), la construction implicite qu’il
suppose pour son interprétation (réflexivité), la description qu’en font ses membres
(accountability). La notion de membre se réfère à la maîtrise d’un langage commun. (M.
Lavigne, 2018).

Comme le soulignent Emerson, Fretz et Shaw(1995:171) : « Les récits thématiques utilisent


les notes de terrain non pas comme des illustrations et des exemples de points déjà
soulevés, mais comme des éléments de base pour construire et raconter l'histoire en
-9-

premier lieu. [Les extraits d'un récit ethnographique ne sont pas tant des preuves de points
analytiques que le cœur de l'histoire] » cité par Boellstorff, 2012 p.191.

Selon Boellstorff,« l'observation participante est essentielle à la recherche


ethnographique parce qu'elle fournit des données non sollicitées sur les modes de vie
sociaux et culturels au moment où ils sont mis en œuvre. Elle permet au chercheur de voir
comment les pratiques et les croyances s'influencent mutuellement dans les contextes
d'interaction quotidienne.» Boellstorff (p. 105, 2014) – Traduit par DeepL –.

Elle est la première pratique de base pour toute ethnographie.

Pour éviter d’être passif et de louper des us et coutumes inhérents à l’utilisation de


Duolingo, il m’« est nécessaire d’entrer dans la “sphère du jeu” si l’on ne veut pas se
retrouver hors contexte et faire face à une réalité qui, en tant que “fait objectif”, est
insignifiante » (S. Genvo, 2009, p. 235). Je vais donc m’immerger dans le jeu, devenir un
joueur actif et mener une observation participante telle qu’un anthropologue le fait pour
comprendre la « réalité virtuelle » des apprenants.

Les termes « joueurs » - « apprenants » - « utilisateurs » - se mélangeront souvent dans mon


récit car le sentiment de jouer est subjectif comme l’a fait ressortir Genvo – s’appuyant sur
la démarche de Jacques Henriot -, certains participants étant convaincus que ce n’est pas un
jeu tandis que d’autres apprécient cette gamification, bien qu’ils ne savent pas vraiment le
définir ou l’expliquer comme l’évoque Delphine ici-bas :

“ C'est quand même assez visuel comme application parce


que j'ai déjà utilisé d'autres applications pour apprendre
les langues c'est pas monté d'une manière aussi jolie entre
guillemets. Je trouve que c'est plus interactif, je préfère, je
sais pas comment expliquer.” — Delphine lors du focus
group

Deuxième pratique de base pour toute ethnographie: « contrôler [la] production de


connaissances en maintenant un thème central et en définissant une période de discussion
raccourcie » (Kratz 2010 :806 cité par Boellstorff, 2014) ) – Traduit par DeepL –. soit organiser
des entretiens semi-dirigés d’environ 1 heure chacun et selon un guide d’entretien
préalablement écrit (Annexe 2). Celui-ci évoluera d’ailleurs au fur et à mesure des
discussions avec mon terrain.

Les entretiens individuels sont « importants pour la recherche ethnographique parce qu'ils
nous permettent de poser des questions spécifiques à des individus qui ne sont pas
forcément abordées dans les interactions quotidiennes. Ils permettent au chercheur d'en
-10-

apprendre davantage sur l'histoire commune et les idéologies et croyances consciemment


entretenues, afin de mieux comprendre ces continuités et divergences. » (Boellstorff p. 105,
2014) – Traduit par DeepL –.

Les encadrés de couleurs orangés présents dans ce document sont des extraits de mes
échanges individuels avec mes participants (Annexe 1).

1.2.3. Question de recherche

En quoi la gamification soutient-elle des mécanismes


d’apprentissages productifs ?
A l’heure du débat planétaire sur l’encadrement éthique de l’intelligence artificielle, il
apparait important de faire le point de manière critique sur l’efficacité des jeux dits sérieux;
leurs incohérences et les dangers éthiques que de telles interfaces peuvent engendrer.

Je vous propose donc ici-bas une analyse de cas sur l’application d’apprentissage des
langues étrangères mondialement connue : Duolingo.

1.2.4. Sous-questions de recherche

Suite à cette historique scientifique, les questions suivantes apparaissent comme


pertinentes pour approfondir les connaissances acquises10 :

• Les attentes des utilisateurs correspondent-elles à ce que Duolingo promet et à la


manière dont il est conçu ?

• Comment l'utilisation de Duolingo façonne-t-elle/affecte-t-elle la motivation des


apprenants, en particulier sur une longue période de temps ?

• Comment l'apprentissage se déroule-t-il dans les applications gamifiées telles que


Duolingo ? Quels sont les aspects de ces plateformes qui contribuent le plus aux gains
d'apprentissage ? Quels sont les objectifs visés par les fonctions gamifiées de la
plateforme ? Ces fonctionnalités atteignent-elles les objectifs visés?

• Les objectifs visés sont-ils valables d'un point de vue pédagogique ? Faut-il encourager
la motivation extrinsèque d'étudier tous les jours ou encourager la recherche
approfondie d'informations, l'utilisation authentique de la langue et de la
communication ?

10
Celles-ci dépassent le spectre de ce mémoire. Je les nomme ici pour d’éventuels
approfondissements futures.
-11-

• Comment les apprenants de différents milieux (par exemple, niveaux de langue, âges,
sexes, différents niveaux d'auto-efficacité technologique, différentes expériences de
jeux et d'applications gamifiées) perçoivent-ils l'utilisation et l'utilité de Duolingo dans
leur apprentissage ?

1.2.5. Hypothèses

Après deux semaines d’observation participante faisant suite aux sous-questions de


recherche fondée sur mon cadre théorique, j’ai émis les hypothèses suivantes :

H1. L’utilisateur poursuit son expérience d’apprentissage en dehors de l’interface gamifiée


pour continuer à apprendre car cela ne répond pas/plus à ses attentes.

H2. L’utilisateur poursuit son expérience d’apprentissage dans l’application à travers des
actes de sociabilisation, entretenir et/ou agrandir ses liens faibles.

H3. L’utilisateur poursuit son expérience d’apprentissage en dehors de l’application à des


fins de sociabilisation, créer des liens forts, de nouvelles amitiés avec des rencontres
hors ligne.

H4. L’utilisateur poursuit son expérience d’apprentissage dans l’application à des fins de
compétition, pour terminer les parcours proposés, pour être le 1er dans le tableau des
scores/des ligues.

1.3. Description de mon échantillon


Fort de ce cadre théorique et de ces manquements actuels, les choix méthodologiques pour
ce mémoire ont été d’ordre qualitatif à travers une ethnographie des utilisateurs
francophones de Duolingo. Des entretiens semi-dirigés d’environ 1 heure ont été réalisés
par vidéo-conférence via la plateforme Zoom ou l’application de messagerie de Facebook
nommée « Messenger ». Une dizaine de personnes ont pris part à mon étude.

En optant pour des méthodes qualitatives sur un échantillon de 11 personnes, il m’est


impossible de parler de représentativité au niveau de la population – ceci étant l’apanage
des méthodes quantitatives grâce à des inférences statistiques.

Je vais donc « créer » mon terrain sur la base du principe de Diversification et de Saturation
en sélectionnant des profils « extrêmes » soit des personnes de sexes différents, d’âge
différents, de situation familiales/économiques/culturelles différentes afin de collecter des
pratiques différentes qui permettront d’avoir un panorama des utilisations divers et varié.

Comme défini en préambule, j’ai limité mon terrain d’étude aux personnes francophones et
ainsi éviter des biais quant à la phonologie des langues trop différentes. Cela permettra
-12-

aussi de ne pas être submergé par des données disparates qui seraient trop compliquées à
analyser. La constitution de mon panel de joueurs a été fastidieuse comme vous le lirez
dans le chapitre nommé « Tisser des relations dans un univers virtuel ». Il en résulte que les
profils ont entre 24 et 73 ans ; qu’il y a 2 hommes et 9 femmes ; qu’il y a 7 personnes ayant
un diplôme de bachelier ou plus ; 2 personnes à la recherche d’emploi et 1 pensionnée.

Vous trouverez un tableau des participants plus détaillé en annexe 1 .

Voici leurs profils sur Duolingo :

Delphine Émilie Firat Josée

Kathy Bénédicte Laura Louis


-13-

Maria Morgane Suzie

1.4. Articulation de mon récit


La partie « 2. Duolingo face aux ludèmes » s’articule comme une histoire entre mes
duolinguistes et moi saupoudrée des théories sous-jacentes d’une gamification réussie. Ce
voyage, au cœur de l’application au hibou, est composé de 6 escales. Nous traverserons
donc l’île de la préparation ; le rocher Pi où l’espace à un sens ; le village des mécanismes
de base solide, la mégalopole Puzzle, le conglomérat des connaissances évolutives face aux
problèmes évolutifs et son alter-ego – le conglomérat des mécanismes de jeu évolutifs.

Ces étapes sont tirées du best-seller « A theory of fun for Game Design » de Raph Koster
sorti en 2005. Un bouquin plutôt dense à lire tellement ce game designer y met des choses
puissantes et réfléchies. Après avoir défini ce qu’est le FUN pour lui, il propose de
décortiquer tout jeu vidéo en unité minimale fonctionnelle qu’il nomme « ludème » sur le
même modèle linguistique que morphème et phonème. Il n’est pas le premier à les définir
mais il est certainement le plus connu du grand public.

Son approche analytique va m’aider à garder le cap lors de ma plongée dans l’univers
coloré et enfantin de Duolingo.
-14-

2.
2. Duolingo face aux ludèmes

Duolingo face aux ludèmes


⎯ Toi, qui me lis ! Oui toi qui tiens un exemplaire de ce mémoire universitaire pour le
moins original. Sauras-tu me dire les mots qui ressortent le plus dans ce florilège de dires
de mes autochtones duolinguistes ? Ceux-ci devaient répondre à la question : « Pourquoi
accroches-tu autant à cette application et pas à une autre ? »(petit indice : le gras, c’est la vie11)

Maria : « moi, je continue parce que ça m'amuse. »

Émilie : « j’ai l'impression de faire des choses intelligentes avec mon téléphone. Oui,
c’est ça plutôt que tu joues aux cartes ou des trucs comme ça. »

Maria : « voilà, c'est amusant et en même temps je me dis c'est pas totalement
inutile. [en riant timidement] »

Maria - lors de l’entrevue individuelle - « C'est amusant. Dans un premier temps, il


suffit de cliquer. Il faut écrire quelques mots. C'est facile alors tu avances. »

Kathy : « Les ligues ça ne change pas mon envie de continuer, quoi. C'est vraiment
juste un petit bonus. Sur le moment même, c'est marrant, quoi. Ça ne change pas
mon utilisation du truc. »

Louis : « Je ne connaissais pas du tout la quête entre amis. Je trouve ça super


marrant »

Morgane : « C'est un peu plus challengeant que des cours sur le temps de midi ou
avec une bonne femme qui te cause pendant une heure de trucs que tu ne
comprends absolument pas, quoi ! »

Et j'ai bien accroché et parce que j'avais déjà essayé plusieurs applications, pas que
pour l'anglais, mais pour des sujets un petit peu variés.

Qu'est-ce qui fait que ça fonctionne ?

Suzie : C'est très facile. On a juste à cliquer et puis on est guidé sur le parcours.

11 Comme tu as dit, il y a les personnages avec des personnalités différentes, des


https://www.facebook.com/watch/?v=2221532641406755
attitudes différentes qui sont marrantes.
-15-

Ça n'avait pas pris du tout, tandis qu'ici, je trouve que c'est un côté ludique aussi, en
fait. Il va y avoir pas mal de répétitions, mais justement, ça permet vraiment de bien
assimiler la matière plutôt que de taper ton gros manuel à apprendre par cœur.

Ici, c'est vraiment des mises en situation que tu fais. Tu écris les phrases, tu retrouves
les traductions, ça te met dans différentes situations.

Et c'est ça que je trouve chouette, en fait, parce qu'on ne s'ennuie pas malgré ce
caractère un peu répétitif. »

[petite respiration]

« Moi : Pour toi Duolingo c'est comme l'école ?

Josée : Ah oui c'est le même principe. Après avec peut-être une logique un peu plus
ludique et axée sur la répétition des mots, des structures de phrases aussi. »

Émilie : « C'est sympa pour passer du temps et, on va dire, s'amuser d'une manière
un peu plus utile que quand tu CandyCrush ou je ne sais pas quoi. »

Suzie : « Je trouve ça fun. C'est un jeu en fait, c'est un jeu.

Parce que des fois c'est marrant, c'est hyper marrant les phrases qu'on te donne. Et
ça fait rigoler.

Moi : Et qu'est-ce qui, selon toi, est vraiment une bonne qualité de cette application ?
Qu'est-ce qui fait que ça fonctionne ?

Suzie : C'est très facile. On a juste à cliquer et puis on est guidé sur le parcours.

[petite respiration]

Firat : J'ai même essayé avec ma petite nièce qui a 5 ans. À la maison, je lui ai donné
l'application et elle aimait beaucoup. Elle clique, elle répète ce qui est écrit. C'est
une superbe idée, même pour les enfants, parce que les enfants sont addictifs aux
smartphones. Si au lieu de leur donner des jeux, pour les enfants, c'est top. C'est
magnifique. Sans lui prendre son téléphone, tu crées un terrain que pour
l'apprentissage.
-16-

Kathy : « J'ai accroché tout de suite en fait. Parce que je trouve que c'est ludique et tu
gagnes des points, tu as envie de progresser, de battre un petit peu à chaque fois
ton record quotidien. Et puis tu peux choisir aussi le temps que tu veux y mettre
dessus, tu n'es pas obligé d'y passer une heure. Si tu n'as le temps que dix minutes
par jour, ben c'est bon. »

Alors as-tu trouvé les mots utilisés par chacun de mes participants ci-dessus qui
peuvent être rassemblés dans la même sphère sémantique?
[petite respiration]


[… le suspense est à son comble …]


Les voici :Amusant – Marrant – Fun – Ludique – Sympa – Facile - Challengeant

Ces vocables, vous le conviendrez, pourraient tous faire partie du champ sémantique « Jouer
le jeu ». Alors, j’ai voulu savoir comment mes maîtres Jedi définissaient le FUN !

Définir un jeu (vidéo) ou la pédagogie active est un exercice périlleux que peu de gens
tentent vu la polysémie de tels concepts. Il en va de même pour le FUN car cela implique
plusieurs processus mentaux, ceux-ci différent de personne à personne. Autre élément- et
non des moindres - chacun propose sa propre définition selon son secteur de recherche.

Les ludèmes de Koster ………… 2.0


2.0. Les ludèmes de Koster

Un certain Raph Koster a quand même fini par théoriser la notion de FUN dans un bouquin
très graphique - après avoir bossé 20 ans dans l’industrie des jeux vidéo. Hormis le fait que
traduire certaines de ces phrases en français est impossible12, ce livre a été un ‘game
changer’ même pour la communauté scientifique.

12
Essayez de traduire ceci en français : « Based on my reading. the human brain is mostly a voracious consumer
of patterns, a soft pudgy gray Pac-Man of concepts. Games are just exceptionally tasty patterns to eat up. »
Koster (2014) p. 14
-17-

Les développeurs de Duolingo ont certainement lu « A theory of Fun for Game Design » de
Koster car l’application coche toutes les cases des 6 éléments de grammaires structurels
qui fait d’un jeu vidéo un bon jeu vidéo.

Je vous propose de les passer en revue l’un après l’autre. Cela nous offrira un fil rouge pour
analyser plus finement l’efficacité et les incohérences de ce serious game.

1. Se préparer à l’action
Où l’on y prépare ses actions, amasse des gemmes, répète le vocabulaire pour
faire face au défi futur.
2. Définir un sens de l’espace
Où le terrain de jeu virtuel prend place de manière linéaire.
3. Définir un mécanisme de base solide
Où l’on apprend les règles pour évoluer dans la langue choisie.
4. Résoudre des puzzles
Où l’on découvre le contenu et le FUN.
5. Définir des connaissances évolutives pour résoudre des problèmes
évolutifs
Où l’on combat l’ennui grâce à l’évolution du contenu.
6. Définir des mécanismes de jeu évolutifs
Où l’on éprouve son habilité face à des défis de + en + difficile.
7. Bonus
Trois dispositifs supplémentaires qui transforment le jeu en apprentissage.

2.1. Préparation

Préparation ……………… 2.1


Raph Koster(2014) : « Avant de relever un défi donné, le joueur peut faire des choix qui
affectent ses chances de réussite ». Pour vérifier cela, il propose les questions suivantes :

« Devez-vous vous préparez avant d’aborder les phases de jeu ? Pouvez-vous le faire de
différentes manières et toujours réussir ? »

Duolingo : L’interface propose des « révisions » du jour lorsque le parcours devient


compliqué ou que le joueur n’a plus de vies pour le continuer. Il permet d’acheter des
« brises lignes » dans les duo à gogo et ainsi faciliter la réussite de ce défi chronométré.

Raph Koster : « Il peut aussi mettre en place un paysage stratégique »

Duolingo : Delphine – mon utilisatrice la plus disserte – m’a expliqué comment elle s’est
préparée pour gagner la première place de la ligue Diamant :
-18-

« Je suis montée en ligue Obsidienne. J’ai fait en sorte de gagner le défi hebdomadaire
qui m’octroie un bonus jusqu’au mardi suivant. Celui-ci fait doubler tes XP pendant
1/2h – ce qui est super intéressant – […le joueur l’active quand il veut…]. J’avais aussi
économisées des gemmes pour passer les niveaux en ‘légendaires’ [ceux-ci coûte
100 gemmes aux non-abonnés]. Il rapporte 90XP chacun grâce au bonus ‘double XP’
alors qu’un exercice non-légendaire rapporte 20XP. J’ai aussi fait les défis à gogo et
les révisions express qui te coûtent que 30 gemmes et te rapportent 80XP. C’est des
défis chronométrés qui finissent plus vite que les niveaux légendaires. Donc en 5-10
minutes, tu peux avoir 300-400XP super facilement. Surtout si tu les doubles avec le
coffre du matin et le coffre du soir».

Nous reviendrons plus tard sur l’efficacité de telles pratiques dans le chapitre "La ligue
Diamant, c'est des Fadas!".

Raph Koster(2014) : « Les mouvements antérieurs dans un jeu font automatiquement


partie de la phase de préparation »

Duolingo : Il est possible de récupérer ses vies, sa ligue, sa série et ses gels de séries en
échange soit :

● de gemmes
● d’un abonnement payant
● de révisions d’exercices

“ ● Un jeu qui n'implique aucune préparation


repose sur le hasard. ” — Koster .R (2014)

Le hasard n’a donc aucune place dans Duolingo. La préparation avant les phases
d’exercices peut être complexe. Elle est utile pour ceux qui veulent jouer le jeu de la
compétition telle que Delphine. Elle est aussi utilisée par ceux qui veulent continuer
l’apprentissage alors qu’ils ont perdu toutes leurs vies, leurs gels de séries ou leur série.

Les éléments temporels tels que les coffres du soir et du matin, le caractère quotidien de la
série, les défis entre amis, les badges mensuels, et les notifications de réussite de ses
abonnés rythment les journées, les semaines, les mois des utilisateurs. Du moins, c’est ce
que l’interface a mis en place. Du coté de mon panel d’utilisateurs, à part la série qui est un
élément effectif quotidien, cela apparaît comme des gadgets, ils sont peu utilisés, peu
commentés lors de nos entrevues voire pas du tout.

Voici comment ils en parlent :


-19-

Émilie : « Alors de mon côté je suis plutôt beaucoup trop connectée dans la réalité
que pas assez 😅 le côté régulier m'importe peu, à part que je sais d'expérience que
seule une pratique régulière permet de progresser. Le soir je reçois la notification de
Duolingo vers 21h et souvent je la garde jusqu’avant de me coucher et je dois avouer
que parfois ça me gonfle mais je le fais quand même pour ne pas perdre ma série qui
est désormais très longue et qu'il serait dommage de casser par flemme. Mais ce
n'est pas un rituel du tout. »

Louis : « Moi je loupe tous les coffres et ça ne me rythme pas du tout. 😅 »

Laura : « Avec l’enfant à aller déposer à l’école, ça m’aide à savoir qu’on est en
semaine mais quel jour on est… bof 😛

Les coffres du matin/soir je m’en sers. Les séries de jours ça fonctionne bien sur moi,
là par contre pour la compétition y a pas de soucis 🤣 mais surtout en comparant
avec les gens présents dans ma ligue de la semaine. La ligue de la semaine rythme
aussi pas trop mal. Je ne me sens pas en décalage avec la réalité parce que de toute
façon comme je suis déjà sur épuisée, je ne suis déjà pas tout à fait là donc peut-être
que ceci explique cela 😛

J’aime féliciter mes adelphes ! Paix et amours sur vos réussites à tous ! ♥️💪🏻 »

Morgane : « Pour moi c’est devenu une habitude. Je sais que le soir, je prends
10/15min pour faire ma leçon, recopier les règles grammaticales ou du vocabulaire
dans mon petit cahier. »

Josée : « Idem. Je prends mes 10 minutes quotidiennes sur Duolingo et je note les
nouveaux éléments (phrases, mots...) »

– à part pour Delphine qui en parle comme ceci :

« Oui Duolingo rythme mon apprentissage via les coffres du matin et du soir, je sais
que je dois toujours essayer de faire 10 minutes d'apprentissage avant midi pour
avoir mon coffre du soir et avant minuit pour avoir mon coffre du matin. Je garde en
tête que les quêtes entre amis doivent être accomplies avant dimanche soir, les
badges avant la fin du mois. Donc oui, pour ma part ça permet d'avoir des repères et
ce n’est en effet pas négligeable à l'heure actuelle. Je crois qu'inconsciemment j'aime
aussi l'appli pour cette raison 😊 c'est vraiment une source de stabilité et de
régularité que j'apprécie »
-20-

Un sens de l’espace …… 2.2

“ S'il n'y a pas de sens de l'espace, on dit qu'il est


trivial. ” — Koster .R (2014)

2.2. Un sens de l’espace

Pour vérifier cela, Koster propose la question suivante :

«Est-ce que l’environnement du monde virtuel, dans lequel se déroule le jeu, affecte les
défis ? » Koster .R (2014)

2.2.1. Un Design émotionnel

Le terrain de jeu de Duolingo se compose d’un chemin linéaire d’exercices13. Il faut valider
chaque niveau pour passer au suivant. Les parcours de langues sont structurés en
« Chapitres » (voir Figure 11) - eux-mêmes divisés en « Unités » (voir Figure 12) – subdivisés
en niveaux (voir Figure 13). Un niveau est composé d’une dizaine d’exercices.

Fig.11 D'abord un chapitre… Fig.12 … ensuite des unités... Fig.13 ... pour arriver au niveau d'exercices

13
Pour comprendre pourquoi le mot « linéaire » est important, voir « 2.5.4 changement dans
l’interface »
-21-

Voici comment Delphine et Louis en parlent :

Delphine : « Tu gagnes des gemmes et tout ça, tu vois que... Tu montes dans la ligue
et tout !T'as envie d'apprendre, parce qu'en plus, vu que c'est des objectifs clairs, tu
visualises, tu vois que t'avances, forcément, vu que tu te dis, ah, ce niveau-là, il est
fait, allez, je pourrais encore faire un autre niveau. »

Louis : « Le chemin d’apprentissage est très clair. Je fais souvent 3-4 leçons car j'ai
l'objectif de terminer un pavé d’exercice. Disons que ça marche assez bien de faire ce
chemin en dalle avec des étapes, parce que moi j'accroche et j'ai vraiment envie de
continuer. Je vois tout de suite que ça tourne un peu. Je me dis, je vais faire tourner
encore un peu plus. »

L’univers de Duolingo se situe dans le temps présent de nos activités quotidiennes dans un
style cartoon fort cohérent à travers toute l’application. Duo le hibou – mascotte de
Duolingo - ainsi que les différents personnages que nous rencontrons sur notre route sont
tous dessinés dans cet univers coloré enfantin. Des illustrations 2D sans fioritures, sans
dégradés de couleurs mais avec un storytelling puissant(voir figure 2). D’ailleurs, comme
toutes les grandes marques de ce monde, Duolingo possède une identité graphique aussi
pointue que celle de la marque à la pomme : un design émotionnel, l’humour en plus…

Leur leitmotiv : « Soyez aussi enjoué que vous le souhaitez. Nous voulons que nos
illustrations soient colorées et vivantes. […] Nos personnages sont à la fois espiègles et
attachants »14.

Figure 14 Observez les blocs rouges sur la gauche : Les formes ayant un poids visuel similaire sont prévisibles et
inintéressantes, alors qu'une variation de formes donne à l'œil quelque chose d'excitant à regarder sur les blocs de droite .

14
Design system de Duoliongo accessible via https://design.duolingo.com/illustration/shape-
language#color
-22-

Voici ce que dit Kathy à propos du design -aussi bien visuel que sonore - :

Kathy : « J'aime bien les couleurs, j'aime bien aussi les voix pour chaque personnage.
Ce que je trouve intéressant, c'est que pour apprendre justement la prononciation,
t'as différentes voix, t'as des voix d'enfants, t'as des voix de femmes plus jeunes ou
plus âgées, ou d'hommes, des choses plus jeunes ou plus âgées, des voix plus graves
ou plus aiguës ,et ça c'est un truc de la prononciation, et bien comprendre aussi,
l'audition est importante.

T'as des personnes qui parlent plus vite ou moins vite, et je trouve ça vraiment bien
fait, d'un point de vue sonore, d'un point de vue visuel, les personnages sont
agréables à regarder. »

Kathy nous décrit l’expérience audiovisuelle réussie qu’elle a vécu. L’ambiance sonore est
très importante pour ceux qui veulent apprendre une langue. Elle est partie intégrante du
design émotionnel. Louis était aussi très content d’écouter différents accents. Cela l’a aidé à
exercer son oreille mais surtout à dédramatiser à propos de son accent. Il avait honte de ne
pas parler avec l‘accent académique d’un anglophone parlant sur la BBC. Il s’est rendu
compte que tout le monde a l’accent qu’il a en fonction de son éducation, ses origines
ethniques ou géographiques. Il en parle en ces termes élogieux :

Louis : « Je pense que c'est super utile pour déconstruire l'emprunte auditive
théorique qu'on se fait des mots pour mieux les identifier par la suite. Les variations
masculin, féminin et accents exercent selon moi plutôt bien l'écoute. »

En analysant ce point de l’oralité et des accents proposés par Duolingo, j’ai voulu creuser un
peu le sujet. J’ai posté un message sur notre conversation groupée :

Moi : « Est-ce que les exercices de compréhension à l'audition selon les différents
accents des personnages vous aident à mieux comprendre les natives speakers ? Ou
des podcasts, émissions télé, etc. »

Laura : « Personnellement oui, mais ça fait quatre ans que je fais de l’italien sur
Duolingo et un moment que j’ai fini [le parcours], donc c’est peut-être plus le fait que
j’ai fini que la compréhension à l’audition [proposé par Duo et ses amis]. »

Morgane : « En anglais oui, mais en Italien c’est pas ouf (j’ai même l’impression que
c’est plus des erreurs de prononciations lorsqu’ils ont enregistré les trucs, que des
accents). »
-23-

Delphine : Je crois que oui mais comme je parlais déjà tous les jours avec mon amie et
que j'écoutais déjà toutes sortes de programmes en anglais (US, UK, Australie...) mon
oreille était déjà habituée à différents accents, mais Duolingo aide à maintenir ma
compréhension en tout cas, c'est toujours bon à prendre.

Émilie : En norvégien, en tout cas au niveau où je suis, il y a toujours les mêmes 2


voix, un homme et une femme. Pas d'accents différents. Peut-être que ça existe plus
tard dans les niveaux. J'ai refait un petit tour dans les exercices d'écoute en anglais,
c'est des accents américains, ça varie un petit peu mais pas beaucoup je trouve... ou
alors je n'ai pas entendu de bon exemple... pas d'accents du sud par exemple.

Josée : Côté hindi, il n'y a pas de différence notable entre l'accent des personnages.
Mais j'avoue que ça aide pas mal pour la compréhension avec les natifs, même si ce
n'est pas du 100%. Le plus efficace restent les podcasts et les films.

Bénédicte : Certains sont moins compréhensibles que d’autres.

Bien qu’il y ait des espaces à combler vu l’étendue des langues proposées, mes
duolinguistes s’intéressent à cette question car les accents des personnages les ont
marqués d’une manière ou d’une autre. Les fonctionnalités exerçant la compréhension à
l’audition, à travers différents accents, sont positivement perçues. Elles apportent une utilité
réelle selon mon panel de participant.

2.2.2. Un Storytelling attachant

Dans le parcours en langue anglaise, Vikram, Lin, Lucy, Lily, Zari, Junior, Eddy, Béa, Oscar
ont chacun une voix différente avec une tonalité15 qui leur est propre. Ces personnages
apparaissent au fil des leçons ainsi qu’un peu partout dans l’application.

“ Nos personnages sont à la fois espiègles et attachants ”


— design.duolingo.com

15
Le terme tonalité est peut-être plus approprié qu’accent qui réfère lui a un aspect géographico-culturel
localisé propre à une population alors que tonalité est propre à chaque personne. Il s’agit pour Duolingo
d’éduquer l’oreille à un anglais classique et non pas à correspondre à toutes les sensibilités locales.
-24-

Moi : Est-ce que tu as remarqué qu'il y avait plusieurs personnages ?

Morgane : Oui oui ! je sais pas si toi t'as tous les petits personnages entre guillemets
de base genre Vikram, Lucy et compagnie. Je trouvais rigolo que tous les personnages
ne se ressemblent pas. Enfin allez c'est une ethnie assez variée. Tu vas avoir des
personnes de couleur ; tu vas avoir des personnes de confession différentes ; tu vas
avoir des personnes qui ne sont pas hétéronormées. Je trouvais ça sympa en fait de
dire que bah tiens machin elle parle de sa copine*13 ou enfin je trouvais que entre
guillemets la banalisation des différents profils humains je trouvais ça vachement
chouette aussi parce que justement les trucs entre guillemets scolaires c'est toujours
papa maman les enfants ils sont blonds aux yeux bleus enfin aux yeux bleus et aux
cheveux blonds enfin la petite famille parfaite quoi et ici je trouve que c'est beaucoup
plus représentatif notamment bah là il y a un gars qui élève son gamin seul et des
trucs comme ça enfin c'est un peu allez ça change de ce que ce que l'on voit
habituellement. T'as beaucoup plus de diversité.

[…] Au fil du temps tu sauras tout sur Vikram, son épouse, son colocataire qui fout le
bordel dans le frigo. […]

C'est toujours des trucs super drôle quoi donc franchement genre attend à un
moment ils croisent Lucy et sa petite fille qui reviennent de la pizzeria*14 et crèvent
de faim et demande pour acheter une pizza sauf que la petite fille ne veut pas et du
coup il s'incruste chez les grands-parents du genre ouais je passais comme ça dans le
coin et donc les grands-parents invitent à manger en fait c'est juste pour gratter de la
pizza. Ils sont complètement con mais voilà c'est drôle, c'est des petits trucs qui
changent un peu des histoires qu'on voit sur RTL.

16

Firat : Une autre fonctionnalité que j'aimais beaucoup, c'était le ‘speaking’. J'ai
beaucoup aimé parce que ça me permettait de parler et de lire les phrases ou de
répondre ou de faire une traduction en vocale.

La diction est aussi un exercice clé pour appréhender une langue dans toute sa complexité.
Se faire comprendre par les « locaux » dont c’est la langue maternelle est une épreuve
redoutable : Cette compétence valide « brutalement » les efforts fournis pendant de longs
mois.

16
https://www.duolingo.com/stories/en-fr-find-my-girlfriend
14
https://www.duolingo.com/stories/en-fr-i-want-a-pizza
-25-

Kathy m’en as parlé de cette manière :

Kathy : « J'ai eu l'occasion une fois aussi, j'étais à Bruxelles et j'ai eu l'occasion de
discuter en italien aussi avec des touristes qui avaient l'air perdus et je les ai
renseignés un petit peu en italien. »

Moi : « Donc ça t'a vraiment servi quoi. Et qu'est-ce qu'ils ont dit ces touristes ? Est-ce
qu'ils ont dit tiens, vous parlez bien ? »

Kathy : « Il avait un peu de mal à me comprendre, mais moi je les comprenais par
contre. »

Il y avait clairement de la fierté dans sa voix à propos de cette rencontre inopinée.

Bénédicte, quant à elle, vit des rencontres programmées avec des anglophones. Voici ce
qu’elle en dit :

Moi : « Bénédicte, vous pour le moment vous avez une motivation première, c'est de
dialoguer avec votre belle-fille qui est australienne. Ils habitent ici ou bien c'est à
distance que vous communiquez ? »

Bénédicte : « quand elle vient ici alors il faut bien parler avec elle, ça c'est compliqué.

Quand elle est en Australie, mon fils est là, donc il sait traduire. »

Moi : « Ils viennent de temps en temps alors ? »

Bénédicte : « oui, ils sont venus deux fois l'année dernière mais les communications
ne sont pas faciles. J’ai une base en anglais mais quand elle parle je ne comprends
pas trop bien ce qu'elle raconte. »

Moi : « elle parle trop vite ? »

Bénédicte : « Elle n'a pas un accent trop prononcé mais bon c'est vrai que parfois je
crois comprendre et puis mon fils éclate de rire car ça n’a rien à voir. »

Moi : « Est-ce que vous êtes un peu déçue alors du coup de ne pas avoir pu
comprendre mieux malgré toutes ces années ? »

Bénédicte : « Duolingo c'est bien pour apprendre en gros mais les thèmes choisis
c'est souvent des thèmes dont on n'utilise pas dans la conversation courante. »

Moi : elle parle trop vite ?

Bénédicte : Elle n'a pas un accent trop prononcé mais bon c'est vrai que parfois je
crois comprendre et puis mon fils éclate de rire car ça n’a rien à voir.

Moi : Est-ce que vous êtes un peu déçue alors du coup de ne pas avoir pu
comprendre mieux malgré toutes ces années ?
-26-

Pour Suzie, cela a été « la douche froide17 » lorsqu’elle a voulu pratiquer la langue de
Goethe :

Suzie : Après avoir été en Allemagne, j'ai arrêté parce que j'en avais marre.

Moi :Ah oui. T'en avais marre parce que quoi ?

Suzie : Parce que j'avais l'impression de réussir dans le contexte du Duolingo. Mais
quand j'étais en Allemagne, je ne trouvais pas les mots.

[…]

Je crois que j'ai blâmé Duolingo. Mais en fait, je crois que la façon d'apprendre de
l'appli, ça ne me convient pas. Donc, tant que je faisais les exercices, je les faisais
bien. Mais ça ne m'a pas vraiment aidé sur le terrain en Allemagne. C'était un bon jeu.
J'aimais bien jouer avec la langue. Mais en fait, je n'avais pas ce qu'il fallait pour
construire les phrases et pour comprendre ce qu'on me disait aussi. J'avais du mal à
comprendre ce qu'on me disait. Et finalement, je me suis dit, ce n'est pas le bon
moyen pour moi d'apprendre.

17
« l'expression « prendre une douche froide » indique une déconvenue, une déception, une confrontation
douloureuse à la réalité, l'inconfort d'une prise de conscience brutale. » Valérie sur le site web « Le Crapaud
sonneur » - blog de Yoga et ressourcement nature. Consulté le 24avril 2024 sur
https://lecrapaudsonneur.com/on-va-se-prendre-une-douche-froide/
-27-

Un mécanisme de jeu solide …… 2.3


2.3. Un mécanisme de base solide

“ S'il n'y a pas de mécanisme de base, il n'y a pas de jeu


du tout. ” — Koster .R (2014)

Qu’entend-il par mécanisme de base ? : « Un ensemble de règles intrinsèquement


intéressant dans lequel le contenu peut être versé. Le mécanisme de base est généralement
une règle assez petite. » Koster .R (2014)

Pour vérifier cela, il propose les questions suivantes :

«Y a-t-il des mécanismes de jeu solides définis pour mener à bien l’apprentissage ?
Supportent-ils plusieurs types d’exercices ? »

Le mécanisme de base de Duolingo se résume à compléter des trous dans des phrases que
ce soit à l’oral ou à l’écrit. La complexité provient d'un « petit nombre de mécanismes très
élégamment choisis » pour reprendre les termes de Koster qui s’ajoutent au mécanisme de
base tels que l’appariement, et la répétition orale. Mais basiquement, dans la majorité des
exercices, il suffit de toucher l’élément correspondant sur l’écran de son smartphone et c’est
gagné. Ça c’est la mécanique didactique. C’est simple, c’est efficace, c’est solide car utilisé
par tout le monde dès le plus jeune âge à l’école, via des cahiers de vacances, etc.

Une autre mécanique simple mais solide qui s’est révélée la plus efficace dans Duolingo est
celle de la série.

2.3.1. Ne perds pas ta série !

La réalisation d'une leçon par jour ajoute un jour à la SÉRIE – élément central de motivation
de l’application. Celle-ci est complètement remise à zéro si aucune leçon n'est réalisée
avant minuit. Voici ce qu’en disent mes duolinguistes :
-28-

Louis : « Quand je suis pressé, je fais une seule leçon pour dire d'avoir ma série. Parce
qu'il y a les gels de série et tout. Moi, je réponds très bien à la gamification.

Ce n'est pas du tout de la volonté personnelle d'aller apprendre de l'anglais.

Ça m'aide vraiment parce que cette gamification m'attire et me motive d'aller encore
un peu plus loin que le minimum qui me garantit d'avancer dans ma série.

Moi : La série, tu l'as déjà perdue depuis que tu as commencé ?

Louis : Oui, j'ai déjà perdu une série. J'ai fait une série très longue. Et les semaines
dernières, j'ai perdu ma série.

Moi : C’était dur d'avoir perdu ta série ? T'as eu du mal à recommencer ?

Louis : En fait, ils sont forts aussi avec les gels de série. C'est-à-dire qu'ils te
permettent vraiment, même si tu loupes une fois, voire deux, ils te permettent
vraiment de reprendre. Ça, c'est bien. C'est génial. Par contre, la fois où j'ai arrêté, je
savais que je n'avais plus des gels de série, etc. Donc, à ce moment-là, je me suis dit
tant pis, ça ne marche plus. Il a fallu trois jours pour que je recommence et que je
retrouve ce mood d'apprentissage et de jeu.»

Bénédicte, active depuis plus de 10 ans sur Duolingo, a déjà perdu sa série mais cela ne l’a
pas affectée plus que ça. Elle a continué et a une série de plus de 890 jours soit presque
2ans et ½ d’utilisation quotidienne de Duolingo.

Bénédicte « J'ai perdu ma série, mais bon, peu importe.

Moi : Est-ce que vous l'avez remarqué d'abord ?

Bénédicte : Non, ça ne me traumatisait pas plus que ça. C'était comme ça. Parfois, je
me dis encore, c'est idiot parce que finalement, ça ne change rien.

D’un autre côté, ça donne une petite motivation pour faire ça tous les jours. De ne pas
le faire en dilettante. Si un jour vous n'en voulez que de l'espagnol [au lieu de
l’anglais], ma série continue. Parce que selon l'humeur on peut changer de langue.»

Cet élément de gamification fonctionne fort bien puisque tous ceux qui ont continué l’ont
fait à certains moments pour conserver et agrandir leurs nombre de jours.

Morgane a comme objectif – un peu sarcastique et référentiel – d’atteindre 666 jours18 :

18
666 – the number of the beast - https://youtu.be/CamAhPeYoC8?si=3tgcRvqbM1GlnyzC
-29-

Moi : « Ça fait combien de temps que tu as commencé?

Morgane : Ben 128 jours maintenant, apparemment. Oui, OK, donc je vise les 666.

Moi : Pas mal, ça, pas mal, ça, c'est un gros chiffre.

Morgane : C'est faisable, c'est faisable. Ça prend cinq minutes par jour, oui, si tu as
envie, entre guillemets, de faire toutes les quêtes du jour, ça prend 15, 15 minutes,
20 minutes, selon les petits défis que tu as envie de faire quotidiennement. Mais
sinon, franchement, une leçon, c'est plié en deux minutes, quoi, enfin. Deux minutes
par jour, c'est mieux que rien du tout. […] lorsque j'approche bientôt de mon objectif ;
écoute le jour où j'arrive à 666 je t'enverrai un message ça y est j'y suis c'est bon le
chiffre de la bête est bouclé ; tu ferais un post sur facebook et pour une fois je
partagerai mes résultats.»

Morgane – lors du focus group –

« C'est le défi de continuer ta petite série de dire : t'es au 211e jour ininterrompue !
Même si je rentre tard le soir je fais vite un exercice pour continuer ma série pour ne
pas que ce soit interrompu et - c'est ouais c'est le petit défi quoi - je trouve ça
chouette de continuer même si des fois je trouve qu'il y a beaucoup de répétitions ou
t'as l'impression de faire trois fois le même exercice mais voilà quoi !»

Émilie, lors du focus group, était enthousiaste à l’idée d’atteindre bientôt les 1000 jours.

Émilie : « Moi je vais arriver à 1000 jours c'est mon défi personnel je suis plus si loin
donc ça se rapproche, je suis à 791 jours.

Delphine [intervient activement] : Ah ben moi ça fait 2ans aujourd’hui ! 730 jours.

Émilie : En 2024 normalement je passe à 1000 (disant cela avec des étoiles dans les
yeux).

Delphine : Félicitations ! […] les quêtes je ne prends pas trop ça au sérieux par contre
c'est vrai la série maintenir ma série c'est vraiment le truc qui me fait revenir sur
l'application tous les jours ça c'est bon et le fait qu'évidemment j'ai envie j'ai
vraiment envie d'apprendre plusieurs langues mais ouais c'est vrai que le fait qu'il y
ait une série ça aide vraiment à être constant.»
-30-

Maria lors de l’interview individuelle :

Maria : « Alors quand t'as un ou deux jours, tu t'en fous. Mais quand t'as 100 jours,
t'as pas envie de retomber à zéro. »

Moi : « Mais je veux dire, c'était important d'avoir ta série ? »

Maria : « Oui, quand je l'avais, je voulais la garder. Ça sert à rien, mais c'est fait
exprès. Ça te donne envie de la garder. Ça ne t'apporte rien dans le jeu. Je veux dire,
c'est pas que tu as un avantage en plus parce que tu as une série. Tu ne gagnes rien
dans le jeu. »

Maria a tout à fait raison : « c’est fait exprès » ! Car « les comportements bien pratiqués dans
des contextes constants se répètent parce que le traitement qui initie et contrôle leur
performance devient automatique. La fréquence des comportements passés reflète alors la
force de l'habitude et a un effet direct sur les performances futures » Ouellette, J. A., &
Wood, W. (1998) – Traduit par DeepL

Et Duolingo l’a bien pris en compte. D’ailleurs, ils le relatent dans un article de leur blog19 :

“ Votre série est un nombre tangible et mesurable qui


vous oblige à vous entraîner chaque jour, même si ce
n'est que pour cinq minutes. ” — Osman Mansur (2022)

Tout élément de gamification a pour but de créer une « motivation extrinsèque à régulation
externe » pour reprendre les termes de Deci&Ryan(2002) voir figure15. Duolingo permet à
l’utilisateur d’identifier cette motivation et de la lui rappeler via ce nombre grandissant de
jour en jour.

Grâce à ce nombre tangible, l’apprenant est conscient de la valeur de l’activité (Viau R.,
1994). Il y voit une utilité pour le futur plus qu’un intérêt réel/plaisir/motivation intrinsèque
pour les exercices répétitifs. Toujours est-il que cette motivation extrinsèque devient à
régulation identifiée voire intégrée. L’utilisateur a traversé le seuil d’autodétermination (
comme montré sur la fig.14 ). Il est autonome dans son apprentissage.

19
https://blog.duolingo.com/how-duolingo-streak-builds-habit/
-31-

Figure 15: illustration de la motivation autodéterminée selon Decy & Ryan

Est-ce suffisant pour comprendre le succès de cet élément de gamification ? Pas


vraiment.

Roland Viau(1994) m’a apporté des éléments supplémentaires via sa définition de la


dynamique motivationnelle : « Phénomène qui tire sa source dans des perceptions que
l’élève a de lui-même et de son environnement, et qui a pour conséquence qu’il choisit de
s’engager à accomplir l’activité pédagogique qu’on lui propose et de persévérer dans son
accomplissement, et ce, dans le but d’apprendre ». Le mot important ici est « perception »
car chacun d’entre nous perçoit son environnement et son être de manière différente (cfr. Le
fun c’est contextuel). Contrairement aux habitudes forcées et au biais cognitifs tel que
l’aversion à la perte qui fonctionne sur bon nombre d’entre nous, une perception est toute
personnelle.

2.3.1.1. Perception n°1 : Le sentiment de


compétence

Ce sentiment tire sa source de 4 éléments selon Viau :

1) Se sentir compétent est souvent problématique par rapport à ses résultats antérieurs en
termes d’expérience vécues face à un environnement qui peut paraître hostile (le regard
des autres, tout ça… cfr : le contexte de Louis). Duolingo est en cela une « bulle », loin de
tout jugement, vu que nous sommes tout seul devant notre écran de portable au
moment que nous choisissons. Ce facteur est nécessaire pour le flow que nous
détaillerons plus tard (voir Emotions – Inside Out).
2) En ce qui concerne la persuasion verbale d'autrui, celle-ci vient des messages positifs
continuels de Duo et ses amis pour célébrer chaque réussite. Même lorsque l’élève fait
une erreur, Duo est bienveillant en lui indiquant la bonne réponse. La question sera
reposée à la fin du niveau pour la valider.
-32-

3) Quant à l'observation des autres confrontés à la même tâche, ce que nomme


Bandura(2007) « l’apprentissage social par modèle », il est absent de Duolingo. Ben
oui, on peut pas socialiser sur Duolingo …On est tout seul face à la machine.
4) Même chose pour les réactions psychologiques et émotives ! C’est le propre de
l’homme d’identifier ceux-ci pour ensuite proposer des stratégies d’interventions tel
que l’entend Viau(1994). C’est pourtant le « plus intéressant à étudier car on peut
envisager une action immédiate sur lui (ce que l'on appelle apprendre à apprendre) »
selon Jean Houssaye(1995) – grand défenseur des pédagogies alternatives tel Freinet –

2.3.1.2. Perception n°2 : La valeur de l’activité

Offrir des perspectives futures - clairement définies par des étapes intermédiaires
échelonnés dans le temps et réalistes - donnent une valeur effective à l’activité. Il est plus
facile de s’y projeter et de se motiver. Au contraire, si l’élève poursuit des buts confus/flous,
irréalistes, il lui est plus difficile de lui donner une valeur. Surtout s’il n’y pas de satisfaction
immédiate (Lens et Moreas, 1992 cité par Viau, 1994 p.30).

Duolingo a tout à fait compris ce concept car il est intégré de manière fluide dans le chemin
d’apprentissage – qui est la page d’accueil de l’application -. À travers la découpe en
chapitres (fig.11) – en unités (fig.12) – et en niveaux (fig.13), l’utilisateur voit son
avancement de manière visuelle. Il peut naviguer entre les chapitres pour voir la suite ou le
chemin parcouru.

2.3.1.3. Perception n°3 : La contrôlabilité

Viau(1994) définit la contrôlabilité comme le « degré de maîtrise que l'élève possède sur le
déroulement et les conséquences des activités qu'on lui propose ».

Jean Houssaye(1995) affirme que l’on ne peut agir directement sur le choix de l’apprenant
d'entreprendre une activité d'apprentissage, la persévérance qu’il y met ainsi que les
résultats observables de l'apprentissage. Contrairement à l’engagement cognitif. Il a écrit
cela en 1995. Serait-il toujours aussi affirmatif aujourd’hui en 2024 ?

Selon mon analyse, Duolingo agit de manière subtile, inconsciente sur ces indicateurs :

1. Le choix de l’apprenant d'entreprendre une activité d'apprentissage :

Le hibou Duo est implanté durablement dans la mémoire collective. Chaque


personne de moins de 55ans auprès qui j’ai annoncé mon sujet connaissait
l’application. Une bonne majorité d’entre elle l’utilise ou l’a utilisée. Cela est
devenu un sujet de conversation commun brise-glace comme « il fait beau
-33-

aujourd’hui, n’est-ce pas ? », « t’as regardé quoi hier soir ? » ou « tu fais quoi là sur
ton tél? Je duolingue ».
Ne me croyez pas sur parole, bien sûr ! Voici ce qu’en disent mes duolinguistes :

Delphine : Ça arrive spontanément dans la discussion. Je ne suis pas nécessairement


celle qui en parle en premier. Je n'ai aucun souvenir de comment ça arrive. Je sais que
ce n'est pas nécessairement moi qui en parle en premier. Quand il y a des gens qui
l'utilisent tous les jours, ils vont peut-être plus vite en parler que moi. Je ne sais pas
comment le dire. C'est vraiment un sujet de discussion comme un autre.

Louis : « Je dis « jouer » quand j’en parle à mon fils [de 11ans] »

Suzie : « Oui. On voit souvent sur Facebook les trucs comme ça, on fait des screens,
on partage des screens de quelque chose de marrant qu'on a vu, et on discute. C'est
un truc social. Il y a aussi, comme j'ai dit, la compétition. On aime parler de Duolingo,
de nos expériences.

Et il y a mon compagnon qui le fait aussi en même temps, et on discute entre nous
aussi. »
-34-

Kathy aussi en discute avec son mari : « C'est moi qui lui ai proposé d'apprendre
[l’allemand], parce que lui, il est chanteur donc il disait pour peaufiner son allemand
que c'était bien. Il s'est lancé dessus maintenant, il est devenu aussi accro ! Donc oui,
on parle parfois de ça. »

Bénédicte ne partage pas ses succès sur la toile, n’a aucun abonné ni configuré son
avatar. Son empreinte numérique est minime. Par contre, elle en discute avec sa
sœur : « Quand je la vois. Quand on discute, elle dit « Ah oui, tu es sur Duolingo, toi
aussi ? »

Émilie est retournée sur Duolingo après plusieurs années d’absence « à cause de
deux amis qui s'y sont mis aussi et qui m'ont dit,’’ tu fais quoi ? vas-y, on va être
copain et tout.’’ pour ensuite partager des phrases bizarres.

Duolingo est un peu célèbre pour ça, des fois. Des phrases un peu surréalistes, un peu
nonsense ou alors, par hasard, une phrase qui colle avec quelque chose qui s'est
passé récemment : une fois, je ne sais plus on parlait d'un ami qui s'appelle Paul et j'ai
une phrase genre, il faut téléphoner à Paul. « C'est rigolo, regarde. » C'est de pur
hasard, mais des fois, ça tombe bien les hasards. »

Maria : « On en parle beaucoup. Comme je te disais en cours [du soir en espagnol], les
gens disent, ah bah oui, j'ai été sur Duolingo. »

Morgane garde ses expériences pour elle. Cela dit elle a trouvé Duolingo via une
publicité sur Facebook très vite. Le choix est apparu évident car le sentiment général
à son propos est plutôt positif.

Ces échanges sociaux nous montrent que l’expérience Duolingo est plutôt positive. Cela
influence le choix de l’apprenant d'essayer l’application.

J’ai retrouvé souvent cette notion de choix et de contrôle dans mes lectures. Elles se
trouvent chez les psychologues Mihaly Csikszentmihalyi et Lev Vygotsky (voir Flow-
ZPD) ; chez les ergonomes web Norman/Nielsen dans leurs heuristiques sur les
interfaces hommes-machines (voir heuristique n°3 sur leur site web) ainsi que les
web/game designer Koster et Walter (voir Maslow, Walter & co)

2. La persévérance que chacun y met :

Soit sa motivation à continuer. Elle est mesurée par l’équipe de concepteurs,


d’animateurs et d’ingénieurs de la firme au hibou qui s’efforce de prolonger la série du
joueur aussi longtemps que possible. Il est à rappeler que le fondateur de Duolingo
est lui-même un data-scientist chevronné. Une quantité énorme de données est
récoltée via l’utilisation quotidienne de chacun.e. Une équipe monitore les effets sur
les nouveaux utilisateurs comme des plus aguerris. Ils utilisent, ainsi, un biais cognitif
-35-

bien connu – celui de l’aversion aux pertes de Kahneman et Tversky(1992). Dans cette
étude, ils indiquent que la contrariété que l’on éprouve en perdant une somme
d’argent est plus grande que le plaisir de gagner la même somme. Dans le cas de
Duolingo, la peur de perdre sa série est plus grande que le plaisir de récupérer du
temps pour jouer à un autre jeu ou réaliser une autre activité #captif de l’économie de
l’attention.

3. Des résultats observables :

Pour celui-ci, Duolingo est très efficace sur le court terme. Par l’intermédiaire d’un
parcours visuel bien établi qui change de couleur à chaque fois qu’un niveau est
validé ; par l’intermédiaire de la série qui grandit ; par l’intermédiaire des « Trophées »
gagnés à la fin d’une section. Pour savoir si ces résultats durent sur le long terme, je
vous redirige vers « Bien mais pas Top » et « La ligue Diamant c’est des Fadas ! ». Pour
savoir pourquoi c’est important d’avoir des feedbacks immédiats, je vous redirige vers
Flow-ZPD.

4. L’engagement cognitif :

Encore une fois lié à Flow-ZPD. Pourquoi ? Parce que les auteurs du
flow(Csíkszentmihályi, 1975) et de la Zone Proximale de Développement(Vygotsky,
1934) sont antérieurs à Roland Viau dont le concept de dynamique motivationnelle
est décrit dans son bouquin en 1994.

2.3.2. Ne perds pas ta série !! (bis repetita)

Un mécanisme supplémentaire pour conserver sa série consiste à la « geler » pour ainsi la


maintenir même si on ne pratique pas d’exercice. Le système permet à l’utilisateur de
collectionner 2 gels de série maximum (1 gel correspondant à 1 jour de 24h).

Dans mon utilisation de l’application au hibou, j’ai


voulu expérimenter cette perte de série – je n’avais
alors qu’une trentaine de jours à mon actif – j’ai donc
délibérément arrêter mes exercices pendant 3 jours.
Lorsque je suis revenu, je n’avais pas perdu ma série.
Elle était encore gelée. L’application avait
automatiquement utilisé mes 2 gels de série et m’a
offert 1 gel de série lorsque je me suis reconnecté le 3ème jour. J’émets l’hypothèse que les
« data scientist » de Duolingo ont étudié les comportements utilisateurs lorsqu’ils perdent
ce Graal et qu’ils en sont venus à la conclusion que cet élément de gameplay est tellement
important à garder qu’ils offrent un coup de pouce à l’utilisateur pour conserver sa
motivation.
-36-

Autre exemple où la plateforme permet de


garder intacte son nombre de jours consécutifs :
les révisions ! Duo a remarqué que je n’étais plus
là depuis longtemps. Il me propose soit de
réviser une dizaine d'exercices soit de payer un
montant en gemmes pour récupérer ma série voir
Figure 16.

Figure 16: récupérer sa série via des révisions

2.3.3. Avatarisation de l’identité numérique

Comme dans toute bonne interface gamifiée, comme dans tout bon jeu vidéo, le joueur doit
se crée un profil sous forme d’avatar avant de démarrer l’aventure. Duolingo n’en fait pas
l’économie (…quoique..). Il est donc demandé à tout nouvel utilisateur de se créer un avatar.
Personnifier son identité virtuelle à travers un avatar permet le mimétisme du personnage
virtuel sur le comportement du joueur dans sa vie réelle comme l’a démontré Karl
Kapp(2014). Si l’avatar mange sainement dans le jeu, l’humain aux commandes a plus de
chances de manger sainement dans la réalité (si, si, je vous jure). Si l’avatar évolue
visuellement grâce à l’expérience gagnée, il sera considéré comme plus digne de confiance
qu’un noob20(voir figure 1). Si l’avatar est de grande taille, le joueur sera plus agressif dans
les négociations – aussi bien dans le jeu qu’avec les sous-traitants avec qui il collabore dans
son travail (Karl Kapp. 2014).

Figure 2: Evolution visuelle du personnage selon son expérience acquise (Crédit : PenOfChaos)

20
noob est l'abréviation péjorative de newbie (néophyte)
-37-

Je crée donc mon identité virtuelle de duolinguiste nommé « François Patte » avec comme
pseudo « francois.patte ». Je choisis les attributs physiques de mon personnage illustré
selon les codes graphiques de Duo le hibou(voir figure 2) : couleurs de la peau, des yeux,
leurs formes ainsi que certains accessoires me personnifiant.

Il est possible de télécharger une photo plus réaliste de soi. Pour cela, il faudra passer par
le site web. Cela n’est pas disponible dans l’application mobile Androïd ou iOS.

Et voilà, mon profil est déjà complet – ici pas d’évolution visuelle du personnage au fur et à
mesure de l’expérience par l’addition de détails prouvant une quelconque expertise. La
taille de l’avatar n’a aucune importance puisque celui-ci se présente en plan américain. Tout
le monde apparait dans les mêmes dimensions.

Aucune autre information ne me sera demandée par la suite pour affiner mon personnage
virtuel et mon profil de duolinguiste(voir figure 3).

Figure 2: Avatar style Duolingo Figure 3: infos de mon profil

La création de profil dans Duolingo va à l’essentiel en demandant peu d’informations.

Ce qui est une bonne chose pour aller plus vite au cœur du système soit l’apprentissage
d’une langue étrangère. Cela dit, nous verrons par la suite que celui-ci n’évoluera pas au fil de
l’expérience acquise.

2.3.4. Tisser des relations dans un univers virtuel

Maintenant que mon profil est créé, il me faut tisser des relations car « […] les catégories
culturelles, les valeurs et les relations sociales se manifestent à travers la conversation et
-38-

l'interaction» (Kratz 2010 :806 cité par Boellstorff, 2014) – traduit par DeepL - mais comment
tisser des relations dans un univers virtuel inconnu ?

Plan A : Effectuer la connexion vers mes amis Facebook et mes contacts Google depuis
l’application Duolingo. Le système me donne une liste d’utilisateurs « habitant » la planète
digitale de Duo le hibou.

Il apparait que peu d’utilisateurs fournissent assez


d’informations pour être reconnus dans mon cercle
restreint(voir figure 3). La majeure partie des utilisateurs
n’indique que leur prénom tel que « Laura » , « Quentin »,
« Émilie », « Morgane » ou un nickname référentiel comme
« Loooowi », « KC », « JayHind » ou « TurboHamster ».

Leur pseudo m’aide encore moins : maria645329, beneryck,


JayHind_JR, hamsofmuchspe. Ce dernier étant le pseudo de
TurboHamster. Je l’ai ajouté pensant que c’était un ami de
longue date mais il s’est révélé que non ! Les autres
informations en ma possession pour le reconnaitre sont les
suivantes : il est suivi par ma pote Delphine et apprend le
français depuis l’anglais.

En résumé, je n’ai aucune idée de qui il est et pourquoi il se


retrouve dans ma liste d’abonnée ! J’aimerais bien le Figure 4: Qui est-ce TurboHamster ?
contacter par message, par mail, sur un forum ou via
Facebook mais je ne le trouve pas. Il n’a pas gardé son
pseudo autre part comme le font certains joueurs avec leur avatar en ligne. TurboHamster
reste un mystère complet !

J’ai bien essayé de lui écrire un commentaire de félicitations à l’endroit idoine sauf que lui ne
m’a pas ajouté dans sa liste d’abonnée, je ne pouvais donc pas le contacter avec un
commentaire que j’aurais écrit moi-même21.

Ma seule interaction possible avec lui réside dans l’action de le féliciter dans la section
« notifications » par l’intermédiaire d’une réaction émotive comme sur Facebook et consorts
voir Figure 5.

Figure 5 : Féliciter un autre joueur

Ces cinq réactions émoticoniques – toutes composées entre 5 et 8 lettres -résument la


seule et unique possibilité d’interagir sur Duolingo[sic] !

21
En novembre 2023, il était encore possible de laisser des commentaires en texte plein si chacun
était abonné à l’autre. A l’heure de ma relecture le 19 mai 2024, ces commentaires ont été retirés.
-39-

Maria se pose d’ailleurs la question lors de notre interview individuelle :

« Ça sert à quoi d’avoir des amis dans Duolingo ? […] quel est l’intérêt de les féliciter
et de les suivre si on ne peut engager la conversation.[…] Je me suis abonnée aux
personnes avec lesquelles je faisais la course pour le top3. J’aurais aimé leur
demander quelles langues ils apprennent et pourquoi mais là encore quel est
l’intérêt si l’interface ne le permet pas ? »

Ce point de la socialisation est important comme l’a indiqué Maître Boellstorff en citant
Maître Kratz. Nous en reparlerons plus tard au chapitre sur la socialisation des utilisateurs.

Plan B : Comme je ne peux identifier clairement mes amis via l’interface, je les contacte par
d’autres canaux de communication externes en demandant directement leur pseudo
Duolingo. En octobre 2023, je me suis connecté à 3 amis actifs sur la plateforme dont un
padawan nommé Quentin (voir figure 6). Il était dans l’impossibilité de participer à mon
étude car assigné à une nouvelle mission à long terme : la parentalité. Dommage, on rigole
toujours bien avec lui.

Toujours est-il que maintenant que nous sommes connectés, je vois dans ses amis abonnés
un profil plus aguerri. Elle a dépassé les 100.000 points d’expérience et s’appelle Laura
(voir figure 7). Ça m’intéresse d’avoir des joueurs compétiteurs ayant déjà engrangé de
nombreux badges dont celui de la ligue Diamant – cœur de la compétition sur
Duolingo. Alors, je m’abonne à son profil en espérant pouvoir communiquer avec elle via les
commentaires – si elle s’abonne à mon profil – afin de lui demander si elle veut bien
participer à mon étude. C’est un échec #fail . Je demande alors à Quentin s’il se souvient
d’elle et s’il peut nous mettre en contact. Il n’a aucun souvenir d’elle ; sur son compte
Facebook il a six « Laura » différentes #fail2 (Deux mois après, il s’en est souvenu et m’a
partagé son profil Facebook).

Figure 6: Avatar de Quentin Figure 7: Profil de Laura


Ok bon, c’est pas dingue comme départ !
-40-

Trouver des amis apparait simple avec une photo, un nom et un prénom comme chez Spotify, Facebook ou LinkedIn

Je me demande pourquoi Duolingo ne propose pas des outils plus élaborés et ergonomiques
pour se lier avec nos contacts extérieurs tels que chaque réseau social numérique digne de ce
nom le propose depuis des années comme le montrent les captures d’écran ci-dessus. Les
personnes y sont clairement identifiées par leurs noms – prénoms et une photo les
représentant. Cela m’aurait bien aidé.

La constitution de mon panel d’utilisateur est plus compliquée que prévu. J’ai voulu inviter
des amis à me rejoindre car « C'est plus fun et efficace d'apprendre à plusieurs ! » me dit
Duo lorsque je clique sur l’action « inviter mes amis »(voir figure 9). Sauf que l’interface
m’offre seulement un lien vers le site web d’une manière générale et non personnalisée. En
agissant de la sorte, l’interface ne propose pas aux éventuels amis de me rejoindre en un
clic.

Plan C : Poster des messages sur mon réseau Facebook et LinkedIn à la recherche de
candidats. Lorsqu’une personne était d’accord de participer à mon étude, je devais lui
demander son pseudo précis. Car même avec un nom et un prénom, il m’était impossible de
le trouver via le moteur de recherche. Il y avait tout simplement trop de résultats. La
recherche par nickname donnait les mêmes résultats, j’avais 84,788 « Émilie », 4025
« Bénédicte et 160 841 « Louis Serve »(voir figure 10).

J’arrive péniblement à former un panel d’utilisateurs de 11 personnes après plusieurs


semaines de recherche. L’interface ne m’aide pas - pas de nom, pas de prénom ; pas de
photos, pas de reconnaissance faciale; pas de palais … pas de palais.
-41-

Figure 8: Importer mes contacts. Figure 9: Inviter des amis Figure 10: Rechercher des amis

2.3.5. Maslow, Walter and Co.

Au fur et à mesure de mon utilisation de l’application, je me rends compte que cela va vite,
c’est simple, l’interface répond par des feedbacks positifs.

L’application n’a jamais buggé pour ma part. Pas de comportement bizarre, de lag, de crash,
de redémarrage intempestif. La stabilité technique de la plateforme participe à l’expérience
utilisateur au même titre que le design émotionnel et le storytelling attachant des
personnages.

Raph Koster ne prend pas cet élément en compte dans sa grammaire.

Pourquoi ? [encore une excellente question, n’est-ce pas ?]

Pourtant tout le monde a déjà :

⎯ vécu l’expérience du pot de sauce vide ; ou du moins l’expérience du pot dont le contenu
ne sort pas assez vite. Alors on tape dessus et paf tout se répand sur votre chemise, sur la
table, dans votre verre de vin.

⎯ « rage-clické » sur le bouton « actualiser » d’une page web parce que cela n’allait pas
assez vite. Alors on vérifie les câbles, le modem, ses barres de connexions. On blâme
Proximus pour son réseau de m... en se disant le mois prochain « je m’abonne à StarLink ».
-42-

⎯ lu un manuel d’utilisation … euh … non, personne ne lit le manuel d’utilisation de son


micro-ondes ou de sa voiture avant de l’utiliser, n’est-ce pas ?

⎯vécu cet état de grâce « d'être complètement impliqué dans une activité pour elle-même.
L'ego disparaît. Le temps passe vite. Chaque action, mouvement et pensée découle
inévitablement de la précédente, comme lorsqu'on joue du jazz. » Mihaly Csikszentmihalyi à
propos du Flow lors d’une interview de John Geirland pour le journal Wired en 199622.

Pour ma part, le mécanisme de base de tout bon jeu (vidéo) doit être solide dans sa
conception fonctionnelle telle que Koster l’indique, comme dans son infrastructure
informatique. Elle doit être Utilisable, Fiable et Fonctionnelle avant d’être FUN.

Alors pourquoi Koster ne l’a pas inclus dans ce ludème ?

En fait, Raph Koster c’est un mec sympa qui rend à César ce qui appartient à César. Et
Aaron Walter est connu pour avoir converti la pyramide de Maslow en une pyramide du
design émotionnel(voir figure 17). Il part du constat que :

Si l’utilisateur ne peut pas accomplir une tâche basique, il s’en va.


Si votre serveur web crashe régulièrement, le joueur s’en va.
Si l’utilisateur doit réapprendre à chaque fois la procédure, il s’en va.
Si l’interface ne répond pas à ses besoins émotionnels, le joueur s’en va.

Autrement dit, si chacun des étages de la pyramide n’est pas accomplie, le joueur n’ira pas à
l’étage supérieur. Tout comme l’humain ne s’accomplira pas personnellement si il n’est pas
apprécié à sa juste valeur ; s’il n’est pas aimé et accepté ; s’il n’est pas en sécurité ; s’il ne
sait pas combler ses besoins physiologiques tels que boire de l’eau ou respirer.

Au sommet de la pyramide, l’interface doit procurer le plaisir, l’amusement voire


l’enchantement sinon l’utilisateur s’en va.

Figure 17: Pyramide des besoins menant au design émotionnel selon Aaron Walter

22
https://www.wired.com/1996/09/czik/
-43-

Aparté sur l’étage n°3 : esthétique-utilisabilité

L’effet “esthétique-utilisabilité” de Masaaki Kurosu et Kaori Kashimura a démontré


que « les conceptions esthétiques semblent plus faciles à utiliser et ont une plus forte
probabilité d’être utilisées, qu’elles soient réellement plus faciles à utiliser ou non. »1.
Cela favorisant des attitudes positives et rendant les gens plus tolérants aux
problèmes de conception simples1. Ce n’est pas tout, une attitude positive procure
des émotions positives. Des émotions positives créent des endorphines dans notre
corps qui nous rendent heureux. Ce sentiment améliore notre mémorisation et range
ce souvenir dans une case étiquetée « plaisir ».

Bien ! Maintenant qu’on a la théorie, passons à la mise en situation :

⎯ Avez-vous déjà critiqué un produit Apple ?

⎯ Non !?! Eh bien, essayez un jour si vous voulez perdre un ami. Certains utilisateurs
des produits Pomme sont tellement investis émotionnellement qu’ils perdent toute
rationalité.

Une production esthétique est avant tout une œuvre plaisante pour le cerveau qui y
trouve l’ordre naturel des choses via le nombre d’or ; les lois de la Gestalt ; les biais
visuels cognitifs et autres heuristiques23. Tout bon designer connait celles-ci - ou du
moins les utilise sans le savoir. Utilisées à mauvais escient, l’utilisateur peut être
mené par le bout du nez pour accomplir une tâche sans s’en rendre compte – dans le
jargon on appelle ça des « dark patterns »24.

Un autre exemple où notre cerveau est piégé : les proportions des visages des bébés.
Ils ont des grands yeux et une grosse tête par rapport à leur corps. « Nous sommes
programmés pour aimer les bébés. […] Certains scientifiques pensent que si nous avons
évolué de manière à aimer les visages des bébés, c’est à l’origine pour éviter de les
tuer » Aaron Walter (2012). A cette époque, il était jeune papa et j’ai apprécié cette
touche d’humour noir qui préfère en rire qu’en pleurer étant jeune papa moi-même.

Moralité : Pour passer au niveau supérieur, pensez à soigner aussi bien l’utilisabilité
que l’esthétique de votre application.

2324

23
Jon Yablonski nous en présentent quelques-unes ici : https://lawsofux.com/fr/
24
Harry Brignull et al. via https://www.deceptive.design/
-44-

25

Pourquoi ça marche ?
Au regard de cette pyramide de Aaron Walter, nous pouvons expliciter le
succès de Duolingo d’un point de vue sociotechnique24:

1) Le mécanisme de base est fonctionnellement solide

2) Son infrastructure informatique est fiable

3) Son ergonomie est utilisable facilement

4) Son esthétique est soigné. Ses personnages sont Kawaii25.


(voir aparté esthétique)

5) Le plaisir et l’amusement sont présents

25
De manière non-exhaustive, bien sûr, ce mémoire ne prétend pas l’être.
25
« Les personnages fictifs qualifiés de « kawaii » ont tous les mêmes particularités, à savoir une tête ronde,
généralement disproportionnée par rapport au corps, de très grands yeux ronds, un tout petit nez et une toute
petite bouche. Les couleurs restent généralement dans des tons pastels, des nuances de roses, de bleus… en
bref, une grande panoplie de couleurs qui rappellent la petite enfance. » Blog - L’univers du Japon, publié le 26
juin 2023- consulté le 25 avril 2024 sur https://universdujapon.com/blogs/japon/que-veux-dire-kawaii
-45-

C'est l'acte de résoudre des énigmes


qui rend les jeux amusants 2.4
…………………… ………
2.4.
. …………………………………………………………………………..
C'est l'acte de résoudre des énigmes qui rend les jeux amusants.

“ Fun is just another word for learning.”


— Koster .R (2014)

Raph Koster(2014) : « Il s'agit essentiellement de contenu. Il ne change pas les règles, il


fonctionne dans le cadre des règles et invite des paramètres légèrement différents à la
table. »

Pour vérifier cela, Raph propose la question suivante :

« L'utilisation d'un mécanisme du jeu implique-t-elle une connaissance ? »

L’apprentissage d’une langue étrangère, autrement dit de nouvelle connaissance est le


core-business de Duolingo ainsi que tout le secteur de la formation et de l’enseignement.

Et c’est exactement comment Koster définit le FUN : Il« est lié à la sensation de bien-être
que ressent notre cerveau » via la libération d’endorphines. Cette libération « de substances
chimiques génératrices de bonnes sensations se produit au moment de la victoire, lorsque
nous apprenons quelque chose ou que nous maîtrisons une tâche » Koster R.(2014. p.40)
traduit par DeepL. La maitrise mentale d’un problème peut-être d’ordre esthétique comme
réaliser la tenue parfaite sur Fashion Nation26 ; comprendre les enjeux d'un parc public à
l'aide d'une compétition sur Minecraft27. Cela peut être d’ordre physique comme gagner le
championnat sur Fifa grâce à notre dextérité physique du joypad ; balancer une carapace
bleue dans Mario Kart qui fait exploser littéralement le terrain de jeu. Cela peut être d’ordre
social comme devenir le maire dans Animal Crossing ; participer à un raid dans WoW avec
ses amis. Cela peut-être d’ordre contemplatif comme délivrer du mal une civilisation à
travers le périple du héros (et les magnifiques cinématiques qui les mettent en scène) de
tous les bons RPG.

26
https://play.google.com/store/apps/details?id=org.nanobit.fashionnation&hl=fr&gl=US
Paysalia Blog. Une compétition Minecraft fait découvrir le métier d'architecte paysagiste. [en ligne]
27

paru le 09/08/21 consulté le 24/05/24 sur https://www.paysalia.com/fr/blog/metier/competition-


minecraft-pour-decouvrir-metier-architecte-paysagiste
-46-

D’après Koster et toute la littérature scientifique qu’il a accumulé pour réaliser son bouquin,
notre cerveau est littéralement tout le temps sous substances vu que nous apprenons des
choses tout le temps ; notre cerveau dépense une énergie folle pour décrypter les
expressions des visages sans que nous ayons à y réfléchir ; nous cherchons des liens dans
tout ce qui nous entoure pour leur donner sens.

Quand nous avons maitrisé un savoir, une connaissance, une technique, notre cerveau n’est
plus occupé et nous commençons à nous ennuyer. Selon Raph, cela est inévitable. Tout jeu
ou activité est voué à finir dans l’ennui. Un peu dépressif, non ?

Pourtant, nous continuons à jouer !?! Oui, mais uniquement au jeu qui nous donne ce plaisir
de la nouvelle connaissance, de la maitrise d’une tâche, de la victoire.

Est-ce une loi universelle ? Bien sûr que non !

Chaque être humain est différent, chaque cerveau réagit à différents stimuli. Nous sommes
attirés par des choses différentes qui font sens pour nous et pas pour une autre personne.

[Lors du focus group]

Moi : « Est-ce que vous trouvez que duolingo est vraiment efficace pour apprendre du
vocabulaire ? »

Émilie : « Pour commencer à apprendre, oui. Après on n'a pas tout le vocabulaire, il
faut aller le chercher ailleurs. Si tu prends un thème en particulier, on nous donne une
certaine liste de vocabulaire dans le thème mais pas à tout et surtout c'est par palier.
Je donne un exemple : moi je m’amuse à faire du norvégien que je connais clairement
pas … j'ai appris ‘ 1 2 3 4 5 6 ‘. Là, je suis à ‘ 40 ’ mais il n'y a aucun moment où
finalement on fait tous les nombres ! C'est mélangé et du coup là tout de suite ‘ 47 ‘
je sais pas quoi dire en fait et pourtant c'est pas très compliqué ... normalement …

Enfin c'est logique parce que j'ai regardé à côté dans un site [dit-elle en réfléchissant
à voix haute] Je trouve que c'est ça qui manque des recaps. Je sais que ça existe sur
le site mais je vais jamais. […]

Ce qui me dérange en fait avec duolingo c'est que tu vas prendre deux, trois couleurs
ou deux, trois chiffres et puis tu vas apprendre quelques autres chiffres peut-être
trois leçons plus tard avec une couleur en plus. En italien, bah oui, je sais comment on
dit un chat au singulier mais alors je sais pas comment on dit un chat au pluriel - je
l'avais déjà entendu autre part - mais par exemple il m'a déjà appris ‘ chien, homme,
etc ’ toutes sortes de trucs au pluriel mais le mot ‘ chat ’ il refuse pour l'instant de me
l’apprendre au pluriel tu vois c'est tous des bêtes trucs comme ça. »
-47-

[Lors du focus group]

Delphine [rebondissant sur ce qu’Émilie vient de dire]: « Moi je préfère apprendre par
champ lexical : apprendre tous les chiffres et peut-être pas tous les chiffres d'un coup
mais j'aime bien apprendre quand même 10, 20 chiffres d'un coup. J'aime bien
apprendre un maximum de couleurs d'un coup. C'est vrai que ça prend juste un tout
petit peu à la fois. Et bah pour des langues qui sont moins travaillées comme le
finnois que j'ai appris, au final par rapport à d'autres langues qui sont proposées sur
duolingo, bah j'ai pas appris tant que ça quoi. J'ai peut-être appris au grand maximum
1500 mots en finnois sur duolingo. Je sais toujours pas dire ‘ frère ou sœur ‘ en
finlandais. Je sais dire ‘ maman & papa ‘ ; je sais pas dire ‘ frère - sœur - fils – fille ‘.

Le gros manque de l’application, selon mon panel d’utilisateurs, est l’absence de grammaire
et de conjugaison. Vous ne trouverez nulle part des listes de verbes conjugués ou
d’explication de règles d’accord des genres, des verbes, etc.
-48-

François [moi en tant qu’utilisateur actif en italien] : Le truc qui est vraiment pénible
avec Duolingo dans ma compréhension de la langue c'est la conjugaison des verbes
parce que pour l'instant je sais pas pour les autres langues mais en italien c'est
particulier puisqu'il n'y a pas de pronom personnel il n'y a pas de ‘je tu il nous vous
ils’. J'ai dû sucer de mon pouce pour comprendre que à la fin il y a un o à « mangio » et
donc « mangio » c'est la première personne du singulier le « mangia » j'ai dû sucer de
mon pouce que c'était la troisième personne. C'est seulement maintenant au step 2
que j'ai commencé à faire les pluriels mais ils ne m'ont jamais expliqué.

Émilie : c'est pour ça dommage qu'il n'y a plus le forum parce que dans les forums
sur chaque question avant ( il y avait plein de bêtises il y avait toujours des gens qui
disaient c'est nul ça prend pas ma réponse pour rien faire mais les gens ils disaient
des fois pourquoi je comprends pas ) mais il y avait souvent des experts entre
guillemets qui répondaient en expliquant si tu avais une question claire ils avaient
une réponse claire : pourquoi là il fallait mettre ça ; des fois ils mettait des liens vers
des ressources qui expliquaient le point de grammaire qui correspondait et du coup
c'était pratique (pas toujours intéressant des fois) mais c'était pratique - quand tu ne
comprenais pas pourquoi - d'aller voir là-dedans et des fois il y avait la réponse.

Je trouve que c'est ça le plus qui manque. C'est qu’il n'y a aucune explication sur
qu'est ce qui va pas ! »

Maria : En fait ça s'utilise pas tout seul pour apprendre une langue non moi
j'apprends l'espagnol sur duolingo mais en fait je suis des cours du soir en même
temps et donc là duolingo en fait pour moi ça illustre. C'est des exercices
supplémentaires. Voilà dans ce sens-là en deuxième oui ça fonctionne.

Morgane : moi l'anglais ça va encore c'est surtout la grammaire en fait qui me pose
problème parce que c'est vraiment il y a certains trucs tu dois trouver une manière de
trouver une explication rationnelle à pourquoi il faut mettre comme ci ou comme ça.

Parfois c'est pas ouf ! Bêtement des exercices de prononciation où tu dois mettre quel
est le mot et en fait il met exactement la même chose donc il y a quand même des
petits bugs où tu dis mais enfin mais c'est complètement con ! »

Laura : De mon côté je fais une formation en ndls au Forem donc j’utilise Duolingo
comme appui pour avoir des exercices, mais heureusement que j’ai de la théorie à
côté pour comprendre qu’est-ce qu’on accorde, quand, comment 😅
-49-

2.4.1. Complémentarité des apprentissages

Cette discussion très intense -quoique un peu décousue pendant ce moment d’échange
collectif – est très intéressante car elle résume quelque chose d’essentiel dans la manière
dont chacun apprend. Lors de mes entretiens individuels, j’ai systématiquement demandé si
ils utilisaient d’autres choses en dehors de Duolingo. Voici ce qu’ils en disent :

Delphine : « Hello, alors pour le finnois : j'ai des manuels d'apprentissage et


dictionnaires + la méthode Assimil mais qui avance trop vite à un moment donné
donc je n'utilise que les manuels pour l'instant. Et je discute avec mes amis finlandais.

Pour l'italien : pour l'instant je n'utilise que Duolingo mais j'envisage de prendre des
cours du soir. Si je ne m'inscris pas à d'autres cours en septembre. Ou alors j'achèterai
une des méthodes assimil qui propose beaucoup d'exercices et d'explications
grammaticales (pas la méthode qui traduit des conversations, ça a vite tendance à me
saouler)

Pour l'anglais : je consolide mon anglais en discutant avec mon amie et j'envisage
d'apprendre les niveaux avancés et pro sur wallangues quand j'aurai fini les chapitres
d'anglais de Duolingo. Mais bon à côté de ça je fais beaucoup de recherches Google
en anglais, j'utilise des apps en anglais, je suis des youtubers anglophones mais c'est
pas du tout dans le but spécifique d'apprendre l'anglais ou de l'améliorer, j'aborde ça
comme je le ferais pour du contenu en français (recherche d'infos, divertissement...) »

Avec tout cela, Delphine note dans des cahiers tout ce qui est important pour elle après
chaque niveau effectué. Cela peut être des listes de vocabulaires, des expressions, des
règles de grammaires. Tout comme Morgane :

« Pour l’anglais et maintenant l’italien : je note dans un cahier les règles


grammaticales (sauf que en italien sur Duolingo il n’y a quasi rien, c’est une purge…),
les phrases, des termes de vocabulaire… je compte aussi me commander
‘ l’anglais/l’italien pour les nuls ‘ histoire de ne pas multiplier les brols/applis et aller
au plus simple et usuel »

Josée est la seule de mon panel à utiliser d’autres application d’apprentissage des langues
assisté par téléphone portable. Elle a d’ailleurs vécu des expériences sociales déplaisantes
(voir « Socialisation des utilisateurs »).
-50-

« Pour ma part, j'utilise HelloTalk comme autre source d'apprentissage. Cette dernière
me permet de travailler la partie orale et écrite des langues que j'étudie. En effet, elle
est dotée d'une partie "messagerie" où l'on peut converser par écrit et par appel vocal,
appel vidéo et échanges linguistiques (de 10 à 30 minutes pour ce dernier), ainsi que
de salons de discussion (voice room) et de directs (live stream). Pour ces deux
dernières options, il est possible d'écouter simplement ou de participer aux discussions,
et toutes deux sont équipées d'une partie "commentaires" (chat) où l'on peut écrire.
Selon le statut (utilisateur gratuit ou VIP) on a accès à des traductions et
translittérations, ce qui est très pratique pour comprendre ou voir ce qui est dit »

Du coté des supports physiques hors-ligne, elle nous dit ceci : « Oui, j'utilise un livre en
particulier : "Teach yourself Hindi". Pour ce qui est des dictionnaires j'en utilise quatre
physiques et un en ligne. J'ai noirci pas mal de cahiers entre exercices d'écriture (petits
textes rédigés), points de grammaire et vocabulaire »

Louis : « Au quotidien, je vérifie mes constructions de phrase avec deepL et, de temps
en temps, chat GPT, surtout pour la reformulation et la synthèse. Les dicos en ligne
également. Mais pour l'apprentissage en tant que tel, rien. J'aimerais exploiter
« wallangues » qui est pourtant déjà installé depuis un petit temps sur mon
smartphone mais je ne trouve/ne prends pas le temps »

Fin d’année 2023, Louis avait tout de même des tables de conversations organisées par son
entreprise 1x/semaine.

Bénédicte : Ne complémentait pas jusqu’à l’année passée. Depuis septembre 2023, elle suit
des cours du soir en Anglais avec l’association ENEO.

Émilie : « En général, rien.😅 » Cela dit comme elle l’indique après « C'est juste pour le
plaisir […] Je n'ai pas de but précis à atteindre dans cette langue. Et c'est aussi la raison pour
laquelle je n'investis pas non plus dans cet apprentissage. »

Maria : « Pour ma part, en dehors de duolingo, je prends des cours du soir pour
l'espagnol, et je lis des livres en espagnol. Pour moi duolingo est plus un
divertissement mais j'avoue qu'à force de répéter les phrases dans l'appli j'ai
l'impression d'avoir plus de facilité en cours quand on doit écrire des phrases ou
s'exprimer »

Firatcan : « Je n’utilise pas d’autres applications pour le moment et j’ai arrêté


Duolingo depuis un certain temps car ça devenait assez répétitif et ennuyeux pour ma
part 😊 »
-51-

Laura : « Comme j’ai fini l’italien, j’écoute des podcasts en italien dont je ralentis la
vitesse et je fais de temps à autres des révisions sur duolingo plic ploc »

2.4.2. Le FUN, c’est contextuel

En résumé : Chacun.e a ses propres techniques selon son niveau, sa manière d’apprendre,
sa motivation personnelle.

C’est pour cela que Koster indique que le FUN est contextuel à chaque personne. Je ne
pourrais être plus d’accord avec cette affirmation. D’après mon analyse de l’utilisation de
Duolingo à travers les dires de mon panel de joueurs, j’ai pu déceler des motivations
personnelles à chacun :

Delphine cherche un sens à sa vie dans une vie qui n’a pas de structure ni de sens. Elle
continue à apprendre une langue qu’elle a découvert grâce à des échanges internationaux
et des échanges épistolaires. Elle arrive à garder cette activité depuis 2 ans sans
discontinuer. Elle en est très fière car les divers projets qu’elle a mené avant n’ont pas été
couronnés de succès. Elles les a arrêtés les uns après les autres.

Laura s’échappe de sa réalité de maman célibataire, le temps d’une cigarette sur le balcon.

Louis s’échappe de la honte qu’il a de faire des fautes en face d’autres personnes, le « cercle
magique » du jeu comme l’entend Huizinga(1948) lui permet de prendre confiance en lui en
répétant à haute voix les mots et les phrases qu’il entend. Il est seul face à son téléphone,
dans son bureau, tranquillement, sans personne pour le juger. Cela faisait plusieurs années
qu’il bloquait mentalement sur l’anglais. Sa nouvelle fonction dans une entreprise digitale
internationale, où les réunions avec ses clients s’effectuent en anglais, l’a forcé à dépasser
ses appréhensions.

Bénédicte s’est lancée dans l’aventure d’apprendre l’anglais pour discuter avec sa belle-fille
vivant en Australie et qui ne parle pas du tout français. C’était il y a plus de 10ans.
Aujourd’hui, elle continue par habitude, parce qu’elle est retraitée et que ça rythme sa
journée. Elle n’a pas terminé son apprentissage car elle fait des fautes et cherche ses mots
face à belle-fille. Depuis septembre, elle suit des cours du soir avec d’autres retraités.

Morgane apprend l’anglais pour s’améliorer dans ses contacts professionnels. Elle travaille
pour une banque privée où la langue de Shakespeare est une corde à son arc
supplémentaire. Elle a indiqué aussi que c’était un défi personnel comme pour le crossfit où
elle fait des compétitions. Elle veut se prouver à elle-même qu’elle peut le faire. Toute
seule, sans trop d’aide, sans trop en parler.
-52-

Émilie a un profil particulier dans le sens où elle adore les langues étrangères dans leurs
grammaires, leurs vocabulaires, ce qu’elles disent au monde. Elle effectue des voyages à
travers la France pour rencontrer un groupe de personnes ayant le même intérêt qu’elle. Ce
groupe digital formé autour d’un humoriste/youtuber pendant le confinement s’est
transformé en un groupe d’amis qui se voient physiquement.

Josée a découvert la culture indienne par hobby et depuis une histoire d’amour est née avec
tout ce qui touche de près ou de loin avec l’Inde.

Firat a quitté duolingo assez vite car sa curiosité n’était pas d’apprendre une langue mais
d’expérimenter l’interface digitale gamifiée du fondateur de Duolingo, suite à la vision d’une
de ses conférences. En tant que diplômé en e-business, Firat était intéressé par le dispositif
e-business derrière. Après avoir vu de quoi il s’agissait et comme il n’y avait pas matière
suffisante pour lui, il est passé à autre chose.

Margaux et Suzie ont écrit un article sur Duolingo pour leur blog spécialisé en marketing
digital. Après avoir publié cette expérience, elles sont passées à autre chose.

“ S'il n'y a pas un éventail de défis différents, nous


l'épuisons rapidement. ” — Koster .R (2014)

Après l’italien, j’ai choisi l’anglais – langue que je maitrise quasi-parfaitement – pour
accumuler des points vite et facilement. J’avançais de manière machinale, sans vraiment
activer mes récepteurs synaptiques. Duolingo – bien qu’extrêmement répétitif – évolue
rapidement en distillant au fur et à mesure des nouveaux mots, des nouveaux exercices
plus fins qui demandent plus de réflexions face au contexte de la phrase. Cela est plus
visible lorsqu’on connait bien la langue : A plusieurs moments, j’ai dû m’arrêter pour
réfléchir à la formulation, au genre, aux règles de grammaire anglaise. Je me suis rendu
compte que le chemin pédagogique avançait de manière lente, insidieuse mais aussi sans
trop d’effort. En cela, l’application au hibou apporte une série de défis continuellement
différents et nouveaux.
-53-

Morgane, quant à elle, a une approche toute personnelle de la notion de défi :

Morgane : [ à propos des défis entre amis ]

Il me manque, genre, une leçon avec cinq bonnes réponses de suite pour avoir mon
petit coffre avec mes pierres précieuses, même si je ne fais absolument rien de ces
pierres précieuses. C'est le fait d'amasser un peu les victoires, un peu comme Smoke
le dragon qui veille sur son tas de bagouzes.

Et puis je trouve ça marrant de me dire, bah tiens, j'ai relevé le défi, même si, entre
guillemets, tu ne gagnes rien et que ça ne te sert à rien.

Mais c'est le challenge, en fait. Et c'est pareil dans le crossfit. C'est le fait de faire le
max. Ouais, c'est le fait de le faire pour le faire.

Tu es arrivé et tu continues parce que, en fait...Parce que c'est chouette, quoi, voilà.

C'est le petit défi avec moi-même de dire, bah tiens, tu peux y arriver, quoi

Il y a tout de même un manque de challenge selon Firatcan :

« Les phrases n'ont pas de sens. Parfois, c'est trop répétitif. Pensez bien de répéter
pour apprendre, ça, je suis d'accord. Mais parfois, c'est trop. C'est toujours la même
chose. T'as l'impression que tu revois la même phrase depuis le début. Et ce
sentiment de répétition, ça crée quand même un certain ennui. Et donc, tu te dis que
c'est bon, je connais. T'as l'impression qu'il n'y a plus de challenge »
-54-

Des connaissances évolutives pour


résoudre des problèmes évolutifs 2.5
2.5. Des connaissances évolutives pour résoudre des problèmes évolutifs

“ Si aucune compétence n'est requise, c'est fastidieux. ”


— Koster .R (2014)

Raph Koster(2014) : « Si vous n'avez qu'un marteau et que vous ne pouvez faire qu'une
seule chose avec, le jeu sera ennuyeux. C'est un test que le morpion ne réussit pas, mais
que le jeu de dames réussit : dans un jeu de dames, vous commencez à apprendre
l'importance de forcer l'autre joueur à faire un saut désavantageux. La plupart des jeux
développent des capacités au fil du temps, jusqu'à ce qu'à un niveau élevé, vous ayez le
choix entre de nombreux stratagèmes possibles. »

Pour vérifier cela, il propose la question suivante :

«Le joueur peut-il utiliser le jeu de plusieurs manières pour relever le défi ? »

Les exercices dans Duolingo sont divers et variés, comme ceux d’un cours de langue
présentiel : compréhension à la lecture, à l’audition, expression orale, vocabulaire, écriture
de phrase.

Bénédicte : « C'est pas très compliqué de comprendre les petites mises en scène
comme ça. [ en parlant des histoires intégrées aux phases d’apprentissage :] il a
beaucoup voyagé, il a habité par-ci, par-là et alors il y a des questions si c'est vrai, si
c'est faux.

C'est jamais très compliqué, mais parfois quand il parle vite si on a pas le texte il faut
essayer de l'écouter sans regarder pour comprendre à l'audition après ça on peut lire
le texte pour voir si on a compris. »

En ce qui concerne la ligue et le tournoi Diamant, la compétition entre joueurs pimente le jeu
car il suffit de compléter le plus grand nombre d’exercices pour accumuler des XP et
grimper dans le classement. Cela requiert du temps de jeu. Cela ne requiert pas plus
d’effort cognitif au joueur. Le système n’augmente pas la difficulté des exercices en fonction
de l’émulation de la compétition et de son niveau. C’est bizarre car cela est mis en place
pour les tests d’anglais que Duolingo propose en dehors de l’application sur un site dédié :
englishtest.duolingo.com. Je l’ai testé et le niveau est autrement plus difficile. Je me suis
souvent retrouvé coincé par les formulations sophistiquées, l’emploi des temps, l’usage fort
-55-

académique du vocabulaire. L’utilisation de l’intelligence artificielle pour évaluer et modifier


le test à chaque question est clairement annoncée dès le départ. Ces tests sont validés par
de la littérature scientifique28 tel que cet article sur l’intelligence artificielle générative qui
faciliterait les évaluations personnalisées29.

Rappelons que Luis von Ahn – fondateur de Duolingo - est data-scientist à la base de
reCaptcha et de test de Turing entièrement automatisé pour reconnaitre l’humain de la
machine informatique. Les directions stratégiques sont tournées vers les neurosciences et
sciences cognitives. Il n’est pas étonnant que Duolingo soit un exemple parmi les meilleurs
qui utilise correctement les mécanismes de gamifications au vu du background de Luis Von
Ahn. La gamification utilise tout ce que les sciences cognitives ont mis en exergue pour
« tromper » le cerveau humain ; pour lui donner cette drogue naturelle qu’est l’endorphine.

Sous des ressorts « behavioristes » pavloviens, Duolingo nous abreuve de notifications, de


récompenses, de nouveaux contenus pour contrecarrer la conclusion « inévitable » d’un jeu :
l’ennui (Koster, 2004).

2.5.1. Emotions – Inside Out

L’ennui - ennemi imbattable pour le cerveau humain -pas seulement pour Raph mais aussi
pour un certain Csikszentmihalyi, Mihaly de son prénom. Il a écrit un bouquin avec ennui
dans le titre30 de sa première œuvre reconnue.

Figure 18: Source EduTech Wiki - Université de Genève - TECFA

Comme nous le montre la figure 18, il existe une zone qu’il nomme « FLOW ». Dans cette
zone, la personne est entrain de défier l’ennui ou l’anxiété que nous procure une activité soit

28
Cette littérature est USA-centric - bien que Luis Von Ahn soit guatémaltèque -
29
Jiangang Hao, Alina A. von Davier, Victoria Yaneva, Susan Lottridge, Matthias von Davier, Deborah J. Harris
(2024). Transforming Assessment: The Impacts and Implications of Large Language Models and Generative AI.
First published: 04 April 2024. [en ligne]. Consulté sur https://doi.org/10.1111/emip.12602
30
Csíkszentmihályi, M. (1975). Beyond Boredom and Anxiety (1er ed.). San Francisco, United States:
Jossey-Bass.
-56-

trop facile donc ennuyeuse soit trop difficile donc anxiogène – genre « j’y arrive pas, c’est
trop dur » - Et là c’est le drame, soit il balance sa racket en hurlant « elle est sur la ligne »31
soit il pleure en criant « Mamaaaan »32.

Ce flow est un courant fort mouvementé où notre habilité doit être équivalente au challenge
à accomplir. Plus le défi est difficile, plus nous devons nous montrer habile pour le terminer.

Une expérience optimale, selon Csíkszentmihályi(1975), se situe entre l’éveil et le contrôle.


Nous ressentons tous les différentes émotions présentent dans la figure 19. Nous
n’atteignons pas tous cet état de grâce qu’est le FLOW. Certains l’atteignent à certains
moments seulement.

Figure 19: les émotions au centre du FLOW33

Hormis cet équilibre entre habilité et défi, Csíkszentmihályi(1975) a décrit trois autres
conditions pour créer notre « bulle ». Elles consistent :

1. à savoir ce qui doit être fait et comment cela pourra se réaliser via des objectifs
clairs.
2. à fournir une rétroaction immédiate.
3. à percevoir que nous pouvons contrôler nos actions.34

Ce concept de FLOW est ultra utilisé dans l’industrie des jeux vidéo puisque de cela
découle les notions de types de joueurs : expert, normal ou novice » (voir figure 20) et de
« gameflow »(voir figure 21). Les joueurs novices doivent être guidés, pris par la main via
didacticiel pour apprendre à jouer. Les joueurs experts doivent pouvoir éprouver leurs

31
John MacEnroe arrivait encore à se faire de l’argent en 2005 pour sa crise de colère de 1981. Wimbledon
http://www.culturepub.fr/videos/seat-altea-it-s-on-the-line
32
https://youtu.be/GNRVApzDhEQ?si=fEwVKRA6wpf-EDZg&t=31
33
Source : Le flow de Csikszentmihalyi : notre cerveau en pleine efficacité. Gordon Crossings. [en ligne] consulté
le 14/05/2024 sur https://www.gordon-crossings.com/psychologie-positive-le-flow-de-csikszentmihalyi/
34
d’après Csikszentmihalyi (2004), traduction Heutte (2011, p. 99)
-57-

habilités à travers des défis à la hauteur. Les joueurs normaux … ben…un mix entre novices
et experts.

Figure 20:Source EduTech Wiki - Université de Genève - TECFA

Figure213: Source EduTech Wiki - Université de Genève - TECFA

Pour qu’un jeu reste dans ce FLOW, les designers doivent proposer des choix à l’utilisateur
(qu’il exécute en toute conscience) pour ajuster la difficulté du jeu.

Cette trouvaille de la psyché humaine est surtout connue pour ces effets autotéliques,
d’altération de la perception du temps et de l’absence de préoccupation à propos du soi
(Fabien, Fenouillet & Heutte, Jean, 2013). D’autres ensembles d’études (pour revue, voir
Delle Fave, Massimini, et Bassi, 2011 cité par Fenouillet & Heutte, 2013) montrent
l’importance d’autres concepts dans l’expérience du flow, comme des liens positifs entre la
motivation et le flow(pour savoir pourquoi c’est important voir « Ne perds pas ta série »).
-58-

Pourquoi ça marche ?
Est-ce que Duolingo a implémenté les conditions nécessaires au flow:?

 Par l’intermédiaire du chemin d’apprentissage structuré en


chapitre/section/niveau, Duolingo apporte des objectifs clairs. Visuellement
agréable. L’utilisateur sait où il est, où il doit aller. Il a accès à tout le parcours
pédagogique voir « Un sens de l’espace »

 A chaque action effectué, l’application fournit une rétroaction immédiate,


positive. Elle invite ainsi à renforcer la confiance en soi voir « Le sentiment de
compétence »

 La perception de contrôle est totale voir « Ne perds pas ta série !! »

3/4

Pourquoi ça marche +/- ?


 L’équilibre entre défi et habilité dépend de chacun. Les jeux (vidéos) et interfaces
informatiques doivent non seulement prendre en compte les 3 niveaux
d’utilisateurs (novices-normaux-experts) mais aussi le contexte et les
motivations de chacun pour offrir une expérience optimale voir « le FUN c’est
contextuel ».

 Bien que le contenu évolue, les stratégies et les mécaniques de jeux – elles –
n’évoluent pas. Le joueur n’a pas plus de choix pour remporter les défis.
L’apprenant atteignant un niveau expert – soit un niveau B2 voire même B1 – a
besoin de pratiquer sa langue finement, à travers des exercices plus ancrés dans
sa réalité quotidienne (ou celle des natifs de la langue étudiée).

 L’oralité prend de plus en plus de place. L’utilisateur va chercher les réponses à


ces questions à l’extérieur de l’application soit via les réseaux sociaux, soit via
des ressources académiques.

 1/4
-59-

2.5.2. Super intéressant-super utilisé-super


individuel

Bien que le flow puisse être utilisé à des fins de collaboration et d’interactions entre
personnes, tout cela est fort centré sur l’individu qui est dans sa « zone ». Cela ne touche
pas tout le monde, tout le temps.

D’autant plus qu’en fait Csikszentmihalyi a piqué le concept de l’équilibre entre défi et
habilité à un Russe nommé Vytgosky35 - précurseur du socio-constructivisme bien avant
l’heure. Ce psychologue, décédé très jeune (1896-1934), est connu pour le concept de
« Zone Proximal de Développement » ou ZPD. Cette zone est un espace cognitif située entre
deux autres zones appelées « zone d’autonomie » et « zone de rupture » (Tiens, tiens, avons-
nous déjà parlé de zone ? Est-ce que ‘FLOW’ pourrait être traduit par ‘être dans la zone’ ?).

En 1930, Lev Vytgosky définissait cette ZPD comme « la distance entre le niveau de
développement réel, déterminé par la résolution autonome de problèmes, et le niveau de
développement potentiel, déterminé par la résolution de problèmes sous la direction d'un
adulte ou en collaboration avec des pairs plus compétents »(édition traduite en anglais de
1978, p.36). Soit, ce monsieur avait déjà décrit pourquoi John Mac Enroe allait pèter un
câble en 1981. John était en fait dans la zone de rupture d’un exercice réel qui a dépassé
son niveau de développement potentiel.

Figure 21: Illustration de la zone de développement proximale de Vigotsky36

Hormis le fait que Mihaly disait déjà ce que Lev disait 45ans avant lui, Lev était surtout déjà
un défenseur de l’interactionnisme et d’une certaine forme d’apprentissage social chère à

35
Raph Koster, de nouveau lui, a rendu à Vygotsky ce qui appartient à Vygostky, dans son bouquin. C’est
vraiment un mec sympa ce Raph.
36
Source de l’infographie : Katia Renaud, François Guillemette, Céline Leblanc(2016). Tenir compte de la « zone
proche de développement » des étudiants dans son enseignement. Site web de « Pédagogie universitaire » de
l’université du Québec. Consulté le 01mars 2023 sur https://pedagogie.uquebec.ca/le-tableau/tenir-compte-de-
la-zone-proche-de-developpement-des-etudiants-dans-son-enseignement
-60-

Banduras. Vygotsky mettait la collaboration entre apprenant et enseignant(ou apprenant


plus compétent) au centre de ses écrits. Il disait déjà « L’interaction sociale, c’est l’origine et
le moteur de l’apprentissage. » ; « A mesure que l’on mûrit et que l’on se développe, nous
cessons d’imiter simplement le comportement des autres ou de réagir de manière
automatique face aux stimulations de l’environnement. » ou encore « La connaissance est le
produit de l’interaction entre la personne et le milieu, milieu au sens social et culturel, pas
seulement physique. »( traduit par Beatriz Caballero, 202237).

Voici une différence majeure entre l’approche de Vygotsky et Csikszentmihalyi; entre un bon
jeu d’apprentissage et un mauvais jeu d’apprentissage : la collaboration, l’échange, les
interactions. L’être humain apprend mieux à travers d’autres êtres humains dans des
situations réelles ; à travers sa culture et le sens que chacun lui donne.

En supprimant toutes possibilités de tutorat via ses forums et via les commentaires intégrés
dans les phases d’apprentissages, Duolingo se prive d’une ressource sociale gratuite. J’irais
même plus loin, en terme de marketing, il perd des utilisateurs fort engagés qui pourraient
être des ambassadeurs de la marque.

L’application au hibou a gardé un semblant d’activités sociales à travers un élément de


gamification qui fonctionne fort bien : le classement entre joueurs.

2.5.3. « La ligue diamant, c'est des fadas38 ! »

Duolingo propose un tournoi hebdomadaire. Les trois premiers ayant récolté le plus de
points d’expérience gagnent un trophée bronze-argent-or selon leur place dans le
classement. Comme dans les clubs sportifs en compétition, Duolingo fait monter les 5-10-
15 meilleurs joueurs dans la division supérieure à chaque fin de semaine en plus de leur
offrir des gemmes. La ligue la plus haute qu’un joueur puisse atteindre s’appelle « la ligue
Diamant ». Il y a même un badge à gagner en cas de victoire. Ce badge est, selon mon
expérience, le plus difficile à obtenir car il nécessite beaucoup de temps de jeu.

Voyons ce que mon panel en dit :

37
- en français dans le texte - Beatriz Caballero, 2022. Les 7 plus belles phrases de Vygotsky.
Nospensees.fr. Consulté le 12/05/2024 sur https://nospensees.fr/7-plus-belles-phrases-de-vygotsky
38
Émilie, qui habite à Nice en France, nous a émerveillé avec l’utilisation de ce terme purement
provençal lors du focus group. Dans ce contexte, Fada est un synonyme de fou. « Comment! Panisse
veut épouser Fanny? (...) Oh! le pauvre fada! quelle mentalité! mais il est fou, ce pauvre vieux?
« (Pagnol, Marius,1931, II, 3, p. 114)
-61-

Maria : Quand t'es bien lancé dans une langue, t'as une longue série, et donc tu
commences à participer aux ligues, etc. Et donc là, il y a un petit côté addictif.

Moi :Est-ce que il y a un petit peu un côté compétitif ?

Maria : Oui, parce que dans la ligue, je voulais être bien placée.

Moi : Tu voulais apparaître dans le top 3 ?

Maria : Ouais, et puis t'as toujours les mêmes personnes qui revenaient. Je me disais,
tiens, lui, il a fait plus que moi cette semaine, donc moi, je vais faire plus. Donc il y
avait un petit côté compétition.

[…]

Moi :Est-ce que dans la vie de tous les jours, en dehors de Duolingo, t'as un petit peu
un côté compétitif, donc compétitrice ?

Maria : Pas du tout ! Non, c'est vraiment uniquement ce système, le jeu, oui, mais
sinon non. Je fais de la marche, quand je marche, les gens, ils peuvent me dépasser,
je m'en fous, j'irai pas plus vite, j'ai pas envie d'aller plus vite, donc, je sais pas, j'ai pas
ce côté-là.

Moi : Donc là, tu as 4 350 xp pour l'indien.

Josée : Oui, autant de dire rien du tout parce que j'ai commencé comme ça pour
m’amuser, juste pour garder les petits trucs de fond, les points qu'il fallait. Et après, je
me lasse très vite des records.

Moi : Ok, tu te lasses très vite.

Josée : Oui, ce n'est pas ce qui me motive. Quand j'apprends une langue, ce n'est pas
ce qui me motive.

Moi : Donc, tu as commencé par ça pour avoir un petit peu le côté interactif et ça
avance vite. Et tu reçois des récompenses.

Josée : En fait, à l'époque, oui, il y avait ce challenge après l'histoire des ligues où il
fallait grappiller des points par force. Et j'avais commencé avec ça et puis ça m'a très
vite fatigué parce que je ne suis pas quelqu'un à record. J'aime tracer mon petit
bonhomme de chemin. Alors oui, ça va m'amuser un moment, mais je me lasse très
vite de ce genre de choses parce que ça ne cadre pas avec ce que je suis.

Je suis compétiteur, mais avec moi-même, pas avec les autres.


-62-

[…]

Moi : Ah, mais t'as quand même été jusqu'à la Ligue Diamant, en fait ?

Josée : Oui, mais ça m’a vite fatiguée. Après 2 semaines, j’ai arrêté.

La Ligue Diamant, c'était pour les gens qui sont vraiment compétiteurs dans l'âme,
mais qui se fichent pas mal de ce qu'ils vont apprendre.

Parce que finalement, le fait de manger comme ça, les tests après tests, en fait, on
n'apprend pas. On n'a pas le temps d'imprimer. Donc, il n'y a aucun intérêt réaliste.

Moi : ça m'intrigue beaucoup, cette Ligue Diamant, parce que je vois beaucoup de
commentaires là-dessus. Je vois beaucoup de messages sur les réseaux.

Josée : Ah oui, c'est la quête ultime ! Si tu t’es dans la Ligue Diamant, c'est un peu ta
vie, quoi. Défouler vous sur autre chose, quoi. J'espère que la Ligue Diamant c’est pas
votre seul problème sur terre, sérieux !

Moi : C'est marrant ce que tu dis ! Parce que c'est vrai que j'ai cette impression-là,
mais c'est mieux si ça vient de la bouche des utilisateurs ;-) ;-)

Bénédicte, quant à elle, a gagné la 1ère place de la ligue Diamant. Je l’ai remarqué car elle
avait ce fameux badge dans son profil. Lorsque je lui ai demandé, elle m’a dit avec
honnêteté ne pas s’en souvenir. À aucun moment, elle ne jouait avec comme objectif de
remporter ce badge, d’être la première du classement.
-63-

Bénédicte : Quand on utilise beaucoup sur une telle journée, on voit qu'on monte en
classement. Alors, [le système vous dit], félicitations, vous êtes xième. J'ai pas eu
l'intention de changer des choses. De temps en temps, on voit, oui, vous avez ceci,
vous avez droit à des points,

C'était en quelle année que j'avais eu ça ? [se demande-t-elle à elle-même]

Moi : 2021

Bénédicte : Peut-être alors l'année de l'abonnement. Parce que là, on peut jouer
indéfiniment, vu qu'on ne perd pas de vie à ce moment-là.

Moi : Et donc là, vous avez beaucoup joué, vous n'êtes pas rendu compte que vous
gagnez, mais vous aviez envie de continuer parce que vous avez l'abonnement, c'était
gai, vous étiez motivé. Et donc, comme ça, pouf, vous avez beaucoup joué et vous
êtes arrivées en première place.

Vous n'avez pas cherché cette première place ?

Bénédicte : Non, pas du tout.

Bénédicte est une des premières joueuses belges de Duolingo vu qu’elle a commencé en
2014. Elle a plus de 70ans. Elle est la seule à utiliser une tablette pour s’exercer. Analyser
les dires de Bénédicte m’est compliqué et nécessiterait un deuxième round, une observation
de comment elle utilise l’application ou peut-être le point de vue de son fils et/ou sa belle-
fille. J’ai du mal à la situer. Est-elle sensible à la gamification ? C’est rentré dans ses
habitudes de vie. Elle ne prête pas attention à tout ce qu’y a été mis en place – ou du moins
c’est ce qu’elle m’a dit lors de notre entrevue. Elle continue jour après jour sans se poser de
question. Elle n’a pas personnalisé son avatar, n’a pas d’abonné. Elle ne joue pas pour
collectionner les badges, les points.
-64-

Delphine lors de l’interview individuelle de novembre 2024 :

Mon but, ce serait de gagner la ligue diamant ! Et là, c'est purement du jeu, c'est
même plus de l'apprentissage. Là, mon but, ce sera d'être numéro un de la Ligue
Diamant, parce que ça, j'ai pas encore réussi à le faire, et je me dis, pour être numéro
un de la Ligue Diamant, tu dois vraiment faire une langue que tu connais déjà, genre
l'anglais, ou alors ne plus avoir de nouvelles leçons à apprendre, et vraiment juste
être dans la révision. C’est tout bénéf pour toi, et t'as pas ce risque de faire tellement
de leçons que tu fixes pas parce que c’est nouveau, tu vois.

Et non, ça, c'est vrai que vraiment, juste pour l'aspect jeu de duolingo, je suis un peu
contrariée de pas avoir mon badge de légende. Pour l'instant, je reste tout le temps
dans la Ligue Perle, parce que c'est la Ligue la plus élevée, ou en même temps, tu
vois, je peux le faire à mon rythme sans descendre de division.

Après, quand t'es dans la Ligue Obsidienne, c'est déjà un peu plus chaud, et puis
quand t'arrives dans la Ligue Diamant, là, c'est des tarés, tu vois, c'est vraiment des
gens, ils te font des XP tout le temps.

Mais c'est aussi parce qu'il me manque ce badge-là, enfin, il y a d'autres badges qui
me manquent, mais ça, je sais que je vais les avoir facilement, mais ce badge-là, il est
vraiment chaud à avoir, et je suis déjà allée lire sur des forums et tout, comment je
peux gagner, enfin, comment je peux avoir ce badge Comment je peux finir numéro
un de la Ligue Diamant, enfin, vraiment, top 1. Et il y a des gens qui expliquent
comment faire. Enfin, sur Reddit, ou sur des forums du duoLingo, qui disent, bah voilà,
bah tu fais comme ça, et ça, et ça, et, normalement, tu devrais pouvoir finir numéro
un...

Mais en fait, je trouve ça marrant, parce que je me dis, c'est fou qu'on arrive à se
prendre la tête comme ça. Tu prends de la distance, mais tu vois. Et en même temps,
c'est quand même toujours dans ma tête.

Je sais que ma correspondante, elle, pour l'instant, elle pète des câbles, parce qu'elle
arrive pas à être numéro 1 de la Ligue Diamant. Et je me suis dit, je pense que je vais
lui envoyer justement les liens vers des conversations sur Reddit, parce que c'est
vraiment en train de la rendre folle. »
-65-

Delphine, Émilie et Maria lors du focus group de Février 2024 :

Émilie : « la ligue Diamant, c’est des fadas ! »

Delphine : « François moi j'avais fait comme toi ce truc de retourner sur l'anglais
parce que je connaissais déjà l'anglais et comme ça c'était facile pour moi de tu vois
de monter dans les ligues parce que ça me permettait d'avoir facilement des XP et
comme ça je montais dans les ligues et tout et voilà et du coup ici début d'année j'ai
réussi à finir première en ligue diamant comme si j'avais dit que j'essaierais de faire et
puis j'ai fini première aussi du tournoi diamant mais franchement dans la ligue
diamant je trouvais déjà que c'était des fous pas des fadas et après quand tu passes
dans le tournoi diamant ils sont encore plus tarés en fait donc je me suis dit ok je vais
faire première là je ne veux plus jamais retourner dans ce truc de toute ma vie voilà
c'est juste j’ai le badge et c'est bon merci au revoir »

Émilie : « ouais moi c'est un peu pareil j'ai fait une fois j'ai pas réussi à gagner le
tournoi machin mais en fait c'était en une semaine donc du coup j'étais là ah faut que
je le fasse parce que sinon je vais le perdre et tout. Et en fait c'était pas du tout
agréable c'est pas ça qui m'intéresse là je suis dans la améthyste ça monte un peu ça
descend selon les semaines ça va très bien comme ça. »

Moi : « Et toi maria, à une époque, t'as essayé ? »

Maria : « J'ai jamais essayé de monter je suis montée un peu mais ça n'a jamais été un
objectif. »

Émilie : « ça sert vraiment à rien ! »

Delphine : « Les semaines où tu fais ça t'apprend rien ou alors tu gardes vraiment


une langue que tu connais déjà et tu fais tes xp comme ça mais enfin franchement
moi j'utiliserais pas la langue que j'essaie d'apprendre pour monter dans les ligues
avec ce truc-là quoi ou alors t'apprends vraiment rien. Ma correspondante américaine
elle fait ça vraiment. Elle court à travers toutes les leçons parce qu'elle essaye
d'apprendre le français pour pouvoir discuter avec moi et du coup elle fait toutes ses
leçons super vite pour pouvoir avoir un maximum de points mais du coup elle retient
rien tu apprends rien du tout quand tu fais comme ça. »

Selon mon panel de duolinguiste, la ligue Diamant leur est connue. Le mécanisme de
gamification que représente la montée en division supérieure fonctionne bien car chacun
identifie bien dans laquelle il se situe. La plupart stagnent dans la même division car ils ont
trouvé leurs rythmes de croisières. Ils sont certainement dans leurs ZPD !
-66-

Obtenir le badge officialisant que vous avez gagné la 1ère place de la ligue Diamant n’était
important que pour Delphine soit 1 joueur sur 12.

Quant aux apports pédagogiques de cet artefact, ils apparaissaient très pauvres. Ceux qui
ont testé ce niveau très élevé de compétition n’en ont pas retiré les bénéfices en termes de
fixations des connaissances. Josée, Delphine et Émilie en parlaient de manière fort négative.

La série et les ligues étant des éléments forts de l’interface, ils sont restés au fil des années.
Tous mes utilisateurs les connaissaient. Aussi bien ceux qui ont rejoint Duolingo récemment
que ceux plus anciens.

Par contre, lors de mon observation, j’ai été fortement interpellé par les changements
radicaux et non-annoncés de l’interface que ce soient au niveau visuel ou des différentes
fonctionnalités offertes.

2.5.4. Changements dans l’interface

Duolingo a 12 ans d’existence. Ils maintiennent un système complexe de + de 50 parcours


d'apprentissage et ce sur 3 infrastructures informatiques différentes - l’app store, le play
store et le site web. Ils améliorent continuellement les fonctionnalités et les visuels.

D’ailleurs depuis que j’ai commencé mon observation participante, l’espace des badges
(achievements/rewards) a été remodelé entièrement. Non seulement, les visuels ont été
redessinés mais aussi la manière de naviguer parmi ceux-ci. Ce n’est pas que cosmétique, le
design d’expérience et d’interaction a été modifié. Impossible de revenir en arrière,
l’interface ne propose pas une nouvelle version et une ancienne version comme c’est le cas
avec les logiciels de bureautique de Microsoft tel qu’Outlook ou Teams. Ceci serait
certainement ingérable vu le nombre de mises à jour (3 mises à jour par mois de manière
stable39 d’après uptodown).

Un autre changement marquant dans Duolingo – effectué en 2022 - a été celui de la


représentation visuelle du parcours pédagogique. Delphine m’a confié lors de notre
entrevue début novembre qu’elle avait été fort marquée par celui-ci :

39
https://duolingo.fr.uptodown.com/android/versions
-67-

Delphine : « Pendant des mois, à chaque mise à jour de l’application, je téléchargeais


l’ancienne version pour garder l’arbre […] ça me bousille un peu mon truc car je
m’étais fait une logique pour apprendre, j’avais des listes de vocabulaire qui suivaient
la branche de l’arbre sur laquelle j’étais… Pour pouvoir maintenir mon nombre de
jours sans avoir de coupures, parce que je suis à 640 et des jours, je pense. J'ai
retéléchargé constamment. Chaque fois qu'ils me faisaient une mise à jour, en fait, je
retéléchargeais l'ancienne version pour pouvoir continuer. Parce qu'en fait, moi, si tu
veux, avant, c'était un arbre d'apprentissage et tu avais une branche, c'était une unité,
tu vois. Et pour moi, je me disais, ah, c'est cool, donc aujourd'hui, je vais apprendre les
vêtements, tu vois. Et donc, je mettais vêtements et hop, je commençais ma liste ainsi.

Je mettais leçon 1, leçon 2, leçon 3.

Et après, quand ils ont changé, qu'ils sont passés à un chemin et plus à un arbre, je
me suis dit, ‘ merde, enfin, j'ai pas fini d'apprendre [tout sur les vêtements]’ et ça me
bousille un peu mon truc parce que moi, je m'étais fait une logique et tout ça pour
commencer à apprendre. Et bon, je suis un peu tombée dans ce bazar d'autiste où je
m'étais dit, ça va foutre en l'air tout ce que j'ai fait, il va y avoir des redites, tu vois, ma
liste et tout, elle va plus ressembler à rien.».

La firme au hibou a en effet « simplifié » l’arborescence aux multiples chemins(fig.23) par un


chemin linéaire obligatoire(fig.24).

F
Figure 23: ancienne représentation du parcours.
i Figure 24: nouvelle représentation
Source: X(Twitter). CJQ@columjq Jan 6 g du parcours
u
r
e
S
E
Q
F
i
g
u
r
-68-

Delphine n’est pas la seule à avoir été choquée par ce changement. Le #duolingoupdate sur
X(Twitter) a rassemblé énormément de personnes décontenancées, énervées autour de
cette mise à jour -une pétition pour l’annuler a reçu plus de 15 000 signatures40.

Cet arbre d’apprentissage aux multiples ramifications apparaissait effectivement comme


plus logique dans le sens où chaque leçon exposait des sujets précis, accompagnés d’une
liste de vocabulaire plus exhaustive qu’actuellement comme nous l’explique Émilie :

Moi : "Est-ce qu'il n'y avait pas plus de structure sémantique avec l'ancien arbre de
connaissance ?"

Émilie : "Si avant il y avait des leçons c'était beaucoup plus d'étapes mais c'était
moins mélangé sur quoi la leçon était.

Quand tu commençais il y avait les couleurs ; les habits ; les nombres ; les trucs
comme ça. Après tu continuais dans l'arbre mais t'avais à chaque fois un thème alors
que maintenant il y a toujours un thème mais en fait c'est tout mélangé et puis
surtout j'ai plus le choix voilà ouais j'ai plus le choix."

Au fil de mes lectures, j’ai découvert que ce « #duolingoupdate gate » aurait pu être évité. Et
c’est Aaron Walter(2012, p.58) qui m’a introduit à la notion de système ouvert versus
système fermé. Par cette confrontation, il nous démontre la puissance de notre imagination
par l’anticipation.

Les mondes ouverts tels que Baldur’s gate, Les Sims, Second Life, The Witcher, Roblox,
Minecraft et autres jeux de rôles, de gestion ou de stratégie laissent le champ libre à la
créativité. Les joueurs ont le pouvoir de modeler ce monde selon leurs envies, leu
personnalité, leur imagination.

Les mondes fermés tels que Super Mario Bros, Sonic et autres jeux de plateformes linéaires
« dirigent étroitement l’expérience de jeu »(Aaron Walter, 2012). Peu de choix sont laissé à
l’utilisateur qui avance inexorablement vers une conclusion sans surprise.

Les structures ouvertes ou fermées ne s’appliquent pas qu’au jeu vidéo. Aaron Walter nous
donne l'exemple du redesign de Twitter – célèbre plateforme d’échange de contenu généré
par l’utilisateur renommée ‘X’ par Monsieur Mars :

Début 2010, avant d’effectuer la mise à jour vers son nouveau design , Twitter a ‘teasé’
celui-ci en publiant des captures d’écran partielles. Cela a créé le buzz. La webosphère a
commencé à fantasmer. Voici quelques commentaires d’un post de Mashable sur
LinkedIn41 :

40
https://www.change.org/p/reverse-duolingo-s-path-update
41
https://www.linkedin.com/posts/mashable_twitter-is-testing-out-a-new-design-that-activity-
5839143318592057344-sYUN/
-69-

Christhmus P. : “Twitter's unique interface is what makes it stand apart from the
Facebooks of today. Why unmake what it worked so hard to create in the first place:
its own separate identity?”

Lucas Chies : “I think it became more of the same. The visual of all applications and
websites are becoming an improved copy of the same idea. I believe that a new
paradigm of design would indeed be interesting.”

Tiffany Moreside : “On one hand I like it, on the other, the noise makes them
indistinguishable from other social media platforms. I prefer that my eyes don't jump
across the page when figuring out the chronological order of things.”

Noah Stephens : “Twitter isn't broke. Don't try to fix it.”

En faisant cela, les esprits ont été préparés au changement qu’ils soient pour ou contre.
L’effet a été fort bénéfique car, même si le design n’a pas changé en fonction des
commentaires des utilisateurs, ceux-ci ont eu le temps de s’y préparer.

De plus, une zone tampon a été mise en place lorsque ce redesign a été disponible - 5mois
après la fuite du premier screenshot. Cette zone tampon consiste à donner le choix à chacun
de découvrir la nouvelle version ou de garder l’ancienne. Microsoft vient d’effectuer la
même stratégie pour ses produits Microsoft Teams (début 2024) et Outlook en 2023. Ainsi
que Google qui annonçait que son interface allait changer (voir fig.25) pendant quelques
semaines début 2024.

Figure 25: Teasing pour un nouveau look. Source: Google

De nos jours, cette technique s’est répandue car elle est efficace pour diminuer la résistance
au changement que nous ressentons lorsqu’un pouvoir supérieur nous impose des
nouvelles choses auxquelles nous devons nous plier. (l’UX design tend aussi à diminuer
cela en modelant les interfaces selon les besoins de l’utilisateurs. Mais cela est un autre
débat.).

2.5.5. Autres changements dans l’interface

Dans la revue de littérature de Mitchell Shortt(2023), des captures d’écran des « outfits »
sont présentés. Cela m’a intrigué car je ne les ai pas vus dans l’interface. Ceux-ci ont été
-70-

retirés en 2022. Il s’agissait de « skin42 » pour Duo – la mascotte hibou – équivalent digital
des costumes de notre Manneken Pis national. Pour les obtenir, il fallait débourser des
« gemmes ». Certains célébraient des événements ponctuels comme l’année du Dragon
dans le calendrier chinois.

Figure 26: mannekenpis.brussels Figure 27 :duolingo.fandom.com/wiki

A la recherche de commentaires d’utilisateurs à propos de ces costumes, on peut lire ceci


sur Reddit43 :

« Oui, je les avais tous et maintenant ils ont disparu :/ c'est un peu nul tbh »
ItchyPeenids

« Oui, j'ai travaillé si dur pour gagner assez de gemmes pour obtenir les tenues.
Ramenez les tenues 😤 » Stupid_Bitch_02

« Oui, je me souviens des leçons de flirt. Le duo est vraiment doué pour nous vendre
des choses que nous n'utiliserons jamais. » la_yee_leet

42 “Lose the skin” – security guy to guy. Free guy(2012) Ryan Reynolds qui joue du ryan reynolds
https://youtu.be/66xz4gOYDjs?si=1Ep7w2VwY9s4VrN1&t=47

43
https://www.reddit.com/r/duolingo/comments/11ug0nc/does_anyone_else_miss_when_duo_had_fun_little/ -
Traduit par DeepL :
“Yea I had all of em and now they’re just gone :/ kinda lame tbh”
“Yes, I worked so hard to earn enough gems to get the outfits. Bring back the outfits “
“Yeah i remember flirting lessons. Man duo is really good at selling us things we will never use /s”
-71-

Si l’on réfléchit d’une manière purement financière, l’achat d’éléments digitaux constitue un
pan énorme du business model des applications mobiles, des mondes virtuels et des jeux
vidéo d’accès gratuits. Que ce soit des vêtements et des maisons dans Second-life44, des
boites de pique-nique surprises dans Fallout Shelter ou le NFT du 1er tweet de l’histoire de
Twitter45, ces éléments virtuels brassent des millions de rentrées dans la devise que vous
choisissez : € - $ - bitcoin ou « Gemmes » de Duolingo qui s’achètent contre du « vrai »
argent.

Alors pourquoi la société Duolingo a-t-elle enlèvé cette fonctionnalité potentiellement


génératrice de revenus ? Je ne suis pas le seul à me poser la question, puisque sur le même
thread Reddit46, on peut lire ceci :

« Je me pose la question suivante : pourquoi s'embêter à les supprimer ? Même si très


peu de gens les utilisaient ou les remarquaient, c'est juste une suppression de
quelque chose d'amusant et de différent sans raison apparente. Je ne peux pas
imaginer qu'il soit plus difficile de les laisser en place1. » Radiant_Meringue9998

Excellente cette question de Radiant_Meringue9998, non ?

Duolingo change vite, très vite! (trop vite ?) et les raisons sont rarement indiquées par la
firme au hibou comme vous le verrez au chapitre suivant.

2.5.6. Socialisation des utilisateurs

Vous vous souvenez de Maria ? Au début de mon histoire, j’indiquais ceci :

Ça sert à quoi d’avoir des amis dans Duolingo ? […] quel est l’intérêt de les féliciter et
de les suivre si on ne peut engager la conversation ?

C’était Maria ! Elle est marrante, non ? Je ne spéculerai pas sur cette question ontologique
car ce n’est pas le propos ici. Mais ce qu’elle vient de dire est très important. Pourquoi ne
peut-on pas communiquer avec d’autres utilisateurs dans Duolingo ? C’est la base de tout
ce qui fait de nous des êtres sociaux. C’est encore plus important lorsqu’il s’agit d’apprendre
une langue étrangère car le but, in fine, c’est de communiquer, non ?

44
https://marketplace.secondlife.com/p/PALOS-VERDES-HOUSE/8392976?ple=c
45 https://v.cent.co/tweet/20
46
https://www.reddit.com/r/duolingo/comments/11ug0nc/does_anyone_else_miss_when_duo_had_fun_little/ -
Traduit par DeepL :
-72-

2.5.7. Comment tisser des relations dans un


univers virtuel inconnu qui ne fournit aucune
fonction d’interaction ou de communication?

En préambule(voir première observation), je vous ai expliqué l’impossibilité de socialiser via


l’application. Est-ce que mes utilisateurs socialisent à l’extérieur de Duolingo ?

Delphine : « J'ai de plus en plus de personnes que je connais dans la vraie vie, qui
sont vraiment des amis et tout ça, qui rejoignent duolingo, et du coup, à chaque fois,
ça me fait plaisir parce que je me dis, du coup, je vais pouvoir partager ça avec eux.
Ou même quand j'ai des amis, ça fait un moment qu'ils sont plus sur duolingo, mais
ils sont revenus dessus, ils te permettent d'envoyer des réactions pour les
encourager, je le fais, parce que je me dis, au moins, ça fait un sujet de discussion. »

Émilie s’amuse bien avec les défis entre amis :

« J’ai pas mal d'amis de la vraie vie qui sont dessus(ndlr : sur Duolingo) et donc avec
les trucs genre ‘friend quest’ et trucs comme ça on se chauffe mutuellement pour
faire plus de choses donc c'est une manière rigolote de [… pause …] c'est juste pour
[… pause …] ça fait des liens différents mais c'est que des gens que je connais ailleurs
c'est pas des gens rencontrés sur duolingo.»

Émilie et Delphine socialisent avec d’autres personnes grâce à Duolingo. Oui mais ces
personnes sont des amis « dans la vraie vie » ; elles communiquent en dehors de
l’application via des canaux digitaux tels que What’s app ou Messenger. Elles n’ont pas
créé de liens (faibles et encore moins forts) avec d’autres utilisateurs de la firme au hibou.
-73-

J’ai été interloqué par une phrase de Maria lors de notre interview individuelle :

Maria : J'allais sur le PC avant pour faire Duolingo, et alors, il y avait un forum avec
les gens qui posaient des questions. Et là, à côté du nom de la personne, tu voyais
toutes les langues qu'elle avait apprises. Parfois, c'était très long.

Moi : Attends ! Tu me dis qu'il y avait des forums sur le site web ?

Maria : Oui, mais après, ça date de quand j'apprenais le portugais [ndlr : c’était en
2017]. Sur le site web Duolingo, on peut faire les mêmes exercices que sur
l'application. Il y a des forums.

Moi : Ça, j'ai pas vu, sur l'application ! parce que justement, moi, je cherchais un peu
des forums un peu plus sophistiqués, parce que sur l'application, tu sais pas faire
grand-chose.

Maria : Non, non. Sur le site web, il y avait des...Il y avait des trucs en plus de
l'application. Pas que le forum, il me semble. Oh, ils l'ont peut-être retiré »

Effectivement, ils ont retiré tous les forums sur le site web officiel47. « Le seul aspect de
l'application qui permet de s'exercer à l'écriture libre et de socialiser avec d'autres
apprenants de manière collaborative. » (Short et al., 2023). Ici non plus, aucune explication
du pourquoi du comment. Selon Mitchell Short(2023) « très peu d'articles mentionnent les
forums de discussion de Duolingo. Le raisonnement qui sous-tend cette décision de
conception n'est pas apparent, mais il pourrait suggérer que les concepteurs mettent
l'accent sur la compétition gamifiée plutôt que sur la réflexion collaborative 48».

Maria m’indiquait « Ah dommage, c'était chouette ! » lorsque je lui annonçais cette fermeture
des forums. J’en reviens donc à Radiant_Meringue9998 : pourquoi s'embêter à les
supprimer s’ils sont utiles à certains49 ?

Les forums et communautés dont le contenu généré par les utilisateurs est le cœur du
système sont des mines d’or – au sens propre50 - lorsqu’ils correctement modérés. Un
excellent exemple francophone est celui de Doctissimo. En 2008, le groupe Lagardère

47
https://support.duolingo.com/hc/fr/articles/4424678300301-Message-d-annonce-sur-les-forums-FAQ
48
Traduit avec www.DeepL.com/Translator (version gratuite). Voici la version originale : « very few
articles mention Duolingo's discussion forums - the only aspect of the application that allows users
to practise free writing and socialise with other learners in a collaborative way. »
49
La revue de littérature de Mitchell Short(2023), indique que seuls quelques participants
connaissaient et utilisaient les forums de discussion de Duolingo (Marques-Schafer & da Silva
Orlando, 2018).
50
Selon le site GrowJo, Reddit serait valorisé à 10milliards, Discord à 5milliards, Quora à 2milliards –
consulté le 15 avril 2024 sur https://growjo.com/company/Reddit
-74-

achète le site web Doctissimo connu pour sa communauté très active. Bien que les
informations se trouvant dessus n’étaient aucunement validées par des docteurs51,
lorsqu’un utilisateur francophone tapait une question « santé » sur les moteurs de
recherche, de nombreux résultats du top 10 pointaient vers Doctissimo. Le rachat valorisa
Doctissimo à 138 millions d'euros.

D’un point de vue financier, Duolingo aurait pu garder ce pan de leur histoire à des fins de
référencement naturel ou de monétisation via la publicité. Au lieu de ça, il effectue des
mises à jour fréquentes comportant des modifications importantes dans son gameplay et
son business model sans en avertir ses utilisateurs.

Autre suppression étonnante au même moment que les forums officiels du site web (début
2022) : les conversations entre utilisateurs intégrés dans chaque phase d’apprentissage de
l’application (voir figure 28). Voici ce qu’en disent ceux qui ont connu cette fonctionnalité de
commentaires :

Josée :« ça manque ça oui pour la bonne simple raison que les commentaires en fait
servait principalement à aider les apprenants en leur donnant des explications que
parfois certains points de matière peuvent être un peu obscur et il est bon que les
natifs puissent aider les apprenants. »

Moi : « Donc ça, ça te manque vraiment ? «

Josée : « C'est une fonctionnalité que je regrette effectivement je dirais pas que ça me
manque mais quelque chose d'utile en fait parce que même si c'est pas forcément
nous qui posons une question on avait quand même la possibilité d'aller vérifier les
commentaires. Se dire : ‘ah tiens la question a déjà été posée ! ah oui, là je comprends
bien. Tiens je vais peut-être avoir besoin d'un peu d'explication, je vais reposer une
question derrière’. »

Moi : « Et donc le fait que c'était intégré dans ton chemin d'apprentissage ;que c'était
des questions spécifiques relatif au niveau de langue que tu avais c'est ça ? «

Josée : « Oui parce que en fait chaque fois qu'on avait une question il y avait la
possibilité de commenter et la question était posée sur le point soulevé par cette
question donc c'était assez utile. »

Émilie se souvient d’avoir utilisé ces mini-forums lorsqu’elle n’était pas sûre d’elle. Cela lui
« apportait une autre perspective. […] c’était intéressant car il y avait des gens qui
expliquaient pourquoi c’était faux ». Le fait que ce soit des autres utilisateurs et non pas la

51
Internet se souvient : https://hitek.fr/actualite/top-pire-messages-doctissimo_2983
-75-

machine binaire qui apportent un contexte et les règles grammaticales ou d’usages derrière
était plus que pertinent.

Alors pourquoi l’avoir arrêté ? Émilie m’indique

« Il y avait beaucoup de gens qui se plaignaient pour le plaisir de se plaindre sans


indiquer leur faute – qu’il fallait faire le tri dans les déchets » des commentaires. Que
beaucoup n’étaient pas pertinents. Que souvent « les québécois râlaient parce que c’était
du français de France ».

En y repensant, cela ne lui manque pas plus que ça.

Une frustration se répand dans mon être, en plus de mes


incompréhensions partagées par les utilisateurs et la
communauté scientifique : Il m’est difficile de
« formaliser les situations sociales dans lesquelles la
communication prend place, les habitudes et normes qui
régissent sa pratique, les dispositifs et appareils qui
structurent son agencement. » (Seurrat A., 2014) à cause
de ces changements réguliers et cette perte
considérable des échanges contenus sur les forums et
les commentaires des utilisateurs intégrés au fil de
l’apprentissage.

C’est à ce moment-là que je me suis souvenu des


paroles de Maître Boellstorff à propos du « présent
ethnographique » qui « est particulièrement inélégant
pour écrire sur les mondes virtuels, car ils sont
caractérisés par des changements rapides. La valeur de
l'écriture ethnographique réside dans l'analyse des
cultures, y compris les cultures des mondes virtuels, à
Figure 28: discussion intégrée des moments historiques particuliers. Toute
dans les phases d'apprentissages ethnographie devient inévitablement de l'histoire. »
Boellstorff, 2012 p.194

J’aurais bien aimé vivre l’époque où ces discussions étaient présentes pour me rendre compte
par moi-même et vivre l’expérience de ce que me rapportent mes duolinguistes. Cela fait
effectivement partie de l’histoire de Duolingo. Ont-ils gardé des sauvegardes au cas où ils
liraient ce compte-rendu et remettraient cette fonctionnalité ?

D’un côté, mon panel d’utilisateurs n’a pas exprimé un besoin de socialiser sur Duolingo. Ils
ne sont pas là pour ça. D’un autre côté, je ne comprends toujours pas pourquoi Duo
supprime les fonctionnalités du Web 2.0. Pour moi, une langue est LE véhicule culturel et
social. Ce que Lantolf et al (2015) – trois professeurs en linguistiques appliquées -
approuvent largement. Ils ont même dit ceci : « L'idée est que les fonctions mentales d'ordre
-76-

supérieur, notamment la mémoire volontaire, la pensée logique, l'apprentissage et


l'attention, sont organisées et amplifiées par la participation à des activités culturellement
organisées » Lantolf et al (2015) . Or « le seul aspect de l'application qui permet de
s'exercer à l'écriture libre et de socialiser avec d'autres apprenants de manière
collaborative »(Short M., 2023), ils l’ont supprimé…(je le répète mais c’est vraiment
important).

Alors, je me suis entêté en surfant sur la toile pour trouver des réponses à la question qui
m’a hanté pendant des semaines : « L’impossibilité de socialiser dans Duolingo, ça vous
manque pas ? »

Plan A : Mon entreprise de trouver des forums


francophones sur d’autres plateformes sociales pour avoir
une réponse a été un échec.

Plan B : Par contre, j’ai vite trouvé des groupes


anglophones sur Facebook qui cherchaient des
explications à leurs erreurs ou se moquaient du
surréalisme de la phrase.

Lors de mon observation, j’ai rejoint plusieurs de ces


groupes. Certains sont forts actifs. Plusieurs fois par jour,
des hommes/femmes/non-binaires(biffer la mention non-
pertinente) lançaient des conversations sur messenger ou
via une publication Facebook. Sur la figure 6, Pascal lance Figure 29: Pascal à la recherche d'autres
personnes
« une bouteille à la mer » via le groupe « Duolingo French
Group » qui rassemble + de 30,000 membres.

Lorsque j’ai posé la question à Louis, Il a posé la réflexion suivante :

« Après, je ne sais pas s'il faut faire plus. Quelque part, on a tous nos réseaux
ailleurs. »

Sur ce point, Louis a raison. La majorité des utilisateurs sont là 15 minutes par jour grand
maximum – le weekend un peu plus. Il a ses enfants, sa femme, ses amis, ses activités
sportives, son travail à temps plein. Ses groupes de discussions entre amis sur Whatsapp
ou Messenger.

Mais cela est son contexte personnel. Car Josée a le même genre de vie avec travail, famille,
loisirs. Et pourtant, elle dégage du temps pour utiliser d’autres applications afin de
découvrir les raffinements vocaux et culturels de l’Hindi. Son apprentissage de cette langue
a été quelque peu « parasitée » lorsqu’elle utilisait Tandem ou HelloTalk :
-77-

Josée : J'avais Tandem aussi, mais j'utilise très très peu. Il y a très très peu de gens
réellement intéressés par les langues, c'est plus... du dating pour être clair, mais ça,
c'est pas tout ce qui m'intéresse. Donc, je coupe court assez vite.

Moi : Et donc, tu parles de dating, c'est sur Messenger, alors? Enfin, sur Facebook?

Josée : Non, sur Tandem, qui est en fait une application de langue au départ, mais
que beaucoup utilisent comme moyen de pécho. Et c'est très désagréable. On n'est
pas là pour ça, mais...

Moi : Donc, sur Tandem, il y a vraiment cette possibilité de communiquer...

Josée : Messages privés, groupes. Ils appellent ça des fêtes, en fait, des salles de
discussion.

Moi : Et donc, ça, pour l'instant, ton ressenti, c'est que ça...

Josée : C'est parasité totale. Si on rentre en contact avec vous pour, au départ, soi-
disant la langue, en fait, on se rend compte que la langue est directe. En tout cas, ce
n'est pas celle-là. [Wink, Wink, clin d’œil, clin d’oeil].

On retrouve le même problème sur HelloTalk. Je ne vais pas vous mentir. Tout le
monde n'est pas là pour t'aider. Souvent, c'est « from this to have fun ». On va
s'amuser, rencontrer des gens, faire des nouveaux copains. C'est pour ça qu’on va sur
Facebook, quoi. Voilà. Après, malheureusement, on le sait, l'être humain, c'est un être
sociable qui a besoin de contacts. »

Et oui, vous avez bien lu. Josée s’est fait draguée très vite dès que les applications avaient
mis en place des fonctionnalités de socialisation[sic]. Cet argument est peut-être celui qui
a dirigé Duolingo à ne pas s’encombrer des forums et autres contenus générés par
l’utilisateur. La gestion de ceux-ci nécessite une attention constante et des personnes à
temps plein pour gérer tout cela.
-78-

2.6. Les mécanismes de jeu sont évolutif eux aussi

Les mécanismes de jeu sont évolutifs


eux aussi 2.6

“ S'il n'y a pas plusieurs choix à faire, c'est


simpliste. ” — Koster .R (2014)

Koster(2014) : « Les mauvais choix conduisent à l'échec de la rencontre. Cette compétence


peut être de n'importe quelle nature : gestion des ressources pendant la rencontre, manque
de timing, manque de dextérité physique et manque de contrôle de toutes les variables en
mouvement. »

Pour vérifier cela, Raph propose la question suivante :

« À un haut niveau de difficulté, le joueur doit-il fournir plus d’effort et/ou d’habilité
pour relever le défi ? »

Pour les défis chronométrés, plus on avance dans les niveaux, moins on a de temps pour
réussir à terminer le défi. Il faut une certaine agilité physique pour appuyer vite sur les
éléments mais surtout une agilité mentale pour lire et associer les mots en français dans la
bonne traduction de la langue étudiée. Mis à part ce mécanisme, l’application se veut simple
à utiliser et ne requiert pas au joueur d’éprouver son habilité. Les mécanismes de jeu
n’évoluent pas en tant que tels, il n’y a pas de défis, de challenge à remplir hormis celui
d’avancer sur le chemin linéaire ou de repasser sur les erreurs commises auparavant.

L’évolution se fait au niveau du contenu, de la connaissance de la langue.

Pourquoi ça marche ?
 Le contenu – et donc le niveau de langue - augmente en fonction du temps que

l’utilisateur passe par jour car il n’y a pas de barrière difficile à traverser au

niveau du gameplay.
-79-

Pourquoi ça marche - ?
 Les choix sont réduits. Les mécanismes de jeu n’évoluent pas. Cela peut
apparaître monotone et peu challengeant pour des utilisateurs aguerris à des
jeux vidéo tels que Assasin’s Creed, Fallout, Fifa et autres Counter Strike. Cela
dit, est-ce que ces profils sont des utilisateurs de Duolingo ?

Koster(2014) ajoute 3 dispositifs52 - à ces 6 particules élémentaires qui nous ont servi à
disséquer Duolingo en tant que jeu vidéo. Les dispositifs suivants transforment l’expérience
de jeu en une expérience d’apprentissage :

2.7. (points bonus)

# Un dénouement incertain
Raph Koster(2014) : « Le résultat de la rencontre ne doit pas être complètement
prévisible. Dans un jeu comme les échecs, la variable incertaine est la réponse de
l’adversaire à votre mouvement »

Exemple : Voir « La ligue Diamant, c’est pour les fadas ! »

# Le problème de la maîtrise
Raph Koster(2014) : « Idéalement, l’utilisation d’une compétence plus complexe pour
compléter un défi plus complexe devrait mener à des récompenses plus importantes.
Dans l’autre sens, les joueurs inexpérimentés doivent maitriser le jeu pour avancer»

Les joueurs avançant vite dans les exercices et qui sont réguliers dans leurs apprentissages
rencontrent des défis à leurs mesures. Ils peuvent passer des leçons en validant des
exercices récapitulatifs. Les joueurs plus occasionnels – qui passent moins de temps dans

52
Raph Koster(2014, p.124) nomment ceux-ci « features » dans sa version originale.
-80-

l’application – ne sont pas lésés non plus. Ils avancent à leur rythme sans que cela soit trop
compétitif ou inaccessible.

La montée en puissance dans les ligues et le tournoi « Diamant » et les défis à gogo sont
des éléments de gameplay qui rendent le jeu plus compétitif demandant « une plus grande
habileté à relever le défi » (Koster, 2014). Les récompenses obtenues sont plus importantes
si on gagne la 1ère place. Certaines semaines sont plus imprévisibles dans les résultats car
de nouveaux joueurs arrivent ou bien les joueurs habituels ont plus ou moins de temps à
consacrer à Duolingo. (Voir « la ligue Diamant, c’est des Fadas ! » pour savoir ce qu’en disent
mes duolinguistes).

Duolingo offre plus ou moins de points d’expérience lorsque le joueur termine un niveau en
fonction du nombre d’erreurs commises et du temps passé. Ceux qui ont répondu
correctement à 100% des exercices obtiennent entre 5 et 10 points d’expérience en plus.
Pour moi, c’est trop peu ; le gain donné n’est pas proportionnelle à l’effort consenti. Cette
récompense apparait comme triviale. Il serait intéressant d’avoir le feedback des utilisateurs
à ce propos mais dans le cadre de ce mémoire, le temps m’est compté. J’ai clôturé mon

# L’erreur à un prix
étude de terrain pour passer à l’analyse.

Il n’y a pas de ‘à recom. ‘ ou de « non, je reprends ma carte car c’est pas que je voulais
faire ! ». Lorsqu’un joueur perd une phase de jeu, soit il perd des points soit il recommence
depuis le début soit le scénario pivote vers autre chose, etc. Lorsqu’il recommencera, le
joueur sera plus expérimenté pour éviter l’erreur.

Chaque erreur dans le parcours fait perdre 1 vie. Le maximum qu’un utilisateur possède est
de 5. Les séries d’exercices étant constituées d’une dizaine d’éléments, il est fort possible
qu’un joueur se retrouve sans vie avant la fin de la série. Il ne lui reste que 2 choix : passer
aux vies illimitées grâce à l’abonnement ou refaire les exercices précédents et des révisions
pour regagner 1 vie par série.
-81-

Si le joueur ne se connecte pas tous les jours, il manque les bonus du matin et du soir ainsi
que sa série parfaite.

Pourquoi ça marche ?
Ces 3 dispositifs sont correctement implémentés dans Duolingo :

 3.
Le dénouement d’un niveau d’exercice est incertain car si l’utilisateur n’a pas appris

correctement les contenus précédents, il perdra toutes ses vies. Il devra alors

attendre pour les récupérer ou réaliser des exercices de révisions ou payer

l’abonnement.

 Le résultat du classement hebdomadaire est incertain car cela dépend si les

utilisateurs ont consacré du temps à la compétition.

 La maîtrise du gameplay ainsi que son évolution permettent aussi bien aux joueurs

débutants, moyens et experts de jouer sans se faire pourrir par les autres. Elles n’est

pas un problème !

 Les erreurs commises ont effectivement un prix à payer. Lorsque l’exercice est faux,

le système l’indique de manière bienveillante.

3/3
-82-

So?
3. Ébauche de conclusion

Ces « ludèmes» ont le mérite d’expliquer pourquoi, quand et comment les utiliser à bon
escient contrairement aux éléments de gamification disparates qui peuplent la planète
digitale53.

3.1. Thèmes qui sont ressortis de l’étude de


terrain

Les thèmes que j’ai abordé dans ce mémoire résonnent avec ceux de Short et al. . Les
impressions rapportées par mes duolinguistes font écho à celles rapportées par les études
antérieures. J’ai tout de même apporté des précisions sur les mécanismes de gamification
qui fonctionnent bien, ceux qui n’apportent pas de plus-value et ceux qui ne sont pas
utilisés tout cela en fonction du profil social.

A. Perception de l’utilité de Duolingo : Jeu ou aide à l’apprentissage ? (cfr. H1) selon


contexte de vie et facteurs sociaux. Le contexte « ici et maintenant » est plus
révélateur que les facteurs sociaux à ce point de l’analyse.
B. Une bonne partie de mon panel complémente leurs apprentissages à travers
d'autres canaux/outils/activités car Duolingo ne suffit pas (cfr. H2)
C. il est intriguant de découvrir que la société duolingo ne met rien en place pour
permettre des interactions entre joueurs; Ils ont enlevé tout forum, wiki et
possibilités de commentaires aussi bien sur l'appli que sur leur site web. Or, quand
on lit des conversations sur les réseaux sociaux, les utilisateurs sont en demande
d'interaction, de discussion avec d'autres utilisateurs et non pas avec l'application
proprement dite dont les dialogues sont générés par machine learning et IA. (à relier
avec H2)
D. L'élément de gamification le plus important réside à continuer et garder sa série de
jours d'utilisations consécutives (cfr. H3 et H4)
E. Les ligues et le tournoi Diamant en tant qu'artefact de jeu représente un défi à la
hauteur des hardcore gamer et collectionneur. Trois personnes interviewées s'y
retrouvent sur les 12. Mais elles n'en retirent pas l'apprentissage promis.(cfr. H3 et
H4)

53
Quelques mauvais élèves : https://www.userglu.com/blogs/examples-of-gamification-pitfalls
-83-

F. Duolingo simplifie son interface en éliminant des fonctionnalités importantes. Cela


ferme son système. L’utilisateur opère de moins en moins de choix. Il est guidé vers
un chemin linéaire et ne peut exprimer sa créativité ou laisser libre cours à son
imagination.
G. Au fur et à mesure de l’analyse, je découvre que je pourrais esquisser 2 catégories
d’utilisateurs : (cfr. H1)

les lambdas – ceux qui veulent apprendre une langue ici et maintenant à des fins
professionnelles ou de voyages – => c’est le cas de Louis, Morgane, Bénédicte,
Kathy, Laura, Quentin

et les linguistes – ceux qui apprennent plusieurs langues pour le plaisir de


décortiquer ces structures, ces usages - => c’est le cas de Suzie, Émilie, Maria,
Delphine, Josée

3.2. Bien mais pas top !


Je ne fais absolument rien de ces pierres
précieuses ! C'est le fait d'amasser un peu les
victoires, un peu comme Smoke le dragon qui veille
sur son tas de bagouzes. ” — Morgane

Au fur et à mesure de l’analyse, les points d’attention se sont précisés. J’ai affiné mes
questions pour les rendre plus précises, pour ainsi creuser mes sous-questions de recherche
et les poser à mon panel sur notre « chat » de groupe sur Messenger. J’ai relu la revue de la
littérature de Shortt et al.(2023) lorsque je pensais avoir fini mon analyse en avril, ce qui
amenait une consolidation théorique conforme à mes observations sur le terrain.

Leurs conclusions étaient sans appel : « Duolingo [est] un outil d'apprentissage


essentiellement comportemental axé sur l'apprentissage par cœur, la traduction, la
compétition et les récompenses extrinsèques. » Mitchell Short et al. (2023). L'apprentissage
des langues est - en tant que processus - enraciné dans l'échange social et culturel (Lantolf
et al., 2015 cité par Short et al., 2023). Or, Duolingo a supprimé toutes interactions sociales
de sa plateforme et même de sa communication au sens large du terme. Dans ces exercices,
les références culturelles n’étaient pas fort utilisées ni mises en avant.
-84-

Au lieu de ça, ils utilisaient le temps de travail de trois docteurs en langues pour justifier les
phrases surréalistes qui peuplent la planète Duolingo pour un article de leur blog officiel54.
D’un point de vue communicationnel, ces phrases les ont rendu célèbres au vu de leur
viralité sur les réseaux sociaux. D’un point de vue pédagogique, ces forces vives –
extrêmement instruites – pourraient être utilisées pour constituer des histoires
culturellement plus pertinentes.

Mon cadre théorique et mon angle d’attaque de la problématique ont été façonnés par le
caractère sociotechnique de la gamification. J’ai décrypté les usages et les réceptions de
cette interface digitale qu’est Duolingo à travers une ethnographie virtuelle. Lorsque j’ai
écrit mes blocs de « Pourquoi ça marche » cochait, selon mon analyse, la majorité des cases
d’une évaluation basée sur des auteurs reconnus tels que Raph Koster, Aaron Walter,
Norman et Nielsen. Alors, pourquoi ai-je l’impression que cette évaluation est un peu trop
optimiste par rapport à Mitchell Short et al.?

Revenons sur certains dires de mes utilisateurs :

« Moi : Tu es descendue de 2 divisions. Comment tu t'es sentie, là, tu t'es dit, tiens,
est-ce que tu avais envie d'arrêter, est-ce que tu fais, oh mince !?

Kathy : Bah non, c'est un truc que tu gères aussi en fonction du temps que tu as à y
consacrer. C'est comme ça, c'est la fatalité. Tu as du temps, tu as du temps, tu n'en as
pas, tu n'en as pas. »

Kathy nous indiquait ici la « fatalité » d’avoir du temps à consacrer à l’application. Duolingo
promettait que 15 minutes par jour/par année suffisait pour atteindre un niveau universitaire
de plusieurs semestres55. En utilisant une application mobile, elle n’avait pas la contrainte
d’avoir un cadre scolaire avec des temps d’études fixes et des évaluations fixes. Elle
apprend l’italien sans vraiment avoir d’objectif précis d’efficacité. Elle ne pensait pas à
valider des niveaux CECRL (le Cadre Européen de référence pour les langues).

Ce qu’en dit Josée :

54
James Leow, Jacqueline Bialostozky and Cindy Blanco (2021). How silly sentences can help you
learn. Blog official de Duolingo. Publié le 03/03/2021 et consulté le 26/05/24 sur
by https://blog.duolingo.com/how-silly-sentences-can-help-you-learn/
55
Xiangying Jiang, et al. (2021). Finishing half of B1 on Duolingo comparable to five university
semesters in reading and listening. Duolingo Research Report DRR-21-03
November 11, 2021. Consulté le 26/05/2024 sur https://duolingo-
papers.s3.amazonaws.com/reports/Duolingo_whitepaper_language_read_listen_2021.pdf
-85-

« Je pars du principe que Duolingo c'est un peu comme l'école. Elle vous donne
certaines clés mais parfois certaines fois j’aimerais avoir les exemples aussi.

Donc c'est à nous de faire la démarche de pousser au-delà. Je ne dis pas


d'abandonner l'application ou d'abandonner le support qu'on avait pour apprendre
mais il est vrai qu'il faut pousser au-delà.

Moi : Donc pour toi Duolingo c'est comme l'école ?

Ah oui c'est le même principe. Après avec peut-être une logique un peu plus ludique
et axée sur la répétition des mots, des structures de phrases aussi.

Dans les faits oui, c'est comme l'école, ce n'est pas fait pour apprendre à parler. En
fait c'est surtout l'acquisition des structures grammaticales, du vocabulaire. Mais au-
delà de ça, passer ensuite à l'oral et parler, il y a un fossé. »

On retrouve dans les dires de Josée, le « fossé » que rencontrent la majorité d’entre nous
lorsque nous sommes confrontés à la pratique d’une langue étrangère. Elle aurait aimé
avoir des exemples pratiques plus ancrés dans la réalité culturelle de l’Hindi.

Ce qu’en dit Émilie :

« Disons que je n'ai jamais utilisé ça avec un objectif clair, d'arriver à un certain niveau
pour pouvoir m'en servir. Ce n'est pas comme si je disais, demain, je vais déménager à
Oslo, je dois apprendre le norvégien. Probablement, si j'avais besoin de faire ça,
j'utiliserais forcément des ressources supplémentaires. C'est sympa pour passer du
temps et, on va dire, s'amuser d'une manière un peu plus utile que quand tu
CandyCrush ou je ne sais pas quoi.

Pour moi, c'est un outil parmi d'autres, mais ce n'est probablement pas suffisant pour
atteindre un vrai niveau si on a un but comme ça d'efficacité de résultat. »

Ici encore, aucun objectif en tête, Émilie apprend le norvégien pour le loisir, à la place de
CandyCrush. Cela résonne avec les dires de Maria cités dans ce mémoire.
-86-

Ce qu’en dit Suzie :

Moi : Tu utilises Duolingo depuis combien de temps ?

Suzie : Depuis longtemps, en fait. Mais j'ai commencé, puis j'ai arrêté, puis je l'ai
repris peut-être il y a un an, quelque chose comme ça. Mais je l'ai utilisé de temps en
temps pendant des années, en fait. Je ne sais pas si on peut voir en Duolingo quand
j'ai commencé le compte.

Moi : Oui, normalement.

Suzie : Ah oui, c'est en 2017 que j'ai eu l'appli.

Moi : Et donc, là, ça fait un an que tu utilises Duolingo d'une manière «daily».

Suzie : Oui, parce que j'avais un ‘streak’ de 300 et quelques jours, et puis j'ai arrêté.

Moi : Et donc ?

Suzie : Oui, j'avais un ‘streak’[une série] et puis après avoir été en Allemagne, j'ai
arrêté parce que j'en avais marre.

Moi :Ah oui. T'en avais marre parce que quoi ?

Suzie : Parce que j'avais l'impression de réussir dans le contexte du Duolingo. Mais
quand j'étais en Allemagne, je ne trouvais pas les mots. Je ne sais pas. Donc je crois
que j'ai blâmé Duolingo. Mais en fait, je crois que la façon d'apprendre de l'appli, ça
ne me convient pas. Donc, tant que je faisais les exercices, je les faisais bien. Mais ça
ne m'a pas vraiment aidé sur le terrain en Allemagne. C'était un bon jeu. J'aimais bien
jouer avec la langue. Mais en fait, je n'avais pas ce qu'il fallait pour construire les
phrases et pour comprendre ce qu'on me disait aussi. J'avais du mal à comprendre ce
qu'on me disait. Et finalement, je me suis dit, ce n'est pas le bon moyen pour moi
d'apprendre. »

Suzie est interprète Français/Anglais. Elle s’est intéressée à beaucoup de langues au fil des
années sur Duolingo. Elle y a joué beaucoup si l’on compare ses points d’expérience par
rapport aux miens. Bien que Suzie ait des bases scolaires solides en allemand datant de ses
secondaires (elle avait un niveau B1), en reprenant des leçons d’allemand via Duolingo 20-
25 ans après, elle a été déçue d’elle-même pensant qu’elle pouvait parler à un Berlinois
aussi facilement qu’elle répondait à « Vikram ».

Pour ma part, j’ai abandonné l’italien assez vite – vers décembre 2023. Je ne trouvais plus
de moments où je pouvais pratiquer la langue dans des bonnes circonstances. Au fur et à
mesure, j’ai coupé les exercices d’expressions verbales car il y avait du bruit autour de moi,
j’ai coupé les exercices de compréhension à l’audition pour les mêmes raisons.
-87-

J’aurais aimé plus d’histoires, plus de structures, plus de références culturelles, plus de
« devoirs scolaires» pour approfondir tel ou tel sujet. L’emploi des verbes en italien m’a
extrêmement frustré vu l’absence de manuel style Bescherelle.

J’ai tenté d’approcher la ligue Diamant en anglais mais je me suis arrêté dans la ligue
obsidienne – celle juste avant la Diamant - par manque de temps mais surtout par manque
de motivation intrinsèque, par manque de but précis, par manque de sens. Je n’ai pas essayé
de parler italien avec ma compagne, son père, sa grand-mère qui parlent bien italien. Nous
parlons français entre nous lors des réunions de famille. Ils ne parlent italien que pour
parler avec des italiens.

C’est là que repose toute la complexité d’apprendre une langue étrangère : la pratique
régulière « forcée » dans le sens où son usage est entré dans le quotidien privé et/ou
professionnel. La seule personne de mon panel qui estime avoir terminé son apprentissage
est Laura. Dans sa vie amoureuse, elle fréquente un italien et échange quotidiennement
dans cette langue.

Pour Bénédicte, il m’a été difficile de juger de son niveau car elle n’était pas très disserte.
Elle m’a indiqué ne pas être à l’aise pour parler avec sa belle-fille malgré plus de 12 ans
passé sur Duolingo. Est-ce un manque de confiance dans ses capacités, de l’auto-
apitoiement ?

Pour Morgane et Louis, ils continuent leur apprentissage de l’anglais car cela fait sens pour
eux professionnellement, bien qu’ils ne pratiquent Duolingo que 5,10 minutes par jour.
Dans ce contexte, comment vérifier leurs acquis ? Ils auraient fallu qu’ils passent un test
officiel tel que présenté sur le site du Forem avant et après mon étude.

Ces quelques dires apportent des nuances à mon évaluation technique de l’usage des
artefacts de gamifications dans Duolingo.

J’ai acquis des connaissances en game design grâce aux ludèmes de Koster. Je pense avoir
entamé une réflexion plus profonde sur le comment et le pourquoi Duolingo fonctionne bien
ou pas bien.

Aujourd’hui, je ressens le besoin d’approfondir l’approche socio-cognitive, de lire Andrej


Marczewski qui complète la typologie des joueurs de Bartle. D’en savoir plus sur l’approche
de l’apprentissage social de Banduras ainsi que l’approche socio-cognitive de Viau
combinés avec les recherches socio-constructivistes que Vygotsky a introduit car elles
démontrent toutes que l’apprentissage d’une langue est avant tout un fait social. Les plus-
values de permettre des interactions entre utilisateurs seraient bien plus élevées et sans
égale mesure à la plus-value des apports des neurosciences, des sciences cognitives et des
mécanismes pavloviens tirés de la gamification et du game design.
-88-

3.3. Pour aller plus loin

Les auteurs de cet article du blog officiel de Duolingo56 proposent des actions plus
qu’intéressantes pour continuer son apprentissage des langues telles que :

« 7. Créez un groupe d'étude Duolingo. Trouvez des amis qui étudient la même langue que
vous sur Duolingo et créez ensemble des plannings d'étude pour pouvoir revoir ce que vous
avez appris en groupe et vous poser des questions ! » Émilie a mis cela en place, pour relire
son contexte voir le chapitre 2.3.1.2.

« 10. Gardez une trace des nouveaux mots que vous apprenez. Notez le nouveau
vocabulaire dans un cahier ou une application sur votre téléphone et regardez la liste
s'allonger au fur et à mesure que vous avancez dans votre cours. Ce tracker physique de
progrès sera extrêmement satisfaisant ! » 8 personnes sur 11 le font dans mon panel voir
complémentarité de l’apprentissage.
« 11. Organisez une compétition IRL. Créez un classement réel avec des amis ou des
collègues , et celui qui aura le plus d'XP à la fin de la semaine gagnera. Vous pouvez décider
en groupe quel est le prix ! » Émilie, Maria, Louis, Delphine et moi serions plus qu’intéressés
par cette idée.
« 12. Échangez des leçons avec un ami. Trouvez un ami qui apprend une langue différente
de la vôtre et essayez de suivre une leçon sur son compte, pendant qu'il en termine une
pour vous ! Vous pratiquez toujours techniquement et vous êtes exposé à une nouvelle
langue. » => bon ça c’est très créatif et n’est pas ressorti de mes interviews ;..

Ces propositions assez créatives ne sont pas implémentées dans Duolingo – bien au
contraire vu la suppression des interactions entre joueurs !! Pourtant elles correspondent à
l’utilisation réelle des utilisateurs que j’ai suivis57. En faisant correspondre les besoins
utilisateurs, leurs modes de vie, leurs contextes, Duolingo serait plus en phase avec ses
joueurs. Cela lui permettrait d’apporter des plus-values significatives à l’apprentissage de
chacun.

56
Duolingo team. Blog officiel de Duolingo. [en ligne] publié le 19/12/22, consulté le 20/05/24 sur
https://blog.duolingo.com/tips-for-maintaining-streak
57
À part pour la 12. Les autres ‘tips’ correspondent à l’utilisation des fonctions de gamifications de l’application.
Elles sont voués à « forcer » l’utilisateur à se remémorer qu’il « doit » utiliser Duolingo tout le temps, partout -
voir le point 5, 6, 13, 15, 16, 17, 18, 22, 23.
-89-

3.4. Analyse réflexive

J’avais prévu de revenir vers mon panel pour un deuxième round d’interviews fin janvier.
Mais cela n’a pas été réalisé. En prenant du recul, je pense l’expliquer pour les raisons
suivantes :

Planifier les rencontres est chronophage ; chacun ayant une vie bien remplie avec son
travail, ses enfants, ses hobbys. De plus, je n’en ressentais pas le besoin ni la pertinence à
ce moment-là car je n’avais pas commencé l’analyse.

À l’heure d’écrire ces lignes (nous sommes fin avril), j’aimerais bien retourner sur mon
terrain car j’ai des questions plus précises nécessitant une nouvelle rencontre. J’ai bien
essayé d’échanger par discussion groupée sur Messenger mais les réponses sont courtes,
manquant de contexte et de profondeur. L’entretien semi-dirigé selon un guide d’entretien
évoluant avec les connaissances acquises au fil du temps prend ici tout son sens. Ainsi que
« le temps long » tel qu’évoquer par mes maîtres Jedi Arengorn, Boellstorff et al. en parlant
d’ethnographie virtuelle. Il me faudrait encore plusieurs mois pour pouvoir creuser le sujet.

Quoi qu’il en soit, ce travail d’analyse apporte une lumière sur les us et coutumes des
utilisateurs francophones de Duolingo de manière qualitative et ainsi combler un manque
actuel aux recherches sur les serious game studies.

De mon côté, je pourrais ,d’ores et déjà, proposer mes services en tant que chercheur /
designer d’application numérique possédant un regard aiguisé sur les mécanismes sous-
jacent d’une gamification réussie et ainsi conseiller les entreprises qui en ont le besoin.

J’ai pris énormément de plaisir à documenter et écrire ce mémoire qui clôture ce master. Il
est le réceptacle de mes connaissances acquises ces 5 dernières années. Bien avant cela, en
tant qu’UX designer, je rêvais déjà de lire les livres de références d’Aaron Walter, de Don
Norman, de Raph Koster. Mais ils prenaient la poussière sur mon étagère. Ce master m’a
donné confiance en moi pour qu’enfin je prenne le temps d’apprendre de mes maîtres. Et
quelles révélations 😱 !!

Pour l’année prochaine, j’ai comme ambition d’utiliser ce contenu pour me positionner
comme expert UX & Gamification Éthique via une stratégie digitale de communication
encore à déterminer (j’ai plein d’idées ! 😋).

Si je dois résumer en une seule phrase la finalité de ce travail, ce serait celle-ci :

“ La gamification peut rendre l’humanité meilleur ou


la pervertir, de quel côté êtes-vous ? ” — PATTE
François – expert en gamification éthique
-1-

4.
Références bibliographiques
4. Références bibliographiques

Différencier les sources selon leurs types :

4.1. Articles :

Bogost (2011). Gamification is Bullshit. Site web de jan bogost, consulté le 22 février 24 sur
http://bogost.com/writing/blog/gamification_is_bullshit/

Damien Hansen (2022). Formalisations du jeu vidéo : la métaphore langagière du jeu mise à
l’épreuve au travers du concept de ludème. Sciences du jeu. [En ligne]. mis en ligne le 16
mars 2022, consulté le 02 mai 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdj/3975 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/sdj.3975

Fabien, Fenouillet & Heutte, Jean. (2013). Proposition pour une mesure de l’expérience
optimale à l’école : étude exploratoire de l’intérêt individuel et du flow perçus par les élèves
en français, mathématique et arts.

Geirland, John (1996). Go With The Flow. Wired, September, Issue 4.09

Haydée Silva (2013). La « gamification » de la vie : sous couleur de jouer ?, Sciences du jeu.
[en ligne].consulté le 22 février 2024. URL: http://journals.openedition.org/sdj/261; DOI:
https://doi.org/10.4000/sdj.261

Heutte, J. (2011). La part du collectif dans la motivation et son impact sur le bien-être
comme médiateur de la réussite des étudiants : Complémentarités et contributions entre
l’autodétermination, l’auto-efficacité et l’autotélisme. Thèse de doctorat non publiée. Paris
Ouest-Nanterre-La Défense (Paris X), Nanterre.

Houssaye Jean(1995). Viau (Rolland). — La motivation en contexte scolaire. In: Revue


française de pédagogie, volume 113, 1995. Lecture-écriture. pp. 154-155.
-2-

Lantolf, J., Thorne, S. L., & Poehner, M. (2015). Sociocultural Theory and Second Language
Development. In B. van Patten & J. Williams (Eds.), Theories in Second Language
Acquisition (pp. 207-226). New York: Routledge.

4.2. Ouvrages centraux

Alvarez (2007). Du jeu vidéo au serious game, Approches culturelle, pragmatique et


formelle.

Koster Raph (2005). A Theory of Fun for Game Design. Scottsdale (AZ). Paraglyph Press.

Lavigne Michel (2020). Les instrumentalisations du jeu numérique : Une approche critique
de l’emploi contemporain de la notion de jeu au travers de ses manifestations numériques à
vocation non distractives. Sciences de l’information et de la communication. Université de
Limoges, 2020.

Viau, R. (1994). La motivation en contexte scolaire. Québec : Les Éditions du Renouveau


Pédagogique Inc.

4.3. Ouvrages théoriques

Amadieu Franck, Tricot André (2014). Apprendre avec le numérique, Retz.

Brougère (2005). Jouer/Apprendre, Ed. Economica.

Brougère, G. (2002). Jeu et loisir comme espaces d'apprentissages informels. Éducation et


sociétés, no10), 5-20. https://doi.org/10.3917/es.010.0005

Deci Edward L. & Ryan Richard M. (2002). Overview of self-determination theory: An


organismic dialectical perspective. Handbook of Self-Determination Research, 3-33.
Rochester: University of Rochester Press.

Freinet Célestin (1949, éd. 2017). L’éducation du travail. Éditions Ophrys, réédition
numérique FeniXX.

Kapp, K. M., Blair, L., & Mesch, R. (2014). The gamification of learning and instruction
fieldbook : Ideas into practice. Wiley.

Laurel, B. (2001). Utopian Entrepreneur. MIT Press.


https://books.google.be/books?id=DuBJUzipvRQC

Ouellette, J. A., & Wood, W. (1998). Habit and intention in everyday life: The multiple
processes by which past behavior predicts future behavior. Psychological Bulletin, 124(1),
54–74. https://doi.org/10.1037/0033-2909.124.1.54
-3-

Tversky A., Kahneman D. (1992). Advances in Prospect Theory : Cumulative Representation


of Uncertainty. Journal of Risk and Uncertainty, vol. 5, n° 4, p. 297 à 323.

Vogler, C. (1992). The writer’s journey : Mythic structures for storytellers and screenwriters.
M. Wiese Productions.

Vygotsky, L. S. (1978). Mind in society: The development of higher psychological processes


(M. Cole, V. John-Steiner, S. Scribner & E. Souberman., Eds.) (A. R. Luria, M. Lopez-Morillas
& M. Cole [with J. V. Wertsch], Trans.) Cambridge, Mass.: Harvard University Press. (Original
manuscripts [ca. 1930-1934])

4.4. Ouvrages méthodologiques :

Aude Seurrat (dir.)(2014). Ecrire un mémoire en sciences de l'information et de la


communication. Récits de cas, démarches et méthodes. Paris, Presses Sorbonne Nouvelle,
coll. « Les fondamentaux de la Sorbonne nouvelle »

Coulon, A. (2007). L’ethnométhodologie (5e éd). Presses universitaires de France.

Genvo Sébastien (2009). Le jeu à son ère numérique. Comprendre et analyser les jeux
vidéos. Paris, Éd. L’Harmattan, 2009, coll. Communication et civilisation, 280 p.

Taylor, T. L., Boellstorff, T., Nardi, B., & Pearce, C. (2012). Ethnography and Virtual Worlds:
A Handbook of Method. Princeton University Press
Annexes n°1 : Listing des participants à mon étude

5. Annexes
5. Annexes

Prénom Genre Âge Diplôme Profession Situation familiale XP Type Raison de l'utilisation Langue étudiée Localisation nbre
d'utilisateur géographique minutes
année

Louis Masculin 40 Bachelier Consultant IT Marié 2 enfants 9116 au Débutant Professionnelle Anglais Belgique 782
22/11/23

Delphine Féminin 33 Master Sans emploi En couple sans 65493 au Confirmé Curiosité/Echange Finnois depuis Belgique 2677
enfants 22/11/23 Hardcore gamer avec fille au pair l'anglais

Suzie Féminin 50 Master Intérpréte En couple sans 19056 au Dilettante Mix Curiosité 6 langues Royaume-Uni Abando
enfants 22/11/23 professionnelle/privé depuis l'anglais n
car elle adore les
langues.
Morgane Féminin 35 CESS Employé de Isolé sans enfants 10730 au Débutante Professionnelle Anglais Belgique 1504
banque privé 22/11/23

Maria Féminin 37 Master Inspectrice Divorcé avec 1 21461 au Confirmé Voyage Portugais Belgique 264
ONSS enfant 22/11/23 Espagnol

Katty Féminin + de 50ans CESS Educatrice CPAS Divorcé avec 1 30914 au Avancé Voyage Italien Belgique 5034
enfant 22/11/23

Bénédicte Féminin + de 65ans / Pensionné Marié 5 enfants 210 000 au Vétéran Familiale pour Anglais Belgique 2961
Femme au foyer 27/11/23 discuter avec sa belle-
fille australienne

Firatcan Masculin 24 Bachelier Consultant IT Marié sans enfant 3616 au Débutant Professionnelle Néerlandais Belgique 507
29/11/23 depuis l'anglais
Annexes n°1 : Listing des participants à mon étude
Emilie Féminin 40 Master Manager IT Isolé sans enfants 138103 au Vétéran Loisirs/Passion pour 5 langues Française de Nice
29/11/23 les langues

Joséé Féminin 44 Master Administratrice Marié 2 enfants 55.964 au Confirmé Passion pour la Française de 2109
de BD 12/12/23 culture Hindi Corse

Laura Féminin 33 CESS En couple 1 enfant - 115.662 au Confirmé Loisir / copain italien Italien Belgique 3096
vit chez sa mère 12/12/23
Annexes n°2 : Guide d’entretien

Guide d’entretien
Rappel de la question de recherche :

Comment les apprenants de différents milieux (par exemple, niveaux de langue, âges,
sexes, différents niveaux d'auto-efficacité technologique, différentes expériences de jeux et
d'applications gamifiées) perçoivent-ils l'utilisation et l'utilité de Duolingo dans leur
apprentissage ?

Leurs attentes correspondent-elles à ce que Duolingo promet et à la manière dont il est


conçu ?-

Comment l'utilisation de Duolingo façonne-t-elle/affecte-t-elle la motivation des


apprenants, en particulier sur une longue période de temps ?

Méthodologie : Entretien/focus group, Observation participante

Ce que l’on veut observer : l’expérience utilisateur – ses freins, ses bons côtés, ses
manques, ses ambigüités au sein d’une interface numérique.

Données socio-démographique
et socio-économique
Votre âge :

Votre situation professionnelle :

Votre situation familiale :

Votre diplôme le plus élevé :

Duolingo
Quelle langue apprenez-vous ?

Depuis quand jouez-vous à Duolingo ?

Pour quelle raison ? Professionnel – Familial – Loisirs – Culture ?

Combien de temps par jour (en minutes ou en heure), utilisez-vous duolingo ?

Continuez-vous l’apprentissage en dehors de l’application ?


Annexes n°2 : Guide d’entretien

Choix de participer ou non à l’activité


Pour quelle(s) raison(s) vous y êtes-vous inscrit?

• pour apprendre mon futur métier

• pour comprendre mieux cette matière

• pour vivre une expérience sociale active

• pour éviter les cours pendant une semaine

Gamification
Votre avatar vous ressemble t’il ? Dans quelle mesure ? Avez-vous passé du temps à le
personnaliser ? Combien de temps environ ? Est-ce important pour vous d’avoir un avatar
qui vous ressemble ? Prenez-vous du plaisir à cette tâche ?

Avez-vous personnaliser votre pseudo ?

Participer vous au défi entre amis ?

Féliciter vous vos amis/abonnés dès qu’ils ont achevés quelque chose d’important comme
terminé plus de 10 leçons en 1 journée, réalisé une série de 14 jours, atteint la 1ère place de
leur ligue, terminé le défi du mois.

Pouvez-vous commenté dans votre fil d’actualité ?

Motivation/Compétition/stratégie
level-up
Les challenge du mois vous motive t’il à continuer votre apprentissage ? Du genre : en
novembre, « la partie d’échecs de Duo »

Utilisez-vous de manière stratégique les « level up » proposé dans le jeu : Coffre du soir et
du matin, Défi course au XP ?

Utilisez-vous les gels de série ?

Avez-vous un compte payant ? Achetez-vous des gemmes ?

Dans la vie hors ligne, êtes-vous compétiteur ?

Thème : serious-game ?
• Pensez-vous que l’on peut qualifier cette application de jeu ? Pensez-vous y
retrouver le plaisir ludique que vous connaissez avec les jeux vidéo ?
Annexes n°2 : Guide d’entretien

• Avez-vous bien identifié le message que l’on veut vous transmettre ? Ce message
est-il bien transmis ? Est-il convaincant ? La forme du serious game contribue-t-elle
à une meilleure appropriation qu’un média traditionnel ? Avez-vous appris et retenu
des choses

Thème : contrôlabilité
Avez-vous compris les règles de base pour démarrer ?

Avez-vous trouvé de l’aide, du soutien lorsque vous en aviez besoin ?

Avez-vous trouvé vos marques facilement pour atteindre les objectifs fixés ?

Vous sentiez-vous valorisé lors de votre progression ? (Par des feedbacks, par des
points, par des achèvements)

Avez-vous eu le sentiment de maitriser tous les concepts du jeu lors du dernier round ?

Donnez une note sur l’expérience visuelle et sonore du jeu ? (Graphismes, effets visuels,
musique appropriée, effets sonores, etc.)
Échelle de likert de 1 à 10

Finalement, avez-vous eu le sentiment de tester votre créativité et votre imagination à


l’infini pour parvenir à vos fins ?

Type de Motivation
En ce qui concerne l’interface numérique : Quels sont les éléments qui vous donnait envie
de continuer ?

• Les notifications – pour ne pas oublier de vous connecter

• Les suites – pour ne pas perdre la récompense lié à celle-ci

• L’univers graphique est-il attractif et peut-il susciter votre adhésion ? Le scénario, les
décors, les graphismes, les éléments multimédias (visuels et sonores) vous
semblent-ils bien faits, intéressants et adaptés au sujet ?

• Les textes motivants et positifs

• Les feedbacks instantanés telles que les corrections, les répétitions audio

• Votre score et les récompenses liés – car vous avez envie de l’améliorer

Étiez-vous concentré voire absorbé par l’activité ? Avez-vous relu certains chapitres de votre
cours/livre de référence en dehors des heures de l’activité ?

Vos attentes ont-elles été comblées ?

• Pourquoi ?
Manque/trop de temps, trop facile/difficile, ne correspond pas à mon futur métier
Annexes n°2 : Guide d’entretien

Les notes obtenues correspondent-elles à ce que tu as vraiment appris ?

Les notes obtenues correspondent-elles à celles que tu avais envisagé en t’autoévaluant ?


Sur quoi te fondes-tu pour porter ce jugement ?
Annexes n°2 : Guide d’entretien

Duolingo : Est-ce un jeu vidéo? Est-ce une app éducative?


Est-ce un lieu de socialisation ou un phénomène pop culture?
.

La gamification soutient-elle des mécanismes d'apprentissage productifs ou n'est-elle que le


................................................

"chocolat" qui recouvre le "brocoli" de l'apprentissage (Laurel, Crisp, & Lunenfeld, 2001) ?
Cette figure de style crée une image mentale pour tout un chacun, ce que ne font pas les
termes de gamification, serious gaming, mobile-assisted language learning . Je vous propose
donc de démystifier ces appellations afin de mieux les appréhender pour la suite de ce récit.

Duolingo est une interface « gamifiée » c’est-à-dire qu’elle utilise les ressorts ludiques du jeu
(vidéo) pour motiver l’apprenant qui oublie le caractère « sérieux » de ces tâches. Les
questions sous-jacentes à cette « gamification » de l’apprentissage sont : Le recours au jeu
constitue-il une contribution efficace dans une démarche éducative ? En quoi le numérique
change t’il la transmission des savoirs ? Quid de la durabilité de ses savoirs ?

Par le biais d’une ethnographie virtuelle des utilisateurs francophones de Duolingo,


j’apporterai des précisions aux questions de recherches déjà menées par Mitchell Short et
al.(2023).

L’interface gamifiée de Duolingo présente un savoir-faire technique sans pareil selon ma


grille d’analyse. Elle permet de prendre confiance en soi, de passer le temps de manière
« intelligente », d’apprendre les rudiments de langues méconnues pour ainsi continuer à les
faire vivre face aux langues institutionnalisées par l’école et l’état public. Bien que certaines
décisions stratégiques de l’entreprises mises en place au fil des années m’ont interpellé
comme la suppression de toutes possibilités de socialisations entre utilisateurs.

Selon ma recherche, Duolingo est un outil de qualité pour apprendre une langue étrangère –
du moins dans ses débuts - en complément d’autres méthodes d’apprentissages - et pour
certains types de joueurs.

Mots-clés : Gamification, Duolingo, Ethnographie virtuelle, Apprentissage langue

étrangère

PATTE François – UX Wizard - Passionné par la transmission de savoirs.

« Je vais sûrement devenir célèbre grâce à cet écrit remarquable … ou pas … »

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