Barkouf
PERSONNAGES.
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ACTEURS.
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BABABECK, grand vizir du gouverneur de Lahore | MM. | SAINTE-FOY. |
LE GRAND-MOGOL | NATHAN. | |
SAËB | WAROT. | |
KALIBOUL, eunuque | LEMAIRE. | |
XAILOUM | BERTHELIER. | |
MAÏMA, jeune bouquetière | Mmes | MARIMON. |
BALKIS, marchande d’oranges | BÉLIA. | |
PÉRIZADE, fille de Bababeck | CASIMIR. |
ACTE PREMIER
Une place publique de Lahore.
Scène PREMIÈRE.
(C’est le jour du marché. — Maïma avec des paniers de fleurs et Balkis avec des paniers de fruits se tiennent à gauche du théâtre. — À droite, d’autres marchands et marchandes. — Au milieu, des gens du peuple ou des bourgeois de la ville qui regardent, marchandent et achètent.)
- Je vends à juste prix,
- Je vous le garantis !
- Venez ! Achetez-nous !
- J’en ai pour tous les goûts,
- De toutes les qualités.
- Achetez ! achetez !
- Et ces fleurs et ces fruits,
- Tout me parait exquis !
- Achetez ? achetez ?
- Oui, de tous les côtes
- Nous sommes. Enchantés
- Et nous sommes tentés !
- Voyez ces beaux bouquets,
- Qu’ils sont jolis et frais !
- Montrez-vous connaisseurs,
- Achetez-moi ces fleurs !
- Vous serez enchantés,
- Achetez ! achetez !
- Je vends à juste prix,
- Voyez ces jolis fruits ;
- Goûtez, ils sont exquis,
- Vous en serez séduits…
- Vous serez enchantés !
- Achetez ! achetez !
(On entend un air de marche. — Bababeck, l’échanson du gouverneur paraît, porté sur son palanquin. Kaliboul, son eunuque blanc, et plusieurs serviteurs chassent la foule devant lui.)
- Que l’on s’efface,
- Qu’on fasse place
- A l’échanson du gouverneur !
- Dieu l’illumine,
- Que l’on s’incline,
- Avec respect, avec terreur,
- C’est l’échanson du gouverneur ! LE PEUPLE, à voix basse.
- Il nous menace,
- Faisons-lui place,
- Courbons nos fronts avec terreur !
- Mais la victime,
- Que l’on opprime,
- Se vengera de son malheur
- Sur l’échanson du gouverneur.
(Bababeck descend de son palanquin. Il fait le tour de la place en s’appuyant sur Kaliboul : il s’arrête devant Maïma et Balkis qu’il contemple quelques instants avec plaisir. )
- De ces jeunes filles,
- Fraîches et gentilles,
- Les attraits naissants
- Gaîment m’affriandent,
- Et soudain me rendent
- Un nouveau printemps !
- Je n’ai que vingt ans !
- Oui, je n’ai que vingt ans !
(S’avançant au bord du théâtre et se frottant les mains d’un air joyeux.)
- Aujourd’hui je marie enfin
- Ma fille tant chérie
- Qui, par un oubli du destin,
- Est loin d’être jolie ;
- En revanche, Dieu la créa
- Et méchante et colère,
- Et mon gendre s’en chargera !
- Quel bonheur pour un père !
- Me voici seul à la maison,
- Je suis libre, je suis garçon !
- Aujourd’hui je marie enfin
(Regardant Maïma et Balkis.)
- De ces jeunes filles, etc.
- Oh ! les superbes pêches !
- Quel velouté charmant !
- Si vous les trouvez fraîches,
- Prenez, cela se vend !
- Prenez, prenez, cela se vend !
- J’aimerais mieux, mignonne,
- Ce regard plein d’appas !
- Pardon !… cela se donne,
- Cela ne se vend pas !
- Non, non, non, non, cela ne se vend pas !
- Que j’aime cette rose !
- Quel éclat séduisant !
- Pour vous elle est éclose,
- Prenez, cela se vend !
- Et ce teint… ce sourire…
- Ces traits si délicats…
- De loin cela s’admire,
- Et ça ne se vend pas !
- Non, non, non, non, cela ne se vend pas !
(On entend dans le lointain un bruit qui va toujours en crescendo.)
- Mais quel est l’orage
- Qu’ici nous présage
- Le bruit incertain
- Qui gronde au lointain ?
(Le bruit augmente.)
- Voici la tempête
- Qui sur notre tête
- S’amasse, frémit,
- Éclate et mugit !
- La foule entoure en fureur
- Le palais du gouverneur !
- Et le mien est juste en face !
- On en casse les carreaux !
- Ils les paîront !… quelle audace !
- Ils les paîront sur leurs dos…
- Courons, courons !
- Quel bruit ! quel tapage !
- Ce léger nuage
- Qui dans le lointain
- S’annonçait soudain,
- Devient la tempête
- Qui sur notre tête
- S’amasse, frémit,
- Et soudain mugit !
- Quel heureux présage !
- Quel bruit ! quel tapage
- Fait trembler soudain
- Ce maître hautain !
- Voici sur sa tête
- Qu’enfin la tempête
- S’amasse, frémit,
- Et soudain mugit !
(Bababeck, Kaliboul et les esclaves de sa suite disparaissent par la droite : le peuple s’élance sur leurs pas.)
Scène II.
Que veux-tu ?… les marchandes alors se croisent les bras et causent.
Causons ! Aussi bien, je suis inquiète de Xaïloum.
Qu’est-ce que c’est que Xaïloum ?
Un bon jeune homme, d’une bonne famille, son père est vitrier dans la rue du grand bazar, et lui est ouvrier en châles de cachemire… un fameux ouvrier… quand il travaille, mais volontiers il aime mieux flâner et courir les rues.
C’est-à-dire qu’il ne fait rien.
Lui ! il n’y a pas d’ouvrier plus occupé. Il est mêlé à toutes les querelles… mais ça ne sera plus comme ça quand il m’aura épousée, ou je me fâcherai tant et si bien qu’il n’aura pas besoin de chercher des disputes hors de son ménage.
C’est donc ton amoureux ?
Dame ! Faut bien en avoir un au moins !… Et toi, est-ce que tu n’as pas d’amoureux ?
Non !
Oui, mon père était un soldat, tué au service du Grand-Mogol, et il m’avait donné de l’éducation.
Cela t’a bien avancée !… De l’éducation ! de la jeunesse ! de la gentillesse ! et pas encore d’amoureux !
Je n’en ai plus.
Ah ! c’est bien différent, raconte-nous ça…
Je n’ai plus personne qui m’aime.
Et moi ?
Merci, ma bonne Balkis, mais vois-tu, dans la petite maison que mon père habitait aux portes de la ville, il m’avait laissée seule…
Seule !…
Avec un chien, un chien superbe, grand et fort comme un lion, qui me protégeait, qui me défendait. Il n’y avait pas à craindre qu’il laissât approcher personne, excepté un jeune paysan des environs qui venait m’aider dans la culture de mes fleurs, et il était si assidu, si exact…
Ton chien ?
Le jeune homme ?
Non, mon chien… et si dévoué, si fidèle !
Ton chien ?
Non, l’autre ou plutôt tous les deux, et voilà qu’un beau jour, des soldats bien habillés voulurent m’acheter mon chien. Et comme je refusais, malgré mes cris et les siens, ils l’enlevèrent de force.
Mais l’autre au moins, l’autre t’est resté ?
Un malheur n’arrive jamais seul ; il n’est plus revenu.
On te l’aura enlevé aussi.
J’en ai peur ; ils étaient si beaux tous les deux ! et voilà, ma chère, comment je me suis trouvée sans amant et sans chien.
Ils reviendront ! Une fois que ça connaît le chemin… et que ça veut revenir, rien ne les en empêche ! mais je te laisse ; décidément, je suis inquiète de ne pas voir Xaïloum.
Et pourquoi ?
Scène III.
Victoire ! victoire !
(Entrant en scène.)
- Vive le tapage,
- Le bruit et l’orage !
- On crie : au secours !
- Joyeux, je m’échappe
- Vers ceux que l’on frappe ;
- En riant, j’accours
- Et soudain je tape,
- Je tape toujours !
- Jamais de querelle
- Où je ne me mêle ;
- Là-bas on m’appelle ?
- Gare ! me voici !
- L’époux qui s’enflamme
- Corrige sa femme,
- Ou bien c’est madame
- Qui bat son mari,
- Moi je fais : csssi csssi !
- Vive le tapage, etc.
- Parfois dans la rue,
- C’est la foule accrue
- Qui roule et se rue ;
- Gare, me voici !
- Plus d’un se culbute,
- Je ris de sa chute,
- Et, tandis qu’on lutte,
- Moi je crie : csssi csssi…
- Vive le tapage, etc. BALKIS.
- Vive le tapage, etc.
Qu’est-ce donc, Xaïloum ? Qu’y a-t-il de nouveau ?
Je me suis couvert de gloire et de poussière, ils m’ont nommé un des chefs… ça m’était dû !
Ça me fait peur… il n’arrive pas une mauvaise affaire dans la rue que tu n’y prennes part.
Cette fois-ci, c’est bien mieux, c’est moi qui en suis cause.
Ah ! mon Dieu !
Je me rendais à l’ouvrage en chantant, c’est mon habitude… voilà qu’un soldat en faction sur la place du palais me dit : « On ne chante pas ! Le Kaïmakan actuel ne veut pas qu’on chante. » — Moi de me récrier. — « Le Kaïmakan ne veut pas qu’on crie, » et il se met en mesure de me donner la bastonnade, moi je refuse, il appelle la garde, j’appelle les camarades qui passaient… Mêlée générale. On se met à casser les croisées du gouverneur et celles des palais voisins… cela m’allait, attendu que mon père est vitrier et je lui ai donné de l’ouvrage, je m’en vante !
Malheureux ! Qu’avez-vous fait ?
Ce n’est rien encore. Le seigneur Bababeck, le grand échanson qui venait de rentrer chez lui, met le nez à la fenêtre pour observer l’ennemi et faire son rapport. Il y avait là par bonheur, sur la grande place, une voiture non attelée, une charrette d’oranges…
J’en prends une énorme et je l’écrase sur le nez du grand échanson ; il est obligé de battre en retraite, car tous mes camarades avaient fait comme moi, et, pour casser tous les carreaux du palais Bababeck, ils s’étaient tous pourvus de munitions dans la charrette d’oranges qui, en un instant, avait été dévalisée.
Mais c’est moi que tu as ruinée !
Toi ?
Tu as rendu notre mariage impossible.
Les oranges étaient à elle.
Quoi !
À moi !
En vérité ?
Vois ce que coûtent les révolutions !
Est-ce que je savais ?
Ah ! tenez… tenez… écoutez !
Une marche guerrière !
Est-ce qu’il serait dans la ville ?
Il est partout… lui et son armée !
Et il vient pour châtier les factieux.
C’est fait de moi !… où me cacher ?
Va-t’en, va-t’en !
(Xaïloum disparaît à l’entrée du cortège.)
Scène IV.
- C’est la foudre en furie
- Qui frappe et qui châtie,
- La foudre et ses éclairs
- Qui gronde dans les airs,
- C’est notre arrêt suprême !
- Le Grand-Mogol lui-même
- A dicté notre sort,
- Le supplice et la mort !
Scène V.
- Rampez tous devant moi !
- C’est bien ! mais pourquoi
- Ce trouble suprême ?
- Pourquoi ?
- Bannissez votre effroi :
- Je suis bon, ma foi !
- Je veux que l’on aime
- Ma loi !
- Maître débonnaire,
- Pour me distraire,
- Je viens vous faire
- Tous empaler,
- Tous étrangler,
- Ecarteler !
- Rampez tous devant moi !
(Le peuple tombe la face contre terre.)
(Continuant d’un air gai.)
- A part ça, joyeux et content,
- Toujours bien patient,
- Je veux qu’on bénisse
- Mon ordre propice ;
- Car je sais,
- De loin ou de près,
- Parmi mes sujets,
- Maintenir la paix ;
- Ma douce justice
- Ne s’endort jamais !
- Toujours bien patient,
- Amis, point de terreur ;
- Malgré la fureur,
- Qui souvent enflamme
- Mon cœur,
- Votre maître et seigneur
- Est plein de douceur.
- Calmez de votre âme
- La peur !
- Amis, point de terreur ;
- Maître débonnaire, etc.
- D’un maître sévère
- Craignons le courroux
- Et dans la poussière
- Prosternons-nous tous !
(Le Grand-Mogol s’assied sur des carreaux que ses esclaves viennent de lui préparer. Un de ses grands officiers lui présente sa pipe et il fume en s’adressent à Bababeck.)
Ainsi donc, oubliant le respect qu’ils devaient à moi et au Kaïmakan que je leur avais donné…
Ils l’ont jeté, astre de lumière, par les fenêtres de son palais… c’est le dixième Kaïmakan de cette année, ce qui devient gênant pour les passants…
Très-bien !
Ce qui fait que nous ne sommes plus gouvernés en ce moment.
Très-bien !
Et si, par la justice céleste, étoile du firmament, les coupables sont punis…
Très-bien !
Les bons serviteurs doivent être récompensés, et j’ai quelques droits à la dignité vacante.
Lesquels ?
D’abord j’ai reçu une blessure honorable…
Le fruit de la révolte… voyez plutôt… mais je connais le drôle qui m’a visé et je le retrouverai.
Après ?
Grand échanson du dernier gouverneur, la place, j’ose le dire, était fatigante. Je versais beaucoup et souvent, à telles enseignes… Kaliboul, mon premier eunuque…
J’ai cet honneur.
Kaliboul attestera à Votre Hautesse que feu le gouverneur était presque toujours…
Presque !… flatteur, va !…
Très-bien !
Et puis, c’est aujourd’hui que je marie ma fille Périzade au jeune Saëb, officier des gardes de Votre Hautesse…
Très-bien !
Et en faveur de ce mariage, et comme cadeau de noces, je sollicite du roi des rois, et de l’astre des astres, la dignité de Kaïmakan de Lahore pour moi, son fidèle serviteur.
Bah ! ça fera le onzième.
Que tu accordes !…
Non ! Les habitants de cette ville turbulente et rebelle ne méritent pas d’être gouvernés par un de mes ministres, et je rêve pour eux un changement dont la postérité gardera le souvenir. Approche ici.
Que veut le roi des rois… et l’astre des…
Astres…
C’est bien !… Tu as vu tout à l’heure dans mon palanquin, sur un carreau d’or et de soie, couché à mes pieds… un superbe chien qui soudain s’est levé l’œil étincelant…
Magnifique animal, qui a manqué faire à votre fidèle serviteur l’honneur de le dévorer.
Très-bien ! tu vas le promener dans mon palanquin par toute la ville de Lahore, et tu feras proclamer à son de trompe ces paroles : « Tel est, pour vous punir, le nouveau Kaïmakan que votre souverain maître vous donne. Que devant lui chacun se prosterne et lui obéisse désormais ! »
Oui… roi des rois… astre des astres…
Assez !… C’est toi, Bababeck, que je nomme son premier vizir, c’est toi que je charge de faire exécuter ponctuellement toutes ses volontés, quelles qu’elles soient… sinon… tu me connais… je te ferai empaler.
Assez !
Quelle humiliation ! nous donner pour Kaïmakan cet animal !
Quand mon maître était là !
J’ai dit : ma présence est nécessaire pour quelques jours dans les royaumes de Cachemire et de Candahar… deux villes rebelles que je vais prendre et incendier… ce ne sera pas long. Je reviens, et malheur à qui aurait méconnu l’autorité du gouverneur que je viens de nommer !
Oui, roi des rois… astre des…
Astres…
- Pillage et désastre
- Et nouveaux exploits !
- Vers l’astre des astres,
- Vers le roi des rois,
- Cohorte fidèle,
- Levons nos regards !
- Et gloire éternelle
- A nos étendards !
- O nouveau désastre !
- Ni paix, ni repos !
- De l’astre des astres
- Et des grands héros
- Que Dieu nous délivre !
- Et nous, ses enfants,
- Qu’il nous laisse vivre
- Obscurs et contents !
(Le Grand-Mogol sort, entouré de tous ses officiers et suivi par la foule du peuple.)
Tu as entendu ?
Tout… Pauvre Xaïloum !
Son compte est bon !…
Scène VI.
- La fortune ennemie
- Vient de briser mes jours !
- Car c’est perdre la vie
- Que perdre ses amours !
- O dévoûment trop tendre,
- Par l’ingrat méconnu !
- Rien ne peut plus me rendre
- Celui que j’ai perdu !
- D’un juge inexorable,
- Ah ! je crains le courroux !
- Et Xaïloum coupable
- Tombera sous ses coups !
- La fortune ennemie, etc. MAÏMA, écoutant.
- La fortune ennemie, etc.
- N’entends-tu pas cette marche brillante ?
- Oui, le bruit s’approche, il augmente !
- Du haut de la terrasse, avec quelle splendeur
- À l’éclat du soleil le cortège rayonne !
- Un cortège !… Celui du nouveau gouverneur !
- Voici son palanquin… sa garde l’environne.
- Dieu ! que de beaux soldats, couverts d’or et d’acier !
- Vois-tu sur son coursier
- Ce gentil officier ?
- Ah !
- Qu’as-tu donc ?
- C’est lui… c’est lui, Dieu me pardonne !
- Ce jeune paysan, dont ton cœur est épris ?
- Eh ! oui, vraiment, c’est lui sous ces riches habits !
- O surprise, ô prodige !
- Où suis-je, ô ciel ! où suis-je ?
- N’est-ce point un prestige
- Dont s’abusent mes yeux ?
- Image enchanteresse,
- Qui vient de ma tendresse
- Me rappeler l’ivresse
- Et les rêves heureux !
- O surprise, ô prodige !
- N’est-ce point un prestige
- Ou bien quelque vertige
- Dont s’abusent ses yeux ?
- Image enchanteresse,
- Qui vient de sa tendresse
- Lui rappeler l’ivresse
- Et les rêves heureux !
- Entends-tu ces hourras et ces transports de joie ?
- Ils annoncent le palanquin
- De notre nouveau souverain !
- Sous ses rideaux de velours et de soie
- On peut l’apercevoir…
- C’est notre gouverneur lui-même.
Oui, si j’en crois mes yeux,
- Bien loin d’être ébloui par le pouvoir suprême,
- Pour ses nouveaux sujets, affable et gracieux,
- De la tête il salue !… et même il aboie.
- Ah !
- Qu’est-ce encore !…
- C’est lui ! c’est bien lui ! le voilà…
- C’est mon chien,
- C’est le mien,
- Je le reconnais bien !
- Ouf !
- Ton chien ! le gouverneur ?
- Le gouverneur Barkouf !
- O surprise, ô prestige !
- Où suis-je, ô ciel, où suis-je ?
- Mon bon chien ! ô prodige !
- Lui ! maître dans ces lieux !
- O vue enchanteresse
- Qui, pour moi, sa maîtresse,
- Rappelle ma jeunesse
- Et tous mes jours heureux !
- O surprise, ô prestige !
- N’est-ce point un vertige ?
- C’est son chien, quel prodige !
- Gouverneur glorieux
- Dont elle fut maîtresse !
- O vue enchanteresse,
- Qui lui rend sa jeunesse
- Et ses rêves heureux !
- Sur son passage,
- Qu’on rende hommage,
- Hommage, honneur
- Au gouverneur !
- Qu’on se prosterne
- Devant celui
- Qui nous gouverne !
- Qu’il soit béni,
- Qu’il soit chéri !
- Le Grand-Mogol lui-même
- Ordonne ici qu’on l’aime,
- Qu’il soit donc révéré
- Et de plus… adoré !
- Sinon tremblez… Tremblez !…
- O surprise, ô prodige !
- Doux et cruel prestige,
- Qui me rit et m’afflige !
- Lui, maître et tout-puissant !
- Pourvu que sa tendresse
- N’ait pas, dans la richesse,
- Oublié la maîtresse
- Qui jadis l’aimait tant !
- Sur son passage, etc.
ACTE DEUXIÈME
L’intérieur du palais du gouverneur de Lahore. — Portes au fond et à gauche. A droite, une grille dorée.
Scène PREMIÈRE.
Vous dites que Saëb, mon fiancé, n’a pas encore paru ?
Non !
Il a tort, car plus je me regarde…
Sans doute. À force de te voir, tu ne te vois plus. (A part.) Mais lui !… (Haut.) Baisse ton voile.
Pourquoi donc… il n’y a que vous ici, mon père…
C’est égal, baisse ton voile. Tu sais bien que nous n’avons que ce moyen-là de marier nos filles en Orient.
De confiance… sur ce que je lui ai dit de ta jeunesse et de ta beauté.
Raison de plus pour qu’il me voie.
Quelle imprudence ! Demain seulement… le lendemain du mariage.
Je n’attendrai jamais jusque-là.
Il le faut ! Je le veux !
Et pourquoi ?
Nos lois, nos usages…
Sont absurdes ! Mais après tant de mariages indéfiniment retardés, comment celui-là s’est-il fait aussi promptement ? Vous ne me l’avez jamais dit.
Parce qu’il ne faut le dire à personne.
Excepté à moi.
Qu’osez-vous me dire ?…
Il a consenti non sans peine…
Un pareil outrage à moi… à mon printemps !…
Ton printemps… ton printemps…
N’en ai-je pas ?…
Tu n’en as que trop… voici bientôt le trente-sixième…
Mon père !…
Aussi… je ne serai tranquille que lorsque nous reviendrons de la mosquée… pour cela… et comme fonctionnaire public, je dois avant tout demander le consentement du gouverneur.
Son consentement ?…
Il est nécessaire… non-seulement ce matin, pour que ton fiancé te conduise à la mosquée… mais ce soir encore, pour qu’il t’emmène de ce palais dans le sien.
Eh bien !… à moins que par hasard le gouverneur n’ait entrevu mes charmes et qu’il n’en soit jaloux, pourquoi refuserait-il ?
Pourquoi ?… C’est vrai, renfermée dans le sérail, tu ne sais pas ce qu’il vient d’arriver… nous avons dans ce moment un gouverneur d’un si mauvais caractère… et tiens, tout à l’heure encore…
- Diplomate fidèle,
- En ce beau jour
- J’ai voulu plein de zèle,
- Faire ma cour !
- Sais-tu ce qu’il m’a dit ?
- R r r r r r r.
- Je tremble, il m’assourdit :
- R r r r r r r.
- Diplomate fidèle,
- Présumant qu’il désire
- Un peu d’encens,
- Je dis : « Sire, j’admire
- Vos blanches dents, »
- Sais-tu ce qu’il répond ?
- R r r r r r r.
- Et comme il m’interrompt !
- R r r r r r r.
- Présumant qu’il désire
Mais enfin, mon père, qu’est-ce que tout cela signifie ?
Tu vas le savoir… regarde… voilà celui que nous avons pour maître.
(Bababeck montre la grille dorée, derrière laquelle est censé se trouver le chien du Grand-Mogol.)
Comment, notre gouverneur est un…
De race… mais de race terrible. N’importe… qu’il m’accorde seulement la permission de te marier que je viens de lui faire demander par Kaliboul… je l’aimais mieux ainsi… et je ne crains plus rien du côté de Saëb.
Comment cela ?
Tu es du sang royal, pas de divorce possible, on ne peut plus te répudier qu’avec ton consentement.
Et je ne le donnerai jamais, parce que, mon père…
Silence, on vient… c’est ton fiancé… Il a l’air bien rêveur. Baisse ton voile.
Ah ! qu’il est bien, que sa figure est jeune et charmante !
Baisse ton voile… (À part.) si tu veux qu’il en dise autant de toi.
Scène II.
- Peine cruelle,
- Fatal devoir !
- Être infidèle
- Sans le vouloir !
- Chaîne éternelle,
- Épouser celle
- Qu’on voudrait fuir…
- Mieux vaut mourir !
- O maîtresse si chère,
- Je trahis mes amours,
- Et j’aurai pour mon père
- Donné plus que mes jours !
- Peine cruelle, etc.
- Ah ! qu’Allah soit béni,
- Il me donne un mari !
- D’ivresse suffoquée,
- Je vais à la mosquée !
- Que le ciel soit béni !
- Je possède aujourd’hui
- Cet époux adoré
- Si longtemps désiré !
- Que le ciel soit béni !
- Je conduis aujourd’hui,
- D’ivresse suffoquée,
- Ma fille à la mosquée !
- Que le ciel soit béni !
- Je possède aujourd’hui,
- Ce beau gendre adoré
- Si longtemps désiré !
Scène III.
- Allah ! Allah ! Dieu me conserve
- Et me préserve
- De la fureur
- Du gouverneur ! TOUS.
- Allah ! Allah ! Dieu me conserve
Qu’est-ce ?
- J’avais reçu…
- L’honorable message…
- De porter à Barkouf l’acte de mariage…
- Qui par lui doit être approuvé !
- Il y doit apposer sa griffe,
- Sinon cet acte est apocryphe.
- Eh bien ! que t’est-il arrivé ?
- Que son Excellence farouche
- A, par un accueil qui me touche,
- Voulu me déchirer.
- Le déchirer !
- Qu’un autre s’inquiète,
- Pour moi, c’est un abus,
- Je n’y retourne plus !
Des lois de l’étiquette
- Ah ! qu’Allah soit béni !
- Mon âme, grâce à lui,
- De joie est suffoquée.
- Pour nous, plus de mosquée !
- Ce n’est pas aujourd’hui
- Que je suis son mari !
- Cet hymen abhorré
- Est encor différé.
- O loi cruelle !
- Faut-il ici,
- Chance nouvelle,
- Perdre un mari !
- Quand je l’adore,
- Attendre encore,
- C’est trop souffrir…
- Mieux vaut mourir !
- Pour ma fille aujourd’hui
- Je rêvais un mari !
- Ma fille à la mosquée,
- D’ivresse suffoquée,
- Marchait auprès de lui ;
- Et quand j’étais ravi,
- Cet hymen désiré
- Est encor différé !
- Non, non, c’est un abus,
- Je n’y retourne plus !
- Des lois de l’étiquette,
- Qu’un autre s’inquiète.
- Qu’un autre en soit ravi,
- Je ne veux plus ici,
- Par ce maître adoré,
- Me sentir dévoré !
Scène IV.
Soyez tranquille, mon gendre… ce n’est qu’un retard… (Saëb s’éloigne.) Il est bien évident… et il faut en prévenir la cour, qu’il n’y aura pas de réception ce matin. Sa Grâce ne recevra personne.
Excepté les hauts dignitaires… vous, par exemple, monseigneur.
Moi !
À votre place, je lui demanderais audience.
Allons donc !
Je ne serais pas fâché qu’à son tour… (Haut.) Il faut pourtant que quelqu’un lui parle et prenne ses ordres. Ce ne sera pas moi.
Ni moi !
Mais alors, comment marcheront les affaires ?
Elles marcheront comme elles pourront.
C’est vrai !
Empalé !
Empalé… empalé ou dévoré… vois-tu ma position !... Qu’est-ce que tu préférerais ?
Moi ?
Oui !
Je préférerais… ni l’un, ni l’autre.
Oui, le meilleur n’en vaut rien !
Mais…
Scène V.
Je vous dis, moi, que j’entrerai… on ne peut m’empêcher devoir le gouverneur… et vous avez beau faire, j’arriverai jusqu’à lui… je lui parlerai.
Ceci n’est pas de ma compétence.
Approchez, mon enfant… vous avez donc à parler au gracieux Barkouf ?
Oui, monseigneur… (À part.) pour ce pauvre Xaïloum qu’on vient d’arrêter, qu’on va condamner, et Balkis, sa bonne amie, qui se désole. (Haut.) Comment voit-on le gouverneur ?
On ne le voit pas ! comme tous les grands dignitaires de l’Orient, il ne se montre jamais, et il reste enfermé dans ses appartements.
(Il lui montre la grille dorée à droite.)
De ce côté… dans cette niche dorée… pauvre bête, comme il doit s’ennuyer ! (s’adressant à Kaliboul.) Il est bien bon, bien doux, n’est-ce pas ?
Certainement ! C’est le meilleur des gouverneurs !
Le plus grand des gouverneurs !
Le plus grand des gou… (À Maïma.) Ne vous y fiez pas… c’est un mauvais chien.
Lui…
Personne ici n’ose l’approcher…
Ce n’est pas possible, il m’aimait trop pour cela.
Que dit-elle ?
Laissez-moi le voir, monseigneur. Je suis sûre que les grandeurs ne l’ont pas changé et qu’il me reconnaîtra,
Tu le connais donc !
Pardine !… nous avons été élevés ensemble.
Silence ! (À Kaliboul.) Laisse-nous !
Vous laisser…
Va-t’en voir ce qui se passe… à la cour.
Moi !
T’informer de ma part des nouvelles de Sa Hautesse.
Oui, monseigneur, (À part.) Qu’est-ce qu’il peut avoir à lui dire ?…
Allons, à la cour !…
(Kaliboul s’éloigne.)Scène VI.
Elle seule peut nous venir en aide. (Haut.) Comment, mon enfant, tu as connu sa grandeur Barkouf ?
Je crois bien !… avant la place qu’il occupe, avant d’appartenir au gouvernement, il m’appartenait à moi… et il m’était si attaché, si soumis, si docile…
Si docile…
Il m’obéissait en tout.
Il t’obéissait ! (À part.) Ô bonheur ! (Haut.) De sorte… qu’il t’entend… il te comprend…
Au moindre mot, au moindre signe !
Tu pourrais, par exemple, lui faire apposer sa griffe sur ce papier, (Lui montrant le contrat de sa fille.) ou sur tout autre ?
À l’instant même !
Il se pourrait !… (Haut.) Écoute.
- Comme ayant dès longtemps des droits à son estime,
- Je te nomme aujourd’hui son secrétaire intime !
- Secrétaire interprète ! Attendu qu’en ces lieux
- Toi seule tu sais son langage.
- C’est dit…
- Je compte aussi sur ton obéissance,
- Et grâce à toi, grâce à ton influence,
- Ce maître furieux, dans ma main je le tien…
- Tu comprends bien ?
- Je comprends bien.
- Fidèle interprète,
- Gentille et discrète,
- Ta fortune est faite,
- Et si tu le veux,
- D’un maître inutile
- Moi, ministre habile,
- Toi, l’écho docile,
- Nous régnons tous deux !
- Puissants, glorieux,
- Nous régnons tous deux !
- Fidèle interprète,
- Aveugle et discrète,
- Ma fortune est faite,
- Et si je le veux,
- D’un maître inutile,
- D’un ministre habile
- Servante docile,
- Nous régnons tous deux !
- Puissants, glorieux,
- Nous régnons tous deux
- Tu sauras mes projets à moi !
- À vous ? BABABECK.
- À moi !
- Tu comprends bien ?
- À vous ?
- Je comprends bien.
- Après un court entretien,
- De chez lui tu sortiras ;
- Tout haut tu proclameras
- Sa volonté souveraine,
- Tu comprends bien ?
- Je comprends bien,
- Très-bien !
- Très-bien !
- Je comprends bien,
- Gentille et discrète,
- Adroite interprète,
- Ta fortune est faite,
- Et si tu le veux,
- D’un maître inutile
- Moi, ministre habile,
- Toi, l’écho docile,
- Nous régnons tous deux ;
- Puissants, glorieux,
- Nous régnons tous deux !
- Que je sois discrète,
- Aveugle et muette,
- Ma fortune est faite,
- Et si je le veux,
- D’un maître inutile,
- D’un ministre habile,
- Servante docile,
- Nous régnons tous deux ;
- Puissants, glorieux,
- Nous régnons tous deux !
- Non, non, non, monseigneur,
- Pour moi c’est trop d’honneur !
- Vous seul, adroit trompeur,
- Serez mon serviteur.
- Par son adroit moyen
- Qui deviendra le mien,
- De lui, je ne crains rien,
- Je le tiens, je le lien !
- Non, non, je n’ai plus peur
- Du sultan en fureur ;
- Je n’aurai plus l’honneur
- D’être le serviteur !
(A part.)
- De lui je ne crains rien :
- Par cet adroit moyen,
- Son pouvoir est le mien,
- Je le tiens, je le tien !
(A part.)
Je suis sauvé !
Monseigneur ! monseigneur !
Scène VII.
Encore toi ! qu’est-ce que tu viens faire ici ? Qu’est-ce que c’est ?
Achève donc !…
Que notre gracieux Kaïmakan est enragé.
Lui ! Allons donc !
Légèrement enragé… mais cela peut augmenter ! en attendant et vu que tous les médecins ordinaires de la cour ont commencé par donner leur démission… comment s’assurer de l’état de l’illustre malade ?… Qui maintenant l’osera visiter ?…
Moi !
Vous… jeune fille !…
Oui. Je vous réponds bien qu’il ne me mordra pas.
Et comment feras-tu pour l’en empêcher ?
Oui…
Je lui dirai ma chanson d’autrefois.
- Ici… Barkouf… et taisez-vous !
- Tra la, la, — ici… la, la, la !
- Venez… ou craignez mon courroux !
- Tra la, la, la, la !
(D’un air menaçant.)
- Tra… la, la.
(S’arrêtant et d’un air caressant.)
- Mais il est beau, soumis et doux !
- La, la, la, la, la, la, la, la !
- Bon chien, dormez à mes genoux !
- A ma voix qui t’appelle,
- O mon ami fidèle !
- Tu reviens, te voici,
- J’ai revu mon ami.
- Tra la, la, la, la, la !
- Méchants ! je brave vos efforts !
- Tra la, la, la, la, la, la, la !
- Car j’ai là mon garde du corps,
- Tra la, la, la, la, la, la, la !
- A mes pieds, soumis et câlin,
- Tra la, la, la, la, la, la, la !
- Le voilà qui lèche ma main.
- A ma voix qui t’appelle, etc.
Je vous en prie, monseigneur, mettez-moi vite l’épreuve !…
Sans plus tarder… tu vas ouvrir cette grille…
Il est là ?
Non pas, derrière une autre encore !
En avaient-ils peur !
Voilà la clef…
Attends… cet acte qu’il faut lui faire griffer…
Enfin, je vais donc te revoir !
Scène VIII.
Elle est entrée ! Pauvre petite !…
Paix donc… voici qu’elle ouvre la seconde grille !
Le gouverneur qui dormait… s’éveille… et d’un bond s’élance sur elle.
Ah !…
(Chant de Maïma.)
- A ma voix qui t’appelle,
- O mon ami fidèle !
- Tu reviens, te voici !
- Mon chien ! mon seul ami !
- Tra la, la, la, la, la !
- O miracle !… autour d’elle… il bondit plein d’ivresse !
- Ce tyran furieux la fête et la caresse !
- Humble autant que soumis, l’accable d’amitiés !
- Et sur un geste d’elle, il se couche a ses pieds. KALIBOUL.
- Oui, ce maître orgueilleux, s’humilie à ses pieds !
- O profond mystère !
- Comment l’éclaircir ?
- Quel art tutélaire
- A pu l’attendrir ?
- Sa fureur pardonne
- Enfin à quelqu’un !
- Et ce qui m’étonne,
- C’est qu’il est à jeun !
- Projet téméraire
- Qui va réussir,
- En toi seul j’espère
- Un bel avenir !
- Et loin que je craigne
- Le sort et ses coups,
- Désormais je règne,
- Je règne sur tous,
- Je règne, je règne sur tous !
- Tra la, la, la, la,
- La, la, la, la, la !
- A ma voix qui t’appelle,
- O mon ami fidèle !
- Tu reviens, te voici !
- Mon chien, mon seul ami !
- Tra la, la, la
- La, la, la, la !
Scène IX.
Tenez, monseigneur, voici l’acte que vous désiriez !
Et sur lequel le gouverneur vient d’apposer sa griffe… (Montrant Maïma.) Grâce à elle, rien ne s’oppose plus au mariage de ma fille. (À Kaliboul.) Cours le lui remettre… qu’elle et son fiancé descendent à l’instant même à la mosquée du palais et que dans un quart d’heure ils soient mariés !
Ne venez-vous pas ?
Et l’audience qui me retient ici ? une audience solennelle qui va décider de notre position à tous ; va vite.
Oui, monseigneur.
Mais moi, monseigneur, qu’aurai-je à faire ?
Rien qu’à écouter et à dire comme moi.
Scène X.
Cette fois, tout est perdu, Xaïloum n’en peut pas revenir.
Qui te l’a dit ?
On le conduit dans la cour du palais, et dès que le gouverneur aura approuvé l’arrêt…
Ne crains rien.
Ah ! je tremble toujours !
Ne crains rien, je me charge de tout !
- De l’audience voici l’heure !
- Du pauvre, protégeant les droits,
- Le gouverneur dans sa demeure
- Daigne écouter nos voix !
- Vos placets lui seront exactement remis
- Par moi, son grand vizir ; ils lui seront traduits
(Montrant Maïma.)
- Par cette jeune fille, interprète fidèle,
- Qui seule ici comprend le grand Kaïmakan,
- Et qu’il choisit exprès pour son seul trucheman ;
- Il le veut, il l’ordonne, et moi je réponds d’elle.
(On entend un aboiement derrière le grille à droite.)
- C’est lui ! sans être vu, notre Kaïmakan
- Siège à son tribunal MAÏMA.
- Parlez, il vous entend.
(Plusieurs hommes du peuple se détachent de la foule et viennent remettre à Bababeck un parchemin roulé que celui-ci remet à Maïma. Celle-ci l’ouvre, s’approche de la grille et dit à voix haute.)
- Noble Barkouf, le peuple impuissant, éperdu,
- Se plaint que tes impôts l’accablent… m’entends-tu ?
- Ouab ! ouab ! ouab ! ouab !
- De misère il expire !
- Ouab ! ouab ! ouab !
- Refusez…
(À voix haute.)
- Sa réponse… Écoutez tous
- Et soumettez-vous !
Ah ! veuillez leur traduire
- Sa réponse… Écoutez tous
- Ouab ! ouab !
- Le grand Barkouf, prenant vos malheurs en pitié,
- Veut que tous les impôts soient réduits de moitié !
- O colère ! ô supplice !
- Infernale malice !
- Mais que rien ne trahisse
- Ma secrète fureur !
- Elle a pu se méprendre,
- Sachons encore attendre,
- Et cherchons à comprendre
- D’où provient son erreur. LE PEUPLE.
- Gloire à Barkouf… Qu’on le révère !
- Sur nous qu’il règne en tous les temps !
- De ses sujets il est le père
- Et l’honneur des Kaïmakans !
- Oui, tel est mon caprice,
- Je veux qu’on le bénisse ;
- Ah ! pour moi quel délice
- De tromper un trompeur !
- Je ris d’un tel esclandre,
- De nous il doit dépendre,
- Et c’est à lui de rendre
- Hommage au vrai seigneur.
Scène XI.
- C’est Xaïloum que l’on mène au supplice !
(Le chef de la police s’avance et remet à Bababeck un parchemin, que celui-ci remet à Maïma.)
- Oui, c’est le chef de la justice
- Qui vient faire approuver, ô maître glorieux !
- L’arrêt de mort de tous ces factieux
- Que l’on va pendre !
- C’est fait de nous, tout est perdu !
Ah ! je tremble ! je tremble !
- O puissant Barkouf ! que t’en semble ?
- Des coupables qu’ordonnes-tu ? BARKOUF, en dehors, aboyant.
- Ouab ! ouab ! ouab !
- Ouab ! ouab ! ouab !
(Se tournant vers le peuple et montrant Xaïloum et ses compagnons.)
- Il leur fait grâce ! Il veut que son pouvoir commence
- Par faire des heureux !
- O bonheur ! ô clémence !
- Gloire à Barkouf ! Qu’on le révère, etc.
- Quel affront ! Quelle audace !
- Ce tyran leur fait grâce !
- On en veut à ma place,
- Mais trompons les trompeurs,
- Et qu’un juste supplice
- Et me venge et punisse
- L’infernale malice
- Qui brave mes fureurs !
- Gloire à Barkouf !… Qu’on le révère !
- Sur nous qu’il règne en tous les temps !
- De ses sujets il est le père,
- Et l’honneur des Kaïmakans !
- C’est lui qui vous fait grâce,
- Que ta frayeur s’efface,
- Du sort qui te menace
- Ne crains plus la rigueur !
- Barkouf, c’est son caprice
- Prétend qu’on le bénisse !
(À part, regardant Bababeck.)
- Oh ! pour moi quel délice
- De tromper un trompeur !
Scène XII.
- Du moins, ma fille est mariée,
- Aspect qui calme ma fureur !
- Oui, rien n’égale mon bonheur,
- Au beau Saëb enfin je suis liée !
- L’acte signé du gouverneur
- A l’autel m’a permis de lui donner mon cœur !
- Ah ! c’est lui !
- Dieu, c’est elle !
- Le trompeur, l’infidèle !
- Maïma… mes amours !
- Quoi ! ce jeune officier…
- Et c’est moi qui viens de les marier !
- C’en est fait, tout m’accable en ce jour,
- Et l’espoir s’envole sans retour !
- Ah ! ma vie
- Est finie
- Avec mon premier rêve d’amour !
- Enfin, je vais à mon tour,
- Tout au plaisir, tout à l’amour,
- Papillonner le long du jour,
- Puisque ma fille se marie !
- Je le dis et sans détour,
- Je suis heureux de voir le jour
- Que j’allais perdre sans retour !
- Je le dis et sans détour,
- Si l’on trahissait mon amour,
- Oubliant l’ingrat sans retour
- Je me vengerais en ce jour.
- Enfin, voici donc le jour
- Où, grâce au pouvoir de l’amour,
- Je vais être femme à mon tour !
- Du haut du céleste séjour,
- Allah, descends, viens en ce jour
- Bénir leur doux serment d’amour !
- Noble Barkouf, la fille du vizir
- A Saëb, ce matin, vient ici de s’unir,
- Pour que ce soir l’heureux époux emmène
- La jeune épouse en sa maison…
- Pour que ce soir l’heureux époux emmène
- Selon l’antique usage, il faudra qu’il obtienne
- Ton agrément, réponds !
(Barkouf aboie en dehors.)
- Nous l’accordes-tu ?
(Il aboie encore.)
-
- Il a dit non !
Non !
- Non !
- Comment non ? c’est horrible !
- À cet ordre impossible,
- La fille du vizir
- Ne saurait obéir !
- Qu’on obéisse au gouverneur,
- Ou sur les rebelles malheur !
- Sort tutélaire,
- Qui viens me faire
- Triompher dans cette affaire,
- Tu secondes mes projets.
- Noble adversaire,
- Il faut vous taire
- Et malgré votre colère
- Obéir à mes arrêts !…
- Ordre arbitraire
- Mais salutaire,
- Qui soudain vient me soustraire
- Au sort que je maudissais,
- Par toi j’espère,
- Comme naguère,
- Vous retrouver sur la terre,
- Jours qu’appellent tous les regrets.
- Sort tutélaire,
- Qui vient la faire
- Triompher dans cette affaire,
- Tu secondes ses projets.
- Noble adversaire,
- Il faut vous taire
- Et, malgré votre colère,
- Obéir à ses arrêts !…
- Pouvoir contraire
- Qui vient défaire
- Ce qu’en leur vol téméraire
- Avaient bâti mes projets !…
- Mais la colère
- Qui m’exaspère
- Saura bientôt, je l’espère,
- Dicter aussi ses arrêts !
- Allah l’éclairé,
- La chose est claire !
- De ses lois dépositaire,
- Il nous dicte ses arrêts.
- Roi populaire,
- Qui sait nous plaire,
- Ne crains rien, nous saurons faire
- Respecter tous tes décrets !
- Ordre arbitraire,
- Destin contraire,
- Comment, hélas ! me soustraire
- A ses injustes décrets ?
- Sachons me taire,
- Mais ma colère
- Saura lutter, je l’espère,
- Contre un tyran que je liais !
- Ordre arbitraire
- Qui vient défaire
- Ce qu’en leur vol téméraire
- Avaient rêvé ses projets !…
- En cette affaire
- Il faut se taire,
- Car ce peuple saurait faire
- Respecter tous ses décrets !
ACTE TROISIÈME
Les jardins du sérail du gouverneur de Lahore. — À gauche, le kiosque royal fermé par de riches tapisseries. À droite, les appartements du palais. Au fond un escalier avec balustrade en marbre, et par lequel on descend dans les cours du palais.
Scène PREMIÈRE.
Me voici dans le sérail… où jamais je n’ai mis le pied, mais depuis que je suis sauvé, depuis que le bon Barkouf a prononcé ma grâce, impossible de revoir Balkis, qui est restée au palais près de Maïma. Balkis, la petite marchande d’oranges qui est devenue une grande dame et qu’on ne peut plus voir, c’est ennuyeux ! Parce que les hommes, (Avec importance.) les vrais hommes sont exclus du sérail et les gardiens, avec la pointe de leur sabre, disent toujours : On ne passe pas… Moi, sans entrer en explication, j’ai fait le tour des murs, j’ai aperçu une brèche et alors !…
- J’ai grimpé,
- J’ai rampé,
- A tout je me suis rattrapé !
- Payant d’assurance et d’audace,
- Je pénètre enfin dans la place !
- J’ai grimpe,
- J’ai rampé,
- Au sérail me voilà campé !
- En grimpant,
- En rampant,
- Aux branches en se rattrapant,
- Plus d’un arrive et dit sans honte :
- Savez-vous là-bas comme on monte ?
- En grimpant,
- En rampant.
- Honneur au premier occupant !
Scène II.
Ah ! Xaïloum ! toi dans ces lieux !
Je n’y tenais plus ! j’accours pour te voir, pour t’embrasser !… tu as beau être grande dame, je t’aime comme avant, comme un enragé, et toi…
Comme une simple bourgeoise.
Alors embrasse-moi.
Est-ce qu’on a le temps… quand on est aussi occupée que je le suis !
Il ne se fera pas de sitôt, car il ne se fera qu’en même temps que celui de Maïma qui est impossible en ce moment… car si notre protecteur Barkouf perd sa place, c’est fait de nous.
Perdre sa place, lui, Barkouf qui a sauvé mes jours et ceux de nos amis !… Lui, Barkouf que tout le monde adore ! et pas fier et si affable !… Hier encore quand il a parcouru avec Maïma les rues de la ville, comme un simple particulier, tout le monde pouvait l’approcher, le toucher ! Aussi quel enthousiasme, quels cris de joie ! On l’aurait porté en triomphe, si ce n’eût été le respect et la peur d’être mordu ! Et tu veux qu’un pareil gouverneur soit jamais destitué, allons donc ! ce n’est pas possible… moi d’abord je me ferais tuer pour lui.
C’est bien.
Et mes amis aussi.
Très-bien.
Et comme je venais au palais, j’avais pris sur moi, attendu que les petits présents entretiennent l’amitié, un morceau de galette pour le lui offrir, si je le voyais.
On ne le voit pas.
C’est différent.
Pourquoi ça ? lui qui est si bon ! qui rend la justice à tout le monde.
Il y a des gens que cela gêne ! On dit qu’il aboie après tous les coquins, ça lui fait beaucoup d’ennemis.
Je comprends.
Et puis, le seigneur Bababeck qui est furieux de n’être que grand vizir ! et puis sa fille qui est furieuse de n’être mariée qu’à demi, car depuis trois jours, elle n’a pu quitter ce palais et être emmenée par son mari, parce que Maïma… c’est-à-dire le gouverneur y a tenu la main.
La patte !
D’un autre côté, le Grand-Mogol, qui reviendra maintenant Dieu sait à quelle époque, le Grand-Mogol a emmené avec lui tous les soldats, il n’y a plus ici que des bourgeois.
Ce n’est pas rassurant.
Et l’on dit qu’une bande de Tartares parcourt la campagne et rôde autour des murs du sérail… Voilà où nous en sommes !
C’est grave !
J’ai peur que l’on ne nous surprenne… Va-t’en !
C’est égal ! Ça suffit.
On ne peut donc se rien dire à la cour ?... Un baiser du moins !
Impossible !… Et pour l’honneur des dames du sérail, qu’on ne te voie pas ici ! va-t’en !
(Elle sort.)
Scène III.
Va-t’en ! je ne vois qu’un moyen pour lui obéir… c’est de m’en aller. Voyons… (Regardant le fond.) Par cet escalier… non ! on monte… par ce côté… non ! on vient… Ma foi, dans ce pavillon.
(Il s’élance dans le pavillon à gauche dont les rideaux se referment sur lui.)
(Entrées successives de Bababeck et de Périzade, puis de Kaliboul, du porte-épée du porte-pipe, du porte-parasol, du porte-tabouret et de tous les fonctionnaires supprimés.)
- On n’y peut plus tenir,
- Il est temps d’en finir !
- Au mal le bien succède,
- Cela nous dépossède,
- Plus d’abus, plus d’impôts,
- De tributs, de cachots !
- Pour venger nos affronts
- Conspirons, conspirons ! XAÏLOUM, dans le pavillon à gauche, caché derrière les rideaux.
- Ah ! Balkis disait vrai ! les traîtres
- En veulent au meilleur des maîtres.
- Pour le sauver, écoutons bien !
- Tenons-nous coi, ne disons rien.
- Pour renvoyer le gouverneur,
- Moi je sais un moyen vainqueur.
- Écoutons… mort au gouverneur !
(Tous se rangent autour de Bababeck et se disposent à écouter.)
- Mais silence !
- De la prudence,
- Et parlons bas
- Pour qu’on n’entende pas !
- Parlons bas, parlons bas !
- . . . . . Tartares
- . . . . . bagarres
- . . . . . et crac…
- . . . . . à sac !
- Tartares… bagarres…
- J’écoute et je ne comprends rien.
- Cela ne suffit pas encore,
- Nous venger d’abord de Lahore,
- C’est bien.
- Très-bien !
- Mais de celui qui nous offense
- Il nous faut une autre vengeance,
- Et voici quel est mon moyen…
- Voyons donc quel est ce moyen ?
- Pour le sauver, écoutons bien.
- Mais silence !
- De la prudence,
- Parlons bien bas
- Pour qu’il n’entende pas !
- Parlons bas… parlons bas !
- . . . . . Sans qu’il en coûte
- . . . . . sans qu’il s’en doute,
- . . . . . prompt et soudain…
- . . . . . trépas certain…
- Trépas certain…
- Ah ! c’est divin !
- C’est entendu ! c’est convenu !
- C’est entendu ! c’est convenu !
(Tous les conjurés ont disparu, Xaïloum sort du pavillon.)
Ils ont maintenant une manière de conspirer où l’on n’entend rien… pas un mot… pas un seul… Autant vaudrait être sourd.
(Apercevant Maïma et Balkis qui entrent par la droite.)Scène IV.
Quoi, c’est toi ! Tu n’es pas parti ?…
Par bonheur ! car je viens… par mon adresse… par mon intelligence… de découvrir…
Quoi donc ?
La conspiration la plus terrible et surtout la plus ténébreuse… on conspire sourdement.
Contre qui ?
Contre le gouverneur Barkouf.
- Quel complot ?
- Quel discours ?
- C’en est fait de ses jours !
- Il me glace !
- Que dit-il ?
- Quel péril
- Le menace ? XAÏLOUM.
- On dit vrai : La grandeur
- Ne fait pas le bonheur !
- O furie !
- Tout s’émeut,
- On en veut
- A sa vie !
- Mais enfin…
- C’est affreux !
- Un complot…
- Odieux !
- En sachant nous entendre,
- Nous pouvons le défendre.
- Avec sincérité…
- Dis-nous la vérité.
- J’entends bien.
- Eh bien ?
- Eh bien ?
- Eh bien !…
- Vérité la plus pure,
- Je n’ai rien entendu.
- Seulement, je vous jure
- Que Barkouf est perdu ! Ensemble.
- Parle donc, parle donc,
- Et reprends ta raison !
- On ne peut donc ici
- Rien apprendre de lui !
- On t’absout,
- Dis-nous tout,
- Il le faut,
- Rien qu’un mot !
- Ce forfait,
- Il le tait ;
- Par pitié, moins discret,
- Dis-nous donc ton secret !
- Ah ! je sens ma raison
- Qui s’en va tout de bon !
- Je voudrais, et pour lui,
- Tout vous dire aujourd’hui…
- Voilà tout,
- Mais surtout
- Pas un mot !
- Ce complot
- Deviendrait
- Mon arrêt !
- Par pitié,
- De moitié
- Gardez-moi ce secret !
- Réponds-nous !
- Qui t’arrête !
- Attendez !… oui, ma tête
- Se souvient,
- Ça revient.
- Je m’étais caché là.
- J’écoutais… et voilà
- Que j’entends
- Ces méchants,
- Ces maudits,
- Et leurs cris !
- Ils parlaient,
- Ils disaient…
- Attendez !… oui, ma tête
- Je t’écoute !
- Ils disaient…
- Dis bien tout,
- Et surtout
- N’omets rien !
- J’entends bien !
- Eh bien ?
- Eh bien !…
- C’est la vérité pure,
- Je n’ai rien entendu,
- Mais d’honneur je vous jure
- Que Barkouf est perdu !
- Parle donc, parle donc ! etc.
- Ah ! je sens ma raison, etc.
Bababeck ! Le grand vizir…
Mais il ne parlait qu’à mots entrecoupés et si bas… si bas… que je n’ai rien compris, sinon qu’ils voulaient mettre la ville à feu et à sang en commençant par tuer le grand Kaïmakan.
Tuer Barkouf !…
Par un moyen prompt et immanquable.
Lequel ?
C’est justement ce que je n’ai pas entendu.
Et c’est justement ce qu’il fallait connaître.
Et ce que je connaîtrai. (A part avec émotion et apercevant Saëb qui parait au fond du théâtre, au haut de l’escalier.) Voici Saëb… (Haut.) Laissez-nous, mes amis… il faut que je cause avec lui sur les moyens de sauver le gouverneur.
Et sur l’autre chose encore… (Rencontrant un regard de Maïma.) Dès qu’il s’agit de secrets d’État, je m’en vas… je m’en vas… Nous nous en allons.
(Xaïloum sort par le fond, Balkis par la droite. Saëb s’est avancé lentement au milieu du théâtre, Maïma est restée sur le devant de la scène.)Scène V.
Enfin, je vous retrouve, et je puis vous dire…
Et que pouvez-vous dire qui excuse votre trahison ?
Ah ! c’est bien malgré moi que…
Que vous êtes marié !…
Oui, mais… je n’aime que toi… que toi seule…
- Ah ! si tu savais
- Tous mes regrets,
- Tu me plaindrais
- Ah ! si tu savais
- Et tu pardonnerais !
- Crois-en mes discours,
- De nos beaux jours,
- De nos amours
- Crois-en mes discours,
- Je me souviens toujours.
- Mais alors qu’un sort barbare
- Nous sépare,
- Crois en moi.
- Tout plein de toi,
- Mon cœur t’a gardé sa foi.
- Mais alors qu’un sort barbare
- Non ! qui trahit sa foi
- N’est plus rien pour moi ! SAËB.
- N’est plus rien pour moi !
- Non ! qui trahit sa foi
- Ton cœur offensé
- S’est-il glacé ?
- Le temps passé
- Ton cœur offensé
- S’est-il donc effacé ?
- Dis-moi, mon cher bien,
- Qu’il n’en est rien ;
- Et même loin
- Dis-moi, mon cher bien,
- Rive ton cœur au mien !
- Mais alors qu’un sort barbare, etc.
Tu refuses de me croire !… (Lui donnant une lettre.) Tiens, s’il te faut une preuve, lis !
Une lettre du grand vizir… Quoi ! c’est pour sauver les jours de votre père qu’il a exigé de vous un pareil sacrifice ?
Oui !
Il serait vrai ?… mais alors…
Alors, je t’aime toujours… (Tombant à ses pieds.) je le jure à tes pieds.
Scène VI.
Mon époux !
Bababeck !
Mon époux ! à d’autres genoux que les miens !
Mais en effet que signifie ?
(Saëb, Périzade, Bababeck et Maïma restent quelques instants immobiles agités chacun de sentiments divers.)
Rien ! Il me remerciait de la faveur que vient de lui accorder notre gracieux maître en le nommant surintendant du palais.
Saëb ! surintendant du palais… sans que moi, grand vizir, j’en aie été prévenu !
Cela vous fâche ?…
Au contraire, cela m’enchante ! mon gendre est ici chez lui.
Sans contredit.
Alors, par l’ordre même du grand Kaïmakan, ma fille est chez son époux.
Et je n’ai plus besoin d’être emmenée.
O ciel !
Seigneur Saëb, vous n’oublierez pas que la garde de Barkouf vous est confiée… (Regardant Bababeck.) Des complots se trament, dit-on, contre ses jours… et jusqu’à ce que les conjurés soient découverts et punis, vous ne le quitterez ni le jour ni la nuit !…
Merci !…
Par exemple !
C’est son ordre.
Je cours où mon devoir m’appelle !
Votre devoir !… Et moi, monsieur, et votre femme !
On doit obéir à son maître !
(Il s’éloigne.)
Mais un pareil tyran, mon père, ne doit pas durer plus de vingt-quatre heures, et dès aujourd’hui même…
Silence, ma fille… Rapportez-vous-en à ma prudence pour tout oser… sans rien compromettre. Les Tartares seront maîtres ce soir d’une des portes de la ville et d’ici là le grand Kaïmakan aura vécu !
Comment cela ?
(Un appel de trompettes se fait entendre.)Scène VII.
Le dîner du gouverneur !…
(Les officiers de la bouche entrent par la droite et sur la ritournelle du morceau suivant qui commence piano, traversent le théâtre portant des plats de viandes, des gâteaux et des vases remplis de différents breuvages que l’on place à droite, sur des buffets garnis de fleurs.)
- Des bords du Caucase et du Gange
- Accourez, essaims gracieux !…
- Que votre brillante phalange
- Dans son vol charme ici nos yeux !
- Doux moment qui nous venge,
- Nous allons régner en ces lieux !
(La musique continue à l’orchestre, plusieurs officiers se détachent du groupe des conjurés et vont prendre sur les dressoirs des plats qu’ils présentent à Maïma. Celle-ci cherche à lire dans leurs traits. Ils supportent son regard sans se troubler.)
Je me trompais, rien à craindre de ce côté.
(Xaïloum et Balkis ont tour à tour porté dans le pavillon à gauche les différents plats que Maïma vient de leur remettre. En ce moment Xaïloum revient et crie de la porte du pavillon.)Le gouverneur demande à boire.
(Mouvement parmi les conjurés, Maïma les regarde et redouble d’attention. Elle ne les quitte pas des yeux, en allant prendre sur un dressoir et en guise de coupe, un bassin en or qu’elle présente à Bababeck.)
A boire ! (un peu troublé.) Oui… oui… comme échanson… cela me regarde… C’est le devoir de ma charge.
Comme il est ému ! C’est là qu’est le danger, (Haut.) Versez, mais versez donc !
Je verse !…
Et moi, je vais dire au gouverneur avec quel zèle vous remplissez votre charge.
(Elle sort.)
C’est fait !…
Dieu ! pourvu qu’il ait soif !
Les gouverneurs de Lahore ont toujours soif !…
- Des bords du Caucase et du Gange, etc.
- Doux moment qui nous venge, etc.
(Maïma sort en ce moment du pavillon, émotion des conjurés.)
- Grand échanson, notre doux maître
- Trouve ce breuvage parfait,
(Geste de joie des conjurés.)
- Et je dois vous faire connaître
- Combien il en est satisfait.
- Il a bu ! De lui c’en est fait !
- Pour lui la mort… la mort !
- Il a bu ! De lui c’en est fait !
- Mais je n’ai pas tout dit encor.
- Gouverneur généreux,
- Il veut à la ronde
- Gouverneur généreux,
- Voir, quand il est heureux,
- Heureux tout le monde.
- De ce vin favori
- Sa bonté profonde
- Veut qu’ici,
- Comme lui,
- Vous buviez aussi !
- Sa bonté profonde
(Regardant d’un air sombre Bonbeck qui tremble.)
- Oui, vous en boirez comme lui ;
- Buvez, Barkouf le veut ainsi !
- O ciel ! en boire comme lui !
- Allons, Barkouf vous invite.
- Mais buvez donc,
- Grand échanson !
- Allons, Barkouf vous invite.
- A Barkouf il faut au plus vite
- Et sans façon
- Faire raison.
- Buvez donc,
- Grand échanson !
- C’est trop d’honneur… non, non ! LE CHŒUR.
- Buvez donc,
- Grand échanson !
- Au gouverneur, faites raison !
- C’est trop d’honneur… non, non !
- Buvez donc, buvez donc,
- Pour détourner tout soupçon !
- C’est trop d’honneur, non, non !
- À vous donc cette coupe d’or !
(Elle passe entre lui et les conjurés, et se tournant vers ceux-ci :)
- Mais je n’ai pas tout dit encor.
- De ce nectar si bon
- Qu’il n’épargne guère,
- Et du même flacon
- Remplissant vos verres.
- Barkouf, dans sa bonté,
- Veut, amis sincères,
- Vous voir avec gaîté
- Boire à sa santé !
(Les regardant d’un air sombre.)
- Vous boirez tous, avec gaîté,
- Vous boirez tous à sa santé !
- Ô ciel… ô ciel ! avec gaîté
- Il nous faut boire à sa santé.
- Allons, Barkouf vous invite…
(Se tournant vers Bababeck.)
- Commencez donc,
- Grand échanson ! (Se tournant vers les conjurés.)
- Et vous tous, buvez au plus vite
- Avec gaîté
- A sa santé !
- Boire est si doux !
- Vous boirez tous !
- Buvez tous, buvez donc,
- Grand échanson,
- Buvez tous, buvez donc,
- Au gouverneur faites raison !
- Buvez tous, buvez donc,
- Pour mieux détourner tout soupçon.
- C’est trop d’honneur, non, non !
- C’est fait de nous !
- Grâce et pardon !
- Qu’ont-ils donc tous ?
- Ils ont…
(Montrant Bababeck.)
- Que, guidés par ce traître,
- Ils versaient un poison mortel
- A Barkouf notre maître !
- O ciel !
(Tout le peuple se précipite sur les conjurés.)
- N’écoutons qu’un juste transport ;
- Sur eux, sur eux, vengeance et mort !
Scène VIII.
- Debout ! aux armes, mes amis !
- Les Tartares sont à nos portes !
- Debout ! car nous sommes trahis !
- Sur nous s’avancent leurs cohortes.
- Quel bonheur ! voici les ennemis,
- Oui, les ennemis,
- Nos seuls amis !
- Oui, les ennemis,
- Bas les armes, il faut nous rendre !
- Ce sont nos amis !
- Quel danger ! voici les ennemis ;
- Qui nous défendra,
- Nous sauvera ?
- Qui nous défendra,
- Qui donc viendra pour nous défendre ?
(Tous s’adressant à Saëb.)
- Qui nous sauvera ?
- Qui ?… dites-vous ?
- Le ciel… et vous, oui, vous-mêmes… vous tous !
- Déjà chacun et s’indigne et se lève ;
- Tous sont soldats ! tous ont saisi le glaive !
- Près de Barkouf tous ses sujets
- Accourent en foule au palais !
- Barkouf qu’on aime et qu’on admire,
- Hélas ! en ce moment expire !
- Non ! ce breuvage redouté,
- Loin de lui je l’avais jeté.
- Vive Barkouf, il est sauvé !
- De leurs coups, il est préservé !
- Tenez… tenez, à cette vue
- Qui de vous n’aurait l’âme émue ?
- Voyez dans les cours du palais !
- Aux premiers cris qu’il vient d’entendre,
- C’est Barkouf qui vient de descendre.
- Du peuple dans les rangs épais,
- L’œil ardent, il passe et repasse
- Par ses cris menaçants enflammant leur audace !
(On entend en dehors les aboiements de Barkouf.)
- Ouab ! ouab ! ouab !
(Lesquels aboiements continuent de distance en distance pendant la fin de ce morceau.)
- Tenez, amis, entendez-vous
- Sa voix qui vous appelle tous ?
- L’entendez-vous ?
- À cette clameur qui dans l’air s’élève
- Oui, tous !
- Dans un même élan vous ceindrez le glaive,
- Vous combattrez tous !
- Dans un même élan vous ceindrez le glaive,
- MAÏMA et SARB. Oui, tous !
- Pour vos ennemis, ni grâce ni trêve !
- Oui, tous !
- Marchons, marchons !…
- Ce sont eux dont la voix vous crie :
- Allez chercher dans les combats
- Ou la victoire ou le trépas !
Défendez Barkouf, la patrie,
(On entend au dehors les aboiements de Barkouf.)
- Défendons Barkouf, la patrie,
- Ce sont eux dont la voix nous crie :
- Allons chercher dans les combats
- Ou la victoire ou le trépas !
(Tous sortent en désordre et de tous les côtés. On a entraîné les conjurés ; des esclaves noirs ont saisi Bababeck et Périzade. Maïma leur fait signe de les laisser seuls avec elle.)
Scène IX.
Quant à vous, restez… j’ai à vous faire connaître les intentions de notre gracieux gouverneur, (À Bababeck.) Grand vizir, vous avez trahi l’État en livrant la ville aux Tartares… Grand échanson, vous avez trahi notre sublime gouverneur en voulant attenter à ses jours…
Permettez !
C’est encore trop.
Je renonce à ma part !
Mais moi…
Vous seule, a dit le gouverneur, vous seule, belle Périzade…
Belle Périzade !…
Pouvez les sauver… à une condition…
Elle y consent !
Elle y consent.
Laquelle ?
Entrez dans ce pavillon, où les docteurs de la loi vont dresser un acte.
Quel acte ?
Qu’importe, dès qu’il s’agit de ton père !…
De votre fidèle serviteur !…
Entends-tu cette marche guerrière, ce sont eux qui reviennent… il s’agit de nos têtes…
Et je n’en ai qu’une.
Et tu n’as qu’un père… Viens, ma fille !
O amour filial !
(Ils sortent tous sur l’air de marche que l’on entend.)
Mais non, ce n’est point Saëb, ce n’est point Xaïloum qui reviennent. Cet air de marche que je reconnais, c’est le Grand-Mogol qui vient à notre secours, quand nous n’en avons plus besoin !
Scène X.
C’est bien, c’est bien, vous dis-je… mais je veux tout connaître par moi-même, et puisque cette jeune fille sait, dit-on, ce qui s’est passé…
C’est vous, sublime souverain !… déjà de retour de Candahar !...
En quelques heures la révolte a été apaisée.
La ville est tranquille ?
Oui, je l’ai brûlée… mais ici, sur mon passage… qu’est-ce que cela signifie… les rues et les maisons de Lahore désertes, et ce palais occupé seulement par des femmes et des esclaves qui ne parlent que du grand gouverneur Barkouf et des réformes, des changements opérés par toi, jeune fille !
Non par moi, astre de lumière, mais par le maître que vous nous aviez donné !
Pour vous punir… Très-bien !
Ces réformes l’ont fait nommer le bon Barkouf… et tout le peuple le bénit et l’adore.
Ah ! il se mêle de se faire adorer, de se faire bénir… très-bien… et l’on dit que les Tartares sont venus ce matin vous attaquer ?
Oui, astre des astres !
Très-bien… je veux voir le gouverneur Barkouf… il est dans ses appartements ?…
Non, magnanime souverain !
Où donc est-il ?
Au milieu du danger… tous ceux qui l’aimaient l’ont suivi… Voilà pourquoi, sublime souverain, vous n’avez trouvé personne dans la ville…
Elle a signé l’acte de divorce… non sans peine… elle tenait à son mari… c’était le seul et l’unique jusqu’ici.
Scène XI.
- Quels sont ces chants de fête et ces joyeux éclats ?
- Pour Barkouf, nos bourgeois sont devenus soldats !
- Ses cris enflammant leur vaillance,
- Donnent le signal du combat ;
- Au feu, le premier il s’élance,
- Et tous s’élancent sur ses pas !
- A lui victoire ! Allah ! Allah !
- Quel vaillant chef nous avons là !
- Victoire, victoire ! Allah ! Allah !
- Quel vaillant chef nous avons là !
- Victoire, victoire ! Allah ! Allah !
Scène XII
(On entend au dehors des accents funèbres.)
- Quel est ce cri funèbre ?
- Ah ! quels nouveaux périls !
(Courant à Balkis qui entre suivie d’un groupe de femmes.)
- Balkis, réponds !… Saëb, Barkouf… où donc sont-ils ?
- Les Tartares étaient en fuite,
- Grâce à Barkouf, l’élu du ciel,
- Mais trop ardent à leur poursuite,
- Il tombe atteint d’un coup mortel…
- Sur lui pleurons… et sur nous… Ah !
- Ah ! ah ! ah ! ah !
- Quel bon maître nous avions là !
- Pleurons sur nous, Allah ! Allah !
- Quel bon maître nous avions là !
(Le peuple tombe aux genoux du Grand-Mogol.)
- Quoi ! tous à mes genoux !
- Que me demandez-vous ?
- Toi seul avais raison… ce peuple n’est pas digne
- D’être, hélas ! gouverné par un de tes vizirs,
- Et nous te demandons, comme une grâce insigne,
- De nous donner encor, ce sont nos seuls désirs,
- Un gouverneur pareil au bon Barkouf…
(Pleurant.)
- Quel bon maître nous avions là !
Ah ! ah !
- Oui, oui, quel bon maître nous avions là !
- Non pas, ils en prendraient l’habitude peut-être.
(Haut.)
- Vous avez mérité votre grâce… et pour maître
- Je veux vous accorder un seigneur de ma cour.
- O ciel !
Scène XIII.
- Viens, Bababeck.
- Juste ciel !
- En retour
- Des services qu’il m’a pu rendre,
- Je donne le pouvoir à Saëb, à ton gendre…
- Arrêtez… par amour filial et par force
- Il m’a fallu signer un acte de divorce !
- Que voici !
- Qu’il épouse alors ce qu’il voudra.
- Maïma !
- Vive Maïma !
- De notre bon Barkouf le ministre et l’amie !…
- C’est égal… c’est égal… jamais rien ne vaudra
- Notre bon gouverneur, Barkouf…
(Pleurant.)
- Quel bon maître nous avions là ! LE CHŒUR.
- Quel bon maître nous avions là !
Ah ! ah !
- Quel bon maître nous avions là !
- Sa mémoire par nous sera toujours chérie,
- Quel bon maître nous avions là !
- Vive Barkouf… vive Barkouf !… Allah !
- Allah ! Allah !