Le Tombeau de Couperin
Le Tombeau de Couperin | |
Couverture de la première édition chez Durand Cie (1918), dessinée par Ravel lui-même. | |
Genre | Suite de six pièces |
---|---|
Musique | Maurice Ravel |
Effectif | piano seul |
Dates de composition | non datée, achevée en 1917 |
Création | Salle Gaveau (Paris) |
Interprètes | Marguerite Long (piano) |
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Le Tombeau de Couperin est une suite pour piano de Maurice Ravel composée entre avril 1914 et 1917 et créée le par Marguerite Long à la Société de Musique Indépendante (salle Gaveau). Elle comporte six pièces, sur le modèle des suites de danses de l'époque baroque.
L'œuvre porte la référence M.68, dans le catalogue des œuvres du compositeur établi par le musicologue Marcel Marnat.
Historique
[modifier | modifier le code]Dès le début de la Première Guerre mondiale, Maurice Ravel cherche à s'engager mais, déjà exempté de service militaire en 1895 en raison de sa faible constitution[1], il est refusé pour être « trop léger de deux kilos » (ne pesant que 48 kg). Le , Ravel écrit à son ami Roland-Manuel « Je commence deux séries de morceaux pour pianos, dont une suite française. Oh non, ce n'est pas ce que vous croyez, La Marseillaise n'y figurera point, il y aura une forlane, une gigue, pas de tango cependant[2]. »
À force de démarches pour être incorporé dans l'aviation[3], c'est finalement comme conducteur d'un camion militaire qu'il surnomma Adélaïde qu'il fut envoyé près de Verdun en .
Victime selon toute vraisemblance d'une dysenterie puis d'une péritonite, Ravel est opéré le avant d'être envoyé en convalescence puis démobilisé en [4]. La nouvelle du décès de sa mère, survenu en , parvient au compositeur alors qu'il est encore sous les drapeaux. Elle le plonge dans un désespoir sans comparaison avec celui causé par la guerre : profondément abattu[5], il devait mettre plusieurs années à surmonter son chagrin[6].
Mûrie dès 1914, l'œuvre fut presque entièrement composée en 1917 alors que Ravel, malade, était démobilisé. Il termine Le Tombeau... en à Lyons-la-Forêt, chez madame Dreyfus, sa « marraine de guerre » et la mère de Roland-Manuel[2].
Le Tombeau de Couperin est créée le à la Salle Gaveau par Marguerite Long. Le succès est tel qu'elle doit bisser intégralement l'œuvre[2].
Analyse
[modifier | modifier le code]I | Prélude | Vif | 12/16 | = 92 | mi mineur | à la mémoire du lieutenant Jacques Charlot[note 1] |
II | Fugue | Allegro moderato | 4/4 | = 84 | mi éolien (mode de la sur mi) | à la mémoire de Jean Cruppi[note 2] |
III | Forlane | Allegretto | 6/8 | = 96 | mi mineur | à la mémoire du lieutenant Gabriel Deluc[note 3] |
IV | Rigaudon | Assez vif | 2/4 | [note 4] | do majeur | à la mémoire de Pierre et Pascal Gaudin[note 5] |
V | Menuet | Allegro moderato | 3/4 | = 92 | sol majeur | à la mémoire de Jean Dreyfus[note 6] |
VI | Toccata | Vif | 2/4 | mi mineur | à la mémoire du capitaine Joseph de Marliave[note 7] |
Le Tombeau de Couperin ancre Ravel dans la tradition française de suites de danses pour le clavecin, initiée par François Couperin ou Jean-Philippe Rameau. Le mot Tombeau dans le titre fait référence à un hommage poétique et musical en usage au XVIIIe siècle. D'après Bruno Guilois, « L’hommage s’adresse moins […] à Couperin lui-même qu’à la musique française du XVIIIe siècle[7]. »
Chacune des six pièces est dédiée à des amis du musicien, tombés au feu au cours de la Première Guerre mondiale.
- Prélude
- Fugue
- Le sujet de cette fugue à trois voix, d'une durée de deux mesures, est ambigu : bien que toutes ses notes soient tirées de la triade de mi mineur, l'accentuation sur le sol laisse penser que la fugue est dans la tonalité de sol majeur (relatif majeur de mi mineur). Il débute sur une syncope (le « et » du premier temps), ce qui contribue à perdre l'auditeur[8]. Jankélévitch y voit « un grêle badinage » et « un plaisant dialogue[9] ».
- Forlane
- Le pape Pie X, jugeant le tango licencieux, avait jugé bon de remettre sur le devant de la scène cette ancienne danse vénitienne, apparaissant au début du XVIIe siècle[10]. Dans cet article figurait une transcription de la Forlane du 4e concert royal de François Couperin, dont Ravel s'est probablement inspiré, comme le laissent penser certains rythmes ou mouvements de basse communs aux deux œuvres[11].
- Rigaudon
- Menuet
- Toccata
Adaptation pour orchestre symphonique
[modifier | modifier le code]Quatre de ces pièces (Prélude, Forlane, Menuet et Rigaudon) furent ensuite orchestrées par Maurice Ravel lui-même en 1919 et jouées pour la première fois le (durée environ 16 minutes). Écrit pour petit orchestre symphonique, le Tombeau de Couperin est un chef-d'œuvre d'orchestration[non neutre], proche du concerto pour orchestre tant les parties individuelles sont solistiques, particulièrement celle du 1er hautbois. Pour Roland-Manuel, « le Tombeau de Couperin est un délicieux tableau de chevalet. Il tiendrait peu de place dans l'œuvre de Ravel, n'était le prodige de son orchestration, accompli deux ans plus tard[12] ».
Instrumentation du Tombeau de Couperin |
Cordes |
Violons I, |
Bois |
2 flûtes, l'une jouant du piccolo
2 hautbois, l'un jouant du cor anglais, 2 clarinettes en La et en Sib, 2 bassons. |
Cuivres |
2 cors en Fa, |
Ami de Ravel, Lucien Garban, travaillant sous le pseudonyme de Roger Branga (1877-1959), est l'auteur d'une version pour petit orchestre avec un conducteur piano, composée des Prélude, Menuet et Rigaudon. Il avait dès 1919 transcrit la suite complète pour piano à quatre mains.
David Diamond a orchestré le deuxième mouvement, Fugue, tandis que le pianiste et chef d'orchestre hongrois Zoltán Kocsis a offert sa propre version de la Fugue et de la Toccata[13]. Cependant, ici la Toccata est écrite pour grand orchestre, tandis que la Fugue est réservée aux vents.
La version du Tombeau enregistrée par Vladimir Ashkenazy et l'orchestre symphonique de la NHK (2003) est celle du pianiste et compositeur britannique Michael Round (1991). Elle utilise une importante section de percussions.
En 2013, le compositeur britannique Kenneth Hesketh a orchestré la Fugue et la Toccata avec la même orchestration que celle de la suite orchestrale originale en quatre mouvements.
Quatre mouvements (Prélude, Fugue, Menuet et Rigaudon) ont été arrangés pour quintette à vent par le corniste américain Mason Jones[14] (1919-2009, voir Wikipédia en anglais).
Parmi les autres versions, deux pour quintette à vent ont été transcrites par le compositeur danois Hans Abrahamsen[15] et, d'autre part, par l'américain Gunther Schuller[16].
Le Tombeau de Couperin est enfin un ballet conçu par George Balanchine sur la musique de Ravel (orchestration du compositeur) et créé le au Lincoln Center.
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Transcripteur de Ma mère l'Oye pour piano solo et également dédicataire du second mouvement d’En blanc et noir de Claude Debussy.
- Fils de la dédicataire de L'Heure espagnole.
- Peintre basque de Saint-Jean-de-Luz.
- Exceptionnellement, Ravel n'a pas indiqué de mouvement métronomique
- Deux frères, amis d'enfance de Ravel, morts ensemble au front le 12 novembre 1914.
- Beau-fils de la mère de Roland-Manuel. Voir aussi [1]
- Musicologue et époux de Marguerite Long
Références
[modifier | modifier le code]- Patrick Kéchichian, « Entretien avec Jean Echenoz et Philippe Barrot », La Quinzaine littéraire, (lire en ligne).
- Clément Rochefort, « Le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel, compositeur et patriote », 14-18 : Petites musiques d'une grande guerre, sur francemusique.fr, (consulté le ).
- Marnat 1986, p. 410.
- Marnat 1986, p. 420-421.
- Orenstein 1989, p. 164-165.
- Orenstein 1989, p. 178.
- Bruno Guilois, « Le Tombeau de Couperin - Maurice Ravel », sur digital.philharmoniedeparis.fr (consulté le ).
- (en) Timothy Smith, « An impressive fugue: Analysis of the Fugue from Le Tombeau de Couperin by Maurice Ravel », sur humanities.mcmaster.ca (consulté le ).
- Vladimir Jankélévitch, Ravel, Seuil, p. 54
- Jules Écorcheville, « La Forlane », Revue S.I.M., , p. 10 (lire en ligne, consulté le ).
- Michel Faure, « Origine et analyse de la Forlane du Tombeau de Couperin de Ravel », sur musique.histoire.free.fr (consulté le ).
- Roland-Manuel, À la gloire de Maurice Ravel, Nouvelle Revue Critique, p. 136
- Orchestrations par Zoltán Kocsis (Debussy, Ravel), direction : Zoltán Kocsis sur arkivmusic.com.
- Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin, transcribed for wind quintet by Mason Jones (Paris: Ed. Durand, 1970)
- Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin, arranged for wind quintet by Hans Abrahamsen (Copenhagen: Ed. Wilhelm Hansen, n.d.)
- Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin, arranged for wind quintet by Gunther Schuller (Newton Centre, MA: Margun Music, 1995)
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Vladimir Jankélévitch, Ravel, Paris, Seuil, coll. « Solfèges », 1956, rééd. 1995.
- Jean-Claude Teboul, Ravel : Le langage musical dans l'œuvre pour piano, à la lumière des principes d'analyse de Schœnberg, Paris, Le léopard d'or, (ISBN 2-86-377063-2).
- Marcel Marnat, Maurice Ravel, Fayard, coll. « Indispensables de la musique », , 828 p. (ISBN 2-213-01685-2, BNF 43135722).
- Maurice Ravel, Lettres, écrits et entretiens : réunis, présentés et annotés par Arbie Orenstein ; trad. de Dennis Collins ; interprétations historiques (1911-1988) par Jean Touzelet, Paris, Flammarion, coll. « Harmoniques. Série Écrits de musiciens », , 626 p. (BNF 36633974).
Liens externes
[modifier | modifier le code]- Philippe Cassard, « Le Tombeau de Couperin » [podcast, 1 h 25], Le Matin des musiciens, sur francemusique.fr, .
- Anne-Charlotte Rémond, « 1920, Maurice Ravel : création de la version orchestrale du Tombeau de Couperin » [audio], sur France Musique, .
- Interprétation filmée du Tombeau de Couperin par l'Orchestre national de France, Cristian Măcelaru (dir.), en ligne sur France Musique, .
- Ressources relatives à la musique :