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« Marcel Mauss » : différence entre les versions

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== Biographie ==
== Biographie ==
Marcel Mauss naît en 1872 dans la ville d’[[Épinal]]. Son père Gerson, originaire du [[Bas-Rhin]], a épousé quelques années auparavant Rosine Durkheim, la sœur aînée d’[[Émile Durkheim]], qu’il a rejointe dans la ville lorraine pour y reprendre l’atelier textile de sa mère, qui devient sous la houlette du jeune couple la Fabrique de Broderie à Main, Mauss-Durkheim<ref>Marcel Fournier, ''Marcel Mauss : a biography'', Princeton University Press, 2006, {{p.|10}}.</ref>. Outre Marcel, ils ont un fils, Henri, né en 1876<ref>Marcel Fournier (2006), {{p.|9}}.</ref>. Son oncle, [[Émile Durkheim]], de quatorze ans son aîné, joue un rôle majeur dans sa vocation, puis sa carrière<ref name="Bert">[[Jean-François Bert]], émission ''Idées'' sur [[Radio France internationale|RFI]], 3 février 2013</ref>.
Marcel Mauss naît en 1872 dans la ville d’[[Épinal]]. Son père Gerson, originaire du [[Bas-Rhin]], a épousé quelques années auparavant Rosine Durkheim, la sœur aînée d’[[Émile Durkheim]], qu’il a rejointe dans la ville lorraine pour y reprendre l’atelier textile de sa mère, qui devient sous la houlette du jeune couple la Fabrique de Broderie à Main, Mauss-Durkheim<ref>Marcel Fournier, ''Marcel Mauss : a biography'', Princeton University Press, 2006, {{p.|10}}.</ref>. Outre Marcel, ils ont un fils, Henri, né en 1876<ref>Marcel Fournier (2006), {{p.|9}}.</ref>. Son oncle, [[Émile Durkheim]], de quatorze ans son aîné, joue un rôle majeur dans sa vocation, puis sa carrière<ref name="Bert">[[Jean-François Bert]], émission ''Idées'' sur [[Radio France internationale|RFI]], 3 février 2013</ref>.


En 1895, Marcel Mauss obtient l’agrégation de philosophie, qu’il a préparée à [[Bordeaux]], où il a rejoint en 1890 Durkheim, qui y enseigne cette discipline. À l’issue du concours, il ne prend pas de poste dans l’enseignement secondaire, et à l’automne 1895 il s’installe à [[Paris]] pour suivre les cours de l'[[École pratique des hautes études]]<ref name="Bert"/>. Il étudie les langues (et notamment le [[sanskrit]]) à la {{4e|section}} (section des sciences historiques et philologiques) et les sciences religieuses ({{5e|section}}), avec l’objectif de réunir le matériau nécessaire à une thèse de doctorat sur la prière<ref>Marcel Fournier (2006), {{p.|43}}</ref>, qu'il entreprend à partir de [[1909]]<ref>König R.(2014) ''[https://trivium.revues.org/4895 Marcel Mauss] (1872-1950)''. Trivium. Revue franco-allemande de sciences humaines et sociales-Deutsch-französische Zeitschrift für Geistes-und Sozialwissenschaften, (17).</ref>. Ses professeurs se nomment [[Léon Marillier]], [[Antoine Meillet]], [[Louis Finot (orientaliste)|Louis Finot]], [[Israël Lévi]] ou [[Sylvain Levi]]<ref>Marcel Fournier (2006), {{p.|43-44}}</ref>. Il rencontre également à l’EPHE quelques-uns des futurs membres du cercle durkheimien, avec lesquels il nouera de véritables liens d’amitié ([[Henri Hubert]] avec qui il écrit « Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », un des textes fondateurs de l'[[anthropologie des religions]], [[Robert Hertz]]…). Il devient en 1901 titulaire de la chaire d’« histoire des religions des peuples non civilisés » à la {{5e|section}} de l’EPHE<ref name="Bert"/>.
En 1895, Marcel Mauss obtient l’agrégation de philosophie, qu’il a préparée à [[Bordeaux]], où il a rejoint en 1890 Durkheim, qui y enseigne cette discipline. À l’issue du concours, il ne prend pas de poste dans l’enseignement secondaire, et à l’automne 1895 il s’installe à [[Paris]] pour suivre les cours de l'[[École pratique des hautes études]]<ref name="Bert"/>. Il étudie les langues (et notamment le [[sanskrit]]) à la {{4e|section}} (section des sciences historiques et philologiques) et les sciences religieuses ({{5e|section}}), avec l’objectif de réunir le matériau nécessaire à une thèse de doctorat sur la prière<ref>Marcel Fournier (2006), {{p.|43}}</ref>, qu'il entreprend à partir de [[1909]]<ref>König R.(2014) ''[https://trivium.revues.org/4895 Marcel Mauss] (1872-1950)''. Trivium. Revue franco-allemande de sciences humaines et sociales-Deutsch-französische Zeitschrift für Geistes-und Sozialwissenschaften, (17).</ref>. Ses professeurs se nomment [[Léon Marillier]], [[Antoine Meillet]], [[Louis Finot (orientaliste)|Louis Finot]], [[Israël Lévi]] ou [[Sylvain Levi]]<ref>Marcel Fournier (2006), {{p.|43-44}}</ref>. Il rencontre également à l’EPHE quelques-uns des futurs membres du cercle durkheimien, avec lesquels il nouera de véritables liens d’amitié ([[Henri Hubert]] avec qui il écrit « Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », un des textes fondateurs de l'[[anthropologie des religions]], [[Robert Hertz]]…). Il devient en 1901 titulaire de la chaire d’« histoire des religions des peuples non civilisés » à la {{5e|section}} de l’EPHE<ref name="Bert"/>.


En 1901, il rejoint l'équipe de ''[[L'Année sociologique]]'', revue biennale créée par [[Émile Durkheim]]. Celui-ci décédera en 1917 et Mauss se verra échoir du travail de publication posthume de son oncle. Enfin en 1925, il fonde, avec [[Lucien Lévy-Bruhl]] et [[Paul Rivet]] l'[[Institut d'ethnologie]] de Paris. Il participe en [[1928]] au premier [[Cours universitaires de Davos|cours universitaire de Davos]], avec de nombreux autres intellectuels français et allemands. En 1931, il obtient après trois campagnes de candidature une chaire au [[Collège de France]] ; créée pour l’occasion en remplacement de la chaire de « Philosophie sociale » de [[Jean Izoulet]], cette chaire de « Sociologie » marque l’entrée de cette discipline dans la prestigieuse institution<ref>Marcel Fournier (2006), {{p.|273}}.</ref>.
En 1901, il rejoint l'équipe de ''[[L'Année sociologique]]'', revue biennale créée par [[Émile Durkheim]]. Celui-ci décédera en 1917 et Mauss se verra échoir du travail de publication posthume de son oncle. Enfin en 1925, il fonde, avec [[Lucien Lévy-Bruhl]] et [[Paul Rivet]] l'[[Institut d'ethnologie]] de Paris. Il participe en [[1928]] au premier [[Cours universitaires de Davos|cours universitaire de Davos]], avec de nombreux autres intellectuels français et allemands. En 1931, il obtient après trois campagnes de candidature une chaire au [[Collège de France]] ; créée pour l’occasion en remplacement de la chaire de « Philosophie sociale » de [[Jean Izoulet]], cette chaire de « Sociologie » marque l’entrée de cette discipline dans la prestigieuse institution<ref>Marcel Fournier (2006), {{p.|273}}.</ref>.
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[[Image:Book offered by Marcel Mauss to Georges Dumas.JPG|thumb|Envoi autographe de Marcel Mauss à [[Georges Dumas]] conservé à la [[Bibliothèque de sciences humaines et sociales Paris Descartes-CNRS]].]]
[[Image:Book offered by Marcel Mauss to Georges Dumas.JPG|thumb|Envoi autographe de Marcel Mauss à [[Georges Dumas]] conservé à la [[Bibliothèque de sciences humaines et sociales Paris Descartes-CNRS]].]]


Considéré comme l'un des pères de l'[[anthropologie]], Mauss n'a jamais publié d’ouvrage de synthèse de sa pensée mais un grand nombre d'articles dans différentes revues (dont ''[[L'Année sociologique]]''), d'esquisses, de comptes-rendus et d'essais. Sa thèse sur la prière reste inachevée. De ses rares [[monographie]]s, on retient surtout l’''[[Essai sur le don]]''.
Considéré comme l'un des pères de l'[[anthropologie]], Mauss n'a jamais publié d’ouvrage de synthèse de sa pensée mais un grand nombre d'articles dans différentes revues (dont ''[[L'Année sociologique]]''), d'esquisses, de comptes-rendus et d'essais. Sa thèse sur la prière reste inachevée. De ses rares [[monographie]]s, on retient surtout l’''[[Essai sur le don]]''.


Il est surtout connu pour quelques grandes théories, notamment celle du [[Don et contre-don|don et du contre-don]] (liée à l'étude du [[potlatch (anthropologie)]], et de la dépense pure), et il a abordé une grande variété de sujets comme en témoignent ses études sur les techniques du corps, la [[religion]] ou la [[Magie (surnaturel)|magie]].
Il est surtout connu pour quelques grandes théories, notamment celle du [[Don et contre-don|don et du contre-don]] (liée à l'étude du [[potlatch (anthropologie)]], et de la dépense pure), et il a abordé une grande variété de sujets comme en témoignent ses études sur les techniques du corps, la [[religion]] ou la [[Magie (surnaturel)|magie]].


Il veut saisir les réalités dans leur totalité et pour cela élabore le concept novateur de « [[fait social total]] », qui connaîtra un vif succès d'intérêt et d'usage en sciences sociales. Pour lui un [[fait social]] est intrinsèquement pluridimensionnel ; il comporte toujours des dimensions économiques, culturelles, religieuses, symboliques ou encore juridiques et ne peut être réduit à un seul de ces aspects.
Il veut saisir les réalités dans leur totalité et pour cela élabore le concept novateur de « [[fait social total]] », qui connaîtra un vif succès d'intérêt et d'usage en sciences sociales. Pour lui un [[fait social]] est intrinsèquement pluridimensionnel ; il comporte toujours des dimensions économiques, culturelles, religieuses, symboliques ou encore juridiques et ne peut être réduit à un seul de ces aspects.


Marcel Mauss veut aussi appréhender l'[[Être humain (philosophie)|être humain]] dans sa réalité concrète : [[physiologie|physiologique]], [[psychologie|psychologique]] et [[sociologie|sociologique]]. Il esquissera ainsi le concept « d'homme total » qui nourrira notamment [[Pierre Bourdieu]] dans ses analyses en termes « d'habitus ».
Marcel Mauss veut aussi appréhender l'[[Être humain (philosophie)|être humain]] dans sa réalité concrète : [[physiologie|physiologique]], [[psychologie|psychologique]] et [[sociologie|sociologique]]. Il esquissera ainsi le concept « d'homme total » qui nourrira notamment [[Pierre Bourdieu]] dans ses analyses en termes « d'habitus ».


Il s'intéresse à la signification sociale du [[Don (offrande)|don]] dans les [[Tribu (ethnologie)|sociétés tribales]], ainsi qu'au phénomène [[anthropologie religieuse|religieux]] : la magie est considérée comme un phénomène social qui peut notamment s'expliquer par la notion de ''[[mana (spiritualité)|mana]]''. Tout en créant du [[lien social (sociologie)|lien social]], le don est [[Agonisme|agoniste]] (il « oblige » celui qui reçoit, qui ne peut se libérer que par un « [[don et contre-don|contre-don]] »). Pour Marcel Mauss, le don est essentiel dans la société humaine et comporte trois phases : l'obligation de donner, l'obligation de recevoir et l'obligation de rendre<ref group=N>« le caractère, pour ainsi dire, apparemment libre et gratuit, et cependant contraint et intéressé de ces prestations »</ref>. S'il prend les sociétés « primitives » comme terrain d'étude, c'est moins parce que le primitif serait toujours aussi le simple et l'originel, que parce qu'il est difficile de rencontrer ailleurs une pratique du don et du contre-don {{Citation|''plus nette, plus complète, plus consciente''}} c'est-à-dire comme un « fait social total »<ref name=Sociologie/>.
Il s'intéresse à la signification sociale du [[Don (offrande)|don]] dans les [[Tribu (ethnologie)|sociétés tribales]], ainsi qu'au phénomène [[anthropologie religieuse|religieux]] : la magie est considérée comme un phénomène social qui peut notamment s'expliquer par la notion de ''[[mana (spiritualité)|mana]]''. Tout en créant du [[lien social (sociologie)|lien social]], le don est [[Agonisme|agoniste]] (il « oblige » celui qui reçoit, qui ne peut se libérer que par un « [[don et contre-don|contre-don]] »). Pour Marcel Mauss, le don est essentiel dans la société humaine et comporte trois phases : l'obligation de donner, l'obligation de recevoir et l'obligation de rendre<ref group=N>« le caractère, pour ainsi dire, apparemment libre et gratuit, et cependant contraint et intéressé de ces prestations »</ref>. S'il prend les sociétés « primitives » comme terrain d'étude, c'est moins parce que le primitif serait toujours aussi le simple et l'originel, que parce qu'il est difficile de rencontrer ailleurs une pratique du don et du contre-don {{Citation|''plus nette, plus complète, plus consciente''}} c'est-à-dire comme un « fait social total »<ref name=Sociologie/>.


Méthode : il est partisan d’une division du travail entre celui qui collecte les faits — tâche qu’il assigne à l’[[Ethnographie|ethnographe]] — et celui qui les interprète pour les rendre intelligibles. ''{{Citation|Il faut des sociologues et des ethnographes. Les uns expliquent et les autres renseignent}}''<ref>Mauss, « Le manuel d'anthropologie de Kroeber », in ''Œuvres'', Éditions de Minuit, Paris, vol. 3, {{p.|389}}. Cité dans Victor Karady, « Durkheim et les débuts de l'ethnologie universitaire ». In ''Actes de la recherche en sciences sociales''. Vol. 74, septembre 1988. Recherches sur la recherche, {{p.|30}}</ref>.
Méthode : il est partisan d’une division du travail entre celui qui collecte les faits — tâche qu’il assigne à l’[[Ethnographie|ethnographe]] — et celui qui les interprète pour les rendre intelligibles. ''{{Citation|Il faut des sociologues et des ethnographes. Les uns expliquent et les autres renseignent}}''<ref>Mauss, « Le manuel d'anthropologie de Kroeber », in ''Œuvres'', Éditions de Minuit, Paris, vol. 3, {{p.|389}}. Cité dans Victor Karady, « Durkheim et les débuts de l'ethnologie universitaire ». In ''Actes de la recherche en sciences sociales''. Vol. 74, septembre 1988. Recherches sur la recherche, {{p.|30}}</ref>.
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* [[Jean-François Bert]] (2010) ''Les archives de Marcel Mauss ont-elles une spécificité ? – le cas de la collaboration de Marcel Mauss et Henri Hubert''. Durkheimian Studies, 16(1), 94-108 ([http://www.ingentaconnect.com/content/berghahn/durk/2010/00000016/00000001/art00007 résumé])
* [[Jean-François Bert]] (2010) ''Les archives de Marcel Mauss ont-elles une spécificité ? – le cas de la collaboration de Marcel Mauss et Henri Hubert''. Durkheimian Studies, 16(1), 94-108 ([http://www.ingentaconnect.com/content/berghahn/durk/2010/00000016/00000001/art00007 résumé])
* [[Jean-François Bert]] ''L'atelier de Marcel Mauss'' CNRS éditions Paris 22/11/2012 Série:Socio/Athropo {{ISBN|978-2-271-07589-5}}
* [[Jean-François Bert]] ''L'atelier de Marcel Mauss'' CNRS éditions Paris 22/11/2012 Série:Socio/Athropo {{ISBN|978-2-271-07589-5}}
* [[Erwan Dianteill]], ed., ''Marcel Mauss, en théorie et en pratique - Anthropologie, sociologie, philosophie, ''Paris, Archives Kareline, 397 p.
* [[Erwan Dianteill]], ed., ''Marcel Mauss, en théorie et en pratique - Anthropologie, sociologie, philosophie, ''Paris, Archives Kareline, 397 p.
* [[Erwan Dianteill]], ed., ''Marcel Mauss – L’anthropologie de l’un et du multiple'', Paris, PUF, collection « Débats philosophiques », 2013, 208 p.
* [[Erwan Dianteill]], ed., ''Marcel Mauss – L’anthropologie de l’un et du multiple'', Paris, PUF, collection « Débats philosophiques », 2013, 208 p.
* [[Pascal Michon]], ''Marcel Mauss retrouvé. Origines de l'anthropologie du rythme'', Paris, Rhuthmos, 2010. [http://rhuthmos.eu/spip.php?article92 Accessible ici]
* [[Pascal Michon]], ''Marcel Mauss retrouvé. Origines de l'anthropologie du rythme'', Paris, Rhuthmos, 2010. [http://rhuthmos.eu/spip.php?article92 Accessible ici]

Version du 29 mars 2022 à 13:02

Marcel Mauss
Fonction
Président
Institut français de sociologie
-
Biographie
Naissance
Décès
(à 77 ans)
Paris
Sépulture
Nationalité
Formation
Activités
Parentèle
Émile Durkheim (oncle maternel)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
A travaillé pour
Domaine
Sociologie comparée, psychologie sociale
Parti politique
Maîtres
Directeur de thèse
Influencé par
Archives conservées par
signature de Marcel Mauss
Signature

Marcel Mauss, né le à Épinal et mort le (à 77 ans) à Paris, est généralement considéré comme le « père de l'anthropologie française[2] ».

Biographie

Marcel Mauss naît en 1872 dans la ville d’Épinal. Son père Gerson, originaire du Bas-Rhin, a épousé quelques années auparavant Rosine Durkheim, la sœur aînée d’Émile Durkheim, qu’il a rejointe dans la ville lorraine pour y reprendre l’atelier textile de sa mère, qui devient sous la houlette du jeune couple la Fabrique de Broderie à Main, Mauss-Durkheim[3]. Outre Marcel, ils ont un fils, Henri, né en 1876[4]. Son oncle, Émile Durkheim, de quatorze ans son aîné, joue un rôle majeur dans sa vocation, puis sa carrière[5].

En 1895, Marcel Mauss obtient l’agrégation de philosophie, qu’il a préparée à Bordeaux, où il a rejoint en 1890 Durkheim, qui y enseigne cette discipline. À l’issue du concours, il ne prend pas de poste dans l’enseignement secondaire, et à l’automne 1895 il s’installe à Paris pour suivre les cours de l'École pratique des hautes études[5]. Il étudie les langues (et notamment le sanskrit) à la 4e section (section des sciences historiques et philologiques) et les sciences religieuses (5e section), avec l’objectif de réunir le matériau nécessaire à une thèse de doctorat sur la prière[6], qu'il entreprend à partir de 1909[7]. Ses professeurs se nomment Léon Marillier, Antoine Meillet, Louis Finot, Israël Lévi ou Sylvain Levi[8]. Il rencontre également à l’EPHE quelques-uns des futurs membres du cercle durkheimien, avec lesquels il nouera de véritables liens d’amitié (Henri Hubert avec qui il écrit « Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », un des textes fondateurs de l'anthropologie des religions, Robert Hertz…). Il devient en 1901 titulaire de la chaire d’« histoire des religions des peuples non civilisés » à la 5e section de l’EPHE[5].

En 1901, il rejoint l'équipe de L'Année sociologique, revue biennale créée par Émile Durkheim. Celui-ci décédera en 1917 et Mauss se verra échoir du travail de publication posthume de son oncle. Enfin en 1925, il fonde, avec Lucien Lévy-Bruhl et Paul Rivet l'Institut d'ethnologie de Paris. Il participe en 1928 au premier cours universitaire de Davos, avec de nombreux autres intellectuels français et allemands. En 1931, il obtient après trois campagnes de candidature une chaire au Collège de France ; créée pour l’occasion en remplacement de la chaire de « Philosophie sociale » de Jean Izoulet, cette chaire de « Sociologie » marque l’entrée de cette discipline dans la prestigieuse institution[9].

Il a connu deux Guerres mondiales et a été un militant socialiste fidèle à ses convictions, ayant pris position en faveur du capitaine dans l'Affaire Dreyfus, se rapprochant à cette occasion de Jean Jaurès. Plusieurs auteurs dont David Graeber[10], Alain Guyard ou Bruno Viard[11], le classifient comme socialiste révolutionnaire.

Travaux

Envoi autographe de Marcel Mauss à Georges Dumas conservé à la Bibliothèque de sciences humaines et sociales Paris Descartes-CNRS.

Considéré comme l'un des pères de l'anthropologie, Mauss n'a jamais publié d’ouvrage de synthèse de sa pensée mais un grand nombre d'articles dans différentes revues (dont L'Année sociologique), d'esquisses, de comptes-rendus et d'essais. Sa thèse sur la prière reste inachevée. De ses rares monographies, on retient surtout l’Essai sur le don.

Il est surtout connu pour quelques grandes théories, notamment celle du don et du contre-don (liée à l'étude du potlatch (anthropologie), et de la dépense pure), et il a abordé une grande variété de sujets comme en témoignent ses études sur les techniques du corps, la religion ou la magie.

Il veut saisir les réalités dans leur totalité et pour cela élabore le concept novateur de « fait social total », qui connaîtra un vif succès d'intérêt et d'usage en sciences sociales. Pour lui un fait social est intrinsèquement pluridimensionnel ; il comporte toujours des dimensions économiques, culturelles, religieuses, symboliques ou encore juridiques et ne peut être réduit à un seul de ces aspects.

Marcel Mauss veut aussi appréhender l'être humain dans sa réalité concrète : physiologique, psychologique et sociologique. Il esquissera ainsi le concept « d'homme total » qui nourrira notamment Pierre Bourdieu dans ses analyses en termes « d'habitus ».

Il s'intéresse à la signification sociale du don dans les sociétés tribales, ainsi qu'au phénomène religieux : la magie est considérée comme un phénomène social qui peut notamment s'expliquer par la notion de mana. Tout en créant du lien social, le don est agoniste (il « oblige » celui qui reçoit, qui ne peut se libérer que par un « contre-don »). Pour Marcel Mauss, le don est essentiel dans la société humaine et comporte trois phases : l'obligation de donner, l'obligation de recevoir et l'obligation de rendre[N 1]. S'il prend les sociétés « primitives » comme terrain d'étude, c'est moins parce que le primitif serait toujours aussi le simple et l'originel, que parce qu'il est difficile de rencontrer ailleurs une pratique du don et du contre-don « plus nette, plus complète, plus consciente » c'est-à-dire comme un « fait social total »[2].

Méthode : il est partisan d’une division du travail entre celui qui collecte les faits — tâche qu’il assigne à l’ethnographe — et celui qui les interprète pour les rendre intelligibles. « Il faut des sociologues et des ethnographes. Les uns expliquent et les autres renseignent »[12].

Marcel Mauss a très peu pratiqué les études de terrain, à une période où cette méthode qui s’impose progressivement dans le monde anglo-saxon, notamment sous l’influence de Malinowski, restait marginale, en particulier en France. Ses quelques observations directes figurent par exemple dans ses travaux sur « les techniques du corps », elles sont issues de son expérience dans l'armée ou de son enfance en Touraine. Cependant, signe d’une évolution de la discipline, il a incité ses élèves à se rendre sur place pour les observations et a rédigé un Manuel d’ethnographie qui répertorie l’ensemble des dispositions à prendre lors d’une étude de terrain[13].

Archives de Marcel Mauss

Celles de ses archives qui ont survécu à deux guerres mondiales sont conservées à l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC). Elles concernent son travail de sociologue, mais aussi son exploration de l'ethnographie et de l'histoire des religions, de l'Économie et de l'innovation sociale. Ce fonds d'archives est commun avec celui de Henri Hubert qui fut le frère de travail de Mauss à partir de 1896 lors de leur rencontre à l'École pratique des hautes études (c'est par exemple avec lui qu'il va construire et co-écrire « l'Essai sur la nature et la fonction du sacrifice » ou « l'Esquisse d'une théorie générale de la magie » comme le montrent des correspondances et des manuscrits souvent inédits conservés dans ce fond[14].

Bibliographie

Recueils présentés et rééditions

  • Sociologie et anthropologie, recueil de textes, préface de Claude Lévi-Strauss, Presses universitaires de France, 1950. Recueil d'articles comprenant l' Essai sur le don. (lire en ligne)
  • Œuvres, présentation par Victor Karady, comprenant trois volumes :
    • I. - La fonction sociale du sacré, 1968, Paris, Minuit, 633 p.
    • II. - Représentations collectives et diversité des civilisations, 739 p.
    • III. - Cohésion sociale et division de la sociologie, 734 p. 1968, 1969, Paris, Minuit, collection Sens commun, dirigée par Pierre Bourdieu.
  • Écrits politiques, Fayard, textes réunis et présentés par Marcel Fournier. Paris : Fayard, Éditeur, 1997, 814 pages.
  • Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques (1925), Introduction de Florence Weber, Quadrige/Presses universitaires de France, 2007.
  • La nation, édition et présentation de Marcel Fournier et Jean Terrier, Paris, Puf (Quadrige), 2013.

Études sur Marcel Mauss

Autres

  • Revue du MAUSS. Cette revue n'est pas à proprement parler consacrée à Marcel Mauss, mais s'inspire notamment de ses œuvres, en particulier de l'Essai sur le don.

Notes et références

Notes

  1. « le caractère, pour ainsi dire, apparemment libre et gratuit, et cependant contraint et intéressé de ces prestations »

Références

  1. « https://salamandre.college-de-france.fr/ead.html?id=FR075CDF_00CDF0057 » (consulté le )
  2. a et b Sociologie-Ethnologie. Auteurs et textes fondateurs. (ss dir) d'Alain Gras. Publications de la Sorbonne, 2003
  3. Marcel Fournier, Marcel Mauss : a biography, Princeton University Press, 2006, p. 10.
  4. Marcel Fournier (2006), p. 9.
  5. a b et c Jean-François Bert, émission Idées sur RFI, 3 février 2013
  6. Marcel Fournier (2006), p. 43
  7. König R.(2014) Marcel Mauss (1872-1950). Trivium. Revue franco-allemande de sciences humaines et sociales-Deutsch-französische Zeitschrift für Geistes-und Sozialwissenschaften, (17).
  8. Marcel Fournier (2006), p. 43-44
  9. Marcel Fournier (2006), p. 273.
  10. Pour une anthropologie anarchiste, éditions Lux, 2006, page 31
  11. "À 22 ans, en 1894, Mauss adhéra au Parti ouvrier socialiste révolutionnaire de Jean Allemane, organisation anti-guédiste" Les trois neveux, ou, l'altruisme et l'égoïsme réconciliés: Pierre Leroux, 1797-1871, Marcel Mauss, 1872-1950, Paul Diel, 1893-1972. Bruno Viard, Presses universitaires de France, 2002, pages 64-66
  12. Mauss, « Le manuel d'anthropologie de Kroeber », in Œuvres, Éditions de Minuit, Paris, vol. 3, p. 389. Cité dans Victor Karady, « Durkheim et les débuts de l'ethnologie universitaire ». In Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 74, septembre 1988. Recherches sur la recherche, p. 30
  13. Robert Deliège, Une histoire de l’anthropologie. Écoles, auteurs, théories, Éditions du Seuil, 2006, p. 69.
  14. Jean-François Bert (2010) Les archives de Marcel Mauss ont-elles une spécificité ? – le cas de la collaboration de Marcel Mauss et Henri Hubert. Durkheimian Studies, 16(1), 94-108 (résumé)
  15. Daniel Lidenberg. Marcel Mauss et le "judaïsme", 1966, pp. 45-5-.

Annexes

Articles connexes

Liens externes

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